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04/12/2019

KR'TNT ! 441 : MUDDY GURDY / CEDRIC BURNSIDE / JAKE CALYPSO + MYSTERY TRAIN +HOT CHICKENS / TOXXIC QUEEN / BURNING DEAD / WILD / VOLUTES / CRASHBIRDS / SO LUNE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 441

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

05 / 12 / 2019

 

MUDDY GURDY / CEDRIC BURNSIDE

JAKE CALYPSO + MYSTERY TRAIN + HOT CHICKENS

TOXXIC QUEEN / BURNING DEAD / WILD

VOLUTES / CRASHBIRDS / SO LUNE

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Cedric a la trique

- Part Three

 

Voilà ce qu’on appelle un plateau d’argent : Muddy Gurdy suivi de Cedric Burnside. Ils sont pourtant venus jouer en Normandie au début de l’année, mais si on revient les voir, c’est précisément parce qu’il faut revenir les voir. Dire combien ils sont bons n’est pas chose facile. Tia Muddy Gurdy et Cedric Boom Boom Burnside brûlent d’un feu sacré qui s’appelle le blues, the real one, celui de la région de Como, Mississippi, ce coin paumé où rôdent encore les esprits de Fred McDowell, de Junior Kimbrough et du grand-père de Cedric, Rural Burnside, comme l’appelait Tav Falco. Tia Muddy Gurdy vient d’Auvergne, mais elle est allée faire un stage là-bas, comme on l’a dit dans un Part One ou un Part Two, et avec ses deux collègues auvergnats, elle y a enregistré son fantastique album avec tous les descendants des légendes pré-citées, notamment Cedric Burnside, Shardé Thomas, petite fille d’Otha Turner, et Cameron Kimbrough, petit-fils de Junior Kimbrough. Ça fait du bien d’enfoncer les mêmes vieux clous, on a l’impression d’œuvrer pour une bonne cause, même si on sait au fond de soi que ça ne sert à rien. Il n’y avait pas vraiment foule au concert, Cedric Burnside et Tia Muddy Gurdy ne remplissent pas autant les salles que le font les petits artistes electro-pop à la mode. Le problème vient peut-être du fait que Cedric et Tia proposent un son destiné aux connaisseurs. L’aspect pour le moins primitif de ce son peut dérouter les gens. On en a vu deux à la sortie qui semblaient consternés, le plus petit des deux allant même jusqu’à dire : «Bah y font toujours la même chose !»

On ne doit pas avoir les mêmes oreilles, car dans les deux cas, Muddy Gurdy comme Cedric Burnside, la palette de sons est extrêmement riche et variée, même dans un contexte aussi primitif. Tia Gouttebel portait ce soir-là une petite robe noire et proposait sensiblement le même répertoire que celui du mois de février, un choix de cuts haut de gamme qu’on retrouve d’ailleurs sur son album : «She Wolf» de Jessie Mae Hemphill, «See My Jumper Hanging On The Line» de R.L. Burnside, le gospel batch de «Glory Glory Hallelujah» et puis cet exercice de haute voltige consistant à reprendre «Down In Mississippi» de JB Lenoir, l’un des fleurons de l’intouchabilité des choses. Tia en fait un truc à elle, mais elle perd au passage de charme chaud de la voix du grand JB. Ça reste néanmoins un plaisir que de voir Tia gratter sa gratte au picking demented, elle parvient à enrichir son jeu en grattant du pouce et des trois doigts, semant dans son sillage des nuées de ding-a-ling effervescents. Elle joue avec cette petite rage bien combinée, on sent qu’un feu la dévore, elle s’immerge complètement dans son son et rejoint par la bande l’esprit chamanique du North Mississipi Hill Country Blues. Chacune de ses notes est une preuve de purisme, elle nous emmène aux antipodes du Chicago Blues souvent basé sur le m’as-tu-vu et revient à ce que les Anglais appellent l’inherent, c’est-à-dire l’intrinsèque, l’esprit même du blues à peine débarqué d’Afrique, cet esprit hypnotique basé sur un mélange sacré, ou un sacré mélange, c’est comme tu préfères, la perte des racines et la connaissance instinctive des distances, celles des déserts et de la savane, la brousse n’est-elle pas la même au Sénégal que dans le Mississippi ? Les animaux sauvages n’y sont-ils pas les mêmes ? Bien sûr que si : le lion tue aussi sûrement que le blanc dégénéré. Tia Gouttebel re-connecte avec cette fusion des dimensions, elle développe dans son son cette intelligence sauvage qui te permet, si tu es noir, de jouer du blues quand ta vie est baisée. Elle renoue avec cette beauté venue du fond des âges via les bateaux négriers, toute cette culture de la contemplation transformée par le pire commerce qui ait jamais existé sur cette terre, la traite des nègres. Il est essentiel d’avoir tout ça bien présent à l’esprit quand on écoute Tia jouer ce type de blues, même si elle est blanche. Mais c’est peut-être parce qu’elle est blanche qu’elle passe comme une lettre à la poste, de la même façon que Mike Bloomfield ou Peter Green, ces gens atteignent des niveaux artistiques qui les autorisent à fondre les concepts dans un moule pour les transcender. Tia Gouttebel détient ce pouvoir, elle ne cherche pas à étendre son répertoire, elle se contente de sonner juste. Épouvantablement juste. En plus, elle dispose de l’atout fatal : la voix. Elle peut rendre hommage à cette reine de la nuit que fut Jessie Mae Hemphill, qui rappelle-t-elle, ne sortait jamais sans son petit chien et son flingue. On est à Cléon, à deux pas de l’usine Renault, mais Tia nous expédie dans une autre réalité, ou pour être plus précis, nous donne une toute petite idée de ce que serait cette autre réalité. Sachez par exemple que Jessie Mae Hemphill vivait à la fin de sa vie dans une caravane et si tu frappais à la porte, tu avais intérêt à ne pas rester devant, car elle tirait des coups de fusil à travers cette porte. Tav Falco savait où se trouvait la caravane et il prenait sa moto pour aller rendre visite à Jessie Mae qu’il vénérait. C’est tout simplement miraculeux qu’une personne en France ait l’idée de rendre hommage à une artiste aussi fondamentale que Jessie Mae Hemphill. Mais aussi à Otha Turner dont elle reprend le «Station Blues». Souvenons-nous que Jim Dickinson transforma le vieil Otha en Dionysos pour le célébrer. Dommage que Tia ne s’étende pas davantage sur JB Lenoir quand elle annonce «Down In Mississippi», car JB dit des choses assez graves sur le Mississippi, comme d’ailleurs Andre Williams dans «Mississippi & Joliet», c’est un endroit où les gens n’aiment pas beaucoup les nègres. Avec «Down In Mississippi», JB Lenoir revient sur le thème qui l’obsède : la chasse aux nègres - They had a huntin’ season on a rabbit/ If you shoot him you went to jail/ The season was always open on me/ Nobody needed no bail - Quand vous reverrez le Mississippi Burning d’Alan Parker, vous comprendrez ce que JB voulait dire par «chasse aux nègres». Il est essentiel de préciser que JB Lenoir fut l’un des militants noirs les plus engagés contre le racisme prédatoire du Deep South.

Cedric Burnside a de la veine d’avoir une gonzesse comme Tia en première partie. Quand il arrive sur scène, la salle est chauffée, l’ambiance bien palpable. Comme il le fit en début d’année, Cedric démarre son set assis. Il claque quat’ cuts à coups d’acou et s’il devient très vite spectaculaire, c’est parce qu’il fluidifie de plus en plus son jeu, accompagnant chaque note d’un mouvement de tête assez sec. Il joue un blues âpre et beau, très physique, très fascinant. Il joue comme Tia, au picking demented, avec une main droite posée en cloche au dessus du chevalet, cling clang tchak a-cling clong, il taille des passages rudimentaires dans l’infinitude des possibilités du blues d’accords ouverts, et finit toujours par retomber sur ses pattes en traficotant des figures de style extrêmement tintantes. Il fait claquer toutes ses notes comme s’il traquait la moindre résonance, il clic-claque comme un one-man magic band de Circumstances, mais comme si cela ne suffisait pas, il fait le show avec une ferveur qu’il tempère magistralement par des éclats de rire. Cedric Bursnide n’arrive même pas à se prendre au sérieux. Il faut voir ce cirque : chaque fois qu’il sort vainqueur d’une transition aventureuse, il se marre comme un bossu. C’est l’apanage négroïde, la candeur définitive. Il a bien compris qu’en France les gens ne comprenaient pas l’Anglais, aussi rationne-t-il ses histoires intermédiaires de manière drastique. Terminé les histoires drôles du grand-père qui l’envoie chercher une fiancée. L’animal se contente de well-well-weller comme son grand-père et de dire aux people qu’il est vraiment très content d’être là sur scène. Fantastique personnage, il donne des leçons de présence, il est d’une intensité qui pourrait servir de modèle à tous les artistes, surtout ceux qui ne savent pas communiquer avec un public. À la fin du set acou, il se lève, vire la chaise et branche l’une de ses deux guitares électriques. Un petit gros à la peau blanche le rejoint sur scène et se met à l’affût derrière les fûts. Alors Cedric entame son pèlerinage au pays du North Mississippi Hill Country blues, hard-pickening de plus belle sur sa gratte et s’il récupère quelques nouveaux disciples en route, il pourra, comme Jésus le fit sans doute jadis, se féliciter de n’avoir pas perdu son temps. Non pas que ce blues revête une dimension religieuse, n’exagérons tout de même pas, mais il apparaît pourtant assez clairement que le personnage de Cedric Burnside relève d’une réelle forme de spiritualité, ne serait-ce que par l’infaillibilité de son mode de transmission. Il s’inscrit dans une lignée, mais il ne s’inscrit pas seulement des mains et de la glotte, il s’inscrit de tout son corps. C’est sa façon d’être physique, il joue de toutes les forces de son corps de petit nègre et se sent porteur d’une tradition venue du fond des âges. Il arrive que certains artistes dépassent les espérances du Cap de Bonne Espérance, et Cedric Burnside en fait partie, mais en toute modestie. Il vit chaque instant de son blues, multipliant les mimiques, il est tour à tour le forçat du chain-gang avec le menton pointé vers l’avant, le pasteur aux yeux clos entré en osmose avec le cosmos de son église en bois, le black rigolard qui ne pense qu’à la rigolade et aux parties de dés, le blues shouter décidé à bouffer le cul d’une grosse salope blanche, mais dans son regard éclate parfois cette particule de rage qui évoque Nat Turner, le chef de la révolte sanglante de Southampton, en Virginie. Il est aussi le crack des culs de basse fosse et donne du souci aux garagistes quand il décide de casser la baraque avec «We Made It» ou encore «Typical Day», l’irrésistible occasion de sortir le plus gros beat du Mississippi pour défoncer la rondelle des annales, surtout celles d’Alan Lomax. Aw fuck, comme ce blues et vivant, ça n’a rien à faire avec les objets de musée que voulait en faire Lomax. Cedric Burnside est un arbre de vie symboliquement replanté sur un continent hostile et dramatiquement matérialiste, mais c’est un arbre de vie qui dégouline d’esprit séculaire et de sève, il suffit de voir ce mec et sa guitare pour le comprendre. Pour comprendre aussi que TOUT le rock vient de là et du gospel des Como Mamas qui comme par hasard viennent du même coin. Como, comme Commotion ! C’mon ! Cedric Burnside ressort aussi sa vieille débinade de no way out, «I’m Hurting», ça s’enrage tout seul, pas besoin de discours, tu prends ce beat en plein gueule, ça ronfle sous cette bayadère qui rime si richement avec débarcadère, vas-y secoue tes chaînes, Soul ta couenne, blues ton cul, il se marre à voir trembler les colonnes du temple des patrons blancs. On est tellement ravi de voir enfin un vrai géant. Il tient tête au monde, sans la moindre trace d’arrogance, par la seule force de son génie black. Il va ensuite plonger le museau de la Traverse dans un cloaque de heavyness avec un fan-tas-tique «Death Bell Blues» tiré de ce dernier album qu’on n’en finit plus de réécouter, Benton County Relic. Tiens, on donne cent albums de garage en échange d’un seul Benton ! Gimme the trique !

Signé : Cazengler, la burne

Muddy Gurdy/Cedric Burnside. La Traverse. Cléon (76). 9 novembre 2019

Pour mémoire :

Muddy Gurdy. Vizztone Label Group 2018

Cedric Burnside. Benton County Relic. Single Lock Records 2018

 

Hit the road Jake

- Part Two

Ce serait commettre une grave erreur que de faire l’impasse sur les vieux coucous de Jake, à commencer par les deux albums de Mystery Train.

Cheers Cheers Rock’n’Roll date de 1994 et tient rudement bien la toute. Jake nous fait le coup du big rumble de basse dès le morceau titre et nous pond un rockab cryptique sourd comme un pot. Tout sur cet album est gratté sec et slappé du beignet dans les règles de l’art. Ces Trains fous nous boppent «My Baby Runs Away» à la folie Méricourt, celle qui court toute seule - You tell me why/ Wouahhh - Ils savent allumer un brasero, Jake fait du wouahhh et ça vire sale rockab bon a rien qu’a jamais vu un peigne et qu’est méchant comme une teigne, let’s go cat rock, aooh ah ooh ! Wolf in the bag ! Avec «Hot Sexual Fret», Jake va plus sur les roots, il va même en devenir l’expert numéro un, certainement le meilleur en Europe. Il y va, on se croirait dans l’Arkansas, en 56. Ils savent créer cette magie. S’ensuit un bel hommage à Gégène avec un «Blue Jean Bop» rebondi à l’extrême et saqué au sec de caisse claire. On voit bien qu’ils le vénèrent pour le jouer aussi bien. On trouve aussi une cover de «Brand New Cadillac» assez gonflée. Jake va sur le Vince, soutenu par un bassmatic sourd et pénétrant. On a là l’admirable restitution d’un hit que Roger Armstrong d’Ace considère comme le plus grand hit jamais sorti en Angleterre. Back to the wild rockab avec «Love Me More». Slap devant toutes ! On se croirait chez Lew Williams et ce démon de Jake ramène sa fraise en plein slap-and-burn. Il n’existe rien d’aussi parfait que ce pulsatif rockab. Ils terminent avec une furieuse reprise du «Rock ‘n’ Roll» de Led Zep. Ils l’embarquent au wild beat et Jake devient fou. Les Stray Cats devraient écouter ça et prendre des notes. Jake montre non pas le chemin de Compostelle mais celui de la démesure.

L’année suivante paraît Crazy Young & Wild, et sa pochette motorbike. On voit Jake chevaucher une Norton, comme Tav Falco. Mais bon, on n’est pas là pour les motos, cet album est tellement bourré de merveilles qu’il faut absolument essayer de l’arracher à l’oubli. Ceci dit, l’album n’est pas facile à trouver, mais pour rester positif, disons qu’avec les outils dont on dispose aujourd’hui, c’est plus facile qu’avant. Premier coup de Jarnac avec «Little Rocker», embarqué au swing de pompe manouche. Pour les amateurs de jumping jive, c’est le paradis. Ils enchaînent avec un sacré clin d’œil à John Lee Hooker, «Everybody Rockin’ Blues». «In The Dark» boucle l’A et sonne très Stray Cats, avec le slap dans le collimateur du mix. On pourrait appeler ça une incroyable métamorphose. Retour au swing en B avec «Baby Mean». Ce sont les compos de Philippe Nowak qui swinguent. Il penche plus pour la pompe manouche. On tombe plus loin sur une excellente reprise de «Born To Be Wild». Jake et ses deux amis swinguent la couenne du vieux Steppenwolf. Le rumble de slap et les coups d’harmo touillent bien la fournaise. Ils filent à 100 à l’heure dans les «Dark Streets Of London», un cut d’allure très Stray Cats lui aussi. N’oublions pas de saluer bien bas le «Drives Up To The Moon» monté sur un joli drive de reins et bombardé aux ah ah ah et aux ouh-hii. Jake fournit tout le slap pendant le solo de bonne clairette. Ça pue l’enthousiasme à dix kilomètres à la ronde. Quant au morceau titre, disons qu’il s’inscrit dans la veine de Gene Vincent et du heavy jive de biker.

Retour aux Hot Chickens avec cet excellent Drunk Dirty & Damned paru en 2004. Et quand on dit excellent, on est encore à des centaines de kilomètres de la réalité. Jake dédie cet album à son poto Patrick Leblond. Au dos du digi, on peut voir Jake porter un T-shirt Motörhead sous son perfecto. Ça en dit long sur son ouverture d’esprit et la finesse de son bec fin. Ils attaquent avec un «Long Black Boots» assez punkoïde, taillé à la cisaille et qui déboule à fantastique allure. Les canards boiteux ont bien compris qu’il faut aller se planquer vite fait. Après quelques exercices de cavalcade insensée marinés de cocote sauvage et d’overblowing de blast («A Rocking Soldier» et «B-Side Baby»), ils s’offrent quelques minutes de répit avec «My Baby’s Hotter Than A Vindaloo». Le cut sonne comme un havre de paix, illuminé par un solo merveilleux de clairvoyance. Il se passe des choses extraordinaires sur cet album, il faut vraiment rester sur ses gardes. On ne s’y attend pas et soudain, «Cruel Lou» nous tombe sur la gueule. Pouf ! Jake stompe la couenne du cut avec la hargne d’un Captain Beefheart mal embouché. Avec deux fois rien, il parvient à bricoler un coup de génie. Il faut entendre le drive de basse traverser le riffing ! Avant eux, personne n’y a pensé, même pas les Anglais. Jake nous refait une entourloupe un peu plus loin avec «Long Black Hobo». Ils font le train tous les trois et ils le font bien. Ils explosent le concept du long black train. C’est la curée. Ils jouent ça à la bielle et à la vapeur, ils sonnent comme la loco de Gabin qui file vers le Havre, puissance des ténèbres, violence de la pertinence, rendez-vous compte, ces mecs avaient déjà du son pour dix en 2004 ! Attendez, ce n’est pas fini ! Jake explose ensuite son «Lovely Jean» à la Little Richard. Il ne recule devant aucun exploit, il en fait un pur hit de juke, il brûle du feu sacré et comme si ça ne suffisait pas, il fait son Charlie Feathers dans «Hang Up Baby». Il shake tout le cocotier du rockab sans fournir le moindre effort. Jusqu’à la fin de l’album, il n’en finit plus de créer la surprise, comme par exemple avec ce «Just A Little Bit Of You» sacrément ambitieux, pas loin de Feelgood, un peu étrange, quasi progressif, traversé par des drives de basse en goguette. Ce qui frappe le plus chez les Hot Chickens, c’est ce mélange d’énergie et d’entrain. «Big Blond Rooster» est certainement l’un des cuts les plus enjoués de l’histoire du rock, Jake bat la campagne avec une allégresse contagieuse. Il nous claque ensuite un «Ride Me Out Of Town» tout aussi inspiré, il y cale des coups de baryton à la Summertime Blues et Didier Bourbon y passe un solo superbe. Au point où ils en sont, ils ne prennent plus de gants. Ils balancent «She’s My Liza Liz» comme des paquets de mer, on les reçoit en pleine gueule, flouf ! flaf ! Jake chante comme Bunker Hill, il sait le faire, il sait sortir de ses gonds, bien asticoté par un solo en forme de congestion tétraplégique. Quelle dégelée ! Ils réussissent aussi l’exploit d’exploser «Miserlou». Tout ce qu’on peut espérer c’est que Dick Dale ait pu entendre cet hommage fulgurant. Oui, ils sont dessus, hey hey ! Au fond, si on y réfléchit un instant, cet album pourrait bien être un laboratoire de rock’n’roll. Le mad Professor Calypso tente toutes sortes d’expériences et ça marche. On irait même jusqu’à insinuer qu’il fabrique des disks vivants.

Dans la série des exploits olympiques, voici Rock Therapy (Tribute To Johnny Burnette), sorti sur Sfax Records comme d’ailleurs leurs tributes à Little Richard et à Gene Vincent (Speed King et Play Gene), et le premier album de Carl & The Rhythm All Stars. Comme on dit dans le bâtiment, Jake tape dans le dur avec son Rock Therapy. Premier punch-up avec «Rockabilly Boogie». On devrait plutôt parler de bombardement, Jake pilonne son rock billy boogie tonite, il démolit tout, il fait revivre le Memphis craze à sa façon qui est fumante. Cette entrée en matière donne le ton de l’album. Boom ! C’est parti pour 14 shots de Burnette burst-off. Jake réussit même à exploser même un mid-mish mash comme «Believe What You Say». Il bouffe le Believe avec une grosse voix d’ogre et amène ensuite «Sweet Love On My Lind» au pire beat rockab qui se puisse concevoir, il amène le swing des reins, et comme les Hot Chickens louvoient sous le meilleur boisseau du monde, alors Jake hiccuppe on my mind. Sans doute est-ce là l’une des meilleures versions jamais enregistrées. C’est littéralement bardé de bardage de frappadingue. Et cette façon qu’il a de lancer «Train Kept A Rollin’» ! Yah ! Fuck, les froggies sont dessus, c’est bien meilleur que Motörhead, Jake vise la véricacité profonde du beat, il chante au gut de l’undergut. S’il fait du rokab, il le fait pour de vrai. Ils font aussi la meilleure version de «Rock Therapy» - Don’t need a doctor/ Don’t need a pill - Il rugit à chaque retour de couplet et développe un sens aigu du heavy groove. Retour à la folie douce avec «Tear It Up». C’est l’épitome de chèvre chaud du rockab, les Hot Chickens l’embarquent à fond de train. Ils explosent encore la powerhouse avec «All By Myself». Jake le chante de haut et pousse des cris d’orfraie. Il fait du rockab de hot rod, il ramène du guttaral dans le riot du Mans, quelle explosion ! Quel shouter ! Il en redemande avec «Please Don’t Leave Me». Il entre dans le chou du lard avec une niaque qui fout la trouille, il baby-please-don’t-gotte à coups de reins, il recrée tous les excès du big time et ça finit par devenir hallucinant. Ce tribute sans foi ni loi se termine avec la paire fatale : «You’re Undecided» et «Honey Hush». Il tape le premier au guttural de cabane, il l’emmène à l’abattoir et devient plus royaliste que le roi Burnette. Fabuleux Jake, il fait le show. Alors retiens bien ceci : avec cette version de «You’re Undicided», tu as tout le Deep South. Et avec «Honey Hush» tu as le paradis, si tu es fan de rockab. C’est comme dirait Lanegan the unreachable paradigm. Toute l’énergie est là, yakety yah, il l’explose à coups de cris. Il fait du burning Burnette. Burn baby burn !

Signé : Cazengler, Hot shit

Mystery Train. Cheers Cheers Rock’n’Roll. Rockhouse 1994

Mystery Train. Crazy Young & Wild. Eagle Records 1995

Hot Chickens. Drunk Dirty & Damned. Not On Label 2004

Hot Chickens. Rock Therapy (Tribute To Johnny Burnette). Sfax Records 2008

MONTREUIL / 30 – 11 – 2019

LA COMEDIA

TOXXIC QUEEN / BURNING DEAD

WILD

Le mois des morts s'achève et nous sommes encore vivants, ne dites pas que nous avons eu de la chance, c'est que les rockers sont immortels. Aucune exagération en ces propos, être encore en vie après la soirée de ce trente novembre à la Comedia en est la preuve absolue. Jugez-en par vous-mêmes, nous avons survécu à trois dérèglements climatiques successifs, une pluie toxxique de filles déjantées, une fournaise zombiique sans précédent, et un cataclysme tempétueux particulièrement sauvage. Non à l'écologie, vive l'écrocklogie !

TOXXIC QUEEN

Tout est question de vocabulaire. Encore faut-il s'entendre sur le sens des mots. Par exemple le mot féminicide signifie-t-il que les victimes sont de type féminin – sens commun – ou que le crime est perpétré par un sujet féminin – sens obvié que les grammairiens patentés surnomment aussi sens toxique. Les raisonnements philologiques in abstracto se perdent bien souvent en débats stériles ou oiseuses discussions, rien ne vaut un bel exemple pratique. Justement en voici un précieux spécimen devant nous.

Quatre filles. La plus belle s'est mise au fond. Sûre d'elle, avec ses tresses d'une éclatante blondeur ukrainienne, elle captive tous les regards. Vous cherchez à détailler son visage, enfer, pandémonium et damnation, quelle est cette barbichette touffue et batailleuse, cette pilosité broussailleuse, cette touffe de chiendent entêtée qui pendouille lamentablement sous son menton, pas d'horreur possible nous avons affaire à... un gus, un gars, un guy, un geek, appelez-le comme vous voulez, en dernière extrémité vous devrez le désigner en son ignominie même : un homme ! Tromperie éhontée sur la marchandise, la pomme pourrie que le marchand glisse en douce au fond de son sac de papier !

Car devant voyez vous, vous avez les filles, trois brunettes mignonnettes. Ne vous y fiez pas. De véritables garces, des gerces, des gargouillettes comme l'on en fait trop. Pour les travaux les plus durs, elles s'en déchargent sur le premier innocent garçon qui passait par là, à lui de taper à coups redoublés sur la batterie, le boulot le plus hardu. Parce que quand on est une reine, l'on ne peut pas décemment s'occuper de l'intendance. Leur est dévolue, une tâche d'obédience royale, ne sont-elles pas les trois Parques de la suprême toxxicité à répandre sur le bas peuple, qu'elles méprisent et regardent du haut de leur perversité naturelle. Elles n'en font point trop, car elles ne sont pas là pour travailler, juste pour signifier au monde que les filles ont pris le pouvoir de leur liberté, que désormais il ne faut plus compter sur elles pour faire la vaisselle mais que par contre leur purulente attitude n'est pas prête de s'éteindre et n'en finira plus de gâcher grave votre existence.

Anna consent à tenir la guitare. D'un doigt fatigué, elle caresse une corde, elle semble plus préoccupée de vous cacher son minois derrière sa chevelure bouclée. Elle se prête à ce jeu, mais ne s'y donne pas. De toutes les manières vous ne méritez pas plus. A l'autre bout de la scène, Darcyphillis – appréciez ce prénom qui allie ce qu'il y a de plus sombre dans le rock, à la souvenance poétique des sur-sous-entendus libertins des madrigaux faussement innocents du Grand Siècle – arbore cet air timide de la jeune fille bien élevée qui se trouve-là par hasard et à qui l'on a demandé par surprise de faire un discours de bienvenue, elle est à la basse certes, mais bien décidée à na pas y perdre sa santé.

Ne vous exclamez pas que la musique n'est plus ce qu'elle était, elles n'ont jamais prétendu à la virtuosité de Jimi Hendrix ou de Jaco Pastorius, elles se débrouillent très bien sans cela, elles comptent sur la décadence auto-ironique de l'outrage qui ne croit plus en sa fonction destructrice, si notre monde n'a plus de sens, sinon d'asservir les êtres humains en leur rôle d'esclaves sociaux, autant en rire et s'en amuser. Si le reflet qu'elles vous tendent dans leur miroir vous choque, peut-être est-ce parce qu'il vous ressemble trop. Et puis, pourquoi la Femme Artiste ne serait-elle pas remplaçable par la technique – c'est tout le sujet de L'Eve Future de Villiers de L'isle-Adam qui avait dédié ses Contes Cruels aux rêveurs et aux railleurs – le groupe envoie du sonique, à gros bouillons d'électronique, à vous en faire péter les ouïes, du gros, du gras, du crade, du cassé, du salmigondis concassé de seconde classe, vous voulez du rock les amis, voici du brock 'n' broc. C'est sur cela que nos deux musiciennes brodent d'un air détaché, une corde à l'envers, une corde à l'endroit. Nos deux damoiselles à la licorne, cornent la lie et l'hallali du rock !

Aux drums ou à la balle drum-drum si vous préférez, Po n'a pas de pot, il bosse à mort, il est chargé d'humaniser à grands coups de ratonnades battériales le déluge sonore, des pétarades amplifiées, des matraquages qui vous ratiboisent la comprenette à tout jamais, même qu'à un moment il nous pète un solo excrémentiel, cet adjectif n'est pas gratuit, Durcyphillis se hâte de lui jeter des rouleaux de papier hygiénique, qui s'accrochent à ses baguettes, l'on se croirait à une compétition de GRS, avec maniement de foulards blancs ! Durcyphillis durcit le ton, elle nous bombarde maintenant de balles de ping-pong qui jouent aux pois sauteurs, encore un vol de confettis non identifiés, nos sommes en plein serpentins merdiques et crocktillons !

Je sais compter jusqu'à trois. J'ai dit trois brunettes. Vous n'en avez vu que deux. Ely Pew Pew se tient entre ses deux guitaristes. Une longue tresse qui tombe à l'endroit exact où se termine sa jupette ultra-courte, sur la tendre douceur pâle des cuisses, avec aussi cette espèce de mèche séparée, en branche de palmier-dattier, qui lui sape de trois-quart le visage, une espèce de loque d'oriflamme qui n'est pas sans évoquer la queue mitée et mutilée des chevaux des cavaliers d'Attila incapables de brouter l'herbe qui ne repoussait pas sous leurs sabots ardents. Mais dessous, ah ! dessous ! l'échancrure de son décolleté par lequel rayonnent ses épaules dénudées, aussi belles et souveraines que celles du portrait de Madame de Récamier peint par François Pascal Simon Gérard ( c'est exposé au Musée Carnavalet, bande de voyeurs ), dépourvues de ces bretelles utilitaires de soutien-gorge qui déparent la finesse des attaches claviculaires de trop de jeunes filles modernes. Ne nous égarons pas en ces vues couturières qui s'essaient à singer les chroniques de La Dernière Mode de Stéphane Mallarmé. Ely Pew Pew est avant tout chanteuse.

Toute seule avec son micro parmi le bruit brontosaurique, une partie déloyale s'exclame-t-on, croyez-vous que cela la gêne, pas du tout, elle domine le tohu-bohu avec une facilité déconcertante, certes l'on ne comprend pas toutes les paroles, mais les titres parlent d'eux-mêmes, Vénus Errante ( elle parle d'or et d'elles ) Army of Cloportes ( elle cause de vous, dur et d'airain ), Bouze de là ( très vache ), Evenucléation ( très phyllisophique ), l'on ne saisit pas tout, mais les bribes suffisent, ne fait rien pour attirer l'attention, pas de geste grandiloquent de comédienne professionnelle, pas de poses à l'égérie inspirée, juste une présence. L'est-là ancrée en elle-même, et ça marche, non ça court, l'assistance est sous le charme, l'ensemble de la prestation pourrait paraître hétéroclite, mais non grâce à Ely, tout cela fonctionne. A merveille. Elles seront obligées de refaire leur premier morceau en rappel.

Je vous ai présenté les belles. Il vous reste à entrevoir la bête. Non ce n'est pas Pot le garçon commis d'office à la caisse claire – pensez à sa souffrance quotidienne à supporter ces trois Aphrodite de notre modernité déglinguée – voici Ben. N'a rien dit, n'a rien fait. Ce n'est pas de sa faute. S'est sagement tenu en équilibre sur sa branche. L'aurait peut-être mieux aimé batifoler dans sa rivière natale, un rêve impossible, il n'est qu'un pauvre ragondin empaillé. Ne riez pas, quand vous serez mort, croyez-vous que trois filles se donneront le mal d'emmener, tel un émérite trophée de choix, votre cadavre ambulant naturalisé partout où elles se produiront en spectacle ?

Ah, Ben non alors !

BURNING DEAD

Des ratés à l'allumage. Tout s'explique. Le batteur esquinté qui a déclaré forfait. Leur a fallu quelques essais pour caler la bande enregistrée de la batterie, mais une fois qu'il y sont parvenus, z'ont mis le feu aux morts et aux vivants. A tout ce qui bouge, et tout ce qui ne bouge pas. Donc deux grands gars placides et une fille. A faire peur. Je ne vous souhaite jamais de rencontrer Drina Hex, dans une rue mal famée, du bas-Montreuil. Sans quoi vous êtes morts. Enterrés d'avance. Ne vous frappera pas. Ne vous tapera pas. Pas la peine. Rien qu'à la voir. Cela suffira. Toute de noir vêtue. Pas de rangs de collier de perles de nacre autour de son cou. Trois rangées de chaînes argentées de chaque côté de son pantalon. Avec ses cheveux ultra-courts qui dessinent en miniature l'épine dorsale d'un stegosaurus, toute de noir vêtue elle ressemble à elle toute seule à la réincarnation de toutes les bandes de blousons noirs les plus féroces des années soixante. Un être malfaisant sorti des brumes d'un passé légendaire qui s'en vient assouvir une terrible vengeance à l'encontre de tous ceux qui ont le malheur d'exister. Ne vous enfuyez pas, ce serait une erreur. Approchez-vous et elle sourira. Le plus beau sourire d'enfant jamais entrevu. Une espèce de naïveté opératoire à laquelle on se soumet naturellement. Cette fille rayonne de joie et de sérénité. Faut être drôlement équilibré dans sa tête pour offrir ce sourire radieux au monde qui nous entoure. C'est elle qui s'est occupée de la sono de Toxxic Queen et qui règle celle de Burning Dead. Ne quitte pas les manettes lorsque c'est à son tour de mettre sa voix en place, une main sur les tirettes et l'autre qui tient le micro dans lequel elle déverse une sorte de guturalité spasmodique qui ressemble aux grognements enragés d'une meutes de loups en chasse qui poursuit un malheureux caribou esseulé dans les étendues du grand nord canadien. Pour elle c'est clair, la perfection est son mode de vie. Cent fois elle demandera aux deux boys de se lancer dans un bout d'essai, cent fois fois elle les stoppera, et miracle, personne ne semble indisposé, émane de cette fille une espèce de calme autorité à laquelle tout le monde se plie sans même s'en apercevoir. A la Comedia, le public aime bien que ça urge entre deux sets, mais là aucune impatience, aucune manifestation d'hostilité.

Donc trois sur scène. Il est des signes révélateurs qui ne trompent pas. Notamment le griffe magmaïque sur le T-shirt noir d'Orco. Après le set il m'avouera qu'il en possède quatre exemplaires de différentes couleurs et qu'il a dû voir Magma une bonne quinzaine de fois. Cela transparaît dans son jeu de guitare. Qui n'a rien à voir avec le style des différentes moutures, parfois très éloignées les unes des autres, du groupe de Christian Vander. Rien mais cette attention portée à la nuance, à l'énergie. Pas d'erreur Burning Dead est bien un groupe de metal, chaud, brûlant, qui tricote sans s'attarder sur la biscotte, c'est droit devant dans un feu d'enfer. Seulement Orco lorsqu'il vous lâche une giclée de notes, c'est de l'or pur. De surcroît il vous la sort ciselée d'une infinité de motifs héraldiques, le son n'est jamais brut, il ondoie, il spiralise sur lui-même, il est vivant, une langue de serpent, un remuement d'ondin, un jeu de soleil sur la mouvance des vagues, l'est déjà sur une nouvelle note, mais la précédente, n'en finit pas d'agoniser, elle donne tout ce qu'elle a, elle exhale ses entrailles, elle saigne, elle meurt, elle survit, elle se transcende, dites-vous que chaque goutte d'eau renferme une mer profonde, inépuisable, un vivier de possibles enchevêtrés, que l'infiniment petit est aussi immense que l'infiniment grand. En tout cas Orco confère à Burning Dead, une épaisseur sonique, une densité exceptionnelle. L'on se prend à regretter l'absence de Sarakynack, l'on aurait aimé entendre le jeu d'échange, cette complicité agissante entre guitare et batterie.

De même pour Jean-Pierre, puisqu'il ne peut pas jouer à cache-trouve avec son batteur, la bande enregistrée ne donnant lieu à aucune opportunité hasardeuse, à aucune déviance aventureuse, il s'amuse à pierre qui roule amasse de la mousse avec Orco. Un jeu dangereux qui demande souplesse et dextérité. Et ce grand échalas de J. P. il a les lignes de basse aussi flexibles que le roseau de la fable. Orco est le chêne et J. P. la liane carnivore qui s'enchevêtre dans les branches maîtresses, ce n'est pas un duel à mort, mais un duo amical à coutelas tirés, ces ballets de guerriers indiens qui s'entraînaient à faire semblant de s'entretuer, une danse de scalp, un swing extraordinaire, une flamme vive sous le souffle du vent, J. P. amène la noirceur nécessaire à la rutilance des pierreries drapées qui tombent de la guitare d'Orco.

Nous n'avons pas oublié Drina Hex. Elle est là devant. Statue d'ébène immobile. Elle porte le micro à ses lèvres, et la morsure de sa voix grondante plante ses crocs dans votre chair pantelante. Son bras retombe, ses lèvres esquissent un sourire. Qui doit être responsable de la fonte de la banquise. Cependant même les ours blancs à la dérive sur leur iceberg ne doivent pas lui en vouloir. Mais ce n'est pas le pire. Derrière elle, le brasier des guitares et de l'intarissable batterie flamboient de mille feux, il semble que le monde entier va s'enflammer, et l''extraordinaire se produit, vous oubliez toute imminence, cette voix vous envoûte, vous n'êtes plus dans un concert de rock'n'roll, vous assistez à un étrange cérémonial, vous ignorez en l'honneur de quelle divinité ou de quel monstre, sa voix de prêtresse, ses silences, cette succession de répons à elle-même vous entraînent en un étrange rituel, l'assistance se fige à croire qu'un évènement miraculeux se passe-là, mais non, il n'y a que cette voix grommeleuse de jeune fille qui enfle, et qui semble renouer avec un lointain rugissement venu du fond de la nature, une espèce d'om majestueux saccadé qui doit être la résonance assourdie de tous les animaux libres et sauvages qui sont passés sur cette terre. Aux portes du mystère des origines. Tout s'arrête. Tout se tait. Alors avant que les applaudissements n'éclatent, Drina Hex sourit.

INTERMEDE GENRé

Peut-être en avez-vous assez des filles. Se débrouillent toujours pour mâtiner une extravagance qui attire l'attention sur leurs petites personnes. De fausses mijaurées. De redoutables séductrices. Les gars sont plus simples. Plus honnêtes. Plus francs, ne vous prennent pas par surprise. Un exemple au hasard Wild. Ce qui signifie sauvage en bonne et accorte langue françoise. Eh bien, ce sont de véritables sauvages qui vous dispensent de la musique sauvage. Rien à voir avec les panneaux marqués pelouse interdite. Vous pouvez batifoler à foison dessus. Jouer à saute-mouton ou courir lourdement sur l'herbe verte comme les Tromp-la-mort dans Les aventures potagères du Concombre Masqué de Mandryka, pas la moindre mine n'explosera sous vos pieds, même pas un obus de trois cent kilos oublié de la première guerre mondiale qui aurait attendu exprès votre passage. Donc si vous aimez la vie qui trépide il est urgent d'écouter Wild.

WILD

Déjà quand on a vu les cinq gaillards monter sur scène, l'on a été vite persuadé qu'ils n'avaient pas le projet de nous faire entendre la version unplugged de New York Mining disaster 1941 des Bee Gees. Z'allaient juste se contenter du désastre. Des balèzes, des solides. Malgré Tom à la batterie et Thom à la basse, l'on était sûrs qu'il n'y aurait pas de lézarde, que ce serait Tom-Thom sans Nana. Sur ses toms Tom a installé une ribambelle pléthorique de cymbales à vous faire croire qu'il allait piloter une escadrille de soucoupes volantes affichant de très mauvaises intentions envers notre planète.

C'était l'exacte vérité. Z'ont commencé fissa. La joie de la destruction est aussi la joie de la création a dit Bakounine. Ce sont des garçons, détenteurs d'une philosophie primaire mais efficace. Leur esthétique est simple, vous prenez toute la filmographie de Sam Peckinpah et une paire de ciseaux. Après d'impitoyables efforts d'élimination des scènes soit-disant lénifiantes vous parviendrez à fomenter une bobine d'une durée optimale d'une heure certes, mais un condensé d'une extraordinaire violence d'images choc qui vous vaudra la réprobation générale des majorités silencieusement muettes néanmoins fortement réprobatrices.

Un larsen à décoller la tapisserie des murs de tout un immeuble de vingt-cinq étages, ensuite une razzia démoniaque. Tant pis pour vos oreilles, subissent le même traitement que si vous étiez en un sous-marin en plongée immédiate sans respect des paliers de décompression obligatoires en eau profonde pour échapper aux grenades sous-marines qui pleuvent autour de la coque ébranlée par des secousses titanesques. L'on a l'impression qu'ils n'ont jamais eu la patience de composer un morceau en entier. Que des fragments. Mais uniquement les passages les plus violents. La montée progressive vers l'altitude paroxysmale ils ne connaissent pas. Débutent par l'orgasme. Arrêtent avant la catharsis. Death metal à donfe. Deaf metal à fond.

Le pire c'est que l'on y prend grand plaisir. Parce que c'est aussi beau et fascinant que le pelage d'amanite fauve du tigre royal du Bengale. Taché du sang de la proie qu'il vient d'occire. Fred et Mat sont aux guitares. De la déglinguée à vitesse astronomique, attention ne poussent pas la poussière sous le frigidaire, un jeu d'une puissance et d'une précision extraordinaire, quand ils commencent à forger les chaînons de votre servitude sonore, ils agissent en orfèvre, c'est alors que subitement vous entendez l'inaudible, une espèce d'écume sanglante qui couronne les monstrueuses vagues d'un océan tempétueux. C'est le cinquième élément. Jérôme. Aucun instrument entre ses mains, seule sa voix, j'ai vérifié l'incroyable à plusieurs reprises, l'espèce d'oratorio somptueux, cette clameur de chœurs resplendissante et symphonique qui s'ajoute aux instruments, s'y fond, s'y confond, mais finit par les soulever et les exalter, c'est bien lui.

Ils n'ont pas joué longtemps. Seulement une éternité. Quand vous êtes transporté et submergé en un ailleurs fabuleux, en un ouvert inconnu, le décompte des minutes et des heures n'a plus d'importance. Wild nous a permis d'atteindre au point de non-retour d'une grandeur surhumaine. Quand le set s'est achevé, nous nous sommes aperçus que nous n'étions plus les mêmes. Après ce que nous venions de connaître, rentrés dans nos corps, ceux-ci nous ont paru rétrécis et étriqués.

Est-ce vraiment un hasard si un des recueils de poésie de Jim Morrison se nomme Wilderness ?

Damie Chad.

 

CLIP ! CLIP ! CLIP ! HOURRAH !

Où sont les peaux laiteuses des dames du temps jadis s'interrogeait ce blouson noir de Villon voici une grosse pincée de siècles. L'aurait mieux fait de s'intéresser aux demoiselles de son temps, parfois la corde au cou est préférable à celle du pendu, n'empêche que son interrogation pose question et peut s'appliquer à KR'TNT ! Nous vous avons présenté au bas mot plus d'un bon millier de groupes, mais que deviennent-ils lorsque nous les quittons du regard ? Je vous rassure ils parviennent à survivre sans nous. Même que parfois ils se débrouillent au mieux. Prenons un cas au hasard télécommandé, Volutes, nous les avions vus à la Comedia le 07 / 07 / 2019, voir notre livraison 427, depuis ils nous ont alertés, leur dernier Clip frôle les 50 000 vues ( 49 623 exactement au moment de la rédaction de cette kronic ) sur You Tube, alors on est allé voir.

NERFS A VIF / VOLUTES

( Réalisation Chris Ruggi

+ Lauranne Beyer )

Il y en a qui font du noir et blanc, d'autres se contentent des couleurs, Chris Ruggi rugit en noir et couleurs. Quand il traite d'un sujet, ne se perd pas dans les coulisses du bavardage. L'a tout compris de Volutes. Mais à la manière des peintres de la Renaissance qui ne quittaient pas du pinceau le corps du Christ depuis l'Annonciation dans le ventre de sa sainte mère à sa mise dérélictoire au tombeau. Mais chez Volutes c'est la postulation de l'homme contemporain qui les préoccupe. L'on est loin du seizième siècle, et l'homo modernicus a les nerfs à vif. Je ne vous fais pas un dessin pour vous expliquer. Tout va mal. Merveilleusement mal. Vous avez beau chercher, vous ne trouvez pas pire. Normal que l'extrémisme musical du rock'n'roll se soit chargé depuis quelques décennies de traduire ce malaise existentiel. Mais avec quel art de l'image pourriez-vous refléter cette crise collapsique de l'être humain ? Où trouver la noise peinture qui vous klaxonne dans les yeux toutes vos déchirures. Le cinéma, la photographie, la bande dessinée, la publicité, pas mal, mais vous obtiendrez mieux en regardant plus près. De quoi ? De qui ? De vous-mêmes avec un peu de chance, sinon de vos voisins sûrement.

Cher lecteur, ne propose plus rien, t'as tout faux, tatoo vrai ! L'art du tatouage a envahi nos corps. Le moindre sous-chef de bureau exhibe l'horaire d'ouverture de l'entreprise sur sa fesse gauche pour rappeler à sa dactylo que la galipette ce n'est pas aussi sérieux que le travail. Passons sur ces dérives capitalistiques d'esclaves en mal de représentation. Non, il existe une explosion de couleurs vitupérantes sur les chairs des derniers révoltés. L'on exhibe, avec une fierté de sioux se préparant au combat insoumissif, ses peintures de guerre que l'on déclare au monde entier. Tous guerriers du rêve, toutes guerrières du songe. Ce qu'on ne peut pas exprimer avec la violence destructrice de nos actes réprimés par les polices des pensées et des rues on l'exalte par la rutilance graphique de nos membres, de notre torse.

Fond noir donc. Sur lequel Ruggi ne nous montre que des silhouettes, ou des fragments de corps hautement chamarrés. C'est le principe de base. Reste maintenant à aller jusqu'au fond des mots. Que l'image nous restitue l'étymologie de l'expression. Ne dites pas : il est énervé, il a les nerfs à vif. C'est d'une platitude absolue, ayez l'acidité de notre monde : il a les nerfs à vif, tout dessin est une dissection. Ce que l'homme a de plus profond c'est sa peau répétait Valéry après Mallarmé, tout dessin est une vivisection, tout acte sur le corps est une torture. Même si au delà de la souffrance l'on atteint à une mystérieuse sérénité jocondière. Les rouges saignent, les jaunes flamboient, les vert cru trucident et les bleus meurtrissent. Tous les grands maîtres du passé l'ont asséné. Sur le clip les corps se dessinent, une nef noire peuplée de fous qui ne font que passer, des pantins articulés de douleurs et de couleurs. Celles des tableaux les plus célèbres, lacérés et flashés, incrustés comme des pierreries chatoyantes que l'on aurait sertis à même les paupières de vos yeux énucléés. Chris Reggi et Lauranne Beyer vous donnent à voir les noirceurs accumulées des fièvres pigmentales. Sans voyeurisme. C'est là la force du clip, des corps, rien que des corps, mais pas de désir, la beauté de l'horreur à l'état froid. Le pèse-nerfs a écrit Artaud.

Magnifique réussite !

Damie Chad.

Nous ne nous étions pas remis de la commotion volutienne que des oiseaux vinrent se poser sur la même branche. Deux cui-cui qui eux aussi ouvrent grand leur bec pour faire clip-clip. Des espèces de vautours de la dernière heure qui ricanent un old-dirty-rock-blues de derrière les fagots allumés à la nitroglycérine, vous les connaissez, ils migrent souvent en rase-mottes sur nos chroniques, la mitraillette à la main, ne croassent pas Nevermore comme le plutonien corbeau maudit de Poe, mais No Mercy, ce qui entre nous n'est guère mieux.

NO MERCY / CRASHBIRDS

( Réalisation : Crashbirds

Novembre 2019 )

D'habitude c'est Pierre Lehoulier qui nous mijote un truc. Voir notre ancienne chronique sur Week-end Lobotomy par exemple. Un véritable film d'animation qui a dû demander des heures de minutieuse élaboration. Mais pour les clips, c'est comme pour l'alchimie, vous avez la voix humide – au minimum neuf mois de gestation – et la voie sèche, bien plus rapide mais beaucoup plus explosive. Il existe aussi un autre danger qui menace les groupes de rock. Le clip trop chiadé qui vous bouffe la voix. Pouvez envoyer le hit du siècle, si vous avez les oreilles scotchées à la beauté des images personne ne l'entendra. Maintenant une vidéo insipide vous détournera de l'envie de l'écouter jusqu'au bout, ne faut pas un juste milieu mais un double exact extrême. Bref l'allumette enflammée et le bâton de dynamite ne doivent en rien ressembler à la mèche mouillée d'un pétard de quatorze juillet pour enfant de moins de six ans.

Ecoutez le clip No Mercy et vos yeux ne se détachent point de l'écran, par contre vos oreilles ne quittent pas Delphine Viane non plus. Pas bête l'ami Pierrot, il lui aurait suffi de la filmer, et sa beauté et son talent auraient suffi, l'a carrément exilée, l'avait manifestement d'autres châssis à montrer. Les gars aiment rouler les mécaniques. Non, il n'a pas poussé la muflerie à se mettre au premier plan. Avec sa guitare grondante, il vous en aurait mis plein les yeux et plein les oreilles pour pas un euro dévalué par le prochain crack boursier. Exunt les Crashbirds, vous n'avez pas été sages, vous ne les verrez pas, d'ailleurs vous ne les méritez pas. Par contre vous avez votre gros lot de consolation, vous les entendez comme jamais vous ne les avez écoutés.

Ce n'est pas que l'image fasse la courte-échelle au son qui importe. Pas plus que le vice-versa. C'est que tous deux soient visibles et audibles à grande échelle. Alors nos deux Crashbirds ils ont dû intuiter longuement dans leurs petites cervelles de piafs déjantés. Nous ont concocté un fusil à deux coups mais à triple détente. Je vous explique le processus diabolique : 1° : pour l'image, sont allés chercher des courses de hot-rods à l'américaine, pas vraiment du crash spectaculaire, des séquences de pointes de vitesse et des parcours tout-terrain. 2° : pour le son, z'ont envoyé une bande tueuse de No Mercy, pas de pitié pour l'auditeur, tant pis s'il en crève de joie. 3 ° : vous n'avez rien compris.

En fait c'est comme une anamorphose musicale : d'un côté vous avez les courses de hot-rods, sans son évidemment, puisque c'est la guitare de Pierre Lehoulier qui pétarade à elle toute seule encore plus bruiteusement que toutes les voitures qui ont tourné sur le circuit d'Indianapolis entre 1955 et 1962, et de l'autre vous avez No Mercy qui défile, et comme votre cerveau prête la guitare de Pierre aux torpédos sauvages, vous n'entendez que la voix et la rythmique de Delphine qui vous cisaillent l'esprit et la chair. L'on n'est pas loin de la note unique de Monte Young tenue sans variation durant trois quarts d'heure, et de fait tous les rushs des mises en route tacotières et des accélérations foudroyantes sont comme régies par votre cervelle. Métaphoriquement parlant c'est vous qui imprimez les images sur une pellicule obstinément vierge.

Bref, pour résumer, les cuicui sont d'atroces manipulateurs, sous prétexte de vous offrir une vidéo, ils en profitent pour pervertir vos organes de perception. Vos yeux entendent, et vos esgourdes voient. Le plus terrible c'est que vous ne pouvez pas porter plainte pour emprise mentale, la voix de Delphine résonne si magnifiquement en vos tympans que vous avez l'impression d'être Ulysse attaché à son mât à qui la plus belle des Syrènes susurre une mélodie incandescente dans le creux de l'oreille. Ça rôde hot en vous.

Damie Chad.

TRAGIC SECRET / SO LUNE

( Réalisation : Sophiane Bell

Mai 2019 )

Nous les avions vus cet été, zieutez notre livraison 428 du 05 / 09 / 2019. Un garçon doué en électronique, sa sœur au chant et au violoncelle. Tragic Secret est un extrait de leur album Child Spirit. Le clip ne reprend que la première partie du morceau. Child Spirit est un des très rares concepts albums français réussis. Hormis La mort d'Orion de Gérard Manset, L'Interrogation de Dick Rivers, et le Melody Nelson de Serge Gainsbourg, l'on ne se bouscule guère au portillon.

Mots voilés et blessures intérieures. Child Spirit suggère davantage qu'il ne susurre. C'est à vous de vous en approcher. Pour ceux qui aiment lire peut-être en trouverez-vous une approche dans un recueil de contes comme Venin de rose de Jacques Astruc. Pas facile de mettre des images sur des mots qui ne sont pas dits. A chaque seconde toute représentation ne sera que fausse interprétation, que mensonge. C'est à cette impossible gageure que s'est affronté Sophiane Bell.

L'a compris qu'il était nécessaire de parier sur l'économie des moyens. Un visage, des doigts, une fille qui sprinte sur la plage, la mer mais celle qui s'en est allée on ne sait où dans le poème de Rimbaud. En fin de compte, le plus disert n'est-ce pas ces vermicelles de lumière qui clignotent à la manière de vers luisants alternatifs comme ces serpentins lumineux sur les images des premiers films du tout début du siècle précédent. Rien ne ressemble plus à un secret que des fugacités spermatozoïdales qui portent le mystère du possible qui n'aura pas  lieu. Est-ce le sommeil qui rêve en son puits d'anéantissement sans fond ou le rêve qui s'ensommeille en lui-même. La voix psalmodie les lyrics du tragique secret. Celui qui tue plus facilement que le venin du scorpion qui retourne son dard empoisonné sur sa carapace. Car l'on ne meurt que de soi. Le monde ne nous use pas. Ne nous érode pas. N'a aucune prise sur nous. Ce n'est qu'une illusion. Le vautour qui nous ronge le cœur n'est autre que nous-mêmes. Chacun porte en lui son propre assassin. Nous ne sommes que notre sale meurtrier. Mains noires sur face blanche. Elles se pressent autour de lèvres agoniques et balbutiantes mais l'amour ne sera jamais fait. Jamais délivré. Sempiternellement inaccompli. Des caresses comme des repousse-rêves pour nous empêcher de prendre la parole, les pernicieuses dentelles de nos cauchemars bien-aimés nous ordonnent de nous taire, de ne rien dire, de ne rien révéler. Cela est inutile, à tout instants nous foulons le sable de la vallée de la mort, nous courons devant un mur d'écume désagrégeante. Chacun se façonne ses cartes postales intérieures. Les couleurs ont beau se métamorphoser, jamais personne n'en comprendra la portée.

La musique n'est composée que de cliquetis lyriques Parfois des envolées, mais tout retombe, un oiseau migrateur abattu en plein vol. Le chant nous parle à l'oreille, les images sont autant de caches lancés comme les bâtonnets du Yi King dont la combinaison collectée restera imperturbablement indéchiffrable. La sibylle ne prophétisera pas l'indissoluble présence du passé. Peut-être que l'aspect le plus tragique du secret est justement de ne plus être secret s'il se veut révélation. Et ne plus être soi, c'est déjà mourir. Mieux vaut donc se recroqueviller sur soi-même comme une feuille d'automne qui n'aspire qu'à devenir l'humus de sa propre souffrance.

Clip funèbre. L'appel du non-être, car être serait ne plus être. Le serpent se mord, se mort, la queue, non pas pour renaître, mais pour s'engloutir.

Un clip qui ne montre rien, sinon la beauté interdite et sororale du chant de So Lune. Une parfaite réussite. Ciel de thrène.

Damie Chad.

04/09/2019

KR'TNT ! 428 : DON CAVALLI / DONNIE FRITTS / ROCKABILLY GENERATION / BENNY & THE FLYBYNITERS / HANK'S JALOPY DEMONS / GAËL MEVEL + MICHAËL ATTIAS / TOM WOODS / SO LUNE / EDREDON SENSIBLE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 428

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

05 / 09 / 2019

 

DON CAVALLI / DONNIE FRITTS

ROCKABILLY GENERATION NEWS # 9

BENNY & THE FLYBYNITERS

HANK'S JALOPY DEMONS

GAËL MEVEL + MICHAËL ATTIAS

TOM WOODS / SO LUNE  

EDREDON SENSIBLE

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Un bon Cavalli n'est jamais le dernier

 

Voir arriver Don Cavalli sur la petite scène de la Place du 73e, c’est un peu inespéré. L’air de rien, le voilà devenu légendaire, sur la base de quelques albums et de quelques interviews de ci de là. Mais surtout sur la base d’une voix. Et quelle voix ! L’homme paraît modeste, on pourrait même presque dire timide, en tous les cas, il ne la ramène pas. Il est là pour le purisme et c’est exactement ce qu’on est venu chercher à Béthune : un brin de purisme. Don Cavalli nous en sert une heure entière sur un plateau d’argent. Il gratte ses coups d’acou du pouce et ses amis siciliens jouent le bop le plus délié qu’ait jamais imaginé la Cosa Nostra. Fantastique conglomérat d’attitude, de mesure, de véracité et de Cavallisme. Il fait tellement la différence qu’il sonne comme un vieux requin du rockab sur le retour. Il a pris un petit coup de vieux, c’est vrai, mais quelle présence ! Il porte du blanc et attache sa gratte avec une ficelle, comme on savait le faire dans les mines de cuivre du Kentucky, au début du siècle d’avant. Don Cavalli ne pointe pas sa gratte vers le sol comme tous les autres, mais vers le ciel. Il fait la différence, mais n’en fait pas exprès. Chez lui, le purisme est quelque chose de naturel. Son batteur sicilien porte une casquette de capitaine à la Humphrey Bogart et joue comme un dieu, tout en retenue et au fil d’un swing-along qui en dit long sur sa baie d’Along. Quand Don le présente au public, il dit de lui qu’il est passé du grade de capitano à celui de commandante. Touché par le compliment, le commandante hoche la tête respectueusement. Il règne dans cette équipe quelque chose de particulier, une atmosphère de frères de la côte à la Mac Orlan. D’ailleurs, le guitariste haut et sec comme un cep de vigne semble sortir d’un bar mal famé de Marsala, avec ses faux airs de Robert Mitchum, ses boucles d’oreilles et sa clope au bec. Don indique que le slappeur des Banjeras vient d’Australie, mais il ressemble vraiment à l’un des bras droits de Toto Riina. Comme il s’adresse à un public de fans, Don Cavalli se fend d’une belle reprise du «Bottle To The Baby» de Charlie Feathers. Dans l’interview qu’il accordait à Dig It en 2016, Don explique qu’il a enregistré des reprises de Charlie Feathers au moment de sa disparition en 1998 («Cold Dark Night», «Early In The Morning» et «Let’s Live A Little»). Du coup, on l’a catalogué comme le ‘nouveau Charlie Feathers’ alors qu’il n’aimait pas trop se voir cataloguer. Des albums comme Cryland et Temperamental nous montrent à quel point Don Cavalli est un esprit libre, donc pas question de se retrouver au fond d’un bocal. Il insiste beaucoup sur cette notion de liberté. Comme il ne vit pas de sa musique, il bosse comme jardinier. Don Cavalli se moque du look fifties et des clichés. Ne l’intéresse que le feeling et ce que doit ressentir un chanteur derrière son micro, qu’il s’agisse d’un sentiment d’amour ou de désespoir. Et c’est exactement ce qu’on voit sur scène. Don Cavalli ne se contente pas d’interpréter, il hante ses chansons, donne de la voix quand il le faut, mais descend aussi chercher ses vieilles tonalités rocailleuses, telles qu’on les trouve dans De Profundis. Il est avec Jake Calypso le plus américain des Européens. Cette extrême rigueur - on pourrait presque parler d’austérité dilettante - fait sa singularité. Ce set de rêve se termine vers minuit. Il revient en rappel chanter son nouveau single, un cut tellement hot qu’il s’étrangle presque de rage.

À la façon dont il coince sa clope au bec sur la pochette d’Odd & Mystic, on voit que Don Cavalli ne plaisante pas. On sent dès «Cursed Day Stomp» un énorme souffle rockab. On croirait entendre Sandford Clark. Quel admirable rootser d’Americana ! Il enchaîne avec un fantastique jump roll de honky-tonk intitulé «Hard Working Blues», bien pulsé par le hot slap de Kalle Victor. Mais c’est avec «Yellow Moon Is Risin’» que tout explose, Don Cavalli chante ça dans l’âme de l’essence, c’est battu à la sourde et bardé du meilleur bop. Ce Don est un don du ciel. Il tape plus loin un «Railroad Special» au hot on heels, il choo-choote sa gratte et passe au croack de crocro pour «Don Cavalli’s Blues». Il presse sa voix comme une boule de pus et ça gicle dans le micro. Ce mec crée de l’événement en permanence. Il va droit au but avec «Morphine», il chante à la bonne défonce, à l’elastic du roots ethic. Il chante d’une voix toujours pleine, il croone son croak de crac dans «Life’s Too Long» et va chercher ses meilleurs accents pour évoquer God dans «God Said No».

De Profundis est un album qui a nous a tous laissé le souvenir d’une grande âpreté. Sur la pochette, Don Cavalli porte un bleu de chauffe et il nous gratte dix cuts à l’ongle sec sur sa douze d’hobo rider. Il chante en plus dans un micro de guimbarde, alors forcément, il bat tous les records de dépenaille. Il joue son «Row And Ruck» au claqué de Mathusalem avec un délié de travailleur des champs. On pourrait qualifier ça de backwood jive florentin. Il se tape en toute impunité un bon coup de boogie blues avec «Myriam». Don Cavalli se montre une fois encore digne des hillbillys les plus obscurs des Orzak Mountains. Mais trop de véracité peut jeter le trouble en eau trouble. Il passe en B au country blues de derrière les fagots du delta avec «Arguments And Alibis» et réussit presque à nous tétaniser avec «King Jesus (Of Nazareth)» : il gratte sa mandoline de gondole à l’extrapole de roosty rootsah. Il envoie là le plus fantastique shoot d’agnostic shuffle de douze qui se puisse imaginer. On le voit ensuite gratter «I Ain’t Jealous» comme s’il sortait d’un coin paumé de l’Arkansas, un de ces coins à la ramasse de la pire rascasse, du type de ceux où sont nés Johnny Cash et Al Green. Au dos de la pochette, on retrouve des faux airs du Michel Bouquet jeune dans le portrait de Don Cavalli. Il dégage la même impression de puritanisme exacerbé. Et dans l’interview pour Dig It, il indique qu’il a enregistré l’album sur deux magnéto-cassettes, «sans écho, sans son à la Sun», il dit vouloir aller vers le dark rockabilly, «là où blues, rockabilly et Soul ne font qu’un». Ce mec a tout compris, il nous ramène aux origines du mythe, à l’époque où Obie Patterson enseignait la guitare à un jeune blanc-bec nommé Charlie Feathers.

C’est Lenox, label de la mythique boutique de la rue Legendre, qui fit paraître Carmela en 2003. Cet album est un véritable classique du rockab. On trouve à l’intérieur du boîtier une petite photo en noir et blanc de Don Cavalli sur scène, tout seul avec sa gratte. Quel album ! Il chante «The Creature Returns» avec l’art de la manière. Il va chercher le meilleur gras de ton. Il n’en finit plus de sonner juste. Le coup de génie de l’album s’appelle «Claustrophia Blues». Il hoquette à merveille, comme Charlie Feathers. Il chante comme un hippocampe, fier et droit, et sort les meilleurs effets du genre. Il fait la fête avec «Make Her Mine», poussé dans le dos par le meilleur beat de bop buté. Il tape «Hey Hey Baby» à l’insistance du Tennessee, avec le slap au ventre. Rockab forever ! Tout ce qu’il fait sonne juste. En fait, il est comme Saint-Just, il ne pardonne pas. Il fait avec «You Never Can Vie With My Baby» une véritable dentelle de véracité agnostique. Le voilà à la gare avec «Standing On The Platform». Il s’y montre effarant de patience américaine, il gratte en attendant le freightrain. Puis il nous embarque à fond de freightrain dans cette valse de non-hésitation qu’est «Two Timer». Un vrai délire de hey go man, pulsé au petit bonheur la chance du pur wild rockab. Il chante son «Coffee Baby» comme un crac, il y ramène toute l’exaspération des géants du rockab. Il reste dans l’excellence du hiccup avec «Crazy Blues». On peut lui faire confiance pour le going crazy, il sait de quoi il parle. «Curtain Call» sonne comme un honnête shuffle de country jive, ce diable de Don does it right. Il est de toutes les combines, le western swing de mad redneck comme le blues de cabane branlante. Il sait mélanger les genres. Il tape «Swing Duck And Uppercut» au laid-back du Tennessee avec un épouvantable swagger. Ça se corse encore avec «Who’s Baby Are You Baby» gratté au meilleur avenant, sévère et bien secoué au who’s baby. Hit de juke idéal ! Il avale le rockab à la goulée. Il allume autant que Carl Perkins. Toute la fin de l’album est hot on heels. «Hey Charmin’» vaut tous les classiques du genre et il bat encore des records de sauvagerie avec «Your Brands On Me». Hot as hell !

Ne vous fiez pas au psychédélisme de la pochette de Cryland. C’est un album d’une incroyable modernité. «Gloom Uprising» commence par dérouter, avec un son extrêmement original, mais on sent toute l’énergie rockab dans le fond du son. Une wah pouette dans le jardin magique de la pochette. Il chante à la tension du Tennessee. Le son captive et déroute en même temps. Nous voilà donc conquis. Dans le Dig It Interview, Don Cavalli dit avoir découvert un jour la wah en studio. Wah ? Wow ! Il revient à son cher boogie de cabane branlante avec «I’m Going To A River». C’est tout simplement terrifiant de véracité. Il chante «Aggression» d’une voix ferme et grasse qui rappelle celle d’Elvis. Même genre de swagger. Avec en plus le bouquet des enfers du vieux guitar man. Plus loin, il fait son bal Cajun du 14 juillet avec «Vengeance». Il chante au décalé du beat et ça couake à l’harmo. Stupéfiant de fraîcheur mentholée ! Don sort sa wah pour le bal. Il bouffe à tous les râteliers d’Amérique avec un égal bonheur. Il reste chez les Cajuns avec «Cherie De Mon Cœur». Il le fait à l’effrénée, il sait le faire, mon cœur est malade, il se traîne dans le crouilli-crouillah du bayou - Chérie de mon cœur/ Come back to me - Tout l’album tape en plein dans le mille. Il passe au heavy blues avec «Here Sat I (Off Jumps The Don)», avec de la wah à gogo et redescend au fond du galimatias mississipif avec «Vitamin A». Il est dessus systématiquement. Il fait du morceau titre un royaume de wah en réverb et crée de nouveau la surprise avec «New Hollywood Babylon». Il sort sa meilleure cocotte pour l’occasion. C’est frais et léger comme un bonbon de Saint-Hubert. On croirait entendre chanter un black blanc. Il chante du groin comme Bobby Blue Bland dans «Wonder Chairman» et attaque le boogie rock de «Casual Worker» à la racine. Il sort là le meilleur rumble des bois du Bible Belt. Il termine avec un «Summetrime» qu’il prend par dessus la jambe et nous gratifie au passage d’un killer solo qui nous laisse tous pantelants. Encore un album qui va tout seul sur l’île déserte. Même si comme le rappelle Don Cavalli, des soit-disant puristes ont détesté l’album au point d’aller lui cracher à la gueule.

Il continue d’expérimenter des sons avec Temperamental paru en 2012. Comme l’album précédent, celui-ci fourmille de surprises, à commencer par le morceau titre d’ouverture, une sorte de heavy funk de wah. On sent un appétit vorace d’innovation. Don Cavalli jour son va-tout avec un sens aigu du claqué de wah exacerbé. Il ne tient plus en place, il fait son funkster et lance des oh yeah d’antho à Toto. Pendant quelques cut, on commence à douter de Don. Il reste dans le Soul-funk pour «Garden Of Love» et passe à l’exotica chinoise avec «Me And My Baby». Un certain Vincent Talpaert bassmatique comme Bootsy Collins. Attention à «Santa Rita» ! Don charge sa barque de synthé chinois et ça porte à confusion. Il rétablit la confiance avec «The Greatest» et ses grands coups d’harmo. Une chinoise chante et ça prend soudain du sens : Chinese Rocks avec du banjo, pas de mélange plus explosif ! Il chante ensuite «Voice Of The Voiceless» à marche forcée. Il agit en rock star, il entre sans ménagement dans ses chansons, c’est ultra-orchestré et il devient héroïque. Il faut vraiment écouter Don Cavalli, car rien de ce qu’il fait ne laisse indifférent. Il revient au Cajun de kazoo avec «You And My Zundapp». Fantastique retour aux sources, il remonte dans la légende des siècles, c’est tout le génie de Don Cavalli, la capacité d’évocation. Il ramène du passé un son perdu. Avec «Birthday Suit», il passe en mode heavy country, mais vraiment heavy. Ce mec fait tout à l’envers, avec un bassmatic infernal qui démolit tout. Le voilà qui s’amuse à démolir la country. Un vrai gosse. Il chante avec une candeur désarmante. Quel coup de génie ! Rosemary Standely vient duetter avec lui sur «Say Little Girl». C’est assez demented, d’autant que Don lui déroule une sorte de tapis rouge, alors ça vire au duo des enfers. Rien d’aussi merveilleusement weird sur cette terre. Comme il aime bien ramer, Don boucle avec «Raw My Boat». Il y fait un peu n’import quoi, comme s’il voulait ruiner son album.

Pour se remonter le moral, on peut revenir un instant au Dig It Interview, car Don Cavalli évoque ses disques préférés. Il commence par recommander les Stanley Brothers, un duo de bluegrass américain, puis Bill Monroe et les Delmore Brothers que chouchoutent aussi les fans de country. Il saute du coq à l’âne avec Burning Spear, en expliquant que les racines du blues et du reggae sont identiques. Il cite ensuite les Staple Singers, O.V. Wright. On sent le bec fin. Il se prosterne aussi devant le premier single de Jerry Lee, «Crazy Arms», allant jusqu’à dire que c’est le meilleur et rend un bel hommage à Django Reinhardt. Il aimerait bien aussi parler de Bo Diddley et de Son House, mais comme il le dit si bien, ça ira pour l’instant !

Signé : Cazengler, Don Casanis

Don Cavalli & His Banjaras. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

Don Cavalli. Odd & Mystic. Tail Records 2001

Don Cavalli. De Profundis. White Heat 2003

Don Cavalli. Carmela. Lenox Records 2003

Don Cavalli. Cryland. A Rag 2007

Don Cavalli. Temperamental. Because Music 2012

Interview Don Cavalli par Philippe Migrenne. Dig It # 67 - Mai 2016

 

Donnie a la fritte

 

Donnie Fritts a longtemps écumé la frontière. Il porte des vêtements éculés par la routine des bivouacs et rapiécés à cause des trous de balles. Une cartouchière lui barre la poitrine et ses bottes n’ont plus des bottes que le nom. Assis sur un banc, il fume son cigarillo en scrutant l’horizon. C’est ainsi qu’on le découvre sur la pochette de Prone To Learn, un album Atlantic paru en 1974. Très bel album, aussi solide que son poney apache et son fusil Springfield à huit coups. Il ne perd pas son temps à palabrer et attaque aussi sec avec un rock d’Alabama intitulé «Three Hundred Pounds Of Hongry». C’est du pur jus de Southern rock finement cuivré. Que de son et que de beat ! Jimmy Johnson et Eddie Hinton font partie du gang, donc ca donne la fritte à Donnie. David Hood et Roger Hawkins sont aussi de la partie. Tous les amigos sont là, y compris Rita Coolidge, Billy Swann, Dan Penn, Jerry Wexler et Kris Kristofferson. Il règne ici une très chaude ambiance. S’ensuit un «Winner Take All» co-écrit avec Dan Penn. On sent sa patte, on sent cette magie finement teintée d’orgue. «You’re Gonna Love Yourself» sonne comme le balladif idéal, car très décontracté. Donnie Fritts joue la carte du soft Southern drawl, celui du petit matin en lisière du bois. Cette équipe de desperados a suffisamment de talent pour pouvoir capter les moments magiques de la journée. En B, Tony Joe White radine sa fraise sur «Sumpin’ Funky Going On». Nous voilà plongés dans la torpeur du swamp, Tony Joe joue lead sur ce boogie-funk vermoulu, bien spongieux sous les pas. Ils duettent à un certain moment, with a smile on my face. S’ensuit un heavy country-funk d’Eddie Hinton, «Jesse Cawley Sings The Blues», bardé de steel guitar et de piano, admirable brouet de bastringue de saloon alabamien. Le morceau titre est un cut de Kris, c’est-à-dire un folk-rock solidement enraciné dans le Muscle Shoals Sound. Ah comme ces mecs sont bons avec leur big sound. Et toute cette belle aventure se termine évidemment avec «Rainbow Road», le hit de Dan & Donnie, the absolute beginners.

Encore un coup de Jarnac avec cet Eveybody’s Got A Song paru en 1997 ! Dan Penn fait partie de l’aventure. Il chante avec son vieux poto Donnie «Hello Memphis» et on peut bien dire qu’ils chantent comme des cracs. Lee Roll Parnell passe un sacré solo de slide. Quel swagger ! Ils sont les rois du monde le temps d’une chanson. Donnie duette ensuite avec Tony Joe White sur «Shot End Of The Stick». Derrière, Dan gratte ses coups d’acou et Eddie Hinton se joint à la fête. On sent très vite qu’on entre dans un cercle magique. Waylon Jennings et Reggie Young viennent accompagner Donnie sur «A Damn Good Country Song». Waylon prend le lead. Quel duo de rêve ! Il faut se souvenir que Donnie et Eddie Hinton ont co-écrit «Breakfast In Bed». Lucinda Williams vient le chanter. Royal ! Elle est dessus, avec son swagger demented. Elle reste la meilleure sugar babe du Deep South. Elle swingue sa dégoulinure avec beaucoup d’allure. Lucinda est encore à cette époque une chanteuse de rêve. Mais avec le temps, elle perdra le sucre de sa voix. Encore du Donnie/Eddie avec «Ten Foot Pole» tapé au big heavy Soutnern Sound. Eddie chante avec Donnie, ils s’entendent comme larrons en foire. C’est inespéré. Ces blancs jouent le Southern spirit à la manière des blackos, et en prime, on a des solos de rêve. Donnie tape dans la nostalgie avec «We Had It All», il pense au temps béni des jours heureux. C’est l’un des slowahs les plus destructeurs de l’histoire du rock. On ne se remet jamais d’une histoire extraordinaire avec une femme. Jamais. Puissant Donnie Fritts. Il pousse bien le bouchon dans la rondelle des annales. S’ensuit un «Better Him Than Me» joué à la slide féroce et gratté aux accords de deep deepy. Donnie Fritts chante tout à l’inspiratoire patentée. Il termine avec le morceau titre et le vieux Kris Kristofferson vient duetter. Les vieux cowboys mélangent leurs voix comme dans Brokeback Mountain.

On se souviendra d’Oh My Godness pour sa profondeur. Donnie démarre son album avec «Errol Flynn», un joli groove de vieux crabe du marigot. Il nous plonge dans une ambiance de cabane branlante. Il chante son «It’s Really Gotta Be The Way» d’une voix de mineur cacochyme et c’est très impressionnant, au sens rootsy de la chose. David Hood allume «Memphis Women & Children» avec l’une de ces basslines dont il a le secret. Ça vibre sous le casque. Ces mecs sont des fous. Nous voilà au cœur du Memphis beat et Donnie chante comme un white niggah. Il revient au heavy groove de Southern guy avec «Tuscaloosa 1962». Les mecs qui accompagnent Donnie jouent comme des rois du bayou et Donnie chante avec une niaque incomparable. On sent chez lui le vieux cowboy bourré de talent. Il passe par des country-grooves et enfonce ses clous dans le Golgotha. Il faut le voir faire son Doctor John dans «Good As New» - I must confess I was a mess - Fantastiques clameurs ! C’est fouetté du beat, étonnante ambiance, aux confins du fantastique de la Nouvelle Orleans. Ce diable de Donnie explose l’art majeur de Doctor John à coups de clameurs de chœurs et de solos métalliques. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il fait aussi une version surprenante de «Choo Choo Train». Il la groove et David Hood la dévore toute crue avec sa bassline. Version monstrueuse - But you see my baby/ Is waiting at the station - Il joue ça à l’admirabilité des choses - So give me a mittle more acceleration - Southern genius ! Il l’explose, eh oui. Il revient faire son Doctor John dans «Oh My Goodness», avec un appétit d’alligator. Il n’en finit plus de mâcher ses chansons.

Pour la petite histoire, sachez que Donnie est un vieil admirateur d’Arthur Alexander et qu’il veillait sur sa carrière au temps béni des années soixante-dix. Il vient juste d’enregistrer un hommage à Arthur qu’il appelle June : June (A Tribute To Arthur Alexander). C’est un album délicat et sensible, à l’image du «June» d’ouverture de bal. Donnie y raconte toute l’histoire de June, dans un bel esprit intimiste - He was my brother/ Oh what a blessing/ That good friendship/ Oh how I miss my good friend June - Avec «All The Time» (co-écrit avec Arthur), Donnie passe à la Beautiful Song. C’est d’une beauté fantastique, le doo-idley-doo bat tous les records de prestance sculpturale, c’est à la fois admirable et humain, un truc de beaux mecs, on sent venir une apothéose. C’est quasiment la même magie que celle de Dan Penn. Même veine. Tiens, quand on parle du loup : voilà «I’d Do It Over Again», co-écrit avec Dan Penn. Ça se sent dans l’immédiateté du coulis de chèvrefeuille. Les senteurs enivrent. Encore un hit co-écrit avec Arthur : «Thank God He Came». Cette fois, Donnie tape dans la ferveur du gospel batch. C’est à la fois puissant et bienvenu, complètement descendu du piédestal. On assiste en fin de cut à une belle explosion, les filles sont folles. Donnie finit l’album avec «Adios Amigo». On reste dans l’esprit des grands cuts de Deepers inspirés du gospel. On est chez ces blancs fascinés par le peuple noir et conscients de ce que les malheureux nègres ont pu endurer dans les états du Sud. Aw Lawd, comme les blancs ont été odieux avec tous ces pauvres nègres ! Donnie reprend bien sûr l’énorme hit d’Arthur, «You Better Move On» dont s’étaient repus les Stones. Donnie frise un peu le Tom Waits, mais heureusement, il ramène son petit deep southern drawl dans le fond du still you beg me to set her free. «Come Along With Me» vaut aussi pour un cut d’une fantastique ampleur catégorique, c’est du deep Southern Soul de la pire espèce, solid as hell. Et puis on croise aussi ce «Lonely Just Like Me» d’Arthur qui sonne un peu comme «You Better Move On». Toute la grâce alexanderienne est là : il tourneboule le mambo africain dans l’été de la pop américaine. Mine de rien, ce diable d’Arthur fit remonter tous les remugles du bonheur africain datant d’avant les blancs.

Comme il a failli mourir à cause d’un kidney malade, Donnie s’est fendu d’un One Foot In The Groove. Il joue sur les mots. Il fait du foot in the grave un foot in the groove et c’est tout à son honneur. D’ailleurs Tony Joe White l’accompagne sur le morceau titre. D’autres copains sont là : David Hood on bass et Spooner on keys. Et petite cerise sur la gâteau, Dan Penn produit l’album. Alors on y va les yeux fermés. C’est d’ailleurs Dan qui signe «She’s Got A Crush On Me», un balladif inspiratoire nappé d’orgue par Spooner. Il co-signe aussi «Chicken Drippings», mais on revient aux choses extrêmement sérieuses avec «Across The Pontchartrain» : Tony Joe White et Wayne Jackson radinent leurs fraises pour un coup d’épée dans l’eau du lac. Le vieux Wayne envoie ces coups de trompette dont il a le secret. Atmosphère pesante et Tony Joe claque ses notes magiques. Donnie nous refait le coup du white nigger dans «Don’t Beat Around The Bush». Ça sonne comme un vieux hit de Wilson Pickett, oui, on se croirait au temps de Muscle Shoals, tellement c’est bien foutu. Clayton Ivy vient jouer du B3 sur «Robin In The Rain». Donnie en impose encore, avec sa religion de la Soul fêlée. Clayton joue comme au temps béni de Percy Sledge. Quelle puissance ! Donnie nous propose plus loin un très beau balladif d’Americana avec «My Friend», c’est noyé d’orgue et signé Spooner. Mais c’est avec «Huevos Rancheros» que tout explose. Wayne Jackson y fait son mariachi. On entend Billy Swann dans le background. Quel fabuleux shake d’Americana de la frontière ! Avec Doug Sahm, ces mecs sont les plus habilités à jouer de l’Americana. No problemo hombre ! On se croirait dans le Pat Garrett de Sam Peckinpah, dans lequel Donnie a d’ailleurs tenu un petit rôle. Il finit cet excellent album avec un «Nothing Stays The Same» bien salé de cuivres. Toute la bande est là et encore une fois, on se croirait à Muscle Shoals. Donnie chante ça de main de maître.

Il a fini par casser sa vieille pipe en bois. Il faisait partie de la vieille garde de Muscle Shoals du temps de Rick Hall, l’époque des pionniers du son, pourrait-on dire. Un temps où dans ce modeste studio d’Alabama, des petits culs blancs lançaient les carrières d’Arthur Alexander, de Candi Staton et de Clarence Carter, pour n’en citer que trois. Dan Penn et lui composaient ensemble, puis à un moment donné, Donnie s’est tiré à Nashville, avant de devenir pendant quarante ans le keyboardist de Kris Kristofferson. Il ne reste plus grand monde aujourd’hui de cette vieille garde mythologique, seulement Dan Penn et Spooner Oldham, c’est-à-dire les chouchous des amateurs éclairés.

Signé : Cazengler, fritte-saucisse

Donnie Fritts. Disparu le 27 août 2019

Donnie Fritts. Prone To Learn. Atlantic 1974

Donnie Fritts. Eveybody’s Got A Song. Repertoire Records 1997

Donnie Fritts. One Foot In The Groove. Leaning Man Records 2008

Donnie Fritts. Oh My Godness. Single Lock Records 2015

Donnie Fritts. June (A Tribute To Arthur Alexander). Single Lock Records 2018

 

ROCKABILLY GENERATION NEWS N°9

AVRIL-MAI-JUIN 2019

 

L'est sorti en retard, est arrivé à la maison en juillet alors que j'étais parti en vacances, ce qui explique que le N° 11 devrait survenir très vite en ce début de mois de septembre. Sa couverture flamboyante est déjà visible sur le FB Rockabilly Generation News.

Génération pionniers : ce coup-ci c'est Ritchie Valens qui ouvre le bal, hélas funèbre. L'on peut se demander qui se souviendrait de Ritchie aujourd'hui s'il n'avait pas disparu dans l'avion qui emporta Buddy Holly et le Big Bopper. Interrogation insidieuse qui risque de me valoir quelques ennemis. Pour me dédouaner j'ajoute que lorsque je suis parti de la maison parentale, mon père en a profité pour faire main basse sur mon 33 Tours de Ritchie que j'ai retrouvé bien plus tard dans sa collection. M'avait aussi chouravé In The Ghetto d'Elvis, mais ceci est une autre histoire.

Belle gueule de Johnny Fox sur la couve. Mais le meilleur c'est la longue interview opérée par Bryan Katz qui permet à Johnny Fox de retracer cinquante années de carrière au service du rock'n'roll. Le pire c'est que l'on ne voit pas défiler les pages et nous sommes à la moitié du numéro lorsqu'elle se termine. Pas de regret, Johnny Fox épanche ses souvenirs de vieux renard qui a écumé les meilleurs poulaillers de Grande Bretagne ( et d'ailleurs ). Fut avec Cavan un des piliers du revival Ted des années soixante et soixante-dix. Sa formation, the Riot Rockers est légendaire. Mais ce n'est pas fini, nous les retrouvons, de nouveau réunis au St Gordon Festival de novembre 1918. Remarquez la date, il faudra qu'un jour RGN double ses pages pour suivre au plus près l'actualité du rockab par chez nous.

Deuxième partie de l'article du numéro 8 de la séquence New Generation, suite de l'interview du jeune Alexandre Lucet qui a apporté le sang neuf de sa jeunesse aux Vinyls, comme quoi le premier rock français des années 60 suscite encore des frissons.

Thoury reste un rendez-vous incontournable du mouvement Ted français, Rought Boys en ouverture, les Southerners restent fidèles à leur grandeur, Graham Fenton met le feu avec sa Matchbox originale, les Teencats clôturent la fête mais Stig Rune Reiten gravement malade n'est pas au mieux de sa forme.

Fabrice Birin n'est pas chanteur mais pyrograveur. Grave sur bois les portraits des idoles rock. A lire et à admirer. Les dernières nouveautés disques et déjà la fin du groupe de Miss Victoria Crown. Nous rajoutons l'annonce du split des Wise Guyz qui firent la couve d'un des premiers numéros de Rockabilly Generation. Cette neuvième mouture - très agréable à lire – se termine par un lot de photos de Sergio Katz. Avec un peu de chance nous chroniquerons le N° 10, dans notre 429° livraison.

Damie Chad.

 

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

 

30 / 08 / 2019 - TROYES

3B

BENNY & THE FLYBYNITERS

HANK'S JALOPY DEMONS

 

Dernière ligne droite avant le 3B, le moteur de la teuf-teuf rugit, mais quels sont ces zigotos qui débarquent d'une camionnette et entreprennent de barrer la route à l'aide de grosses briques plastifiées, serait-ce un concert surprise du Pink Floyd ? caramba ! j'improvise un 90 degrés sur la droite, coupe direct la file de tacots qui foncent sur moi et atterris sur le parking salvateur, me reste plus qu'à rejoindre le 3B à pieds. Caramba bis ! Y mettent du leur, j'ai affaire à de méchants obstinés, sont maintenant une cinquantaine à bloquer le rond-point, plus des gros engins de chantier et des camions mastodontes qui squattent tous les embranchements. Refont la chaussée, l'accès au 3B est coupé de toutes parts jusqu'à six heures du matin !

Z'en tout cas le monde afflue au 3 B, à pattes ou en empruntant les sens interdits, en marche arrière pour les plus vicieux, la vaste terrasse se remplit d'habitués, motos, belles américaines et même un superbe hot-rod envahissent les trottoirs, la soirée sera chaude, deux groupes venus d'Australie, et pastèque sur le clafoutis, Béatrice la patronne annonce que ce soir, c'est le centième concert du 3 B !

BENNY AND THE FLYBYNITERS

L'est imposant Benny, d'autant plus qu'à ses côtés ses acolytes n'arborent pas non plus des silhouettes fils de fer, pour le moment il se contente de parler en cet idiome anglais que tout le monde adore mais que personne ne comprend, finit par déclarer que les Flybyniters sont un groupe de Rhythm'n'blues. Hop ils enchaînent sec sur un instrumental, true fine swing avec des senteurs jazzy assez fortes, le truc par excellence qui ne supporte pas le moindre faux pas, ou ça balance, ou ça casse, mais les Niters vous prennent en douceur et en souplesse, vous entraînent dans la danse en moins de deux, une double-bass élastique, un drumin' aussi léger qu'une aile d'oiseau, une Fender qui court sur son aile et un saxophone en pluie d'automne. Faut vous y faire. Tell Me Pretty Baby, l'on change de tempo, l'on est en plein bluesshouter, Benny Peters lâche les grandes orgues de ses vocalises, le sax de Dean Hilson mord à pleines dents dans la plus grande part du gâteau qu'il s'adjuge sans complexe. La section rythmique change d'allure comme une escadre qui se prépare au combat. Difficile d'apercevoir Andrew Linsey, mais il produit une frappe flegmatique qui va se jouer fort allègrement de toutes les nuances stylistiques du combo, colle la voile du beat au plus près des sautes des vents tournants. Tel Vox snappe en osmose, batifole sur la crête des vagues, dum-dum-dum, il entre ses doigts dans les cordes avec la même placidité avec laquelle vous enfoncez votre couteau dans la tablette de beurre au petit déjeuner, et ma foi jamais vous ne goûterez de tels toast si finement briochés. Ejecte les notes bien chaudes – mais d'une précision absolue – comme ces grille-pains qui satellisent les tartines hors de leurs fournaises brûlantes.

Benny and the Flybyniters c'est du rockab au temps où le rockab n'existait pas. Campent dans cet espace d'après-guerre où le blues est sorti du Delta et s'en est parti partouser avec les grandes formations, une esthétique de pirate, le couteau entre les dents, faire davantage de bruit avec moins de musiciens. Moins d'étalements riffiques démonstratifs, plus de nerfs et d'entrain. L'on ne s'écoute plus jouer, l'on joue. Point à la ligne. Efficacité avant tout. L'on s'arrête juste avant Bill Haley, l'on ne jumpe point à pieds joints dans le rock sauvage, mais l'on s'y approche de si près que l'on ressent la même intensité. Y en a un qui question aspiration n'est pas à la fête – qui normalement ne devrait pas l'être - mais il se charge du boulot sans rechigner une seconde. Dean Hilson hisse l'art du sax dans le registre de la facilité, vous donne l'impression de fournir autant d'efforts que s'il était assis à une table de bridge, ne relâche jamais son souffle ni son attention, si parfois un peu, le temps que Benny fasse monter la mayonnaise d'un court solo sur sa guitare moutarde, sinon l'est de ces chevaux qui font la course en tête du début à la fin, et qui franchisent la ligne d'arrivée aussi frais et alertes que s'ils venaient d'avaler leur picotin.

Ce n'est un secret pour personne, qui dit rythm'n'blues, dit blues. Blues is a Feeling, certes mais chez nos Niters ce n'est jamais une tragédie, n'ont pas le blues suicidaire, l'ont même étonnamment roboratif, un blues pêchu et juteux comme pas deux, vous le construisent en béton armé avec renforts et arc-boutants, certes il y a toujours, pour qui prête l'oreille, cette démarche de guingois si caractéristique de canard malade, mais inutile de sortir vos mouchoirs pour éponger des larmes de sang, le volatile fonce droit devant, ne perd pas son temps à se lamenter, l'a volé quelques étincelles aux fournaises du diable et cela vous réchauffe et vous énergise le palpitant de bien belle manière. Après un R. M. Blues ils termineront par un Two Dollars Woman qui bastringue dur, l'on a déjà un pied dans le rockab le plus pur, mais le set s'arrête. Hélas.

Benny et ses Flybyniters, ont remporté la mise. De sacrés cambrioleurs, qui entrent par effraction et qui vous squattent la maison avec tant d'élégance que quand ils mettent les bouts vous notez leur numéro de portable pur leur demander de revenir au plus vite. Méfiez-vous d'eux, des carrures de boxeurs et dès qu'ils commencent à turbiner, vous entraînent dans un tourbillon ascendant de grâce et de légèreté mais d'une précision rythmique meurtrière. Nuits festives embrumées d'alcool et d'étreintes sauvages. Au petit matin vous vous dites que la vie mérite d'être vécue.

HANK'S JALOPY DEMONS

Tiens on prend les mêmes et l'on recommence. Normal quand on a une section rythmique de cet acabit on la garde. Donc Tel Vox, sa barbichette, ses anneaux aux oreilles et ce sourire épanoui de Père Noël, sûr de son coup à l'avance, vous allez adorer le chien de sa chienne qu'il vous réserve dans sa hotte. Vous avez demandé un ouah-ouah en peluche, ce sera un véritable houndog frétillant qui va transformer votre appartement en champs de ruines, intenable mais si attachant. Me faudra me démonter le cou pour apercevoir Andrew le drummer. L'est comme ces employés horripilants qui ont toujours réponse à tout, traitent votre cas avec une facilité déconcertante quasi humiliante, sont en train de remplir la grille de mots croisés sur leur journal, et ils vous fournissent toutes les bonnes réponses que vous attendiez, vous règlent votre cas avec une parfaite célérité mais vous sentez bien qu'ils sont d'une essence supérieure à la vôtre, que toutes vos difficultés ne sont que broutilles sans importance qu'ils remettent à plat en trois coups de baguettes magiques.

Deux nouveaux toutefois. Pas vraiment car nous les avons déjà vus au 3B au mois de mai 2018, voir in livraison 375. Un petit rouquin. Dave Cantrell à la guitare. Un véritable traître. L'a une spécialité confondante. Se sert de ses cordes hautes pour vous sortir trois grosses notes tonitruantes qui vous embouchent les esgourdes, z'et puis il descend sur les aigües, et alors que vous vous attendez à une aigre et maigre sonorité toute gringalette, erreur lamentable de votre intuition logique, il vous ressort trois bastos aussi grasses que le trio de cachalots précédents. Je ne sais pas comment il fait cela. Mais il le fait. De temps en temps, en passant, sans forfanterie, comme si c'était tout à fait normal. Au micro Hank Ferguson, pas celui qui ne reconnaît personne, celui que vous identifiez immédiatement avec sa casquette aplatie, son jean de travail, sa chemise à carreaux, et son look de prolétaire descendu des collines qui essaie de s'adapter à la grande ville mais qui, le visage voilé d'une expression de mélancolie indécrottable, n'en reste pas moins fidèle à son vieil hillbilly natal.

Guitare sèche entre les mains de Hank, l'on sent que les Démons du bush se placent aussi en un temps où l'on n'avait pas encore inventé le rockabilly mais que l'on en débroussaillait les terrains d'expérimentation. Un jeu d'une justesse absolue. Certes Dave est un virtuose de la guitare électrique, n'en perd pas une pour refiler ses licks dévastateurs, mais comme il le fera remarquer en déclenchant une hilarité générale, l'on n'est pas chez AC / DC. Des affûtés, toujours sur la brèche, vous émondent les feuillages par trop luxuriants, pas une once de graisse de trop. Pas des sculpteurs, des ciseleurs. Jamais trop, jamais pas assez. Le juste milieu de la stricte observance des codes intangibles. Attention les ruralités sont aussi sauvages que les quartiers déshérités. La musique de Hank's Jalopy Demons comporte son lot de surprises et de dangers. Faut être sur le qui-vive, un pas de trop et vous marchez sur la queue du lézard venimeux. Et les Jalopy's vous salopègent les belles campagnes écologiques d'une multitude de ces bébêtes peu affriolantes. Tous les morceaux offrent leurs chausse-trappes, n'y promenez vos chaussons du soir qu'avec prudence, sont emplis de taillis d'épines et de cactus cruels. Faut une habileté diabolique pour tailler sa route dans de tels parages. Jusqu'au Linsay qui doit de de temps en temps s'énerver grave et frapper ses cymbales comme les fesses d'un enfant récalcitrant, aussitôt secondé par Hilson qui vous fouette le visage de ses cordes houspillantes, Hank alors affirme la cognée de sa voix et Dave en profite honteusement pour faire bruisser ses riffs bien effrontément. Les Démons savent être déments. Z'apportent le démenti très vite. Un peu d'agilité, un soupçon de retenue, et l'on revient à des séquences moins agitées. Attention, l'on file la syncope aussi vite, mais l'on mise davantage sur le charme d'un certain équilibre zénithal que sur les tempêtes hivernales. Hank vous refile une leçon de vocal hillbilly, c'est facile, suffit de savoir s'arrêter à temps. Au millimètre près. L'essence même du pur rockab, contrairement à ce que l'on pourrait accroire ce sont les silences qui sont le plus importants, ces coupures, qu'elles soient brusques ou pratiquement inaudibles, commandent les compressions explosives du chant, à tout instant les agglutinations de phonèmes se nitroglycérisent mais l'on vous coupe au montage les séquences des répliques incessantes, pas de longs métrages sur les effets attendus, la dévastation pure mais sans les apitoiements de rigueur sur les effets dévastateurs. Toute cette tuerie vous la trouvez dans les silences, ces trous d'air irrespirables qui vous homicident bien plus fort que le choc du chant lancé à trois cents à l'heure. Lorsque les Jalopies stoppent leur stomp l'heure légale est dépassée depuis longtemps mais Béatrice la patronne ne peut résister à un dernier morceau. Et nous non plus.

Damie Chad.

*

Je l’avoue, à ma plus grande honte, la seule fois de mon existence où mon légendaire flair de rocker n’a pas fonctionné. J’ai des circonstances atténuantes, c’était du jazz, mais enfin. Rien ne prédisposait mon esprit à m’orienter sur cette voie. Le spectacle n’avait rien à voir, une lecture du Prélude de Pan de Jean Giono, il y avait bien un violoncelle mais en m’approchant j’avais entendu des gammes tout ce qu’il y a de plus respectueusement classique sur cette terre. Sur la petite table à l’entrée étaient déposés les flyers de l’association organisatrice de l’événement, date et lieux d’autres prestations, tout ce qu’il y a de plus normal sur notre planète. J’ai un peu tiqué sur le format à vue de nez pochette 45 Tours des anciens EP français. Des trucs noirs, barbouillés de couleurs, qui pesaient un max comparés à leurs épaisseurs. Diable que cela pouvait-t-il être ? Des dessous de plats en une matière nouvelle en même temps souple et rigide ? Pas eu le temps de commander une expertise aux services de la répression des fraudes, la séance commençait.

Un beau moment, une superbe lecture in extenso d’une nouvelle extraite de Solitude de la Pitié de Giono, un texte fort qui ravira les contempteurs de la souffrance animale et les amateurs des anciens Dieux qui attendent avec impatience leur retour. Mais ce n’est pas pour demain. Gaël Mevel à la voix et au violoncelle. Beaucoup, douce et chargée d’émotion cataclysmique, à la première, peu au second, des effleurements succincts, des tamponnades catiminesques, pas d’emphase, des indices qu’il faut savoir lire. Bref un moment enchanteur. A la fin me suis rapproché de la table à flyers, le texte de Prélude de Pan ( collection Folio à 2 euros ) et ces mystérieuses plaquettes noirâtres peinturlurées de différentes teintes. Mais qu’est-ce donc ? Voyant que je m’emberlificote avec ces étranges objets, Gaël Mevel me relève l’usage et le mode d’emploi de ces objets non identifiés : de simples Cds’ entre deux lames de plastique aimantées, faut les séparer ( avec force ) et à l’intérieur la précieuse galette est agrémentée d’un dépliant papier en accordéon. L’on apprend aussi que le dimanche prochain il accompagnera au violoncelle le film muet L’Heure Suprême de Frank Borzage, un chef-d’œuvre de 1937, dans le parc de la mairie de Lavelanet. Et voici que Gaël Mevel nous dévoile l’autre face de ses activités, l’est musicien de jazz, possède un groupe, et a enregistré quelques disques, je choisis la pochette à dominante verdâtre, l’est au piano accompagné d’un saxophoniste américain, doctor Freud, pourquoi suis-je attiré par la forme exutoirement phallique de cet instrument de haute rutilance, z’en tout cas ne reste plus qu’à écouter.

GAËL MEVEL / MICHAËL ATTIAS

( Rives / N° 3 / 2013 )

Gaël Mevel : piano / Michaël Attias : saxophone Alto.

Enregistré à La Maison en Bois ( Essonne ). Pochettes peintes à la main par Dominique Masse.

Le dépliant de présentation porte en exergue deux vers de Paul Valéry extrait de Les Pas un des poèmes de Charmes qui ont provoqué en son temps le plus de commentaires. Une indication précieuse, un disque qui cherche davantage à exprimer le vide qu’à se perdre dans d’oiseux bavardages. Musiciens du silence dirait Mallarmé.

Almaty : frémissement de piano, des notes cristallines destinées à créer l’espace de recueillement nécessairement à leur réception et là-dessus se glisse aussi agreste que la flûte de Marsyas la respiration du saxophone de Michaël Attias. Ne jouent pas ensemble, s’accommodent, se trouvent sans se chercher, mais chacun dans une terrible solitude jusqu’à cet irrémédiable empiètement de vide, comme si au bout d’eux-mêmes ils n’avaient trouvé que le rien de l’inanité de vivre, et ils repartent d’un commun accord serions-nous tentés d’écrire mais la plénitude d’une phrase musicale n’est pas encore au rendez-vous, n’en sont qu’ à des essais de phrasés qui cherchent à être. C’est le sax qui s’aventure le plus loin avec des glissements furtifs de serpent fugitif. Parfois vous éprouvez la bizarre sensation de votre âme qui rampe dans le cerveau. Les ailes du renard : les sables du désert et la chimère de l’esprit qui court plus vite que le rêve. Encore plus de lenteur, mais le saxophone rouillé s’entête à dérouler la volupté des anneaux du reptile. Le piano de Gaël Mevel résonne dans une nouvelle proximité de lointains immarcescibles qui affleurent sous le sable tels des vestiges prestigieux. Le saxophone s’envole. Le fennec s’enfuit. Le cinquième rêve de Nathanaël : un sax ouaté et un piano à la Debussy dans des notes qui se perdent dans leur propre présence, le sax qui grince maintenant comme la clef des songes que vous introduisez dans la serrure des rêves. Des pierres sous une feuille : sous les feuilles arachnéennes se niche la solidité des galets lithiques. Le vent du saxophone les caresse mais la lourdeur du piano exprime la solidité de la présence du monde qui possède un cœur de pierre. Et le piano tape sur ce granit incontournable comme un gong qui égrène l’inéluctabilité du destin. Oh ! : joie jazzistique, l’on quitte la musique de la concrétude du silence pour la complexité des accords compliqués du jazz. L’on a beau faire, l’on n’oublie pas ses origines et il faut bien donner au public l’illusion qu’il est en pays conquis. Le sax frétille à la manière d’une truite mais bientôt le poisson se retire dans des eaux souterraines inconnues. Sombres et mystérieuses. Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge de l’évanescence. Couacs saxophoniques, ridelettes de piano. La princesse juive : retour dans le domaine du rêve, le faune de l’après-midi se réveille, il ose quelques pas hors des feuillages propitiatoires, le saxophone étire des désirs de soleil dans cet entre-deux de la réalité ici tout n’est qu’entrechoquement discret de luxe, de calme, et de voluptés idéelles. Le vent sous les pierres : retour au monde sédimental, grattez la pierre, usez-la d’opiniâtreté et au bout du caillou vous retrouverez le vent du rêve qui vous permet d’accéder aux délices sans trêve. Le saxophone se dresse comme le serpent sous la flûte insistante du joueur de pipeau. Vous ne savez plus dans quel royaume vous vous trouvez. Fenix : la réponse est apportée par le renard des sables qui étrangement est en même temps la flamme vive et inextinguible du phénix qui ne meurt jamais. Parfois la lumière s’éteint et le morceau s’insinue entre le plein du monde et le vide de nos perceptions, piano suave et saxophone aussi doux que le renard apprivoisé qui se plie sous l’échine que vous caressez. Instant de grâce et de plénitude, combien de longueurs de chemin parcourues depuis le début du disque. Fusion inespérée, mais voici que le saxophone se met à klaxonner comme le gyrophare de la voiture de police du réel, le piano essaie de réparer l’accroc dans la toile du songe. Les pas retenus : l’heure du choix, l’escargot se retire dans le vide de sa coquille, se mure en lui-même, entre dans sa propre hibernation, refuse désormais les aspérités du réel, le sax se met en boule à la manière des chats qui se retranchent du monde dans l’infinie vigilance de leur sommeil. Doucement le piano ferme la parenthèse.

Splendide, fortement déconseillé aux âmes peu subtiles.

Damie Chad.

 

BURRET ( 09 ) - 01 / 08 / 2019

TOM WOODS / SO LUNE

EDREDON SENSIBLE

 

Vous ne connaissez pas Burret. J’ai parfois l’impression d’écrire pour les ignorants. Je vous l’accorde, même la plupart des ariégeois sont incapables de situer ce lieu improbable sur une carte. Une seule maison dans un virage en épingle à cheveux avec un mec qui vend du miel, pas de panique si vous ne le voyez pas, il n’est jamais dans son stand. Dans le tournant ne vous déportez pas sur la gauche, c’est le ravin. Si vous avez négligé ce conseil précieux, pas d’affolement sur l’escarpement rocheux, sis sur votre droite, vous avez tout ce dont vous aurez besoin, une église et un cimetière.

Depuis trois ans, tous les premiers du mois d’Auguste, c’est l’invasion. Venus d’on ne sait où, sortis de leurs forêts profondes, une tribu de néo-ruraux se regroupe pour le grand pow-wow d’été. Une horde jeune et joyeuse se livre à ses activités préférées, grand bouffe bio, danses tribales, des chiens qui courent partout sans se battre et des bambins qui s’amusent toute la soirée à se jeter du sable dans les yeux. Bien élevés, pas un seul qui pleure ou qui se réfugie dans les jupes de sa maman. Pour les intellos vous avez un stand lecture, poésie érotique sur les étagères du haut, fanzines avec même des articles de notre Loser Zengler vénéré et préféré, rien à dire, ces jeunes gens ont de saines lectures. Pour ceux qui se sentent une âme d’ethnologue, ce grand rassemblement affiche un projet de haute moralité : récolte de fonds pour l’ouverture d’un café associatif dans le village voisin.

TOM WOODS

La tâche ingrate, le mec tout seul avec son micro et sa guitare, l’assistance le nez plongé dans son assiette à avaler de succulentes potées végantiques et de délicieux falafels, ou à se barbouiller les joues avec la succulente confiture de framboise des crêpes - au mitant de la soirée z’en avaient déjà fourgué plus de sept cents et le préposé à la crêpière n’en finissait pas de marmitonner la pâte. Attention, la liste des producteurs locaux est affichée.

En plus le gars il a le blues. Tout le monde fait la fête, mais lui il a le blues, et pas n’importe quel blues, le blues-folk. Un truc à vous saper le moral d’entrée. Personne ne lui en veut. Reçoit même des encouragements à haute voix qui ressemblent à des déclarations d’amour. C’est cela le miracle du blues, ça vous rentre dans une oreille et vous vous y empêtrez dedans comme la mouche dans la toile d’araignée. Le blues est une tarentule poisseuse mais fascinante. Une fois que vous êtes mordu, vous ne pouvez plus vous en détacher et comme le boy est un adepte du pickin’ vous succombez vite à son charme vénéneux. Quatrième fois qu’il joue en solitaire nous confie-t-il, alors il nous refile tous ses plans, nous offre ses propres compos, la dernière improvisée la veille est la meilleure, joue un peu trop longtemps à mon avis, l’aurait pu écourter, si l’alligator du blues vous coupe la jambe, exigez une coupure franche, s’il prend trop son temps et commence à mâchonner gentiment la gambette pour ne pas vous faire du mal c’est moins agréable. S’en tire bien le guy, se retire sous une salve d’applaudissements.

FARA NAZWA

Changement d’ambiance, une colonie de fourmis selmerienne s’empare de la scène. Un accordéoniste aux beaux yeux bleus étrangement fixes assis au centre entouré de deux cuivristes, d’une basse, d’un guitariste, d’un batteur à la batterie minimaliste, et sur notre droite une violoniste au crin-crin entraînant. Musique des balkans qui s’en fout le camp, vers l’est, du côté de la Roumanie et des routes tziganes. C’est le rush devant la scène, ça n’en finit pas de danser, pressés comme des harengs en caque, et de se dandiner, Font un tabac. Une manufacture à eux tout seul, Z’y mettent le cœur et l’allant nécessaire, les cuivres rutilent, le piano du pauvre étale toutes ses richesses, et la grande sorcière chevauche son archet diaboliquement. Perso, cela me laisse assez froid, mais je dois être le seul, j’aime bien me la jouer en mon âme de rocker incompris à la Thomas Hardy, loin de la foule déchaînée. Qu’importe ce soir le folk festif fait des adeptes, j’en conviens.

SO LUNE

Quelques gouttes éparses de pluie pendant l’installation de So Lune, quelques rougeoiements lointains d’éclairs et des tambourinades de tonnerre étouffées, une menace qui ne se précisera pas davantage. Ouf ! So Lune s’installe, sur le dessus du vieil harmonium délabré que l’on a dû retirer de l’église règne en maître le must du modernisme électronique, une collection de sampler-machines dont les boutons brillent dans le noir, et contrepoint idéalement et musicalement oxymorique, un magnifique violoncelle trône sur son chevalet exposé comme un tableau de maître.

Sont tous les deux sur le côté de l’estrade en train de se livrer à une espèce d’haka rituel d’obédience superstitieuse. Mais quand faut y aller il n’est plus temps de reculer. Courageux le garçon donne l’exemple, passe en premier, se dirige tout droit vers ses échantillonneurs, l’on sent le bricoleur fou du dimanche et le trafiqueur émérite de la semaine sainte, sa sœur le suit, tout de suite l’on pressent, à sa chevelure bouclée étrangement disposée de guingois en crinière de lion romantique, et à la découpe savante de sa robe, l’artiste de la famille, l’infante géniale, qui n’en fait depuis ses trois ans et demi qu’à sa tête emplie de volitions et de dormitions pour le moins pittoresques. Sont applaudis poliment parce qu’ils sont beaux et jeunes. Romane lève son archet et Joseph se penche sur ces boites magiques. Vous tourne les potentiomètres à fond, le violoncelle gémit et râle funèbrement, tel un mourant désespéré de ne pouvoir communiquer ses dernières volontés. Entre nous soit dit, l’on est plus près de Moussorgski que d’Eddie Cochran, et subitement Romane se met à chanter. Une ampleur démesurée, une double sirène, celle tonitruante du bateau qui annonce son entrée dans le port, et la meilleure des trois d’Ulysse, pour lesquelles il se fit attacher au mât afin de pouvoir entendre sans péril les mélodieuses mélopées. La muse vous méduse l’assistance en moins de trente secondes, vous subjugue la foule en moins de deux, l’a l’organe baryton qui tonne sans fin. En cinq minutes ils ont gagné la partie, on leur mangerait dans la main. Alors ils vont s’amuser, vous voulez de la zique, z’on va vous z’en donner de toutes les couleurs. La Romane elle est capable de tout, elle vous râpe du rap et vous restez tout cloche devant ce beau fromage qu’elle laisse tomber de son bec, passe des intonations en arrière-fond de tessiture à la Shirley Bassey pour plonger dans des roucoulades à la Barbara Hendricks et l’instant d’après se rouler dans les arpèges les plus chaudement sensuels des divas de la soul. Idem pour le frérot, à un moment vous a sorti une partition malherienne, juste avant de se jeter dans du noise-funk à délices, même qu’une fois il se mésaventure au micro, mais là faut être réaliste, son rôle à lui c’est le cambouis électronique, l’est le grand manitou des circuits intégrés pour musac désintégrée. Mais ce que l’on préfère ce sont ces grandes envolées lyriques au violoncelle qui gronde comme l’Etna en feu, et cette voix sortie tout droit des Mémoires d’Outre-tombe, des espèces de mini-opéras wagnériens, une extravagance vocale des grands vents du souffle épique qui servit de bande-son aux tohus-bohus révolutionnaires du dix-neuvième siècle, tout cela servi dans la marmite du diable de la technologie du troisième millénaire.

Un set de toute beauté. So Lune - duo surprenant, décalé, original, époustouflant - ne fait pas de quartier.

EDREDON SENSIBLE

Avec un nom pareil vous vous attendez à tout. Pour la sieste voluptueuse sur lit de plumes d’oie vous repasserez. Ces quatre malfrats usent incongrument de cet ustensile. Commencent par fracturer votre porte à grands coups de pieds, vous surprennent dans votre sommeil et se servent de votre édredon douillet pour vous asphyxier et vous envoyer de cet autre côté dont on ne revient pas. Des sauvages. Bref vous êtes sûrs qu’avec eux le pire est à prévoir.

Le batteur se sert de sa grosse caisse comme caisse claire. Tout de suite la situation s’assombrit. Doivent faire un concours à qui des deux l’aura la plus grosse car son voisin s’est choisi une énorme timbale, une monstrueuse tabala, sur laquelle l’on sonnait l’alerte dans les villages africains pour réveiller la tribu endormie attaquée en pleine nuit. Devant ils ont disposé les saxophones, un alto-ténor un peu ridicule quand on le compare à la basse démesurée qui lui fait face.

Nous ont un peu déçus à partir de la vingt-sixième minute, montre en main. Parce que lorsqu’ils ont débuté l’on a cru qu’ils s’étaient installés pour battre le record du monde du morceau le plus long. Le principe de base le plus simple, la goutte d’eau qui vous rend fou - rien à voir avec le colibri, eux c’est plutôt l’autruche aux pieds plats. Un lourd volatile disgracieux mais génialement entêté. Les deux batteurs ont commencé à marteler un rythme simpliste et à le répéter indéfiniment. Les spectateurs ont adoré, parfait pour endurer la froidure de l’altitude montagnarde et remuer le popotin tous en groupe, et puis il y avait le saxophone baryton qui refusait de se laisser distancer dans le marathon. Vu la grandeur de la tuyauterie, le gars devait lui balancer le volume d’air que vous respirez en trois jours toutes les six secondes. S’est installé dans un groove de funk poussif et en voiture Simone, voyage jusqu’au bout de la nuit tressautant. Cahots debout.

Faut toujours se méfier des plus petits ce sont les plus vicieux. Pendant un moment l’alto a fait autant de bruit qu’une limace paresseuse sur une feuille de salade. On l’a oublié, jusqu’à ce qu’éclate un hennissement de cheval colérique, on a cherché des yeux si un véritable canasson des alentours n’aurait pas quitté sa pâture, mais non c’était bien le petit saxo qui s’était engrangé dans une espèce de dégringolade de rire hystérique, une strombole d’accélérateur lysurgique car derrière, les bateleurs qui tamponnaient allegro-vas-y-mollo se sont mis à ruer des quatre mailloches dans les brancards rythmiques et la fanfare s’est emballée, à qui ira le plus vite et à qui fera mieux que l’autre, sont partis dans une cavalcade tonitruante sans issue, le premier batteur s’est ulcéré dans un solo apocalyptique pendant que les autres harassés se désaltéraient pour mieux revenir à la charge. Encore plus vite, encore plus fort. Mais trop d’effort n‘engendre pas obligatoirement le réconfort. A la fatidique vingt-sixième minute, le quartet s’est arrêté, ses quatre membres crevés comme les pneus d’une guimbarde abandonnée sur le bord de la route qui ne mène nulle part. Sont repartis par la suite, un rythme guilleret mais au bout de dix minutes, je suis rentré à la maison, la magie n’agissait plus, peut-être ont-ils fait un second essai pour transpercer le mur du son, mais non je n’y croyais plus. J’ai laissé lâchement les héros vaincus se dépatouiller avec le dernier carré des danseurs en transe voodooïque, ont-ils sacrifié un coq au soleil levant où sont-ils morts fièrement à la manière de la chèvre de M. Seguin, sous les dents cruelles du froid des petits matins sans gloire, je ne saurais le dire.

Damie Chad.

P. S. : il y avait aussi Alchimix, un groupe qui n'a pas démérité, mais ne tentez pas de savoir où j'étais pendant leur prestation.

CHILD SPIRIT / SO LUNE

Romane et Joseph Beaugrand : composition, arrangement, interprétation, mixage.

Basse additionnelle : Galael Dunbaar / Visuel : Virginie Lacouault / Graphisme : Salomé Dollat, Juliette.

Pochette Arty qui veut davantage suggérer que représenter. Un fond blanc à la Moby Dick, des espèces noires de tiges de fleurs de chardons stylisées, quelques nuances de gris bleutés, quelques points jaunes pratiquement invisibles, pour le portrait des artistes, un flou de crayonné du profil filigrané des deux artistes à l’intérieur du gatefold.

Inspire Me : voix de petite fille perverse sur un tissu de dons d’organes. Elle n’a qu’à ouvrir la bouche pour que vous la suiviez les yeux fermés dans le jardin des délices. Les roses ont des épines empoisonnées mais elle passe entre leurs tiges en se jouant, une rythmique toute simple juste pour mettre en évidence la lascivité étirée de la voix, le tout entrecoupé d’épaisseurs nostalgiques de violoncelle qui résonnent comme des innocences de périodes ingénues à jamais perdues. Cold Woman : vous avez eu la petite fille voici la mystérieuse égérie frigide à la voix de glace. Se la joue à la Dietrich, mais très vite elle dévoile sa lointaine cruauté et donne des ordres d’une voix coupante comme des poignards, et la colère simulée l’emporte, elle vous met en garde contre vous-même, vous ne savez pas ce qu’elle cache, des éclats de moire de violoncelle renforcent la naïve violence de sa fausse candeur. Child Spirit : l’instant peut-être de se pencher sur l’accompagnement électro qui depuis le début fait des claquettes sur toutes les inflexions de la voix mutines à s'y confondre avec elle. Plus ce violoncelle qui pleure des larmes de topaze. L’on ne sait trop pourquoi mais l’instant crucial du vivre selon soi est aussi fragile que le souffle d’un enfant qui babille dans lequel s’incarne l’âme éperdue des désirs assassins. Un jour on ne joue plus. Un joyau, un pur chef d’œuvre. Le Bal : c’est la vie qui tourbillonne, mais dans l’œil de l’ouragan, voici la féminine solitude, parfois l’on n’est plus qu’un amas de décombres et de souvenirs, Joseph vient au secours de sa sœurette mais rien ne saurait briser la solitarité de l’iceberg glacé que l’on est devenu et que l’on transporte avec soi, si ce n’est un aboiement de chien qui peut être aussi bien le toutou au portail de l’enfance que le Cerbère qui vous attend à la porte des Enfers. Longue suite musicale mélodramatique pour vous accompagner dans l’escalier qui descend, la guide passe devant et arbore un timbre adamantin de vil coquin. Impermanence : une petite voix doucereuse pour nous assurer de la catastrophe de l’immuable écoulement des choses, rien ne dure, l’impureté du néant ronge la pureté de l’existence, ce n’est pas un drame, une comptine à chantonner d’une voix claire même si les gouttes de violoncelle démentent toute cette insouciance. Les bijoux qui brillent le plus sont ceux qui ressemblent le plus au toc des pacotilles. Tragic Secret : cliquetis et lourdeurs, la voix effleure les touches du piano électronique, elle s’affirme et se fait plus grave pour vous révéler l’innommable. Vous pénétrez au cœur atomique de la révélation comme quand vous glissez vos doigts dans la fente d’un sexe, vous l’avez voulu, vous ne ressortirez changé à jamais du cancer de la vie qui vous ronge la tête. La rose des folies conduit aux névroses irrémédiables. Drame métaphysique. Silence : parfois il vaudrait mieux arrêter de parler et de chanter car l’on est rentré dans les étendues de l’inefficience et de l’inutilité. Mais l’on prononce toujours quelques mots sur les tombes qui se referment.

Le disque est à écouter comme un somptueux oratorio sanglant qui retrace le chemin intérieur d’une petite fille qui n’aurait pas dû grandir. Nous non plus. Mais on fait semblant de l'ignorer.

Superbe.

Damie Chad.