08/04/2020
KR'TNT ! 459 : ROKY ERICKSON + FRIENDS / THE SPRITES / SAINT JAMES INFIRMARY / ROCK ' N 'DANCE
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 459
A ROCKLIT PRODUCTION
09 / 04 / 2020
HANNI EL KHATIB / ROKY ERICKSON + FRIENDS THE SPRITES SAINT JAMES INFIRMARY / ROCK 'N' DANCE |
TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Qu’as-tu Khatib ?
En fait, Hanni El Khatib va très bien. Il faudrait plutôt poser la question à deux de ses sidemen qui ont l’air drôlement bizarres. Le bassiste et le guitariste rythmique ont des têtes de gosses renfermés. Ils semblent atteints de l’autisme du Midwest, le plus incurable du monde. Ces deux-là fixent le sol en permanence et tentent de coincer derrière leurs oreilles de grands cheveux raides qu’on suspecte de n’être pas très soignés. Ils parachèvent le spectacle de leur désolation avec des mines fermées à double tour et d’innommables vêtements. On dirait même qu’ils font tout pour que ça aille encore plus mal. On irait presque leur demander : «Comment peut-on vous aider ?». On sait à l’avance qu’ils ne répondront pas. Pourtant ces gens-là viennent de Californie, mais les deux loustics en question se situent aux antipodes du look des golden boys des plages de surf. Ils semblent même avoir des têtes à craindre le soleil, comme certains châtelains des montagnes de Transylvanie.
Étant donné qu’un petit buzz remue l’air autour d’Hanni El Khatib et que son premier album se défend plutôt bien face à deux tympans ruinés par quelques décennies de tambourinage, on est allé le voir jouer sur scène. Comme dit le maquignon, c’est là qu’on jauge la bête. Si en plus elle rue et tire la langue, alors c’est bon signe.
En fin limier, Hanni El Khatib a tapé dans le mille. Il est passé en deux temps trois mouvement du statut d’inconnu d’origine vaguement palestinienne au statut plus enviable de petite star du garage californien. En tous les cas, on ne peut pas lui reprocher de jouer des mauvais cuts, car son set tient remarquablement la route. Il gratte une Les Paul noire et chante comme un cake. Il attaque son set avec «Moonlight», le premier cut de son troisième album et enfile ses petites perles pendant une heure. Son garage est un garage qui ne veut pas dire son nom. Hanni El Khatib ne fait ni du Dirtbombs, ni du Makers, ni du JSBX, ni du BBQ, on pourrait peut-être parfois penser aux Black Keys, à cause de son deuxième album produit par Dan Auerbach, mais en règle générale, son style semble n’appartenir qu’à lui, ce qui relève du prodige, vu qu’on n’en finit plus de croire que tout a déjà été dit ou fait, dans ce domaine. Hanni El Khatib sur scène ? Oh, mais c’est tout bêtement la garantie de passer une bonne soirée. On ne risque pas de se décrocher la mâchoire en bâillant au bout de deux morceaux. On aurait plutôt tendance à sautiller, comme le font les voisins et les voisines.
L’ami Hanni tire bien ses marrons du feu. Pour son set, il tape dans ses trois albums et n’en finit plus d’allumer un public qui de toute façon est convaincu d’avance. Ce n’est pas la faune des concerts garage habituels, non, le public est différent. En tous les cas, aucun poto n’a radiné sa tirelire. Hanni va-t-il devenir énorme et faire partie d’une sorte de nouvelle aristocratie du rock avec des gens comme les Black Keys, les Black Lips, les Black Widows, les Black Crowes, les Black Stone Cherry, les Black Angels, les Black Flag, les Black Mountain, les Black Sabot et les Black Is Black ? Allez savoir. C’est fort possible, car d’ici dix ans, il ne restera plus rien ni de la première ni de la seconde vague des rockers qui constituaient l’aristocratie du rock, celle des années 70. Il semble bien qu’Hanni El Khatib soit partisan d’un maintien des traditions garagistes, ce qui devrait nous sécuriser. En tous les cas, la scène ne trompe pas. Il terminait son set par un cut brillant tiré lui aussi du troisième album, «Two Brothers», une espèce de groove ensorcelant qu’il alla jouer dans la fosse au milieu de ses admirateurs fascinés. Ce fut pour le jeune bassiste renfermé l’occasion de sortir de ses gonds car il se mit à sauter partout avec sa basse et à jouer une redoutable ligne de funky strut. Franchement, il y avait là de quoi faire baver tous les bassistes présents dans la salle. Deux morceaux tout aussi spectaculaires en rappel et l’affaire était dans le sac.
Son premier album mit les amateurs de garage en confiance. Will The Guns Come Out proposait en effet une belle série de petits blasters, tiens comme ce «Build Destroy Rebuild» tout fumant de distorse. L’ami Hanni chantait ça d’une voix de folle échappée de l’asile et on le voyait chevaucher son Diddley beat avec une fière allure. Il passait ensuite aux grossièretés avec «Fuck It You Win» et nous tarpouinait ça avec un beau gras-double. On le voyait piétiner les plates-bandes de Jon Spencer et emprunter les accords d’«Under My Thumb», mais ça restait pertinent. Il savait très bien faire dérailler son chat perché. Puis il singeait Lou Reed pour raconter ses virées dans «Dead Wrong» et ça passait comme une lettre à la poste, car il s’appuyait sur une structure basique doublée de chœurs à la Dion. Non seulement ce mec montrait qu’il avait des ressources, mais il révélait en même temps une solide culture. Il cocotait ensuite le riff de «Locomotive Breath» pour emmener son «Come Alive» en enfer. Ce fin renard du désert recyclait toute l’aventure intellectuelle du rock dans des petits cameos irréprochables. C’mon ! Il passait ensuite au vieux garage avec «Loved One» qu’il traitait en mode Kinky. Pour sabrer, on peut dire qu’il savait sabrer, aussi bien que les Cosaques envoyés par le Tsar Alexandre à la chasse aux traînards de la Grande Armée, lors de la Retraite de Russie. Avec «You Rascal You», l’ami Hanni se prenait carrément pour Gary Glitter en titillant son stomp, mais il sauvait sa réputation avec un brillant solo vrillé. Il finissait avec une superbe pièce de puke de duke, «I Got A Thing», montée sur un riff d’attaque violente, et traversée par un solo à la coule. Berk !
Sans doute attiré par les feux de la rampe, il s’associe ensuite avec l’Auerbach des Black Keys pour enregistrer son deuxième album, Head In The Dirt. Comme l’Auerbach a le vent en poupe, l’ami Hanni imagine qu’il va pouvoir profiter de ce petit vent d’Ouest pour gagner le large. Les mauvaises langues appellent ça de l’opportunisme. Les âmes bienveillantes appelleront ça un échange de compétences. Les Black Keys ont en effet des profils de winners, et au rythme d’un album par an, ils causent pas mal de dégâts dans le porte-monnaie des ménagères. Dès «Family», on sent leur présence. L’ami Hanni se retrouve complètement phagocyté par l’Auerbach et son complice. T’as voulu voir Vesoul ? Eh bien t’as vu l’Auerbach ! Au passage, on note que le pauvre Hanni a perdu le joli son qu’il avait sur son premier album. La fine équipe bascule ensuite dans la pop avec «Skinny Little Girl» et le batteur des Black Keys tape comme un sourd. Il cogne encore plus fort que Denise, la batteuse de Schoolgirl. Après deux ou trois morceaux ineptes, on revient enfin aux choses sérieuses avec un «Can’t Win Em All» stompé au seuil des saturations catégorielles. Étant donné qu’Hanni chante comme Marc Bolan, ça vire glam. Et du coup, leur truc devient drôlement intéressant, d’autant que le mastering patauge dans la choucroute, ce qui donne une superbe trasherie. Quelle horreur ! «Pay No Mind» fait gamberger. Eh oui, ce mec ne devrait faire que du glam. Il a les muscles et les tatouages pour ça. En plus, il en pince pour le gros beat, celui qui craque les capotes. Attention à «Save Me» : ça part avec le beau gimmick des Them et des clap-hands dignes des bas-fonds de Soho. On croirait vraiment entendre les Stones qui reprennent Bo Diddley en 1963. On a en prime un solo d’antho à Toto. C’est même le meilleur coup de chapeau aux racines du British Beat qu’on ait entendu depuis belle lurette. Quelle efficacité ! Solo de désaille et pur riffing. Hallucinant ! Nouveau coup de Jarnac avec un «Sinking In The Sand» qui avance comme une Panzer Division. Motörhead n’est pas loin. L’ami Hanni pousse des aah aah aah de girl group. Il sait investir l’espace.
Hanni El Khatib tournait en France pour la promo de son troisième album Moonlight. Un conseil : il vaut mieux écouter cet album après le concert, car si l’on l’écoute avant, on économise un billet de quinze en n’allant pas voir le concert. L’album n’est pas bon. Mais curieusement, les morceaux passent bien sur scène. On retrouve le fameux «Moonlight» d’intro qui se veut stompique, mais qui sur le disque reste en suspension et refuse obstinément d’avancer. Avec «Melt Me», l’ami Hanni cherche la petite bête, mais le son n’y est pas et ça retombe comme un soufflé. Il tape dans l’esprit boogie des Status Quo pour jouer «The Teeth» et flirte à nouveau avec le glam de carton-pâte. S’ensuivent quelques morceaux ineptes. Avec «All Black», il riffe à qui mieux-mieux mais ça manque tragiquement de poids. L’esprit brille par son absence. On atteint les limites du système avec «Dance Hall». Hanni El Kahtib n’est pas Frank Black. Ni Graham Day. Encore moins Jon Spencer. Et ça ne pardonne pas. Car pour enregistrer des albums à la chaîne, il vaut mieux savoir écrire des chansons. Sinon, à quoi ça sert ? Il termine ce pauvre Moonlight avec le «Two Brothers» de fin de set, monté sur un joli thème. C’est d’ailleurs le seul cut intéressant de l’album, car d’esprit très moderne et battu en brèche au bassmatic. L’ami Hanni tape dans le registre du groove qui se met en route, accompagné de clap-hands et d’une bassline funky. Même effet que sur scène : le cut nous embarque pour Cythère. Rien à voir avec la daube qui précède. Hanni joue la carte du groove et ça redevient lumineux. Il nous embarque littéralement dans son trip de tripe et ça tourne à l’énormité. Voilà un cut salvateur qui s’insinue partout et qui, comme un serpent corail de Guyanne, remonte par la jambe du pantalon.
Signé : Cazengler, le Kathinibé.
Hanni El Khatib. Au 106, Rouen (76). 3 mars 2015
Hanni El Khatib. Will The Guns Come Out. Innovative Leisure Records 2011
Hanni El Khatib. Head In The Dirt. Innovative Leisure Records 2013
Hanni El Khatib. Moonlight. Innovative Leisure Records 2015
Roky le Roquet - Part Three
En attaquant au petit bonheur la chance sa carrière solo, Roky Erickson provoqua en son temps un shaking all over digne de celui des Cramps ou le Gun Club. Il entrait dans le clan des cultes. Sur la foi de deux choses : son antériorité dans les 13th Floor et un premier single so far out paru sur Sponge en 1977, le fameux Mine Mine Mind EP violet quatre titres, sur lequel se trouvait «Two-Headed Dog», l’un des hymnes du XXe siècle.
Il faudra attendre trois ans pour recroiser «Two-Headed Dog» sur un album, le fameux Roky Erickson & The Aliens, paru sur CBS UK en 1980, et qui reparaîtra au moins à deux reprises sous le nom de The Evil One, avec des variantes de track-list. Roky a la chance de tomber sur des bons Aliens, notamment le guitar slinger Duane Aslaken qui grouille de bon psyché. On entend aussi Steve Burgess ponctuer un beau bassmatic sur le «Two-Headed Dog» qui ouvre le bal de cet album haut en couleurs. C’est d’ailleurs une sorte de best of avant la lettre, puisque Roky enfile ses hits comme des perles. En fait, il va les rejouer pendant trente ans, mais personne ne s’en plaindra, bien au contraire. On le voit monter un hit («I Walked With A Zombie») avec une seule phrase. Il vire rock’n’roll avec «Shake Me Lucifer» et propose déjà une version extrêmement heavy de «Bloody Hammer» dont on va entendre par la suite des versions de plus en plus monstrueuses. En B, on voit Aslak faire le show dans «White Faces». Il multiplie les départs en vrilles acidulées. Il ne se refuse aucune tortillette. Roky ne bronche pas, il continue d’avancer, le regard fixe. Aslak fait encore des siennes dans «Creature With The Atom Brain». Il multiplie les climats délétères, c’est admirable de mise en place. Roky n’en finit plus de créer son monde. Il taille sa route dans le meilleur boogaloo qui soit ici bas. Il ramène tout l’éclat de l’excellence psyché des 13th Floor.
C’est Muff Winwood qui s’est occupé du premier album de Roky. Les ventes ne sont pas extravagantes, mais il demande un deuxième album. Winwood demande à Craig Luckin de ramener Roky en studio. Mais Roky ne va pas bien. Les tournées l’ont déglingué mentalement. Luckin a déjà beaucoup investi dans The Evil One, et il doit attendre un an avant que Roky n’accepte d’enregistrer Don’t Slander Me. Aslak accepte de revenir en studio avec Roky. Ils commencent à enregistrer en 1983. L’incroyable de cette histoire est que Jack Casady participe aux sessions. Il fascine Roky - Roky and Jack got along very well - Le batteur s’appelle Paul Zahl et joue avec Casady dans SVT. Comme Aslak produit, la guitare monte bien au devant du mix. L’album finit par sortir en 1986, trois ans plus tard, mais pas sur CBS UK, car Winwood n’y trouve pas son compte. Luckin réussit à trouver un label en Californie (Pink Dust) et Demon Records pour l’Europe. Aux yeux de Luckin, Don’t Slander Me est le meilleur album de Roky. Eh oui, dès le morceau titre, ça bouge. Aslak gratte sa gratte et derrière Jack Casady drive le Slander en enfer. Roky est en forme, mama ah-ah ! Il chante à la prodigieuse exacerbée. Retour en force au rock’n’roll avec «Crazy Crazy Mama», idéal pour un bassman comme Casady. Il faut l’entendre voyager dans la gum des gammes. Ça devient même très sensuel. On tombe en B sur l’effarant «Bermuda» qu’on retrouvera sur pas mal de boots. Fantastique pulsation. Jack the ripper rôde dans le beat. Ça ultra-joue à la Texane, dans l’esprit originel. Roky rend hommage à Buddy Holly avec «You Drive Me Crazy» et envoie son «Starry Eyes» exploser dans l’azur immaculé de la pop. C’est l’un de ses plus beaux hits. Aslak se positionne bien au centre du son. Encore un hit faramineux avec «The Damn Thing». La basse de Jack ronfle dans le son. Il se pose dans les passages d’accords avec tout le tact Tuna.
La même année paraît sur Pink Dust Gremlins Have Pictures, une espèce de compile où on retrouve The Explosives, The Aliens et quelques cuts enregistrés en studio avec Jack Johnson. C’est là qu’apparaît pour la première fois sa reprise d’«Heroin». Roky la prend au chat très perché, il en fait une version intraveineuse, bien tapée à l’hypno. On retrouve Aslak sur «The Interpreter». Si Roky chante «Night Of The Vampire», c’est parce qu’il est le plus habilité à chanter les louanges des vampires, sans doute à cause de son chat perché dans les ténèbres. Roky est le dark prince du boogaloo. Sur cette version live, The Explosives explosent. Ils explosent aussi «John Lawman». Roky adore la bonne bourre, ça se sent. Nouvelle dégelée avec «Cold Night For Alligators». Tous les hits de Roky sonnent comme des hits, c’est un peu le problème. Plus on l’écoute et plus il fascine. On finirait presque par aduler ce pauvre Texan. Il fait une version acou d’«I Have Always Been Here Before». Cet album de bric et de broc est d’une grande intensité. Wow ? Oui, mille fois wow.
On tient généralement Casting The Runes paru en 1987 pour le meilleur live de Roky & the Explosives. Forcément, ça démarre sur cette belle dégelée de gelée royale, «The Wind And More». Roky avale le rock comme d’autres avalent le bitume. Quelle cavalcade ! Cam King fait un festival dans «For You». Il joue des foisonnements mirobolants, il semble bien plus prolifique qu’Aslak. Nouveau coup de tonnerre avec «Mine Mine Mind». Roky tient son rock par la barbichette et il boucle l’A en beauté avec l’imparable Gonna Miss Me. Roky le screame à la vie à la mort. Belle section rythmique, Water Collie on bass et Fred KRC on drums. Alors Cam peut partir en maraude sonique. On B, on croise le Zombie puis les Explosives explosent avec «Bloody Hammer». Pour finir, Cam crame le fond de «Stand For The Fire Demon» et propose une belle extrapolation de Texana sonique.
Pendant ce temps, Patrick Mathé œuvre pour le compte de Roky et réussit à sortir plusieurs albums, à commencer par Clear Night For Love en 1985. Ce mini-album s’ouvre sur la pop parfaite de «You Don’t Love Me Yet». Puis le morceau titre semble venir en droite ligne de Buddy Holly. On a un vrai son. En B, «The Haunt» sonne comme du rock texan, mais sans les Explosives. Les deux guitaristes Harry Hess et John Reed ramènent du big sound. Roky boucle avec «Don’t Slander Me», mama ! Mini-album idéal. Roky sait ramener du gusto.
Mathé propose ensuite deux albums coup sur coup, The Holiday Inn Tapes, en 1987 et le premier grand live officiel, Live At The Ritz 1987 en 1988. Les deux valent le détour. Mathé est à Austin le 1er décembre 1986 et Roky vient le voir dans sa chambre à l’Holiday Inn pour lui jouer quelques chansons. C’est une promesse qu’il avait faite au téléphone et il la tient. Mathé n’en revient pas. Roky s’accompagne à l’acou aléatoire. Il fait un festival sur «The Singing Grandfather» et joue quelques cascades d’arpèges circulaires. On sent une présence extrême. Sur «The Times I’ve Had», il gratte quelques millions de notes en diguili des quatre doigts. Il rend un bel hommage à Buddy Holly en chantant «Peggy Sue Got Married» à l’encorbellement savant et chante comme un dieu sur «Mighty Is Our Love». Il n’en finit plus d’en imposer. En fin de B, Mathé complète avec la session Sponge, les quatre titres du fameux EP mauve, où trône «Two-Headed Dog», à la fois somptueux et impérial. Ça reste l’une des cimes de l’Everest, ever.
Live At The Ritz 1987 vaut aussi le détour, d’autant que Roky démarre avec «You’re Gonna Miss Me». Le guitariste s’appelle Will Sexton. Roky semble redorer son blason avec «Night Of The Vampire», car voilà une version terriblement psychédélique, il chante à la clameur des ténèbres et à la grandeur des candélabres. Il attaque la B avec «Two-Headed Dog», et le screame d’entrée de jeu. Il fait partie des wildest of them all. Encore une fois, ce cut sonne comme l’emblème du rock et l’étendard du Walking in the Kremlin with a two-headed dog n’en finira plus de claquer dans l’écho du temps. Will Sexton fait un joli festival dans «Take A Good Look At Yourself». Il joue des dégelées de gelée royale. Ce mec est un torrent à deux pattes. S’ensuit «Clear Night For Love», où Roky fait régner sa loi de la pop dans un rock à lui. Un rock parfaitement personnalisé qui ne doit rien à personne. Il devient férocement bloody avec «Bloody Hammer» et retrouve la vieille niaque texane des défenseurs d’Alamo face aux 50 000 hommes de Santa-Ana. Le beat est si bon qu’il rebondit, non, il n’a pas de bloody hammer, clame-t-il dans les volutes torrentielles, Roky et ses hommes jouent comme si c’était leur dernière chance de repousser Santa-Ana, Roky chante avec la foi de l’insecte qui croit pouvoir échapper au pied de l’éléphant qu’il voit arriver droit sur lui, un éléphant si énorme qu’il cache le soleil.
Paru en 1990, Reverend Of Karmic Youth fait partie des albums dispensables. Roky gratte l’A à coups d’acou et en B on retrouve les traditionnelles flambées d’Explosives.
Patrick Mathé ramène Roky dans le rond du projecteur en 1992 avec l’excellent Live In Dallas 1979. Cette fois, ce sont les Nervebreakers qui l’accompagnent - Please welcome the legendary Roky Erickson ! - Eh oui, pas plus legendary que la bravado d’accords de «The Wind And More». On a là le meilleur son de l’univers, ça tourne comme un moteur bien gonflé. Roky est au sommet de son beautiful power. Les Nervebreakers dégagent une énergie considérable. Roky a toujours la chance d’être bien accompagné. Ces mecs manient la mad psychedelia avec une maestria qui laisse coi. Encore un hit fulgurant avec «Mine Mine Mind». Roky l’avale tout cru. Les Nervebreakers riffent avec une violence terrible. Ils tapent plus loin un «Cold Night For The Alligators» au headbang, le soliste des Nerve joue dans le flux du move et tout explose avec «The Interpreter». Effarant de power ! Derrière Roky, le mec des Nerve titille à gogo. Ils tapent directement dans «You’re Gonna Miss Me». En plein museau. L’hymne d’un temps. Imparable. Roky taille sa route. You didn’t realise. Roky chante plus loin «Bo Diddley Was A Headhunter» à la glotte rouge, et explose «Two Headed Dog» d’entrée de jeu. C’est joué au power maximaliste. «Bloody Hammer» restera sans doute le hit le plus dévastateur de Roky Erickson. Il jure qu’il n’a jamais eu le bloody hammer. Il faut le croire. On a là le génie psychédélique du stomp texan, never had ! Never had ! Derrière, le Nerve shoote dans le bras du cut un solo au long cours. Chaque album live de Roky est un blast, il faut vite s’habituer à cette idée, car des tas d’autres vont suivre.
Tiens comme par exemple l’excellent Beauty & The Beast paru l’année suivante. Sur la pochette, on lit Roky Erickson & The Resurrectionists. Dès «Two Headed Dog», c’est l’horreur ! Le son coule partout. Roky le sent. Un démon nommé Jimmy Jones joue en purée continue. C’est une véritable insulte aux dieux de l’Olympe. Tous les hits de Roky redeviennent des énormités palpitantes. La soupe de «Cold Night For Alligators» devient effervescente. Les incursions de Jimmy Jones sont maléfiques. Ils enchaînent avec un «Hasn’t Anyone Told You» joué à la big energy. Ça devient une sorte de pop ultraïque. S’ensuit un «Mine Mine Mind» shaké du ciboulot, avec des éclairs dans le ciel. Stupéfiant ! Les Resurrectionnists jouent dans l’enfer de leur fournaise. Roky chante liquide. Effarant ! Roky shake le shit de Lucifer un peu plus loin, il invite tous les démons de l’univers à danser la gigue du diable. Oh, il faut les voir taper «You’re Gonna Miss Me» à la punky motion ! On a rarement vu des groupes déclencher un tel enfer sur la terre. Tout est saturé de chaos sonique et les hits de Roky resplendissent dans l’écho du temps. Il parvient même à transformer une chanson comme «Angel» en fournaise. Roky sort pour l’occasion son meilleur guttural. On revient au power suprême de «Bloody Hammer» et ces fous soniques repartent de plus belle avec «I Walked With A Zombie Last Night». Ils jouent le pire vrac sonique qu’on ait entendu ici bas. Tout est plombé de fournaise et ça ne s’arrange pas avec les derniers cuts. Explosif, pas d’autre mot possible.
On fait une petite pause avec Demon Angel. A Day And Night With Roky Erickson paru l’année suivante. L’album est enregistré à Halloween 1984 et Roky gratte tout à coups d’acou. Il joue «Bloody Hammer», «Two Headed Dog» et «Night Of The Vampire» au coin du feu. Force est de crier au génie quand Roky attaque «Cold Night For Alligators». On ne peut écouter ça que si la cervelle est ramollie. Derrière Roky, Mike Alvarez joue des coups d’acou à la Wilko. C’est d’une beauté désespérante. Fabuleux ! Le couple Roky/Alvarez décroche la timbale. À partir de là, le live devient fascinant. Roky attaque «The Interpreter» sans big sound, mais l’esprit est là. On entend Mike Alvarez voyager dans le fond de «Clear Night For Love» et on sent Roky au sommet de son art dans «Starry Eyes». On sent qu’il en bave avec «The Damn Thing», avec son vieux battage sophistiqué. Mike Alvarez revient pour «Hungry For Love #2» et shoote du junk dans le bras du cut. Roky devient fou avec cette version de «You’re Gonna Miss Me» travaillée aux deux guitares. Comme il est texan, il a le sang chaud, alors wouah yeah ! Il screame son ass off. Il hurle à la lune - This is the way it must be done - Il termine avec une belle version de «Blowin’ In The Wind». Roky est un artiste complet.
En 1995 paraît un nouvel album solo de Roky, All That May Do My Rhyme. Il démarre avec «I’m Gonna Free Her», un joli slab de heavy pop. C’est la grande force du troubadour psychédélique. Il est de la même engeance que Ron Asheton : kid brillant destiné aux couches supérieures. Il chante «Starry Eyes» avec Lou Ann Barton. Merveilleux hit pop, très jingle jangle. Lou Ann Barton entre au nasal pur dans la danse. Mais l’émotion vient de Roky. Avec «You Don’t Love Me Yet», Roky fait du pur dylanex. L’immédiateté de la mélodie en dit long sur le génie de Roky Erickson. Il se prend pour François Villon avec «Please Judge», il demande au juge de ne point le pendre et il appelle sa Mama dans «Don’t Slander Me». Killer tune, haché menu, paradis de la cisaille. Big version. La grande force de Roky c’est aussi d’allumer ses compos. Un bel exemple avec «We Are Never Talking». Roky rocks it. On pourrait même le qualifier d’empereur du balladif romantique. Kidding ? Non, il suffit d’écouter «For You (I’d Do Anything)». Il fait son petit bonhomme de chemin. Il est l’un des héritiers de Buddy Holly, avec ce côté romantique texan exacerbé. Il reprend aussi son vieux hit New Rose, «Clear Night For Love» et le claque aux accords secs. Il tourne un peu en rond. Il s’en va ensuite chasser sur les terres du Comte Zaroff avec un «Haunt» électrique en diable, chargé de menace. Roky sait créer les conditions.
En 1995, Sympathy For The Record Industry ressort, après celui de Roky Erickson & The Resurrectionists, un live intitulé Roky Erickson & Evil Hook Wildlife ET. Avec Crypt, In The Red et Norton, Sympathy fut en son temps l’un des quatre labels underground les plus prestigieux d’Amérique. On pourrait dire : «Bon ça va, les live de Roky c’est toujours la même chose !», et pourtant non, c’est à chaque fois très différent, comme si l’intensité de la fournaise variait. On est tout de suite frappé par cette version de «You Don’t Love Me Yet» d’ouverture et par son extraordinaire vibration. Roky tape dans le mille avec sa mélodie tordue. C’est un peu comme si Brian Jones chantait Jumpin’ Jack Flash accompagné par les Rolling Stones. On a là du pur jus d’énormité, avec des guitaristes aux noms inconnus. Roky sort son meilleur roaring. Comme c’est un radio slow, Roky parle dans un micro entre chaque cut. Dans le heavy blues de «The Beast», le guitariste Kerry Crafton fait des siennes. Puis Roky rend un sacré hommage à Lou Reed avec une version ultra cra-cra d’«Heroin». «Clear Night For Love» sonne comme un hit intemporel. On entre là dans le lagon de la magie ericksonienne. C’est mélodique et arrosé aux meilleures guitares d’Amérique. Cette pure merveille constitue l’apanage de l’underground. Plus loin, Roky incendie la plaine avec «Cold Night For Alligators». Il joue ça à la clameur et sans vergogne, au heavy beat de soudards à semelles de plomb. Il remet le l’huile sur le feu avec «Don’t Slander Me». Roky le diable secoue ses chaînes. Quelle violence ! Puis on prend en pleine gueule ce «Mine Mine Mind» explosé à coups de power chords. C’est noyé de son, dans l’appétence de l’effarence. Le riff surgit du chaos, pareil au saumon d’Écosse qui jaillit hors du torrent dans la lumière psychédélique d’un matin d’été. Ils écrasent ensuite «Starry Eyes» dans l’œuf du serpent et c’est tellement bardé de psychedelia qu’il semble que la messe soit dite.
Roky gratte sec sur Never Say Goodbye qui date de 1999. Il gratte même tout seul. La plupart des cuts sont enregistrés sur cassette à Rusk, par sa mère Evelyn. Il drive son drive à la déchirante nudité de son son, un peu à la manière de Skip Spence. Tout l’album est gratté aux poux, au somophore de son demeanor. Il gratte «I’ve Never Known This Till Now» dans la cage à poules. C’est sans doute l’album le plus barré de l’histoire du rock. Il tape dans Buddy Holly avec «Think Of As One» et fait avec «Birds’d Crash» du burn out sound. Sur la pochette, il a beaucoup de classe. Par contre, ses arpèges vont mal. Il faut se lever de bonne heure pour y trouver de la grâce. Le mythe a bon dos. On bâille mais on se dit en même temps que ce mec a la bonté de chanter pour des gens comme nous qui ne sommes rien. Harry Hess accompagne Roky sur «Something Extra» et ça sonne, Roky est couvert, on assiste au retour du grand esprit, celui du 13th Floor, c’est pulsé dans l’embryon du beat. Ce fleuron du psyché texan sauve l’album.
Paraît en 2004 sur Norton un très beau double album compilatoire de Roky Erickson & The Aliens : Don’t Knock The Rock. C’est d’autant plus un bel objet que Doug Hanners remplit tout le gatefold de notes sur Roky, du style : «One minute he’s a demonic fire hose, spraying 60,000 volts of wayward Sky Saxon qi, the next instant this son of an Episcopalian opera singer is crooning a Buddy Holly-ish Starry Eyes, not missing a note or failing to sustain the emotion.» (Pendant une minute il fait son Sky Saxon, crache le feu en dégageant 60 000 volts, et la minute d’après, il devient le fils d’un chanteur d’opéra pour crooner Starry Eyes à la manière de Buddy Holly, sans rater une note et en maintenant l’émotion). Turner révèle que Roky surnomme Aslak ‘Bird’, «a visual hybrid of James Williamson and Keith Richards, sort of, and plays like both of these archetypes put together.» (un hybride visuel de Williamson et de Keef qui jouerait comme les deux combinés). Turner n’en finit plus d’aduler les Aliens : «Let’s see, a Fuzzy, a Morgan, a Bird and an autoharp (later to be an) Angel, that sums up the Aliens.» Norton propose en fait une session inédite enregistrée en 1978 par Craig Luckin au studio de Creedence, Cosmo’s Factory. L’ingé son avait pour consigne de laisser tourner la bande pour TOUT choper. On entend Roky chanter «Angel Baby» à l’éplorée. Il adore faire le con, because I love, I love you yes I do. Puis il part en tagada Buddy Holly-ish avec «You Drive Me Crazy». Il fait ensuite sonner «Stand By me» comme le Kremlin, il chante ça au violent psyché et va chercher un niveau de chant stupéfiant. Cette version justifie à elle seule le rapatriement de ce double album. On entend aussi Aslak ramener du son dans «Untitled», du big heavy sound. En C, ils sonnent littéralement comme Moby Grape dans «Can’t Be Brought Down». Quelle vitalité ! Le son est très loosy sur l’ensemble, très libre. Ils sont en studio pour s’amuser.
Tiens, encore un live ! Il s’appelle Halloween et paraît en 2007. Cette fois, ce sont les Explosives qui accompagnent Roky. On peut compter ce live parmi les grands albums live de l’histoire du rock, car on en sort à quatre pattes. L’«I Walked With A Zombie» est la version définitive. Roky mord dans la chair de son mythe. Il plante ses crocs dans le zombie. Energy ! Fucking energy ! Pire encore, voici «Bloody Hammer», certainement l’un des plus gros blasts de tous les temps, quasi stoogien par les guitares, battu heavy et avec violence, à la Scott. Et Roky insiste une fois encore pour dire qu’il n’a jamais eu ce bloody hammer. Belle force de frappadingue et c’est bassmatiqué jusqu’à l’os. Bloody great ! Ils foutent le feu à la plaine avec «You’re Gonna Miss Me». Roky c’est Attila. On l’a reconnu. Il ne vit que pour la fournaise. Même chose avec «Creature With The Atom Brain». Roky s’élève au dessus du chaos monolithique pour glapir son texte. Véritable shoot de psych damage. Encore une terrifiante embardée avec «I Think Of Demons». Ils défoncent les culs de basse-fosse et tout passe au laminoir de l’assommoir. Trop de couenne de son. Trop de viande. Qui saura dire la violence de «The Interpreter» ? Ils nous riffent ça dans le gras du gras-double. Roky se jette dans la marmite et frit avec le son. Il est important de préciser que ce show est enregistré à Austin en 1979. Roky est alors au sommet de son art. Le guitariste s’appelle Cam King et il joue comme un fou. Il ravage les contrées dès «Two Headed Dog». Cam a une petite gueule, mais il bascule dans l’enfer de la véracité ericksonienne. Et on sait qu’il n’existe rien de comparable en matière de véracité. Cam gratte encore comme un démon dans «Bermuda». Il part en vrille sans prévenir - That’s the way in Bermuda - Ils enchaînent avec un «Starry Eyes» mirobolant. Cet Halloween va tout seul sur l’île déserte.
Roky Erickson enregistre un dernier album studio avec Okkervil River en 2010. Un portrait en gros plan de Roky orne la pochette de True Love Cast Out All Evil. Avec l’âge, Roky s’est assagi. Il va plus sur la mélodie, comme le montre cette merveille intitulée «Please Judge». C’est un plaidoyer d’une poignante beauté. Il nous refait le coup du cut hypno monté sur une phrase avec «John Lawman» - I sing my song/ Because I’m John Lawman - Seuls Lou Reed et Roky sont capables de tels prodiges. On retrouve ici cette fascinante facilité à pulser un hit. Avec «Goodbye Sweet Dreams», il retrouve son sens aigu du hit mélodique. Il s’agit là d’un album très poignant, très impliqué. En B, il tape un «Forever» qui flirte dangereusement avec la grandeur balladive, comme chez Mickey Newbury - Not for a little while/ Not for a day/ But forever/ One shows one the way - Fantastique «Think Of As One». Roky renoue avec l’inspiration.
Voici venu le moment d’entrer dans le monde des bootlegs. En ce qui concerne Roky, ils pullulent et certains valent le détour. En voici quatre, sélectionnés pour la qualité du son. Weird Tales date de 1982. Aslak accompagne Roky. Alors énorme ou pas énorme ? Énorme ! C’est un radio show de 1978. Bardé de son. Roky s’étrangle de froid dans «It’s A Cold Night For Alligators». Il chante «White Faces» à la bonne vieille exacerbée décervelée. Roky rocke son shit, tout est en place, l’univers, le son, Aslak, la légende, l’élan patriotique. Admirable ! Et tout explose avec «Bloody Hammer». Rokyky fleur de banlieue fout la pression et c’est bloody good. En B, il déclenche l’alerte rouge avec «Two-Headed Dog». C’est comme l’intro de «Born To Lose», on sait tout de suite qu’il s’agit d’un hit universel. Aslak et les autres bardent tout ça du son et du meilleur. Ils font bander le beat Texan. On retombe de sa chaise avec «Mine Mine Mind», ce big bad rock serti d’un refrain pop éclatant. Puis on tombe sous l’hypnose d’«I Walked With A Zombie», impossible d’y échapper, Roky dit qu’il a marché avec un zombie cette nuit, et on le croit sur parole. Oh mais ce n’est pas fini, car voilà «The Wind And Me», Aslak joue comme une bête, il fore sa voie dans le son comme une grosse termite. Et ça se termine avec «If You Have Ghosts». Sacré Roky, il joue dans l’infinie cohérence d’un rock éclatant de vie et de créativité. Chaque album de Roky Erickson est une leçon se savoir vivre.
Le voici avec The Explosives sur ce Live At Oyafestivalen paru 2007. On trouvait ces boots chez le Born Bad de la rue Keller. Belle photo de Roky sur la pochette, il s’est rasé la barbe et ressemble à un charcutier de la planète Mars. L’enregistrement est d’une qualité irréprochable et on se régale du son de la basse dès «Cold Night For Alligators». Ça boome bien dans l’air norvégien. La basse dévore aussi le «Don’t Shake Me Lucifer» qu’on croise plus loin. Belle version de «Bloody Hammer», bien pulsée des reins. Ces mecs ne font pas n’importe quoi. Ça pourrait sembler cousu de fil blanc comme neige, mais non, Roky veille toujours à secouer les colonnes du temple. Il aime le rock, ça se sent. Autre boot chopé chez Born Bad, The Evil One Returns, qui propose un concert enregistré au Louxor à Cologne en 2010. On trouve en B une version de «John Lawman» déchirante de verdeur, criante de vérité. On sent qu’on atteint les limites du piratage. Roky propose aussi une version de «Roller Coaster». Un certain Jon Sanchez joue lead. Voici enfin un boot russe de Roky Erickson & The Explosives : The Interpreter. San Francisco 2007. Joli son. Roky tape une version de «The Interpreter» somptueuse, le guitar slinger y multiplie les figures de style psyché. Roky enchaîne avec l’imparable «Bermuda» - That’s the way in Bermuda !
Inutile d’imaginer qu’on puisse faire l’impasse sur les tributes à Roky Erickson. Ils sont aussi indispensables à l’équilibre d’une cervelle psychédélique que le sont les albums du 13th Floor et le Alien stuff. Where The Pyramid Meets The Eye - A Tribute To Roky Erickson date de 1990 et ne propose pas moins de cinq coups de génie, ce qui semble logique vu la qualité des compos. La palme du coup de génie revient bien sûr à ZZ Top et à cette totémique reprise de «Reverberation». Il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie si on ne veut pas mourir idiot. Ils la saturent de reverb et transfigurent le beat texan, ils en font une version alarmante de solarisation. Billy Gibbons roule sa Reverberation dans sa farine de Texas Junk. Il n’existe rien de plus fidèle au monde que les vieilles barbes. Plus loin Doug Sahm & Sons tapent une version explosive de «You’re Gonna Miss Me». Doug sait. Il sait l’exploser. Sans doute a-t-on là la version de Miss Me la plus hargneuse jamais imaginée. Il n’y a décidément que des Texans pour aller jouer ça. Doug is the real deal. Encore des Texans, les Butthole Surfers, avec «Earthquake». On ne devrait jamais trop s’éloigner des ces Texas Gods of trash. Leur Earthquake est battu dans la matière de l’art. À part les Texans, personne ne s’autoriserait des arrêts en pleine course. On les voit même se faire rattraper par les solos. Sister Double Happiness propose un «Two Headed Dog» chanté au sommet d’un certain art. Il faut admirer la démarche. On a là un singer extraordinaire. Les Mary Chain font une autre mouture de «Reverberation» histoire de finir cette compile en beauté. Par contre, on voit les Primal Scream se vautrer avec une version electro de «Slip Inside This House». On voit aussi Bongwater rendre hommage à cette pop-song parfaite qu’est «You Don’t Love Me Yet», puis Julian Cope se vautrer avec «I Have Always Been Here Before» parce qu’il n’a pas de son et, égaux à eux-mêmes, les REM viennent frimer trois minutes avec «I Walked With A Zombie».
L’autre grand hommage collectif à Roky s’appelle Children Of The Night - What Music They Make. Ça date de 1997. On y croise les Nomads qui pulvérisent «Red Temple Prayer», qui est le sous-titre de «Two-Headed Dog». Les Nomads savent rocker Roky. Un groupe nommé Naked envoie «Roller Coaster» rouler au paradis du sonic trash. Ils délivrent là un excellent brouet de mad psychedelia. En fin d’A, un groupe nommé Shake Appeal tape dans «You’re Gonna Miss Me» et s’en tire avec les honneurs. Tous ces groupes se régalent, c’est évident. On trouve en B une belle giclée de sonic hell avec une version de «Don’t Shake Me Lucifer» troussée par Bates Motel. Power !
On trouve aussi dans le commerce deux films consacrés à Roky. Le premier est un docu signé Keven McAlester : You’re Gonna Miss Me, évoqué dans le Part Two mis en ligne la semaine dernière. L’autre film est un concert filmé de Roky Erickson & The Black Angels : Night Of The Vampire. Paru en 2010, ce film met très mal à l’aise. Les Black Angels offrent une version désespérément pauvre du 13th Floor. Une fille bat tout ce qu’elle peut en rebondissant sur son tabouret et un stupide barbu singe Tommy Hall en soufflant dans une fausse cruche, alors ça tourne au gag pathétique, ce qui bien sûr contredit l’essence même du phénomène qu’ont incarné les 13th Floor. Au milieu de cette absurdité, Roky chante du haut de sa voix, mais il doit forcément penser à ses anciens compagnons et à leur fulgurance à jamais perdue. Roky essaye désespérément de sauver «Roller Coaster» et «Reverberation», en vain, car le réalisateur utilise «Reverberation» pour le générique de fin. Insupportable.
Signé : Cazengler, Riquiqui Erickson
Roky Erickson & The Aliens. CBS 1980 (= The Evil One)
Roky Erickson. Clear Night For Love. New Rose Records 1985
Roky Erickson. Don’t Slander Me. Pink Dust 1986
Roky Erickson. Gremlins Have Pictures. Pink Dust 1986
Roky Erickson & The Explosives. Casting The Runes. 5 Hours Back 1987
Roky Erickson. The Holiday Inn Tapes. Fan Club 1987
Roky Erickson. Live At The Ritz 1987. Fan Club 1988
Roky Erickson. Reverend Of Karmic Youth. Skyclad Records 1990
Roky Erickson & The Nervebreakers. Live In Dallas 1979. Fan Club 1992
Roky Erickson & The Resurrectionists. Beauty & The Beast. Sympathy For The Record Ind 1993
Roky Erickson. Demon Angel. A Day And Night With Roky Erickson. Texas Records 1994
Roky Erickson. All That May Do My Rhyme. Trance Syndicate Records 1995
Roky Erickson & Evil Hook Wildlife ET. Sympathy For The Record Industry 1995
Roky Erickson. Never Say Goodbye. Emperor Jones 1999
Roky Erickson & The Aliens. Don’t Knock The Rock. Norton Records 2004
Roky Erickson & The Explosives. Halloween. SteadyBoy Records 2007
Roky Erickson & Okkervil River. True Love Cast Out All Evil. Chemikal Underground 2010
Rocky & The Aliens. Weird Tales. Not On Label 1982
Roky Erickson & The Explosives. Live At Oyafestivalen. Not On Label 2007
Roky Erickson. The Evil One Returns. Not On Label 2007
Roky Erickson & The Explosives. San Francisco 2007. Cheburashka Electric Records 2007
Where The Pyramid Meets The Eye. A Tribute To Roky Erickson. Sire Records 1990
Children Of The Night - What Music They Make. El Sound 1997
Roky Erickson & The Black Angels. Night Of The Vampire. DVD 2010
THE SPRITES ON 85 's
GENE VINCENT IN MIND
( Crazy Cat Records / AL CD / 1985 )
Les Sprites restent un groupe mythique du rock'n'roll français. Section Rockabilly. Les premiers à leur époque à avoir atteint l'international upper-class. Pas de chance pour eux : ils étaient malheureusement français, autant dire que les compagnies de disques ne se précipitèrent pas pour les enregistrer. Faute de perspectives le groupe se sépara. Les kr'tntreaders connaissent au moins les deux premiers membres de l'équipage déjà croisés en concerts : Red Dennis à la batterie – nous l'avons chroniqué en concerts à plusieurs reprises et espérons le refaire fin juin à Lusigny-sur-Barse avec Al Willis dans la Rock'n'roll Party II organisée par Billy – Pascal Guimbard à la lead que l'on retrouvera plus tard dans les Capitol's, Phillipe Servente au chant, François Gadotti à la double-bass, et Lionel Decaix à la rythmique.
Les Sprites n'ont même pas eu la chance d'enregistrer un disque. Ont seulement gravé Share of love et White Lighting sur une compilation vinyle de onze titres intitulée Big Noise Northwood sortie en Angleterre en 1983 et au Japon sous forme de CD en l'an 2000. En 1991 in the UK est également sorti B-i-bichey-bi-bo-bo-go sur la compil de vingt titres The Northwood Story disponible sous forme de CD et vinyle.
Il existe quelques vidéos des The Sprites sur You Tube, il faut insister car elles sont ''mangées'' par un duo toulousain du même nom. Le mieux est de se procurer le Cd ci-dessous chroniqué, ce bel artefact qui ne court pas les rues, parvenues par les routes de l'amitié jusque dans mes mains.
STUDIO TRACKS
Warm love : reprise des frères Burnette en ouverture, à l'identique, mais avec les burnes en plus, certes la batterie un peu trop devant, mais ils évitent le côté chansonnette du refrain qui parfume désagréablement l'original sorti sur Imperial en 1958, et surtout ce solo de guitare qui déchire, directement inspiré des Blue Caps de Cliff Gallup. Une belle mise en appétit. Well, I knocked bim bam : tant qu'à s'inspirer autant puiser directement sur l'original. Phil adopte d'instinct – il a dû beaucoup travailler tout de même - cette voix creuse si particulière que savait prendre Gene dans ses morceaux les plus flippés. D'ailleurs est-ce un hasard si Bobbie Carroll est aussi l'auteur de I flipped. Bim-bam, il faut que ça cogne, mais pas question de placer les horions sur le pif au pif. Red Dennis ne balance pas à tout berzingue dans le désordre, use de la méthodicité perverse des pros qui ne laissent rien passer. A peine la guitare a-t-elle repris son souffle qu'il vous pose une bûche sur le coin du museau qui vous ratiboise les ratiches et vous envoie au tapis. Love me : ne se gênent pas les farfadets, sur l'original de Buddy Holly, il y avait Sonny Curtis à la lead et Grady Martin à l'acoustique, ne respectent vraiment rien, Buddy fait souvent dans la douceur, alors Phil il est nettement plus viril lorsqu'il demande sa ration d'amour. Pour le background, tapent dans les Casquettes Bleues, et ça s'entend sévère. I'm ready : en France dès qu'on prononce le nom de Buddy Holly, l'on y associe aussitôt celui d'Eddie Cochran - la faute d'Eddy Mitchell et son adaptation du Saint James Infirmary blues – n'ont pas choisi un des titres locomotives d'Eddie, mais ont puisé dans le répertoire des Cochran Brothers, vous le re-badigeonnent au jaune gentillet sable doré des plages insouciantes des prime-sixties, oui mais ils se dépêchent d'y adjoindre un peu de speed étincelant, ces fêlés de Sprites vous leur filez un vase Ming ils vous le transforment en vase Bing ! Bi-bichey-bi-bo-bo-go : l'on sentait que l'énervement les gagnait, alors ce coup-ci c'est le grand défouloir, le gueuloir flaubertien à la puissance 10, ça saute partout et façon rodéo le cheval fou qui s'engouffre dans l'armurerie des grenades explosives. Pour la petite histoire Jack Rhodes est aussi le compositeur de Woman love un des titres les vicieusement sexuel du rock'n'roll , de Red blue jeans and a pony tail et de Crazy Beat, tiercé gagnant. Sunny sides of the streets : ne faudrait tout de même pas les prendre pour de sombres brutes, voici le slow de l'été, avec une guitare trop anguleuse pour être honnête. Cette chansonnette tout le monde l'a chantée de Frank Sinatra à Johnny Cash, si je me souviens bien Kenny Rogers aussi, qui vient de passer du côté sombre de la rue, en tout cas, les Sprites nous la font step by step à la Gégène. Flat foot blues : encore un classique, z'ont marqué arrangement Sprites, certes l'ont modélisé à la Gene Vincent avec batterie fracassante, hurlements et guitares cisaillantes. Share of love : ressemble un peu à un parcours de santé tel que les municipalités en installent un peu partout dans les allées pédestres. Tout y est, de l'occupation pour tout le monde. Mais l'ensemble des mouvements effectués est un peu attendu. White lightnin' : tous les rockers ont dans leur tête la version historiale malheureusement écourtée d'Eddie Cochran et de Gene Vincent, les Sprites proposent un modèle plus country-cow de ce classique du Big Bopper. Le venin du crotale plus les bottes qui dansent dans le feu de camp. Long blond hair : selon Howard Hawks les hommes préfèrent les blondes, Johnny Powers ne résiste pas à leurs charmes, une reprise soyeuse comme une chevelure qui coule entre vos mains, attention à la morsure du serpent. Un morceau qui n'a l'air de rien, en qui résident peut-être la pure essence et l'épure infrangible du rockabilly, les Sprites nous en offrent une version magistrale. Hold me, hug me, rock me : un petit dernier de Gene Vincent pour clore la série, le coup de l'étrier, nécessaire et vital car ça galope dans tous les sens, se débrouillent pour donner leur meilleur. Et ça s'entend, une étoile de shérif pour Phil et sa voix vénéneuse.
LIVE IN FRANCE
Cruisin' : en public, vous avez Red Dennis qui bat le rappel et la guitare qui tricote, un des des plus beaux titres de Gene, ça crie dans les coins, la prise de son n'est pas parfaite mais personne ne s'en plaindrait. I'm ready : et l'on enchaîne sur Cochran, certes on a l'impression que la cassette ne peut saisir que deux instruments à la fois, mais l'essentiel est sauvé, le bateau flotte et arrive à bon port. Long blond hair : toujours une sacrée joie de réécouter Johnny Powers et les Sprites car nos lutins font des merveilles. Ces mecs sont habités. Je n'y étais pas mais je connais des gars qui trente-cinq ans après s'en souviennent. Teenage partner : elle a seulement dix-sept ans mais elle a foutu une sacré fièvre chaude aux Sprites, ça marchotte tout doux au début, un petit trottinement sympathique et puis c'est parti pour des déchirures et des coups de guitares qui vous crèvent les yeux, très beau travail de Gado à la contrebasse. Pretty pretty pearly : sont joliment prêts pour la perle vincenale une reprise de Terry Dene, un des meilleurs rockers anglais de la première heure qui en 1974 sortit l'album au plus beau titre sombrement crépusculaire que je connaisse I thought Terry Dene was dead... Superbe voix de Phil qui semble emportée comme un fétu de paille dans un tourbillon meurtrier. Z'avez le hors-bord de la guitare qui arrive en trombe pour le sauver et tous les autres en chœur qui l'encouragent à tenir bon. Inutile il nage comme un marsouin. Warm love : une version qui louche davantage du côté Trio que des Brothers. Un gros problème, trop courte. The cat is back at town : un chat noir qui bondit toutes griffes dehors. Sûr que les souris ne dansent pas. Le morceau n'est pas long mais quand il s'arrête vous êtes couvert de sang. Flat foot blues : une espèce de jazz-doo-wop qui déraille totalement dans les outrances blue-capsiennes. Trente ans de musique américaine synthétisés en moins de trois minutes. Share of love : une compo, qui ne dépare pas dans l'ensemble, une guitare moins pointue qui polit les angles, mais nos garnements n'échappent pas à une lourde hérédité. Quoi qu'ils fassent, même quand ils essaient de se tenir correctement, l'on ne sait pourquoi, la situation dégénère. Cat man : ne s'attaquent pas à plus faible qu'eux, une batterie qui adopte la démarche du tigre qui se tapit dans les broussailles avant de bondir, des cordes mortelles surmontées d'angoisse et une voix apnéique chargée de menace qui déchire les chairs innocentes. On eût aimé qu'ils nous rejouent la scène plusieurs fois, mais non, ce soir ce ne sont pas des tueurs en série, on le regrette. Well, I knocked bim bam : délibérément plus méchante et rentre-dedans que la version studio. Cette fois c'est Gado qui porte les coups mortels à la contrebasse, vous écoutez quatre fois à la suite uniquement pour gouter ses uppercuts. Vous êtes OK pour le KO. Maso-rock ! White lightnin' : le son n'est pas au mieux mais l'enthousiasme des Sprites est plus que communicatif. Un beau chantilly de guitare en prime. Plus électrique qu'en studio. On s'en ressert vite une grande rasade. Race with the devil : un petit tour en voiture, c'est le diable qui conduit, autant dire que ça secoue seulement, les filles en perdent leurs épingles à cheveux dans les virages spiralés, si vous préférez les chocs ouatés et sans danger des auto-tamponneuses, ce cut n'est pas pour vous. Mama don't allow : une reprise d'Arthur Big Boy Crudup, vraiment up, le blues bouffé aux mites par le rock'n'roll, Elvis quand il avait repris le That's all right Mama au même Big Boy, il s'était comporté en garçon respectueux, lui avait refilé une nouvelle jeunesse, les Sprites s'y jettent dessus et vous le démantibulent de toutes leurs mandibules. Ne respectent rien. C'est parfait. C'est moi qui le dis, un célèbre général se serait écrié : non à la chienlit ! I can't love you no more : une compo, méfiez-vous du titre, à le lire vous avez envie de larmoyer sur l'épaule d'une gerce, erreur fatidique, ce n'est pas un slow, juste le contraire un TGV explosif dans lequel ils ont collectionné tous les plans dynamite à la Gene Vincent. Bi-bickey-bi-bo-bo-go : d'ailleurs ils enchaînent les terribles onomatopées – quand je les ai lues la première fois de ma vie sur une pochette de Gene j'ai compris que ce n'était pas de la plaisanterie – les Sprites aussi, vu la version à l'emporte-pièce qu'ils en donnent. Par contre ils ne respectent pas sur la pochette la séparation entre le B et le I : il faut bien leur trouver un petit défaut. Big Sandy : elle est aussi grosse que cette grande maigre de Sally, et tout aussi sauvage qu'un rhinocéros que vous venez réveiller dans sa sieste. Son embonpoint lui vaut un bon point pour sa pointe de vitesse. Pink thunderbird : un morceau de Paul Peek, un clapper boy émérite des Blue Caps, autant dire que ça filoche sur la corniche lorsque le chien sort de sa niche et que les Sprites vous écraseront même si vous passez prudemment sur le passage clouté. Pas grave votre sang séché sur la carrosserie aura la couleur de la Thundebird. Au moins pour une fois vous aurez servi à quelque chose dans votre vie.
Sûr que les Sprites avaient intégré Gene Vincent and his fabulous and gallupin' Blue Caps dans leur maudite caboche. Avaient appris leur leçon par cœur et sur les bouts de l'âme. Mais savaient la décliner parfaitement. Ne répétaient pas comme des perroquets sur leur perchoir. Zétaient à l'aise sur le trapèze volant. Z'insufflaient tout l'enthousiasme de leur jeunesse dans le package. Ecoutez les Sprites c'est comprendre comment et pourquoi les rockers français furent traumatisés par Gene Vincent. Il est temps de ressortir vos mouchoirs et de maudire les destins qui ne leur ont pas permis de produire au minimum un album. Ce ne fut pas de leur faute, les Dieux étaient jaloux.
Damie Chad.
SAINT JAMES INFIRMARY
La première fois que j'ai visionné – cela fait longtemps – Saint-James Infirmary sur You Tube, je suis tombé sur la magnifique version de Bobby Blue Band, mais à tout seigneur tout honneur, puisque c'est Louis Armstrong qui lui a donné ses lettres de noblesse en 1928, je n'ai pas manqué d'écouter. La voix, les cuivres, l'on atteint à la beauté absolue. Au bout de quelques instants YT m'en a offert une version avec transcription des lyrics. Vous connaissez ces amerloques, z'ont une fautive manière de bouffer les mots qui ne correspond en rien, en notre douce France, à la si parfaite prononciation des professeurs d'anglais de notre adolescence, qui eux savaient rester compréhensibles... Avais-je tout bien compris, autant vérifier.
L'annonce était incomplète, oui il y avait les lyrics qui s'affichaient discrètement, mais ils n'étaient pas seuls, la vidéo offrait un supplément, tout un lot d'images grises et mouvantes. Des extraits muets de films, qui collaient merveilleusement bien au texte. Il me souvient d'avoir lu que la scène de l'enterrement était celle des obsèques de Rudolph Valentino, je ne peux pas le certifier. Je ne suis ni un cinéphile aguerri ni un fan inconditionnel de ce beau Rudolph pour qui ( la légende raconte que ) quelques jolies femmes ont été jusqu'à se suicider sur sa tombe. Geste absolutoire autant qu'abolitoire qui mêle l'effusion sentimentale à cette notion d'amour suprême chère à John Coltrane et à Villiers de l'Isle Adam qui n'est pas sans rapport avec la suite du montage.
J'ai essayé ces derniers temps de retrouver ce document, en vain, j'ai insisté, le serveur ne m'a offert qu'une version espagnole qui devait être un repiquage de repiquage de repiquage, bref des images floues. Mais ce n'est pas tout, apparemment les espagnols ne connaissent pas les sous-titres, par contre ils sont les rois du sur-titrage. C'est leur côté aficionado de los toros qui ressort, vous agitent de grosses lettre rouges como una muleta sous les narines del bicho qui occupent si largement l'écran que vous essayez d'entrevoir ce qui se passe dans la lorgnette d'un O où sous les jupes des M, voire au-dessus de la jambe du Q. Mais l'on n'est pas là pour dire du mal de los habitantes de tras los montes mais pour évoquer Saint-James Infirmary Blues.
Vous connaissez la triste histoire. Un gars qui va voir sa petite amie morte à l'hôpital. De quoi vous déchirer le cœur. A sa place vous pleureriez comme une madeleine. Que dis-je comme un sachet de trois kilos de ces gâteries proustiennes. Mais vous savez, il est des gens, vous leur montrez le cadavre d'un être cher et au lieu de pleurer le malheureux défunt ils tournent leurs gros chagrin vers leur petite personne et s'apitoient sur eux-mêmes. Ramènent tout à eux. Le héros de cette tragédie en est un parfait exemple. Elle peut aller n'importe où dans l'outre-monde, jamais elle ne trouvera un mec aussi bien que moi affirme-t-il. Mais le guy n'est peut-être pas aussi mauvais que l'on pourrait le croire. Doit avoir des idées noires, pense à sa mort, demande à ce qu'on l'enterre dans un beau costume et que l'on rajoute une pièce en or de vingt dollars à sa chaîne de montre, afin que tout le monde sache qu'il n'est pas mort sans le sou ou dans la misère. Et puis Satchmo vous refile une fanfare funèbre à vous hérisser la moelle épinière, et ça se termine par une sonnerie aux morts aussi brève qu'un basculement de cercueil dans la fosse.
Dans la version filmée ils n'y vont pas de main morte pour la mise en images interprétatives, ils rajoutent sur la longue introduction musicale une scène qui n'est pas mentionnée dans les paroles, un gars effondré dans un bar à qui l'on demande ce qui ne va pas et qui raconte qu'il est allé voir sa petite amie morte à l'hôpital...I went down to...et pendant qu'il sanglote sur sa chérie l'on voit le fantôme de celle-ci qui quitte son corps et erre dans les rues, elle porte à son cou le double pendentif des portraits miniatures des deux amoureux qui communiquent entre eux. Retour dans le bar, le boy avale un dernier verre et s'écroule mort. Enterrement de première classe, mais alors que le cercueil est porté dans l'église, le couple fantôme se retrouve et s'enlace pour une dernière valse... Save the last dance for me ! le clip se termine sur deux tombes rapprochées. Unis dans la vie, réunis dans la mort, l'on dirait du Tristan et Iseult.
Emouvant, mais c'est ce qui s'appelle colmater les interstices. C'est un vieux blues, et l'on sait que les paroles de ces antiques morceaux ne sont pas fixes, selon que vous vouliez rallonger ou raccourcir une prestation live, vous rajoutiez ou supprimiez des couplets. Yes, my son, mais ce n'est pas vraiment un vieux blues, c'est une vieillerie encore plus ancienne. Elle appartient au folklore traditionnel américain. Toutefois c'est un amateur de jazz qui en a fourni le texte '' officiel '' chanté par Louis Armstrong. Blues, folk, jazz, l'on sent la foire d'empoigne. Quoi qu'il en soit le jazz marque un point, et pas par un troisième couteau de la deuxième arrière-cuisine, Irving Mills. Bien connu des amateurs de jazz, l'a monté son propre Big Band avec entre autres Tommy et Jimmy Dorsey, Lionnel Hampton, Eddie Lang et quelques autres du même tonneau. Mais il n'a pas eu que cette corde à son arc, parce que voyez-vous l'ar(t)gent c'est encore mieux, avec son frère Jack, l'a monté une maison d'édition, ce qui nous explique pourquoi en passant, abondance de biens ne nuit pas, il s'est dépêché de prendre quelques droits sur le Saint-James, juste pour l'argent de poche, parce que l'Irving, il avait de l'oreille et du goût, l'a repéré Duke Ellington, s'est dépêché de le cornaquer et l'a aidé ( hum-hum ) à composer quelques morceaux, par exemple Caravan pour qui vous aboyez et frétillez ( je n'ose pas dire de la queue parce que les lectrices pourraient se vexer d'être privées de cet appendice naturel ) de plaisir quand vous l'entendez. Bref avec une dizaine de titres Jack et son frère sont devenus millionnaires. Pourtant Irving n'était pas très fort en math, sont trois à signer Caravan mais il s'est trompé dans la division, cette lamentable erreur lui a permis de toucher 50 % des droits. Comme quoi, il avait les idées larges. L'a été le premier à enregistrer sur un même disque des musiciens noirs et blancs. L'a aussi inventé le concept de jazz-group exclusivement féminin. Un petit truc en plus sur Irving, utilisait aussi quelques pseudonymes, Good Goodwin qui pour nous est une fausse piste et celui de Joe Primrose qui nous intéresse davantage. D'ailleurs parfois Saint-James Infirmary Blues est signé : Joe Primrose. Mais les paroles ne sont pas identiques.
Mais retournons au blues. C'est Blind Willie Mctell né à la fin du siècle précédent mourut en 1959, en 1961 parut Last Session disque qui regroupe treize titres, le deuxième de la face A, enregistré en 1940, The Dying Crapshooters blues, l'est sûr qu'il peut avoir le blues Jesse , sa petite amie l'a quitté, pour un vieux plein aux as ( de cœur ), n'est pas tendre notre crapshooter a vite fait de régler ses comptes en lui refilant un as de pique ( en plein cœur ), l'a à peine trucidé son rival qu'une malencontreuse patrouille de police ( tout le monde la déteste ) survient, les flics l'abattent... tandis qu'il agonise il dicte ses dernières volontés, pas d'héritage, mais que les lanceurs de dés pipés qui furent ses amis, lui préparent un enterrement royal, une carte à jouer sur le cercueil et les plus belles filles des bordels en nombre, et que l'on danse le charleston... fait même preuve d'humour noir puisqu'il désire aussi la présence du shérif et du juge qui l'a maintes fois condamné... L'on reconnaît une situation similaire à celle de Saint James Infirmary Blues... Bref la triste vie d'un joueur. Retenez bien ce dernier mot.
Il existe d'autres versions du Saint James Infirmary, beaucoup plus longues. Parfois l'on rajoute une strophe de quatre vers juste après le début, le gars vient de trouver sa baby en mauvais état, mais pas encore morte, alors il file se renseigner à l'étage auprès du toubib, mais quand tous deux reviennent près de la malade, elle vient de mourir... C'est alors qu'il décrète qu'il faut la laisser aller où elle veut, jamais elle ne trouvera dans l'autre monde un gars aussi merveilleux que lui.
Ce petit couplet n'apporte pas grand-chose, peut-être le signe que l'histoire originelle est plus longue que la version d'Irving Mills pour Armstrong. En effet il en existe une autre version parfois nommée The gambler's blues. ( Souvenons-nous que Gambler signifie : joueur. ). C'est le même texte, mais avec un début et une fin. Un premier Narrateur qui raconte qu'il descend ( I went down ) au bar du vieux Joe, c'est l'heure de l'apéro mais son copain Joe McKennedy tire une drôle de trombine et ses yeux sont bien rouges. Ne se fait pas prier pour raconter son histoire, vous la connaissez, I went down to Saint-James Infirmary... invite en plus un lot de jolies filles et un orchestre de jazz à son enterrement. Mais le Joe Kennedy est encore vivant, tournée générale et ne vous étonnez pas toutefois s'il a le gambler's blues ! Blues des joueurs. Chez certains interprètes il a chopé le Saint James Infirmary Blues. Dans ces cas-là le titre est attribué à Irving Mills. J'ai cru comprendre mais je ne saurais affirmer que Irving Mills en avait rédigé une version brève et une plus étendue, de toutes les manières l'on ne crédite que les riches.
Reste une chose turlupinante. Que vous preniez le texte le plus long ou le plus court, il est un peu duraille pour la gent féminine, ( avec un peu de chance une pétition d'enragées interdira la diffusion de ce scandaleux morceau entaché d'idéologie ultra-machiste ), en grossissant un peu on résume ainsi : zut elle est clamsée, moi quand je mourrai je vous promets une fête d'enfer ! En France je ne vois que l'Alleluia de Jean Ferrat qui traite des fins dernières avec cet humour sardonique.
L'on a parlé Jazz, l'on a causé Blues, reste le Folk. Direction les Appalaches ( on ne lâche pas l'affaire ), en 1918 une chanson titrée St James Hospital débute par : As I went down by St James Hospital, one morning... mais là ce n'est pas un amoureux qui trouve sa petite amie hors-circuit, mais un père face au cadavre de son fils... ce serait une diversification d'une chanson de cowboy, The Dying Cowboy qui sur son lit de mort implore ses camarades de ne pas l'enfouir dans la prairie où hurlent les coyotes ( un truc qui fout les chocottes )... le morceau a été collecté par Cisco Houston qui fit partie des Almanacs Singers avec Pete Seeger et Woody Guthrie. Nous ne sommes pas loin de Dylan qui écrivit une chanson hommagiale à Blind Willie McTell...
Remarque particulièrement sexiste : dans ces deux chansons, ce sont de jeunes garçons qui meurent... Autre piste, comme par hasard il existe encore de nos jours un St James Hospital à Dublin. En Irlande. Lorsque l'on connaît l'apport musical des Irlandais au folklore appalachien, on a tôt fait de traverser l'océan. L'existait aussi à Londres un Lock Hospital ( spécialisé dans les maladies vénériennes ) qui est mentionné dans une chanson dans laquelle un jeune gars, The unfortunate lad, est atteint de syphilis. Quand on grattouille, on chope la chtouille. Il a la trouille, il est sur le point de mourir, pas très stoïque, il se plaint, et rejette la faute sur une jeune prostituée qui ne l'a pas averti de sa maladie. Nous sommes aux alentours des 1770, cela se sent, le garçon reconnaît qu'il aurait dû écouter son papa et sa maman qui lui recommandaient de ne pas fréquenter les filles de mauvaise vie. Mon fils tu périras par où tu as péché. Mais cette chanson est une reprise d'un poème The Buck's Elegy ( L'élégie du mâle ) qui débute par : As I was walking down from Covent Garden, le narrateur rencontre un soldat mal en point qui demande que lors de ses obsèques, ses camarades déposent des roses sur son cercueil, qu'ils fassent résonner leur tambour, et qu'ils tirent des coups de fusil en son honneur... Ces deux derniers morceaux sont très proches de The Unfortunate Rake ( L'infortuné débauché ) : As I was walking down by the lock... traditionnel irlandais...
Les musicologues attirent notre attention : Saint James Infirmary Blues n'est pas un blues mais une ballade. Sa structuration musicale dénote une origine européenne. Laissons les spécialistes s'étriper sur le sujet. Ce qui est remarquable c'est la logique de la filiation et de la passation de cette chanson. Si très vite l'on se détourne de la jeune morte, c'est parce que l'imagination a été happée par les plaintes du jeune mourant. Dans le trad irlandais l'on ne s'attarde guère sur la fille, elle est la cause maléfique, cela pue la moraline chrétienne à plein nez, mais le morceau traite des tristes conséquences. A tel point que chez les cowboys on a évacué la maudite garce, mais dans le blues, l'on n'aime bien les filles surtout si elle sont ardentes. Le sexe, l'alcool, le jeu, le fric, la flambe, voilà la belle vie. Si vous avez mieux à proposer, passez vite un coup de fil. Certes parfois ce choix de vie peut vous refiler le blues, mais uniquement quand le flacon est vide.
Une ultime notule : la première attestation de la présence de la ballade venue de la perfide Albion aux Etats-Unis remonte à 1840. C'est en ces années que Edgar Poe travaille sur Le Corbeau. Quel en est le sujet : une jeune fille morte que le poëte ne peut oublier. Toutefois l'apparition du vil volatile n'incite pas à la joie. Le poëte n'en profite pas du tout pour veiller à l'ordonnance de ses obsèques, mais il reste dans son fauteuil anéanti dans son chagrin pour au moins l'éternité. Dans son dernier poème Annabel Lee publié en 1849, le poëte reprend la même thématique de la jeune fille disparue, là non plus il ne commandite pas les préparatifs de son enterrement, il n'en a pas besoin, ne passe-t-il pas toutes ses nuits à ses côtés '' sa tombe près de la bruyante mer''. Cette inter-sectionnelle similitude entre culture populaire et connaissance savante ouvre un abîme de réflexion quant à l'interaction d'une espèce de conscientisation collective inter-subjective, telle que le philosophe Husserl l'a initiée en ses derniers écrits. Pour moi j'ai toujours pensé que le rock'n'roll n'est qu'un surgeon du romantisme européen.
Damie Chad.
ROCK'N'ROLL DANCE
C'est Tony Marlow qui a mis cette vingtaine de minutes de Reportage France 3 Rock'n'roll sur son FB. Si vous avez de bons yeux peut-être parviendrez-vous à l'apercevoir derrière les danseurs. Lui ou quelques uns des membres du Tony Marlow Blue Five, Frank Guetatra est au sax, Jean-Marc Bouchet à une même embouchure, Dominique '' Zen'' Gimonet à la contrebasse, et Stéphane Moufflier à la batterie. Interprètent le vieux standard de Moustache, J'ai jeté ma clef dans un tonneau de goudron, en totale relation avec les heures glorieuses du lieu : le Caveau de la Huchette. Le Blue Five de Tony Marlow a sorti un single Mademoiselle Voulez-vous danser / Blue Five Boogie en 1991, vous retrouvez le titre de la face A sur la compilation de Tony : 40 ans de Rock'n'roll 1978 – 2018, qui se doit d'être dans votre discothèque.
Mais le Marlow, il ne fait pas le marlou trop longtemps, deux minutes, en arrière-fond, ce n'est pas lui le héros de la pellicule. C'est Guilaine ( je ne sais si je respecte l'orthographe du prénom ) et Jean-Claude partenaire et mari de la belle. Les deux en vedette, mais surtout Elle en voix off. Une accro de rock'n'roll, comme moi plastronnerez-vous chers kr'tnt-readers, pas du tout, Guilaine est accro à l'acro. C'est ainsi, l'acro la branche. Quand vous la voyez longer le long de son quai de gare, vous ne pouvez imaginez que dans les images qui suivent, elle va s'envoler. Son péché mignon qu'elle partage avec Jean Claude c'est le rock acrobatique. Rien à voir avec le lindy hop pantouflard des familles du samedi soir.
Musicalement le rock acrobatique, ce n'est pas toujours le pied, dans l'extrait ça va du pire au meilleur, des Forbans à Elvis... sportivement c'est un superbe challenge. Faut avoir les amygdales bien accrochées pour s'en aller virevolter à quatre mètres de hauteur, réaliser un double salto arrière et enchaîner sur un rythme endiablé vrilles et saltos-avant comme si de rien n'était. La tête en piqué vers le sol à la vitesse d'un Spitfire. Moins dangereux pour le cavalier qui reste à terre mais perso le poids de la responsabilité de la réception ratée me paralyserait... Davantage un sport que du rock proprement dit - ce sont souvent des gymnastes qui se lancent dans cette discipline - les résultats de ces performances attribuées par des juges m'ont toujours paru à caution. Mais pour notre couple, ce n'est pas le plus important. Se définissent avant tout comme des fanas de rock.
J'aurais tendance à classer le rock acrobatique dans les arts du cirque, les paillettes, le bruit, les émotions, la foule... mais le rock lui-même m'est toujours apparu comme excroissance de cet art populaire et profondément élitiste et performant qu'est le cirque. Une tribu un peu à part. Lorsque Guilaine parle de ses sensations, de la griserie des applaudissements, des cris et des injonctions, l'on ressent la fièvre et la passion, le plaisir de se transcender, de se regarder dans le miroir des autres que l'on a allumé de désirs, une espèce de narcissisme provoqué que l'on partage pour mieux s'abîmer en sa propre image. Être soi en l'étant selon tous. Une étoile qui brille et s'éteint. Un moment de beauté ou de joie dans le monde. Et puis l'éclipse, qui n'est que l'absence de ce qui a eu lieu. A thing of beauty is a joy for ever a dit Keats.
Damie Chad.
09:40 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hanni el khatib; roky erickson + friends, the sprites, saint james infirmary, rock'n'dance, s
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