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03/07/2019

KR'TNT ! 426 : NASHVILLE PUSSY / CYRIL JORDAN / KEITH RICHARDS / SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS / BENDER / CRITTERS / 404 ERROR / GENE VINCENT

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 426

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

04 / 07 / 2019

 

NASHVILLE PUSSY / CYRIL JORDAN 

KEITH RICHARDS

SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS

  BENDER / CRITTERS

  404 ERROR / GENE VINCENT

 

LA FABULEUSE EQUIPE DE VOTRE BLOG-ROCK PREFERE PREND DES VACANCES. A CEUX QUI ARRIVERONT A SURVIVRE A CE SEVRAGE INSUPPORTABLE NOUS DONNONS RDV LE 29 / 08 / 2019 POUR UNE NOUVELLE ANNEE DE BRUIT ET DE FUREUR !

KEEP ROCKIN'TIL NEXT TIME !

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

What’s new Nashville Pussy cat

- Part Two

 

Retour en force de Nashville Pussy avec l’album Please To Eat You - Hope you guess my name - Et quand on dit en force, on est encore loin du compte, car il faut entendre la double attaque de guitares dans «She Keeps Me Coming And I Keep Going Back». C’est la vraie attaque, celle du vieux Blaine Cartwright. Tout est là, dans l’exemplarité du Pussy riot. Nashville Pussy fait partie des groupes dont on dit qu’ils font toujours le même album. Ce sont généralement ceux qui n’écoutent pas les disques qui parlent ainsi. On a déjà vu le cas avec les Ramones ou pire encore avec les Cramps.

— Ah bah ouais, mais c’est toujours les mêmes morceaux !

Tous ces groupes ont ce qu’on appelle un son, ils travaillent à l’intérieur de ce son, et c’est toute leur force. Jusqu’au dernier album, les Cramps ont su se renouveler à l’intérieur de leur son, il suffit d’écouter «Fissure Of Rolando». Dans le cas des Nashville Pussy, c’est exactement la même chose : écoute «Hang Tight» et tu vas comprendre que c’est du Nashville inespéré joué au vieux drumbeat de shotgun, pulsé au big bad drive. Voilà de quoi sont capables Blaine, Ruyter et les autres, ils secouent de frissons le boogie d’Hookie et Blaine chante comme un très vieux crocodile. Ça sent bon le génie des marais. Et Ruyter vient clouer le bec du cut à l’hyper incendiaire, comme elle sait si bien le faire. Ce n’est plus un mystère pour personne, Ruyter est la star de Nashville. Attention, cet album fonctionne comme un champ de mines. On avance de cut en cut à ses risques et périls. Voilà un «Just Another Boy» fabuleusement sonné des cloches. Blaine sort son meilleur big boogie et derrière les filles font les jolis chœurs. Tout est joué au maximalus apocalyptus et quand on lit le nom de Daniel Rey sur la pochette, on comprend mieux : Rey est l’un des grands producteurs de rock américain. L’un des plus légendaires, en tous les cas. Ruyter se paye un départ de solo à l’hésitée démoniaque et remonte en saumonade de printemps dans ses bubbles des gammes. Po-wer-ful ! Comme Lemmy, les Nashville transcendent la notion de génie sonique. Ruyter va même aller crucifier le cut au Golgotha. Ils savent aussi taper dans le meilleur glam. La preuve ? «Go Home And Die». Tout un programme. Ils écrasent le chant comme un mégot - Well you talk talk talk/ About everything all the time - Les Nashville nous redonnent du cœur au ventre avec ce brillant «Testify» nappé d’orgue et rentrent dans leur normalité avec «One Bad Mother». Mais la normalité ne dure pas longtemps, car Ruyter redonne vie au chairs du cut, elle redresse la bite molle du rock d’un coup de solo flash exceptionnel. Merci Ruyter. S’ensuit une merveille de boogie blues intitulée «Woke Up This Morning», avec une peau tendue à craquer de heavyness. C’est tout simplement effarant de puissance et de tension. Ruyter part aussi en maraude dans «Drinking My Life Away». Elle cultive l’art du gras double et tape chaque fois dans le mille. Elle plonge dans le shmock avec délectation et des clameurs viennent parfois saluer ses virées. Dans «CCKMP», Blaine déclare : «Cocaine crack killed my brain like a fright train!» et il prévient : «Don’t comme knocking on my door!» Voir Nashville et mourir.

C’est exactement ce qu’on fait ce soir-là. Voir Nashville et mourir, oui, mais de bonheur. Du bonheur de voir quatre Américains jouer leur va-tout comme ils le font depuis vingt ans, oh la la, vingt ans déjà. Alors bien sûr, Nashville Pussy ça fait rigoler les esthètes. Les moins féroces diront qu’ils jouent comme des bourrins et que leur trash c’est tout juste bon pour la faune des campings. Les Nashville sont victimes d’un affreux malentendu. Comme tous les malentendus, celui-ci vient directement d’une parfaite méconnaissance des faits. Les Nashville naviguent exactement au même niveau que Motörhead. Chez eux tout repose sur un goût immodéré pour le blast intégral. La réalité de ce prestigieux enfer sonique se mesure plus facilement sur scène, car c’est là très précisément que leur power prend une ampleur qu’il faut bien qualifier de considérable. Et comme souvent dans ces cas-là, les mots peinent à se montrer à la hauteur. En les voyant, on ne peut pas s’empêcher de songer au génie sonique de Motörhead, mais avec cette pouliche frénétique de Ruyter Suys en plus. Ses cheveux passent plus de temps à la verticale que sur ses épaules. Elle est en mouvement permanent, elle trépigne comme un poney apache, elle tape du pied, tend des embuscades de gimmicks délétères, elle ne vit que pour bombarder la terre de power-chords, elle embringue les octaves dans les actifs, climaxe ses crises inflammatoires, elle girouette son giron, ça grésille dans sa résille, toute sa pulpe palpite, elle monte au micro pour des chœurs, gratifie le public de quelques expressions grimacières composites et replonge aussi sec dans sa mégalomanie riffique. Si on veut voir jouer une guitariste américaine, c’est Ruyter Suys qu’il faut voir. Sans la moindre hésitation. Bien plus spectaculaire que la Donita Sparks de L7. Ruyter est unique au monde, redoutablement belle dans le feu de l’action, et mille fois plus crédible que la petite pisseuse d’en face, qui, comme le disait si joliment Brassens, peut bien aller se rhabiller. Eh oui, le vieux George faisait à sa façon l’apologie des fleurs d’automne. Comme la belle dont parle le poète, Ruyter doit payer la gabelle/ Un grain de sel dans ses cheveux, mais diable, quel rayonnement ! Ses longs cheveux bouclés qui tournent dans les faisceaux de lumière constituent l’un des plus beaux symboles d’une féminité conquérante. Si on associe ce spectacle au blast suprême, ça donne Nashville Pussy. Le plus surprenant, c’est qu’ils semblent s’améliorer d’année en année. On pourrait les croire usés par les tournées et l’indifférence grandissante. Au contraire. Ils semblent encore plus explosifs qu’en 2016, lorsqu’ils avaient fait trembler les colonnes du temple, dans ce qu’on appelle ici la grande salle. Du haut de vieille stature légendaire, Blaine Cartwright semble devenu complètement miraud. Mais il porte toujours cette casquette de white-trasher américain et ce blouson rouge et blanc de pilote tellement cra-cra qu’il doit remonter au temps de Nine Pound Hammer, qui, est-il bien utile de le préciser, fut l’un des meilleurs groupes jamais signés par Tim Warren sur Crypt. C’est la raison pour laquelle il faut suivre un mec comme Blaine Cartwright à la trace, aussi fidèlement qu’on suit les Oblivians ou les Gories, qui régénérèrent eux aussi la scène américaine, au temps béni de Crypt. Cartwright sait tenir une scène et poser sa voix juste au dessus du chaos. On sent en lui le vétéran de toutes les guerres. Il sort sa bouteille de Jack quand il a soif . Cet homme semble n’être heureux que sur scène. Il fait sans doute partie des mecs dont la vie se résume à son groupe. Il sait que sa formule blastique tient bien la route et que le public entassé à ses pieds est un public d’inconditionnels. On y voit d’ailleurs très peu de metallers, comme on serait tenté de le croire. Non, les gens qui suivent Nashville sont des amateurs de big bad American Sound et ils savent que l’heure de set va battre des records de chaleur, pour employer la pauvre terminologie des météorologues. Ils tirent les cuts les plus percutants de leur dernier album, notamment «She Keeps Me Coming», «We Want A War» et l’effarant «Low Down Dirty Pig», mais aussi un fantastique shoot de «Why Why Why» tiré de From Hell To Texas, un «Pussy Time» bien gluant tiré du vieux Get Some et deux joli corkers tirés de High As Hell, l’imparable «Piece Of Ass» et le bien nommé «Struttin’ Cock». Blaine Cartwright adore jouer avec les images sexuelles un peu douteuses. C’est son côté farceur. Mais dès qu’on lui met une Les Paul dans les pattes, attention, il ne rigole plus. Ils terminent leur set avec «Go Motherfucker Go», un fabuleux shake hypnotique tiré de leur premier album, Let Them Eat Pussy. C’est l’occasion ou jamais de saluer l’excellente section rythmique composée d’une brune bien grassouillette nommée Bonnie Buitrago et d’un Ben Thomas maigre comme un clou et absolument spectaculaire de présence bombastique. Voir ce mec marteler son beat, franchement, ça réchauffe le cœur. Ben pourrait dire : «Regardez, je suis moi aussi un beau spectacle !», mais il a la grandeur d’âme de le mettre au service de Blaine et de Ruyters, ce qui nous le rend encore plus sympathique. Tous les gens qui jouent dans des groupes le savent : le batteur, c’est la clé de voûte. Sans bon batteur, rien n’est possible, ça s’écroule très vite. Alors, couronnons Ben Simmons, king of Pussy !

Signé : Cazengler, Nashville poussif.

Nashville Pussy. Le 106. Rouen (76). 27 juin 2019

Nashville Pussy. Pleased To Eat You. Ear Music 2018

 

Monsieur Jordan

- Part Four

 

Ils arrivaient des quatre coins de la France pour saluer le retour sur scène de Roy Loney qui fut comme chacun sait LE chanteur des Flamin’ Groovies. L’événement devait se dérouler au Petit Bain, une barcasse ancrée au pied de cette Grande Bibliothèque imaginée jadis par François Miterrand, un homme que tout le monde semble détester aujourd’hui, sans raison particulière. La détestation systématique est entrée dans les mœurs comme les loups dans Paris. Quant aux météorologues, ils avaient annoncé un pic de canicule et ne s’étaient pas vautrés. La file d’attente cuisait comme une longue merguez dégingandée sous un soleil de plomb.

C’est là qu’une rumeur se mit à circuler et à enfler comme l’ex-tumeur de Wilko Johnson. On chuchotait à voix basse d’une oreille à l’autre.

— Y paraît qu’y vient pas...

— Hein ? Qui qui vient pas ?

— Bah Roy Loney !

— Ha bah ça !

La longue merguez bruissait donc de mille chuchotements dans un authentique bain de vapeurs corporelles. La rumeur se glissa ensuite avec la merguez dans la soute du Petit Bain et continua de grossir. Arrivée au frais, la rumeur ne s’en portait que mieux. C’est là qu’un mec apparemment bien informé fit la lumière dans les esprits surchauffés. Il savait pourquoi le pauvre Roy Loney se retrouvait dans la cruelle incapacité de venir ramasser les lauriers qui lui revenaient.

— Cyril l’a poussé dans l’escalier !

— Ha bon ?

— Oui, en arrivant à l’aéroport, pouf ! Cyril l’a fait tomber dans l’escalier qui descend de l’avion.

Bon après, ça devenait compliqué d’expliquer que Cyril était jaloux de Roy depuis toujours, qu’il lui faisait des croche-pattes dans la rue et qu’il lui collait ses chewing-gums pleins de bave sur son harmo. Normalement, il faut un livre pour entrer dans une litanie de détails, la rumeur n’est pas faite pour porter le poids du monde, comme le disait si bien Peter Handke.

— Il l’a poussé comme ça, dans l’escalier ?

— Oui, d’un grand coup d’épaule dans le dos, par pure jalousie. Cyril avait même paraît-il un rictus au coin des lèvres, comme Anthony Perkins dans Psychose.

— Et Roy, y s’est fait mal ?

— Oh on l’a embarqué à l’hosto. Et comme il est vieux, ça ne va pas se recoller du premier coup !

— Aller pousser son copain dans l’escalier, non mais franchement ! C’est vraiment des branleurs ces mecs-là !

— C’est sûr, ils sont restés bloqués en 1968. Ça leur fait en gros quinze ans d’âge mental. Ce qui n’est déjà pas si mal. Tu as beaucoup de gens qui ont un âge mental beaucoup plus bas.

— Et si Roy y l’était mort dans l’escalier ?

— Oh non, Cyril s’arrange toujours pour que ça finisse bien. Il est aussi malin qu’Alfred Hitchcock. Roy a l’hosto, il peut reprendre le micro et chanter son vieux coup de Shake sans personne pour faire ombrage à sa mégalomanie psychédélique...

— C’est incroyable cette histoire !

— Oh tu sais, la vie des groupes, ça ne sent pas toujours la rose. Même dans les petits groupes de province. Tu y vois des choses étonnantes. Tu n’en as même pas idée...

Il fut interrompu par l’entrée sur scène d’un groupe de surf engagé pour la première partie. Ça cloua aussi sec le bec à la rumeur.

Mais elle reprit de plus belle au terme du set de surf.

— Et comment tu es courant de cette histoire d’escalier ?

— Oh, j’ai des infos de première main. C’est un mec de San Francisco. Il racontait qu’un jour Cyril n’arrêtait plus de faire des croche-pattes à Roy qui marchait devant lui dans la rue. À la fin, Roy s’énervait et gueulait : «Stop that !», tu sais avec l’accent garage qu’il prend pour attaquer «Teenage Head», et tu sais ce que Cyril faisait ?

— Il s’excusait ?

— Pfffff ! Tu rigoles ou quoi ? Cyril poussait d’affreux petits gloussements de belette psychopathe. Un truc du genre hiiin-hiiiin-hiiiin !

— C’est dégueulasse ton histoire !

— Mais non, tu es dans l’univers des comix underground. C’est un humour auquel tu n’auras jamais accès à cause de ton éducation. Avec la gueule que tu as, tes lunettes et ta liquette, on voit bien que tu es cartésien. Donc t’es baisé. Tu passeras toute ta vie à côté. Tiens encore un exemple. Tu sais pourquoi Chris Wilson n’est pas là ?

— Il l’a aussi poussé dans l’escalier ?

— Non, pire encore : il l’a envoyé en cure dans un établissement pour vieux Américains ! Eh oui...

— J’ai vu un reportage à la télé : c’est encore plus sordide que les établissements pour vieux Français. C’est une cure de quoi ?

— D’amaigrissement.

L’arrivée sur scène de Cyril Jordan cloua de nouveau le bec à la rumeur. Il portait les mêmes fringues que lors du dernier set parisien : chemise à motifs, high heel boots et petit fute en vinyle noir. Tiré aux quatre épingles de 1968. On retrouvait aussi les accompagnateurs du set de 2017, Tony Sales, fils prodigue de Hunt & Tony Sales qui firent si bien tinter le Tin Machine, et Chris Von Sneidern, toujours habillé en blanc, mais muté comme un fonctionnaire de la basse à la rythmique. Un nouveau venu avec une gueule de cabochard très sympathique et habillé d’une liquette noire et d’un gros pantalon bordeaux occupait le job de bassman. Les Groovies s’empressèrent de redorer leur blason avec un «Shake Some Action» particulièrement bien sonné, sans chichis ni dentelles d’arpèges. C’est là que le bassman commença à focaliser l’attention. Avec ses gros doigts boudinés, il plaquait à l’implacable les dominantes sur son manche et hochait le beat de la tête avec une ferveur assez peu commune dans sa fonction. Rien qu’avec un coup de Shake, il était en eau. Ses deux mains dégoulinaient de grosses gouttes de sueur. Comme le disaient si bien les ouvriers d’antan, il mouillait sa chemise. C’est une façon de dire qu’il ne faisait pas semblant. On le sentait vraiment investi. Cyril Jordan annonça une chanson des Byrds et nous eûmes droit à une vieille resucée du «Feel A Whole Lot Better» datant de Mathusalem, suivie d’un bond dans le temps avec «Jumpin’ In The Night», qui nous ramenait à l’époque Sire, c’est-à-dire post-Roy Loney, et donc un son moins groovy et plus pop dont on essayait de se contenter à l’époque pour se consoler de l’absence de Roy Loney. Cyril Jordan chantait d’une voix assez gutturale. Vu la qualité des compos, il ne s’en sortait pas si mal. Mais bon, on s’attendait au pire : qui allait se porter volontaire pour massacrer «Teenage Head» ? Le suspense allait durer encore un bon moment avec d’autres régurgitages de la période Sire. Puis Cyril Jordan annonça qu’il allait chanter «Whisky Woman» pour la première fois. Why ? Because the band broke up three months après la sortie de l’album Teenage Head. «Whisky Woman» est toujours resté l’un des cuts préférés des gens qui ont acheté l’album en 1971. Why ? Sans doute parce que rien n’est plus parfait qu’une femme rôtie au whisky. C’est plus élégant - pour une femme - de se piquer la ruche au whisky qu’au vin blanc. En tous les cas, les Groovies savaient le dire en 1971 mieux qu’on ne saura jamais le dire. Et les choses se mirent à vraiment chauffer avec la triplette de Belleville tirée du même album, «High Flyin’ Baby», «Have You Seen My Baby» et un «Yesterday’s Numbers» harnaché du big heavy sound et joué avec une édifiante implication. Le bassman ruisselait comme une vieille serpillière, il arrosait le plancher autour de lui dans un rayon de deux mètres, on voyait la sueur couler dans son gros pantalon bordeaux, et sa basse était tellement gorgée d’humidité qu’elle semblait vermoulue. Ah quel démon ! Il s’offrait même le luxe, dans l’état où il était, de faire des petits bonds en l’air, ce qu’un organisme épuisé refuse normalement de faire. Rien qu’avec le spectaculaire «High Flyin’ Baby», la partie était gagnée. Mais le «Yesterday’s Numbers» aggrava encore les choses, par sa qualité raunchy et déterminée à vaincre un public convaincu d’avance. Mais bon, les groupes agissent souvent sans réfléchir, leur stratégie consiste à foncer dans le tas et à réfléchir plus tard. Le moment tant redouté arriva : Chris Von Sneidern se sacrifia pour chanter «Teenage Head». Ce fut l’horreur, sans doute la pire version jamais offerte en pâture au bon peuple. Dès l’attaque d’I’m a monster, c’était baisé. Il chantait ça d’une petite voix blanche et ridicule et il aggrava encore les choses en ajoutant d’un accent d’hermaphrodite lymphatique un «got a revved up teenage head» qui manquait tellement de crédibilité qu’on en fit la grimace. Ha les choses de la vie !, comme dirait Claude Lelouch. François Miterrand et le Petit Bain eurent droit à un rappel avec «Slow Death», et la rumeur put enfin reprendre.

— Le bassiste devrait se méfier. Il est tellement bon qu’il a volé le show ! Tu sais comment il s’appelle ?

— Ah bah non, chais pas !

— T’as vu les regards en coin que Cyril lui envoyait ? Ce bassman est bien trop bon pour jouer dans les Groovies. Trop in the face. Il fait trop d’ombre à Cyril. Tu vas voir, il va bientôt tomber dans l’escalier ! Tu vois, le guitariste habillé en blanc ne risque rien. Il est beaucoup plus malin.

Il fallait absolument savoir comment s’appelait ce bassman héroïque. Comme il venait traîner au mersh, on put lui poser la question. On ne comprit pas grand chose à ce qu’il raconta, hormis le fait qu’il s’appelait Allan ou peut-être Adam et qu’il avait accompagné Link Wray, les Cars, les Tubes et d’autres groupes aux noms incompréhensibles. Nous n’apprîmes son vrai nom que le lendemain : en réalité, il s’appelait Atom Ellis. Si un jour la ville de San Francisco lui dédie une plaque de rue, on pourra y lire : Atom Ellis, mighty sauveur des Flamin’ Groovies.

Signé : Cazengler, flamin’ crouni

Flamin’ Groovies. Le Petit Bain. Paris (75). 25 juin 2019

PS : au fait, où en étions-nous restés des exploits de Monsieur Jordan, le Groovy gentilhomme ? À Seymour Stein qui en 1976 allait relancer la carrière des Groovies avec l’album Shake Some Action. Dans ce Part Three, souvenez-vous, Cyril proposait à Stein d’emmener ses label mates, les Ramones, tourner en Europe. Et on en déduisait que grâce à Cyril, l’Angleterre allait faire une sacrée découverte. Tous les témoins sont formels : c’est en voyant jouer des Ramones pour le première fois que les Londoniens ont découvert le punk, comme un poule qui trouve un couteau.

Et donc, au rythme d’un nouvel épisode du San Francisco Beat dans chaque numéro d’Ugly Things, Cyril retrace les aventures des Flamin’ Groovies, tout en continuant de faire soigneusement l’impasse sur Skydog (Profitons de la parenthèse pour rappeler que sans Skydog, personne en Europe n’aurait entendu parler des Groovies). Nous voici donc en novembre 1975, à Monmouth, au pays de Galles. Quatre heures de route depuis Londres, à bord de deux Rolls financées par Stein. Cyril adore cet endroit et tout particulièrement Little Anchor Farm, un manoir hanté vieux de 700 ans. Il s’entend à merveille avec Dave Edmunds, la gloire locale et ils enregistrent vite fait un hit de Paul Revere & The Raiders, «Sometimes», puis des clins d’yeux appuyés aux Beatles comme «Yes It’s True». Cyril dit aussi donner à sa version du «St Louis Blues» de WC Handy the Liverpool feel, ha ! Il s’intéresse en fait beaucoup plus au manoir hanté de Little Anchor Hill. Pourquoi ? Parce que lui et les autres Groovies ont entendu une femme crier dans le couloir alors qu’aucune femme ne traînait ce jour-là dans les parages. Ha ! Serait-ce un fantôme ? Ils trouvent la clé du mystère dans un livre intitulé Haunted Britain : l’auteur affirme que Little Anchor Hill is the most haunted spot in England, c’est-à-dire l’endroit le plus hanté d’Angleterre. Cyril ajoute qu’il y avait des centaines des millions de mouches à Monmouth. Il n’avait encore jamais vu autant de mouches ! Tons of thousands. Dans l’épisode suivant, Cyril revient sur son cher Shake et rappelle qu’ils jouaient alors lui et James Farrell sur des Gretsch, une Nashville et une Anniversary. Autre détail capital : l’album Shake était très orienté : Stones, Lovin’ Spoonful, Paul Revere & The Raiders et of course les Beatles. Cyril ajoute à toutes fins utiles que le classic era des Stones était celui de Brian Jones. Pour restituer ce son, il dit utiliser les instruments qu’utilisaient les Stones en 1965. Il étaye son propos en citant «Crazy Macy», sur le dernier album des Groovies : eh bien, il joue ça sur une Harmony Meteor et un Vox AC 30, comme le Keef d’«It’s All Over Now» et de «Down The Road Apiece». Il indique aussi qu’«I Saw Her» est inspiré des Charlatans, l’un des groupes qu’il chouchoute le plus.

En 1976, les Groovies se préparent à enregistrer leur deuxième album Sire. Comme il songe à taper dans les Byrds avec le fameux «Feel A Whole Lot Better», Cyril sort de l’étui sa douze cordes Rickenbacker stéréo. Il rappelle que «Between The Lines» est un hommage à la coke que tout le monde appelle ‘Charlie’ en Angleterre et que les Groovies, dans leur jargon interne, appellent ‘Whatsit’. Il revient aussi à ses chouchous Paul Revere & the Raiders avec «Ups And Downs». Autre choix marrant : il s’amuse à taper dans les Beatles tapant dans le «Reminiscing» de Buddy Holly. Autre fait marquant : n’oublions pas que l’ex-Charlatan Mike Wilhelm fait son entrée dans le groupe avec Now. Cyril observe enfin que Dave Edmunds s’implique de plus en plus dans le son des Groovies, ce qui n’est pas pour lui déplaire. En fait, il profite des deux pages que lui octroie Mike Stax dans chaque numéro d’Ugly Things pour passer tous ses albums au peigne fin. On le sent vraiment très fier de son œuvre.

Cyril et les autres profitent des moments de battement pour aller se balader dans la lande, où rôde dit-il Dieu sait quoi, ghosts and wombats and who knows what else. Un soir, Dave emmène Cyril et Chis dans un pub vieux de 400 ans. Dave conduit sa Mini Cooper très vite, nous dit Cyril, a real speedster, et soudain, dans un virage, Cyril se met à hurler car il voit deux lumières rouges. Dave pile net et ils sortent tous les trois de la Mini pour constater que les deux lumières rouges sont en fait les yeux un chien noir géant ! What ? A giant galloping black dog ! Deux fois plus grand qu’un cheval, précise Cyril dont la mâchoire s’est décrochée et pend comme une lanterne sur sa poitrine ! Ils frissonnent tous les trois de plus belle lorsque le monstre passe près deux au ralenti, comme s’il trottait dans une autre dimension. Qui va aller gober une histoire pareille ? Cyril est un peu triste car aujourd’hui Dave Edmunds nie les faits. No giant black dog ! Sans doute a-t-il peur que ça attire les touristes dans la région. En tous les cas, Cyril reste en cohérence avec sa notion de comix underground. Si on repart de son point de vue, c’est une histoire qui va loin. Comme s’il voulait insinuer que les Groovies existaient dans une autre dimension. Quand on y réfléchit bien, c’est extrêmement intéressant. Encore faut-il savoir prendre le temps de réfléchir à certaines hypothèses, surtout quand elles paraissent saugrenues. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais ce genre de pirouette est l’une des plus difficiles à réussir. Essayez et vous verrez. Oh, on ne réussit pas du premier coup. On se casse la gueule. Mais ça fait du bien de se casser la gueule.

Ugly Things # 46

Ugly Things # 47

Ugly Things # 48

(Rien dans le 45 et le 49, donc inutile de les acheter).

 

Keef Keef bourricot

 

Au fond, c’est une bonne chose qu’un cat comme Keef refasse l’actualité. Depuis cinquante ans, on ne se déshabitue pas vraiment de lui, même si les albums des Stones ont perdu leur pouvoir. Difficile de faire des miracles pendant cinquante ans. Ceux qui font des miracles doivent finir par se lasser. On imagine aisément que Keef ait pu se lasser. Au début ça doit être marrant, «The Last Time», «Jumping Jack Flash», «Satisfaction», ensuite «Gimme Shelter», «Live With Me», «You Got The Silver», «Happy», et puis ça finit par devenir une espèce de routine. Dans le regard de Keef, l’éclat prophétique s’est terni, une sorte de mélancolie propre à ceux qui ont tout vécu semble à présent le voiler. Il est arrivé la même chose à Chuck Berry, victime lui aussi d’une écœurante facilité à faire des miracles. Et ce n’est un hasard, Balthazard, si Keef se sentait intellectuellement apparenté à Chuck Berry. La dimension des génies nous dépasse un peu, nous n’avons d’eux qu’une perception très limitée. Keef, Chuck Berry, Gandhi, Martin Luther King, Victor Hugo, que savons-nous d’eux ? Pas grand chose. Quelques disques, quelques livres, quasiment rien. L’extraordinaire de la chose est qu’on réussit quand même à se goinfrer de ce quasiment rien. Tiens, Keef fait la une de Mojo et ça redevient un événement, comme au temps béni des interviews qu’il accordait au New Musical Express, notamment le fameux «You’re never alone with a Smith & Wesson» qu’on avait lu tellement de fois qu’on connaissait l’ordre des questions et la teneur des réponses. Oui, Keef revient avec ses gros doigts boudinés et un regard souligné au khôl. Il est même bombardé rédacteur en chef du numéro et il rip the joint avec un choix d’articles extrêmement keefy : Muddy Waters, Bobby Keys, Peter Tosh et Norah Jones. Écoutez ce que dit cet homme en page 6, pour présenter la sélection de cuts rassemblés dans la compile jointe au mag : «Just the playing of music is one of the most civilized things I can think of.» Et il fait mettre civilized en ital, pour bien insister sur la notion. Eh oui, Chuck Berry incarnait cette notion de civilisation, son ring ring goes the bell balayait toute la haine des racistes blancs d’Amérique et d’ailleurs. Avec sa guitare, Chuck niquait les rednecks, with their guns up their asses. Et Keef continue de vanter les mérites de la musique, disant que les musiciens sont des mecs bizarres, car une autre conversation se fait pendant qu’ils jouent ensemble. Il appelle ça The other language. Avec bien sûr un accord préalable, ce qu’il appelle un agreement. Pour lui c’est ça, the civilized thing. Les mecs jouent ensemble au lieu de se taper dessus. Dans la compile, on retrouve bien sûr Chickah Chuck, mais aussi Jimmy Reed, Pattie Labelle, Willie Mitchell qui a écrit des arrangement pour Talk Is Cheap, les Coasters, Funkadelic, Dion, pas mal de Rastafaris et Muddy Waters. Keef dit qu’en découvrant Muddy à l’époque, il découvrit la notion de power. The inner power.

C’est Robert Gordon qui se charge de l’article sur Muddy. Oh la belle double : on y voit Muddy gratter sa gratte et sa femme Geneva l’enlace. L’image parfaite. Tous ceux qui ont lu la bio de Robert Gordon sur Muddy savent pourquoi cette femme est belle et à quel point elle est vitale dans l’histoire de Muddy et donc du blues et donc des Stones : Geneva eut la grandeur d’âme d’accepter que Muddy ait des fiancées à droite à gauche et des enfants avec ces fiancées. Cette façon de tolérer les choses relève de la plus haute intelligence. Mais cette histoire ne passe pas toujours très bien quand on la raconte, ici ou là. Figurez-vous que des gens ne comprennent pas qu’on puisse tolérer des vies parallèles. Ça permet toutefois de conforter l’idée de base : l’intelligence, c’est comme le manque d’intelligence, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Dans l’article, on tombe sur une autre image à caractère historique : ça se passe chez Chess et on voit la triplette de Belleville autour de Leonard le renard : Muddy sous sa pompadour, Little Walter soufflant un coup d’harmo et Bo avec ses Gretsch rectangulaire et ses lunettes à montures d’écailles. Que dire d’autre que Wow ? Wow !

Keef a 75 balais. Quand on lui demande comment il arrive à sauver les apparences (maitain that chic physique), il répond ceci : «I get up. Ummmm. And then, uh, you know, I sit down. I don’t do none of this trotting around, I think it’s bad for you. It’s bad on the joints, especially on concrete. I don’t go with that. It’s just not for me.» Ça nous rassure de savoir que Keef ne fait pas de jogging comme les autres vieux. Il est un peu comme Mick Farren, pas question de lui faire enlever ses boots. Il annonce qu’il a stoppé la booze. Il se contente d’un verre de pinard pendant les repas et d’une Guinness de temps en temps - It’s like heroin, the experiment is over - Mais il ajoute que si tu le croises dans un bar et que tu lui offres un verre, il ne saura pas le refuser - I wouldn’t turn it down. I’m not a puritan on these matters. It’s just that it’s not on the daily menu any more - Ce qui frappe le plus chez Keef et ce depuis toujours, c’est la classe des réparties, l’extrême agilité à tourner des formules tellement anglaises qu’elles en deviennent indécentes d’élégance. En français, on ne penserait jamais à dire «Je ne fais pas le puritain dans ces cas-là.»

Alors bien sûr arrive sur le tapis l’histoire de la longévité du groupe : Keef et Jagger, 75 balais, Charlie Watts 78 et Ronnie Wood 72. Keef espère continuer - If you give me 80,000 people, I feel right at home - Il ne veut pas décevoir les gens - The smell of the crowd, it gets ya ! - Et nous voilà de retour en 1988, au moment où Jagger fait ses disques et ses tournées solo. Keef le vit mal et après avoir insulté Jagger dans la presse, il change de tactique et commence à bricoler des cuts dans son coin avec Steve Jordan, le powerhouse new-yorkais. Oh, il insiste bien pour dire qu’il ne voulait pas démarrer un autre groupe, car dit-il, the Rolling Stones is a full time job, mais comme il ne se passe rien cette année là, il rassemble quelques amis - Suddenly I realized, God, it’s like I’m at the beginning of the Rolling Stones again - Et pouf, Bobby Keys entre dans la danse. Keef invite Waddy Watchel, un blanc qui a joué avec Linda Ronstadt et Ivan Neville, le fils d’Aaron. Et puis tiens, on va appeler tous ces mecs the Xpensive Winos. «We started to come up with some interesting songs», croasse Keef.

Dans les futurs livres d’histoire, les spécialistes diront que Talk Is Cheap est un chef-d’œuvre de l’ère Richardsienne. Ne serait-ce que pour ce règlement de comptes intitulé «You Don’t Move Me» - It’s no longer funny/ It’s bigger than money/ You just don’t move me any more - Jagger s’en prend plein la gueule. C’est Steve Jordan qui bat le beurre dans cette cambuse. Pif paf, il cogne dur et Keef sculpte son monde magique d’une voix de mineur cacochyme. Quelle admirable musicalité, c’est bardé de clameurs démentes. Pour cet album, Keef est allé enregistrer à New York, puis dans le Sud : il voulait Willie Mitchell et les Memphis Horns sur l’album. Mais aussi d’autres légendes à roulettes comme Bootsy Collins, Maceo Parker, Sarah Dash de Labelle et Johnnie Johnson qui en 1953, avait embauché à Saint-Louis un jeune guitariste nommé Chuck Berry. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «How I Wish», c’est le hit universel avec de la mélodie plein la gueule, il n’existe rien d’aussi seigneurial dans l’esprit rock d’Angleterre. Keef chante à la véhémence, comme s’il bramait à la lune dans les causses. Il est pendant quelques minutes le roi du monde, le temps d’une chanson parfaite, il tombe dans un océan de chœurs achalandés et de clameurs grandioses. Steve Jordan mène tout ça à la baguette, sec et net et sans bavures. Il faut aussi écouter «Whip It Up» car Keef l’attaque à la Stonesy et un certain Charley Drayton rentre dans le lard du cut à coup de bassmatic. Voilà LE hit décadent par excellence. Keef est l’Oscar Wilde du rock d’Angleterre, c’mon baby et les filles derrière braillent whip it up. Il faut le voir relancer son hit à la seule force de son intelligence de rocker épouvantablement doué. Keef n’est pas un rêve, brother ! Bobby arrive avec son sax texan à la main et Keef force une voix qu’il n’a pas à coups de baby baby ! Rien d’aussi devastating, whip it up ! Les descentes de basse sèment la confusion dans les rangs. Franchement, c’est très spectaculaire. On retrouve l’un des bassmen favoris de Keef sur deux cuts : Joey Spampinato de NRBQ. Il vient sonner les coches du rumble dans «I Could Have Stood You Up». Et qui joue du piano là-dedans ? Oui, tu l’as deviné : Johnnie Johnson ! Oh boy ! Et Mick Taylor gratte sa gratte. C’est mieux que de gratter ses poux. Ah les brutes ! Le NRBQ joue aussi sur «Rockawhile», encore un cut visité par la grâce. The greatness of the groove according to Keith Richards. C’est aussi rampant qu’un gros reptile. Rockawile ! Rock in style ! On entend Ivan Neville jouer du piano sur «Locked Away», un hit mélodiquement parfait. Ce diable de Keef n’en finira donc jamais de créer l’événement ? Il revient au rumble de groove à retardement avec «It Means A Lot». Le groove qu’il jette dans nos tranchées met du temps à sauter, Keef se situe là, dans la longueur de ce temps, c’est excellent, il chante what does it mean et les autres lui répondent It means a lot, mais dans le décalage du groove de Keef. C’est infernal. Un bassmatic de rêve dévore le cœur du groove. Étonnamment, la magie opère dès le cut d’ouverture, «Big Enough». On sait tout de suite qu’on entre dans un album hors d’âge. Le son saisit. Les Winos jouent au maximum des possibilité du power rock. Keef chante comme il peut mais quel buzz down the road apiece ! Bootsy on bass et Maceo Parker on sax, avec eux soyez certains d’atteindre le cœur d’un mythe qu’on appelle le groove. Steve Jordan y bat le beat du tambour des galères. Retour à la Stonesy pure et dure avec «Take It So Hard». Keef s’étrangle à le chanter. Steve Jordan passe au bassmatic. On a même du shuffle de chœurs. Ce n’est pas un album de tout repos, oh no no no ! On retrouve la même équipe sur «Struggle». Keef a du pot d’avoir ces mecs-là derrière lui. Steve Jordan tape comme un sourd et Keef chante comme une ablette dévoyée, c’est extrêmement rock’n’roll. Keef se prend à son propre jeu. On entend rarement des grooves cognés aussi violemment. Keef duette avec l’immense Sarah Dash sur «Make No Mistake». Elle vient dasher dans les bras de Keef. Fucking sensuality !

Dans l’interview, Keef épilogue sur la nature de sa relation avec Jagger. Il évoque un amour fraternel et donc des crises de jalousie. Mais ça n’affecte pas leur mode de fonctionnement - It is a strange relationship, I’ll give it that. Strange, and very long - Pendant l’interview, il fume à la chaîne. L’interviewer lui demande s’il compte arrêter de fumer et Keef lui dit qu’il a essayé mais que ça n’a pas vraiment marché. Keith Cameron cite Lou Reed disant qu’il est plus difficile d’arrêter la fumaga que l’héro et Keef acquiesce : «Arrêter l’héro, c’est l’enfer - it’s hell, but a short hell.» Il ajoute qu’il essaye quand même de réduire sa conso. Et ça marche. Il s’aperçoit qu’il n’en a pas besoin, et c’est exactement comme ça qu’on arrête de fumer. Tout à coup, on trouve que ça ne sert plus à rien de fumer. A useless habit, comme dit Keef. Il avoue aussi être marié depuis 35 ans avec Patti Hansen. Le secret de cette longévité ? - I found somebody that could put up with me, man. You don’t run away from that. Bless her heart - Et quand Keith Cameron lui demande si le fait d’atteindre un âge aussi vénérable que le sien lui apporte une certaine forme de sagesse, Keef croasse : «Je ne pense pas qu’on atteigne cet âge sans rien apprendre.» Et il se penche pour murmurer d’un ton de conspirateur : «J’ai déjà dit ce que j’avais de plus sage à dire lorsque j’étais très jeune, hee heee hee heee.» Mais au fond, il n’aime pas la notion de sagesse. Il préfère parler d’expérience. Puis il ajoute le point essentiel : ne pas rester coincé dans le passé. Aux yeux des tenants de la modernité, il se contredirait presque en avouant un profond mépris pour les réseaux sociaux et les téléphones - I’ve never liked phones, you see - Il explique ça très bien, car quand on devient célèbre à 19 ans, le téléphone sonne tout le temps, et ce sont toujours des gens qui te demandent des trucs. Alors évidemment, les portables, c’est encore pire. Oh no ! Il ajoute que les gens qui le connaissent savent qu’il n’a pas de phone. C’est une élégante façon d’expliquer que la modernité ne passe pas par le smartphone. Au dix-neuvième siècle, on appelait cette tournure d’esprit le dandysme. Keith Cameron conclut l’interview avec un compliment : «You seem a sunny character at heart», ce qu’on pourrait traduire par : «Vous semblez être quelqu’un de très chaleureux.» Et Keef rétorque : «Essentially, yeah !» Bon d’accord, il y a eu des moments difficiles, mais avec un peu d’optimisme, on passe à travers - Nobody said it was easy - C’est du pur Keef.

La réédition de Talk Is Cheap fait l’actu de Keef. On en profite pour ressortir du placard l’autre chef-d’œuvre de l’ère Richardsienne, Main Offender. On croyait les Stones finis à l’époque. Grave erreur : écoute «Runnin’ Too Deep» et tu retrouveras la Stonesy dans tout son éclat. Et avec l’autre fou de Steve Jordan derrière, ça redevient très sérieux. Keef sait très bien ce qu’il faut faire pour relancer la Stonesy. Back to the basics ! On retrouve ce fou de Steve Jordan sur le «999» d’ouverture. Ivan Neville nous nappe ça sec. On appelle ce genre de mecs des brillants mercenaires. Don’t panic ! Ah ha ! Keef embobine tout le monde. Il claque son rock à la jouissance prévisible, here we go ! Toute sa vie, Keef a gratté sa gratte pour la seule gloire du rock. Quel bâtard de son ! Il faut le voir passer au dub avec «Words Of Wonder». Il sait tiguiliter la note, en plus. Effarant de keefitude céleste ! Encore une belle sinécure avec «Yap Yap» - I hear it’s okay, yeah yeah - Quelle fabuleuse entrée en matière ! Keef joue de la basse. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Yakety yap ! here we go ! Babi Floyd et Bernard Fowler font le Yap Yap dans le groove du grand Keef qui chante à la sourdine mal réveillée, Yap Yap you talk too much. Il reste dans le heavy groove avec «Wicked As It Seems». Charley Drayton fait gronder sa basse à l’ancienne, Keef chante au rauque et Steve Jordan frappe sa caisse claire comme s’il la haïssait. No way out, font les Winos - Why don’t you go/ All over me - Cet album est une nouvelle leçon de choses. Keef obtient ce son sec incroyablement beau. Il se paye ça comme on se paye une bague de pharaon dans le souk du Caire. Retour à la Stonesy avec «Eileeen». Keef sait claquer un accord au coin du bois. Steve Jordan frappe de plus en plus fort. Quel sale mec ! Personne ne lui dit rien. Qui oserait ? Il frappe avec le venin du killer. Il mord la cuisse du beat. Le beat n’a aucune chance d’en réchapper - What do I do - C’est tendu à se rompre. On est dans l’osmose de l’égalité des chances, Keef donne tout le loisir au choix, il le laisse venir à lui. Il ultra chante au souffreteux, c’est encore une fois d’une classe épouvantable. Ah tu parlais d’aristocratie du rock ? On est en plein dedans.

Signé : Cazengler, Keith Ricard

Keith Richards. Talk Is Cheap. Virgin 1988

Keith Richards. Main Offender. Virgin 1992

Keith Cameron : The right stuff. Mojo # 305 - April 2019

 

MONTREUIL / 21 – 06 – 2019

COMEDIA

SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS

BENDER / CRITTERS

Fête de la musique. Gros attroupement Croix de Chavaux, apparemment un groupe à la Pink Floyd, Râoulex King Trio en extérieur à l'Armony, m'arrête pour saluer Raphael Rinaldi qui nous a fait don des photos de Tony Marlow et David Evans voici quinze jours, mais ce soir pour moi c'est la Comedia ou rien, cette goutte de néant qui manque à l'absolu affirmait Stéphane Mallarmé. Comme je n'ai pas réussi à mettre la main sur le rien, me voici à la Comedia. Ici la fête est beaucoup plus existentielle qu'ailleurs. Une ZMAD, zone musicale à défendre.

SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS

Nos gens sur scène. Densité maximale. Cinq de Villejuif. Le diable et ses accros de la vulve, rien que cela. Remarquez que c'est plus sain que nos gouvernants qui s'accrochent à leur pouvoir. Z'ont un synthé. On a beau dire mais un orgue dans un groupe c'est comme un ogre dans un conte de fées, ça change tout. Surtout s'il est bien joué, s'il ne bouffe pas le son des acolytes, s'il densifie, s'il ne passe devant que lorsqu'il faut signifier au public que l'instant est important et mérite d'être souligné au fluo rouge. Bref à peine ont-ils démarré qu'ils nous offrent une matière grasse et ondoyante dans laquelle l'on pressent qu'il y aura à donner forme. L'on n'est certainement pas dans un combo punk, mais le diable se niche aussi dans la musique moins sauvage, davantage cuisinée. Le cru et le cuit, raw or cooked, parfois il est bon de se sustenter des deux.

Rawad pose sa guitare à terre et se saisit de son micro qu'il approche de sa bouche de ses deux mains. Il ne chante pas, il conte, il évoque. L'on ne sait quoi, mais toutes les légendes et toutes les proférations contiennent leur part de sublimité. L'a la voix envoûtante, cela permet à chacun de se raconter ce qui chez lui engendre le rêve. La musique se densifie autour de lui, nous sommes chez des amateurs de ce que je réunirais sous l'appellation incontrôlée de rock anglais poétique, un vaste diagramme qui court des Zombies d'Odessey and Oracles à David Bowie. Que l'on retrouve aussi bien dans les groupes de heavy rock qu'expérimentaux. Une plus grande importance accordée aux paroles et aux gradations musicales. Avec le risque de se perdre dans les arrangements pompiers et les lyrics de carton pâte.

Mais nos Sheitanistes ont flairé le piège. Alternent les passages lyriques avec des sautes d'humeur dignes des Pretty Things, subitement l'orage tombe sur le pays des merveilles et tout se met à tanguer salement. Dans les jeux de pile du hasard ou face du destin, il suffit de parier sur les deux côtés pour emporter la mise.

BENDER

La balance a déclenché la suspicion. Vous ont envoyé deux fragments de morceaux à raser la moitié de la ville. Dès le début du set ils ont commencé et nous ont démontré de quoi ils étaient capables. Un par un. ( Heureusement ils ne sont que trois ! ). Davy vous écrasé la production mondiale des croquettes en un tour de main sur ses toms. Pulvérisation optimale. S'est arrêté pour laisser la place à Sloog. Rassurant, un bassiste ça doome certes, mais dans les limites du raisonnable. Pas de chance, celui-ci s'est débrouillé avec ses quatre malheureuses cordes pour atteindre le même volume sonore que son confrère batteur, avec en plus le couinement désagréable du goret que l'on égorge. Puis l'a laissé la place libre à Agabawi. Là on pressentait : avec sa chevelure sauvage et sa taille de géant, il ressemblait au chef des barbares qui mène l'attaque contre les légions romaines dans Gladiator, alors quand il a écrabouillé la planète sous son bombardement de riffs, l'on s'est dit que notre dernière heure était proche. Evidemment son petit numéro de dissuasion active terminé, sont partis tous les trois ensemble. Au bout de dix minutes nous bougions encore sous l'éboulement terrifique, faut l'avouer, c'était bon, mais bon pour combien de temps ! Et c'est là que le miracle a eu lieu. En pleine tempête, l'on a entendu une étrange modulation, c'était Agabawi, sur sa guitare, l'alcyon s'est posé sur les flots en colère et la beauté du monde nous est tombée dessus.

Ne nous ont pas fait le coup de l'arrangement toile arachnéenne qui se balance mollement sous la brise matinale, non c'était épais comme la chape de béton qui recouvre Tchernobyl, du solide, mais aussi immémorial que la frise du Parthénon, Davy a carrément abandonné son poste de drummer fou, s'est saisi du micro et a entonné d'une voix de berceuse affermie un hymne voué à l'on ne sait quel dieu du néant, un chant de remerciement et d'apaisement. Et l'on a senti la respiration régulière du grand cobra endormi. Un étrange sentiment de sereine puissance a inondé les cervelles de l'assistance. Pas de doute on était à l'intérieur du paradis.

Vous vous en doutez, si les pires choses ont un début, c'est que les meilleures possèdent une fin. Et en moins de temps qu'il n'en faut pour compter jusqu'à 0, 3, l'on s'est retrouvé en enfer, dans le style grand arasement final, Bender a bandé toutes ses forces et nous a ramenés dans l'apocalypse éternelle. Un tourbillon sans fin, une trombe dévastatrice, une onde mortelle qui vous précipite par les fenêtres du vingt-cinquième étage, votre corps éclaté au pied de l'immeuble comme une outre crevée gonflée de sang. Flaque existentielle dans laquelle les sangsues du désespoir viennent se désaltérer.

Certes le calme est de retour, alors qu'il ne va plus rester une goutte de votre hémoglobine, mais avec plus d'ampleur, Agabawi se lance dans une mélopée, un chant puissant, sorti de ses entrailles de colosse, il clame tel un baryton d'opéra au dernier jour d'un cycle finissant. La mort et la vie étroitement emmêlées dans son gosier. Nous ne savons plus si nous marchons sur des cendres ou parmi un incendie. C'est cela Bender une force qui va droit devant, qui respire fort mais qui n'arrête jamais sa marche. Traverse la chaussée des géants et les clairières heideggeriennes de l'être au pas de course. Partent d'avant le mal et se dirigent au-delà du bien, du néolithique au cosmique. Braconnent le cobra. Recueillent le venin. Vous donnent à boire. Si cela ne vous a pas tué, c'est que cela vous a rendu plus fort. Il vaut mieux que vous n'ayez pas entendu le growlement hideux de Sloog à la fin du dernier morceau. Le crachat qui tue.

Grosse impression.

CRITTERS

Il est des malfrats qui mettent trois ans à préparer le cambriolage du siècle. L'heure fatidique arrive, la veille la combinaison du coffre a été aléatoirement changée par un programme informatique dont ils ignoraient l'existence. Pas du tout la manière de faire des Critters. Eux, sont les adeptes du vite-fait, bien-réussi. Des chevaliers de la vieille pince-monseigneur. Pour les précautionneux qui ont installé une porte blindée, ils ont quelques bâtons de dynamite en réserve. Vous dégoisent vingt appartements en une matinée. Ceci n'est pas juste une image, mais une image juste. Vous alignent les titres comme se succèdent les torpilles dans les tubes-lanceurs des sous-marins. Touché, coulé, vite une autre, et au suivant. Ne vous prennent pas en traître vous annoncent la prochaine chanson, à peine ont-ils terminé la précédente. C'étaient les Critters en théorie.

Les voici en pratique. J'ignore ce qu'ils ont contre leur batteur, mais ils le cachent. Font le mur avec leur guitare comme au foot pour le pénalty. Posent devant lui le bassiste, des pectoraux d'athlète grec, pour faire phantasmer les filles il les a recouverts d'un filet à mailles larges qui attise le désir de ces fruits juteux en même temps offerts et retranchés. Ne reste plus qu'une solution au bat-man, puisque l'on ne peut le voir, on l'entendra. A l'énergie qu'il dégage doit lui falloir trente-six heures de caisson oxygéné pour se remettre, à la cadence où il tape on les soupçonne de l'avoir remplacé par un robot de la dernière génération, un prototype dernier-cri de l'Intelligence Artificielle. J'ai vérifié, c'est bien un être humain, pas de tricherie, le gars doit avoir le système nerveux qui fonctionne à la fission nucléaire. Impact de grêlons gros comme des œufs d'autruche sur la batterie.

Très logiquement, si les deux guitaristes veulent se faire entendre doivent trimer comme sur un trimaran. Perso je filerais ma démission. Eux ça les botte, ça leur plaît, ils en rigolent, ils en raffolent, ne pataugent pas dans la colle, ils volent au devant des difficultés, ils échangent des riffs comme s'ils se trucidaient au scalpel, au plus près, un foulard de trente centimètres ente les dents à la manière d'un lien ombilical par qui transite la rage et l'énergie. Critters au cran d'arrêt qui n'arrête pas. Des coups brefs mais font jaillir des geysers de sang et de lymphe à la manière du montage final de La Dernière Horde. C'est que la bêtise du monde contre laquelle ils se battent est une baudruche crevée qui refuse de se dégonfler. Même que peut-être a-t-elle tendance à enfler ces derniers temps. Qu'importe ils rajoutent de la hargne à chaque morceau : Guerre, Crève, Délire, Marche, Mort, Contrôle, vous dessinent le monde en pointillés comme ces tracés sur les fascicules destinés aux enfants. Si notre monde était une rose, les Critters en seraient les épines. Empoisonnées.

C'est l'Héracles grec qui chante. Le héros est aussi le hérault. Vous jette les mauvaises nouvelles à la figure, l'a le chant saurien, coupe les phonèmes qui dépassent, ne noie pas le poisson dans l'eau douce, vous ébouillante les crustacés, et leurs pinces coupantes en un ultime spasme vous cisaillent vos dernières illusions aux racines. Ecouter les Critters équivaut à danser Au-dessous du Volcan de Malcolm Lowry. Et personne ne s'en prive, vous communiquent la joie vicieuse des révoltés qui n'abdiquent jamais. Trois rappels aussi incandescents que des illuminations rimbaldiennes. C'était une saison en enfer avec les Critters.

RETOUR

Devant L'Armony et sur la Croix de Chavaux les concerts se terminent, je ne m'attarde pas, tel un bateau pirate, suis rempli d'or jusqu'aux écoutilles, et je me hâte vers mon repaire. C'étaient les fêtes du rock'n'roll.

Damie Chad.

 

 

THE CENTURION'S SERVANT

BENDER

( 2019 )

Rigil Kent : guitars, synthé, vibraphone, vocals / Agabawi : guitars, keyboard, ukelele, vocals / Sloog : bass, vocals / Davy : drums, keyboard, theremin, vocals / + Alexis Noël saxophone.

The Centurion's Servant : décliné en quatre mouvements : Part I : Enterred Capernaum : bienvenue dans le capharnaüm, rythme entraînant malgré quelques échardes fuzziques, il semble qu'au bout du couloir certaines marches soient plus difficiles à monter ou à descendre, l'on ne sait plus où l'on en est. / Part II : Under my roof : voix fine de chaton qui miaule, puis c'est l'accompagnement orchestral qui se joint à la chorale insipide, d'autant plus inquiétant que beau, dépaysant. Au loin et tout devant un instrument se plaint. / Part III : Sick and ready to die : moane encore longtemps mais le son s'agonise de lui-même. Bientôt remplacé par des hululements synthétiques. Même le blues se vend sous forme de plastique irrécupérable. / Part IV : Tuning to the crowd : retour à la vie, une voix qui s'affermit, et la musique prend de l'ampleur, montée progressive qui s'éteint brutalement. Mercury Signals : tournoiement des hélices du caducée mercurial pour inaugurer un chargement énergétique sans précédent. Living dead cat : pas vraiment un nouveau morceau, une suite qui s'accélère, des chœurs qui fusent de partout comme si l'on écrasait l'accélérateur sur un échangeur d'autoroutes. Cela se termine par un jeu de batterie qui épouserait les ondoiements grandiloquents d'un orchestre symphonique. Mais en accéléré. Et puis des voix innocentes d'enfants qui viennent de faire une grosse bêtise. Ghosts Place : une guitare seule rejointe par des voix peu fantomatiques, sur un nappé d'orchestration qui recouvre les îles du remord, suivies d'une espèce de vocal processionnaire, une marche en avant dans le noir intérieur. What's in your bag? Can we save Iggy ? : une intro nettement plus rock'n'roll, des voix traitées à la mode groupe filles-sixties, la question métaphysique de la salvation du Pop iguanéen se déroule sur des guitares impertinentes qui tirent la langue. S'interrogerait-on sur le destin du rock en se remémorant ses sources ? La réponse est emportée dans le vent joyeux d'une dernière ronde. Est-ce vraiment si important ? Pray the king : apparition majestueuse de l'orgue, comme quand votre cousine était entrée dans l'église le jour de son mariage. Deuxième mouvement : moins de grandiloquence, les festivités commencent. Cobra is missing : changement d'ambiance, au bout du chemin l'on ne trouve pas toujours ce que l'on désirait. Peut-être fallait-il regarder davantage dans le capharnaüm de son cerveau et ne pas croire les promesses qui rendent les fous joyeux. L'absence du cobra n'a pas l'air d'être une catastrophe irrémédiable. The Centurion's Servant : Part V : l'est temps de tirer la leçon de cette épopée qu'il faut bien se résoudre à nommer en fin de compte burlesque. En queue de poison insidieuse. Quand la promesse ne tient pas ses promesses, le plus sage n'est-il pas d'aller se coucher.

Un disque ambitieux. Pochette énigmatique pour une citation évangélique. Une mer houleuse et romantique, et le serviteur du centurion en maillot de bain. Ce qui est sûr c'est que les légions ne sont pas là. Les rêves de conquête se dissipent-ils à la vitesse d'une vague qui se retire ! Au dos de la pochette la mariée est bien seule. Mariée basse. Après les illusions perdues vivons-nous l'époque des désillusions retrouvées ? Si le cobra est mort, sur quel autre rivage braquer nos désirs ? Ceci n'est qu'une interprétation. Les disques de rock qui font réfléchir sont assez rares sur cette planète. Soyez curieux. Il paraît que cela rend intelligent. Ce dernier trait de caractère est d'une impérieuse nécessité pour ceux qui veulent survivre. Exemple à suivre : Iggy sur la galette qui sort du congélateur.

Damie Chad.

HILL'S LIGHT

BENDER

( Octobre 2014 )

Pochette vert tendre et dessin naïf. Représente tout de même aussi bien notre planète que l'œuf cosmique originel. Bender est un groupe à surprises. Le disque précédent possède bien quelques accointances avec le concert beaucoup plus rentre dedans, mais ici nous remontons près de cinq ans en arrière et nous voici loin de notre présent rock. L'ambiance est définitivement cosmic trip.

Sad little bird on the rain : je ne sais pourquoi – en fait si – à la seule lecture des titres j'ai pensé aux Doors, instrumental tout lent avec en fond des roulements de voitures sur une highway de plus en plus prégnants, c'est la pluie qui tombe sur le pauvre petit oiseau tellement triste qu'il est aux abonnés absents. Matchbox : une comptine enfantine sur le destin d'une allumette, mise en scène d'une voix mélodramatique sur une musique qui flambe. Etincelant et fugace comme un feu de paille. The house : une chanson d'amour toute douce qui égrène ses notes sans se presser, la voix qui traîne, un parfum american folk indéniable, mais la pression arrive plus vite que prévue, et tout redescend tout doucement pour repartir à l'assaut du bonheur. Ce coup-ci l'on pense à Neil Young. Jet lag : des paroles à la dérive colorée planétaire à la Hendrix, mais pour les éclats coupants de guitares vous repasserez, quoique à la fin on s'en rapproche un peu. Airplane's starway : la suite de la précédente, ne pleurez pas les disparus, ils sont très loin et très heureux. Arpège de guitare et voix composées. Harmonies rassurantes. A river of stars : pourquoi se faire tant de soucis sur cette terre puisque bientôt ta poussière volera dans les étoiles. Pas très gai tout de même, c'est sans doute pour cela que la musique se fait incisive, la voix plus lyrique pour vous convaincre de la beauté du chemin des étoiles. Serions-nous en pleine philosophie hippie. Fallen angel : plus dure est la chute, les anges tombés du ciel ne m'arracheront pas de cet espace-temps dans lequel je suis englué. Si la musique devient si violente, serait-ce la marque du désespoir. Le roi Cobra : puisque tu ne vas pas à lui, le roi Cobra vient à toi. La joie déborde, la musique danse, les lyrics s'emmêlent et puis s'exaltent. Des guitares tire-bouchonnent. C'est la fête. La grande fête venus des lointains de l'espace. Bender 3000 : musique compressée, elle a voyagé à la vitesse de la lumière, rien de punk, elle vient du futur, vautrez-vous sur vos petites amies et laissez faire le temps. Il arrive. Avenir radieux. Hurlements de joie. Bend the time : message ultime, détache-toi de toi, sois comme moi poussière d'étoiles capable de renaître en d'autres univers. Le mot joker ''amour'' n'est pas prononcé mais c'est ainsi que se construit les attractions merveilleuses. Qui l'entendrait sans rire en ce nouveau siècle. Ce disque sent son San Francisco à plein nez. Décidément chez Bender les disques se succèdent et ne se ressemblent pas.

 

CHELSEA SIDE

BENDER

( Septembre 2015 )

 

Un an plus tard. Un graphisme de pochette similaire, mais bye-bye l'œuf orphique, l'omelette est moins bonne que prévue, le Grand Cobra est encore présent, l'est au prise avec ce que nous nommerons au plus vite l'ange du mal, ou l'ectoplasme actif de la Cité des hommes. La pauvre bébête n'est pas à la fête, prend des coups, à l'instar de la Statue de la Liberté elle porte une couronne sur la tête, mais elle ne rayonne point, semble plutôt une tiare d'épines christique.

Sunday morning : le soleil ne brille pas toujours, l'incompréhension s'installe entre les êtres, musique en urgence emballe sec, mais si tu n'es pas capable de survivre c'est moi qui m'éclate. La cervelle contre le mur. Chelsea side : balade fallacieuse en la grosse pomme. L'est remplie de clichés qui correspondent à la réalité. The dream is over. Du côté de Chelsea le quartier artist, c'est sûrement mieux. L'on se réfugie toujours dans ses propres légendes. Se termine par un petit harmonica tout ce qu'il y a de plus country. Song A : en apparence une belle chanson d'amour, avec cette musique qui glougloute au début et puis le rock s'en mêle comme le doute s'insinue en votre esprit. Chanson de rupture, entre ce ce qui part et ce qui revient. Sans doute pas au-même. Le morceau explose en plein vol. Parfois l'on en dit moins pour en sous-entendre plus. Charivari final. Fallen Angel : deuxième version de l'ange aux ailes cassées. Trémolo dans le vocal. Il semble que l'on ait pris conscience de l'ampleur du sinistre. La vie ne fait pas de cadeau. Les médicaments les plus amers sont ceux qui ne vous soignent pas. La musique n'essaie même plus de faire passer la pilule. I love you little N. Y. C. : amour, haine et déception. La pomme est empoisonnée mais l'on aime y mordre encore une fois. La musique chavire entre le bien et le mal. Batterie élastique. Airplane's starway : l'on reprend l'ascenseur ( presque to heaven ) de la galette précédente. Entrée funèbre, et puis les cendres volent et deviennent poussière d'étoile. Etrange on dirait que cette fois l'on y croit moins. Le monde a changé. Le regard que l'on porte sur lui aussi. Moins de confiance. Hangover : le retour du bâton, je vais vous montrer de quelle gueule de bois je me réchauffe. Splendeurs tonales, toute la mélancolie des rêves brisés. Le grand Cobra n'est-il pas le ver solitaire qui me ronge de l'intérieur. Très beau morceau.

Etranges ces deux disques. Sonnent américains. Je veux signifier par cela qu'ils ont une qualité d'enregistrement exceptionnelle. Surprenante pour un groupe qui vient de Toulon, mais à consulter le site de Vivarium Production, l'on se dit que Bender a trouvé en cette bonne ville méridionale une pépinière créative en pleine action. Les deux disques sont de même facture mais en un an que de progrès et de maturité acquises. Bender, un groupe à suivre et à surveiller.

Damie Chad.

 

30 / 06 / 2019MONCEAU-LES-MINES

ADA III

404 ERROR

ADA, rien à voir avec l'Ada ou l'Ardeur de Nabokov. S'agit de l'Assemblée des Assemblées, liée au mouvement des gilets jaunes. Ne pas confondre avec les tuniques bleues. Beaucoup de parlottes sur les bienfaits de la sainte démocratie pendant que l'Etat aiguise ses serres et que les banquiers entassent les billets. Vaudrait mieux un bon Kick Out The Jam préconisé dès 1967 par le MC 5, mais dans la vie il nous échoit souvent plutôt le pire que le meilleur. Bref cherchez l'erreur. J'ai fini par la dénicher, pour une fois le flair légendaire du rocker n'a pas eu à s'exercer, elle est venue toute seule, par la porte d'entrée et de sortie des oreilles.

Un petit roseau m'a suffi disait Henrier de Régnier, je suis un peu plus exigeant, me faut un bon balancement électrique, bien cadencé, cela m'arrache de ma chaise automatiquement et mes pas m'entraînent vers le corps du délit – peut-être pour échapper à l'irrémédiable éclat de celui de la Délie – en l'occurrence la fameuse 404 Error. Me presse donc, l'on doit être cinq sur l'ère goudronnée, dans mon entrain je dépasse même un gars qui marche devant moi, c'est lorsque je serai appuyé à la barrière que je réaliserai qu'il s'agit du chanteur qui s'en est venu sans doute au fond du cours vérifier le son. Pas de problème, l'orga n'a pas lésiné sur le matos.

404 ERROR

Ne font que des reprises, ce qui est jouissif certes, je le conçois mais qui reste dommage quand on juge de la netteté de leurs épures. Sont plus qu'au point pour apporter leurs petites contributions personnelles aux trésors du rock. Quatre donc. Trois qui jouent, un qui chante. Pa besoin de plus dans la boite à bouillon-cubes. Un défaut tout de même, perdent trop de temps entre les morceaux, et ce d'autant plus regrettable qu'ils connaissent le répertoire sur le bout des doigts et de la langue. Le public, finiront par avoir une bonne centaine de personnes devant eux, n'aura d'ailleurs de cesse de les presser.

Fine silhouette sombre, ressemble à un coup de pinceau esthétique d'un maitre calligraphe japonais, Juliet, de profil, le visage intermittent, tantôt caché, tantôt dévoilé, par le double flot de ces cheveux de jais, ses doigts épousent les cordes de sa grosse base, elle vous plaque les accords avec la sérénité d'un samouraï pour qui la mort n'existe pas.

Jean-Mi ne joue pas de la guitare à moitié. Look de brute biker à la barbe fleurie qui casse du bois rien qu'en fermant les yeux. Et ce qui sort de son ampli ce n'est pas de la mouture charançonnée. Un adepte du gros son. A cette particularité près que lui il ne vous déverse pas les tonitruances comme des tombereaux de pierres sur les pieds. Un soigneux. Lui il brode les riffs, à sa manière, l'ajoute son truc en plume d'aigle royal à chaque motif, vous le connaissez comme ça, et comme ceci avec cette échancrure toute en finesse au milieu, qu'en pensez-vous? On est jaloux, on n'aimerait lui reprocher d'être trop perso, mais non, l'on ne peut pas, l'a de l'imagination, mieux que cela de l'inspiration. L'on dirait un pointilliste qui vous colle le minuscule carré magique de couleur qui n'appartient qu'à lui, et le tableau vous prend une ampleur insoupçonnée.

Le Bob n'a pas intérêt à jeter l'éponge à chaque round. S'active sur ses fourneaux. Pour la cuisson, c'est du rapide, tourné et retourné, vous sert le cuisseau d'alligator tout dégoulinant de sang, même que parfois il remue encore. Vous donne l'impression d'être à chaque instant à la poursuite du break et hop quand vous croyez qu'il va lui échapper, il vous l'azimute d'un dernier coup. Vainqueur par K. O. et tout de suite il se met en quête du suivant avec lequel il a – quel hasard – un compte à régler. Lui apure l'addition finale de bien belle façon. Se fera ovationner plusieurs fois. C'est que ses trois zigomars ils font dans la quinte flush, le truc que vous avez entendu mille fois, ils vous le restituent à l'identique mais de façon totalement différente, l'arrive un moment où il y en un des trois qui vous file un paquet cadeau supplémentaire, Juliet c'est une basse qui démarre à l'amble, avez-vous déjà entendu un dromadaire baraquer dans la nuit au milieu du Sahara, non, alors je suis désolé, je ne puis vous restituer ce bruit si caractéristique, essayez d'imaginer une fin différente à la pièce de Shakespeare, le râle de regret de Roméo agonisant dans les bras de sa bien-aimée, ou alors c'est Jean-Mi qui vous file un solo, une égoïne crissante à la diable, genre le matin quand vous vous vous lavez les dents à la toile émeri pour avoir une bonne haleine fraîche pour le soir embrasser votre petite amie. Le Bob n'est évidemment pas le dernier dans ce genre de facéties monstrueuses, de temps en temps il prend des vacances, vous laisse en suspend, en plein milieu d'une raquellerie monstrueuse, cascade de pièces d'or sur les toms et puis plus rien, une demi-seconde – en rock c'est l'équivalent d'un semi-millénaire – de silence, et au moment où vous commencez à désespérer comme Oreste dans la scène finale d'Andromaque, splash il vous fend le crâne en deux d'un seul coup à la manière du vase de Soisson, et ensuite alors que vous essayez de recoller les morceaux il poursuit son bonhomme de chemin à toute vitesse.

Mais voici, celui que tout le monde attend. Une horloge sans lézard tourne à vide. Le bon grain sans l'ivraie de la folie est une erreur de la nature. En rock'n'roll si vous n'avez pas un chanteur qui capte l'attention et la tension, vous pouvez aller vous recycler dans la bicyclette sans roue. Nous le certifions Aurel n'a pas été fabriqué avec de la sciure d'isorel perforé. Sait bouger, sait chanter, sait charmer. Pas de stress, si vous le voyez soudain cavaler vers le micro qu'il a posé un peu n'importe où – surtout n'importe où - se débrouille toujours pour le rattraper juste à l'instant critique. Prend de surcroît le temps de s'ébouriffer les cheveux déjà en bataille, et hop il se lance dans le maelström enflammé de ses congénères et tout de suite l'arc-en-ciel vous sourit en pleines pluie diluvienne, ne force jamais sa voix – l'a des facilités comme l'on dit pour excuser les bons élèves d'être trop bons – mais il vous balance les lyrics avec cette justesse et cette conviction qui force le respect. Exemple, sur le Rock'n'roll de Led Zeppe n'essaie pas de se planter sur le plus haut perchoir du poulailler, il le fait en son propre ton sans esquisser une des modulations stratosphériques nécessaires, et ce sera encore plus évident sur le Whole Lotta Love, vous suit les montagnes russes, passant sans encombres des pentes les plus abruptes aux cimes les plus aiguisées.

Bref un bon concert. Sans surprise, l'on aurait bien encore smoker on the water, un grand moment, en cachette dans les waters, mais vous connaissez la France profonde des couche-tôt, qu'il faut respecter, le concert s'est achevé bien trop tôt. Bref on a eu le meilleur de l'ADA, l'ardeur rock'n'roll !

DEUX BECASSES D'OR

attribuées au rigolo qui tenait à interpréter à tout prix J'ai Dix Ans de Souchon, et à la jeune fille qui s'obstinait à monopoliser le micro pour annoncer la dégustation gratuite de choux à la crème à l'autre bout du campus... Il y a des gens qui ne comprendront jamais le sens de la vraie vie ! Kick Out The Jam, motherfuckers !

Damie Chad.

GENE VINCENT AND THE BLUE CAPS

( in Rock'n'Folk N° 623 / JUII 2019 )

Juste pour info et le plaisir de terminer cette année en citant le nom du plus emblématique des rockers. Page 86, du R'N'F 623, vous trouverez une analyse de la pochette du deuxième LP de Gene Vincent due à Patrick Boudet. Pas vraiment un acharné de la sémiotique – ce qui n'est ni un mal en soi, ni un reproche - Patrick Boudet. Je n'en dis pas plus, ayant pour l'année prochaine le projet d'une contribution vincenale dans les cartons. Keep Rockin' Til' Next Time !

Damie Chad.

P. S. : dans le même numéro, une page sur les Grys-Grys chroniqués à plusieurs reprises ces deux dernières années dans KR'TNT ! et le nom de Noël Deschamps, un de nos rockers français préférés, cité à la va-vite en dernière page.

11/07/2016

KR'TNT ! ¤ 290 : REAL KIDS / NASHVILLE PUSSY / BLUES STORY / SOUND PAINTING / TROIS NEGRES / MALCOLM X / EDDY MITCHELL

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 290

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

14 / 07 / 2016

REAL KIDS / NASHVILLE PUSSY /

BLUES STORY / SOUNDPAINTING /

TROIS NEGRES / MALCOLM X

EDDY MITCHELL

 

AVIS A LA POPULATION

KR'TNT ! ferme ses portes. Comme tous les étés. Une véritable catastrophe nationale, mais c'est ainsi. Nous avons aussi une vie secrète sur laquelle nous ne nous étendrons point. Pour le seul plaisir de vous laisser phantasmer. Une lueur d'espoir toutefois pour vous au bout du tunnel de cette longue et terrible nuit dans la noirceur de laquelle nous vous abandonnons sans pitié. Nous serons de retour, fin août dernier jeudi.

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

 

LE PORTOBELLO / CAEN ( 14 ) / 30 - 06 - 2016
LE PETIT BAIN / PARIS XIII° / 01 - 07 - 2016

THE REAL KIDS

LE REAL KICK DES REAL KIDS

 

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Ce dernier soir de juin, une petite vague de chaleur semblait ramollir notre bonne ville de Caen. Un petit club situé à proximité du bassin de plaisance accueillait les Real Kids, ce groupe de Boston qui tira son épingle du jeu dans les années soixante-dix grâce à un micro-hit pop-punk intitulé «All Kindsa Girls». Comme la porte vitrée du club bénéficiait d’une ouverture automatique, elle s’ouvrait toute seule si on l’approchait. Il ne manquait qu’une seule chose : un bruitage à la Tati. Croyant qu’il régnait à l’intérieur une chaleur d’étuve, on hésita longuement à entrer. Il fallut bien entrer. Par miracle, il y faisait bon. Et on y servait de la Carlsberg à la pression, ce qui rendit l’endroit encore plus sympathique.
On le sait, la pop est un genre particulièrement ingrat. Des milliers de groupes, dont font partie les Real Kids, s’y sont frottés avec plus ou moins de réussite. Par définition, tous les genres sont difficiles, le garage, le rockab, le rock’n’roll, le blues, le stoner, mais la pop l’est certainement bien davantage, car elle repose sur un pouvoir auquel une infime minorité de gens peut prétendre : le pouvoir mélodique. Tout le monde n’est pas Ellie Greenwich. Ni Dwight Twilley. Ni George Harrison.
De toute évidence, les Real Kids n’ont jamais eu cette prétention. Au pire, ils se contentaient d’adresser un clin d’œil à Buddy Holly, notre cher binoclard texan. Mais le succès (d’estime) de leur pop est resté une énigme digne de celle de Toutankamon. Ils n’avaient pas de son. Quand on réécoute leur premier album aujourd’hui, c’est frappant. Le pauvre Marty Thau qui les produisit à l’époque était notoirement incompétent. Son enthousiasme ne pouvait en aucun cas pallier à une carence productiviste. Marty Thau n’avait pas l’envergure ni l’expérience d’un Shadow Morton ou d’un Jim Dickinson, pour ne citer que les plus connus.

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Après le concert, la porte d’entrée automatique du club resta grande ouverte sur la rue. La fraîcheur du soir se fondait dans celle du bar. John Felice traversa le bar à pas extrêmement lents pour aller lui aussi prendre l’air. Cet homme qu’on donnait pour cuit aux patates ne semblait en effet pas très frais. Il affichait un air hagard avec la bouche ouverte, le cheveu long d’un blond délavé, pas peigné, les dents superbement pourries et le regard usé, mais un vrai regard, avec un dessin d’yeux très rond et très doux. L’occasion était trop belle, il se trouvait à moins d’un mètre de distance.
— Hey John !
— Hey....
— You were trouly fantastic !
— Hank ya....
— But it ize criminal the way they prodiouced your ricords !
— Ah...
— You sound far more better on stage zan on ze ricords !
— Ah...
— What is ze title of the last song you played ?
— Reggae Reggae...
— Ah...

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Ils firent deux morceaux en rappel, et le deuxième explosa littéralement. «Reggae Reggae» était tout simplement méconnaissable. Ils jouèrent une sorte de brouet psyché-psycho ahurissant et mouliné à coups de gros accords magsitraux. La pop des Real Kids se mit à sonner les cloches du tocsin, ils atteignirent un sorte de démesure et embarquèrent leur public pour Cythère, mais sur un fleuve en flammes. C’était d’autant plus frappant qu’on ne s’y attendait pas du tout. John Felice et Billy Cole mirent en route une mécanique infernale qui valait bien toutes les autres mécaniques infernales, mais avec un fort parfum psyché, quelque chose d’à la fois hypnotique, dévastateur et envoûtant. Ces vieux de la vieille qu’on tenait pour de misérables has-been se mirent à dévorer les âmes et à allumer les lampions sous les crânes. John Felice prit les deux premiers solos et Billy le dernier, dans une sorte d’apothéose. Ce fut une véritable révélation. Un concert sur lequel on ne misait pas cher se transformait en un événement spectaculaire.

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Ils étaient en effet montés sur scène sans grand enthousiasme. John Felice se déplaçait très lentement. Il portait un vieux blouson de jean, une chemise ouverte sur un T-shirt improbable. On sentait bien le vétéran de toutes le guerres. D’une certaine façon, il impressionnait. Il brancha sommairement sa Telecaster et annonça une vieille chanson, «Better Be Good».
Ils se mirent à jouer des morceaux qui n’avaient absolument plus rien à voir avec ceux des albums. Ils sortaient sur les deux guitares un son plein et bien gras. Billy Cole jouait sur une Les Paul. Il portait des baskets comme au bon vieux temps et semblait ravi de se retrouver enfin sur scène. John Felice compensait son statisme par une sorte de fulgurance de jeu. On le voyait prendre des solos d’une vive intensité, il triturait des petits phrasés furibards qui basculaient dans le viscéral. On découvrait là un guitariste remarquable. Il jouait des solos sur des accords de bas de manche et taillait sa route avec une maîtrise sidérante. En sortant du solo, il retombait toujours en place pour attaquer son couplet chant. On le croyait ralenti, mais sur scène, John Felice tournait à plein régime. Il était même très spectaculaire. On finissait par prendre sa nonchalance pour de la concentration. Et du coup, leur set devint fascinant, même si on ne connaissait pas bien les morceaux, qui encore une fois, n’avaient plus rien à voir avec ceux enregistrés en studio. Les Real Kids sur scène en 2016 n’ont absolument plus rien à voir avec les Real Kids sur Red Star ou New Rose. C’est le jour et la nuit.

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Comme la conjonction des planètes était favorable, on put les revoir jouer le lendemain soir à Paris, sur la fameuse péniche qui accueille désormais les bons groupes de passage en France : Flaming Groovies, Vibrators, Pretty Things, Ash and co. L’idée était de vérifier que le concert caennais ne relevait pas d’une vue de l’esprit. On voulait surtout revivre ce final éblouissant qu’est la version de «Reggae Reggae» en rappel.

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Nos amis les Real Kids cassaient la croûte à la cantine du Petit Bain et ce fut un plaisir que de revoir John Felice toujours un peu far-out et Billy Cole toujours aussi délicieusement juvénile. Par contre, il n’y eut pas foule dans la salle. Nous assistâmes exactement au même genre d’arrivée sur scène : pas la moindre trace de frime, pas de roadies, ces mecs arrivèrent avec leur guitares, se branchèrent et commencèrent à chanter, sans transition. Et ça se mit à tourner à plein régime, avec ce son miraculeux, avec cette voix bien posée, et ces départs en solo magnifiques d’efficacité et de virulence. Ce fut un plaisir que de revoir jouer ce guitariste exceptionnel qu’est John Felice.

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La version live d’«All Kindsa Girls» ne doit plus rien à celle du premier album, qui sonne comme de la pop frénétique, pour ne pas dire écervelée. La version studio semblait en plus plombée par le bassiste qui jouait sa note en continu. Rien de pire. Il fallait attendre la reprise de «Rave On» pour trouver un peu de viande. John Felice chantait ça avec de la hargne et on avait enfin un truc qui se tenait, avec ses belles montées en wow wow wow - A pretty doggone impressive version, disait Miriam Linna de cette version - On entendait John Felice prendre un excellent solo dans «Better Be Good», et c’était d’autant plus remarquable qu’il embrayait à la ramasse dans l’aiguillage du train fou.

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Sur l’album Red Star, on trouvait aussi un cut assez hargneux, «She’s Alright». Ils sortaient les dents et voulaient certainement passer pour des gens dangereux. Mais c’est «Reggae Reggae» qui décrochait le pompon. À l’époque, c’était déjà leur cut le plus percutant. On y entendait même de la friture de distorse.

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Norton a toujours soutenu les Real Kids. Billy Miller et Miriam Linna n’ont pas lésiné sur les albums live, mais le son n’était hélas pas au rendez-vous. Car si on veut du foutraque, là, on est servi ! Bel exemple avec l’album live «Senseless». Dès l’ouverture du bal, cette petite pop énervée saute dans tous les coins et rue dans les brancards. Ils sautent comme des poux. Avec «Now You Know», ils ramènent de la bonne teigne. Ça gratte, car bien monté sur le collet, et en même temps brouillon et bostonique. «Problems» n’est pas celui des Pistols, mais cette petite pop de jeans serrés qui moulent bien cette burnerie contingente typique d’une époque contrite. La grande différence avec les Ramones, c’est probablement la voix de Joey Ramone qui imposait une identité forte. Il n’existe rien de la sorte chez les Real Kids. Ils sortent un son exorbité. Leur pop se précipite en continu, le son de ce live est beaucoup trop rêche. Il n’y a aucun charme. John chante «Common At Noon» au congrès des arpèges de la pêche aux congres et «She’s Got Everything» vire miraculeusement garage. Mais pour le reste, ça trépigne beaucoup trop. On croirait entendre aboyer des jeunes chiots. Le son de ce live ruine tous leurs efforts. Il faut être fan pour écouter ça jusqu’au bout.

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On attend donc un vrai album live, digne de ce qu’on entend en concert. Au bar de l’after-show, des rumeurs circulaient. C’est dingue ce que les rumeurs aiment à se propager. Elles n’ont même besoin de personne en Harley Davidson.


Signé : Cazengler, real de madrid


Real Kids. Le Portobello. Caen (14). 30 juin 2016
Real Kids. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 1er juillet 2016
Real Kids. Real Kids. Red Star Records 1977
Real Kids. Senseless. Live At Cantone’s 1982. Norton Records 2001


LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 10 - 03 - 2016


NASHVILLE PUSSY

WHAT'S NEW NASHVILLE PUSSY CAT ?

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On aurait tendance à vouloir faire entrer Nashville Pussy dans l’enclos des bourrins, mais franchement, ils ne méritent pas ça. Avant de monter Nashville Pussy, Blaine Cartwright jouait dans Nine Pound Hammer, un quatuor garage punk du Kentucky qui faisait partie de l’écurie Crypt. Normalement, quand on sort trois albums sur Crypt, ça lave de tout soupçon.
Tim Warren était malin comme un renard, car en signant tous ces groupes sur son label, il les anoblissait, d’une certaine manière : depuis les Raunch Hands jusqu’aux les Devil Dogs, en passant par les New Bomb Turks, les Gories, les Chrome Cranks et les Mighty Caesars. Eh oui, on écoutait surtout ces groupes parce qu’ils étaient sur Crypt, ce n’est pas plus compliqué que ça. Et c’est justement la raison pour laquelle on a mis un jour le nez dans les trois albums de Nine Pound Hammer.
Le garage punk pose quand même un sérieux problème : ça tourne assez vite en rond. Il faut aux tenants du genre de sacrés aboutissants, car sinon, on risque de s’emmerder comme un rat mort, pour citer le Professeur Choron. Le garage punk est un genre difficile, éminemment brutal et généralement réservé aux bourrins, ces groupes américains qui prennent un malin plaisir à flirter avec le hardcore. Inutile de citer des noms, tout le monde connaît ces groupes insupportables. Les Nine Pound Hammer sortaient un son tel qu’ils parvenaient à se démarquer. On les vénérait surtout pour certaines reprises des Stones, de Johnny Cash et des Groovies.

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Le premier album de Nine Pound Hammer qui s’appelle «The Mud The Blood And The Beers» parut en 1988. Nos quatre Hammer posaient pour la pochette dans une belle lumière orange. En écoutant ce disque, on comprenait pourquoi Tim Waren avait flashé sur ces cul-terreux du Kentucky. Eh oui, avec «Crawdaddy», les Hammer nous balançaient une fantastique pièce de garage délinquante chantée à la mauvaiseté du loubard qui prépare un mauvais coup. On sentait confusément que ces quatre lascars ne risquaient pas d’être rattrapés par la délicatesse. Et avec «Little Help», ils proposaient un petit échantillon de punk rural d’Amérique profonde et quand on parle d’Amérique profonde, ce n’est jamais bon signe. On entend nos quatre Hammer fracasser leurs couplets avec un mépris total des conventions de Genève. Ils refont les Huns du Kentucky avec «Doomsday Poptarts» et se prennent pour les New Bomb Turks, ce qui n’est pas non plus très flatteur. Par contre, on trouve de l’autre côté un «Runaway Train» enthousiasmant, car c’est du garage punk solide. Ils font admirablement bien le train lancé à toute vapeur. On voit qu’ils fonctionnent à l’énergie brute. Ils recrachent plus loin du fiel de punk avec «Bye Bye Glen Frey». Oh on peut dire que ça coule et que ça dégueule. On sent qu’ils déversent un trop-plein et avec «Looking For Somebody», ils sonnent littéralement comme des punks anglais de 77. Ils font bien les oh-oh-oh. Il reste encore une belle pièce à se mettre sous la dent : «Hate To Think», garage-punk toujours, mais cette fois plus incendiaire et même carrément endiablé, saturé de guitares et riffé à la mort du petit cheval blanc d’Henri IV. C’est d’ailleurs un riff des Damned.

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Le deuxième album «Smokin’ Taters» restera dans les annales pour la reprise trash de «Folsom Prison Blues». Nos amis Hammer la jouent plutôt crampsy. C’est bardé de dégoulinures et de petites poussées de fièvre. On les sent particulièrement dévoyés, sur ce coup-là. Mais les autres cuts ont du mal à se faire un nom. «Cadillac Man» restera toute sa vie un garage-punk ulcéré, joué trop vite et trop fort, «Feelin’ Kinda Froggy» restera de la pure Americana barbare, aux antipodes de celle d’un Gram Parsons, et de l’autre côté, «Headbangin’ Stock Boy» restera tout juste digne de figurer sur un album des New Bomb Turks. Ça veut dire ce que ça veut dire.

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«Hayseed Timebomb» est probablement le meilleur des trois albums Crypt, ne serait-ce que par la classe de sa pochette illustrée qui nous montre le white trash américain dans toute sa splendeur. Le voilà en marcel et en stetson, avec le canon scié sur le bras, devant son trailer rempli de gosses dégénérés. Et c’est lui, Hayseed Timebomb, qui fait l’ouverture du bal avec cette magnifique dégelée de garage punk viandu. Les Hammer racontent son histoire, celle du white trash qui descend en ville - He’s trumbling into town to try to sell his boots/ He spent all his money on a one eyed prostitute - On trouve plus loin le garage punk de la Grande Bouffe : «Run Fat Boy Run» - jack, salmon, gumbo, steak fries, ho hos, catfisf - tout y passe à un rythme échevelé. Nouvelle dégelée définitive de garage avec «Devil’s Playground». Voilà le hit des Hammer, monté sur un riff insistant et joué en distorse maximaliste. De l’autre côté on a «Shotgun In A Chevy» pour se gargariser, pur garage punk d’évidence. On les sent déterminés à vaincre. Wow, quelle bande de brutes épiasses ! Comme on le voit avec «Adios Farewell Goodbye», les Hammer excellent dans les reprises musclées de vieilles country songs, comme on l’a vu avec Folsom. Ils ont deux atouts majeurs : la vélocité et le gras du son. Ils finissent avec «Slam Bag», un vieux coup de garage tradi, avec un son toujours aussi gras et bon.

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La bande annonce de «Kentucky Breakdown» paru en 2004 pourrait être : «Oh putain les gars il faut écouter ce disque !», avec un fort accent des barrières, évidemment. Les morceaux de cet album sont tellement énormes qu’ils frisent le génie. Prenez «Rub Yer Daddy’s Lucky Belly», par exemple. Vous êtes là, assis dans votre fauteuil et soudain vous avez ce son qui saute littéralement à la gueule, c’est une anomalie de l’énormité. Blaine et ses acolytes dépassent toutes les bornes possibles et inimaginables. On croit voir surgir les forces des ténèbres du Kentucky, c’est d’une puissance extrême et comme auto-régénérée. Ils cognent dans la panse du beat à coups redoublés. C’est le meilleur gras des moines, je meilleur jus de Jupiter, le meilleur bam de boum. «Dead Dog Highway» sonne comme du garage vorace tenu en laisse. Puissant car battu en pleine carlingue de dingue de frappadingue. On reste dans l’esprit de corps de garde cher au père Blaine le blême. Il revient vous secouer le cocotier avec «Drunk Tired & Mean». Il réussit même à nous balancer une intro à la Heartbreakers, mais sur un tempo un peu plus soutenu. C’est extravagant de son. On a ensuite un «Double Super Buzz» battu à la diable. Mais quand on dit à la diable, c’est à la diable, d’accord ? Et la fête continue avec «Ain’t Hurtin’ Nobody», une belle palanquée d’Absalon Absalon, ça tombe de partout. Ce Blaine est un guitariste monstrueux, il faudrait cesser de le prendre pour un bourrin, ce mec a de la majesté, même s’il adore se gratter les couilles devant les caméras et qu’il perd ses cheveux. Toujours aussi brûlant, «Zebra Lounge». Ces mecs sont des géants de la désaille. Quelle leçon de mise en place ! Encore plus dément : «800 Miles» - Hey Oh hey !- On dirait des matelots et bien sûr c’est bombardé de son, insolent de santé vitale, appelons ça un pounding de génie. Et Blaine nous fracasse d’entrée «If You Want To Get To Heaven», en plein dans les dents du rock, Nine Pound bat la chamade et on a même l’explosion finale avec «Chicken Hi Chicken Lo», ils partent en délire total de miam miam miam miam et perdent la raison. À la fin du cut, on entend Blaine qui tombe des nues. Oh Christ !

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Pire encore, voilà «Mulebite Deluxe» paru en 2005. Il s’agit en fait d’une démo de morceaux qu’on retrouvera sur «Smokin’ Taters» et «Hayseed Timebomb». Ils enchaînent les trois reprises définitives qui font la réputation de Blaine et de son Hammer : «Folsom Prison Blues» qu’ils jouent comme une reprise des Cramps - pur génie de la compréhension maximale - «Dead Flowers», avec le son que les Stones ont toujours rêvé d’avoir et «Teenage Head», cover dévastatrice des Groovies époque Roy Loney, l’ultime version. Après celle-là, ce n’est plus possible, car c’est bardé de distorse et hurlé à la vie à la mort, c’est d’une rare insanité, avec un solo en coulis de morve dans la plaie ouverte du trash-punk. Ils reprennent aussi le fameux «Radar Love» de Golden Earing qui leur va comme un gant. Ils y entrent comme dans du beurre, c’est plombé au marteau-pilon, c’est-à-dire au pire drumbeat de l’univers. Leurs cuts valent aussi le détour comme ce «Cadillac Inn» gonflé de la puissance des enfers. Ô imparabilité des choses, quand tu nous tiens... On retrouve la belle santé power-riffique du Hammer. Ils sont bel et bien les tenants et les aboutissants du genre, ils se donnent des cartes pour jouer le poker gagnant. Ils sont aussi puissants que les mauvais dieux viking jadis adorés dans les fjords oubliés des hommes. «Wrong Side Of The Road» sonne comme un hit avec son battage d’accords somptueux et c’est chanté à la charcute divine.

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Ouf, par miracle, «Sex Drugs & Bill Monroe» est un album un peu moins dense que les deux précédents. Mais il faut quand même se taper quatre belles énormités, à commencer par «I’m Yer Huckleberry» - Some Kentucky vintage - Peu de groupes peuvent sortir un son pareil. On a là un cut digne des Supersuckers et de Motörhead. On les voit passer par toutes sortes d’états successifs (garage-punk à la Dropkick Murphys, balladif énergétique du Kentucky, rock high energy monolithique à la Hellacopters, trash-balloche, tatapoum extravagant, dérives incendiaires de la cosmic Americana, white trash de caravane, sautillade de garage-punk) puis on tombe en fin de disque sur un enchaînement de trois excellents morceaux. «The Wheels Flew Off Again» file tout droit et Blaine fusille son cut à coups de notes de solo rageur, suivi de «You Ain’t Worth Killing» et de «Cooking The Corn» qui est une merveille absolue grattée à la misérable et montée sur un vieux pied de grosse caisse.
Si vous êtes sage, le petit mec qui tient le mershandising au concert de Nashville Pussy vous fera un prix sur les albums live des deux groupes de Blaine, Hammer et Pussy. On s’en doute, le «Live In Berlin» du 11 septembre 2010 est une bombe atomique. Tout est joué à la puissance maximale, ils sont même capables de faire du Motörhead à la puissance dix sur «Runaway Train». C’est poundé à la folie. On a pétaudière sur pétaudière et au passage on reconnaît les hits comme «Hayseed Timebomb» joué en cavalcade insensée. Peu de groupes vont aussi vite avec une telle puissance. Les Hammer enfoncent le nail. «I’m Your Huckleberry» sonne comme de l’Americana apocalyptique. C’est battu à la Thor. Ils sortent l’un des meilleurs blasts qui se puisse concevoir et «Wrong Side Of The Road» sonne comme un hit dès l’intro. C’est franchement dévastateur. Tout est explosé, cavalé, ravalé, Blaine le blême devient fou avec «800 Miles». Ce n’est pas un blast de pied tendre, vous pouvez me croire. Comment font-ils pour tenir un tel beat ? Here we go et voilà qu’arrive une bombe nommée «Dead Flowers». Décidément, les reprises des Stones leur vont aussi bien qu’aux Lords of Altamont. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin avec des exactions comme «Run Fatboy Run» et «Long Gone Daddy» où Blaine le blême pousse un hurlement et alors l’enfer redescend sur la terre.

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Le petit mec du mershandising vend aussi un «Wanted» de country classics où traînent quelques belles énormités, comme «One Long Saturday Night», une méchante pétarade. Encore du gros tapé de son. Ils sortent une version country de «I’m Your Huckleberry» montée sur un beat cavaleur qui tourne au tatapoum de la folie. Il faut aussi écouter au moins une fois dans sa vie ce truc qui s’appelle «Drivin’ Nails In My Coffin». Voilà du country punk capable d’incendier un saloon. On goûte là au charme capiteux de la country festive à la Hank III.

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Oh, il vend aussi un «Live In Rennes 1998» de Nashville Pussy. Même chose qu’avec Hammer, ça blaste dans tous les coins, et si on l’écoute, c’est surtout pour se régaler des interventions de Ruyter. «Wrong Side Of A Gun» sonne comme l’archétype de la fournaise maximale de heavyness. Rien d’aussi explosif que la version de «Going Down». Ruyter va vite, c’est une bonne et dans «I’m The Man», Blaine le blême pique des pointes stoogiennes dignes de «Raw Power». Terrifiante version de «Go Motherfucker Go», battue à la ramasse du non-retour. Peu de groupes savent ainsi foncer dans le lard du son et quand Ruyter part en solo, les colonnes du temple se mettent à trembler. Tout le monde le sait : Nashville Pussy est avant tout un groupe de scène.

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Avec le succès de Nashville Pussy, Blaine Carwright fait désormais partie des poids lourds du rock américain. Il suffit de voir sa compagne Ruyter Suys s’amener sur scène et secouer le cocotier du rock. Avec Donita Sparks de L7, c’est la meilleure rockeuse qu’on puisse voir sur scène actuellement. Elle incarne toute une imagerie du rock, celle du guitariste à crinière qui se fond dans la fournaise d’un stomp avec un solo liquide. Elle ramène tout ce côté visuel qu’on vénérait jadis, les départs en solo d’un Paul Kossof en veste rayée, la crinière en mouvement de Dickie Peterson, la folle gestuelle d’un Jimmy Page, les franges de la veste de Leo Lyons en plein matraquage de basse à Woodstock, la crinière en mouvement de Barry Melton qui s’excitait sur sa Gibson SG, oui elle est tout ça à la fois et même encore plus, car elle n’arrête pas de bouger, de grimacer, de prendre des poses et petite cerise sur le gâteau, elle joue comme une déesse.

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Ruyter est une belle femme, et forcément, elle vole le show. Dit autrement, Nashville Pussy n’aurait pas vraiment d’intérêt sans elle. Nashville Pussy passe à Rouen chaque fois qu’ils tournent en Europe et chaque fois, c’est une fête. Oh, il est bien certain qu’ils ne jouent pas des compos sophistiquées. Leur truc reste ce que les anglais appellent du sleaze rock, un rock très sexué et très électriquement gras qui remonte justement à Blue Cheer, à l’Atomic Rooster de John Du Cann et aux Hollywood Brats (et surtout pas aux groupes de la scène californienne des années 80 qui étaient de piètres imitateurs des Dolls). On se régale toujours de voir jouer un groupe bien en place. Pour ça, les Américains déçoivent rarement. Ils s’arrangent toujours pour mettre en avant le côté machine de guerre. Tu veux du rock, gamin ? Tu vas en avoir ! Pendant un peu plus d’une heure, ils ratiboisent tout, et jamais on ne s’ennuie, au contraire, Ruyter Suys s’arrange pour captiver de bout en bout.

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On entend même de drôles de commentaires dans les premiers rangs agglutinés au pied de la scène, des trucs du genre ‘J’uis mettrais bien ma bite dans l’cul !’. Il est vrai qu’avec sa réputation ‘cowpunk’ et lingerie, le groupe draine une certaine faune. Mais l’excellence du groupe sur scène balaye tous les mauvais a-prioris. On préfère mille fois voir jouer une belle gonzesse comme Ruyter plutôt qu’un groupe de mecs qui se prennent au sérieux.

 

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Côté albums, on est bien servi. Six albums en 15 ans, c’est un bon rythme.

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Avec «Let Them Eat Pussy» paru en 1997, Blaine et son gang dépassent les bornes de la vulgarité. Franchement ils exagèrent. Ruyters et Corey Parks se font bouffer la chatte sur la pochette, ce qui bien sûr a dû attirer pas mal de regards obliques. L’intérieur de la pochette est décoré de photos de scène édifiantes. Corey portait sur le ventre un immense tatouage ailé - comme Asia Argento - légendé Eat Me, et elle crachait du feu sur scène. Cet album n’a rien de révolutionnaire, mais il y a tout de même deux ou trois cuts qui sonnent bien les cloches, à commencer par l’effarant «Snake Eyes» qui cavale à travers les plaines et que Ruyter allume d’un coup de solo stoogien. Ils enchaînent avec un «You’re Going’ Down» digne de Motörhead et noyé de guitares. L’autre énormité cabalistique est le cut de fermeture, «Fried Chicken And Coffee» monté sur le heavy beat de rêve et de rage. Ils sont dans l’excellence du son et quasiment dans les Cramps. Ils visent l’apothéose - Stay out of my yard - Blaine chante à l’horreur profonde de la dégueulade sur le meilleur beat du monde et Ruyter rôde dans la fournaise avec des notes suspendues. Franchement, le spectacle vaut le détour. Ils tapent aussi une reprise du fameux «First I Look At The Purse», mais ça ne marche pas. Ils font pas mal de trash-punk d’énervement maximum sur ce disque, et Ruyter montre de belles dispositions à l’interventionnisme. Elle trouve toujours le moyen de venir se fondre dans la fournaise, ce qui fait d’elle une guitariste exceptionnelle. Au fil des morceaux, Blaine semble vouloir repousser les limites de l’explosivité, et il utilise tout ce dont il dispose, la colère, la bave, la rage, la vitesse, la folie, la brutalité. Ça barde.

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En l’an 2000, «High As Hell» s’annonce comme un disque brûlant. Au dos de la pochette, Corey Parks et Ruyter se pavanent sur un lit rouge en forme de cœur. On trouve une fantastique reprise de Rose Tatoo sur ce disque, le fameux «Rock’n’Roll Outlaw». Blaine le chante à la démesure du trash et en sort une version énorme et inspirée. Avec le morceau titre de l’album, on se croirait dans un épisode de Blueberry - Goodbye baby Go to hell - Mais le cut qui emporte la bouche, c’est le «Strutting Cock» d’ouverture, qui sonne comme le rock des vainqueurs, avec ses accords stoniens et la furie du Kentucky. Rien d’aussi dévastateur ! Le cut entre comme le char d’un empereur dans la ville conquise de nos émois pétrifiés. Qui peut s’opposer à ça ? Et Ruyter part en solo pour faire gicler la pulpe. Blaine chante «She’s Got The Drugs» au dégueulé et «Wrong Side Of The Gun» part sur un heavy sludge. Quand ils vont trop vite, ils perdent en efficacité, comme on le constate à l’écoute de «Piece Of Ass», une reprise de Rick Sims, un petit énervé du garage-punk américain qui jouait dans les Digits. On préfère les Nashville dans des choses comme «You Ain’t Right», car c’est battu tout droit par Jeremy, sans retour possible. Ces gens-là ne se retournent pas. Leur obsession est de foncer à travers la plaine en feu. Jeremy bat sec et dru, sans sourciller, alors le groupe fonce sans se poser de questions. Pas de fioritures. Blaine le blême porte sa croix, il est en short, pauvre Christ trash en route pour l’enfer, yeah !

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Belle pochette intérieure que celle de «Say Something Nasty», paru en 2002. Nos quatre amis n’ont pas l’air de rigoler. Et Ruyter tape à l’œil, avec son déhanché de rock star. Elle peut se le permettre, au moins chez elle, ce n’est pas de la frime. On l’a vue sur scène, c’est une vraie rock star. Avec le morceau titre, la machine infernale se met en route. Dans ce climat de belle violence, Ruyter glisse un beau solo liquide. C’est un très beau rock à guitares, celui qu’on écoute depuis cinquante ans. Les Nashville sont devenus l’épitome de nasty rock américain, une vraie bénédiction. C’est le son dont on rêve la nuit, surtout que Ruyter est bien devant dans le mix. L’autre merveille de cet album, c’est la reprise de «Rock ‘n’ Roll Hoochie Coo» du grand Johnny Winter. Reprise exceptionnelle, ils sont dessus, Blaine fait son Johnny avec une classe écœurante et il restitue toute la sauvagerie de cet albinos devant lequel se prosternaient les foules. Sur la plupart des morceaux, comme sur «Gonna Hitchhike...», c’est Ruyter qui fait le show avec ses solos dévastateurs. Elle dégringole des rivières de notes, mais de façon puissante et sans appel. Avec «You Give Drugs A Bad Name», ils partent au quart de tour sur des accords saccadés de blues. Ils se montrent merveilleusement efficaces. Avec «Keep On Fucking», ils passent au heavy boogie et Ruyter plonge dans la mélasse pour soloter comme une folle. Même chose avec «Keep Them Things Away From Me», ils reviennent avec un son qui donne le vertige, au meilleur gras et au chant hurleur, avec bien sûr un énorme solo de Ruyter à la clé. Et Blaine le blême screame comme un malheureux tombé dans les pattes de la Sainte Inquisition. Le hit de l’album est probablement «Let’s Get The Hell Outta Here». Ruyter fonce dans les fondements du cut dès l’intro. Elle a tout compris, la fouine. Elle taille son chemin dans les dynamiques du sous-bassement, juste en dessous du chant. Elle sonne comme un franc tireur et file comme le vent. C’est là que s’illustre le génie des Nashville Pussy, dans le gras de la couenne.

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C’est Daniel Rey qui produit «Get Some» en 2005. On se souvient de lui comme d’un bel amateur de gras (Dee Dee Ramone, les Misfits, D-Generation, Gluecifer et Joey Ramone, entre autres). Ouverture explosive avec «Pussy Time». Il faut bien dire qu’avec eux, on finit par être habitués à ce genre de procédé. La reprise de l’album, c’est «Nutbush City Limits» d’Ike & Tina Turner. Ils en font une version violente et hurlée. D’ailleurs, tout est violent et hurlé sur cet album, comme cet «Atlanta’s Still Burning». Franchement on se croirait dans Autant En Emporte le Vent, au plus rouge des combats - Atlanta had burned down to the ground/ Oh yeah ! - C’est du garage à la Blaine, sans fioritures. On se régale aussi de ce «Come On Come On» noyé de guitares dès l’intro, joué aux accords claqueurs de beignets, ça sonne comme les Stones, mais en mille fois plus virulent, bien sûr. Dans «Good Night For A Heart Attack», on assiste à une violente montée de température et Blaine bascule comme d’habitude dans les excès - I’m going to a drug fight/ I ain’t coming back - Dommage, ils ont beaucoup de cuts cousus de fil blanc et ils sonnent parfois comme AC/DC, ce qui est loin d’être un compliment. Heureusement que Ruyter la folle rôde dans les buissons. Ils jouent une autre reprise, le «Raisin’ Hell Again» de Scott H. Biram. Ils nous noient ça dans une grosse purée de slide, sur un drumbeat de dieu viking. Ruyter y fait un travail hallucinant.

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On sent une sorte de perte de vitesse avec «From Hell To Texas», enregistré en 2009. Si cet album reste dans les annales, c’est uniquement pour le dernier cut, «Gimme A Hit Before I Go» qui est un petit chef-d’œuvre de Stonesy - Wanna drown in the sweet/ Strench of success ah ah - Et Blaine n’en finit plus de décrire son état d’esprit jusqu’au-boutiste - I’d rather do drugs with world famous sluts/ I want the whole world to kiss my butt - Blaine Cartright ne fera jamais dans la dentelle, inutile d’espérer un miracle. On trouve aussi une belle apologie des drogues, «I’m So High», mais il ne peut pas s’empêcher de retomber dans le trash du Kentucky - I’m gonna get wasted in the stratosphere/ And take a shit on the moon - Il n’y a que Blaine pour rêver de chier sur la lune. Autre chanson intéressante : «The Late Great USA» : il y fait l’apologie d’Amsterdam et de Madrid, juste pour faire la différence avec la façon dont on est traité en Amérique. Et puis on se régalera aussi d’«Ain’t Your Business», bien claqué du beignet de crevette, ça plâtre sec au plafond à l’ancienne et ça gicle dans l’œil du cyclope.

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Sur «Up The Dosage» paru l’an dernier, on trouve de sacrés clins d’yeux aux Stones et notamment ce fabuleux «Before The Drugs Wear off», soutenu par un gros riffage et du bon vieux pounding hammerien - I got it all I got it all/ So let’s get it on/ Before the drugs wear off - En bonus, ils font une version attaquée à l’acou de cette petite merveille et Blaine chante comme un vieux pirate. On se régale du «Everybody’s Fault But Mine» d’ouverture qui est du pur jus de heavy blues à l’ancienne - Staggering up the montain - un son qui justement nous renvoie aux extraordinaires délires pachydermiques de Mountain. Voilà un cut de rêve, fabuleusement gras et heavy. Just perfect. Ils sortent à peu près la même purée avec «White And Loud». Petite chanson politique avec «The South’s Too Fat To Rise Again» : Blaine s’y moque des gros rednecks - Now we’re having heart attacks from tryin’ to wipe our ass - Ils font pas mal de garage punk, mais ça ne leur va pas bien. Le blues rock leur va bien mieux, comme on le constate à l’écoute du morceau titre de l’album - Gimme more/ gimme more - Blaine ne vit que pour les excès et Ruyter sonne comme Fast Eddie Clarke. Ils finissent avec «Pussy’s Not a Dirty Word», une énormité explosée à coups d’ouvertures interventionnistes combinées de Ruyter et de Blaine. Encore un couple infernal.

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Et ce film ? Idéal pour les inconditionnels. Sur le DVD «Live In Hollywood», on a une bonne heure trente de concert, du gros Nashville avec toutes les pointes de fièvre, mais ce qui fait le charme de ce DVD, ce sont les bonus, eux aussi copieux. Ça commence par des séquences filmées dans des backstages divers lors d’une tournée en France. On les voit faire une balance pour Canal + et on sent tout de suite l’infernale puissance du groupe. Ils tapent en effet dans «Come On Come On». Ruyter porte des lunettes de vue et un sweater gris à capuche, elle prend les deux premiers solos comme sur le disque, et Blaine le troisième. On la voit taper du pied. Elle aime ça, aucun doute là-dessus. Puis on les voit jouer en direct devant les caméras de Canal, et ils sonnent pareil. Ruyter porte un pantalon en vinyle noir et un petit haut noir. Dans une autre séquence filmée en Australie, on les voit sur scène avec Pete Wells de Rose Tattoo. Plus loin, on voit Blaine jammer et travailler des morceaux. Mais la séquence la plus fantastique arrive : Ruyter en studio avec Daniel Rey. On la voit jouer en re-re sur «Nutbush City Limit» et en comprend mieux pourquoi elle est la star du groupe. Elle joue en gras et en continu sur le beat de stomp. Daniel allume une clope pendant que Ruyter joue. Elle est exceptionnelle, colorée, inventive, bluesy. Et la petite cerise sur le gâteau, c’est l’interview de groupe par Lemmy dans le backstage à Hollywood. Extraordinaire séquence de concentré de tomate de mythe. À la fin, Lemmy serre la pince aux quatre Nashville mais Ruyter lui roule une pelle.



Signé : Cazengler, Nashville Poussif


Nashville Pussy. Le 106. Rouen (76). 10 mars 2016
Nine Pound Hammer. The Mud The Blood And The Beers. Crypt Records 1988
Nine Pound Hammer. Smokin’ Taters. Crypt Records 1991
Nine Pound Hammer. Hayseed Timebomb. Crypt Records 1994
Nine Pound Hammer. Kentucky Breakdown. Middle Class Pig Records 2004
Nine Pound Hammer. Mulebite Deluxe. Acetate Records 2005
Nine Pound Hammer. Sex Drugs & Bill Monroe. Buzzville Records 2007
Nashville Pussy. Let Them Eat Pussy. Amphetamine Reptile Records 1997
Nashville Pussy. High As Hell. TVT Records 2000
Nashville Pussy. Say Something Nasty. Artemis Records 2002
Nashville Pussy. Get Some. Spitfire Records 2005
Nashville Pussy. From Hell To Texas. SPC USA 2009
Nashville Pussy. Up The Dosage. SPV USA 2015
Nine Pound Hammer. Wanted. Country Classics.
Nashville Pussy. Live In rennes 1998. Booting The Bootleggers Volume 1. Singing Pig Records 2010
Nine Pound Hammer. Live In Berlin. Booting The Bootleggers Volume 2. Singing Pig Records 2012
Nashville Pussy. Live In Hollywood. DVD Steamhammer 2008
De gauche à droite sur l’illusse : Blaine Cartwright, Karen Cuda, Jeremy Thompson & Ruyter Suys.

 


BLUES
LES INCONTOURNABLES

( Editions Filpacchi / 1994 )

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Encore un mastodonte, format genre diplodocus qui vous oblige à relever le plafond de la maison. Mais quand on l'ouvre, l'on ne regrette pas. D'abord les photos pages de droite qui vous mangent les yeux. Pour la plupart sorties des archives de Jazz Magazine. Du blanc et noir de toute beauté. Ensuite le texte. Ou plutôt les textes car ils s'y sont mis à plusieurs : Philippe Bas-Raberin, Kurt More, Jacques Demêtre, Robert Sacré, Sébastien Danchin, Gérard Herzhaft, Frank Ténot, Véronique Mortaigne, Emmanuel Gimenez, Jean Buzelin, Jacques Périn, Alain Tomas, Francis Hofstein, Philippe Carles, Denis-Constant Martin, François Thomazeau, fines plumes et grands bretteurs qui au siècle dernier ( comme le temps passe ! ) ont été les pionniers des revues qui se sont battus pour introduire le blues, le jazz, et même le rock, en notre pays, en ses larges masses un tantinet réfractaires à ces musiques ensauvagées. Le lecteur assidu de KR'TNT ! se souviendra d'anciennes livraisons dans lesquelles nous avons chroniqué certains de leurs ouvrages. Pour les amateurs nous signalons que Les Incontournables sont une collection de prestige, ils retrouveront, entre un volume consacré au Jazz et un autre dédié à l'Opéra, un opus voué au Rock'n'roll. Qui ne m'est jamais tombé entre les mains, ce que je regrette.

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N'y a pas que le rock and roll dans la vie. Ici ça jase de blues. Très bellement. Christian Casoni qui chaque mois dresse dans Rock & Folk le portrait que nous qualifierons de littéraire d'un bluesman a dû s'inspirer du principe. Page de gauche : une évocation sur deux colonnes ( du temple ) d'une des principales figures du blues. L'exercice demande de la précision biographique et du style. Je vous laisse deviner ce qui prime. Ne soyez point béotien dans votre réponse.
Reste la grande difficulté : celle du rangement. Les Incontournables ont contourné la difficulté : ont adopté l'ordre alphabétique. De Texas Alexander à Jimmy Yancey. Pas de jaloux, pas de préséance. Facile de s'y retrouver. Nous avons vu lors de la recension de l'ouvrage Le Blues de Mike Evans comment celui-ci n'évite pas les circonvolutions historiales pour présenter son panorama chronologique. Mais ici l'on a fait l'impasse sur le rhythm and blues et l'on ne s'aventure guère dans la modernité, pas plus loin que Robert Cray, et en général l'on se cantonne aux états du Sud et à Chicago.
Pour le choix des artiste : y sont tous. Sauf ceux qui manquent. Votre outsider n'y sera pas. Tant pis pour vous. Gros lot de consolation : les essentiels connus moins célèbres sont là. Régal des yeux et de l'esprit. Qu'exiger de plus ?
Si la paresse vous étreint d'une poigne léthargique, pages 25-26, rentrez en contemplation devant la magnifique et inquiétante vue des méandres du Mississippi, le vecteur naturel du blues qu'ils disent en légende, ils ont raison, ce sera votre initiation au sortilège hypnotique de la musique du Diable. Vous comprendrez mieux les reptations du muddy crawlin' snake blues. Cette légère incertitude, cette claudication rythmique de la menace du destin qui alourdit votre fragilité existentielle.
Un livre pour rêver.


Damie Chad

 

SOUNDPAINTING

Un ami est venu passer trois jours à la maison. J'aurais dû le tuer. Non, je ne suis pas méchant. Le méritait. C'est un jazzeux. Tout de suite vous comprenez. J'ai été faible, je l'avoue. Je ne voulais pas non plus perdre mon temps précieux de rocker à éponger son sang impur dans les sillons de mon plancher. Mais en y réfléchissant, je me dis que c'était une injonction kantienne des plus morales. Je regrette. Ne serait-ce que pour l'édification des jeunes générations. Surtout qu'il s'est ouvertement moqué de moi, plié de rire sur le canapé, crachotant une marre de ricanements putrides de hyène. J'étais en train de parler d'un peintre - j'ai oublié le nom - qui réalisait des tableaux durant les concerts des bluesmen auxquels il assistait. Voulant lui en mettre plein la vue avec mes restes d'anglais de sixième lointaine je m'étais risqué à employer l'expression soundpainting ce qui à ma grande surprise avait déclenché son exaspérante hilarité. En plus je me suis enquillé sa professorale explication des plus techniques.

LE SOUNDPAINTING


Rien à voir avec la peinture. Ne vous encombrez de références malvenues style Picasso, Monet, Degas, Malevitch. Le soundpainting c'est un langage de signes pour des gens qui entendent parfaitement. Même que si vous avez l'oreille absolue, c'est encore mieux. Ne foncez pas sur une méthode assimil, il y aurait près de trois mille signes. Une chinoiserie sans fin. D'ailleurs ça peut se pratiquer avec une baguette, mais la main suffit.

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Vous avez eu la définition, vous explique le mode d'emploi. Réunissez quelques musiciens de jazz, une vingtaine par exemple, batteur, saxophonistes, trompettistes, tubas, pianiste... et même si aimez innover un joueur de castagnettes. Votre palette sonore est au garde à vous devant vous. Profitez-en pour les agoniser d'insultes, ce sont des jazzmen ne l'oubliez pas, afin de les galvaniser. Maintenant vous commencez votre tableau sonorisé. Chaque musicien, chaque sous-groupe de musicos, possède son signe d'appel. Vous écoute des doigts et de leurs deux yeux, vous leur demandez ce que vous voulez - par signes évidemment - toi le trompette une strette en fa mineur s'il te plaît et maintenant tous les cuivres, espèces de sagouins, modérato expansivo un nappé rutilant... Cela vous donne l'air idiot des transcripteurs des informations en langage de signes pour les malentendants à la télé, en contrepartie vous créez votre concerto à votre guise. Oeuvre collective, ( vous écrirez leur noms en minuscules illisibles sur la pochette ) les musiciens obéissent à vos injonctions digitales mais c'est leur inspiration qui décide de la phrase musicale qu'ils vont jouer, même si vous vous êtes mis d'accord au préalable sur un vieux standard connu de tous dont les harmonies de base limiteront de trop grands écarts.

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C'est un certain Walter Thompson qui inventa cette méthode en 1974 à Woodstock ( c'est fou tout ce qui s'est passé dans ce patelin paumé quand on y pense ), depuis elle s'est enrichie par l'adjonction d'autres arts comme la danse. En France c'est François Cotinaud ( voir KR'TNT ! 285 du 05 / 06 / 16 ) qui est le fer de lance de ce mouvement.
Faudra qu'un jour je réunisse les vingt meilleurs rock critics nationaux et je mènerai la première chronique rock en soundpainting de l'univers. D'office le Cat Zengler est désigné pour le titre et la signature finale. Prendra le stylo rouge fluo, celui qui se voit le plus.


Damie Chad.


NOUS, LES NEGRES

JAMES BALDWIN / MALCOLM X
MARTIN LUTHER KING
Entretiens avec KENNETH B. CLARK

( La Découverte / Poche : 2008 )

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Soixante-dix pages d'interviewes réalisées par Kenneth B. Clark pour la WGBH-TV chaîne éducative de Boston, entre mai et juin 1963, produites par Henry Morgenthan, comme il s'en explique en une trop courte notule en fin de volume, dans le cadre d'une émission intitulée : Le Noir et la promesse Américaine.
Ces contributions de trois des figures représentatives de la contestation noire furent réalisées entre deux moments importants, l'échec de l'entrevue d'une délégation comportant en son sein James Baldwin avec le Ministre de la Justice et la grande marche sur Washington DC du 28 août de la même année. Mais tout cela est précédé d'une préface d'Albert Memmi qui remet les pendules de la négritude à l'heure. L'a été rédigée en 2007, dix ans après aucun mot n'est à changer. L'esclavage, la ségrégation, la déplorable situation des couches populaires noires, c'est bien. Enfin manière de parler. Mais il ne faudrait pas que l'arbre des afro-américains cachât la forêt des afro-européens. Entendez par ce mot, les populations noires d' une Afrique dont les richesses sont confisquées par les multinationales, résultat de plusieurs siècles de colonisation. N'oublie pas non plus les vagues d'immigration en route vers l'Europe si peu accueillante. Loin de lui l'idée de s'apitoyer sur les pauvres petits gentils noirs tout blancs d'innocence. Dénonce et fustige sans pitié les gouvernements africains gangrénés par la corruption et leurs élites inféodées à la toute puissance du Capital. Ne s'agit pas de pleurnicher des larmes de crocodile pour soulager sa bonne conscience. Le problème n'est pas de constater l'ampleur des dégâts mais de s'opposer dans les faits à toutes ces oppressions.
Que faire ? Comment faire ? Exactement la problématique soulevée par ces trois interviewes. James Baldwin tient le rôle sympathique de l'intellectuel. Le gars compréhensif, aux idées avancées, prêt à discuter pour faire avancer le schmilblick. L'on peut certainement trouver un terrain d'entente. N'est-il pas un démocrate ? Oui, bien sûr. Mais Baldwin ne mâche pas ses mots. Il est trop tard. Les noirs attendent depuis trop longtemps, ils sont victimes de multiples violences, la liste des morts et des assassinats s'allonge sans cesse. Quand on lui demande de se positionner sur le radicalisme de Malcom X et la non-violence prônée par Luther King, il n'est pas plus enthousiaste envers l'un qu'avec l'autre. C'est la violence des blancs qui ont créé Malcolm X, et quant aux bondieuseries de Luther de moins en moins de noirs y croient... La mèche est allumée, il n'y a plus qu'à attendre l'explosion...

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Malcolm X est la froideur orientée. Répond avec précision. Sa vérité toute nue. L'est partisan d'une séparation complète. Les blancs d'un côté. Les noirs de l'autre. Accuse les blancs progressistes et les juifs de phagocyter les associations noires dans le but conscient ou inconscient d'empêcher l'identité noire de s'épanouir pleinement. Se revendique de la rigueur morale de l'Islam. Tout le contraire de Luther King qui se réclame de la non-violence sous-tendue d'humanisme chrétien. Cite Gandhi comme exemple et compte sur l'opinion publique mondiale pour faire céder les blancs.
Kenneth B. Clark ne contredit pas ses invités. Leur pose des questions destinées à exprimer leur position avec un maximum de clarté, Leur permet de retracer leurs parcours, d'expliciter leurs actes, et de préciser leurs idées. L'Histoire se chargera de répondre à sa manière à leur point de vue respectif. Malcolm X sera assassiné en 1965, Martin Luther King sera abattu en 1968, en 1970 James Baldwin sentant le danger se préciser s'installera en France...


Damie Chad

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P. S. : je finis cette courte chronique lorsque j'entends à la radio que la maison de James Baldwin à Saint-Paul de Vence a été rachetée par un promoteur pour construire sur son terrain des appartements de luxe... Des militants estiment que ce lieu chargé d'histoire aurait plutôt vocation à devenir un centre de réflexions axées sur les luttes de libération actuelles... Nous leur donnons raison.


MALCOLM X & ALEX HALEY
L'AUTOBIOGRAPHIE
de
MALCOLM X

( GRASSET / 1993 )

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Vaut mieux s'adresser à Satan qu'à ses diablotins. Généralement quand on aborde le cas Malcolm X, soit votre votre interlocuteur expédie le problème d'une pichenette intellectuelle, parlons d'un sujet un peu plus sérieux s'il vous plaît, soit le visage se ferme et vous sentez que votre vis-à-vis a bien un avis positif sur le personnage mais qu'il ne veut pas vous le donner, craignant de froisser vos susceptibilités politiques.
L'est sûr que Malcolm X n'a jamais fait dans la dentelle. N'avait pas des opinions tranchées, mais des certitudes aussi tranchantes qu'une hache d'abordage. En plus, l'a eu la mauvaise idée de périr sous les balles de ses assassins à l'âge de trente-neuf ans alors qu'il abordait une mue intellectuelle des plus intéressantes comme l'explique Daniel Guérin dans une assez longue préface.
Cette autobiographie que Malcolm a dictée à Alex Haley est divisée comme la Gaule de Jules César en grande partie, trois tronçons d'un chemin de vie dont la signifiance finale échappera en partie à son auteur.


ENFANCE

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La première moitié du volume est des plus classiques. Corrobore toutes les biographies qui nous retracent la jeunesse d'artistes et d'écrivains noirs américains nés dans la troisième décennie du vingtième siècle. Nous pouvons les résumer en deux mots, misère et racisme. Et violence. Le père de Malcolm Little est un pasteur adepte des thèses de Marcus Garvey qui prônait le retour des Noirs en Afrique, tient des réunions secrètes dans des appartements privés, le petit Malcolm y assiste parfois... Idées jusqu'au boutistes et séditieuses qui ne plaisent pas à tout le monde. Le Klu Klux Klan le menacera de très près avec toute la panoplie des torches et des cagoules. Lorsque l'on retrouvera le père de Malcolm la tête réduite en bouillie et le corps méchamment entaillé par le tramway qui lui est passé dessus, les soupçons se porteront plutôt sur la Légion Noire - organisation raciale et suprématiste blanche - que sur le KKK... Pas d'enquête, la compagnie d'assurance statuera sur un suicide.... Malcolm prétend que ce sont des noirs partisans de l'intégration lente de leur communauté parmi les blancs qui auraient révélé à la Légion Noire le comportement politiquement incorrect de son père.

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Tout son enfance et toute son adolescence seront confrontées à la pitié des blancs. Les assistantes sociales qui viennent au secours de cette veuve éplorée mère de huit enfants et qui sous prétexte d'aider placent un à un les rjetons chez des familles qui au moins les nourriront à leur faim... La mère effondrée finira à l'asile...
La suite ne ressemble guère à du Zola, Malcolm est un élève doué, le seul noir de sa classe, les dépasse tous par sa taille et son intelligence, l'est un peu la mascotte de son école, le gentil petit nigger que tout le monde apprécie. Premier désenchantement, un professeur qui lui conseille de viser la profession de menuisier plutôt que celle d'avocat. Sera désormais le pitre doué qui ridiculise les profs ce qui lui vaudra la maison de redressement. Où tout se passera pour le mieux. Le bon garçon qui devient le chouchou de la directrice et de son mari. Pas du tout des tortionnaires. De la discipline, mais l'endroit a un peu l'esprit d'une pension de famille quasi-débonnaire. Malcolm a pour la première fois l'occasion de côtoyer des blancs. Ne sont pas méchants, mais leur opinion sur les noirs est sans appel : des espèces de sous-hommes qui ne sauraient se débrouiller tout seuls, ont besoin de l'attentive compassion des blancs pour marcher droits. De grands enfants.

JEUNESSE

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A seize ans se retrouve à Boston chez sa demi-soeur Ella. C'est le moment de gagner sa vie : emploi dans une compagnie de chemin de fer, petits trafics en tous genres, une histoire de fesse qui tourne mal et le voici en 1943 à New York. Une place de cireur de chaussures au Lindy Hop NightClub. Boulot que vous trouvez peu ragoûtant ? Erreur sur toute la ligne. Duke Ellington, Count Basie, Lionnel Hampton, Cootie Williams, Jimmy Lunceford, Johnny Hodges, sont régulièrement au programme. Et puis tous les à-côtés, les pourboires, les billets pour les services rendus : cigarettes de marijuana, petits billets de rendez-vous coquins à remettre en mains sûres, adresse d'établissements spécialisés à glisser au creux de l'oreille... Durant ces années new yorkaises Malcolm s'initie à l'autre face cachée de la ségrégation, les blancs qui baisent les prostituées noires et les gentes dames blanches insatiables à la recherche d'étalons noirs... Révélation de l'hypocrisie sociale. Se fait beaucoup d'argent, boit, fume - tabac et marijuana - le luxe d'une copine blanche, et pour assurer les fins de mois quelques cambriolages avec une bandes de potes.

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Ces cinq années de fêtes incessantes se termineront brutalement : tombe stupidement dans un guet-apens tendu par la police chez un bijoutier chez qui il a déposé une belle montre volée pour réparation... Verdict sans appel : dix ans de prison. Aura droit à une remise de peine de trois ans mais ce n'est pas le même homme qui en ressortira.

MILITANT MUSULMAN


Cure de désintoxication, par la force des choses. Se met à lire, à éplucher un dictionnaire et se réapprend à écrire, à maîtriser sa syntaxe. Lui qui a toujours été un beau parleur, goûte les vertus du silence propice à d'intenses réflexions. Ses frères lui ont rendu visite. Ont eu une jeunesse plus sage que la sienne, sont devenus des adeptes d'Elijah Muhammad, dont ils lui laissent quelques brochures. Malcolm intrigué lui écrit et Elijah Muhammad lui répond. Malcolm est subjugué, comment cet homme si important peut-il manifester son intérêt pour un petit délinquant comme lui ? La correspondance ne cessera plus.
L'ennui et la solitude peuvent suffire à expliquer l'improbable. Malcolm a été élevé dans un milieu religieux, le christianisme a été depuis les débuts de l'esclavage une des colonnes vertébrales sur laquelle s'est réalisée une partie de l'identité des communautés noires. Mais cet aspect ne viendra qu'en deuxième position : ce qui l'enchante dans les écrits d' Elijah Muhammad réside en l'implacable analyse effectuée par celui-ci sur les rapports entre noirs et les blancs. En quatre siècles, rien n'a vraiment changé, toutes les évolutions présentées comme des bonds qualitatifs historiques par les blancs ne sont que des leurres. De belles idées en trompe l'oeil sur le papier que la réalité de la situation dément instantanément. Ce sera le cheval de bataille de Malcolm lorsqu'il deviendra le bras droit de Muhammad. L'est un tribun au discours implacable. Les blancs sont des diables, il est inutile de leur courir après. Malcolm en veut particulièrement aux élites noires embourgeoisées qui ont perdu tous les attributs mentaux de leur race. C'est à ces traîtres qu'il réserve ses flèches les plus acerbes.

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L'islamisme de Muhammad permet de se démarquer totalement de la communauté blanche. Il modélise par ses obligations et interdits moraux - no sex, pas d'alcool, pas de tabac, s'instruire, consommer noir, bien s'habiller - une régénération de la race noire. Dans les années soixante-dix le mouvement chrétien des re-born n'est pas très éloigné de tels comportements. S'agit d'opérer une révolution intérieure pour s'isoler de la chienlit morale environnante et pour opérer une coupure radicale avec son passé.
Malcolm Little a pris le nom de Malcolm X comme le préconisait son organisation pour ses adhérents. Cette revendication de l'anonymat du X est un rappel que les noirs portent des patronymes qui ne sont pas les leurs, qui leur ont été imposés par les maîtres blancs pour éviter tout rappel malencontreux de leurs provenances africaines.
Durant quatorze ans Malcolm se démène pour faire progresser le mouvement des Black Muslims, en est la figure de proue. De quatre mille adeptes le mouvement passera à quatre cent mille sympathisants, les violentes attaques dont l'organisation est victime dans les médias lui procurent une énorme publicité parmi les couches les plus défavorisées de la population. Malcolm dit tout haut ce qu'elles sont incapables de formuler avec clarté.

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Les Black Muslims sont des séparatistes, rêvent d'un territoire sur le sol américain qui leur permettrait de couper tous liens avec les blancs détestés. Ne plus se mêler avec les Diables Blancs devient leur obsession. Se referment sur eux-mêmes comme un oeuf à la coquille incassable. L'adhésion fonctionne comme une coque de protection qui vous permet de vous couper du monde extérieur. Une île qui possède ses garde-côtes. Qui ne servent pas à grand-chose en vient à juger Malcolm. Des milices d'auto-défense nommées Fruit on Islam chargées de protéger les cadres de l'organisation et ses manifestations. Mais en attendant, c'est le mouvement non-violent de Martin Luther King qui mène des actions décisives et qui subit les exactions les plus brutales de la police. Etat de fait d'autant plus insupportable que de nombreux blancs de bonne volonté participent à ses marches de protestation.
Malcolm se trouve pris entre une redoutable contradiction, lui qui hait les blancs, qui déclare haut et fort que tout blanc qui entre dans une organisation noire la corrompt, pense que les Black Muslims devraient s'engager en des confrontations violentes avec les forces de répression. Des révélations sur les amours illicites d'Elijah Muhammad avec ses secrétaires l'incitent à remettre en question la personnalité sacrée du guide suprême... Finira par être exclu de l'organisation.

ULTIMES METAMORPHOSES

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Malcolm est une figure charismatique. L'on attend de lui des directives précises. En son fort intérieur il hésite. Le mouvement qu'il essaie de créer ne mord pas sur les masses. Pour se mettre au clair avec lui-même il participe au pèlerinage de la Mecque. Prend la grande claque de sa vie : les fidèles sont de toutes les races : des blancs, des jaunes, des noirs, tous unis. Tous des êtres humains. Lorsqu'il rentrera il amendera ses principes de base reconnaissant que tous les blancs d'Amérique ne sont pas des ennemis. Sont aussi sincères que lui lorsqu'ils dénoncent le racisme. L'a profité de son voyage pour circuler en Afrique, l'est reçu par de nombreux chefs d'état comme Nasser. Se rend compte que la lutte des noirs américains n'est qu'un sous-ensemble d'un mouvement de revendications économico-politiques qui parcourt la planète. Le monde connaît alors l'acmé du mouvement tiers-mondiste anti-colonialiste.

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Son cerveau est en ébullition, l'aspect religieux passe au second plat, se dirige vers un nationalisme noir qui ne serait plus un cocon protectif. Sent qu'il faut déployer celui-ci dans la réalité nationale américaine. Dans sa préface Daniel Guérin affirme que l'étape suivante aurait été celle d'une affirmation d'un combat de lutte de classes révolutionnaire. Nous ne le saurons jamais. Des cocktails molotov sont lancés dans l'appartement familial de Malcolm. pas de dégâts humains, dans un premier temps il accuse l'organisation des Black Muslim. Mais bientôt il pense que le danger vient d'ailleurs. A la prescience de sa fin prochaine. Sera abattu de quinze balles dans un meeting par deux tireurs noirs. L'on ne saura jamais qui étaient les commanditaires. Mais l'on connaît les méthodes de manipulation et d'élimination du FBI et de la CIA...


INTERROGATIONS

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Que reste-t-il aujourd'hui de Malcolm X ? Le souvenir d'un homme engagé. Qui n'a jamais hésité à indiquer clairement qui étaient ses ennemis. L'était comme le Seigneur, recrachait les tièdes, préféraient les racistes à la Goldwater qui affichaient leurs idées et volitions raciales sans complexe. Rappelait qu'il n'avait jamais mis les pieds dans les Etats du Sud et qu'il était un américain des Etats du Nord dont il dénonçait avec une extrême virulence l'hypocrisie de leur anti-racisme théorique...
La fascination et l'adhésion dont il fit preuve envers l'islam nous interroge particulièrement quand l'on pense à cet islamisme radical qui embrase les pays du Moyen-Orient et qui ne laisse pas insensible toute une portion non-négligeable de la jeunesse des cités européennes. Il y a sûrement des enseignements à tirer sur cette évidence d'une colère sociale qui se structure selon un radicalisme religieux. Cette constatation étrange aussi que Malcolm fut abattu alors qu'il se rapprochait d'un mode de pensée plus purement politique.
Reste à savoir ce que le mouvement noir américain fera de la figure de Malcolm X dans les années prochaines.

Damie Chad.


IL FAUT RENTRER MAINTENANT
EDDY MITCHELL
avec DIDIER VARROD.


( Editions de La Martinière / 2012 )

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J'ai longtemps été fan d'Eddy Mitchell. Mes années collège surtout. Trente kilomètres en stop pour mon premier concert à Tarascon. En Ariège. En 1968. Deux mille personnes, facile de me reconnaître, dans la bande des quarante excités tellement agités que le public avait organisé un prudent no man's land autour de nous. J'en garde le souvenir d'Eddy sirotant un jus d'orange pendant le solo de J'avais deux amis. Deux ans plus tard j'ai remis le couvert. Ce devait être à Saint Cyprien au bord de la Mare Nostrum. Vous ne pouvez pas ne pas me voir, tout devant de la photo de fausse une de l'Indépendant qui couvre toute la page. Grandiose ! Des milliers de participants. A part qu'aux premiers rangs nous étions près de cinq cents. Une ambiance délirante. Je ne vous raconte pas l'orga débordée qui interrompt Eddy au bout d'une minutes et qui menace d'annuler le concert si nous ne nous calmons pas... Nous étions jeunes et fous. Quarante ans après, toujours aussi jeunes du ciboulot et encore plus fous de rock.
J'aimais bien ses titre rentre-dedans du genre Si tu n'étais pas mon frère je crois bien que je t'aurais tué ou alors ces diatribes à l'emporte pièce contre la religion chrétienne. Puis le père Eddy a doucettement évolué comme on dit pour ne pas employer le verbe régresser. Ai fait l'impasse sur ces insupportables face B blues du blanc déconnecté du blues, l'a adopté en filigrane de ses morceaux un ton désabusé un peu inquiétant. Etait-ce le vieillissement de la trentaine qui s'annonçait ou ce que les esprits pondérés appellent le début de la sagesse ? J'ai longtemps acheté ses disques plus par fidélité à moi-même qu'à Eddy. J'ai définitivement stoppé lorsqu'il a sorti son double CD de génériques de films, d'une tristesse glaçante.

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Mais lorsque Mister B m'a proposé le bouquin, je n'ai pas dit non. Pas un véritable livre, une série d'interviewes réalisées par Didier Varrod entre 2010 et 2012. S'achève juste après les adieux... Un coriace le grand Schmall. Ne se livre guère. L'on n'apprend que ce que l'on connaissait déjà. Toutes ces anecdotes qu'il a déjà racontées mille fois à la radio. Ce n'est pas de la mauvaise volonté de sa part. Un trait typique de son caractère. Ce qui est fait est fait et il est inutile d'y revenir dessus. L'homme n'a pas d'état d'âme. Ne larmoie pas sur ses regrets. Déteste se vanter. Se préserve des médias, participe le moins possible aux hypocrites comédies de la promotion à tous vents. Est sûr de lui, a la fierté d'assumer sa carrière, l'on sent le gars insensible aux critiques et peu enclin à céder à la fumée des louanges extatiques. Reconnaît ses concessions, les pubs qui comblent les déficits, les tournées dans les pays de l'Est qui remplissent le porte-feuille... Parle un peu avec émotion de ses parents et très peu de sa femme et de ses enfants. Attitude de français moyen, protège sa famille, paie ses impôts sans se plaindre ( ce qui est plus rare ), essaie de bien faire son boulot, et tient un discours sans pitié pour nos élites politiques. Pas un extrémiste, ni un rebelle, quelqu'un qui louvoie avec le Système tout en essayant de garder les mains propres... Refuse de se plaindre, l'a eu un cancer qu'il a terrassé et une vie supérieure à la moyenne de ses concitoyens. L'en est conscient. A tracé une ligne de démarcation - avec points de passage inévitables - entre l'intime personnalité de Claude Moine et le personnage public d'Eddy Mitchell.

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Ne regarde point en arrière, se tourne vers son présent. Evoque longuement cette seconde carrière d'acteur de cinéma qui prend le dessus sur celle de chanteur. Sur ce coup-là Eddy m'a beaucoup déçu, lui le passionné de pellicules américaines joue dans cet insupportable cinéma franchouillard qui m'a toujours débecté... Question musique, pas trop à se mettre sous la canine. Ses prédilections premières pour Bill Haley et Gene Vincent. Insiste sur son amitié avec Johnny Hallyday et Coluche, raconte les quatre opérations successives que Claude François infligea à son nez trop long. C'est en cet épisode, et pratiquement pour la seule fois, que l'on a droit à ses saillies ( nasales ) si particulières de son humour pince-sans-rire et coupe-court qui forment d'habitude le fond de ses interventions radiophoniques et télévisées.
Le plus passionnant du livre reste cette confidence de Quinn Ivy, fauché comme les blés, qui réunit ses derniers dollars et envoie sa femme travailler afin de payer les séances studio d'un chanteur noir rencontré dans un bar. Un célèbre inconnu qu'il va coacher car sa chanson : When a Man Loves a Woman lui semble prometteuse. La proposera à Atlantic pour la mettre sur le marché. Jusque là tout va très bien quand survient cette révélation extraordinaire, lui qui a pris tous les risques financier pour Percy Sledge ne l'a jamais laissé entrer chez lui. Un noir invité chez les blancs ? Ne poussez pas la mémé dans les orties !

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Honnête et travailleur. Pas de sexe. Pas de drogue. Très peu de rock. L'a arrêté l'alcool et tente de ne plus fumer. Une vie phantasmatiquement peu rock and roll. No mytho-destroy. Les pieds fermement enfoncés dans le goudron des mentalités prolétaires peu sensibles aux sirènes des conduites à risque. N'est pas James Dean, ne vit pas trop vite. Et mourra vieux. Ne nous donne pas envie de rêver. Mais ferons-nous mieux ?


Damie Chad.