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21/04/2021

KR'TNT ! 507 : EDGAR JONES / LUKE HAINES / GORDON HASKELL / CRASHBIRDS / Mr PAUL ET LES SOLUTIONS / ORIGINAL ANIMALS/ ROCKAMBOLESQUES XXX

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 507

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

21 / 04 / 2021

 

EDGAR JONES / LUKE HAINES / GORDON HASKELL

CRASHBIRDS / Mr PAUL ET LES SOLUTIONS

THE ( ORIGINAL ) ANIMALS

ROCKAMBOLESQUE 30

TEXTE + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Gare à Edgar Jones

Liverpool 1986 : comme tous les gens bien nés, l’ado Edgar Jones écoute Captain Beefheart, Syd Barrett, Love et les Yardbirds. Puis il tombe sur des compiles qui vont sceller son destin : Nuggets et Pebbles. Il s’amourache de toute la bande des Seeds, des Standells et des Chocolate. Il a 16 ans lorsqu’il commence à composer des chansons. Il est tellement sûr de lui qu’il se prend pour Scott Walker. En 1990, Edgar et ses copains Gerald Ged Lynn et Paul Maguire montent les Stairs. Pour Paul Maguire, c’est facile : chez lui, on est batteur de père en fils. Pour Ged aussi : il n’a qu’une seule obsession : jouer de la guitare. C’est ça ou rien. Pour financer le projet, Edgar joue de la basse dans le touring band de Ian McCulloch.

Ged se montre très vite impressionné par les compos d’Edgar : «He’s a bit of a genius on the sly, that lad.» Les Stairs arrivent en Angleterre comme une bouffée d’air frais : ils dégagent une énergie peu commune et Edgar chante comme un dieu, avec ce gnarl and bite qui fait si cruellement défaut à la britpop de 1992. Le problème c’est que Ged doute de lui-même. Il devient vite ingérable. Il doute tellement de lui qu’il se barre à Frankfort au lieu d’entrer en studio le jour où démarrent les sessions d’enregistrement des Stairs. Il pense qu’Edgar joue mieux que lui - So I got myself out of the picture - Quand il revient, Edgar et Paul lui pardonnent. Les Stairs démarrent avec le mythique EP Weed Bus, un cut qu’on retrouve en ouverture de bal d’A sur le fameux Mexican R’n’B. «Weed Bus» ? Là, t’es en plein dedans. Les Stairs réinventent le British Beat yeah yeah yeah, la niaque en avant et les accords psyché en soutien, ça sonne à la liverpuldienne, Edgar ne se gare pas, il fonce dans le tas yeah yeah yeah au volant d’un weed bus digne du Magic Bus des Who, mais avec des chœurs de voyous. Mexican R’n’B figure parmi les grands classiques du rock anglais, ne serait-ce que par la présence de «Mary Joanna» : Edgar est en colère, il explose le pauvre garage au yeah yeah yeah. Il est encore plus violent que Van Morrison, comme si c’était possible. Il crache du feu et le solo ravage le camping, les accords pilonnent la plèbe, pas d’échappatoire, les Stairs sont en ville et battent tous les records de sauvagerie. Ils passent au psycho psyché avec «My Window Pane». Edgar y chante ses bas-fonds, ça tortille sec en bas de manche de basse et ils foutent une fois de plus la ville à sac. C’est du dirty garage psychotique, tout est claqué du beignet et accompagné d’awites d’une sauvagerie hallucinante. Edgar chante dans le fonds de commerce des Stairs, à la bonne éclate. Il n’en finit plus de croasser, sans doute en souvenir de François Villon. Quel fabuleux mélange de mix : punk + psyché sixties et c’est noyé d’écho à la con. Il chante la pop descendante de «Laughter In Their Eyes» avec le swagger d’un Droog d’Orange Mécanique. Il sublime la délinquance, il déchire sa chanson avec ses ongles. Ils tapent dans la Russie avec «Russian R’N’B», mais c’est avec «Right Back In Your Mind» qu’ils raflent la mise. C’est une stoogerie comme on en voit plus, c’est joué aux accords de «1969», voilà que les Stooges débarquent à Liverpool. Le truc des Stairs, c’est le dirty garage joué avec une ferveur dévastatrice. Ils vont loin dans le cloaque, wight in the back of yer meeend. Terrific ! C’est même les Stooges en pire, en plus gluant. Personne ne peut descendre aussi bas dans la déjection, même pas les déjecteurs. Edgar croasse sur son gibet et les redémarrages sont de la pure stoogerie. Autre bombe : «Woman Gone And Say Goodbye» : Edgar l’attaque à coups de dents de requin, yeah yeah yeah. Il y a du Proby et du Fog en lui. Il chante tout à l’excès.

Le petit conseil qu’on pourrait donner aux amateur de real deal serait de se procurer la red de Mexican R’n’B parue en 2019 sur Cherry Red. C’est un triple album qui rassemble TOUT ce qu’ont enregistré les Stairs, et notamment la fameux deuxième album jamais paru. À la suite de Mexican R’n’B s’entassent des bonus plus enragés les uns que les autres, comme ce «Flying Machine» assez teigneux, bardé de big guitars et d’appels du cor. Ils sont spectaculaires dans l’exercice du pouvoir. Edgar chante comme Roy Loney dans «When It All Goes Wrong» et il revient aux Them de 64 avec «You Don’t Love Me». Effusion maximaliste, you don’t care ! C’est violent et caverneux à la fois, ils explosent le concept du gaga à coups de descentes de bassmatic, il n’existe rien de plus hargneux qu’eux, sauf peut-être les Hammersmith Gorillas, mais là, Edgar Jones va encore plus loin. Il braille tout ce qu’il peut brailler. Voilà un «Russian Spy and I» cavalé ventre à erre, il exhorte l’ersatz à dégueuler l’excerpt. Ils tapent plus loin une reprise d’«I Can Only Give You Everything». Wow, quel bel hommage aux Them ! Full tempo, tout est là. La flamme et la hargne, il n’y a que ça de vrai. C’est l’une des meilleures covers jamais enregistrées, cause I try and I try, le solo brise les reins du cut et Edgar revient hurler dans la cave du beat, ô violence mère de tous les vices ! Il attaque encore «Fall Down The Rain» aux dents de la mer. Il est certainement le shouter le plus wild d’Angleterre. On ne trouve plus personne à ce niveau d’exaction, même pas les Shadows Of Knight, ni Roy Loney. Edgar Jones est un punk de Liverpool, un amateur de push push.

Le disk 2 s’ouvre sur «Last Time Around». Stupéfaction garantie. C’est du niveau des early Them avec quelque chose de Liverpool en plus. Il faut rappeler que ce hit des Del-Vetts fut popularisé par les Cynics. Quand on écoute «I Won’t Be Bad Again», on pense à un gang de sales branleurs qui préparent un coup fourré. Quelle délinquance dans le son ! Le pire c’est qu’Edgar n’en rajoute pas, il tape ça au swagger naturel. On trouve plus loin leur reprise du «No Escape» des Seeds. On retrouve aussi une démo de «Flying Machine». Edgar y écrase le champignon du punk system. Il chante à la pure expansion démographique, son refrain explose dans l’air humide, c’est un phénomène inconnu qui fait rêver tous les scientifiques, son punky strut éclate à la face d’un monde qui s’en fout royalement. Ils jouent «My Window Pane» à l’enfoncé du clou de beat fatal. C’est signé Paul Maguire. Power & beat, voilà les deux mamelles des Stairs. Ged cisaille à coups de guitare, les Stairs jouent à la vie à la mort. On le constate une fois encore avec «Right At The Back», il n’existe rien de plus stoogé du ciboulot que ce truc-là. Edgar fait son Iguane in the back of your mind sur les accords de «TV Eye», ça brûle tout seul, pas besoin d’aller craquer une allumette. Ils ramènent même un solo d’orgue dans la fournaise. Iggy n’aurait jamais imaginé un tel délire. C’est fulminant, ça se termine dans des tourbillons jusque là inconnus. Il faut aussi voir Edgar Jones ramener des descentes de gamme dans «Out In The Country». Il règne sur Liverpool - It’s alrite by me - On note aussi l’extraordinaire modernité de la pop d’«Happyland», bien incurvée par des poussées de bassmatic. Ils font un fin expiatoire. On croise ensuite une nouvelle version de «Weed Bus», monster on the loose éructé à l’ancienne, ils font carrément les Who à la mode de Liverpool. Voilà leur reprise du «Moonchild» de Captain Beefheart. Riff et harmo, une vraie imprimatur de British Beat. Ils sonnent encore mieux que les early Stones ! «Stop Messin’» vaut pour un heavy groove de Liverpool, mais avec Edgar, ça prend de drôles de proportions. Les Stairs ont le génie du power, c’est saturé de heavyness et chanté à gorge déployée. Ici tout est solide, extrêmement chanté et joué à outrance. Ils se fondent dans leur son comme d’autres se fondent dans l’ombre. Joli coup de freakout que ce «Snake Baker». C’est carillonné au sommet de l’art. Ils n’en finissent plus d’émerveiller la populace. Ils reviennent à deux reprises dans le flow du cut au diguili expérimental. Encore du power définitif avec «Custard Flys». Edgar Jones a décidé de nous en boucher en coin. On pense à tous les malheureux qui n’ont pu rapatrier ce coffret magique. Les Stairs sont trop puissants. On sort épuisé de ce disk 2, d’autant qu’ils bouclent avec un «Just A Little Sunshine» bien travaillé au corps. Les Stairs sont les spécialistes du wild ending.

Sur le disk 3 se niche le deuxième album inédit, celui que Viper a publié en 2008 sous le titre Who Is This Is. Pourquoi inédit ? Tout simplement parce que les Stairs n’intéressaient plus personne, pas même leur label de l’époque. Ça paraît difficile à croire et pourtant c’est la vérité. «Skin Up» ? Power & damnation ! Ils détiennent le pouvoir du rock antique, ils dégomment tout, y compris Blue Cheer et Motörhead. C’est le son des Stairs, battu à l’épisodique et chanté à la hargne du fauconnier. «It Was Alright» sonne comme une vieille crise de frappadingue. Ce démon d’Edgar Jones ne s’épargne aucune crise de transe. Il est aussi puissant qu’Eric Burdon. Il travaille son «Gotta Reason» au corps, il y a du shouter en lui et des enclaves mélodiques dans ses aspirations, il saigne son rock aux quatre veines, il taille à la serpe, il monte sa levure au levant, il manufacture à la liverpuldienne. Retour la heavyness avec ce «Stop Messin’» indescriptible de sauvagerie. C’est quasiment du Beefheart. On sent chez Egar Jones une profonde volonté d’annexion, il arrose sa heavyness de bassmatic et quand il descend dans les entrailles du son, ça devient apocalyptique. Tout chez eux est saturé de chant, de riffs, de bassmatic errant et de pompes dignes de la Rome antique. Ils n’en finissent plus de créer la sensation, comme le montre encore «Happyland». Ils défient l’entendement. Ils font toujours des cuts à rallonges émaillés de regains inespérés de violence sonique. Avec «Set Me Free», ils sonnent comme un ras-de-marée. Nouvelle merveille inexorable avec «Talking To You» et ils poussent la cavalcade insensée de «Teenage Head Cancer Blues» jusqu’à la nausée. Le guitar slinger joue en solo continu, Edgar bouffe son Cancer tout cru et après une fausse sortie, ils se remettent en route. Ils sont les grands spécialistes de la fausse sortie, ils reviennent juste pour démonter la gueule du cut. On entre avec «Cabbage Man» au royaume des bonus magiques. Edgar y monte sur ses grands chevaux et télescope une pop de wild beatlemania. Il la secoue de vagues psychotiques d’une rare violence. On a là un mélange terrible de hargne garage et de psychédélisme haletant, c’est blasté à l’Anglaise dans l’essence d’un spasme névrotique. Encore un final débilitant de génie fulminant. Ils basculent dans un enfer de mad psyché avec «Love Has Come Around And Gone Away». On peut même dire sans craindre la surenchère qu’ils expédient la mad psyché en enfer, droit dans la Rôtisserie de la Reine Pédauque. Comme l’indique son titre, «Driving Me Out Of My Mind» fait sauter tous les verrous. Edgar Jones connaît toutes les ficelles de caleçon du blast. Il nous plonge une fois de plus en pleine mad psyché d’excès mortel. Il n’existe rien de pire dans le genre. Il faut les voir sonner les cloches de la mad psyché. On n’avait encore jamais vu un truc pareil. Edgar refait son Burdon dans «I Saw Her Today». C’est dire s’il est bon. Il chante ça à la folie Méricourt. S’ensuit un «Do It To It» assez explosif, mais plus commun, même si rôdent dans le son les chœurs de Sympathy For The Devil. Comme il sait si bien le faire, Edgar allume le feu et crame toute la forêt. Ce psychopathe chante dans les flammes avec la voix d’une grenouille qu’on écrase lentement du talon. Fin de la rigolade avec «I’m Bored». Edgar Jones fait son cirque jusqu’au bout de la nuit des Bonus de cristal, il se meut dans un groove putride. Il est le roi du monde, mais personne ne le sait.

Paru sur Viper en 2006, Right In The Back Of Your Mind est une resucée de tout ce qui figure que le coffret magique pré-cité. Autant prévenir : cet album est encore une bombe. Ils sonnent comme les Beatles avec «Happyland», un énorme slab de pop orchestrée joué à ras des pâquerettes du Walrus, fabuleux retour sur investissement. On croise tous les cuts prédateurs, le stoogien «Right In The Back Of Your Mind» et «My Window Pane», chef-d’œuvre de punk psyché. Ils amènent «You Don’t Love Me» au pire garage de l’univers. Attention les gars, il s’agit des Stairs, avec ce boucher d’Edgar derrière le micro qui, en plus, descend ses gammes de basse. Il n’existe rien d’aussi sauvage en Angleterre. Ils battent tous les records, même ceux des Pretties. On comprend bien qu’avec «Fall Down The Rain», ils cherchent par tous les moyens à créer la sensation. Alors la voilà, la sensation, Edgar lui rentre dans le lard au punkish mood et un énorme solo psyché vient le conforter dans sa démarche. «It Was Alright» redore le blason du stomp de Liverpool. Et puis avec «Cabbage Man», ils plongent dans les Beatles avec une attitude de punksters. Ils se situent au-delà de tout ce qu’on sait du rock anglais. Ils shakent à outrance.

C’est en 2008 que Viper sortait le fameux deuxième album inédit des Stairs sous le titre Who Is This Is avec un chou en guise d’illustration pour la pochette, mais ce n’est pas l’Homme à la tête de chou. C’est l’occasion de revisiter toutes ces merveilles déjà évoquées, comme ce «Stop Messin’» où Edgar Jones fait son Beefheart. C’est dire s’il a du pouvoir. Et ça solote à la titube dans cette fabuleuse fuite en avant. Il fait son white niggah de Liverpool dans «When She Walks Down My Street». Qui saura dire la grandeur de sa négritude ? Il chante «Teenage Head Cancer Blues» à l’arrache de Wilson Pickett et «See Her Today» comme un punk qui serait dépassé par ses émotions, mais attention, il perd du crédit en voulant trop dégueuler.

Le dernier album des Stairs est une compile intitulée The Great Lemonade Machine In The Sky. Elle couvre la période 1987-1994. Edgar Jones y commente chaque cut et le petit conseil qu’on peut vous donner est de courir chez votre disquaire pour aller choper ce truc-là, rien que pour la version live de «Little Red Book», spectaculaire hommage au roi Arthur, joué avec tout le tranché du tranchant liverpuldien. Fantastique exaction que ce labour of Love. On trouve pas mal d’inédits, comme ce «Fall Down The Rain» prévu pour un EP et qui sonne comme une incroyable descente de garage liverpuldien. Ça dégomme sec dans la gomme arabique, Edgar chante à la big mouth de Northern swing. Ils font une reprise du «Moonsine» de Captain Beefheart, véritable leçon de ravalement de façade, ça frotte à qui s’y frotte s’y pique. C’est bardé d’harmo dévastatoire. Ils reviennent au pandenium des Sixties avec «Flying Machine» et une voix qui entre dans le cut à l’insistance du deep throat, mais avec quel power, you know what I mean. Et ces lignes de basse en forme de déploiement nucléaire ! Edgar ressort aussi une version abandonnée du «No Escape» des Seeds. Ils enregistrent «Do Dag Do» chez Liam Watson. Edgar parle de Barrettesque chord changes ans twists and turns & Daniel Kierney on guitar. Joli shoot de mad psyché ! Encore du mayem avec «Snake Baker» et sa jolie montée en vrille. Back to the Toe Rag sound avec «Custard Flys». Pure frenzy, parfaite giclée d’excellence liverpuldienne, c’est littéralement bardé de son. Ces mecs caressent le génie sonique dans le sens du poil. Edgar gueule avec le charisme d’un John Lennon éperdu de drogues et ça donne un stupéfiant miasme de miasma psychédélique. Edgar dit adorer cette horreur déconnante qu’est «Shit Town» et ça vire jazz avec «Good Lovin’». C’est une home démo enregistrée avec Carl Cook. Quelle classe ! C’est très évolué musicalement, et Edgar joue un jazz bass drive. Ils passent à la menace urbaine avec «I’m Bored». Sur «I Saw Her Today», Edgar sonne comme le Comte Orlock de Liverpool et ils finissent en beauté avec «Do It To It», un garage d’émulsion hybride à peine voilé et chauffé par un coup de wah en plein cœur du sun.

En 2005, Edgar Jones enregistre l’excellent Soothing Music For Stray Cats. On entre dans cet album via un groove de jazz saxé de frais. Bienvenue chez les géants de Liverpool. Les cuts sonnent comme des explorations d’archipels inconnus et l’Edgar crée soudain la surprise avec «Freedom». Il y bouffe sa Soul toute crue, comme un requin. Il passe au shuffle d’exception avec «Sittin’ On A Fence». On se croirait chez Graham Bond. Même esprit d’explosivité. L’Edgar a du génie mais peu de gens le savent, c’est dramatique. Il faut le voir jouer avec le vieux jump d’Angleterre dans «More Than You’ve Ever Had» et il se livre à un nouvel exercice de style avec «Stubborn Mule Blues». Sa voix craque dans l’air du temps, il ramène du groove ancestral. C’est effarant de passéisme. Il va au raw comme d’autres vont aux putes. Il revient au jump avec l’excellent «You Knew You Can Do It», mais il le fait jusqu’à l’os du genou, son jump est si humide qu’on le croit chanté par une femme. Pur génie interprétatif. Il ramène toute l’énergie du rockab dans «Catnip». C’est inespéré. Il va au-delà de toute expectative. Il mélange le drive de rockab avec une morve de fuzz. Il passe au New Orleans avec «Tenderly», eh oui, il se permet toutes les fantaisies. Voilà encore un cut bardé de son, avec des cuivres extraordinaires et du pouet à gogo. Il envoie ensuite un «Gonna Miss You When You’re Gone» groové à la stand-up. Il groove dans la chaleur de la nuit, comme Sidney Poitier. Le guitariste s’appelle Paul Molley et c’est un crack de Liverpool. Et voilà qu’il tape dans le gospel de Liverpool avec «Oh Man That’s Some Shit» avec une effarante facilité. Vous avez déjà entendu le gospel de Liverpool ? C’est très particulier car bien niaqué. Edgar Jones y fait du Little Richard. Il termine avec un shoot de funk intitulé «It’s My Bass». Il le fait pour de vrai, avec du bass drop de funk. Pas étonnant que cet album subjugue les Shindigers.

Comme le succès le boude, Edgar Jones passe son temps à remonter des groupes. En 2007, ils démarre une petite série d’albums avec une formation qu’il baptise Edgar Jones & The Joneses. Leur premier album s’appelle Gettin’ A Little Help... From The Joseneses et s’ouvre sur un «The Way It Is» magnifique de garagisme. Edgar Jones sonne comme Van Morrison. Il est sans doute le plus grand chanteur anglais vivant. Il sort des accents sublimes. Il fait son white nigger dans «We Should Get Together» et screame quand bon lui semble. On sent chez lui un goût prononcé pour Fats Domino («More Than You Ever Had») et il nous refait le coup du hit de juke avec «Need For Lovin’». Il peut aller aussi loin dans l’affirmation que Tom Jones. Il tape dans Gershwin avec «Summertyme» et se paye de luxe de chanter comme Nina Simone. Il redevient le fou masqué de Harlem pour «(Ain’t Gonna Be Your) Fool No More». C’est jazzy à en mourir, ce mec s’amuse et donne des leçons de swing ultimes. On se régale aussi de l’instro «About Time», juteux, énorme et passionnant.

Il existe aussi un EP trois titres d’Edgar Jones & The Joneses qui s’intitule The Way It Is. Ils sont en plein British Beat, entre les Animals et les Stones, c’est monté sur un Didley Beat avec une guitare fuzz dans le fond. Shuffle de rêve, c’mon, carnassier à souhait. Il s’en va ensuite swinguer «Nothin’ Doin’» comme un vieux Rolling Stone, before I really lose my mind. Il sait de quoi sont faites les choses de la vie. Beautiful artifact. Impossible de faire mieux que ça.

L’année suivante paraît Live We Should Get Together. Difficile de faire l’impasse sur un live pareil. Le morceau titre vaut tout l’or du monde. Edgar chante sa Soul, accompagné de violents coups d’acou. Il rend le plus beau des hommages à Big Dix avec «My Babe». Pas de plus belle excellence cathartique. Il est fabuleusement relayé par la wild guitar de Jamie Backhouse. Et puis Edgar se met à chanter le groove des jours heureux de Liverpool : «I Let A Song Get Out Of My Heart». Il le hatche à la gorge. C’est tellement énorme que ça devient irréel. Ils font une Soul de rêve et les chœurs sont du pur Motown. Ils passent par tous les stades du shuffle, ils le font à l’Américaine et c’est là où ils sont très forts. À la sortie d’un solo, Edgar pousse un yeah d’antho à Toto. Il sait aussi faire son Beefheart avec «Do Doh Doncha Doh». Il gère bien son haut de gamme inexorable. Il revient faire son black avec «More Than You’ve Ever Had», il fait du purisme absolutiste, personne ne peut battre Edgar Jones à ce petit jeu. Ils partent en mode Diddley beat dans «The Way it Is». Edgar, c’est Aretha, alors rien ne peut l’arrêter. Si on ne l’a pas compris, c’est qu’on a un problème. Un petit groove de basse amène «You Know You Can Do It». Ce fuckin’ Edgar sonne comme Louis Armstrong. Il jive son dub de round midnite. «We Should Get Together» sonne comme un shoot de yeah. Ce démon cavale dans les escaliers. Il chante au bouffe-tout, il est dans l’inexorabilité des choses et pour faire le show, il ressort les pom pom pom des Chambers Brothers. Real deal.

Avec The Masked Marauder, Edgar Jones & the Joneses vont encore passer inaperçus. Bon c’est vrai qu’on observe un retour au calme, après les excès des Stairs. Edgar va plus sur le groove, comme le montre «All The Things You Are», bel exemple de groove pépère. Mais c’est aussi le meilleur groove pépère qu’on ait entendu depuis des lustres. On sent chez eux une détermination à vouloir surprendre. En fait, c’est un nommé MM qui chante. Edgar Jones se contente du bassmatic. On reconnaît son style très vite. «Sunshine» sonne comme un vieux groove irrésistible assez parfait et bien swingué au sax par un nommé Austin Murphy qu’on salue bien bas. Et puis voilà le coup de génie de l’album : «It’s Great To Be Straight With One Another», un heavy blues handicapé de léthargie maximaliste, avec un Edgar qui chante au fond du studio. C’est d’une heavyness fluide incroyable ! L’album se termine avec un «Once There Was A Time» groové comme il se doit. Bassmatic irréprochable. Mais aucune info sur ce MM.

The Edgar Jones Free Peace Thing enregistre Stormy Weather en 2011. Au dos, on nous prévient : «What you have presently in your hands is one of the most incendiary albums you are likely to hear by a band on fire... Shake it loose !». Justement, ça démarre en trombe avec un «Shake It Loose» ex-plo-sé de son. Back to Liverpool, les gars ! Aw c’mon ! C’est de la folie de c’mon, pulsée au scream local. Ils sont trois, Edgar, Stu Gimblett on guitar et Nick Mimski on drums. Ce démon d’Edgar plombe sa descente aux enfers de notes de basse. Le morceau titre sonne plus funky et ils partent tous les trois en groove de jazz. C’est très impressionnant. Encore du funk de Liverpool avec «Statistical Knightmare». Ils fendent la bise tous les trois. C’est sans doute le Northern groove qu’auraient rêvé d’enregistrer les Beatles. S’ensuit un «I Don’t Need Your Roses» d’une grande densité compulsive. C’est très barré. On pense bien sûr à Jackie Lomax. «Big Fanny» sonne comme un retour de manivelle. Back to the heavy groove avec «Good Luvin’», c’est bien vu et bien envoyé, ce mec dispose d’une réalité vocale sans commune mesure et c’est mené au puissant swagger d’electric guitar de Liverpool. Wow, ça wahte à la désirade. Ils s’en vont ensuite groover «Hot Potatoes» par dessus les toits. Edgar et ses deux amis disposent d’une force de frappe peu commune. Trop de qualité peut dérouter les flux migratoires, mais qu’on se rassure, Edgar Jones peut faire son Steve Marriott quand ça lui chante, d’autant que la Patate chaude sonne comme du heavy Pie. Et c’est encore avec un clin d’œil appuyé à Humble Pie qu’ils finissent cet album : le cut s’appelle «Bones» et il porte bien son nom.

En 2012, Edgar doit comprendre qu’il est condamné à l’underground et donc il entreprend l’enregistrement d’une petite série d’albums sous le nom d’Edgar Sumertyme. Le premier s’appelle Sense Of Harmony. Comme les albums solo de Jack Yarber aux États-Unis ou de Steve Ellis en Angleterre, ceux d’Edgar Jones provoquent, une fois rapatriés, une sorte d’immense satisfaction. C’est parce qu’ils sont condamnés aux ténèbres de l’underground et donc mal distribués qu’ils prennent toute leur valeur car ils illustrent à merveille l’expression ‘démarche artistique’. Avec «On And On», Edgar fait de la heavy pop avec une aisance qui en impose. Son groove rappelle celui de Bobbie Gentry. C’est une belle pop explosive et sans prétention. Il prend résolument le parti de la pop underground avec «Bye And By». Les amateurs de psyché obscur vont s’y retrouver. Il faut dire que l’album est quand même un peu spécial. Très far-out. La face cachée du White Album. Edgar se demande dans «Sunfday Afternoon» ce qu’on peut faire un dimanche après-midi. Il devient carrément spectorien avec «It Can Only Be You». Ça se cogne un peu au mur du son et c’est tellement admirable d’overdrive que ça devient énorme. Il chante «I Would Do Anything» comme un dieu, ou plus exactement, il chante derrière le cut. «What Are You Gonna Do» est une sorte de régal, mais c’est uniquement parce qu’il s’agit d’Edgar Jones. Sinon, il est probable que ça passerait à la trappe de Père Ubu. Edgar shake son shook tout seul en Angleterre, ça sonne comme un hit de Phil Spector mais sans le Wall, avec une mélodie chant génialement sale. Ah il faut écouter ce mec-là. Il passe au petit pulsé avec «Beep Beep» qu’il fait bien and again and again and again et joué à l’espagnolade. Et puis on se régalera aussi du joli groove d’exotica en forme de vieux compromis de «Wishing Well», une pure merveille. On a envie de serrer la pince à Edgar Jones pour le remercier.

Edgar Sumertyme revient dans l’actu en 2013 avec un album mi-figue mi-raisin : Morphic Fields. Il y joue sa pop à la pointe du bassmatic, comme le montre «Sense Of Wonder», c’est excellent car doucement balancé, mais ça s’arrête là. Il fait un peu de glam à la T. Rex avec «Making Good Of Nothing» et un vieux renvoi de da loo da da da. Tout est très pop, ici, Edgar cherche sa chique dans la vieille pop de Liverpool. Dans «Revolutioning All Around You», il ramène une belle pop psyché qui nous renvoie tous aux Beatles de Revolver. Il tente sa chance à chaque cut. On le perd un peu avec «Long Dark Night Of The Soul» où il tente le coup de la house electro. Il retente une fois encore d’allumer son album en sonnant comme Dave Edmunds dans «Honey Bear», une sorte de boogie à l’Anglaise, mais tout le panache d’antan semble avoir disparu.

En 2017, Edgar Jones sort un nouvel album dans la plus parfaite indifférence. The Song Of Day And Night est un album pour le moins étrange, car coupé en deux : une A géniale et une B foireuse. Le seul cut sauvable de la B est celui qui ouvre la bal, «Don’t Break My Heart», car c’est monté sur le beat rebondi de «Lust For Life», alors ça marche à tous les coups. Mais si on cherche de la viande, il faut rester en A : tout y est excellent. Dès «Serendipity Doo», Edgar Jones joue la carte du doo-wop d’Angleterre. Ce mec va vers la black avec une facilité déconcertante. Avec «Wait», il se conduit en parfait white nigger. Il mouille sa syntaxe comme d’autres mouillent leur chemise. Il pratique le white-niggerisme à un très haut niveau. Encore une merveille avec «Keeps A Rollin’ Round In My Head». Il shake son groove comme un roi d’Angleterre. Les choses sont ici bien soupesées, comme dans les grands albums de Soul. Edgar joue sa carte du timbre groovy avec un brio exceptionnel. Il finit l’A avec «Thinkin’ Bout The Time». Back to the heavy psychout des stars. Ah comme ces mecs sont bons ! Encore un hit en puissance, Nina Jones chante avec lui et ça donne un duo effarant de tenue et fuzzé jusqu’à l’os du genou.

Signé : Cazengler, Edgar routière

The Stairs. Mexican R’n’B. Go! Disc 1992

The Stairs. Mexican R’n’B. Cherry Red 2019

Edgar Jones. Soothing Music For Stray Cats. Viper 2005

The Stairs. Right In The Back Of Your Mind. Viper 2006

Edgar Jones & the Joneses. The Way It Is. Viper 2006

Edgar Jones. Gettin’ A Little Help... From The Joseneses. Viper 2007

Edgar Jones & the Joneses. Live We Should Get Together. Viper 2008

Edgar Jones & the Joneses. The Masked Marauder. Viper 2008

The Stairs. Who Is This Is. Viper 2008

The Edgar Jones Free Peace Thing. Stormy Weather. Viper 2011

Edgar Sumertyme. Sense of Harmony. Viper 2012

Edgar Sumertyme. Morphic Fields. Viper 2013

The Stairs. The Great Lemonade Machine In The Sky. Viper 2015

Edgar Jones. The Song Of Day And Night. Skeleton Key Records 2017

Paul Ritchie : The World Shall Not Be Saved. Shindig # 88 -February 2019

 

Luke la main froide - Part One

 

Luke Haines est-il plus connu pour sa prose que pour ses disques ? Difficile à dire. Il fait des albums depuis trente ans, mais il écrit aussi des romans délectables et pond chaque mois une chronique dans Record Collector, qui est la première choses qu’on lit chaque mois. Vu l’énormité de l’œuvre qui au plan écrit n’a d’égale que son intensité, nous allons commencer par dire tout le bien qu’on pense de sa discographie et dans un Part Two, nous reviendrons sur l’écrivain. Et quel écrivain ! Luke la main froide pourrait bien être le Léon Bloy du XXe siècle.

Tout commence dans la joyeuse Angleterre des années 90, en pleine Brit-pop. Luke la main froide monte un groupe qui s’appelle les Auteurs et enregistre un premier album, l’excellent New Wave. On le voit chanter son «Show Girl» avec un certain allant et des accents à la Lennon. Il est donc assez balèze. Il retient bien l’attention, il propose un duveteux de chant appointé et connaît le secret des relances. Vas-y Luke, chauffe-nous la marmite. «Bailed Out» confirme que Luke est un chanteur racé. Il chante cet artefact de petite psyché à la langue fourchue. Et puis voilà un hit : «American Guitars». Il amène ça au heavy rock zébré d’éclairs beatlemaniaques. La brit pop de rêve est là, sur cet album. On assiste à une sorte de sacralisation de la psyché anglaise. Il revient en force avec «Don’t Twist The Stars» et l’éclate aux power-chords. Luke a le rock dans le sang, il joue à la grande envolée sanglée, le fouet claque et il reprend sa respiration. Il encercle plus loin son «Housebreaker» avec un certain talent - Your time is mine - Il profite de chaque cut pour lancer des échappées belles. On sent le mec parfaitement au point et il nous replonge avec «Valet Parking» dans un beau bain de jouvence. Cet album semble visité par la grâce. Encore de la heavy pop bien foutue avec «Idiot Brothers». Luke Haines chante ses couplets à la coule. Il dispose des deux mamelles de base : le son et la présence. Que peut-il espérer de plus ? A-t-on déjà vu un mec avec trois mamelles ? Non, évidemment. Sa heavy pop ne traîne pas en chemin. Quelle allure ! Globalement, cet album sonne comme une aventure extraordinaire. Les cuts se suivent et ne se ressemblent pas. Tiens, voilà «Early Years». Il en fait un petit rock blasté dans l’œuf du serpent, assez classique pour l’époque, avec les pattes qui s’écartent en dansant.

Alors après, les Auteurs, c’est vite vu. Luke la main froide s’imagine qu’il va conquérir le monde avec la petite pop pressée de Now I’m A Cowboy. Mauvais calcul. Dès «Lenny Valentino», on sent le côté typé de la rythmique. Avec «New French Girlfriend», il raconte l’histoire d’une poule française. Ça ne peut pas marcher, même s’il ramène des big power chords à l’inopinée. Il tente le coup du psyché de salon avec «The Upper Classes», mais Luke n’est pas Syd. Il doit rabattre sa superbe, même si le cut sort du lot. Il cherche la petite bête et ce faisant, il sait rester assez pur. On le voit ensuite torturer la pop au cello mais il tourne en rond. Ça sent l’album raté. Les années Brit pop grouillent d’albums inutiles de ce genre. Tout le monde enregistrait alors, sans rien avoir à dire. Luke joue la carte de la redite et finit par donner la nausée. Il tente à chaque cut de réveiller le dragon, en vain. Ça ronronne, jusqu’au dernier cut, «Daughter Of A Child». Le pauvre Luke est usé. On voit à travers.

Attention, After Murder Park demande un peu de temps : on y trouve un album entier de cuts perfidement intéressants, plus une rasade de bonus et en prime, un album live assez stupéfiant. Dès le cut d’ouverture de bal d’A, on sent un petite volonté de violence. «Light Aircraft On Fire» alterne le chant et les power chords douceâtres, mais mon pauvre Luke, ça ne fait pas un hit. Tu as encore beaucoup de choses à apprendre, toi qui te crois ce que tu crois. Well well, Luke, apprends à devenir modeste, c’est le seul conseil qu’on puisse donner au freakout freak que tu es, si féru de tout et de rien. Avec «The Child Brides», tu te fais porteur d’une parole underground estropiée. Ta pop sonne si faux, alors que sur ton premier album elle sonnait si juste. Ah quelle déconvenue ! Ta pop devient grotesque et inutile, prétentieuse et complaisante, méfie-toi. Mais on attendra que tu te reprennes, car on te sait capable de petits miracles. Puis avec «Land Lovers», ça dégénère. Ta pop est ridiculement mal foutue, comme empuantie et cousue de fil même pas blanc. On te prenait pour un mec bien. Puis, faute d’inspiration, tu te mets à enculer «New Brat In Town». Tout est gratté à l’avenant, c’est une catastrophe. Ce n’est pas parce que tu grattes tes cuts à marche forcée que tu vas sauver les meubles. Soudain, le ciel s’éclaire avec «Unsolved Child Murder». Luke va sur une pop enclavée de violons à la John Lennon. C’est très beatlemaniaque. Il enchaîne avec un «Married To A Lazy Lover» assez balèze, ça explose à coups de guitares destroy oh boy ! Luke réussit enfin à élever le niveau de la heavy pop à coups d’accords de guitare. Tout aussi énorme, voici «Buddha». Quel son ! Il ramène tout le son de la terre dans son happy birthday Buddha ! Stupéfiant ! Luke retrouve enfin la main froide. Il plonge encore dans le biz de la pop avec «Tombstone». Il y va, alors on l’écoute. Il est redevenu le maître du jeu. Comme Frank Black, il creuse le territoire aride de la pop pour créer ses palmeraies de pop baroque et il descend ensuite avec «Dead Sea Navigator» dans les tréfonds de la pop morbide. Au plan littéraire, c’est très solide, il chante toute l’horreur de la mésaventure, c’est noyé d’orgue et Luke se dresse comme un géant dans cette désolation. Il entame sa série de bonus avec un «Back With The Killer» qui ne marche pas. Il faut attendre «Former Fan» pour retrouver ces violentes tempêtes dont il s’est fait une spécialité. Il nous ressert une rasade de «Light Aircarft On Fire» bien bardée de son en suspension. Il n’en finit plus de remuer ciel et terre. On tombe plus loin sur la démo de «Buddha», c’est bien raw to the bone, il sonne presque comme Bowie dans «Space Oditty». Il a ce pouvoir. Il taille bien sa route dans le big fat sound d’«Everything You Say». C’est un Auteur, ne l’oublions pas. Il sait veiller au grain. Les albums qu’il propose sont des albums ardus. Il faut se bagarrer avec. Luke la main froide est un seigneur d’Angleterre. Il ramène aussi son cher «Tombstone», c’est du heavy Luke. Quand il va sur le heavy, il va sur le heavy. Il est brillant et seul dans la tourmente. Il fait une dernière pirouette avant de mourir. Il gagne du respect à chaque seconde. Il arrive chez John Peel avec «Kids Issue». Forcément, il en rajoute des caisses. C’est du Luke tout craché. De toute évidence, il cherche à séduire Peely. Luke est un caméléon, il va là où le vent le porte. Sur l’album live, il rend hommage à Kenneth Anger avec «Kenneth Anger Bad Dream» - This is a song about Kenneth Anger, the pornographer - Sur scène, deux cellos et trois violons l’accompagnent. Il revient à son cher Buddha et transforme «Married To A Lazy Lover» en petite merveille pop. On croit entendre les Beatles, tellement c’est bien foutu. Il ressort aussi son vieux «American Guitars» tiré du premier album. Big heavy sound ! Il fait claquer les American guitars, c’est énorme ! Encore un hit magique avec «Showgirl». Quelle fantastique chape de plomb !

Entre deux albums Haineux, Luke la main froide se prête au petit jeu pervers des side-projects. Il monte Baader Meinhof avec le batteur Del Hood. Évidemment, c’est de la pure provoc. Léon Haines a décidé de fracasser à la hache la morale de l’Occident purulent. Et pour ça, il choisit l’option d’un son electro qui va mal. Il n’essaye même pas de se rendre intéressant, il sort un son encore plus pathétique que celui des groupes qui essayent de ne pas l’être. Il crée les conditions parfaites du malaise. Il propose une espèce de terrorisme sonique de branleur. Il joue sa petite bille à coups d’electro mais avec un fond de Britpop et dans ce carnage, il ramène l’une des meilleurs guitares d’Angleterre. Léon Haines prête à confusion, mais sa guitare est sans pitié. Il veut vraiment nous faire croire qu’il navigue en eaux troubles, mais il n’est pas très doué pour naviguer, même s’il montre encore des vieux restes. Et puis soudain, alors qu’on ne s’y attend plus, il fait du glam avec «It’s A Moral Issue». Il se prend pour Bolan sans en avoir les cheveux. Tout y est, c’est sûr, sauf les cheveux. On ne comprend pas ce que le glam vient faire chez Baader. Et quand on écoute «Kill Ramirez», on admet qu’il est impossible de lui faire confiance. Il chante comme un con qui veut se faire passer pour un crack. Dommage, car encore une fois, il sort les belles guitares. Il achève l’album à coups d’acou, du coup ça devient un vrai coup, il touille son morceau titre au chant de taille et rend un étrange hommage à Baader. Il tente bien le diable et nous hante avec son refrain très politique, Baader Meinhof !

Il monte un autre side-project avec l’ex-Mary Chain John Moore et Sarah Nixey : Black Box Recorder. Trois album suffiront pour tenter de créer la sensation : England Made Me, The Facts Of Life et Passionoia. Le groupe a deux intérêts : Luke la main tendue s’entend bien avec John Moore et Sarah Nixey chante comme une reine évaporée. On reste bien sûr dans la provocation avec une pochette qui nous montre un glamster outrageous sur le carreau d’une mine, comme s’il s’agissait d’illustrer un choc de civilisations. Sarah Nixey crée une ambiance à la Mazzy Star dès l’ouverture de bal et on comprend pourquoi Luke la main verte l’a choisie. S’il en est un en Angleterre qui sait ce qu’il fait, c’est bien lui. Les cuts sont très composés et Sarah chante d’une voix douce et humide. Ce démon a réussi à trouver une chanteuse très anglaise. Elle chante à l’intimisme frelaté, le pire qui soit. Luke la main lourde vient fondre sa voix dans celle de Sarah quand ça lui chante et il faut attendre «Child Psychology» pour trouver un peu de viande. Les arpèges psychédéliques de Syd Barrett déroulent un heavy groove londonien et on sent nettement la poigne du songwriter. L’un des plus puissants du cheptel. Avec «Up Town Ranking», on passe au hip-hop sound, c’est-à-dire au heavy booming de bien-vu-Luke et elle chante comme une harpie tragique dressée sur le corps du roi. Fast and bulbous, comme dirait Captain Beefheart. Au final, on se retrouve avec un album plutôt excellent, très varié et très complet. C’est encore Sarah Nixey qui crée l’émoi avec «Swinging». Elle chante au rotten to the core, dans l’esprit aigre-doux de Mazzy Star. C’est elle qui boucle le bouclard en disant sa Haine du dimanche («Hated Sunday»). On sent la patte de Luke la Haine derrière. L’animal sait ce qu’il fait.

On les voit tous les trois sur la pochette de The Facts Of Life et Luke la main leste duette d’entrée de jeu avec Sarah la fatale dans «The Art Of Driving», ils font du Gainsbourg/Birkin avec du pushing on the brakes. Ils pompent le power de G. en montant chez Kate, Luke se la pète et se la pisse à tous les étages, c’est trop facile avec une juvénile comme Sarah, et puis il reprend le cold au chant, alors ça finit comme ça doit finir, en belle réussite. Ils récidivent avec «The English Motorway System». Sarah fait le show, elle vise l’émerveillement, elle vise le hit nubile extraordinaire, aidée par la mélodie parfaite de la Haines. Luke la main courante reprend «French Rock’n’Roll» à la volée, avec une Sahah en traîne de lassitude. Le cut francisé se dévoue, se courbe et offre sa fleur. Lucky Luke crée encore un petit climat intéressant avec «Straight Life». Il se montre très à cheval sur les tendances et ça finit par marcher. Nouveau petit hit bien hot avec «Gift House», hit de fille adossée à une compo magique, Sarah jouit d’une belle modernité, elle distille son chant dans un haze de daze à la Brian Wilson. Force est de reconnaître que Luke la main tendue est un atroce génie. Sarah bat Hope à la course dans «The Deverell Twins». Elle est capable d’élégance luminescente et le démon Luky veille sur elle. On se souviendra de lui pour cette ténébreuse faculté. Et ce bel album s’achève sur une dernière buée de kiss goodbye, «Goodnight Kiss», cette petite traînée de Sarah embrase encore quelques zones érogènes au passage, mais avec beaucoup de talent car elle se montre experte en goodbyisme.

Et puis voilà le dernier spasme du Black Box Recorder : Passionoia, l’album du bord de la piscine, ambiance années 80. On y trouve un hit faramineux : «I Ran All The Way Home». Cet enfoiré l’amène à coups d’acou et ça prend vite les proportions d’un hit inter-galactique. Ce mec a du génie. Sarah l’hyper-chante à l’hyperette de quartier, elle se jette à corps perdu dans les embruns de la nubilité pop et Luke la main de Dieu ramène tout le power de Zeus dans les couches de son. Irrésistible. Sarah fait aussi un carton avec «Girls Guide For The Modern Diva», beau shoot de pop un brin electro bien visité par des vents d’orgue. Le ton de l’album est quand même très electro. Ils font du beat turgescent avec «The School Boy» et comme Sarah aime la crème, alors c’est parfait. Elle doit certainement en faire exprès, elle cherche à choquer le bourgeois, car ce cut pue le sexe, même si Lucky Luke tente de tout ramener dans la cour d’école. De toute façon, quand tu écoutes un disk d’Haines, tu t’exposes au pire poil à gratter d’Angleterre. Mais son electro finit par tuer le charme. Avec «British Racing Green», il crée les conditions d’une petite féerie excentrique pervertie, mais il insiste trop sur le côté nubile insalubre. Il finit par devenir pompeux. Avec son beat electro à la mormoille, t’es baisé des deux côtés, par devant et par derrière. Et cette petite traînée de Sarah chante au sucre glacé, ce qui n’arrange rien. On est dans le sex de coke des années 80. Aw my God, quelle horreur ! Luke la main moite n’en finit plus d’envoyer la pauvre Sarah au front, mais elle fait souvent preuve de candeur est s’en sort comme elle peut. Tiens comme par exemple avec «When Britain Refused To Sing» chanté dans la ferveur de la culotte. Pas très glorieux, en fait.

Bon, Luke la main ferme ne désarme pas. Il reprend son chemin de croix solo et attaque How I Learned To Love The Bootboys avec un stupéfiant hommage aux Rubettes intitulé «The Rubettes». Il joue le kid qui a les moyens. Luke n’est jamais aussi bon que lorsqu’il rend hommage à ses petites amourettes d’adolescent. Oh surgarbaby ! Il pousse le bouchon à l’extrême, come on baby to the jukbox jive, eh oui, il ne faut jamais oublier que tout a commencé au pied d’un juke de la rue Saint-Jean. Hanky ton pant, Panky ! Terrific ! Luke crache son glam ! Dans «1967», il ne cite pas de noms de groupes, il ne parle que de record collection - Some people have died/ Some people have gone - Il revient au petit glam avec «Your Gang Our Gang», pas de texte, tout est dans l’intention du son. Back to the power avec «Some Changes». Il navigue dans les mêmes eaux que Lawrence d’Arabie. «Johnny & The Hurricanes» aurait pu devenir un cut énorme, car c’est battu à la vie à la mort, mais Luke choisit d’en faire un délire prog absurde. Puis il se croit autorisé à utiliser les concepts philosophiques des rednecks avec «The South Will Rise Again». Il se vautre dans un océan d’absurdité. Et la fin de l’album s’enfonce dans le néant. Luke n’a plus rien à dire. Il n’a simplement pas de chansons. Il finit de flinguer l’album avec «Future Generation» - This is the story of the band - Oui, c’est ça, cause toujours.

2001 voit paraître un autre album solo : Christie Malry’s Own Double Entry. Luke la mainmise va avancer au rythme d’un hit par album, ce qui est mieux que rien. Le hit de Christie s’appelle «I Love The Sound Of Breaking Glass». Il ressort sa grosse guitare électrique pour l’occasion et joue la carte du riff de distorse assez proto-Panky. On dénote chez Luke une forte disposition au big Sound. Il peut se montrer assez cérémonial, au sens Velvet de la chose, car on entend là une purée de disto étalée sur un beat de messe noire. Ce son de rêve rabote la face Nord. C’est un bel hommage aux Stooges et au Velvet. Sinon, on peut en pincer pour «Discomania», cut solide et bien ficelé. Il passe au balladif avec «How To Hate The Working Classes» gratté aux accords secrets d’un kid amoureux de la pop anglaise - I hate the working classes and everybody - Avec «Discomaniax», on le voit se prendre pour une star descendue du ciel en haletant pour semer la consternation parmi les fans de pop anglaise. Et il retrouve ses vieilles ornières avec «England Scotland And Wales».

Tiens, on retrouve «Discomania» sur The Oliver Twist Manifesto paru la même année. Il vire glam electro - They’re having sex/ To the kids in America - Bien chanté mais trop saturé de son. Il atteint les limites du discomania, mais ça reste intéressant. Luke la main moite cherche désespérément à convaincre. Pour la pochette, il s’est fait une tête de Droog, mais la mélodie de «Rock’n’Roll Communique N°1» nous fend la cœur - This is not entertainment ! - lance-t-il en guise d’avertissement. Avec «Oliver Twist», il passe au heavy groove de destruction massive. Il joue tellement dans les graves que le son chevrote. Luke mélange Oliver Twist avec les Droogs. Il essaye de s’approprier le mythe, mais ce n’est pas aussi simple. Comme il tente le coup du son, il passe à l’electro avec «Death Of Sarah Lucas». Il chante bien c’est sûr, mais il dit avoir dégommé Sarah Lucas. A-t-on envie de suivre ce mec ? Non. Il doit se débrouiller tout seul avec ses conneries. S’il veut asseoir sa crédibilité, il doit fournir des hits. Il revient à sa chère petite pop rampante avec «Mr & Mrs Solanas». Luke a vraiment la main verte. Mais il finit par nous fatiguer avec ses prétentions littéraires, telles qu’il les exprime dans «What Happens When We Die». Il se sert de la pop pour charger sa barque d’omniscience. Puis il s’agenouille aux pieds du Christ avec «Christ», mais manque tragiquement de crédibilité. Tout le monde n’est pas Alex Chilton. Il faut parfois fournir de grands efforts pour accorder à Luke du temps d’écoute. Il rend quand même hommage à la culture rock américaine avec «England Vs America». Il réécrit à sa façon l’histoire des British Isles et c’est assez sensible, il faut bien l’admettre.

Le hit de Das Capital s’appelle «Junk Shop Clothes». Luke la main devant s’enfonce dans les ténèbres du British songwriting avec beaucoup de courage. Il orchestre sa chanson à outrance et rafle toute la mise. Sinon, il reste dans son vieux registre pop, comme le montre «How Could I Be Wrong». Il ne cherche pas à aller ailleurs. Au lieu de se demander comment il pourrait avoir tort, il ferait mieux de se poser d’autres questions. Son «Showgirl» est aussi écœurant qu’un gâteau trop sucré. Et puis voilà la goutte d’eau qui fait déborder le vase : «Baader Meinhof». Cet imbécile de Luke parle de borderline dans son costume blanc, mais que sait-il de la délinquance ? Ça devient non seulement illégitime mais parfaitement insupportable. Ce mec sait aussi se faire détester, l’apanage des écrivains. Il bat bien la campagne avec son vieux «Lenny Valentino», et retrouve un peu de crédit après l’insultante passade de Baader. Quand on écoute «Satan Wants Me», on voit à quel point ce mec se croyait tout permis, à cette époque, même avec une absence complète de compos. Son Capital pue l’arnaque. «The Milford Sisters» sonne très anglais, c’est assez dépressif. Luke la main crochue joue avec les sentiments de l’auditeur. On le voit gratter «Future Generation» à la séduction maximaliste. Il ne sait plus à quel saint se vouer. Il nage dans ses habits blancs.

C’est sur la pochette d’Off My Rocker At The Art School Bop paru en 2006 que Luke la main de fer pose en aventurier des mers du Sud. Il démarre avec un morceau titre en forme de lichette de glam electro. C’est son truc - Can you feel the beat of my heart - Electro shit d’époque, il est dans son petit monde d’art school bop. Il chante sa purée du menton. Il attaque ensuite son «Leeds United» avec délicatesse, avant de basculer dans le stomp de mad craze, une manie typique des kids en mal de rock culture. Luke la main grasse sait créer des climats, c’est évident. Il ramène son vieux heavy riffing dans «The Heritage Rock Revolution» est c’est excellent - I live rock’n’roll/ I hope it never dies - Voilà le hit de Luke - Crosby Stills & Nash, the legacy of The Clash, I can’t make much more, Northen Soul and Stax - Côté références, il est toujours tiré à quatre épingles. Encore une énormité avec «The Walton Hop». Il y va à coups d’all the kids, comme Jimmy Pursey, want to get ! Il riffe ça à la folie avec de l’écho dans la riffalama - All the kids want to get backstage at the Walton Hop - Il faut avoir entendu ça. Puis il vire electro avec «Fighting In The City Tonight», dommage, même s’il chante à la perfection. Luke revient toujours par la bande dans ses cuts, c’est un fin renard du désert, un enfoiré au pelage argenté. Il sait aussi très bien générer de l’ennui, comme on le voit avec «Freddy Mills Is Dead» ou encore «Secret Yoga». Il aurait dû écouter Marty Wilde pour apprendre à développer du sustain. Puis il finit par nous fatiguer avec le mi-figue mi-raisin de «Bad Reputation». Sa chanson concerne Gary Glitter.

Faut-il considérer 21st Century Man/ Atchung Mutha comme un album dada ? Si on s’en tient à la photo de Jean Arp qui orne la devanture du digipack, on répondra par l’affirmative. Mais le son reste dans le giron glacial de Luke la main froide. Coup de tonnerre avec «Peter Hammill». C’est du heavy stuff, just like Peter Hammill. Puis il salue Klaus Kinsky dans «Klaus Kinski». Luke raconte que Kinski revint en Allemagne après la guerre. Avec «Wot A Rotter», il fait du Carter USM, c’est-à-dire du heavy glam de stade. Il sait très bien œuvrer dans l’intérêt de la patate glam, il recycle tous les vieux réflexes de la craze et du stomp olympique pour récréer ces illusions d’antan qui datent d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, eh oui, car Montmartre en ce temps-là accrochait ses lilas jusque sous nos fenêtres. Avec «Our Man In Buenos Aires», il se fait passer pour un espion - He’s the man in the shadows/ he’s the man on the run - Ambiance sérieuse garantie. Il cumule assez bien les fonctions du heavy riffeur («English Southern Men», «White Honky Afro») et du petit troubadour écarlate (le morceau titre). Il adore l’intimisme frelaté. Sur le disk 2 on conseille d’écouter «Ex-Teds». Une façon comme une autre d’entendre Luke la main froide nous raconter la suite de l’histoire de la scène anglaise. Il en profite d’ailleurs pour revenir à son cher glam. Mais on sent que ça finit par tourner en rond. Il va aussi chercher son milky way avec «Greenwich Observatory» qui est de toute évidence le hit du disk.

Belle arnaque que ce 9 1/2 Psychedelic Medications On British Wrestling of The 70s donné pour culte. Et mon culte, c’est du poulet ? Tiens prends une aile ! Luke la main torve fait toujours la même pop d’Auteur, il nous ressert le même intimisme frelaté et la même confidentialité de mauvaise haleine. Il n’y a rien, absolument rien de psychédélique dans cette resucée. Il se croit même permis de faire de l’opéra rock. Même si «Linda’s Head» sonne le glam, ça ne fait pas de 9 1/2 Psychedelic Medications un disk culte. On lui en veut un peu de nous faire miroiter monts et merveilles psychédéliques, alors qu’on ne trouve pas la moindre trace de psychédélisme. Il nous fatigue avec sa techno-pop de fuck-you-Luke. C’est là qu’apparaît son côté malsain. Et c’est là que vient l’envie d’insulter ce gros connard roukmoute qui sue dans son costard blanc tout fripé. On le hait. On hait l’Haines. Quand il chante à l’haleine chaude, ça pue. Il ne bande même plus. Ce mec est une horrible larve anglaise, une larve de la pire espèce, de celle qui martyrisait les nègres d’Afrique et les Indiens des Indes, il croit se faire des amis avec des pseudo-disks cultes, mais non. De toute évidence il fait tout pour qu’on le déteste. Comme Léon Bloy, il bascule dans l’extrême violence verbale. Il n’est plus dans l’artistique. Il n’est plus dans la représentation. Il triture encore un misérable «Haystacks In Heaven» avant de disparaître dans un cyclone de Haines.

Retournement de situation : avec Rock And Roll Animals, Luke rend hommage à trois rock’n’roll animals : Jimmy Pursey, Gene Vincent et Nick Lowe. C’est l’hommage à Pursey qui décroche la timbale : «From Hersham To Heaven» est tout simplement énorme - I’m just a human person/ At the bottom of the garden/ Digging for mushrooms woah/ Digging my hallucination woah woah - Il explose le concept de l’hommage - Steer the ship safely Jimmy/ From Hersham to heaven - L’autre merveille s’appelle «Rock’n’Roll Animals In Space» - The Stones without Brian Jones/ Were not righteous event though/ He was probably evil - Extrêmement puissant. Il joue «The Angel Of The North» à l’acou claire comme de l’eau de roche. Tout repose sur ce souffle intimiste qui date du temps des Auteurs. Vas-y Luke, réveille les vieux démons ridés de la pop. Mais sa pop peine à bander. Il propose ici une fable avec Jimmy the fox,, Gene the cat et Nick the badger - Rock’n’roll is a losers’ game/ Just accept it - Il tente de créer la sensation et y parvient presque en poussant le songwriting dans la littérature. Il chante aussi son «Magic Town» en mode confessionnal, comme Paddy. Il rend hommage en mode intimiste à Nick Lowe dans «A Badger Called Nick Lowe». Il crée une sorte de magie de souffle chaud pour évoquer les early days of Stiff, The Damned and Elvis Jake and Dave, come on Mr Badger. Signalons au passage que Badger veut dire blaireau. Dans Gene Vincent, il chante «Gene Vincent is a wise old cat.» C’est dingue la fascination qu’a pu exercer Gene sur les Anglais - Crashed his motorbike/ An epic cat/ A psychedelic cat/ Conceptual cat/ A maverick cat - Il joue ça à l’arpège triste. Catty cat cat.

New York In The 70s est sans doute le meilleur album de Luke la main froide. Comme Todd Rundgren et Lawrence d’Arabie, Luke joue de tous les instruments. Il démarre sur un bel hommage à Alan Vega avec «Alan Vega Says». C’est avec les hommages, au chant comme à l’écrit, qu’il atteint le sommet de son art. Il parvient à surpasser Suicide avec «Drone City». Il joue la carte du big orgasmic rampant. Fabuleux sens de l’overwhelming ! Il rend plus loin hommage à Jim Carroll avec «Jim Carroll», héros de l’underground new-yorkais tombé dans l’oubli. Luke la main leste le claque aux petits accords carrolliens. Puis il entre de plein fouet dans le cœur du mythe avec «Bill’s Bunker». L’écrivain revient à sa chère littérature, il prend un ton confidentiel alors on tend l’oreille - Talking to Bill/ About weapons and drugs/ Listen to Bill/ In Bill’s Bunker - Pure magie. C’est l’hommage d’un fan à William Burroughs - Injection & coins/ We are the drugs/ That flow through the veins/ Of Bill’s Bunker - Luke monte encore d’un cran avec «Dolls Forever», shalom shalom, il fait apparaître les six Dolls un par un, Sylvain Sylvaine ! - Who would want to be a Doll ? - New York Dolls forever, évidemment. Il passe ensuite naturellement à Lou Reed avec «Lou Reed Lou Reed» en mode electro-glam - Where’s the suicide blonde/ With the iron cross - Et une guitare à la Cold Turkey entre dans la danse. Comme Lawrence d’Arabie, ce petit Anglais féru de rock sait rendre hommage à ses héros. Il termine avec «NY Stars» - Dee Dee, Richard Hell, Johnny’s looking for a kiss - Pure magie - So rest in peace all my childhood freaks/ On imaginary rocket rides on 53rd and 3rd.

De la même manière que New York In The ‘70s peut être considéré comme son meilleur album, British Nuclear Bunkers peut être considéré comme le pire. Dès «This The BBC», on sent que c’est mal barré. Ou bien barré, ça dépend des cervelles. Ce pauvre Luke fait comme il peut. Le voilà dans les machines. Fucke Luke. Il l’aura bien cherché. Il se croit tout permis. Cut après cut, il s’enfonce dans une electro à la mormoille. On n’est pas là pour ça. Cette electro sauvage ne dégage rien. C’est atrocement con. Du big inept. Avec «Pussy Willow», il réussit l’exploit de ruiner sa carrière. Il tente encore de sauver son electro avec «New Pagan Sun», mais c’est aussi atroce que putassier. Il prend même sa meilleure voix de robot pour finir.

Luke la main froide sauve son Smash The System avec un bel hommage à Marc Bolan : «Marc Bolan Blues». Il retrouve le secret du son qui fit la grandeur de Bolan. C’est bien battu des cuisses, avec toute la niaque et toute la coule du glam. C’est un rêve devenu réalité. Ce diable de Luke sait tailler un glam pour la route. Il enchaîne ça avec un hommage à l’Incredible String Band, an unholly act. Il salue bien bas Mike et Robin. On imagine que «Cosmic Man» est un hommage à Donovan. Par contre, il se vautre avec «Ulrike Meinhof’s Brain Is Missing». Cette pop prétentieuse ne marche pas. Il se vautre encore plus avec «Black Bunny (I’m Not Vince Taylor)». Il affirme qu’il ne descend pas de la r’n’r station, mais son electro ne vaut pas tripette. Il sonne comme un vieux slip, avec ce son à la con. Comment ose-t-il faire référence à Vince Taylor dans le titre ? Son outrecuidance pourrait le couler définitivement. C’est d’autant plus horrible qu’il répète le nom de Vince Taylor. Il tente le Bowie strut avec «Power Of The Witch», mais il n’a pas les chops de Bowie. Alors il trace sa voie au crachat de chant, il balance sa verve dans le witch. Il revient à sa maudite electro dans «Bruce Lee Roman Polanski And Me», mais il se vautre encore une fois.

Brave petit album que cet I Sometimes Dream Of Glue paru en 2018. Pour trois raisons fondamentales. Le première, c’est «Oh Michael». Cette pop intimiste mal enregistrée frôle le hit, car ses awite oh yeah évoquent les Happy Days des Edwin Hawkins Singers. La deuxième s’appelle «Everybody’s Coming Together». Une chose est bien certaine : Luke la main froide envoie plus de jus que Bobby Gillespie. Il va sur un son plus underground et ça devient forcément intéressant. Il ramène une guitare killer dans «Fat Bird From The Woodcraft Folk» qui est la troisième raison. Ça change tout. Quelques killer secondes et Luke revient. Wow ! Il termine avec «We Could Do it», un cut de rêve à la Rev absolument dément de torpeur. Mais le reste de l’album est nettement moins convainquant. Luke se prend souvent pour une star de l’intimisme et chante trop dans son micro. Il revient un court instant à la Beatlemania avec «I Fell In Love With An OO Scale Wife», mais il n’arrivera jamais à la cheville des Beatles, même s’il les vénère. C’est très anglais, comme démarche. Le problème est qu’on attend de la belle pop comme au temps de New Wave, mais on va attendre longtemps. Il propose encore une fois une série de cuts inutiles. L’absence de reconnaissance doit tellement l’aigrir qu’il en arrive à proposer un truc comme «The Subbuteo Lads». Il s’enfonce dans l’incurie. Heureusement pour lui, des pauvres cloches achètent encore ses disques pour les écouter. Oui, Luke a raison, les solvants soignent l’ego des cons. Il chante à la petite confidence et regagne néanmoins quelques points dans les sondages. Il faut dire que ce n’est pas toujours facile quand on conduit son bateau en solitaire.

Luke la main tendue vient de s’acoquiner avec Peter Buck pour enregistrer un album, Beat Poetry For Survivalists. Pochette bien provocante, comme d’usage. Qui est Haines, qui est Buck ? Haines ne peut être que le fasciste à l’Italienne et Buck le King Kong pendu par un pied. Luke le bras long se prend pour une vieille star de l’indie pop et pousse dans «Jack Parsons» des soupirs d’anus fripé. Il se planque derrière son cut comme une araignée. Il est bien loti, avec l’autre, le Buck qui bouffe à tous râteliers. Ils ne sont même pas capables d’édifier les édifices. Nous n’aurons aucune pitié pour eux car Luke la Haines n’en a pour rien ni personne. D’ailleurs, le spectacle qu’il offre sur cet album devient vite affligeant : il ressort ses vieilles ficelles de caleçon et reprend son chemin de Damas en compagnie d’un Buck qui distille son jus MTV. Ils font du Bolan MTV, on aura tout vu. Le pire c’est qu’on attend encore des miracles d’une mec comme Unlucky Luke. On a envie de lui dire que son temps est passé. Il se retrouve une fois encore le cul entre deux chaises : l’indie pop et l’electro. Il tente de s’en sortir avec des effets. Il faut attendre «French Man Glam Gang» pour voir remonter à la surface les vieux clichés glam. En réalité, il jongle avec les stéréotypes. Il tente le coup de punk-blues avec «Ugly Dude Blues», il y va au yah yah yah et se prend pour le mogul du burgul de la destruction massive, il torture ses syllabes et écrase méchamment sa pédale de wah. Le style spongieux et mal intentionné lui va à ravir. Il est même assez vantard pour dire qu’il a écrit la chanson des Troggs que Reg Presley n’a pas osé écrire. Il est certain que ces mecs ont du son. Haines sort sa haine de sa braguette, la guitare de Buck est bien présente derrière le rideau de son, c’est très précis, très étudié, bâti sur un système de couches très élaboré. Mais une compo comme «Bobby’s Wild Years» ne sort pas de l’ordinaire. Luke la main courante replonge dans la fascination pour le mythe du rock’n’roll avec «Rock ‘N’ Roll Ambulance» et gratte quelques accords légitimes. Il fait son boop shoowah comme d’autres font leur bonne action, il n’a jamais quitté sa petite piaule d’adolescent haineux et impatient. S’il faut écouter cet album ? Oui, bien sûr, et plutôt deux fois qu’une, car Bad Luke campe sur sa position campy. Il n’en sortira plus. Never.

On dédie donc ce Part One à Iza qui programma héroïquement Baader Meinhof dans son émission et on retrouvera ce prodigieux écrivain qu’est Luke le bras long dans un Part Two incessamment sous peu.

Signé : Cazengler, lancelot du Luke

Auteurs. New Wave. Hut Recordings 1993

Auteurs. Now I’m A Cowboy. Hut Recordings 1993

Auteurs. After Murder Park. Hut Recordings 1996

Baader Meinhof. Hut Recordings 1996

Black Box Recorder. England Made Me. Chrysalis 1998

Auteurs. How I Learned To Love The Bootboys. Hut Recordings 1999

Black Box Recorder. The Facts of Life. Nyde Records 2000

Luke Haines. Christie Malry’s Own Double Entry. Hut Recordings 2001

Luke Haines. The Oliver Twist Manifesto. Hut Recordings 2001

Luke Haines & The Auteurs. Das Capital. Hut Recordings 2003

Black Box Recorder. Passionoia. One Little Indian 2003

Luke Haines. Off My Rocker At The Art School Bop. Degenerate Music 2006

Luke Haines. 21st Century Man/ Atchung Mutha. Fantastic Plastic 2009

Luke Haines. 9 1/2 Psychedelic Medications On British Wrestling of The 70s. Fantastic Plastic 2011

Luke Haines. Rock And Roll Animals. Cherry Red 2013

Luke Haines. New York In The 70s. Cherry Red 2013

Luke Haines. British Nuclear Bunkers. Cherry Red 2015

Luke Haines. Smash The System. Cherry Red 2016

Luke Haines. I Sometimes Dream Of Glue. Cherry Red 2018

Luke Haines & Peter Buck. Beat Poetry For Survivalists. Cherry Red 2020

 

La noblesse des Fleur de Lys

 

Le nom de Gordon Haskell ne vous dira sans doute pas grand chose. Il fut le bassman des Fleur de Lys, l’un des groupes phares de la scène freakbeat londonienne des mid-sixties. Comme Gordon Haskell a cassé sa pipe en bois l’automne dernier, KRTNT lui rend un dernier hommage avec un conte bien con tiré d’un Volume 2 à paraître.

 

Keith Guster et Gordon Haskell arrivent au 24, Cranley Gardens, dans South Kensington. Ils sonnent et Hilton Valentine leur ouvre la porte, avec un grand sourire :

— Entrez les gars ! Posez vos affaires et venez prendre un thé.

Keith et Gordon posent leurs sacs et leurs instruments dans l’entrée et suivent Hilton jusqu’au salon.

— Wow, quel appart ! Ça va nous changer du gourbi où on vivait...

— Bon, les gars, je vous le confie. Je pars en tournée aux USA avec les Animals. Faites pas trop de conneries, je ne suis que locataire. L’appart appartient à Ringo. 

— Tu reviens quand, Hilton ?

— Dans trois mois, je pense...

Gordon et Keith se sentent provisoirement tirés d’affaire, mais ils n’ont pas de quoi se nourrir. Respectivement bassiste et batteur des Fleur de Lys, ils attendent, comme des milliers d’autres candidats au succès, que la chance leur fasse un beau sourire.

Le groupe vient du Sud de l’Angleterre, de Southampton. En vrais Mods, ils portaient des costumes en mohair, des boutons de manchette et des Beatles boots. Ils participèrent en 1964 au Mod Ball où l’on accueillait non seulement les Mods, mais aussi les Mids et les Rockers. Excellent cover-band, les Fleur de Lys reprenaient «Shop Around» des Miracles et «Watch Your Step» de Bobby Parker. Étant particulièrement doués pour ce genre de sport, ils cassaient bien la baraque. Ils finirent par gagner un concours dont le premier prix était une séance d’enregistrement avec Shel Talmy, un producteur américain installé à Londres depuis peu et dont la réputation commençait à grandir, puisqu’il venait de lancer les Kinks en produisant «You Really Got Me». Shel Talmy se disait bougrement intéressé par les jeunes prodiges, mais il se montra très gourmand en proposant un contrat où il s’octroyait la part du lion, c’est-à-dire 40 % des recettes. La réponse des Fleur de Lys ? Une magnifique moue de mépris aristocratique. N’étant pas homme à se formaliser, Shel Talmy lança les Who une semaine plus tard en produisant «Can’t Explain».

Il existait une très grosse communauté Mod à Southampton et les Fleur de Lys retrouvèrent leur public. Associé d’Andrew Loog Oldham, Tony Calder repéra le groupe et le signa sur Immediate. Les Fleur de Lys revinrent à Londres enregistrer deux titres produits par Jimmy Page. Calder les obligea à reprendre «Moondreams» de Buddy Holly, ce qui leur fit horreur. Ils proposèrent en B-side une compo à eux, «Wait For Me». Lorsque le single sortit dans le commerce, les Fleur de Lys furent profondément choqués. Leur amertume n’avait d’égale que leur dégoût : Jimmy Page avait remplacé «Wait For Me» par un instrumental crédité Page.

Un peu moins aristocratiques que les autres, Frank Smith et Danny Churchill quittèrent le groupe. C’est là que Gordon Haskell et l’enfant prodige Phil Sawyer entrèrent en scène pour les remplacer. Les Fleur de Lys repartirent à l’assaut des charts anglais avec une brillante cover du «Circles» des Who. Poussés par leurs démons, ils entraînèrent le «Circles» des Who dans l’œil du typhon et Phil Sawyer martyrisa son killer solo flash, révélant au passage un vilain penchant pour l’exacerbation. Keith Richards entendit à la radio ça et il téléphona aussitôt pour demander le nom du guitariste. Quant à Jeff Beck, il déclarait aux journalistes : «Il n’y a que trois guitaristes dignes de ce nom, à Londres : moi, Clapton et Phil Sawyer !»

Les Fleur de Lys s’étoffèrent en recrutant un pur Mod, Chris Andrew. Chris poppait des purple hearts et se vantait d’être descendu à Brighton participer aux combats Mods-Rockers. Il se montrait fier de sa Gretsch. L’instrument avait appartenu à George Harrison qui s’en était débarrassé en la donnant, car le manche était légèrement tordu.

On sonne à la porte. Keith Guster va ouvrir. Justement, voilà Phil Sawyer et Chris Andrew.

— Je vous en prie, entrez, mes amis. Je préfère vous prévenir. Nous n’avons rien à vous offrir, hormis du pain de mie...

— Don’t worry, Keith... Ça ira très bien.

Phil Sawyer et Chris Andrew s’installent dans le chesterfield et tout en papotant, commencent à grignoter des tranches de pain de mie. Keith Guster et Gordon Haskell ne disent rien. Deux heures s’écoulent. 

— Bon, faut que j’y aille, lance Phil Sawyer. Mes parents m’attendent pour dîner !

— Moi aussi, ajoute Chris Andrew.

Gordon et Keith se retrouvent seuls dans le grand appartement. Ils observent l’emballage vide et les miettes de pain dispersées sur la table basse. 

— Tu as faim, Gordon ?

— En vérité, je meurs de faim.

— Il nous reste deux ou trois pennies, mon pauvre ami. Tout ce qu’on peut s’offrir, c’est un paquet de smarties... Et on devra tenir trois jours avec.

— Great !

Frank Fenter arriva à Londres en 1958. Originaire d’Afrique du Sud, il entreprit une carrière d’acteur, puis devint organisateur de concerts. Opiniâtre et déterminé, il gravit les échelons du showbiz à la force du poignet et finit par devenir le représentant européen d’Atlantic Records. Au retour d’une tournée en Afrique du Sud, il ramena dans ses bagages une gamine de 19 ans, Sharon Tandy. Il l’épousa et entreprit de la lancer, car elle chantait bien. Il chercha un backing-band pour Sharon et recruta les Fleur de Lys. Fenter mit alors le turbo. Il leur décrocha la première partie du show de Sonny and Cher à l’Astoria. Le gratin du swinging London assista en direct au spectacle des exactions soniques de Phil Sawyer.

Keith Guster et Gordon Haskell passent leur temps à percer des trous dans le cuir de leurs ceintures. Ils craignent de perdre leur pantalon lorsqu’ils descendent dans la rue. On sonne à la porte. Keith va ouvrir.

— Ça alors, Chas, quelle bonne surprise. Tu es de retour à Londres ?

— J’me suis mis à mon compte et j’ramène un sacré poulain, mon gars ! C’est lui, là, derrière. L’est un brin timide, mais quel guitariste ! Son blaze c’est Jimi !

Un spectaculaire black freak se tient en effet derrière lui. Keith les fait entrer au salon.

— Chas, je suis désolé, mais nous n’avons que des smarties à vous offrir...

— T’inquéquète donc pas, mon tio quinquin ! J’vas aller acheter d’la saucisse et une bonne grosse boîte de faillots, dac ?

Chas Chandler repart, laissant Keith et Gordon seuls avec le black freak. On entend les mouches voler. Les deux Mods s’interrogent. Mais d’où sort cet étrange personnage ? Sa coiffure indique clairement qu’il ne connaît pas l’usage de peigne, quant à sa mise, c’est une véritable insulte aux règles de la bienséance, avec ce fatras de foulards et de colliers, cette tunique bariolée et ce pantalon de velours rouge qui moule si bien son érection. Chas revient avec les victuailles et file dans la cuisine faire chauffer la gamelle.

Tout le monde passe à table. Brandissant une énorme louche, Chas demande les assiettes pour servir.

— Dites voir, les gars, je cherche une section rythmique pour lancer mon poulain Jimi... Ça pourrait-y vous intéresser ?

— Désolé, Chas, mais nous sommes des Fleur de Lys...

— Ah, c’est ça... J’ai pigé ! Z’êtes de fidèles sujets de sa majesté...

— En quelque sorte, Chas... Disons que la bonne tenue n’est pas seulement une question de mise...

— Dommage... Car vous êtes bien balèzes tous les deux... Mais c’est pas grave, j’vais recruter deux aut’ gaillards vit’ fait. D’ici un mois, vous verrez l’nom de Jimi Hendrix à la une de tous les canards du coin-coin, vous pouvez m’faire confiance ! Allez, r’prenez un louche de faillots, ça vous fera du bien d’péter un coup... Vous êtes tout pâles...

Histoire de montrer de quel bois ils se chauffent, les Fleur de Lys entrent en studio pour enregistrer «So Come On» qui va sonner comme un hit préhistorique. Le morceau se révèle monstrueux, avec ses relents de r’n’b à la Spencer Davis Group. C’est du pur jus de juke, une véritable pépite freakbeat. Phil Sawyer l’achève avec l’une de ses bottes de Nevers : un solo horriblement désossé, teigneux et par essence irrévérencieux.

Nouveau coup de théâtre. Phil Sawyer quitte les Fleur de Lys pour remplacer Peter Green dans le Shotgun Express, un groupe en pleine ascension, emmené par Rod The Mod et Peter Bardens. Méprisant ce nouveau coup du sort, Chris Andrew, Keith Guster et Gordon Haskell recrutent un jeune loup nommé Bryn Haworth. Fenton leur décroche la première partie d’un concert de Cream au Saville Theater. Clapton n’en revient pas. Subjugué par le style sauvage du jeune loup, il déclare aux journalistes : «Il n’y a que trois guitaristes dignes de ce nom, à Londres : moi, Jeff Beck et Bryn Haworth !»

Un nommé Condor se rapproche des Fleur de Lys pour leur proposer d’enregistrer une chanson qui, affirme-t-il, va devenir un hit phénoménal : «Reflections Of Charlie Brown». En B-side, Bryn Haworth et Gordon Haskell imposent «Hold On», l’une de leurs compos. Au moment, où va paraître le single, «A Whiter Shade Of Pale» entre dans les charts. Horrifiés, les Fleur de Lys s’aperçoivent que Charlie Brown est un honteux plagiat du tube de Procol Harum et refusent que leur nom soit associé à cette magouille infâme. Le single sort sous le nom de Rupert’s People.

Plus décidés que jamais à en découdre, Sharon et les Fleur de Lys entrent en studio pour enregistrer une nouvelle version de «Hold On». C’est avec ce coup de maître que les Fleur de Lys entrent dans l’histoire du rock. Bryn Haworth joue comme un délinquant au bord de l’irréparable. Il prend un solo en forme de génocide sonique. Il fait sauter les notes, les fait griller, les tire, les étrangle, il donne de violents coups de médiator, comme s’il donnait des coups de hache à la bataille d’Hastings. Du coup, Sharon passe au second plan. «Hold On» est le tube absolu : groove, mélodie, puissance, chorus, tout y est. Jimi Hendrix est l’un de ceux qui crient au loup. Il saisit la première occasion qui se présente à lui pour monter sur scène faire le bœuf avec les Fleur de Lys.

«Hold On» arrive dans les bacs. Sur l’autre face, Sharon reprend une chanson de Lorraine Ellison, «Stay With Me Babe». Contrairement à toutes les attentes, le single n’atteint pas le sommet des charts. Mais à Honfleur, un kid écoute le single en boucle et restera toute sa vie obsédé par le solo de Bryn Haworth. Ce faramineux single devient une sorte de disque culte. Maigre consolation.

À Londres, les Fleur de Lys acquièrent une solide notoriété, mais ils ne parviennent toujours pas à se hisser parmi les géants qui embouteillent le sommet des charts. Fenton leur propose de devenir le house-band du studio Polydor. Ils accompagnent des tas d’artistes renommés, comme par exemple Isaac Hayes et Sam & Dave. Impressionné par le jeu de Keith Guster, Booker T le prend à part :

— J’ai une proposition sérieuse à te faire, petit...

— Je vous écoute...

— Viens avec moi aux États-Unis. Je t’offre la place de batteur dans mon groupe. Tu joueras avec tes idoles Steve Cropper et Donald Duck Dunn et tu rouleras en Cadillac !

— Navré de vous éconduire, monsieur, mais je suis une Fleur de Lys...

— Tu as du cran petit. Je ne connais personne qui puisse s’offrir le luxe de refuser une telle proposition...

— À la différence d’Ulysse, il n’est pas nécessaire qu’on me ligote au mât pour résister au chant des sirènes. En moi, l’honneur prévaut.

Un intermédiaire véreux se rapproche des Fleur de Lys et leur propose d’enregistrer «Judy In Disguise». Intrigués, Bryn et ses amis écoutent la maquette du cut. L’intermédiaire attend leur réponse. Les Fleur de Lys déclinent l’offre, en affichant une moue significative. Une semaine plus tard, la chanson atteint le sommet des charts, enregistrée par un groupe sorti de nulle part, John Fred and his Playboys.

Les Fleur de Lys préfèrent jammer la nuit entière avec le Vanilla Fudge, de passage à Londres. Les deux groupes disposent du studio Polydor. Ces baroudeurs expérimentés que sont Tim Bogert, Carmine Appice, Vinnie Martell et Mark Stein s’enflamment littéralement au contact des Fleur de Lys. En effet, les Anglais rivalisent d’audace et de brio avec les quatre New-yorkais. Le Fudge redouble d’intensité cathartique alors que Bryn pulvérise tous les records de sauvagerie sur sa Strato blanche. Lors d’une pause, Carmine Appice, dégoulinant de sueur, lance à Keith :

— Tu bats vraiment bien, petit. Tu devrais monter en première division, plutôt que de végéter dans ce studio !

— Oh, ce n’est pas vraiment la gloire qui nous intéresse, l’ami. Je ne sais pas si vous autres les Américains vous pouvez comprendre cela.

— Tu devrais y réfléchir, petit... Avec du blé, tu pourrais te payer un coupé sport et emmener des petites gonzesses en balade. Imagine un peu. Elles te suceraient la queue pendant que tu écraserais le champignon...

Les Fleur de Lys entrent en studio pour enregistrer «Tick Tock», une pop-song vaguement psyché - Tick tock, it’s five o’ clock - Les morceau flirte avec la médiocrité jusqu’au moment où Bryn entre en scène. Il part en trombe, triture des notes et achève le morceau dans un bain de distorse gluante. Il va en effarer quelques-uns, toujours les mêmes. Quand il entend ça, Jimmy Page déclare à la presse : «Il n’y a que trois guitaristes dignes de ce nom à Londres : moi, Jeff Beck et Bryn Haworth !»

Fenton roule en Rolls blanche. Pas les Fleur de Lys. Ils reçoivent 15 £ par semaine pour leur travail au studio. Gordon Haskell trouve ça louche. Il sait par oui-dire que les musiciens de studio sont plutôt bien payés. Jimmy Page et Big Jim Sullivan vivent très bien de leur travail de session-men. Gordon mène une petite enquête et cuisine l’attachée de presse de Fenton. Celle-ci finit par lâcher le morceau. Fenton reçoit de Polydor 350 £ par semaine et par musicien. Ne voulant pas croire une chose pareille, Gordon demande :

— Mais alors, où passent les 335 £ qui restent ?

— Tu veux que je te fasse un dessin ?

Gordon tombe des nues. Il ne pensait pas que les gens pouvaient se conduire ainsi. Il rapporte les faits à ses amis. Bryn et Keith encaissent le coup sans broncher. Ils savent seulement qu’il va leur être difficile de continuer comme si de rien n’était. Les Mods savent se conduire. 

— Bon, mes amis, je quitte le groupe, lâche Gordon d’une voix grave. À mon sens, il s’agit plus d’un moyen de vous aider à évoluer vers autre chose que d’une façon de vous laisser tomber. 

— Ne culpabilise pas, Gordon, reprend Keith. L’important est de tenir notre rang. Le nom des Fleur de Lys honorera le chapitre freakbeat des livres d’histoire. Que God vienne en aide à tous ceux qui ont vendu leur âme au diable pour quelques poignées de dollars. Franchement, je ne voudrais pas appartenir à cette catégorie de gens. Cela m’inspire une sorte de répugnance. Maintenant je vous propose d’ouvrir une bouteille de champagne pour fêter ce nouveau rebondissement.

— Excellente idée, Keith, lance Gordon, d’un ton qu’il veut joyeux.

Bryn ne dit rien.

— Tu m’as l’air bien sombre, mon ami, murmure Keith.

— Ne vous en formalisez pas, je vous en conjure. Je regrette simplement d’avoir à subir les conséquences d’une telle gabegie. Nous ne sommes pas de taille à nettoyer les écuries d’Augias, malgré toute notre détermination. Il n’est pas simple de nos jours de cultiver un art novateur et de vouloir l’imposer sans se compromettre. C’est à peu de choses près la seule conclusion que je puisse vous proposer, mes pauvres amis.

— Réfrène ton penchant pour l’amertume, Bryn. Toucher au but n’est pas une fin en soi, tu le sais bien.

Les Fleur de Lys trinquent et devisent gaiement sur le thème des opportunités.

Gordon envisage de rejoindre King Crimson. Keith s’indigne :

— Mais Gordon, tu manques totalement de discernement ! Tu as joué avec Jimi Hendrix, Donald Duck Dunn, Eddie Floyd, Steve Cropper, Sonny and Cher, Jeff Beck, Tim Bogert, Otis et Stephen Stills... Comment peux-tu envisager une chose pareille ?    

— Mais tout simplement parce que je déteste ce groupe...

— Dans ce cas, je comprends mieux... Et toi Bryn, comment vois-tu l’avenir ?

— J’ai rencontré Leigh Stephens lors une party...

— Le guitariste de Blue Cheer ?

— Parfaitement exact.

— Tu ne te refuses rien, mon vieux...

— Oh, c’est une simple coïncidence... Leigh s’est installé à Londres pour une période indéterminée. J’apprécie énormément son style. J’aurais aimé qu’on nous laisse le temps d’évoluer vers un son plus puissant, comme celui que délivre Leigh sur Vincebus Eruptum. Je vais très probablement lui proposer de monter un groupe et d’aller entamer une nouvelle carrière aux États-Unis. Je préfère ne plus fréquenter l’atroce société des roturiers londoniens, ces parasites qui s’enrichissent impunément sur le dos des musiciens.

— Tu dois avoir raison, Bryn. Mais reste sur tes gardes. Tu vas certainement te retrouver confronté aux mêmes pratiques.

Gordon remplit la coupe de Keith et demande :

— Et toi, Keith, comment vois-tu les choses ?

— Une chose est sûre : je resterai un Mod tiré à quatre épingles. Pour les reste, soyez rassurés tous les deux, je ne nourris pas la moindre inquiétude. Je recruterai de nouveaux musiciens et veillerai ainsi à la postérité des Fleur de Lys, vous pouvez me faire confiance sur ce point.

L’éclatant sourire de Keith Guster réconforte ses amis.

— Bon ! Voici venu le moment de nous séparer, lâche Gordon d’un ton qu’il veut guilleret. Je vous remercie de tout cœur d’avoir su rester dignes dans cette tourmente. Toute l’affection que j’éprouve pour vous se double à présent d’une profonde admiration. Pardonnez-moi cet ultime épanchement.

Quelques jours plus tard, Keith et sa compagne reçoivent une invitation. Ils se rendent à la party, dansent et boivent la nuit entière. Le jour se lève lorsque leur hôte leur propose de les ramener dans leur quartier de banlieue. Personne n’est en état de conduire, mais rouler bourré est pratique courante, au cœur du swinging London. L’hôte démarre en trombe et écrase le champignon. Vrooom ! Il arrive un peu trop vite dans un virage et perd le contrôle du véhicule. L’auto percute le trottoir et fait quelques tonneaux. Bim bam boom.

Keith arrive plus mort que vif à l’hôpital.

Aux urgences, les médecins examinent les radios.

— Oh la la, c’est épouvantable... Jamais vu une chose pareille en quarante ans de pratique... Toutes les vertèbres cervicales sont brisées... Qu’en penses-tu, Malcolm ?

— Pauvre gosse. À mon avis, il ne s’en sortira pas... Et même s’il sort un jour du coma, il est foutu. Il vaut mieux prévenir les parents tout de suite...

Sur son lit d’hôpital, Keith reprend conscience. Il fait nuit, mais un plafonnier diffuse une lumière blanche. Il distingue soudain une silhouette au pied de son lit. Keith écarquille les yeux. Enveloppée dans une longue cape noire, la silhouette évoque ces femmes qu’on voit sortir des églises, en Espagne. Keith ne distingue pas son visage, noyé dans l’ombre de la cape. Par contre, il reconnaît l’engin que tient la silhouette : une faux. La lame luit faiblement à la lumière du plafonnier.

La silhouette fait un pas en avant et se penche vers Keith. D’une voix incroyablement caverneuse, elle murmure :

— Keith Guster, ton heure est venue... Tu vas devoir me suivre...

— Navré de vous décevoir, monsieur, mais c’est impossible.

— Ha ha ha ! Et quelle est la nature de cette impossibilité, petit morveux ?

— Sans vouloir vous offenser, monsieur, sachez que je suis une Fleur de Lys, et qu’en aucun cas je ne puis me défiler.     

Signé : Cazengler, fleur de banlieue

Gordon Haskell. Disparu le 15 octobre 2020

 

PETIT RAPPEL HISTORIQUE

La terre est peuplée d'injustices, certains souffrent davantage que d'autres. Par exemple la municipalité de Bondy respire, elle a réussi à se débarrasser de ses nuisibles. Il lui a fallu du temps, plusieurs années, figurez-vous deux redoutables perruches ( les ornithologues ne sont pas tous d'accord sur cette classification ) noires ( surtout à ne pas confondre avec la perruche à croupion rouge ) s'étaient perchées sur un des ormes de la commune et apparemment s'y trouvaient bien. Au début ( les trois premiers jours ) ils sont passés inaperçus, à la fin de la semaine la population en son entier en est venue à regretter que les arbres de la place centrale n'aient pas été squattés comme dans certaines villes par une colonie de quelques millions d'étourneaux, bien sûr ça criaille et il pleut de la fiente sans discontinuer mais tout compte fait cela s'inscrit dans les programmes de préservation des espèces animales et file à la ville un cachet écologique non négligeable quant à son futur développement économique.

Mais si Bondy rit, la Bretagne pleure. De toutes ses larmes. Car ces psittaciformes noirâtres à bec jaune de malheur ont émigré et ont décidé de nidifier sur ces antiques terres chevaleresques. Le peuple breton s'est vaillamment défendu. Leurs élus ont enfilé leurs chapeaux ronds, que bizarrement ils appellent bonnets rouges, et ont fait pression sur le gouvernement, ils sont parvenus à faire interdire les concerts de rock sur toute la France. Nos indésirables volatiles n'en ont eu cure, ils ont continué à coasser sinistrement comme si de rien n'était, alors les plus grands savants bretons se sont réunis, dans leurs laboratoires secrets ils ont mis au point un microbe mirobolant ( nom de code : le variant breton ) censé venir à bout en un minimum de quatorze journée de ces hôtes redoutables. Cet espoir scientifique s'est vite révélé inopérant, l'on a eu beau en asperger cette triste engeance avienne, il s'est révélé qu'elle était naturellement immunisée, par contre l'espèce humaine moins résistante a connu les déboires de l'arroseur arrosé...

Nos cui-cui favoris s'en moquent, continuent leurs méfaits, un nouvel album, Unicorns, est en préparation, de temps en temps ils nous font part de l'avancement bruiteux de leur travaux, cette fois-ci ce n'est pas deux titres inédits sur Soundcloud ( les oiseaux aiment les nuages ), mais un clip, tout frais éclos, sur YT qui dévoile leur triste mentalité dévoyée...

MENTAL HOSPITAL

CRASHBIRDS

( Clip / Avril 2021 )

Un, deux, trois, c'est parti, excusez-moi je me suis laissé emporté par l'enthousiasme, je recommence au début, deux, trois, quatre, Rattila Pictures est là, des chirurgiens de l'image, vous leur fournissez un film tout simple, et vous les laissez faire, s'y jettent dessus telles des hyènes affamées sur un cadavre de chien purulent abandonné depuis quinze jours sur une aire d'autoroute, vous le découpent en morceaux, ce coup-ci une préférence pour les fines lamelles, et puis ils les vous recollent à leurs manières, puis ils passent leur temps à les ré-agencer selon une nouvelle donne, en plus cette fois-ci ils jouent avec les couleurs, enfin avec une, parce que sur le blanc-et-noir dominant, scintille par intermittence un magnifique jaune canari qui parfois s'engorge de nuances rouge-gorge ou bouvreuil-pivoine. Difficile d'expliquer pourquoi et comment mais ce traitement confère une étonnante rapidité et légèreté au montage, le clip défile devant vos pupilles étonnées et ravies.

On ne présente plus la distribution. La Dame à l'Unicorns n'est pas là pour faire tapisserie. Delphine Viane bosse. Debout. A la guitare. Au micro. A la percu. Contrairement à la courtoisie médiévale, le page Pierre Lehoulier reste assis, tapote un peu de sa jambe droite sa pantoufle sonique, du genre ma cocotte j'ai autre chose de plus important à faire qu'à m'occuper de toi, et joignant le geste à la parole des images dérobées nous le présentent les mains croisées dans son fauteuil à regarder par la fenêtre.

Les rockers ne s'arrêtent pas à l'apparence cosy, un feu de bois qui pétille dans l'âtre, les beaux arbres du jardin dont on entrevoit les troncs élancés au travers d'une large baie, les bibelots disposés avec goût, la bibliothèque remplie de livres – interdits - dont la fine et altière silhouette de Delphine s'obstine à nous empêcher de lire les titres, preuve que ces gens-là ne lisent pas que Les aventures de Fantômette.

Ce n'est qu'un détail, malheureusement souligné par la barbichette particulièrement méphistophélesque de Pierre, oubliez-le ( pour le moment ), concentrez-vous sur la plus belle, elle vous plaque une rythmique de diamant et elle chante merveilleusement bien, vous n'entendez qu'elle, vous ne voyez qu'elle, c'est là où vous tombez dans le piège tendu à dessein, vous croyiez voler jusqu'au paradis et plouf, tout se brise. Les portes du mental hospital se sont refermées sur vous. Déjà que votre cervelle rance dispensait une odeur d'infirmerie et que vos idées sentaient le médicament médiatique...

Sachez-le, avec leur mental hospital, ils vous entubent. Il est trop tard pour vous réveiller, cette chronique s'adresse donc à ceux qui ne se sont pas encore imprudemment aventurés dans le morceau. Je devance vos réactions '' Oh c'est super, c'est totalement Crashbirds avec un tout petit plus qui fait craquer, un je ne sais pas quoi, un truc super chouette, je le repasse ''. Malheureux vous avez mis l'oreille dans un engrenage fatal. C'est le moment de regarder Pierre, oui il joue de la guitare, Pierre joue toujours de la guitare, rien de nouveau sous la lune noire, toutefois soyez attentifs à son sourire, il est ailleurs et chaque fois que son médiator caresse sa corde la plus tendre, il vous distille le sortilège, pas besoin de tendre le tympan, cela s'infiltre en vous sans que vous vous en doutiez en douce sous le riff, comme le masque de la mort rouge dans la nouvelle de Poe, qu'est-ce au juste, un grignotement de souris, la petite sonate de Vinteuil dans La recherche du temps perdu, une petite fille perdue qui pleure, un couinement de blaireau dont on a enfumé le terrier, le pipeau du meneur de rats de la ville d'Hamelin, je ne saurais dire, mais c'est-là, indicible et irréversible, et les inflexions de Delphine par dessus cette scie à neurones vous aimantent, vous chavirent l'esprit, vous rendent fou... mais enfin laissez-moi, messieurs les infirmiers ne me touchez pas, non je ne vous suivrai pas dans cette ambulance, je...

Nous sommes dans l'incapacité momentanée de vous donner la fin de cette chronique de Damie Chad. Toutefois nous nous permettons de signaler qu'il n'est pas bon de dépasser la dose prescrite pour l'écoute de ce clip. Apparemment les Crasbirds ont encore frappé fort. Hautement contagieux.

La rédaction.

 

*

Fontainebleau jouit d'un passé prestigieux, François Premier transforma son modeste château médiéval en fastueuse résidence, Napoléon y fit ses adieux, Damie Chad y vint pour chroniquer quelques concerts de rock'n'roll, trois personnages incontournables mais qui relèvent de l'Histoire ancienne, voici que surgissent de nouveaux prétendants à cette gloire immémoriale, ils se sont regroupés sous une appellation un peu zarbi bizarre, MONSIEUR PAUL ET LES SOLUTIONS qui exige quelques éclaircissements. C'est que l'on n'échappe pas à ses origines, un groupe de rock sis ( même selon des circonstances hasardeuses ) dans une des cités les plus illustres de notre douce France, ne saurait être insensible à un patrimoine séculaire, que le lecteur ne soit pas surpris si nous sommes obligés de nous pencher sur d'anciennes strates géologiques du rock français pour expliciter leur démarche.

L'est sûr que pour trouver les solutions de Mr. Paul faut d'abord poser les problèmes. Ils sont parfaitement exposés par Eddy Mitchell dans Chronique pour l'an 2000. Si vous ne connaissez pas c'est que vous avez quelques années de retard. Faites le calcul par vous-même sachant que le disque de Schmoll sort au début de l'été 1966. Pour combler votre ignorance vous fouinerez aussi du côté de Chante de Ronnie Bird et de de Cheveux longs et idées courtes de Johnny Hallyday.

Les Problèmes sont le groupe – un bon son pour l'époque - qui accompagnera à partir de l'année 66 un jeune chanteur qui fait le buzz avec Les élucubrations d'Antoine, morceau dans lequel le dit Antoine aimerait voir Johnny Hallyday en cage à Médrano. Depuis ses tout premiers débuts les attaques n'ont jamais cessé contre Johnny, mais celle-ci ne provient pas des croulants habituels balayés par la vague yé-yé mais d'une jeune génération qui se prévaut d'une provenance beat-folk-dylanesque dissidente du rock'n'roll... Si le staff hallydéen saura faire rebondir la première idole la trajectoire d'Antoine restera sujette à caution... Le succès est venu trop vite, Antoine n'arrivera jamais à maîtriser son projet musical initial et finira par se ranger des voitures en s'achetant un bateau... Les Problèmes subiront un sort parallèle, finiront en Charlots spécialisés en gags de comiques troupiers... Beaucoup de gâchis... Tout cela ne serait pas bien grave si ces mésaventures ne rappelaient pas une avanie fondatrice qui présida à une première fausse-couche du rock'n'roll français, celle initiée par Boris Vian, Henri Salvador et Michel Legrand, qui tenta d'inscrire le rock 'n' roll dans la catégorie infamante de la gaudriole cocasse, une musique qui manque de sérieux.

C'est sûr qu'il existe dans le rock'n'roll français une lignée persistante qui louvoie entre nostalgie, parodie, dérision et je-m'en-foutisme. Elle provient de ce sentiment de libération joyeuse qui accompagna par chez nous l'apparition de cette musique entre 1959 et 1964. Jacques Dutronc fut le pionnier de cette veine, plus tard des groupes comme An bonheur des Dames, Albert et sa fanfare poliorcétique et les chacals de Béthune, les Wampas...

 

Mr PAUL ET LES SOLUTIONS

Monsieur Paul ( aka Billy Dorados ): chant, rythmique Don Electro 12 cordes, solo stratocaster, tambourin / Rick Solution : rythmique Vox Phamtom / Lulu Solution : basse / PJ Solution : batterie

Graphisme : Pauline Barbier

Plagier Dutronc : tout un programme, qui vous prend à rebrousse-poil, vous pensez par exemple à La fille du Père Noël et vous êtes victime d'un syndrome de caméléonisation vocale, ce n'est pas le timbre attendu et dument tamponné de Jacques Cacapoum que vomissent les enceintes, mais à s'y méprendre, la voix d'Antoine, telle qu'en elles-mêmes les chemises en fleurs l'habillaient, n'empêche que Paul et son gang de solutionistes persévèrent dans les paroles, pour avoir le son sixties faut plagier Dutronc, le problème, pardon la solution, c'est qu'ils n'ont pas le son french sixties original, ne les assimilez pas à des donneurs de leçons qu'ils ne suivraient pas eux-mêmes, style faite ce que je dis mais pas ce que je fais, c'est qu'ils ont beaucoup mieux à nous offrir, ces zèbres-là l'est indubitable qu'ils n'arpentent pas la savane depuis trois jours, savent se servir de leurs guitares sans suivre les tutos sur le Net, ils vous envoient la purée, le presse-purée et le champ de patates qui va avec en plein dans le minois - ne se cachent d'ailleurs pas de leur curriculum destroyer dans leur présentation – des garagistes patentés, vous passent le polish sur la carrosserie à plein tube, méfiez-vous si vous désirez participer à l'essai gratuit à côté des mécanos, gardez un œil sur le compteur, la mécanique ronronne doucement mais la pédale de l'accélérateur ils l'écrasent avec volupté, savent aussi s'arrêter brutalement, mais trois décharges de batterie et c'est reparti, comme un avion de chasse qui attaque en psyché. Waiting for true love : avec un tel titre vous vous attendez à un slow sixties, le coup du grand amour larmoyant et la collection de râteaux qui les accompagnaient, ah des true loves pour toute la vie qu'est-ce que l'on en a entendu, à mouiller des mouchoirs aussi grands que des draps de lit poisseux, chassez ces cauchemars fiévreux, ne gardez que la fièvre car Mr Paul et ses solutions miracles est là pour vous requinquer le moral, démarrent sec, sont des malins vous torpillent le sentiment avec une de ces rythmiques cahotiques dont Buddy Holly possédait le secret, un sprint grondant qui vous entrechoque les os du squelette et surtout ne faites pas confiance, ne retrouveront pas tous la même place à la fin du morceau, sûr que ce sont des rapides, de véritables lévriers de course, le vocal hilaro-parodique est débité à toute blinde au milieu d'un feu d'artifice sonique, avec ce maelström dans la tête vous pouvez attendre sans problème. Donc avec la solution ( nitro instable ) de Mr. Paul.

Damie Chad.

 

THE ANIMALS

 

En novembre 1976 War fait paraître Love is all the around regroupant des inédits enregistrés avec Eric Burdon durant son passage dans le groupe. En Avril 77 sort Survivor d'Eric Burdon Band, nous en parlerons dans notre prochaine livraison. Mais en août 77 paraît un nouveau disque des Animals ! Comme tous les fans naïfs je pense que Burdon utilise le nom fameux pour baptiser la énième mouture de son groupe d'Amérique, mais non, il s'agit bien du groupe anglais original, avec Alan Price que Burdon ne porte pas dans son cœur.

BEFORE WE WERE SO RUDELY INTERRUMPED

ANIMALS

( 1977 )

Pour le titre les Animais n'ont pas hésité à reprendre une phrase restée célèbre dans l'imaginaire collectif d'Angleterre : ''Comme j'étais en train de le dire avant que je ne sois si rudement interrompu c'est un art difficile de plaire tout le temps à tout le monde'' c'est par ces mots lors de la deuxième guerre mondiale que William Connor reprit son travail d'éditorialiste au Daily Mirror que suite à un article qui n'avait pas plu en haut lieu l'intervention de Winston Churchill avait brutalement suspendu... La couverture est une photographie de Terry O' Neil, il est crédité pour plus de deux cents couvertures d'albums, notamment Elton John, Tom Jones, Eric Clapton, surtout le haut du panier, ce qui m'induit à le considérer davantage comme un photographe de stars que de rock, d'ailleurs lorsque le rock aura perdu de sa force, il se consacrera à la musique classique. D'après moi un faiseur qui récupère des images déjà établies dans le mental du public à qui il sert la soupe habituelle. Pas un créateur, pas le grand bousculateur que l'on attend d'un artiste authentique. La couve de Before... fige le groupe dans son passé. Les Animals font un peu office de chevaux de Przewalski conservés dans les zoos pour empêcher l'extinction de la race...

Eric Burdon : vocals / Alan Price : keyboards / Hilton Valentine : guitar / Chas Chandler : bass / John Steel : drums.

Brother Bill ( The last clean shirt ) : le titre sonne comme un vieux blues mais il est relativement récent, fut écrit par Leiber et Stoller qui le sortirent sur leur label Red Bird en 1964 – le Cat Zengler nous a parlé de cette aventure discographique dans notre livraison 484 du 10 / 11 / 2020 – l'était chanté par the HoneyMan qui le cosigna sous le nom d'Otis. Alan Price a sorti son piano et nous sert une espèce de rag pas vraiment enragé mais qui nous ramène bien en avant dans le siècle précédent. Burdon est à l'unisson, les paroles ne sont pas joyeuses, le frérot abattu à qui l'on passe sa dernière chemise, mais Burdon se débrouille pour vous faire sentir le comique pratiquement désopilant de la mort, cette absurdité du gars qui a vécu pour qu'on l'enterre dans une chemise propre, une ironie mordante dans la façon de débiter le texte d'une voix égale et froide. Un petit chef d'œuvre d'humour noir. Les Animals égal à eux-mêmes, Hilton qui plaque son petit solo insurpassable de quinze secondes, et les autres qui jouent non pas avec leur instrument mais avec la sonorité de leurs binious. Art consommé. It's all over now, baby blue : apparemment l'amour est plus douloureux que la mort. Certes la version de Dylan n'est pas joyeuse, toutefois elle est traversée par un peu de hargne et d'ironie, mais celle des Animals est carrément funèbre, une musique mélodramatique et la voix de Burdon qui vous glace l'âme, Price appuie sur ses touches à croire que tous les douleurs du monde se sont pressés sur ses épaules, le Steel ne se départit pas de son rythme d'enterrement, la basse de Chas chasse le bonheur et Hilton est si malheureux qu'il en oublie de nous livrer son solo. Pour la petite histoire Dylan cite bien le Baby Blue de Gene Vincent comme une de ses sources d'inspiration. Fire on the sun : boogie qui remue, Price tape sur les touches une par une comme s'il plantait des asperges, le Burdon se rue sur le vocal à la manière d'un chacal qui se jette sur un os pourri, les autres lui emboîtent le pas, deux minutes qui ne sont pas impérissables mais qu'il faut avoir vécues. Je me demande comment Shakey Jake James Harry a posé son harmo sur l'original mais j'ai été incapable d'y mettre la main dessus. As the crow flies : tout est parfait dans ce blues, Burdon qui vous serre à la gorge, la rythmique blues de base dépourvu de toute fioriture, les notes de piano que Price éparpille de temps en temps, et ces voix qui s'élèvent au final, juste le temps que vous réalisiez que vous n'épuiserez jamais la tristesse humaine. Corbeau poisseux. Please send me someone to love : la ballade soul encore teintée de piano jazz mais déjà à côté, une belle section cuivrée et la voix plate de Curtis Mayfield, les Animals mettent les patins pour ne pas rayer le plancher, l'organe de Burdon se heurte un peu aux meubles cirés, mais l'essaie que ça ne s'entende pas, l'a un peu de mal à y croire, heureusement qu'Alan vous joue de l'orgue tantôt comme s'il était dans une église tantôt dans un night club à cinq heures du matin... ça se termine de justesse juste le temps d'évacuer le Burdon embourbonné, l'alcool lui monte à la glotte, l'allait hausser le ton à la Boris Goudounov. Many rivers to cross : l'on a changé de face mais les Animals tapent encore dans les reprises improbables. Quoique à la réflexion... surtout que le Burdon il ouvre son clapet moderato, à la hauteur de Jimmy, n'est pas là pour faire la course en altitude, c'est dans les passages plus bas qu'il sort sa voix bleu-sombre, l'Alan l'est comme chez lui avec son orgue, our favorite pets se passent même des chœurs féminins de Cliff, bien fait, mais n'apporte rien à Jimmy. Genre lycéen qui a fait un papier-collé de la bio de Baudelaire sur Wikipedia. Just a little beat : pas le premier titre que les Animals reprennent, oui mais sur l'original vous avez un ronflement de saxophone pour lequel vous vendrez votre âme au diable pour qu'il vous permette de le reproduire à l'identique. Les z'Animals z'ont pas de saxo, le Price vous sort toute la ménagerie de verre de son orgue, se la donne à fond mais ça manque de sexo... d'autant plus que le Burdon vous prend une petite voix flûtée de coupe de champagne, ça pétille, ça fait des bulles, mais l'on préfère quand il joue au cobra royal qui vous crache dans les amygdales. Riverside county : enfin, ils ont réussi à écrire un morceau tous ensemble, question paroles ce n'est pas le cinquième évangile mais peut-être que c'est mieux, une belle intro avec Hilton qui égrène quelques notes comme l'on jette des pièces d'or au fond du bocal aux poissons rouges, et le Burdon qui vous prend son timbre de petit garçon qui demande à sa petite sœur de baisser sa culotte pour jouer au docteur, hélas, ils éteignent la lumière et coupent le son juste au moment où ça commençait à devenir intéressant. Lonely avenue : pas besoin de lire le titre, tout le monde connaît ce balancement typique de l'intro de Ray Charles, l'Hilton vous offre une suite royale pour le prix d'un solo, le Burdon vous manie sa voix comme s'il filait des coups de pied dans des boîtes de conserve, les chœurs jouent à la pédale wah-wah et Price vous fait reluire les ors de son orgue comme s'il astiquait les tuyaux de celui de Notre-Dame. Sur ce écoutez la version en français et en live de Noël Deschamps enregistré au Jazz Club Le Méridien en 2018. The fool : on se quitte sur un petit cadeau un titre de Lee Hazelwood et Al Casey à la guitare ( le même qui joue sur Bird Doggin de Gene Vincent ), le chanteur Sanford Clark avait une de ces belles voix insipides pas du tout foolichonnes qui en 1956 plaisaient aux filles, c'est le moment de prendre une leçon de chant, le Burdon il vous le reprend à l'identique au début, l'on sent la différence – par contre Hilton ne fait pas mieux qu'Al Casey – puis il pose quelques intonations pas trop, mais c'est comme la citrouille de Cendrillon qui se change en carrosse.

Un peu décevant tout de même. L'ensemble manque d'unité et de direction. La play-list a dû être composée à la va-vite sur un bout de table. Genre de disque incompréhensible pour la hungry generation punk qui n'avait nul besoin de ces bibelots tirés de l'armoire aux souvenirs de leurs grand-pères. Z'étaient à la recherche de l'énergie brute perdue. Et ils n'avaient pas tort. Et ils l'ont trouvée.

Le disque se vendit peu et ne fut soutenu par aucune tournée, et hop un flop !

*

Tout est étrange dans cet album. Certes ils ont besoin d'argent. Il sera suivi d'une tournée qui donnera lieu à un Live ( voir plus bas ). Il ressemble davantage à un album d'Eric Burdon qu'à un disque des Animals. Le deal conclu avec ses anciens collègues Burdon y rapatriera le matériel qu'il avait amassé en prévision de son prochain opus. Beaucoup de morceaux sont co-signés par Sterling. Un autre titre était prévu beaucoup moins mystérieux que Ark : Hard times with my favorite ennemy.

N'empêche que la pochette est sujette à intenses méditations. Ark sigifiant Arche – mot ô combien bibliquement connoté – j'en avais conclu à première vue que Burdon dernier passager de l'Arche démolie par le déluge, avait trouvé refuge sur un étroit radeau dont la voile rouge gonflée par un vent impétueux risquait à tous moments de le jeter dans les flots tumultueux... preuve que le Dieu très méchant s'était ravisé et avait décidé de radier de la surface du globe l'espèce humaine jusqu'à son dernier représentant. Mais non je me laissai aveuglé par mon idéologie anti-chrétienne. Regardons de plus près. Ce n'est pas un hunier gonflé par le souffle de la tempête mais la coque de l'arche elle-même. Entre nous soit dit, le vaisseau ressemble davantage au Nautilius de Jules Verne qu'à l'espèce de grossière péniche quadrilatérique décrite dans la Genèse. Après tout pourquoi pas, Dieu qui sait tout devait bien avoir dans un de ses tiroirs secrets les plans du sous-marin de l'auteur de Vingt Mille lieues sous les mers, n'est-il pas par définition le seul maître à bord devant le Capitaine. Cette deuxième approximation demande à être approfondie. De fait l'image ressemble à une case tirée d'une bande-dessinée, une lointaine, revisitation du combat contre les poulpes géants, l'arche est attaquée par une espèce d'hydre ultra-agressive surgie des abysses qui n'a pas l'air de se ressentir des balles traçantes de la mitraillette du héros qui l'affronte. Un Noé moderne, porte-cigarette au bec – déjà que la Bible il est décrit comme un vieil ivrogne - sanglé dans un uniforme de confédéré, un peu le look de Clark Gable dans Autant en emporte le vent, courageux, intrépide mais heureusement que le tigre assoiffé de sang qui dormait dans la soute se hâte de venir lui donner un coup de main, pardon de patte aux griffes acérées. L'artwork est de Paul ( S ) Power est-ce le même storyboarder que l'on retrouve dans les génériques de RoboCop et Predator et de nombreux autres films à grands-succès ?

ARK

ANIMALS

( 1983 )

Eric Burdon : vocals / Alan Price : keyboards / Hilton Valentine : guitar / Chas Chandler : bass / John Steel : drums. + Zoot Money : keyboards / Steve Grant : guitar, synthetiser, background vocals / Steve Gregory : saxophones / Nippy Noya : percussion.

Loose change : vous n'en croyez pas vos oreilles, les Animals ont bien changé, oubliez-les, ce n'est plus la même musique, elle sonne un peu passe-partout, trop entertaiment, heureusement que Burdon est en forme, sur un green vous auriez la balle qui rentre dans les dix-huit trous les uns après les autres au premier coup de club, grande jubilation cynique, l'argent ne fait pas le bonheur mais puisque j'en ai je ne crache pas dessus, musicalement sauvez les filles qui ont du chœur et le sax de Gregory qui fait très bien l'affaire. Love is for all time : soyons gentillet, un petit reggae pour se régaler, n'y a pas que l'argent dans la vie, y'a l'amour aussi, faut savoir se rattraper aux branches, certes l'amour c'est bien mais cet accompagnement est aussi nourrissant qu'un sandwich sans pain ni garniture, Chas à la basse tient le morceau sur ses épaules, sur lesquelles Burdon caracole en poussant la barcarolle. My favourite enemy : l'amour ce n'est pas toujours au top, ennemi prend un e au féminin, Burdon chuchote pour mieux piquer sa colère, perso ce qui me fout en rage c'est ce synthétiseur de malheur qui vous aseptise le rock'n'roll et vous le transforme en chansonnette, les Beatles avec leurs harmonies et leur invention seraient bien parvenus à en faire une omelette potable mais ils n'étaient pas dans le studio. Prisoner of the light : avec un autre accompagnement Burdon aurait pu tenir un hit, un superbe numéro vocal, pop anglaise dans toute sa splendeur, comment arrive-t-il à funambuliser si merveilleusement sur cette musiquette si bébête, parfois dans la vie les copains ne vous aident pas, et il vaut mieux être seul que mal accompagné. Being there : y a-t-il un pilote dans l'avion? Oui, il s'appelle Eric Burdon mais son appareil a les ailes cassées, alors il vous le posera en bout de piste et évitera la catastrophe, un prodige, mais l'on aurait préféré un crash landing ! Hard times : ouf ! Enfin cela ressemble à quelque chose, rythmique binaire, le minimum mais chacun y met du sien dans les chœurs, l'on retrouve nos animaux favoris, ceux qui viennent vous manger dans la main pour vous arracher les doigts, preuve par l'absurde que quand la vie vous veut du mal c'est pour votre bien. The night : des lyrics parfaits pour un blues, mais Burdon nous en donne une dramaturgie petite-bourgeoise avec orchestre de variétoche qui filoche à l'emphase, vivement que la nuit s'achève. Pataud. Vaudrait mieux ne pas faire une étude sociologique du public qui a plébiscité ce morceau, l'on serait déçu. Trying to get you : remarquons que la tarte à la guimauve précédente ils ont essayé de la cacher entre deux dolmens qui ressemblent un peu au rock'n'blues, celui-ci est adouci par les synthés et le sax mais l'ensemble possède une bonne tenue et Burdon en profite pour hausser la voix. L'avait intérêt s'il voulait se démarquer d'Elvis ! Just can't get enough : ballade soul balancée, Les sax déversent un baume salvateur sur votre âme asséchée. Ce n'est pas la vie éternelle, mais enfin cela vous donne l'espoir de survivre. Quelques ressemblances avec Depeche Mode... Melt down : encore un truc qui ressemble à ce que je notai précédemment, les Animals courent après la mode et l'air du temps, chien perdu cherche son collier, c'est mignon, gentillet, je ne vous en voudrais pas si vous ajoutez insipide. Gotta get back to you : coucou aux filles sur les chœurs au moins ça change et ça passe le temps, Burdon nous fait le coup du groove qui tue, mais le couteau est émoussé. Ne s'entête pas, écourte les frais. Nous le remercions de ne pas persévérer dans l'erreur. Crystal night : pas vraiment cristallin, le genre de morceau que l'on entonne dans un bar tous ensemble à trois heures du matin, ce qu'il y a de bien c'est que Burdon chante mieux que nous mais si l'on avait le droit de tirer sur le pianiste qui synthétise ce serait mieux. No John no : ( face B du single: The night ) : Price n'a pas signé tout seul uniquement The house of the rising sun, ce morceau ses copains l'avaient renvoyé en face B du single The nigth – il n'y a pas de petite vengeance – une chanson du quotidien tragique de John qui se suicide d'ultra-quotidienne-solitude, pas rancunier le Burdon, nous en sert une version d'autant plus émouvante que la facture de la chanson ressemble à Susanna chantée par The Art Company...

De tous les disques des Animals, c'est le plus décevant, trop éloigné de leur style si particulier. Et hop, flop pop !

*

Une pochette de Carl Grasso qui avait manifestement partie liée avec IRS la maison de disque pour laquelle il a réalisé pas mal de couves. L'a travaillé avec beaucoup de groupes notamment les Cramps, pas de chance, de touts ces travaux c'est celui qui me laisse le plus dans l'expectative. Comme dirait Hegel j'ai dû mal à entrevoir le concept... Sans doute est-il contenu dans le sous-titre qui ferait de l'objet une sorte de calendrier de l'avent, ce qui me semble mal venu pour un dernier disque...

GREATEST HITS LIVE !

( RIP IT TO SHREDS )

ANIMALS

( 1984 )

Eric Burdon : vocals / Alan Price : keyboards / Hilton Valentine : guitar / Chas Chandler : bass / John Steel : drums. + Zoot Money : keyboards / Steve Grant : guitar, synthetiser, background vocals / Steve Gregory : saxophones / Nippy Noya : percussion.

It's too late : public enthousiaste, le son n'est pas parfait, vous avez un synthétiseur qui vient bourdonner dans vos oreilles tel un moustique qui vous empêche de jouir de votre nuit et vous ne pouvez pas l'écraser, la voix de Burdon n'est pas au mieux, une espèce de piano malade qui perd ses dents chaque fois qu'on enfonce une touche, dommage un morceau sur le délicat passage délicat à l'acte, du désir de la violence à la violence, on attend le drame wagnérien et l'on a droit à un allègre sautillement... House of the rising sun : sortent la grosse artillerie dès le début, pas besoin d'avoir un diplôme de troisième année de musicologie pour comprendre comment le disque fonctionne : une musique fluette et pointue et Burdon qui chante à faire exploser les micros, même le solo de Price est bien criard, Burdon se hâte de raccrocher les wagons, que voulez-vous il dépense sa vie dans un rock'n'roll band qui n'est pas au point. It's my life : surprise divine, sont parvenus à une épaisseur phonique équivalente à l'originelle animalière, filou le Burdon chaque fois que l'orchestre devient ruisselet il parle par-dessus, avec cette ruse de sioux le bateau ne coulera pas au fond de l'eau, ce que l'on appelle un passage en force par la porte de derrière. Don't bring me down : difficile de reconnaître le morceau sur l'intro, vous le descendent à la baïonnette non aiguisée. Quelle salade, n'importe quoi, reste le Burdon qui nage entre les gravats tel un aspic en colère qui n'a pas trouvé le sein de Cléopâtre pour y planter son dard mortel. Don't let me be misunderstood : un début qui rappelle les génériques des mauvais films espagnols, Burdon est en voix, force dessus pour que l'on oublie les synthés décintrés, entre la musique qui se casse la figure avec la grâce d'une mémé obèse qui descend les escaliers de la tour Eiffel sur son auguste postérieur et Burdon qui finit par crier comme un goret que l'on saigne il y a de quoi devenir schizophrène. I'm crying : un morceau de roi, le fleuron de la couronne, belle cavalcade derrière, pour une fois les chœurs tiennent la route, passage tambourin burdonien, mais l'on ne s'égare pas, l'on renvoie le riff et la messe est dite. Dieu n'était pas là mais Burdon nous a sauvés. Bring it on home to me : l'intro si inexistante que Burdon parle dessus pour que l'on ne l'entende pas, ensuite cela s'améliore, on peut au moins profiter de la splendeur vocale d'Eric, le sax l'accompagne telle une fleur vénéneuse de nénuphar éclose sur l'eau grisâtre d'un étang boueux, hurlement désespéré d'Eric au final. Oh lucky man : le quart d'heure de gloire d'Alan Price, c'est un peu comme si vous passiez au micro après la Callas, il y met du cœur, évacuez discrètement le cheveu noir dans la soupe au lait. Boom boom : me ferai jamais à ce son de keyboard aigrelet, aigrelaid, aigrelait qu'a mal tourné, toujours Zorro Burdon qui arrive à la fin pour couper les liens de la pauvre Suzie ficelée sur les rails, remarquez la loco qui survient est poussive même si le sax la pousse de toutes ses forces, sur le final vous aimeriez être Suzie pour embrasser le héros qui vous a sauvé de la mort. La fin du morceau est charivarisée dans une pétaudière incongrue, mais vous parvenez à y retrouver vos petits frissons. We 've gotta get out of this place : je perçus les percus et puis un bruit de ressort de carnet à spirale et le Burdon se lance dans une espèce d'impro rap de mauvais augure, la foule bat des mains, et vous de l'aile, enfin une guitare acceptable, Burdon a retrouvé sa voix, l'orchestre a perdu la voie du rock, vaut mieux qu'ils chantent les chœurs que de toucher à leurs instruments. Y a un mec qui tape sur une plaque de fer et il croit qu'il joue de la batterie. Le massacre dure près de huit minutes... When I was young : d'entrée une espèce de sirène de police asthmatique – vous avez envie de vous cotiser pour qu'ils puissent vous faire peur - heureusement que par la suite Burdon se charge de nous faire oublier le désastre, il y parvient, quant aux parties orientalisantes vos rêves de bayadères ont du mal à imaginer les houris qui vous attendent au paradis, elles ressemblent à des souricettes en tutu rose dans un dessin dévitalisé de Disney.

Vous conseille de trouver le DVD, le son est meilleur, en plus vous les voyez s'agiter sur scène. Ces deux derniers albums jurent un peu trop dans la discographie des Animals. Plusieurs reformations du groupe ont suivi mais Burdon n'étant pas là, nous ne nous y intéresserons pas. Nous disons : pop stop !

Damie Chad.

XXX

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

Cette livraison, nous nous la sommes procurée à prix d'or et grâce à quelques indiscrétions, c'est ce que dans les rédactions des grands magazines l'on appelle les bonnes pages d'un prochain livre à sortir, donc en avant-première nous offrons quelques extraits des Mémoires d'un GSH ( Génie Supérieur de l'Humanité ) de Damie Chad. Elles jettent un jour cru sur la terrible partie qui s'est jouée entre le SSR et les autorités défaillantes de notre pays. Nous alertons notre lectorat féminin qu'il pourrait être choqué par la violence de certaines scènes.

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Je m'amusais comme un fou. J'avais dérobé un énorme SUV muni de gros pare-chocs, je surgissais comme un madurle sur l'arrière d'innocentes voitures, mettant le clignoteur pour leur faire signe que j'allais les dépasser, et plouf ! à peine m'étais-je décalé sur la gauche que je me rabattais sur la droite et les envoyais bouler dans les décors, les filles criaient Olé ! Le Chef relâchait de son Coronado un énorme nuage de fumée noire en signe de deuil. Puis prenant une voix onctueuse de prélat à l'office des morts il déclarait : Nous ne sommes pas les gardiens de l'Humanité, nous sommes ici juste pour sauver le rock'n'roll !

121

Hélas, ce jeu innocent se termina lorsque Vince m'indiqua de tourner sur une mince route départementale qui bientôt perdit son goudron et s'atrophia à tel point qu'elle devint un chemin vicinal de plus en plus étroit qui finit en cul de sac devant un mur de pierre.

    • Nous ne sommes qu'à trois cents mètres de la Villa aux Ormeaux, et nous sommes exactement dans la Villa aux Ormeaux, voyant nos visages interrogatifs Vince se hâta d'expliquer, une petite dépendance, un pavillon de chasse, devant lequel se dresse le deuxième ormeau du domaine. C'était un peu la garçonnière de Ludovic, nous l'avons souvent utilisée quand nous étions jeunes. J'en ai toujours une clef sur moi, cela peut servir à l'occasion. A la nuit tombée nous irons délivrer Ludo.

122

La nuit était tombée. Nous nous étions entassés dans la petite cuisine où nous nous étions restaurés. Ludo et Vince avaient pensé à tout, provisions a gogo et quelques armes. Au-dehors il faisait noir, les filles sursautèrent lorsqu'elle entendirent les hurlements des loups

    • Ils viennent d'Italie nous renseigna Vince, n'ayez pas peur les filles nous n'avons pas besoin de sortir, nous allons emprunter un souterrain !

      Déjà le Chef avait arrêté son plan d'action :

    • Deux groupes, les hommes formeront le trio d'attaque, les filles nous suivront à trente mètres, nous prenons les pistolets et les revolvers, et le trio de soutien féminin les fusils à canon scié, pas besoin de savoir viser pour tirer, Agent Chad prenez la tête, Vince à trois mètres derrière vous, écoutez ses conseils il connaît les lieux, moi derrière un Coronado aux lèvres ! Action immédiate.

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Sous la table un tapis. Sous le tapis une trappe. Sous la trappe un escalier obscur dans lequel je m'engageai sans peur car un agent du SSR n'a jamais peur. Vince me suivait et m'éclairait d'une lampe torche. Le boyau n'était pas large mais n'offrait pas de difficulté. Il montait et descendait, des marches avaient été façonnées pour aider la marche. Au bout d'un quart d'heure je butai contre une porte.

    • La porte donne dans une armoire, me souffla Vince qui s'était rapproché pour les dernières instructions, tu te retrouves derrière des casiers à bouteilles, tu les pousses sans problème et sans bruit ils sont montés sur des roulettes huilées, tu te retrouves dans la cave. Droit devant un escalier, la porte donne sur le fond du couloir qui sépare la maison en deux, trois pièces de chaque côté. A toi d'improviser.

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Ce fut facile. Le couloir était plongé das le noir, sous une porte filtrait un rai de lumière, des bruits de voix me parvenaient. Je regardais par le trou de la serrure. Ils étaient trois autour de Ludovic torse nu et les mains liées dans le dos. Se servaient de lui comme d'un punching ball qu'ils se renvoyaient de l'un à l'autre à coups de poing.

    • Parle crapule, on veut tout savoir sur Vince et ses copains !

    • Tu ne les connais pas, pim, pam, pum

    • Et Vince non plus, pim pam,

    • Juste un ami de maternelle ! l'avait du cran le Ludo, l'encaissait bien,

    • Déjà, pim, pam, poum, tu vois, pim, pam, poum, tu choisissais mal tes amis, pim, pam, poum, un sale activiste qui inonde la côte d'azur de brochures rock'n'roll !

    • Eh bien, pim, pam, poum, tu n'as pas de chance, celui qui ordonne déteste le rock'n'roll, et ces mecs on va les dessouder un par un, pim, pam, poum

D'un coup de pied j'ouvris la porte et tirai une bastos en plein dans la tête de celui qui paraissait le plus gros, de la cervelle avait giclé sur le mur, et de glauques filaments pendaient sur le lustre, les deux qui restaient étaient sidérés, il me fallait profiter de la surprise.

    • Toi là, le plus maigre si tu tiens à la vie tu me donnes le nom de celui qui commande, ou tu vas subir le même sort que ton copain, je te laisse une demi-seconde pour répondre.

Le mec ne devait pas tenir beaucoup à la vie, il me toisa d'un sourire méprisant, peut-être qu'il avait la tête dure, mais pas tant que ça, quand le bastos lui brisa le crâne sa cervelle sauta en l'air fit trois fois le tour sur elle-même comme une crêpe le jour de la chandeleur, elle retomba avec un bruit mou sur le plancher.

    • A toi le numéro trois, pareil que ton copain si tu ne donnes pas le nom du commandeur suprême !

    • C'est... c'est... l'homme à deux mains... lui-même !

    • Très bien je m'en doutais, et n'oublie pas que l'homme avec une ou deux mains est un loup pour l'homme, sur cette courte leçon de philosophie, je lui fis sauter le caisson, peu de cervelle coula, preuve qu'il n'en n'avait pas beaucoup.

    • Parfait Agent Chad, la silhouette du Chef s'encadrait dans l'embrasure de la porte, Vince occupe-toi de Ludo et ramène-le au chalet, l'a besoin de soin et d'un coup de jack dans le gosier pour le remonter. Agent Chad avec moi dans la cuisine, sous la gazinière nous trouvâmes deux bouteilles de gaz butane dont nous nous emparâmes, les filles survinrent à point, Charlotte fenêtre de gauche de devant, Charlène fenêtre de droite, Brunette tu ouvriras la porte lorsque tu verras le feu d'artifice !

Le Chef et moi restâmes derrière la porte d'entrée, j'enlevais les petites capsules qui libérèrent le gaz, avec son Coronado le Chef l'enflamma, nous avions en main deux gros chalumeaux, Brunette ouvrit la porte, déjà les butagaz roulaient vers les estafettes de gendarmerie, ils n'eurent pas le temps de descendre, chacun de nous deux tira sur une des bouteilles qui toutes deux explosèrent et embrasèrent les véhicules.

Nous n'en avions pas fini, à droite et à gauche des phares balayèrent l'asphalte et deux cars de gendarmerie sortis d'on ne sait où pilèrent devant la villa. Z'étaient une quarantaine qui se ruaient vers la maison, n'allèrent pas loin, depuis les fenêtres les filles les arrosèrent méthodiquement, nous les aidâmes un peu de notre artillerie personnelle, cinq minutes plus tard, z'étaient tous morts...

    • Repli stratégique, ordonna le Chef, Agent Chad, vous passerez en dernier, vous remettrez les casiers à bouteilles correctement, rejoignez-nous au plus vite, la piste sanglante ne fait que commencer...

                                                                                                                                       A suivre...

 

08/04/2020

KR'TNT ! 459 : ROKY ERICKSON + FRIENDS / THE SPRITES / SAINT JAMES INFIRMARY / ROCK ' N 'DANCE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 459

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

09 / 04 / 2020

 

 

HANNI EL KHATIB / ROKY ERICKSON + FRIENDS

THE SPRITES

SAINT JAMES INFIRMARY / ROCK 'N' DANCE

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Qu’as-tu Khatib ?

 

En fait, Hanni El Khatib va très bien. Il faudrait plutôt poser la question à deux de ses sidemen qui ont l’air drôlement bizarres. Le bassiste et le guitariste rythmique ont des têtes de gosses renfermés. Ils semblent atteints de l’autisme du Midwest, le plus incurable du monde. Ces deux-là fixent le sol en permanence et tentent de coincer derrière leurs oreilles de grands cheveux raides qu’on suspecte de n’être pas très soignés. Ils parachèvent le spectacle de leur désolation avec des mines fermées à double tour et d’innommables vêtements. On dirait même qu’ils font tout pour que ça aille encore plus mal. On irait presque leur demander : «Comment peut-on vous aider ?». On sait à l’avance qu’ils ne répondront pas. Pourtant ces gens-là viennent de Californie, mais les deux loustics en question se situent aux antipodes du look des golden boys des plages de surf. Ils semblent même avoir des têtes à craindre le soleil, comme certains châtelains des montagnes de Transylvanie.

Étant donné qu’un petit buzz remue l’air autour d’Hanni El Khatib et que son premier album se défend plutôt bien face à deux tympans ruinés par quelques décennies de tambourinage, on est allé le voir jouer sur scène. Comme dit le maquignon, c’est là qu’on jauge la bête. Si en plus elle rue et tire la langue, alors c’est bon signe.

En fin limier, Hanni El Khatib a tapé dans le mille. Il est passé en deux temps trois mouvement du statut d’inconnu d’origine vaguement palestinienne au statut plus enviable de petite star du garage californien. En tous les cas, on ne peut pas lui reprocher de jouer des mauvais cuts, car son set tient remarquablement la route. Il gratte une Les Paul noire et chante comme un cake. Il attaque son set avec «Moonlight», le premier cut de son troisième album et enfile ses petites perles pendant une heure. Son garage est un garage qui ne veut pas dire son nom. Hanni El Khatib ne fait ni du Dirtbombs, ni du Makers, ni du JSBX, ni du BBQ, on pourrait peut-être parfois penser aux Black Keys, à cause de son deuxième album produit par Dan Auerbach, mais en règle générale, son style semble n’appartenir qu’à lui, ce qui relève du prodige, vu qu’on n’en finit plus de croire que tout a déjà été dit ou fait, dans ce domaine. Hanni El Khatib sur scène ? Oh, mais c’est tout bêtement la garantie de passer une bonne soirée. On ne risque pas de se décrocher la mâchoire en bâillant au bout de deux morceaux. On aurait plutôt tendance à sautiller, comme le font les voisins et les voisines.

L’ami Hanni tire bien ses marrons du feu. Pour son set, il tape dans ses trois albums et n’en finit plus d’allumer un public qui de toute façon est convaincu d’avance. Ce n’est pas la faune des concerts garage habituels, non, le public est différent. En tous les cas, aucun poto n’a radiné sa tirelire. Hanni va-t-il devenir énorme et faire partie d’une sorte de nouvelle aristocratie du rock avec des gens comme les Black Keys, les Black Lips, les Black Widows, les Black Crowes, les Black Stone Cherry, les Black Angels, les Black Flag, les Black Mountain, les Black Sabot et les Black Is Black ? Allez savoir. C’est fort possible, car d’ici dix ans, il ne restera plus rien ni de la première ni de la seconde vague des rockers qui constituaient l’aristocratie du rock, celle des années 70. Il semble bien qu’Hanni El Khatib soit partisan d’un maintien des traditions garagistes, ce qui devrait nous sécuriser. En tous les cas, la scène ne trompe pas. Il terminait son set par un cut brillant tiré lui aussi du troisième album, «Two Brothers», une espèce de groove ensorcelant qu’il alla jouer dans la fosse au milieu de ses admirateurs fascinés. Ce fut pour le jeune bassiste renfermé l’occasion de sortir de ses gonds car il se mit à sauter partout avec sa basse et à jouer une redoutable ligne de funky strut. Franchement, il y avait là de quoi faire baver tous les bassistes présents dans la salle. Deux morceaux tout aussi spectaculaires en rappel et l’affaire était dans le sac.

Son premier album mit les amateurs de garage en confiance. Will The Guns Come Out proposait en effet une belle série de petits blasters, tiens comme ce «Build Destroy Rebuild» tout fumant de distorse. L’ami Hanni chantait ça d’une voix de folle échappée de l’asile et on le voyait chevaucher son Diddley beat avec une fière allure. Il passait ensuite aux grossièretés avec «Fuck It You Win» et nous tarpouinait ça avec un beau gras-double. On le voyait piétiner les plates-bandes de Jon Spencer et emprunter les accords d’«Under My Thumb», mais ça restait pertinent. Il savait très bien faire dérailler son chat perché. Puis il singeait Lou Reed pour raconter ses virées dans «Dead Wrong» et ça passait comme une lettre à la poste, car il s’appuyait sur une structure basique doublée de chœurs à la Dion. Non seulement ce mec montrait qu’il avait des ressources, mais il révélait en même temps une solide culture. Il cocotait ensuite le riff de «Locomotive Breath» pour emmener son «Come Alive» en enfer. Ce fin renard du désert recyclait toute l’aventure intellectuelle du rock dans des petits cameos irréprochables. C’mon ! Il passait ensuite au vieux garage avec «Loved One» qu’il traitait en mode Kinky. Pour sabrer, on peut dire qu’il savait sabrer, aussi bien que les Cosaques envoyés par le Tsar Alexandre à la chasse aux traînards de la Grande Armée, lors de la Retraite de Russie. Avec «You Rascal You», l’ami Hanni se prenait carrément pour Gary Glitter en titillant son stomp, mais il sauvait sa réputation avec un brillant solo vrillé. Il finissait avec une superbe pièce de puke de duke, «I Got A Thing», montée sur un riff d’attaque violente, et traversée par un solo à la coule. Berk !

Sans doute attiré par les feux de la rampe, il s’associe ensuite avec l’Auerbach des Black Keys pour enregistrer son deuxième album, Head In The Dirt. Comme l’Auerbach a le vent en poupe, l’ami Hanni imagine qu’il va pouvoir profiter de ce petit vent d’Ouest pour gagner le large. Les mauvaises langues appellent ça de l’opportunisme. Les âmes bienveillantes appelleront ça un échange de compétences. Les Black Keys ont en effet des profils de winners, et au rythme d’un album par an, ils causent pas mal de dégâts dans le porte-monnaie des ménagères. Dès «Family», on sent leur présence. L’ami Hanni se retrouve complètement phagocyté par l’Auerbach et son complice. T’as voulu voir Vesoul ? Eh bien t’as vu l’Auerbach ! Au passage, on note que le pauvre Hanni a perdu le joli son qu’il avait sur son premier album. La fine équipe bascule ensuite dans la pop avec «Skinny Little Girl» et le batteur des Black Keys tape comme un sourd. Il cogne encore plus fort que Denise, la batteuse de Schoolgirl. Après deux ou trois morceaux ineptes, on revient enfin aux choses sérieuses avec un «Can’t Win Em All» stompé au seuil des saturations catégorielles. Étant donné qu’Hanni chante comme Marc Bolan, ça vire glam. Et du coup, leur truc devient drôlement intéressant, d’autant que le mastering patauge dans la choucroute, ce qui donne une superbe trasherie. Quelle horreur ! «Pay No Mind» fait gamberger. Eh oui, ce mec ne devrait faire que du glam. Il a les muscles et les tatouages pour ça. En plus, il en pince pour le gros beat, celui qui craque les capotes. Attention à «Save Me» : ça part avec le beau gimmick des Them et des clap-hands dignes des bas-fonds de Soho. On croirait vraiment entendre les Stones qui reprennent Bo Diddley en 1963. On a en prime un solo d’antho à Toto. C’est même le meilleur coup de chapeau aux racines du British Beat qu’on ait entendu depuis belle lurette. Quelle efficacité ! Solo de désaille et pur riffing. Hallucinant ! Nouveau coup de Jarnac avec un «Sinking In The Sand» qui avance comme une Panzer Division. Motörhead n’est pas loin. L’ami Hanni pousse des aah aah aah de girl group. Il sait investir l’espace.

Hanni El Khatib tournait en France pour la promo de son troisième album Moonlight. Un conseil : il vaut mieux écouter cet album après le concert, car si l’on l’écoute avant, on économise un billet de quinze en n’allant pas voir le concert. L’album n’est pas bon. Mais curieusement, les morceaux passent bien sur scène. On retrouve le fameux «Moonlight» d’intro qui se veut stompique, mais qui sur le disque reste en suspension et refuse obstinément d’avancer. Avec «Melt Me», l’ami Hanni cherche la petite bête, mais le son n’y est pas et ça retombe comme un soufflé. Il tape dans l’esprit boogie des Status Quo pour jouer «The Teeth» et flirte à nouveau avec le glam de carton-pâte. S’ensuivent quelques morceaux ineptes. Avec «All Black», il riffe à qui mieux-mieux mais ça manque tragiquement de poids. L’esprit brille par son absence. On atteint les limites du système avec «Dance Hall». Hanni El Kahtib n’est pas Frank Black. Ni Graham Day. Encore moins Jon Spencer. Et ça ne pardonne pas. Car pour enregistrer des albums à la chaîne, il vaut mieux savoir écrire des chansons. Sinon, à quoi ça sert ? Il termine ce pauvre Moonlight avec le «Two Brothers» de fin de set, monté sur un joli thème. C’est d’ailleurs le seul cut intéressant de l’album, car d’esprit très moderne et battu en brèche au bassmatic. L’ami Hanni tape dans le registre du groove qui se met en route, accompagné de clap-hands et d’une bassline funky. Même effet que sur scène : le cut nous embarque pour Cythère. Rien à voir avec la daube qui précède. Hanni joue la carte du groove et ça redevient lumineux. Il nous embarque littéralement dans son trip de tripe et ça tourne à l’énormité. Voilà un cut salvateur qui s’insinue partout et qui, comme un serpent corail de Guyanne, remonte par la jambe du pantalon.

Signé : Cazengler, le Kathinibé.

Hanni El Khatib. Au 106, Rouen (76). 3 mars 2015

Hanni El Khatib. Will The Guns Come Out. Innovative Leisure Records 2011

Hanni El Khatib. Head In The Dirt. Innovative Leisure Records 2013

Hanni El Khatib. Moonlight. Innovative Leisure Records 2015

Roky le Roquet - Part Three

En attaquant au petit bonheur la chance sa carrière solo, Roky Erickson provoqua en son temps un shaking all over digne de celui des Cramps ou le Gun Club. Il entrait dans le clan des cultes. Sur la foi de deux choses : son antériorité dans les 13th Floor et un premier single so far out paru sur Sponge en 1977, le fameux Mine Mine Mind EP violet quatre titres, sur lequel se trouvait «Two-Headed Dog», l’un des hymnes du XXe siècle.

Il faudra attendre trois ans pour recroiser «Two-Headed Dog» sur un album, le fameux Roky Erickson & The Aliens, paru sur CBS UK en 1980, et qui reparaîtra au moins à deux reprises sous le nom de The Evil One, avec des variantes de track-list. Roky a la chance de tomber sur des bons Aliens, notamment le guitar slinger Duane Aslaken qui grouille de bon psyché. On entend aussi Steve Burgess ponctuer un beau bassmatic sur le «Two-Headed Dog» qui ouvre le bal de cet album haut en couleurs. C’est d’ailleurs une sorte de best of avant la lettre, puisque Roky enfile ses hits comme des perles. En fait, il va les rejouer pendant trente ans, mais personne ne s’en plaindra, bien au contraire. On le voit monter un hit («I Walked With A Zombie») avec une seule phrase. Il vire rock’n’roll avec «Shake Me Lucifer» et propose déjà une version extrêmement heavy de «Bloody Hammer» dont on va entendre par la suite des versions de plus en plus monstrueuses. En B, on voit Aslak faire le show dans «White Faces». Il multiplie les départs en vrilles acidulées. Il ne se refuse aucune tortillette. Roky ne bronche pas, il continue d’avancer, le regard fixe. Aslak fait encore des siennes dans «Creature With The Atom Brain». Il multiplie les climats délétères, c’est admirable de mise en place. Roky n’en finit plus de créer son monde. Il taille sa route dans le meilleur boogaloo qui soit ici bas. Il ramène tout l’éclat de l’excellence psyché des 13th Floor.

C’est Muff Winwood qui s’est occupé du premier album de Roky. Les ventes ne sont pas extravagantes, mais il demande un deuxième album. Winwood demande à Craig Luckin de ramener Roky en studio. Mais Roky ne va pas bien. Les tournées l’ont déglingué mentalement. Luckin a déjà beaucoup investi dans The Evil One, et il doit attendre un an avant que Roky n’accepte d’enregistrer Don’t Slander Me. Aslak accepte de revenir en studio avec Roky. Ils commencent à enregistrer en 1983. L’incroyable de cette histoire est que Jack Casady participe aux sessions. Il fascine Roky - Roky and Jack got along very well - Le batteur s’appelle Paul Zahl et joue avec Casady dans SVT. Comme Aslak produit, la guitare monte bien au devant du mix. L’album finit par sortir en 1986, trois ans plus tard, mais pas sur CBS UK, car Winwood n’y trouve pas son compte. Luckin réussit à trouver un label en Californie (Pink Dust) et Demon Records pour l’Europe. Aux yeux de Luckin, Don’t Slander Me est le meilleur album de Roky. Eh oui, dès le morceau titre, ça bouge. Aslak gratte sa gratte et derrière Jack Casady drive le Slander en enfer. Roky est en forme, mama ah-ah ! Il chante à la prodigieuse exacerbée. Retour en force au rock’n’roll avec «Crazy Crazy Mama», idéal pour un bassman comme Casady. Il faut l’entendre voyager dans la gum des gammes. Ça devient même très sensuel. On tombe en B sur l’effarant «Bermuda» qu’on retrouvera sur pas mal de boots. Fantastique pulsation. Jack the ripper rôde dans le beat. Ça ultra-joue à la Texane, dans l’esprit originel. Roky rend hommage à Buddy Holly avec «You Drive Me Crazy» et envoie son «Starry Eyes» exploser dans l’azur immaculé de la pop. C’est l’un de ses plus beaux hits. Aslak se positionne bien au centre du son. Encore un hit faramineux avec «The Damn Thing». La basse de Jack ronfle dans le son. Il se pose dans les passages d’accords avec tout le tact Tuna.

La même année paraît sur Pink Dust Gremlins Have Pictures, une espèce de compile où on retrouve The Explosives, The Aliens et quelques cuts enregistrés en studio avec Jack Johnson. C’est là qu’apparaît pour la première fois sa reprise d’«Heroin». Roky la prend au chat très perché, il en fait une version intraveineuse, bien tapée à l’hypno. On retrouve Aslak sur «The Interpreter». Si Roky chante «Night Of The Vampire», c’est parce qu’il est le plus habilité à chanter les louanges des vampires, sans doute à cause de son chat perché dans les ténèbres. Roky est le dark prince du boogaloo. Sur cette version live, The Explosives explosent. Ils explosent aussi «John Lawman». Roky adore la bonne bourre, ça se sent. Nouvelle dégelée avec «Cold Night For Alligators». Tous les hits de Roky sonnent comme des hits, c’est un peu le problème. Plus on l’écoute et plus il fascine. On finirait presque par aduler ce pauvre Texan. Il fait une version acou d’«I Have Always Been Here Before». Cet album de bric et de broc est d’une grande intensité. Wow ? Oui, mille fois wow.

On tient généralement Casting The Runes paru en 1987 pour le meilleur live de Roky & the Explosives. Forcément, ça démarre sur cette belle dégelée de gelée royale, «The Wind And More». Roky avale le rock comme d’autres avalent le bitume. Quelle cavalcade ! Cam King fait un festival dans «For You». Il joue des foisonnements mirobolants, il semble bien plus prolifique qu’Aslak. Nouveau coup de tonnerre avec «Mine Mine Mind». Roky tient son rock par la barbichette et il boucle l’A en beauté avec l’imparable Gonna Miss Me. Roky le screame à la vie à la mort. Belle section rythmique, Water Collie on bass et Fred KRC on drums. Alors Cam peut partir en maraude sonique. On B, on croise le Zombie puis les Explosives explosent avec «Bloody Hammer». Pour finir, Cam crame le fond de «Stand For The Fire Demon» et propose une belle extrapolation de Texana sonique.

Pendant ce temps, Patrick Mathé œuvre pour le compte de Roky et réussit à sortir plusieurs albums, à commencer par Clear Night For Love en 1985. Ce mini-album s’ouvre sur la pop parfaite de «You Don’t Love Me Yet». Puis le morceau titre semble venir en droite ligne de Buddy Holly. On a un vrai son. En B, «The Haunt» sonne comme du rock texan, mais sans les Explosives. Les deux guitaristes Harry Hess et John Reed ramènent du big sound. Roky boucle avec «Don’t Slander Me», mama ! Mini-album idéal. Roky sait ramener du gusto.

Mathé propose ensuite deux albums coup sur coup, The Holiday Inn Tapes, en 1987 et le premier grand live officiel, Live At The Ritz 1987 en 1988. Les deux valent le détour. Mathé est à Austin le 1er décembre 1986 et Roky vient le voir dans sa chambre à l’Holiday Inn pour lui jouer quelques chansons. C’est une promesse qu’il avait faite au téléphone et il la tient. Mathé n’en revient pas. Roky s’accompagne à l’acou aléatoire. Il fait un festival sur «The Singing Grandfather» et joue quelques cascades d’arpèges circulaires. On sent une présence extrême. Sur «The Times I’ve Had», il gratte quelques millions de notes en diguili des quatre doigts. Il rend un bel hommage à Buddy Holly en chantant «Peggy Sue Got Married» à l’encorbellement savant et chante comme un dieu sur «Mighty Is Our Love». Il n’en finit plus d’en imposer. En fin de B, Mathé complète avec la session Sponge, les quatre titres du fameux EP mauve, où trône «Two-Headed Dog», à la fois somptueux et impérial. Ça reste l’une des cimes de l’Everest, ever.

Live At The Ritz 1987 vaut aussi le détour, d’autant que Roky démarre avec «You’re Gonna Miss Me». Le guitariste s’appelle Will Sexton. Roky semble redorer son blason avec «Night Of The Vampire», car voilà une version terriblement psychédélique, il chante à la clameur des ténèbres et à la grandeur des candélabres. Il attaque la B avec «Two-Headed Dog», et le screame d’entrée de jeu. Il fait partie des wildest of them all. Encore une fois, ce cut sonne comme l’emblème du rock et l’étendard du Walking in the Kremlin with a two-headed dog n’en finira plus de claquer dans l’écho du temps. Will Sexton fait un joli festival dans «Take A Good Look At Yourself». Il joue des dégelées de gelée royale. Ce mec est un torrent à deux pattes. S’ensuit «Clear Night For Love», où Roky fait régner sa loi de la pop dans un rock à lui. Un rock parfaitement personnalisé qui ne doit rien à personne. Il devient férocement bloody avec «Bloody Hammer» et retrouve la vieille niaque texane des défenseurs d’Alamo face aux 50 000 hommes de Santa-Ana. Le beat est si bon qu’il rebondit, non, il n’a pas de bloody hammer, clame-t-il dans les volutes torrentielles, Roky et ses hommes jouent comme si c’était leur dernière chance de repousser Santa-Ana, Roky chante avec la foi de l’insecte qui croit pouvoir échapper au pied de l’éléphant qu’il voit arriver droit sur lui, un éléphant si énorme qu’il cache le soleil.

Paru en 1990, Reverend Of Karmic Youth fait partie des albums dispensables. Roky gratte l’A à coups d’acou et en B on retrouve les traditionnelles flambées d’Explosives.

Patrick Mathé ramène Roky dans le rond du projecteur en 1992 avec l’excellent Live In Dallas 1979. Cette fois, ce sont les Nervebreakers qui l’accompagnent - Please welcome the legendary Roky Erickson ! - Eh oui, pas plus legendary que la bravado d’accords de «The Wind And More». On a là le meilleur son de l’univers, ça tourne comme un moteur bien gonflé. Roky est au sommet de son beautiful power. Les Nervebreakers dégagent une énergie considérable. Roky a toujours la chance d’être bien accompagné. Ces mecs manient la mad psychedelia avec une maestria qui laisse coi. Encore un hit fulgurant avec «Mine Mine Mind». Roky l’avale tout cru. Les Nervebreakers riffent avec une violence terrible. Ils tapent plus loin un «Cold Night For The Alligators» au headbang, le soliste des Nerve joue dans le flux du move et tout explose avec «The Interpreter». Effarant de power ! Derrière Roky, le mec des Nerve titille à gogo. Ils tapent directement dans «You’re Gonna Miss Me». En plein museau. L’hymne d’un temps. Imparable. Roky taille sa route. You didn’t realise. Roky chante plus loin «Bo Diddley Was A Headhunter» à la glotte rouge, et explose «Two Headed Dog» d’entrée de jeu. C’est joué au power maximaliste. «Bloody Hammer» restera sans doute le hit le plus dévastateur de Roky Erickson. Il jure qu’il n’a jamais eu le bloody hammer. Il faut le croire. On a là le génie psychédélique du stomp texan, never had ! Never had ! Derrière, le Nerve shoote dans le bras du cut un solo au long cours. Chaque album live de Roky est un blast, il faut vite s’habituer à cette idée, car des tas d’autres vont suivre.

Tiens comme par exemple l’excellent Beauty & The Beast paru l’année suivante. Sur la pochette, on lit Roky Erickson & The Resurrectionists. Dès «Two Headed Dog», c’est l’horreur ! Le son coule partout. Roky le sent. Un démon nommé Jimmy Jones joue en purée continue. C’est une véritable insulte aux dieux de l’Olympe. Tous les hits de Roky redeviennent des énormités palpitantes. La soupe de «Cold Night For Alligators» devient effervescente. Les incursions de Jimmy Jones sont maléfiques. Ils enchaînent avec un «Hasn’t Anyone Told You» joué à la big energy. Ça devient une sorte de pop ultraïque. S’ensuit un «Mine Mine Mind» shaké du ciboulot, avec des éclairs dans le ciel. Stupéfiant ! Les Resurrectionnists jouent dans l’enfer de leur fournaise. Roky chante liquide. Effarant ! Roky shake le shit de Lucifer un peu plus loin, il invite tous les démons de l’univers à danser la gigue du diable. Oh, il faut les voir taper «You’re Gonna Miss Me» à la punky motion ! On a rarement vu des groupes déclencher un tel enfer sur la terre. Tout est saturé de chaos sonique et les hits de Roky resplendissent dans l’écho du temps. Il parvient même à transformer une chanson comme «Angel» en fournaise. Roky sort pour l’occasion son meilleur guttural. On revient au power suprême de «Bloody Hammer» et ces fous soniques repartent de plus belle avec «I Walked With A Zombie Last Night». Ils jouent le pire vrac sonique qu’on ait entendu ici bas. Tout est plombé de fournaise et ça ne s’arrange pas avec les derniers cuts. Explosif, pas d’autre mot possible.

On fait une petite pause avec Demon Angel. A Day And Night With Roky Erickson paru l’année suivante. L’album est enregistré à Halloween 1984 et Roky gratte tout à coups d’acou. Il joue «Bloody Hammer», «Two Headed Dog» et «Night Of The Vampire» au coin du feu. Force est de crier au génie quand Roky attaque «Cold Night For Alligators». On ne peut écouter ça que si la cervelle est ramollie. Derrière Roky, Mike Alvarez joue des coups d’acou à la Wilko. C’est d’une beauté désespérante. Fabuleux ! Le couple Roky/Alvarez décroche la timbale. À partir de là, le live devient fascinant. Roky attaque «The Interpreter» sans big sound, mais l’esprit est là. On entend Mike Alvarez voyager dans le fond de «Clear Night For Love» et on sent Roky au sommet de son art dans «Starry Eyes». On sent qu’il en bave avec «The Damn Thing», avec son vieux battage sophistiqué. Mike Alvarez revient pour «Hungry For Love #2» et shoote du junk dans le bras du cut. Roky devient fou avec cette version de «You’re Gonna Miss Me» travaillée aux deux guitares. Comme il est texan, il a le sang chaud, alors wouah yeah ! Il screame son ass off. Il hurle à la lune - This is the way it must be done - Il termine avec une belle version de «Blowin’ In The Wind». Roky est un artiste complet.

En 1995 paraît un nouvel album solo de Roky, All That May Do My Rhyme. Il démarre avec «I’m Gonna Free Her», un joli slab de heavy pop. C’est la grande force du troubadour psychédélique. Il est de la même engeance que Ron Asheton : kid brillant destiné aux couches supérieures. Il chante «Starry Eyes» avec Lou Ann Barton. Merveilleux hit pop, très jingle jangle. Lou Ann Barton entre au nasal pur dans la danse. Mais l’émotion vient de Roky. Avec «You Don’t Love Me Yet», Roky fait du pur dylanex. L’immédiateté de la mélodie en dit long sur le génie de Roky Erickson. Il se prend pour François Villon avec «Please Judge», il demande au juge de ne point le pendre et il appelle sa Mama dans «Don’t Slander Me». Killer tune, haché menu, paradis de la cisaille. Big version. La grande force de Roky c’est aussi d’allumer ses compos. Un bel exemple avec «We Are Never Talking». Roky rocks it. On pourrait même le qualifier d’empereur du balladif romantique. Kidding ? Non, il suffit d’écouter «For You (I’d Do Anything)». Il fait son petit bonhomme de chemin. Il est l’un des héritiers de Buddy Holly, avec ce côté romantique texan exacerbé. Il reprend aussi son vieux hit New Rose, «Clear Night For Love» et le claque aux accords secs. Il tourne un peu en rond. Il s’en va ensuite chasser sur les terres du Comte Zaroff avec un «Haunt» électrique en diable, chargé de menace. Roky sait créer les conditions.

En 1995, Sympathy For The Record Industry ressort, après celui de Roky Erickson & The Resurrectionists, un live intitulé Roky Erickson & Evil Hook Wildlife ET. Avec Crypt, In The Red et Norton, Sympathy fut en son temps l’un des quatre labels underground les plus prestigieux d’Amérique. On pourrait dire : «Bon ça va, les live de Roky c’est toujours la même chose !», et pourtant non, c’est à chaque fois très différent, comme si l’intensité de la fournaise variait. On est tout de suite frappé par cette version de «You Don’t Love Me Yet» d’ouverture et par son extraordinaire vibration. Roky tape dans le mille avec sa mélodie tordue. C’est un peu comme si Brian Jones chantait Jumpin’ Jack Flash accompagné par les Rolling Stones. On a là du pur jus d’énormité, avec des guitaristes aux noms inconnus. Roky sort son meilleur roaring. Comme c’est un radio slow, Roky parle dans un micro entre chaque cut. Dans le heavy blues de «The Beast», le guitariste Kerry Crafton fait des siennes. Puis Roky rend un sacré hommage à Lou Reed avec une version ultra cra-cra d’«Heroin». «Clear Night For Love» sonne comme un hit intemporel. On entre là dans le lagon de la magie ericksonienne. C’est mélodique et arrosé aux meilleures guitares d’Amérique. Cette pure merveille constitue l’apanage de l’underground. Plus loin, Roky incendie la plaine avec «Cold Night For Alligators». Il joue ça à la clameur et sans vergogne, au heavy beat de soudards à semelles de plomb. Il remet le l’huile sur le feu avec «Don’t Slander Me». Roky le diable secoue ses chaînes. Quelle violence ! Puis on prend en pleine gueule ce «Mine Mine Mind» explosé à coups de power chords. C’est noyé de son, dans l’appétence de l’effarence. Le riff surgit du chaos, pareil au saumon d’Écosse qui jaillit hors du torrent dans la lumière psychédélique d’un matin d’été. Ils écrasent ensuite «Starry Eyes» dans l’œuf du serpent et c’est tellement bardé de psychedelia qu’il semble que la messe soit dite.

Roky gratte sec sur Never Say Goodbye qui date de 1999. Il gratte même tout seul. La plupart des cuts sont enregistrés sur cassette à Rusk, par sa mère Evelyn. Il drive son drive à la déchirante nudité de son son, un peu à la manière de Skip Spence. Tout l’album est gratté aux poux, au somophore de son demeanor. Il gratte «I’ve Never Known This Till Now» dans la cage à poules. C’est sans doute l’album le plus barré de l’histoire du rock. Il tape dans Buddy Holly avec «Think Of As One» et fait avec «Birds’d Crash» du burn out sound. Sur la pochette, il a beaucoup de classe. Par contre, ses arpèges vont mal. Il faut se lever de bonne heure pour y trouver de la grâce. Le mythe a bon dos. On bâille mais on se dit en même temps que ce mec a la bonté de chanter pour des gens comme nous qui ne sommes rien. Harry Hess accompagne Roky sur «Something Extra» et ça sonne, Roky est couvert, on assiste au retour du grand esprit, celui du 13th Floor, c’est pulsé dans l’embryon du beat. Ce fleuron du psyché texan sauve l’album.

Paraît en 2004 sur Norton un très beau double album compilatoire de Roky Erickson & The Aliens : Don’t Knock The Rock. C’est d’autant plus un bel objet que Doug Hanners remplit tout le gatefold de notes sur Roky, du style : «One minute he’s a demonic fire hose, spraying 60,000 volts of wayward Sky Saxon qi, the next instant this son of an Episcopalian opera singer is crooning a Buddy Holly-ish Starry Eyes, not missing a note or failing to sustain the emotion.» (Pendant une minute il fait son Sky Saxon, crache le feu en dégageant 60 000 volts, et la minute d’après, il devient le fils d’un chanteur d’opéra pour crooner Starry Eyes à la manière de Buddy Holly, sans rater une note et en maintenant l’émotion). Turner révèle que Roky surnomme Aslak ‘Bird’, «a visual hybrid of James Williamson and Keith Richards, sort of, and plays like both of these archetypes put together.» (un hybride visuel de Williamson et de Keef qui jouerait comme les deux combinés). Turner n’en finit plus d’aduler les Aliens : «Let’s see, a Fuzzy, a Morgan, a Bird and an autoharp (later to be an) Angel, that sums up the Aliens.» Norton propose en fait une session inédite enregistrée en 1978 par Craig Luckin au studio de Creedence, Cosmo’s Factory. L’ingé son avait pour consigne de laisser tourner la bande pour TOUT choper. On entend Roky chanter «Angel Baby» à l’éplorée. Il adore faire le con, because I love, I love you yes I do. Puis il part en tagada Buddy Holly-ish avec «You Drive Me Crazy». Il fait ensuite sonner «Stand By me» comme le Kremlin, il chante ça au violent psyché et va chercher un niveau de chant stupéfiant. Cette version justifie à elle seule le rapatriement de ce double album. On entend aussi Aslak ramener du son dans «Untitled», du big heavy sound. En C, ils sonnent littéralement comme Moby Grape dans «Can’t Be Brought Down». Quelle vitalité ! Le son est très loosy sur l’ensemble, très libre. Ils sont en studio pour s’amuser.

Tiens, encore un live ! Il s’appelle Halloween et paraît en 2007. Cette fois, ce sont les Explosives qui accompagnent Roky. On peut compter ce live parmi les grands albums live de l’histoire du rock, car on en sort à quatre pattes. L’«I Walked With A Zombie» est la version définitive. Roky mord dans la chair de son mythe. Il plante ses crocs dans le zombie. Energy ! Fucking energy ! Pire encore, voici «Bloody Hammer», certainement l’un des plus gros blasts de tous les temps, quasi stoogien par les guitares, battu heavy et avec violence, à la Scott. Et Roky insiste une fois encore pour dire qu’il n’a jamais eu ce bloody hammer. Belle force de frappadingue et c’est bassmatiqué jusqu’à l’os. Bloody great ! Ils foutent le feu à la plaine avec «You’re Gonna Miss Me». Roky c’est Attila. On l’a reconnu. Il ne vit que pour la fournaise. Même chose avec «Creature With The Atom Brain». Roky s’élève au dessus du chaos monolithique pour glapir son texte. Véritable shoot de psych damage. Encore une terrifiante embardée avec «I Think Of Demons». Ils défoncent les culs de basse-fosse et tout passe au laminoir de l’assommoir. Trop de couenne de son. Trop de viande. Qui saura dire la violence de «The Interpreter» ? Ils nous riffent ça dans le gras du gras-double. Roky se jette dans la marmite et frit avec le son. Il est important de préciser que ce show est enregistré à Austin en 1979. Roky est alors au sommet de son art. Le guitariste s’appelle Cam King et il joue comme un fou. Il ravage les contrées dès «Two Headed Dog». Cam a une petite gueule, mais il bascule dans l’enfer de la véracité ericksonienne. Et on sait qu’il n’existe rien de comparable en matière de véracité. Cam gratte encore comme un démon dans «Bermuda». Il part en vrille sans prévenir - That’s the way in Bermuda - Ils enchaînent avec un «Starry Eyes» mirobolant. Cet Halloween va tout seul sur l’île déserte.

Roky Erickson enregistre un dernier album studio avec Okkervil River en 2010. Un portrait en gros plan de Roky orne la pochette de True Love Cast Out All Evil. Avec l’âge, Roky s’est assagi. Il va plus sur la mélodie, comme le montre cette merveille intitulée «Please Judge». C’est un plaidoyer d’une poignante beauté. Il nous refait le coup du cut hypno monté sur une phrase avec «John Lawman» - I sing my song/ Because I’m John Lawman - Seuls Lou Reed et Roky sont capables de tels prodiges. On retrouve ici cette fascinante facilité à pulser un hit. Avec «Goodbye Sweet Dreams», il retrouve son sens aigu du hit mélodique. Il s’agit là d’un album très poignant, très impliqué. En B, il tape un «Forever» qui flirte dangereusement avec la grandeur balladive, comme chez Mickey Newbury - Not for a little while/ Not for a day/ But forever/ One shows one the way - Fantastique «Think Of As One». Roky renoue avec l’inspiration.

Voici venu le moment d’entrer dans le monde des bootlegs. En ce qui concerne Roky, ils pullulent et certains valent le détour. En voici quatre, sélectionnés pour la qualité du son. Weird Tales date de 1982. Aslak accompagne Roky. Alors énorme ou pas énorme ? Énorme ! C’est un radio show de 1978. Bardé de son. Roky s’étrangle de froid dans «It’s A Cold Night For Alligators». Il chante «White Faces» à la bonne vieille exacerbée décervelée. Roky rocke son shit, tout est en place, l’univers, le son, Aslak, la légende, l’élan patriotique. Admirable ! Et tout explose avec «Bloody Hammer». Rokyky fleur de banlieue fout la pression et c’est bloody good. En B, il déclenche l’alerte rouge avec «Two-Headed Dog». C’est comme l’intro de «Born To Lose», on sait tout de suite qu’il s’agit d’un hit universel. Aslak et les autres bardent tout ça du son et du meilleur. Ils font bander le beat Texan. On retombe de sa chaise avec «Mine Mine Mind», ce big bad rock serti d’un refrain pop éclatant. Puis on tombe sous l’hypnose d’«I Walked With A Zombie», impossible d’y échapper, Roky dit qu’il a marché avec un zombie cette nuit, et on le croit sur parole. Oh mais ce n’est pas fini, car voilà «The Wind And Me», Aslak joue comme une bête, il fore sa voie dans le son comme une grosse termite. Et ça se termine avec «If You Have Ghosts». Sacré Roky, il joue dans l’infinie cohérence d’un rock éclatant de vie et de créativité. Chaque album de Roky Erickson est une leçon se savoir vivre.

Le voici avec The Explosives sur ce Live At Oyafestivalen paru 2007. On trouvait ces boots chez le Born Bad de la rue Keller. Belle photo de Roky sur la pochette, il s’est rasé la barbe et ressemble à un charcutier de la planète Mars. L’enregistrement est d’une qualité irréprochable et on se régale du son de la basse dès «Cold Night For Alligators». Ça boome bien dans l’air norvégien. La basse dévore aussi le «Don’t Shake Me Lucifer» qu’on croise plus loin. Belle version de «Bloody Hammer», bien pulsée des reins. Ces mecs ne font pas n’importe quoi. Ça pourrait sembler cousu de fil blanc comme neige, mais non, Roky veille toujours à secouer les colonnes du temple. Il aime le rock, ça se sent. Autre boot chopé chez Born Bad, The Evil One Returns, qui propose un concert enregistré au Louxor à Cologne en 2010. On trouve en B une version de «John Lawman» déchirante de verdeur, criante de vérité. On sent qu’on atteint les limites du piratage. Roky propose aussi une version de «Roller Coaster». Un certain Jon Sanchez joue lead. Voici enfin un boot russe de Roky Erickson & The Explosives : The Interpreter. San Francisco 2007. Joli son. Roky tape une version de «The Interpreter» somptueuse, le guitar slinger y multiplie les figures de style psyché. Roky enchaîne avec l’imparable «Bermuda» - That’s the way in Bermuda !

Inutile d’imaginer qu’on puisse faire l’impasse sur les tributes à Roky Erickson. Ils sont aussi indispensables à l’équilibre d’une cervelle psychédélique que le sont les albums du 13th Floor et le Alien stuff. Where The Pyramid Meets The Eye - A Tribute To Roky Erickson date de 1990 et ne propose pas moins de cinq coups de génie, ce qui semble logique vu la qualité des compos. La palme du coup de génie revient bien sûr à ZZ Top et à cette totémique reprise de «Reverberation». Il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie si on ne veut pas mourir idiot. Ils la saturent de reverb et transfigurent le beat texan, ils en font une version alarmante de solarisation. Billy Gibbons roule sa Reverberation dans sa farine de Texas Junk. Il n’existe rien de plus fidèle au monde que les vieilles barbes. Plus loin Doug Sahm & Sons tapent une version explosive de «You’re Gonna Miss Me». Doug sait. Il sait l’exploser. Sans doute a-t-on là la version de Miss Me la plus hargneuse jamais imaginée. Il n’y a décidément que des Texans pour aller jouer ça. Doug is the real deal. Encore des Texans, les Butthole Surfers, avec «Earthquake». On ne devrait jamais trop s’éloigner des ces Texas Gods of trash. Leur Earthquake est battu dans la matière de l’art. À part les Texans, personne ne s’autoriserait des arrêts en pleine course. On les voit même se faire rattraper par les solos. Sister Double Happiness propose un «Two Headed Dog» chanté au sommet d’un certain art. Il faut admirer la démarche. On a là un singer extraordinaire. Les Mary Chain font une autre mouture de «Reverberation» histoire de finir cette compile en beauté. Par contre, on voit les Primal Scream se vautrer avec une version electro de «Slip Inside This House». On voit aussi Bongwater rendre hommage à cette pop-song parfaite qu’est «You Don’t Love Me Yet», puis Julian Cope se vautrer avec «I Have Always Been Here Before» parce qu’il n’a pas de son et, égaux à eux-mêmes, les REM viennent frimer trois minutes avec «I Walked With A Zombie».

L’autre grand hommage collectif à Roky s’appelle Children Of The Night - What Music They Make. Ça date de 1997. On y croise les Nomads qui pulvérisent «Red Temple Prayer», qui est le sous-titre de «Two-Headed Dog». Les Nomads savent rocker Roky. Un groupe nommé Naked envoie «Roller Coaster» rouler au paradis du sonic trash. Ils délivrent là un excellent brouet de mad psychedelia. En fin d’A, un groupe nommé Shake Appeal tape dans «You’re Gonna Miss Me» et s’en tire avec les honneurs. Tous ces groupes se régalent, c’est évident. On trouve en B une belle giclée de sonic hell avec une version de «Don’t Shake Me Lucifer» troussée par Bates Motel. Power !

On trouve aussi dans le commerce deux films consacrés à Roky. Le premier est un docu signé Keven McAlester : You’re Gonna Miss Me, évoqué dans le Part Two mis en ligne la semaine dernière. L’autre film est un concert filmé de Roky Erickson & The Black Angels : Night Of The Vampire. Paru en 2010, ce film met très mal à l’aise. Les Black Angels offrent une version désespérément pauvre du 13th Floor. Une fille bat tout ce qu’elle peut en rebondissant sur son tabouret et un stupide barbu singe Tommy Hall en soufflant dans une fausse cruche, alors ça tourne au gag pathétique, ce qui bien sûr contredit l’essence même du phénomène qu’ont incarné les 13th Floor. Au milieu de cette absurdité, Roky chante du haut de sa voix, mais il doit forcément penser à ses anciens compagnons et à leur fulgurance à jamais perdue. Roky essaye désespérément de sauver «Roller Coaster» et «Reverberation», en vain, car le réalisateur utilise «Reverberation» pour le générique de fin. Insupportable.

Signé : Cazengler, Riquiqui Erickson

Roky Erickson & The Aliens. CBS 1980 (= The Evil One)

Roky Erickson. Clear Night For Love. New Rose Records 1985

Roky Erickson. Don’t Slander Me. Pink Dust 1986

Roky Erickson. Gremlins Have Pictures. Pink Dust 1986

Roky Erickson & The Explosives. Casting The Runes. 5 Hours Back 1987

Roky Erickson. The Holiday Inn Tapes. Fan Club 1987

Roky Erickson. Live At The Ritz 1987. Fan Club 1988

Roky Erickson. Reverend Of Karmic Youth. Skyclad Records 1990

Roky Erickson & The Nervebreakers. Live In Dallas 1979. Fan Club 1992

Roky Erickson & The Resurrectionists. Beauty & The Beast. Sympathy For The Record Ind 1993

Roky Erickson. Demon Angel. A Day And Night With Roky Erickson. Texas Records 1994

Roky Erickson. All That May Do My Rhyme. Trance Syndicate Records 1995

Roky Erickson & Evil Hook Wildlife ET. Sympathy For The Record Industry 1995

Roky Erickson. Never Say Goodbye. Emperor Jones 1999

Roky Erickson & The Aliens. Don’t Knock The Rock. Norton Records 2004

Roky Erickson & The Explosives. Halloween. SteadyBoy Records 2007

Roky Erickson & Okkervil River. True Love Cast Out All Evil. Chemikal Underground 2010

Rocky & The Aliens. Weird Tales. Not On Label 1982

Roky Erickson & The Explosives. Live At Oyafestivalen. Not On Label 2007

Roky Erickson. The Evil One Returns. Not On Label 2007

Roky Erickson & The Explosives. San Francisco 2007. Cheburashka Electric Records 2007

Where The Pyramid Meets The Eye. A Tribute To Roky Erickson. Sire Records 1990

Children Of The Night - What Music They Make. El Sound 1997

Roky Erickson & The Black Angels. Night Of The Vampire. DVD 2010

 

THE SPRITES ON 85 's

GENE VINCENT IN MIND

( Crazy Cat Records / AL CD / 1985 )

Les Sprites restent un groupe mythique du rock'n'roll français. Section Rockabilly. Les premiers à leur époque à avoir atteint l'international upper-class. Pas de chance pour eux : ils étaient malheureusement français, autant dire que les compagnies de disques ne se précipitèrent pas pour les enregistrer. Faute de perspectives le groupe se sépara. Les kr'tntreaders connaissent au moins les deux premiers membres de l'équipage déjà croisés en concerts : Red Dennis à la batterie – nous l'avons chroniqué en concerts à plusieurs reprises et espérons le refaire fin juin à Lusigny-sur-Barse avec Al Willis dans la Rock'n'roll Party II organisée par Billy – Pascal Guimbard à la lead que l'on retrouvera plus tard dans les Capitol's, Phillipe Servente au chant, François Gadotti à la double-bass, et Lionel Decaix à la rythmique.

Les Sprites n'ont même pas eu la chance d'enregistrer un disque. Ont seulement gravé Share of love et White Lighting sur une compilation vinyle de onze titres intitulée Big Noise Northwood sortie en Angleterre en 1983 et au Japon sous forme de CD en l'an 2000. En 1991 in the UK est également sorti B-i-bichey-bi-bo-bo-go sur la compil de vingt titres The Northwood Story disponible sous forme de CD et vinyle.

Il existe quelques vidéos des The Sprites sur You Tube, il faut insister car elles sont ''mangées'' par un duo toulousain du même nom. Le mieux est de se procurer le Cd ci-dessous chroniqué, ce bel artefact qui ne court pas les rues, parvenues par les routes de l'amitié jusque dans mes mains.

STUDIO TRACKS

Warm love : reprise des frères Burnette en ouverture, à l'identique, mais avec les burnes en plus, certes la batterie un peu trop devant, mais ils évitent le côté chansonnette du refrain qui parfume désagréablement l'original sorti sur Imperial en 1958, et surtout ce solo de guitare qui déchire, directement inspiré des Blue Caps de Cliff Gallup. Une belle mise en appétit. Well, I knocked bim bam : tant qu'à s'inspirer autant puiser directement sur l'original. Phil adopte d'instinct – il a dû beaucoup travailler tout de même - cette voix creuse si particulière que savait prendre Gene dans ses morceaux les plus flippés. D'ailleurs est-ce un hasard si Bobbie Carroll est aussi l'auteur de I flipped. Bim-bam, il faut que ça cogne, mais pas question de placer les horions sur le pif au pif. Red Dennis ne balance pas à tout berzingue dans le désordre, use de la méthodicité perverse des pros qui ne laissent rien passer. A peine la guitare a-t-elle repris son souffle qu'il vous pose une bûche sur le coin du museau qui vous ratiboise les ratiches et vous envoie au tapis. Love me : ne se gênent pas les farfadets, sur l'original de Buddy Holly, il y avait Sonny Curtis à la lead et Grady Martin à l'acoustique, ne respectent vraiment rien, Buddy fait souvent dans la douceur, alors Phil il est nettement plus viril lorsqu'il demande sa ration d'amour. Pour le background, tapent dans les Casquettes Bleues, et ça s'entend sévère. I'm ready : en France dès qu'on prononce le nom de Buddy Holly, l'on y associe aussitôt celui d'Eddie Cochran - la faute d'Eddy Mitchell et son adaptation du Saint James Infirmary blues – n'ont pas choisi un des titres locomotives d'Eddie, mais ont puisé dans le répertoire des Cochran Brothers, vous le re-badigeonnent au jaune gentillet sable doré des plages insouciantes des prime-sixties, oui mais ils se dépêchent d'y adjoindre un peu de speed étincelant, ces fêlés de Sprites vous leur filez un vase Ming ils vous le transforment en vase Bing ! Bi-bichey-bi-bo-bo-go : l'on sentait que l'énervement les gagnait, alors ce coup-ci c'est le grand défouloir, le gueuloir flaubertien à la puissance 10, ça saute partout et façon rodéo le cheval fou qui s'engouffre dans l'armurerie des grenades explosives. Pour la petite histoire Jack Rhodes est aussi le compositeur de Woman love un des titres les vicieusement sexuel du rock'n'roll , de Red blue jeans and a pony tail et de Crazy Beat, tiercé gagnant. Sunny sides of the streets : ne faudrait tout de même pas les prendre pour de sombres brutes, voici le slow de l'été, avec une guitare trop anguleuse pour être honnête. Cette chansonnette tout le monde l'a chantée de Frank Sinatra à Johnny Cash, si je me souviens bien Kenny Rogers aussi, qui vient de passer du côté sombre de la rue, en tout cas, les Sprites nous la font step by step à la Gégène. Flat foot blues : encore un classique, z'ont marqué arrangement Sprites, certes l'ont modélisé à la Gene Vincent avec batterie fracassante, hurlements et guitares cisaillantes. Share of love : ressemble un peu à un parcours de santé tel que les municipalités en installent un peu partout dans les allées pédestres. Tout y est, de l'occupation pour tout le monde. Mais l'ensemble des mouvements effectués est un peu attendu. White lightnin' : tous les rockers ont dans leur tête la version historiale malheureusement écourtée d'Eddie Cochran et de Gene Vincent, les Sprites proposent un modèle plus country-cow de ce classique du Big Bopper. Le venin du crotale plus les bottes qui dansent dans le feu de camp. Long blond hair : selon Howard Hawks les hommes préfèrent les blondes, Johnny Powers ne résiste pas à leurs charmes, une reprise soyeuse comme une chevelure qui coule entre vos mains, attention à la morsure du serpent. Un morceau qui n'a l'air de rien, en qui résident peut-être la pure essence et l'épure infrangible du rockabilly, les Sprites nous en offrent une version magistrale. Hold me, hug me, rock me : un petit dernier de Gene Vincent pour clore la série, le coup de l'étrier, nécessaire et vital car ça galope dans tous les sens, se débrouillent pour donner leur meilleur. Et ça s'entend, une étoile de shérif pour Phil et sa voix vénéneuse.

LIVE IN FRANCE

Cruisin' : en public, vous avez Red Dennis qui bat le rappel et la guitare qui tricote, un des des plus beaux titres de Gene, ça crie dans les coins, la prise de son n'est pas parfaite mais personne ne s'en plaindrait. I'm ready : et l'on enchaîne sur Cochran, certes on a l'impression que la cassette ne peut saisir que deux instruments à la fois, mais l'essentiel est sauvé, le bateau flotte et arrive à bon port. Long blond hair : toujours une sacrée joie de réécouter Johnny Powers et les Sprites car nos lutins font des merveilles. Ces mecs sont habités. Je n'y étais pas mais je connais des gars qui trente-cinq ans après s'en souviennent. Teenage partner : elle a seulement dix-sept ans mais elle a foutu une sacré fièvre chaude aux Sprites, ça marchotte tout doux au début, un petit trottinement sympathique et puis c'est parti pour des déchirures et des coups de guitares qui vous crèvent les yeux, très beau travail de Gado à la contrebasse. Pretty pretty pearly : sont joliment prêts pour la perle vincenale une reprise de Terry Dene, un des meilleurs rockers anglais de la première heure qui en 1974 sortit l'album au plus beau titre sombrement crépusculaire que je connaisse I thought Terry Dene was dead... Superbe voix de Phil qui semble emportée comme un fétu de paille dans un tourbillon meurtrier. Z'avez le hors-bord de la guitare qui arrive en trombe pour le sauver et tous les autres en chœur qui l'encouragent à tenir bon. Inutile il nage comme un marsouin. Warm love : une version qui louche davantage du côté Trio que des Brothers. Un gros problème, trop courte. The cat is back at town : un chat noir qui bondit toutes griffes dehors. Sûr que les souris ne dansent pas. Le morceau n'est pas long mais quand il s'arrête vous êtes couvert de sang. Flat foot blues : une espèce de jazz-doo-wop qui déraille totalement dans les outrances blue-capsiennes. Trente ans de musique américaine synthétisés en moins de trois minutes. Share of love : une compo, qui ne dépare pas dans l'ensemble, une guitare moins pointue qui polit les angles, mais nos garnements n'échappent pas à une lourde hérédité. Quoi qu'ils fassent, même quand ils essaient de se tenir correctement, l'on ne sait pourquoi, la situation dégénère. Cat man : ne s'attaquent pas à plus faible qu'eux, une batterie qui adopte la démarche du tigre qui se tapit dans les broussailles avant de bondir, des cordes mortelles surmontées d'angoisse et une voix apnéique chargée de menace qui déchire les chairs innocentes. On eût aimé qu'ils nous rejouent la scène plusieurs fois, mais non, ce soir ce ne sont pas des tueurs en série, on le regrette. Well, I knocked bim bam : délibérément plus méchante et rentre-dedans que la version studio. Cette fois c'est Gado qui porte les coups mortels à la contrebasse, vous écoutez quatre fois à la suite uniquement pour gouter ses uppercuts. Vous êtes OK pour le KO. Maso-rock ! White lightnin' : le son n'est pas au mieux mais l'enthousiasme des Sprites est plus que communicatif. Un beau chantilly de guitare en prime. Plus électrique qu'en studio. On s'en ressert vite une grande rasade. Race with the devil : un petit tour en voiture, c'est le diable qui conduit, autant dire que ça secoue seulement, les filles en perdent leurs épingles à cheveux dans les virages spiralés, si vous préférez les chocs ouatés et sans danger des auto-tamponneuses, ce cut n'est pas pour vous. Mama don't allow : une reprise d'Arthur Big Boy Crudup, vraiment up, le blues bouffé aux mites par le rock'n'roll, Elvis quand il avait repris le That's all right Mama au même Big Boy, il s'était comporté en garçon respectueux, lui avait refilé une nouvelle jeunesse, les Sprites s'y jettent dessus et vous le démantibulent de toutes leurs mandibules. Ne respectent rien. C'est parfait. C'est moi qui le dis, un célèbre général se serait écrié : non à la chienlit ! I can't love you no more : une compo, méfiez-vous du titre, à le lire vous avez envie de larmoyer sur l'épaule d'une gerce, erreur fatidique, ce n'est pas un slow, juste le contraire un TGV explosif dans lequel ils ont collectionné tous les plans dynamite à la Gene Vincent. Bi-bickey-bi-bo-bo-go : d'ailleurs ils enchaînent les terribles onomatopées – quand je les ai lues la première fois de ma vie sur une pochette de Gene j'ai compris que ce n'était pas de la plaisanterie – les Sprites aussi, vu la version à l'emporte-pièce qu'ils en donnent. Par contre ils ne respectent pas sur la pochette la séparation entre le B et le I : il faut bien leur trouver un petit défaut. Big Sandy : elle est aussi grosse que cette grande maigre de Sally, et tout aussi sauvage qu'un rhinocéros que vous venez réveiller dans sa sieste. Son embonpoint lui vaut un bon point pour sa pointe de vitesse. Pink thunderbird : un morceau de Paul Peek, un clapper boy émérite des Blue Caps, autant dire que ça filoche sur la corniche lorsque le chien sort de sa niche et que les Sprites vous écraseront même si vous passez prudemment sur le passage clouté. Pas grave votre sang séché sur la carrosserie aura la couleur de la Thundebird. Au moins pour une fois vous aurez servi à quelque chose dans votre vie.

Sûr que les Sprites avaient intégré Gene Vincent and his fabulous and gallupin' Blue Caps dans leur maudite caboche. Avaient appris leur leçon par cœur et sur les bouts de l'âme. Mais savaient la décliner parfaitement. Ne répétaient pas comme des perroquets sur leur perchoir. Zétaient à l'aise sur le trapèze volant. Z'insufflaient tout l'enthousiasme de leur jeunesse dans le package. Ecoutez les Sprites c'est comprendre comment et pourquoi les rockers français furent traumatisés par Gene Vincent. Il est temps de ressortir vos mouchoirs et de maudire les destins qui ne leur ont pas permis de produire au minimum un album. Ce ne fut pas de leur faute, les Dieux étaient jaloux.

 

Damie Chad.

 

SAINT JAMES INFIRMARY

 

La première fois que j'ai visionné – cela fait longtemps – Saint-James Infirmary  sur You Tube, je suis tombé sur la magnifique version de Bobby Blue Band, mais à tout seigneur tout honneur, puisque c'est Louis Armstrong qui lui a donné ses lettres de noblesse en 1928, je n'ai pas manqué d'écouter. La voix, les cuivres, l'on atteint à la beauté absolue. Au bout de quelques instants YT m'en a offert une version avec transcription des lyrics. Vous connaissez ces amerloques, z'ont une fautive manière de bouffer les mots qui ne correspond en rien, en notre douce France, à la si parfaite prononciation des professeurs d'anglais de notre adolescence, qui eux savaient rester compréhensibles... Avais-je tout bien compris, autant vérifier.

L'annonce était incomplète, oui il y avait les lyrics qui s'affichaient discrètement, mais ils n'étaient pas seuls, la vidéo offrait un supplément, tout un lot d'images grises et mouvantes. Des extraits muets de films, qui collaient merveilleusement bien au texte. Il me souvient d'avoir lu que la scène de l'enterrement était celle des obsèques de Rudolph Valentino, je ne peux pas le certifier. Je ne suis ni un cinéphile aguerri ni un fan inconditionnel de ce beau Rudolph pour qui ( la légende raconte que ) quelques jolies femmes ont été jusqu'à se suicider sur sa tombe. Geste absolutoire autant qu'abolitoire qui mêle l'effusion sentimentale à cette notion d'amour suprême chère à John Coltrane et à Villiers de l'Isle Adam qui n'est pas sans rapport avec la suite du montage.

J'ai essayé ces derniers temps de retrouver ce document, en vain, j'ai insisté, le serveur ne m'a offert qu'une version espagnole qui devait être un repiquage de repiquage de repiquage, bref des images floues. Mais ce n'est pas tout, apparemment les espagnols ne connaissent pas les sous-titres, par contre ils sont les rois du sur-titrage. C'est leur côté aficionado de los toros qui ressort, vous agitent de grosses lettre rouges como una muleta sous les narines del bicho qui occupent si largement l'écran que vous essayez d'entrevoir ce qui se passe dans la lorgnette d'un O où sous les jupes des M, voire au-dessus de la jambe du Q. Mais l'on n'est pas là pour dire du mal de los habitantes de tras los montes mais pour évoquer Saint-James Infirmary Blues.

Vous connaissez la triste histoire. Un gars qui va voir sa petite amie morte à l'hôpital. De quoi vous déchirer le cœur. A sa place vous pleureriez comme une madeleine. Que dis-je comme un sachet de trois kilos de ces gâteries proustiennes. Mais vous savez, il est des gens, vous leur montrez le cadavre d'un être cher et au lieu de pleurer le malheureux défunt ils tournent leurs gros chagrin vers leur petite personne et s'apitoient sur eux-mêmes. Ramènent tout à eux. Le héros de cette tragédie en est un parfait exemple. Elle peut aller n'importe où dans l'outre-monde, jamais elle ne trouvera un mec aussi bien que moi affirme-t-il. Mais le guy n'est peut-être pas aussi mauvais que l'on pourrait le croire. Doit avoir des idées noires, pense à sa mort, demande à ce qu'on l'enterre dans un beau costume et que l'on rajoute une pièce en or de vingt dollars à sa chaîne de montre, afin que tout le monde sache qu'il n'est pas mort sans le sou ou dans la misère. Et puis Satchmo vous refile une fanfare funèbre à vous hérisser la moelle épinière, et ça se termine par une sonnerie aux morts aussi brève qu'un basculement de cercueil dans la fosse.

Dans la version filmée ils n'y vont pas de main morte pour la mise en images interprétatives, ils rajoutent sur la longue introduction musicale une scène qui n'est pas mentionnée dans les paroles, un gars effondré dans un bar à qui l'on demande ce qui ne va pas et qui raconte qu'il est allé voir sa petite amie morte à l'hôpital...I went down to...et pendant qu'il sanglote sur sa chérie l'on voit le fantôme de celle-ci qui quitte son corps et erre dans les rues, elle porte à son cou le double pendentif des portraits miniatures des deux amoureux qui communiquent entre eux. Retour dans le bar, le boy avale un dernier verre et s'écroule mort. Enterrement de première classe, mais alors que le cercueil est porté dans l'église, le couple fantôme se retrouve et s'enlace pour une dernière valse... Save the last dance for me ! le clip se termine sur deux tombes rapprochées. Unis dans la vie, réunis dans la mort, l'on dirait du Tristan et Iseult.

Emouvant, mais c'est ce qui s'appelle colmater les interstices. C'est un vieux blues, et l'on sait que les paroles de ces antiques morceaux ne sont pas fixes, selon que vous vouliez rallonger ou raccourcir une prestation live, vous rajoutiez ou supprimiez des couplets. Yes, my son, mais ce n'est pas vraiment un vieux blues, c'est une vieillerie encore plus ancienne. Elle appartient au folklore traditionnel américain. Toutefois c'est un amateur de jazz qui en a fourni le texte '' officiel '' chanté par Louis Armstrong. Blues, folk, jazz, l'on sent la foire d'empoigne. Quoi qu'il en soit le jazz marque un point, et pas par un troisième couteau de la deuxième arrière-cuisine, Irving Mills. Bien connu des amateurs de jazz, l'a monté son propre Big Band avec entre autres Tommy et Jimmy Dorsey, Lionnel Hampton, Eddie Lang et quelques autres du même tonneau. Mais il n'a pas eu que cette corde à son arc, parce que voyez-vous l'ar(t)gent c'est encore mieux, avec son frère Jack, l'a monté une maison d'édition, ce qui nous explique pourquoi en passant, abondance de biens ne nuit pas, il s'est dépêché de prendre quelques droits sur le Saint-James, juste pour l'argent de poche, parce que l'Irving, il avait de l'oreille et du goût, l'a repéré Duke Ellington, s'est dépêché de le cornaquer et l'a aidé ( hum-hum ) à composer quelques morceaux, par exemple Caravan pour qui vous aboyez et frétillez ( je n'ose pas dire de la queue parce que les lectrices pourraient se vexer d'être privées de cet appendice naturel ) de plaisir quand vous l'entendez. Bref avec une dizaine de titres Jack et son frère sont devenus millionnaires. Pourtant Irving n'était pas très fort en math, sont trois à signer Caravan mais il s'est trompé dans la division, cette lamentable erreur lui a permis de toucher 50 % des droits. Comme quoi, il avait les idées larges. L'a été le premier à enregistrer sur un même disque des musiciens noirs et blancs. L'a aussi inventé le concept de jazz-group exclusivement féminin. Un petit truc en plus sur Irving, utilisait aussi quelques pseudonymes, Good Goodwin qui pour nous est une fausse piste et celui de Joe Primrose qui nous intéresse davantage. D'ailleurs parfois Saint-James Infirmary Blues est signé : Joe Primrose. Mais les paroles ne sont pas identiques.

Mais retournons au blues. C'est Blind Willie Mctell né à la fin du siècle précédent mourut en 1959, en 1961 parut Last Session disque qui regroupe treize titres, le deuxième de la face A, enregistré en 1940, The Dying Crapshooters blues, l'est sûr qu'il peut avoir le blues Jesse , sa petite amie l'a quitté, pour un vieux plein aux as ( de cœur ), n'est pas tendre notre crapshooter a vite fait de régler ses comptes en lui refilant un as de pique ( en plein cœur ), l'a à peine trucidé son rival qu'une malencontreuse patrouille de police ( tout le monde la déteste ) survient, les flics l'abattent... tandis qu'il agonise il dicte ses dernières volontés, pas d'héritage, mais que les lanceurs de dés pipés qui furent ses amis, lui préparent un enterrement royal, une carte à jouer sur le cercueil et les plus belles filles des bordels en nombre, et que l'on danse le charleston... fait même preuve d'humour noir puisqu'il désire aussi la présence du shérif et du juge qui l'a maintes fois condamné... L'on reconnaît une situation similaire à celle de Saint James Infirmary Blues... Bref la triste vie d'un joueur. Retenez bien ce dernier mot.

Il existe d'autres versions du Saint James Infirmary, beaucoup plus longues. Parfois l'on rajoute une strophe de quatre vers juste après le début, le gars vient de trouver sa baby en mauvais état, mais pas encore morte, alors il file se renseigner à l'étage auprès du toubib, mais quand tous deux reviennent près de la malade, elle vient de mourir... C'est alors qu'il décrète qu'il faut la laisser aller où elle veut, jamais elle ne trouvera dans l'autre monde un gars aussi merveilleux que lui.

Ce petit couplet n'apporte pas grand-chose, peut-être le signe que l'histoire originelle est plus longue que la version d'Irving Mills pour Armstrong. En effet il en existe une autre version parfois nommée The gambler's blues. ( Souvenons-nous que Gambler signifie : joueur. ). C'est le même texte, mais avec un début et une fin. Un premier Narrateur qui raconte qu'il descend ( I went down ) au bar du vieux Joe, c'est l'heure de l'apéro mais son copain Joe McKennedy tire une drôle de trombine et ses yeux sont bien rouges. Ne se fait pas prier pour raconter son histoire, vous la connaissez, I went down to Saint-James Infirmary... invite en plus un lot de jolies filles et un orchestre de jazz à son enterrement. Mais le Joe Kennedy est encore vivant, tournée générale et ne vous étonnez pas toutefois s'il a le gambler's blues ! Blues des joueurs. Chez certains interprètes il a chopé le Saint James Infirmary Blues. Dans ces cas-là le titre est attribué à Irving Mills. J'ai cru comprendre mais je ne saurais affirmer que Irving Mills en avait rédigé une version brève et une plus étendue, de toutes les manières l'on ne crédite que les riches.

Reste une chose turlupinante. Que vous preniez le texte le plus long ou le plus court, il est un peu duraille pour la gent féminine, ( avec un peu de chance une pétition d'enragées interdira la diffusion de ce scandaleux morceau entaché d'idéologie ultra-machiste ), en grossissant un peu on résume ainsi : zut elle est clamsée, moi quand je mourrai je vous promets une fête d'enfer ! En France je ne vois que l'Alleluia de Jean Ferrat qui traite des fins dernières avec cet humour sardonique.

L'on a parlé Jazz, l'on a causé Blues, reste le Folk. Direction les Appalaches ( on ne lâche pas l'affaire ), en 1918 une chanson titrée St James Hospital débute par : As I went down by St James Hospital, one morning... mais là ce n'est pas un amoureux qui trouve sa petite amie hors-circuit, mais un père face au cadavre de son fils... ce serait une diversification d'une chanson de cowboy, The Dying Cowboy qui sur son lit de mort implore ses camarades de ne pas l'enfouir dans la prairie où hurlent les coyotes ( un truc qui fout les chocottes )... le morceau a été collecté par Cisco Houston qui fit partie des Almanacs Singers avec Pete Seeger et Woody Guthrie. Nous ne sommes pas loin de Dylan qui écrivit une chanson hommagiale à Blind Willie McTell...

Remarque particulièrement sexiste : dans ces deux chansons, ce sont de jeunes garçons qui meurent... Autre piste, comme par hasard il existe encore de nos jours un St James Hospital à Dublin. En Irlande. Lorsque l'on connaît l'apport musical des Irlandais au folklore appalachien, on a tôt fait de traverser l'océan. L'existait aussi à Londres un Lock Hospital ( spécialisé dans les maladies vénériennes ) qui est mentionné dans une chanson dans laquelle un jeune gars, The unfortunate lad, est atteint de syphilis. Quand on grattouille, on chope la chtouille. Il a la trouille, il est sur le point de mourir, pas très stoïque, il se plaint, et rejette la faute sur une jeune prostituée qui ne l'a pas averti de sa maladie. Nous sommes aux alentours des 1770, cela se sent, le garçon reconnaît qu'il aurait dû écouter son papa et sa maman qui lui recommandaient de ne pas fréquenter les filles de mauvaise vie. Mon fils tu périras par où tu as péché. Mais cette chanson est une reprise d'un poème The Buck's Elegy ( L'élégie du mâle ) qui débute par : As I was walking down from Covent Garden, le narrateur rencontre un soldat mal en point qui demande que lors de ses obsèques, ses camarades déposent des roses sur son cercueil, qu'ils fassent résonner leur tambour, et qu'ils tirent des coups de fusil en son honneur... Ces deux derniers morceaux sont très proches de The Unfortunate Rake ( L'infortuné débauché ) : As I was walking down by the lock... traditionnel irlandais...

Les musicologues attirent notre attention : Saint James Infirmary Blues n'est pas un blues mais une ballade. Sa structuration musicale dénote une origine européenne. Laissons les spécialistes s'étriper sur le sujet. Ce qui est remarquable c'est la logique de la filiation et de la passation de cette chanson. Si très vite l'on se détourne de la jeune morte, c'est parce que l'imagination a été happée par les plaintes du jeune mourant. Dans le trad irlandais l'on ne s'attarde guère sur la fille, elle est la cause maléfique, cela pue la moraline chrétienne à plein nez, mais le morceau traite des tristes conséquences. A tel point que chez les cowboys on a évacué la maudite garce, mais dans le blues, l'on n'aime bien les filles surtout si elle sont ardentes. Le sexe, l'alcool, le jeu, le fric, la flambe, voilà la belle vie. Si vous avez mieux à proposer, passez vite un coup de fil. Certes parfois ce choix de vie peut vous refiler le blues, mais uniquement quand le flacon est vide.

Une ultime notule : la première attestation de la présence de la ballade venue de la perfide Albion aux Etats-Unis remonte à 1840. C'est en ces années que Edgar Poe travaille sur Le Corbeau. Quel en est le sujet : une jeune fille morte que le poëte ne peut oublier. Toutefois l'apparition du vil volatile n'incite pas à la joie. Le poëte n'en profite pas du tout pour veiller à l'ordonnance de ses obsèques, mais il reste dans son fauteuil anéanti dans son chagrin pour au moins l'éternité. Dans son dernier poème Annabel Lee publié en 1849, le poëte reprend la même thématique de la jeune fille disparue, là non plus il ne commandite pas les préparatifs de son enterrement, il n'en a pas besoin, ne passe-t-il pas toutes ses nuits à ses côtés '' sa tombe près de la bruyante mer''. Cette inter-sectionnelle similitude entre culture populaire et connaissance savante ouvre un abîme de réflexion quant à l'interaction d'une espèce de conscientisation collective inter-subjective, telle que le philosophe Husserl l'a initiée en ses derniers écrits. Pour moi j'ai toujours pensé que le rock'n'roll n'est qu'un surgeon du romantisme européen.

Damie Chad.

ROCK'N'ROLL DANCE

C'est Tony Marlow qui a mis cette vingtaine de minutes de Reportage France 3 Rock'n'roll sur son FB. Si vous avez de bons yeux peut-être parviendrez-vous à l'apercevoir derrière les danseurs. Lui ou quelques uns des membres du Tony Marlow Blue Five, Frank Guetatra est au sax, Jean-Marc Bouchet à une même embouchure, Dominique '' Zen'' Gimonet à la contrebasse, et Stéphane Moufflier à la batterie. Interprètent le vieux standard de Moustache, J'ai jeté ma clef dans un tonneau de goudron, en totale relation avec les heures glorieuses du lieu : le Caveau de la Huchette. Le Blue Five de Tony Marlow a sorti un single Mademoiselle Voulez-vous danser / Blue Five Boogie en 1991, vous retrouvez le titre de la face A sur la compilation de Tony : 40 ans de Rock'n'roll 1978 – 2018, qui se doit d'être dans votre discothèque.

Mais le Marlow, il ne fait pas le marlou trop longtemps, deux minutes, en arrière-fond, ce n'est pas lui le héros de la pellicule. C'est Guilaine ( je ne sais si je respecte l'orthographe du prénom ) et Jean-Claude partenaire et mari de la belle. Les deux en vedette, mais surtout Elle en voix off. Une accro de rock'n'roll, comme moi plastronnerez-vous chers kr'tnt-readers, pas du tout, Guilaine est accro à l'acro. C'est ainsi, l'acro la branche. Quand vous la voyez longer le long de son quai de gare, vous ne pouvez imaginez que dans les images qui suivent, elle va s'envoler. Son péché mignon qu'elle partage avec Jean Claude c'est le rock acrobatique. Rien à voir avec le lindy hop pantouflard des familles du samedi soir.

Musicalement le rock acrobatique, ce n'est pas toujours le pied, dans l'extrait ça va du pire au meilleur, des Forbans à Elvis... sportivement c'est un superbe challenge. Faut avoir les amygdales bien accrochées pour s'en aller virevolter à quatre mètres de hauteur, réaliser un double salto arrière et enchaîner sur un rythme endiablé vrilles et saltos-avant comme si de rien n'était. La tête en piqué vers le sol à la vitesse d'un Spitfire. Moins dangereux pour le cavalier qui reste à terre mais perso le poids de la responsabilité de la réception ratée me paralyserait... Davantage un sport que du rock proprement dit - ce sont souvent des gymnastes qui se lancent dans cette discipline - les résultats de ces performances attribuées par des juges m'ont toujours paru à caution. Mais pour notre couple, ce n'est pas le plus important. Se définissent avant tout comme des fanas de rock.

J'aurais tendance à classer le rock acrobatique dans les arts du cirque, les paillettes, le bruit, les émotions, la foule... mais le rock lui-même m'est toujours apparu comme excroissance de cet art populaire et profondément élitiste et performant qu'est le cirque. Une tribu un peu à part. Lorsque Guilaine parle de ses sensations, de la griserie des applaudissements, des cris et des injonctions, l'on ressent la fièvre et la passion, le plaisir de se transcender, de se regarder dans le miroir des autres que l'on a allumé de désirs, une espèce de narcissisme provoqué que l'on partage pour mieux s'abîmer en sa propre image. Être soi en l'étant selon tous. Une étoile qui brille et s'éteint. Un moment de beauté ou de joie dans le monde. Et puis l'éclipse, qui n'est que l'absence de ce qui a eu lieu. A thing of beauty is a joy for ever a dit Keats.

Damie Chad.