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03/11/2021

KR'TNT ! 528 : ROD STEWART / ROCK HARDI / GRYS-GRYS / ALICE CLARK / ILS / ROLLING STONES / CRIUM DELIRIUM / ROCKAMBOLESQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 528

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

04 / 11 / 2021

 

ROD STEWART / ROCK HARDI / GRYS-GRYS

ALICE CLARK / ILS / ROLLING STONES

CRIUM DELIRIUM / ROCKAMBOLESQUES

TEXTES+ PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Hot Rod - Part One

Tous les gens qui ont vécu les sixties et les seventies aux premières loges ont dans leur cœur une petite place pour Rod Stewart. Son passage dans le Jeff Beck Group fit pas mal d’étincelles. Il amena ensuite les Faces au tout premier rang de l’aristocratie du rock britannique et enregistra en parallèle une série d’albums solo - the Mercury albums - qui ont marqué certaines mémoires au fer rouge. Bon alors après, ça se gâte terriblement, puisqu’il s’en va faire fortune aux États-Unis, perdant au passage toute sa crédibilité de British rocker. C’est dingue comme ses fans lui en voulaient à l’époque, même John Peel lui en voulait, alors t’as qu’à voir. Mais ça n’empêchait pas les plus fidèles d’entre-nous de laisser traîner une oreille, car quand même, Rod The Mod avait ce qu’on appelle une voix, et on espérait secrètement son retour aux affaires, mais pas celles de l’immonde période diskö, non, celles de l’amateur de grosses compos. En gros, il a connu le même destin qu’Elvis : un gâchis extraordinaire de talent à des fins d’enrichissement personnel. Mais si on lit son autobio, l’animal s’avoue volontiers convaincu d’avoir eu raison de vendre son âme. D’ailleurs, chaque fois qu’il est confronté à une situation compromettante, il s’arrange pour la retourner à son avantage, et c’est chaque fois un peu limite. Mais bon, c’est Rod. Il a tous les droits, même celui de nous prendre pour des cons.

Prenons un exemple : tout le monde lui a craché dessus durant l’époque diskö-pants de «Da Ya Think I’m Sexy». Pour se justifier de ce désastre, il cite les ventes, des millions d’exemplaires vendus à travers le monde, les plus grosses ventes de sa ‘carrière’. Voilà le travail. Il en déduit que si ça plaît à des millions de gens, ça veut dire que c’est pas si mal after all. Il pratique cet art dialectique typiquement anglais qu’on appelle le cynisme. Ah tu m’accuses de ceci ou de cela, eh bien je vais te dire gentiment pourquoi tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude, my friend. Il est même un grand spécialiste de cette tournure d’esprit, car évidemment, il ne supporte pas la moindre critique, surtout depuis que la reine l’a décoré. L’autre épisode puant dont il tente de se justifier est bien sûr celui de la fin des Faces. Plonk Lane l’avait flairé depuis longtemps, il voyait bien que ce pingre de Rod gardait pour lui ses meilleures compos - the Mercury albums - et comme Plonk n’avait pas digéré la trahison de Steve Marriott, il se méfiait de Rod comme de la peste. Au point de finir par quitter les Faces. Mais Rod est la réincarnation d’un renard, car il rejette la faute sur Woody, sans l’accuser directement, mais bon, vous savez, Woody jouait déjà avec les Stones, et ça n’est un secret pour personne, oui, oui, Woody était fait pour jouer dans les Stones, alors vous comprenez, sans Woody, les Faces n’avaient plus de sens, et donc voilà, direction Hollywood after all. Et puis vous savez, le climat là-bas, c’est pas pareil, vous avez le soleil. L’épisode le plus glauque est celui du old fart, c’est-à-dire le vieux pet. C’est ainsi que Johnny Rotten le surnommait dans une émission en 1977 - En 1977, Johnny Rotten called me an old fart. Not to my face, mais dans une émission de British télévision. J’avais 32 ans, donc je n’étais pas si vieux que ça. Et je n’étais pas non plus un pet, si vous voulez mon avis, et vous pouvez vérifier quand vous voulez - Il faut dire que Rod avait provoqué les punks en déclarant dans le NME : «There are no fucking safety pins falling of me.» Ce qui, ajoute-t-il, était provoquant, et c’était l’intention. Il se sort de cette histoire déplorable avec deux pirouettes : la première en rappelant qu’il était numéro 1 dans les charts anglais avec «I Don’t Want To Talk About It», juste devant «God Save The Queen». Le problème c’est que tout le monde se rappelle de God Save et pas de ton single, Rod. Deuxième pirouette : il rend hommage au mouvement punk : «Je ne dis pas que le punk m’a appris des choses, musicalement. Très peu, en fait. J’aimais l’attitude, le côté ‘vas-y et joue’. D’une certaine façon, c’était dans l’esprit des Faces. Mais pas la musique. La musique que j’aimais était la Soul, le rythm’n’blues, le folk, avec un peu de rock’n’roll pour faire bonne mesure. En même temps, le punk ramenait aux réalités. Il y avait tout à coup une poche de résistance. Il y avait un défi, un vrai public, un public très bruyant.»

Sacré Rod, il faut voir comme il embobine le lecteur. Comme il embobinait toutes ses gonzesses, car en gros, il a passé sa vie à draguer des grandes blondes, à les épouser et à les tromper aussitôt, et chaque fois, il trouve la bonne excuse pour se justifier, un truc du genre ‘oh la la je ne suis vraiment pas fait pour le mariage’. Tout ça pour dire que la deuxième partie de son autobio est un vrai calvaire, car Rod ne parle quasiment plus de musique, seulement de ses mariages et de ses divorces à répétition, le tout mélangé à des piscines et à des voitures de sport. Autant dire que ça pue, mais il est important de savoir que ça existe. Toujours la même histoire. Tant qu’on ne sait pas tout, on ne sait rien. Et l’histoire d’un mec comme Rod est une histoire importante qui encore une fois, jette un éclairage sur un destin comparable à celui d’Elvis. Disons pour simplifier qu’il s’agit à la fois d’un suicide artistique doublé d’une fantastique réussite commerciale. On vit dans ce monde, il est grand temps d’en prendre conscience.

L’autobio est entrelardée de courts paragraphes qu’il appelle Digressions. Les thèmes en sont ses passions, comme par exemple les trains électriques, l’art de se coiffer ou encore les voitures de sport. On a chaque fois tout le détail. Il est un peu l’inventeur avec Ginger Baker de cette imagerie de la rock star roulant dans Londres en Lamborghini. Dès qu’il a des sous, Rod craque. Il va s’acheter un bolide. Quand il signe son solo deal avec Mercury, il récupère 1.300 £, le prix d’une brand-new yellow twin-seater Marcos sports car. En 1964, il avait économisé sou à sou pour s’acheter une MG Midget (£430, précise-t-il), mais son père lui avait chipé ses sous pour payer une facture. Puis en 1968, il fit ce qu’il appelle le grand bond en avant avec a white Triumph Spitfire. Après la Marcos jaune du solo deal, il passe à une autre Marcos : a 2500 Ford V6 in silver grey - They were all the go in those days - Et en 1971, alors que l’argent coule à flots avec son solo deal, il se paye sa première Lamborghini : a Muria S - This Muria was a considerable investment: £6,500. Pensez qu’une maison comme celle que j’ai achetée à Muswell Hill valait à cette époque £5,000. My car valait donc plus cher que my house - Peu de temps après, il se paye une white Rolls-Royce, just for the heck of it. Quand en 1971, après le succès de «Maggie May», il s’installe à Windsor, il se paye une Lamborghini Espada. Après, ajoute-t-il, il y a eu deux ou trois autres Murias - Jeff Beck ricanait à propos de mes Lambos et de mes Ferraris. Il préférait les hot rods qu’il montait lui-même. Je les trouvais assez laids, avec ces gros pneus stupides à l’arrière et des gros pots d’échappement. Give me a Lambo, any day - Puis il part s’installer aux États-Unis et après avoir hésité pour une Corvette, il opte pour a Shelby Cobra. Il a aussi roulé en Porsche, mais au fond de son cœur, il préférait les Italian cars, for the beauty of them. En 2002, il sa paye une Enzo Ferrari pour rouler en Angleterre. Il adore rouler dans Londres en Ferrari. Il se paye ensuite une Ferrari Testarossa, une red Lamborghini Diablo et en 2009 a pale-blue Murciélago. Il précise un peu plus loin que sa passion était contagieuse, car lorsque les Faces ont signé avec Warner Bros., ils ont tous acheté des sports cars : «Ronnie bought a silver Mercedes 190SL, Kenny an MGA, Woody a red Jaguar and Mac a Triumph TR6.» Voilà, comme ça on sait tout.

Globalement, Rod suit la chronologie de sa mythologie. Il flashe sur Dylan en 1962 - Which is when I got to hear Bob Dylan’s first album. Now that really did move the earth - Il ajoute que cet album ne lui a pas seulement ouvert un horizon, il lui a dessiné son horizon - No other album has worked on me this way since - On comprend mieux pourquoi Rod a passé sa vie à truffer ses albums de reprises de Dylan. Puis il flashe sur Long John Baldry - un grand blond avec une voix énorme, un homme terriblement séduisant. Il avait du charisme à revendre et une énorme présence scénique. Il avait 23 ans quand je l’ai rencontré, juste cinq ans de plus que moi. Il s’exprimait à la perfection et il était toujours très bien habillé, il portait souvent a silver sharkskin three button suit with high-heeled boots - Comme des rumeurs circulent sur sa relation avec Baldry, Rod s’en sort avec une nouvelle pirouette : «C’était aussi un prodigieux buveur de vodka et un pratiquant invétéré de ce qu’il appelait the madness, ce qui était le nom de code pour des actes stupides in the name of fun. Il était aussi gay, et il m’a fallu du temps pour comprendre ce que ça voulait dire.» Il raconte ensuite qu’il s’est souvent retrouvé seul avec Baldry qui sortait de la douche avec une serviette nouée autour des reins, ou même parfois rien du tout - And this didn’t even register to me to my naiveté, as a signal - Plus loin, il se tire encore d’un mauvais pas avec Elton John : une photo les montre tous les deux à poil, mais dans des baignoires séparées, pas dans la même baignoire, il ne faut pas déconner. Baldry, c’est donc l’époque Hoochie Coochie Men, puis The Steampacket the first British Supergroup, un coup monté par Giorgio Gomelski autour de Long John Baldry, avec Brian Auger, Julie Driscoll et un Rod the Mod encore débutant. Julie Driscoll nous dit Rod travaillait alors pour Giorgio : elle ouvrait le fan mail des Yardbirds. Elle avait 18 ans et se disait passionnée de Motown. L’album de Steampacket est sorti sur le label du gros Giorgio en 1970, soit cinq ans après la bataille. Il présente un intérêt purement anecdotique et bien sûr les fans de Long John Baldry l’ont harponné au passage, pour l’entendre shouter sa fantastique version de «Cry Me A River». C’est Brian Auger qui ouvre le bal d’A avec «Back At The Chicken Shack», un big shuffle typique de l’early Trinity. Ricky Brown et Mickey Waller composent la section rythmique, mais c’est Vic Briggs à la guitare jazz qui vole le show. On l’entend encore faire des siennes dans le «The Inn-Crowd» qui suit et Rod the Mod vient duetter avec Jools dans «Baby Take Me». Il monte ensuite au créneau pour une version bien soulful de «Can I Get A Witness». Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire.

Rod profite de l’épisode Steampacket pour évoquer Sam Cooke : «Sam Cooke était devenu le real deal pour moi à cette époque, notamment deux albums, Night Beat (1963) et Sam Cooke At The Copa (1964).» Le groupe a duré un an - And we looked great, dressed to the nines, a complete fashion parade, on imagine le travail. Quand il est viré du groupe au terme d’un séjour à Saint-Trop, Rod monte Shotgun Express avec Peter Bardens et Beryl Mardsen, a gutsy singer from Liverpool. Il précise aussi que le guitariste s’appelait Peter Green et le batteur Mick Fleetwood.

Il touche enfin la terre ferme avec Jeff Beck. Enfin presque ferme, car les choses ne sont pas aussi simples qu’il y paraît - On a dit que je haïssais Jeff Beck, mais ce n’est pas vrai, ni pendant les deux ans et demi du Jeff Beck Group, ni depuis. Il y eut c’est vrai des périodes pendant lesquelles on devait faire des efforts pour se supporter. Le Jeff Beck que j’avais rencontré au Cromwellian était un type sérieux, très self-conscious et parfois assez brutal. Il pouvait être distant, mais à cette époque, il était déjà une rock star, ce que je comprenais. Nous allions former un groupe ensemble, son groupe, mais il y avait deux front-men, aussi existait-t-il une petite rivalité. On se respectait, c’est sûr, moi pour son jeu de guitare et lui pour ma voix et on savait qu’ensemble we could produce music that was pretty extraordinary - Pretty extraordinary ? C’est une évidence. Encore une fois, le Jeff Beck Group de Truth et de Beck-Ola est l’un des meilleurs groupes qui ait jamais vu le jour en Angleterre. Led Zep n’a jamais pu se hisser à leur niveau. Puis Rod entre dans le détail de la genèse et ce sont les pages les plus fascinantes de son autobio. Il rappelle que Jeff Beck voulait Jet Harris et Viv Prince comme section rythmique - Harris looked great, he had a big peroxyde hairdo, mais il était encore en convalescence après un accident de voiture, et il avait quelques problèmes avec l’alcool. Le jeu de batterie de Viv Prince faisait passer Keith Moon pour un conservateur. Jeff disait vouloir un hooligan à la batterie et Prince collait parfaitement, peut-être même un peu trop, d’ailleurs. On répétait dans une pièce au dessus du pub Prince of Wales on Warren Street et après une demi-heure de jam en mode twelve-bat blues, Jeff décida que ça n’allait pas et il les vira tous les deux - Rod finit par ramener son vieux copain Mickey Waller qui jouait avec lui dans Steampacket. Truth nous dit Rod fut enregistré en mai 68 à Abbey Road, en deux sessions de deux jours. Rod avoue que le Jeff Beck Group aurait pu devenir aussi énorme que Led Zep, qui, précise-t-il bénéficiait d’un gros avantage : des compos originales. Le Jeff Beck Group a tourné cinq fois aux États-Unis, où ils avaient bâti leur réputation, sur les traces des Yardbirds. Mais l’argent se fait rare. Mickie Most et Peter Grant managent Jeff Beck et donc le Jeff Beck Group. Un comptable nommé Derek Nibb verse des salaires de misère à Rod et Woody. Quand ils viennent voir Nibb le matin pour empocher leur salaire, Nibb les fait parfois poireauter jusque dans l’après-midi. Et puis en 69, Jeff Beck vire Woody, sous prétexte qu’il passe son temps à se plaindre et c’est la fin des haricots.

Grâce à cette expérience, Rod avait réussi à trouver son équilibre artistique, à avoir confiance dans sa voix, à s’approprier les chansons, une confiance qui avait grandi au cours de la période Long John Baldry et qui s’était cristallisée avec le Jeff Beck Group. Il savait alors qu’il avait un style à part, ce qu’il appelle distinctiveness.

Il entre ensuite dans la période des Mercury albums. À cette époque, Mickey Waller joue dans Steamhammer et quand Rod les voit sur scène, il flashe sur les deux guitaristes, Martin Pugh et Martin Quittenton. Ce sont eux qu’on entend sur les Mercury albums. Ils enregistrent le premier album en un peu plus d’une semaine. Il ressort «Man Of Constant Sorrow» du premier album de Bob Dylan et flashe sur l’«Handbags & Gladrags» que Mike d’Abo a promis à Chris Farlowe. Mais Rod insiste tellement qu’il finit par l’obtenir. Puis c’est Gasoline Alley et Every Picture Tells A Story, qui sera délogé de la tête des charts par l’Imagine de John Lennon. Côté ventes, Bridge Over Troubled Waters sera le seul album à surpasser Every Picture Tells A Story. Et bien sûr, Rod indique que «Maggie May» grimpe tout de suite en tête des charts, avant d’être délogé par «My Sweet Lord». Il est assez fier du niveau de ces mises en concurrence.

En parallèle démarre le wild ride des Faces avec Woody et les trois rescapés des Small Faces. Rod commence par raconter la fin, chacun voyage séparément et séjourne dans des hôtels différents, et chaque fois qu’ils s’adressent la parole, ça explose - But while it worked - God it was brillant! - Rod règle ses comptes avec Jag à qui il pose la question un jour de 1974 dans une party - Me: «Are you going to nick Woody from us?», Mick: «I would never do that.» - Mais les dés étaient jetés. Et quand Ronnie Lane quitte les Faces, Woody et Rod ont concluent qu’ils ont perdu le moteur du groupe. Avec Mac, Rod n’est jamais à l’aise. Il pense que des trois rescapés des Small Faces, Mac est le plus traumatisé, et il n’accorde pas sa confiance à Rod, the bloody singer. Mais bon le groupe fait comme dit Rod du good-time rock’n’roll. C’est leur slopiness qui les rend vulnérables et d’une certaine façon, entertaining. Rod avoue que les Faces utilisaient les fringues et l’alcool pour masquer leur manque d’assurance. Comme ils ne répétaient pas assez, ils préféraient monter bourrés sur scène, comme ça au moins, il n’y avait pas de problème. Rod rappelle aussi qu’au temps des Faces, le prog se répandait en Angleterre et il voyait les Faces comme l’antidote à ce poison de synthés et de mock-symphonies.

Pour l’illustration sonore de l’épisode Faces, on peut s’écouter un Rod Stewart & The Faces Live In London paru en 2007. Les Faces y font feu de tout bois, ils sonnent comme une grosse bécane, sans doute la plus grosse bécane de l’histoire du rock anglais. Avec «Take A Look At The Guy» on est en terrain connu. Seuls les Faces peuvent claquer des boogies aussi ravageurs. Ils chauffent leur «Sweet Little Rock’n’Roller» à blanc. On ne peut pas imaginer plus blanc que ce blanc-là. Rod the Mod adore aussi se vautrer dans le Rather Go Blind, et les Faces redoublent de facéties. On le sait, les Faces sont des facétieux. Ils sortent une monstrueuse version d’«Angel». Woody en fait trop, c’est dommage. Quand on a un chanteur comme Rod à côté, on le laisse chanter. Et le stade chante avec lui. Avec «I Can Feel The Time», on sent l’énergie d’un groupe in full flight. Puis ils font tout sauter avec «You Wear It Well». Ce fantastique shouter rentre dans le lard du Wear it well et l’apothéose s’ensuit avec «Maggie May», le hit anglais par excellence, en ce temps-là. La foule connaît les paroles de Maggie, alors c’est elle qui chante le premier couplet - It’s late september/ And I should be back at school - Version mythique - I know I keep you amused but I feel I’m being used/ Oh Maggie I couldn’t have tried any more - On avait tous ces paroles en mémoire à l’époque, avec celles de «Jumping Jack Flash» et d’«All Along The Watchtower». Dommage que cet abruti de Woody la ramène, il brise le charme. Quant aux quatre albums officiels des Faces, ils sont épluchés dans l’hommage à Woody mis en ligne en janvier dernier sur KRTNT.

Côté dope, Rod ne rentre pas trop dans le détail. Ce n’est pas Johnny Thunders. Allez, un peu de coke au temps des Faces. Il en prend parce que bien sûr elle est gratuite. Par contre, Rod ne fume pas, il a peur d’esquinter sa voix - Cocaine was best of all - Quand avec Woody ils s’aperçoivent qu’ils ont des trous dans la paroi nasale, il se fabriquent des suppositoires de coke - Bingo, on a découvert que ça fonctionnait très bien - Il nous suffisait d’aller dans la salle de bains and insert the required medication French-style, via the Harris - Puis quand il se marie avec Dee, il devient un peu parano et interdit la dope à la maison, à cause des descentes de police qui devenaient de plus en plus fréquentes to poor old Keith Richards. Mais globalement, Rod veille toujours à garder le contrôle. Il ne veut pas se retrouver legless or face down and comatose. Vers la fin du book, il avoue qu’il n’a jamais acheté un seul gramme de coke. On le savait radin, mais pas à ce point. Même quand il veut payer un verre, c’est impossible, car il y a toujours quelqu’un qui veut lui en payer un.

C’est pendant qu’il vit avec Dee, de 1971 à 1975, qu’il change de mode de vie : «Maggie May» fait de lui une superstar. Il se retrouve au centre de l’attention, comme il dit. Il relate aussi un épisode bizarre qui se déroule au Tramp en 1977 : il relève un défi adressé par Keith Moon : booze and coke all nite long - Moon was always dangerous - Mais bien sûr Rod ne tient pas. Moon l’entraîne ensuite chez Woody, puis dans une party où ils ne sont pas invités et enfin chez lui à Chertsey et là Rod dit stop, ce qui fout Moony en pétard : «You fucking ponce, Stewart. Come back here and finish what you started.»

Rod s’arrête parfois devant son miroir pour faire le point : «God, j’adorais mon job à cette époque, et je l’adore toujours. Qui n’aimerait pas être une rock star ? Surtout dans les années 70. J’avais fait mon apprentissage dans les sixties et j’ai connu la consécration dans les seventies, une époque où tout était entièrement nouveau et surprenant. Personne n’avait vécu ça avant nous.» Rod s’installe aux États-Unis et redémarre avec Atlantic Crossing. Tom Dowd trouve que les Faces ne sont pas assez bons pour jouer sur les cuts que veut enregistrer Rod et propose les MGs à la place. C’est là qu’il entame sa période d’américanisation. Il perd tout son cachet de rocker anglais. Il perd aussi tous ses fans anglais. Il le sait puisqu’il en parle. Il évoque aussi tous les albums pourris qu’il enregistre à la suite, avec des chansons que lui impose la maison de disques - I was beginning to think of myself as entirely a voice to hire - Jusqu’au moment où il réussit à redresser la barre grâce à Clive Davis qui est le seul à trouver intéressante l’idée du Great American Songbook, à une condition : ramener le son des grandes orchestrations. Rod va en faire cinq volumes, sur lesquels on reviendra dans un Part Two. Car ces cinq volumes sont d’une certaine façon la cerise sur le gâtö.

Avec simplement deux boxes et si on manque de place, on peut faire le tour du propriétaire : Rod Stewart - Reasons To Believe: The Complete Mercury Studio Recordings et surtout The Rod Stewart Sessions 1971-1998 qui date de 2009. La deuxième box propose carrément quatre CDs de versions inédites des grands classiques du hot Rod. Ça commence par une early version de «Maggie May». Il se carapate vite fait dans la couenne de sa mélodie. Ce hit n’a rien perdu de sa grandeur totémique, surtout pour les adolescents qui montaient à Londres en stop et qui entendaient Maggie May dans les bagnoles. Tiré des sessions de Never A Dull Moment, voilà une early version d’«Italian Girls», co-écrit avec Woody. C’est le full blown des Faces, à l’âge d’or du rock anglais. C’est déjà très ouvragé, à tous les niveaux. On retrouve l’énergie du chant dans une alternate de «Lost Paraguayos», Quittenton gratte sa gratte et la basse entre dans la danse. Tiré de la même session, voilà «I’d Rather Go Blind» chanté au sommet du lard suprême. La beauté du chant n’en finit plus de subjuguer. S’ensuit une version fantastique d’«Angel», avec Woody in tow. Hendrix toi-même ! Dès qu’il ouvre le bec, Rod te fend le cœur. Il installe le rock anglais dans la lumière mythologique d’un espace préraphaélite. Les cuts tirés des sessions semblent toujours sonner mieux que ceux des albums, ils sont plus raw, moins lisses. Tiré des sessions de Smiler, voilà «Farewell» monté sur le modèle de Maggie May. Puis Rod the Mod rend hommage à Dylan avec «Girl From The North Country». Pas de meilleur hommage sur le marché. C’est écrasant de verdeur fanatique. Il est chaque fois au mieux de l’interprétation, comme le montre encore sa reprise du «You Make Me Feel Like A Natural Man» composé par Goffin & King pour Aretha. Il est fabuleusement juste. Immense artiste. Trop facile d’aller le critiquer. Il faut l’écouter chanter. Puis on entre dans la période Atlantic Crossing. Il enregistre une partie des cuts à Miami et l’autre à Muscle Shoals. Il chante avec un feeling écœurant. Le big cut est bien sûr «Tonight’s The Night», le hit absolu. Avec le disk II, on entre dans la période résolument américaine et Rod va y perdre des plumes. «Rosie» est enregistré à Los Angeles avec, entre autres, Steve Cropper et Carmine Appice. C’est autre chose. Rod fait le show tout seul. Il essaye de recycler son factory wall en Amérique, mais ça ne marche pas. Derrière lui, on sent la grosse équipe. Trop grosse. On perd la finesse de Mickey Waller. Rod continue de vouloir faire du boogie («Hot Legs»), mais c’est du boogie en plastique. C’est un peu comme si les musiciens américains tournaient le boogie des Faces en dérision. Rod redevient un chanteur d’exception lorsqu’il chante seul en s’accompagnant à l’acou : «You’re In My Heart». Il reprend de l’altitude avec «I Was Only Joking» - I’m not different alfter all - Hot Rod is back. Encore une merveille avec «Scarred & Scared», il dispose du même pouvoir que Dylan pour pousser une mélodie vers le firmament. Il se montre encore déchirant d’insistance avec cette reprise de Frankie Miller, «When I’m Away From You». Heureusement, tout n’est pas bon dans cette période d’américanisation. Quand il n’a plus de bonne chanson à se mettre sous la dent, il peut devenir pénible. Sa version du «Maybe Baby» de Buddy Holly est de toute évidence l’une des plus belles. Dans les pattes de Rod, ça devient énorme. Retour fracassant au vieux boogie avec «I Guess I’ll Always Love You». Il démarre son disk III avec un «Thunderbird» tiré des sessions de Tonight I’m Yours. Il se croit tout permis, même de faire du gospel. Le pire, c’est que c’est excellent, yeah yeah. Puis il s’enfonce dans le raunch de Los Angeles. Aucun des musiciens n’est connu. Terminé le temps de Jeff Beck et de Woody. Rod joue avec des pros de studio et ça s’entend, même si la voix est toujours là - Dancing alone - Mais quel chanteur ! Les pros de studio essayent de sonner comme des Anglais. Rod chante «Sweet Surrender» comme un dieu, il faut bien se rendre à l’évidence. Tout est superbe dans cette box, dès qu’il ouvre le bec, Rod est magnifique. Comment un mec peut-il être aussi doué ? Il fait le show, quoi qu’il arrive, il chante tout à l’arrache subliminale. Dans «Heaven», il ne reste plus que la voix. On n’écoute même plus ce que font les autres, derrière. Sur le disk IV, on trouve deux hommages à Bob Dylan : «The Groom’s Still Waiting At The Altar» et «This Wheels On Fire». Il enrichit sa fascination pour en faire du heavy dylanex. Cette box est de la dynamite. Le Wheels on Fire est tellement puissant qu’il donne la chair de poule. Rod le tape au heavy grrove. On tombe aussi sur le vieux hit de Python Lee Jackson, «In A Broken Dream», mais dans une version réactualisée. Seul un mec comme Rod peut allumer ça, alors il l’allume au power pur, comme il allume Dylan - Everyday I spend my time/ Feeling fine/ Drinking wine - Voilà le génie de Rod The Mod, il en rajoute, il lève ses petites tempêtes, il sort là une version dévastatrice. Il charge tous ses balladifs à l’extrême, comme le montre encore «Kiss Her For Me». Ça finit toujours par devenir extraordinaire. On tombe plus loin sur un «On And On» assez puissant, Rod prend feu. Il reprend aussi le «Rocking Chair» de Noel Gallagher et un cut de Paul Weller qui s’appelle «The Changing Man». Quel mélange ! Rod fout le feu partout.

L’autre box permet de faire le tour de l’époque Mercury qui est sans doute la plus intéressante après celle du Jeff Beck Group. Rod Stewart - Reasons To Believe: The Complete Mercury Studio Recordings regroupe sur trois CDs les cinq albums avec lesquels Rod The Mod a démarré sa carrière solo, en parallèle avec sa carrière dans les Faces. Vu d’avion, on est bien obligé de parler de carrière, mais en 1969, Rod The Mod se contentait encore de chanter et il fallait le voir taper dans la Stonesy avec «Street Fighting Man», il le cramait d’entrée, il le prenait à la Rod, droit dans l’œil, le sol vibrait, les Stones rêvaient sans doute de swinguer aussi bien, ça jouait derrière aux accords déconstruits, mais Rod chantait ça dans l’os du jambon, shhhh, il envoyait la Stonesy rôtir en enfer, il tournait Jag, Keef et le rock’n’roll band à la broche, il faisait de «Street Fighting Man» une sorte de version définitive. Voilà pourquoi on le prenait au sérieux. Oh cette façon qu’il avait d’attaquer ses vieux cuts, avec «Blind Prayer» il incendiait la nuit. Il était le brasero du rock anglais, ce que confirmait encore cette version somptueuse de «Handbags & Gladrags» qui rivalisait de power surnaturel avec celle de Chris Farlowe. Il pouvait aussi taper le boogie à l’anglaise («An Old Raincoat Will Never Let You Down»), puisqu’il avait Woody on bass et Mickey Waller au beurre. Ils restaient dans la foulée de Truth et de Beck Ola qui font partie des joyaux de la couronne d’Angleterre. Il fallait aussi le voir enflammer le lament de «Cindy’s Lament», un vrai killer, et ça repartait de plus belle avec Gasoline Alley, un album tout aussi impressionnant, avec cette version d’«It’s All Over Now» amenée à la déboulade de platform boots et chantée d’une voix de roi du rock, c’était tout simplement imparable d’I used to love her/ But it’s all over now. Rod The Mod était déjà devenu un artiste extraordinaire. Il rendait hommage aux Small Faces avec sa vision de «My Way Of Giving», pur jus de British Mythology. Il rendait un peu plus loin un autre hommage, cette fois à Eddie Cochran, avec «Cut Across Shorty», il lui rentrait dans le lard et le Shorty prenait feu aussitôt. Comme Jerry Lee, Rod The Mod travaillait toutes ses chansons au corps pour se les approprier. Et puis on arrivait à une sorte de sommet de l’art avec Every Picture Tells A Story, il devenait à la fois roi du rock et roi d’Angleterre, il fracassait des slowahs comme «Seems Like A Long Time» ou «Amazing Grace» et on glissait doucement jusqu’à «Maggie May», le hit de non-retour, le hit broyeur de cœur, l’overdose de nostalgie, l’Angleterre éternelle de notre adolescence, le plus puissant de tous les hits, le wake up magique du late september, fantastique swagger du rock de Rod, il le balançait au Rod island de Maggie, et ça montait encore d’un cran avec «Mandoline Wind» d’une pureté sans égale, il lançait ses mandolines et les frissons ravageaient tout, mais ça allait encore monter d’un cran avec l’«(I Know) I’m Losing You» des Tempts, il tapait cette fois dans le gros lard, il retrouvait les climats cataclysmiques de Beck Ola, il explosait son losing you et en livrait une mouture insurpassable. Avec Never A Dull Moment, il donnait l’impression de se calmer, mais «Lost Paraguayos» intriguait par son aisance instrumentale, ces guitares espagnoles donnaient le vertige, il semblait que tout, jusqu’à la moindre note, était hissé au sommet de l’art. Qui mieux que Rod the Mod pouvait cultiver l’insoutenable légèreté de l’être ? Il roulait son «Italian Girls» dans une farine de Stonesy, il chantait ça à la volée de bois vert et attaquait son hommage hendrixien («Angel») au raunch pur. Il semblait être en quête d’éternité, ce qui est la clé de la métaphysique de l’art. Avec «I’d Rather Go Blind», il fabriquait l’archétype du heavy blues de Soul, jamais aucun blanc n’avait chanté comme ça. Il attaquait Smiler avec un gros clin d’œil à Chuck, «Sweet Little Rock’n’Roller», c’est là qu’on entendait aboyer Zak, le chien de Mickey Waller et la machine infernale se mettait en route, par de meilleur shoot de down home boogie down, on avait là le boogie anglais dans toute sa magnificence, hyper-chanté, hyper-joué, Rod et ses amis battaient bien sûr les Stones à plates coutures, il bouclait toutes ses phrases au ollah, comme un matador. Il retrouvait son aura de boss absolu avec «Sailor», il explosait aussi Sam Cooke avec «Bring It On Home To Me», non seulement il l’explosait, mais il le magnifiait, il se marrait en plein couplet, bring out your sweet lovin’, il avait tous les pouvoirs, en plus du pouvoir royal, il disposait des pouvoirs du mage. Et puis comme dans toutes les boxes, il y a quelques bonus pour lesquels on se damnerait, du genre «You Put Something Better Inside Me» ou encore «Every Time We Say Goodbye».

Voici quelques temps paraissait dans Uncut une interview assez pointue de celui que Michael Bonner appelle the rock’s most celebrated playboy. Rod y rappelle qu’il a beaucoup aimé l’argent et la célébrité - Who wouldn’t? - Il répond ça à chaque fois, comme si au fond il avait un peu honte d’avoir tellement frimé. Mais bon, il n’est pas le dernier à rappeler qu’il a les moyens de sa frime. Et comme il aime bien rappeler qu’il n’est en fait qu’un fils de North London plumber parvenu au sommet, Bonner s’en émeut. Rod n’aurait donc que peu d’estime de lui-même ? Allons allons, calme-toi, Bonner. Un Bonner qui poursuit sur sa lancée et qui a sans doute lu l’autobio, car il révèle que Rod est construit sur deux valeurs, la famille et le foot. Il oublie le blé. On voit bien qu’il tente d’assainir la réputation de Rod. Il va lui falloir douze pages pour ça, et ce n’est pas gagné. Après la famille et le foot, arrive Dylan. Oui, on le sait, un Bonner n’arrive jamais seul. Le problème c’est que Bonner amène Dylan comme une caution intellectuelle. Rod évoque le first Dylan album qu’il écoutait night and day, mais il avoue s’être ennuyé quand il a vu Dylan sur scène. Il met d’ailleurs dans le même sac Van Morrison, qui passe deux heures sur scène sans lever la tête. Rod va même jusqu’à avouer que ses filles auxquelles il avait payé des places pour voir Van étaient sur leurs portables au bout de deux cuts. Et il nous refait le coup de la pirouette : «But he is great, so is Bob.» Comme il n’a pas fait d’études, Rod avoue avoir appris l’art d’écrire des chansons en écoutant du folk. Bonner le branche sur le Jeff Beck Group et les tournées américaines, et là ce frimeur de Rod raconte qu’il étaient meilleurs que Sly & The Family Stone - gave them a run for their money - et il ajoute : «We blew the Grateful Dead way off the stage.» Bonner tend ensuite une perche grosse comme une poutre à Rod à propos de Led Zep qui leur a volé leur thunder. Et Rod avoue que c’est vrai, Jeff Beck le vivait mal, Jimmy Page, John Paul Jones et Robert Plant venaient les voir jouer sur scène et prenaient des notes. Pour Rod l’explication est simple : «We had the same manager, Peter Grant. Prick he was.» Ce gros malin de Bonner branche Rod sur l’album que Robert Plant et Alisson Krauss ont enregistré ensemble, Raising Sand. Alors, oui Rod aimerait trouver la girl pour duetter sur du stripped down comme ça - Bonnie Raitt would be great - Il y pense. Chaque chose en son temps, mon bon Bonner. Rod rappelle dans la foulée qu’il a vendu 27 millions de Great American Songbook, alors t’as qu’à voir ! Quand Bonner prend l’exemple de Ronnie Lane qui a fini sa vie dans une caravane, Rod dit que oui, la caravane ça plaisait à Ronnie, mais lui il préfère avoir ses quatre baraques : une à Hollywood, une en Floride, une à Londres et une autre dans le Sud de la France. C’est tout Rod. Il ajoute que tout ça est destiné à ses gosses et qu’il a bâti cette fortune uniquement avec sa voix. Et il n’en finit plus dit-il de trouver ça amazing.

Signé : Cazengler, Rote tout court

Rod Stewart. Reasons To Believe: The Complete Mercury Studio Recordings. Mercury 2002

The Rod Stewart Sessions 1971-1998. Warner Bros. Records 2009

Rod Stewart & The Faces Live In London. Immortal 2007

Rock Generation Vol. 6. The Steampacket. BYG Records 1970

Michael Bonner : Never A Dull Moment. Uncut # 250 - September 2018

Rod. The Autobiography. Century 2013

 

Rock Hardi moussaillon ! - Part Two

Fanzine libre et autonome, Rock Hardi continue son petit bonhomme de chemin, va de ferme en château, chante pour du pain, chante pour de l’eau, Rock Hardi est heureux et libre enfin.

Le point d’orgue du 58 est sans aucun doute l’interview d’Alain Feydri qui ne nous apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà de sa modestie, de son refus du piédestal, de cette façon qu’il a rejeter les lauriers sur les autres, de son horreur des compromissions et de sa sainte constance contestataire, avec tout le décorum qu’il faut, surtout lorsqu’il évoque le Figaro et les rockers sombrés dans la beaufitude. On profite pleinement de ces six pages et de cette faconde périgourdine pas si éloignée du long fleuve tranquille de sa prose, une prose qui ne veut pas dire son nom et qui fait bien entendu le charme discret de son Bourgeois Blues. Lorsqu’il évoque ses anciennes admirations, il ressort les noms d’Alain Dister, de Jean-Noël Coghe, de Jocelyne Boursier, des noms avalés par l’oubli, et puis bien sûr Garnier, mais ça s’arrête là, il veille à ne pas faire trop étalage de sa culture littéraire qu’on devine planquée derrière le rideau de pourpre de sa bonhomie. Curieusement, ces six pages prennent tout leur sens, puisqu’il s’agit de l’interview d’un vétéran du fanzinat par un fanzinard, et c’est d’autant plus remarquable qu’il s’agit d’un propos qui se tient. On ne passe pas à travers, comme c’est hélas souvent le cas. Quand on avait retrouvé Gildas à Binic en 2019, dans la maison qu’il louait avec ce qu’il appelait «l’ambassade toulousaine», l’Azerty Blues d’Alain Feydri trônait sur le buffet. On tourne la page et sur qui qu’on tombe ? Gino & The Goons, un groupe que Gildas passait régulièrement dans le Dig It! Radio Show. Et quand il passait régulièrement un groupe, ça voulait dire ce que ça voulait dire. Le chapô a raison de dire que ce groupe reste confidentiel. Gino & The Goons sont basés en Floride et Tim Warren leur donne un coup de main au mastering. Gino dit aimer les Stones, Dead Moon, Link Wray et des tas d’autres gros trucs, il en a la bouche pleine. Ah ces Américains ! Ils ne savent pas s’arrêter. Par contre Dan Sartain sait s’arrêter, il fait preuve d’une étonnante modestie. Il a sans doute cassé sa pipe très peu de temps après cette interview. On y apprend qu’il travaillait à une époque dans une pizzeria et qu’il est ensuite devenu propriétaire d’un salon de coiffure (barber shop). L’homme paraît incroyablement désintéressé. Il rend un hommage furtif à John Reis, via Swami Records. C’est avec lui qu’il a enregistré deux de ses meilleurs albums (Dan Sartain Vs The Serpientes et Join Dan Sartain). On apprend plus loin que le film sur les Country Teasers - This Film Should Not Exist - n’est pas de Nicolas Drolc mais de Massimo Scocca et Gisella Albertini, qui avaient suivi la tournée Crypt en 1995. Ils avaient filmé en super 8. Mais comme ils ne savaient pas monter, c’est resté à l’état de rushes. Alors Drolc leur a proposé de «reprendre» le projet. C’est vrai que le résultat est surprenant, c’est un vrai film rock avec toutes les qualités de ses défauts. On en a parlé ici en novembre 2020. Drolc reconnaît que c’était «intelligemment filmé». Là où Drolc devient bon, c’est quand il explique qu’il n’a pas de retours presse pour la promo de ce film - mis à part les fanzines - parce que dit-il, «toute la presse musicale branchouille parisienne se fout éperdument des Country Teasers depuis 25 ans.» Bien vu. L’underground reste l’underground et c’est sans doute ce qui le sauvera. L’autre morceau de résistance du 58, c’est bien sûr l’interview de Little Bob que les Havrais appellent ‘Ti Bob. On peut même parler d’une interview fleuve. Chaque fois qu’il prend la parole dans la presse, Bob raconte des histoires rocambolesques, il entre dans les détails et on sent nettement le vécu. Il revient sur les deux Mont-de-Marsan (76 et 77) pour balancer quelques anecdotes croustillantes, on se croirait dans la cour du lycée, puis il attaque sur les tournées en Angleterre à l’époque où les punks anglais crachaient sur les musiciens : il nous sort l’histoire hilarante des 500 crachats sur Téléphone, en première partie des Ramones à l’Hammersmith. Il n’est pas très charitable pour Marc Zermati qui de son côté ne l’était pas non plus pour lui, mais ça c’est leurs histoires. Bob est tellement en verve que Rock Hardi doit lui couper la chique, il a déjà douze pages, donc il faut réduire la cadence. Alors Bob fait un crochet au Havre pour saluer les François Premiers, puis il raconte son concert à Matignon pour l’ancien maire du Havre qui était alors Premier Ministre. Tout cela nous replonge bien sûr dans des vieux souvenirs de concerts, notamment un set à la salle Sainte-Croix-des-Pelletiers, early seventies, où entre deux morceaux Bob demandait au public : «Est-ce que vous m’aimez ?», il faisait son Johnny et ce n’était pas du meilleur goût. Et puis un autre souvenir, plus tard, à la Villette, un copain appelle pour dire qu’il y a les Pretties sur scène, ah bon ? Alors on y va, mais c’est un set des Blues Bastards et effectivement Phil May apparaît pour faire les chœurs pendant les rappels. Épisode très bizarre, une sorte de monde à l’envers. Sur le CD du 58, on trouve deux cuts de Bob. Mais Gino & The Goons raflent la mise avec leur heavy Dig It! stuff. «Do The Get Around» est bien explosé, ces mecs sont des gros dingues de trash gaga-punk, c’est vite plié des gaules, Gildas ne s’était pas fourré le doigt dans l’œil, on a tout là-dedans, la dégueulante et les guitares qui saturent, pas de pire équipe sur cette pauvre terre ! L’autre grosse surprise, ce sont les deux cuts des Needs d’Aix qui ont aussi leur interview. Ils sont bons, ils jouent au bord de la perte d’équilibre, c’est noyé de son et ce mec épelle ses lettres dans le chaos, D, O, R, A. Encore mieux : leur «Dead Fish» est digne des Heartbreakers. Chapeau bas.

On reste dans les ténèbres de l’underground avec le 59 et El’Blaszczyk. Pour se rappeler comment ça s’écrit, il faut juste mémoriser le sz-cz, après ça revient tout seul. Là, on entre non pas sur les terres du Comte Zaroff mais sur celles de Mono-Tone, le label underground par excellence. Et comme le chapô parle de Dada, c’est dans la poche. Et en plus, El’Blaszczyk se réclame de «Vian, Yanne, Averty et Mocky». Il a tout bon. D’où sa nostalgie. Nostalgie d’une époque qu’il aurait voulu vivre. Passion pour les apéros démodés et pour les apéros atomiques du futur. Puis dans le feu de l’action, il cite des héros du temps passé : Boby Lapointe, Pierre Vassiliu et Ricet Barrier, Hector et Henri Salvador, Ginette Garcin et Arletty, et puis Fernandel pour «sa diction hyper-articulée». Ça fait des bulles dans Rock Hardi ! On trouve d’ailleurs deux cuts d’El’Blaszczyk sur le CD du 59, «Pop Scoteka» et «To Jest Drogo». C’est du rococo aquatique, pour y entrer, il faut chausser des palmes et ne pas oublier le tuba. Plus loin, Alain Feydri interviewe les Toulousains de Don Joe Rodeo Combo, qui disent vouloir marier Link Wray à Baudelaire et qui en sont à leur troisième album. Démarche intéressante et références intéressantes (MC5, Gainsbourg, Count Five). Alors on écoute «Rien Dans le Cœur» pour se faire une idée. Joli coup, c’est bien foutu, bien monté, bien introduit dans la vulve du son.

Puis Rock Hardi salue bien bas le nouvel album des Demolition Doll Rods, qui arrive quatorze ans après la bataille. On sait tout de la reformation et bien sûr Larry Hardy fait paraître l’album sur son label. On y reviendra, c’est sûr. Quant à Paul Roland, il n’évoque pas Fernandel ni Boby Lapointe, mais Bram Stoker et MR James. Il rappelle qu’il fut dans les années 80 sur New Rose et Bam Caruso, ce qui fait de lui un artiste culte, un de plus. Comme on ne le connaît que de nom, on profite des deux cuts que propose le CD : dark folk capiteux, ce mec cherche la petite bête dans les dark shades. C’est un autre monde, loin là-bas, comme dirait Huysmans, mais avec un étrange goût de revienzy. Oh ! Voilà les Psychotic Youth, reformés à la demande de Kurt Baker, un autre chouchou de Gildas. Comme le monde est petit. Les Psychotic Youth furent à une époque les rois de la power-pop. Attention, cette équipe de popsters suédois compte parmi les plus puissantes du monde. La compile Bamboozle parue en 1994 offre un joli panorama des Psychotic possibilities. Bien bombardée au bassmatic, leur reprise du mythique «When You Walk In The Room» de Jackie DeShannon pourrait bien te faire tomber de ta chaise, on t’aura prévenu. Par contre, «Summer Is On» sonne trop pop, trop sunshine, à force de bonne humeur et de dents blanches. Disons qu’ils passent leurs Nerves. «MTV» ne manque pas de power et «Mercy» confirme l’excellence de la globalité. Si on en pince pour les Nerves, Psychotic Youth est une bonne adresse. On sent même une certaine virtuosité poppy dans «Elevator Girl». Ils évoluent à un très haut niveau frénétique, c’est sûr. Ils finissent l’A avec l’excellent «Hang Around», pur jus de juke. Ils reviennent en B niaquer «How Long Will It Take». C’est une compo de Peter Case, ce qui ne surprendra personne. Ils passent au blasting pop-punk avec «Hot Red Girl», très joué, très rythmé, très sain. «Speak The Same Language» sonne aussi comme un hit et ils stompent «The Girl’s Alright» à l’exaction psychotique, ce qui paraît logique pour des Psychotic Youth. Le conseil qu’on pourrait donner serait de ne pas les perdre de vue. Ce que fait très bien Rock Hardi, qui en plus balance dans le CD un joli shoot de «Take You Down». Avec ça, ils sont tout de suite au power-top de la power-pop, avec du son, des chœurs et de la wah qui giclent dans tous les coins. Et juste avant eux Johnny Jetson casse bien la baraque avec un «Love Me For My Car» bourré de ferraille et de swagger, il fait un glam de dépouille et c’est excellent. Il récidive aussitôt après avec «Knocked Out», il ramone le créneau de la cheminée, c’est-à-dire qu’il joue avec le feu du power gaga-punk. Et puis Rock Hardi tend son micro à Nicolas Moog dont le big Underground fait actuellement la une de l’actualité bédéto-éditoriale. Tout le monde en parle, une expo est même prévue au 106, avec un concert du groupe de Moog, Thee Verduns. Moog parle d’un ton très direct, sans fioritures, il n’aime ni les patrons, ni les banquiers et dessine dit-il pour survivre.

Un peu plus loin figure la chronique d’une compile intitulée Sous Le Soleil Du Midi. Belle coïncidence, puisqu’on en a rencontré l’instigateur voici deux semaines chez Parallèles, aux Halles. L’homme est très attachant et très féru, et la moindre des choses est d’écouter cette compile qu’il n’hésite pas un seul instant à offrir. Elle raconte l’histoire «du temps où Montpellier rockait», le temps du «french punk rock» des années 80, et l’époque où Raph a monté son studio, La voix de son chien. Dans le petit texte de présentation, il rend hommage à OTH et aux TV Killers qui sont dit-il les parrains du projet, et qui ont chacun deux cuts sur la track-list. Trois choses. Un, à l’écoute de l’ensemble, on sent pointer un réel enthousiasme. Comme la scène toulousaine, celle de Montpellier devait être joyeuse et bourrée de cette énergie festive qu’on appelle aussi l’énergie de l’apéro. Here we go ! On va voir jouer des groupes pour s’amuser. Deux, on trouve pas moins de six hommages à Johnny Thunders, tous bien calibrés, à commencer «You Can’t Get Your Arms Around A Memory» repris par le Général Alcazar, oui oui, celui de l’Oreille Cassée. On trouve un peu plus loin une solide version de «Pipeline» signée Jeff Dahl, aussi solide peut-on dire que celle qui ouvre le bal de So Alone. The Electric Buttocks trashent l’«All By Myself» des Heartbreakers, on ne sait pas si c’est délibéré, mais ça passe comme une lettre à la poste, comme quoi il faut parfois savoir se montrer inonoclastic. Puis la Deconnection tape le «Treat Her Right» qui se trouve sur Copy Cats, ils sont bien dans l’énergie de l’hommage, quelle belle avoine ! Les Mystery Boys s’éreintent à vouloir jouer l’un des cuts les plus difficiles à jouer, «Personality Crisis», et ça se termine avec Chris Waldo et un «In Cold Blood» gratté dans l’aléa. On aimait bien Johnny Thunders à Montpellier, c’est la deuxième bonne nouvelle de la compile. Trois, on a droit à une petite révélation. C’est la raison pour laquelle on écoute les compiles. Cette fois, la révélation s’appelle Splurge. Comme OTH et les TV Killers, ils ont deux titres, dont un «Watch Out» qui ouvre le bal. Après une intro de basse incertaine, le Watch Out est vite rattrapé par les requins, c’est-à-dire la guitare disto et le chant qui veut bien. On dresse l’oreille car le mec chante bien. Splurge est heavy on the sludge. Ils sortent une véritable purée à l’anglaise. Ce que va confirmer «You». Le mec chante à l’héroïque, comme Johnny Rotten. Fantastique qualité du chant doublée d’une fantastique qualité du jeu de guitare. Sinon Raph jouait avec son groupe les Rabbit Stoïks un heavy punk de la nuit tombée qui tenait bien la route. On entend aussi les Circlips ferrailler leur «Bill Gates» et il faut attribuer une mention spéciale au batteur des Brain Sneakers car il bat «Bad Girl» à la diable vauverty. On entend rarement des mecs battre aussi sec et sick. On l’entend moins dans «Crazy Hospital» car ce brûlot est couvert par les guitares. On ne peut pas tout avoir.

Signé : Cazengler, Rock Hardu

Rock Hardi # 58. Fanzine libre et autonome.

Rock Hardi # 59. Fanzine libre et autonome.

Sous Le Soleil Du Midi. La Voix de Son Chien 2021

 

L’avenir du rock

- La nuit tous les chats sont Grys-Grys

 

En quête d’exotisme, l’avenir du rock se paye un voyage en Jordanie. Petit, il a lu et relu Coke En Stock et il s’est juré qu’il irait visiter Pétra, la cité sculptée dans la roche, quand il serait grand, et qu’il ferait ça à cheval, comme Tintin et le capitaine Haddock. Il arrive à Amman, pose son sac à l’hôtel et se rend au marché pour acheter un cheval. Mais ce n’est plus la saison. On lui propose un dromadaire. Bon d’accord. Le lendemain à l’aube, il part en direction de Pétra avec un équipement léger et sa boussole. Bon, la boussole, c’est de la frime, il n’a jamais su s’en servir. Il faut savoir que l’avenir du rock a ses petites manies, comme tout le monde.

À la sortie de la ville, un paysan lui indique la direction.

— Wallah wallah, sahib !

Il fait route pendant tout le jour, dodelinant au sommet de son dromadaire comme Lawrence d’Arabie. De temps en temps, il sort sa boussole, mais il ne comprend rien. Le soleil se couche et il se retrouve en plein désert. Comme il a la trouille des serpents et des araignées, il reste perché sur son dromadaire pour somnoler. Bien sûr, il se casse la gueule. Il ordonne au dromadaire de s’agenouiller pour pouvoir remonter.

— Yallah !

Il remonte en selle.

— Yalloh !

Le dromadaire se redresse.

Pendant trois jours, l’avenir du rock erre dans le désert. Il ne se doute même pas qu’il est arrivé en Syrie. Et pouf, pas de pot, il tombe sur une patrouille de l’État Islamique qui l’accuse d’être un espion américain.

— Amelican ! Amelican !

Ils le ramènent au camp pour le décapiter. L’avenir du rock n’a pas besoin de comprendre l’arabe pour savoir ce qui lui pend au nez. On le jette dans une cabane après l’avoir roué de coups.

Pas de remords. Se planter, ça arrive à tout le monde, même à l’avenir du rock. Pour dédramatiser, il sort sa phrase favorite : La nuit tous les chats sont Grys-Grys... Après tout, finir comme Danton et Robespierre, c’est quand même plus classe que de finir dans un Ehpad à la mormoille.

 

En 2019 paraissait le premier album sans titre des Grys-Grys, l’album du phare, comme on dit chez les Bretons, puisqu’on les voit photographiés au sommet d’un phare. Ils sont toujours dans le british Beat, mais avec un parfum psyché extrêmement capiteux. «The Day» n’est pas très loin des Sorrows. Sous la peau du beat, ça gronde d’excellence, notamment dans «Brother Tobio». Ils se livrent à de sacrées remontées d’intérêt général. Mais ça commence vraiment à chauffer en fin d’A, avec «Got Love», qui est lancé comme Boom Boom, avec un rentre-dedans de revienzy à l’anglaise. Et ça continue avec «Satisfy The Lord Of Anarchy», un exercice de style digne du raunch des early Stones. Pas de problème, les Grys-Grys savent couler un bronze. C’est même un sacré coup de génie. Le festin se poursuit en B avec l’effarant «In A Loop». Ils rentrent dans le lard de la mad psyché et les ponts sont dignes non pas de la rivière Kwaï, mais de la rivière Who, alors t’as qu’à voir. Ah mais ce n’est pas fini ! Voilà qu’arrive au galop «She Just Left» un solide boogie blast embarqué à coups d’harmo, bien râblé et joué dans la chaleur de la nuit. Quelle violence, c’mon ! Ils sont en plein essor avec «Daylight Robbery», un boogie rock à la sauce sixty-five, leur son tient du meilleur teenbeat anglais, all the rage, ils naviguent au même niveau que les Downliners, les Pretties et les early Stones. Encore une horreur d’exaction parégorique avec «It Ain’t Right». Ils labourent les côtes du lard et alimentent la polémique. Rien de ce qui est excellent ne leur est étranger.

Leur deuxième album paraît sur Norton cette année et s’appelle To Fall Down. Pochette fantastique, l’image rivalise de grandeur tutélaire avec celle de la pochette du deuxième MC5, photo noir et blanc de backstage fumant, wow wow wow, back in the USA ? On se frotte les mains, miam miam, on lance l’A et on tombe sur un «I’m Going Back» assez classique qui peine à gicler, même s’il sonne bien les cloches. Comprenez qu’on attend des miracles de ces mecs-là. Pas facile de vouloir créer la sensation en permanence, ce n’est pas automatique et ce n’est pas non plus un métier. Il faut être béni des dieux pour ça. Ça devient poppy avec un «Tell Me» qui ne fonctionne pas et «Watching My Idols Die» renvoie sur l’Heart Of Stone des early Stones. L’A retrouve enfin des couleurs avec un «See Me Frown» plus psyché, chauffé à coups d’harmo, un Frown qui renoue avec les sixties et l’évangélisation de la jeunesse américaine par les tenants et les aboutissants de la vieille Angleterre. Tu cherches la viande ? Elle est là, en B, avec «Milk Cow Blues», amené au Downliners stomp, en fourbasse, par en dessous. C’est là qu’ils sont bons, dans le raw de l’heavy British beat, dans l’aube claire du rock anglais, ils sont dans le Don Craine et le Phil May de l’origine de tout. L’autre hit de l’album est le morceau titre qui referme la marche. Belle cavalcade, ils restent dans la fière allure avec une basse bien sous-jacente et un killer solo flash salement envenimé. Ils adorent le son bien ferme sous la peau du beat, avec des guitares dans le coin de l’oreille, comme celles des Groovies et des descentes de chant dignes de celles de Roy Loney.

Ce serait bête de faire l’impasse sur les premiers singles des Grys-Grys qui étaient certainement les plus explosifs. Bon exemple avec «Left Unseen/It’s Mighty Crazy», joli slab de fuzz punk rave up, ultime purge de surge, digne des géants du genre, surtout le Mighty Crazy de Lightning Slim que les Grys-Grys font sauter à la dynamite.

Les Grys-Grys auraient splitté. L’avenir de rock a raison, la nuit tous les chats son Grys-Grys.

Signé : Cazengler, gras-gras

Grys-Grys. Les Grys-Grys. Groovie Records 2019

Grys-Grys. To Fall Down. Norton Records 2021

Grys-Grys. Left Unseen. Dirty Water Records 2015

 

Inside the goldmine

- Alice au pays des merveilles

Allongé sur la plage, il scrutait l’immensité du ciel. Il réalisa soudainement qu’il n’était pas grand chose, comparé à cette immensité et ce sentiment lui plut énormément. Par contre, sa bite en érection le ramenait aux réalités terrestres. Il avait tellement la trique qu’il voyait le gland pointer sous l’élastique du maillot de bain. Il faisait déjà chaud sur la plage, il sortait de l’eau. Il venait de passer sa première nuit dans les bras d’une gonzesse. Son esprit et son corps d’adolescent étaient encore en chantier. Elle s’appelait Alice et elle l’avait invité dans sa tente au camping. Elle venait de Cherbourg et sa mère tapinait sur le port. Alice avait des seins extraordinaires et il ne comprenait toujours pas pourquoi elle avait opté pour lui, et pas pour l’un de ces beaux mecs un peu plus vieux, comme Mao et Philou qui avaient du poil sur la poitrine et des grosses rouflaquettes. Ces mecs se baladaient sur la plage avec leurs paquets de clopes glissés dans l’élastique du maillot de bain. Ils venaient des banlieues et portaient des tatouages dans le dos et sur les bras. Ça nous faisait tous rêver. Il se remémorait toutes les secondes de cette première nuit, il se revit se glisser dans le duvet qu’elle avait ouvert, puis il la revit défaire son soutif et tout le bataclan à la suite, la motte, la main, laisse-moi faire, et puis la voix de sa mère dans la tente voisine, fermez-vos gueules, on voudrait bien dormir. Il sentait que sa bite allait exploser. Alors pour calmer le jeu, il retourna à l’eau et nagea un peu. Puis il revint s’étendre sur le sable mouillé, et se mit à chanter un truc qu’il aimait bien et qui passait à la radio cet été-là - J’avais dessiné sur le sable/ Son doux visage qui me souriait/ Puis il a plu sur cette plage/ Dans cet orage, elle a disparuuuu - Il ne comprenait rien à ce sentiment nouveau fait d’attirance sentimentale et de désir animal, alors il se mit à hurler : «Et j’ai crié/ Crié/ Aliiiiiice/ Pour qu’elle revienne/ Et j’ai bandé/ Bandé/ Oh j’avais trop la triiiiiique !».

 

Évidemment, Alice Clark n’a rien à voir avec l’Alice de la plage abandonnée. Alice Clark est une petite black que Lewis Carroll aurait pu choisir s’il avait bien sûr possédé un tourne-disque. Pour ceux qui la connaissent, Alice Clark c’est Alice au Pays des Merveilles. Il n’existe qu’un seul album d’Alice paru en 1972, un album sans titre. Et puis Ace qui fait toujours bien les choses a sorti en 2010 The Complete Studio Recordings 1968-1972, sur lequel on s’est tous jetés.

Attention, Alice Clark est un peu à part. Le mec qui la présente pour Ace, Dean Rudland, parle d’acid jazz et de modern soul scene et bien sûr ce sont les Anglais qui l’ont redécouverte dans les années 90, ce qui a fait flamber le prix de l’album paru en 1972. L’album original vaut aujourd’hui 500 euros. Par chance, il a été réédité. En tout, elle n’a enregistré que quinze cuts, dont dix figurent sur son unique album. Comme les Crystals, avec lesquelles elle partageait d’ailleurs le même manager, Alice venait de Brooklyn. Elle tenta de percer pendant trois/quatre ans, puis nous dit Rudland, elle s’est retirée du biz pour s’occuper de ses enfants. Rudland a fini par retrouver sa trace via l’un de ses sept petits-enfants, Ace Clark, qui explique qu’Alice a cassé sa pipe en bois assez jeune, en 2004 et qu’elle n’a jamais su qu’elle était l’une des reines des dance-floors britanniques. Reine tout court serait-on tenté d’ajouter.

Oui, rien qu’à la voir, que ce soit sur la pochette de son album ou sur celle de la compile Ace : elle a le port d’une reine de Nubie et des seins extraordinaires, comme l’autre Alice, justement, celle de Cherbourg. Dès l’«I Keep It Hid» de Jimmy Webb, on assiste à un stupéfiant concassage du rythme, le son s’étale dans l’éclat d’un matin magique, elle transforme la Soul en mer étale, avec une fabuleuse dynamique d’acid jazz - Maybe someday - C’est l’un des sommets de l’art. L’autre coup de génie s’appelle «It Takes Too Long To Live Alone». Elle attaque son groove de jazz de front, elle se swingue à la vraie vie, elle est dans cette puissante certitude, dans les tréfonds du sensible, elle chante à l’intelligence pure du son, elle ne module que des pulsions et des émotions, elle en jette partout, elle rayonne d’espoir, elle devient une merveille inexorable, elle poussent des ahhh qui atteignent les zones érogènes. Avec l’«Hey Girl» d’Earl de Rouen (qui est le percussionniste de Donny Hathaway), elle entre dans le lard de la Soul par le jazz, c’est stupéfiant d’audace, elle va droit sur Sarah Vaughan. Et le solo de sax vaut bien ceux de Charlie Parker.

L’autre info essentielle, c’est que l’album est sorti sur le label de Bob Shad, Mainstream. Shad était un amateur de jazz qui se mit à sortir des albums de rock quand il a vu que ça se vendait, notamment le premier album de Big Brother, puis il est passé à la Soul avant de revenir à ses premières amours, le jazz. Et Alice. On trouve aussi trois cuts de Bobby Hebb sur l’album, notamment l’excellent «Hard Hard Promises» qu’Alice chante par dessus les toits, elle pousse son bouchon tant qu’elle peut. Hebb signe aussi l’excellent «Don’t You Care», embarquement pour Cythère immédiat, elle swingue sa Soul comme une reine de Java, elle grimpe au sommet des bouquets de cuivres, elle fonctionne au vif argent, elle court dans le son comme le furet, elle brille de mille feux, elle règne sans partage sur l’acid jazz, don’t you care ! Elle tape un autre hit d’Hebb, «Charms Of The Arms Of Love», plus groovy, elle s’y faufile néanmoins comme une déesse, et là on arrive une fois encore au paradis. Et puis voilà les inédits, «You Got A Deal» de Billy Vera, on se croirait sur un album d’Aretha, c’est exactement le même son, elle monte bien sur ses grands chevaux. Autre merveille arrachée à l’oubli : «You Hit Me (Right Where It Hurt Me)», qui est en fait son premier single, paru en 1968. Elle déroule bien sa Soul sur l’horizon, avec une belle basse voyageuse dans les parages. Comme Aretha, elle va chercher sa viande de Soul, c’est très au dessus de la moyenne. Sur la B-side de ce premier single se trouve «Heaven’s Will (Must Be Obeyed)», une heavy Soul visitée par la grâce. On comprend que les Anglais aient craqué. «Never Did I Stop Loving You» figure un single Acid Jazz paru en 2004 : elle entre dans le lagon du groove comme Marvin, et derrière elle ça joue au jouissif définitif, avec des échelles de cuivres et une basse qui fait le grand écart, alors elle s’abandonne aux montées de fièvre et coule Broadway dans l’éclat de la Soul, un mec derrière bat le beurre du diable à la cymbale, elle claque son loving you à l’Aretha, avec les coups de reins de Nina Simone et l’exubérance en plus. Never ! Cette femme sait se fondre dans l’or du Rhin. Avec «Say You’ll Never (Never Leave Me)», elle se lance dans une Soul aventureuse, elle occupe tout l’espace, elle module au fil du chant une Soul qui ne demande qu’à éclore, elle réussit même l’exploit de chanter comme une jeune prodige, à l’accent innocent.

Signé : Cazengler, tête à clarks

Alice Clark. Alice Clark. Mainstream Records 1972

Alice Clark. The Complete Studio Recordings 1968-1972. BGP Records 2010

 

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Diable un groupe américain qui portent un nom français, Forêt Endormie ferait-il des émules ! En plus une pochette pleine nature ! Quoique si on zieute d'un peu plus près, d'accord pour les arbres et le ciel bleu, mais cette espèce de brume quasi-invisible avec cette drôle ( pas du tout rigolote ) ambiance, hum-hum serais-je sur une fausse piste, d'autant plus que ça ne colle pas avec le label P. O. G. O. Records, les accointances du rock avec le mystère Symboliste et les climats à la Debussy, ce n'est pas tout à fait le rayon de Pour des Oreilles Grandes Ouvertes, tape en règle générale plutôt dans la tonitruance, d'autant plus que Curse ne se traduit pas par course forestière et encore moins par promenade champêtre, mais par malédiction. Ce qui change la donne. De surcroît, ces derniers temps ILS a fait beaucoup de bruit dans le Noise. Esgourdes fragiles abstenez-vous de cette chronique. Inutile de me chercher noise, car vous trouverez. Tant que l'on est dans les traductions, sachez que le nom du groupe ne se traduit pas, l'est nécessaire d'effectuer une translation, chacun la sienne, moi je propose le mot FILS ( pas celui ou ceux du papa, ceux de la couturière ) euphoniquement, orthographiquement il s'en rapproche, et puis les fils se faufilent là où ils en ont envie, et s'ils ne sont pas d'accord avec un de leurs points d'arrivée, il ne leur reste plus qu'à couper un fil pour recouvrer leur liberté pleine et entière. De fil en aiguille et d'aiguille en anguille ( EELS en anglais ) on ne perd pas le fil...

ILS n'est pas un groupe de débutants, z'ont déjà jeté leur gourme dans plusieurs formations, apparemment il leur en restait, n'avaient pas épuisé les stocks de la prime jeunesse. Les Etats-Unis regorgent de groupes hardcore, dépliez la carte, ILS provient de l'Oregon tout en haut, à gauche, comme par hasard au-dessus de la Californie – sacré nid de frelons – séparé du Canada par l'Etat de Washington. Port d'attache : Portland, cité verte et populeuse, cherchez l'erreur, sise au confluent de la Columbia et de la Willamette, de l'eau et des arbres, tout pour calmer les esprits, apparemment pas en assez grande quantité pour apaiser notre quatuor infernal. Comme quoi les mêmes causes ne produisent pas obligatoirement les mêmes effets. Relisons Aristote.

Revenons à cette constatation de nuées de groupes de rock, c'est idem dans de nombreuses expressions artistiques, littérature, peinture, cinéma, graphiste, etc... sans doute en fut-il de même dans les siècles précédents, au prorata de la population préciserons-nous, à part que de nos jours avec la surmultiplication des moyens techniques et de communication, les artistes creusent souvent dans une même direction, leur pré carré est cerné de près par une foultitude de concurrents, l'on n'est pas loin des concessions de quelques mètres carrés attribuées aux mineurs lors de la ruée vers l'or. Rares sont les pépites de dix mille carats... la poudre d'or de la notoriété s'avère rare et volatile... Conséquence le public se retrouve confronté à un vaste choix qui l'emmène à explorer et à s'enfermer en un style qui lui agrée particulièrement. L'état de la création rock ressemble à ces marchés de producteurs locaux dont les étals finissent par s'uniformiser. Il est si difficile de leur établir une identité propre que l'on en vient à définir les groupes, non pas selon leur apport intrinsèque différentiel, mais en citant les noms de formations desquelles ils se rapprochent, ou dont ils se sont inspirés... Les générations rock se renouvellent vite, à tel point que les différents styles se talonnent de près et s'emmêlent les guiboles, ce pointillisme stylistique trahit la richesse et l'impasse du genre Metal... Ceci n'est pas une critique, aujourd'hui peinture et graphisme, pour ne prendre qu'un seul exemple, connaissent la même extravagante dilution... Pourquoi présenter tel groupe et pas un autre... Ne nous cachons pas derrière l'arbre qui cache la forêt de nos incertitudes en répondant que justement la prochaine fois nous en évoquerons un autre... Ce qui nous intéresse dans ILS ce n'est pas leur musique, mais leurs musiques en leur unicité, se servent à volonté de tout ce qui a précédé, hard, heavy, metal, punk, hardore, et poussent le tout vers le point de non-retour du noise, celui-ci entendu non pas comme rupture bruitiste du début du siècle précédent, mais comme un ressourcement de et dans l'agonique pâmoison finale de la musique classique européenne, celle-ci se complaisant à délaisser la mélodie pour ne garder que les dissonances extraverties du rythme. Le metal suit une courbe parabolique parallèle à l'aventure jazz... A la recherche de son point oméga. Chardinique, en quelque sorte, mais dépouillé de toute connotation christologique, réduit à sa plus simple expression conceptuelle.

PAIN DON'T HURT

ILS

( P. O. G. O. Records / 02 / 01 / 2019 )

La couve est sans appel. Sont prêts à engloutir la pomme du monde. Une faim si dévorante que le dentier aux lèvres en ailerons de requin s'est évadé de sa gangue de chair humaine qui l'abritait. Poursuit son chemin tout seul, n'a peur de rien,

Vocal : Tom Glose / Guitar : Nate Abner / Drums : Tim Steiner / Bass : Chritopher Frey )

No luck : grabuge à l'horizon, pas de chance vous êtes juste sous la ligne d'horizon, à l'endroit exact où la voûte stellaire et la croûte terrestre entament un duel à mort. La musique dégouline sur vous comme une vomissure visqueuse qui glisse et se renouvelle sans cesse, un torrent de déglutition dégoûtante, que vous aimeriez retenir dans vos deux mains afin de boire à cette diarrhée kaotique, et là-dessus surnage le cadavre pustuleux d'un chat écorché encore vivant, c'est la voix de Tom Glose qui vous emporte où vous voulez plus profond que l'enfer, plus haut que le paradis, il crie comme le tigre griffe et entaille, au loin résonne l'éperon triomphant d'une guitare. It's no lard, but it's just a cyst : j'essaie de vous rassurer par ces quelques mots explicatifs, souvent ILS accole aux trois lettres de son nom trois autres, PDX, qui comme chacun sait sont le sigle qui en aéronautique désigne l'aéroport de Portland, dans le même ordre d'idée ILS désignent aussi un système d'atterrissage sans visibilité... maintenant elles ont aussi une autre signification, médicale, biologique, elles désignent le processus qui consiste à instiller dans le corps d'une souris de laboratoire une bouture d'un cancer humain, pas de panique ce n'est pas du saindoux, c'est juste un kyste ! Douze secondes d'un coureur de Formule Un qui appuie un peu sur son accélérateur ( peu écologique ) en attendant que le signal du départ soit donné, en fait tout irait bien, le moteur BDG ( Bass, Drums, Guitar, mémorisez je ne répèterai pas ) ronronne à fond, une régularité exemplaire, hélas, ils vous en veulent, z'ont prévu de ne pas vous laisser vous assoupir, alors Tom Glose se surpasse, l'a la glossolalie ultra rapide et puissante, à lui tout seul il empêche un arrondissement de Paris de dormir en toute quiétude, les mecs tirés de leur sommeil se croient enfermés dans un cauchemar, se jettent par la fenêtre pour y échapper. Une chance pour vous, les morceaux ne sont pas longs, vous éviterez le grand plongeon. Northstar : tout le monde le sait mais je le rappelle, l'étoile polaire est le signe scintillant de l'axe invisible qui a permis aux extraterrestres de descendre sur terre pour apporter la civilisation aux brutes préhistoriques que nous étions, tendez l'oreille vous entendrez le frou-frou furtif de leurs entité frôlant l'axe du monde, hélas ils ne descendent pas, ils remontent, dégoûtés de notre humanité, le Gloseur de service tente de nous l'expliquer calmement ( tout est relatif ), mais la population de la planète ne l'écoute pas, alors sa voix se charge d'acrimonie indigeste, il hurle, il prophétise tous les malheurs qui roulent en avalanche sur nous. Sûr qu'à l'entendre dégoiser si abruptement l'on perd et le nord et l'étoile, chamboule notre comprenette, ne nous reste plus qu'à nous cacher sous le lit comme les chiens qui ont peur de l'orage. Curse : un malheur n'arrive jamais seul, la malédiction est prononcée, elle est scandée et martelée très fort au début, mais la batterie roule les galets de la mer sur vos pieds et un océan de guitares déferle et emporte tout sur son passage, ne reste plus rien qu'un brouillamini de stridences qui finissent par s'éteindre. For the shame I bring : imaginez que dans un cimetière un million de mammouths congelés dans le permafrost sibérien se réveillent et entreprennent de marcher sur les riches pâturages de l'Europe occidentale, le Gloseur est sur l'échine du plus vieux pachyderme, la basse imite le grondement de cette armada, et la batterie lance la horde au triple galop. Nous en veulent en mort, l'on ne sait pas pourquoi, ils renversent les immeubles et ravinent les autoroutes, non contents de notre sort nous commençons à avoir honte de nos propres faiblesses. Ouf, ils sont déjà passés, arpentent l'Atlantique, laissons-les à leur œuvre de colossale destruction. Il ne nous reste plus qu'une seule solution après ce cataclysme sonore, il nous faut tenter de survivre ! Guère facile.

CURSE

ILS

( P. O. G. O. Records 147 / Vicious Circle / Juillet 2020 )

Vocal : Tom Glose / Guitar : Nate Abner / Drums : Tim Steiner / Bass : Adam Pike )

Les petits futés l'auront remarqué de leur œil de lynx, sur dix titres cinq étaient déjà sur le premier opus. Fallait ouvrir les deux globules, le bassiste a changé, ils ont réenregistré le club des cinq, à leur manière, quand ils repeignent leur cuisine, ne se servent pas du pinceau, usent du bulldozer.

Bad parts : d'après moi, ils font un concours à celui qui fera le plus de bruit, à la batterie Steiner ne se retient plus, à la guitare Nate Abner compresse les riffs, et la basse Adam Pike tire le cordon funèbre pour arrêter les convois funéraires qui passent au triple galop dans la rue, un jeu comme un autre, quant à Tom il vous envoie le vocal à la figure, il doit confondre avec un nid de vipères, n'empêche qu'ils font des efforts, z'ont réussi à tenir une rythmique sans que le train ne déraille. Curse : la Malédiction 2, ce coup-ci Tom vous découpe les mots au chalumeau, derrière ils se font tout petit, jouent en pointillés, pas trop fort, pas vite du tout, n'ayez crainte les mauvais côtés de leurs individualités délétères reprennent vite le dessus et l'on sombre corps et bien dans un immonde charivari, la guitare a attrapé la tremblante du mouton enragé, Steiner doit avoir quelques comptes à régler avec l'Humanité, ce doit être ce que nous conte Tom dans sa bouillie de grumeaux de gros mots irradiés. Don't hurt me : miracle un vrai riff introductif, c'est vrai qu'ils sont sages sur ce morceau, bien sûr il ne faut pas faire attention à ce type bloqué dans un embouteillage depuis trois heures et qui klaxonne comme un madurle, les bonnes vieilles habitudes se radinent au bout de trente secondes, ne peuvent pas tenir un morceau jusqu'au bout, c'est plus fort qu'eux, il faut qu'ils le salopègent, qu'ils le transforment en un truc inécoutable, le genre de vacarme dont on se sert pour réveiller les zombies dans leur cercueil. Quand vous serez six pieds sous terre, cela vous semblera délectable. No luck : pas de chance pour l'auditeur moyen, ils remettent leur titre fétiche en jeu. Inutile de gloser sans fin sur Tom, le roi des screamers, le gars s'est fait greffer des cordes vocales en tungstène, puissance et célérité, les mambas noirs lui sortent de la bouche pour venir siffler dans vos oreilles, bonjour les acouphènes, vous n'avez pas de chance. Petites natures ! Noose : le mec on lui passé un nœud coulant autour du cou pour le faire taire une bonne fois pour toute, gigote sans fin comme le balancier de la pendule de votre arrière grand-mère qui vous hypnotisait quand vous étiez petit, n'en borborygme pas moins à croire qu'il fait la causette dans le salon de Madame de Récamier, doit un peu choquer la maîtresse de maison avec son organe vocal turgescent qui gueule aussi fort que les douze têtes de l'hydre de Lerne, les trois copains essaient de faire un boucan de tous les diables pour couvrir sa voix écrabouillée de stentor asthmatique, en vain. White meat : si vous n'avez jamais été invité à une soirée d'anthropophages sur l'île de Pâque, vous en avez au moins un aperçu sonore, plus un mec qui hurle à la manière d'un cowboy qui crâne devant un millier d'indiens qui bandent. Leur arc sur lui. Tant pis pour lui il a mérité toute cette haine. Des catastrophes comme cela vous n'en entendrez pas souvent dans votre vie. Dixième fois que vous repassez le titre, au suivant s'il vous plaît, par pitié, on veut tout entendre au moins une fois avant de mourir. Northstar : ces troublions vous leur payez un voyage en première classe sur Alpha Ursae Minoris , vous croyez en être débarrassés, plus ils s'éloignent dans leur fusée interplanétaire plus vous les entendez. Le Gloseur ébranle le zodiaque et le BDG par derrière attise sa vindicte. Nom de code : conjuration de l'Etolie Polaire. Casket race : les cinglés cinglent vers l'île au trésor, des pirates au sabre dégoulinant de sang, le capitaine Abner a changé d'avis au dernier moment, il ordonne de virer de cap, l'a décidé de trancher à la guitare électrique la baleine blanche, Adam Pique martèle les coutelas, Tim Steiner crève ses peaux à coups de harpons, sur la dunette la voix du bosco domine le tumulte de la tempête. It's not lard, but it's just a cyst : guitare d'Abner en apnée, elle hoquete gravissimo, manque d'oxygène, Pike a beau pomper sur sa basse rien n'y fait, l'opéré vous pousse de ses râles de mourant à déterrer les morts, c'est la fin, l'abreuve d'injures le chirurgien, pour l'endormir définitivement Tim le bourre d'horions. La scène tragique se termine brutalement. On n'entend plus rien. Qui a succombé ? For the shame I bring : encore un effort, c'est le dernier titre, the last but not the least. Ne veulent pas qu'on les oublie, n'ont rien à craindre. On se croirait dans un film de guerre. Finissent en beauté. Poussent les cris et les instrus comme Attila lançaient ses huns sur l'empire romain. Hélas il n'y aura personne pour les arrêter. Débauche sonore totale.

MY LOW

ILS

( Août 2020 / Bandcamp )

My low : un morceau à part, pour Milo le fils de Chris Dunn, qui a quitté cette vallée de larmes. La pochette le représente. De quoi récolter dix mille dollars au profit de son gamin orphelin... La tonalité est grave, mais Chris était un véritable rocker, aussi Adam Pike et Tom Glose qui ont écrit le morceau, n'hésitent pas à balancer la sauce. Evoquent le temps passé ensemble, n'était-ce qu'un rêve. Parfois il est bon d'exorciser son incompréhension en hurlant... Bel hommage caritatif. Sans mièvrerie.

P. S. : Les sommes recueillies par la chanson sont intégralement reversées à la cagnotte, le lien est sur Bandcamp.

NO LUCK

ILS

( Vidéo YT : 2020 )

Vous les avez entendus, vous aimeriez les voir. Deux minutes et une poignée de secondes suffisent. Une vidéo, manifestement ce n'est pas David Lynch qui s'est chargé du cadrage. Un téléphone portable y a supplée largement. L'image remue un peu, sont dans une petite pièce, ce qui limite les décrochages, première surprise, Tom Glose a une gueule d'intellectuel, ses lunettes de travers lui donnent l'air d'avoir un grind de folie. Vous vous demandiez comment Tim Steiner frappe si fort, quand vous voyez le gabarit, style convoi exceptionnel dont la largeur bloque les trois voies de l'autoroute à lui tout seul, la réponse est évidente. D'Adam Pike vous n'apercevez que sa basse, un peu plus de chance pour Nate Abner sous son bonnet. A moins que ça ne soit le contraire. N'en font pas trop, vous vous attendez à une scène d'Apocalypse Now, et ce n'est qu'un groupe qui répète dans son coin. Oui mais quel groupe ! Fulminant.

Damie Chad.

Voir : interview sur New Noise Magazine.

 

ROLLING STONES

Etrange phénomène dû au dérèglement climatique ? Pourquoi les pierres deviennent-elles moins dures ? Pas toutes, uniquement celles qui roulent. Pas n'importe où, pour le moment cet étrange phénomène ne touche que l'Angleterre, et des deux grands édifices pierreux de la Grande-Bretagne, un seul en est victime. Stonehenge est épargné, mais le deuxième amoncellement rocheux du pays, célèbre sur toute la planète paye un lourd tribut. Certes depuis longtemps l'on a remarqué que le massif stonien était victime d'un effritement ravageur, Brian Jones, Mick Taylor, Bill Wyman et dernièrement Charlie Watts se sont au fil des années détachés de la montagne des chauds cailloux. Toutefois pour rassurer nos lecteurs les analyses scientifiques sont formelles le climat n'est aucunement responsable de cette dégradation.

Pour le dire clairement les Stones m'ont déçu. Les esprits acariâtres en rajouteront, belle lurette que les Stones ne sont plus les Stones, depuis... vous complétez avec le titre du dernier album après lequel d'après vous ils sont entrés dans l'ère du déclin. N'ont pas tout à fait tort. Mais si l'on a aimé les Stones, certes c'est leur musique mais aussi leur cynisme, leur manière à eux d'être Stones, d'être un groupe qui n'a pas respecté l'espèce d'idéologie rock qui voudrait que l'on soit moralement irréprochable, que l'on soit en rupture avec le Système, jamais de son côté... Un rêve d'une extrême naïveté si l'on pense une demi-seconde aux intérêts colossaux financiers en jeu. Les Stones l'ont assumé, les tournées apporte-monnaie qui se chiffrent en dizaine et centaines de millions de dollars, ils n'ont pas craché dessus. Une conduite amorale, les fans de la première heure renâclent mais le troupeau en son entier finit par emboîter le pas.

Une déclaration a mis le feu aux poudres. Z'ont rayé un morceau de leur set-list, non pas parce qu'il serait musicalement dépassé ( impossible ! ), non pas parce qu'il ne leur plairait plus ( raison acceptable ). Non, pour des raisons morales ! Pourrait choquer les âmes de certains citoyens. Pas le riff, les paroles. Que voulez-vous Brown Sugar serait un peu ambigu, cause de la drogue ( pas grave ), des marchés d'esclave de la New Orleans, et de sévices corporels infligés à jeune femme noire par ses maîtres blancs. Evocation d'un passé carrément condamnable. Ne l'exaltent pas, ne le cachent pas.

Oui mais voilà les USA vivent une époque étrange, suite au mouvement Black Lives Matter, suite à la présidence de Donald Trump qui a révélé les soubassements arriérés de la mentalité raciste d'une partie de la population blanche, s'est installée dans les universités du pays, une espèce de bien pensance de gauche, entée sur les principes de l'anti-racisme et d'un féminisme virulent, ce que l'on a pris l'habitude de désigner sous le terme de Woke culture, une espèce de maccarthysme intellectuel, une police de pensée qui dénonce, pétitionne et interdit toute attitude, tout écrit, toute évocation qui mentionneraient des faits historiques ou des idées philosophiques qui pourraient blesser ou attenter à la dignité de certaines personnes... Ses partisans se déchaînent sur les réseaux sociaux ( ici en l'occurrence le site d'abonnement IORR It's Only Rock'n'roll ) en les inondant de virulents messages... L'on n'est pas loin des caricatures du prophète... La liberté de pensée est un luxe qui se paye cher.

Donc exit Brown Sugar. C'est vrai qu'une plainte portée contre l'interprétation du morceau lors de la tournée américaine pourrait coûter quelques millions de dollars. Mais la déception des fans n'est pas à négliger, Jagger s'est lancé dans les excuses vaseuses du consensus mou, puisque certains peuvent être choqués, nous supprimons le sucre dans le café noir du récital, ce n'est pas nous, c'est de la faute à eux. Puis s'est embourbé dans un pieux mensonge, nous sommes fatigués de la jouer depuis cinquante ans à tous les concerts, enfin s'apercevant que Satisfaction et Jumpin' Jack Flash devraient logiquement suivre le même sort, le Jag s'est résolu à prendre une pose qui correspond davantage à l'image Rolling Stones, dont le logo tire une langue impertinente au monde entier. Il n'est pas exclu qu'on la rejoue un de ces soirs si l'occasion se présente... C'est bien beau, pour ne pas dire c'est bien beauf, mais sur ce coup-là les Stones ne sont pas à la hauteur .

Damie Chad.

P. S. : la woke culture commence à étendre ses méfaits dans l'université française. Mais là les Stones n'y sont pour rien.

 

RAUNCHY BUT FRENCHY ( 5 )

Un souvenir inoubliable. Toute une époque. Ça n'a pas duré longtemps, entre mai 68 et l'élection de Giscard D'estaing. Six ans de folie. La jeunesse en éruption. Une mosaïque de révoltes. Le pouvoir a su se reprendre, prétextant l'augmentation du prix du pétrole le Capital nous a servi ce qu'il fallait pour faire peur, la Crise, plus tard ce fut la couche d'ozone, puis le chômage, le dérèglement climatique, le terrorisme, les méfaits du carbone, le Covid, ces gens ont de l'imagination et des media aux ordres, le citoyen lambda a la trouille, il serre les fesses, encaisse et n'ose plus l'ouvrir, essaie de s'insérer tant bien que mal dans le Système qui ne veut que votre bien. Que vos biens, votre fric, vous réduire à la misère, vous transformer en esclave consentant...

Quittons le cauchemar actuel, retournons au rêve post-soixante-huit, un seul mot le résume, galvaudé au plus haut point, la fête, et ce fut vraiment une fête, les corps se libérèrent, les esprits s'ouvrirent et se radicalisèrent, s'il y eut une époque qui réponde au mot d'ordre sex, drugs and rock'n'roll, ce fut bien celle-là.

Crium Delirium est un des groupes français qui fut une des figures de proue de ce mouvement. L'on occupait la faculté de lettres de Toulouse, à l'époque implantée au centre ville. L'après-midi festive avait commencé sur les treize heures, cour centrale, un gratteux a entamé San Francisco de Maxime Leforestier, repris en chœur par une partie de l'assistance, pas vraiment le pied... Crium Delirium a débarqué, l'était attendu, ont déchargé le matos et commencé à l'installer, et ont lancé la zique sans préavis, si mes souvenirs sont bons – la scène se passait en 1972 – z'étaient quatre, pas de chanteur, z'ont pondu ( guitares-batterie ) un magma qui s'apparentait au jazz, un truc qui n'éclatait jamais mais qui augmentait votre pression intérieure. Deux heures plus tard, se sont arrêtés de jouer sans esbroufe, s'est alors déroulé un étrange mouvement de masse, près de six cents personnes, sans concertation, sans meneurs, ont pris d'assaut le grand amphithéâtre, la foule s'est assise et les vociférations ont débuté, pleine gorge, plein poumon, trois quarts-d'heure ininterrompus de folie stridente, quelques pupitres et bancs de bois en ont fait les frais. Défoulement général... et puis l'on est ressortis tout contents, tout heureux... It's was the good time !

LIVE CONCERTS 1972 - 1975

CRIUM DELIRIUM

( Legend Music / 1994 )

Lionel Magal est avec son frère Thierry à l'origine de la formation. Mais celle-ci n'est que la pointe de l'iceberg, Foxx le lion fut un activiste de ce que l'on appelait la contre-culture que l'on désignait aussi par le terme d'Underground, on en avait plein la bouche pour pas un rond... Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il a vécu intensément, il raconte tout cela dans un livre de collages paru en 2012, le Psykedelic Toad Book, paru en 2012. L'était important à l'époque de faire la route de visiter le monde, et surtout d'arpenter l'intérieur de soi. Une démarche qui recoupe celle d'un Rimbaud et de l'antique alchimie. Le microcosme de votre cervelle se doit être en inter-action avec le macrocosme de l'univers. Depuis Hendrix, l'expérience était un mot magique. Notre foxxy-man débuta par le théâtre-action, une espèce de happening qui demande la participation du public, car il est bon de briser les barrières qui séparent les professionnels des individus... l'est sur scène au Centre Américain de Paris lorsque débarque plus fous que lui, la Hop Farm, communauté hallucinatoire hippie, dont il invitera la quarantaine de membres à venir dormir chez lui. C'est parti pour une croisière au long cours qui les mènera jusqu'en Afghanistan, puis en Inde. Ce n'était que la reprise du fameux voyage en Orient cher aux romantiques de Lamartine à Nerval, mais là on poussait un peu plus loin...

Retour d'Inde Lionel et Thierry remettent en route leur groupe Crium Delirium, avec lequel depuis 1968 ils visitaient les caves parisiennes. Ce coup-ci c'est le grand départ, le groupe joue partout où on l'accueille et même là où on ne l'a pas demandé, rencontres musicales tous azimuts, de Nico à Steve Hillage, de Captain Beefheart à Miles Davis... des concerts qui regroupent tous les freaks du coin - profitez de l'occasion pour vérifier votre orthographe, ne confondez pas chichiteux avec shishiteux – le groupe ne s'appelle pas Delirium par hasard... En 1970 Maître Renard participe à la création d'Actuel et en 1981 à celle de Radio Nova, par la suite on le retrouve un peu partout, sur Canal + et aux quatre coins du globe...

Crium Delirium, vivra aussi en communauté, lorsque le groupe cessera ses activités il peut être fier de ne pas avoir collaboré avec le système marchand que leur idéologie réprouvait. N'auront enregistré aucun disque. Ce n'est qu'en 1994 que sortira chez Legend l'album Power to the carottes, Live concerts 1972 - 1975, réédité en 2012 sous le titre de Live Concerts Psykedelick. Le groupe reformé remontera sur scène au Cirque Electrique en 2011 et 2012 pour leur quarantième anniversaire...

Guitare : Thierry Magal / Drums : Lionel Magal / Bass : Daniel Léonard / Synthétiseur : Loy Ehrlich / Percussions : Victor Angel / Saxophone, flûte : Patrice Quentin

Aventures chez l'om : au mieux cela correspond aux notes graves de l'entrée de la Tétralogie de Wagner ( la version de Furtwangler s'impose ) et pas du tout l'entrée tonitruante d'Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, non c'est l'om initial pas très catholique si je puis me permettre à moins que ce ne soit le dernier des hOMmes, bref un truc malingre, torsadé et fuselé, Crium ( prononcez criom, crihomme si vous êtes du midi ) mugit comme il peut pour se mettre au diapasOM de l'illusiOM cosmique. N'oubliez pas que nous sOMmes en plein deliriOM cosmique et que les carottes sont cuites. Ouverture lutins : guitare allègre, les lutins sont là et batifolent dans l'herbe folle, une voix vocalise ( que pourrait-elle faire d'autre ) laissez vous emporter sur les ailes du rêve, de temps en temps la guitare miaule et la voix l'imite, peut-être pour coller à la réalité du monde, rien n'est moins sûr. Shilum baba : si vous croyez planer durant huit minutes... le début est abrupt, ça se calme un peu, et vous voici embarqué dans une fuite jazz au pas accéléré, les cymbales en apesanteur qui s'écrasent à terre, la guitare qui couine, preuve que le matou d'Alice s'est coincé la queue dans l'entrebâillement de la porte, tapis volant avec adjonction de moteur, font semblant de camer pardon de calmer le mouvement mais les moustaches du greffier frisent un max, z'avaient manifestement le shit peu somnolent, la guitare sonne comme une trompette dans laquelle une souris serait rentrée par erreur, elle qui pensait s'introduire dans une trompe d'éléphant pour vous ronger le cerveau. Peut-être est-ce pour cela que vous entendez des bruits bizarres. Montlery guitare : un peu moins de jazz, un peu plus de rock, en roue libre, puis on ralentit pour négocier une courbe et plein pot par la suite, des pneus de guitare crissent pas de chance d'impressionner nos preux cyclomotoristes, tiens en plus ils ont posé le chat sur le porte- bagage, l'a la frousse mugit comme une baleine, à perdre haleine. Menuet / Paris ORTF : z'ont dû arriver à la cour du Roi Soleil, Louis XIV esquissant quelques pas devant le grand bassin, scène idyllique... '' Villes champignons'' : ( Bass : Thierry Robert / synthétiseur : Jean-Paul Demarque ) : ...qui ne dure pas longtemps, changement de programme, c'est maintenant qu'ils nous refilent leur intro de Also sprach Zaratoustra, à leur manière, apparemment le héros nietzschéen a grignoté des champignOMs hallucinogènes, car leur jazz boursoufflé a de l'hélium dans l'aile, délire grave, éructe des bruits étranges et marche lourdement, se reprend, volète parmi les pâquerettes, sont tous heureux du résultat, allégresse générale, l'un d'entre eux, ce doit être Lionel se met à chanter, l'appuie un peu fort sur ses baguettes, je comprends pourquoi à Toulouse ils étaient restés cois, la voix est quelconque, gâte un peu la musique. Quand vient le soir : ( voix + écriture : Joe Corbeau ) : moment japonais, la flûte décrit la courbe du lac et du croissant de lune, la voix en apesanteur passe mieux, Un vol de corbeaux disparaît dans la nuit. Roanne gig : synthé qui imite le piano, z'ont changé de style, c'est du tout doux, à l'ambiance romantico-sentimentale, la basse apporte le noir nécessaire, cris d'oiseaux dans les arbres, chacun pousse son instrument tour à tour, une espèce d'impro pour que chacun puisse démocratiquement s'exprimer, le matou s'en donne à cœur joie, s'en vient roucouler sur le croissant, Lionel énervé essaie de le faire taire à coups de mailloches mais il s'obstine, il se retire dans ses appartements en prenant son temps, il pousse de tendres gémissements mais non ses maîtres possèdent un muscle cardiaque de silex tranchant. Peanuts butter : l'on reste dans la même ambiance, des sons, des bruits, des tintements, un vocal intermittent, peu à peu se mettent d'accord pour lancer un riff à peu près potable, presque une digression musicale, doit y avoir une vache qui a quitté son pâturage et qui s'en est venu goûter aux honneurs de la scène, elle agite sa cloche parfois en dehors du rythme parfois en plein dedans, cela ressemble aux longueurs qui encombraient les plages de bien des albums de l'époque... quand ça se termine Marguerite a dû être contente de retrouver son étable. Nous aussi. Les '' Road managers'' : tiens un rythme de rock, l'on croirait entendre les Beatles sur Back in the URSS, un petit côté humoristique qui se veut désopilant, question chant, c'est un peu le niveau zéro, tout le monde ne peut pas être Au bonheur des dames. Stone à rouler : on a eu peur qu'ils se prennent pour les Stones, mais non, tapent dans le free, mais plutôt ordonné, en fait cela ressemble à des chutes de studio des Fab Four, tout se calme après un gros éclat de voix superfétatoire dont on n'aime pas le suppositoire, et l'on repart dans une de ces improvisations qui se mord la queue, z'ont dû avoir l'idée en regardant le chaton, nous on s'ennuie un peu. enchaînent sur une ritournelle aigrelette de Boîte à musique : qui fomente et fermente dans le grave qu'une mouche vient troubler de son vrombissement agaçant, le synthé fait des vagues, patchwork, cut up musical, l'on verse tout ce qui passe dans l'esprit dans le chaudron et l'on sert chaud. Gros pets terminaux. Antibes : une espèce de symphonie à la Jethro Tull rehaussé de mouvements de menuets joués à la trompette. L'on s'approche de Dada mais l'on ne galope pas assez vite. Radium : qui n'irradie pas, quand on n'a plus rien à dire l'on laisse parler les autres, l'on s'amuse à pousser le curseur et l'on surfe sur les stations radio. Asks Freeco sax wah wah : un sax qui jappe, puis finit par miauler, serait-ce le matou déguisé. Night in Tabarka : La nuit tombe sur Tabarka et l'ennui finit par s'appesantir sur nous.

La dérision est un art d'un maniement aussi dangereux que le sabre d'abordage, parfois c'est elle qui vous découpe en rondelles et vous rend dérisoire. Les sept derniers titres sont pesants. Donnent l'impression que Crium Delirium n'avait plus rien à dire. Je ressors de ce disque déçu. Le groupe s'est-il fourvoyé dans une impasse qui l'a mené à l'échec ? J'aurais dû m'en douter, si vous ramassez un papillon mort et que vous rouvrez les ailes pour retrouver la fragrance de son vol, elles se déchirent, et les lambeaux colorés sont emportés par le vent...

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

UNE TENEBREUSE AFFAIRE

EPISODE 05

LE CERCLE

C'était hallucinant. Dans le noir de la nuit, l'ombre de Charlie Watts se chargea d'une opacité encore plus ténébreuse, à tel point qu'elle se détacha si distinctement sur le fond du ciel nocturne que celui-ci par un contraste saisissant sembla plus pâle. Plus tard nous en convînmes tous, nous y voyions comme en plein jour. Lorsqu'il passa devant moi, les chiens grognèrent, leur poil se hérissa, mais ils n'aboyèrent pas. Je posai la main sur l'échine de Molossito, il tremblait de peur et Molossa n'en menait pas plus large. De la gent humaine personne n'osa bouger, plus tard le Chef m'avoua qu'il n'avait même pas songé à allumer un Coronado. Charlie marchait sans se presser, il descendit la pente jusqu'au niveau du Chef devant lequel il effectua un demi-tour et entreprit de remonter la côte. Que voulait-il ? A quel jeu se livrait-il ? J'étais sûr qu'une fois qu'il m'aurait dépassé il disparaîtrait, mais non, il effectua un demi-tour et recommença son manège. Quarante-sept fois. Nous avions l'impression que parfois il s'approchait de nous à nous frôler de ses pieds, pour nous dévisager. Ou alors il s'éloignait de quelques pas sur le côté, comme l'on prend du recul pour mieux ajuster son regard. Il amorçait son quarante-huitième passage, ce fut Joël qui rompit le charme, il se leva et cria : '' On l'entoure tous en rond, en formant une ronde'' . Charlie s'arrêta indécis, nous eûmes tôt fait de l'entourer, '' On le touche, on le touche !'' hurla le Chef, et chacun s'avança les bras tendus, nous ne touchâmes que nos propres mains, réunies en faisceau, nous ne saisîmes que du vide, Charlie Watts avait disparu.

Les exclamations fusèrent, il y eut des cris de déception ( les garçons ) et d'effroi ( les filles ), mais aussi des rires ( là, je ne sais pas ). C'était incroyable, l'on en discutait encore à l'heure où blanchit la campagne. Le soleil se levait, nous explorâmes les buissons, le bois, la prairie, rien, aucun indice, aucune trace. Bizarrement, l'échec avait soudé l'équipe. Personne ne songeait à renoncer. L'énigme était trop intrigante. L'on convint de se retrouver le soir même à vingt heures tapantes. Pas question de rester inactifs entre temps, l'on se partagea les tâches qui écouteraient l'intégralité de la discographie des Stones, qui farfouilleraient dans les livres consacrés à leurs musiques et à leurs augustes personnes, qui se renseigneraient sur les apparitions de fantômes, qui chercheraient dans l'ensemble de la presse régionale... Quant à nous, le Chef déclara qu'il avait à se livrer à Paris une expérience du plus grand intérêt, ayant un rapport certain avec le fantôme de Charlie Watts, et qu'il était sûr de ramener du nouveau. Des regards envieux nous suivirent lorsque nous montâmes dans la Lambor.

L'EXPERIENCE

Je brûlais d'impatience, à quelle mystérieuse expérience le Chef se livrerait-il. Durant tout le trajet il n'en souffla mot, il se contenta d'allumer Coronado sur Coronado. Je pensais qu'il se mettait en condition. Aussi fus-je très surpris une fois la Ghini stationnée pas très loin de notre repaire quand il m'annonça que j'étais le sujet de l'expérience. Lui se contenterait de garder les chiens dans la voiture. Ma tâche n'était pas très compliquée, elle n'exigeait aucune force physique ni aucune intelligence particulière. Je n'ai pas aimé son intonation lorsqu'il souligna ces deux derniers mots d'un sourire ironique.

    • Je vous octroie dix minutes, au bout desquelles les cabotos et moi vous rejoindrons. Ouvrez la grille et vos deux yeux. Ce n'est pas très difficile. Juste un peu d'observation. Inutile de pénétrer dans la baraque en planches, ou dans l'abri atomique. Exécution immédiate, agent Chad je compte sur vous.

Je m'exécutais. Il n'y avait rien à voir de spécial, le jardin d'une quarantaine de mètres de côté s'étendait devant moi. De l'herbe, quelques arbustes, un fourré de ronces, du lierre rampait sur terre, quelques fleurs, quinze ans qu'il n'avait pas été travaillé, rien de surprenant dans ce qui s'offrait à ma vue. Dans mon dos j'entendis le ricanement du Chef, Molossa sur ses talons, Molossito se débattait entre ses bras.

    • Alors agent Chad, l'on fait chou blanc dans le potager ! Par bonheur Molossito est plus intelligent que nous, c'est en le regardant batifoler lors de notre précédente visite qu'il a découvert ce que je m'interdis de nommer le pot aux roses, voici donc la deuxième séquence de notre expérience !

Le Chef posa Molissito à terre qui fila droit dans un des quatre coins pour arroser le pied d'un gros buisson, puis il traversa l'espace ventre à terre pour relâcher un jet d'urine sur les restes d'un parterre plutôt mal en point, après quoi très consciencieusement il aspergea de quelque gouttes de pipi la végétation plutôt maigrelettes des deux angles restants.

    • Chef, c'est terrible !

    • Le mot est faible, agent Chad, nous sommes embarqués dans une drôle d'histoire, nous ne sommes pas au bout de nos peines !

    • Oui Chef, ça va mal !

    • Vous pouvez le dire agent Chad, ça va malvaceae !

    • Chef vous pensez que...

    • Nous n'avons plus le temps de penser Agent Chad, sifflez les cabots, l'on repart à toute blinde sur Limoges !

UNE NUIT EFFROYABLE ( Part 1 )

Nous devions nous retrouver à vingt heures, mais à dix huit heures tous les étudiants étaient déjà présents. Ça caquetait dur en ingurgitant force fournées de chips. Joël distribuait des sandwichs :

    • Au minimum trois chacun, prenez des forces, j'ai l'intuition que la nuit sera mouvementée !

    • Au-delà de toutes nos espérances cher Joël - la voix grave du Chef résonna d'une manière si lugubre que les conversations cessèrent aussitôt – mes amis les résultats de la terrible expérience à laquelle nous nous sommes livrés, l'Agent Chad et moi-même, cette après-midi à Paris sont sans appel, nous n'avons pas le temps de tout vous expliquer, nous devons avant tout vous devez vous préparer à l'épreuve la plus terrible de votre existence. Je ne retiens personne, ceux qui veulent rentrer chez eux, qu'ils le fassent, sans honte et sans regret, je vous laisse trois minutes pour vous décider, après ce très court laps de temps, il sera trop tard.

Il y eut un silence de mort. Personne ne bougea. Pas une seule défection, nous avions affaire à des garçons et des filles courageux. Le Chef reprit la parole :

    • Nous nous sommes séparés ce matin, vous vous étiez organisés en groupe de travail, auriez-vous trouvé quelque chose d'intéressant ?

Seules deux mains se levèrent, deux filles qui se présentèrent :

    • Françoise et moi Framboise, avons cherché du côté de Sympathy for the devil, et en farfouillant nous sommes tombés sur le personnage d'Aleister Crowley et cette anecdote étrange où il devient invisible, peut-être cela a-t-il quelques relations avec les apparitions et les disparitions subites de Charlie Watts ?

Le groupe fut agité d'un étrange remous, peut-être certains pensaient-ils qu'ils auraient mieux fait de rentrer à la maison pour regarder la télévision entre Papa et Maman, mais le ton ferme du Chef leur permit de comprendre que ce rêve était désormais inaccessible :

    • Une bonne piste, mais ce n'est pas la bonne, pour Crowley il ne s'agissait pas de se transformer en homme invisible, mais d'interférer avec la conscience des passants qu'il croisait et de leur ordonner de ne pas le voir. Une simple question d'autosuggestion ! Non ce soir, vous vous en apercevrez, vous intimerez à Charlie Watts les ordres que vous voudrez, il restera insensible à vos désidérata. Je puis déjà vous révéler ce qui va se passer. Hier soir nous avons guetté Charlie Watts et tenté de l'arrêter, mais ce soir c'est Charlie Watts qui tentera de nous attraper !

A suivre...

08/09/2021

KR'TNT ! 520 : TIM BOGERT / NEON ANIMAL / BETTY HARRIS / DAN SARTAIN / SHARYN McCRUMB / RURAL SINGERS / JUKE JOINTS BAND QUARTET / JIM MORRISON / ROLLING STONES / RAGTIME

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 520

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

09 / 09 / 2021

 

TIM BOGERT / NEON ANIMAL

BETTY HARRIS / DAN SARTAIN

SHARYN McCRUMB / RURAL SINGERS

JUKE JOINTS BAND QUARTET

JIM MORRISON / ROLLING STONES

RAGTIME

TEXTES + PHOTOS SUR  :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Bogert back (to where you one belonged)

- Part Two

L’histoire de Tim Bogert s’étend sur cinquante ans. Sa durée correspond en gros à celle de l’histoire du rock. Non seulement Timmy fut toujours à la pointe du progrès, mais il réussit à partager avec James Jamerson, la couronne de roi du bassmatic américain. Si à une certaine époque, disons en 1967 ou 1968 on écoutait le Vanilla Fudge, c’était surtout pour entendre ronfler la basse de Timmy. Jack Bruce, John Entwistle et Timmy sont à l’origine de nombreuses vocations de bassistes.

Manque de pot, la seule fois où on a pu voir le Vanilla Fudge sur scène (au Divan du Monde en 2014), un certain Pete Bremy remplaçait Timmy dans le groupe. Mais les trois autres Vanilla étaient en rendez-vous et quel rendez-vous ! On aurait cru voir des vampires, tout de noir vêtus, aussi chevelus qu’en 1967, mais le moindre cheveu blanc, et pas la moindre trace non plus de baisse de régime, ils enfilent les hot blasts comme des perles, «Ticket To Ride», «Some Velvet Morning», «Season of The Witch», «Take Me For A Little While», «Eleanor Rigby», «Bang Bang», «People Get Ready» et «Shotgun». Une pétaudière épouvantable. Un mystère aussi épais que celui de Toutankamon. Mais comment font ces mecs pour jouer aussi fort et aussi bien cinquante ans après leur âge d’or ? This is the Vanilla Fudge baby, et on n’ose même pas imaginer ce que serait devenue cette pétaudière avec Timmy sur scène. Dès le début, ces New-yorkais mettaient un point d’honneur à sonner comme des titans. Ils inventaient le rock titanesque dont vont s’inspirer des gens comme Dave Wyndorf ou Jaz Coleman.

On retrouve leur cover extatique de «Ticket To Ride» sur leur premier album sans titre, Vanilla Fudge, paru en 1967 sur ATCO. Ils battaient aussi en neige du Kilimandjaro une reprise du «Take Me For A Little While» de Dusty chérie, alors ça montait, ça montait et soudain Timmy stoppait tout d’un gigantic break de basse. S’ils reprenaient le «She’s Not There» des Zombies, c’était surtout pour se livrer à quelques dérives expérimentales, une manie que Timmy n’allait plus cesser de développer. En B, ils tapaient dans les Supremes avec «You Keep Me Hanging On», version suprême noyée d’orgue et de gras double que Timmy venait bombarder de notes de basse. Et là on a compris : Timmy allait devenir LE bassman le plus aventureux des Amériques, aussi aventureux que l’était Jeff Beck sur sa guitare. En 1967, Timmy portait des lunettes à montures d’écaille, comme celles de Woody Allen, et il allait tout au long de son histoire conserver ce look de binoclard, avec les cheveux un peu plus longs. Il allait aussi former avec Carmine Appice l’une des meilleures sections rythmiques de l’histoire du rock. Ce n’est pas un hasard si Jeff Beck enregistre un album avec eux.

Avec les deux albums suivants, Renaissance et The Beat Goes On, le Fudge allait prendre des risques inconsidérés. Ils viraient un peu prog et semblaient s’égarer dans le son. On ne sauvait qu’un seul cut sur Renaissance : «That’s What Makes A Man» et en B, Vinnie Martell tentait de sauver «Faceless People» en grattant du gras sur sa Les Paul. The Beat Goes On sonnait comme l’album des premiers de la classe. Ils tapaient dans «Hound Dog», les Beatles et «The Beat Goes On» de Sonny & Cher, mais tout cela était découpé en rondelles de saucisson pour un résultat baroque et tragiquement anti-commercial. En fait, ils proposaient une histoire de la musique à travers les âges, passant du ragtime des années 30 aux élans classiques de «La Lettre À Élise», dont visiblement Mark Stein était fan. Le Fudge pouvait TOUT jouer. Et mieux que quiconque. Mais ce n’était pas ce qu’on attendait d’eux. On voulait de la viande. Du shuffle fumant et du gros gras double. Du rock de titans.

Il allait arriver avec Near The Beginning. C’est là qu’on trouve «Shotgun», l’archétype du rock des titans, avec ce chaos de bassmatic, ce shuffle hugolien, ce gras double, ce pounding de galère phénicienne et ces chœurs extravagants qui s’en vont télescoper le bassmatic en folie de Timmy. «Shotgun» est une source inépuisable d’explosivité, d’hystérie collective et de relances indécentes. C’est l’apanage du Fudge. S’il fallait emmener un seul morceau du Fudge sur l’île déserte, ce serait «Shotgun». C’est aussi sur cet album qu’on trouve la cover du fameux «Some Velvet Morning» de Lee Hazlewood. Bienvenue au paradis sur terre, le Fudge plonge Lee dans un bain d’excellence. Cette mer de nappes d’orgue s’ouvre comme la Mer Rouge pour laisser passer le dogme qui s’en va rejoindre les cimes. Avec cette version, le Fudge atteint l’extrême clarté de la pureté. La voix de Mark Stein se réduit à sa plus simple expression : un filet harmonique ténu et douceâtre.

Paru en 1969, leur dernier album s’appelait Rock &Roll. Rien qu’avec la pochette et ce titre en Futura ultra-bold rouge sur fond blanc, on croyait tenir en main le plus gros disque de rock américain de tous les temps. Au dos, on les voyait tous les quatre photographiés sous des néons, une scène qu’on croyait sortie d’un bad trip d’Abel Ferrara. Et pouf, Timmy commençait par secouer le cocotier de «Need Love», il recréait son cher empire du chaos et bien sûr ça screamait dans tous les coins. Mais la suite de l’album retombait comme un soufflé. Malgré son soul-punk blow in the face, son big blast de bass dans le bide et son harsh break down in the guts, «Street Walking Woman» allait perdre son âme dans des accalmies. Ces enfoirés jouaient avec nos nerfs. Ils sauvaient leur B avec une reprise héroïque de «The Windmills Of Your Mind», une compo géniale de Michel Legrand, monstrueusement bien chantée par Mark Stein, grand amateur de moulins devant l’éternel. À travers ça, le Fudge nous faisait bien comprendre qu’il ne recherchait pas le succès commercial, oh la la pas du tout. Ils n’avaient de goût que pour l’explosivité et le télescopage. Sur tous les cuts de l’album, ce démon de Timmy veillait à claquer des trilles de notes en permanence.

Avant de devenir une glace à la vanille, Mark, Timmy et Vinnie (Carmine n’était pas encore là) s’appelaient les Pigeons. Les fans connaissent cet album de reprises paru en 1973 sur lequel on trouve «Midnight Hour» (version swing), «Upset The People» (Charles & Inez Foxx) et «Mustang Sally» (summum de la décontraction).

Paru en 1984, Mystery est l’album de la première reformation du Fudge. C’est une catastrophe. Son bien propre sur lui, limite diskö. L’époque veut ça. On ne sauve qu’un seul cut, la reprise du «Walk On By» de Burt, rendu célèbre par Dionne Warwick. On y retrouve le soutien logistique qui fit la grandeur du Fudge.

Le groupe se reforme une deuxième fois en 2004 et nous balance un brillant album intitulé The Return. Bill Pascali remplace Mark Stein au chant et à l’orgue. On retrouve le légendaire power du groupe dès «Ain’t That Peculiar» et la flash guitar de Vinnie Martell. Pour ce retour en force, ils rejouent les reprises de leurs débuts, avec encore plus de punch, comme si c’était possible ! «You Keep Me Hanging On» monte vite en température alchimique, l’énormité Motown se transmute en énormité à la vanille. Ah si Paracelse pouvait voir ça ! La mélodie des Supremes reçoit des coups de boutoir. On croise aussi une version dévastatrice de «Shotgun». Bill Pascali la prend au raw d’under the belt. Retour au rock des titans. Ils lèvent des vagues géantes de shuffle. Ils dégagent les bronches des dieux. Et ils donnent le coup de grâce avec «Take Me For A Little While», ce heavy Motown sound qui est la marque jaune du groupe. Génie à l’état pur. C’est au-delà du langage. Ils lâchent aussi une version définitive de «Good Lovin’», il y coule des solos de lave, c’est l’archétype du hit ultime et asphyxiant. Cette version de «Need Love» sonne comme une déclaration de guerre totale, sans aucun espoir de retour à la paix.

Les fans du Fudge connaissent aussi cet album live enregistré en Allemagne, Good Good Rockin’. Bill Pascali remplace Mark Stein et Teddy Rondinelli Vinnie Martell. C’est donc une moitié de Fudge. Carmine et Timmy préservent le nom, comme l’ont fait Russell Hunter et Duncan Sanderson pour les Pink Fairies, ou Billy Talbot et Ralph Molina pour Crazy Horse. Cet album live permet de renouer avec l’urgence sonique d’antan. Souvenons-nous que ces princes de la démesure mirent à bas bien des basiliques. D’entrée de jeu, «Good Good Lovin’» défonce la rondelle des annales. Comme Blue Cheer avec leur album live enregistré au Japon, le demi-Fudge nous plonge dans la fournaise. Avec «Take Me For A Little While» et «Shotgun», on est rôti comme une merguez oubliée sur un barboque. Ils sont encore plus pharaoniques que le roi. Timmy et Carmine défoncent tout sur leur passage. Ils fondent les grumeaux, ils rasent les montagnes. L’ange Pascali pose sa voix au sommet d’une machine de guerre, certainement la plus puissante du monde. Avec ces mecs-là, tout n’est que luxure, clash et volupté. Ils plongent comme des crabes ivres de liberté dans la bassine d’huile bouillante. Ils se rient de tout, surtout des métaphores. On les croit grillés dans l’huile, mais non, ils nagent ouvertement, ils font des brasses expiatoires dont la mesure échappe à toute logique. Bill Pascali descend à la cave chercher son guttural. Et pour «Shotgun», Carmine ramène son beat d’Odin et tout s’écroule. Ce punk blast n’existe pas ailleurs, inutile de perdre ton temps à chercher. Carmine le vital blaste ses fûts dans une chaleur d’étuve. «Shotgun» s’élève comme une masse impérieuse, comme l’un des plus gros cataplasmes de l’histoire du rock. S’il est un cut à la fois mirifique et épique, c’est bien «Shotgun». Timmy envoie des giclées dans tous les coins, ça n’en finit plus d’exploser. Puis ils lancent un nouveau raid kamikaze sur «She’s Not There», et là, désolé d’avoir à le dire ainsi, ça devient indécent de puissance voluptueuse. Dommage que les cuts soient si longs - six à huit minutes - mais n’est-ce pas le temps qu’il faut à un monstre pour sortir de sa torpeur ? Difficile de répondre à ça, car très peu de gens peuvent témoigner. Une fois le monstre réveillé, il chope sa proie dans la seconde.

En 2007, la formation originale du Fudge entrait en studio pour enregistrer Out Through The In Door, un tribute album à Led Zep. En bon titans, ils font une version titanesque d’«Immigrant Song». Le «Ramble On» qui suit n’est pas bon, mais bons princes, ils le transforment en groove énorme. Mark Stein envoie des nappes qui balayent tout. Il traîne le petit sucre d’orge de Led Zep par les cheveux jusqu’au sommet de la Soul. Une fois de plus, le miracle s’accomplit : la Soul blanche se fond dans le grand rock américain. Difficile de faire mieux. Ils doivent être les seuls à opérer à cette altitude. On s’en souvient, «Dazed and Confused» est l’un des sommets du premier Led Zep. Mark Stein le tient par la barbichette. Timmy coule un énorme bronze de basse. «Dazed and Confused» sonne comme un chef-d’œuvre prodigieusement désespéré. Mais Mark Stein ne cherche pas à faire son Plant. Il vise le punch. Et puis voilà qu’arrive le fameux pont où Jimmy Page joue de l’archet. Ensuite la machine se remet en route, sauf que chez le Fudge, la machine est une machine de guerre capable de rivaliser avec les Famous Flames ou le Family Stone de Sly. Rien que pour ce redémarrage de folie, l’album vaut d’être rapatrié. L’autre sommet du Led Zep 1, c’est bien sûr «Baby I’m Gonna Leave You», un cut si parfait qu’il est intouchable. Mais pas intouchable pour Mark Stein qui prend doucement son envol. Il sait qu’il s’attaque à un morceau parfait, il ne grimpe pas dans les aigus. Il reste bien au sol. Il chauffe à sa façon. Comme il dispose d’une voix de grand décideur, aucun couplet ne peut lui résister. Un solo de guitare donne le signal de l’envolée, mais le hurlement attendu brille par son absence. La version reste épaisse, infiniment moins fine que l’original, mais elle a des qualités intrinsèques - walking through the park/ every day ! - Dommage qu’ils n’aient pas tapé dans «Communication Breakdown» ou «Since I’ve Been Loving You». Vinnie Martell prend le chant pour une version cocasse de «Rock’n’Roll». Il monte très haut pour retrouver le chant hurlé de Robert Plant - Houllière ! Houillère ! - C’est la bande-son de Germinal. La version est solide, pleine de vox et d’Hammond. «Your Time Is Gonna Come» vient aussi du premier Led Zep. Cette reprise est une bénédiction. Mark Stein y tortille son chant de manière subversive. Il en fait un gospel dantesque et la grande machine de guerre se remet en route. Basse en folie, nappes d’orgue, démolition doll beat, ces gens-là n’ont plus rien d’humain.

Le dernier album du Fudge s’appelle Spirit Of 67 et paraît en 2015. Ils nous refont le coup de l’album de reprises. Ils sont certainement le meilleur groupe de reprises du monde, et ils savent choisir les morceaux. La preuve ? «I Heard It Through The Grapevine» qui vire à l’énormité d’entrée de jeu. Stein noie ça d’orgue. Carmine tend bien le beat. Nos vieux héros tapent dans les vieux hits des sixties pour en faire des montagnes effarantes et le vieux Vinnie part en solo. Ils tapent aussi dans l’«I Can See For Miles» des Who. Ils le tremblent à outrance et le noient dans une purée d’orgue dévastatrice. Puis ils tapent dans le «Break On Through (To The Other Side)» des Doors, mais ils ne peuvent pas les surpasser, car c’est impossible. La version du Fudge est trop arty, trop orientalisée. Vinnie sauve le cut de la faillite avec un solo fabuleux. Sais-tu que Vinnie Martell n’est jamais cité dans les classements des 10 meilleurs guitaristes de rock ? Les gens préfèrent Clapton, Brian May et David Gilmour, alors t’as qu’à voir. Le Fudge tape ensuite dans le vieux «Tracks Of My Tears» de Smokey Robinson et en fait de la charpie de heavy Soul. C’est eux qui ont inventé ce genre très particulier. S’ensuit une reprise terrible d’«I’m A Believer» qu’ils traitent à la heavyness apoplectique. C’est plombé comme un ciel d’orage. Impossible d’échapper à la colère de dieux. La mélodie appelle au secours. Stein la noie dans ses nappes et Carmine lui brise les reins. Ah les brutes ! Et ce n’est pas fini, car Vinnie part en solo fantôme. Ils tapent aussi dans «Gimme Some Lovin’». Ça leur va comme un gant. Vinnie chante ça d’une petite voix de nez, avec une sorte de prégnance intrinsèque - Awite, uh - Les copains le suivent dans la brèche et enfournent le souffle d’une déflagration nucléaire. C’est là que Vinnie part en solo coulant, fuyant, hors du temps, killer oui, mais à la revoyure du no way out. Ces mecs ont toujours eu le génie du son. Ils sont dans l’implacabilité des choses. Ils tapent aussi dans Buffalo Springfied avec «For What It’s Worth», idéal pour le heavy pathos à la petite semaine. Il y a des gens qui adorent ça. En plus c’est embarqué sur le tard par des dynamiques extraordinaires. Ah pour ça, on peut leur faire confiance. Ils finissent avec un «Ruby Tuesday» bombardé au heavy sound, pas de surprise, et une version superbe d’«A Whiter Shade Of Pale». Le Fudge plonge avec délectation dans le dandysme britannique de vestes brodées et de moustaches poudrées. Il faut voir tout le son qu’ils ramènent, des tonnes de son ! Du coup, ça s’élève et ça s’arrache du sol. Ils vont trop loin. Gary Brooker serait pétrifié à l’écoute de cette horreur grandiloquente. Le Fudge blaste le refrain au turbo-compresseur et Mark Stein envoie de gigantesques nappes de shuffle qui noient celles de Matthew Fisher. Quand le Fudge débarque en ville, les classiques s’enfuient en courant.

Lorsque s’achève la premier époque du Fudge en 1969 avec l’album Rock &Roll, Timmy et Carmine décident de monter le premier d’une longue série de super-groupes : Cactus.

Si tu collectionnes les grands albums de rock américain, n’oublie surtout pas le premier Cactus. Cette bombe atomique s’appelle tout bêtement Cactus et fut larguée en 1970. Diable, comme on a pu la vénérer cette petite bombe. Pas de pire démarrage que celui de Carmine dans «Parchman Farm». Appelons ça le beurre infernal. Il bat l’imbattable. Et l’ex-Detroit Wheels Jim McCarty coule littéralement de source. Ils sont tous les quatre terrifiants de power. Avec Cactus et Motörhead, on a fait le tour. Hélas, ils abîment leur bal d’A avec deux horreurs et sauvent les meubles in-extremis avec «You Can’t Judge A Book By The Cover». Fantastique fourvoiement, c’est chauffé à l’harmo avec des fous derrière, et Rusty fait son rintintin, ils sont mille fois plus incendiaires que ne le fut jamais Led Zep. Peut-on rêver meilleure giclée dans l’œil ? Non. Le petit préféré se trouve en ouverture du bal de B : «Let Me Swim», amené au tah tah poum Carminé et vite riffé par McCarty, le tout télescopé par Timmy et ses tiguilis de bas de manche, alors oui, c’est l’apanage du cheval blanc, le boogie américain le plus dévastateur qu’il soit permis d’imaginer, allumé à l’Oh yeah Rustyque, pas de meilleur boogie down ici bas. On voit même Timmy partir à contre-courant du solo de guitare. C’est d’une rare puissance trismégiste. Dans «No Need To Worry», McCarty fait son Jimmy Page, il joue au volubilisme vertigineux, perché à la note de revoyure. Ils tapent ensuite «Oleo» au heavy boogie rock de Cactus overdrive. Ils font le show tous les quatre, chacun dans son coin et tous ensemble, comme les Who, avec au cœur de la fournaise un solo de basse de Timmy qui vaut tout l’or du Rhin. Ils terminent avec la bonne grosse ambiance de «Feel So Good». McCarty sort des accords jazz incendiaires qui secouent les colonnes du temple, c’est le roi du heavy shaking de sonic blast et les démons cornus et poilus qui l’accompagnent ne font qu’aggraver les choses. It’s awite !

L’année suivante paraît Restrictions. On les cherche partout les restrictions, mais il n’y en a pas. Timmy embarque le moreau titre au glou-glou de bas de manche. Ça chante au pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette et McCarty part en vadrouille, alors que font les autres ? Ils tambourinent à la folie Méricourt. Voilà en gros ce qui se passe sur un album de Cactus. Ils rajoutent en plus des dynamiques de chœurs traînards, alors t’as qu’à voir. En 1971, ces mecs étaient les rois du monde. Leurs descentes d’organes sont terrifiantes. McCarty prend feu et Timmy dérape dans des flaques de chœurs, c’est un moment d’éternité. Il faut bien se rendre à l’évidence : Cactus est l’un des gangs les plus violents d’Amérique. Leurs explosions de chœurs sont stupéfiantes. On y décèle des échos de Jack Bruce dans Cream, «Tales Of Brave Ulysses» ou «Swlabr». Aw my Gawd, quel big bang ! Cart + Timmy + Carmine, ça ne pardonne pas. McCarty joue à la vie à la mort, poursuivi par Timmy et Carmine. Ils attaquent leur B avec «Evil». Timmy le pulse au bubblegum de bassmatic. Cette fois, il vole le show. Il joue aussi en contrefort des accords vinaigrés de Cart dans «Sweet Sixteen» qui vole le show à son tour, il joue à l’insistance du paramedic. Et voilà un «Bag Drag» contrebalancé dans un bourbier de heavy boogie down. Cart démolit ça à coups de revienzy oh-riffique - Oh what a drag - et Rusty chante à l’argh arrache, aw what a baaad drag !

Malgré sa pochette qui ne ressemble à rien, One Way Or Another est un superbe album. En 1971, «Big Mama Boogie Pt 1 & 2» frappa bien les imaginations. Cactus amenait ça au boogie d’harmo, dans l’esprit Little Walter et ça virait Deep Southern shuffle. Puis ils embarquaient le Pt2 au Cactus stomp et là, attention à Boogie Mama ! L’autre point chaud de l’album s’appelle «Rock’n’Roll Children». Ils étaient sur le pont tous les quatre et développaient vite leur business. Timmy se baladait dans le son avec une liberté totale, il incrémentait des notes et encapsulait ses triplettes de Belleville. En gros, il broutait la motte du son. C’est lui qui raflait encore la mise avec le morceau titre en B. Carmine et lui terminaient l’album de façon explosive avec cette espèce de funk-rock à la Cactus. Comme le Vanilla Fudge, Cactus était un phénomène unique. Ils tartinaient du pathos de dynamiques et avaient avec Rusty un excellent shouter. Timmy bâtissait en permanence un empire dans le son. Rusty Day chantait «Long Tall Sally» en criant comme une folle. Il méritait franchement d’être enfermé. Mais les autres ne valaient pas mieux : Carmine tapait comme un sourd et Timmy roulait tout dans sa farine. «Hometown Bust» nous permettait enfin de comprendre une chose essentielle : ces quatre mecs savaient enfoncer un clou dans un crâne. Tout sur cet album tient bien la route. Beaucoup trop bien.

Comme le Rooster a tourné avec Cactus aux États-Unis, Timmy et Carmine on repéré Frenchie. Et le jour où il leur faut remplacer Rusty Day, ils font appel à lui. Frenchie rejoint donc Cactus en 1972 pour enregistrer Ot ‘N’ Sweaty. Un nommé Werner Fritzschings remplace le mighty Jim McCarty et dès le «Swim» d’ouverture de bal d’A, on se reprend une giclée dans l’œil. Le Werner en question est bon, mais pas aussi bon que Cart. Bon, alors les voilà repartis dans leur boogie hot & sweaty, c’est très cousu de fil blanc, pas de surprise. On perd un peu la niaque du premier Cactus qui était on s’en souvient un petit chef-d’œuvre bombastique. Le cut de Frenchie qui ouvre le bal de la B est très intéressant. Il s’appelle «Bad Stuff» et sonne très Jeff Beck Group. C’est un beat têtu comme une bourrique qui va son chemin de Bad Stuff, hey ! On se calera l’estomac avec un «Bedroom Mazurka» bien joué, monté sur un joli beat pulsatif et chanté à l’Anglaise. C’est dingue ce que Frenchie amène dans le jus de Cactus. On croirait entendre les Faces avec la folie du team Appice/Boggert en sur-couche. Excellent ! Frenchie montre encore les dents avec «Telling You». Il se fond idéalement dans le Cactus.

Pendant que Timmy & Carmine font les cons dans Cactus, Mark Stein monte Boomerang pour enregistrer quelques belles pièces de heavyness. Dès «Juke» on est saisi par la puissance démoniaque du groupe. Le cut se noie dans les bonnes vieilles guitares seventies et Mark Stein tient tout ça à l’orgue. Stein ne stipule pas, il joue. Il passe ensuite au balladif avec «Fisherman». Eh oui, Mark Stein va au balladif comme d’autres vont aux putes. Il sait admirablement bien gérer un balladif. Il en comprend l’essence et la distance. C’est un excellent maraudeur. On ne se lasse pas d’entendre sa voix écarlate pleine d’échos du soleil couchant. Mark Stein est un soul man à la new-yorkaise, toujours dressé on the fringe of chaos. «Hard Times» confirme l’excellence de l’album. C’est plein d’allant, teinté de folk et tapissé de shuffle d’orgue. Avec «Mockingbird», il invente la heavyness des enfers du paradis. C’est le son dont rêvent tous les romantiques en haillons. On se croirait presque chez le Fudge, mais il manque les télescopages de Timmy et les coulis de Vinnie Martell. Encore une perle noire avec «Cynthia Ferver» : on y entend un solo malin comme un crocodile du Nil. Pure merveille que ce dernier cut qui s’appelle «The Peddler». C’est onctueux et bardé de son, de ponts et de dons. Ça n’en finit plus d’exacerber les notules. Le nommé Rameriz part en coulée de solo et obtient les faveurs du géant Stein, le maestro vanillé, capitaine de l’un des groupes phares de l’âge d’or du rock américain. Oui, ils savent dépiauter l’arbalète, ils savent ériger un bye bye d’hymne de Peddler.

Lorsque s’achève la première époque de Cactus, Timmy et Carmine s’acoquinent avec le meilleur guitariste de rock anglais, Jeff Beck. L’album qu’enregistrent Beck Bogert & Appice en 1973 n’a pas de titre. Pas non plus de pochette. On les voit tous les trois au dos, heureusement. Il est important de savoir que Don Nix produit l’album. C’est en gros le même cas de figure qu’avec West Bruce Laing : un album de surdoués en forme de pétaudière, un sabbat dont les acteurs ne seraient pas des sorcières mais des fous géniaux. Il faut entendre Timmy se balader dans le son de «Lady». On croit tous que Jeff Beck est le virtuose, mais non, c’est Timmy. Il pétarade et il télescope, il joue dans tous les coins et dans tous les sens, il fout le souk dans la médina. Le chant évoque celui de Jack Bruce. C’est Carmine qui chante. Il chante aussi l’«Oh To Love You» qui suit. Les harmonies vocales sont dignes de celles du White Album, c’est dire si. Une vraie merveille. Et puis voilà la première bombe : une cover de «Superstition» que chante Timmy. Version heavy et délectable, farcie de power comme une dinde de Noël. Non, il n’existe décidément pas de meilleure section rythmique sur cette terre. C’est monté aux harmonies vocales et bombardé au bassmatic invétéré. Jeff Beck joue comme Jimi Hendrix au Vietnam, il arrose la jungle de napalm. En B, ils passent en mode Southern rock avec «Why Should I Care» que chante encore Timmy. Puis avec «Lose Myself With You», ils glissent dans une excellence qui n’en finit plus d’exceller. C’est encore plus fin que le Fudge. Timmy chante ça au chat perché. Un juste équilibre semble s’installer entre les trois Béhémoths. Nouveau shoot d’exemplarité du power trio avec «Livin’ Alone», joué au meilleur boogie blast de super bowl. Quel festin de power ! Il faut voir comme leur beat balance bien, il semble même élastique, quasi-caoutchouteux, comme une bite au printemps, alors pour Jeff c’est du gâteau. «I’m So Proud» confirme la tendance globale, celle d’une qualité d’album exceptionnelle. On comprend que ces trois-là se soient acoquinés. Et d’ailleurs, chaque fois qu’on retrouvera le team Timmy/Carmine ce sera la même chose : qualité d’album exceptionnelle. On l’a vu avec Vanilla Fudge, Cactus et dans tous les plans que Timmy va monter dans l’avenir.

Trente-cinq ans après Ot ‘N’ Sweaty, Cactus refait surface avec Cactus V. Tout ce qu’on peut en dire, c’est qu’il s’agit d’une bombe atomique. Et ce dès «Doing Time», amené au heavy boogie down. Cart hante le son. Le chanteur s’appelle Jimmy Kunes et, comme le disent si élégamment les Anglais, he sings his ass off. Voilà du big sound de non-retour, celui dont rêvent toutes les générations de rockers de banlieue. Aw, il faut voir le furet Cart partir en killer goguette. On dirait qu’il a fait ça toute sa vie, alors schlouf ! C’est claqué au plus haut niveau de l’état. Quand un mec comme Cart ouvre le bal au heavy riff, c’est du gâteau pour le chanteur. Jimmy Kunes chante son «Muscle & Soul» à la belle insidieuse, she knocked me flat, on veut bien te croire, Kunes, et ce démon de Cart part en solo greasy, en shoot supérieur de sleazy bang, il traîne bien ses notes dans la boue. Et Timmy dans tout ça ? Oh il est juste derrière, il joue ses atonalités dans un coin. S’ensuit un «Cactus Music» bien embarqué pour Cythère. Timmy hoquette derrière et va fureter dans ses triplettes de bas de manche. Cactus serait donc le groupe de rock le plus powerful d’Amérique ? Oui, sans aucune doute, avec Vanilla Fudge. Ce qui ne surprendra personne, vu qu’ils ont la même section rythmique. On ne se lasse pas de voir ce démon de Cart partir en vrille de non-retour, il est dans l’énergie de la vague, comme le fut avant lui Jimi Hendrix, il crée du jus en jouant, c’est très spectaculaire. Il repart même une deuxième fois. Cart fait le show dans tous les cuts, il se balade dans le boogie d’harmo de «The Groover» comme un affreux virtuose sans foi ni loi. C’est simple : on attend autant de sauvagerie de la part de Cart que de celle de Ron Asheton. Ils sont de la même école : Detroit. On voit encore Cart planer comme un vampire au dessus de «High In The City» et il revole un show déjà bien volé avec le heavy blues de «Day For Night». Il faut dire que Cart a du pot d’avoir Carmine et Timmy derrière. Voilà donc le big heavy blues de Cactus. Cart craque ses notes à la bloblotte, c’est magnifique. En matière de fast boogie blast, ils n’ont pas perdu la main, comme le montre «Living For Today». Ils sont incapables de la moindre retenue. Par moments, Kunes gueule un peu et mord le trait, dommage. C’est Cart qui fait le son. Il fonce en permanence. Il nous fait la grâce d’un killer solo flash dans «Electric Blue», heavy on the rocks comme un Martini de coyote. Ah les vrilles de Cart, on n’en finirait plus de les célébrer ! Cart rôde dans le son comme un requin en maraude, pendant que Carmine bat tribal - you are the singer, you are the song - et Cart part en vrille de suraigu d’accès total, il vrille à la renverse dans un abîme sonique. Cet album n’en finit plus d’exceller. Retour à la big heavyness avec «Part Of The Game», somebody help me ! Ils nous plongent dans le chaos du heavy blues de l’ère psychédélique et c’est fameux ! Une vraie merveille arachnéenne, pleine de climats changeants, gorgée de venin sonique, Carmine tente de juguler les tubulures, mais c’est compliqué, alors il bat à la folie et ça devient la pire des énormités qui se puisse imaginer ici bas. Et tout explose à nouveau avec «Gone Train Gone». Ce délicieux chanteur qu’est Kunes s’écroule dans les flammes, Carmine et Timmy sont les dieux du feu. Cactus n’est rien d’autre qu’un ramassis de dingoïdes faramineux. Ils terminent cet album somptueux avec «Jazzed» qui sonne comme un défi. Eh oui, ils se mettent à jazzer, ils bouffent le jazz à leur façon. Cart jettent les dés du jazz, il est écœurant d’aisance et du coup, Timmy et Carmine chopent le mythe du jazz-rock et le clouent tout sanguinolent à la porte de l’église. Voilà le travail.

L’histoire de Cactus ne s’arrête pas là. Le groupe refait surface en 2016 avec Black Dawn. On y retrouve l’excellent Jimmy Kunes. Timmy ne joue pas sur cet ultime Cactus, un certain Peter Berry le remplace. Donc on l’écoutera principalement pour Cart.

Par contre, Timmy est bien sur l’excellent Cactus Live, un concert filmé New York en 2007 et donc dispo sur DVD. On ne peut pas se lasser de revoir ces mecs jouer : on a longtemps considéré Cactus comme des bourrins, mais c’est une erreur, ils sont la suite logique du Vanilla Fudge et des Detroit Wheels, rien à voir avec les bourrins du hard. Comme Motörhead, la presse a voulu en faire un groupe de hard. C’est exactement le même malentendu. Ni Cactus ni Motörhead n’ont jamais trempé dans le hard. Ce sont des groupes de power rock, ce qui n’a rien à voir et certainement les meilleurs du genre. On le comprend mieux quand on voit Cart faire son Béhémot sur sa Les Paul noire, Carmine exploser d’ultra-présence subterranean et le vieux pépère Timmy claquer ses microdots des dix doigts. La vieille démesure du Vanilla Fudge est toujours là, minus l’orgue Hammond. Timmy continue de pulvériser ses volées de notes à la croisée des chemins, pas ceux de Vinnie Martell, mais ceux de Cart. Et bien sûr, l’excellent Jimmy Kunes chante son ass off. C’est le seul chanteur américain qui puisse égaler Rod The Mod. Il fait même le con avec son pied de micro comme le fit jadis Rod The Mob, au temps des bas-fonds de Chicago. Kunes se montre même plus juteux que Rusty Day sur «Let Me Swim», un Swim idéal pour ce batteur des galères qu’est Carmine, wow, il faut le voir battre à la lourde, il passe à la cadence d’éperonnage. Dans le feu de l’action, l’excellent Jimmy Kunnes amène un jus considérable à cette machine infernale. Grâce à lui, Cactus tient toujours debout, depuis la mort de Rusty Day. Ils dédicacent d’ailleurs «One Way Or Another» au pauvre Rusty Day qui, tu t’en souviens, fut abattu de plusieurs rafales de mitraillette lors d’un bad deal de dope. Cette fois, les choses avaient vraiment mal tourné. Mais bon, Cactus continue et c’est un bonheur pour l’œil que de voir jouer Timmy les jambes écartées, comme un vétéran de toutes les guerres. Cart mène le bal des vampires, comme il le fait depuis quarante ans. Idem pour Timmy qui joue la carte de l’ultra-présence. Cart fout le feu à tout, à l’immeuble, à la plaine, rien de nouveau, en fait, lui et Timmy occupent tout l’espace, but after all, c’est Cactus. Cart revient inlassablement, il traîne dans le son à la note dégueulasse, toujours en contrepoint du bassmatic aléatoire de Timmy, qu’on appelle aussi l’aventurier de la basse perdue. Ils pourraient très bien virer hard ou prog, mais non, ça reste du Cactus emblématique. Leur intégrité est intacte. Ils sont intouchables. Dans «Muscle & Soul», Cart prend l’un ces killer solos dont il a le secret, grimaçant comme un diable de grimoire. Il fourbit avec Timmy l’abominable final apocalyptique, Cart le fusille même à la slide, t’as qu’à voir ! C’est dans «Oleo» que Timmy prend son solo de basse. Il joue sur une six cordes et claque tout en harmoniques délétères. Il fait sonner sa basse comme une guitare fuzz. Avec lui, le seul qui sait faire sonner une basse comme une guitare, c’est Jack Bruce, dans un Live At Klook Kleek, au temps du Graham Bond ORGANization. Avec «Evil», ils réveillent tous les démons du That’s evil goin’ on. La bassline de Timmy est un véritable chef-d’œuvre de constructivisme vitupérant. Dommage qu’il y ait ce solo de batterie. Et le festin de son se termine avec «Parchman Farm» et le gimmicking endiablé de Cart. Carmine et Timmy battent la campagne. Pour les plus curieux, un bonus nous montre le groupe dans le backstage : ils jouent deux cuts sur des petits amplis de répète. Carmine bat sur une chaise et l’excellent Jimmy Kunes chante sans micro. Il est important de rappeler que Jimmy Kunes est excellent.

Signé : Cazengler, Tim Boberk

Vanilla Fudge. Vanilla Fudge. ATCO Records 1967

Vanilla Fudge. Renaissance. ATCO Records 1968

Vanilla Fudge. The Beat Goes On. ATCO Records 1968

Vanilla Fudge. Rock & Roll. ATCO Records 1969

Vanilla Fudge. Near The Beginning. ATCO Records 1969

The Pigeons. While The World Was Eating Vanilla Fudge. Metronome 2001. 1973

Vanilla Fudge. Mystery. ATCO Records 1984

Vanilla Fudge. The Return. Worldsound 2003

Vanilla Fudge. Good Good Rockin’. Music Avenue 2005

Vanilla Fudge. Out Through The In Door. Escapi Music group 2007

Vanilla Fudge. Spirit Of 67. Purple Pyramid Records 2015

Boomerang. Boomerang. RCA 1971

Beck Bogert & Appice. Epic 1973

Cactus. Cactus. ATCO Records 1970

Cactus. Restrictions. ATCO Records 1971

Cactus. One Way Or Another. ATCO Records 1971

Cactus. Ot ‘N’ Sweaty. ATCO Records 1972

Cactus. Cactus V. Escapi Music 2006

Cactus. Black Dawn. Sunset Blvd Records 2016

Cactus Live. DVD MVD 2007

 

L’avenir du rock -

Le cran des Screw - Part Two

Comme tous les avenirs, l’avenir du rock n’a ni dieu ni maître. Il vit uniquement selon ses règles et s’adonne à tous les vices. Il adore par dessus tout transgresser. Curieux, gourmand, vénal, il n’est pas l’avenir du rock qu’on imagine, le menton volontaire et les dents d’une éclatante blancheur, non, l’avenir du rock se fond dans le mess around et veille à voir ce qui doit être vu. Il ne se prive d’aucun écart, pourvu qu’il fût jouissif. L’un de ses vices consiste justement à jouir en dehors toute contrainte morale ou esthétique, mais sans se livrer, comme le firent en leur temps les Surréalistes, au rite suranné de l’automatisme psychique de la pensée. L’avenir du rock voit les choses disons plus prosaïquement, il aime à enfiler les cuts comme des culs et à polir en cadence le chinois du beat, il préfère la lie de la terre au lit de la tare, il boit sa coupe plutôt que de battre sa coulpe, il pêche dans le désert plutôt que de prêcher dans un derrière, il préfère s’empêcher de rêver plutôt que de s’épancher en trêves, il libère des gaz plutôt que de gazer des Ibères, il promeut l’excès plutôt que l’accès au meuh, il préfère cent fois donner un gage plutôt que de gager la donne et presser le pas plutôt que de passer après. Il tient surtout à préciser qu’il ne faut pas confondre l’avenir du rock et l’avenir des groupes de rock. Certains groupes n’ont pas d’avenir, mais leur rock peut en avoir un. C’est ça en fait l’avenir du rock.

 

C’est le cas de Bubblegum Screw, un groupe basé à Londres qu’on découvrit en 2014, dans un bar havrais. Bubblegum Screw s’appelle désormais Neon Animal et la parution de leur nouvel album servira en fait de prétexte à saluer la mémoire de Laurent, un compagnon de route disparu en début d’année, qui à l’époque flasha sur les Screw, au point d’aller acheter leur T-shirt après le concert. Rien de moqueur là-dedans, Laurent avait le bec fin et un goût prononcé pour ce genre de groupe qui avait pour double particularité d’être excellent sur scène mais de n’avoir aucun avenir. Nous n’étions tout au plus qu’une dizaine dans le bar. Comme les gens qui étaient là, nous savions que la prog de l’Escale était exceptionnelle, au moins autant que pouvait l’être celle du Ravelin toulousain, au temps de Gildas. Alors que les toulousains affectionnaient les groupes gaga-punk, l’Escale jetait son dévolu sur la scène glam-punk anglaise.

Quelle hécatombe, quand on y pense ! Des quatre noms cités, seul le Ravelin a survécu.

Rien n’est plus excitant qu’un bon groupe de glam-punk. Comme les DeRellas, Kevin K, D-Generation, Silverhead, les Dogs d’Amour, les Hollywood Brats, les Richmond Sluts, les Anglais de Bubblegum Screw se réclament des Dolls : peaux de léopard, yeux soulignés au khôl, tattooos, tignasses en liberté, ceinturons à clous, platform boots, son bien gras, big beat et chœurs d’artichauts. Le chanteur s’appelle Mark Thorn. Il ressemble de façon troublante à David Johansen. Sur scène, il évoque aussi le Jagger de 1965 et l’Iggy de 1969. Il trépigne et arrose de sueur l’unique rangée de spectateurs pétrifiés. On voit rarement un type gesticuler avec autant de hargne sur une scène. Il est tellement surexcité qu’il martyrise le peu d’ustensiles laissés à sa disposition : le micro, le câble de micro et le pied de micro. Il saute, se cabre, hennit, frétille, ahane et s’ébroue. Il fait tout ça très bien dans le feu de l’action, mais ce qu’il fait le mieux, c’est chanter. Il a le même genre d’énergie que David Johansen. Il ne dispose pas du même registre vocal, c’est sûr, mais sa voix tient admirablement la route. Il sait se placer au dessus du chaos des guitares. Il est à la fois dollsien, stoogien et stonien. Franchement on se demande pourquoi ce mec n’est pas déjà en couverture de Rock&Folk. On croise rarement des glamsters de son acabit. Sur scène, il ne porte qu’un gilet en peau de léopard, un jean ultra-moulant qui a du vécu et des boots de sleazer. Voilà pourquoi Laurent flasha.

Ce groupe fut tellement maudit, qu’il ne parvint jamais à signer sur un label. Leurs deux albums sont apparemment auto-produits. Jamais pu mettre le grappin sur le premier. Par contre le deuxième était en vente au merch ce soir-là. Il s’appelle Filthy Rich Lolitas et on le recommande chaudement aux amateurs de glam-punk. Beau clin d’œil à Nabokov, «Lolita» est fait pour se glisser dans ta culotte. Le guitariste nommé Zach Rembrandt profite de cette apologie de la nymphette pour passer un solo scintillant. Autre clin d’œil magistral avec «Tura Satana». Comme les Dustaphonics, Mark Thorn et ses amis rendent un bel hommage à la grande Burlesque Queen - Dressed to kill ! Dressed to kill ! - sur fond de boogie-rock chauffé à blanc. Mais l’hommage le plus spectaculaire de cet album est celui qu’ils rendent aux Stooges avec «Play Some Fucking Stooges». Zach Rembrandt a recyclé les paroles les Stooges que nous connaissons tous par cœur - So messed up when she is there/ In my room rock action’s near/ I burn myself on her record sleeve/ And I’m face to face to that guillotine - Il reprend même les riffs stoogiens les plus connus - Aw c’mon - et du coup cet album devient rudement excitant. On s’en goinfre. Le batteur Seb Frey embarque «Second Class Citizen» au beat des forges et ils bricolent tous les quatre l’une de ces fabuleuses montées en température qui font la grandeur de leur set. Seb Frey bat comme un beau diable. Ils jouent aussi «I Wanna Fuck You So Much It Hurts Me» au rentre-dedans - Fuck you, Fuck you ! - Leur «Cannibal Girl» vaut aussi le détour car ils vont loin dans la débauche énergétique. Leurs deux grands hits sont «Glam Rock Doll» et «Rock And Roll Dream». En tous les cas, ce sont les deux cuts qui percutent le plus sur scène - My little glam rock girl ! - C’est embarqué à train d’enfer. Seb Frey bat ça si sec ! Il bat le beurre punk, mais le punk anglais. Et derrière ça braille - See you next rock’n’roll ! - Justement, voilà «Rock And Roll Dream», joué à l’envolée. Ils deviennent assez monstrueux - You better watch out for the rock’n’roll dream/ You don’t have to stay if you don’t like what you hear - Ça sonne presque comme un hit. Héroïque, Zach Rembrandt relance tant qu’il peut.

On avait bien apprécié ce groupe sur scène, mais on voyait bien que leur glam-punk n’intéressait pas grand monde. N’étant pas homme à baisser les bras, Mark Thorn vient de remonter Neon Animal. Grâce à Vive le Rock, on apprend qu’il fait paraître un album, Bring Back Rock’n’roll From The Dead. On le rapatrie aussi sec. Bon, alors cet album a ses qualités et ses défauts : ça démarre sur un «I’m Killing Myself» très stoogy, joué à la raw energy. Ils stoogent leurs power-chords jusqu’à l’os et font illusion le temps du cut. Mais le «Spin» qui suit paraît terriblement inutile. Mark Thorn a beau gueuler Spin, ça ne sert à rien, personne n’est là pour l’entendre. Avec le morceau titre, Mark et ses amis se prennent pour les Hellacopters. Aucun espoir d’avenir. C’est même absurde. Quand tu n’as pas de chansons, t’es cuit, c’est aussi bête que ça. Le disk continue de s’enfoncer avec «Kiss Like Dynamite». Qui va aller écouter ça aujourd’hui ? On croit parfois entendre Stiv Bators, ce qui n’est pas franchement un compliment. Ils ressurgissent du néant composital avec «From Hero To Zero». Mark Thorn sonne comme Iggy. C’est joué dans l’esprit du temps d’avant. Ce mec est bon, mais il arrive beaucoup trop tard.

Le deuxième album de Neon Animal vient de paraître : Make No Mistake. Même affaire que précédemment : son gras du bide et un Mark Thorn à l’affût, comme un vieil oiseau de proie. Il chante son «Rock’n’Roll War» à l’emphase glam-punk et le bassmatic tient le cut en haleine. L’avantage est qu’on sait tout de suite où on est : sur l’album d’un groupe qui n’a pas d’avenir mais dont le rock est criant de véracité. Mark Thorn ne fait que perpétuer un art, mais il le fait bien. Ses cuts se suivent et se ressemblent, c’est comme dirait l’autre du déjà vu. Et pourtant ils y croient dur comme fer. C’est bardé de son et le solo descend bien sûr en enfer. Leurs cuts sonnent tous comme des belles dégelées. Ils tombent dans tous les panneaux, les uns après les autres. Dans «Rock’n’Roll Suicide», ils multiplient les dégoulinures de solo, mais c’est précisément ce qui fait leur grandeur, l’héroïsme. Ils sont probablement le dernier groupe capable de ce genre d’exaction. Ils ont le mérite d’exister en ces temps de désintégration et ça vaut d’être salué. Si KRTNT ne le fait pas, qui le fera ? Cet album est une collection de clichés intrinsèques, c’est malheureux à dire, mais c’est hélas la vérité, fuck me baby ! Comme le guitariste joue sur une Les Paul, on entend des solos fabuleux. Si on aime la soupe épaisse, on se régale. Il faut se dépêcher d’en profiter, car après eux, il n’y a plus rien. Mark Thorn chante comme un dieu et il se prête avec «Hello LA» au petit jeu du balladif toxique et c’est absolument superbe. Il se pourrait bien qu’«Hello LA» aille tout seul sur l’île déserte. Mark Thorn explose l’Hello. On retrouve le rebondi riffique des Stooges dans «Raquel» et ils jouent leur dernière carte avec un «Rock’n’Roll War Edit» explosif, alors on les suit jusqu’en enfer. Merci Mark Thorn d’avoir croisé notre chemin.

Signé : Cazengler, l’eusse-tu screw ?

Bubblegum Screw. Filthy Rich Lolitas. 2014

Neon Animal. Bring Back Rock’n’roll From The Dead. Neon Animal 2017

Neon Animal. Make No Mistake. Cargo Records 2020

 

Inside the goldmine - Betty à risques

En débarquant sur ce rivage inconnu, Cabretta de Vaca et ses hommes mirent le genou en terre. Ils déclarèrent solennellement ce territoire propriété du très saint roi d’Espagne. Ils se mirent ensuite en route et pénétrèrent dans une forêt extraordinairement antipathique. En homme avisé, Cabretta de Vaca fit se déployer les arquebusiers de part et d’autre de la petite colonne, de façon à protéger ses flancs. Des flèches tirées depuis le haut d’arbres gigantesques transpercèrent quelques gorges espagnoles, mais ne voulant pas mettre l’expédition en péril, Cabretta de Vaca préféra laisser les blessés derrière lui. Croyant pourvoir effrayer les sauvages, il obligea le sacristain de l’expédition a prendre la tête de la colonne en brandissant un crucifix. Comme le sacristain tremblait de peur, Cabretta de Vaca lui fit crever les deux yeux et lui ordonna, en échange de la vie sauve, de marcher tout droit et de réciter des psaumes, ce qu’il fit sans rechigner. Ils marchèrent ainsi pendant des mois, quittant les zones de forêt tropicale pour entrer dans des zones désertiques, puis de zones vallonnées. Ils convertirent quelques tribus indiennes et décimèrent celles qui refusaient d’embrasser le crucifix que brandissait le sacristain aux yeux crevés. Des guides indiens se joignirent à l’expédition. Ils parlaient d’une cité mystérieuse du nom de niou-orlinne. Comme Cabretta de Vaca avait fait crever les yeux du sacristain chargé de tenir le registre de l’expédition, il dut s’en charger lui-même, car aucun de ses hommes ne savait écrire. Ils n’étaient pour la plupart que des soudards. Cabretta de Vaca restait donc sur ses gardes. Sa survie dépendait uniquement de l’impact de son look de séducteur aristocratique aux joues creuses. Ils traversèrent pendant des mois un immense marécage que les Indiens appelaient bayou. Conçu de toute évidence par le diable, le bayou était infesté de monstres carnivores que les indiens appelaient aligâteaux. Ils arrivèrent enfin en vue de niou-orlinne. Les guides étaient affirmatifs. Si, si, señor, niou-orlinne ! Pouet pouet ! Ils entrèrent dans la cité sans rencontrer la moindre résistance. Ils virent des êtres à la peau noire souffler dans des instruments inconnus. Pouet pouet ! La cité était étrangement construite, par carrés de huttes rococo. Cabretta de Vaca et ses hommes hésitaient à massacrer cette population étrangement pacifique. Pouet pouet ! Il demanda aux guides indiens de lui expliquer la signification du Pouet Pouet. Se moquaient-ils du Christ ? Fallait-il en pourfendre quelques douzaines pour donner l’exemple de la foi ? No, no, señor, niou-orlinne ! Pouet pouet ! Cabretta de Vaca sentait la moutarde lui monter au nez. Pouet pouet ! En passant devant l’une des huttes rococo, il aperçut une très belle femme à la peau noire. Elle se tenait face à la lumière du jour, en position de locus solus. Il demanda aux guides quel était son nom. Ils répondirent qu’elle était la quinne de niou-orlinne pouet pouet !

 

Historiquement, Cabretta de Vaca fut donc le premier à découvrir Betty Harris.

Elle avait 19 ans quand elle découvrit Big Maybelle sur scène à l’Apollo Theater. Fascinée par la chanteuse, Betty alla la trouver dans sa loge pour lui demander comment il fallait s’y prendre pour devenir chanteuse de Soul. Big Maybelle la prit sous son aile. Elle l’emmena en tournée pour lui apprendre les rudiments du métier. Big Maybelle présenta un jour Betty à Solomon Burke et Solomon la présenta ensuite à Bert Berns.

C’est donc grâce à Bert Berns que Betty Harris est arrivée jusqu’à nous. Bert avait du goût. En effet, dans son studio venaient aussi chanter Erma Franklin, Little Esther Phillips, Lorraine Ellison et Tami Lynn, vous voyez le genre. Et on ne parle pas des mâles ! Bert Berns ne s’intéressait qu’aux gens fabuleux, comme le fit d’ailleurs Phil Spector.

Un jour Bert lui proposa de reprendre « Cry To Me », un hit de Solomon Burke qu’il avait déjà produit et d’en ralentir le tempo. Bingo ! Betty fit son entrée dans les charts. En 1964, elle partit s’installer à la Nouvelle Orleans et tomba dans les pattes d’une autre monstre sacré : Allen Toussaint. S’établit entre eux le même genre de relation qu’entre Dionne Warwick et Burt Bacharach. Ils enregistrèrent ensemble une petite série de singles magiques et elle se retira du showbiz en 1970 pour élever ses enfants.

Alors, évidemment, les collectionneurs de Soul se disputent aujourd’hui les singles qu’elle enregistra entre 1964 et 1970. Une âme charitable eut l’idée de les rassembler sur une compile intitulée à juste titre Soul Perfection qui est aussi devenue inaccessible. Miraculeusement, un petit label australien a réédité le même genre de compile en 2005 sous le titre The Lost Soul Queen. Ouf ! Au moins, ceux qui veulent écouter les singles magiques de Betty Harris peuvent le faire démocratiquement, sans avoir à sortir de leur poche un billet de cent.

Très franchement, il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. Pour Clive Anderson, spécialiste de la Soul, Betty Harris est «the best soul singer caught on wax today». Mais oui, Betty Harris est une chanteuse atrocement douée et Bert Berns l’avait bien compris. C’est justement le remake de «Cry To Me» qui ouvre le bal compilatoire et il faut voir comme elle hurle dans le slow étouffant de chaleur. À partir de là, on va aller de choc en choc. Monstrueux cut que cet «I Don’t Want To Hear It» - Now you can call me on the telephone - Elle nous fait le coup de la démence de la femme noire émancipée. Féline, elle rôde dans le groove et l’explose. On la sent bien, dans l’ombre, à quatre pattes. Elle fait en fait du Tamla beaucoup plus wild que le Tamla qu’on connaît. Et ça continue avec «The Trouble With My Love», un vieux groove dément plombé par la basse. À se damner pour l’éternité. On songe avec tristesse aux pauvres malheureux qui ne connaissent pas Betty Harris. C’est une barbare, une véritable brouteuse de beat, une blasteuse d’envergure. Elle nous fait plus loin le coup du slow gravement imprégné de péché avec «What Did I Do Wrong». Elle est aussi sensuelle que l’early Tina. Elle culpabilise à outrance et charge sa barque de tout le pathos du monde. Elle attaque ensuite «I’m Gonna Get You» au gros frisson. Elle rattrape ses grooves juste au moment où ils basculent dans le vide. Spectacular ! Encore plus monstrueux : «Mean Man», groove Staxy avec des chœurs qui s’insinuent - Mean man/ He’s a cool man - On n’avait encore jamais vu ça ! Les hits de Betty Harris ont une portée immédiate et universelle. On reste dans l’énormité avec «Hook Line And Sinker» qui va bien au delà de Stax et de Tamla. Elle fait la crème de la crème à elle seule, elle hurle les mains sur les hanches - Baby I love yeahhhh - S’ensuit un solo de cochon. On goûte là l’excellence d’une Soul Sister hors du temps. On reste dans le gros r’n’b avec «Twelve Red Roses». Encore une énormité qui dépasse l’entendement. La Soul de Betty Harris emporte les barrages. Son énergie submerge tout. Elle tape dans le vieux hit de Lee Dorsey, «Ride Your Pony» : voilà le pire truc qu’on puisse imaginer. Betty sucre les fraises du pony et elle redouble d’onomatopées - Now shook shok ! Ride ! Hey hey Hey ! - Les Meters sont derrière et ils dégagent une énergie considérable. C’est pas compliqué : tout est bon sur ce disk. Quand on entend «Sometime», on comprend qu’elle est la plus sexuelle des chercheuses d’or. Elle revient à l’énormité du groove avec «All I Want Is You». Il faut voir comme elle pose sa voix sur le cut. Elle reste terrifiante de classe. Elle finit avec une pure sorcellerie intitulée «Break In The Road», un modèle de beat.

Et puis, comme par miracle, elle fit son retour en 2007 avec un album inespéré, Intuition. On croit rêver : l’album est mixé par Jake Burns et Dan Penn ! Inutile d’ajouter qu’il s’agit là d’un album ex-tra-or-di-naire. Tous les morceaux sans exception sont bons. Elle fait un peu sa Tina sur «Is It Hot In Here», mais elle veille au bon niveau de ce shoot de boogie. Elle chante son morceau titre sous le manteau, mais avec une grosse présence. Voilà l’archétype du groove placide que Betty chante d’une voix sucrée. On ressort de ce cut complètement envoûté. Elle tape dans le r’n’b à l’ancienne avec «Still Amazed». Betty a su garder sa voix. Freddie Scott duette avec elle dans «Since You Brought Your Sweet Love» et elle nous sort son timbre le plus âpre. On retrouve Jerry Ragovoy un peu plus loin avec l’une de ses compos, «How To Be Nice». Jerry fut lui aussi très proche d’elle, à l’époque du Brill et des premiers enregistrements avec Bert Berns. Avec «Time To Fly», Betty revient au gros son des seventies et à Bonnie Bramlett. Elle a suffisamment d’envergure pour transformer ce cut en huitième merveille du monde. Jerry Ragovoy joue du piano sur «It Is What It Is», un vieux groove écœurant de qualité. On reste chez les géants de cette terre avec «Need», un hit signé Don Covay. Betty claque le groove comme si elle était la reine de Saba. Elle gronde sous la surface du groove - I don’t need no love - Les hits de Don Covay sont d’une efficacité remarquable, Aretha et Wilson Pickett sont bien placés pour le savoir. Betty ramène tout le ruckus du r’n’b à la vie. On appelle ça un tour de magie. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin de l’album, avec «Tell It To Te Preacher Man», véritable coup de génie, elle bouffe Tony Joe White tout cru et elle finit avec «Happiness Is Mine», énorme r’n’b à la sauce Tamla et elle y va !

Signé : Cazengler, Betty à manger du foin

Betty Harris. Soul Perfection. Sansu 1980

Betty Harris. The Lost Soul Queen. AIM 2005

Betty Harris. Intuition. Evidence Music 2007

 

Un certain Sartain

Il n’existait pas d’homme plus discret que Dan Sartain. Pour rester en cohérence cette qualité devenue rare à l’âge d’or du m’as-tu-vu, le pauvre Dan a cassé sa pipe en bois dans la plus parfaite discrétion. Pas de vagues, pas de couvertures de magazines. Dan Sartain est resté underground jusqu’au bout des ongles. Dan Sartain lives no more.

De son vivant, il évoqua la vie à deux reprises : en 2010 avec Dan Sartain Lives, et en 2012 avec Too Tough To Live. Le petit dépliant qui accompagne Dan Sartain Lives propose une série de portraits d’un Dan plutôt émacié. C’est vrai que les artistes pauvres n’ont pas grand chose à se mettre sous la dent en Alabama. Il a ce regard hagard des gens qui crèvent la dalle. Mais sur certaines images, il arbore aussi un beau look rockab. Le hit de l’album s’appelle «Voodoo», une espèce de heavy gaga d’Alabama qui laisse baba, assez comique et bien pensé, vraiment excellent. Il est encore plus imparable avec ce «Walk Among The Cobras IV» qu’il ramone au rumble de rockab. On le voit aller chercher l’itchy crampsy dans «Bohemian Grove» - What I expect - Le problème, c’est qu’il va chercher chaque fois un son qui n’a aucune chance. L’album sent la pauvreté. Pourtant il cherche à en imposer, c’est très curieux comme ambiance. Il drive son «Ruby Card» en mode rockab mais avec des effets, il est partout, oh baby doll, il sait rester présent dans le son. De toute évidence, Dan est doué, il ne lui manque qu’une chose : les compos. Il repart en mode rockab sur «I Don’t Wanna Go To The Party». Il est parfaitement à l’aise, Dan est un polyvalent, un homme rompu à tous les arts, rockab, pop, punk, electro, no problemo. Mais c’est son enthousiasme qui frappe le plus, sa bonne nature.

Too Tough To Live est un bel album de punk-rock. Il a même deux cuts qui sonnent comme des classiques des Ramones, «Rona» et «Indian Massacre». Il est en plein dans le oh-oh-oh des Ramones, sauf qu’il le fait tout seul. Trois cuts sonnent comme des classiques punk : «Nam Yet», «Swap Meet» et «Fuck F*iday». Il attaque tout ça en mode trash-punk d’Alabama, bien infiltré et solide. Il est dedans, il y croit dur comme fer, il flirte vite avec le génie du punk’s not dead. Dan Sartain est un vaillant guerrier, il ramène du solo d’Alabama dans le punk-rock et ça devient fascinant, quel mélange de genres ! L’énormité de l’album s’appelle «I Wanna Join The Army». Il est marrant, il joue tout à la pulsion et au tressauté, dans l’énergie des soirées glauques et consanguines de l’arrière pays, on l’entend jouer des solos bizarres dans les fourrés derrière la cabane. Excellence de la punkitude ! L’ambiance rappelle Hasil Adkins. Il joue une sorte de punk-rock des rêves inavouables, il joue au tâte-moi les miches de fin de repas aviné entre cousins et cousines pas regardants. Avec son barda d’accents sourds, le son intrigue. Et quand on écoute «Even At My Worst I’m Better Than You», on se dit que Dan est un don de Dieu. Il sonne comme un redoutable punkster et il termine avec un «In Death» d’une beauté purpurine.

Dans les années 2000, Dan fricote avec John Reis, le boss de Rocket From The Crypt et de Sawmi Records. Ils vont enregistrer ensemble deux albums extrêmement intéressants, Dan Sartain Vs The Serpientes en 2003 et Join Dan Sartain en 2006. Le sens du son qui caractérise si bien John Reis permet à Dan Sartain de canaliser son esprit feu follet et de se recentrer sur la viande. Son goût pour la dispersion et la pauvreté prend alors un sacré relief. Et du coup, on prend sa carte au parti. Vive Dan ! Mais surtout vive John Reis ! L’autre point commun des deux albums est le suicide : sur la pochette du premier, Dan se pend, et sur la pochette du deuxième, il se tire une balle dans la tête. On peut donc en conclure qu’il ne tient pas spécialement à la vie. Dès le «PCB 98» qui fait la quasi-ouverture de Sartain Vs The Serpientes, la partie est gagnée, car ce qu’on entend là est du petit punk-rock gratté au sec et comme ce mec est bon, ça s’enfume rapidement et ça prend feu. On sent une sérieuse présence dans le studio. Les choses redeviennent passionnantes avec «Walk Among The Cobras Pt1», monté sur le riff de «Baby Please Don’t Go», c’est embarqué au gratté sévère, chanté à la classe supérieure. Dan indique dans ses commentaires qu’il gratte a guitar with bass strings. La perfection du son donne un équilibre naturel. Pour un pendu, Dan est drôlement vivace. Avec «Place To Call My Home», il se prend pour Nick Cave. Il réussit l’exploit de bricoler une mélodie chant dans les pompes du pump organ. Well done, Dan ! Il continue de naviguer en père peinard sur la grand mare des canards et attaque «Leeches Pt 1» de plein fouet, accompagné de John Reis et de Mario. C’est une section rythmique infernale, l’une des meilleures d’Amérique, n’ayons pas peur des mots. Un vrai modèle ! Et les notes de guitare bien rondes se perdent dans la cavalcade infernale. Rappelons que John Reis est un spécialiste des cavalcades infernales, il faut se souvenir des concerts des Hot Snakes. Cet album se révèle donc passionnant. Ça coule de source jusqu’au bout. John Reis joue du marimba sur «Auto-Pilot» et Dan se fend d’un heavy blues dévastateur avec «Romance». C’est un heavy blues plein de jus, plein de pus, plein d’esprit, gratté à la ramasse de rascasse dégueulasse.

On reste dans le viandox avec Join Dan Sartain. L’album met un peu plus de temps à donner de sa personne. Dan se paye un petit tour de chauffe avec le rockab gaga de «Guns Vs Knife» et fait entrer un orchestre mariachi dans «Fight Of The Finch», histoire de créer les conditions de l’exotica. Ça décolle enfin avec «Young Girls». Aucune raison de s’inquiéter, c’est extrêmement bien foutu, John Reis amène un big backdrop dans la structure. Même chose avec «Thought It Over», ça a tout de suite de l’allure, ça swamise dans le marigot, Dan does it right. Il revient à son cher rockab avec «Replacement Man» et part même en rockab demented avec «Hangers On». C’est incroyable comme ce mec sait se positionner aux confins du rockab et de l’evil gaga. Bon on passe sur la resucée de «Besa Me Mucho» et on revient au big sound avec «I Wanted It So». C’est gratté au wow wow yeah yeah, mais pas n’importe quel wow wow yeah yeah, c’est un wow wow yeah yeah raw to the bone. John Reis veille bien au grain, alors Dan peut faire éclore la rose d’un beau killer solo. Il y a du son à gogo dans chaque chanson. Et comme Dan ramène sa grosse guitare et sa voix d’écorché vif à chaque instant, la recette finit par marcher.

Dan ramène du punk-rock dans Dudesblood. On est en 2014 et Dan rocks it out avec «Smash The Tesco», petit shoot de trash-punk inespéré après un début d’album laborieux. Il reste dans une certaine excellence punk avec «Love Is Suicide». Dan rentre définitivement dans le clan des punksters d’Alabama. Il a du son et de l’esprit. Il crée de bonnes ambiances. Il développe des trucs qui flattent les bas instincts, comme ce «HPV Cowboy». On le verra aussi se prêter au petit jeu de la power pop avec «You Gotta Get Mad To Get Things Done». Il est très à l’aise. C’est à peu près tout ce qu’on peut dire de Dan.

Le Dan Sartain Sings qu’il enregistre en 2014 est un album coupé en deux : une A qui ne moufte pas, et une B qui te tend les bras. L’A ne marche pas, car le pauvre Dan se prend pour Nick Cave et se planque dans les ténèbres. Il cultive bien son côté outlaw avec «If You Never», mais comme on l’a annoncé, c’est en B que ça se danse, et ce dès la Country Soul de «Same Situation», montée sur un thème d’acou plongeant. Le «Mexiacan Girl» qui suit est extrêmement weird, c’est joué aux instrus bizarres, le son intrigue. Dernier spasmes avec «In The Night», gratté à l’ongle sec, encore un cut intéressant qui ouvre l’appétit.

Paru en 2015, Century Plaza va rameuter tous les fans d’electro et faire hennir tous ceux qui ne supportent pas les machines. Eh oui, l’affreux Dan se lance dans les petits sons electro. Disons pour rester charitable avec lui qu’il devient polyvalent. Bon c’est risqué la polyvalence dans ce type d’activité, ça revient à changer de style comme de chemise, on en a vu d’autres se vautrer à vouloir faire les malins, tiens, comme les Primal Scream ou Luke Haines. Ah moi je peux tout faire ! Oui, c’est ça mon gars, on a vu le résultat. Le seul cut sauvable de cet album electro s’appelle «Cabrini Green», car Dan y sonne comme Eno, l’Eno d’Here Come The Warm Jets. On croirait entendre «Baby’s On Fire» ! On ne croyait pas que les gars d’Alabama pouvaient être aussi cultivés. Dan s’offre un sursaut en forme d’off-shout dans «First Bloods» : il envoie sa guitare rouler dans la farine d’electro et crée avec ce killer solo trash-flash une forme de sauvagerie qui lui donne l’absolution.

Signé : Cazengler, Dan Sale teigne

Dan Sartain. Disparu le 20 mars 2021

Dan Sartain. Dan Sartain Vs The Serpientes. One Little Indian 2003

Dan Sartain. Join Dan Sartain. One Little Indian 2006

Dan Sartain. Dan Sartain Lives. One Little Indian 2010

Dan Sartain. Too Tough To Live. One Little Indian 2012

Dan Sartain. Dudesblood. One Little Indian 2014

Dan Sartain. Sings. Slice Of Wax Records 2014

Dan Sartain. Century Plaza. One Little Indian 2015

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Les rockers sont des êtres magnifiques. La preuve, j’en suis un. Soyons honnête, certains pensent que ce sont de sombres brutes frustes, des obsessionnels qui ramènent tout et n’importe quoi au rock ‘n’ roll, Sans doute n’ont-ils pas tout à fait tort même s’ils n’ont pas entièrement raison. J’avoue avoir été parfois moi-même victime de ces emballements prématurés qui vous font acheter un bouquin rien parce que le titre possède un mot qui irrésistiblement évoque le rock ‘n’ roll mais un peu comme la célèbre boisson du Pink Floyd ce n’est pas du rock ‘n’ roll, ni de l‘alcool fort. Je vous laisse en juger par vous-mêmes.

Le livre je ne l’ai pas payé, l’était sur une étagère devant une bibliothèque municipale, le passant étant appelé à se servir selon son bon plaisir. Pas grand-chose de fabuleux mais tout de même ce mot magique Appalaches, pour un rocker synonymes de rock ’n’roll, de country, de blues, et sûrement on doit y causer d’Elvis Presley, d’autant que tout en bas de la couve y avait un autre mot magique Tennessee, alors je m’en suis emparé avec la rapacité d’un capitaine pirate jetant son dévolu sur un galion espagnol chargé d’or. Arrivé à la maison, je l’ai lu.

RETOUR DANS LES APPALACHES

SHARYN McCRUMB

( France-Loisirs / 1999 )

Je ne connais rien de Sharyn McCrumb, romancière célèbre pour un ensemble d'une dizaine de livres réunis sous le titre de Ballade dans les Appalaches, dont celui-ci, paru en 1990, est un des volets. Auteur née dans les Appalaches, ayant étudié en Caroline du Nord et vivant dans les montagnes bleues de Virginie, aucun de nos lecteurs ne s‘étonnera que l‘action de ce livre ne se déroule point dans les Pyrénées Orientales,

En tout cas pour Elvis, j’avais visé juste, l’apparaît pour pousser la canzionetta dans une réunion d’anciens lycéens. Remarquez qu’il y a un problème, nous sommes en 1986, soit dix ans après sa mort. Pour Elvis, au détour d’une page Sharyn McCrumb spécifie l’air de rien que le King n’a pas inventé le rock ‘n’ roll, qu’il n’a fait qu’imiter et copier Roy Orbison, je lui laisse l’entière responsabilité de ses dires, ce n’est pas le moment de se lancer dans une polémique à ras les pâquerettes. Pour le country j’étais aussi tombé pratiquement juste, l’un des personnages est une chanteuse de folk, Peggy Muryan un peu ( beaucoup ) au creux de la vague. D’ailleurs le titre original du roman sonne très country : If ever I return, Peggy-O.

Pour la musique, désolé c’est à peu près tout, la zique n’est en rien le sujet du book. Sûr que ça se passe dans un bled paumé du Tennessee, Hamelin. Etrange ce nom de patelin qui ressemble à la cité du célèbre Chasseur de rats de la légende, celui qui emmène les gamins de la ville se noyer en jouant de la flûte. De toutes les manières, l’histoire racontée aurait pu se passer dans n’importe quelle bourgade de n’importe quel état de la Grande Amérique. Sont toutes concernées par la thématique abordée. Le Vietnam.

Si l’action se déroule en 1986, c’est que la promotion 1966 du lycée de la ville se retrouve vingt ans après, le plaisir de se revoir, de se situer sur l’échelle des réussites sociales. Ils avaient dix-huit ans en 66, l’âge idéal pour l’année suivante partir en safari dans les rizières et les forêts d’Ho-Chi-Minh… La guerre du Vietnam ! Un fabuleux détonateur - couplé avec la lutte des droits civiques - pour toute une génération, des années foutrement rock quand on y pense. Mais ce n’est pas le sujet. Pas plus que la guerre du Vietnam proprement dite. Ceux qui sont morts sont considérés comme des héros. Pour eux la cause est entendue. Paix à leur âme valeureuse. Le hic, ce sont ceux qui sont revenus. Le premier tiers s’est réinséré sans histoire, sont devenus avocats ou hommes d’affaires, le deuxième tiers n’en pipe mot, en restent marqués pour la vie, traumatisés en leur fort intérieur, se gardent bien de faire chier leurs voisins, par contre le restant ne sait pas faire semblant, sont des asociaux, des solitaires, ne bossent pas, boivent et se droguent, souvent une arme à portée de la main, se permettent des accès de violence et parfois de démence. Dans le roman vous croisez les spécimens des trois ordres. Les premiers inodores, les deuxièmes psychiquement détruits, si vous ne ressemblez pas aux troisièmes posez-vous des questions.

Bref dans le roman le Vietnam est partout et nulle part. Chacun s’en arrange comme il peut. Certains écoutent du Gratefull Dead et d’autres trimballent leurs fantômes sans rien dire à personne. Nos deux enquêteurs émérites font partie de la deuxième catégorie. Pas de chance pour nos deux flics, trois meurtres coup sur coup, deux bêtes innocentes et une adolescente. Signés, du nom d’unités ayant glorieusement combattu au Vietnam. Si vous n’êtes pas tout à fait idiot vous identifiez le coupable dès qu’il pointe le bout de son nez. Pas la peine de vous décorer du titre du nouveau Sherlock Holmes du vingt-et-unième siècle, car le problème ce n’est pas le Vietnam.

Faut arriver à la fin du livre pour comprendre de quoi veut parler Sharyn McCrumb. Sur la quatrième de couverture une phrase désopilante sortie de Ouest-rien-de-nouveau-France, je ne résiste pas au plaisir de la citer in extenso pour en désigner la bêtise crasse : ‘’ Un polar rural profondément original où transparaît à chaque page l’amour de l’auteur pour le Tennessee et ses habitants’’. Sharyn McCrumb aime peut-être les habitants du Tennessee mais qu’est-ce qu’elle déteste l’être humain ! Certes tout individu se débat dans ses propres problèmes, mais quel qu’il soit tout un chacun aime lécher ses plaies. L’on se regarde dans le miroir de sa conscience mais l’on se jauge dans celui des autres, tous des ratés, des gens qui n’ont jamais eu le courage, voire l’occasion d’aller jusqu’au bout de leurs désirs, de surmonter leurs peurs et leurs lâchetés. Vingt ans après si les femmes ont encore de l’allant, les hommes ont gagné en poids et en calvitie, dans les têtes c’est encore pire, le monde est petit et misérable.

Vous connaissez le meurtrier depuis la moitié du livre. La fin est surprenante. Non, nous ne nous étions pas trompés. A double titre. Parce qu’elle s’inscrit dans l’ordre des choses. Un chancre qui suppure infecte aussi les organes sains. Tellement naturelle qu’elle vous semble évidente. Hâtez-vous de liquider les ultimes pages, les sillons de la bien-pensance américaine, sont-là pour vous empêcher de réfléchir. Si ce n’est pas le cas, si votre intelligence vous titille, vous vous apercevrez que vous ne valez pas mieux que les gentils habitants du Tennessee, que vous ne voulez pas voir ce que l’auteur vous montre, vous fourre tous les détails dans la main, si vous désirez en savoir plus, vous êtes condamnés à relire depuis le début. En trois cents pages Sharyn McCrumb vous refile un roman policier, deux histoires d’amour, une réflexion critique sur l’obturation des esprits par la religion, des linges sales de famille, et un essai sur l’âme humaine que ne renierait point Schopenhauer. Peu de rock ‘n’ roll mais du sex, drugs and death. Tout cela, l’air de ne pas y toucher.

C’est à croire que l’on a tous en nous quelque chose du Tennessee et des Appalaches.

Damie Chad.

*

Pas de confusion, mes vacances ne se sont pas déroulées au pays de l‘herbe bleue de l‘autre côté de l‘Atlantique mais dans la verte Ariège. Cette chronique relate un concert - le premier depuis longtemps et vraisemblablement le dernier pour un bon bout d‘éternité, car votre chrockniqueur n’a aucune confiance en la mauvaise médecine proposée par Big Brother Pharmatic - donc un concert qui servait de clôture au Neuvième Vagabond’ Arts de Baulou. Joli coin de montagne à vaches qui tous les deux ans vous propose de visiter au travers d’un agréable paysage agreste des artistes en tous genres ( peinture, sculptures, photos dessins, tissus, ferrailles, bois… ) disséminés de part et d’autres d’une ancienne voie de chemin de fer reconvertie en Voie Verte, dans les granges, les hangars, et les soues désaffectées des anciennes fermes plus ou moins rafistolées en résidences modernes… A midi et le soir, repas collectifs, et orchestres divers. Ambiance sympathique, alternative, perso je ne regrette que le choix des formations trop souvent pas franchement rock ‘n’ roll, mais surprise en ce dimanche :

08 - 07 - 2021 / BAULOU

THE RURAL SINGERS

BLUEGRASS BAND FROM ARIEGE

Du bluegrass en Ariège, pourquoi pas trimballer une machine à laver sur l’Annapurna tant qu’on y est ! En tout cas se regroupent tous les trois sur la scène. Comme normalement ils sont quatre, Antoine tripote son banjo le temps que Denis rejoigne enfin sa contrebasse. Sont tous là mais ne semblent pas pressés de débuter. Parlementent entre eux, enfin ils démarrent. Des modestes, ne nous apprendront qu’à la fin du deuxième morceaux que ce sont deux compositions de leur cru. Elles auraient mérité un peu plus de mordant et d’assurance car elles n’auraient en rien déparé ce qui va suivre. Bluegrass oui, bluegrass non. Ne sont pas des puristes acharnés, sonnent aussi country, folk, cajun, rock. Mais le tout à leur sauce. Aigre-douce. Pas le temps de s’ennuyer, ont leur instrument de prédilection mais en changent sans arrêt. Antoine est au violon, et le crin-crin agile dégèle l’atmosphère, les enfants entrent dans la danse, entremêlés de chiens auxquels ne tardent pas à se mêler les adultes. Ça décolle sec. Toujours pas de machine à laver sur l’Annapurna mais Julien vous essore la rythmique à la washboard, se permet au pipeau une intro Titanic sur un air échevelé, se sert d’une valise pour marteler un cajon infernal, possède une belle voix mais c’est surtout Olivier qui drive le vocal, nous mène par le bout du nez, on n’y voit que du blue bien grass lorsqu’ils se lancent dans Fortunate Song du Creedence Clearwater Revival, l’on se dit que ce n’est pas bête et même logique, ce qui est sûr c’est que cette version plus roots qu’un classique dument estampillé séduit le public qui n’en croit pas ses oreilles, mais quand ils abordent Hot rail to Hell, z’enfoncent Hayseed Dixie, ce n’est pas fini, se permettent tout, comme cette citation de Morricone qui ravit tous les bons, toutes les brutes et tous les truands de l’auditoire, un tour de chant qui fuse de partout, des tours de passe-passe incongrus, vous repeignent en bleu tout l’Americana, cartonnent même dans le rhythm and blues(grass). Z’ont aussi une compo fétiche, les tueurs de serpents sont des motherfuckers, un slogan que je vous laisse interpréter selon vos idées ( politiques ou autres… ). Rural et pas banal. Rural et original.

Damie Chad.

N.B. : pour Hayseed Dixie, le lecteur ira moissonner la chro du Cat Zengler sur notre livraison 261 du 24 / 12 / 2015.

 

21 / 08 / 2021LAC DE MONTBEL

L'ECUME DES JOURS

THE JUKE JOINTS BAND QUARTET

Longtemps que l'on ne s'était pas rendu à un concert du Juke Joints Band, pas de notre faute et encore moins de la leur, Mister Pandémic oblige, deux années blanches, mais les voici enfin, pas n'importe où en août, dans un cadre idéal, un resto ouvert aux quatre vents et aux aventures musicales, à flanc de rive surélevée, de l'eau, de l'herbe, des arbres, des chiens, des enfants et du monde en liberté. L'on se croirait revenu au temps d'avant, qui n'était pas si fabuleux que cela, ne faudrait tout de même pas mythifier non plus...

Le Juke band est comme le crotale, change de dimension à volonté, roulé en rond sur lui-même sont deux, l'un qui chante l'autre qui gratte, parfois il allonge la tête et ils sont trois, mais les jours de grande colère et de haute prédation ils sont quatre, duo, trio, quatuor, vous n'y voyez que du bleu, la morsure est toujours douloureuse, le venin du blues s'instille en vous et c'est tant pis pour vous. Par contre personne ne s'en plaint, l'homme serait-il un être schizophrénique qui oscille perpétuellement entre volonté de bonheur et sensation d'incomplétude. Sans trop savoir faire la différence entre les deux.

HELP ME

Donc quatre sur la scène. Et tout de suite le coup qui tue. La balle en plein cœur. Au tout début c'est déjà la fin. On ne l'a pas vu venir. L'était tout tranquille derrière sa basse Michel Teulet, grand gaillard immobile, qui attendait le départ avec placidité, alors quand c'est parti, il a sagement laissé tomber un doigt sur une corde. Pas plus, ni moins. N'aurait pas dû. D'un mini mouvement de phalange il a effacé tout ce qui existait. Plus de passé. Plus de futur. Juste le présence de ce lingot d'or pur et lourd, un fracas de cercueil qui choit de tout son poids au fond de la fosse, ah, vous voulez du blues mes cocos, en voilà, du sombre, du profond, du grave qui gave, le battant du bourdon de Notre-Dame qui s'abat sur votre crâne et vous le rompt en deux, sans rémission, respirez c'est fini, non ce n'était qu'une note, voici la suivante, à l'identique, le Michel quand il sonne le blues, il ne s'arrête pas, faudra vous y faire et essayer de survivre, il a le son et il le tient bon, deux sets entiers à asséner le plomb fondu qui tue et qui troue, vous poinçonne l'âme, ce n'est pas qu'il est méchant, ce n'est pas qu'il est cruel, c'est qu'il est juste, détient le secret de la vibration bleue, celle de l'éros fou qui crie au secours en enjambant la fenêtre du vingt-septième étage et qui vole en savourant la chute vertigineuse. Celle qui ne finit jamais.

Du coup Ben Jacobacci a sorti sa Fender verte, fini le tabouret du haut duquel il aime à gratter son acoustique avec ce sourire sardonique de vautour qui vous regarde depuis son observatoire lamper la flaque d'eau empoisonnée qui va vous emporter ad patres. Non ce soir, ce n'est pas le blues-roots qui rampe hors des marécages, c'est l'autre, le vindicatif qui fracasse les portes des pénitenciers et allume les incendies, peut couler son plomb fondu à satiété Michel Teulet, Ben a de quoi répondre. L'a sa guitare full metal jacket, sur laquelle il tricote méchant, va chercher la note au bout du manche, vous croyez qu'il l'a obtenue, non ce n'était pas encore celle-là, l'en a encore une autre plus loin qui vous vrille les oreilles et vous poignarde par derrière. Vous donne l'impression qu'un riff n'est jamais fini, qu'il y a toujours un mot à rajouter à la phrase définitive qui vous a coupé la chique, et que non que ce n'est pas terminé, qu'il vous réserve un chat écorché tout sanguinolent à rajouter à votre chienne de vie, une goutte de blues de plus pour épaissir la potion de colère qui s'accumule en vous et que vous n'osez pas encore expulser, alors Ben il pousse et il tire, les notes explosent comme des bulles de nitroglycérine, écartent sans ménagement les carillons funèbres de Michel, conquièrent l'espace nécessaire à leur épanouissement et à votre bonheur.

Je n'aurais pas aimé être à la place de Rosendo Frances. Entre les deux ostrogoths précédents, je n'aurais pas su quoi faire. Me serais senti de trop, inutile. Le problème n'est pas simple. Où glisserez-vous une baguette entre deux pachydermes collés l'un à l'autre . Rosendo possède la solution, elle trahit un esprit pragmatique, et décisionnel, puisque que je peux pas m'insinuer entre les deux mastodontes, je vous le fais en papier cadeau. Pesé, emballé, vendu. Pas difficile, suffit de démarrer avant eux et de finir après eux. Un quart de temps avant, un quart de temps après, z'ont l'impression de manigancer tout ce qu'ils veulent, mais sont enfermés dans le mouchoir séquenciel qui les englobe, sont libres de batifoler à leur guise mais c'est Rosendo qui dirige le jeu, délimite les limites. Le turn over balancé du blues, à peine commencé, déjà terminé et hop l'on recommence. Séquence suivante, un truc qui vous file le tournis, Rosendo c'est la batterie-derviche tourneur, l'envoie l'eau du bain et le bébé en même temps, fait tourner la boutique de main de maître, l'imprime le rythme, connaît l'intime recette de la mayonnaise du blues, la monte au ras-bord de la soupière, ne déborde pas, une frappe de boa constrictor qui se love sur elle-même et enserre dans ses replis la machine bleue psychopompe dont il détient le fonctionnement impavide.

Ne suffit pas d'avoir le blues. Faut encore le chanteur. Capable de se faire entendre dans le maelström. Chris est là. Ne force même pas sa voix. Croyez-vous qu'un crotale a besoin d'un mégaphone pour faire entendre le raquèlement de ses écailles. Terrible comme la voix dit plus que les mots. Le son transcende le sens. Tout est dans le timbre, écorché à vif. Ou vous avez vécu. Ou vous avez fait semblant. L'attitude aussi. Cette façon de hausser les bras lorsque le ton monte. Danse gesticulatoire qui fusionne les paroles. L'idiome du blues s'exprime autant avec le corps qu'avec le gosier. Chris unique dans sa tunique. Chris n'est qu'un cri bleu de poudre et de sang. Le blues en tant qu'imprécation jetée à la face du monde. Tant de hargne et d'impuissance amassées, depuis Howlin' Wolf à Tony Joe White, Chris est un passeur, un brasero de tendresse et de violence, d'humour et de détestation car il ne faut jamais oublier d'être la risée de soi-même pour boire le vin de la vie sans se prendre trop au sérieux, afin que chaque gorgée soit gouleyante à souhait et à regret. Le blues brûle, et la voix de Chris en recèle toutes les cicatrices et toutes les scarifications. Un shaman qui s'agite et qui transmet. Le public ensorcelé ne s'y trompe pas, se lève et s'en va onduler devant la scène, des goules hagardes attirées par le sexe bleu de la musique du diable dans l'écume de la nuit zombiïque.

Quelle soirée de feu et de blues électrique ! Deux sets d'incandescence absolue. Plus l'harmonica de Didier Kraft sur les trois derniers morceaux. Le Juke Joints Band au summum !

Damie Chad.

 

LECTURES D'AOÛT

 

I : JIM MORRISON : PATRICK EUDELINE

Ce n'est pas un livre, juste un article de quatre pages paru dans le N° 648 de Rock&Folk du mois d'août 2021, signé par Patrick Eudeline. Les derniers jours de Jim à Paris. Une histoire mille fois racontée et écrite. Patrick Eudeline n'apporte rien de nouveau, aucune révélation fracassante, ce qui ne l'empêche pas de donner sa propre vision de ces évènements sinon tragiques du moins pathétiques.

N'aime pas Pamela, la compagne de Jim, la décrit intéressée par l'argent et l'héroïne. Ce serait sur ses conseils que Jim se serait mis à l'héro pour juguler son addiction au vin. Médicamentation plutôt hasardeuse ! Qui lui réussit mal, puisqu'elle se termina par une overdose fatale dans les toilettes du Rock'n'roll Circus.

Mais là n'est pas le problème. Morrison à Paris, c'est un peu comme Patti Smith en pèlerinage à Charleville-Mézières. Un remake de la recherche de l'Atlantide perdue. A la différence près que Morrison ne courait pas après une île paradisiaque mais après deux. L'on connaît l'antienne. Morrison chanteur de rock par occasion. Son truc à lui, c'était le cinéma. A peine a-t-il mis les pieds sur notre continent qu'il assiste au tournage de Peau d'Âne en compagnie d'Agnès Varda et de Jacques Demy. Perfidement Eudeline insinue que le Roi Lézard ne recevra des deux réalisateurs aucun encouragement à poursuivre dans cette voie... l'étudiant de l'Ucla n'avait pas, semblerait-il, l'envergure d'un maître...

Toujours avoir deux sorties à son terrier. Morrison n'est-il pas venu en notre doux pays pour s'adonner à la poésie. Le mythe Rimbaud-Verlaine a fortement marqué les Amerloques. Eudeline reste sceptique. Les textes de Morrison publiés après sa mort ne lui sont manifestement pas apparus comme la révélation littéraire du vingtième siècle... Insiste, une fausse piste. Une voie sans issue. Faut vivre avec son temps. La poésie c'est terminée. La revue, le recueil, le livre, c'est dépassé. Depuis le dix-neuvième siècle. La poésie se trouve aujourd'hui chez Dylan.

Déduction logique du lecteur : Morrison aurait mieux fait de rester chanteur de rock. N'était-ce pas ce qu'il faisait de mieux. Eudeline abat sa carte maîtresse. Depuis Paris le chanteur a toujours gardé le contact avec les Doors. S'inquiète des ventes de L.A. Woman. Si le sort ne s'en était pas mêlé, sans doute son escapade européenne se serait-elle terminée plus vite que prévu. Serait rentré au bercail, l'aurait repris le collier...

Avec des Si... l'on sortirait Paris de sa bouteille de vin rouge... Peut-être vaut-il mieux écouter la voix de Callimaque : '' Il est heureux celui à qui les Dieux donnent la mort en pleine jeunesse''...

Cela ( vous ) empêche de se survivre à soi-même...

 

II : ROLLING STONES

( Collection R&F # 19 + Uncut )

 

Les poëtes ont toujours raison mais parfois les Dieux sans pitié laissent courir votre vie comme un film interminable. D'où ce plaisir de remuer les cendres froides d'un passé révolu. D'où ce désir de feuilleter sans fin cette nouvelle saga des Stones. Depuis le début, disque par disque, entremêlés d'interview-phares, cent cinquante pages, photos et petits caractères... Un demi-siècle d'archives. Tout lu, sans sauter une demi-ligne. Avec en arrière-plan cette question insidieuse. Du moins pour la première moitié du bouquin. O. K. Damie, c'est bien, tu prends ton pied mais cette histoire tu la connais de l'intérieur. Non tu n'étais pas le studio d'enregistrement, mais leurs disques tu fis partie de cette génération pour qui la sortie d'un trente-trois ou d'un simple 45 tours des Stones c'était pratiquement du pareil au même. A l'annonce de la parution d'un opus tu savais d'instinct que c'était une page d'Histoire à laquelle tu adhérais, en cette époque le monde était d'une simplicité extrême, d'un côté il y avait les Stones, de l'autre il n'y avait rien. Le néant absolu. La moindre pochette était examinée à la loupe, discutée avec les copains, se transformait en icône absolue. Un exemple, la couve de ce magazine, z'ont l'air particulièrement tarte, des faces d'apple pie particulièrement stupides, oui mais c'étaient les Stones, on leur pardonnait.

D'où la question : un quidam qui n'était pas né à l'époque et qui pour en savoir un peu plus se procure le news, que ressent-il au juste. Un sentiment de curiosité satisfaite. Un complément d'informations à son tableau de chasse. Et s'il prend la décision de se mettre à l'écoute des morceaux, la magie opérera-t-elle. Et si oui, quel pourcentage d'esprits sera touché ? Certes disques, films, vidéos, photos bouquins ne manquent pas. Mais tout cela n'est-il pas que témoignages de seconde main. L'on trouvera toujours des intelligences humaines prêtes à se passionner pour des époques révolues et à s'extasier sur la demi-phalange d'une aile de dinosaure retrouvée dans le fond asséché d'un marécage du Crétacé, mais le gros de la population s'en moque et s'en contrefout. Reste totalement imperméable à ce genre d'évènement. Mitterrand aimait à répéter que lorsque un griot africain meurt c'est toute une bibliothèque qui disparaît. Je veux bien, mais à la moindre personne qui passe l'arme à gauche c'est une énorme collection de sensations et d'émotions qui est retirée de l'univers.

Les Stones ne sont plus les Stones. Depuis longtemps. Du moins pour les fans de la première heure. N'ont plus donné de disques essentiels depuis belle lurette. N'empêche que la deuxième moitié du bouquin, je l'ai lue sans coup férir. C'est un peu triste, ce n'est pas que les nouveaux opus soient moins bons, z'arrivent souvent à glisser un titre qui s'insinue agréablement dans votre oreille, et c'est cela qui est scandaleux. Ne sont pas des manchots. Savent s'entourer. Z'ont remplacé l'inspiration poétique par l'expérience. Ne sont plus des créateurs mais des faiseurs. Tiennent leur rang. Mais en rock l'on préfère les outsiders venus de nulle part. Connaissent les recettes par cœur. N'en n'inventent plus. Pourtant c'était si bon quand ils laissaient la coquille de l'œuf pour fabriquer leurs omelettes baveuses.

Un été accaparé par mille choses hors rock'n'roll. Si ce n'est ce temps de lecture mélancolique. L'actualité m'a rattrapé au petit matin. J'étais heureux, j'avais terminé le magazine la veille, un coup de jeune en quelque sorte. Les infos rajoutent un point final. Disparition de Charlie Watts. Dans la série Si toi aussi tu m'abandonnes... l'on ne pouvait pas m'offrir de conclusion plus bluesy. Mon Stones préféré. Me faire ça à moi. Ce gars ce n'était pas l'âme des Stones , mais le cœur battant du groupe. Z'avaient déjà perdu par deux fois ( au minimum ) leur âme, Brian Jones et Ian Stewart, mais ce balancement hypnotique, ce sourire en coin du gars qui faisait tout ce qu'il fallait pour que ça chaloupe moult, tout en sachant qu'il existe mieux, mais qu'alors ce ne serait plus les Stones...

Pas de panique, les affaires reprennent, nouvelle tournée en préparation, ami si tu tombes un autre ami entre dans les spotlights et prend ta place, pas de souci, le rock'n'roll est immortel. C'est pour cela que l'on aine les Stones. Nous enterreront tous.

Damie Chad.

 

THE RIGHT TIME IS THE RAG TIME

 

Un gros pavé, 768 pages, L'Odyssée du Jazz, de Noël Balen, paru en 1993 aux Editions Liana Levi, le genre d'ouvrages que l'on garde pour les longues soirées d'hiver, oui mais parfois la tentation est trop forte, ai glissé un œil sur le chapitre 1 consacré au Gospel, bien fait mais pas de révélations époustouflantes, idem pour le blues, ne voudrais pas avoir l'air de me la jouer mais je n'y ai pas appris grand-chose, en fait soyons franc rien, par contre le chapitre 3 Ragtime, stride et boogie woogie m'a subjugué.

Aux sources du rag l'on rencontre un drôle de zèbre, Louis Moreau Gottshalk né en 1829 à la Nouvelle-Orleans, d'une mère créole issue d'une famille aristocratique française ( cocorico ! ) et d'un père anglais. Un surdoué, à tel point que la famille l'envoie en France parfaire ses dons naturels. L'est refusé au conservatoire, pour son jeu un peu sauvage, mais il reçoit des leçons de celui qui sera le professeur de piano de Saint-Saëns... En 1845, lors de son premier concert il est félicité par Chopin pour l'interprétation de son Concerto pour piano en mineur. Théophile Gautier – le plus grand critique romantique – et Hector Berlioz loueront son talent.

Après une longue tournée européenne Louis Moreau rentre aux Etats-Unis où il poursuit à travers tout le continent sa carrière. Les amateur de Jerry Lou ne manqueront pas de cet épisode picaresque de San Francisco qu'il doit fuir en toute hâte car épinglé pour avoir eu une relation avec une toute jeune fille...

Non content d'emprunter à la biographie de Jerry Lou il décède, tout comme Nietzsche, en 1869 à Rio de Janeiro des suites de la syphilis. Il laisse plus de trois cents partitions. Certains titres sont sans équivoque, Bamboula danse nègre, Ballade créole, Chanson nègre...

Pour ma petite histoire personnelle, la notice de Wikipedia se termine sur la mention d'enregistrements de morceaux de l'artiste par le pianiste américain Noel Lee. Je suis incapable de dire pourquoi en 1970 ( ou 71 ) je me suis retrouvé à Toulouse à un récital de piano de Noël Lee dont je ne connaissais rien, même pas le nom avant de l'avoir lu sur une affiche. Le flair du rocker. Privilégiez sa version de Bamboula, beaucoup plus rythmée que les autres disponibles sur le net.

Le ragtime n'est pas une musique instinctive. Elle est un art savant. Fallait déjà avoir une certaine capacité d'analyse musicale pour s'aventurer. C'est un art de perversion. Ce que fait la main gauche sur un instrument, c'est la main droite qui s'en chargera, et vice-versa. Le principe est simple mais ses effets dévastateurs. Peut-être le premier à s'essayer à cette galéjade n'est pas autre que Liszt dans sa Rhapsodie hongroise. La concomitance avec la musique classique n'est pas anodine, Scott Jopplin gamin jouait du Chopin sur son piano alors que sa mère grattait du banjo selon une technique dite folk rag qui consistait à ce que le pouce de la main droite ne joue pas en harmonie avec les autres doigts.

Scott Joplin, né en 1868, encore un gamin surdoué, en 1897 sa première composition Maple Leaf Rag qui lui apportera renommée et une certaine stabilité financière. La vingtaine de rags qu'il écrira en font un musicien fondateur du rag et du jazz. Sans doute était-il trop en avance, son opéra Treemonisha en 1915 sur les conditions de vie de la communauté noire ne remportera aucun succès, il finira en 1917 dans un asile d'aliénés.

La rencontre de Scott Joplin sera déterminante pour le jeune James Scott ( encore un surdoué, né en Caroline du Nord en 1886 ), il écrira quelques pièces qui sont au fondement du répertoire rag, survit en accompagnant les séances de cinéma, accompagnera Bessie Smith et Ma Rainey, les doigts dévorés par l'arthrose il meurt dans l'anonymat en 1938.

Joseph Lamb, un protégé de Joplin, un étage au-dessous toutefois, finira sa vie dans la variété à Tin Pan Alley. Tony Jackson un allumé de la première heure né en 1876, qui mènera une vie de patachon, alcool, bordel, piano, épilepsie... il décède en 1921. Son nom sera sauvé par Jelly Lee Morton qui le considèrera comme un maître. En partagera le mode d'existence débridée, poker, alcool, billard, flambeur, mythomane, sans cesse en tournée, conduit des orchestres, se vantera d'avoir inventé le rag, le jazz, le stomp, le swing, l'aurait pu ajouter le rock'n'roll, mais il est mort dans l'oubli en 1941. En 1938 il a été retrouvé par Alain Lomax qui l'enregistrera...

Le rag évoluera, selon un principe simple celui de la surenchère : plus vite, plus fort, au cours de duels homériques lors des rent parties harlémiques. Eubie Blake né en 1883 finira centenaire. On lui doit une grande partie des connaissances du mouvement rag qu'il a su transmettre. Il fera partie des premières comédies musicales noires de Broadway, notamment avec Joséphine Baker. Il formera le jeune James P Johnson, qui sera considéré par ses compositions comme le King of stride. Il accompagnera les meilleures chanteuses noires de blues : Ethel Waters, Bessie Smith, Ida Cox et composera un opéra blues De Organizer sur un livret de Langston Hughes.

Les temps changent à vitesse grand V, Fats Waller est né en 1904, avec lui nous changeons d'époque, ce n'est plus tout à fait du rag et cela sent de plus en plus le jazz , c'est lui qui fait la passation de pouvoir entre le stride et le swing. Les deux dernières pages du chapitre sont consacrées à l'apparition du boogie woogie, j'aimons beaucoup le boogie mais nous sommes loin de la folie du rag.

Damie Chad.

 

15/04/2020

KR'TNT ! 460 : ROBERT QUINE / MUDHONEY / JARS / THE PESTICIDES / ROLLING STONES / TREVOR FERGUSON / LOVESICK DUO

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 460

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

16 / 04 / 2020

 

ROBERT QUINE / MUDHONEY

JARS / THE PESTICIDES

ROLLING STONES / TREVOR FERGUSON

LOVESICK DUO

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

God save the Quine

 

Richard Hell n’en démord pas : le meilleur, c’est Robert Quine. Après avoir quitté les Television et les Heartbreakers, Hell décide tout reprendre tout à zéro.

Robert Quine et lui bossent tous les deux chez Cinemabilia, un libraire new-yorkais spécialisé dans le cinéma. Au début, Hell trouve Quine ‘pretty demoralized’ et s’aperçoit petit à petit qu’il est demoralized en permanence. Le seul truc qui semble l’intéresser, c’est jouer de la guitare. Vu qu’il a plus de trente ans et qu’il est chauve, Hell pense qu’aucun groupe ne voudrait de lui. Hell ajoute que Quine n’aurait jamais pardonné à Lenny Kaye ses remarques déplacées concernant sa calvitie. Si Hell s’intéresse tant à Quine, c’est pour une raison bien simple : Quine adore le raw rock’n’roll. Il écoute Jimmy Reed, Link Wray, Ike Turner, Fats Domino, les Everly Brothers, Bo Didddley, Richie Valens, Buddy Holly et Little Richard. Très peu de choses post-Beatles, excepté le Velvet, les Stooges, Jeff Beck, Roger McGuinn, Hendrix, Roy Buchanan et Harvey Mandel. Il adore aussi le premier album des 13th Floor Elevators, mais contrairement à Hell, il n’aime pas les albums des Ramones et des Pistols. Il s’intéresse de près à James Burton, au jeu de basse de Joe Osborne dans le Wrecking Crew et à celui de John McVie dans Fleetwood Mac, ou encore au style de Grant Green. Autre point commun avec Hell : la littérature. Quine adore Burroughs et Nabokov. Il possède des éditions originales, ce qui impressionne durablement Hell. Quine adore aussi les films de Samuel Fuller, de Hugo Haas et The Three Stooges. Hell ajoute que Quine marche comme un personnage de Robert Crumb, les épaules voûtées et le regard inquiet. Il porte en plus des lunettes noires d’opticien. «Il arborait un visage rond et anonyme qui le vieillissait. Il voulait passer inaperçu. Je l’ai interrogé une fois à ce sujet, en lui demandant s’il possédait une voiture et quand il a dit oui, je lui répondu qu’elle devait être marron ou grise. ‘Elle est marron !’» Avec l’aide de Quine, Hell monte les Voidoids. Ils recrutent Ivan Julian et le batteur Marc Bell qui ira ensuite rejoindre les Ramones. Comme les Voidoids deviennent la nouvelle coqueluche du CBGB, Sire les signe. Mais dès le début de la relation avec le record business, ça coince. Hell ne peut pas les supporter, ni Seymour Stein ni Gottehrer - The record business notoriously is one of the sleaziest there is - Hell cite même un auteur, Frederic Dannem, qui, après enquête, dit du record business qu’il est le moins éthique de tous. Mais bon, ils enregistrent un premier album en 1977.

Et là on entre dans le vif du sujet. Hell n’y va pas par quatre chemins : «I think Quine was the best rock and roll guitar soloist ever.» Selon, Hell, Quine mixe l’art et l’émotion comme nul autre au monde. Hell se désole aussi ne n’avoir enregistré que deux albums avec Quine. Il ajoute que les solistes intéressants ne courent pas les rues. Hell cite les noms de Mickey Baker, James Burton, Grady Martin, Link Wray, Jeff Beck, Jimi Hendrix, Lou Reed, ‘peut-être’ Jimmy Page, ‘peut-être’ Chuck Berry, ‘peut-être’ Tom Verlaine et Richard Thompson, par contre, il considère que Keith Richards et Pete Townshend sont des guitaristes rythmiques. Mais il précise que personne n’a su mixer le feeling et la créativité aussi bien que Quine. Pour Hell, le style de Quine relève du génie - Quine is the gap between skillful creative brillance and genius. Quine was a genius guitar player - En plus Quine adore la noise et bousculer les conventions. Pour Hell, Quine est le grand guitariste antisocial. Par la profondeur de son feeling, Quine se rapproche toujours selon Hell de Miles Davis et de Charlie Parker. Plus loin, Hell en rajoute une couche en expliquant que les enregistrements des Voidoids ‘se mettent vraiment à vivre quand Quine part en solo’. Il ne croit pas si bien dire, il suffit d’écouter le premier album de Richard Hell & The Voidoids, Blank Generation, paru en 1977, pour en avoir le cœur net. On entend clairement Quine partir à l’aventure dans «Love Comes In Spurts». C’est tout l’intérêt du Spurt. La godille de Quine. Le Quine dans le jeu de quilles. Le Quine qui couine à rebrousse poil. Et ça en dit long sur le génie d’Hell qui a compris ça à l’époque. Quine rebat la campagne dans «Liars» - Oh oh oh oh - Sacrée mélasse d’énergie considérable, Hell chante à outrance, pas de voix, rien que de l’outrance. Quine et lui font bien la paire. Quine rentre partout les deux doigts dans le nez. Le solo qu’il prend dans «Betrayal Takes Two» restera un modèle du genre jusqu’à la fin des temps. Les Voidoids sortent un son extrêmement osé, anti-commercial au possible, qui n’a aucune chance de plaire. Non seulement ils précèdent le post-punk d’une bonne année, mais ils l’inventent. Tout reste échevelé, pour ne pas dire tiré par les cheveux. Le «Blank Generation» qui ouvre le bal de la B vaut pour un classique entre les classiques. Hell incarne si parfaitement son concept de blankitude qu’on s’en effare. Quine part en solo de quinconce et va même le claquer aux accords de discorde et les Voidoids rajoutent dans la soupe les chœurs des Dolls ! Très spectaculaire ! Quine tord le cou de «Walk On The Water» avec l’un de ces solos de dépenaille dont il a le secret. Aw baby Aw, comme dit Hell dans «Another World». Quine fait le show avec son funk mutant.

Cinq ans plus tard, Hell et Quine remontent les Voidoids pour enregistrer un deuxième album, Destiny Street. Hell le trouve nettement supérieur au premier. «The Kid With The Replaceable Head» et «You Gotta Move» brouillent un peu les pistes, surtout le Move monté sur un riff catastrophiquement déclassé. Les choses se corsent avec «Lowest Common Denominator», bien défilé à la parade. Quine fait ses ravages et explose le cut en plein ciel. Il mène aussi le bal dans «Downtown At Dawn». Ça reste un bonheur que de l’entendre jouer. Il sort de sa cage et fuit vers des ailleurs. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio d’«I Can Only Give You Everything». Hell y croise la violence du rock anglais avec celle du New York Sound, il saute en l’air, il chante faux et c’est excellent. Tout l’esprit est là. Superbe surenchère avec un Quine dans l’ombre. Hell fait tituber ses syllabes, and I try and I try. Puis on le voit ignorer la porte dans «Ignore That Door», mais il le fait à coups de chœurs de Dolls, bien aidé par ce démon de Quine. Ils terminent avec le morceau titre que Quine prend en mode funky. Hell rappe dans le gras. Pendant qu’Hell rappe, Quine rôde.

Quine fera surface dans Dim Stars puis il avant de mourir d’une overdose d’hero, il va enregistrer quelques albums solo.

En 1981 paraît un album contributif intitulé Escape. Quine s’y acoquine avec Jody Harris. Ils développent tranquillement une belle ambiance d’electro-beat urbain. Quine surjoue son funk spectral sur fond d’electro sourde comme un pot. Un truc comme «Flagpole» finit par l’emporter, tellement c’est visité par les esprits. Avec Quine, il faut toujours laisser du temps au temps. Son cling-along se joue de l’electro-beat, disons plutôt qu’il l’étreint comme Jarry étreint Ubu, viens là gros lard que je te serre dans mes bras. Étrange spectacle : quelque part dans l’air du temps, l’espiègle finesse d’une guitare ouvertement funkoïde danse avec un gros beat electro mal embouché. Puis on voit Quine travailler en surface l’épais beat electro de «Don’t Throw That Knife». Il semble diffuser une dentelle de désinvolture sonique, comme s’il laissait traîner ses notes. Très Can dans l’esprit. Quine survole Babaluma. C’est en B que se joue véritablement le destin de l’album, notamment avec ce «Termites Of 1938» monté sur un beat tribal assez violent. Quine y voyage avec une allégresse contagieuse. Comme ce beat est beau, il dresse fièrement la tête, il semble venir de la nuit des temps, si sourd et si menaçant. Et puis voilà la coup de Jarnac : «Pardon My Clutch». Quine joue le rock’n’roll du futur, sur fond de belle propulsion electro. Il joue la clairvoyance au clair de lune et se fond dans le beat comme une ombre dans la nuit. Quel admirable exercice collectiviste ! Ils mêlent bien ces baves que sont le clair de Quine et l’electro-beat de Jody Harris. Quine semble réinventer le rock’n’roll en jouant une dérive de surface. C’est une pure merveille de New York Sound. Son cœur bat fort. Ainsi va la Quine à l’eau qu’à la fin elle s’embrase. Quine nous fait tout bonnement du Can new-yorkais.

Puis il s’acoquine avec Fred Maher pour enregistrer Basic en 1985. Ce qui frappe le plus dans la démarche de Quine, c’est l’étrangeté des idées de son. On pourrait même parler de brillante étrangeté. Il sort le Grand Jeu avec «Bluffer», sur fond de background obsédant à la Can. Quine choisit cette fois de vitupérer. Comme le back-beat reste bien hypno, «Bluffer» passe comme une lettre à la poste. On retrouve plus loin un «Summer Storm» très Babaluma. En B, Quine va se fourvoyer dans des ambiances protéiformes, notamment celle d’un «Bandage Bait» bien travaillé au groove urbain volontariste et consommé. Quine gratte ses grooves aux accords impromptus, il vise l’épisodique impitoyable. Il revient au big guitar sound avec «Despair» et redevient le temps d’un cut the guitar slinger extraordinaire. Il faut le voir tirer ses notes à la vitesse d’un char à bœufs.

L’équipe Robert Quine/Ikue Mori/Marc Robot enregistre le bien nommé Painted Desert en 1995. Avec «Mojave», on y est. En plein cœur du désert. Pas besoin de téter une fiole, ils sont spaced out d’eux-mêmes. T’as voulu voir le cul de la reine et t’as vu la raie du Quine, c’est bien plus intéressant. Quine joue au doux d’accords de réverb et il faut l’écouter soigneusement, car on ne croise pas souvent des mecs de son niveau. On entend un tabla derrière lui. Une fois encore, il sort le Grand Jeu du son tempéré. Avec «Medecine Man», ils tapent dans un bruitisme archaïque. Quine rôde dans le son d’une manière très équivoque. Puis on le voit chevaucher en tête de «Desperado». Comme s’il était décidé à en imposer. Quine est le Sade du rock, il entraîne ses amis dans les vices de la vertu. Avec «El Dorado», ils explorent la Vallée de la Mort. Tout est acquis d’avance sur cet album, surtout la violence du «Gundown». Quine veut en découdre, alors il en découd. À sa place, on ferait tous la même chose.

Signé : Cazengler, Robert Gouine

Richard Hell & The Voidoids. Blank Generation. Sire 1977

Richard Hell & The Voidoids. Destiny Street. Red Star Records 1982

Robert Quine/Jody Harris. Escape. Infedility 1981

Robert Quine/Fred Maher. Basic. Editions EG 1985

Robert Quine/Ikue Mori/Marc Robot. Painted Desert. Avant 1995

Richard Hell. I Dreamed I Was A Very Clean Tramp. Harper Collins Publishers 2013

 

Just like Mudhoney

 

Tout le monde a connu ça : on erre comme une âme en peine dans la cave d’un disquaire parisien et soudain un cut qui passe sur la sono du magasin fait dresser l’oreille. Plop ! Le vendeur pose toujours la pochette en évidence sur son guichet pour qu’on puisse choper l’info. Quand le disk est bon, c’est vendu d’avance. Surtout quand le chanteur sonne comme Iggy. Même genre d’arrogance et de bouteille, même timbre chaud et autoritaire, mais ce n’est pas exactement Iggy. Alors pour mettre fin à la devinette, on se rapproche pour voir la pochette.

Vanishing Point, le nouvel album de Mudhoney !

Incroyable. Qui l’eut cru ? Quel retour en force !

Écoute de l’album aussitôt le retour au bercail. Blasting all over ! Ça barde pour les matricules dès le premier cut. Steve Turner arrose «Slipping Away» d’une dégelée royale de guitare liquide. Immédiate effarance de l’excellence. Mark Arm touille son brasier à la fourche, et ce n’est pas un petit brasier. On est là dans le gras du rock à guitares, dans le glissant du slinging, dans l’über-shoot de wah et l’extrême pertinence du blues-rock. Et c’est avec le second cut qu’arrive le simili Iggy. «I Like It Small» sonne vraiment comme un morceau des Stooges, avec en plus l’aspect sexué du signifiant. Petite chatte. L’Arm refait son Iggy dans «What To Do With The Neutral». Ça renvoie directement au fameux «Bored» d’un Ig qui croonait jadis son chairman of the bored. Quelle fantastique ambiance ! Et ça devient encore plus stoogy avec une chanson de pinard, «Chardonnay». L’Arm bouscule ça dans les orties, c’est sacrément endiablé et énervé au possible. Quel ramalama, les amis ! En B se nichent deux horreurs tentaculaires : «I Don’t Remember You» (pur garage stoogy) et «The Only Son Of The Widow From Main», une fantastique parade d’accords distordus. Et du coup, on se retrouve avec un nouveau classique de heavy duty américain sur les bras.

Mudhoney ? Ça remonte au temps de Nirvana et de la scène de Seattle, mais Mark Arm et ses collègues n’avaient pas le panache composital de Nirvana. On écoutait leurs albums consciencieusement, mais il était difficile d’en garder des souvenirs précis, ce qui est en général assez mauvais signe.

En concert, ils continuent de jouer le fameux «Touch Me I’m Sick» qui les rendit célèbres et qui figure sur la compile Superfuzz Bigmuff Plus Early Singles. C’est un peu l’emblème du fuzz-scuzz de Seattle, une belle leçon de fuzzillade et de riffage trépigné - C’mon ! - Ils poussent en prime de jolis appels à l’insurrection. Mais le reste vieillit mal. Sur les autres morceaux, il leur arrivait de hurler comme des bouchers ivres de mauvais vin et ce n’était pas beau à voir. Il fallait attendre «Need» pour trouver un brin de heavyness, mais à l’époque, l’Arm chantait assez mal. Cette compile n’était en fait qu’une sombre collection d’erreurs de jeunesse.

Leur premier album sort en 1989 et s’appelle tout bêtement Mudhoney. Il présente tous les défauts de l’époque : des compos aléatoires qui ne savent pas dans quelle direction avancer et un côté foutoir qui semble imposé par le hasard. Le cœur battant de cet album trouve en B : il s’agit du fatidique «Dead Love», une stoogerie montée sur le meilleur riff ashtonien qui soit ici bas. Oh, on trouve aussi deux ou trois bonnes rasades grungy-grunjo comme «This Gift», un cut vaillamment bardé de guitares congestionnées et surtout «Here Comes Sickness» qui ouvre le bal de la B. On sent une nouvelle volonté de stooger mais l’Arm hurle comme un dératé et perd le fil. Le groupe joue son va-tout en épaississant le son à outrance et ça vire au fulminant. L’Arm adore plonger dans un cratère de volcan. C’est plus fort que lui. Il préfère les volcans aux piscines. On retrouve Steve Turner et son riffing tenace dans «Running Loaded», un cut bien lancinant qui prend des airs plaintifs, histoire de montrer qu’il n’est pas heureux dans sa vie de cut.

Lors d’un voyage à Londres en 1991, Every Good Boy Deserves Fudge fut à peu près le seul disque potable trouvé dans une grande surface d’Oxford Street. Ce petit grungy-grunjo des années de vaches maigres n’allait d’ailleurs pas laisser de souvenirs impérissables. Dans ce foisonnement ridicule, rien n’accrochait. Seuls «Who You Drivin’ Now» et «Fuzz Gun» renouaient avec le fuzz-scuzz. Avec son air de ne toucher à rien, Steve Turner remuait pas mal d’air. On notait pour essayer de s’en souvenir que le hit de l’album s’appelait «Don’t Fade VI», et puis on rangeait ce pauvre Fudge sur l’étagère avant de passer à autre chose.

Piece Of Cake parut l’année suivante et malgré la pochette ratée (comme celle d’Every Good Boy, d’ailleurs), on fit l’emplette. Et quelle emplette ! Ce Cake infernalement bon arrivait au moment où on n’y croyait plus. La fête commençait avec «No End In Sight», un shoot de grungy-grunjo solide, bien gonflé au riff de basse et monté sur le beat Pacific NorthWest. Matt Lunkin bassmatiquait comme une brute. Steve Turner démarrait ensuite «Make It Now» en mode psycho-psyché. Comme Leigh Stephens, il s’enfermait dans une carapace de larsen retardataire. Il visait l’ambivalence inter-galactique. Plus loin, ils fuzzaient «Suck You Dry» jusqu’à l’os. Steve Turner jouait comme un diable. Il se dressait au carrefour de toutes les confluences. Le carnage se poursuivait avec «Blinding Sun». Ils semblaient réinventer le psyché californien. On voyait ce groupe taper dans des registres différents et richissimes. Ils allaient psychetter dans les champs de tournesols. Steve Turner faisait tout le boulot. On les retrouvait englués dans l’heavy-psyché de «Thirteen Floor Opening», nouvelle exaction complètement barrée à la Barrett et grattée au sang. On tombait plus loin sur une vraie bombe avec «I’m Spun» et l’Arm prenait les armes. Il cédait à la violence et il en devenait admirable. Et ça continuait avec un «Take Me There» riffé en mode Pacific Northwest. Il fallait les entendre hurler dans le néant et s’immoler sur le pal de leur ambition démesurée. Steve Turner se prenait encore une fois pour Leigh Stephens avec «Living Wreck». Pur jus de Blue Cheer. À force de montées de fièvre, ces mecs finissaient par saigner leur cut à blanc.

Nouvel épisode remarquable avec My Brother The Cow paru en 1995. Ces fringants blasters ouvrent le bal avec «Judgment Rage Retribution and Thyme», un garage délinquant d’une grande violence et monté sur un riff de malade mental. Ça donne le garage de ces temps modernes qui vont si mal. Idéal pour ceux qui cultivent le mal être. Mark Arm refait son Iggy dans «Generation Spokesmodel» et se livre au même genre d’abandon. Et en prime, Steve Turner nous lâche l’un de ces solos bien gluants dont il a le secret. Oh bien sûr, on trouve ici quelques cuts plus faibles, mais ils se laissent écouter. Retour au rock d’envolée retenue avec «Today Is Good Day». Dan Peters bat ça sec et Steve Turner n’en finit plus de cultiver son goût pour la déviance solotique. Avec ça, ils frisent le Nirvana. Nouvelle horreur avec «Into The Shtik» - C’mon down - L’Arm parle d’un asshole et les chœurs lui répondent Just like you. Le cut se veut délicieusement rampant, grossier et bardé de chœurs d’antho à Toto. Nous voilà en plein Pacific Northwest. Et puis ça part en final d’apocalypse. Ils poussent le bouchon très loin - Kiss my ass - Final dément, L’Arm what the hell embarque son cut au firmament - Fuck you ! - En B se nichent deux ou trois autres gros monstres poilus, à commencer par «Orange Ball-Peen Hammer», une heavy bouillasse de grunge. Excellent car inspiré par les trous de nez. Ces mecs sont très forts. Ils font les bons albums qu’Iggy ne fait plus. Ils dépotent ensuite «Execution Style». L’Arm hurle dans la ville en flammes. Pur jus de garage détraqué. L’Arm peut fondre l’atome du rock en le serrant dans son poing pendant que ce psychopathe de Steve Turner étrangle son solo à la wah. Cette bande de dingues continue avec «Dissolve», une nouvelle fournaise viscérale. Leur gros psyché s’ébranle en cours de gadouillage. L’Arm hurle comme un condamné qu’on emmure vivant. Et ils bouclent cette sombre affaire avec un «1995» qui sonne comme le meilleur garage du monde, celui qui titille la glande et qui préside au bouleversement de tous les sens. Voilà encore une pure dégelée de heavyness lavée à la morve de guitare. Terrible ! Irrévocable. Insécurisant et complètement galvanique.

C’est Jim Dickinson qui produit Tomorrow Hit Today en 1998. Ils attaquent avec une belle heavyness de Tombstone, «A Thousand Forms Of Mind», vrillée par un killer solo. Admirable, beaucoup trop admirable. Au fil des albums, Mark Arm est devenu un excellent chanteur. Ils virent bluesy dans l’esprit de sel avec «Try To Be Kind». Ce vieux gimmick de bues et les fantastiques progressions d’accords ont dû beaucoup plaire à Dickinson - Cry me a river - Il régnait sur le Tennessee se soir-là une fantastique ambiance crépusculaire - Try try try - Et l’Arm partait en sucette comme Question Mark. «Real Low Vive» marquait le retour à la heavyness, géré une fois encore par ce diable de Steve Turner. Il suivait le cut à la trace comme un chasseur Séminole. Et soudain, la fuzz explosait. Mudhoney fascinait et pavait l’enfer de bonnes intentions. Encore une pure merveille : «Night Of The Hunted». Hit seigneurial doté du big heavy sound, bardé de dynamiques extraordinaires et dans un spasme ultime, l’Arm jetait son cut au ciel. On restait dans la pure heavyness avec «Move With The Wind» que l’Arm chantait à la manière d’Iggy. Ils tapaient ensuite une reprise des Cheater Slicks, «Ghost» et ça sonnait comme le «Death Party» du Gun Club. Pas moins. Pur génie stompique d’un groupe au dessus de tout soupçon. Steve Turner y glougloutait. Avec Dickinson aux manettes, tu imagines le tableau ! Il n’existe pas d’autre réalisme que celui du son. Ils bouclaient cet album superbe avec un nouvel assaut, «Beneath The Valley Of The Underdog». Ils vont là dans la pire heavyness qu’il soit permis d’imaginer, celle du psychout des origines du monde. Ils nous précipitent dans un puits sans fond.

S’ensuit Since We’ve Become Translucent, un album nettement moins bon. Avec «The Straight Life», ils tapaient dans du garage privé d’ambition. On se posait alors la question : «Mais à quoi sert Mudhoney ?» On avait la réponse avec «When The Flavor Is» qui sonnait comme un classique des Stooges. Mark Arm adore tellement les Stooges qu’il réussit à sonner comme Iggy. Mais on se souvient aussi que Mudhoney est parfaitement capable de sortir des albums inutiles et celui-ci en est un, même si «Inside Job» somme comme «Lust For Life». Il est bien certain que l’Arm aime Iggy d’amour pur.

Ils redressent un peu le cap en 2006 avec Under A Billion Sun et démarrent avec un heavy doom chargé d’angoisse, «Where Is The Future» - I was born on an Air Force base/ Nineteen sixty-two - Et Steve Turner explose - splaaaaassh - I’m sick to death of this one - L’Arm parle bien sûr du futur qu’on lui propose. Non, il n’en veut pas. Il faut attendre «Hard On War» pour revibrer. Ils sonnent carrément comme Monster Magnet. On voit des serpents ramper sous le lit - C’mon little girl - Et Steve Turner prend une fois de plus un solo dément - I’ve become a dirty old man with a hard-on for you - Il reste deux bombes sur ce disque : «In Search Of», que Steve Turner sauve à coups de psychout psychomoteur, et «Blindspots», musclé à outrance. Steve Turner se déchaîne, il riffe comme Jean Gabin aux manettes de sa loco. Il emmène tout à la force du poignet. C’est bardé de gros paquets d’accords américains - Senselessness is the best defense !

Quand on écoute The Lucky Ones, on en déduit que ces surdoués privés de look sont devenus des aventuriers du garage. On trouve trois bombes sur The Lucky Ones, dont deux stoogeries efflanquées : le morceau titre et «Next Time». «The Lucky Ones» brûle autant que le magma des Stooges. Ils recyclent le riff de «No Fun». Steve Turner torture sa distorse. Leur plan, c’est de tout brûler, alors ils brûlent tout. Même chose avec «Next Time». L’Arm se prélasse dans la mélasse. Il tire ses syllabes à l’infini - Next tiiiiiime aïe aïe ya ya ya - Il est complètement stoogé du ciboulot. Ils font rôtir leur cut en enfer et Steve Tuner vomit son magma sanglant. Voilà ce qu’il faut bien appeler un bel hommage. Et c’est Guy Maddison, le bassmaster, qui fait tout le travail. L’autre gros cut de l’album est l’«I’m Now» d’ouverture de bal. Guy Maddison mène le bal au bassmatic. Ses notes tombent en cascade dans les breaks. Spectacle hallucinant. Clap-hands au centre et basse ultra-ronde. On sent un net retour au radicalisme. Ils investissent dans la viande. Encore une belle pièce avec «The One Mind» - the O Mind comme dirait Iggy - avec une intro de basse. Steve Turner y prend un solo au vitriol. Sa note guette comme un prédateur. Ils terminent cet album solide avec «New Meaning», en cavalant à travers la plaine en feu. Des riffs miraculeusement infernaux font le gros du boulot et Dan Peters bat comme un démon.

Curieusement, c’est dans les side-projects que Mark Arm semblait donner sa pleine mesure. Il rendit hommage aux Sonics en montant les New Strychnines et en enregistrant un album de reprises qui a le même son et la même énergie que les albums classiques des Sonics. Il fit aussi partie avec Dan Peters et Steve Turner de Monkeywrench, un super-groupe monté par Tim Kerr dans les années 90. À la limite, les albums de Monkeywrench sont bien plus intéressants que les premiers albums de Mudhoney. Mais là où Mark Arm épata vraiment la galerie, ce fut en montant sur scène avec les trois rescapés du MC5, rebaptisés DTK MC5 (Davies/Thompson/Kramer). L’Arm remplaçait tout simplement Rob Tyner et il s’en sortait avec les honneurs.

Voilà donc le vrai talent de Mark Arm : il peut à la fois sonner comme Gerry Roslie, Iggy ou Rob Tyner, c’est à dire trois des plus grands chanteurs de rock. Et c’est la raison pour laquelle il faut aller le voir, lorsqu’il passe dans le coin.

Mudhoney arrive enfin en Normandie. Mark Arm et ses amis ne gaspillent pas leur fric en tenues de scène. Ils sont à la ville comme à la scène, ils portent des jeans aux couleurs improbables et des T-shirts dont ne voudraient même pas les clochards du foyer. Mais côté mise en place, rien à redire. Mudhoney, c’est le quatuor de surdoués américains parfait, bien rôdé. Avec ses cheveux courts, Mark Arm a l’air d’un collégien, mais il chante comme un dieu et screame comme un démon. Il imite Iggy quand ça lui chante. Ce mec à la glotte en feu. Dan Peters bat le beurre depuis 1988, année de formation du groupe, et Steve Turner continue de bricoler sur sa petite demi-caisse rouge. Avec sa barbe, ses lunettes, son air de sainte-nitouche et son look d’étudiant en psycho-socio, on lui donnerait presque le bon dieu sans confession, mais Steve Turner est un virulent, un mec qui plie les genoux quand il envoie gicler sa morve de distorse. L’autre pointure du groupe, c’est Guy Maddison, le remplaçant Matt Lukin. Il faut le voir jouer de la basse, c’est une féérie à deux pattes. Il joue des huit doigts comme John Entwistle et plaque des accords quand ça lui chante. On voit rarement des bassmen dotés d’une telle vélocité et d’une telle force de frappe. Au fil de ce set magistral, on retrouve les stoogeries du dernier album - «I Like It Small», «What Do You Do With The Neutral», «The Final Course» et «Chardonnay» - l’«I’m Now» tiré de The Lucky Ones, l’«Inside Job» tiré de Translucent, «Beneath The Valley Of The Underdog», tiré de Tomorrow, et bien sûr «Touch Me I’m Sick» que tout le monde attend au virage.

Signé : Cazengler, Madonné (la gerbe)

Mudhoney. Au 106, Rouen (76). 2 mai 2015

Mudhoney. Mudhoney. Sub Pop 1989

Mudhoney. Every Good Boy Deserves Fudge. Sub Pop 1991

Mudhoney. Piece Of Cake. Reprise Records 1992

Mudhoney. My Brother The Cow. Reprise Records 1995

Mudhoney. Tomorrow Hit Today. Reprise Records 1998

Mudhoney. Since We’ve Become Translucent. Sub Pop 2002

Mudhoney. Under A Billion Suns. Sub Pop 2006

Mudhoney. The Lucky Ones. Sub Pop 2008

Mudhoney. Vanishing Point. Sub Pop 2013

Mudhoney. Superfuzz Bigmuff Plus Early Singles. Sub Pop 1990

De gauche à droite sur l’illusse : Steve Turner, Guy Maddison, Mark Arm et Dan Peters.

VILNIUS IV

JARS

( 03 / 04 / 2020 )

 

Enregistré en public à Vilnius ( Lithuanie ) le 28 novembre 2019. Disponible sur Bandcamp.

Pochette : photo : Valery Suslov / artwork : Vova Sedykh

Jars : Anton / Pavel / Alexander

Le 12 novembre 2019, les Jars donnaient un concert à La Comedia, non ce n'est pas tout à fait cela je ne rédige pas une note de service comme un agent du FFS, donc je reprends : les Jars larguaient une bombe atomique sur La Comedia. Repartaient le lendemain vers le grand est, d'ailleurs le 26 ils étaient tout près de chez eux, Moscou la noire, un arrêt à Vilnius pour une prestation sauvage dans la capitale de la Lithuanie patrie du poëte Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz. Ce Vilnius IV est un live tiré de leur set.

L'European Tour des Jars fut éprouvant : Alexander le batteur en fut particulièrement épuisé, c'est un peu de sa faute, vous auriez dû le voir à l'œuvre, je n'ai jamais ouï un travailleur de horrible avec une frappe aussi féroce, nous lui souhaitons un prompt rétablissement.

Ce 20 mars dernier un post de Jars nous apprend que le nouveau forgeron de Jars se nomme : Mikael Rakaev. Mais c'est bien Alexander que nous entendons sur Vinius IV. Si vous ne savez pas quoi faire de vos vacances, voici un renseignement utile : les Jars sont en concert le 20 août prochain au Power House de Moscou.

Nos connaissances en la langue de Pouchkine étant malheureusement limitées nous n'avons qu'une confiance relative en notre traducteur automatique.

1 : Tribal : de quelle tribu s'agit-il, d'une féroce. Alexander tape comme un forcené, bat le rappel des guerriers dont vous entendez la clameur des guitares, arrêt brusque, l'on n'ouït plus que le bruissement du vent qui murmure dans les feuillages, et l'on repart plus vite, le piétinement lourd s'enhardit, plis sourds, la batterie halète, comme quand l'on attaque une montée, longues plaintes de guitares qui haussent le ton, l'on aborde une désagrégation abstraite du souffle, arrêt brutal, ils ont encerclé l'ennemi, les arbres flambent et le réduiront en cendres, la musique se fait victoire et une dégringolade de battements assomment ceux qui voudraient échapper. Victoire. 2 : Flic : à fond la caisse. Rythmique impitoyable, vous avez l'impression que les guitares lancent des grenades des deux côtés de la barricade. La voix surgit, lance-flamme de haine, qui pousse les guitares dans un tumulte indescriptible, des cris de rage, l'ombre rouge de la destruction enflamme l'oronge suicidaire des cocktails molotov, une orgie sonore gigantesque s'empare du monde. Arrêt brutal, personne ne descend. 3 : Touche noire : que nous comprenons en tant que côté obscur de la force. Doivent avoir des cordes en fil de fer barbelé pour que ça clinque et chuinte aussi déglingué, une voix d'échappé de l'asile qui a quelque compte à régler avec les gardiens. Les tambours d'Alexandre poussent au crime, musique de zombies engendrée par les nuits les plus ténébreuses lorsque les pierres des cimetières se soulèvent parmi les rafales des ouragans. Peut-être n'arriverez-vous pas à écouter le morceau jusqu'au bout. La lâcheté est parfois excusable, mais si vous désirez traverser le rideau de la grande faucheuse continuez. Il ne vous reste plus qu'à tourner en rond dans les marécages de la folie humaine, attention au maelström final dans lequel vous serez englouti. Exploration de vos gouffres intérieurs garantie. 4 : Brûle : courage ce morceau dépasse de six secondes la minute, une ordalie de feu toutefois. Danse bengale et scalp mental. Si vous y êtes rentré vraiment jamais le temps ne vous aura paru aussi long. Ce n'est pas votre corps qui brûle, mais l'âme que vous n'avez jamais eue. 5 : Besoin d'ennemis : une espèce de tourbillon de sable brûlant qui s'arrête aussitôt car l'épreuve ne fait que débuter. Le temps de respirer et de comprendre que l'ennemi attaque toujours par derrière, l'aigle monstrueux vous tombe sur les épaules et vous fend le crâne de son bac inquisiteur. Picore votre cervelle et la voix s'élève, elle vous menace et vous nargue, une douleur bruitiste se propage le long de vos nerfs enflammés. Roulez-vous par terre, emprisonnez-le de vos deux mains et hurlez plus fort que lui, l'on entend les cris des spectateurs qui assistent au combat, vous voici seul contre vous-même, il n'est pas sûr que vous gagnerez, l'instinct de mort vous submerge, les guitares gémissent lorsque vous vous arrachez vos organes un à un, vous vous relevez et vous battez des ailes. Vous avez gagné. Si vous ne vous tuez pas, vous deviendrez plus fort. 6 : Preuve : plus de chant, des aboiements, ça jappe et ça roquette, sont-ce des cris de victoire ou des métamorphoses sauvages, peut-être êtes-vous devenu la férocité du monde animal. Chamanisme tribal. Mais vous quittez la terre, envol final. Tout ceci n'est qu'un conte de fées pour enfants et assassins. Fatidique terminal. 7 : Non : le chant du refus, de ce qui est et de ce qui n'est pas. Trop de colères accumulées, trop de faussetés agglutinées, la musique court après elle-même pour se rattraper, se dépasser, se fuir. Faire de sa vie une imprécation à l'existence, une salutation au soleil noir de la haine, un hymne à la joie de la destruction. Alors et alors seulement on peut vivre et envoyer l'univers valser dans les gouffres noirs du vide intersidéral. Connaissez-vous plaisir plus profond ? 8 : Sabotage : pandémonium général, une vague monumentale qui vient de nulle part sinon de l'appel du néant, un déluge qui emporte le dépotoir sociétal dans les catacombes des décombres amoncelés. Des coups de guitare comme des couvercles sur les marmites du diable, cuisson rapide, œuvre alchimique au rouge sang, récitation des rituels enragés et inopérants, tout y passe et rien n'en ressort, vendangeurs ivres qui écrasent le vieux monde sous leurs pieds transformés en battoirs. Sabotez la vie, sabotez la mort, sabotez le nihilisme. Plus de respect. Plus d'obéissance. Appel à l'innocence des plus grandes sauvageries. La musique roule et monte comme le crépuscule des dieux. Capharnaüm orgiaque. Amoncellements d'orages terrifiants. Fin des illusions.

A ne pas mettre entre toutes les oreilles. Une œuvre. Vous avez le droit de ne pas aimer. De toutes les manières, une fois que vous l'aurez écoutée, il ne vous restera plus grand-chose d'autre. Sinon de rêver à quelque chose de plus grand que vous.

Damie Chad.

THE PESTICIDES

 

Un groupe de rock ne produit pas uniquement de la musique. Sans doute est-ce-là sa première finalité. Encore faut-il se doter d'une image. Nous entendons dans cette chronique ce vocable selon son acception la plus primaire. Un logo pour employer une expression des plus commerciales. Nous lui préférons de beaucoup le terme de totem, cet insigne opératif des légions romaines. Les Stones nous tirent la langue depuis un demi-siècle, nous ne nous en lassons guère, il est vrai qu'ils l'ont au fil des années déclinée sous de multiples formes. The Pesticides se sont formés en septembre 2019, n'en ont pas moins utilisé en quelques mois, trois différentes moutures de leur signe de ralliement.

Une première constatation. On les reconnaît de loin. Vous les avez vus une fois cela suffit. Question de dramaturgie, un guitariste unique et deux filles. Habillées à l'identique. Ce n'est pas un uniforme qui vise à une lointaine ressemblance, pas de tricherie elles sont jumelles. De visu l'une est l'autre, l'autre est l'une. Vu de l'intérieur ce n'est vraisemblablement pas la même identité, ne serait-ce parce qu'elles occupent des portions différentes de l'espace. A la limite, de tous les combos que nous avons rencontrés, c'est celui-ci qui avait le moins besoin d'un gonfanon. Mais ce sont de fines guêpes. Elles ont compris qu'il fallait piquer les yeux.

Nous nous attarderons d'abord sur le motif qui apparaît en premier lorsque vous vous rendez sur leur facebook. Cette espèce de drapeau pirate qui s'inscrit dans le rond de votre lorgnette lorsque vous naviguez sur le net. Pas besoin d'avoir fait de longues études d'héraldique rock 'n' roll pour avoir une idée du profil de la goélette que vous venez de repérer. Les lettres détachées en un savant désordre, et affranchies des règles typographiques élémentaires , les E tournant carrément le dos à l'ordre naturel de la lecture, et puis ces couleurs, rose-cru et jaune-bollocks-pisseux, la référence sex pistolienne saute aux yeux. Si par hasard le ver rongeur du doute vous habite, vous n'avez qu'à regarder la bannière de titre pour en être convaincu. Deux jeunes filles chaudes comme moiteur d'été à l'assaut du Kraken, car parfois les Andromède n'aiment pas être sauvées par un valeureux défenseur de la dignité outragée.

Faute de concerts dans la période actuelle, The Pesticides ont créé une nouvelle bannière. Le rose érotique a disparu, même si le support présente l'aspect un drap de lit froissé, le jaune est avivé, peut-être pour faire resplendir la noirceur de ces deux grands coups de rouleau de peinture, sur laquelle ont été disposées les lames blanches des lettres d'imprimerie noire, les E toujours récalcitrants, mais le reste de l'alphabet davantage civilisé. L'arboreront-elles en vue de nouvelles conquêtes. L'avenir nous le dira.

En attendant abîmons-nous dans la contemplation de leur toute première bannière qui remonte au mois de septembre. Pour le bas de l'image, pas de surprise, nous retrouvons l'étamine rose langue-de-chatte sur laquelle le nom du groupe est tracé en jaune. Le fond de l'affiche est du même or urinaire. Pour le reste c'est l'horreur absolue. Trois cariatides échappées de l'Erechthéion, trois Vénus de Milo démembrées comme il se doit, trois écorchés vifs. Des suppliciés échappés de la table de dissection. Pourquoi, quand comment, aucune explication n'est fournie. Est-ce l'effet que l'écoute du prochain EP six titres des Pesticides aura sur vous, est-ce une dénonciation écologique des méfaits des pesticides agricoles, ou alors une auto-représentation de soi-même, en pantin désarticulé, un regard au-delà de toute chair, au plus profond de l'être dans le dégoût de la carne, malgré les seins d'albâtre des deux premières statues défigurées, à croire que l'on ait voulu décapsuler la beauté du monde en leur arrachant le visage, ce serait donc les deux représentations des jumelles, le troisième étant l'homme craqué ouvert de partout, qui n'est plus rien que l'horreur des organes mis à jour.

Mais une vision plus attentive aux détails nous enjoint de penser que ces horreurs debout ne sont que des mannequins, trois fois le même, des pantins interchangeables, déshabillés, de leur peau pour voir la vérité plus profond que lorsqu'elle s'exhibe en sa nudité déclamatoire. Faut-il prendre cette carte de visite que nous tendent The Pesticides pour nous enjoindre à les regarder du dedans, au-delà de la barrière de leur apparence physique. Nous enjoignent-ils à une expérience métaphysique plus profonde. Sur scène s'agitent-elles telles des sémaphores pour nous avertir des dangers à les écouter, nous refont-elles le coup du chant des sirènes, où s'amusent-ils tous les trois à singer les marionnettes de Kleist.

Regarder une image est un acte quasi-automatique que l'on opère sans réflexion, mais parfois il est bon de s'interroger sur ce qu'elle signifie. Savoir comment elle s'insère dans le spectacle du monde auquel elle nous invite. Les Pesticides distribuent des cartes méchamment biseautées. Et la partie ne fait que commencer. Nous sommes prévenus, nous avons hâte de miser. Le jeu nous réserve bien des surprises.

En attendant nous serons sages comme des images.

Damie Chad.

P. S. : j'étais content, j'avais terminé ma chronique, j'aurais dû me méfier, en règle générale les filles sont de véritables pestes, mais celles-ci pire encore, des pesticides. J'étais content de mes petites élucubrations sur les images, je n'avais pas posé un point final sur mes divagations imaginales depuis deux heures qu'un post m'a annoncé du nouveau. Changement non pas de direction, mais de dimension. The Pesticides sont passées à vitesse supérieure. Fini les images, c'est bon pour les premières communions, désormais l'on quitte la figuration plate pour le volume. Bye-bye la peinture, bonjour la sculpture. Pas in vivo. In morto. Désormais elles ont une mascotte. Un pantin. ( C'est fou comme j'avais visé juste en évoquant Kleist ).Vous aimeriez le voir, c'est impossible. A peine né, déjà mort. Personne ne l'a tué. Il s'est pendu. Pas au premier lampadaire qui passait dans la rue. A la bannière, la numéro 3, celle qui est évoquée en deuxième dans la chro. Je tente de vous décrire l'objet du délit, ou le sujet du délire, un gros poupon – les garçons auraient fabriqué un camion – tout noir, une couleur qui lui a porté malheur, le torse transpercé d'épingle-doubles – fortes tendances auto-mutilatoires dixit Doctor Freud – vous reconnaissez les teintes fétiches des Pesticides, un tau-rose-potence et une croix-cimetière-jaune pour signifier ses yeux, fermés à jamais, n'a même pas eu le temps de terminer sa première cigarette, l'a utilisé une grosse corde de chanvre pour être sûr de ne pas se rater, l'on se croirait en balade dans un poème de François Villon. Désormais vous ne pourrez plus aller à un concert des Pesticides sans ramener un petit Pesticidor à votre filleule. Elle se sentira obligée de le bercer pour l'endormir lui qui dort pour l'éternité : ''Fais dodo mon p'tit Pesticidor, Fais dodo t'auras de l'exterminator''.

Les âmes tendres vont s'émouvoir : Mais pourquoi l'ont-ils tué ?

  • Parce que les pesticides qui laissent vivre leurs victimes ne valent rien !

  • Je ne savais pas que le rock'n'roll c'était si cruel, si vicieux !

  • Pourtant c'est exactement cela, les anglais disent sid vicious !

  • Mais ce n'est pas un jouet pour les enfants !

  • Pas spécialement peut-être, mais formellement interdit aux adultes comme vous !

Damie Chad.

 

ROLLING STONES

POURQUOI JE LES AIME

 

Une vente aux enchères en province. Rien de grandiose. Bien des cartons auraient pu atterrir chez l'Abbé Pierre, peut-être que le commissaire priseur raclait les fonds de tiroir. Bref une énorme caisse de livres pour quinze euros. L'heureux acquéreur demande à un jeune homme, qui était venu en curieux, accompagné de son épouse et d'une fillette, de l'aider à porter le paquet jusques dans le coffre de sa voiture. Pour le remercier le gars lui refile un livre sur les animaux, grand format : J'ai vu que vous avez une petite fille, tenez pour vous remercier, le jeune homme refuse mais la fifille les a rejoints, Papa, prends-le, c'est un livre sur les tigres, je les adore ! L'histoire pourrait s'arrêter-là.

Mais non. A la maison la petite fille feuillette le bouquin. Une photo s'en échappe, pas très belle, un peu floue, petit format, des musiciens avec des guitares électriques. Ce n'est pas des tigres, je n'en veux pas ! Le papa intervient : Ne la jette pas, on la donnera à ton cousin Paul, il aime ce genre de musique. La semaine suivante la photo est refilée à Paul. 'Wouah, un vieux truc, bien sûr que je connais, c'est les Rolling Stones ! Et Paul retourne chez lui, s'en sert comme marque-page pour un livre qu'il n'achèvera jamais, à tel point que quelques années plus tard, il refile le bouquin à sa copine dont les parents tiennent un stand de brocante. C'est leur passion dominicale.

Le lendemain, la copine lui rend Le dictionnaire des idées reçues, personne n'en a voulu, par contre la photo dedans, il y a un mec qui l'a prise, ma mère lui en demandait deux euros, le gars n'a pas pris la monnaie de son billet de dix que maman lui rendait. L'est parti presque en courant, les gens sont un peu mabouls, dix euros pour une photo format carte postale, ratée par dessus le marché. Profitant de l'aubaine nos jeunes gens partent boire un pot...

Le gars n'était pas fou. Je le connais, nous l'appellerons Théodore. L'a déboulé chez moi, deux jours après, n'a même pas pris la peine de frapper. Regarde ! La photo sous les yeux. Ouais, pas très nette, même aux enchères sur internet tu n'en tireras pas dix euros ! M'a regardé avec commisération. Tu peux sortir tes bouquins et tes DVD's sur les Stones, j'allume ton ordi, dépêche-toi, bougre d'idiot. A quatre heures du matin, l'on y était encore. On n'y croyait pas, tout concordait. Mais si ! Mais non ! Il faudrait un grand écran ! Philippe, il en a un super-géant, ses parents sont absents !

On l'a tiré du lit. Je prendrais bien un jus, pas question, on te met au jus. Dix minutes plus tard l'on avait des yeux comme des soucoupes, c'est au matin, vers 11 heures moins dix que l'on a été sûrs, là, pile, stop, recule, avance ! Pas de doute, ça baigne grave disait Théodore. Il ne croyait pas si bien dire. L'on était comme des rois !

On en a discuté pendant deux jours. Un plan d'enfer. Que faire. On envoie à Rock 'n' Folk ? Non, pas à ces blaireaux ! On se charge du binz, tous les trois. Damie, cette nuit tu écris un texte, rendez-vous demain chez toi à quatorze heures pile. Et à quatorze heures une, on plonge, on bazarde tout sur cent sites rock en même temps, plus les quotidiens. La com du siècle, c'est nous.

A quatorze heures, Théodore n'était pas là. A quinze heures non plus. Pas de nouvelle. Son portable restait muet. A quinze heures trente Philippe a téléphoné chez lui. Sa mère était en pleurs, on vient de le découvrir, après le repas il est sorti pour aller chez des copains, il a dû glisser sur le rebord de la piscine, c'est le chien qui n'en finissait pas d'aboyer dans le jardin, on l'a retrouvé noyé à quatorze heures.

Deux jours après l'enterrement, en pleine nuit l'on est retourné au cimetière pour brûler la photo sur sa tombe. Philippe a sorti son briquet, elle a pris feu instantanément dès que la flamme s'en est approchée, en cinq secondes elle n'était plus que cendres, mais sur la photo, les Rolling Stones sur scène à Altamont, le gars au milieu avec son tambourin, m'a souri, sournoisement d'un air complice, Brian Jones.

Damie Chad.

 

SOUS L'AILE DU CORBEAU

TREVOR FERGUSON

( Le Serpent A Plumes / 2015 )

 

Corbeau et serpent, une belle ménagerie totémique, le volatile cher à Edgar Poe, une maison d'édition de qualité, et en prime sur la quatrième de couverture ce rapide résumé de quatre lignes illisibles, car écrasée par l'amarante agressive de l'arrière-fond, ce lambeau de phrase que mon œil obstiné parvient à prélever par miracle '' chef de la tribu des Corbeaux '', par l'esprit de Wakan Tanka, un roman sur la tribu des Crows sur laquelle je cherche des renseignements depuis des années, je prends. J'ai pris, l'ai posé et n'y ai plus pensé jusqu'à hier soir. J'ai dévoré les trois cents pages sans m'arrêter.

C'était une erreur. Pas le moindre guerrier Crow à l'horizon des Grandes Plaines. Non, l'action se déroule quelque part au Canada, sur une île fictive, à quelque centaines de kilomètres de Vancouver, le genre d'endroit où vous n'auriez jamais envie d'aller, il y pleut sans arrêt. A ce désagrément ajoutons qu'au début vous n'y pigez rien. Mais alors rien du tout. C'est le cas de le dire vous ne reconnaissez personne en Trevor Ferguson. Une grande figure du roman américain me dit wikipedia, Sous l'aile du Corbeau est son premier livre. L'en a écrit d'autres, notamment une série de policiers. All right, mais cela ne nous aide guère.

Au bout de quelques chapitres la chose prend l'aspect d'un western, à pieds, à cheval ou en canoë, tous les protagonistes de l'histoire se dirigent vers un coin sauvage quelque part dans la montagne. Il n'y a en qu'un seul qui possède un fusil, mais il est méchant. Les autres sont ce que l'on appelle des anti-héros, l'un qui a tout raté et l'autre qui n'a rien entrepris. L'un boîte de la jambe et l'autre dans sa tête. Oui il y a un chef indien. C'est le plus équilibré. L'a laissé sa tribu sur son île. C'est qu'il essaie de la préserver, de l'isoler de l'homme blanc, un combat dont il se doute qu'il est perdu d'avance. Faut avancer dans le roman pour comprendre l'enjeu. Ne comptez pas sur moi pour vous le révéler. Faut bien une histoire avec un début, un milieu et une fin pour attirer le lecteur.

Ce n'est pas là le plus important. Dès les premières pages vous sentez l'embrouille, c'est un peu comme dans Faulkner, entre Le bruit et la fureur et Les palmiers sauvages. Certes ce n'est pas un idiot qui parle, mais le Ferguson il a l'art et la manière d'éviter les transitions, tantôt vous êtes dans un récit des plus classiques, tantôt dans le monologue intérieur rapporté à la troisième personne d'un des personnages. A vous de vous comprendre lequel exactement. D'une phrase sur l'autre ça peut changer, sans aller à la ligne évidemment. Ou alors l'un d'entre eux prend la parole en disant je sans avertissement. Un truc d'écrivain qui connaît par cœur les codes de la déconstruction d'un récit à la Joyce, soupirerez-vous, un intello qui fait son malin.

Pas du tout. Cette écriture n'est en rien un exercice de style. Elle colle au sujet, elle est dictée par lui, rien à voir avec la pelote de laine que vous emmêlez à plaisir pour déboussoler le lecteur et faire durer le suspense. Tu veux savoir la fin, coco, lis jusqu'au bout. Artifice commercial et rien de plus. Vous êtes pressé alors je vais vous révéler le sujet du bouquin en quelques phrases. Pas de chance, il y en a deux. Le premier qui a motivé le succès du livre, je vous le décline de deux manières. D'abord la grosse tarte à la crème baveuse, moussante et mousseuse : la préservation de la nature, la critique de notre civilisation, plus écologique que cela tu meurs. Que voulez-vous il faut bien attirer les mouches avec de la confiture à bas prix. Ce qu'il y a de bien, c'est que Ferguson ne s'attarde point à cette œuvre pieuse, c'est surtout le lecteur primaire qui se satisfera de cette lecture de surface. Ensuite l'on passe dans du plus subtil, certes vous pouvez vous glorifier du résultat de la première analyse qui prouve la faible pertinence de votre pensée. Mais les choses sont plus complexes. Votre pensée n'est que le fil d'une trame, constituée de la pensée des autres et aussi de cette présence du monde autour de vous, une espèce d'animisme collectif qui fait que la pensée individuelle n'a que peu de valeur si l'on ne la met pas en relation avec cette sphère spirituelle qui se dégage de la nature et de tous les artefacts humains. Objets inanimés avez-vous donc une âme s'écriait Lamartine, là n'est pas vraiment le problème répond Ferguson , l'important c'est de saisir les corrélations entre vous, les autres et le monde, celles qui se font et celles qui ne se font pas, et malheureusement ces dernières sont les plus fréquentes...

Il y a plus profond. Sous l'aile du Corbeau raconte une terrible histoire. De sang et de sexe. Quand vous arrivez à la fin, si vous êtes un joyeux optimiste vous concluez par un tout est bien qui finit bien, si vous êtes un pessimiste invétéré vous déclarerez tout est mal qui finit mal. Dans les deux cas vous avez tort. Ni mal, ni bien, ne finissent jamais, le sujet de ce livre n'est autre que la persistance des choses mortes, ou détruites ou passées. Quelque chose subsiste toujours. Tout acte survit dans son propre oubli comme dans sa propre survivance. Vous pouvez en être conscient, vous pouvez vous en détourner, vous pouvez en être ignorant, cela n'enlève ou ne retranche rien à la complexité du monde. Peut-être en conclurez-vous à la nécessité de l'équivoque d'une pensée analogique, mais cela ne regarde que vos propres conclusions. Sous l'aile du corbeau est à lire comme un roman de pensée métaphysique, si ces termes vous effraient dites-vous que Trevor Ferguson a tenté de traduire par sa manière d'écrire un essai transcriptif des modalités de ce que les ethnologues de salon désignent sous l'appellation fourre-tout de '' pensée indienne''.

Le titre anglais original est : High Water Chants. Le roman est traversée en effet par une rivière torrentueuse qui descend des montagnes. Je me plais à y voir la chute sans fin et dans le vide des atomes de Démocrite. Etrange, ou hasardeuse corrélation, Ivan Steehout n'a t-il pas traduit un livre de James P Campbell intitulé La poursuite de l'Être.

Damie Chad.

LOVESICK DUO

 

Je ne les cherchais pas. J'ignorais qu'ils existaient. C'est en trifouillant sur le net sur un tout autre sujet, qu'une photo m'a sauté aux yeux. Des horreurs absolues. Des mongolitos arriérés. Le garçon et la fille. J'ai voulu en savoir plus. Un cas d'espèce. J'ai cliqué dessus et je suis tombé sur la légende Lovesick Duo, je savais depuis le Lovesick Blues d'Hank Williams que l'amour rend malade, mais enfin, il y a des limites. De pauvres bêtes bonnes à abattre. Bon mais il y avait le mot duo, alors j'ai cliqué dessus et me suis retrouvé sur leur F. B. Je vous rassure tout de suite, des jeunes gens beaux comme des sous neufs, mais z'aiment bien se prendre en contre-plongée avec une application qui vous grossit la tête.

Sont italiens. Des voisins, des cousins. Suis tombé sur l'épisode vingt-quatre, tiens me suis-je dit, font comme tous les groupes confinés de par chez nous, tous les jours ils enregistrent en direct un titre, un trait-d'union sonore et amical pour resserrer les rangs contre le Corona-virus. Apparemment non parce que '' ognedi lunedie'' en langue de Dante signifie chaque lundi, j'ai imaginé le pire, confinés depuis vingt-cinq semaines, notre avenir à tous. Pas grave, une fois que l'on sera mort, il restera toujours le rock'n'roll. Puis je me suis aperçu qu'ils faisaient cela aussi le friday et le wednesday...

En regardant la photo de tête j'ai immédiatement écarté le pire, le parfait duo de canziones della amore de la ringarda tradiziona italiana, un super indice m'a permis de comprendre que le hasard m'avait en fait emmené du bon côté de la musique que j'aime. M'a suffi de regarder la robe de Francesca Alinovi. Pas la sienne, je ne déshabille pas les filles des yeux, moi je suis bien élevé, celle de sa contrebasse. Ramages country. Pas d'erreur possible, avec son chapeau de cowgirl de bonne famille pionnière et ses cheveux longs qui pendent, elle semble sortir tout droit d'un western. J'ai lancé au hasard une vidéo, elle ne faisait pas grand-chose, tournée de biais, absorbée dans un tripotage de je ne sais quoi, de la sono peut-être. A ses côtés Paolo Roberto Pianezza essayait d'imiter le gars qui se donne une contenance. Mais non, elle ne s'occupait pas de lui. Il a effleuré les cordes de sa guitare, un bling, juste pour dire que la séance avait commencé, que ça allait commencer bientôt, incessamment sous peu, l'aurait pu lui adresser la parole en japonais, elle était manifestement obnubilée par ailleurs, alors faute de mieux il s'est mis au turbin tout seul. L'a caressé le manche de son acoustique et miraculeusement elle s'est mise à miauler like a cat on a tin heat roof, on a tin hit roof, vous a écorché le matou durant cinq minutes, un slide de toute beauté, un bottleneck de première classe, une merveille, du feeling et du toucher.

Après cet instrumental introductif Francesca a consenti à se servir de sa contrebasse. Z'au début, j'ai cru que le son avait baissé d'un cran, mais non la fine mouche touchait les cordes mais ne jouait pas – parfois les filles sont effrontées – le Paolo au boulot todo solo, au bout de trente secondes elle s'est mise à swinguer, pas un truc à la mord-moi le noeud-jazzeux, non, comme il faut, ce bruissement de bourdon dans les bourgeons des rhododendrons, et puis crac ! le Paolo a cassé l'ambiance. Ce n'est pas de sa faute. Ce n'est pas qu'il chante mal, c'est qu'il est italien, et comme tout italien qui se respecte il s'est mis à chanter en... italien, faut deux minutes pour s'habituer, le western swing des Appalaches à la mode ritale, c'est un peu trop al dente, mais on s'y fait et il faut reconnaître qu'ils se débrouillent bien, de toutes les manières pour le troisième morceau ils ont utilisé l'anglais... si vous voulez savoir la suite, allez-y voir par vous-mêmes, sont doués et sympathiques, de ce que j'ai vu ils triturent les racines jusqu'à Chuck Berry.

Damie Chad.