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28/02/2018

KR'TNT 363 : CHUCK PROPHET / PATTY VAREN / SISTER MOON / KIRIN DOSHA / JAY JAXSON / BLACK PEARL / FOUR ACES / JOHNNY HALLYDAY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 363

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

01 / 03 / 2018

CHUCK PROPHET / PATTY VAREN

SISTER MOON / KIRIN DOSHA / JAY JAXSON

BLACK PEARL / FOUR ACES / JOHNNY HALLYDAY

 Texte + Photos sur :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Prophet en son pays - Part Two

 

Green On Red s’arrêta en 1987. Chuck Prophet allait ensuite entamer une carrière solo absolument passionnante, pour le seul bonheur de nos chères petites oreilles.

Baptême de l’air en 1990 avec Brother Aldo. Chuck Prophet s’impose aussitôt, comme le ferait une star. Il en a le physique et le talent. Il place dans «Rage And Storm» un solo d’une conception architecturale originale et nous régale d’une embellie finale. Tout sur ce disque est infiniment supérieur à la moyenne. Avec «Scarecrow», il tape dans une ambiance à la Lanegan. S’il réhausse ce festival hallucinant, c’est bien sûr avec solo d’un classicisme échevelé - son clair et paquets de notes clairvoyantes - Il fait la moitié du morceau en roue libre. La fière allure et la hauteur de vue pourraient bien être les deux mamelles du Prophet. Il chante le morceau titre à la Lou Reed, très laid-back. À l’instar d’André Malraux, Chuck Prophet pourrait déclarer : «Le classicisme sera brillant ou ne sera pas.» Et il n’en finit plus de placer d’élégants solos qu’il dote d’un son clair comme de l’eau de roche. Sa copine Stephanie Finch double sa voix sur la plupart des morceaux. Il aménage dans «Stop Right This Way» de jolies montées vers les cieux éternels et nous sertit ça d’un solo d’une extrême rareté. L’album est si bon que tous les morceaux finissent par sonner comme des classiques et notamment «Face To The Wall», avec un ring that bell qui évoque Chuck, mais l’autre, le grand, le Berry. Si vous cherchez un guitariste prophétique, il est là. C’est Chuck Prophet. Il tape aussi dans la country avec «Tune Of An Evening». Il y saccade ses admirables passations de pouvoir.

Brother Aldo en traumatisa plus d’un. Le jeu allait donc consister à guetter la parution de chaque nouvel du Prophet.

Paru en 1993, Balinese Dancer est un album beaucoup moins dense que son prédécesseur. «Savannah» sonne comme le werewolf of London. Chuck Prophet cajunise subtilement son morceau titre en lui shootant une belle dose d’accordéon. Il nous claque des accords beaux comme des dieux dans «One Last Dance» et nous plonge dans une espèce de romantisme fin de siècle - Of course I am - très sophistiqué. Avec «Angel», il emmène la Stonesy très loin au large et ça donne un cut éclatant de vérité. Il saupoudre sa voix gerbeuse d’une belle pincée d’accordéon et tire une fois de plus l’ensemble vers les ineffables régions de l’expertise sensorielle.

Et crac, Feast Of Hearts sort deux ans plus tard. Sur la pochette, Chuck Prophet rivalise de classe Wizard avec Todd ‘A true Star’ Rundgren. Voilà ce qu’il faut bien appeler un album d’anthologie. Lorsqu’il chante «What It Takes», Chuck Prophet dispose d’assez de souffle et d’ampleur pour rivaliser avec Bob Dylan. Il profite d’«Hungry Town» pour non seulement nous régaler du meilleur boogie-rock d’Amérique, mais aussi pour défenestrer son solo. S’il allume un brasier, c’est bien sûr avec une classe qui coupe le souffle. Il a cette désinvolture propre aux seigneurs qui s’ignorent. Et il balance un solo sur le tard, comme ça, sans prévenir. Quelle débine ! Il faut aussi le voir riffer «Break The Seal» à l’anglaise. C’est de la Stonesy à l’état pur - Oh I like to be moved/ And I love to sway/ And watch as the morning/ Turns into day (Oh, j’adore les sensations fortes, j’adore tanguer et voir le jour se lever) - Il gère ça en bon maître de céans, wow ! - Break the seal of the bottle - S’ensuit une fin de morceau aventureuse, percluse d’accordéon et vibrillonnée par une basse démente. Ah, il faut le voir pour le croire. Il revient au Very Big Atmospherix avec «Too Tired To Come» - You conquered my resistance/ I’m too tired to come (Tu m’as épuisé, je suis trop fatigué pour jouir) - Il élève un pont princier et fait monter la sauce. Comme Jackie Lomax, Chuck Prophet tape dans le trop haut de gamme. «Once Removed» nous cueille au menton et nous plonge une fois de plus dans la meilleure Stonesy. Il suit ses mots à la guitare. Épique, furieux, affluant, terrible et perspicace, il fait claquer toutes ses notes, il y croit dur comme fer et se rapproche de Big Star. Encore plus stupéfiant : «Oh Mary» qu’il attaque d’une voix de super star. Écrasant de classe. Son style romantique relève du génie pur - Oh Mary can I give you what you need ? (Puis-je te donner ce dont tu as besoin ?) - Qui penserait à formuler les choses ainsi ? Personne à part Chuck Prophet. On nage dans l’eau bleue d’un mythe rock - Something about you baby has got me hypnotized (Il y a quelque chose en toi qui m’a hypnotisé) - Il déroule à l’infini la pureté de ses intentions - I wanna kiss your mouth until the world is gone (Je voudrais te prendre la bouche jusqu’à la fin du monde) - Et sa musique sert un texte digne des géants de la prose. Comme Mark Lanegan, Chuck Prophet entre doucement dans la peau d’une rock star littéraire.

C’est en tremblant qu’on sort deux ans plus tard Homemade Blood de sa pochette. Et pouf, il part en mode Stonesy avec «Credit». Il aimerait bien aller passer un petit week-end à Paris mais on lui a bloqué son compte - They cut me off/ I want some CREDIT ! - Funny et grandiose, avec les chœurs de Stephanie Finch. Il revient au velouté de rêve avec «You Been Gone». Il chante d’une vraie voix, profonde et irisée, ambrée et chaude. Il continue de proposer des atmosphères solidement instrumentalisées et pimentées d’élégants petits chops de guitare. Il attaque «Inside Track» à la manière de Lou Reed et crée vite fait un univers complet dans lequel rien ne manque - Call it what you want to/ It makes perfect sense to me ! - Et ainsi de suite, tout au long de cet album une fois de plus flamboyant. Il whawhate son «22 Fillmore» de façon spectaculaire - Go on take a picture/ Take the whole fucking roll ! - Il finit par nous soûler avec son classicisme hennissant et son port altier de haut rang séculaire. Il tape aussi dans un joyeux son type Pogues avec «Whole Lot More». Il chante ça d’une vraie voix. Il méduse tout le monde avec ce coup-là. Il enfile les hits comme des perles. À part écouter, tout ce qu’on peut faire c’est regarder les hits s’enfiler. Spectacle d’autant plus intéressant qu’il n’est plus si courant. Fabuleux morceau que ce «Textbook Case» - He was a textbook case/ But he couldn’t read at all - Il enroule ça au chant, fait bien monter la sauce sur une énorme bassline, nous riffe ça sec et derrière, ça fait des ye-oooh ! - He was a textbook case/ There was no doctor in the house/ When his aunt said leave/ He quit as quiet as a mouse/ He robbed from the poor/ He gave to himself/ Looked in the glass/ And raised a toast to his health (C’était un cas classique, il n’y avait pas de médecin dans le coin. Quand sa tante lui a dit de se tirer, il a filé aussi discrètement qu’une souris. Il a volé les pauvres. Il s’est rendu à la police, il s’est regardé dans la glace et a levé son verre à sa santé) - Chuck Prophet rocke la littérature et rolle la prosodie. Dans «Til You Came Along», il redonne une petite leçon de puissance festive puis - ah-ahhh - il balance un solo liquide d’antho à Toto.

Deux ans plus tard, on repère The Hurting Business. On le sort du bac d’une main moite et tremblante. Sur la pochette, Chuck Prophet porte un seyant costume à carreaux et ressemble au plus cool des playboys. Il chante «Apology» d’une voix fatiguée, très laid-back et s’en prend à El Vez : si Elvis était là, il ferait payer ce sucker. Il tatapoume ensuite «Diamond Jim» à outrance et livre une belle carcasse de rock fumant. C’est en réalité un fantastique hommage à Jim Morrison. Chuck Prophet apporte son écot au moulin rouge de la postérité. Il chante «It Won’t Be Long» d’une voix lente bien intentionnée et enchaîne avec «Lucky» - Who’s gonna get lucky - Cette énorme pièce grise par son extravagance poppy mais elle a des reins d’acier. Monstrueux : il n’existe pas d’autre mot pour qualifier «I Couldn’t Be Happier». C’est monstrueux à tous les niveaux : couplets rimés et refrain honky-tonk. Chuck Prophet nous en fait voir des vertes et des pas mûres. Dans «Dyin’ All Young», il va même chercher le blues rap élégant à la Boz Scaggs.

Au fil du temps, notre héros semble conserver toute sa fraîcheur de ton et toute son aisance. Il sort en 2002 No Other Love, un album une fois de plus riche en rebondissements. Il alterne les heavy blues et les balladifs superbes. Il revient à son admiration pour Bob Dylan avec «Run Primo Run». Édifiant. Beau beat. Chuck Prophet sait asséner des couplets fatals avec la gestuelle dylanesque. On se dit : quel puissant seigneur... Dans «Storm Across The Sea», il raconte qu’il vit avec une folle - Hear me laughing with nothing up my sleeve - Il fait monter une sauce terrible dans «No Other Love». Voilà un nouveau coup de génie : «Elouise», fabuleux track-back monté sur une diction du diable - Take off thoses glasses girl/ I wanna feel your pain (Enlève tes lunettes, je veux te voir souffrir) - C’est une véritable énormité cavalante. Il y balance un killer solo flash de trois secondes. Sa fabuleuse énergie revient au grand galop dans cet élégant mid-tempo intitulé «That’s How Much I Need Your Love» - If I was a Cadillac/ You’de be my drivin’ wheel - Et il nous wha-whate un solo de deux secondes. Signé non pas Furax, mais Prophet. Puis il nous fait le plus beau des cadeaux avec un hymne à l’été : «Summertime Thing». Franchement, c’est digne du «Summer Nights» d’Allen Toussaint. Il y raconte une histoire de voisinage - Put the Beach Boys wanna hear Help Me Rhonda/ Roll Down the sides we’ll drive to the Delta, yeah ! - Pur moment de magie. Chuck Prophet ne vous lâchera jamais la grappe.

Age Of Miracles paraît en 2004. Rebelote. Il ouvre son bal du samedi soir avec un heavy blues nommé «Automatic Blues». Chuck Prophet traumatise ses power chords. Un invité de marque sur cet album : Eric Drew Feldman, vieux crabe du Magic Band, période Doc At The Radar Station. Drew joue du moog. Il règne sur ce morceau une ambiance mastodontique digne de «Cold Turkey», avec un riff arraché. Chuck Prophet renoue avec la classe céleste en attaquant «Just To See You Smile». Ce cut paraît aussi immense que l’océan - Ah baby just to see you smile - On assiste à une explosion de joie électrique portée par un chant éclatant et secoué d’énergie carbonique. Avec Mark Lanegan, Chuck Prophet est sans doute le dernier grand chanteur américain vivant. On passe ensuite à une autre merveille qui s’appelle «West Memphis Moon». Notre héros envoie sa bordée en fin de premier couplet et secoue son vibrato au moment du break. Voilà encore un rock bien charpenté chanté à la revoyure. Jerry Flowers joue de la basse et Drew du moog. On se retrouve face à une énormité stupéfiante. Stephanie Finch revient au micro dans «You’ve Got Me When You Want Me». Cette jolie pièce ruisselle littéralement d’inspiration. Madame la basse porte bien le heavy rock de «Pin A Rose On Me» et on tombe ensuite sur un stomp ahurissant, «Heavy Duty», doté encore une fois d’un texte sublime - If you want to be a better cook/ But you better be careful with the stuff/ You better be careful with this stuff - S’ensuit une montée fatale qu’il sabre d’un solo clair à la Big Star. Là, on s’enfuit dans la rue, hagard. On croise une connaissance :

— Que vous arrive-t-il, vous n’avez pas l’air bien...

— Ah mais si, tout va bien, seulement je viens d’écouter une terrible chanson...

— C’est une chanson qui vous met dans un état pareil ?

— Elle s’appelle «Heavy Duty» !

— Oh, je comprends... Et comment s’appelle le chanteur ?

— Chuck Prophet !

— Chuck qui ?

— Excusez-moi, je dois rentrer chez moi, il ne fait pas chaud !

Notons qu’à la fin d’Age Of Miracles, Chuck Prophet rend hommage à Keef avec un bel exercice de style intitulé «Solid Gold». Il joue les accords de «You Got The Silver» (qu’on trouve sur Let It Bleed), fait entrer les nappes de violons circulaires de «Walk On The Wild Side» et couaque un énorme solo. Voilà comment le dandy Chuck salue ses héros.

Soap And Water ? Nouveau coup de Trafalgar. L’un des pires disques de l’histoire du rock, n’ayons pas peur des grands mots. Un disque dont il faudrait graver le titre dans les falaises de marbre. Un disque qu’on peut écouter à jeun ou pété, ça ne change pas grand chose. Démarrage en trombe avec «Freckie Song», shoot de belle pop drumbeatée à gogo. Il chante toujours ses formules fatales - I just can’t stand myself - d’une voix profonde et chaude et passe des solos d’un classicisme écœurant. Il lâche un couplet dément sur Elvis dans «Would You Love Me». On pourrait qualifier ça de balladif déroutant ou encore de belle claquouille chaperonnée. Final surnaturel. Alors franchement, que demande le peuple ? «Soap And Water» est un joli boogie à l’anglaise - Hot legs cold cash - Même si c’est cousu de fil blanc, Chuck Prophet pompe le dard du mythe, il captive en permanence - Sand mellow/ Oscar Wilde/ Blood Pudding/ Pink ties/ Sweet nothing/ Bitter tears/ Cracked Lips/ Bathroom mirrors - Il riffe «Small Town Girl» sur sa Telecaster et sa copine Stephanie Finch reprend la flambeau. Ce morceau est absolument dément de laid-back. C’est un défi aux dieux de la classe. Attention à ce truc qui s’appelle «A Woman’s Voice» : c’est un blues de juke. Chuck Prophet gratte dans un coin, il est rôti, il passe des notes vaseuses, il emprunte un tempo à Muddy - You start out down the middle - et les violons de Walk reviennent doucement, par petites nappes insignifiantes. Soudain, ça bascule dans le trash du blues électrique perdu sans collier. Stupéfiant ! On le sait, le passe-temps favori du Prophet, c’est d’effarer le petit peuple. On ne répétera jamais assez : ce mec est brillant. Il fait partie des très grands artistes américains qu’il faut suivre à la trace. «A Woman’s Voice» sonne comme une pure giclée de génie - Oh ! Sweet darling !/ Yes a woman’s voice can drug you - Il y bat tous les records d’élégance catchy. Avec sa grosse intro rattrapée à la course, «I Can Feel Your Heartbeat» nous emmène directement au paradis. Ce mec est beaucoup trop fort. On devrait se méfier. Comme le disait Javert à Robert Macaire, les gens brillants peuvent mettre la société en danger. «Naked Ray» rivalise de beauté pure avec le «Pale Blue Eyes» du Velvet. Même niveau d’élévation byzantine et d’inspiration pulsative. Il sort sa voix de Willy the Pimp pour chanter «Downtime». «Happy Ending» referme la marche et cet enfoiré nous démarre un stomp en plein balladif. Il passe du fabuleux à l’étourdissant - It’s too late in the game to start again - Il fait des Ah ! et des Aw ! écœurants de classe déterminante et il finit en déchirant le ciel pour libérer tous les démons de l’apocalypse. C’mon ! Qualifier ça de dément serait livrer un pâle reflet de la réalité objective.

Sort en 2012 Temple Beautiful, un nouvel album aventureux. Chuck Prophet affirme toujours plus sa stature de dandy américain - c’est vrai que ces deux mots ne se marient guère, mais on fera une exception pour ce Prophet en son pays. «Castro Halloween» relève du pur dandysme à la Kinks, des petits guitar licks filent dans l’azur d’une pop à la MGMT et comme on s’y attend, Chuck Prophet place un solo d’une incomparable limpidité. Il faut voir comme il embarque son monde. On parle ici de majesté. Le morceau titre se veut beaucoup plus musclé. Roy Loney vient y chanter des chœurs très perchés. Chuck Prophet sait choisir ses amis : près Drew et Dickinson, voilà qu’il fricote avec LE chanteur des Groovies. C’est une façon comme une autre d’alimenter la mythologie du rock américain. Comme Mark E. Smith à Manchester, Chuck Prophet ne s’intéresse qu’aux vrais artistes. Il reprend son rôle de séducteur pour chanter «Museum Of Broken Hearts» et nous refait le coup du hit fatal avec «Willie Mays Is Up At Bat», une histoire de virée nocturne alcoolisée - It’s three on two out under the lights/ Nobody knows who’ll make it home tonight - refrain magistral et bardé de chœurs chancelants. Si tu essaies de trouver ça ailleurs, tu risques de devoir chercher longtemps. Un tel dandysme ne court pas les rues, sauf en Angleterre. Syd Barrett, Kevin Ayers, Peter Perrett ou encore Viv Stanshall ont su cultiver l’héritage de George Brummel. Mais aux États-Unis, c’est plus difficile. Chuck Prophet reste dans le balladif soigné avec «The Left Hand Is The Right Hand». Il nous livre là une nouvelle pièce incroyablement inspirée, tant dans la diction que dans le jeu de guitare. Il profite de «Who Shot John» pour faire l’hendrixien. Il nous chante ça d’un ton ferme, on ne saura jamais qui a tué John, mais on s’en fout, parce qu’il joue comme un dieu.

Et puis voilà que paraît Let Freedom Ring qu’il enregistre à Mexico. Il se fait photographier en compagnie d’affiches cruelles. On voit par exemple l’aigle fondre sur le lièvre. Au dos de la pochette, dans un petit texte élégant, Chuck Prophet nous souhaite à tous de prendre autant de plaisir à l’écoute qu’il en a eu à enregistrer cet album. Ça part avec «Sonny Liston’s Blues» qui sonne comme un hit des Doors. Il y place l’un de ces solos en perdition dont il a le secret. Vous aimez le country-rock ? Alors «What Can A Mother Do ?» vous plaira. C’est en effet l’une de ces belles pièces désabusées et violonnées, d’une rare élégance et dignes de Gram Parsons. Puis il revient au riff sec et sauvage avec un «Where The Hell Is Henry» particulièrement morbide. Henry a disparu. Retour à la Stonesy avec le morceau titre, et solo de bottleneck sur deux notes. On a là une compo dépenaillée d’une redoutable efficacité et si profondément américaine, au sens où l’entendent les Drive-By Truckers - Let there be darkness/ Let there be light/ As the hawk criplples the dove (ici, l’aigle chope la colombe) - d’où l’affiche cruelle. Le morceau suivant qui s’appelle «You And Me Baby (Holding On)» devrait se retrouver en tête de tous les charts, ne serait-ce que pour la qualité du couplet - I went to see the doctor/ He said you should be dead/ I said I was doc but now I’m back/ I’m holding on/ yes I am ! (J’ai été voir le médecin qui m’a dit que je devrais être mort, j’ai dit que je l’avais été, mais que j’étais revenu et que je m’accrochais) - Pur panache ! Autre morceau spectaculaire : «American Boy». Nouveau shoot de Stonesy. Chuck Prophet fréquente les bars américains et en ramène des couplets rockants - In the Georgetown bars/ With the prozac kids/ And the Oliver Stones/ And the tabloid smiles - En B, on tombe sur un nouveau balladif inspiré, «Barely Exist» - When you barely exist/ Who’s gonna miss you when you’re gone ? (Quand vous existez à peine, vous manquerez à qui en mourant ?) - C’est une fois de plus très proche de ce que fit Dylan à une époque. Dans «Good Time Crowd», Chuck Prophet se moque des gens qui prennent du bon temps en tirant des coups de flingue dans le plafond, qui vont balancer des motos volées du haut des falaises, ou qui vous envoient des cartes postales de Crète. Il a raison. En plus, ça lui donne une superbe matière pour ses couplets. Il boucle sa puissante affaire avec un rock hautement atmosphérique : «Leave The Window Open». Il réussit à nous bricoler une montée sur des explosions d’accords. Mais ce n’est pas tout ! Il grimpe aussi dans les octaves au moment où il demande à l’autre d’ouvrir la fenêtre. Et là, on ne sait plus quoi dire.

Night Surfer ? Arrrghhhhh quel album ! Et dire que dans la presse musicale, des gens se plaignent qu’il ne se passe plus rien ! Il revient à sa chère Stonesy avec «Countryfied Inner City Technological Man». Il nous amène directement à l’effarance des niveaux supérieurs. Quelle énergie ! Ça sonne comme «Live With Me», rien de moins - Give me a holler cause we never close Oh - Oui, crie un coup, mon gars et pendant ce temps Prairie Prince bat le beurre. Et avec «Wish Me Luck», il ouvre les fenêtres et respire l’air à pleins poumons - And I shout look out all you losers/ here I come ! - Il envoie ça avec un fantastique allant décadent. Chez lui, les mélodies et les textes sont d’un niveau tellement soigné qu’il est recommandé de ne pas en perdre une seule miette. On monte encore d’un cran dans la stupéfaction avec «Guilty As A Saint» - My face a little longer, my mind on repeeeeeat - Ce mec ne finira plus de capter l’attention. Il passe au stade de la fantastique élévation avec «They Don’t Know About Me And You». Il y retrouve le chemin du pur génie. On a là du Prophet de la rock-song d’ambition démesurée - Oh baby come on you could be my savior - Encore de l’élan avec «Lonely Desolation» - Come on that’s gonna be hard to arrange - Il lâche ça avec une vieille rage dylanesque. On passe à «Laughing On The Inside» et l’incroyable de la chose, c’est que ça continue de monter en qualité - When you took off your dress/ I couldn’t believe my good fortune - C’est grandiose et élégant à la fois. Tout est absolument superbe sur cet album. Nouveau coup de Jarnac en B avec «Ford Econoline» et ce refrain dément - She pulled over said climb on in/ I did what she said/ She turned the music up real loud - Le problème, c’est qu’ils écoutent Talking Heads dans la bagnole, mais ce n’est pas grave, seule compte la classe mortelle de Chuck Prophet. Ça stompe sec et il balance cette métaphore lugubre de fin de cut - All these memories like dirty plates/ Stacked up in the sink of time - Oui, ces souvenirs qui ressemblent à des assiettes sales entassées dans l’évier du temps. Il revient ensuite à la Stonesy avec «Felony Glamour» et enchaîne avec une fabuleuse leçon de diction, «Tell Me Anything (Turn To Gold)». Il sort des syllabes pour les tordre délicieusement. Il retrouve l’art perdu de Bob Dylan. Il reste dans cette belle veine dylanesque pour «Truth Will Out (Ballad of Melissa And Remy)» qu’il chante à la notule gourmande. Et il finit avec une sorte de glam riffé comme «The Jean Genie». Non seulement c’est l’un des albums de l’île déserte, mais on pourrait aussi très bien apprendre les paroles de certaines chansons par cœur, comme on le faisait jadis avec «Lost In Mobile With The Memphis Blues Again» ou «All Along The Watchtower».

En ce qui concerne Chuck Prophet, il n’existe pas beaucoup de littérature. Aussi faut-il en profiter quand on tombe sur un article qui lui est consacré. Surtout s’il paraît dans Vive le Rock qui reste le plus sérieux des canards britanniques. Joe Whyte démarre son article ainsi : Si vous ne savez pas qui est Chuck Prophet, VRL seriously recommands you find out.

L’article salue la parution du nouvel album du Prophet, Bobby Fuller Died For Your Sins - Absolute corker, affirme Whyte. Il fait un petit retour en arrière pour rappeler que Green On Red fut le greatest bar band d’Amérique, avec des racines dans Dylan, the 70’s Stones, Gram Parsons et le punk rock des Dead Kennedys qui les mit en route. Il rappelle aussi que Chuck Prophet fit le session-man pour pas mal de gens intéressants : Warren Zevon, Lucinda Williams, Aimee Mann et Alejandro Escovedo.

Pour qualifier son nouvel album, Chuck Prophet parle de California Noir, the dark underbelly of the Golden State - Doomed love, inconsolable loneliness, fast-paced violence - et il cite Jim Thompson - There’s a million ways to tell a story, but there is only one story to tell - Things are never what they seem - Oui, le choses ne sont jamais celles qu’on croit. Il évoque aussi The Mission Express, son touring-band dans lequel sa femme Stephanie joue des claviers. Pour Chuck, prendre la route après le parcours du combattant que constitue l’enregistrement d’un album, c’est un peu comme prendre des vacances. Joe Whyte trouve que l’album est très Americana and roots rock, à quoi Chuck répond : Sure, it’s all in there, I guess. American rock’n’roll, a little folky, a little greasy. It’s psychedelic ballroom rock’n’roll with a nod to Dylan, The Byrds, The Groovies and Motown, the British Invasion and Bobby Fuller. Chuck dit que pendant l’enregistrement de l’album, le fantôme de Bobby Fuller se penchait par dessus son épaule pour voir ce qu’il écrivait et pour lui rappeler qu’on pouvait faire énormément de choses avec trois accords. Il brosse ensuite un portrait épatant du pauvre Bobby retrouvé mort dans sa bagnole. Dans les années cinquante, ce clone de Buddy Holly avait le plus grand teen dance band d’El Paso. Il enregistrait ses disques chez lui, dans le salon de ses parents. Quand il débarqua à Los Angeles, il se sentit complètement largué : les gens écoutaient les Beatles et portaient des Beatles boots. Il n’avait que 23 ans quand on le retrouva mort dans sa bagnole, avec du pétrole dans les poumons. Suicide ou exécution ? Personne ne sait. Pour Chuck, Bobby is the ultimate rock’n’roll Babylon feel-bad story. Et il ajoute que le mystère de sa mort veut rester un mystère. Il rend aussi hommage à sa hometown, San Francisco. Selon lui, chacun s’y rend à la poursuite d’un rêve - San Francisco is where I invented myself, it has been my education, in the arts and culture, politics and the sexes - Chuck rend aussi des hommages appuyés à Townes Van Zandt, aux Drive-By Truckers et quand Joe Whyte évoque la fameuse rumeur d’un Prophet pressenti à une époque pour jouer dans les Stones, il la chasse d’un geste de la main, comme si c’était une mouche : The Rolling Stones seem like pretty cool guys to me.

On ne trouve pas moins de quatre coups de génie sur Bobby Fuller Died For Your Sins. À commencer par «Coming Out In Code», pure littérature - Like a bull in a China shop/ My heart beats in my chest - Un hit de plus, Chuck ! - They call me Willie Wonka Boys/ You tell me what it means - Il faut voir avec quelle bravado il lâche ses répliques. Chuck Prophet est le Pierre Brasseur des Enfants Perdus de la Garance. Encore du génie à l’état le plus pur avec «Jesus Was A Social Drinker» qui ouvre le bal de la B - He never drank alone - Forcément et le refrain tombe du ciel - So tell me where it hurts/ And I’ll tell what to feel - Okay, comme dirait Mick Farren, yes I will et il passe un solo arizonien d’une beauté surnaturelle. Les hits de Chuck Prophet sont en fait des historiettes mirobolantes. Encore un coup de bambou avec «Post War Cinematic Dead Man Blues» - I got the post war cinematic dead man blues - Forcément, avec ce côté dylanesque, ça sonne comme un hit planétaire, car en plus, ça chevauche aux clap-hands et ça pulse aux chœurs de ouh-ouh-ouh. Et comme si ça ne suffisait pas, il passe un solo flash fourvoyé. Encore une merveille avec «If I Was Connie Britton» - Man I tell you what to do/ I’d brush my hair every morning/ On the weekend too - Pure boogie motion - Leathers pants in the summertime/ Hot pants in the cold - Tout est taillé sur mesure, dans ce disque épouvantablement bon. Il dédie «In The Mausoleum» à Alan Vega et reprend le beat de Jukebox Baby sur sa guitare. Il fait bien son Vega et shoote au passage une jolie dose de sauvagerie. L’autre hommage qu’il rend est celui du morceau titre, c’est-à-dire à Bobby Fuller - Cruising through El Paso/ Carrying a heavy load - Il rend aussi un dernier hommage à Bowie dans «Bad Year For Rock’n’Roll». Il sort encore une fois sa fantastique élégance de mid-tempo catégoriel. Il prend «Your Skin» au fin garage US infesté de fuzz. Son garage se fête comme le retour du héros. Chuck Prophet passe des solos si délicats et tellement intrinsèques qu’il ne reste plus qu’à se pâmer. Et puis, il ne faut surtout pas oublier d’écouter «Killing Machine», car il entre dans les stores avec un gun, alors ça ne rigole plus.

Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule : la parution du nouvel album s’accompagne d’une tournée mondiale et voilà Chuck Prophet & The Mission Express sur scène à la Boule Noire. C’est inespéré ! Il surgit sur scène ultra athlétique, frais comme un gardon, jumping all over, il faut le voir pour le croire. Voilà un homme ravi de jouer. Il n’en finit plus d’exprimer son bonheur. Pour être tout à fait franc, on s’attendait à une prestation moins extravertie. Dans l’inconscient collectif, Chuck Prophet est un dandy, pas un zébulon qui saute partout. En outre, il commet sans doute une petite faute de goût en portant ces horribles chaussures montantes à guêtres, mais son enthousiasme l’emporte et devient vite communicatif. Bien sûr, il voit lui aussi que la salle est loin d’être pleine, mais il met les bouchées doubles. Il prend soin de présenter tous ses cuts, rappelle que cette année fut a Bad Year For Rock’n’Roll : Bowie, Alan Vega sont morts, et ajoute-t-il, democracy in the USA ! Il reviendra saluer Alan Vega et illustrer mythe du cut monté sur un accord en jouant le Jukebox Baby d’«In The Mausoleum». Il salue aussi Jesus avec l’effarant «Jesus Was A Social Drinker» et n’en finit plus de passer des solos surnaturels qu’on ne trouve pas sur les albums. Il tâte même du twin guitar attack à la Gorham/Robertson avec son guitariste James DePrato. Lorsqu’il revient pour le rappel, il commence par raconter une histoire : en plein mouvement punk, lui et ses copains ados déboulèrent dans un club de San Francisco pour voir jouer des groupes. Il se souvient des horribles Mentals. Puis un groupe de chevelus s’installa sur scène et la salle se vida. Sauf Chuck. Le son des chevelus lui plaisait. Il raconte qu’il vissa littéralement son regard dans celui du guitariste. Et là, il commence à gratter les accords d’intro de «Shake Some Action». Chuck Prophet évoquait les Groovies et il leur rend un hommage flamboyant.

Bien sûr, il réapparaît après la fin du set pour signer quelques autographes. Il porte un chapeau de dandy à plumeau et un T-shirt. Il déambule nonchalamment dans la salle et échange quelques mots ici et là. Ce mec tient plus de l’écrivain que de la rock star, on sent qu’il adore le contact. Il va naturellement vers les gens.

— Thank you for the Dickinson days, Chuck !

— Oh, it was just perfect.

Signé : Cazengler, prophêtard

 

Chuck Prophet. La Boule Noire. Paris XVIIIe. 21 novembre 2017

Chuck Prophet. Brother Aldo. Fire records 1990

Chuck Prophet. Balinese Dancer. China Records 1993

Chuck Prophet. Feast Of Hearts. China Records 1995

Chuck Prophet. Homemade Blood. Cooking Vinyl Records 1997

Chuck Prophet. The Hurting Business. Cooking Vinyl 1999

Chuck Prophet. No Other Love. New West Records 2002

Chuck Prophet. Age Of Miracles. New West records 2004

Chuck Prophet. Soap And Water. Yep Roc Records 2007

Chuck Prophet. Temple Beautiful. Yep Roc Records 2012

Chuck Prophet. Let Freedom Ring. Yep Roc Records 2013

Chuck Prophet. Night Surfer. Yep Rock Records 2014

Chuck Prophet. Bobby Fuller Died For Your Sins. Yep Rock Records 2017

Joe Whyte : Heavy Duty. Vive le Rock #44

JOUARRE / 24 – 02 – 2018

LOCAL SIGVALD'S MC SEINE & MARNE

PATTY VAREN

40 BIRTHDAY PARTY

PATTY VAREN + GUESTS

Patty Varen fête son anniversaire. Quarante printemps. Les Rolling Stones ont beau nous avoir appris que le time était on our side, ce n'est jamais marrant de voir les jours filer, alors le mieux est encore d'inviter les amis et de montrer que l'on est encore vivant pour faire la nique au destin et arborer la vie, voiles déployées et pavillon haut.

Les Sigvald's sont les pros de l'accueil chaleureux et cordial. Du monde partout, dehors, dedans, dans le hall, autour du camion à pizza, sur les banquettes, auprès du bar, beaucoup d'enfants occupés à des pliages, un maximum de bikers représentatifs de tous les moto-clubs des environs, les supporters attitrés des bands, de simples amateurs de rock'n'roll, bref le local est comme un verre de jack rempli à ras-bord, qui déborde de gaieté et de bonne humeur.

Vaudrait mieux ne pas parler de la scène. Un entassement innombrable de guitares, d'étuis hétéroclites et d'entrelacs tubulaires, un entrepôt d'usine, un capharnaüm sans nom, dans lequel les musicos s'essaient à retrouver leur matos... c'est que la soirée est spéciale, pas une queue-leu-leu de groupes en brochettes, Patty Varen en superstar, avec ses boyz, et une phalange d'amis et d'amies qui vont venir jouer quelques morceaux, sans compter les incessantes permutations de personnel. Pas tout à fait un concert, une soirée spéciale, une rencontre, des découvertes, beaucoup d'éclats de rire et d'amitiés, chacune des prestations comme un cadeau offert, à Patty, et par Patty, à tous ceux qui sont venus, partager cette festivité rock !

PATTY VAREN

Yeux pétillants, cheveux blonds mi-longs, micro en main, tout sourire, échancrure qui dévoile la naissance des seins, aussi sereine que Jean Bart s'apprêtant à mener, sus à l'anglois, son équipage corsaire à l'abordage, véritable maîtresse de cérémonie, rameute ses boyz comme des enfants en retard, gentiment mais avec ce zeste invisible d'autorité naturelle qui fait toute la différence. Vient du Nord comme elle s'en vantera, mais ne le perdra pas de la toute la soirée. De toutes les manières quand elle sourit, vous ne pouvez qu'acquiescer à ses moindres demandes.

AND HIS GUYZ

Sont quatre. Deux guitares, basse, batterie. Un peu mous du genou sur les trois premiers morceaux, question de réglage, c'est Boris de Kirin Dosha appelé à la batterie pour un morceau qui accomplit la soudure nécessaire. Vous black oute l'énergie en moins de trente secondes. Quand il sera parti, l'osmose se fera et la fête commencera. Deux guitaristes, Bruno le grooveur, une facilité déconcertante pour balancer le riff, Eryck spécialiste des sonorités craquelantes, surtout au moment où on ne l'attend pas. A la batterie Phil joue le rôle de l'homme orchestre, donne de l'ampleur au son, repousse les cloisons, distribue du champ et c'est cet espace qu'Alex inonde de la profondeur de sa basse. Jouent un style que j'appelle du hard mélodique, une musique qui demande énormément de puissance sonore, qui ne déploie parfaitement sa majesté que dans des salles bien plus spacieuses que le local des Sigvald's. S'en tirent bien, l'équilibre de leur jeu pallie ce manque d'étendue volumique. Et puis il y a Patty. Pose sa voix crescendo, rien ne la rebute, passe les obstacles comme si de rien n'était. Monte haut sans jamais se perdre et dérailler dans les aigus, les garz la suivent et la soutiennent, n'oublient pas d'en rajouter, s'amusent entre eux tout en restant à ses petits soins. Patty les soude et les emmène où elle veut, mais voici qu'elle laisse la place à :

SISTER MOON

Z'ont gardé Phil à la batterie. Mano, guitare en main, se plante au micro et c'est parti pour trois – uniquement trois ! - morceaux. Ne mettent pas de temps à faire chauffer la colle. Mano apostrophe l'assistance- Hey ! Hey ! Hey ! - desserre la clef à molette et c'est parti pour le rock and roll. L'a fallu un peu de temps pour installer le synthé sur l'estrade, mais on ne regrette pas, un sauvage dessus, s'appelle Rit, joue comme s'il était en rut, une gueule de caraque ébouriffée, l'a les cheveux pétardés qui partent dans tous les sens, un look à la Mink de Ville, vous martyrise une touche, une seule, juste pour que vous sentiez que votre cerveau en frétille d'angoisse, plus tard prendra son harmonica à s'en démantibuler les gencives, à la basse R-One vous pousse des flots noirs aussi impétueux que le Rhône à la fonte des neiges, Mano aboie et vous galope de ces riffs à la vitesse d'un troupeau d'antilopes. Sister Moon vous file un shoot d'adrénaline à structures zépliniennes qui vous expédie dans la lune en dix minutes. C'est là que vous vous apercevez que, contrairement à ce que soutiennent les scientifiques, les fameux cratères sont en éruption continue. Personne n'a envie de redescendre. Hélas, trois morceaux !

KIRIN DOSHA

Eux aussi sont soumis à la loi d'airain de l'infernale trinité. L'on se dit qu'avec le coup de speed asséné par Sister Moon ils n'ont pas intérêt à compter les moutons. Boris Massonnier nous rassure tout de suite. L'a préalablement scalpé la batterie de la moitié de ses toms. N'a gardé que l'essentiel : la force de frappe. Un plaisir de le regarder, l'a les bras qui bougent comme ceux d'une danseuse étoile, z'avez l'impression d'un tutu qui virevolte en apesanteur. A toute vitesse. Ce qui est surprenant parce que Kirin Dosha ne produit pas un rock'n'roll des plus rapides. Sont beaucoup plus complexes et subtils que cela. Ne cherchent pas à faire la course en tête. Possèdent un chanteur, Laurent Baup, une voix particulière, une tessiture inaccoutumée qui induit une musicalité différente. Dès qu'il ouvre la bouche, vous avez l'impression d'une chrysalide qui libère un papillon. Mikko Anquetil à la guitare et Kevin Corrie à la basse, sont comme plaqués aux nuances colorées de ses ailes chatoyantes qui prennent leur envol. Et décrivent d'étranges arabesques. Esquissent des structures inacooutumées, dessinent un monde inhabituel que vous aimeriez visiter un peu plus longtemps, mais, sont déjà en train de remballer le matos. Dura lex, sed lex.

PATTY

Patty Raven et ses boyz ont repris la piste. Mine de rien le répertoire change, davantage appuyé, l'on quitte le hard technicolor pour des morceaux plus rythmés et incisifs. Patty encore plus à l'aise, captivant l'auditoire par cette espèce de désinvolture de ces grandes dames des salons du dix-neuvième siècle qui monopolisaient par leur parole ailée l'attention de tous les beaux esprits, mais sachant mettre en valeur et prêter main-forte aux nouveaux venus. Nous présente – étaient présents dans son premier groupe à son arrivée à Paris - Chouchou – batteur gaucher de son état, ce qui nécessite une inversion des fûts - et Valérie, de noir vêtue, style mystérieuse égérie, irradiant de cette fausse élégance discrète qui attire les regards... Toutes deux nous interprètent un titre de Noir Désir, obscur à souhait, tandis que Chouchou fait preuve d'une frappe franche et sans défaut qui accentue la pointe de perversité du vocal partagé.

JAY JAXSON

Patty appelle Jay Jaxson. Pour un duo. Dos à dos. La blonde et la brune. Jay pétille de joie et de simplicité. De ces filles que l'on ne peut s'empêcher de trouver sympathiques avant même qu'elles aient ouvert la bouche. Oui mais dès qu'elle ouvre, vous filez tout doux et vous vous précipitez droit sur l'évier pour faire la vaisselle, une voix de rock et de braise, parfaite pour la ballade à grand spectacle qu'elles nous offrent et Patty qui lui donne la réplique sans effort. Un grand moment. Cherche à s'éclipser, mais non, reste seule avec – ce doit être Bruno, mais ma mémoire fatiguée ne peut l'affirmer, à l'acoustique – et c'est parti pour un blues enlevé à la coyote, rythmique répétitive précédée d'une foudre d'harmonica aux piquants de porc-épic soufflée par Jay avant qu'elle n'enchaîne, un vocal aussi cinglant que des coups de fouets. Suivront deux morceaux, Jay toute seule, s'accompagnant à la guitare, deux brûlures au fer rouge, appliquées avec un savoir-faire de bourreau cruel, d'ailleurs elle s'échappe en éclatant de rire, nous laissant sur notre faim, dans notre incomplétude. Une révélation, qui nous vient d'Australie, en Europe depuis quelques années... La grande classe. La grande claque.

BLACK PEARL

Black Pearl Band, l'autre groupe de Patty, l'en manque un, le batteur, no problem, ce n'est pas ce qui manque et la fête continue, à fond les ballons, de Born To Be wild de Steppenwolf à Highway to Hell d'AC / DC, du gros rouge classique qui tâche et qui ramone sérieusement, et Patty qui mène le bal des ardences... attention, gâteau d'anniversaire, bougies soufflées, applaudissements, bises spéciales aux Sigvald's qui ont agencé la fête et Patty demande si elle peut encore se permettre un petit morceau avec ses perles noires qui ont déjà ceint leurs guitares. Permission accordée, après tout c'est son anniversaire !

Damie Chad.

WONDERLAND / KIRIN DOSHA

Laurent Baup : lead vocals, guitars / Mikko Anquetil : lead guitars, vocals / Kevin Corre : bass, keyboards, vocals / Boris Moissonnier : drums.

Enregistrement, mixage, mastering : Sébastien Langle.

Bel artwork by Jo Design. Oeil rouge et cornes noires d'un kirin blanc – espèce de licorne chinoise à écailles dégageant une énergie ( dosha ) bienfaitrice – en lisière de pochette, comme posté à l'orée de notre monde d'une froideur bleutée mortelle. A moins qu'il ne soit au bord de l'univers merveilleux du vide accompli en sa perfection. Pochette ambigüe qui laisse à penser que dans le monde des hommes, celui qui peut se revendiquer d'une nature kirinique est d'une rareté yinique exemplaire. Quoi qu'il en soit, le message induit est à décrypter en tant qu'annonce d'un rock'n'roll qui ne brûle pas ses vaisseaux dans les flammes sans cesse renaissantes de sa propre énergie. Kirin Dosha fait partie – c'est ainsi que je le classe selon mes propres catégories qui ne sont pas celles communément admises - de ces groupes néo-progressifs qui ouvrent le livre mystérieux des légendes prophétiques du présent. Cela peut-être pour noter que le groupe que nous avons vu sur scène à la Patty Varen Party était résolument beaucoup plus primairement rock que celui donné à entendre sur ce CD.

Command and control : tout de suite la différence, l'utilisation dominante des claviers qui classicise la musique. Pas vraiment une symphonisation mais une ampleur sonore quelque peu majestueuse qui donne profondeur et ouvre les perspectives. Ensuite tout repose sur la disjonction de la rythmique et de la voix. La batterie droit devant et le vocal sur une ligne faussement parallèle qui s'écarte insensiblement de cette direction, le reste de l'orchestration ménageant pauses et étapes qui vous envoûtent et vous empêchent de vous apercevoir de cette partition germinative. Evil Twin : la mauvaise part, le reflet de l'unicité qui se donne en tant qu'annihilation de son origine, très belle prestation vocale, barde qui vaticine les grêlons de l'existence, la musique comme fission éruptive et brutale. Surrender : les chants de la déshérence, une longue mélopée interminablement échevelée, jamais finie, toujours reprise, un galop sans fin auquel vous vous abandonnez, emporté, bercé, enlevé, kidnappé, s'entrouvrent les portes d'un ailleurs inconnu, il est trop tard pour reculer, vous n'en avez aucune envie. Sentenza : plus enlevé, dans le vif du sujet, rythmique accélérée, vocal auto-comminatoire, et ces touches cristallines qui laissent présager l'accueil d'un adieu, la voix qui rampe, s'évanouit et enfle comme poche de fiel ou de ciel crevés. Choeurs éloignatifs. Blessed : la voix étirée tel un drame, tout le reste comme accompagnement qui essaie de recouvrir plaintes, paroles et espoirs, plus que le piétinement de la batterie qui s'éteint et qui renaît identique au début du premier morceau. Le cercle se referme sur lui-même de la même manière qu'il s'ouvre...

Kirin Dosha a su créer une atmosphère rockmantique qui n'appartient qu'à eux. Un beau disque pour ceux qui aiment les contes d'orichalque et de licorne unicorne.

Damie Chad.

WHEN YOU'RE GONE / THE FOUR ACES

Rock Paradise Records / RPRLP 106

( 2012 )

Faut farfouiller chez soi. C'est la semaine dernière en cherchant ce que j'avais sur les Four Aces, que je suis tombé sur ce vingt-cinq centimètres tout neuf, encore emballé dans son plastique. Religieusement classé sur l'étagère idoine et oublié là depuis cela doit faire plus de quatre ans. Plus vraiment d'actualité mais le rockabilly étant une musique éternelle, l'on s'en moque. Et puis l'occasion de faire un signe d'adieu aux Four Aces qui ont donné leur dernier concert la semaine dernière ( voir Kr'tnt ! 362 ). Avec en prime quelques photos de cette ultime prestation dues à l'œil aiguisé de Serge Viennet.

Laurent : vocal & rhythm vocal / Marc : lead guitar / Thierry : upright bass / Carlos : drum.

Won't You Stop : voix explosive et la contrebasse qui cliquette comme une crécelle de lépreux. Tout le rockabilly en cette entrée fracassante et toute la suite, la batterie qui grogne en chien méchant qui n'aime pas que l'on s'approche de sa gamelle, un solo de guitare à vous faire tirer dessus par un sniper, pourvu que ça n'arrête pas. Hélas si ! Goin' Strong : pour reprendre aussitôt. Guitare grondante, voix menaçante, batterie hébétante et contrebasse rebondissante. Laurent hausse et ralentit le débit de sa voix comme l'on négocie un virage mortel juste pour que la passagère se serre encore plus près de vous. Chaleur animale. My Baby's Gone : l'a dû avoir trop peur, à la fin de la croisière elle a claqué la portière et s'est tirée de la tire. Pour le blues vous repasserez, juste l'occasion d'être encore plus épileptique que sur les morceaux précédents, les Four Aces quand ça pique ils n'ont pas de coeur. Vous laissent sur le carreau mais c'est beau comme un trèfle à quatre feuilles. Tell Me Baby : avec les filles faut mettre les points sur les I, Marco vous poinçonne le boulot sur sa guitare de main de maître. Quant à Laurent il vous la briffe direct pendant que Thierry et Carlito en rajoutent par derrière. Envoyé de mains de maîtres. I'm Out : atones les Four Aces ? Vous voulez rire, n'ont jamais été aussi in. Un festival instrumental, et Laurent vous remue la salade vocale d'une bien belle manière. When You're Gone : quand la souris est partie, les chats dansent. Pour la dépression, disons que le mental est au plus haut, vous avez Marco qui bouscule les meubles, Laurent qui s'accroche au lustre, Thierry qui tambourine sur la porte et Carlito qui vous siffle les verres de jack à tire larigot. Une espèce de tourbillon à la derviche tourneur, mais frénétique. What Can I Do : l'interrogation métaphysique. Savent très bien ce qu'il y a à faire. Du rockabilly explosif avec des trombes de contrebasse des éclairs de guitare, des hachis de drum et des persillades de vocaux au vitriol. You'll never stop : ces gars-là ne sont pas partis pour s'arrêter, le proclament bien fort, et chacun y va de son bâton de dynamite pour vous en persuader. Y réussissent très bien. Avec une facilité déconcertante. Leaving On My Mind : le côté moqueur rockab, Laurent nasille et les trois autres frétillent du hillbilly, l'on étire le solo de guitare, la upright dodeline de la tête, et Carlito vous sautille le rythme, genre canasson qui clopine pour regagner l'écurie après avoir sailli trois juments dans le pré. Good Show no Go :

Bon rockab ne saurait mentir, les cats n'engendrent pas des demi-portions, se régalent de jouer les méchants, vous le font à l'intimidation, pour un peu vous auriez peur, mais non sont trop bons pour les coups tordus. Emportent la décision comme le corbeau le fromage. Vous laissent tout penauds quand ils arrêtent les frais ( après avoir été si chauds ! ). Une seule solution remettre le disque !

Une petite merveille ce mini trente-trois se révèle être un grand album. Que du rockab, mais jamais d'ennui, vous le déclinent comme les milk-shake, à tous les parfums. A chacun sa saveur. Et vous vous sentez obligé de les goûter tous.

Damie Chad.

JOHNNY HALLYDAY

Rock & Folk / Hors-Série N° 36 / Janvier 2018

Rock & Folk, la revue, n'avait offert que quelques photographies inédites pour rendre hommage à Johnny, dans sa livraison de janvier. Peu, si l'on compare au tsunami de numéros spéciaux consacrés à l'artiste par des canards ( souvent boiteux ) pas spécialement célébrés pour l'intérêt qu'ils portent habituellement à la musique en général, et au rock'n'roll en particulier... On nous avait prévenus, l'on mettrait les petits plats dans les grands un peu plus tard. C'est à la mi-février que le festin a été livré dans les kiosques. Service minimum. Pas de branle-bas généralisé dans la cambuse. L'on n'a désigné qu'un grand-chef. Pas n'importe lequel, le maître-queue spécialiste du old style. Jean-William Thoury. Difficile de trouver mieux. Y a bien dû y avoir une armée de marmitons – les petites cuillères - qui ont disposé les photos sur la maquette et veillé à lisser les titres, mais c'est tout. N'a pas eu le temps de jouer les touristes, Thoury, idem pour les grandes réflexions et les mises en perspectives. L'est parti du principe qu'un chien écrasé n'était qu'un chien écrasé. Tant pis pour ceux qui aimeraient connaître sa race, sa taille, sa couleur, son pédigrée, le nom du conducteur, la marque de la voiture, et qui s'interrogent sur si l'acte était prémédité, intentionnel, la bête est-elle morte sur le coup, a-t-elle souffert, on s'en fout, idem pour le chagrin de la petite fille sur le trottoir devant la marre de sang. Non, les faits bruts, dans leur sécheresse. Un chien écrasé. Point. Passons au suivant.

Ce qu'il y a du bien avec Hallyday, c'est que les clébards crevés au bord de la route, l'en a laissé des tonnes. Jean-William il écrit un numéro spécial, pas La Recherche du Temps Perdu. Pas une minute à s'attarder. L'a tordu le cou au lyrisme. Style télégraphique. C'est que Johnny, l'a pas roupillé ses journées dans sa chaise-longue à feuilleter des magazines, l'était pas du genre à passer trois jours sur sa pelouse à chercher des trèfles à quatre feuilles. L'a chanté, aimé, baisé, bu, descendu les rivières en radeau, s'est battu, a voyagé un peu partout, tourné des films, fait de la moto et du théâtre, disputé des rallyes automobiles, donné des concerts, enregistré des disques, vaudrait mieux lister tout ce à quoi il n'a pas touché, ce serait moins long. Jugez-en par vous-mêmes, tout compris, textes, photographies, gros titres, Jean-William Toury est arrivé à remplir cent pages. Gros boulot. Belle compilation.

N'empêche que l'on reste sur sa faim. On attendait au minimum une beau cuissot d'éléphant, un pantagruélique plat de résistance, sept ou huit desserts plus les îles flottantes et leurs océans de crème au beurre, et l'on n'a eu à becqueter que les petits fours de l'apéro. En gros, expression mal venue, l'on a eu la madeleine, mais les rallonges de Proust elles sont restées dans l'encrier.

Pourtant ce ne sont pas les facettes qui manquent, Johnny vous pouvez l'aborder par tous les côtés... l'on dirait que Rock & Folk a évité les sujets qui fâchent. Les faits, rien que les faits, permettent de ne pas prendre position. Prudence avant tout ! Surtout ne pas décevoir une partie de nos lecteurs, difficile d'établir un consensus entre les fans inconditionnels de Johnny et ceux qui ne le calculent même pas. Adoration ou mépris, ne pas choisir. L'on eût aimé autre chose. D'un peu plus rock'n'roll !

Damie Chad.

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