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11/12/2019

KR'TNT ! 442 : JACKETS / DON CAVALLI / MIKE FANTOM AND THE BOP-A-TONES / BILL HALEY / SYVIE & JOHNNY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 442

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

12 / 12 / 2019

 

JACKETS / DON CAVALLI

MIKE FANTOM & THE BOP - A - TONES

ROCK'N ROLL STORIES / JOHNNY ET SYLVIE

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Jackets of all trades

 

Vous vous souciez de l’avenir du garage ? Rassurez-vous, il est entre de bonnes mains. Jackie Jacket et ses deux jackpotes veillent au grain. Ils veillent d’autant mieux au grain qu’ils savent s’entourer : au dos de la pochette de leur quatrième album, Queen Of The Pill, on lit les noms de Beat-Man, de King Khan et de Jim Diamond. Bloody hell ! On ne pourrait pas concevoir meilleure crème de la crème du gratin dauphinois. On parle ici d’une nouvelle aristocratie du rock underground, ancrée dans l’axe Berlin/Berne, réplique de ce que fut l’aristocratie rock du Swingin’ London, telle que l’incarnèrent Keef Richards, Ginger Baker, Jeff Beck et Rod The Mod avec leurs drogues, leurs bijoux, leurs fast cars et leur belles gonzesses.

Entre ce nouvel album des Jackets et leur réapparition sur scène, on ne sait plus où donner de la tête. Comme dirait la môme Piaf à propos de Jackie Jacket, «tu me fais tourner la tête/ Mon manège à moi c’est toi», oui sur scène, elle n’arrête pas, elle fait tout à l’énergie brute et riffe à bras raccourcis. Elle sur-joue son sur-jeu, elle trépigne et elle hennit, elle prend un malin plaisir à démarrer ses cuts en fuzz-scuzz avant de foncer à travers la plaine en mode slash-and-burn pour aller trébucher fabuleusement, histoire de partir en piqué de Stuka. Live, le «Dreamer» d’ouverture de bal d’A atteint un volume énorme, elle le prend de haut, de très haut et injecte son pathos à la Louise Brooks dans un yeah yeah qui se répand à l’aube de l’aune - Hey little dreamer - ça sonne comme un classique, et ce beau riff se promène à la surface du cut comme une scie de l’ancien régime. Ils tapent très vite dans le «Be Myself» de fin de B, dommage qu’elle n’ait pas sur scène les chœurs d’artichauts berlinois - Do you wanna/ Be my tool - Ce démon de King Khan fait la pluie et le beau temps sur l’album, notamment dans «What About You». Samuel Schmidiger l’embarque au bassmatic jumpy et Jackie Jacket chante sous le couvert jusqu’au moment où ce démon de King Khan vient guester pour un couplet qu’il se met à shaker comme un King. Sur scène, les Jackets exploitent toutes les possibilités que peut offrir la triangulation et ne tombent jamais en panne d’éclairs ni d’interactions. Au contraire, ils montrent que les possibilités sont infinies, pour eux c’est même une évidence, leur abnégation donne le vertige, ils retrouvent une sorte d’innocence originelle, celle dont pouvaient se prévaloir les jeunes loups des early sixties, lorsque ne comptaient que le plaisir de jouer, les poussées de fièvre et les déjections coïtales. Les Jackets, c’est ça, le raw to the bone du plaisir de jouer. Jackie Jacket doit parfois retrouver une certaine forme de stabilité pour chanter, mais aussitôt la fin de couplet, elle bondit et passe des killer solo flash d’antho à Toto, ceux dont on peut se goinfrer jusqu’à la fin des temps sans jamais risquer l’overdose. Elle est le temps du set la reine d’un petit monde afficionadiste. On voit toutes les têtes bouger en rythme, alors ça la galvanise et elle met le turbo dans une riffalama déjà bien énervée. Dans les très bons concerts, les circulations de flux entre la scène et le public sont palpables. Jackie Jacket ne fait pas semblant. Elle se donne à fond. Elle y croit dur comme fer et se transforme en géante. Elle réussit même à allumer le «Steam Queen» qu’on trouve sur Queen Of The Pill. Elle tient son garage par la barbichette, elle semble passer ses solos entre deux eaux et plante son regard dans ceux des méduses échouées au premier rang. Le set dure une bonne heure et ne s’accorde aucun répit. Il se pourrait bien que ce soit le public qui transpire, et non les musiciens. Le clou du spectacle est cette terrifiante reprise du «Hang Up» des Wailers. Jackie Jacket ne pouvait pas faire de meilleur choix que de prêter allégeance aux Wailers qui incarnèrent jadis avec les Sonics le wild Sonic Boom du Pacific Northwest.

On les vit une première fois au Cosmic en 2013. What a révélation ! Ce n’est pas Jackie Jacket qu’on vit arriver sur la petite scène du Jungle Room, mais Loulou de Pabst avec une couette à la verticale sur le haut du crâne et le maquillage d’Alice Cooper (ou d’Hank Von Helvete, au choix), encadrée de deux mecs. Elle chantait avec une hargne édifiante et son bassman jouait en mélodie avec un son bien gras du bide. On aurait pu se croire dans un pub de Londres en 1964. Loulou termina son couplet et soudain, elle disparut - Freak out wouaaaah it’s the only way out ! - Il fallut vite fendre la foule pour aller voir ce qu’elle était devenue. Elle se tortillait au sol pour jouer un solo de pure frenzy, les pattes en l’air. Elle avait tout pigé. Ceux qui virent les Them au Maritime Hotel de Belfast en 1964 durent ressentir exactement la même chose. Il n’existe rien d’aussi jouissif que la sauvagerie scénique. Johnny Burnette et Jackie Jacket, même combat. Indomptable ! Du genre qui s’en va hennir dans la prairie.

Trois ans plus tard, ils sont revenus jouer au même endroit, dans la Jungle Room. Tant mieux, car la salle est plus petite et le son plus ramassé. On les retrouvait tous les trois, bien rassemblés autour de ce lanceur de cuts patenté qu’est le drummer Chris Rosales. Cet Américain expatrié en Suisse mit pendant quelques temps son talent au service du bon Reverend Beat-Man.

Et pouf, ça partait en garage blast, avec une Jackie Loulou en forme olympique. Incroyablement légère et vivace, elle dansait en grattant sa petite guitare jaune. Elle ne portait que du noir et passait ses accords avec une classe indécente, pendant que Samuel Schmidiger montait au créneau pour les chœurs. Ah quelle équipe ! Elle s’amusait déjà à fixer les gens entassés au pied de la petite scène. Ils jouaient ce petit garage féroce et bien en place qu’on retrouve sur leurs quatre albums. Ils incarnaient alors l’avenir du genre. Ils mettaient un point d’honneur à soigner leur virulence. Ils proposaient un garage bien claqué du beignet et baigné dans son jus, rondement mené, sans frime, sans filler. Jackie Jacket montait parfois sa voix comme une sorte de Siouxie éperdue mais elle mettait tellement d’influx dans son blast qu’elle balayait tous les soupçons. On attendait tous le moment fatidique : le solo pattes en l’air. Et pouf, elle tombait enfin sur le dos et pédalait à l’envers en claquant son killer kling-a-klong ! Magnifico ! Elle mettait l’assistance en transe, elle nous shootait une belle dose de spectacle. Le public adore voir les guitaristes se rouler par terre.

Les Jackets s’appuient désormais sur un beau parcours discographique. De la même façon que Queen Of The Pill, leur troisième album intitulé Shadows Of Sound est sorti sur le label du bon Reverend Beat-Man, Voodoo Rhythm. Ça commence mal : Jackie chante son « Don’t Turn Yourself In » à l’insidieuse et remplit son garage de sale petite fuzz. Question son, elle a tout compris, comme Thee Headcoatees voici vingt ans : il faut appuyer sur le bouton pour faire gicler le pus. Ça marche ainsi depuis la nuit des temps. Encore de la belle fuzz dans « At The Go Go ». Ses élans moites se frottent aux résurgences. C’est admirable de râpeuse perversité. Elle encrasse aussi « Keep Yourself Alive » de fuzz, mais chante d’une voix un peu trop docte, à l’Allemande, c’est-à-dire d’une voix glaciale un peu hautaine qui n’est pas sans rappeler celle de Nico. En B, ça chauffe avec des trucs comme « Wheels Of Time », un jerk monté en épingle. Elle trouve enfin sa voix sans « You Better » et paf, on prend une giclée de fuzz dans l’œil. Voilà ce qui arrive quand on s’occupe de ce qui ne nous regarde pas. Elle mène son bal de la dérive, fait des brrrrr et part en vrille de stash. Dans ce mid-tempo bardé d’avantages qu’est « Hands Off Me », elle dit à un mec bas les pattes. Elle sait placer un solo, la garce. Elle termine avec l’excellent morceau titre et chante avec de faux airs de Grace Slick, ou de qui on voudra, après tout on s’en bat l’œil.

L’album précédent s’appelait Way Out. On y trouvait quelques belles énormités fumantes, comme le fameux « Freak Out » qu’ils jouaient sur scène en 2013. Elle le tire à la force du poignet, car c’est du garage gros popotin, bien lesté de basse. Jackie Jacket screame plutôt bien et elle semble à l’aise dans le gros boogaloo - Freak out is the only way out - Ça sonne comme un leitmotiv constructiviste. S’ensuivent quelques cuts très moyens qui font douter les pèlerins et puis soudain, la machine semble se remettre en route avec « You Said ». On y sent bien la partance de la véhémence et l’exégèse de la paragenèse. Voilà un garage fuzz digne des meilleurs jukes du lac Léman. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio du fameux « Hang Up » des Wailers. C’est exactement le même principe que l’« I Can Only Give You Everything » des Them : la fuzz impose sa loi, bien vicelarde et bien lancinante. En B, on tombe sur un « In My Mind » bien sautillé à l’accord et tapé au petit riff persistant. Mais ce qui fait le charme du cut, c’est le minuscule filet de bave fuzz qui coule et qui sert de solo. Fameux ! C’est avec ce genre de trouvaille qu’ils font la différence. Ils semblent aussi vouloir rendre hommage aux Seeds avec « Oh Baby » car on y entend les petits accords légers bien connus des Seedomaniacs. Tiens, encore un perle avec « Falling Girl », fantastiquement balancé aux couplets de chœurs d’artichauts. Comme c’est bien ficelé ! « Last Chance » qui est le dernier cut vaut largement le détour : elle y fait sa folle, sa fauve, sa reine du garage et ça s’emballe pour de vrai. On a là un gros classique chanté à la liberté de ton et elle finit à la clé d’apothéose, sous le soleil de Satan.

Il se pourrait bien que leur premier album, Stuck Inside soit le meilleur des quatre. Jackie Jacket y taille une bavette à la serpe dans le mythique « Demolition Girl » des Saints. Elle jette tout son dévolu dans la balance. Sacré courage, car elle tape vraiment dans l’intapable - That’s what I say ! - On trouve sur ce disque trois beaux classiques garage, à commencer par « Get Back With You », impérieux, joué au riffing traditionnel avec des chœurs masculins bien sentis. Restons dans le garage de sang et de larmes avec « Traitor ». C’est là que naît leur extraordinaire balistique cabalistique, cette fantastique exhalaison riffique qui finit par les caractériser. Jackie Jacket prend un solo en franc-tireur et remonte à la note de gamme pour créer la lueur d’incendie. On sent qu’elle a écouté Johnny Thunders et le MC5. Les Jackets sont déjà terriblement bons - I can’t stand it no more yeah yeah yeah - Et puis voilà « Escape », bardé d’accords exponentiels. Jackie Jacket entre à la fine fleur d’excellence, elle cherche le Graal du gras et transforme le riff en or comme un Pic de la Mirandole des temps modernes. Quel sens aigu de la transmute ! Elle explose le garage c’mon avec des brrrr de lippe ! Fab Fab Fabulous ! D’autres cuts titillent bien l’occiput, comme par exemple « Running », gratté au raw to the bone, belle passade de rhythmalama fa fa fa et de yeah yeah yeah, c’est nerveux, excitant, ah la bourrique, elle sait partir sans prévenir, exactement comme Wild Billy Childish, c’est fin, viandu, tapé derrière par l’infernal Chris Rosales - Get outta my way ! - Elle est dessus et maintient une tension vocale impressionnante. Elle enchaîne avec un « Got No Time » digne des Standells, oui, car elle gratte les accords de « Good Guys Don’t Wear White », et tant mieux. Encore une merveille avec « Out Of My Head » et sa violence déterminée. Jackie Jacket travaille à l’escarmouche et c’est vraiment battu à la soudarde, sans aucune moralité. Vilain cut guerroyé à l’axe et gratté mauvais.

Signé : Cazengler, Jaquéquette

Jackets. L’Abordage. Évreux (27). 28 novembre 2019

Jackets. Stuck Inside. Subversiv Records 2009

Jackets. Way Out. Sound Flat Records 2012

Jackets. Shadows Of Sound. Voodoo Rhythm Records 2015

Jackets. Queen Of The Pill. Voodoo Rhythm 2019

Un bon Cavalli n’est jamais le dernier

- Part Two

 

Le nouvel album de Don Cavalli arrive quelques mois après la bataille. Enregistré et mixé en avril dernier, il aurait pu se vendre au Rétro. Et même bien se vendre. Cet été, beaucoup de gens ont fait le déplacement pour voir Don Cavalli sur scène. L’album qui vient tout juste de paraître s’appelle Banjara et ne propose que six titres. Don Cavalli y calme le jeu. Il chevauche en père peinard dans sa Sierra Banjara au son d’un beau gratté d’exotica. I ain’t gonna hide, chante-t-il dans le morceau titre, il a raison, ça ne sert à rien de vouloir se planquer. S’ensuit ce qu’il faut bien appeler un coup de maître : «The Fall (Of The Roman Empire)», un joli balladif dedicated to the followers of the motion. Don Cavalli y développe un fabuleux sens de l’espace, il fait ici une sorte d’Americana miraculeuse qu’il vient claquer au gimmick dans les encoignures. Ce Fall sonne comme une merveille palpitante. Un «Girl At The Drugstore» gratté au deep de deep avec un son sourd comme un pot boucle l’A. Don Cavalli, c’est Hopalong Cassidy avec une guitare en bois, le menton pointé vers l’avenir, il chante à la petite véhémence et gratte sa dentelle d’arpeggio du Montana. Just perfect ! Vous trouverez certainement la B moins spectaculaire. Il y joue son shake d’«Ann-Doo-Wee» aux percus de cabanon. Ah ça gratte sous le poncho. Nous voilà dans un western, même s’il passe au gospel d’église en bois avec «I’m Gonna Shout». Il termine ce bel exercice de style banjarien avec un «Sunny Side Of The Mountain» qui n’est pas sans rappeler le voyage de retour du Desperado, cet appel à la raison lancé au soir d’une vie - Desperado oh you ain’t gettin’ no younger - Il est temps de rentrer à la maison - Come down to your fences and open the gate, chantait le veux Cash à l’article de la mort. Comme le fit jadis le vieux Cash, Don Cavalli tape dans les profondeurs du feeling pour enchanter son Sunny Side.

S’il faut saluer bien bas un album de Don Cavalli, c’est évidemment The Pharoah. Cet étrange objet paru sous la forme d’un double 25 cm en 1999 fit paraît-il sensation à Londres, parmi les amateurs éclairés. Hélas, mille fois hélas, l’objet est devenu inabordable. Pour l’écouter, il faut soit le télécharger, soit se le faire prêter. C’est l’un des meilleurs albums de rockab jamais enregistrés. Histoire de bien donner le La, Don Cavalli démarre en trombe avec une reprise de Charlie Feathers, «Let’s Live A Little». Il ramène tous les petits jets de junk et hiccuppe à gogo. Il enchâsse son rockab avec une niaque épouvantable. Dans le morceau titre, il fait rimer bingo avec Cairo, il swingue sa chique comme un real cool cat et passe un solo des enfers les deux doigts dans le nez. On trouve très vite un coup de génie en fin d’A : «Money In My Shoe». Ce diable de Cavalli savate son bop, il est mille fois meilleur que Cash, il shake à l’os du crotch, à coups de swings de glotte, le son des guitares se perd dans l’écho du temps, il n’existe aucun équivalent de cette sauvagerie, de ce claqué délinquant, Don Cavalli s’agite comme un punk, il retrouve les secrets de la violence originelle du wild rockab, ça goutte de jus, un vrai jus de frappadingue. Il se régale encore plus avec «Behind The Mountain». Personne ne voudra jamais croire qu’il est plus américain que les Américains, et pourtant c’est vrai, il tourneboule son rockabilly à la softerie enfarinée. Le temps d’une chanson, il règne sur le monde, comme le montre la pochette. Crazy cat ! Il fait exactement ce que fit Elvis en 1954 : il ramène sa voix et son déhanché. C’est tout ce qu’il possède. Et ça suffit. Don Cavalli se situe exactement à ce niveau de compréhension des choses. Tu as la voix et le déhanché, alors roule ma poule. Roll on ! Du coup, Don Cavalli s’en sort bien mieux qu’Elvis car aucun Tom Parker ne l’a harponné. Ouf !

Et ça repart de plus belle en B avec «You’re Gonna Rap». Il explose tous les contours, il joue la carte du gonna rap, chante au lousdé de l’effervescence, il surine ses intentions et viole ses breaks de guitare comme on viole des traités, à l’arrache maximaliste. Il sait aussi partir en mode hillbilly à travers les collines comme le montre «Travelin’ This Lonesome Road», mais il le fait à sa façon, à l’excès de big time de lonesome drifter. En vrai puriste, il joue la carte de l’Americana, qui comme chacun sait, correspond à la vision d’un son. Sans vision, pas d’Americana. Tintin. Sur «Early In The Morning», il émule Charlie Feathers avec un tact et une délicatesse qui n’en finissent plus de l’honorer. Il nous sert cette tranche saignante de rockab du Tennessee sur un plateau d’argent. Il hoche bien son hoquet. Il recrée toutes les conditions du mythe à coup de heavy hiccup, wow cet early in the morning qu’il emmène à fantastique allure ! S’il fallait résumer Don Cavalli en seul mot, ce serait allure. Belle et fantastique allure.

On sort en tremblant de la B et on se demande ce que nous réserve la C. «Master Of Earth» sonne plus classique mais ça reste très sérieux. Il enroule son vaillant Master au ding-a-ling de sing-along avec une présence totémique et enchaîne avec un beau punch-up de saturday night dans «Downtown Saturday Night». Ce mec est bon à pleurer. Il enroule son downtown comme le ferait un géant de Tennessee et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Il regorge de véracité, et dans ce domaine très pointu qu’est le rockab, la véracité vaut tout l’or du monde. Tu ne fais pas de rockab sans crédit. Sans voix ni déhanché. Son «Hey Charmin’» tombe d’ailleurs à point nommé, puisqu’on parle de véracité. Il chante ça au délibéré de Memphis, ce mec déambule dans la mythologie avec une classe désarmante. Ce qui stupéfie le plus, c’est qu’il ne frime pas. Il entend le téléphone sonner dans «When The Phone Rang», hey hey - There was a voice/ Speaking so free/ Calling my name - Il nous fait le coup du boogaloo téléphonique et s’amuse à bopper comme un boppeur. Et de la même façon que Jake Calypso, Don Cavalli sait sonner cajun. La preuve ? «Low Rock And Roll». Il va y chercher des dissonances d’attirance gominale with the ole spanish guitar. Il nous ouvre les portes de son monde qui est celui de la musicalité, un monde réservé aux très grands artistes, des gens du calibre de Mac Rebennack, de Leon Russell, de Davy Graham ou de Taj Mahal. Puis sans prévenir, il revient au big time avec «You Ain’t Gonna Be My Baby» et hiccuppe comme un beau diable de Tail Feather. Rien qu’avec son premier album, il est passé complètement à autre chose, ce que viendront confirmer les albums suivants. Il faut entendre Don Cavalli éclater sa vieille éclate : c’est un phénomène unique au monde. Alors et la D ? Ah mon pauvre ! Pas question de souffler. Don Cavalli tagadate de plus belle avec «Your Lies» qu’il chante du menton, il y va, rien ne peut le freiner. Il sonne déjà comme une vieille évidence avec ce cut demented are go à gogo. Il embarque son «Where You Been Honey» à la folie Méricourt, tagada tagada, c’est trémoussé du gogotting et slappé derrière les oreilles. Il propose un real raw rumble de Parasite dans un «Parasite Blues» gratté aux meilleures guitares de la confrérie confédérée. Si on aime bien les éclairs sauvages, c’est ici qu’on les trouve. Il adresse un dernier clin d’œil à Charlie Feathers avec «Cold Dark Night». Il va le chercher dans la taverne. Attention, c’est un épisode extrêmement attachant. Pas déterminant mais attachant. De toute façon, on adore Charlie Feathers.

Signé : Cazengler, Don Casanis

Don Cavalli. The Pharoah. Tail Records 1999

Don Cavalli. Banjara. Doghouse & Bone Records 2019

 

TROYES - 07 / 12 / 2019

3 B

MIKE FANTOM AND THE BOP - A - TONES

 

Quarante jours sans assister à un concert de pure rockabilly, une véritable mise en quarantaine, un scandale éhonté, une catastrophe planétaire, ne vous raconte pas à quelle vitesse vertigineuse la teuf-teuf roule vers Troyes. Surtout que ce soir, c'est Mike Fantom et ses boys pas du tout atones. J'arrive même avant Lucky le guitariste, ce qui me permet d'assister à sa petite répète personnelle, pas longtemps, l'est pressé de rejoindre ses collègues déjà à table, vous sort sa guitare de son étui et en trois minutes, il effectue tous les règlements nécessaires, royal mais pas manchot le gamin, mais ne gâtons pas le plaisir à l'avance.

MIKE FANTOM AND THE BOP -A-TONES

Quatre sur scène. D'abord il faut réviser vos a priori. Sur les fantômes. Si vous pensez que ces esprits sont à même de circuler sans problème entre le mur et la tapisserie, voici une idée fausse. Apercevoir Mike le Fantom vous détrompera aisément : un géant, massif, en chair et en os. Quand il s'approche du micro vous reculez d'un pas devant sa carrure impressionnante. Sont chacun comme cela. Doués d'une personnalité, une dégaine tranchante qui n'appartient qu'à eux.

Big Ben et sa contrebasse, pas vraiment une big mama, une greluche mal formée, poussée en graine de cocotier, au long cou d'autruche déplumée, des hanches étroites, peau de bois , pas la vénus callipyge aux formes rondouillardes attendue, mais cette maigrelette Big Ben qui ne semble lui prêter qu'une attention distraite ne cesse, l'air de rien, de la frapper durement. Pas en brute, en tire un son d'une lourdeur veloutée – quand on pense qu'il y a des gens qui dépensent des fortunes pour des séances de thérapie sonore – imaginez un éléphant en chaussons roses qui fait des pointes sur le plancher de l'opéra, vous avez les lattes de bois qui fléchissent et craquent puis qui reprennent leur situation initiale dès que la grosse patte se relève et vous sentez une puissante vibration vous envelopper. Durant les trois sets Big Ben n'a pas arrêté une seconde de nous servir ce doux ravage dans nos oreilles, nous a concédé deux petits solos aussi claironnants qu'une trompette, mais pas plus. Sûr de son fait, vous offre la crème de la crème. Et vous n'en avez jamais goûté d'aussi fouettée, d'aussi onctueuse.

Ce grand blond, avec ses lunettes, son grand front intelligent, et son air de mathématicien absorbé en train de résoudre dans sa tête une équation du vingt-septième degré, c'est Marco. Il est assis devant sa batterie. Je précise, car vous pourriez ne pas vous en apercevoir. Le mec ne cherche pas à vous en mettre plein la vue, pour la grosse caisse, l'a choisi la taille fillette, le plus petit modèle disponible dans le commerce. Idem pour la caisse claire, une extra plate, presque un frizbee, un tambour sur sa gauche, pour les autres toms vous remarquerez leur absence. Le minimum vital de survie. Toutefois une frivole fantaisie, une cloche de vache en plastique rose à mon humble avis d'une laideur repoussante. Mais où va-t-on avec cette parcimonie même si on rajoute deux cymbales et une charleston ? Direct au trouble auditif. Car le Marco quand il tape c'est sec comme une écaille de serpent qui joue au cache-nez strangulateur autour de votre gorge, et net comme un bris de vitre qui vous décapite sans que vous vous en rendiez-compte. Comment peut-il arriver à développer une tel ravage sonore avec un kit si minimaliste. Sur Whipe out par exemple il s'est permis trois petits soli aussi efficaces que la lame d'un gladiateur qui sectionne la carotide de son ennemi tombé à terre. Des tueries de trente secondes qui arracheront des cris de joie au public.

Un bémol. L'on sait bien que Lucky n'est ici qu'en remplacement. Mais à choisir un guitariste autant en prendre un qui sache jouer. J'ai le regret de le répéter. Lucky ne joue pas de la guitare, il s'amuse de sa Gretsch. La face éclairée d'un sourire malicieux. Pétillant de mille feux. C'est qu'un morceau de rockabilly, c'est comme un château de cartes, un équilibre miraculeux, un poker qui se gagne, mais que l'on n'a pas le droit de perdre. Dure tâche pour les guitaros, la note N à l'instant T, pas une autre, ni un peu plus tard, ni un peu plus tôt. Pile à l'heure exacte. Tout cela Lucky il sait le faire, il s'en charge parfaitement. Impossible de comprendre comment il fait, mais lorsqu'il a accompli l'impossible, il lui reste encore du temps de rabe. Exemple : il ne peut pas passer un riff comme tout le monde, une fois qu'il a fait son boulot, l'éprouve le besoin mauvais de vous le cisailler en mille morceaux, de lui foutre les tripes à l'air et de s'en servir comme guirlandes pour décorer le sapin de Noël. N'est pas toujours aussi cruel, l'a de délicates intentions, dans un rock torride, dans un maelström dévastateur, au milieu de la tourmente et de la tempête, il hausse sa guitare vers le public, et son visage s'illumine d'une ironique expression extatique pour vous faire écouter le cristal de quelques fragiles notes qui se complaisent à imiter le son charmant d'une mandoline énamourée.

La revue des effectifs est-elle terminée. Non, il y a un général à cette armée de bras casseurs. Mike le Fantom, bien sûr. Ne lance pas du gaz inerte dans les tuyaux. Uniquement de l'hydrogène explosif. Quand il s'empare d'un morceau, il vous en étrille le vocal d'une bien belle manière. C'est comme s'il engageait sa vie et celle de sa fille dans le tumulte. Traitez-le de tête brûlée, mais pas de mauvais père. Quand il boppe il ressemble à Hercule toujours vainqueur avec son art d'enfoncer les crânes avec sa massue. Mike s'en sort toujours haut la main. Que ce soient les compos du groupe ou les classiques – une petite préférence pour Al Ferrier ce qui n'est pas un choix des plus banal – ah, ce Vampire Baby à vous glacer le sang, et ce Real wild child sauvage à souhait.

Et puis Mike il a un truc en plus. Une voix chaude et empathique qui renforce ses pointes d'humour entre les morceaux, une simplicité bonhomme qui ravit l'assistance qui répond et renvoie la balle qu'il saisit au vol. Haute maîtrise et grande simplicité. Sait s'effacer, durant les instrumentaux et laisser la place aux copains. Lucky qui ne s'en prive pas, car en plus de jouer de la guitare comme un dieu, le garnement chante. Là on peut affirmer qu'il sait chanter. Vous transbahute les couplets à croire qu'il chasse les ratignoles à grands coups de balai meurtriers. Cet intermède local l'a émoustillé. Il ne faut jamais réveiller le fauve qui dort en vous, sur Guitar Breaker – un titre sur mesure – il finit par terre à genoux, rejoint par Mike, et même Big Ben vient se mêler à ce capharnaüm de délire collectif pendant que derrière sa batterie Marco sonne la batucada de la fin du monde, à coups de breaks caterpillaresques qui vous encombrent les tympans jusqu'au terminus de la vie.

Le deuxième set restera impérissable dans les mémoires des assistants. Bien sûr cette interprétation tragi-comico-hilarante de Watcha Gonna Do transformée en espagnolade, Marco ponctue en sous-main d'un pontifiant paso-doble – que dis-je d'un paso sextuplé – Mike se la joue en pseudo-cantaor de flamenco, Lucky le chanceux gratte sa guitare à la manière des gitanos de Séville, et Big Ben égrène de lourdes notes qui tombent comme des larmes, l'ensemble évoque le taureau désolé et attendri au milieu de l'arène qui pleure pour consoler le torero de son chagrin d'amour incapacitant car le potentiel meurtrier n'a plu la force d'accomplir son office, oui, il est cocu le matador au cœur d'or ! Mais surtout la quinte flush Shool of rock'n'roll, Blue Suede Shoes, Rockin Ball ( destiné à sortir sur un tribute album le 8 janvier 2020 pour l'anniversaire d'Elvis Presley ), Let's go Boppin Tonight, Skinny Jim ( un petit Cochran n'a jamais tué personne mais vous allonge à jamais sans rémission ), Mike époustouflant dans sa tunique léopard, il chante le rockab, ni à l'américaine, ni à l'anglaise, mais à la Mike, selon sa propre idée créatrice, qui vaut son pesant d'or originel. Bouscule les phonèmes avec une netteté jubilatoire.

Le troisième set passera en une seconde, malgré ses quatre rappels, et le groupe qui serait bien resté encore un peu pour nous régaler... nous retiendrons ce Justine, l'est sûr à la manière dont Mike dégobille les lyrics d'une façon si jouissive qu'elle a connu toutes les infortunes de la vertu et toutes les fortunes du vice. Nous terminerons, sur les riffs berryques de Lucky à faire sauter les barriques et vous faire tourner en bourrique. C'était le dernier concert de l'année au 3 B pour lequel il faut une fois de plus remercier Béatrice la patronne. Mike Fantom and the Bop-A-Tones nous ont régalés d'une apparition et d'une prestation terrifiantes. Allez les voir et vous croirez aux fantômes.

Damie Chad.

P.S. : sans oublier Alex qui n'était pas là, mais présent dans nos pensées.

ROCK'N'ROLL STORIES

( Chaine You tube ou FB )

L'on ne se refait pas. Difficile de se débarrasser de ses vices. D'autant plus quand il s'agit de rock'n'roll. Là, c'est impossible. Surtout quand l'on cause du earlier rock'n'roll. Quand vous avez trempé les doigts dans les pots de confiture de l'armoire de votre grand-mère vous y revenez toujours. Malgré les plus terribles punitions. En plus chez Rock'n'roll Stories c'est ouvert à deux battants. Que voulez-vous il existe des gens qui n'imposent pas de droit d'entrée à leurs passions. Font partager. Alors là je me gave. En plus je m'instruis. Je connais l'histoire par cœur, mais j'y reviens comme l'assassin sur le lieu de son crime. Toujours un détail que l'on ne savait pas, une pochette que l'on n'avait jamais vue, une vue de l'esprit qui ne nous avait jamais traversé. Bref mille et une bonnes et mauvaises raisons de goûter au beurre de cacahouète pimenté du rock'n'roll.

L'on a déjà visionné ensemble Eddie Cochran, Buddy Holly et Gene Vincent, ce coup-ci ce sera Bill Haley.

ROCK'N'ROLL STORIES

Série 1 / Episode 2

BILL HALEY ET SES DEUX PREMIERS LP

Tromperie sur la marchandise. Vous avez acheté un kilo de farine chez l'épicier du coin et vous vous retrouvez avec un kilogramme de pure cocaïne. Bien sûr la quantité est moindre, la vidéo ne dépasse pas les treize minutes. Mais quelle qualité ! Des informations de première main. Préparez-vous à stopper le film à tout instant parce que les pochettes défilent à la vitesse d'un imperturbable vol d'oiseaux migrateurs. Faudrait changer le titre. Les deux premiers LP de Bill Haley, vous les verrez certes, mais cela devrait s'intituler les débuts du rock'n'roll, ou plutôt A la recherche des mythiques racines introuvables du rock'n'roll. Une entreprise aussi insensée que la remontée du Nil de son Delta terminal à sa source originelle. Z'oui mais ceux qui ne l'auront jamais tentée le regretteront toute leur vie.

Bill Haley fut-il le créateur du rock'n'roll ? Ce qui est sûr c'est qu'il fut le premier des pionniers du rock. La différence est subtile mais réelle. De toutes les manières l'on ne prête qu'aux riches, et sa couronne lui sera volée par un Roi plus jeune que lui. Ce n'est qu'une image, mais les dernières années de Bill furent terribles, oublié de tous, arpentant sans fin les trottoirs de sa ville mortuaire, on l'imagine sans peine en héros shakespearien, perdu en sa dépression pré-létale, hurlant à la foule '' My Kingdom for a rock'n'roll !'', alors que la pendule fatidique du rock sonnait son heure ultime.

Elvis naît en 1935, Bill Haley débute dans le métier en 1946... Une grande différence entre les deux, Bill provient du Hillbilly, du western swing, de la country, Elvis exactement pareil mais avec une grande différence, si tous deux s'inspirent de la musique noire, le premier effectue un démarquage, ne le rend pas forcément plus policé, car ça swingue dur sur ses disques, mais son vocal est des plus blancs, alors qu'Elvis commet le sacrilège de véhiculer sur ses enregistrements un impact vocal émotionnel typiquement noir. Elvis rejoint la filigrane du blues, Bill Haley se cantonne au rhythm'n'blues. N'empêche que Presley était infiniment doué et que le beau baryton de ses ballades relève d'une tradition toute européenne. S'il y a eu un melting pot réussi aux USA, c'est avant tout le croisement des origines musicales.

C'est en 1952 que les Saddlemen de Bill prennent le nom de Comets. Jeu de mots comateux avec la comète de Haley. Chez Rock'n'roll Stories dans l'ensemble des musiciens qui gravita autour de Bill c'est à Rudy Pompilli que vont les préférences. C'est vrai que le sax de Pompilli cartonne et écrase tout ce qui bouge autant que le Vésuve dans Les derniers jours de Pompéi. Fait un sacré ménage, le saxo en fureur aboie encore plus que tous les hound dogs de la création. Pour nous, c'est dans le solo de guitare de Danny Cerrone de Rock around the clock que le rock prend vraiment son essor. A ceci près que Cerrone se contente de glisser dans le solo qu'il avait crée trois ans auparavant pour Rock the joint comme le raconte Tony Marlow dans le numéro spécial de Jukebox magazine que tout rocker se doit de posséder, le fameux Rock'n'roll Guitare Heros. Quoi qu'il en soit c'est avec le premier album de Bill chez Essex Rock with Bill Haley and the Comets qui contient entre autres pépites Crazy man crazy, Rock the joint, Farewell so long good-bye, que débute le rock'n'roll. Enfin presque, ou presque pas. Nous sommes invités à écouter la version de 1952 de Rock around the clock par Hal Singer. Ce que je ne manque pas de faire. Une version très swing, beaucoup plus légère et moins cogneuse que celle de Bill, avec passage solo de cuivres à la big band jazz, qui n'est pas sans rappeler les premières moutures ''rock'' auxquelles s'essaieront les français comme Moustache au milieu des années cinquante. Il existe aussi une version originale par Sonny Dae and the Knight enregistrée vingt-trois jours avant Bill et ses Comets. Le deuxième LP sera le Rock Around the Clock paru en 1954 chez Decca. L'on ne s'y attarde guère, la carrière des Comets et de leur mentor est lancée, mais Bill Haley est-il vraiment le père du rock'n'roll ? Je vous laisse regarder la suite passionnante.

Damie Chad.

ROCK'N'ROLL STORIES

Série 1 / Episode 5

BLACKBOARD JUNGLE

 

Rock around the clock aurait-il mis le feu aux poudres planétaires si le titre n'avait pas été inclus dans la bande-son du film Blackboard Jungle, Graine de violence en version française, paru en 1955. Nous ne le pensons pas, n'oublions pas que Rebel Whithout a Cause avec James Dean, et The Wild One avec Marlon Brando ont en un premier temps davantage marqué les imaginaires et les attitudes des jeunes adolescents que la musique des premiers rockers. Elvis inconnu rêvait d'être acteur. Cet aspect n'est point approfondi dans la présentation. Réalisateur et principaux acteurs nous sont présentés, générique de leurs carrières et analyse de leurs talents, de véritables professionnels certains d'entre eux viennent du théâtre, leur filmographie réveille bien des souvenirs, des films comme 3 Heures 10 pour Yuma ou comme La chatte sur un toit brûlant, sont des classiques qui ont permis à la culture américaine d'entrer en symbiose avec l'européenne.

En son temps dans la grande Amérique Graine de violence marqua les esprits. Un professeur qui croit en son métier se trouve confronté à des jeunes garçons issus des basses couches populaires de New York. Blackboard Jungle entraîna bien des débats dans la société blanche d'outre-atlantique, l'élève positif qui veut à tout prix s'en sortir est un jeune noir, et le rôle de la sombre crapule est réservé à un blanc. La pellicule fut une étape non négligeable dans le combat pour les Droits Civiques. Le film se révéla aussi prémonitoire, bien plus que le livre dont il fut tiré, voir notre livraison N° 20 du 27 / 09 / 2010 consacré à l'ouvrage d'Ed Mc Bain paru sous le pseudonyme de Steve Hunter. Une simple adjonction fortuite, pas du tout réfléchie à un niveau idéologique ou artistique, juste une opportunité financière de détention de droits musicaux qui décida de l'inclusion de Rock Around the Clock dans le générique. Mais lorsque l'on remet en relation le morceau de Bill Haley avec la scène au cours de laquelle les élèves cassent la collection de disques de jazz que leur professeur essayait de leur faire connaître et aimer, cette inclusion pratiquement fortuite prend un sens symbolique non escompté. L'on ne pouvait mieux faire pour signifier aux jeunes générations que le jazz était la musique des adultes, et le rock'n'roll, le rythme de la jeunesse. Fatidique et significatif passage de témoin. Dans The Wild One, sorti en 1953, les motards rebelles écoutent du jazz... Foudroyante accélération de l'Histoire qui se met à l'heure du rock'n'roll...

Damie Chad.

 

SYLVIEJOHNNY

LOVESTORY

MARIE DESJARDINS

( Les Editions du Cram / 2016 )

Les livres consacrés à Johnny ne manquent pas. Certains adulent Hallyday et d'autres l'abhorrent. Pour ces derniers peut-être a-t-il vécu l'existence tourbillonnaire qu'ils auraient tant aimé vivre. A laquelle ils n'ont pas osé prétendre. Nietzsche nous a prévenus, nos conduites sont souvent filles d'un ressentiment dont nous refusons d'être conscients. Nos petits arrangements avec la vie – les citernes vides de notre si terne existence pour employer les mots qui disent au plus près nos inconséquences – grimacent comme autant d'ironiques miroirs brisés. Aujourd'hui Sylvie Vartan n'attise plus les mêmes adorations et les mêmes jalousies qu'autrefois. Certes elle fut la compagne de Johnny – il y a longtemps – mais elle n'était qu'une yé-yé, avec tout ce que ce terme induit de mépris et de condescendance. Qu'on lui en dénie ou reconnaisse le titre, au-delà de toute admonestation vitépurative ou récupération laudative, Johnny reste un rocker. Le rocker français par excellence. Le fondateur.

C'est du Canada neigeux que nous vient cette étrange chronique des amours tumultueuses de Sylvie et Johnny parue pour la première fois en 2010 chez Transit Editeur. Peut-être n'est-ce pas un hasard si elle provient de ce pays en même temps cousin et si lointain du nôtre. L'auteur n'est autre que Marie Desjardins, nous avons beaucoup apprécié voici quinze jours son Ambassador Hotel, La mort d'un Kenedy, la naissance d'une rock star, roman imaginaire d'un groupe de rock qui n'a jamais existé, hormis peut-être dans les égrégores – ces résidus psychiques - de l'inconscient collectif de tous les rockers du monde. Qui ne se tendent guère la main et ne s'unissent point davantage, mais ceci est une autre histoire. Tribus indiennes hautement bariolées toujours prêtes à déterrer la hache de guerre l'une contre l'autre.

Les passions humaines sont-elles comme ces soleils morts dont la lumière nous parvient encore des millions d'années après leurs extinctions. Existent-ils des brasiers incandescents qui jamais ne s'éteindront. Marie Desjardins s'est-elle voulue vestale sacrée chargée par les Dieux de rallumer le feu d'un foyer dévasté par les cendres oublieuses du temps passé qui toujours vole de l'avant, obstinément aussi immobile que la flèche cruelle de l'imparable Zénon, refusant de s'enfuir et renaissant éternellement dans la stagnance de sa propre présence ?

Dans les pages de garde de la rubrique '' Même auteur'' Sylvie , Johnny love story est classé dans la rubrique de quatre romans écrits par Marie Desjardins. Nous en prenons acte, ce qui ne nous empêche guère de penser que nous inscririons plutôt ce texte dans la rubrique Poésie ( absente de cette bibliographie ), ou alors de l'entrevoir à la manière antique, comme ce talismanique Daphnis et Chloé, roman choral de Longus. A la mode de chez nous. De nos temporalités heurtées. Rien de pastoral ni de bucolique dans les amours tourmentées de Sylvie et Johnny.

Une histoire d'une banalité absolue, celle d'un couple qui se rencontre, qui s'aime, qui se déchire, qui divorce. Avec tout ce que ce dernier terme induit de conduites sociétales. De ces scansions indépendantes de notre seule volonté qui entremêlent en une même tresse nos inclinations atomiques les plus intimes avec les sanctions symboliques prévues par la loi grégaire du groupe. Nous y réfléchissons peu, mais à chaque moment nous subissons la manipulation prédatrice et insensible de nos congénères.

Avant d'ouvrir ce livre, l'on pourrait opérer un procès d'intentions en facilité à Marie Desjardins. Un ouvrage qui ne manque pas de pain. Facile à écrire puisque la documentation est pléthorique. Rien qu'avec les unes de France-Dimanche et les articles de Match, le volume n'est pas commencé qu'il est déjà écrit à moitié. Pour être gentil, parce que si l'on rajoute les biographies des deux principaux intéressés, les témoignages des principaux témoins de l'affaire, sans parler des nombreux ouvrages dévolus à l'exploration plus ou moins croquignolesques de la carrière de Johnny, ce sont les neuf dixièmes du bouquin qui sont performés avant même d'en avoir tapé le premier mot sur un ordinateur. Oui, mais Marie Desjardins ne mange pas de ces farines-là. Certes elle connaît son sujet, n'en ignore aucune anecdote, mais elle a refusé de se laisser envahir par les détails qui vous enlisent, avant de se vouer à cette tâche elle a soigneusement chassé de sa table de travail, vilains mots remplaçons-les par son espace – physique et mental – de création, toute oiseuse documentation. Je ne citerai qu'un seul exemple. Parmi mille autres possibles.

En juin 1973, le hit J'ai un problème squatte toutes les antennes de radio, les paroles sont de Jean Renard ( provinois notoire et grand-père de Shaké Mouradian dont nous chroniquâmes voici neuf ans le roman Jude R dans notre livraison 78 du 22 / 12 / 2011 ) elles mettent en scène les retrouvailles de Johnny et Sylvie, la énième assomption du couple qui bat d'une aile frénétique, à la télévision l'on aura droit '' en direct '' au baiser de réconciliation des deux amoureux – toute la France populaire émue en pleure de bonheur en ses chaumières – la bonne aubaine pour Marie Desjardins, un chapitre entier, au minimum vingt pages d'assuré, et en avant la musique, tous les dessous et tous les dessus de l'affaire révélés, analysés, scrutés en ses tréfonds les plus sordides. Ben non ! Pas une ligne. Pas un mot. Passé à l'as de pique. Vous n'en saurez rien. Marie Desjardins s'en désintéresse totalement. Ce n'est pas le sujet de son livre.

Vous tiquez. Comme un cheval qui n'en finit pas d'avaler de l'air en s'appuyant sur le rebord de son abreuvoir. Je suis désolé, mais ce qui va suivre renforcera votre angoisse. Qui voit-on dans cet ouvrage : Johnny et Sylvie – respirons c'est la moindre des choses – un soupçon de parents de Johnny, un petit peu plus ceux de Sylvie, David – l'enfant de l'amour – Carlos le secrétaire de Sylvie. Et puis c'est à peu près tout. Quelques noms de-ci de-là surnagent dans le désastre de cet anonymat collectif. J'oubliais la bruyante suite tapageuse non identifiée des copains de Johnny. A la cour du roi Johnny, plus on est de fous, plus on rit, plus on boit... Et puis plus rien. Marie Desjardins n'est pas une adepte du name-dropping. Ne donne pas dans ce genre de facilité. Si cela vous chante vous pouvez vous amuser à un super-jeu de société : ah oui, là c'est la scène avec Bidule... et ici c'est quand Schmoulefrite fait... Il est indubitable que Marie Desjardins ne participera pas à vos futiles amusements de Monsieur-je-sais-tout-de-Johnny ou de Madame-je-n'ignore-rien-de-Sylvie. Manifestement elle n'est pas une fanatique des triviales poursuites circonstancielles. Les noms ont ici pour ainsi dire fonction de couleur locale.

Certes vous avez le décor, les lieux, les endroits, les meubles, les objets, les couleurs. Ne décolle pas non plus de la trame chronologique, les pérégrinations familiales, les circonstances historiques de la cette première génération née durant la deuxième guerre mondiale et qui s'éveillera à l'aube des trente glorieuses, les entrechats du showbiz, l'enfance de nos héros, leur rencontre, leur attirance, leurs fiançailles, leur mariage, leur vie de couple, leurs carrières... Certes s'il avait été agent d'assurances et elle vendeuse dans une boutique de fringues... Rien ne se serait passé comme elle le raconte. Les modalités de votre existence influent sur votre personnalité, votre caractère, vos goûts, vos idées, votre pensée et vos sentiments, vos actes et vos volitions. Marie Desjardins n'oublie aucun de ces termes. Mais elle vise au plus intime. Ô insensé qui crois que je ne suis pas toi. Elle raconte Sylvie et Johnny en dehors de toutes les écorces mortes du vécu.

Comment notre vécu s'interpénètre-t-il avec notre sensibilité ? Comment l'extérieur influence-t-il notre intérieur. Comment le monde nous modifie-t-il, comment se sert-il de notre étendue psychique pour la modeler entre le pouce de la nécessité et l'index du hasard afin de nous transformer à sa guise, tel Descartes joue en ses Méditations avec la cire de l'étendue, et comment réagissons-nous à cette empreinte, comment parvenons-nous à y imprimer la marque indélébile de ce que nous sommes, ou de ce que nous croyons être, ou de ce que nous désirons être !

Là n'est-il pas le problème fondamental. Savoir exactement la puissance de notre opérativité, de notre efficience personnelle sur le monde. La réponse qu'en apporte Marie Desjardins n'est pas des plus optimistes. En apparence nos deux amoureux ne parviennent à n'interagir que l'un sur l'autre. Soyons négatifs : ils sont victimes, soyons positifs : ils sont porteurs de leurs propres êtralités, ils ont beau faire, ils ont beau dire, certes ils ont choisi leur vie, n'ont pas ménagé leurs peines et leurs joies en toute connaissance de cause des nécessaires implications artistiques et existentielles – tournées incessantes, éloignements impératifs – dans le but recherché d'assouvir et d'explorer les potentialités de leurs métiers respectifs. Jamais ils n'auront la force de surmonter, non pas leurs différences, non pas leurs divergences, mais leur trajectoire impulsive, cette course toute personnelle dans laquelle nous nous propulsons selon les affinités les plus électives de notre propre consubstantialité, par laquelle et en laquelle, à nos corps semi-défendant et semi-consentants, nous sommes happés en un engrenage pervers des plus étrangers, des moins maîtrisables.

Johnny et Sylvie se sont aimés. Ils auraient pu être heureux. Ils l'ont été. Par intermittences, ce qui est déjà beaucoup, mais le pire c'est qu'ils ne l'ont pas été, sinon aussi par intermittences. Unis par un sentiment d'incomplétude souveraine. C'est cela que s'attache à rendre visible Marie Desjardins, nous fait pénétrer dans l'âme esseulée et désertée de nos deux héros. Elle s'attarde davantage sur Sylvie, peut-être parce qu'elle est femme et qu'elle distingue mieux les affres et les pâmoisons féminines, sûrement parce que Johnny est plus secret, plus ténébreux et que toute une part de la psyché masculine reste pour elle un continent noir... peut-être parce que Sylvie a beaucoup plus souffert que Johnny, qu'elle était en attente de Johnny, alors que Johnny, grand amateur de chair féminine, ne s'interdisait la consommation d'aucun lot de consolation ou de conquête... Johnny le rocker, sex, drugs and rock'n'roll, Sylvie non pas l'épouse éplorée mais la femme de tête et de stratégiques concessions... Qui ne furent pas à perpétuité. Mais Marie Desjardins ne charge point plus fort l'un des deux plateaux de la balance, un fait reste indubitable : Johnny et Sylvie se sont aimés. Sincèrement, authentiquement. Une love story qui doit se terminer comme toutes les histoires, puisque par essence toute histoire a une fin. Une passion. Autrement dit, une tragédie ontologique. Un aérolithe tombé par mégarde destinale sur deux êtres humains qui n'étaient pas faits l'un pour l'autre, si on estime le phénomène selon les paramètres de la froide raison, un cadeau des Dieux destructeurs, trop grand pour être contenu dans deux misérables vies humaines, cause kaotique d'une irrémissible fracture initiale. A entendre Le cœur en deux de Johnny Hallyday je n'ai jamais pu m'empêcher de penser à la couverture de la première édition d'Au-dessous du Volcan de Malcolm Lowry ( dans Folio) , en tant qu'image tarotique de haute signifiance.

Dans ce livre Marie Desjardins s'est attachée à décrire les émois d'une passion, ses désirs, ses troubles jouissances car ne jouit-on pas davantage de soi-même que de l'autre au travers des étreintes les plus fougueuses comme les plus tendres, ses folies, ses cassures, ses débris, ses détritus, ses désespoirs, ses triomphes, ses victoires, ses défaites, ses incendies, ses extases, ses outrances, ses outrages. A foison le poison ! Ces pages sont à lire comme autant de monologues raciniens, Marie Desjardins use d'une écriture sans appel, un scalpel introspectif qui n'épargne rien, qui triture les chairs de l'âme, qui la met à nu, qui ne cèle rien, ni les non-dits, ni les mensonges que l'on se raconte, ni les rancœurs secrètes qui rancissent le cœur encore plus cruellement que les trahisons les plus éclatantes.

Un lied sauvage et mordoré à la Tristan et Yseult, mais à la fin duquel et Tristan et Yseult oublient de mourir. Point de mort dorée. Ne se termine pas bien. Mais ne finit pas mal non plus. Piteusement, serait-il le mot le plus adéquat ? Puisque nous avons en ce début de chronique cité Nietzsche, le forgeron philosophe, empruntons-lui les mots de la fin. Humain, trop humain.

Un beau livre. Un poème. Un pur poaime. Pas forcément rassurant. Une tenace menace. L'inconciliabilité naturelle des êtres.

Damie Chad.

04/09/2019

KR'TNT ! 428 : DON CAVALLI / DONNIE FRITTS / ROCKABILLY GENERATION / BENNY & THE FLYBYNITERS / HANK'S JALOPY DEMONS / GAËL MEVEL + MICHAËL ATTIAS / TOM WOODS / SO LUNE / EDREDON SENSIBLE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 428

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

05 / 09 / 2019

 

DON CAVALLI / DONNIE FRITTS

ROCKABILLY GENERATION NEWS # 9

BENNY & THE FLYBYNITERS

HANK'S JALOPY DEMONS

GAËL MEVEL + MICHAËL ATTIAS

TOM WOODS / SO LUNE  

EDREDON SENSIBLE

TEXTES + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Un bon Cavalli n'est jamais le dernier

 

Voir arriver Don Cavalli sur la petite scène de la Place du 73e, c’est un peu inespéré. L’air de rien, le voilà devenu légendaire, sur la base de quelques albums et de quelques interviews de ci de là. Mais surtout sur la base d’une voix. Et quelle voix ! L’homme paraît modeste, on pourrait même presque dire timide, en tous les cas, il ne la ramène pas. Il est là pour le purisme et c’est exactement ce qu’on est venu chercher à Béthune : un brin de purisme. Don Cavalli nous en sert une heure entière sur un plateau d’argent. Il gratte ses coups d’acou du pouce et ses amis siciliens jouent le bop le plus délié qu’ait jamais imaginé la Cosa Nostra. Fantastique conglomérat d’attitude, de mesure, de véracité et de Cavallisme. Il fait tellement la différence qu’il sonne comme un vieux requin du rockab sur le retour. Il a pris un petit coup de vieux, c’est vrai, mais quelle présence ! Il porte du blanc et attache sa gratte avec une ficelle, comme on savait le faire dans les mines de cuivre du Kentucky, au début du siècle d’avant. Don Cavalli ne pointe pas sa gratte vers le sol comme tous les autres, mais vers le ciel. Il fait la différence, mais n’en fait pas exprès. Chez lui, le purisme est quelque chose de naturel. Son batteur sicilien porte une casquette de capitaine à la Humphrey Bogart et joue comme un dieu, tout en retenue et au fil d’un swing-along qui en dit long sur sa baie d’Along. Quand Don le présente au public, il dit de lui qu’il est passé du grade de capitano à celui de commandante. Touché par le compliment, le commandante hoche la tête respectueusement. Il règne dans cette équipe quelque chose de particulier, une atmosphère de frères de la côte à la Mac Orlan. D’ailleurs, le guitariste haut et sec comme un cep de vigne semble sortir d’un bar mal famé de Marsala, avec ses faux airs de Robert Mitchum, ses boucles d’oreilles et sa clope au bec. Don indique que le slappeur des Banjeras vient d’Australie, mais il ressemble vraiment à l’un des bras droits de Toto Riina. Comme il s’adresse à un public de fans, Don Cavalli se fend d’une belle reprise du «Bottle To The Baby» de Charlie Feathers. Dans l’interview qu’il accordait à Dig It en 2016, Don explique qu’il a enregistré des reprises de Charlie Feathers au moment de sa disparition en 1998 («Cold Dark Night», «Early In The Morning» et «Let’s Live A Little»). Du coup, on l’a catalogué comme le ‘nouveau Charlie Feathers’ alors qu’il n’aimait pas trop se voir cataloguer. Des albums comme Cryland et Temperamental nous montrent à quel point Don Cavalli est un esprit libre, donc pas question de se retrouver au fond d’un bocal. Il insiste beaucoup sur cette notion de liberté. Comme il ne vit pas de sa musique, il bosse comme jardinier. Don Cavalli se moque du look fifties et des clichés. Ne l’intéresse que le feeling et ce que doit ressentir un chanteur derrière son micro, qu’il s’agisse d’un sentiment d’amour ou de désespoir. Et c’est exactement ce qu’on voit sur scène. Don Cavalli ne se contente pas d’interpréter, il hante ses chansons, donne de la voix quand il le faut, mais descend aussi chercher ses vieilles tonalités rocailleuses, telles qu’on les trouve dans De Profundis. Il est avec Jake Calypso le plus américain des Européens. Cette extrême rigueur - on pourrait presque parler d’austérité dilettante - fait sa singularité. Ce set de rêve se termine vers minuit. Il revient en rappel chanter son nouveau single, un cut tellement hot qu’il s’étrangle presque de rage.

À la façon dont il coince sa clope au bec sur la pochette d’Odd & Mystic, on voit que Don Cavalli ne plaisante pas. On sent dès «Cursed Day Stomp» un énorme souffle rockab. On croirait entendre Sandford Clark. Quel admirable rootser d’Americana ! Il enchaîne avec un fantastique jump roll de honky-tonk intitulé «Hard Working Blues», bien pulsé par le hot slap de Kalle Victor. Mais c’est avec «Yellow Moon Is Risin’» que tout explose, Don Cavalli chante ça dans l’âme de l’essence, c’est battu à la sourde et bardé du meilleur bop. Ce Don est un don du ciel. Il tape plus loin un «Railroad Special» au hot on heels, il choo-choote sa gratte et passe au croack de crocro pour «Don Cavalli’s Blues». Il presse sa voix comme une boule de pus et ça gicle dans le micro. Ce mec crée de l’événement en permanence. Il va droit au but avec «Morphine», il chante à la bonne défonce, à l’elastic du roots ethic. Il chante d’une voix toujours pleine, il croone son croak de crac dans «Life’s Too Long» et va chercher ses meilleurs accents pour évoquer God dans «God Said No».

De Profundis est un album qui a nous a tous laissé le souvenir d’une grande âpreté. Sur la pochette, Don Cavalli porte un bleu de chauffe et il nous gratte dix cuts à l’ongle sec sur sa douze d’hobo rider. Il chante en plus dans un micro de guimbarde, alors forcément, il bat tous les records de dépenaille. Il joue son «Row And Ruck» au claqué de Mathusalem avec un délié de travailleur des champs. On pourrait qualifier ça de backwood jive florentin. Il se tape en toute impunité un bon coup de boogie blues avec «Myriam». Don Cavalli se montre une fois encore digne des hillbillys les plus obscurs des Orzak Mountains. Mais trop de véracité peut jeter le trouble en eau trouble. Il passe en B au country blues de derrière les fagots du delta avec «Arguments And Alibis» et réussit presque à nous tétaniser avec «King Jesus (Of Nazareth)» : il gratte sa mandoline de gondole à l’extrapole de roosty rootsah. Il envoie là le plus fantastique shoot d’agnostic shuffle de douze qui se puisse imaginer. On le voit ensuite gratter «I Ain’t Jealous» comme s’il sortait d’un coin paumé de l’Arkansas, un de ces coins à la ramasse de la pire rascasse, du type de ceux où sont nés Johnny Cash et Al Green. Au dos de la pochette, on retrouve des faux airs du Michel Bouquet jeune dans le portrait de Don Cavalli. Il dégage la même impression de puritanisme exacerbé. Et dans l’interview pour Dig It, il indique qu’il a enregistré l’album sur deux magnéto-cassettes, «sans écho, sans son à la Sun», il dit vouloir aller vers le dark rockabilly, «là où blues, rockabilly et Soul ne font qu’un». Ce mec a tout compris, il nous ramène aux origines du mythe, à l’époque où Obie Patterson enseignait la guitare à un jeune blanc-bec nommé Charlie Feathers.

C’est Lenox, label de la mythique boutique de la rue Legendre, qui fit paraître Carmela en 2003. Cet album est un véritable classique du rockab. On trouve à l’intérieur du boîtier une petite photo en noir et blanc de Don Cavalli sur scène, tout seul avec sa gratte. Quel album ! Il chante «The Creature Returns» avec l’art de la manière. Il va chercher le meilleur gras de ton. Il n’en finit plus de sonner juste. Le coup de génie de l’album s’appelle «Claustrophia Blues». Il hoquette à merveille, comme Charlie Feathers. Il chante comme un hippocampe, fier et droit, et sort les meilleurs effets du genre. Il fait la fête avec «Make Her Mine», poussé dans le dos par le meilleur beat de bop buté. Il tape «Hey Hey Baby» à l’insistance du Tennessee, avec le slap au ventre. Rockab forever ! Tout ce qu’il fait sonne juste. En fait, il est comme Saint-Just, il ne pardonne pas. Il fait avec «You Never Can Vie With My Baby» une véritable dentelle de véracité agnostique. Le voilà à la gare avec «Standing On The Platform». Il s’y montre effarant de patience américaine, il gratte en attendant le freightrain. Puis il nous embarque à fond de freightrain dans cette valse de non-hésitation qu’est «Two Timer». Un vrai délire de hey go man, pulsé au petit bonheur la chance du pur wild rockab. Il chante son «Coffee Baby» comme un crac, il y ramène toute l’exaspération des géants du rockab. Il reste dans l’excellence du hiccup avec «Crazy Blues». On peut lui faire confiance pour le going crazy, il sait de quoi il parle. «Curtain Call» sonne comme un honnête shuffle de country jive, ce diable de Don does it right. Il est de toutes les combines, le western swing de mad redneck comme le blues de cabane branlante. Il sait mélanger les genres. Il tape «Swing Duck And Uppercut» au laid-back du Tennessee avec un épouvantable swagger. Ça se corse encore avec «Who’s Baby Are You Baby» gratté au meilleur avenant, sévère et bien secoué au who’s baby. Hit de juke idéal ! Il avale le rockab à la goulée. Il allume autant que Carl Perkins. Toute la fin de l’album est hot on heels. «Hey Charmin’» vaut tous les classiques du genre et il bat encore des records de sauvagerie avec «Your Brands On Me». Hot as hell !

Ne vous fiez pas au psychédélisme de la pochette de Cryland. C’est un album d’une incroyable modernité. «Gloom Uprising» commence par dérouter, avec un son extrêmement original, mais on sent toute l’énergie rockab dans le fond du son. Une wah pouette dans le jardin magique de la pochette. Il chante à la tension du Tennessee. Le son captive et déroute en même temps. Nous voilà donc conquis. Dans le Dig It Interview, Don Cavalli dit avoir découvert un jour la wah en studio. Wah ? Wow ! Il revient à son cher boogie de cabane branlante avec «I’m Going To A River». C’est tout simplement terrifiant de véracité. Il chante «Aggression» d’une voix ferme et grasse qui rappelle celle d’Elvis. Même genre de swagger. Avec en plus le bouquet des enfers du vieux guitar man. Plus loin, il fait son bal Cajun du 14 juillet avec «Vengeance». Il chante au décalé du beat et ça couake à l’harmo. Stupéfiant de fraîcheur mentholée ! Don sort sa wah pour le bal. Il bouffe à tous les râteliers d’Amérique avec un égal bonheur. Il reste chez les Cajuns avec «Cherie De Mon Cœur». Il le fait à l’effrénée, il sait le faire, mon cœur est malade, il se traîne dans le crouilli-crouillah du bayou - Chérie de mon cœur/ Come back to me - Tout l’album tape en plein dans le mille. Il passe au heavy blues avec «Here Sat I (Off Jumps The Don)», avec de la wah à gogo et redescend au fond du galimatias mississipif avec «Vitamin A». Il est dessus systématiquement. Il fait du morceau titre un royaume de wah en réverb et crée de nouveau la surprise avec «New Hollywood Babylon». Il sort sa meilleure cocotte pour l’occasion. C’est frais et léger comme un bonbon de Saint-Hubert. On croirait entendre chanter un black blanc. Il chante du groin comme Bobby Blue Bland dans «Wonder Chairman» et attaque le boogie rock de «Casual Worker» à la racine. Il sort là le meilleur rumble des bois du Bible Belt. Il termine avec un «Summetrime» qu’il prend par dessus la jambe et nous gratifie au passage d’un killer solo qui nous laisse tous pantelants. Encore un album qui va tout seul sur l’île déserte. Même si comme le rappelle Don Cavalli, des soit-disant puristes ont détesté l’album au point d’aller lui cracher à la gueule.

Il continue d’expérimenter des sons avec Temperamental paru en 2012. Comme l’album précédent, celui-ci fourmille de surprises, à commencer par le morceau titre d’ouverture, une sorte de heavy funk de wah. On sent un appétit vorace d’innovation. Don Cavalli jour son va-tout avec un sens aigu du claqué de wah exacerbé. Il ne tient plus en place, il fait son funkster et lance des oh yeah d’antho à Toto. Pendant quelques cut, on commence à douter de Don. Il reste dans le Soul-funk pour «Garden Of Love» et passe à l’exotica chinoise avec «Me And My Baby». Un certain Vincent Talpaert bassmatique comme Bootsy Collins. Attention à «Santa Rita» ! Don charge sa barque de synthé chinois et ça porte à confusion. Il rétablit la confiance avec «The Greatest» et ses grands coups d’harmo. Une chinoise chante et ça prend soudain du sens : Chinese Rocks avec du banjo, pas de mélange plus explosif ! Il chante ensuite «Voice Of The Voiceless» à marche forcée. Il agit en rock star, il entre sans ménagement dans ses chansons, c’est ultra-orchestré et il devient héroïque. Il faut vraiment écouter Don Cavalli, car rien de ce qu’il fait ne laisse indifférent. Il revient au Cajun de kazoo avec «You And My Zundapp». Fantastique retour aux sources, il remonte dans la légende des siècles, c’est tout le génie de Don Cavalli, la capacité d’évocation. Il ramène du passé un son perdu. Avec «Birthday Suit», il passe en mode heavy country, mais vraiment heavy. Ce mec fait tout à l’envers, avec un bassmatic infernal qui démolit tout. Le voilà qui s’amuse à démolir la country. Un vrai gosse. Il chante avec une candeur désarmante. Quel coup de génie ! Rosemary Standely vient duetter avec lui sur «Say Little Girl». C’est assez demented, d’autant que Don lui déroule une sorte de tapis rouge, alors ça vire au duo des enfers. Rien d’aussi merveilleusement weird sur cette terre. Comme il aime bien ramer, Don boucle avec «Raw My Boat». Il y fait un peu n’import quoi, comme s’il voulait ruiner son album.

Pour se remonter le moral, on peut revenir un instant au Dig It Interview, car Don Cavalli évoque ses disques préférés. Il commence par recommander les Stanley Brothers, un duo de bluegrass américain, puis Bill Monroe et les Delmore Brothers que chouchoutent aussi les fans de country. Il saute du coq à l’âne avec Burning Spear, en expliquant que les racines du blues et du reggae sont identiques. Il cite ensuite les Staple Singers, O.V. Wright. On sent le bec fin. Il se prosterne aussi devant le premier single de Jerry Lee, «Crazy Arms», allant jusqu’à dire que c’est le meilleur et rend un bel hommage à Django Reinhardt. Il aimerait bien aussi parler de Bo Diddley et de Son House, mais comme il le dit si bien, ça ira pour l’instant !

Signé : Cazengler, Don Casanis

Don Cavalli & His Banjaras. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

Don Cavalli. Odd & Mystic. Tail Records 2001

Don Cavalli. De Profundis. White Heat 2003

Don Cavalli. Carmela. Lenox Records 2003

Don Cavalli. Cryland. A Rag 2007

Don Cavalli. Temperamental. Because Music 2012

Interview Don Cavalli par Philippe Migrenne. Dig It # 67 - Mai 2016

 

Donnie a la fritte

 

Donnie Fritts a longtemps écumé la frontière. Il porte des vêtements éculés par la routine des bivouacs et rapiécés à cause des trous de balles. Une cartouchière lui barre la poitrine et ses bottes n’ont plus des bottes que le nom. Assis sur un banc, il fume son cigarillo en scrutant l’horizon. C’est ainsi qu’on le découvre sur la pochette de Prone To Learn, un album Atlantic paru en 1974. Très bel album, aussi solide que son poney apache et son fusil Springfield à huit coups. Il ne perd pas son temps à palabrer et attaque aussi sec avec un rock d’Alabama intitulé «Three Hundred Pounds Of Hongry». C’est du pur jus de Southern rock finement cuivré. Que de son et que de beat ! Jimmy Johnson et Eddie Hinton font partie du gang, donc ca donne la fritte à Donnie. David Hood et Roger Hawkins sont aussi de la partie. Tous les amigos sont là, y compris Rita Coolidge, Billy Swann, Dan Penn, Jerry Wexler et Kris Kristofferson. Il règne ici une très chaude ambiance. S’ensuit un «Winner Take All» co-écrit avec Dan Penn. On sent sa patte, on sent cette magie finement teintée d’orgue. «You’re Gonna Love Yourself» sonne comme le balladif idéal, car très décontracté. Donnie Fritts joue la carte du soft Southern drawl, celui du petit matin en lisière du bois. Cette équipe de desperados a suffisamment de talent pour pouvoir capter les moments magiques de la journée. En B, Tony Joe White radine sa fraise sur «Sumpin’ Funky Going On». Nous voilà plongés dans la torpeur du swamp, Tony Joe joue lead sur ce boogie-funk vermoulu, bien spongieux sous les pas. Ils duettent à un certain moment, with a smile on my face. S’ensuit un heavy country-funk d’Eddie Hinton, «Jesse Cawley Sings The Blues», bardé de steel guitar et de piano, admirable brouet de bastringue de saloon alabamien. Le morceau titre est un cut de Kris, c’est-à-dire un folk-rock solidement enraciné dans le Muscle Shoals Sound. Ah comme ces mecs sont bons avec leur big sound. Et toute cette belle aventure se termine évidemment avec «Rainbow Road», le hit de Dan & Donnie, the absolute beginners.

Encore un coup de Jarnac avec cet Eveybody’s Got A Song paru en 1997 ! Dan Penn fait partie de l’aventure. Il chante avec son vieux poto Donnie «Hello Memphis» et on peut bien dire qu’ils chantent comme des cracs. Lee Roll Parnell passe un sacré solo de slide. Quel swagger ! Ils sont les rois du monde le temps d’une chanson. Donnie duette ensuite avec Tony Joe White sur «Shot End Of The Stick». Derrière, Dan gratte ses coups d’acou et Eddie Hinton se joint à la fête. On sent très vite qu’on entre dans un cercle magique. Waylon Jennings et Reggie Young viennent accompagner Donnie sur «A Damn Good Country Song». Waylon prend le lead. Quel duo de rêve ! Il faut se souvenir que Donnie et Eddie Hinton ont co-écrit «Breakfast In Bed». Lucinda Williams vient le chanter. Royal ! Elle est dessus, avec son swagger demented. Elle reste la meilleure sugar babe du Deep South. Elle swingue sa dégoulinure avec beaucoup d’allure. Lucinda est encore à cette époque une chanteuse de rêve. Mais avec le temps, elle perdra le sucre de sa voix. Encore du Donnie/Eddie avec «Ten Foot Pole» tapé au big heavy Soutnern Sound. Eddie chante avec Donnie, ils s’entendent comme larrons en foire. C’est inespéré. Ces blancs jouent le Southern spirit à la manière des blackos, et en prime, on a des solos de rêve. Donnie tape dans la nostalgie avec «We Had It All», il pense au temps béni des jours heureux. C’est l’un des slowahs les plus destructeurs de l’histoire du rock. On ne se remet jamais d’une histoire extraordinaire avec une femme. Jamais. Puissant Donnie Fritts. Il pousse bien le bouchon dans la rondelle des annales. S’ensuit un «Better Him Than Me» joué à la slide féroce et gratté aux accords de deep deepy. Donnie Fritts chante tout à l’inspiratoire patentée. Il termine avec le morceau titre et le vieux Kris Kristofferson vient duetter. Les vieux cowboys mélangent leurs voix comme dans Brokeback Mountain.

On se souviendra d’Oh My Godness pour sa profondeur. Donnie démarre son album avec «Errol Flynn», un joli groove de vieux crabe du marigot. Il nous plonge dans une ambiance de cabane branlante. Il chante son «It’s Really Gotta Be The Way» d’une voix de mineur cacochyme et c’est très impressionnant, au sens rootsy de la chose. David Hood allume «Memphis Women & Children» avec l’une de ces basslines dont il a le secret. Ça vibre sous le casque. Ces mecs sont des fous. Nous voilà au cœur du Memphis beat et Donnie chante comme un white niggah. Il revient au heavy groove de Southern guy avec «Tuscaloosa 1962». Les mecs qui accompagnent Donnie jouent comme des rois du bayou et Donnie chante avec une niaque incomparable. On sent chez lui le vieux cowboy bourré de talent. Il passe par des country-grooves et enfonce ses clous dans le Golgotha. Il faut le voir faire son Doctor John dans «Good As New» - I must confess I was a mess - Fantastiques clameurs ! C’est fouetté du beat, étonnante ambiance, aux confins du fantastique de la Nouvelle Orleans. Ce diable de Donnie explose l’art majeur de Doctor John à coups de clameurs de chœurs et de solos métalliques. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il fait aussi une version surprenante de «Choo Choo Train». Il la groove et David Hood la dévore toute crue avec sa bassline. Version monstrueuse - But you see my baby/ Is waiting at the station - Il joue ça à l’admirabilité des choses - So give me a mittle more acceleration - Southern genius ! Il l’explose, eh oui. Il revient faire son Doctor John dans «Oh My Goodness», avec un appétit d’alligator. Il n’en finit plus de mâcher ses chansons.

Pour la petite histoire, sachez que Donnie est un vieil admirateur d’Arthur Alexander et qu’il veillait sur sa carrière au temps béni des années soixante-dix. Il vient juste d’enregistrer un hommage à Arthur qu’il appelle June : June (A Tribute To Arthur Alexander). C’est un album délicat et sensible, à l’image du «June» d’ouverture de bal. Donnie y raconte toute l’histoire de June, dans un bel esprit intimiste - He was my brother/ Oh what a blessing/ That good friendship/ Oh how I miss my good friend June - Avec «All The Time» (co-écrit avec Arthur), Donnie passe à la Beautiful Song. C’est d’une beauté fantastique, le doo-idley-doo bat tous les records de prestance sculpturale, c’est à la fois admirable et humain, un truc de beaux mecs, on sent venir une apothéose. C’est quasiment la même magie que celle de Dan Penn. Même veine. Tiens, quand on parle du loup : voilà «I’d Do It Over Again», co-écrit avec Dan Penn. Ça se sent dans l’immédiateté du coulis de chèvrefeuille. Les senteurs enivrent. Encore un hit co-écrit avec Arthur : «Thank God He Came». Cette fois, Donnie tape dans la ferveur du gospel batch. C’est à la fois puissant et bienvenu, complètement descendu du piédestal. On assiste en fin de cut à une belle explosion, les filles sont folles. Donnie finit l’album avec «Adios Amigo». On reste dans l’esprit des grands cuts de Deepers inspirés du gospel. On est chez ces blancs fascinés par le peuple noir et conscients de ce que les malheureux nègres ont pu endurer dans les états du Sud. Aw Lawd, comme les blancs ont été odieux avec tous ces pauvres nègres ! Donnie reprend bien sûr l’énorme hit d’Arthur, «You Better Move On» dont s’étaient repus les Stones. Donnie frise un peu le Tom Waits, mais heureusement, il ramène son petit deep southern drawl dans le fond du still you beg me to set her free. «Come Along With Me» vaut aussi pour un cut d’une fantastique ampleur catégorique, c’est du deep Southern Soul de la pire espèce, solid as hell. Et puis on croise aussi ce «Lonely Just Like Me» d’Arthur qui sonne un peu comme «You Better Move On». Toute la grâce alexanderienne est là : il tourneboule le mambo africain dans l’été de la pop américaine. Mine de rien, ce diable d’Arthur fit remonter tous les remugles du bonheur africain datant d’avant les blancs.

Comme il a failli mourir à cause d’un kidney malade, Donnie s’est fendu d’un One Foot In The Groove. Il joue sur les mots. Il fait du foot in the grave un foot in the groove et c’est tout à son honneur. D’ailleurs Tony Joe White l’accompagne sur le morceau titre. D’autres copains sont là : David Hood on bass et Spooner on keys. Et petite cerise sur la gâteau, Dan Penn produit l’album. Alors on y va les yeux fermés. C’est d’ailleurs Dan qui signe «She’s Got A Crush On Me», un balladif inspiratoire nappé d’orgue par Spooner. Il co-signe aussi «Chicken Drippings», mais on revient aux choses extrêmement sérieuses avec «Across The Pontchartrain» : Tony Joe White et Wayne Jackson radinent leurs fraises pour un coup d’épée dans l’eau du lac. Le vieux Wayne envoie ces coups de trompette dont il a le secret. Atmosphère pesante et Tony Joe claque ses notes magiques. Donnie nous refait le coup du white nigger dans «Don’t Beat Around The Bush». Ça sonne comme un vieux hit de Wilson Pickett, oui, on se croirait au temps de Muscle Shoals, tellement c’est bien foutu. Clayton Ivy vient jouer du B3 sur «Robin In The Rain». Donnie en impose encore, avec sa religion de la Soul fêlée. Clayton joue comme au temps béni de Percy Sledge. Quelle puissance ! Donnie nous propose plus loin un très beau balladif d’Americana avec «My Friend», c’est noyé d’orgue et signé Spooner. Mais c’est avec «Huevos Rancheros» que tout explose. Wayne Jackson y fait son mariachi. On entend Billy Swann dans le background. Quel fabuleux shake d’Americana de la frontière ! Avec Doug Sahm, ces mecs sont les plus habilités à jouer de l’Americana. No problemo hombre ! On se croirait dans le Pat Garrett de Sam Peckinpah, dans lequel Donnie a d’ailleurs tenu un petit rôle. Il finit cet excellent album avec un «Nothing Stays The Same» bien salé de cuivres. Toute la bande est là et encore une fois, on se croirait à Muscle Shoals. Donnie chante ça de main de maître.

Il a fini par casser sa vieille pipe en bois. Il faisait partie de la vieille garde de Muscle Shoals du temps de Rick Hall, l’époque des pionniers du son, pourrait-on dire. Un temps où dans ce modeste studio d’Alabama, des petits culs blancs lançaient les carrières d’Arthur Alexander, de Candi Staton et de Clarence Carter, pour n’en citer que trois. Dan Penn et lui composaient ensemble, puis à un moment donné, Donnie s’est tiré à Nashville, avant de devenir pendant quarante ans le keyboardist de Kris Kristofferson. Il ne reste plus grand monde aujourd’hui de cette vieille garde mythologique, seulement Dan Penn et Spooner Oldham, c’est-à-dire les chouchous des amateurs éclairés.

Signé : Cazengler, fritte-saucisse

Donnie Fritts. Disparu le 27 août 2019

Donnie Fritts. Prone To Learn. Atlantic 1974

Donnie Fritts. Eveybody’s Got A Song. Repertoire Records 1997

Donnie Fritts. One Foot In The Groove. Leaning Man Records 2008

Donnie Fritts. Oh My Godness. Single Lock Records 2015

Donnie Fritts. June (A Tribute To Arthur Alexander). Single Lock Records 2018

 

ROCKABILLY GENERATION NEWS N°9

AVRIL-MAI-JUIN 2019

 

L'est sorti en retard, est arrivé à la maison en juillet alors que j'étais parti en vacances, ce qui explique que le N° 11 devrait survenir très vite en ce début de mois de septembre. Sa couverture flamboyante est déjà visible sur le FB Rockabilly Generation News.

Génération pionniers : ce coup-ci c'est Ritchie Valens qui ouvre le bal, hélas funèbre. L'on peut se demander qui se souviendrait de Ritchie aujourd'hui s'il n'avait pas disparu dans l'avion qui emporta Buddy Holly et le Big Bopper. Interrogation insidieuse qui risque de me valoir quelques ennemis. Pour me dédouaner j'ajoute que lorsque je suis parti de la maison parentale, mon père en a profité pour faire main basse sur mon 33 Tours de Ritchie que j'ai retrouvé bien plus tard dans sa collection. M'avait aussi chouravé In The Ghetto d'Elvis, mais ceci est une autre histoire.

Belle gueule de Johnny Fox sur la couve. Mais le meilleur c'est la longue interview opérée par Bryan Katz qui permet à Johnny Fox de retracer cinquante années de carrière au service du rock'n'roll. Le pire c'est que l'on ne voit pas défiler les pages et nous sommes à la moitié du numéro lorsqu'elle se termine. Pas de regret, Johnny Fox épanche ses souvenirs de vieux renard qui a écumé les meilleurs poulaillers de Grande Bretagne ( et d'ailleurs ). Fut avec Cavan un des piliers du revival Ted des années soixante et soixante-dix. Sa formation, the Riot Rockers est légendaire. Mais ce n'est pas fini, nous les retrouvons, de nouveau réunis au St Gordon Festival de novembre 1918. Remarquez la date, il faudra qu'un jour RGN double ses pages pour suivre au plus près l'actualité du rockab par chez nous.

Deuxième partie de l'article du numéro 8 de la séquence New Generation, suite de l'interview du jeune Alexandre Lucet qui a apporté le sang neuf de sa jeunesse aux Vinyls, comme quoi le premier rock français des années 60 suscite encore des frissons.

Thoury reste un rendez-vous incontournable du mouvement Ted français, Rought Boys en ouverture, les Southerners restent fidèles à leur grandeur, Graham Fenton met le feu avec sa Matchbox originale, les Teencats clôturent la fête mais Stig Rune Reiten gravement malade n'est pas au mieux de sa forme.

Fabrice Birin n'est pas chanteur mais pyrograveur. Grave sur bois les portraits des idoles rock. A lire et à admirer. Les dernières nouveautés disques et déjà la fin du groupe de Miss Victoria Crown. Nous rajoutons l'annonce du split des Wise Guyz qui firent la couve d'un des premiers numéros de Rockabilly Generation. Cette neuvième mouture - très agréable à lire – se termine par un lot de photos de Sergio Katz. Avec un peu de chance nous chroniquerons le N° 10, dans notre 429° livraison.

Damie Chad.

 

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

 

30 / 08 / 2019 - TROYES

3B

BENNY & THE FLYBYNITERS

HANK'S JALOPY DEMONS

 

Dernière ligne droite avant le 3B, le moteur de la teuf-teuf rugit, mais quels sont ces zigotos qui débarquent d'une camionnette et entreprennent de barrer la route à l'aide de grosses briques plastifiées, serait-ce un concert surprise du Pink Floyd ? caramba ! j'improvise un 90 degrés sur la droite, coupe direct la file de tacots qui foncent sur moi et atterris sur le parking salvateur, me reste plus qu'à rejoindre le 3B à pieds. Caramba bis ! Y mettent du leur, j'ai affaire à de méchants obstinés, sont maintenant une cinquantaine à bloquer le rond-point, plus des gros engins de chantier et des camions mastodontes qui squattent tous les embranchements. Refont la chaussée, l'accès au 3B est coupé de toutes parts jusqu'à six heures du matin !

Z'en tout cas le monde afflue au 3 B, à pattes ou en empruntant les sens interdits, en marche arrière pour les plus vicieux, la vaste terrasse se remplit d'habitués, motos, belles américaines et même un superbe hot-rod envahissent les trottoirs, la soirée sera chaude, deux groupes venus d'Australie, et pastèque sur le clafoutis, Béatrice la patronne annonce que ce soir, c'est le centième concert du 3 B !

BENNY AND THE FLYBYNITERS

L'est imposant Benny, d'autant plus qu'à ses côtés ses acolytes n'arborent pas non plus des silhouettes fils de fer, pour le moment il se contente de parler en cet idiome anglais que tout le monde adore mais que personne ne comprend, finit par déclarer que les Flybyniters sont un groupe de Rhythm'n'blues. Hop ils enchaînent sec sur un instrumental, true fine swing avec des senteurs jazzy assez fortes, le truc par excellence qui ne supporte pas le moindre faux pas, ou ça balance, ou ça casse, mais les Niters vous prennent en douceur et en souplesse, vous entraînent dans la danse en moins de deux, une double-bass élastique, un drumin' aussi léger qu'une aile d'oiseau, une Fender qui court sur son aile et un saxophone en pluie d'automne. Faut vous y faire. Tell Me Pretty Baby, l'on change de tempo, l'on est en plein bluesshouter, Benny Peters lâche les grandes orgues de ses vocalises, le sax de Dean Hilson mord à pleines dents dans la plus grande part du gâteau qu'il s'adjuge sans complexe. La section rythmique change d'allure comme une escadre qui se prépare au combat. Difficile d'apercevoir Andrew Linsey, mais il produit une frappe flegmatique qui va se jouer fort allègrement de toutes les nuances stylistiques du combo, colle la voile du beat au plus près des sautes des vents tournants. Tel Vox snappe en osmose, batifole sur la crête des vagues, dum-dum-dum, il entre ses doigts dans les cordes avec la même placidité avec laquelle vous enfoncez votre couteau dans la tablette de beurre au petit déjeuner, et ma foi jamais vous ne goûterez de tels toast si finement briochés. Ejecte les notes bien chaudes – mais d'une précision absolue – comme ces grille-pains qui satellisent les tartines hors de leurs fournaises brûlantes.

Benny and the Flybyniters c'est du rockab au temps où le rockab n'existait pas. Campent dans cet espace d'après-guerre où le blues est sorti du Delta et s'en est parti partouser avec les grandes formations, une esthétique de pirate, le couteau entre les dents, faire davantage de bruit avec moins de musiciens. Moins d'étalements riffiques démonstratifs, plus de nerfs et d'entrain. L'on ne s'écoute plus jouer, l'on joue. Point à la ligne. Efficacité avant tout. L'on s'arrête juste avant Bill Haley, l'on ne jumpe point à pieds joints dans le rock sauvage, mais l'on s'y approche de si près que l'on ressent la même intensité. Y en a un qui question aspiration n'est pas à la fête – qui normalement ne devrait pas l'être - mais il se charge du boulot sans rechigner une seconde. Dean Hilson hisse l'art du sax dans le registre de la facilité, vous donne l'impression de fournir autant d'efforts que s'il était assis à une table de bridge, ne relâche jamais son souffle ni son attention, si parfois un peu, le temps que Benny fasse monter la mayonnaise d'un court solo sur sa guitare moutarde, sinon l'est de ces chevaux qui font la course en tête du début à la fin, et qui franchisent la ligne d'arrivée aussi frais et alertes que s'ils venaient d'avaler leur picotin.

Ce n'est un secret pour personne, qui dit rythm'n'blues, dit blues. Blues is a Feeling, certes mais chez nos Niters ce n'est jamais une tragédie, n'ont pas le blues suicidaire, l'ont même étonnamment roboratif, un blues pêchu et juteux comme pas deux, vous le construisent en béton armé avec renforts et arc-boutants, certes il y a toujours, pour qui prête l'oreille, cette démarche de guingois si caractéristique de canard malade, mais inutile de sortir vos mouchoirs pour éponger des larmes de sang, le volatile fonce droit devant, ne perd pas son temps à se lamenter, l'a volé quelques étincelles aux fournaises du diable et cela vous réchauffe et vous énergise le palpitant de bien belle manière. Après un R. M. Blues ils termineront par un Two Dollars Woman qui bastringue dur, l'on a déjà un pied dans le rockab le plus pur, mais le set s'arrête. Hélas.

Benny et ses Flybyniters, ont remporté la mise. De sacrés cambrioleurs, qui entrent par effraction et qui vous squattent la maison avec tant d'élégance que quand ils mettent les bouts vous notez leur numéro de portable pur leur demander de revenir au plus vite. Méfiez-vous d'eux, des carrures de boxeurs et dès qu'ils commencent à turbiner, vous entraînent dans un tourbillon ascendant de grâce et de légèreté mais d'une précision rythmique meurtrière. Nuits festives embrumées d'alcool et d'étreintes sauvages. Au petit matin vous vous dites que la vie mérite d'être vécue.

HANK'S JALOPY DEMONS

Tiens on prend les mêmes et l'on recommence. Normal quand on a une section rythmique de cet acabit on la garde. Donc Tel Vox, sa barbichette, ses anneaux aux oreilles et ce sourire épanoui de Père Noël, sûr de son coup à l'avance, vous allez adorer le chien de sa chienne qu'il vous réserve dans sa hotte. Vous avez demandé un ouah-ouah en peluche, ce sera un véritable houndog frétillant qui va transformer votre appartement en champs de ruines, intenable mais si attachant. Me faudra me démonter le cou pour apercevoir Andrew le drummer. L'est comme ces employés horripilants qui ont toujours réponse à tout, traitent votre cas avec une facilité déconcertante quasi humiliante, sont en train de remplir la grille de mots croisés sur leur journal, et ils vous fournissent toutes les bonnes réponses que vous attendiez, vous règlent votre cas avec une parfaite célérité mais vous sentez bien qu'ils sont d'une essence supérieure à la vôtre, que toutes vos difficultés ne sont que broutilles sans importance qu'ils remettent à plat en trois coups de baguettes magiques.

Deux nouveaux toutefois. Pas vraiment car nous les avons déjà vus au 3B au mois de mai 2018, voir in livraison 375. Un petit rouquin. Dave Cantrell à la guitare. Un véritable traître. L'a une spécialité confondante. Se sert de ses cordes hautes pour vous sortir trois grosses notes tonitruantes qui vous embouchent les esgourdes, z'et puis il descend sur les aigües, et alors que vous vous attendez à une aigre et maigre sonorité toute gringalette, erreur lamentable de votre intuition logique, il vous ressort trois bastos aussi grasses que le trio de cachalots précédents. Je ne sais pas comment il fait cela. Mais il le fait. De temps en temps, en passant, sans forfanterie, comme si c'était tout à fait normal. Au micro Hank Ferguson, pas celui qui ne reconnaît personne, celui que vous identifiez immédiatement avec sa casquette aplatie, son jean de travail, sa chemise à carreaux, et son look de prolétaire descendu des collines qui essaie de s'adapter à la grande ville mais qui, le visage voilé d'une expression de mélancolie indécrottable, n'en reste pas moins fidèle à son vieil hillbilly natal.

Guitare sèche entre les mains de Hank, l'on sent que les Démons du bush se placent aussi en un temps où l'on n'avait pas encore inventé le rockabilly mais que l'on en débroussaillait les terrains d'expérimentation. Un jeu d'une justesse absolue. Certes Dave est un virtuose de la guitare électrique, n'en perd pas une pour refiler ses licks dévastateurs, mais comme il le fera remarquer en déclenchant une hilarité générale, l'on n'est pas chez AC / DC. Des affûtés, toujours sur la brèche, vous émondent les feuillages par trop luxuriants, pas une once de graisse de trop. Pas des sculpteurs, des ciseleurs. Jamais trop, jamais pas assez. Le juste milieu de la stricte observance des codes intangibles. Attention les ruralités sont aussi sauvages que les quartiers déshérités. La musique de Hank's Jalopy Demons comporte son lot de surprises et de dangers. Faut être sur le qui-vive, un pas de trop et vous marchez sur la queue du lézard venimeux. Et les Jalopy's vous salopègent les belles campagnes écologiques d'une multitude de ces bébêtes peu affriolantes. Tous les morceaux offrent leurs chausse-trappes, n'y promenez vos chaussons du soir qu'avec prudence, sont emplis de taillis d'épines et de cactus cruels. Faut une habileté diabolique pour tailler sa route dans de tels parages. Jusqu'au Linsay qui doit de de temps en temps s'énerver grave et frapper ses cymbales comme les fesses d'un enfant récalcitrant, aussitôt secondé par Hilson qui vous fouette le visage de ses cordes houspillantes, Hank alors affirme la cognée de sa voix et Dave en profite honteusement pour faire bruisser ses riffs bien effrontément. Les Démons savent être déments. Z'apportent le démenti très vite. Un peu d'agilité, un soupçon de retenue, et l'on revient à des séquences moins agitées. Attention, l'on file la syncope aussi vite, mais l'on mise davantage sur le charme d'un certain équilibre zénithal que sur les tempêtes hivernales. Hank vous refile une leçon de vocal hillbilly, c'est facile, suffit de savoir s'arrêter à temps. Au millimètre près. L'essence même du pur rockab, contrairement à ce que l'on pourrait accroire ce sont les silences qui sont le plus importants, ces coupures, qu'elles soient brusques ou pratiquement inaudibles, commandent les compressions explosives du chant, à tout instant les agglutinations de phonèmes se nitroglycérisent mais l'on vous coupe au montage les séquences des répliques incessantes, pas de longs métrages sur les effets attendus, la dévastation pure mais sans les apitoiements de rigueur sur les effets dévastateurs. Toute cette tuerie vous la trouvez dans les silences, ces trous d'air irrespirables qui vous homicident bien plus fort que le choc du chant lancé à trois cents à l'heure. Lorsque les Jalopies stoppent leur stomp l'heure légale est dépassée depuis longtemps mais Béatrice la patronne ne peut résister à un dernier morceau. Et nous non plus.

Damie Chad.

*

Je l’avoue, à ma plus grande honte, la seule fois de mon existence où mon légendaire flair de rocker n’a pas fonctionné. J’ai des circonstances atténuantes, c’était du jazz, mais enfin. Rien ne prédisposait mon esprit à m’orienter sur cette voie. Le spectacle n’avait rien à voir, une lecture du Prélude de Pan de Jean Giono, il y avait bien un violoncelle mais en m’approchant j’avais entendu des gammes tout ce qu’il y a de plus respectueusement classique sur cette terre. Sur la petite table à l’entrée étaient déposés les flyers de l’association organisatrice de l’événement, date et lieux d’autres prestations, tout ce qu’il y a de plus normal sur notre planète. J’ai un peu tiqué sur le format à vue de nez pochette 45 Tours des anciens EP français. Des trucs noirs, barbouillés de couleurs, qui pesaient un max comparés à leurs épaisseurs. Diable que cela pouvait-t-il être ? Des dessous de plats en une matière nouvelle en même temps souple et rigide ? Pas eu le temps de commander une expertise aux services de la répression des fraudes, la séance commençait.

Un beau moment, une superbe lecture in extenso d’une nouvelle extraite de Solitude de la Pitié de Giono, un texte fort qui ravira les contempteurs de la souffrance animale et les amateurs des anciens Dieux qui attendent avec impatience leur retour. Mais ce n’est pas pour demain. Gaël Mevel à la voix et au violoncelle. Beaucoup, douce et chargée d’émotion cataclysmique, à la première, peu au second, des effleurements succincts, des tamponnades catiminesques, pas d’emphase, des indices qu’il faut savoir lire. Bref un moment enchanteur. A la fin me suis rapproché de la table à flyers, le texte de Prélude de Pan ( collection Folio à 2 euros ) et ces mystérieuses plaquettes noirâtres peinturlurées de différentes teintes. Mais qu’est-ce donc ? Voyant que je m’emberlificote avec ces étranges objets, Gaël Mevel me relève l’usage et le mode d’emploi de ces objets non identifiés : de simples Cds’ entre deux lames de plastique aimantées, faut les séparer ( avec force ) et à l’intérieur la précieuse galette est agrémentée d’un dépliant papier en accordéon. L’on apprend aussi que le dimanche prochain il accompagnera au violoncelle le film muet L’Heure Suprême de Frank Borzage, un chef-d’œuvre de 1937, dans le parc de la mairie de Lavelanet. Et voici que Gaël Mevel nous dévoile l’autre face de ses activités, l’est musicien de jazz, possède un groupe, et a enregistré quelques disques, je choisis la pochette à dominante verdâtre, l’est au piano accompagné d’un saxophoniste américain, doctor Freud, pourquoi suis-je attiré par la forme exutoirement phallique de cet instrument de haute rutilance, z’en tout cas ne reste plus qu’à écouter.

GAËL MEVEL / MICHAËL ATTIAS

( Rives / N° 3 / 2013 )

Gaël Mevel : piano / Michaël Attias : saxophone Alto.

Enregistré à La Maison en Bois ( Essonne ). Pochettes peintes à la main par Dominique Masse.

Le dépliant de présentation porte en exergue deux vers de Paul Valéry extrait de Les Pas un des poèmes de Charmes qui ont provoqué en son temps le plus de commentaires. Une indication précieuse, un disque qui cherche davantage à exprimer le vide qu’à se perdre dans d’oiseux bavardages. Musiciens du silence dirait Mallarmé.

Almaty : frémissement de piano, des notes cristallines destinées à créer l’espace de recueillement nécessairement à leur réception et là-dessus se glisse aussi agreste que la flûte de Marsyas la respiration du saxophone de Michaël Attias. Ne jouent pas ensemble, s’accommodent, se trouvent sans se chercher, mais chacun dans une terrible solitude jusqu’à cet irrémédiable empiètement de vide, comme si au bout d’eux-mêmes ils n’avaient trouvé que le rien de l’inanité de vivre, et ils repartent d’un commun accord serions-nous tentés d’écrire mais la plénitude d’une phrase musicale n’est pas encore au rendez-vous, n’en sont qu’ à des essais de phrasés qui cherchent à être. C’est le sax qui s’aventure le plus loin avec des glissements furtifs de serpent fugitif. Parfois vous éprouvez la bizarre sensation de votre âme qui rampe dans le cerveau. Les ailes du renard : les sables du désert et la chimère de l’esprit qui court plus vite que le rêve. Encore plus de lenteur, mais le saxophone rouillé s’entête à dérouler la volupté des anneaux du reptile. Le piano de Gaël Mevel résonne dans une nouvelle proximité de lointains immarcescibles qui affleurent sous le sable tels des vestiges prestigieux. Le saxophone s’envole. Le fennec s’enfuit. Le cinquième rêve de Nathanaël : un sax ouaté et un piano à la Debussy dans des notes qui se perdent dans leur propre présence, le sax qui grince maintenant comme la clef des songes que vous introduisez dans la serrure des rêves. Des pierres sous une feuille : sous les feuilles arachnéennes se niche la solidité des galets lithiques. Le vent du saxophone les caresse mais la lourdeur du piano exprime la solidité de la présence du monde qui possède un cœur de pierre. Et le piano tape sur ce granit incontournable comme un gong qui égrène l’inéluctabilité du destin. Oh ! : joie jazzistique, l’on quitte la musique de la concrétude du silence pour la complexité des accords compliqués du jazz. L’on a beau faire, l’on n’oublie pas ses origines et il faut bien donner au public l’illusion qu’il est en pays conquis. Le sax frétille à la manière d’une truite mais bientôt le poisson se retire dans des eaux souterraines inconnues. Sombres et mystérieuses. Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge de l’évanescence. Couacs saxophoniques, ridelettes de piano. La princesse juive : retour dans le domaine du rêve, le faune de l’après-midi se réveille, il ose quelques pas hors des feuillages propitiatoires, le saxophone étire des désirs de soleil dans cet entre-deux de la réalité ici tout n’est qu’entrechoquement discret de luxe, de calme, et de voluptés idéelles. Le vent sous les pierres : retour au monde sédimental, grattez la pierre, usez-la d’opiniâtreté et au bout du caillou vous retrouverez le vent du rêve qui vous permet d’accéder aux délices sans trêve. Le saxophone se dresse comme le serpent sous la flûte insistante du joueur de pipeau. Vous ne savez plus dans quel royaume vous vous trouvez. Fenix : la réponse est apportée par le renard des sables qui étrangement est en même temps la flamme vive et inextinguible du phénix qui ne meurt jamais. Parfois la lumière s’éteint et le morceau s’insinue entre le plein du monde et le vide de nos perceptions, piano suave et saxophone aussi doux que le renard apprivoisé qui se plie sous l’échine que vous caressez. Instant de grâce et de plénitude, combien de longueurs de chemin parcourues depuis le début du disque. Fusion inespérée, mais voici que le saxophone se met à klaxonner comme le gyrophare de la voiture de police du réel, le piano essaie de réparer l’accroc dans la toile du songe. Les pas retenus : l’heure du choix, l’escargot se retire dans le vide de sa coquille, se mure en lui-même, entre dans sa propre hibernation, refuse désormais les aspérités du réel, le sax se met en boule à la manière des chats qui se retranchent du monde dans l’infinie vigilance de leur sommeil. Doucement le piano ferme la parenthèse.

Splendide, fortement déconseillé aux âmes peu subtiles.

Damie Chad.

 

BURRET ( 09 ) - 01 / 08 / 2019

TOM WOODS / SO LUNE

EDREDON SENSIBLE

 

Vous ne connaissez pas Burret. J’ai parfois l’impression d’écrire pour les ignorants. Je vous l’accorde, même la plupart des ariégeois sont incapables de situer ce lieu improbable sur une carte. Une seule maison dans un virage en épingle à cheveux avec un mec qui vend du miel, pas de panique si vous ne le voyez pas, il n’est jamais dans son stand. Dans le tournant ne vous déportez pas sur la gauche, c’est le ravin. Si vous avez négligé ce conseil précieux, pas d’affolement sur l’escarpement rocheux, sis sur votre droite, vous avez tout ce dont vous aurez besoin, une église et un cimetière.

Depuis trois ans, tous les premiers du mois d’Auguste, c’est l’invasion. Venus d’on ne sait où, sortis de leurs forêts profondes, une tribu de néo-ruraux se regroupe pour le grand pow-wow d’été. Une horde jeune et joyeuse se livre à ses activités préférées, grand bouffe bio, danses tribales, des chiens qui courent partout sans se battre et des bambins qui s’amusent toute la soirée à se jeter du sable dans les yeux. Bien élevés, pas un seul qui pleure ou qui se réfugie dans les jupes de sa maman. Pour les intellos vous avez un stand lecture, poésie érotique sur les étagères du haut, fanzines avec même des articles de notre Loser Zengler vénéré et préféré, rien à dire, ces jeunes gens ont de saines lectures. Pour ceux qui se sentent une âme d’ethnologue, ce grand rassemblement affiche un projet de haute moralité : récolte de fonds pour l’ouverture d’un café associatif dans le village voisin.

TOM WOODS

La tâche ingrate, le mec tout seul avec son micro et sa guitare, l’assistance le nez plongé dans son assiette à avaler de succulentes potées végantiques et de délicieux falafels, ou à se barbouiller les joues avec la succulente confiture de framboise des crêpes - au mitant de la soirée z’en avaient déjà fourgué plus de sept cents et le préposé à la crêpière n’en finissait pas de marmitonner la pâte. Attention, la liste des producteurs locaux est affichée.

En plus le gars il a le blues. Tout le monde fait la fête, mais lui il a le blues, et pas n’importe quel blues, le blues-folk. Un truc à vous saper le moral d’entrée. Personne ne lui en veut. Reçoit même des encouragements à haute voix qui ressemblent à des déclarations d’amour. C’est cela le miracle du blues, ça vous rentre dans une oreille et vous vous y empêtrez dedans comme la mouche dans la toile d’araignée. Le blues est une tarentule poisseuse mais fascinante. Une fois que vous êtes mordu, vous ne pouvez plus vous en détacher et comme le boy est un adepte du pickin’ vous succombez vite à son charme vénéneux. Quatrième fois qu’il joue en solitaire nous confie-t-il, alors il nous refile tous ses plans, nous offre ses propres compos, la dernière improvisée la veille est la meilleure, joue un peu trop longtemps à mon avis, l’aurait pu écourter, si l’alligator du blues vous coupe la jambe, exigez une coupure franche, s’il prend trop son temps et commence à mâchonner gentiment la gambette pour ne pas vous faire du mal c’est moins agréable. S’en tire bien le guy, se retire sous une salve d’applaudissements.

FARA NAZWA

Changement d’ambiance, une colonie de fourmis selmerienne s’empare de la scène. Un accordéoniste aux beaux yeux bleus étrangement fixes assis au centre entouré de deux cuivristes, d’une basse, d’un guitariste, d’un batteur à la batterie minimaliste, et sur notre droite une violoniste au crin-crin entraînant. Musique des balkans qui s’en fout le camp, vers l’est, du côté de la Roumanie et des routes tziganes. C’est le rush devant la scène, ça n’en finit pas de danser, pressés comme des harengs en caque, et de se dandiner, Font un tabac. Une manufacture à eux tout seul, Z’y mettent le cœur et l’allant nécessaire, les cuivres rutilent, le piano du pauvre étale toutes ses richesses, et la grande sorcière chevauche son archet diaboliquement. Perso, cela me laisse assez froid, mais je dois être le seul, j’aime bien me la jouer en mon âme de rocker incompris à la Thomas Hardy, loin de la foule déchaînée. Qu’importe ce soir le folk festif fait des adeptes, j’en conviens.

SO LUNE

Quelques gouttes éparses de pluie pendant l’installation de So Lune, quelques rougeoiements lointains d’éclairs et des tambourinades de tonnerre étouffées, une menace qui ne se précisera pas davantage. Ouf ! So Lune s’installe, sur le dessus du vieil harmonium délabré que l’on a dû retirer de l’église règne en maître le must du modernisme électronique, une collection de sampler-machines dont les boutons brillent dans le noir, et contrepoint idéalement et musicalement oxymorique, un magnifique violoncelle trône sur son chevalet exposé comme un tableau de maître.

Sont tous les deux sur le côté de l’estrade en train de se livrer à une espèce d’haka rituel d’obédience superstitieuse. Mais quand faut y aller il n’est plus temps de reculer. Courageux le garçon donne l’exemple, passe en premier, se dirige tout droit vers ses échantillonneurs, l’on sent le bricoleur fou du dimanche et le trafiqueur émérite de la semaine sainte, sa sœur le suit, tout de suite l’on pressent, à sa chevelure bouclée étrangement disposée de guingois en crinière de lion romantique, et à la découpe savante de sa robe, l’artiste de la famille, l’infante géniale, qui n’en fait depuis ses trois ans et demi qu’à sa tête emplie de volitions et de dormitions pour le moins pittoresques. Sont applaudis poliment parce qu’ils sont beaux et jeunes. Romane lève son archet et Joseph se penche sur ces boites magiques. Vous tourne les potentiomètres à fond, le violoncelle gémit et râle funèbrement, tel un mourant désespéré de ne pouvoir communiquer ses dernières volontés. Entre nous soit dit, l’on est plus près de Moussorgski que d’Eddie Cochran, et subitement Romane se met à chanter. Une ampleur démesurée, une double sirène, celle tonitruante du bateau qui annonce son entrée dans le port, et la meilleure des trois d’Ulysse, pour lesquelles il se fit attacher au mât afin de pouvoir entendre sans péril les mélodieuses mélopées. La muse vous méduse l’assistance en moins de trente secondes, vous subjugue la foule en moins de deux, l’a l’organe baryton qui tonne sans fin. En cinq minutes ils ont gagné la partie, on leur mangerait dans la main. Alors ils vont s’amuser, vous voulez de la zique, z’on va vous z’en donner de toutes les couleurs. La Romane elle est capable de tout, elle vous râpe du rap et vous restez tout cloche devant ce beau fromage qu’elle laisse tomber de son bec, passe des intonations en arrière-fond de tessiture à la Shirley Bassey pour plonger dans des roucoulades à la Barbara Hendricks et l’instant d’après se rouler dans les arpèges les plus chaudement sensuels des divas de la soul. Idem pour le frérot, à un moment vous a sorti une partition malherienne, juste avant de se jeter dans du noise-funk à délices, même qu’une fois il se mésaventure au micro, mais là faut être réaliste, son rôle à lui c’est le cambouis électronique, l’est le grand manitou des circuits intégrés pour musac désintégrée. Mais ce que l’on préfère ce sont ces grandes envolées lyriques au violoncelle qui gronde comme l’Etna en feu, et cette voix sortie tout droit des Mémoires d’Outre-tombe, des espèces de mini-opéras wagnériens, une extravagance vocale des grands vents du souffle épique qui servit de bande-son aux tohus-bohus révolutionnaires du dix-neuvième siècle, tout cela servi dans la marmite du diable de la technologie du troisième millénaire.

Un set de toute beauté. So Lune - duo surprenant, décalé, original, époustouflant - ne fait pas de quartier.

EDREDON SENSIBLE

Avec un nom pareil vous vous attendez à tout. Pour la sieste voluptueuse sur lit de plumes d’oie vous repasserez. Ces quatre malfrats usent incongrument de cet ustensile. Commencent par fracturer votre porte à grands coups de pieds, vous surprennent dans votre sommeil et se servent de votre édredon douillet pour vous asphyxier et vous envoyer de cet autre côté dont on ne revient pas. Des sauvages. Bref vous êtes sûrs qu’avec eux le pire est à prévoir.

Le batteur se sert de sa grosse caisse comme caisse claire. Tout de suite la situation s’assombrit. Doivent faire un concours à qui des deux l’aura la plus grosse car son voisin s’est choisi une énorme timbale, une monstrueuse tabala, sur laquelle l’on sonnait l’alerte dans les villages africains pour réveiller la tribu endormie attaquée en pleine nuit. Devant ils ont disposé les saxophones, un alto-ténor un peu ridicule quand on le compare à la basse démesurée qui lui fait face.

Nous ont un peu déçus à partir de la vingt-sixième minute, montre en main. Parce que lorsqu’ils ont débuté l’on a cru qu’ils s’étaient installés pour battre le record du monde du morceau le plus long. Le principe de base le plus simple, la goutte d’eau qui vous rend fou - rien à voir avec le colibri, eux c’est plutôt l’autruche aux pieds plats. Un lourd volatile disgracieux mais génialement entêté. Les deux batteurs ont commencé à marteler un rythme simpliste et à le répéter indéfiniment. Les spectateurs ont adoré, parfait pour endurer la froidure de l’altitude montagnarde et remuer le popotin tous en groupe, et puis il y avait le saxophone baryton qui refusait de se laisser distancer dans le marathon. Vu la grandeur de la tuyauterie, le gars devait lui balancer le volume d’air que vous respirez en trois jours toutes les six secondes. S’est installé dans un groove de funk poussif et en voiture Simone, voyage jusqu’au bout de la nuit tressautant. Cahots debout.

Faut toujours se méfier des plus petits ce sont les plus vicieux. Pendant un moment l’alto a fait autant de bruit qu’une limace paresseuse sur une feuille de salade. On l’a oublié, jusqu’à ce qu’éclate un hennissement de cheval colérique, on a cherché des yeux si un véritable canasson des alentours n’aurait pas quitté sa pâture, mais non c’était bien le petit saxo qui s’était engrangé dans une espèce de dégringolade de rire hystérique, une strombole d’accélérateur lysurgique car derrière, les bateleurs qui tamponnaient allegro-vas-y-mollo se sont mis à ruer des quatre mailloches dans les brancards rythmiques et la fanfare s’est emballée, à qui ira le plus vite et à qui fera mieux que l’autre, sont partis dans une cavalcade tonitruante sans issue, le premier batteur s’est ulcéré dans un solo apocalyptique pendant que les autres harassés se désaltéraient pour mieux revenir à la charge. Encore plus vite, encore plus fort. Mais trop d’effort n‘engendre pas obligatoirement le réconfort. A la fatidique vingt-sixième minute, le quartet s’est arrêté, ses quatre membres crevés comme les pneus d’une guimbarde abandonnée sur le bord de la route qui ne mène nulle part. Sont repartis par la suite, un rythme guilleret mais au bout de dix minutes, je suis rentré à la maison, la magie n’agissait plus, peut-être ont-ils fait un second essai pour transpercer le mur du son, mais non je n’y croyais plus. J’ai laissé lâchement les héros vaincus se dépatouiller avec le dernier carré des danseurs en transe voodooïque, ont-ils sacrifié un coq au soleil levant où sont-ils morts fièrement à la manière de la chèvre de M. Seguin, sous les dents cruelles du froid des petits matins sans gloire, je ne saurais le dire.

Damie Chad.

P. S. : il y avait aussi Alchimix, un groupe qui n'a pas démérité, mais ne tentez pas de savoir où j'étais pendant leur prestation.

CHILD SPIRIT / SO LUNE

Romane et Joseph Beaugrand : composition, arrangement, interprétation, mixage.

Basse additionnelle : Galael Dunbaar / Visuel : Virginie Lacouault / Graphisme : Salomé Dollat, Juliette.

Pochette Arty qui veut davantage suggérer que représenter. Un fond blanc à la Moby Dick, des espèces noires de tiges de fleurs de chardons stylisées, quelques nuances de gris bleutés, quelques points jaunes pratiquement invisibles, pour le portrait des artistes, un flou de crayonné du profil filigrané des deux artistes à l’intérieur du gatefold.

Inspire Me : voix de petite fille perverse sur un tissu de dons d’organes. Elle n’a qu’à ouvrir la bouche pour que vous la suiviez les yeux fermés dans le jardin des délices. Les roses ont des épines empoisonnées mais elle passe entre leurs tiges en se jouant, une rythmique toute simple juste pour mettre en évidence la lascivité étirée de la voix, le tout entrecoupé d’épaisseurs nostalgiques de violoncelle qui résonnent comme des innocences de périodes ingénues à jamais perdues. Cold Woman : vous avez eu la petite fille voici la mystérieuse égérie frigide à la voix de glace. Se la joue à la Dietrich, mais très vite elle dévoile sa lointaine cruauté et donne des ordres d’une voix coupante comme des poignards, et la colère simulée l’emporte, elle vous met en garde contre vous-même, vous ne savez pas ce qu’elle cache, des éclats de moire de violoncelle renforcent la naïve violence de sa fausse candeur. Child Spirit : l’instant peut-être de se pencher sur l’accompagnement électro qui depuis le début fait des claquettes sur toutes les inflexions de la voix mutines à s'y confondre avec elle. Plus ce violoncelle qui pleure des larmes de topaze. L’on ne sait trop pourquoi mais l’instant crucial du vivre selon soi est aussi fragile que le souffle d’un enfant qui babille dans lequel s’incarne l’âme éperdue des désirs assassins. Un jour on ne joue plus. Un joyau, un pur chef d’œuvre. Le Bal : c’est la vie qui tourbillonne, mais dans l’œil de l’ouragan, voici la féminine solitude, parfois l’on n’est plus qu’un amas de décombres et de souvenirs, Joseph vient au secours de sa sœurette mais rien ne saurait briser la solitarité de l’iceberg glacé que l’on est devenu et que l’on transporte avec soi, si ce n’est un aboiement de chien qui peut être aussi bien le toutou au portail de l’enfance que le Cerbère qui vous attend à la porte des Enfers. Longue suite musicale mélodramatique pour vous accompagner dans l’escalier qui descend, la guide passe devant et arbore un timbre adamantin de vil coquin. Impermanence : une petite voix doucereuse pour nous assurer de la catastrophe de l’immuable écoulement des choses, rien ne dure, l’impureté du néant ronge la pureté de l’existence, ce n’est pas un drame, une comptine à chantonner d’une voix claire même si les gouttes de violoncelle démentent toute cette insouciance. Les bijoux qui brillent le plus sont ceux qui ressemblent le plus au toc des pacotilles. Tragic Secret : cliquetis et lourdeurs, la voix effleure les touches du piano électronique, elle s’affirme et se fait plus grave pour vous révéler l’innommable. Vous pénétrez au cœur atomique de la révélation comme quand vous glissez vos doigts dans la fente d’un sexe, vous l’avez voulu, vous ne ressortirez changé à jamais du cancer de la vie qui vous ronge la tête. La rose des folies conduit aux névroses irrémédiables. Drame métaphysique. Silence : parfois il vaudrait mieux arrêter de parler et de chanter car l’on est rentré dans les étendues de l’inefficience et de l’inutilité. Mais l’on prononce toujours quelques mots sur les tombes qui se referment.

Le disque est à écouter comme un somptueux oratorio sanglant qui retrace le chemin intérieur d’une petite fille qui n’aurait pas dû grandir. Nous non plus. Mais on fait semblant de l'ignorer.

Superbe.

Damie Chad.