Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/09/2019

KR'TNT ! 428 : DON CAVALLI / DONNIE FRITTS / ROCKABILLY GENERATION / BENNY & THE FLYBYNITERS / HANK'S JALOPY DEMONS / GAËL MEVEL + MICHAËL ATTIAS / TOM WOODS / SO LUNE / EDREDON SENSIBLE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 428

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

05 / 09 / 2019

 

DON CAVALLI / DONNIE FRITTS

ROCKABILLY GENERATION NEWS # 9

BENNY & THE FLYBYNITERS

HANK'S JALOPY DEMONS

GAËL MEVEL + MICHAËL ATTIAS

TOM WOODS / SO LUNE  

EDREDON SENSIBLE

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Un bon Cavalli n'est jamais le dernier

 

Voir arriver Don Cavalli sur la petite scène de la Place du 73e, c’est un peu inespéré. L’air de rien, le voilà devenu légendaire, sur la base de quelques albums et de quelques interviews de ci de là. Mais surtout sur la base d’une voix. Et quelle voix ! L’homme paraît modeste, on pourrait même presque dire timide, en tous les cas, il ne la ramène pas. Il est là pour le purisme et c’est exactement ce qu’on est venu chercher à Béthune : un brin de purisme. Don Cavalli nous en sert une heure entière sur un plateau d’argent. Il gratte ses coups d’acou du pouce et ses amis siciliens jouent le bop le plus délié qu’ait jamais imaginé la Cosa Nostra. Fantastique conglomérat d’attitude, de mesure, de véracité et de Cavallisme. Il fait tellement la différence qu’il sonne comme un vieux requin du rockab sur le retour. Il a pris un petit coup de vieux, c’est vrai, mais quelle présence ! Il porte du blanc et attache sa gratte avec une ficelle, comme on savait le faire dans les mines de cuivre du Kentucky, au début du siècle d’avant. Don Cavalli ne pointe pas sa gratte vers le sol comme tous les autres, mais vers le ciel. Il fait la différence, mais n’en fait pas exprès. Chez lui, le purisme est quelque chose de naturel. Son batteur sicilien porte une casquette de capitaine à la Humphrey Bogart et joue comme un dieu, tout en retenue et au fil d’un swing-along qui en dit long sur sa baie d’Along. Quand Don le présente au public, il dit de lui qu’il est passé du grade de capitano à celui de commandante. Touché par le compliment, le commandante hoche la tête respectueusement. Il règne dans cette équipe quelque chose de particulier, une atmosphère de frères de la côte à la Mac Orlan. D’ailleurs, le guitariste haut et sec comme un cep de vigne semble sortir d’un bar mal famé de Marsala, avec ses faux airs de Robert Mitchum, ses boucles d’oreilles et sa clope au bec. Don indique que le slappeur des Banjeras vient d’Australie, mais il ressemble vraiment à l’un des bras droits de Toto Riina. Comme il s’adresse à un public de fans, Don Cavalli se fend d’une belle reprise du «Bottle To The Baby» de Charlie Feathers. Dans l’interview qu’il accordait à Dig It en 2016, Don explique qu’il a enregistré des reprises de Charlie Feathers au moment de sa disparition en 1998 («Cold Dark Night», «Early In The Morning» et «Let’s Live A Little»). Du coup, on l’a catalogué comme le ‘nouveau Charlie Feathers’ alors qu’il n’aimait pas trop se voir cataloguer. Des albums comme Cryland et Temperamental nous montrent à quel point Don Cavalli est un esprit libre, donc pas question de se retrouver au fond d’un bocal. Il insiste beaucoup sur cette notion de liberté. Comme il ne vit pas de sa musique, il bosse comme jardinier. Don Cavalli se moque du look fifties et des clichés. Ne l’intéresse que le feeling et ce que doit ressentir un chanteur derrière son micro, qu’il s’agisse d’un sentiment d’amour ou de désespoir. Et c’est exactement ce qu’on voit sur scène. Don Cavalli ne se contente pas d’interpréter, il hante ses chansons, donne de la voix quand il le faut, mais descend aussi chercher ses vieilles tonalités rocailleuses, telles qu’on les trouve dans De Profundis. Il est avec Jake Calypso le plus américain des Européens. Cette extrême rigueur - on pourrait presque parler d’austérité dilettante - fait sa singularité. Ce set de rêve se termine vers minuit. Il revient en rappel chanter son nouveau single, un cut tellement hot qu’il s’étrangle presque de rage.

À la façon dont il coince sa clope au bec sur la pochette d’Odd & Mystic, on voit que Don Cavalli ne plaisante pas. On sent dès «Cursed Day Stomp» un énorme souffle rockab. On croirait entendre Sandford Clark. Quel admirable rootser d’Americana ! Il enchaîne avec un fantastique jump roll de honky-tonk intitulé «Hard Working Blues», bien pulsé par le hot slap de Kalle Victor. Mais c’est avec «Yellow Moon Is Risin’» que tout explose, Don Cavalli chante ça dans l’âme de l’essence, c’est battu à la sourde et bardé du meilleur bop. Ce Don est un don du ciel. Il tape plus loin un «Railroad Special» au hot on heels, il choo-choote sa gratte et passe au croack de crocro pour «Don Cavalli’s Blues». Il presse sa voix comme une boule de pus et ça gicle dans le micro. Ce mec crée de l’événement en permanence. Il va droit au but avec «Morphine», il chante à la bonne défonce, à l’elastic du roots ethic. Il chante d’une voix toujours pleine, il croone son croak de crac dans «Life’s Too Long» et va chercher ses meilleurs accents pour évoquer God dans «God Said No».

De Profundis est un album qui a nous a tous laissé le souvenir d’une grande âpreté. Sur la pochette, Don Cavalli porte un bleu de chauffe et il nous gratte dix cuts à l’ongle sec sur sa douze d’hobo rider. Il chante en plus dans un micro de guimbarde, alors forcément, il bat tous les records de dépenaille. Il joue son «Row And Ruck» au claqué de Mathusalem avec un délié de travailleur des champs. On pourrait qualifier ça de backwood jive florentin. Il se tape en toute impunité un bon coup de boogie blues avec «Myriam». Don Cavalli se montre une fois encore digne des hillbillys les plus obscurs des Orzak Mountains. Mais trop de véracité peut jeter le trouble en eau trouble. Il passe en B au country blues de derrière les fagots du delta avec «Arguments And Alibis» et réussit presque à nous tétaniser avec «King Jesus (Of Nazareth)» : il gratte sa mandoline de gondole à l’extrapole de roosty rootsah. Il envoie là le plus fantastique shoot d’agnostic shuffle de douze qui se puisse imaginer. On le voit ensuite gratter «I Ain’t Jealous» comme s’il sortait d’un coin paumé de l’Arkansas, un de ces coins à la ramasse de la pire rascasse, du type de ceux où sont nés Johnny Cash et Al Green. Au dos de la pochette, on retrouve des faux airs du Michel Bouquet jeune dans le portrait de Don Cavalli. Il dégage la même impression de puritanisme exacerbé. Et dans l’interview pour Dig It, il indique qu’il a enregistré l’album sur deux magnéto-cassettes, «sans écho, sans son à la Sun», il dit vouloir aller vers le dark rockabilly, «là où blues, rockabilly et Soul ne font qu’un». Ce mec a tout compris, il nous ramène aux origines du mythe, à l’époque où Obie Patterson enseignait la guitare à un jeune blanc-bec nommé Charlie Feathers.

C’est Lenox, label de la mythique boutique de la rue Legendre, qui fit paraître Carmela en 2003. Cet album est un véritable classique du rockab. On trouve à l’intérieur du boîtier une petite photo en noir et blanc de Don Cavalli sur scène, tout seul avec sa gratte. Quel album ! Il chante «The Creature Returns» avec l’art de la manière. Il va chercher le meilleur gras de ton. Il n’en finit plus de sonner juste. Le coup de génie de l’album s’appelle «Claustrophia Blues». Il hoquette à merveille, comme Charlie Feathers. Il chante comme un hippocampe, fier et droit, et sort les meilleurs effets du genre. Il fait la fête avec «Make Her Mine», poussé dans le dos par le meilleur beat de bop buté. Il tape «Hey Hey Baby» à l’insistance du Tennessee, avec le slap au ventre. Rockab forever ! Tout ce qu’il fait sonne juste. En fait, il est comme Saint-Just, il ne pardonne pas. Il fait avec «You Never Can Vie With My Baby» une véritable dentelle de véracité agnostique. Le voilà à la gare avec «Standing On The Platform». Il s’y montre effarant de patience américaine, il gratte en attendant le freightrain. Puis il nous embarque à fond de freightrain dans cette valse de non-hésitation qu’est «Two Timer». Un vrai délire de hey go man, pulsé au petit bonheur la chance du pur wild rockab. Il chante son «Coffee Baby» comme un crac, il y ramène toute l’exaspération des géants du rockab. Il reste dans l’excellence du hiccup avec «Crazy Blues». On peut lui faire confiance pour le going crazy, il sait de quoi il parle. «Curtain Call» sonne comme un honnête shuffle de country jive, ce diable de Don does it right. Il est de toutes les combines, le western swing de mad redneck comme le blues de cabane branlante. Il sait mélanger les genres. Il tape «Swing Duck And Uppercut» au laid-back du Tennessee avec un épouvantable swagger. Ça se corse encore avec «Who’s Baby Are You Baby» gratté au meilleur avenant, sévère et bien secoué au who’s baby. Hit de juke idéal ! Il avale le rockab à la goulée. Il allume autant que Carl Perkins. Toute la fin de l’album est hot on heels. «Hey Charmin’» vaut tous les classiques du genre et il bat encore des records de sauvagerie avec «Your Brands On Me». Hot as hell !

Ne vous fiez pas au psychédélisme de la pochette de Cryland. C’est un album d’une incroyable modernité. «Gloom Uprising» commence par dérouter, avec un son extrêmement original, mais on sent toute l’énergie rockab dans le fond du son. Une wah pouette dans le jardin magique de la pochette. Il chante à la tension du Tennessee. Le son captive et déroute en même temps. Nous voilà donc conquis. Dans le Dig It Interview, Don Cavalli dit avoir découvert un jour la wah en studio. Wah ? Wow ! Il revient à son cher boogie de cabane branlante avec «I’m Going To A River». C’est tout simplement terrifiant de véracité. Il chante «Aggression» d’une voix ferme et grasse qui rappelle celle d’Elvis. Même genre de swagger. Avec en plus le bouquet des enfers du vieux guitar man. Plus loin, il fait son bal Cajun du 14 juillet avec «Vengeance». Il chante au décalé du beat et ça couake à l’harmo. Stupéfiant de fraîcheur mentholée ! Don sort sa wah pour le bal. Il bouffe à tous les râteliers d’Amérique avec un égal bonheur. Il reste chez les Cajuns avec «Cherie De Mon Cœur». Il le fait à l’effrénée, il sait le faire, mon cœur est malade, il se traîne dans le crouilli-crouillah du bayou - Chérie de mon cœur/ Come back to me - Tout l’album tape en plein dans le mille. Il passe au heavy blues avec «Here Sat I (Off Jumps The Don)», avec de la wah à gogo et redescend au fond du galimatias mississipif avec «Vitamin A». Il est dessus systématiquement. Il fait du morceau titre un royaume de wah en réverb et crée de nouveau la surprise avec «New Hollywood Babylon». Il sort sa meilleure cocotte pour l’occasion. C’est frais et léger comme un bonbon de Saint-Hubert. On croirait entendre chanter un black blanc. Il chante du groin comme Bobby Blue Bland dans «Wonder Chairman» et attaque le boogie rock de «Casual Worker» à la racine. Il sort là le meilleur rumble des bois du Bible Belt. Il termine avec un «Summetrime» qu’il prend par dessus la jambe et nous gratifie au passage d’un killer solo qui nous laisse tous pantelants. Encore un album qui va tout seul sur l’île déserte. Même si comme le rappelle Don Cavalli, des soit-disant puristes ont détesté l’album au point d’aller lui cracher à la gueule.

Il continue d’expérimenter des sons avec Temperamental paru en 2012. Comme l’album précédent, celui-ci fourmille de surprises, à commencer par le morceau titre d’ouverture, une sorte de heavy funk de wah. On sent un appétit vorace d’innovation. Don Cavalli jour son va-tout avec un sens aigu du claqué de wah exacerbé. Il ne tient plus en place, il fait son funkster et lance des oh yeah d’antho à Toto. Pendant quelques cut, on commence à douter de Don. Il reste dans le Soul-funk pour «Garden Of Love» et passe à l’exotica chinoise avec «Me And My Baby». Un certain Vincent Talpaert bassmatique comme Bootsy Collins. Attention à «Santa Rita» ! Don charge sa barque de synthé chinois et ça porte à confusion. Il rétablit la confiance avec «The Greatest» et ses grands coups d’harmo. Une chinoise chante et ça prend soudain du sens : Chinese Rocks avec du banjo, pas de mélange plus explosif ! Il chante ensuite «Voice Of The Voiceless» à marche forcée. Il agit en rock star, il entre sans ménagement dans ses chansons, c’est ultra-orchestré et il devient héroïque. Il faut vraiment écouter Don Cavalli, car rien de ce qu’il fait ne laisse indifférent. Il revient au Cajun de kazoo avec «You And My Zundapp». Fantastique retour aux sources, il remonte dans la légende des siècles, c’est tout le génie de Don Cavalli, la capacité d’évocation. Il ramène du passé un son perdu. Avec «Birthday Suit», il passe en mode heavy country, mais vraiment heavy. Ce mec fait tout à l’envers, avec un bassmatic infernal qui démolit tout. Le voilà qui s’amuse à démolir la country. Un vrai gosse. Il chante avec une candeur désarmante. Quel coup de génie ! Rosemary Standely vient duetter avec lui sur «Say Little Girl». C’est assez demented, d’autant que Don lui déroule une sorte de tapis rouge, alors ça vire au duo des enfers. Rien d’aussi merveilleusement weird sur cette terre. Comme il aime bien ramer, Don boucle avec «Raw My Boat». Il y fait un peu n’import quoi, comme s’il voulait ruiner son album.

Pour se remonter le moral, on peut revenir un instant au Dig It Interview, car Don Cavalli évoque ses disques préférés. Il commence par recommander les Stanley Brothers, un duo de bluegrass américain, puis Bill Monroe et les Delmore Brothers que chouchoutent aussi les fans de country. Il saute du coq à l’âne avec Burning Spear, en expliquant que les racines du blues et du reggae sont identiques. Il cite ensuite les Staple Singers, O.V. Wright. On sent le bec fin. Il se prosterne aussi devant le premier single de Jerry Lee, «Crazy Arms», allant jusqu’à dire que c’est le meilleur et rend un bel hommage à Django Reinhardt. Il aimerait bien aussi parler de Bo Diddley et de Son House, mais comme il le dit si bien, ça ira pour l’instant !

Signé : Cazengler, Don Casanis

Don Cavalli & His Banjaras. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

Don Cavalli. Odd & Mystic. Tail Records 2001

Don Cavalli. De Profundis. White Heat 2003

Don Cavalli. Carmela. Lenox Records 2003

Don Cavalli. Cryland. A Rag 2007

Don Cavalli. Temperamental. Because Music 2012

Interview Don Cavalli par Philippe Migrenne. Dig It # 67 - Mai 2016

 

Donnie a la fritte

 

Donnie Fritts a longtemps écumé la frontière. Il porte des vêtements éculés par la routine des bivouacs et rapiécés à cause des trous de balles. Une cartouchière lui barre la poitrine et ses bottes n’ont plus des bottes que le nom. Assis sur un banc, il fume son cigarillo en scrutant l’horizon. C’est ainsi qu’on le découvre sur la pochette de Prone To Learn, un album Atlantic paru en 1974. Très bel album, aussi solide que son poney apache et son fusil Springfield à huit coups. Il ne perd pas son temps à palabrer et attaque aussi sec avec un rock d’Alabama intitulé «Three Hundred Pounds Of Hongry». C’est du pur jus de Southern rock finement cuivré. Que de son et que de beat ! Jimmy Johnson et Eddie Hinton font partie du gang, donc ca donne la fritte à Donnie. David Hood et Roger Hawkins sont aussi de la partie. Tous les amigos sont là, y compris Rita Coolidge, Billy Swann, Dan Penn, Jerry Wexler et Kris Kristofferson. Il règne ici une très chaude ambiance. S’ensuit un «Winner Take All» co-écrit avec Dan Penn. On sent sa patte, on sent cette magie finement teintée d’orgue. «You’re Gonna Love Yourself» sonne comme le balladif idéal, car très décontracté. Donnie Fritts joue la carte du soft Southern drawl, celui du petit matin en lisière du bois. Cette équipe de desperados a suffisamment de talent pour pouvoir capter les moments magiques de la journée. En B, Tony Joe White radine sa fraise sur «Sumpin’ Funky Going On». Nous voilà plongés dans la torpeur du swamp, Tony Joe joue lead sur ce boogie-funk vermoulu, bien spongieux sous les pas. Ils duettent à un certain moment, with a smile on my face. S’ensuit un heavy country-funk d’Eddie Hinton, «Jesse Cawley Sings The Blues», bardé de steel guitar et de piano, admirable brouet de bastringue de saloon alabamien. Le morceau titre est un cut de Kris, c’est-à-dire un folk-rock solidement enraciné dans le Muscle Shoals Sound. Ah comme ces mecs sont bons avec leur big sound. Et toute cette belle aventure se termine évidemment avec «Rainbow Road», le hit de Dan & Donnie, the absolute beginners.

Encore un coup de Jarnac avec cet Eveybody’s Got A Song paru en 1997 ! Dan Penn fait partie de l’aventure. Il chante avec son vieux poto Donnie «Hello Memphis» et on peut bien dire qu’ils chantent comme des cracs. Lee Roll Parnell passe un sacré solo de slide. Quel swagger ! Ils sont les rois du monde le temps d’une chanson. Donnie duette ensuite avec Tony Joe White sur «Shot End Of The Stick». Derrière, Dan gratte ses coups d’acou et Eddie Hinton se joint à la fête. On sent très vite qu’on entre dans un cercle magique. Waylon Jennings et Reggie Young viennent accompagner Donnie sur «A Damn Good Country Song». Waylon prend le lead. Quel duo de rêve ! Il faut se souvenir que Donnie et Eddie Hinton ont co-écrit «Breakfast In Bed». Lucinda Williams vient le chanter. Royal ! Elle est dessus, avec son swagger demented. Elle reste la meilleure sugar babe du Deep South. Elle swingue sa dégoulinure avec beaucoup d’allure. Lucinda est encore à cette époque une chanteuse de rêve. Mais avec le temps, elle perdra le sucre de sa voix. Encore du Donnie/Eddie avec «Ten Foot Pole» tapé au big heavy Soutnern Sound. Eddie chante avec Donnie, ils s’entendent comme larrons en foire. C’est inespéré. Ces blancs jouent le Southern spirit à la manière des blackos, et en prime, on a des solos de rêve. Donnie tape dans la nostalgie avec «We Had It All», il pense au temps béni des jours heureux. C’est l’un des slowahs les plus destructeurs de l’histoire du rock. On ne se remet jamais d’une histoire extraordinaire avec une femme. Jamais. Puissant Donnie Fritts. Il pousse bien le bouchon dans la rondelle des annales. S’ensuit un «Better Him Than Me» joué à la slide féroce et gratté aux accords de deep deepy. Donnie Fritts chante tout à l’inspiratoire patentée. Il termine avec le morceau titre et le vieux Kris Kristofferson vient duetter. Les vieux cowboys mélangent leurs voix comme dans Brokeback Mountain.

On se souviendra d’Oh My Godness pour sa profondeur. Donnie démarre son album avec «Errol Flynn», un joli groove de vieux crabe du marigot. Il nous plonge dans une ambiance de cabane branlante. Il chante son «It’s Really Gotta Be The Way» d’une voix de mineur cacochyme et c’est très impressionnant, au sens rootsy de la chose. David Hood allume «Memphis Women & Children» avec l’une de ces basslines dont il a le secret. Ça vibre sous le casque. Ces mecs sont des fous. Nous voilà au cœur du Memphis beat et Donnie chante comme un white niggah. Il revient au heavy groove de Southern guy avec «Tuscaloosa 1962». Les mecs qui accompagnent Donnie jouent comme des rois du bayou et Donnie chante avec une niaque incomparable. On sent chez lui le vieux cowboy bourré de talent. Il passe par des country-grooves et enfonce ses clous dans le Golgotha. Il faut le voir faire son Doctor John dans «Good As New» - I must confess I was a mess - Fantastiques clameurs ! C’est fouetté du beat, étonnante ambiance, aux confins du fantastique de la Nouvelle Orleans. Ce diable de Donnie explose l’art majeur de Doctor John à coups de clameurs de chœurs et de solos métalliques. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il fait aussi une version surprenante de «Choo Choo Train». Il la groove et David Hood la dévore toute crue avec sa bassline. Version monstrueuse - But you see my baby/ Is waiting at the station - Il joue ça à l’admirabilité des choses - So give me a mittle more acceleration - Southern genius ! Il l’explose, eh oui. Il revient faire son Doctor John dans «Oh My Goodness», avec un appétit d’alligator. Il n’en finit plus de mâcher ses chansons.

Pour la petite histoire, sachez que Donnie est un vieil admirateur d’Arthur Alexander et qu’il veillait sur sa carrière au temps béni des années soixante-dix. Il vient juste d’enregistrer un hommage à Arthur qu’il appelle June : June (A Tribute To Arthur Alexander). C’est un album délicat et sensible, à l’image du «June» d’ouverture de bal. Donnie y raconte toute l’histoire de June, dans un bel esprit intimiste - He was my brother/ Oh what a blessing/ That good friendship/ Oh how I miss my good friend June - Avec «All The Time» (co-écrit avec Arthur), Donnie passe à la Beautiful Song. C’est d’une beauté fantastique, le doo-idley-doo bat tous les records de prestance sculpturale, c’est à la fois admirable et humain, un truc de beaux mecs, on sent venir une apothéose. C’est quasiment la même magie que celle de Dan Penn. Même veine. Tiens, quand on parle du loup : voilà «I’d Do It Over Again», co-écrit avec Dan Penn. Ça se sent dans l’immédiateté du coulis de chèvrefeuille. Les senteurs enivrent. Encore un hit co-écrit avec Arthur : «Thank God He Came». Cette fois, Donnie tape dans la ferveur du gospel batch. C’est à la fois puissant et bienvenu, complètement descendu du piédestal. On assiste en fin de cut à une belle explosion, les filles sont folles. Donnie finit l’album avec «Adios Amigo». On reste dans l’esprit des grands cuts de Deepers inspirés du gospel. On est chez ces blancs fascinés par le peuple noir et conscients de ce que les malheureux nègres ont pu endurer dans les états du Sud. Aw Lawd, comme les blancs ont été odieux avec tous ces pauvres nègres ! Donnie reprend bien sûr l’énorme hit d’Arthur, «You Better Move On» dont s’étaient repus les Stones. Donnie frise un peu le Tom Waits, mais heureusement, il ramène son petit deep southern drawl dans le fond du still you beg me to set her free. «Come Along With Me» vaut aussi pour un cut d’une fantastique ampleur catégorique, c’est du deep Southern Soul de la pire espèce, solid as hell. Et puis on croise aussi ce «Lonely Just Like Me» d’Arthur qui sonne un peu comme «You Better Move On». Toute la grâce alexanderienne est là : il tourneboule le mambo africain dans l’été de la pop américaine. Mine de rien, ce diable d’Arthur fit remonter tous les remugles du bonheur africain datant d’avant les blancs.

Comme il a failli mourir à cause d’un kidney malade, Donnie s’est fendu d’un One Foot In The Groove. Il joue sur les mots. Il fait du foot in the grave un foot in the groove et c’est tout à son honneur. D’ailleurs Tony Joe White l’accompagne sur le morceau titre. D’autres copains sont là : David Hood on bass et Spooner on keys. Et petite cerise sur la gâteau, Dan Penn produit l’album. Alors on y va les yeux fermés. C’est d’ailleurs Dan qui signe «She’s Got A Crush On Me», un balladif inspiratoire nappé d’orgue par Spooner. Il co-signe aussi «Chicken Drippings», mais on revient aux choses extrêmement sérieuses avec «Across The Pontchartrain» : Tony Joe White et Wayne Jackson radinent leurs fraises pour un coup d’épée dans l’eau du lac. Le vieux Wayne envoie ces coups de trompette dont il a le secret. Atmosphère pesante et Tony Joe claque ses notes magiques. Donnie nous refait le coup du white nigger dans «Don’t Beat Around The Bush». Ça sonne comme un vieux hit de Wilson Pickett, oui, on se croirait au temps de Muscle Shoals, tellement c’est bien foutu. Clayton Ivy vient jouer du B3 sur «Robin In The Rain». Donnie en impose encore, avec sa religion de la Soul fêlée. Clayton joue comme au temps béni de Percy Sledge. Quelle puissance ! Donnie nous propose plus loin un très beau balladif d’Americana avec «My Friend», c’est noyé d’orgue et signé Spooner. Mais c’est avec «Huevos Rancheros» que tout explose. Wayne Jackson y fait son mariachi. On entend Billy Swann dans le background. Quel fabuleux shake d’Americana de la frontière ! Avec Doug Sahm, ces mecs sont les plus habilités à jouer de l’Americana. No problemo hombre ! On se croirait dans le Pat Garrett de Sam Peckinpah, dans lequel Donnie a d’ailleurs tenu un petit rôle. Il finit cet excellent album avec un «Nothing Stays The Same» bien salé de cuivres. Toute la bande est là et encore une fois, on se croirait à Muscle Shoals. Donnie chante ça de main de maître.

Il a fini par casser sa vieille pipe en bois. Il faisait partie de la vieille garde de Muscle Shoals du temps de Rick Hall, l’époque des pionniers du son, pourrait-on dire. Un temps où dans ce modeste studio d’Alabama, des petits culs blancs lançaient les carrières d’Arthur Alexander, de Candi Staton et de Clarence Carter, pour n’en citer que trois. Dan Penn et lui composaient ensemble, puis à un moment donné, Donnie s’est tiré à Nashville, avant de devenir pendant quarante ans le keyboardist de Kris Kristofferson. Il ne reste plus grand monde aujourd’hui de cette vieille garde mythologique, seulement Dan Penn et Spooner Oldham, c’est-à-dire les chouchous des amateurs éclairés.

Signé : Cazengler, fritte-saucisse

Donnie Fritts. Disparu le 27 août 2019

Donnie Fritts. Prone To Learn. Atlantic 1974

Donnie Fritts. Eveybody’s Got A Song. Repertoire Records 1997

Donnie Fritts. One Foot In The Groove. Leaning Man Records 2008

Donnie Fritts. Oh My Godness. Single Lock Records 2015

Donnie Fritts. June (A Tribute To Arthur Alexander). Single Lock Records 2018

 

ROCKABILLY GENERATION NEWS N°9

AVRIL-MAI-JUIN 2019

 

L'est sorti en retard, est arrivé à la maison en juillet alors que j'étais parti en vacances, ce qui explique que le N° 11 devrait survenir très vite en ce début de mois de septembre. Sa couverture flamboyante est déjà visible sur le FB Rockabilly Generation News.

Génération pionniers : ce coup-ci c'est Ritchie Valens qui ouvre le bal, hélas funèbre. L'on peut se demander qui se souviendrait de Ritchie aujourd'hui s'il n'avait pas disparu dans l'avion qui emporta Buddy Holly et le Big Bopper. Interrogation insidieuse qui risque de me valoir quelques ennemis. Pour me dédouaner j'ajoute que lorsque je suis parti de la maison parentale, mon père en a profité pour faire main basse sur mon 33 Tours de Ritchie que j'ai retrouvé bien plus tard dans sa collection. M'avait aussi chouravé In The Ghetto d'Elvis, mais ceci est une autre histoire.

Belle gueule de Johnny Fox sur la couve. Mais le meilleur c'est la longue interview opérée par Bryan Katz qui permet à Johnny Fox de retracer cinquante années de carrière au service du rock'n'roll. Le pire c'est que l'on ne voit pas défiler les pages et nous sommes à la moitié du numéro lorsqu'elle se termine. Pas de regret, Johnny Fox épanche ses souvenirs de vieux renard qui a écumé les meilleurs poulaillers de Grande Bretagne ( et d'ailleurs ). Fut avec Cavan un des piliers du revival Ted des années soixante et soixante-dix. Sa formation, the Riot Rockers est légendaire. Mais ce n'est pas fini, nous les retrouvons, de nouveau réunis au St Gordon Festival de novembre 1918. Remarquez la date, il faudra qu'un jour RGN double ses pages pour suivre au plus près l'actualité du rockab par chez nous.

Deuxième partie de l'article du numéro 8 de la séquence New Generation, suite de l'interview du jeune Alexandre Lucet qui a apporté le sang neuf de sa jeunesse aux Vinyls, comme quoi le premier rock français des années 60 suscite encore des frissons.

Thoury reste un rendez-vous incontournable du mouvement Ted français, Rought Boys en ouverture, les Southerners restent fidèles à leur grandeur, Graham Fenton met le feu avec sa Matchbox originale, les Teencats clôturent la fête mais Stig Rune Reiten gravement malade n'est pas au mieux de sa forme.

Fabrice Birin n'est pas chanteur mais pyrograveur. Grave sur bois les portraits des idoles rock. A lire et à admirer. Les dernières nouveautés disques et déjà la fin du groupe de Miss Victoria Crown. Nous rajoutons l'annonce du split des Wise Guyz qui firent la couve d'un des premiers numéros de Rockabilly Generation. Cette neuvième mouture - très agréable à lire – se termine par un lot de photos de Sergio Katz. Avec un peu de chance nous chroniquerons le N° 10, dans notre 429° livraison.

Damie Chad.

 

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

 

30 / 08 / 2019 - TROYES

3B

BENNY & THE FLYBYNITERS

HANK'S JALOPY DEMONS

 

Dernière ligne droite avant le 3B, le moteur de la teuf-teuf rugit, mais quels sont ces zigotos qui débarquent d'une camionnette et entreprennent de barrer la route à l'aide de grosses briques plastifiées, serait-ce un concert surprise du Pink Floyd ? caramba ! j'improvise un 90 degrés sur la droite, coupe direct la file de tacots qui foncent sur moi et atterris sur le parking salvateur, me reste plus qu'à rejoindre le 3B à pieds. Caramba bis ! Y mettent du leur, j'ai affaire à de méchants obstinés, sont maintenant une cinquantaine à bloquer le rond-point, plus des gros engins de chantier et des camions mastodontes qui squattent tous les embranchements. Refont la chaussée, l'accès au 3B est coupé de toutes parts jusqu'à six heures du matin !

Z'en tout cas le monde afflue au 3 B, à pattes ou en empruntant les sens interdits, en marche arrière pour les plus vicieux, la vaste terrasse se remplit d'habitués, motos, belles américaines et même un superbe hot-rod envahissent les trottoirs, la soirée sera chaude, deux groupes venus d'Australie, et pastèque sur le clafoutis, Béatrice la patronne annonce que ce soir, c'est le centième concert du 3 B !

BENNY AND THE FLYBYNITERS

L'est imposant Benny, d'autant plus qu'à ses côtés ses acolytes n'arborent pas non plus des silhouettes fils de fer, pour le moment il se contente de parler en cet idiome anglais que tout le monde adore mais que personne ne comprend, finit par déclarer que les Flybyniters sont un groupe de Rhythm'n'blues. Hop ils enchaînent sec sur un instrumental, true fine swing avec des senteurs jazzy assez fortes, le truc par excellence qui ne supporte pas le moindre faux pas, ou ça balance, ou ça casse, mais les Niters vous prennent en douceur et en souplesse, vous entraînent dans la danse en moins de deux, une double-bass élastique, un drumin' aussi léger qu'une aile d'oiseau, une Fender qui court sur son aile et un saxophone en pluie d'automne. Faut vous y faire. Tell Me Pretty Baby, l'on change de tempo, l'on est en plein bluesshouter, Benny Peters lâche les grandes orgues de ses vocalises, le sax de Dean Hilson mord à pleines dents dans la plus grande part du gâteau qu'il s'adjuge sans complexe. La section rythmique change d'allure comme une escadre qui se prépare au combat. Difficile d'apercevoir Andrew Linsey, mais il produit une frappe flegmatique qui va se jouer fort allègrement de toutes les nuances stylistiques du combo, colle la voile du beat au plus près des sautes des vents tournants. Tel Vox snappe en osmose, batifole sur la crête des vagues, dum-dum-dum, il entre ses doigts dans les cordes avec la même placidité avec laquelle vous enfoncez votre couteau dans la tablette de beurre au petit déjeuner, et ma foi jamais vous ne goûterez de tels toast si finement briochés. Ejecte les notes bien chaudes – mais d'une précision absolue – comme ces grille-pains qui satellisent les tartines hors de leurs fournaises brûlantes.

Benny and the Flybyniters c'est du rockab au temps où le rockab n'existait pas. Campent dans cet espace d'après-guerre où le blues est sorti du Delta et s'en est parti partouser avec les grandes formations, une esthétique de pirate, le couteau entre les dents, faire davantage de bruit avec moins de musiciens. Moins d'étalements riffiques démonstratifs, plus de nerfs et d'entrain. L'on ne s'écoute plus jouer, l'on joue. Point à la ligne. Efficacité avant tout. L'on s'arrête juste avant Bill Haley, l'on ne jumpe point à pieds joints dans le rock sauvage, mais l'on s'y approche de si près que l'on ressent la même intensité. Y en a un qui question aspiration n'est pas à la fête – qui normalement ne devrait pas l'être - mais il se charge du boulot sans rechigner une seconde. Dean Hilson hisse l'art du sax dans le registre de la facilité, vous donne l'impression de fournir autant d'efforts que s'il était assis à une table de bridge, ne relâche jamais son souffle ni son attention, si parfois un peu, le temps que Benny fasse monter la mayonnaise d'un court solo sur sa guitare moutarde, sinon l'est de ces chevaux qui font la course en tête du début à la fin, et qui franchisent la ligne d'arrivée aussi frais et alertes que s'ils venaient d'avaler leur picotin.

Ce n'est un secret pour personne, qui dit rythm'n'blues, dit blues. Blues is a Feeling, certes mais chez nos Niters ce n'est jamais une tragédie, n'ont pas le blues suicidaire, l'ont même étonnamment roboratif, un blues pêchu et juteux comme pas deux, vous le construisent en béton armé avec renforts et arc-boutants, certes il y a toujours, pour qui prête l'oreille, cette démarche de guingois si caractéristique de canard malade, mais inutile de sortir vos mouchoirs pour éponger des larmes de sang, le volatile fonce droit devant, ne perd pas son temps à se lamenter, l'a volé quelques étincelles aux fournaises du diable et cela vous réchauffe et vous énergise le palpitant de bien belle manière. Après un R. M. Blues ils termineront par un Two Dollars Woman qui bastringue dur, l'on a déjà un pied dans le rockab le plus pur, mais le set s'arrête. Hélas.

Benny et ses Flybyniters, ont remporté la mise. De sacrés cambrioleurs, qui entrent par effraction et qui vous squattent la maison avec tant d'élégance que quand ils mettent les bouts vous notez leur numéro de portable pur leur demander de revenir au plus vite. Méfiez-vous d'eux, des carrures de boxeurs et dès qu'ils commencent à turbiner, vous entraînent dans un tourbillon ascendant de grâce et de légèreté mais d'une précision rythmique meurtrière. Nuits festives embrumées d'alcool et d'étreintes sauvages. Au petit matin vous vous dites que la vie mérite d'être vécue.

HANK'S JALOPY DEMONS

Tiens on prend les mêmes et l'on recommence. Normal quand on a une section rythmique de cet acabit on la garde. Donc Tel Vox, sa barbichette, ses anneaux aux oreilles et ce sourire épanoui de Père Noël, sûr de son coup à l'avance, vous allez adorer le chien de sa chienne qu'il vous réserve dans sa hotte. Vous avez demandé un ouah-ouah en peluche, ce sera un véritable houndog frétillant qui va transformer votre appartement en champs de ruines, intenable mais si attachant. Me faudra me démonter le cou pour apercevoir Andrew le drummer. L'est comme ces employés horripilants qui ont toujours réponse à tout, traitent votre cas avec une facilité déconcertante quasi humiliante, sont en train de remplir la grille de mots croisés sur leur journal, et ils vous fournissent toutes les bonnes réponses que vous attendiez, vous règlent votre cas avec une parfaite célérité mais vous sentez bien qu'ils sont d'une essence supérieure à la vôtre, que toutes vos difficultés ne sont que broutilles sans importance qu'ils remettent à plat en trois coups de baguettes magiques.

Deux nouveaux toutefois. Pas vraiment car nous les avons déjà vus au 3B au mois de mai 2018, voir in livraison 375. Un petit rouquin. Dave Cantrell à la guitare. Un véritable traître. L'a une spécialité confondante. Se sert de ses cordes hautes pour vous sortir trois grosses notes tonitruantes qui vous embouchent les esgourdes, z'et puis il descend sur les aigües, et alors que vous vous attendez à une aigre et maigre sonorité toute gringalette, erreur lamentable de votre intuition logique, il vous ressort trois bastos aussi grasses que le trio de cachalots précédents. Je ne sais pas comment il fait cela. Mais il le fait. De temps en temps, en passant, sans forfanterie, comme si c'était tout à fait normal. Au micro Hank Ferguson, pas celui qui ne reconnaît personne, celui que vous identifiez immédiatement avec sa casquette aplatie, son jean de travail, sa chemise à carreaux, et son look de prolétaire descendu des collines qui essaie de s'adapter à la grande ville mais qui, le visage voilé d'une expression de mélancolie indécrottable, n'en reste pas moins fidèle à son vieil hillbilly natal.

Guitare sèche entre les mains de Hank, l'on sent que les Démons du bush se placent aussi en un temps où l'on n'avait pas encore inventé le rockabilly mais que l'on en débroussaillait les terrains d'expérimentation. Un jeu d'une justesse absolue. Certes Dave est un virtuose de la guitare électrique, n'en perd pas une pour refiler ses licks dévastateurs, mais comme il le fera remarquer en déclenchant une hilarité générale, l'on n'est pas chez AC / DC. Des affûtés, toujours sur la brèche, vous émondent les feuillages par trop luxuriants, pas une once de graisse de trop. Pas des sculpteurs, des ciseleurs. Jamais trop, jamais pas assez. Le juste milieu de la stricte observance des codes intangibles. Attention les ruralités sont aussi sauvages que les quartiers déshérités. La musique de Hank's Jalopy Demons comporte son lot de surprises et de dangers. Faut être sur le qui-vive, un pas de trop et vous marchez sur la queue du lézard venimeux. Et les Jalopy's vous salopègent les belles campagnes écologiques d'une multitude de ces bébêtes peu affriolantes. Tous les morceaux offrent leurs chausse-trappes, n'y promenez vos chaussons du soir qu'avec prudence, sont emplis de taillis d'épines et de cactus cruels. Faut une habileté diabolique pour tailler sa route dans de tels parages. Jusqu'au Linsay qui doit de de temps en temps s'énerver grave et frapper ses cymbales comme les fesses d'un enfant récalcitrant, aussitôt secondé par Hilson qui vous fouette le visage de ses cordes houspillantes, Hank alors affirme la cognée de sa voix et Dave en profite honteusement pour faire bruisser ses riffs bien effrontément. Les Démons savent être déments. Z'apportent le démenti très vite. Un peu d'agilité, un soupçon de retenue, et l'on revient à des séquences moins agitées. Attention, l'on file la syncope aussi vite, mais l'on mise davantage sur le charme d'un certain équilibre zénithal que sur les tempêtes hivernales. Hank vous refile une leçon de vocal hillbilly, c'est facile, suffit de savoir s'arrêter à temps. Au millimètre près. L'essence même du pur rockab, contrairement à ce que l'on pourrait accroire ce sont les silences qui sont le plus importants, ces coupures, qu'elles soient brusques ou pratiquement inaudibles, commandent les compressions explosives du chant, à tout instant les agglutinations de phonèmes se nitroglycérisent mais l'on vous coupe au montage les séquences des répliques incessantes, pas de longs métrages sur les effets attendus, la dévastation pure mais sans les apitoiements de rigueur sur les effets dévastateurs. Toute cette tuerie vous la trouvez dans les silences, ces trous d'air irrespirables qui vous homicident bien plus fort que le choc du chant lancé à trois cents à l'heure. Lorsque les Jalopies stoppent leur stomp l'heure légale est dépassée depuis longtemps mais Béatrice la patronne ne peut résister à un dernier morceau. Et nous non plus.

Damie Chad.

*

Je l’avoue, à ma plus grande honte, la seule fois de mon existence où mon légendaire flair de rocker n’a pas fonctionné. J’ai des circonstances atténuantes, c’était du jazz, mais enfin. Rien ne prédisposait mon esprit à m’orienter sur cette voie. Le spectacle n’avait rien à voir, une lecture du Prélude de Pan de Jean Giono, il y avait bien un violoncelle mais en m’approchant j’avais entendu des gammes tout ce qu’il y a de plus respectueusement classique sur cette terre. Sur la petite table à l’entrée étaient déposés les flyers de l’association organisatrice de l’événement, date et lieux d’autres prestations, tout ce qu’il y a de plus normal sur notre planète. J’ai un peu tiqué sur le format à vue de nez pochette 45 Tours des anciens EP français. Des trucs noirs, barbouillés de couleurs, qui pesaient un max comparés à leurs épaisseurs. Diable que cela pouvait-t-il être ? Des dessous de plats en une matière nouvelle en même temps souple et rigide ? Pas eu le temps de commander une expertise aux services de la répression des fraudes, la séance commençait.

Un beau moment, une superbe lecture in extenso d’une nouvelle extraite de Solitude de la Pitié de Giono, un texte fort qui ravira les contempteurs de la souffrance animale et les amateurs des anciens Dieux qui attendent avec impatience leur retour. Mais ce n’est pas pour demain. Gaël Mevel à la voix et au violoncelle. Beaucoup, douce et chargée d’émotion cataclysmique, à la première, peu au second, des effleurements succincts, des tamponnades catiminesques, pas d’emphase, des indices qu’il faut savoir lire. Bref un moment enchanteur. A la fin me suis rapproché de la table à flyers, le texte de Prélude de Pan ( collection Folio à 2 euros ) et ces mystérieuses plaquettes noirâtres peinturlurées de différentes teintes. Mais qu’est-ce donc ? Voyant que je m’emberlificote avec ces étranges objets, Gaël Mevel me relève l’usage et le mode d’emploi de ces objets non identifiés : de simples Cds’ entre deux lames de plastique aimantées, faut les séparer ( avec force ) et à l’intérieur la précieuse galette est agrémentée d’un dépliant papier en accordéon. L’on apprend aussi que le dimanche prochain il accompagnera au violoncelle le film muet L’Heure Suprême de Frank Borzage, un chef-d’œuvre de 1937, dans le parc de la mairie de Lavelanet. Et voici que Gaël Mevel nous dévoile l’autre face de ses activités, l’est musicien de jazz, possède un groupe, et a enregistré quelques disques, je choisis la pochette à dominante verdâtre, l’est au piano accompagné d’un saxophoniste américain, doctor Freud, pourquoi suis-je attiré par la forme exutoirement phallique de cet instrument de haute rutilance, z’en tout cas ne reste plus qu’à écouter.

GAËL MEVEL / MICHAËL ATTIAS

( Rives / N° 3 / 2013 )

Gaël Mevel : piano / Michaël Attias : saxophone Alto.

Enregistré à La Maison en Bois ( Essonne ). Pochettes peintes à la main par Dominique Masse.

Le dépliant de présentation porte en exergue deux vers de Paul Valéry extrait de Les Pas un des poèmes de Charmes qui ont provoqué en son temps le plus de commentaires. Une indication précieuse, un disque qui cherche davantage à exprimer le vide qu’à se perdre dans d’oiseux bavardages. Musiciens du silence dirait Mallarmé.

Almaty : frémissement de piano, des notes cristallines destinées à créer l’espace de recueillement nécessairement à leur réception et là-dessus se glisse aussi agreste que la flûte de Marsyas la respiration du saxophone de Michaël Attias. Ne jouent pas ensemble, s’accommodent, se trouvent sans se chercher, mais chacun dans une terrible solitude jusqu’à cet irrémédiable empiètement de vide, comme si au bout d’eux-mêmes ils n’avaient trouvé que le rien de l’inanité de vivre, et ils repartent d’un commun accord serions-nous tentés d’écrire mais la plénitude d’une phrase musicale n’est pas encore au rendez-vous, n’en sont qu’ à des essais de phrasés qui cherchent à être. C’est le sax qui s’aventure le plus loin avec des glissements furtifs de serpent fugitif. Parfois vous éprouvez la bizarre sensation de votre âme qui rampe dans le cerveau. Les ailes du renard : les sables du désert et la chimère de l’esprit qui court plus vite que le rêve. Encore plus de lenteur, mais le saxophone rouillé s’entête à dérouler la volupté des anneaux du reptile. Le piano de Gaël Mevel résonne dans une nouvelle proximité de lointains immarcescibles qui affleurent sous le sable tels des vestiges prestigieux. Le saxophone s’envole. Le fennec s’enfuit. Le cinquième rêve de Nathanaël : un sax ouaté et un piano à la Debussy dans des notes qui se perdent dans leur propre présence, le sax qui grince maintenant comme la clef des songes que vous introduisez dans la serrure des rêves. Des pierres sous une feuille : sous les feuilles arachnéennes se niche la solidité des galets lithiques. Le vent du saxophone les caresse mais la lourdeur du piano exprime la solidité de la présence du monde qui possède un cœur de pierre. Et le piano tape sur ce granit incontournable comme un gong qui égrène l’inéluctabilité du destin. Oh ! : joie jazzistique, l’on quitte la musique de la concrétude du silence pour la complexité des accords compliqués du jazz. L’on a beau faire, l’on n’oublie pas ses origines et il faut bien donner au public l’illusion qu’il est en pays conquis. Le sax frétille à la manière d’une truite mais bientôt le poisson se retire dans des eaux souterraines inconnues. Sombres et mystérieuses. Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge de l’évanescence. Couacs saxophoniques, ridelettes de piano. La princesse juive : retour dans le domaine du rêve, le faune de l’après-midi se réveille, il ose quelques pas hors des feuillages propitiatoires, le saxophone étire des désirs de soleil dans cet entre-deux de la réalité ici tout n’est qu’entrechoquement discret de luxe, de calme, et de voluptés idéelles. Le vent sous les pierres : retour au monde sédimental, grattez la pierre, usez-la d’opiniâtreté et au bout du caillou vous retrouverez le vent du rêve qui vous permet d’accéder aux délices sans trêve. Le saxophone se dresse comme le serpent sous la flûte insistante du joueur de pipeau. Vous ne savez plus dans quel royaume vous vous trouvez. Fenix : la réponse est apportée par le renard des sables qui étrangement est en même temps la flamme vive et inextinguible du phénix qui ne meurt jamais. Parfois la lumière s’éteint et le morceau s’insinue entre le plein du monde et le vide de nos perceptions, piano suave et saxophone aussi doux que le renard apprivoisé qui se plie sous l’échine que vous caressez. Instant de grâce et de plénitude, combien de longueurs de chemin parcourues depuis le début du disque. Fusion inespérée, mais voici que le saxophone se met à klaxonner comme le gyrophare de la voiture de police du réel, le piano essaie de réparer l’accroc dans la toile du songe. Les pas retenus : l’heure du choix, l’escargot se retire dans le vide de sa coquille, se mure en lui-même, entre dans sa propre hibernation, refuse désormais les aspérités du réel, le sax se met en boule à la manière des chats qui se retranchent du monde dans l’infinie vigilance de leur sommeil. Doucement le piano ferme la parenthèse.

Splendide, fortement déconseillé aux âmes peu subtiles.

Damie Chad.

 

BURRET ( 09 ) - 01 / 08 / 2019

TOM WOODS / SO LUNE

EDREDON SENSIBLE

 

Vous ne connaissez pas Burret. J’ai parfois l’impression d’écrire pour les ignorants. Je vous l’accorde, même la plupart des ariégeois sont incapables de situer ce lieu improbable sur une carte. Une seule maison dans un virage en épingle à cheveux avec un mec qui vend du miel, pas de panique si vous ne le voyez pas, il n’est jamais dans son stand. Dans le tournant ne vous déportez pas sur la gauche, c’est le ravin. Si vous avez négligé ce conseil précieux, pas d’affolement sur l’escarpement rocheux, sis sur votre droite, vous avez tout ce dont vous aurez besoin, une église et un cimetière.

Depuis trois ans, tous les premiers du mois d’Auguste, c’est l’invasion. Venus d’on ne sait où, sortis de leurs forêts profondes, une tribu de néo-ruraux se regroupe pour le grand pow-wow d’été. Une horde jeune et joyeuse se livre à ses activités préférées, grand bouffe bio, danses tribales, des chiens qui courent partout sans se battre et des bambins qui s’amusent toute la soirée à se jeter du sable dans les yeux. Bien élevés, pas un seul qui pleure ou qui se réfugie dans les jupes de sa maman. Pour les intellos vous avez un stand lecture, poésie érotique sur les étagères du haut, fanzines avec même des articles de notre Loser Zengler vénéré et préféré, rien à dire, ces jeunes gens ont de saines lectures. Pour ceux qui se sentent une âme d’ethnologue, ce grand rassemblement affiche un projet de haute moralité : récolte de fonds pour l’ouverture d’un café associatif dans le village voisin.

TOM WOODS

La tâche ingrate, le mec tout seul avec son micro et sa guitare, l’assistance le nez plongé dans son assiette à avaler de succulentes potées végantiques et de délicieux falafels, ou à se barbouiller les joues avec la succulente confiture de framboise des crêpes - au mitant de la soirée z’en avaient déjà fourgué plus de sept cents et le préposé à la crêpière n’en finissait pas de marmitonner la pâte. Attention, la liste des producteurs locaux est affichée.

En plus le gars il a le blues. Tout le monde fait la fête, mais lui il a le blues, et pas n’importe quel blues, le blues-folk. Un truc à vous saper le moral d’entrée. Personne ne lui en veut. Reçoit même des encouragements à haute voix qui ressemblent à des déclarations d’amour. C’est cela le miracle du blues, ça vous rentre dans une oreille et vous vous y empêtrez dedans comme la mouche dans la toile d’araignée. Le blues est une tarentule poisseuse mais fascinante. Une fois que vous êtes mordu, vous ne pouvez plus vous en détacher et comme le boy est un adepte du pickin’ vous succombez vite à son charme vénéneux. Quatrième fois qu’il joue en solitaire nous confie-t-il, alors il nous refile tous ses plans, nous offre ses propres compos, la dernière improvisée la veille est la meilleure, joue un peu trop longtemps à mon avis, l’aurait pu écourter, si l’alligator du blues vous coupe la jambe, exigez une coupure franche, s’il prend trop son temps et commence à mâchonner gentiment la gambette pour ne pas vous faire du mal c’est moins agréable. S’en tire bien le guy, se retire sous une salve d’applaudissements.

FARA NAZWA

Changement d’ambiance, une colonie de fourmis selmerienne s’empare de la scène. Un accordéoniste aux beaux yeux bleus étrangement fixes assis au centre entouré de deux cuivristes, d’une basse, d’un guitariste, d’un batteur à la batterie minimaliste, et sur notre droite une violoniste au crin-crin entraînant. Musique des balkans qui s’en fout le camp, vers l’est, du côté de la Roumanie et des routes tziganes. C’est le rush devant la scène, ça n’en finit pas de danser, pressés comme des harengs en caque, et de se dandiner, Font un tabac. Une manufacture à eux tout seul, Z’y mettent le cœur et l’allant nécessaire, les cuivres rutilent, le piano du pauvre étale toutes ses richesses, et la grande sorcière chevauche son archet diaboliquement. Perso, cela me laisse assez froid, mais je dois être le seul, j’aime bien me la jouer en mon âme de rocker incompris à la Thomas Hardy, loin de la foule déchaînée. Qu’importe ce soir le folk festif fait des adeptes, j’en conviens.

SO LUNE

Quelques gouttes éparses de pluie pendant l’installation de So Lune, quelques rougeoiements lointains d’éclairs et des tambourinades de tonnerre étouffées, une menace qui ne se précisera pas davantage. Ouf ! So Lune s’installe, sur le dessus du vieil harmonium délabré que l’on a dû retirer de l’église règne en maître le must du modernisme électronique, une collection de sampler-machines dont les boutons brillent dans le noir, et contrepoint idéalement et musicalement oxymorique, un magnifique violoncelle trône sur son chevalet exposé comme un tableau de maître.

Sont tous les deux sur le côté de l’estrade en train de se livrer à une espèce d’haka rituel d’obédience superstitieuse. Mais quand faut y aller il n’est plus temps de reculer. Courageux le garçon donne l’exemple, passe en premier, se dirige tout droit vers ses échantillonneurs, l’on sent le bricoleur fou du dimanche et le trafiqueur émérite de la semaine sainte, sa sœur le suit, tout de suite l’on pressent, à sa chevelure bouclée étrangement disposée de guingois en crinière de lion romantique, et à la découpe savante de sa robe, l’artiste de la famille, l’infante géniale, qui n’en fait depuis ses trois ans et demi qu’à sa tête emplie de volitions et de dormitions pour le moins pittoresques. Sont applaudis poliment parce qu’ils sont beaux et jeunes. Romane lève son archet et Joseph se penche sur ces boites magiques. Vous tourne les potentiomètres à fond, le violoncelle gémit et râle funèbrement, tel un mourant désespéré de ne pouvoir communiquer ses dernières volontés. Entre nous soit dit, l’on est plus près de Moussorgski que d’Eddie Cochran, et subitement Romane se met à chanter. Une ampleur démesurée, une double sirène, celle tonitruante du bateau qui annonce son entrée dans le port, et la meilleure des trois d’Ulysse, pour lesquelles il se fit attacher au mât afin de pouvoir entendre sans péril les mélodieuses mélopées. La muse vous méduse l’assistance en moins de trente secondes, vous subjugue la foule en moins de deux, l’a l’organe baryton qui tonne sans fin. En cinq minutes ils ont gagné la partie, on leur mangerait dans la main. Alors ils vont s’amuser, vous voulez de la zique, z’on va vous z’en donner de toutes les couleurs. La Romane elle est capable de tout, elle vous râpe du rap et vous restez tout cloche devant ce beau fromage qu’elle laisse tomber de son bec, passe des intonations en arrière-fond de tessiture à la Shirley Bassey pour plonger dans des roucoulades à la Barbara Hendricks et l’instant d’après se rouler dans les arpèges les plus chaudement sensuels des divas de la soul. Idem pour le frérot, à un moment vous a sorti une partition malherienne, juste avant de se jeter dans du noise-funk à délices, même qu’une fois il se mésaventure au micro, mais là faut être réaliste, son rôle à lui c’est le cambouis électronique, l’est le grand manitou des circuits intégrés pour musac désintégrée. Mais ce que l’on préfère ce sont ces grandes envolées lyriques au violoncelle qui gronde comme l’Etna en feu, et cette voix sortie tout droit des Mémoires d’Outre-tombe, des espèces de mini-opéras wagnériens, une extravagance vocale des grands vents du souffle épique qui servit de bande-son aux tohus-bohus révolutionnaires du dix-neuvième siècle, tout cela servi dans la marmite du diable de la technologie du troisième millénaire.

Un set de toute beauté. So Lune - duo surprenant, décalé, original, époustouflant - ne fait pas de quartier.

EDREDON SENSIBLE

Avec un nom pareil vous vous attendez à tout. Pour la sieste voluptueuse sur lit de plumes d’oie vous repasserez. Ces quatre malfrats usent incongrument de cet ustensile. Commencent par fracturer votre porte à grands coups de pieds, vous surprennent dans votre sommeil et se servent de votre édredon douillet pour vous asphyxier et vous envoyer de cet autre côté dont on ne revient pas. Des sauvages. Bref vous êtes sûrs qu’avec eux le pire est à prévoir.

Le batteur se sert de sa grosse caisse comme caisse claire. Tout de suite la situation s’assombrit. Doivent faire un concours à qui des deux l’aura la plus grosse car son voisin s’est choisi une énorme timbale, une monstrueuse tabala, sur laquelle l’on sonnait l’alerte dans les villages africains pour réveiller la tribu endormie attaquée en pleine nuit. Devant ils ont disposé les saxophones, un alto-ténor un peu ridicule quand on le compare à la basse démesurée qui lui fait face.

Nous ont un peu déçus à partir de la vingt-sixième minute, montre en main. Parce que lorsqu’ils ont débuté l’on a cru qu’ils s’étaient installés pour battre le record du monde du morceau le plus long. Le principe de base le plus simple, la goutte d’eau qui vous rend fou - rien à voir avec le colibri, eux c’est plutôt l’autruche aux pieds plats. Un lourd volatile disgracieux mais génialement entêté. Les deux batteurs ont commencé à marteler un rythme simpliste et à le répéter indéfiniment. Les spectateurs ont adoré, parfait pour endurer la froidure de l’altitude montagnarde et remuer le popotin tous en groupe, et puis il y avait le saxophone baryton qui refusait de se laisser distancer dans le marathon. Vu la grandeur de la tuyauterie, le gars devait lui balancer le volume d’air que vous respirez en trois jours toutes les six secondes. S’est installé dans un groove de funk poussif et en voiture Simone, voyage jusqu’au bout de la nuit tressautant. Cahots debout.

Faut toujours se méfier des plus petits ce sont les plus vicieux. Pendant un moment l’alto a fait autant de bruit qu’une limace paresseuse sur une feuille de salade. On l’a oublié, jusqu’à ce qu’éclate un hennissement de cheval colérique, on a cherché des yeux si un véritable canasson des alentours n’aurait pas quitté sa pâture, mais non c’était bien le petit saxo qui s’était engrangé dans une espèce de dégringolade de rire hystérique, une strombole d’accélérateur lysurgique car derrière, les bateleurs qui tamponnaient allegro-vas-y-mollo se sont mis à ruer des quatre mailloches dans les brancards rythmiques et la fanfare s’est emballée, à qui ira le plus vite et à qui fera mieux que l’autre, sont partis dans une cavalcade tonitruante sans issue, le premier batteur s’est ulcéré dans un solo apocalyptique pendant que les autres harassés se désaltéraient pour mieux revenir à la charge. Encore plus vite, encore plus fort. Mais trop d’effort n‘engendre pas obligatoirement le réconfort. A la fatidique vingt-sixième minute, le quartet s’est arrêté, ses quatre membres crevés comme les pneus d’une guimbarde abandonnée sur le bord de la route qui ne mène nulle part. Sont repartis par la suite, un rythme guilleret mais au bout de dix minutes, je suis rentré à la maison, la magie n’agissait plus, peut-être ont-ils fait un second essai pour transpercer le mur du son, mais non je n’y croyais plus. J’ai laissé lâchement les héros vaincus se dépatouiller avec le dernier carré des danseurs en transe voodooïque, ont-ils sacrifié un coq au soleil levant où sont-ils morts fièrement à la manière de la chèvre de M. Seguin, sous les dents cruelles du froid des petits matins sans gloire, je ne saurais le dire.

Damie Chad.

P. S. : il y avait aussi Alchimix, un groupe qui n'a pas démérité, mais ne tentez pas de savoir où j'étais pendant leur prestation.

CHILD SPIRIT / SO LUNE

Romane et Joseph Beaugrand : composition, arrangement, interprétation, mixage.

Basse additionnelle : Galael Dunbaar / Visuel : Virginie Lacouault / Graphisme : Salomé Dollat, Juliette.

Pochette Arty qui veut davantage suggérer que représenter. Un fond blanc à la Moby Dick, des espèces noires de tiges de fleurs de chardons stylisées, quelques nuances de gris bleutés, quelques points jaunes pratiquement invisibles, pour le portrait des artistes, un flou de crayonné du profil filigrané des deux artistes à l’intérieur du gatefold.

Inspire Me : voix de petite fille perverse sur un tissu de dons d’organes. Elle n’a qu’à ouvrir la bouche pour que vous la suiviez les yeux fermés dans le jardin des délices. Les roses ont des épines empoisonnées mais elle passe entre leurs tiges en se jouant, une rythmique toute simple juste pour mettre en évidence la lascivité étirée de la voix, le tout entrecoupé d’épaisseurs nostalgiques de violoncelle qui résonnent comme des innocences de périodes ingénues à jamais perdues. Cold Woman : vous avez eu la petite fille voici la mystérieuse égérie frigide à la voix de glace. Se la joue à la Dietrich, mais très vite elle dévoile sa lointaine cruauté et donne des ordres d’une voix coupante comme des poignards, et la colère simulée l’emporte, elle vous met en garde contre vous-même, vous ne savez pas ce qu’elle cache, des éclats de moire de violoncelle renforcent la naïve violence de sa fausse candeur. Child Spirit : l’instant peut-être de se pencher sur l’accompagnement électro qui depuis le début fait des claquettes sur toutes les inflexions de la voix mutines à s'y confondre avec elle. Plus ce violoncelle qui pleure des larmes de topaze. L’on ne sait trop pourquoi mais l’instant crucial du vivre selon soi est aussi fragile que le souffle d’un enfant qui babille dans lequel s’incarne l’âme éperdue des désirs assassins. Un jour on ne joue plus. Un joyau, un pur chef d’œuvre. Le Bal : c’est la vie qui tourbillonne, mais dans l’œil de l’ouragan, voici la féminine solitude, parfois l’on n’est plus qu’un amas de décombres et de souvenirs, Joseph vient au secours de sa sœurette mais rien ne saurait briser la solitarité de l’iceberg glacé que l’on est devenu et que l’on transporte avec soi, si ce n’est un aboiement de chien qui peut être aussi bien le toutou au portail de l’enfance que le Cerbère qui vous attend à la porte des Enfers. Longue suite musicale mélodramatique pour vous accompagner dans l’escalier qui descend, la guide passe devant et arbore un timbre adamantin de vil coquin. Impermanence : une petite voix doucereuse pour nous assurer de la catastrophe de l’immuable écoulement des choses, rien ne dure, l’impureté du néant ronge la pureté de l’existence, ce n’est pas un drame, une comptine à chantonner d’une voix claire même si les gouttes de violoncelle démentent toute cette insouciance. Les bijoux qui brillent le plus sont ceux qui ressemblent le plus au toc des pacotilles. Tragic Secret : cliquetis et lourdeurs, la voix effleure les touches du piano électronique, elle s’affirme et se fait plus grave pour vous révéler l’innommable. Vous pénétrez au cœur atomique de la révélation comme quand vous glissez vos doigts dans la fente d’un sexe, vous l’avez voulu, vous ne ressortirez changé à jamais du cancer de la vie qui vous ronge la tête. La rose des folies conduit aux névroses irrémédiables. Drame métaphysique. Silence : parfois il vaudrait mieux arrêter de parler et de chanter car l’on est rentré dans les étendues de l’inefficience et de l’inutilité. Mais l’on prononce toujours quelques mots sur les tombes qui se referment.

Le disque est à écouter comme un somptueux oratorio sanglant qui retrace le chemin intérieur d’une petite fille qui n’aurait pas dû grandir. Nous non plus. Mais on fait semblant de l'ignorer.

Superbe.

Damie Chad.

 

28/08/2019

KR'TNT ! 427 : JERRY LEE LEWIS / QUICKSILVER MESSENGER SERVICE / DARTS / COSMIC TRIP / DIRTEEZ / LOS MUERTOS / VOLUTES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 427

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

29 / 08 / 2019

 

JERRY LEE LEWIS

QUICKSILVER MESSENGER SERVICE / DARTS

COSMIC TRIP / DIRTEEZ / LOS MUERTOS / VOLUTES

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Pas d’embellie pour Jerry Lee

 

De tous les personnages qui ont défrayé la chronique du rock au XXe siècle, Jerry Lee Lewis reste le plus extra-ordinaire. Il faut même le voir comme un personnage biblique, c’est-à-dire hors compétition, hors normes et hors tout ce qu’on voudra. Avec Hellfire, Nick Toshes écrit une espèce de Nouveau Testament du rock dont le messie serait bien vivant et jouerait du piano. Comme chacun sait, la Bible décrit la condition humaine mieux que tout roman moderne, mieux que Zola et Balzac. Nick Tosches s’inscrit dans cette vieille veine pour dire à quel point le destin d’un homme peut se révéler épique et tragique à la fois, grandiose et misérable, sombre et admirable. La vie et la mort sont une seule et même dimension, on meurt dans la vie et on vit dans la mort. On ne peut même pas parler de grandeur et de déclin dans le cas de Jerry Lee, car jamais il ne dégringole. Même sous un déluge de procès, de saisies et de deuils, il reste Jerry Lee, the only one. Jerry Lee ne se casse pas la gueule. Il encaisse, boit un coup et repart. God peut lui prendre ses deux fils et ses bagnoles, ses bijoux et ses épouses, Jerry Lee sait qu’il va garder le principal, c’est-à-dire sa voix et sa sauvagerie, et qu’il s’en retournera rocker les salles du monde entier mieux que quiconque. Il sera toujours the only one. Il est né pour ça. Il ne vit que pour ça. Les procès ? Fous-toi les dans le cul ! Ram it up your ass ! Les épouses ? Go to hell ! Godness Gracious, Jerry Lee gronde comme un chien de combat, rrrrrrrrrr, il fait monter la fièvre et explose, car il fait partie de ceux qui ont compris que le rock’n’roll ne servait qu’à ça. Exploser.

Il atteint un tel niveau de légendarité qu’à sa mort, il ne s’éteindra pas. Nick Tosches travaille tellement le côté humain du personnage qu’il finit par le sublimer au point d’en faire jaillir l’esprit. On se fout de savoir si Moïse portait une barbe blanche. Par contre, on sait qu’il a escaladé le Mont Sinaï pour aller récupérer les fameuses Tables de la Loi qu’on appelle le Décalogue. Jerry Lee n’a rien escaladé, mais il a gravé son Décalogue sur vinyle en 1964 au Star Club de Hambourg. Follow That !

Pour bien situer les choses, Nick Tosches démarre Hellfire en pleine nuit, à trois heures du matin. Des éclairs zèbrent la nuit, le tonnerre gronde et une Lincoln Continental s’est encastrée dans le portail de l’entrée principale de Graceland. C’est Jerry Lee, complètement défoncé, qui hurle en brandissant un flingue. Il veut voir Elvis. Mais Elvis est en pyjama. Elvis fait dire au gardien qui l’a appelé depuis le pavillon d’entrée qu’il n’est pas question de le déranger. Quoâ ? Jerry Lee s’étrangle de rage. Whaaat ? Elvis motherfucking Presley y veut pas qu’on le dérange ? Mais il se prend pour God dans sa fucking baraque ! Jerry Lee bave de rage. Elvis, c’est rien qu’un gros lard bourré de came qui se teint les cheveux comme une putain de bonne femme ! Job a dit : «Ils consument leurs jours dans le luxe et en un instant vont à la tombe !» Jerry Lee explose de rire. À la tombe ! À la tombe ! Sa voix se perd dans le fracas du tonnerre. Il tire des coups de feu en l’air. Il crache de dégoût. À la tombe ! Le gardien a appelé les flics. Ils arrivent et mettent les pinces à Jerry Lee pour l’embarquer au poste. À la tombe ! À la tombe ! Longtemps sa voix va résonner dans l’écho du temps. Godness Gracious !

À l’instar de Moïse, Jerry Lee n’est pas tombé du ciel. Il n’est pas non plus arrivé sur l’eau du Mississippi, assis au fond d’un panier. Il est sorti du ventre de sa mère Mamie et très vite, Uncle Lee déclarait : «Cet enfant a le regard d’un faucon !» Rrrrrrrrrrrr. Petit, on lui raconte que son arrière grand-père Old Man Lewis pouvait assommer un cheval d’un seul coup de poing - A hell of a man, Old Man Lewis - Jerry Lee adore ça. Son père Elmo lui enseigne les valeurs de la famille Lewis : courage, work and grin, surtout le grin, le rictus. Le bambin Jerry Lee ne joue pas aux billes. Il préfère aller mater les nègres qui pianotent leur boogie de bastringue chez Hanley’s Big House ou se mêler à cet extraordinaire ramassis de fanatiques religieux qui parlent dans des langues inconnues à la Church of God de Ferriday. Rrrrrrrr Godness Gracious ! Le décor se plante tout seul, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Son père Elmo trouve un job de menuisier à la taule d’Angola et ramène un piano Stark upright pour Jerry Lee qui du coup sèche la classe pour singer les nègres de Hanley’s Big House. Il s’installe et fracasse the Holy Ghost boogie. Bing Bang Boom ! Il n’a qu’une idée en tête : jouer hard and wild comme ces fucking niggahs de Hanley’s Big House. Plonk ! Plonk ! Rataplonk ! Son père Elmo l’observe avec un sacré sourire au coin des lèvres - The big grin - À l’école, les autres appellent déjà Jerry Lee the killer, à cause de sa façon de jouer du piano. Ah il n’aime pas ça, mais en même temps, ça colle bien avec la légende de Old Man Lewis. Killah ? Oui, parce qu’au fond il se sait le roi des enfoirés : «I am one mean sonabitch !»

Avant de débarquer à Memphis avec Elmo, Jerry Lee tente sa chance à Nashville. Les patrons des clubs n’apprécient pas trop son boogie pétaradeur. Ils conseillent à Jerry Lee de laisser tomber le piano et de gratter une guitare. Jerry Lee se marre et leur répond qu’il peuvent aller se carrer leur guitare dans le cul - Ram it up your ass - Un jour, son cousin Mickey Gilley lui dit : «Jerry, pourquoi ne te rends-tu pas à Memphis, dans le Tennesse, pour faire un brin de causette avec le type qui a lancé Elvis ?» Jerry Lee lui répond qu’il va y aller, un d’ces quat’. Et c’est là que la légende de Jerry Lee croise à nouveau celle de Moïse. D’un côté, on a les Douze Plaies d’Égypte et de l’autre, les Trente-Trois Douzaines d’Œufs qu’Elmo ramasse dans son poulailler. Pas pour faire des omelettes, mais pour les vendre au Nelson’s Supermarket, sur Louisiana Avenue, à Ferriday. Une expédition, ça se finance. Un matin, ils mettent la Ford en route et prennent la direction de Memphis sous un ciel noir comme le cul d’un nègre.

Lors de leur premier raid, la paire Jerry Lee/Elmo impressionne le staff de Sun. Quelques semaines plus tard, Jerry Lee revient au 706 pour une première Sun session. Nouvelle paire : son cousin JW Brown, le père de Myra Gale, l’accompagne. Jerry Lee porte une barbichette et JW Brown une big blond Silvertone gittah. A weird-looking pair, murmure James Van Eaton, le batteur du house-band Sun. Jack Clement enregistre la session. Rentré de ses vacances à Miami, Sam Phillips écoute le «Crazy Arms» qu’a enregistré Jack Clement. Uncle Sam qui dans sa vie a entendu plus de belle musique qu’aucun autre homme au monde se régale tellement d’entendre Jerry Lee pianoter qu’il en ferme les yeux. Et c’est là qu’il lance cette prophétie : «I can sell that !»

Quand paraît son premier single, Jerry Lee le brandit fièrement. C’est avec le rictus d’un fou au coin des lèvres et le regard de faucon d’Old Man Lewis qu’il lit la mention inscrite sur la rondelle jaune et brune : Jerry Lee Lewis with his Pumping Piano. Uncle Sam ne se trompe jamais dans ses prophéties. Jerry Lee voit sa carrière décoller comme une fusée, dans le tonnerre et les flammes de l’enfer. Il part en tournée avec les autres chevaux légers de l’écurie Sun et fait de sacrées découvertes : Johnny Cash se came aux amphètes et Carl Perkins boit comme un trou. Jerry Lee lâche une première bombe atomique sur l’Amérique avec «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On». À la fin de la session, Jack Clement propose de partager les royalties avec the Holy Ghost, mais ça ne fait marrer personne. Puis un nègre nommé Blackwell refile «Great Balls Of Fire» à Jerry Lee - This little colored fella wrote it for me - Rrrrrrrrr ! Godness gracious ! Splendeur vénale, colère et damnation ! Sur scène, Jerry Lee sort de la poche de sa veste une bouteille de coca remplie de gasoline, et pendant qu’il martèle les accords de Great Balls d’une main, il arrose le piano de l’autre, gratte une allumette et vlaaaaaaahfff ! les flammes jaillissent, alors il se met à pounder son clavier des deux mains comme un dingue, la bouche ouverte et les cheveux dans la gueule, il parle des langues inconnues et sa silhouette de frappadingue rougeoie dans les flammes, holiness and fire, the frenzy of it all, le public devient fou et bascule dans la pire mad frenzy qu’ait connu le Deep South. Quand Jerry Lee regagne le backstage en titubant, ivre de colère et puant l’essence, il croise Chuck Berry et lui lance d’une voix anormalement calme : «Follow that niggah !» De la même façon qu’Old Man Lewis qui knockait a horse to his knees d’un seul coup de poing, Jerry Lee dégomme un piano d’un seul coup - Burned that dam piana to the ground ! - Avec le power of the Holy Ghost.

Et puis tiens, voilà les gonzesses. Dans la région, on démarre tôt. Sa sœur Frankie Jean se marie à douze ans. À l’âge de seize ans, Jerry Lee épouse Dorothy Barton, une belle brune, fille d’un prêcheur Pentecotiste de Sterlington. Un an plus tard, il rencontre Jane Mitcham et l’engrosse. Il l’épouse à Natchez. Jerry Lee n’a que dix-sept ans et le voilà déjà bigame. Il trafique sa date de naissance sur les certificats de mariage. Mais la relation est assez houleuse avec Jane qui maudit son piano et les nuits qu’il passe à jouer au Wagon Wheel, un club mal famé de Ferriday. En représailles, Jerry Lee l’accuse de tous les péchés contre the Holy Ghost : elle boit, elle fume et il l’accuse même d’adultère ! Puis il flashe sur sa cousine de douze ans, Myra Gale. Dieu leur est témoin que c’est un coup de foudre. Mais Dieu a plusieurs tours dans son sac : une autre foudre, celle de la presse anglaise, va s’abattre sur eux, pour consacrer leur union et les griller. Pourtant violemment frappé par le destin, Jerry Lee reste debout et gueule dans le fracas du tonnerre. Il voit son étoile s’éteindre, il passe du statut de superstar à celui de pervers honni des foules, ses cachets de 10 000 $ fondent comme beurre en broche, on lui tend 250 $ et il doit s’estimer heureux. Mais rien ne peut abattre l’arrière petit-fils de Old Man Lewis. C’est lui qui abat. Pas Dieu.

Quand Jerry Lee revient en Angleterre en 1964, les foules l’acclament. Mais il remarque que les jeunes s’habillent bizarrement, oh pas les Teds, mais les autres, ceux qui portent des pantalons à rayures et des petites casquettes ridicules, those goddam Beatles boys. Et puis il y a aussi ces Rolling Stone boys qui se tortillent comme des pédés nègres - Nigger faggots on the last night of Mardi Gras - Pire, les filles, avec les mini-jupes qui couvrent à peine le lieu de tous les péchés. Et il entend partout cette motherfucking music. Un peu plus tard dans l’année, il débarque à Los Angeles sur le plateau de l’émission Shindig et constate que lui et Willie Nelson sont les seuls qui ressemblent encore à quelque chose. Tous les autres sont déguisés comme des motherfucking Brits.

Avec Jerry Lee, il en faut toujours plus. Dope, alcool, guns. Toujours plus. Tarp Tarrent, Charlie Freeman et Hawk Hawkins font partie de son groupe. De retour à Memphis après une tournée, interdiction formelle de rentrer à la maison : Jerry Lee veut continuer à faire la fête chez lui jour et nuit. Le premier qui se casse est viré ! - We’re gonna party for five fuckin’ days - Celui qui est viré n’est pas payé. What a trip ! Hawk, Charlie et Tarp n’en peuvent plus. Myra Gale non plus. Elle finit par se barrer et Jerry Lee épouse en 1972 une jeune divorcée nommé Jaren Elizabeth Gunn Pate. Ils se séparent deux semaines plus tard.

Jerry Lee boit de plus en plus. La booze occupe dans son huit-parade le même rang que God et la musique. Il boit au goulot. Il se goinfre aussi de pills et fume les plus gros cigares qu’il peut trouver. Jerry Lee se sait indestructible. Il porte des armes et tire des balles dans les plafonds. Bim bam ! Ou dans la poitrine des gens, tiens par exemple celle de Hawk, son bassiste. Un soir il sort un 357 Magnum et dit à Hawk de bien regarder - Look down the barrel of this - Il annonce qu’il va viser la bouteille de Coca qui est derrière, bim bam ! Haw s’écroule, la main sur sa poitrine trouée comme une passoire et cette harpie de Jaren Pate lui gueule dessus parce qu’il salit la moquette blanche avec son sang. Qu’on se rassure, Hawk va survivre. Il va même poursuivre Jerry Lee en justice et réclamer 400 000 $ de dommages et intérêts. Jerry Lee refuse de paraître au procès et son avocat, écœuré demande à être dessaisi de l’affaire. Mais c’est une goutte d’eau dans l’océan des procès qu’on lui intente : Jerry Lee perd tout ce qu’il possède au fur et à mesure, mais il lui reste the courage, the work and the grin.

Invité à se produire au Grande Ole Opry, Jerry Lee promet qu’il va rester sage. Rrrrrrrr... Il arrive sur scène et fout le souk dans l’Opry à coups de Great Balls et de Whole Lotta. Il déclare au public médusé : «You can do what you can do ! And thank God that Jerry Lee Lewis can do it !» Et il joue «Chantilly Lace» à coups de talon. Du haut de son Ararat, il lance au public : «Let me tell you somethin’ about Jerry Lee Lewis, ladies and gentlemen, I am a rock-’n’-rollin’, country-and-Western, rhythm-’n’-blues singin’ mothafucker !» Et comme il est en train de provoquer le public plutôt conservateur du Grand Ole Opry, il leur sert sur un plateau d’argent la plus sombre interprétation d’«I’m So Lonesome I Could Cry» d’Hank Williams.

Quand il rencontre un hippie, Jerry Lee lui dit que selon la Bible, c’est un péché pour un homme que de porter les cheveux longs. Le hippie lui rétorque que Jésus avait les cheveux longs. Mais Jerry Lee qui connaît la Bible par cœur depuis the Assembly of God lui explique que nulle part dans la Bible on dit que Jésus avait les cheveux longs. Personne ne sait à quoi il ressemblait. Le hippie qui a réponse à tout lui dit qu’à l’époque les ciseaux n’existaient pas. Jerry Lee lui demande d’où il sort ses conneries. Il lui rappelle que les Romains étaient des pretty smart cats. Le hippie tente de noyer le poisson en expliquant que Moïse portait la barbe. Il réussit presque à couper le sifflet de Jerry Lee.

Dans un restau, on joue sur un juke un hit de Jerry Lee. Jerry Lee entend une vieille rombière installée à une table derrière lui déclarer : «I hate this Jerry Lee Lewis shit they’re playing». Elle déteste la musique de Jerry Lee qui se tourne vers elle et lui lance : «Fuck you, espèce de vieille pute redneck !» Deux minutes plus tard, un mec tape sur l’épaule de Jerry Lee : «C’est vous, Jerry Lee Lewis ?» et Jerry Lee lui répond : «The one and only !» Bing, le mec lui colle son poing dans la gueule et lui brise le nez.

Signé : Cazengler, Jerry lie de la terre

Nick Toshes. Hellfire. Penguin Books 2007

Quicksilver machine - Part One

 

Comme Gary Duncan vient de casser sa pipe en bois, on va en profiter pour remettre le nez dans l’histoire du plus lumineux des groupes de la scène psychédélique de San Francisco, le Quicksilver Messenger Service. Gary Duncan, David Frieberg, John Cipollina et Greg Elmore sont comme les trois mousquetaires, un pour tous et tous pour un. Le Quicksilver établit sa réputation sur le twin guitar attack de Cipo et Gary Duncan. Tous ceux qui ont vu l’extrait de Quicksilver dans le Montery Pop movie de Pennebacker savent que Cipo joue en picking d’onglets sauvages, comme d’ailleurs Roger McGuinn des Byrds et James Gurley de Big Brother & The Holding Company. En 1972, Gene Sculatti affirme que Quicksilver rivalise de power avec les Who. On les dit aussi plus puissants que l’Airplane, plus carrés que le Dead et plus évolués et aventureux que Big Brother & The Holding Company. La plupart des groupes de la scène locale venaient du folk, ce n’était pas le cas du Quicksilver, exception faite de David Freiberg qui était lui aussi un ex-folkie.

Dino Valenti vient lui aussi de la scène folk de Greenwich Village, mais personne ne sait s’il est vraiment à l’origine du groupe ou non. Toujours est-il qu’il débarque à Frisco et s’installe sur une péniche avec David Crosby. Ils enregistrent ensemble «Birdses» qui dit-on va influencer les Byrds au moment du choix d’un nom de groupe. Dino Valenti compose aussi «Get Together» dont les Youngbloods vont faire un hit. Il commence à fureter dans les alentours, à la recherche de musiciens pour monter un backing band et tombe sur un pur rocker, John Cipollina, qui est fan de Jerry Lee Lewis. Au point de l’accompagner sur scène quand il se produit en Californie. Dino Valenti organise une répète le lendemain mais il ne vient pas. Pourquoi ? Parce que les cops le coffrent pour usage de dope. Pendant ce temps, un groupe garage nommé the Brogues fait des ravages un peu plus loin, à Central Valley. La chanteur s’appelle Gary Coles. Il va devenir Gary Duncan. Il se balade en décapotable jaune, fume de l’herbe et trimballe des putes sur la banquette arrière. Le spectacle ne plaît pas aux flics qui l’envoient au trou pour quatorze mois. On drugs charge, comme dans le cas de Dino.

Quand il sort, il découvre que les Beatles ont tout ratiboisé : le folk et le r’n’b. Il intègre les Brogues qui jouent du garage. Le batteur Greg Elmore a choisi les Pretty Things comme modèle pour les Brogues. Ils se vendent comme «American music with British accents» et enregistrent une version approximative du «For Your Love» des Yardbirds. Ils vivent de leur musique et vendent les tickets de concerts eux-mêmes. Mais l’un des Brogues est appelé sous les drapeaux et le groupe disparaît. Alors Gary Duncan et Greg Elmore décident d’aller s’installer à Frisco - taking speed, drinking a lot, smoking pot.

Pendant ce temps, Cipo attend que Dino sorte du trou. Il bricole avec Skip Spence et un bassiste nommé David Freiberg. Mais ça ne dure pas longtemps : Freiberg se fait coffrer pour usage de dope. Cipo prend son mal en patience. Deux au trou, ça commence à faire beaucoup. Dans une fête psychédélique, il rencontre Gary Duncan et Greg Elmore. Il leur manque juste un bassman et un chanteur ! Davird Freiberg sort au bout de 47 jours et il rejoint les autres. Ils se baptisent Quicksilver Messenger Service et en 1965, ils commencent à jouer ici et là. Ils partagent l’affiche avec le Dead, l’Airplane, Country Joe & the Fish, les Charlatans et Big Brother. Mais le Quicksilver prend un malin plaisir à se distinguer des autres groupes de la scène locale, avec leur hard-driving ferveur, héritée des racines garage de Gary Duncan et Greg Elmore. C’est d’autant plus probant que Greg bat fort. Gary Duncan : «We had the best rhythm section in the city.» Chaque fois qu’ils montent sur scène, ils sont sous LSD et ils explorent les zones inconnues de la wild psychedelia. C’est d’ailleurs ce que reprochent les spécialistes aux albums studio du groupe : un son trop sage, alors que sur scène, le groupe battait tous les records de sauvagerie aventureuse. Ils utilisent des cuts comme «Co’dine» de Buffy Sainte-Marie ou «Mona» de Bo Diddley pour se livrer à d’explosifs two-guitars workouts. Gary Duncan va plus sur un feel jazzy alors que Cipo ne vit que pour les vrilles ascentionnelles.

Et la légende de Quicksilver commence à se répandre, et pas seulement grâce à la musique. Ils optent pour un mode de vie communautaire et s’installent dans une vieille ferme à Olema avec leurs armes à feu. Ils s’habillent en cowboys, tirent des coups de fusil et élèvent un loup. Ils abattent des vaches dans les champs pour se nourrir. Les mecs du Dead vivent aussi dans le secteur, mais ils préfèrent les Indiens. Une nuit, ils attaquent la ferme du Quicksilver avec des arcs et des flèches. Pour se venger, le Quicksilver se rend armé jusqu’aux dents à un concert du Dead mais des flics les arrêtent. La vengeance devra attendre.

Pourquoi les armes à feu ? Parce que Gary Duncan. C’est l’une de ses passions avec les motos et les guitares électriques. Dans une interview un peu tardive, il avoue avoir été au sniper au Vietnam, en 62 et 63 - I was a sniper in the 75th Airborne - Il est revenu au pays juste avant l’élimination de Kennedy. Il ajoute qu’à cette époque, on ne parlait pas encore de guerre du Vietnam. Alors évidemment, l’interviewer lui demande comment il gérait ça alors qu’autour de lui, les gens refusaient l’incorporation et affichaient ouvertement leur antimilitarisme. C’est simple. Il dit n’en avoir jamais parlé. C’est le dernier truc dont on pouvait se vanter à San Francisco - Si j’avais dit que j’avais été sniper au Vietnam et que j’avais descendu 27 personnes, on ne m’aurait jamais accepté dans le groupe - Il ajoute qu’il était mal vu à cause de sa moto et de son goût pour les flingues. Alors il s’est naturellement tourné vers les Hells Angels - On ne pouvait jamais faire confiance aux musiciens, par contre on pouvait se fier aux Hells Angels - Gary Duncan dit avoir grandi en Oklahoma, dans un monde où l’homme doit être un homme. Il préférait aussi les beatnicks aux hippies, car selon lui, le mouvement beat reposait sur une démarche purement intellectuelle, ce qui n’était évidemment pas le cas du mouvement hippie, composé essentiellement de fugueurs et de fugueuses qui ne pensaient qu’à baiser et à se schtroumpher. Le LSD était encore légal à cette époque et Gary Duncan insiste pour rappeler que tout le monde en prenait. Des tonnes de LSD.

Un premier album sobrement titré Quicksilver Messenger Service sort en 1968. Ils ne sont que quatre (Duncan/Freiberg/Elmore et Cipo) et Gary Duncan mène le bal. Il chante «Pride Of A Man» avec une sorte de rage contenue. Puis on les voit se contenter de gratter leurs grattes en rythme sur «Dino’s Song». Ils vont ensuite piquer leur crise classique avec un «Cold And Silver» d’une infinie délicatesse, comme le fit Dave Edmunds à l’époque de Love Sculpture avec son adaptation du «Sabre Dance» de Khachaturian. Gary et Cipo se livrent à un véritable festival de virtuoses et se positionnent dans les hautes sphères de la paraphernalia. Ça joue à la note précise et lumineuse, au délié de gammes. On tombe en B sur un «Too Long» étrangement poppy. C’est n’est pas le ‘debut album’ du siècle comme on a voulu nous le faire croire à l’époque. Loin de là. Moby Grape avait beaucoup plus de jus. S’ensuit «The Fool». C’est le moment d’allumer un spliff. Tu en as pour douze minutes. Cut idéal pour partir en goguette. Gary et Cipo ultra-jouent leur guitar-slinging paradisiaque.

Encore un malentendu : on a longtemps considéré Happy Trails paru un an plus tard comme un disque culte. Le culte avait bon dos à l’époque. Forcément, on préférait les albums qui sonnaient comme des invitations au voyage. En gros, Gary et ses amis proposent deux longues variations sur un thème de Bo Diddley. Ils démarrent avec «Who Do You Love». On peut dire que tout le son de Quicksilver est là. Gary tient le lead, bien épaulé par des ouuh-ouuh californiens et on peut dire que ça groove. On voit même Gary Duncan jazzer son groove sous le vent. Il file comme un furet. Mais il y a des longueurs. Pour écouter ça, il faut disposer de temps devant soi. Ce qui n’est pas toujours évident. Surtout quand on s’amuse à cumuler les fonctions. En B, il restent chez Bo avec «Mona». Ils en proposent une interprétation libre. Les Quick ne s’embarrassent pas de scrupules. Ils réussissent à bricoler une version molle, à l’image des montres molles de Dali.

Gary Duncan quitte le groupe au moment de la parution de Happy Trails. Il préfère rouler en moto avec Dino Valenti, prendre du speed et aller se battre dans des bars. Nicky Hopkins qui est de passage en Californie rencontre Cipo et ils décident de jouer ensemble. Ils tentent de redémarrer un groupe moribond avec Shady Grove, en 1969, mais toute la dynamique des psychedelics workouts a disparu. Ce qui n’est pas une mauvaise chose car Shady Grove est beaucoup plus solide que les deux premiers albums. Cipo reprend les choses en main et dès le morceau titre d’ouverture de bal, il propose un son musculeux, quasi épique, fruité et boisé. Il ultra-joue et Nicky Hopkins hante le cut avec son piano. On a là un fantastique jerk de groove Quicky, certainement un pic d’excellence en matière de Californian Hell. Avec «Three Or Four Feet From Home», Cipo passe au boogie. Idéal pour un boogie-cat comme Nicky. Non seulement Cipo jute bien, mais il jute une classe infernale. Il sort un son plein et vif. Vif argent comme le Quicksiver. Ça frise l’ampleur catégorielle. David Freiberg enchaîne avec «Too Far», un admirable balladif dylanesque noyé d’orgue par Nick Gravenites. On reste dans le qualitatif Quicky avec «Holy Moly», heavy balladif tendu vers l’avenir. Nicky Hopkins ruisselle de notes, ça sent bon la grande ampleur, c’mon ! Pour un peu ils sonneraient presque comme la Carla Bozulich des Geraldine Fibbers dans «Dragon Lady». Cipo embarque cette merveille à la force de la glotte.

David Freiberg demande à Gary Duncan de revenir pour sauver le groupe. Ils ont besoin de blé, alors Duncan et Valenti acceptent. À présent, ils sont six, avec Nicky Hopkins. Dino Valenti prend le lead et ramène un peu de folk-rock dans Quicksilver. Il propose d’aller enregistrer le prochain album à Hawaï. Just For Love paraît en 1970 sous une pochette psychédélique, la première d’une petite série. C’est là que se niche leur premier hit, «Fresh Air» qui flotte dans l’excellence patentée de l’apanage. C’est là où le guitar hero se fond dans la lumière du paradis. Dino et ses amis développent un esprit d’immense pureté qui peut égaler celui développé par Santana, avec une belle démesure et un joli souci d’excellence. On sort de ce cut ravi et repu. L’autre gros cut de l’album s’appelle «The Hat». On y retrouve le groove magique du Quick, ils se donnent le temps du temps, des arpèges évanescents doublent la voix de Dino. Cipo et Gary rivalisent d’habileté florentine. Ils pratiquent l’art subtil du grand écart. Autre joli cut, «Freeway Flyer», en ouverture de B : puissant et hanté par la slide carnivore de Cipo. Dino enchaîne avec «Gone Again». Il nous fait toujours à peu près le même coup : groove d’errance quaternaire, sans but ni idéologie.

Le petit préféré restera sans doute What About Me, paru la même année. L’album propose en réalité le reste des enregistrements de Hawaï. Dès le morceau titre, on retrouve cette atmosphère détendue qui fait le charme de «Fresh Air». Ça ce sent que c’est ça. Fantastique ambiance de guitares psyché. Dino compose tout et signe James Otis Farrow. Des cuivres entrent dans la danse et le cut bascule dans la magie. Le coup de génie de l’album s’appelle «Call On Me». On a là un big freakout de Quick embarqué à la wah et aux cuivres, sweet sweet loving day. Extraordinaire démesure ! Ils s’y mettent tous. Voilà le grand Quick, you call on me, avec des chœurs écœurants de classe californienne. C’est cassé en deux pour une deuxième fournée, ils ont raison, ça permet de revivre la lente transition qui mène à l’explosion de chœurs. Dino mène si bien le bal, I need someone / To talk at night, et les chœurs remontent comme une marée du siècle, ouuuh ouuuh, sweet sweet love. C’est abominablement bon. Dino emmène le Quick vers une autre dimension. Avec «Subway», ils sonnent comme Cream, avec un heavy groove monté sur un riff conquérant. Ils peuvent développer un very big sound, for sure - I’m just a country boy/ I’m so far away from my home - Nicky Hopkins tape un bel instro intitulé «Spindrifter» sur son piano, et le Quick repart en mode groove aérien avec «All In My Mind». Gary Duncan adore les alizés et passe un solo délicieusement délié et joué à l’ongle de nacre.

En 1971, Cipo, David Freiberg et Nicky Hopkins ont quitté la groupe. Ne reste plus que le noyau dur Dino/Gary/Greg Elmore. Ils enregistrent Quicksilver, un album mi-figue mi-raisin quasiment composé par Dino. Dès «Hope», il fait référence à l’Eve of Destruction et prend des petits accents dylanesques pour promouvoir son art. Gary Duncan réactive ensuite le vif argent avec «I Found Love». On entend son jeu pernicieux hanter le fond du cut. Dino se fend d’un «Song For Frisco» très pointu dans le nasal. C’est saturé de beau son psychédélique qui est, faut-il le rappeler, l’apanage du Quick. C’est en tous les cas le groupe qu’on aimerait entendre en arrivant au paradis. Gary taille une croupière à l’excellent «Play My Guitar» et un B, le Quick se tire une balle dans le pied avec de la très mauvaise pop : «Out Of My Mind» et «Don’t Cry Lady Love». Voilà comment on flingue une B.

C’est le même noyau dur qui enregistre Comin’ Thru l’année suivante. Plus que sur les albums précédents, on constate que Dino amène de l’énergie dans le groupe. Il faut l’entendre embarquer «Forty Days» dans sa tempête de vocalises. Il sait repousser les limites. Dino est ce que les Anglo-saxons qualifient de larger than life, c’est-à-dire un bouffeur d’écran. Hey ! Il faut le voir haranguer le rock. Il va loin, aussi loin qu’il peut aller, ce mec est un prodigieux spectacle d’insistance caractérisée. On le voit ensuite gérer le groove californien de «Mojo», puis «Don’t Lose», où il appelle sa mère - Mama ! - Quel shouter ! Le mec qui remplace David Freiberg s’appelle Mark Ryan et il groove bien son bassmatic sur «Doin’ Time In The USA», le cut d’ouverture de bal d’A. On reste dans l’univers bien typé d Dino avec «Changes». Il adore composer cette pop ultra-chantée et orchestrée à la Quick, cette semblance de dérive californienne. On entend Gary Duncan faire des étincelles de wah sur «California State Correctional Facility Blues», sans doute une référence à son passé de taulard. C’est nappé d’orgue et bien embarqué pour Cythère. Des gens prétendaient à l’époque que Comin’ Thru était un album raté. Comme Saturne, la subjectivité dévore ses propres enfants.

En 1975, le groupe original se reforme pour l’excellent Solid Silver. La pochette s’orne d’une fantastique photo du groupe à bord d’un voilier. Elle remplace la traditionnelle illustration psychédélique. Place au groove Quicky dès «Gypsy Lights». On entend David Freiberg faire des miracles au bassmatic. Dynamique, voilà le maître mot. Ces mecs n’ont de leçon à recevoir de personne. Une certaine Kathi McDonald envoie des sacrés back-ups. Puis Cipo chante son «Heebie Jeebies» d’une voix un peu moins éclatante. Nicky Hopkins joue des rivières de diamants, comme au bon vieux temps. La surprise vient de David Freiberg avec «I Heard You Singing», qu’il compose et qu’il chante. Un vrai crack ! On assiste à une fantastique extension du domaine de la hutte, ce mec chante par dessus les toits, comme le pauvre Lélian, avec un bel élan patriotique. Quel souffle ! En B, Dino propose un «The Letter» qui n’est pas celui des Box Tops. C’est un folk-rock visité par la grâce. Gary Duncan joue sa partie de pedal steel à l’éclair mirobolant du Quick et derrière, la Kathi amène du jus. L’infernal Gary Duncan reprend le lead avec «They Don’t Know» et gratte ça à l’arpège d’ongle sec. Pur jus de Quick, avec un Freiberg en escarmouche et une Kathi bien frétillante en renfort. Fabuleuses harmonies vocales ! La fête se poursuit avec «Flames» et Cipo aux feedback guitars. Il faut voir le boulot qu’il abat ! Il wahte comme un démon, il joue à la force du poignet. Les Quick bouclent leur vaillante B avec «Bittersweet Love», un sacré numéro de heavy rock plein d’allant, bien drivé au bassmatic, avec des accords des Who en sur-couche. Cipo joue en open tuned lead, ça a beaucoup d’allure. Le bassmatic de David Freiberg est une merveille irrépressible. Ces mecs naviguent au même niveau que Moby Grape.

Gary Duncan réactive le groupe en 1986 avec une nouvelle équipe et enregistre Peace By Piece. Le seul rescapé du Quick original est David Freiberg au chant. Il n’y a pas de bassiste ni de batteur sur cet album, rien que des synthés. Pourtant, il ne faut pas se fier aux premières apparences. Dans «24 Hours Deja Vu», on voit la mélodie reprendre le dessus. L’art de Gary Duncan reste intact, rassurez-vous. Il donne carte blanche aux cuivres et un sax vient chauffer le cul du cut. On voit Gary partir sur «Swamp Girl», et quand il part, il part. Il sort le son qui fit la grandeur du Quick, il se lance dans une fantastique partie de haute voltige. C’est un guitar hero énergétique doté d’un allant suprême. En B, on le voit allumer «Wild In The City» à coups de petites vrilles pernicieuses et il opère un grand retour à ses amours anciennes avec le Diddley beat de «Pool Hall Chili» - I don’t eat no calamari/ Cause looking at a squid don’t pull my chain - N’oublions pas que Gary Duncan est un biker qui fricote avec les Hells Angels. Il termine cet excellent album avec le morceau titre. On y entend les hélicos, comme dans Apocalypse Now. Gary Duncan chante enfin ses souvenirs de sniper - Gimme a radio and an M-16/ And flip it on rock’n’roll - Il part en rap - I’m a war baby/ I’m a wolf in a flock of sheep - Le loup dans la bergerie. D’où la pochette.

On trouve dans le commerce tout un tas d’albums live du Quick. Celui qu’il faut choisir en priorité est le Live At The Kabuki enregistré le 31 décembre 1970. Fantastique document ! On y retrouve le Quick au grand complet : Dino, Cipo, David Freiberg, Gary Duncan et Greg Elmore. Dire que Dino a failli chanter dans les Byrds ! Ils attaquent avec le fabuleux «Fresh Air». C’est le Quicksilver de prédilection, animé d’échanges de solos entre Gary Duncan et Cipo. Quelle présence ! Encore du pur Dino avec «Truth», puissant car bien suivi par le twin-guitar attack de Duncan & Cipo. Dino privilégie les vieux grooves rampants et monte bien au créneau pour lancer ses accents tranchants. Cipo fait des merveilles et Freiberg joue de grosses basslines traversières. Duncan joue plus hargneux. Dino fond bien sa voix dans la consonance du groove californien, avec des aooouh de bonne bourre. Ils partent en boogie blues pour «Doctor Feelgood». C’est exceptionnel de bonne allure. Cipo et Duncan n’en finissent plus de s’en donner à cœur joie. Ils jouent à l’excès de note tirée et s’échangent des phrasés. Tiens voilà «Cobra» signé Cipo et monté au Diddley beat. Greg Elmore bat bien le Diddley beat et Cipo le joue à la pure Quick motion. Dino prend ensuite «Song For Frisco» par dessus les deltas de son ami Croz. Ils naviguent tous les deux dans le même univers de dérive psychédélique, de boat at sundown et d’acid trip de rêve. Avec des gens comme eux, il faut parler de magie. Back to Bo avec «Mona», ce vieux cheval de bataille tiré de Happy Trails. Pur Bo sound avec des attaques intraveineuses. Le Quick sait se montrer salement garage, avec du suspensif vénéneux en prime. C’est heavy et bien drivé par ces deux démons que sont Cipo et Duncan. Ils font de «Mona» un cult cut la praline. On a toujours les basslines traversières de David Freiberg et Greg bat ça Bo, dans les règles de l’art, alors que Cipo et Duncan orientalisent l’Occident. Ce groover génial qu’est Dino revient à ses amours avec «Subway» - I’m just a country boy - Il continue de jouer la carte du meilleur groove californien et Cipo transforme tout ça en juicy splurts et en fruity juices de guitare joyeuse. Ils démarrent le disk 2 avec «What About Me», le Quick de Dino, le heavy groove californien dans toute sa splendeur - Ouuuh Ouuuh what chou gonna do about me - C’est dingue ce qu’on a pu adorer ce cut à l’époque. Dino chante «Pride Of Man» à la bonne arrache ventriculaire, c’est très Airplane dans l’esprit de Seltz et c’est précisément la raison pour laquelle on les admire. S’ensuit un fantastique stomp de Quick avec «Local Colour», un chef-d’œuvre signé Cipo. Ils rendent une nouvelle fois hommage à Bo avec «Not Fade Away». Quelle clameur et quel beat ! Ils le dépouillent et font de ce cut une merveille exorbitante. Cipo joue en killer Quick. Encore du pur jus de Dino avec «Mojo». Ils ont un son, alors ils en profitent. C’est de bonne guerre, baby I’m here et le solo court derrière, attention, on ne rigole plus car ça pleut de partout. Ils tapent «Freeway Flyer» au riff de Creedence. Les Quick savent se montrer impériaux. David Freiberg en profite d’ailleurs pour partir en voyage intersidéral sur le manche de sa basse. Adios amigos.

Signé : Cazengler, cuite sévère

Gary Duncan. Disparu le 29 juin 2019

Quicksilver Messenger Service. Quicksilver Messenger Service. Capitol Records 1968

Quicksilver Messenger Service. Happy Trails. Capitol Records 1969

Quicksilver Messenger Service. Shady Grove. Capitol Records 1969

Quicksilver Messenger Service. Just For Love. Capitol Records 1970

Quicksilver Messenger Service. What About Me. Capitol Records 1970

Quicksilver Messenger Service. Quicksilver. Capitol Records 1971

Quicksilver Messenger Service. Comin’ Thru. Capitol Records 1972

Quicksilver Messenger Service. Solid Silver. Capitol Records 1975

Quicksilver Messenger Service. Peace By Piece. Capitol Records 1986

Quicksilver Messenger Service. At The Kabuki Theatre. 31 12 1970. Charly 2007

Michael Saltzman : To the limits. Record Collector # 453 - May 2016

She Darts it right

Tout le monde se souvient des Love Me Nots et des ravages qu’occasionnait NicoleLaurenne avec son Farfisa. Elle officie aujourd’hui au sein d’un girl-group baptisé Darts, un mot qu’on traduit généralement par fléchettes. Dans le petit monde de l’underground, les Darts ont le vent en poupe, mais avant de se lancer dans des achats d’albums, il est vivement conseillé de les voir jouer sur scène. C’est là que le cœur balance ou ne balance pas.

Sur scène, Nicole Laurenne s’est nettement améliorée. Améliorée n’est pas vraiment le mot. Disons qu’elle devient plus sauvage, elle n’hésite pas à se jeter au sol et à entraîner son Farfisa dans sa chute pour s’y livrer à des ébats spectaculaires. Elle bat Jake Caveliere au petit jeu du roulé-boulé Farfisy, autrement dit, l’art de se rouler par terre avec une carlingue de petit orgue électronique. L’exercice est beaucoup plus épineux qu’avec une guitare. L’orgue en lui-même n’est pas bien gros, mais ses pieds en font un objet récalcitrant qu’il faut savoir entraîner dans les galipettes, et ça finit par friser le numéro de cirque, ce dont le public raffole. Rien n’a changé depuis la Piste Aux Étoiles de Jean Nohain.

Autre métamorphose de choc : l’absence de Michael Johnny Walker, l’homme qui présidait aux destinées des Love Me Nots. Homme complet devrait-on dire, aux plans sonique, scénique et composital. Ce mec avait un sens inné de la compo qui fait mouche à tous les coups et du killer solo flash, et dans un monde aussi ingrat que celui du garage américain, c’est une vertu cardinale qui vaut son pesant d’or. Son absence se fait d’ailleurs cruellement sentir dans le son des Darts. Elles compensent avec une sorte de bravado typiquement féminine, elles jouent avec tout les petits chiens de leurs chiennes et moissonnent les suffrages au passage. La mission de faire oublier Michael Johnny Walker échoit à une petite brune nommée Meliza Jackson. Petite ? Presque miniature, avec des mains à peine assez grandes pour un manche aussi petit que celui d’une Tele noire. Le cheveu mi-long et noir de jais, le nez en trompette, les yeux bien charbonnés, les deux épaules couvertes de tattoos, le mini-corps enveloppé dans une mini-jupe noire assez moulante, et bottée de noir jusqu’aux genoux, elle offre une version miniature d’une early Joan Jett, c’est-à-dire d’une simili-Keith Richards juvénile. Elle frise un peu la caricature, mais elle joue avec un tel entrain qu’elle finit par emporter la partie. Tout le poids du son semble reposer sur ses épaules tatouées, alors elle joue avec une extrême concentration, on pourrait presque dire à l’économie. Ses plans guitare épatent la galerie par ce qu’on pourrait qualifier de miniaturisme, c’est-à-dire une économie de moyens doublée d’une réelle efficacité. Pas de grimaces ni de chichis. Elle tombe à genoux quand il faut, lorsque Nicole Laurenne se roule par terre avec sa carlingue d’orgue. C’est là où certains guitaristes nous surprendront toujours. Pendant plusieurs morceaux, ils donnent l’impression de ne pas savoir très bien jouer, mais en fait, ils dominent parfaitement la situation. Pas besoin de tout jouer en disto ou en fuzz et de passer des solos de plusieurs minutes. La mini-Keef joue avec une édifiante parcimonie et aide ceux qui n’aiment pas trop le son du Farfisa à l’accepter. On apprendra un peu plus tard que la mini-Keef remplace l’ancienne guitariste Michelle Balderrama virée du groupe par Nicole Laurenne. La raison ? Oh c’est très simple : Nicole Laurenne est juge dans le civil et elle ne tolère pas l’usage des drogues. On appelle ça une déformation professionnelle. Bien évidemment, quand on examine les bras de la mini-Keef, on voit aucun trou de seringue. Si elle veut conserver son job, elle sait qu’elle doit se tenir à carreau.

Le set des Darts captive, c’est le moins qu’on puisse dire. Elles savent tenir un set en laisse et déclencher une émeute quand il faut. L’art du set repose sur l’alternance de faux moments de calme et de violentes montées en température. Il faut savoir climaxer au bon moment, et Nicole Laurenne bénéficie d’une longue expérience avec les Love Me Nots. Elle fonctionne aujourd’hui comme une vieille pro et sait travailler la couenne d’un public, n’hésitant pas à impliquer des gens dans son jeu. Ça donne une ambiance très cordiale, très bon enfant, très propice aux épanchements. Elle ne fait pas battre les cœurs, mais elle lie les destins le temps d’un set. Elle crée cette franche camaraderie typique de bons concerts de garage, ceux dont on reparle longtemps après, lors d’un apéro avec les copains. «Ah ouais, tu te souviens des Cool Jerks à l’Espace B ? Ah qu’est-ce que c’était bien !» Et donc dans quelques années, on dira : «Ah ouais, tu te souviens des Darts au club ? Ah qu’est-ce que c’était bien !» Que pourrait-on en dire de plus ? Ce genre de set n’a pas d’autre prétention que de nous faire passer un bon moment. Ça s’arrête là. On peut chercher dans ses souvenirs, on ne trouvera pas d’autre raison d’en parler, puisqu’il n’y a ni message, ni arrière pensée, ni double langage. Juste quatre filles qui perpétuent une tradition vieille de cinquante ans. Elles le font avec soin, comme tout ce que font les femmes, surtout dans un univers aussi peu féminin que celui des groupes de rock. Demandez à June Millington combien elle en bavait au temps de Fanny, quand elle entendait des mecs dire dans le public que les femmes ne savaient pas jouer aussi bien que les mecs. Comme les Japonais, les filles doivent en rajouter pour se montrer à la hauteur, alors elle en rajoutent, mais dans le bon sens du terme. On ne trouvera aucune trace de m’as-tu-vu chez les Darts. Elles taillent leur chemin et compensent leur absence de ‘manhood’ par un aspect sensible qui focalise l’attention et qui finit par flatter l’intellect. Bon d’accord, les compos ne sont pas spécialement renversantes, mais sur scène, elles fonctionnent plutôt bien, même si le sentiment d’avoir entendu certaines choses dix mille fois persiste. Elles développent une telle ferveur qu’elles finissent par convaincre les convaincus d’avance.

Elles font cette tournée européenne pour la promo de leur deuxième album, I Like You But Not Like That. Les investisseurs y trouveront un hit digne des Ronettes, «Don’t Hold My Hand», ce qui les consolera d’avoir lâché un billet de vingt. Le reste de l’album ne sort pas vraiment de l’ordinaire : on a déjà entendu ce tatapoum et ce garage d’orgue tellement de fois qu’il ne provoque plus le moindre émoi. Ça pue le fac-similé. Elle compensent avec de l’entrain, comme sur scène. Elles sauvent leur B avec un «New Boy In Town» bien pulsé du beat et la grosse Christine Nunez qui était elle aussi dans les Love Me Nots fait bien gronder sa basse dans «Japan» et dans «I Ain’t Crying». Il est bien certain que les Darts savent tenir un pit en laisse.

Histoire de céder à ce vilain défaut qu’est la curiosité, on peut pousser le vice jusqu’au rapatriement de leur premier album, Me Ow. Rien à voir avec I Like You But Not Like That. Écouter Me Ow, c’est comme plonger dans une bassine d’huile bouillante. On s’y frit le beignet dès «The Cat’s Meow», cette espèce de groove de garage underground emmené par une basse fuzz qui secoue le cocotier du mix. C’est du pur jus de délinquance juvénile. Nicole Laurenne envoie des yeah qui en disent long sur ses fantasmes judiciaires. Il faut se méfier de cette femme, elle peut allumer des brasiers sous la carpette et libérer autant de clameurs infernales que l’ostensoir du chanoine Docre. Elle passe à la stoogerie avec «Gonna Make You Love», elle est bonne, au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. Elle trempe sa chique dans la purée et ne mégote pas sur les lâchers de volutes. Virulence et beat turgescent, telles sont les deux mamelles des Darts. Avec «Not My Baby», elle shake son garage dans l’attente de jours meilleurs. C’est toujours comme ça quand on attend trop de la vie, on passe sa vie à attendre. Par contre, elle tarpouille son «Get Messy» dans la joie et la bonne humeur. Oh le filles, comme le disait si bien Eddick Ritchell, elles me rendront marteau ! La B tombe de sa chaise à cause de «Don’t Freak Me Out». C’est tellement battu que Nicole Laurenne a du mal à reprendre les rênes. C’est battu trop dur. Elles sont complètement folles. La batteuse vole le show. Comme elles ont décidé de ne pas se calmer, elles enchaînent avec «The Generator», elle tapent leur shit à la concassure, pas de retour en arrière possible, et Michelle nettoie la tranchée au killer solo flash. «I Made A Wish» sonne comme une expectitude de wonderland, c’est du garage spontané et plein de vie, avec un killer solo à la clé. On ne se lasse pas de l’exubérance des Darts. Dernier coup de Jarnac avec «Caught In The Devil’s Game» qui sonne comme un hit des Love Me Nots.

Le conseil qu’on peut donner, hormis les voir sur scène, c’est d’écouter cette compile parue chez Dirty Water, The Darts. Oh elle est facile à trouver dans le bac : la pochette s’orne d’un horrible sous-tif, sans doute un clin d’œil amusé de Nicole Laurenne aux médecins qui l’ont charcutée pour la sauver d’un cancer du sein. Cette compile grouille de hits fabuleux, à commencer par «Take What I Need», ce que les Anglais appellent an extraordinary delivery. Nicole Laurenne y déclenche l’enfer sur la terre, il n’y a pas d’autre formule possible, c’est digne de Question Mark & the Mysterians, elle exalte le beat comme d’autres exaltent des bites sur les parkings. On a là un hit phénoménal. L’autre monster blast de la compile s’appelle «I Wanna Get You Off», c’est illuminé à coups de wild shoots, Nicole Laurenne chante ses guts off, elle est out of her mind et c’est somptueux. Elle explose le concept qui devient une sorte d’exploding inevitable à la Warhol. On voit le hit se démultiplier à l’infini. Effarant ! Autre joli numéro de cirque : «Runnin’ Through Your Lies». Les Darts le jouent à l’emballement perpendiculaire. C’est du garage noyé d’orgue et pourtant, ça devient puissant, superbement girly, bien bombardé de son. S’il fallait les complimenter sur un truc, ce serait leur énergie. Encore plus surprenant : «Carry Me Home», slab de garage que remontent à contre-courant des nappes étranges. Le refrain décati en fait un hit. Ce beautiful «Carry Me Home» fait partie de leur set-list. Nicole Laurenne fait encore de sacrés ravages avec «Ramblin’ Stone» et son you got me ! Elle se montre extraordinairement présente, mue par une énergie qu’il faut bien qualifier d’infernale. On peut même parler de fondamental stuff. Elle cogne son shit contre un mur. Sa façon de le swinguer. Elle se livre à un truc purement américain, de l’American sex, perdu au fond de nulle part, comme un film de David Lynch. Elle se montre encore plus impliquée dans «You Got Me» - Save my soul/ Got no use - C’est un bonheur que de l’entendre shouter sa hot shit de choc. Ce qui ressort de la plupart des cuts énumérés est une sorte de crazyness. Elle drive son «She’s Gone» en enfer et c’est pour le moins enthousiasmant. On a là le big drive de garage d’Arizona. On croit même entendre Michael Johnny Walker, tellement c’est bien foutu. On assiste à une sorte d’explosion de joie et de bonne humeur, de celles qui vous sauvent une soirée.

Signé : Cazengler, Dark

Darts. L’Abordage. Évreux (27). 2 juillet 2019

Darts. Me Ow. Dirty Water Records 2017

Darts. I Like You But Not Like That. Alternative Tentacles 2019

Darts. The Darts. Dirt Water Records 2018

05 – 07 – 2019 / MONTREUIL

COMEDIA

COSMIC TRIP / DIRTEEZ

La teuf-teuf mobile filoche sur le goudron moite, deux messages, jour sur jour, de Nikopol m'coco, m'enjoignant d'être présent ce vendredi soir à la Comedia, because il y avait un super bon groupe de rock comme je les aimais. Bien sûr c'était un mensonge éhonté, désormais tous les jours de ma vie je me méfierai des annonces de Nikopol m'coco, il n'y avait pas un seul bon combo de rock, mais alors pas du tout, il y en avait deux. Certes deux genres totalement différents, de style aussi éloigné l'un de l'autre que notre bonne vieille galaxie des confins erratiques inexplorés des limites extrêmes de l'univers, jugez-en par vous-mêmes : poésie et rock'n'roll. Si par hasard vous connaissez des trucs plus explosifs que le rock'n'roll et la poésie, contactez-moi. Qui que vous soyez. Sauf Nikopol m'coco bien entendu.

COSMIC TRIP

Nous ont fait le coup de la fausse balance. Sont partis direct en poésie comme d'autres prennent le bateau. Pas la barcasse ivre de Rimbaud, mais la descente phantasmatique du radeau dans le ruisseau de Giono. Un de ses plus beaux textes, bref ils étaient trois, guitare, basse, trombone, puis elle est venue, surgie de nulle part, s'est installée devant le micro, et c'était parti pour une longue dérive de mots et de musique. Je l'avais entraperçue gisant sur le sofa en princesse assoiffée lasse de vivre alors que les autres s'affairaient autour de la leurs instruments et de leurs machineries. François Seuls et Michel, à la guitare et à la basse qu'ils échangeront dans la dernière partie du set, de vraies gueules de poëtes, broussailles de cheveux blonds et t-shirt de sang vermeil pour l'un, yeux rêveurs sur barbe engrisonnée et pointue de gentilhomme du seizième siècle pour l'autre. Ils sont les modérateurs de l'infini. Ne vous le propulsent pas à la vitesse de la lumière, vous le font couler doucement, un froissement de reptile enfui dans les fourrés, mais vous sentez que la présence redoutable et venimeuse vous suit sur le chemin. Ne vous quittera plus. Cordes indolentes et endormeuses. Raga sans rage venu d'un Orient inconnu. Vous ensorcèlent sans que vous y preniez garde. S'il n'y avait pas Sly Trombone à leurs côtés, l'endormissement et l'enfouissement final vous guetteraient.

Sylvie Shnou n'est pas un mou du genoux. Femme et espiègle. L'est chargée de réveiller les morts. Elle rutile de coups de trompettes incandescents. Faut la voir allonger démesurément son trombone, l'exhausse en cou de girafe, puis elle vous le rapetisse à la manière des parapluies pliants, les gars vous emmènent dans les plis et replis d'une musique sérielle et Sly tire au tromblon comme si elle était pistolero dans un western mexicain, à elle toute seule elle éclate aussi fort que la fanfare de l'Opéra des Quat'sous, elle vous kurt weillise vous bretchise sans concession, et ma foi elle vous fait tinter la monnaie fort bellement sur les comptoirs de la joie de vivre. L'on devrait crier au scandale, dénoncer un intolérable pot-pourri musical de douce brise et de broc frontal, un mélange qui ne devrait pas exister, mais bizarrement cette disharmonie de base est des plus harmonieuses.

Et puis il y a Lili. Juste elle. Elle a compris l'injonction mallarméenne, que la poésie se doit de reprendre son bien à la musique. La parole d'abord, la voix suffit. Tout le reste s'inscrit dans l'ordre du superfétatoire. Compagne des trois autres mais solitaire en elle-même. Mince silhouette, une éblouissante sveltesse d'un corps aux courbes évanescentes teintées à l'aquarelle comme crayonnées en dessous par James Whistler. Et puis la voix, filtrée au sang intérieur, un miracle de ton monocorde, une corde tendue sur l'abîme, pas d'effets, aucune recherche d'aigus pointus, aucun jeu de graves soubassements, le flot ininterrompu, venu de nulle part, la voix d'ailleurs de la Pythie de Delphes, l'écume basse de la Sibylle de Cumes, certes elle psalmodie des paroles du quotidien, du Prévert ou des litanies des difficultés de vivre à deux, mais ces murmures sont à interpréter, Lili nous communique les harmonies des Dieux, et c'est à vous de les recevoir et de les comprendre, car la poésie est une terrible exigence qui dit toujours plus que ce que véhicule le misérable sens des vocables humains.

Nous avons de la chance, joueront longtemps. S'amuseront, essaieront d'inclure des boucles sonores dans le long écoulement de leur musique, imprimeront en filigrane quelques rythmes de bossa, Lili prononcera des gros mots, nous proposeront de nous engouffrer dans un marathon poétique de cinquante-deux heures... Sylvestre vient leur donner un coup de main. Lili lui cède le micro et silencieuse s'occupe à être, seulement à être, au fond de la scène, et Sylvestre se lance dans une brillante démonstration de poésie sonore, petite-fille des théories d'Isidore Isou. Ne s'agit plus de déclamer, mais à l'instar des musiciens qui n'ont pour tout instrument que leur corps, le poète n'a que des mots, pas du discours construit, des espèces de proférations de mots, coupés, raccourcis, concassés, entassés, des dégringolades de phonèmes, des jacasseries de son, des dévergondages de perroquetteries, ne s'agit plus de se faire comprendre mais de démontrer qu'une fois le message aboli subsiste la présence élocutoire du poète, à entendre comme le ramage mélodieux des oiseaux. Inversion de toutes les règles prosodiques et logiques, c'est l'apparition du non-sens qui fait sens. Très belle performance de Sylvestre. Encore un peu de musique et c'est la fin, alors Lili, s'éloigne somptueuse, dans un halo de rêve.

DIRTEEZ

Trois sur scène. Subitement vous avez l'impression que quelque chose vous manque? Sont bien là tous les trois, c'est bien-là le problème. Un bassiste, yes, une guitariste, yes. Et le troisième, l'a dû venir en touriste. Rien dans les mains. L'a perdu sa batterie sur le chemin ! Non, ils n'en ont pas. Quoi un groupe de rock avec une boîte à rythmes, faut demander à être remboursés. Déjà que l'on nous promet l'apocalypse mondiale pour 2030, voilà que maintenant l'on supprime les batteries. Ne vous affolez pas. D'abord l'apocalypse elle nous est tombée dessus trente secondes plus tard. Pour la bestiole rythmique s'en sont sortis comme des chefs. Z'ont compris comment on s'en sert. Très fort, très vite. Imaginez un escalator dans un grand magasin, lancé à 100 kilomètres heures, que ce soit en montant ou en descendant vous n'avez pas à rater une marche pour rester dans les temps. Les Dirteez nous ont défilé une trentaine de titres sans faillir. Quand vous êtes poursuivi par trois molosses il est chaudement recommandé de ne pas s'arrêter pour relire La Métaphysique d'Aristote. Z'avez intérêt à cavaler grave.

Prenons un cas pas tout à fait au hasard, puisque c'est celui de Clint Lhazar, celui qui est arrivé avec son look d'aristocrate anglais convaincu que la simple présence au monde de sa personne lui sert de caution à la tentation cioranique d'exister. Rien dans les mains, mais tout dans la voix. Faut avouer que les deux autres ne l'aident pas, font un boucan d'enfer, nous règlerons leur problème tout à l'heure mais le Clint il s'en fout, possède l'arme secrète, détient the voice, pas à la Sinatra, à la sinistra, l'a l'organe qui tape dans le baryton funèbre, pourriez lui mettre un éteignoir sur la tête, ou un heaume d'armure médiévale, que vous l'entendriez toujours. Le pire c'est qu'il ne s'en sert pas pour soutenir les basses dans le requiem de Gabriel Fauré, n'oublie pas un seul instant qu'il officie dans un groupe de rock, alors il l'utilise comme un chalumeau pour découper l'enveloppe de fer blanc qui enrobe une bombe atomique. Dès qu'il l'ouvre, à chaque fois vous êtes surpris, la possibilité qu'une telle turgescence vocalique puisse exister n'avait jamais effleuré votre esprit, même dans vos délires imaginatifs les plus fous. Le barrissement concis et incisif de l'éléphant en rut et l'ampleur du profond de la baleine qui endort son baleineau. En plus parfois il la râpe au presse-légume guttural, et là vous jouissez sourdement.

Un bassiste. Vous voulez rire. Un gars sympa, une belle dégaine rock, des biceps d'acier, le mec gentil et prévenant qui vous annonce les titres, du genre Endless Night et une trombe de sable brûlant vous vérole le visage, ou alors River of Sorrow et un volcan explose sous vos pas, car personne ne lui a jamais appris qu'il jouait de la basse, mais pas de la guitare électrique. Lui il ne sait pas faire la différence. Vous tire les cordes avec cet empressement des légionnaires qui ont cloué Jésus sur la croix, l'aime le travail bien fait et vite fait.

Le plus terrible c'est que de l'autre côté de la scène, il y a son double, son triple, son quadruple, féminin. Un sourire gourmand de petite fille qui grignote une crêpe au chocolat s'étale sur son visage. Son T-shirt qui arbore une gueule de tigre colérique est un sérieux indicateur, ne s'appelle pas Wild Cat Lou pour rien, regardez le chaton de léopard tatoué sous son poignet pour vous en convaincre, l'est concentrée sur sa guitare comme un chat devant un trou de souris, l'a l'air perdue dans d'abstruses ruminations géométriques et puis sans préavis, elle vous allonge la patoune droite et vous griffe à mort le malheureux riff qui pensait que la voie était libre. Et alors elles miaulent, toutes les deux, la guitare et elle, deux tigresses endiablées, et du coup le bassiste se met à hululer comme un loup dans un roman de James Oliver Curwood. Parce que voyez-vous, je ne vous l'avais pas dit encore pour ne pas vous faire peur, mais Dirteez n'est jamais aussi bon que quand ils poussent la goualante tous les trois ensemble. Bien sûr, souvent il n'y en a qu'un qui s'y met avec Clint, mais quand ils y sont tous les trois, vous êtes obligé de reconnaître que ni le MC 5, ni les Stooges n'ont jamais pensé à cette sorte de pétaudière.

Pour résumer le carnage : ils ont commencé au niveau par lequel généralement les autres groupes terminent, vers la fin la Wild Cat s'est jetée à genoux par terre, a glissé sa tête dans la jupe longue d'une danseuse, l'a dû humer des vapeurs – je n'ose employer l'adjectif qui me vient sur le clavier – s'en est sortie toute excitée, pour, ivre de cette féminine fragrance, se fracasser la tête en arrière sur le carrelage, les mains serrées spasmodiquement sur sa guitare dont elle a continué à lacérer les cordes, une expression d'extrême extase orgasmique sur son visage. L'a fallu deux valeureux jeune homme pour la relever. Rock'n'roll ! Brothers and sisters, dear motherfuckers, il n'y a que cela de vrai sur cette terre maudite.

Damie Chad.

UNDEAD STORY

THE DIRTEEZ

( 2008 / OP001 )

Clint Lhazar : vocals / Wild Cat Lou : guitar, vocals / Jack Redrum : bass / Don Donuts : drums, banjo, backing vocals.

Âmes sensibles, estomacs délicats, ou adeptes avérés du cunnilingus, ne regardez pas la pochette, le message subliminal induit par le dessin signifie-t-il que toute la saleté du monde a trouvé refuge au plus haut d'entre les jambes des filles ? Je vous laisse seul juge. Toutefois rappel du principe le plus élémentaire de la justice humaine : ne portez de jugement qu'après longue enquête et preuve à l'appui.

UFO : les Dirteez ne lésinent pas sur le budget, vous offrent un voyage en objet volant non identifié dès le premier morceau. A peine sur la rampe de lancement que la puissance des moteurs vous arrachent irrémédiablement à l'attraction galactique. Z'ont même embauché un orchestre pour égayer le voyage : guitares fuzzantes, drummin' néphrétique, et vocals de dingos. Dirty talk with batman : un cri de goret pour vous arracher à votre tranquillité, encore pire que le premier morceau, est-on obligé de s'enfoncer de si bonne heure dans l'horrible ? Hélas avec les Dirteez c'est irrémédiable. Et cette guitare qui vous la fait nique ( mère, filles, sœurs, voisines ), un coup de grosse caisse pour renverser la marmelade, les guitares qui se prennent pour des spitfires en flammes. Not Alone : sûr qu'il n'est pas seul pour faire tout ce ramdam, il y a une chatte qui miaule pour réclamer ses croquettes du soir, doivent être particulièrement nutritives parce qu'elle réclame une seconde ration trente secondes plus tard. L'est servie sans ménagement par un maître aux petits soins. Gypsy Rose Lee : dès le début on a compris que l'on ne retrouvera jamais plus Rose Lee dans cet infâme bastringue. J'en profite pour signaler la voix de clergyman enrouée de Clint Lhazar, l'est certain que lorsqu'il les anime de son organe tuméfié les réunions tuperware spécial-paroissiennes doivent valoir le déplacement. Les assesseurs sont du même calibre. Peeping Tom : il y a des groupes qui sont dirigés par des idées simples : la même chose qu'au morceau précédent mais en mieux. Alors le Clint il dégaine sa voix comme Eastwood son flingue, et les acolytes font comme les frères de Jessie James, tirent d'abord, réfléchissent ensuite. Super western on the TV. Ça dégomme dur. Monster from outer space : à force de foutre le bordel un peu partout sur la planète on s'attire des ennuis, sont maintenant aux prises avec un monstre venu de l'espace. Certains informations secrètes de la CIA sous-entendent que c'était les Dirteez qui s'étaient déguisés pour agir en toute impunité. Enquête faite, les soupçons sont confirmés. Paradise : tiens c'est plus doux, du moins sur les trois secondes de l'intro, l'est vrai que nous sommes au paradis, mais le bon temps ne dure guère, l'on assiste à une querelle épique entre Eve Wild Cat et Clint Adam, au raffut qu'ils font l'on comprend pourquoi le bon dieu les a foutus dehors. Nous lui donnons raison. Now we're dead : ce qu'il y a de triste c'est que même morts cela ne les a pas calmés, jouent à la horde de walking deads qui déambulent dans le vestibule de votre maison-bulle. Cachez-vous dans la pendule, s'ils vous touchent vous attraperez des pustules. The real potion N° 9 : c'est le neuvième titre, encore pire que les précédents, rien à dire ce qui vous tue vous rend encore plus fort. Z'avez une guitare qui gronde comme un monstre. Vous auriez dû regarder l'étiquette, le poison sort des labos du bon doctor Feelgood. Du coup Clint et Wild Cat harmonisent une mélodie, rien que pour vous montrer qu'ils peuvent le faire, oui mais ça ne les intéresse pas, ce genre de facéties ils l'abandonnent très vite ! Carry me : une batterie qui s'emballe, un vocal qui survole et une guitare qui bouscule les armoires du living-room. Les Dirteez savent ce qu'ils veulent : allumer le feu du sexe pour ne pas le laisser s'éteindre. Haunted blues : quand le diable élit sa demeure dans le blues, ça tourne en eau de boudin, en rock'n'roll si vous voulez une traduction. Un conseil dépêchez-vous de vendre votre âme, c'est trop bon. River of sorrow : un chagrin violent avec un larsen qui vous coupe les oreilles en pointe dès le début, et puis c'est le côté rivière country déjanté qui prend le relais. Voix profonde, fleuve majestueux. Courant invisible mais si vous y mettez le pied, serez entraîné tout au fond. Pour le cadavre, les poissons chats le boufferont. She's my baby : le genre d'éructation qui mettent les gars en joie, le Clint il brame à la manière des cerfs au fond des bois, les autres derrière font les balèzes, seraient tous prêts à entonner le chant des partisans, la wild Cat vous passe les riffs comme les bandes pour la mitrailleuse. Incubus : un peu de démonologie n'a jamais fait de mal à personne, d'autant plus que l'incubus l'est au cube, le Clint particulièrement en forme pour ce morceau. Les autres vous tartinent la mortadelle à la pelleteuse de bien belle manière. Pink Bikini : musique pour effeuillage, le Clint il aime le rose ( à moins que ce ne soit le bikini ), l'on n'entend que lui, le même effet que le chiffon rouge sur le taureau, en plus la Wild Cat vient lui susurrer de ces miaulements libidineux à l'oreille qu'il en ronronne de plaisir. Vaut mieux les laisser en paix, n'ont pas besoin de nous. Se débrouillent même très bien. Car crash : étrange d'abord ils freinent et ils rentrent dedans, et c'est après qu'ils foncent comme des dératés à croire que le fisc les poursuit pour les impayés. A la vitesse où ils vont, personne ne les rattrapera jamais.

Damie Chad

DANCE OF SOULS

THE DIRTEEZ

( 2019 )

Clint Lhazart : chant / Wild Cat Lou : guitares, chant / Cyril Last Train : batterie / Tchoupi : basse, chorus + dessins & design.

La pochette vaut le détour. Voulions dire par cela que le recto est nettement plus beau. Esthétique woodoo délurée, en des tons gris explosifs.

Tiens dix ans ont passé, sans doute se sont-ils calmés, ils étaient jeunes et fous, il faut comprendre, ils ont jeté leur gourme, pas encore des grabataires mais un peu plus adultes.

Lazy : c'est indubitable, ils ont changé, sont devenus beaucoup plus vicieux. Z'avant ils vous plantaient direct le cran d'arrêt en pleine chair. Maintenant, ils se sont spécialisés à l'injection d'insuline, en sous-cutané, opèrent en douce. Une fois que vous avez votre dose, vous êtes dépendants. Dance of souls : Ils faisaient danser les corps c'était franc et brutal, carrément hématomique sur les bords et au milieu, maintenant, vous extirpent l'âme et ils s'en servent comme des marionnettistes pour la faire entrer en contact avec d'autres. Moins de chair, davantage de frisson. Vous aimeriez que cela ne s'achève jamais. Shark smile : n'en ont pas pour autant perdu les mauvaises habitudes, méfiez-vous de ces sourires en coin aussi pointus que des étoiles de ninja. La Wild Cat en a encore dans le bec, une fille qui s'adresse à vous comme cela, vous n'en avez jamais rencontré. Thirsty road : l'était très bon le morceau précédent, ben celui-ci il est meilleur. Chantent en chœur comme l'armée rouge mais les instrus sont des chars d'assaut qui ne tirent pas à blanc. Talisman : là on n'y peut rien, détiennent la formule magique, une voix qui force les serrures blindées et une guitare qui s'introduit dans votre cœur sans demander la permission. Parce que c'est eux, parce que c'est nous. Strong : pas une seconde d'hésitation, ils sont du mauvais côté de la force. Cette batterie qui enfonce le pont-levis de votre âme, la Wild Cat qui miaule comme la Pasionaria s'insinue en vous avec des faux slogans qui finissent par exploser vos certitudes. Des anarchistes, monsieur l'agent, ils ne respectent rien. I can't wait : peuvent pas attendre, résultat sont pressés. Tous en groupe en formation commando, foncent vers l'objectif à détruire, vous les applaudissez. Vous n'auriez pas dû. C'était vous. Boogie rats : ne sont pas prêts à s'arrêter en si bon chemin. La Wild Cat est au chant comme les régiments de sapeurs à la contre-mine. Evidemment, c'est sans surprise, quand la catastrophe s'arrête vous n'y croyez pas. Vos oreilles non plus. Keep it dirty : retour à l'insidieux, l'infirmière Wild Cat vous fait une piqûre et vous vous envolez jusqu'au plafond, elle crie de joie et vous faites des galipettes accroché au lustre. Avec les Dirteez c'est fou ce que l'on s'amuse Docteur, sans eux la vie est une terrible saleté. Endless night : pour le dernier morceau ils sont gentils ne vous promettent pas la lune mais la nuit sans fin. Un voyage digne de Céline et des Cent-vingt jours de Sodome. Jusqu'au bout de l'horreur-rock.

Damie Chad.

P.S. : si vous n'aimez pas le rock'n'roll, il vous est vivement recommandé de ne pas acheter ces deux disques.

07 – 07 – 2019 / MONTREUIL

COMEDIA

LOS MUERTOS / VOLUTES

Dernier concert de la saison parisienne – septembre-juillet 2018-2019 – même s'il se retrouve chroniqué avec le précédent, en début de nouvelle période 2019- 2020...

LOS MUERTOS

Sont bien vivants, je vous rassure. Que voulez-vous ce sont des Mexicains, un peuple que la mort fait rigoler. Bref ils sont quatre, ou trois + 1, pas des squelettes en sucre, sont bien là en chair et en os. Ont revêtu leurs visages d'un masque, par contre pas de micro en vue. Normal c'est un groupe de surf. En fait le batteur en recèle un, dont il ne se servira que dans la deuxième partie du set.

Qui dit surf, dit guitares. El Jonathan et Olivier en possèdent une. Jusque-là tout va bien. Mais il y a un truc qui cloche. Z'ont un style antithétique. El Jonathan c'est le surfer modèle, à peine El Julio a-t-il tamponné ses baguettes l'une contre l'autre qu'il se lance dans une galopade effrénée. Soutenu de main de main de maître par le drummin' caracolant d'El Julio, et El Giovanni chevauche sa basse comme s'il menait de bout en bout le derby d'Epsom. De la belle ouvrage. Ça vibrionne à la manière d'un essaim de moustiques-tigres enfermés dans une bouteille. Le surf est un art acrobatique, imaginez un funambule sans filet, sans balancier et sans corde tendue entre deux clochers sur la place publique. Encore plus dur que le Christ qui s'appuyait sur l'eau pour marcher sur le lac de Tibériade. Dans le surf, pas de triche, où vous avancez ou vous vous esclaffez à terre comme la figue mûre qui tombe toute seule de l'arbre. Les surfers ont rejeté la sainte trinité du rock'n'roll : pas de chanteur, pas de solo, pas de frime, dévalent la colline tous ensemble, course en équipe, sautent les obstacles et s'enfoncent dans les précipices de concert. Et Los Muertos s'y entendent à merveille à ce petit jeu d'esbroufe collective, guitare, basse et batterie, sont comme les chevaux du char de Ben-Hur, se mordent la croupe pour passer devant, se filent des coups de croche-patte pour faire basculer le copain, se cabrent tout droit sans préavis pour couper le rythme, un tintouin de tous les diables, mais ils finissent toujours par franchir la ligne d'arrivée tous ensemble.

Et Olivier dans toute cette folie. Ne la partage pas. Ne boude pas dans son coin non plus. Mais ne s'excite pas. Dans la basse-cour, vous avez toujours un coq qui refuse fièrement de se ruer sur le grain lancé à pleines poignées par la fermière, Olivier a les doigts qui picorent dignement. Le tireur d'élite qui prend son temps mais dont le tir fait mouche à chaque fois. Le gars qui craque une allumette sur les bidons d'essence. Peu d'action, mais efficacité maximale. Le mec qui desserre le frein à main pour que la voiture du voisin pique droit sur la vitrine du café afin de mettre un peu d'animation dans le magasin.

Tiens Giovanni pose sa guitare, sans doute la suivante sera-t-elle plus appropriée pour le prochain morceau. Pas du tout il descend de scène. Laisse le rôle de guitariste soliste à Olivier. Et là commence la grande mutation. Le surf que nulle oreille humaine n'avait jamais ouï jusqu'à lors. Une esclandre à pousser les puristes de l'orthodoxie surf au suicide. Pour les figures imposées pas de problème, vous les avez toutes, les voltes et les vire-voltes, le grand-huit et les montagnes russes, mais imaginez le championnat du monde de dressage dans lequel un candidat entre dans le carré en moto. Car oui, bye-bye les sixties, Olivier n'a pas customisé sa guitare avec des auto-collants, l'a carrément motorisée, elle ronfle comme si elle servait le biscuit chez Mötorhead. Voici le surf minotaure. Ne miaule pas, pétarade. L'est doué le gazier, s'amalgame au style des deux autres Muertos sans problème, le boa qui fait mumuse avec les souris, tout le monde est content et applaudit à tout rompre.

Pour la suite vont alterner un coup de guitare à la Dick Dale et un autre à la mandoline métallisée, le set en devient encore plus punchy y El Julio n'y tenant plus ne peut s'empêcher de chanter dans son micro. L'est particulièrement en verve sur Lorena qu'il chante un peu à la manière des guateques d'étudiants d'outre-Pyrénnées. Ay ! que fiesta mejicana ! Que recordar !

VOLUTES

A les voir sur scène avant qu'ils ne commencent vous n'y croyez pas. Genre d'action en bourse que vous n'achèterez pas. Une erreur dramatique, le cours va très vite monter et pulvériser le CAC 40. J'avoue que c'est une image qu'ils n'aimeront pas, qu'ils réprouveront car elle ne correspond en rien à leur idéologie. Mais que voulez-vous, un batteur et un bassiste, plus un chanteur aux mains vides, vous vous dites qu'après l'hélicoptère précédent, le son risque de paraître plutôt maigre. Oui mais ils vous prennent en traître. C'est un déluge bruitiste qui vous tombe sur le museau au plutôt sur le paletot. Z'êtes en plein capharnaüm musical, certes PH Katsos s'active au drumin' et Matthieu Lesenechal ne chôme pas sur son bassophone, mais cela n'explique pas l'épaisseur du son émis, l'enquête sera vite terminée, le coupable se nomme Christophe Guillemin, l'a amené son petit clavier Novation, pas plus grand que quatre boites à sucre pas très épaisses, s'y rue dessus, enfonce trois doigts sur trois touches du clavier, à la manière des serres d'un vautour affamé qui s'affale sur une charogne de chacal putréfié dans la Vallée de la Mort et il vous arrose à la lance incendie d'une interminable succession de giclées d'acide chlorhydrique.

Vous pensez que l'on ne peut faire plus question maltraitance physique. Vous oubliez la cruauté mentale du bourreau qui vous soumet à la pire torture psychologique. Rien qu'à la manière de porter son micro à la bouche, nul doute c'est un artiste. Chante comme les peintres et les poètes expressionnistes allemands ont bouleversé l'art au sortir de la guerre de 14-18. L'est bien jeune pour avoir connu les horreurs des tranchées mais notre société moderne, peut-être ne vous en êtes-vous pas aperçu, ne nous offre pas un monde baudelairien de luxe, de calme et de volupté. La planète est en feu, et l'engeance humaine court à sa fin. Alors Christophe vous envoie l'étoffe du message à pleins drapés. Chante avec tout son corps, se tord comme un chaman qui se plie aux incantations rituelliques, s'investit de charisme animal, l'est le rhinocéros féroce qui charge et pulvérise les idées reçues, le lion royal qui rugit ses imprécations, l'éléphant majestueux qui écrase la vermine monsantique sous ses pattes sans pitié. L'est parfois inondé de violente colère, il se jette sur Matthieu qui, impassible alors que Christophe tente de l'étrangler, n'en continue pas moins de jouer tandis que Katsos tape encore plus fort sur ses fûts. Revient vers nous et répète sans fin, dix fois, vingt fois, trente fois une espèce de mantra dynamite destiné à vous trouer le cerveau. Retourne sur son clavier comme le chien à son os à moelle, un éboulis sonore s'écroule sur vous, le son tremble comme les immeubles secoués par les ondes de choc d'un tremblement de terre, Katsos en profite pour bousculer le tout et Matthieu vous segmente le charivari à la tronçonneuse. Volutes vous submerge dans une musique paroxystique, bain de métal qui boue à gros bouillons et clapote en dégageant les pires tourbillons méphitiques.

Parfois les mots sont des missiles lancés contre les mensonges de l'ancien monde. Une voix rauque chargée d'émotion et de hargne. Les paroles sont en français, Volutes fait partie de ces groupes qui ont délibérément choisi d'employer l'idiome national, de ne plus se satisfaire des signaux de fumée de l'anglais de pacotille employé par beaucoup. Tant de situations à dénoncer, tant de visions de vie à exprimer, tant de rapports humains à redéfinir, tant de colère à alimenter, tant d'idées à faire circuler... Un rock théâtral, liturgique qui exacerbe les pulsions de révolte éparpillées dans l'esprit du public en les dévoilant en tendant à chacun le miroir de ses replis intérieurs dans lequel il est censé se reconnaître pour s'éveiller de sa propre léthargie. Un rock qui se veut révélation agorique qui explose et expose sur la place publique les contradictions de nos propres interpénétrations dans le tissu mensonger de nos compréhensions lâchement acceptatrices, de nos pactisations éhontées avec une réalité sociale que nous réprouvons en théorie et avec lequel nous composons en pratique. Volutes explore le labyrinthe de nos atermoiements, n'oublios pas qu'en mathématique l'étude des tourbillons s'inscrit dans la théorie des catastrophes.

Ce qui n'a pas empêché le groupe de faire un tabac.

Damie Chad.

VOLUTES

2.4 - √ - ◀◀

Pour la pochette ayez de l'imagination, aiguisez votre herméneutique, je m'amuse à y voir une empreinte de patte de chat, ce pourrait être aussi un projet de couverture pour La mort viendra et elle aura tes yeux le second recueil de poésie de Pavese mais dans les deux cas je suis sûr que ce n'est pas cela. Tout noir et à peine visible. Pour l'onglet blanc, pas d'erreur possible, édition à tirage limité, qui exhibe fièrement le numéro de votre exemplaire. Délicate attention pour vous rappeler que vous non plus vous n'êtes pas unique.

 

Syriana : ne vous laissez pas emporter par le motif vaguement arabisant, très rapide, trop rapide, le morceau dépasse à peine deux minutes, c'est quand vous vous posez la question cruciale – mais de quoi parle-t-il au juste ! - que vous commencez par vous dire qu'il va falloir le repasser une nouvelle fois. Pas de chance, vous aurez besoin de renouveler l'expérience pour y voir un peu plus clair. De fait c'est aussi incompréhensible que la situation en Syrie. Vous avez voulu soulever le couvercle, alors maintenant souriez. Les serpents des mauvaises raisons s'entremêlent. Mettez la main dans le nœud des vipères et dépatouillez-vous avec. L'on se presse autour de vous pour vous siffler les réponses inconséquentes. Le monde va mal, vous le saviez déjà, ne venez pas vous plaindre. La situation politique générale est déraisonnable. Nerfs à vif : grésillement de gégène intérieure. L'on a changé de pays, pas très loin, de toutes les façons dans le monde entier c'est la même situation, arrachez-vous la peau par petits lambeaux, vous serez au plus près de ce que l'on se doit de ressentir. Scarlett : tiens une chanson d'amour pour changer d'atmosphère, remarquez toutes les filles sont à l'image de Scarlett, voici le film de sa tête qui ne va pas très bien, en plus elle veut surtout pas changer d'état, cela s'appelle de la complaisance envers soi-même, si vous vous êtes laissé prendre à son manège, tant pis pour vous, la Scarlettine tue beaucoup plus que la scarlatine. Le champ des signes : voix de bonimenteur, n'y a que les filles qui soient mortelles, les hommes qui se regroupent vous pondent des théories fumeuses qui vous prouvent par a +b que l'avenir n'a plus de futur. Que voulez-vous, tout à une fin. Les signes n'indiquent que les voies sans issues. Veuillez les emprunter s'il vous plaît, nous n'avons rien d'autre en stock. Options ▷ 2.4 - √ - ◀◀ : musique électronique, vous n'y entravez que couic, c'est très court et aussi incompréhensible que notre monde. Le message se détruit avant que l'ayez écouté. Règle N° 1 du non-jeu.

L'artefact est d'une écoute dérangeante. Figurez-vous que vous oubliez qu'il y a aussi de la musique et du chant. Pour une fois ( n'est pas coutume ) ce sont les paroles qui vous prennent à la gorge et toute la place. Ce qui est rare est précieux.

Damie Chad.

03/07/2019

KR'TNT ! 426 : NASHVILLE PUSSY / CYRIL JORDAN / KEITH RICHARDS / SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS / BENDER / CRITTERS / 404 ERROR / GENE VINCENT

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 426

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

04 / 07 / 2019

 

NASHVILLE PUSSY / CYRIL JORDAN 

KEITH RICHARDS

SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS

  BENDER / CRITTERS

  404 ERROR / GENE VINCENT

 

LA FABULEUSE EQUIPE DE VOTRE BLOG-ROCK PREFERE PREND DES VACANCES. A CEUX QUI ARRIVERONT A SURVIVRE A CE SEVRAGE INSUPPORTABLE NOUS DONNONS RDV LE 29 / 08 / 2019 POUR UNE NOUVELLE ANNEE DE BRUIT ET DE FUREUR !

KEEP ROCKIN'TIL NEXT TIME !

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

What’s new Nashville Pussy cat

- Part Two

 

Retour en force de Nashville Pussy avec l’album Please To Eat You - Hope you guess my name - Et quand on dit en force, on est encore loin du compte, car il faut entendre la double attaque de guitares dans «She Keeps Me Coming And I Keep Going Back». C’est la vraie attaque, celle du vieux Blaine Cartwright. Tout est là, dans l’exemplarité du Pussy riot. Nashville Pussy fait partie des groupes dont on dit qu’ils font toujours le même album. Ce sont généralement ceux qui n’écoutent pas les disques qui parlent ainsi. On a déjà vu le cas avec les Ramones ou pire encore avec les Cramps.

— Ah bah ouais, mais c’est toujours les mêmes morceaux !

Tous ces groupes ont ce qu’on appelle un son, ils travaillent à l’intérieur de ce son, et c’est toute leur force. Jusqu’au dernier album, les Cramps ont su se renouveler à l’intérieur de leur son, il suffit d’écouter «Fissure Of Rolando». Dans le cas des Nashville Pussy, c’est exactement la même chose : écoute «Hang Tight» et tu vas comprendre que c’est du Nashville inespéré joué au vieux drumbeat de shotgun, pulsé au big bad drive. Voilà de quoi sont capables Blaine, Ruyter et les autres, ils secouent de frissons le boogie d’Hookie et Blaine chante comme un très vieux crocodile. Ça sent bon le génie des marais. Et Ruyter vient clouer le bec du cut à l’hyper incendiaire, comme elle sait si bien le faire. Ce n’est plus un mystère pour personne, Ruyter est la star de Nashville. Attention, cet album fonctionne comme un champ de mines. On avance de cut en cut à ses risques et périls. Voilà un «Just Another Boy» fabuleusement sonné des cloches. Blaine sort son meilleur big boogie et derrière les filles font les jolis chœurs. Tout est joué au maximalus apocalyptus et quand on lit le nom de Daniel Rey sur la pochette, on comprend mieux : Rey est l’un des grands producteurs de rock américain. L’un des plus légendaires, en tous les cas. Ruyter se paye un départ de solo à l’hésitée démoniaque et remonte en saumonade de printemps dans ses bubbles des gammes. Po-wer-ful ! Comme Lemmy, les Nashville transcendent la notion de génie sonique. Ruyter va même aller crucifier le cut au Golgotha. Ils savent aussi taper dans le meilleur glam. La preuve ? «Go Home And Die». Tout un programme. Ils écrasent le chant comme un mégot - Well you talk talk talk/ About everything all the time - Les Nashville nous redonnent du cœur au ventre avec ce brillant «Testify» nappé d’orgue et rentrent dans leur normalité avec «One Bad Mother». Mais la normalité ne dure pas longtemps, car Ruyter redonne vie au chairs du cut, elle redresse la bite molle du rock d’un coup de solo flash exceptionnel. Merci Ruyter. S’ensuit une merveille de boogie blues intitulée «Woke Up This Morning», avec une peau tendue à craquer de heavyness. C’est tout simplement effarant de puissance et de tension. Ruyter part aussi en maraude dans «Drinking My Life Away». Elle cultive l’art du gras double et tape chaque fois dans le mille. Elle plonge dans le shmock avec délectation et des clameurs viennent parfois saluer ses virées. Dans «CCKMP», Blaine déclare : «Cocaine crack killed my brain like a fright train!» et il prévient : «Don’t comme knocking on my door!» Voir Nashville et mourir.

C’est exactement ce qu’on fait ce soir-là. Voir Nashville et mourir, oui, mais de bonheur. Du bonheur de voir quatre Américains jouer leur va-tout comme ils le font depuis vingt ans, oh la la, vingt ans déjà. Alors bien sûr, Nashville Pussy ça fait rigoler les esthètes. Les moins féroces diront qu’ils jouent comme des bourrins et que leur trash c’est tout juste bon pour la faune des campings. Les Nashville sont victimes d’un affreux malentendu. Comme tous les malentendus, celui-ci vient directement d’une parfaite méconnaissance des faits. Les Nashville naviguent exactement au même niveau que Motörhead. Chez eux tout repose sur un goût immodéré pour le blast intégral. La réalité de ce prestigieux enfer sonique se mesure plus facilement sur scène, car c’est là très précisément que leur power prend une ampleur qu’il faut bien qualifier de considérable. Et comme souvent dans ces cas-là, les mots peinent à se montrer à la hauteur. En les voyant, on ne peut pas s’empêcher de songer au génie sonique de Motörhead, mais avec cette pouliche frénétique de Ruyter Suys en plus. Ses cheveux passent plus de temps à la verticale que sur ses épaules. Elle est en mouvement permanent, elle trépigne comme un poney apache, elle tape du pied, tend des embuscades de gimmicks délétères, elle ne vit que pour bombarder la terre de power-chords, elle embringue les octaves dans les actifs, climaxe ses crises inflammatoires, elle girouette son giron, ça grésille dans sa résille, toute sa pulpe palpite, elle monte au micro pour des chœurs, gratifie le public de quelques expressions grimacières composites et replonge aussi sec dans sa mégalomanie riffique. Si on veut voir jouer une guitariste américaine, c’est Ruyter Suys qu’il faut voir. Sans la moindre hésitation. Bien plus spectaculaire que la Donita Sparks de L7. Ruyter est unique au monde, redoutablement belle dans le feu de l’action, et mille fois plus crédible que la petite pisseuse d’en face, qui, comme le disait si joliment Brassens, peut bien aller se rhabiller. Eh oui, le vieux George faisait à sa façon l’apologie des fleurs d’automne. Comme la belle dont parle le poète, Ruyter doit payer la gabelle/ Un grain de sel dans ses cheveux, mais diable, quel rayonnement ! Ses longs cheveux bouclés qui tournent dans les faisceaux de lumière constituent l’un des plus beaux symboles d’une féminité conquérante. Si on associe ce spectacle au blast suprême, ça donne Nashville Pussy. Le plus surprenant, c’est qu’ils semblent s’améliorer d’année en année. On pourrait les croire usés par les tournées et l’indifférence grandissante. Au contraire. Ils semblent encore plus explosifs qu’en 2016, lorsqu’ils avaient fait trembler les colonnes du temple, dans ce qu’on appelle ici la grande salle. Du haut de vieille stature légendaire, Blaine Cartwright semble devenu complètement miraud. Mais il porte toujours cette casquette de white-trasher américain et ce blouson rouge et blanc de pilote tellement cra-cra qu’il doit remonter au temps de Nine Pound Hammer, qui, est-il bien utile de le préciser, fut l’un des meilleurs groupes jamais signés par Tim Warren sur Crypt. C’est la raison pour laquelle il faut suivre un mec comme Blaine Cartwright à la trace, aussi fidèlement qu’on suit les Oblivians ou les Gories, qui régénérèrent eux aussi la scène américaine, au temps béni de Crypt. Cartwright sait tenir une scène et poser sa voix juste au dessus du chaos. On sent en lui le vétéran de toutes les guerres. Il sort sa bouteille de Jack quand il a soif . Cet homme semble n’être heureux que sur scène. Il fait sans doute partie des mecs dont la vie se résume à son groupe. Il sait que sa formule blastique tient bien la route et que le public entassé à ses pieds est un public d’inconditionnels. On y voit d’ailleurs très peu de metallers, comme on serait tenté de le croire. Non, les gens qui suivent Nashville sont des amateurs de big bad American Sound et ils savent que l’heure de set va battre des records de chaleur, pour employer la pauvre terminologie des météorologues. Ils tirent les cuts les plus percutants de leur dernier album, notamment «She Keeps Me Coming», «We Want A War» et l’effarant «Low Down Dirty Pig», mais aussi un fantastique shoot de «Why Why Why» tiré de From Hell To Texas, un «Pussy Time» bien gluant tiré du vieux Get Some et deux joli corkers tirés de High As Hell, l’imparable «Piece Of Ass» et le bien nommé «Struttin’ Cock». Blaine Cartwright adore jouer avec les images sexuelles un peu douteuses. C’est son côté farceur. Mais dès qu’on lui met une Les Paul dans les pattes, attention, il ne rigole plus. Ils terminent leur set avec «Go Motherfucker Go», un fabuleux shake hypnotique tiré de leur premier album, Let Them Eat Pussy. C’est l’occasion ou jamais de saluer l’excellente section rythmique composée d’une brune bien grassouillette nommée Bonnie Buitrago et d’un Ben Thomas maigre comme un clou et absolument spectaculaire de présence bombastique. Voir ce mec marteler son beat, franchement, ça réchauffe le cœur. Ben pourrait dire : «Regardez, je suis moi aussi un beau spectacle !», mais il a la grandeur d’âme de le mettre au service de Blaine et de Ruyters, ce qui nous le rend encore plus sympathique. Tous les gens qui jouent dans des groupes le savent : le batteur, c’est la clé de voûte. Sans bon batteur, rien n’est possible, ça s’écroule très vite. Alors, couronnons Ben Simmons, king of Pussy !

Signé : Cazengler, Nashville poussif.

Nashville Pussy. Le 106. Rouen (76). 27 juin 2019

Nashville Pussy. Pleased To Eat You. Ear Music 2018

 

Monsieur Jordan

- Part Four

 

Ils arrivaient des quatre coins de la France pour saluer le retour sur scène de Roy Loney qui fut comme chacun sait LE chanteur des Flamin’ Groovies. L’événement devait se dérouler au Petit Bain, une barcasse ancrée au pied de cette Grande Bibliothèque imaginée jadis par François Miterrand, un homme que tout le monde semble détester aujourd’hui, sans raison particulière. La détestation systématique est entrée dans les mœurs comme les loups dans Paris. Quant aux météorologues, ils avaient annoncé un pic de canicule et ne s’étaient pas vautrés. La file d’attente cuisait comme une longue merguez dégingandée sous un soleil de plomb.

C’est là qu’une rumeur se mit à circuler et à enfler comme l’ex-tumeur de Wilko Johnson. On chuchotait à voix basse d’une oreille à l’autre.

— Y paraît qu’y vient pas...

— Hein ? Qui qui vient pas ?

— Bah Roy Loney !

— Ha bah ça !

La longue merguez bruissait donc de mille chuchotements dans un authentique bain de vapeurs corporelles. La rumeur se glissa ensuite avec la merguez dans la soute du Petit Bain et continua de grossir. Arrivée au frais, la rumeur ne s’en portait que mieux. C’est là qu’un mec apparemment bien informé fit la lumière dans les esprits surchauffés. Il savait pourquoi le pauvre Roy Loney se retrouvait dans la cruelle incapacité de venir ramasser les lauriers qui lui revenaient.

— Cyril l’a poussé dans l’escalier !

— Ha bon ?

— Oui, en arrivant à l’aéroport, pouf ! Cyril l’a fait tomber dans l’escalier qui descend de l’avion.

Bon après, ça devenait compliqué d’expliquer que Cyril était jaloux de Roy depuis toujours, qu’il lui faisait des croche-pattes dans la rue et qu’il lui collait ses chewing-gums pleins de bave sur son harmo. Normalement, il faut un livre pour entrer dans une litanie de détails, la rumeur n’est pas faite pour porter le poids du monde, comme le disait si bien Peter Handke.

— Il l’a poussé comme ça, dans l’escalier ?

— Oui, d’un grand coup d’épaule dans le dos, par pure jalousie. Cyril avait même paraît-il un rictus au coin des lèvres, comme Anthony Perkins dans Psychose.

— Et Roy, y s’est fait mal ?

— Oh on l’a embarqué à l’hosto. Et comme il est vieux, ça ne va pas se recoller du premier coup !

— Aller pousser son copain dans l’escalier, non mais franchement ! C’est vraiment des branleurs ces mecs-là !

— C’est sûr, ils sont restés bloqués en 1968. Ça leur fait en gros quinze ans d’âge mental. Ce qui n’est déjà pas si mal. Tu as beaucoup de gens qui ont un âge mental beaucoup plus bas.

— Et si Roy y l’était mort dans l’escalier ?

— Oh non, Cyril s’arrange toujours pour que ça finisse bien. Il est aussi malin qu’Alfred Hitchcock. Roy a l’hosto, il peut reprendre le micro et chanter son vieux coup de Shake sans personne pour faire ombrage à sa mégalomanie psychédélique...

— C’est incroyable cette histoire !

— Oh tu sais, la vie des groupes, ça ne sent pas toujours la rose. Même dans les petits groupes de province. Tu y vois des choses étonnantes. Tu n’en as même pas idée...

Il fut interrompu par l’entrée sur scène d’un groupe de surf engagé pour la première partie. Ça cloua aussi sec le bec à la rumeur.

Mais elle reprit de plus belle au terme du set de surf.

— Et comment tu es courant de cette histoire d’escalier ?

— Oh, j’ai des infos de première main. C’est un mec de San Francisco. Il racontait qu’un jour Cyril n’arrêtait plus de faire des croche-pattes à Roy qui marchait devant lui dans la rue. À la fin, Roy s’énervait et gueulait : «Stop that !», tu sais avec l’accent garage qu’il prend pour attaquer «Teenage Head», et tu sais ce que Cyril faisait ?

— Il s’excusait ?

— Pfffff ! Tu rigoles ou quoi ? Cyril poussait d’affreux petits gloussements de belette psychopathe. Un truc du genre hiiin-hiiiin-hiiiin !

— C’est dégueulasse ton histoire !

— Mais non, tu es dans l’univers des comix underground. C’est un humour auquel tu n’auras jamais accès à cause de ton éducation. Avec la gueule que tu as, tes lunettes et ta liquette, on voit bien que tu es cartésien. Donc t’es baisé. Tu passeras toute ta vie à côté. Tiens encore un exemple. Tu sais pourquoi Chris Wilson n’est pas là ?

— Il l’a aussi poussé dans l’escalier ?

— Non, pire encore : il l’a envoyé en cure dans un établissement pour vieux Américains ! Eh oui...

— J’ai vu un reportage à la télé : c’est encore plus sordide que les établissements pour vieux Français. C’est une cure de quoi ?

— D’amaigrissement.

L’arrivée sur scène de Cyril Jordan cloua de nouveau le bec à la rumeur. Il portait les mêmes fringues que lors du dernier set parisien : chemise à motifs, high heel boots et petit fute en vinyle noir. Tiré aux quatre épingles de 1968. On retrouvait aussi les accompagnateurs du set de 2017, Tony Sales, fils prodigue de Hunt & Tony Sales qui firent si bien tinter le Tin Machine, et Chris Von Sneidern, toujours habillé en blanc, mais muté comme un fonctionnaire de la basse à la rythmique. Un nouveau venu avec une gueule de cabochard très sympathique et habillé d’une liquette noire et d’un gros pantalon bordeaux occupait le job de bassman. Les Groovies s’empressèrent de redorer leur blason avec un «Shake Some Action» particulièrement bien sonné, sans chichis ni dentelles d’arpèges. C’est là que le bassman commença à focaliser l’attention. Avec ses gros doigts boudinés, il plaquait à l’implacable les dominantes sur son manche et hochait le beat de la tête avec une ferveur assez peu commune dans sa fonction. Rien qu’avec un coup de Shake, il était en eau. Ses deux mains dégoulinaient de grosses gouttes de sueur. Comme le disaient si bien les ouvriers d’antan, il mouillait sa chemise. C’est une façon de dire qu’il ne faisait pas semblant. On le sentait vraiment investi. Cyril Jordan annonça une chanson des Byrds et nous eûmes droit à une vieille resucée du «Feel A Whole Lot Better» datant de Mathusalem, suivie d’un bond dans le temps avec «Jumpin’ In The Night», qui nous ramenait à l’époque Sire, c’est-à-dire post-Roy Loney, et donc un son moins groovy et plus pop dont on essayait de se contenter à l’époque pour se consoler de l’absence de Roy Loney. Cyril Jordan chantait d’une voix assez gutturale. Vu la qualité des compos, il ne s’en sortait pas si mal. Mais bon, on s’attendait au pire : qui allait se porter volontaire pour massacrer «Teenage Head» ? Le suspense allait durer encore un bon moment avec d’autres régurgitages de la période Sire. Puis Cyril Jordan annonça qu’il allait chanter «Whisky Woman» pour la première fois. Why ? Because the band broke up three months après la sortie de l’album Teenage Head. «Whisky Woman» est toujours resté l’un des cuts préférés des gens qui ont acheté l’album en 1971. Why ? Sans doute parce que rien n’est plus parfait qu’une femme rôtie au whisky. C’est plus élégant - pour une femme - de se piquer la ruche au whisky qu’au vin blanc. En tous les cas, les Groovies savaient le dire en 1971 mieux qu’on ne saura jamais le dire. Et les choses se mirent à vraiment chauffer avec la triplette de Belleville tirée du même album, «High Flyin’ Baby», «Have You Seen My Baby» et un «Yesterday’s Numbers» harnaché du big heavy sound et joué avec une édifiante implication. Le bassman ruisselait comme une vieille serpillière, il arrosait le plancher autour de lui dans un rayon de deux mètres, on voyait la sueur couler dans son gros pantalon bordeaux, et sa basse était tellement gorgée d’humidité qu’elle semblait vermoulue. Ah quel démon ! Il s’offrait même le luxe, dans l’état où il était, de faire des petits bonds en l’air, ce qu’un organisme épuisé refuse normalement de faire. Rien qu’avec le spectaculaire «High Flyin’ Baby», la partie était gagnée. Mais le «Yesterday’s Numbers» aggrava encore les choses, par sa qualité raunchy et déterminée à vaincre un public convaincu d’avance. Mais bon, les groupes agissent souvent sans réfléchir, leur stratégie consiste à foncer dans le tas et à réfléchir plus tard. Le moment tant redouté arriva : Chris Von Sneidern se sacrifia pour chanter «Teenage Head». Ce fut l’horreur, sans doute la pire version jamais offerte en pâture au bon peuple. Dès l’attaque d’I’m a monster, c’était baisé. Il chantait ça d’une petite voix blanche et ridicule et il aggrava encore les choses en ajoutant d’un accent d’hermaphrodite lymphatique un «got a revved up teenage head» qui manquait tellement de crédibilité qu’on en fit la grimace. Ha les choses de la vie !, comme dirait Claude Lelouch. François Miterrand et le Petit Bain eurent droit à un rappel avec «Slow Death», et la rumeur put enfin reprendre.

— Le bassiste devrait se méfier. Il est tellement bon qu’il a volé le show ! Tu sais comment il s’appelle ?

— Ah bah non, chais pas !

— T’as vu les regards en coin que Cyril lui envoyait ? Ce bassman est bien trop bon pour jouer dans les Groovies. Trop in the face. Il fait trop d’ombre à Cyril. Tu vas voir, il va bientôt tomber dans l’escalier ! Tu vois, le guitariste habillé en blanc ne risque rien. Il est beaucoup plus malin.

Il fallait absolument savoir comment s’appelait ce bassman héroïque. Comme il venait traîner au mersh, on put lui poser la question. On ne comprit pas grand chose à ce qu’il raconta, hormis le fait qu’il s’appelait Allan ou peut-être Adam et qu’il avait accompagné Link Wray, les Cars, les Tubes et d’autres groupes aux noms incompréhensibles. Nous n’apprîmes son vrai nom que le lendemain : en réalité, il s’appelait Atom Ellis. Si un jour la ville de San Francisco lui dédie une plaque de rue, on pourra y lire : Atom Ellis, mighty sauveur des Flamin’ Groovies.

Signé : Cazengler, flamin’ crouni

Flamin’ Groovies. Le Petit Bain. Paris (75). 25 juin 2019

PS : au fait, où en étions-nous restés des exploits de Monsieur Jordan, le Groovy gentilhomme ? À Seymour Stein qui en 1976 allait relancer la carrière des Groovies avec l’album Shake Some Action. Dans ce Part Three, souvenez-vous, Cyril proposait à Stein d’emmener ses label mates, les Ramones, tourner en Europe. Et on en déduisait que grâce à Cyril, l’Angleterre allait faire une sacrée découverte. Tous les témoins sont formels : c’est en voyant jouer des Ramones pour le première fois que les Londoniens ont découvert le punk, comme un poule qui trouve un couteau.

Et donc, au rythme d’un nouvel épisode du San Francisco Beat dans chaque numéro d’Ugly Things, Cyril retrace les aventures des Flamin’ Groovies, tout en continuant de faire soigneusement l’impasse sur Skydog (Profitons de la parenthèse pour rappeler que sans Skydog, personne en Europe n’aurait entendu parler des Groovies). Nous voici donc en novembre 1975, à Monmouth, au pays de Galles. Quatre heures de route depuis Londres, à bord de deux Rolls financées par Stein. Cyril adore cet endroit et tout particulièrement Little Anchor Farm, un manoir hanté vieux de 700 ans. Il s’entend à merveille avec Dave Edmunds, la gloire locale et ils enregistrent vite fait un hit de Paul Revere & The Raiders, «Sometimes», puis des clins d’yeux appuyés aux Beatles comme «Yes It’s True». Cyril dit aussi donner à sa version du «St Louis Blues» de WC Handy the Liverpool feel, ha ! Il s’intéresse en fait beaucoup plus au manoir hanté de Little Anchor Hill. Pourquoi ? Parce que lui et les autres Groovies ont entendu une femme crier dans le couloir alors qu’aucune femme ne traînait ce jour-là dans les parages. Ha ! Serait-ce un fantôme ? Ils trouvent la clé du mystère dans un livre intitulé Haunted Britain : l’auteur affirme que Little Anchor Hill is the most haunted spot in England, c’est-à-dire l’endroit le plus hanté d’Angleterre. Cyril ajoute qu’il y avait des centaines des millions de mouches à Monmouth. Il n’avait encore jamais vu autant de mouches ! Tons of thousands. Dans l’épisode suivant, Cyril revient sur son cher Shake et rappelle qu’ils jouaient alors lui et James Farrell sur des Gretsch, une Nashville et une Anniversary. Autre détail capital : l’album Shake était très orienté : Stones, Lovin’ Spoonful, Paul Revere & The Raiders et of course les Beatles. Cyril ajoute à toutes fins utiles que le classic era des Stones était celui de Brian Jones. Pour restituer ce son, il dit utiliser les instruments qu’utilisaient les Stones en 1965. Il étaye son propos en citant «Crazy Macy», sur le dernier album des Groovies : eh bien, il joue ça sur une Harmony Meteor et un Vox AC 30, comme le Keef d’«It’s All Over Now» et de «Down The Road Apiece». Il indique aussi qu’«I Saw Her» est inspiré des Charlatans, l’un des groupes qu’il chouchoute le plus.

En 1976, les Groovies se préparent à enregistrer leur deuxième album Sire. Comme il songe à taper dans les Byrds avec le fameux «Feel A Whole Lot Better», Cyril sort de l’étui sa douze cordes Rickenbacker stéréo. Il rappelle que «Between The Lines» est un hommage à la coke que tout le monde appelle ‘Charlie’ en Angleterre et que les Groovies, dans leur jargon interne, appellent ‘Whatsit’. Il revient aussi à ses chouchous Paul Revere & the Raiders avec «Ups And Downs». Autre choix marrant : il s’amuse à taper dans les Beatles tapant dans le «Reminiscing» de Buddy Holly. Autre fait marquant : n’oublions pas que l’ex-Charlatan Mike Wilhelm fait son entrée dans le groupe avec Now. Cyril observe enfin que Dave Edmunds s’implique de plus en plus dans le son des Groovies, ce qui n’est pas pour lui déplaire. En fait, il profite des deux pages que lui octroie Mike Stax dans chaque numéro d’Ugly Things pour passer tous ses albums au peigne fin. On le sent vraiment très fier de son œuvre.

Cyril et les autres profitent des moments de battement pour aller se balader dans la lande, où rôde dit-il Dieu sait quoi, ghosts and wombats and who knows what else. Un soir, Dave emmène Cyril et Chis dans un pub vieux de 400 ans. Dave conduit sa Mini Cooper très vite, nous dit Cyril, a real speedster, et soudain, dans un virage, Cyril se met à hurler car il voit deux lumières rouges. Dave pile net et ils sortent tous les trois de la Mini pour constater que les deux lumières rouges sont en fait les yeux un chien noir géant ! What ? A giant galloping black dog ! Deux fois plus grand qu’un cheval, précise Cyril dont la mâchoire s’est décrochée et pend comme une lanterne sur sa poitrine ! Ils frissonnent tous les trois de plus belle lorsque le monstre passe près deux au ralenti, comme s’il trottait dans une autre dimension. Qui va aller gober une histoire pareille ? Cyril est un peu triste car aujourd’hui Dave Edmunds nie les faits. No giant black dog ! Sans doute a-t-il peur que ça attire les touristes dans la région. En tous les cas, Cyril reste en cohérence avec sa notion de comix underground. Si on repart de son point de vue, c’est une histoire qui va loin. Comme s’il voulait insinuer que les Groovies existaient dans une autre dimension. Quand on y réfléchit bien, c’est extrêmement intéressant. Encore faut-il savoir prendre le temps de réfléchir à certaines hypothèses, surtout quand elles paraissent saugrenues. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais ce genre de pirouette est l’une des plus difficiles à réussir. Essayez et vous verrez. Oh, on ne réussit pas du premier coup. On se casse la gueule. Mais ça fait du bien de se casser la gueule.

Ugly Things # 46

Ugly Things # 47

Ugly Things # 48

(Rien dans le 45 et le 49, donc inutile de les acheter).

 

Keef Keef bourricot

 

Au fond, c’est une bonne chose qu’un cat comme Keef refasse l’actualité. Depuis cinquante ans, on ne se déshabitue pas vraiment de lui, même si les albums des Stones ont perdu leur pouvoir. Difficile de faire des miracles pendant cinquante ans. Ceux qui font des miracles doivent finir par se lasser. On imagine aisément que Keef ait pu se lasser. Au début ça doit être marrant, «The Last Time», «Jumping Jack Flash», «Satisfaction», ensuite «Gimme Shelter», «Live With Me», «You Got The Silver», «Happy», et puis ça finit par devenir une espèce de routine. Dans le regard de Keef, l’éclat prophétique s’est terni, une sorte de mélancolie propre à ceux qui ont tout vécu semble à présent le voiler. Il est arrivé la même chose à Chuck Berry, victime lui aussi d’une écœurante facilité à faire des miracles. Et ce n’est un hasard, Balthazard, si Keef se sentait intellectuellement apparenté à Chuck Berry. La dimension des génies nous dépasse un peu, nous n’avons d’eux qu’une perception très limitée. Keef, Chuck Berry, Gandhi, Martin Luther King, Victor Hugo, que savons-nous d’eux ? Pas grand chose. Quelques disques, quelques livres, quasiment rien. L’extraordinaire de la chose est qu’on réussit quand même à se goinfrer de ce quasiment rien. Tiens, Keef fait la une de Mojo et ça redevient un événement, comme au temps béni des interviews qu’il accordait au New Musical Express, notamment le fameux «You’re never alone with a Smith & Wesson» qu’on avait lu tellement de fois qu’on connaissait l’ordre des questions et la teneur des réponses. Oui, Keef revient avec ses gros doigts boudinés et un regard souligné au khôl. Il est même bombardé rédacteur en chef du numéro et il rip the joint avec un choix d’articles extrêmement keefy : Muddy Waters, Bobby Keys, Peter Tosh et Norah Jones. Écoutez ce que dit cet homme en page 6, pour présenter la sélection de cuts rassemblés dans la compile jointe au mag : «Just the playing of music is one of the most civilized things I can think of.» Et il fait mettre civilized en ital, pour bien insister sur la notion. Eh oui, Chuck Berry incarnait cette notion de civilisation, son ring ring goes the bell balayait toute la haine des racistes blancs d’Amérique et d’ailleurs. Avec sa guitare, Chuck niquait les rednecks, with their guns up their asses. Et Keef continue de vanter les mérites de la musique, disant que les musiciens sont des mecs bizarres, car une autre conversation se fait pendant qu’ils jouent ensemble. Il appelle ça The other language. Avec bien sûr un accord préalable, ce qu’il appelle un agreement. Pour lui c’est ça, the civilized thing. Les mecs jouent ensemble au lieu de se taper dessus. Dans la compile, on retrouve bien sûr Chickah Chuck, mais aussi Jimmy Reed, Pattie Labelle, Willie Mitchell qui a écrit des arrangement pour Talk Is Cheap, les Coasters, Funkadelic, Dion, pas mal de Rastafaris et Muddy Waters. Keef dit qu’en découvrant Muddy à l’époque, il découvrit la notion de power. The inner power.

C’est Robert Gordon qui se charge de l’article sur Muddy. Oh la belle double : on y voit Muddy gratter sa gratte et sa femme Geneva l’enlace. L’image parfaite. Tous ceux qui ont lu la bio de Robert Gordon sur Muddy savent pourquoi cette femme est belle et à quel point elle est vitale dans l’histoire de Muddy et donc du blues et donc des Stones : Geneva eut la grandeur d’âme d’accepter que Muddy ait des fiancées à droite à gauche et des enfants avec ces fiancées. Cette façon de tolérer les choses relève de la plus haute intelligence. Mais cette histoire ne passe pas toujours très bien quand on la raconte, ici ou là. Figurez-vous que des gens ne comprennent pas qu’on puisse tolérer des vies parallèles. Ça permet toutefois de conforter l’idée de base : l’intelligence, c’est comme le manque d’intelligence, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Dans l’article, on tombe sur une autre image à caractère historique : ça se passe chez Chess et on voit la triplette de Belleville autour de Leonard le renard : Muddy sous sa pompadour, Little Walter soufflant un coup d’harmo et Bo avec ses Gretsch rectangulaire et ses lunettes à montures d’écailles. Que dire d’autre que Wow ? Wow !

Keef a 75 balais. Quand on lui demande comment il arrive à sauver les apparences (maitain that chic physique), il répond ceci : «I get up. Ummmm. And then, uh, you know, I sit down. I don’t do none of this trotting around, I think it’s bad for you. It’s bad on the joints, especially on concrete. I don’t go with that. It’s just not for me.» Ça nous rassure de savoir que Keef ne fait pas de jogging comme les autres vieux. Il est un peu comme Mick Farren, pas question de lui faire enlever ses boots. Il annonce qu’il a stoppé la booze. Il se contente d’un verre de pinard pendant les repas et d’une Guinness de temps en temps - It’s like heroin, the experiment is over - Mais il ajoute que si tu le croises dans un bar et que tu lui offres un verre, il ne saura pas le refuser - I wouldn’t turn it down. I’m not a puritan on these matters. It’s just that it’s not on the daily menu any more - Ce qui frappe le plus chez Keef et ce depuis toujours, c’est la classe des réparties, l’extrême agilité à tourner des formules tellement anglaises qu’elles en deviennent indécentes d’élégance. En français, on ne penserait jamais à dire «Je ne fais pas le puritain dans ces cas-là.»

Alors bien sûr arrive sur le tapis l’histoire de la longévité du groupe : Keef et Jagger, 75 balais, Charlie Watts 78 et Ronnie Wood 72. Keef espère continuer - If you give me 80,000 people, I feel right at home - Il ne veut pas décevoir les gens - The smell of the crowd, it gets ya ! - Et nous voilà de retour en 1988, au moment où Jagger fait ses disques et ses tournées solo. Keef le vit mal et après avoir insulté Jagger dans la presse, il change de tactique et commence à bricoler des cuts dans son coin avec Steve Jordan, le powerhouse new-yorkais. Oh, il insiste bien pour dire qu’il ne voulait pas démarrer un autre groupe, car dit-il, the Rolling Stones is a full time job, mais comme il ne se passe rien cette année là, il rassemble quelques amis - Suddenly I realized, God, it’s like I’m at the beginning of the Rolling Stones again - Et pouf, Bobby Keys entre dans la danse. Keef invite Waddy Watchel, un blanc qui a joué avec Linda Ronstadt et Ivan Neville, le fils d’Aaron. Et puis tiens, on va appeler tous ces mecs the Xpensive Winos. «We started to come up with some interesting songs», croasse Keef.

Dans les futurs livres d’histoire, les spécialistes diront que Talk Is Cheap est un chef-d’œuvre de l’ère Richardsienne. Ne serait-ce que pour ce règlement de comptes intitulé «You Don’t Move Me» - It’s no longer funny/ It’s bigger than money/ You just don’t move me any more - Jagger s’en prend plein la gueule. C’est Steve Jordan qui bat le beurre dans cette cambuse. Pif paf, il cogne dur et Keef sculpte son monde magique d’une voix de mineur cacochyme. Quelle admirable musicalité, c’est bardé de clameurs démentes. Pour cet album, Keef est allé enregistrer à New York, puis dans le Sud : il voulait Willie Mitchell et les Memphis Horns sur l’album. Mais aussi d’autres légendes à roulettes comme Bootsy Collins, Maceo Parker, Sarah Dash de Labelle et Johnnie Johnson qui en 1953, avait embauché à Saint-Louis un jeune guitariste nommé Chuck Berry. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «How I Wish», c’est le hit universel avec de la mélodie plein la gueule, il n’existe rien d’aussi seigneurial dans l’esprit rock d’Angleterre. Keef chante à la véhémence, comme s’il bramait à la lune dans les causses. Il est pendant quelques minutes le roi du monde, le temps d’une chanson parfaite, il tombe dans un océan de chœurs achalandés et de clameurs grandioses. Steve Jordan mène tout ça à la baguette, sec et net et sans bavures. Il faut aussi écouter «Whip It Up» car Keef l’attaque à la Stonesy et un certain Charley Drayton rentre dans le lard du cut à coup de bassmatic. Voilà LE hit décadent par excellence. Keef est l’Oscar Wilde du rock d’Angleterre, c’mon baby et les filles derrière braillent whip it up. Il faut le voir relancer son hit à la seule force de son intelligence de rocker épouvantablement doué. Keef n’est pas un rêve, brother ! Bobby arrive avec son sax texan à la main et Keef force une voix qu’il n’a pas à coups de baby baby ! Rien d’aussi devastating, whip it up ! Les descentes de basse sèment la confusion dans les rangs. Franchement, c’est très spectaculaire. On retrouve l’un des bassmen favoris de Keef sur deux cuts : Joey Spampinato de NRBQ. Il vient sonner les coches du rumble dans «I Could Have Stood You Up». Et qui joue du piano là-dedans ? Oui, tu l’as deviné : Johnnie Johnson ! Oh boy ! Et Mick Taylor gratte sa gratte. C’est mieux que de gratter ses poux. Ah les brutes ! Le NRBQ joue aussi sur «Rockawhile», encore un cut visité par la grâce. The greatness of the groove according to Keith Richards. C’est aussi rampant qu’un gros reptile. Rockawile ! Rock in style ! On entend Ivan Neville jouer du piano sur «Locked Away», un hit mélodiquement parfait. Ce diable de Keef n’en finira donc jamais de créer l’événement ? Il revient au rumble de groove à retardement avec «It Means A Lot». Le groove qu’il jette dans nos tranchées met du temps à sauter, Keef se situe là, dans la longueur de ce temps, c’est excellent, il chante what does it mean et les autres lui répondent It means a lot, mais dans le décalage du groove de Keef. C’est infernal. Un bassmatic de rêve dévore le cœur du groove. Étonnamment, la magie opère dès le cut d’ouverture, «Big Enough». On sait tout de suite qu’on entre dans un album hors d’âge. Le son saisit. Les Winos jouent au maximum des possibilité du power rock. Keef chante comme il peut mais quel buzz down the road apiece ! Bootsy on bass et Maceo Parker on sax, avec eux soyez certains d’atteindre le cœur d’un mythe qu’on appelle le groove. Steve Jordan y bat le beat du tambour des galères. Retour à la Stonesy pure et dure avec «Take It So Hard». Keef s’étrangle à le chanter. Steve Jordan passe au bassmatic. On a même du shuffle de chœurs. Ce n’est pas un album de tout repos, oh no no no ! On retrouve la même équipe sur «Struggle». Keef a du pot d’avoir ces mecs-là derrière lui. Steve Jordan tape comme un sourd et Keef chante comme une ablette dévoyée, c’est extrêmement rock’n’roll. Keef se prend à son propre jeu. On entend rarement des grooves cognés aussi violemment. Keef duette avec l’immense Sarah Dash sur «Make No Mistake». Elle vient dasher dans les bras de Keef. Fucking sensuality !

Dans l’interview, Keef épilogue sur la nature de sa relation avec Jagger. Il évoque un amour fraternel et donc des crises de jalousie. Mais ça n’affecte pas leur mode de fonctionnement - It is a strange relationship, I’ll give it that. Strange, and very long - Pendant l’interview, il fume à la chaîne. L’interviewer lui demande s’il compte arrêter de fumer et Keef lui dit qu’il a essayé mais que ça n’a pas vraiment marché. Keith Cameron cite Lou Reed disant qu’il est plus difficile d’arrêter la fumaga que l’héro et Keef acquiesce : «Arrêter l’héro, c’est l’enfer - it’s hell, but a short hell.» Il ajoute qu’il essaye quand même de réduire sa conso. Et ça marche. Il s’aperçoit qu’il n’en a pas besoin, et c’est exactement comme ça qu’on arrête de fumer. Tout à coup, on trouve que ça ne sert plus à rien de fumer. A useless habit, comme dit Keef. Il avoue aussi être marié depuis 35 ans avec Patti Hansen. Le secret de cette longévité ? - I found somebody that could put up with me, man. You don’t run away from that. Bless her heart - Et quand Keith Cameron lui demande si le fait d’atteindre un âge aussi vénérable que le sien lui apporte une certaine forme de sagesse, Keef croasse : «Je ne pense pas qu’on atteigne cet âge sans rien apprendre.» Et il se penche pour murmurer d’un ton de conspirateur : «J’ai déjà dit ce que j’avais de plus sage à dire lorsque j’étais très jeune, hee heee hee heee.» Mais au fond, il n’aime pas la notion de sagesse. Il préfère parler d’expérience. Puis il ajoute le point essentiel : ne pas rester coincé dans le passé. Aux yeux des tenants de la modernité, il se contredirait presque en avouant un profond mépris pour les réseaux sociaux et les téléphones - I’ve never liked phones, you see - Il explique ça très bien, car quand on devient célèbre à 19 ans, le téléphone sonne tout le temps, et ce sont toujours des gens qui te demandent des trucs. Alors évidemment, les portables, c’est encore pire. Oh no ! Il ajoute que les gens qui le connaissent savent qu’il n’a pas de phone. C’est une élégante façon d’expliquer que la modernité ne passe pas par le smartphone. Au dix-neuvième siècle, on appelait cette tournure d’esprit le dandysme. Keith Cameron conclut l’interview avec un compliment : «You seem a sunny character at heart», ce qu’on pourrait traduire par : «Vous semblez être quelqu’un de très chaleureux.» Et Keef rétorque : «Essentially, yeah !» Bon d’accord, il y a eu des moments difficiles, mais avec un peu d’optimisme, on passe à travers - Nobody said it was easy - C’est du pur Keef.

La réédition de Talk Is Cheap fait l’actu de Keef. On en profite pour ressortir du placard l’autre chef-d’œuvre de l’ère Richardsienne, Main Offender. On croyait les Stones finis à l’époque. Grave erreur : écoute «Runnin’ Too Deep» et tu retrouveras la Stonesy dans tout son éclat. Et avec l’autre fou de Steve Jordan derrière, ça redevient très sérieux. Keef sait très bien ce qu’il faut faire pour relancer la Stonesy. Back to the basics ! On retrouve ce fou de Steve Jordan sur le «999» d’ouverture. Ivan Neville nous nappe ça sec. On appelle ce genre de mecs des brillants mercenaires. Don’t panic ! Ah ha ! Keef embobine tout le monde. Il claque son rock à la jouissance prévisible, here we go ! Toute sa vie, Keef a gratté sa gratte pour la seule gloire du rock. Quel bâtard de son ! Il faut le voir passer au dub avec «Words Of Wonder». Il sait tiguiliter la note, en plus. Effarant de keefitude céleste ! Encore une belle sinécure avec «Yap Yap» - I hear it’s okay, yeah yeah - Quelle fabuleuse entrée en matière ! Keef joue de la basse. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Yakety yap ! here we go ! Babi Floyd et Bernard Fowler font le Yap Yap dans le groove du grand Keef qui chante à la sourdine mal réveillée, Yap Yap you talk too much. Il reste dans le heavy groove avec «Wicked As It Seems». Charley Drayton fait gronder sa basse à l’ancienne, Keef chante au rauque et Steve Jordan frappe sa caisse claire comme s’il la haïssait. No way out, font les Winos - Why don’t you go/ All over me - Cet album est une nouvelle leçon de choses. Keef obtient ce son sec incroyablement beau. Il se paye ça comme on se paye une bague de pharaon dans le souk du Caire. Retour à la Stonesy avec «Eileeen». Keef sait claquer un accord au coin du bois. Steve Jordan frappe de plus en plus fort. Quel sale mec ! Personne ne lui dit rien. Qui oserait ? Il frappe avec le venin du killer. Il mord la cuisse du beat. Le beat n’a aucune chance d’en réchapper - What do I do - C’est tendu à se rompre. On est dans l’osmose de l’égalité des chances, Keef donne tout le loisir au choix, il le laisse venir à lui. Il ultra chante au souffreteux, c’est encore une fois d’une classe épouvantable. Ah tu parlais d’aristocratie du rock ? On est en plein dedans.

Signé : Cazengler, Keith Ricard

Keith Richards. Talk Is Cheap. Virgin 1988

Keith Richards. Main Offender. Virgin 1992

Keith Cameron : The right stuff. Mojo # 305 - April 2019

 

MONTREUIL / 21 – 06 – 2019

COMEDIA

SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS

BENDER / CRITTERS

Fête de la musique. Gros attroupement Croix de Chavaux, apparemment un groupe à la Pink Floyd, Râoulex King Trio en extérieur à l'Armony, m'arrête pour saluer Raphael Rinaldi qui nous a fait don des photos de Tony Marlow et David Evans voici quinze jours, mais ce soir pour moi c'est la Comedia ou rien, cette goutte de néant qui manque à l'absolu affirmait Stéphane Mallarmé. Comme je n'ai pas réussi à mettre la main sur le rien, me voici à la Comedia. Ici la fête est beaucoup plus existentielle qu'ailleurs. Une ZMAD, zone musicale à défendre.

SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS

Nos gens sur scène. Densité maximale. Cinq de Villejuif. Le diable et ses accros de la vulve, rien que cela. Remarquez que c'est plus sain que nos gouvernants qui s'accrochent à leur pouvoir. Z'ont un synthé. On a beau dire mais un orgue dans un groupe c'est comme un ogre dans un conte de fées, ça change tout. Surtout s'il est bien joué, s'il ne bouffe pas le son des acolytes, s'il densifie, s'il ne passe devant que lorsqu'il faut signifier au public que l'instant est important et mérite d'être souligné au fluo rouge. Bref à peine ont-ils démarré qu'ils nous offrent une matière grasse et ondoyante dans laquelle l'on pressent qu'il y aura à donner forme. L'on n'est certainement pas dans un combo punk, mais le diable se niche aussi dans la musique moins sauvage, davantage cuisinée. Le cru et le cuit, raw or cooked, parfois il est bon de se sustenter des deux.

Rawad pose sa guitare à terre et se saisit de son micro qu'il approche de sa bouche de ses deux mains. Il ne chante pas, il conte, il évoque. L'on ne sait quoi, mais toutes les légendes et toutes les proférations contiennent leur part de sublimité. L'a la voix envoûtante, cela permet à chacun de se raconter ce qui chez lui engendre le rêve. La musique se densifie autour de lui, nous sommes chez des amateurs de ce que je réunirais sous l'appellation incontrôlée de rock anglais poétique, un vaste diagramme qui court des Zombies d'Odessey and Oracles à David Bowie. Que l'on retrouve aussi bien dans les groupes de heavy rock qu'expérimentaux. Une plus grande importance accordée aux paroles et aux gradations musicales. Avec le risque de se perdre dans les arrangements pompiers et les lyrics de carton pâte.

Mais nos Sheitanistes ont flairé le piège. Alternent les passages lyriques avec des sautes d'humeur dignes des Pretty Things, subitement l'orage tombe sur le pays des merveilles et tout se met à tanguer salement. Dans les jeux de pile du hasard ou face du destin, il suffit de parier sur les deux côtés pour emporter la mise.

BENDER

La balance a déclenché la suspicion. Vous ont envoyé deux fragments de morceaux à raser la moitié de la ville. Dès le début du set ils ont commencé et nous ont démontré de quoi ils étaient capables. Un par un. ( Heureusement ils ne sont que trois ! ). Davy vous écrasé la production mondiale des croquettes en un tour de main sur ses toms. Pulvérisation optimale. S'est arrêté pour laisser la place à Sloog. Rassurant, un bassiste ça doome certes, mais dans les limites du raisonnable. Pas de chance, celui-ci s'est débrouillé avec ses quatre malheureuses cordes pour atteindre le même volume sonore que son confrère batteur, avec en plus le couinement désagréable du goret que l'on égorge. Puis l'a laissé la place libre à Agabawi. Là on pressentait : avec sa chevelure sauvage et sa taille de géant, il ressemblait au chef des barbares qui mène l'attaque contre les légions romaines dans Gladiator, alors quand il a écrabouillé la planète sous son bombardement de riffs, l'on s'est dit que notre dernière heure était proche. Evidemment son petit numéro de dissuasion active terminé, sont partis tous les trois ensemble. Au bout de dix minutes nous bougions encore sous l'éboulement terrifique, faut l'avouer, c'était bon, mais bon pour combien de temps ! Et c'est là que le miracle a eu lieu. En pleine tempête, l'on a entendu une étrange modulation, c'était Agabawi, sur sa guitare, l'alcyon s'est posé sur les flots en colère et la beauté du monde nous est tombée dessus.

Ne nous ont pas fait le coup de l'arrangement toile arachnéenne qui se balance mollement sous la brise matinale, non c'était épais comme la chape de béton qui recouvre Tchernobyl, du solide, mais aussi immémorial que la frise du Parthénon, Davy a carrément abandonné son poste de drummer fou, s'est saisi du micro et a entonné d'une voix de berceuse affermie un hymne voué à l'on ne sait quel dieu du néant, un chant de remerciement et d'apaisement. Et l'on a senti la respiration régulière du grand cobra endormi. Un étrange sentiment de sereine puissance a inondé les cervelles de l'assistance. Pas de doute on était à l'intérieur du paradis.

Vous vous en doutez, si les pires choses ont un début, c'est que les meilleures possèdent une fin. Et en moins de temps qu'il n'en faut pour compter jusqu'à 0, 3, l'on s'est retrouvé en enfer, dans le style grand arasement final, Bender a bandé toutes ses forces et nous a ramenés dans l'apocalypse éternelle. Un tourbillon sans fin, une trombe dévastatrice, une onde mortelle qui vous précipite par les fenêtres du vingt-cinquième étage, votre corps éclaté au pied de l'immeuble comme une outre crevée gonflée de sang. Flaque existentielle dans laquelle les sangsues du désespoir viennent se désaltérer.

Certes le calme est de retour, alors qu'il ne va plus rester une goutte de votre hémoglobine, mais avec plus d'ampleur, Agabawi se lance dans une mélopée, un chant puissant, sorti de ses entrailles de colosse, il clame tel un baryton d'opéra au dernier jour d'un cycle finissant. La mort et la vie étroitement emmêlées dans son gosier. Nous ne savons plus si nous marchons sur des cendres ou parmi un incendie. C'est cela Bender une force qui va droit devant, qui respire fort mais qui n'arrête jamais sa marche. Traverse la chaussée des géants et les clairières heideggeriennes de l'être au pas de course. Partent d'avant le mal et se dirigent au-delà du bien, du néolithique au cosmique. Braconnent le cobra. Recueillent le venin. Vous donnent à boire. Si cela ne vous a pas tué, c'est que cela vous a rendu plus fort. Il vaut mieux que vous n'ayez pas entendu le growlement hideux de Sloog à la fin du dernier morceau. Le crachat qui tue.

Grosse impression.

CRITTERS

Il est des malfrats qui mettent trois ans à préparer le cambriolage du siècle. L'heure fatidique arrive, la veille la combinaison du coffre a été aléatoirement changée par un programme informatique dont ils ignoraient l'existence. Pas du tout la manière de faire des Critters. Eux, sont les adeptes du vite-fait, bien-réussi. Des chevaliers de la vieille pince-monseigneur. Pour les précautionneux qui ont installé une porte blindée, ils ont quelques bâtons de dynamite en réserve. Vous dégoisent vingt appartements en une matinée. Ceci n'est pas juste une image, mais une image juste. Vous alignent les titres comme se succèdent les torpilles dans les tubes-lanceurs des sous-marins. Touché, coulé, vite une autre, et au suivant. Ne vous prennent pas en traître vous annoncent la prochaine chanson, à peine ont-ils terminé la précédente. C'étaient les Critters en théorie.

Les voici en pratique. J'ignore ce qu'ils ont contre leur batteur, mais ils le cachent. Font le mur avec leur guitare comme au foot pour le pénalty. Posent devant lui le bassiste, des pectoraux d'athlète grec, pour faire phantasmer les filles il les a recouverts d'un filet à mailles larges qui attise le désir de ces fruits juteux en même temps offerts et retranchés. Ne reste plus qu'une solution au bat-man, puisque l'on ne peut le voir, on l'entendra. A l'énergie qu'il dégage doit lui falloir trente-six heures de caisson oxygéné pour se remettre, à la cadence où il tape on les soupçonne de l'avoir remplacé par un robot de la dernière génération, un prototype dernier-cri de l'Intelligence Artificielle. J'ai vérifié, c'est bien un être humain, pas de tricherie, le gars doit avoir le système nerveux qui fonctionne à la fission nucléaire. Impact de grêlons gros comme des œufs d'autruche sur la batterie.

Très logiquement, si les deux guitaristes veulent se faire entendre doivent trimer comme sur un trimaran. Perso je filerais ma démission. Eux ça les botte, ça leur plaît, ils en rigolent, ils en raffolent, ne pataugent pas dans la colle, ils volent au devant des difficultés, ils échangent des riffs comme s'ils se trucidaient au scalpel, au plus près, un foulard de trente centimètres ente les dents à la manière d'un lien ombilical par qui transite la rage et l'énergie. Critters au cran d'arrêt qui n'arrête pas. Des coups brefs mais font jaillir des geysers de sang et de lymphe à la manière du montage final de La Dernière Horde. C'est que la bêtise du monde contre laquelle ils se battent est une baudruche crevée qui refuse de se dégonfler. Même que peut-être a-t-elle tendance à enfler ces derniers temps. Qu'importe ils rajoutent de la hargne à chaque morceau : Guerre, Crève, Délire, Marche, Mort, Contrôle, vous dessinent le monde en pointillés comme ces tracés sur les fascicules destinés aux enfants. Si notre monde était une rose, les Critters en seraient les épines. Empoisonnées.

C'est l'Héracles grec qui chante. Le héros est aussi le hérault. Vous jette les mauvaises nouvelles à la figure, l'a le chant saurien, coupe les phonèmes qui dépassent, ne noie pas le poisson dans l'eau douce, vous ébouillante les crustacés, et leurs pinces coupantes en un ultime spasme vous cisaillent vos dernières illusions aux racines. Ecouter les Critters équivaut à danser Au-dessous du Volcan de Malcolm Lowry. Et personne ne s'en prive, vous communiquent la joie vicieuse des révoltés qui n'abdiquent jamais. Trois rappels aussi incandescents que des illuminations rimbaldiennes. C'était une saison en enfer avec les Critters.

RETOUR

Devant L'Armony et sur la Croix de Chavaux les concerts se terminent, je ne m'attarde pas, tel un bateau pirate, suis rempli d'or jusqu'aux écoutilles, et je me hâte vers mon repaire. C'étaient les fêtes du rock'n'roll.

Damie Chad.

 

 

THE CENTURION'S SERVANT

BENDER

( 2019 )

Rigil Kent : guitars, synthé, vibraphone, vocals / Agabawi : guitars, keyboard, ukelele, vocals / Sloog : bass, vocals / Davy : drums, keyboard, theremin, vocals / + Alexis Noël saxophone.

The Centurion's Servant : décliné en quatre mouvements : Part I : Enterred Capernaum : bienvenue dans le capharnaüm, rythme entraînant malgré quelques échardes fuzziques, il semble qu'au bout du couloir certaines marches soient plus difficiles à monter ou à descendre, l'on ne sait plus où l'on en est. / Part II : Under my roof : voix fine de chaton qui miaule, puis c'est l'accompagnement orchestral qui se joint à la chorale insipide, d'autant plus inquiétant que beau, dépaysant. Au loin et tout devant un instrument se plaint. / Part III : Sick and ready to die : moane encore longtemps mais le son s'agonise de lui-même. Bientôt remplacé par des hululements synthétiques. Même le blues se vend sous forme de plastique irrécupérable. / Part IV : Tuning to the crowd : retour à la vie, une voix qui s'affermit, et la musique prend de l'ampleur, montée progressive qui s'éteint brutalement. Mercury Signals : tournoiement des hélices du caducée mercurial pour inaugurer un chargement énergétique sans précédent. Living dead cat : pas vraiment un nouveau morceau, une suite qui s'accélère, des chœurs qui fusent de partout comme si l'on écrasait l'accélérateur sur un échangeur d'autoroutes. Cela se termine par un jeu de batterie qui épouserait les ondoiements grandiloquents d'un orchestre symphonique. Mais en accéléré. Et puis des voix innocentes d'enfants qui viennent de faire une grosse bêtise. Ghosts Place : une guitare seule rejointe par des voix peu fantomatiques, sur un nappé d'orchestration qui recouvre les îles du remord, suivies d'une espèce de vocal processionnaire, une marche en avant dans le noir intérieur. What's in your bag? Can we save Iggy ? : une intro nettement plus rock'n'roll, des voix traitées à la mode groupe filles-sixties, la question métaphysique de la salvation du Pop iguanéen se déroule sur des guitares impertinentes qui tirent la langue. S'interrogerait-on sur le destin du rock en se remémorant ses sources ? La réponse est emportée dans le vent joyeux d'une dernière ronde. Est-ce vraiment si important ? Pray the king : apparition majestueuse de l'orgue, comme quand votre cousine était entrée dans l'église le jour de son mariage. Deuxième mouvement : moins de grandiloquence, les festivités commencent. Cobra is missing : changement d'ambiance, au bout du chemin l'on ne trouve pas toujours ce que l'on désirait. Peut-être fallait-il regarder davantage dans le capharnaüm de son cerveau et ne pas croire les promesses qui rendent les fous joyeux. L'absence du cobra n'a pas l'air d'être une catastrophe irrémédiable. The Centurion's Servant : Part V : l'est temps de tirer la leçon de cette épopée qu'il faut bien se résoudre à nommer en fin de compte burlesque. En queue de poison insidieuse. Quand la promesse ne tient pas ses promesses, le plus sage n'est-il pas d'aller se coucher.

Un disque ambitieux. Pochette énigmatique pour une citation évangélique. Une mer houleuse et romantique, et le serviteur du centurion en maillot de bain. Ce qui est sûr c'est que les légions ne sont pas là. Les rêves de conquête se dissipent-ils à la vitesse d'une vague qui se retire ! Au dos de la pochette la mariée est bien seule. Mariée basse. Après les illusions perdues vivons-nous l'époque des désillusions retrouvées ? Si le cobra est mort, sur quel autre rivage braquer nos désirs ? Ceci n'est qu'une interprétation. Les disques de rock qui font réfléchir sont assez rares sur cette planète. Soyez curieux. Il paraît que cela rend intelligent. Ce dernier trait de caractère est d'une impérieuse nécessité pour ceux qui veulent survivre. Exemple à suivre : Iggy sur la galette qui sort du congélateur.

Damie Chad.

HILL'S LIGHT

BENDER

( Octobre 2014 )

Pochette vert tendre et dessin naïf. Représente tout de même aussi bien notre planète que l'œuf cosmique originel. Bender est un groupe à surprises. Le disque précédent possède bien quelques accointances avec le concert beaucoup plus rentre dedans, mais ici nous remontons près de cinq ans en arrière et nous voici loin de notre présent rock. L'ambiance est définitivement cosmic trip.

Sad little bird on the rain : je ne sais pourquoi – en fait si – à la seule lecture des titres j'ai pensé aux Doors, instrumental tout lent avec en fond des roulements de voitures sur une highway de plus en plus prégnants, c'est la pluie qui tombe sur le pauvre petit oiseau tellement triste qu'il est aux abonnés absents. Matchbox : une comptine enfantine sur le destin d'une allumette, mise en scène d'une voix mélodramatique sur une musique qui flambe. Etincelant et fugace comme un feu de paille. The house : une chanson d'amour toute douce qui égrène ses notes sans se presser, la voix qui traîne, un parfum american folk indéniable, mais la pression arrive plus vite que prévue, et tout redescend tout doucement pour repartir à l'assaut du bonheur. Ce coup-ci l'on pense à Neil Young. Jet lag : des paroles à la dérive colorée planétaire à la Hendrix, mais pour les éclats coupants de guitares vous repasserez, quoique à la fin on s'en rapproche un peu. Airplane's starway : la suite de la précédente, ne pleurez pas les disparus, ils sont très loin et très heureux. Arpège de guitare et voix composées. Harmonies rassurantes. A river of stars : pourquoi se faire tant de soucis sur cette terre puisque bientôt ta poussière volera dans les étoiles. Pas très gai tout de même, c'est sans doute pour cela que la musique se fait incisive, la voix plus lyrique pour vous convaincre de la beauté du chemin des étoiles. Serions-nous en pleine philosophie hippie. Fallen angel : plus dure est la chute, les anges tombés du ciel ne m'arracheront pas de cet espace-temps dans lequel je suis englué. Si la musique devient si violente, serait-ce la marque du désespoir. Le roi Cobra : puisque tu ne vas pas à lui, le roi Cobra vient à toi. La joie déborde, la musique danse, les lyrics s'emmêlent et puis s'exaltent. Des guitares tire-bouchonnent. C'est la fête. La grande fête venus des lointains de l'espace. Bender 3000 : musique compressée, elle a voyagé à la vitesse de la lumière, rien de punk, elle vient du futur, vautrez-vous sur vos petites amies et laissez faire le temps. Il arrive. Avenir radieux. Hurlements de joie. Bend the time : message ultime, détache-toi de toi, sois comme moi poussière d'étoiles capable de renaître en d'autres univers. Le mot joker ''amour'' n'est pas prononcé mais c'est ainsi que se construit les attractions merveilleuses. Qui l'entendrait sans rire en ce nouveau siècle. Ce disque sent son San Francisco à plein nez. Décidément chez Bender les disques se succèdent et ne se ressemblent pas.

 

CHELSEA SIDE

BENDER

( Septembre 2015 )

 

Un an plus tard. Un graphisme de pochette similaire, mais bye-bye l'œuf orphique, l'omelette est moins bonne que prévue, le Grand Cobra est encore présent, l'est au prise avec ce que nous nommerons au plus vite l'ange du mal, ou l'ectoplasme actif de la Cité des hommes. La pauvre bébête n'est pas à la fête, prend des coups, à l'instar de la Statue de la Liberté elle porte une couronne sur la tête, mais elle ne rayonne point, semble plutôt une tiare d'épines christique.

Sunday morning : le soleil ne brille pas toujours, l'incompréhension s'installe entre les êtres, musique en urgence emballe sec, mais si tu n'es pas capable de survivre c'est moi qui m'éclate. La cervelle contre le mur. Chelsea side : balade fallacieuse en la grosse pomme. L'est remplie de clichés qui correspondent à la réalité. The dream is over. Du côté de Chelsea le quartier artist, c'est sûrement mieux. L'on se réfugie toujours dans ses propres légendes. Se termine par un petit harmonica tout ce qu'il y a de plus country. Song A : en apparence une belle chanson d'amour, avec cette musique qui glougloute au début et puis le rock s'en mêle comme le doute s'insinue en votre esprit. Chanson de rupture, entre ce ce qui part et ce qui revient. Sans doute pas au-même. Le morceau explose en plein vol. Parfois l'on en dit moins pour en sous-entendre plus. Charivari final. Fallen Angel : deuxième version de l'ange aux ailes cassées. Trémolo dans le vocal. Il semble que l'on ait pris conscience de l'ampleur du sinistre. La vie ne fait pas de cadeau. Les médicaments les plus amers sont ceux qui ne vous soignent pas. La musique n'essaie même plus de faire passer la pilule. I love you little N. Y. C. : amour, haine et déception. La pomme est empoisonnée mais l'on aime y mordre encore une fois. La musique chavire entre le bien et le mal. Batterie élastique. Airplane's starway : l'on reprend l'ascenseur ( presque to heaven ) de la galette précédente. Entrée funèbre, et puis les cendres volent et deviennent poussière d'étoile. Etrange on dirait que cette fois l'on y croit moins. Le monde a changé. Le regard que l'on porte sur lui aussi. Moins de confiance. Hangover : le retour du bâton, je vais vous montrer de quelle gueule de bois je me réchauffe. Splendeurs tonales, toute la mélancolie des rêves brisés. Le grand Cobra n'est-il pas le ver solitaire qui me ronge de l'intérieur. Très beau morceau.

Etranges ces deux disques. Sonnent américains. Je veux signifier par cela qu'ils ont une qualité d'enregistrement exceptionnelle. Surprenante pour un groupe qui vient de Toulon, mais à consulter le site de Vivarium Production, l'on se dit que Bender a trouvé en cette bonne ville méridionale une pépinière créative en pleine action. Les deux disques sont de même facture mais en un an que de progrès et de maturité acquises. Bender, un groupe à suivre et à surveiller.

Damie Chad.

 

30 / 06 / 2019MONCEAU-LES-MINES

ADA III

404 ERROR

ADA, rien à voir avec l'Ada ou l'Ardeur de Nabokov. S'agit de l'Assemblée des Assemblées, liée au mouvement des gilets jaunes. Ne pas confondre avec les tuniques bleues. Beaucoup de parlottes sur les bienfaits de la sainte démocratie pendant que l'Etat aiguise ses serres et que les banquiers entassent les billets. Vaudrait mieux un bon Kick Out The Jam préconisé dès 1967 par le MC 5, mais dans la vie il nous échoit souvent plutôt le pire que le meilleur. Bref cherchez l'erreur. J'ai fini par la dénicher, pour une fois le flair légendaire du rocker n'a pas eu à s'exercer, elle est venue toute seule, par la porte d'entrée et de sortie des oreilles.

Un petit roseau m'a suffi disait Henrier de Régnier, je suis un peu plus exigeant, me faut un bon balancement électrique, bien cadencé, cela m'arrache de ma chaise automatiquement et mes pas m'entraînent vers le corps du délit – peut-être pour échapper à l'irrémédiable éclat de celui de la Délie – en l'occurrence la fameuse 404 Error. Me presse donc, l'on doit être cinq sur l'ère goudronnée, dans mon entrain je dépasse même un gars qui marche devant moi, c'est lorsque je serai appuyé à la barrière que je réaliserai qu'il s'agit du chanteur qui s'en est venu sans doute au fond du cours vérifier le son. Pas de problème, l'orga n'a pas lésiné sur le matos.

404 ERROR

Ne font que des reprises, ce qui est jouissif certes, je le conçois mais qui reste dommage quand on juge de la netteté de leurs épures. Sont plus qu'au point pour apporter leurs petites contributions personnelles aux trésors du rock. Quatre donc. Trois qui jouent, un qui chante. Pa besoin de plus dans la boite à bouillon-cubes. Un défaut tout de même, perdent trop de temps entre les morceaux, et ce d'autant plus regrettable qu'ils connaissent le répertoire sur le bout des doigts et de la langue. Le public, finiront par avoir une bonne centaine de personnes devant eux, n'aura d'ailleurs de cesse de les presser.

Fine silhouette sombre, ressemble à un coup de pinceau esthétique d'un maitre calligraphe japonais, Juliet, de profil, le visage intermittent, tantôt caché, tantôt dévoilé, par le double flot de ces cheveux de jais, ses doigts épousent les cordes de sa grosse base, elle vous plaque les accords avec la sérénité d'un samouraï pour qui la mort n'existe pas.

Jean-Mi ne joue pas de la guitare à moitié. Look de brute biker à la barbe fleurie qui casse du bois rien qu'en fermant les yeux. Et ce qui sort de son ampli ce n'est pas de la mouture charançonnée. Un adepte du gros son. A cette particularité près que lui il ne vous déverse pas les tonitruances comme des tombereaux de pierres sur les pieds. Un soigneux. Lui il brode les riffs, à sa manière, l'ajoute son truc en plume d'aigle royal à chaque motif, vous le connaissez comme ça, et comme ceci avec cette échancrure toute en finesse au milieu, qu'en pensez-vous? On est jaloux, on n'aimerait lui reprocher d'être trop perso, mais non, l'on ne peut pas, l'a de l'imagination, mieux que cela de l'inspiration. L'on dirait un pointilliste qui vous colle le minuscule carré magique de couleur qui n'appartient qu'à lui, et le tableau vous prend une ampleur insoupçonnée.

Le Bob n'a pas intérêt à jeter l'éponge à chaque round. S'active sur ses fourneaux. Pour la cuisson, c'est du rapide, tourné et retourné, vous sert le cuisseau d'alligator tout dégoulinant de sang, même que parfois il remue encore. Vous donne l'impression d'être à chaque instant à la poursuite du break et hop quand vous croyez qu'il va lui échapper, il vous l'azimute d'un dernier coup. Vainqueur par K. O. et tout de suite il se met en quête du suivant avec lequel il a – quel hasard – un compte à régler. Lui apure l'addition finale de bien belle façon. Se fera ovationner plusieurs fois. C'est que ses trois zigomars ils font dans la quinte flush, le truc que vous avez entendu mille fois, ils vous le restituent à l'identique mais de façon totalement différente, l'arrive un moment où il y en un des trois qui vous file un paquet cadeau supplémentaire, Juliet c'est une basse qui démarre à l'amble, avez-vous déjà entendu un dromadaire baraquer dans la nuit au milieu du Sahara, non, alors je suis désolé, je ne puis vous restituer ce bruit si caractéristique, essayez d'imaginer une fin différente à la pièce de Shakespeare, le râle de regret de Roméo agonisant dans les bras de sa bien-aimée, ou alors c'est Jean-Mi qui vous file un solo, une égoïne crissante à la diable, genre le matin quand vous vous vous lavez les dents à la toile émeri pour avoir une bonne haleine fraîche pour le soir embrasser votre petite amie. Le Bob n'est évidemment pas le dernier dans ce genre de facéties monstrueuses, de temps en temps il prend des vacances, vous laisse en suspend, en plein milieu d'une raquellerie monstrueuse, cascade de pièces d'or sur les toms et puis plus rien, une demi-seconde – en rock c'est l'équivalent d'un semi-millénaire – de silence, et au moment où vous commencez à désespérer comme Oreste dans la scène finale d'Andromaque, splash il vous fend le crâne en deux d'un seul coup à la manière du vase de Soisson, et ensuite alors que vous essayez de recoller les morceaux il poursuit son bonhomme de chemin à toute vitesse.

Mais voici, celui que tout le monde attend. Une horloge sans lézard tourne à vide. Le bon grain sans l'ivraie de la folie est une erreur de la nature. En rock'n'roll si vous n'avez pas un chanteur qui capte l'attention et la tension, vous pouvez aller vous recycler dans la bicyclette sans roue. Nous le certifions Aurel n'a pas été fabriqué avec de la sciure d'isorel perforé. Sait bouger, sait chanter, sait charmer. Pas de stress, si vous le voyez soudain cavaler vers le micro qu'il a posé un peu n'importe où – surtout n'importe où - se débrouille toujours pour le rattraper juste à l'instant critique. Prend de surcroît le temps de s'ébouriffer les cheveux déjà en bataille, et hop il se lance dans le maelström enflammé de ses congénères et tout de suite l'arc-en-ciel vous sourit en pleines pluie diluvienne, ne force jamais sa voix – l'a des facilités comme l'on dit pour excuser les bons élèves d'être trop bons – mais il vous balance les lyrics avec cette justesse et cette conviction qui force le respect. Exemple, sur le Rock'n'roll de Led Zeppe n'essaie pas de se planter sur le plus haut perchoir du poulailler, il le fait en son propre ton sans esquisser une des modulations stratosphériques nécessaires, et ce sera encore plus évident sur le Whole Lotta Love, vous suit les montagnes russes, passant sans encombres des pentes les plus abruptes aux cimes les plus aiguisées.

Bref un bon concert. Sans surprise, l'on aurait bien encore smoker on the water, un grand moment, en cachette dans les waters, mais vous connaissez la France profonde des couche-tôt, qu'il faut respecter, le concert s'est achevé bien trop tôt. Bref on a eu le meilleur de l'ADA, l'ardeur rock'n'roll !

DEUX BECASSES D'OR

attribuées au rigolo qui tenait à interpréter à tout prix J'ai Dix Ans de Souchon, et à la jeune fille qui s'obstinait à monopoliser le micro pour annoncer la dégustation gratuite de choux à la crème à l'autre bout du campus... Il y a des gens qui ne comprendront jamais le sens de la vraie vie ! Kick Out The Jam, motherfuckers !

Damie Chad.

GENE VINCENT AND THE BLUE CAPS

( in Rock'n'Folk N° 623 / JUII 2019 )

Juste pour info et le plaisir de terminer cette année en citant le nom du plus emblématique des rockers. Page 86, du R'N'F 623, vous trouverez une analyse de la pochette du deuxième LP de Gene Vincent due à Patrick Boudet. Pas vraiment un acharné de la sémiotique – ce qui n'est ni un mal en soi, ni un reproche - Patrick Boudet. Je n'en dis pas plus, ayant pour l'année prochaine le projet d'une contribution vincenale dans les cartons. Keep Rockin' Til' Next Time !

Damie Chad.

P. S. : dans le même numéro, une page sur les Grys-Grys chroniqués à plusieurs reprises ces deux dernières années dans KR'TNT ! et le nom de Noël Deschamps, un de nos rockers français préférés, cité à la va-vite en dernière page.