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28/08/2019

KR'TNT ! 427 : JERRY LEE LEWIS / QUICKSILVER MESSENGER SERVICE / DARTS / COSMIC TRIP / DIRTEEZ / LOS MUERTOS / VOLUTES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 427

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

29 / 08 / 2019

 

JERRY LEE LEWIS

QUICKSILVER MESSENGER SERVICE / DARTS

COSMIC TRIP / DIRTEEZ / LOS MUERTOS / VOLUTES

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Pas d’embellie pour Jerry Lee

 

De tous les personnages qui ont défrayé la chronique du rock au XXe siècle, Jerry Lee Lewis reste le plus extra-ordinaire. Il faut même le voir comme un personnage biblique, c’est-à-dire hors compétition, hors normes et hors tout ce qu’on voudra. Avec Hellfire, Nick Toshes écrit une espèce de Nouveau Testament du rock dont le messie serait bien vivant et jouerait du piano. Comme chacun sait, la Bible décrit la condition humaine mieux que tout roman moderne, mieux que Zola et Balzac. Nick Tosches s’inscrit dans cette vieille veine pour dire à quel point le destin d’un homme peut se révéler épique et tragique à la fois, grandiose et misérable, sombre et admirable. La vie et la mort sont une seule et même dimension, on meurt dans la vie et on vit dans la mort. On ne peut même pas parler de grandeur et de déclin dans le cas de Jerry Lee, car jamais il ne dégringole. Même sous un déluge de procès, de saisies et de deuils, il reste Jerry Lee, the only one. Jerry Lee ne se casse pas la gueule. Il encaisse, boit un coup et repart. God peut lui prendre ses deux fils et ses bagnoles, ses bijoux et ses épouses, Jerry Lee sait qu’il va garder le principal, c’est-à-dire sa voix et sa sauvagerie, et qu’il s’en retournera rocker les salles du monde entier mieux que quiconque. Il sera toujours the only one. Il est né pour ça. Il ne vit que pour ça. Les procès ? Fous-toi les dans le cul ! Ram it up your ass ! Les épouses ? Go to hell ! Godness Gracious, Jerry Lee gronde comme un chien de combat, rrrrrrrrrr, il fait monter la fièvre et explose, car il fait partie de ceux qui ont compris que le rock’n’roll ne servait qu’à ça. Exploser.

Il atteint un tel niveau de légendarité qu’à sa mort, il ne s’éteindra pas. Nick Tosches travaille tellement le côté humain du personnage qu’il finit par le sublimer au point d’en faire jaillir l’esprit. On se fout de savoir si Moïse portait une barbe blanche. Par contre, on sait qu’il a escaladé le Mont Sinaï pour aller récupérer les fameuses Tables de la Loi qu’on appelle le Décalogue. Jerry Lee n’a rien escaladé, mais il a gravé son Décalogue sur vinyle en 1964 au Star Club de Hambourg. Follow That !

Pour bien situer les choses, Nick Tosches démarre Hellfire en pleine nuit, à trois heures du matin. Des éclairs zèbrent la nuit, le tonnerre gronde et une Lincoln Continental s’est encastrée dans le portail de l’entrée principale de Graceland. C’est Jerry Lee, complètement défoncé, qui hurle en brandissant un flingue. Il veut voir Elvis. Mais Elvis est en pyjama. Elvis fait dire au gardien qui l’a appelé depuis le pavillon d’entrée qu’il n’est pas question de le déranger. Quoâ ? Jerry Lee s’étrangle de rage. Whaaat ? Elvis motherfucking Presley y veut pas qu’on le dérange ? Mais il se prend pour God dans sa fucking baraque ! Jerry Lee bave de rage. Elvis, c’est rien qu’un gros lard bourré de came qui se teint les cheveux comme une putain de bonne femme ! Job a dit : «Ils consument leurs jours dans le luxe et en un instant vont à la tombe !» Jerry Lee explose de rire. À la tombe ! À la tombe ! Sa voix se perd dans le fracas du tonnerre. Il tire des coups de feu en l’air. Il crache de dégoût. À la tombe ! Le gardien a appelé les flics. Ils arrivent et mettent les pinces à Jerry Lee pour l’embarquer au poste. À la tombe ! À la tombe ! Longtemps sa voix va résonner dans l’écho du temps. Godness Gracious !

À l’instar de Moïse, Jerry Lee n’est pas tombé du ciel. Il n’est pas non plus arrivé sur l’eau du Mississippi, assis au fond d’un panier. Il est sorti du ventre de sa mère Mamie et très vite, Uncle Lee déclarait : «Cet enfant a le regard d’un faucon !» Rrrrrrrrrrrr. Petit, on lui raconte que son arrière grand-père Old Man Lewis pouvait assommer un cheval d’un seul coup de poing - A hell of a man, Old Man Lewis - Jerry Lee adore ça. Son père Elmo lui enseigne les valeurs de la famille Lewis : courage, work and grin, surtout le grin, le rictus. Le bambin Jerry Lee ne joue pas aux billes. Il préfère aller mater les nègres qui pianotent leur boogie de bastringue chez Hanley’s Big House ou se mêler à cet extraordinaire ramassis de fanatiques religieux qui parlent dans des langues inconnues à la Church of God de Ferriday. Rrrrrrrr Godness Gracious ! Le décor se plante tout seul, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Son père Elmo trouve un job de menuisier à la taule d’Angola et ramène un piano Stark upright pour Jerry Lee qui du coup sèche la classe pour singer les nègres de Hanley’s Big House. Il s’installe et fracasse the Holy Ghost boogie. Bing Bang Boom ! Il n’a qu’une idée en tête : jouer hard and wild comme ces fucking niggahs de Hanley’s Big House. Plonk ! Plonk ! Rataplonk ! Son père Elmo l’observe avec un sacré sourire au coin des lèvres - The big grin - À l’école, les autres appellent déjà Jerry Lee the killer, à cause de sa façon de jouer du piano. Ah il n’aime pas ça, mais en même temps, ça colle bien avec la légende de Old Man Lewis. Killah ? Oui, parce qu’au fond il se sait le roi des enfoirés : «I am one mean sonabitch !»

Avant de débarquer à Memphis avec Elmo, Jerry Lee tente sa chance à Nashville. Les patrons des clubs n’apprécient pas trop son boogie pétaradeur. Ils conseillent à Jerry Lee de laisser tomber le piano et de gratter une guitare. Jerry Lee se marre et leur répond qu’il peuvent aller se carrer leur guitare dans le cul - Ram it up your ass - Un jour, son cousin Mickey Gilley lui dit : «Jerry, pourquoi ne te rends-tu pas à Memphis, dans le Tennesse, pour faire un brin de causette avec le type qui a lancé Elvis ?» Jerry Lee lui répond qu’il va y aller, un d’ces quat’. Et c’est là que la légende de Jerry Lee croise à nouveau celle de Moïse. D’un côté, on a les Douze Plaies d’Égypte et de l’autre, les Trente-Trois Douzaines d’Œufs qu’Elmo ramasse dans son poulailler. Pas pour faire des omelettes, mais pour les vendre au Nelson’s Supermarket, sur Louisiana Avenue, à Ferriday. Une expédition, ça se finance. Un matin, ils mettent la Ford en route et prennent la direction de Memphis sous un ciel noir comme le cul d’un nègre.

Lors de leur premier raid, la paire Jerry Lee/Elmo impressionne le staff de Sun. Quelques semaines plus tard, Jerry Lee revient au 706 pour une première Sun session. Nouvelle paire : son cousin JW Brown, le père de Myra Gale, l’accompagne. Jerry Lee porte une barbichette et JW Brown une big blond Silvertone gittah. A weird-looking pair, murmure James Van Eaton, le batteur du house-band Sun. Jack Clement enregistre la session. Rentré de ses vacances à Miami, Sam Phillips écoute le «Crazy Arms» qu’a enregistré Jack Clement. Uncle Sam qui dans sa vie a entendu plus de belle musique qu’aucun autre homme au monde se régale tellement d’entendre Jerry Lee pianoter qu’il en ferme les yeux. Et c’est là qu’il lance cette prophétie : «I can sell that !»

Quand paraît son premier single, Jerry Lee le brandit fièrement. C’est avec le rictus d’un fou au coin des lèvres et le regard de faucon d’Old Man Lewis qu’il lit la mention inscrite sur la rondelle jaune et brune : Jerry Lee Lewis with his Pumping Piano. Uncle Sam ne se trompe jamais dans ses prophéties. Jerry Lee voit sa carrière décoller comme une fusée, dans le tonnerre et les flammes de l’enfer. Il part en tournée avec les autres chevaux légers de l’écurie Sun et fait de sacrées découvertes : Johnny Cash se came aux amphètes et Carl Perkins boit comme un trou. Jerry Lee lâche une première bombe atomique sur l’Amérique avec «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On». À la fin de la session, Jack Clement propose de partager les royalties avec the Holy Ghost, mais ça ne fait marrer personne. Puis un nègre nommé Blackwell refile «Great Balls Of Fire» à Jerry Lee - This little colored fella wrote it for me - Rrrrrrrrr ! Godness gracious ! Splendeur vénale, colère et damnation ! Sur scène, Jerry Lee sort de la poche de sa veste une bouteille de coca remplie de gasoline, et pendant qu’il martèle les accords de Great Balls d’une main, il arrose le piano de l’autre, gratte une allumette et vlaaaaaaahfff ! les flammes jaillissent, alors il se met à pounder son clavier des deux mains comme un dingue, la bouche ouverte et les cheveux dans la gueule, il parle des langues inconnues et sa silhouette de frappadingue rougeoie dans les flammes, holiness and fire, the frenzy of it all, le public devient fou et bascule dans la pire mad frenzy qu’ait connu le Deep South. Quand Jerry Lee regagne le backstage en titubant, ivre de colère et puant l’essence, il croise Chuck Berry et lui lance d’une voix anormalement calme : «Follow that niggah !» De la même façon qu’Old Man Lewis qui knockait a horse to his knees d’un seul coup de poing, Jerry Lee dégomme un piano d’un seul coup - Burned that dam piana to the ground ! - Avec le power of the Holy Ghost.

Et puis tiens, voilà les gonzesses. Dans la région, on démarre tôt. Sa sœur Frankie Jean se marie à douze ans. À l’âge de seize ans, Jerry Lee épouse Dorothy Barton, une belle brune, fille d’un prêcheur Pentecotiste de Sterlington. Un an plus tard, il rencontre Jane Mitcham et l’engrosse. Il l’épouse à Natchez. Jerry Lee n’a que dix-sept ans et le voilà déjà bigame. Il trafique sa date de naissance sur les certificats de mariage. Mais la relation est assez houleuse avec Jane qui maudit son piano et les nuits qu’il passe à jouer au Wagon Wheel, un club mal famé de Ferriday. En représailles, Jerry Lee l’accuse de tous les péchés contre the Holy Ghost : elle boit, elle fume et il l’accuse même d’adultère ! Puis il flashe sur sa cousine de douze ans, Myra Gale. Dieu leur est témoin que c’est un coup de foudre. Mais Dieu a plusieurs tours dans son sac : une autre foudre, celle de la presse anglaise, va s’abattre sur eux, pour consacrer leur union et les griller. Pourtant violemment frappé par le destin, Jerry Lee reste debout et gueule dans le fracas du tonnerre. Il voit son étoile s’éteindre, il passe du statut de superstar à celui de pervers honni des foules, ses cachets de 10 000 $ fondent comme beurre en broche, on lui tend 250 $ et il doit s’estimer heureux. Mais rien ne peut abattre l’arrière petit-fils de Old Man Lewis. C’est lui qui abat. Pas Dieu.

Quand Jerry Lee revient en Angleterre en 1964, les foules l’acclament. Mais il remarque que les jeunes s’habillent bizarrement, oh pas les Teds, mais les autres, ceux qui portent des pantalons à rayures et des petites casquettes ridicules, those goddam Beatles boys. Et puis il y a aussi ces Rolling Stone boys qui se tortillent comme des pédés nègres - Nigger faggots on the last night of Mardi Gras - Pire, les filles, avec les mini-jupes qui couvrent à peine le lieu de tous les péchés. Et il entend partout cette motherfucking music. Un peu plus tard dans l’année, il débarque à Los Angeles sur le plateau de l’émission Shindig et constate que lui et Willie Nelson sont les seuls qui ressemblent encore à quelque chose. Tous les autres sont déguisés comme des motherfucking Brits.

Avec Jerry Lee, il en faut toujours plus. Dope, alcool, guns. Toujours plus. Tarp Tarrent, Charlie Freeman et Hawk Hawkins font partie de son groupe. De retour à Memphis après une tournée, interdiction formelle de rentrer à la maison : Jerry Lee veut continuer à faire la fête chez lui jour et nuit. Le premier qui se casse est viré ! - We’re gonna party for five fuckin’ days - Celui qui est viré n’est pas payé. What a trip ! Hawk, Charlie et Tarp n’en peuvent plus. Myra Gale non plus. Elle finit par se barrer et Jerry Lee épouse en 1972 une jeune divorcée nommé Jaren Elizabeth Gunn Pate. Ils se séparent deux semaines plus tard.

Jerry Lee boit de plus en plus. La booze occupe dans son huit-parade le même rang que God et la musique. Il boit au goulot. Il se goinfre aussi de pills et fume les plus gros cigares qu’il peut trouver. Jerry Lee se sait indestructible. Il porte des armes et tire des balles dans les plafonds. Bim bam ! Ou dans la poitrine des gens, tiens par exemple celle de Hawk, son bassiste. Un soir il sort un 357 Magnum et dit à Hawk de bien regarder - Look down the barrel of this - Il annonce qu’il va viser la bouteille de Coca qui est derrière, bim bam ! Haw s’écroule, la main sur sa poitrine trouée comme une passoire et cette harpie de Jaren Pate lui gueule dessus parce qu’il salit la moquette blanche avec son sang. Qu’on se rassure, Hawk va survivre. Il va même poursuivre Jerry Lee en justice et réclamer 400 000 $ de dommages et intérêts. Jerry Lee refuse de paraître au procès et son avocat, écœuré demande à être dessaisi de l’affaire. Mais c’est une goutte d’eau dans l’océan des procès qu’on lui intente : Jerry Lee perd tout ce qu’il possède au fur et à mesure, mais il lui reste the courage, the work and the grin.

Invité à se produire au Grande Ole Opry, Jerry Lee promet qu’il va rester sage. Rrrrrrrr... Il arrive sur scène et fout le souk dans l’Opry à coups de Great Balls et de Whole Lotta. Il déclare au public médusé : «You can do what you can do ! And thank God that Jerry Lee Lewis can do it !» Et il joue «Chantilly Lace» à coups de talon. Du haut de son Ararat, il lance au public : «Let me tell you somethin’ about Jerry Lee Lewis, ladies and gentlemen, I am a rock-’n’-rollin’, country-and-Western, rhythm-’n’-blues singin’ mothafucker !» Et comme il est en train de provoquer le public plutôt conservateur du Grand Ole Opry, il leur sert sur un plateau d’argent la plus sombre interprétation d’«I’m So Lonesome I Could Cry» d’Hank Williams.

Quand il rencontre un hippie, Jerry Lee lui dit que selon la Bible, c’est un péché pour un homme que de porter les cheveux longs. Le hippie lui rétorque que Jésus avait les cheveux longs. Mais Jerry Lee qui connaît la Bible par cœur depuis the Assembly of God lui explique que nulle part dans la Bible on dit que Jésus avait les cheveux longs. Personne ne sait à quoi il ressemblait. Le hippie qui a réponse à tout lui dit qu’à l’époque les ciseaux n’existaient pas. Jerry Lee lui demande d’où il sort ses conneries. Il lui rappelle que les Romains étaient des pretty smart cats. Le hippie tente de noyer le poisson en expliquant que Moïse portait la barbe. Il réussit presque à couper le sifflet de Jerry Lee.

Dans un restau, on joue sur un juke un hit de Jerry Lee. Jerry Lee entend une vieille rombière installée à une table derrière lui déclarer : «I hate this Jerry Lee Lewis shit they’re playing». Elle déteste la musique de Jerry Lee qui se tourne vers elle et lui lance : «Fuck you, espèce de vieille pute redneck !» Deux minutes plus tard, un mec tape sur l’épaule de Jerry Lee : «C’est vous, Jerry Lee Lewis ?» et Jerry Lee lui répond : «The one and only !» Bing, le mec lui colle son poing dans la gueule et lui brise le nez.

Signé : Cazengler, Jerry lie de la terre

Nick Toshes. Hellfire. Penguin Books 2007

Quicksilver machine - Part One

 

Comme Gary Duncan vient de casser sa pipe en bois, on va en profiter pour remettre le nez dans l’histoire du plus lumineux des groupes de la scène psychédélique de San Francisco, le Quicksilver Messenger Service. Gary Duncan, David Frieberg, John Cipollina et Greg Elmore sont comme les trois mousquetaires, un pour tous et tous pour un. Le Quicksilver établit sa réputation sur le twin guitar attack de Cipo et Gary Duncan. Tous ceux qui ont vu l’extrait de Quicksilver dans le Montery Pop movie de Pennebacker savent que Cipo joue en picking d’onglets sauvages, comme d’ailleurs Roger McGuinn des Byrds et James Gurley de Big Brother & The Holding Company. En 1972, Gene Sculatti affirme que Quicksilver rivalise de power avec les Who. On les dit aussi plus puissants que l’Airplane, plus carrés que le Dead et plus évolués et aventureux que Big Brother & The Holding Company. La plupart des groupes de la scène locale venaient du folk, ce n’était pas le cas du Quicksilver, exception faite de David Freiberg qui était lui aussi un ex-folkie.

Dino Valenti vient lui aussi de la scène folk de Greenwich Village, mais personne ne sait s’il est vraiment à l’origine du groupe ou non. Toujours est-il qu’il débarque à Frisco et s’installe sur une péniche avec David Crosby. Ils enregistrent ensemble «Birdses» qui dit-on va influencer les Byrds au moment du choix d’un nom de groupe. Dino Valenti compose aussi «Get Together» dont les Youngbloods vont faire un hit. Il commence à fureter dans les alentours, à la recherche de musiciens pour monter un backing band et tombe sur un pur rocker, John Cipollina, qui est fan de Jerry Lee Lewis. Au point de l’accompagner sur scène quand il se produit en Californie. Dino Valenti organise une répète le lendemain mais il ne vient pas. Pourquoi ? Parce que les cops le coffrent pour usage de dope. Pendant ce temps, un groupe garage nommé the Brogues fait des ravages un peu plus loin, à Central Valley. La chanteur s’appelle Gary Coles. Il va devenir Gary Duncan. Il se balade en décapotable jaune, fume de l’herbe et trimballe des putes sur la banquette arrière. Le spectacle ne plaît pas aux flics qui l’envoient au trou pour quatorze mois. On drugs charge, comme dans le cas de Dino.

Quand il sort, il découvre que les Beatles ont tout ratiboisé : le folk et le r’n’b. Il intègre les Brogues qui jouent du garage. Le batteur Greg Elmore a choisi les Pretty Things comme modèle pour les Brogues. Ils se vendent comme «American music with British accents» et enregistrent une version approximative du «For Your Love» des Yardbirds. Ils vivent de leur musique et vendent les tickets de concerts eux-mêmes. Mais l’un des Brogues est appelé sous les drapeaux et le groupe disparaît. Alors Gary Duncan et Greg Elmore décident d’aller s’installer à Frisco - taking speed, drinking a lot, smoking pot.

Pendant ce temps, Cipo attend que Dino sorte du trou. Il bricole avec Skip Spence et un bassiste nommé David Freiberg. Mais ça ne dure pas longtemps : Freiberg se fait coffrer pour usage de dope. Cipo prend son mal en patience. Deux au trou, ça commence à faire beaucoup. Dans une fête psychédélique, il rencontre Gary Duncan et Greg Elmore. Il leur manque juste un bassman et un chanteur ! Davird Freiberg sort au bout de 47 jours et il rejoint les autres. Ils se baptisent Quicksilver Messenger Service et en 1965, ils commencent à jouer ici et là. Ils partagent l’affiche avec le Dead, l’Airplane, Country Joe & the Fish, les Charlatans et Big Brother. Mais le Quicksilver prend un malin plaisir à se distinguer des autres groupes de la scène locale, avec leur hard-driving ferveur, héritée des racines garage de Gary Duncan et Greg Elmore. C’est d’autant plus probant que Greg bat fort. Gary Duncan : «We had the best rhythm section in the city.» Chaque fois qu’ils montent sur scène, ils sont sous LSD et ils explorent les zones inconnues de la wild psychedelia. C’est d’ailleurs ce que reprochent les spécialistes aux albums studio du groupe : un son trop sage, alors que sur scène, le groupe battait tous les records de sauvagerie aventureuse. Ils utilisent des cuts comme «Co’dine» de Buffy Sainte-Marie ou «Mona» de Bo Diddley pour se livrer à d’explosifs two-guitars workouts. Gary Duncan va plus sur un feel jazzy alors que Cipo ne vit que pour les vrilles ascentionnelles.

Et la légende de Quicksilver commence à se répandre, et pas seulement grâce à la musique. Ils optent pour un mode de vie communautaire et s’installent dans une vieille ferme à Olema avec leurs armes à feu. Ils s’habillent en cowboys, tirent des coups de fusil et élèvent un loup. Ils abattent des vaches dans les champs pour se nourrir. Les mecs du Dead vivent aussi dans le secteur, mais ils préfèrent les Indiens. Une nuit, ils attaquent la ferme du Quicksilver avec des arcs et des flèches. Pour se venger, le Quicksilver se rend armé jusqu’aux dents à un concert du Dead mais des flics les arrêtent. La vengeance devra attendre.

Pourquoi les armes à feu ? Parce que Gary Duncan. C’est l’une de ses passions avec les motos et les guitares électriques. Dans une interview un peu tardive, il avoue avoir été au sniper au Vietnam, en 62 et 63 - I was a sniper in the 75th Airborne - Il est revenu au pays juste avant l’élimination de Kennedy. Il ajoute qu’à cette époque, on ne parlait pas encore de guerre du Vietnam. Alors évidemment, l’interviewer lui demande comment il gérait ça alors qu’autour de lui, les gens refusaient l’incorporation et affichaient ouvertement leur antimilitarisme. C’est simple. Il dit n’en avoir jamais parlé. C’est le dernier truc dont on pouvait se vanter à San Francisco - Si j’avais dit que j’avais été sniper au Vietnam et que j’avais descendu 27 personnes, on ne m’aurait jamais accepté dans le groupe - Il ajoute qu’il était mal vu à cause de sa moto et de son goût pour les flingues. Alors il s’est naturellement tourné vers les Hells Angels - On ne pouvait jamais faire confiance aux musiciens, par contre on pouvait se fier aux Hells Angels - Gary Duncan dit avoir grandi en Oklahoma, dans un monde où l’homme doit être un homme. Il préférait aussi les beatnicks aux hippies, car selon lui, le mouvement beat reposait sur une démarche purement intellectuelle, ce qui n’était évidemment pas le cas du mouvement hippie, composé essentiellement de fugueurs et de fugueuses qui ne pensaient qu’à baiser et à se schtroumpher. Le LSD était encore légal à cette époque et Gary Duncan insiste pour rappeler que tout le monde en prenait. Des tonnes de LSD.

Un premier album sobrement titré Quicksilver Messenger Service sort en 1968. Ils ne sont que quatre (Duncan/Freiberg/Elmore et Cipo) et Gary Duncan mène le bal. Il chante «Pride Of A Man» avec une sorte de rage contenue. Puis on les voit se contenter de gratter leurs grattes en rythme sur «Dino’s Song». Ils vont ensuite piquer leur crise classique avec un «Cold And Silver» d’une infinie délicatesse, comme le fit Dave Edmunds à l’époque de Love Sculpture avec son adaptation du «Sabre Dance» de Khachaturian. Gary et Cipo se livrent à un véritable festival de virtuoses et se positionnent dans les hautes sphères de la paraphernalia. Ça joue à la note précise et lumineuse, au délié de gammes. On tombe en B sur un «Too Long» étrangement poppy. C’est n’est pas le ‘debut album’ du siècle comme on a voulu nous le faire croire à l’époque. Loin de là. Moby Grape avait beaucoup plus de jus. S’ensuit «The Fool». C’est le moment d’allumer un spliff. Tu en as pour douze minutes. Cut idéal pour partir en goguette. Gary et Cipo ultra-jouent leur guitar-slinging paradisiaque.

Encore un malentendu : on a longtemps considéré Happy Trails paru un an plus tard comme un disque culte. Le culte avait bon dos à l’époque. Forcément, on préférait les albums qui sonnaient comme des invitations au voyage. En gros, Gary et ses amis proposent deux longues variations sur un thème de Bo Diddley. Ils démarrent avec «Who Do You Love». On peut dire que tout le son de Quicksilver est là. Gary tient le lead, bien épaulé par des ouuh-ouuh californiens et on peut dire que ça groove. On voit même Gary Duncan jazzer son groove sous le vent. Il file comme un furet. Mais il y a des longueurs. Pour écouter ça, il faut disposer de temps devant soi. Ce qui n’est pas toujours évident. Surtout quand on s’amuse à cumuler les fonctions. En B, il restent chez Bo avec «Mona». Ils en proposent une interprétation libre. Les Quick ne s’embarrassent pas de scrupules. Ils réussissent à bricoler une version molle, à l’image des montres molles de Dali.

Gary Duncan quitte le groupe au moment de la parution de Happy Trails. Il préfère rouler en moto avec Dino Valenti, prendre du speed et aller se battre dans des bars. Nicky Hopkins qui est de passage en Californie rencontre Cipo et ils décident de jouer ensemble. Ils tentent de redémarrer un groupe moribond avec Shady Grove, en 1969, mais toute la dynamique des psychedelics workouts a disparu. Ce qui n’est pas une mauvaise chose car Shady Grove est beaucoup plus solide que les deux premiers albums. Cipo reprend les choses en main et dès le morceau titre d’ouverture de bal, il propose un son musculeux, quasi épique, fruité et boisé. Il ultra-joue et Nicky Hopkins hante le cut avec son piano. On a là un fantastique jerk de groove Quicky, certainement un pic d’excellence en matière de Californian Hell. Avec «Three Or Four Feet From Home», Cipo passe au boogie. Idéal pour un boogie-cat comme Nicky. Non seulement Cipo jute bien, mais il jute une classe infernale. Il sort un son plein et vif. Vif argent comme le Quicksiver. Ça frise l’ampleur catégorielle. David Freiberg enchaîne avec «Too Far», un admirable balladif dylanesque noyé d’orgue par Nick Gravenites. On reste dans le qualitatif Quicky avec «Holy Moly», heavy balladif tendu vers l’avenir. Nicky Hopkins ruisselle de notes, ça sent bon la grande ampleur, c’mon ! Pour un peu ils sonneraient presque comme la Carla Bozulich des Geraldine Fibbers dans «Dragon Lady». Cipo embarque cette merveille à la force de la glotte.

David Freiberg demande à Gary Duncan de revenir pour sauver le groupe. Ils ont besoin de blé, alors Duncan et Valenti acceptent. À présent, ils sont six, avec Nicky Hopkins. Dino Valenti prend le lead et ramène un peu de folk-rock dans Quicksilver. Il propose d’aller enregistrer le prochain album à Hawaï. Just For Love paraît en 1970 sous une pochette psychédélique, la première d’une petite série. C’est là que se niche leur premier hit, «Fresh Air» qui flotte dans l’excellence patentée de l’apanage. C’est là où le guitar hero se fond dans la lumière du paradis. Dino et ses amis développent un esprit d’immense pureté qui peut égaler celui développé par Santana, avec une belle démesure et un joli souci d’excellence. On sort de ce cut ravi et repu. L’autre gros cut de l’album s’appelle «The Hat». On y retrouve le groove magique du Quick, ils se donnent le temps du temps, des arpèges évanescents doublent la voix de Dino. Cipo et Gary rivalisent d’habileté florentine. Ils pratiquent l’art subtil du grand écart. Autre joli cut, «Freeway Flyer», en ouverture de B : puissant et hanté par la slide carnivore de Cipo. Dino enchaîne avec «Gone Again». Il nous fait toujours à peu près le même coup : groove d’errance quaternaire, sans but ni idéologie.

Le petit préféré restera sans doute What About Me, paru la même année. L’album propose en réalité le reste des enregistrements de Hawaï. Dès le morceau titre, on retrouve cette atmosphère détendue qui fait le charme de «Fresh Air». Ça ce sent que c’est ça. Fantastique ambiance de guitares psyché. Dino compose tout et signe James Otis Farrow. Des cuivres entrent dans la danse et le cut bascule dans la magie. Le coup de génie de l’album s’appelle «Call On Me». On a là un big freakout de Quick embarqué à la wah et aux cuivres, sweet sweet loving day. Extraordinaire démesure ! Ils s’y mettent tous. Voilà le grand Quick, you call on me, avec des chœurs écœurants de classe californienne. C’est cassé en deux pour une deuxième fournée, ils ont raison, ça permet de revivre la lente transition qui mène à l’explosion de chœurs. Dino mène si bien le bal, I need someone / To talk at night, et les chœurs remontent comme une marée du siècle, ouuuh ouuuh, sweet sweet love. C’est abominablement bon. Dino emmène le Quick vers une autre dimension. Avec «Subway», ils sonnent comme Cream, avec un heavy groove monté sur un riff conquérant. Ils peuvent développer un very big sound, for sure - I’m just a country boy/ I’m so far away from my home - Nicky Hopkins tape un bel instro intitulé «Spindrifter» sur son piano, et le Quick repart en mode groove aérien avec «All In My Mind». Gary Duncan adore les alizés et passe un solo délicieusement délié et joué à l’ongle de nacre.

En 1971, Cipo, David Freiberg et Nicky Hopkins ont quitté la groupe. Ne reste plus que le noyau dur Dino/Gary/Greg Elmore. Ils enregistrent Quicksilver, un album mi-figue mi-raisin quasiment composé par Dino. Dès «Hope», il fait référence à l’Eve of Destruction et prend des petits accents dylanesques pour promouvoir son art. Gary Duncan réactive ensuite le vif argent avec «I Found Love». On entend son jeu pernicieux hanter le fond du cut. Dino se fend d’un «Song For Frisco» très pointu dans le nasal. C’est saturé de beau son psychédélique qui est, faut-il le rappeler, l’apanage du Quick. C’est en tous les cas le groupe qu’on aimerait entendre en arrivant au paradis. Gary taille une croupière à l’excellent «Play My Guitar» et un B, le Quick se tire une balle dans le pied avec de la très mauvaise pop : «Out Of My Mind» et «Don’t Cry Lady Love». Voilà comment on flingue une B.

C’est le même noyau dur qui enregistre Comin’ Thru l’année suivante. Plus que sur les albums précédents, on constate que Dino amène de l’énergie dans le groupe. Il faut l’entendre embarquer «Forty Days» dans sa tempête de vocalises. Il sait repousser les limites. Dino est ce que les Anglo-saxons qualifient de larger than life, c’est-à-dire un bouffeur d’écran. Hey ! Il faut le voir haranguer le rock. Il va loin, aussi loin qu’il peut aller, ce mec est un prodigieux spectacle d’insistance caractérisée. On le voit ensuite gérer le groove californien de «Mojo», puis «Don’t Lose», où il appelle sa mère - Mama ! - Quel shouter ! Le mec qui remplace David Freiberg s’appelle Mark Ryan et il groove bien son bassmatic sur «Doin’ Time In The USA», le cut d’ouverture de bal d’A. On reste dans l’univers bien typé d Dino avec «Changes». Il adore composer cette pop ultra-chantée et orchestrée à la Quick, cette semblance de dérive californienne. On entend Gary Duncan faire des étincelles de wah sur «California State Correctional Facility Blues», sans doute une référence à son passé de taulard. C’est nappé d’orgue et bien embarqué pour Cythère. Des gens prétendaient à l’époque que Comin’ Thru était un album raté. Comme Saturne, la subjectivité dévore ses propres enfants.

En 1975, le groupe original se reforme pour l’excellent Solid Silver. La pochette s’orne d’une fantastique photo du groupe à bord d’un voilier. Elle remplace la traditionnelle illustration psychédélique. Place au groove Quicky dès «Gypsy Lights». On entend David Freiberg faire des miracles au bassmatic. Dynamique, voilà le maître mot. Ces mecs n’ont de leçon à recevoir de personne. Une certaine Kathi McDonald envoie des sacrés back-ups. Puis Cipo chante son «Heebie Jeebies» d’une voix un peu moins éclatante. Nicky Hopkins joue des rivières de diamants, comme au bon vieux temps. La surprise vient de David Freiberg avec «I Heard You Singing», qu’il compose et qu’il chante. Un vrai crack ! On assiste à une fantastique extension du domaine de la hutte, ce mec chante par dessus les toits, comme le pauvre Lélian, avec un bel élan patriotique. Quel souffle ! En B, Dino propose un «The Letter» qui n’est pas celui des Box Tops. C’est un folk-rock visité par la grâce. Gary Duncan joue sa partie de pedal steel à l’éclair mirobolant du Quick et derrière, la Kathi amène du jus. L’infernal Gary Duncan reprend le lead avec «They Don’t Know» et gratte ça à l’arpège d’ongle sec. Pur jus de Quick, avec un Freiberg en escarmouche et une Kathi bien frétillante en renfort. Fabuleuses harmonies vocales ! La fête se poursuit avec «Flames» et Cipo aux feedback guitars. Il faut voir le boulot qu’il abat ! Il wahte comme un démon, il joue à la force du poignet. Les Quick bouclent leur vaillante B avec «Bittersweet Love», un sacré numéro de heavy rock plein d’allant, bien drivé au bassmatic, avec des accords des Who en sur-couche. Cipo joue en open tuned lead, ça a beaucoup d’allure. Le bassmatic de David Freiberg est une merveille irrépressible. Ces mecs naviguent au même niveau que Moby Grape.

Gary Duncan réactive le groupe en 1986 avec une nouvelle équipe et enregistre Peace By Piece. Le seul rescapé du Quick original est David Freiberg au chant. Il n’y a pas de bassiste ni de batteur sur cet album, rien que des synthés. Pourtant, il ne faut pas se fier aux premières apparences. Dans «24 Hours Deja Vu», on voit la mélodie reprendre le dessus. L’art de Gary Duncan reste intact, rassurez-vous. Il donne carte blanche aux cuivres et un sax vient chauffer le cul du cut. On voit Gary partir sur «Swamp Girl», et quand il part, il part. Il sort le son qui fit la grandeur du Quick, il se lance dans une fantastique partie de haute voltige. C’est un guitar hero énergétique doté d’un allant suprême. En B, on le voit allumer «Wild In The City» à coups de petites vrilles pernicieuses et il opère un grand retour à ses amours anciennes avec le Diddley beat de «Pool Hall Chili» - I don’t eat no calamari/ Cause looking at a squid don’t pull my chain - N’oublions pas que Gary Duncan est un biker qui fricote avec les Hells Angels. Il termine cet excellent album avec le morceau titre. On y entend les hélicos, comme dans Apocalypse Now. Gary Duncan chante enfin ses souvenirs de sniper - Gimme a radio and an M-16/ And flip it on rock’n’roll - Il part en rap - I’m a war baby/ I’m a wolf in a flock of sheep - Le loup dans la bergerie. D’où la pochette.

On trouve dans le commerce tout un tas d’albums live du Quick. Celui qu’il faut choisir en priorité est le Live At The Kabuki enregistré le 31 décembre 1970. Fantastique document ! On y retrouve le Quick au grand complet : Dino, Cipo, David Freiberg, Gary Duncan et Greg Elmore. Dire que Dino a failli chanter dans les Byrds ! Ils attaquent avec le fabuleux «Fresh Air». C’est le Quicksilver de prédilection, animé d’échanges de solos entre Gary Duncan et Cipo. Quelle présence ! Encore du pur Dino avec «Truth», puissant car bien suivi par le twin-guitar attack de Duncan & Cipo. Dino privilégie les vieux grooves rampants et monte bien au créneau pour lancer ses accents tranchants. Cipo fait des merveilles et Freiberg joue de grosses basslines traversières. Duncan joue plus hargneux. Dino fond bien sa voix dans la consonance du groove californien, avec des aooouh de bonne bourre. Ils partent en boogie blues pour «Doctor Feelgood». C’est exceptionnel de bonne allure. Cipo et Duncan n’en finissent plus de s’en donner à cœur joie. Ils jouent à l’excès de note tirée et s’échangent des phrasés. Tiens voilà «Cobra» signé Cipo et monté au Diddley beat. Greg Elmore bat bien le Diddley beat et Cipo le joue à la pure Quick motion. Dino prend ensuite «Song For Frisco» par dessus les deltas de son ami Croz. Ils naviguent tous les deux dans le même univers de dérive psychédélique, de boat at sundown et d’acid trip de rêve. Avec des gens comme eux, il faut parler de magie. Back to Bo avec «Mona», ce vieux cheval de bataille tiré de Happy Trails. Pur Bo sound avec des attaques intraveineuses. Le Quick sait se montrer salement garage, avec du suspensif vénéneux en prime. C’est heavy et bien drivé par ces deux démons que sont Cipo et Duncan. Ils font de «Mona» un cult cut la praline. On a toujours les basslines traversières de David Freiberg et Greg bat ça Bo, dans les règles de l’art, alors que Cipo et Duncan orientalisent l’Occident. Ce groover génial qu’est Dino revient à ses amours avec «Subway» - I’m just a country boy - Il continue de jouer la carte du meilleur groove californien et Cipo transforme tout ça en juicy splurts et en fruity juices de guitare joyeuse. Ils démarrent le disk 2 avec «What About Me», le Quick de Dino, le heavy groove californien dans toute sa splendeur - Ouuuh Ouuuh what chou gonna do about me - C’est dingue ce qu’on a pu adorer ce cut à l’époque. Dino chante «Pride Of Man» à la bonne arrache ventriculaire, c’est très Airplane dans l’esprit de Seltz et c’est précisément la raison pour laquelle on les admire. S’ensuit un fantastique stomp de Quick avec «Local Colour», un chef-d’œuvre signé Cipo. Ils rendent une nouvelle fois hommage à Bo avec «Not Fade Away». Quelle clameur et quel beat ! Ils le dépouillent et font de ce cut une merveille exorbitante. Cipo joue en killer Quick. Encore du pur jus de Dino avec «Mojo». Ils ont un son, alors ils en profitent. C’est de bonne guerre, baby I’m here et le solo court derrière, attention, on ne rigole plus car ça pleut de partout. Ils tapent «Freeway Flyer» au riff de Creedence. Les Quick savent se montrer impériaux. David Freiberg en profite d’ailleurs pour partir en voyage intersidéral sur le manche de sa basse. Adios amigos.

Signé : Cazengler, cuite sévère

Gary Duncan. Disparu le 29 juin 2019

Quicksilver Messenger Service. Quicksilver Messenger Service. Capitol Records 1968

Quicksilver Messenger Service. Happy Trails. Capitol Records 1969

Quicksilver Messenger Service. Shady Grove. Capitol Records 1969

Quicksilver Messenger Service. Just For Love. Capitol Records 1970

Quicksilver Messenger Service. What About Me. Capitol Records 1970

Quicksilver Messenger Service. Quicksilver. Capitol Records 1971

Quicksilver Messenger Service. Comin’ Thru. Capitol Records 1972

Quicksilver Messenger Service. Solid Silver. Capitol Records 1975

Quicksilver Messenger Service. Peace By Piece. Capitol Records 1986

Quicksilver Messenger Service. At The Kabuki Theatre. 31 12 1970. Charly 2007

Michael Saltzman : To the limits. Record Collector # 453 - May 2016

She Darts it right

Tout le monde se souvient des Love Me Nots et des ravages qu’occasionnait NicoleLaurenne avec son Farfisa. Elle officie aujourd’hui au sein d’un girl-group baptisé Darts, un mot qu’on traduit généralement par fléchettes. Dans le petit monde de l’underground, les Darts ont le vent en poupe, mais avant de se lancer dans des achats d’albums, il est vivement conseillé de les voir jouer sur scène. C’est là que le cœur balance ou ne balance pas.

Sur scène, Nicole Laurenne s’est nettement améliorée. Améliorée n’est pas vraiment le mot. Disons qu’elle devient plus sauvage, elle n’hésite pas à se jeter au sol et à entraîner son Farfisa dans sa chute pour s’y livrer à des ébats spectaculaires. Elle bat Jake Caveliere au petit jeu du roulé-boulé Farfisy, autrement dit, l’art de se rouler par terre avec une carlingue de petit orgue électronique. L’exercice est beaucoup plus épineux qu’avec une guitare. L’orgue en lui-même n’est pas bien gros, mais ses pieds en font un objet récalcitrant qu’il faut savoir entraîner dans les galipettes, et ça finit par friser le numéro de cirque, ce dont le public raffole. Rien n’a changé depuis la Piste Aux Étoiles de Jean Nohain.

Autre métamorphose de choc : l’absence de Michael Johnny Walker, l’homme qui présidait aux destinées des Love Me Nots. Homme complet devrait-on dire, aux plans sonique, scénique et composital. Ce mec avait un sens inné de la compo qui fait mouche à tous les coups et du killer solo flash, et dans un monde aussi ingrat que celui du garage américain, c’est une vertu cardinale qui vaut son pesant d’or. Son absence se fait d’ailleurs cruellement sentir dans le son des Darts. Elles compensent avec une sorte de bravado typiquement féminine, elles jouent avec tout les petits chiens de leurs chiennes et moissonnent les suffrages au passage. La mission de faire oublier Michael Johnny Walker échoit à une petite brune nommée Meliza Jackson. Petite ? Presque miniature, avec des mains à peine assez grandes pour un manche aussi petit que celui d’une Tele noire. Le cheveu mi-long et noir de jais, le nez en trompette, les yeux bien charbonnés, les deux épaules couvertes de tattoos, le mini-corps enveloppé dans une mini-jupe noire assez moulante, et bottée de noir jusqu’aux genoux, elle offre une version miniature d’une early Joan Jett, c’est-à-dire d’une simili-Keith Richards juvénile. Elle frise un peu la caricature, mais elle joue avec un tel entrain qu’elle finit par emporter la partie. Tout le poids du son semble reposer sur ses épaules tatouées, alors elle joue avec une extrême concentration, on pourrait presque dire à l’économie. Ses plans guitare épatent la galerie par ce qu’on pourrait qualifier de miniaturisme, c’est-à-dire une économie de moyens doublée d’une réelle efficacité. Pas de grimaces ni de chichis. Elle tombe à genoux quand il faut, lorsque Nicole Laurenne se roule par terre avec sa carlingue d’orgue. C’est là où certains guitaristes nous surprendront toujours. Pendant plusieurs morceaux, ils donnent l’impression de ne pas savoir très bien jouer, mais en fait, ils dominent parfaitement la situation. Pas besoin de tout jouer en disto ou en fuzz et de passer des solos de plusieurs minutes. La mini-Keef joue avec une édifiante parcimonie et aide ceux qui n’aiment pas trop le son du Farfisa à l’accepter. On apprendra un peu plus tard que la mini-Keef remplace l’ancienne guitariste Michelle Balderrama virée du groupe par Nicole Laurenne. La raison ? Oh c’est très simple : Nicole Laurenne est juge dans le civil et elle ne tolère pas l’usage des drogues. On appelle ça une déformation professionnelle. Bien évidemment, quand on examine les bras de la mini-Keef, on voit aucun trou de seringue. Si elle veut conserver son job, elle sait qu’elle doit se tenir à carreau.

Le set des Darts captive, c’est le moins qu’on puisse dire. Elles savent tenir un set en laisse et déclencher une émeute quand il faut. L’art du set repose sur l’alternance de faux moments de calme et de violentes montées en température. Il faut savoir climaxer au bon moment, et Nicole Laurenne bénéficie d’une longue expérience avec les Love Me Nots. Elle fonctionne aujourd’hui comme une vieille pro et sait travailler la couenne d’un public, n’hésitant pas à impliquer des gens dans son jeu. Ça donne une ambiance très cordiale, très bon enfant, très propice aux épanchements. Elle ne fait pas battre les cœurs, mais elle lie les destins le temps d’un set. Elle crée cette franche camaraderie typique de bons concerts de garage, ceux dont on reparle longtemps après, lors d’un apéro avec les copains. «Ah ouais, tu te souviens des Cool Jerks à l’Espace B ? Ah qu’est-ce que c’était bien !» Et donc dans quelques années, on dira : «Ah ouais, tu te souviens des Darts au club ? Ah qu’est-ce que c’était bien !» Que pourrait-on en dire de plus ? Ce genre de set n’a pas d’autre prétention que de nous faire passer un bon moment. Ça s’arrête là. On peut chercher dans ses souvenirs, on ne trouvera pas d’autre raison d’en parler, puisqu’il n’y a ni message, ni arrière pensée, ni double langage. Juste quatre filles qui perpétuent une tradition vieille de cinquante ans. Elles le font avec soin, comme tout ce que font les femmes, surtout dans un univers aussi peu féminin que celui des groupes de rock. Demandez à June Millington combien elle en bavait au temps de Fanny, quand elle entendait des mecs dire dans le public que les femmes ne savaient pas jouer aussi bien que les mecs. Comme les Japonais, les filles doivent en rajouter pour se montrer à la hauteur, alors elle en rajoutent, mais dans le bon sens du terme. On ne trouvera aucune trace de m’as-tu-vu chez les Darts. Elles taillent leur chemin et compensent leur absence de ‘manhood’ par un aspect sensible qui focalise l’attention et qui finit par flatter l’intellect. Bon d’accord, les compos ne sont pas spécialement renversantes, mais sur scène, elles fonctionnent plutôt bien, même si le sentiment d’avoir entendu certaines choses dix mille fois persiste. Elles développent une telle ferveur qu’elles finissent par convaincre les convaincus d’avance.

Elles font cette tournée européenne pour la promo de leur deuxième album, I Like You But Not Like That. Les investisseurs y trouveront un hit digne des Ronettes, «Don’t Hold My Hand», ce qui les consolera d’avoir lâché un billet de vingt. Le reste de l’album ne sort pas vraiment de l’ordinaire : on a déjà entendu ce tatapoum et ce garage d’orgue tellement de fois qu’il ne provoque plus le moindre émoi. Ça pue le fac-similé. Elle compensent avec de l’entrain, comme sur scène. Elles sauvent leur B avec un «New Boy In Town» bien pulsé du beat et la grosse Christine Nunez qui était elle aussi dans les Love Me Nots fait bien gronder sa basse dans «Japan» et dans «I Ain’t Crying». Il est bien certain que les Darts savent tenir un pit en laisse.

Histoire de céder à ce vilain défaut qu’est la curiosité, on peut pousser le vice jusqu’au rapatriement de leur premier album, Me Ow. Rien à voir avec I Like You But Not Like That. Écouter Me Ow, c’est comme plonger dans une bassine d’huile bouillante. On s’y frit le beignet dès «The Cat’s Meow», cette espèce de groove de garage underground emmené par une basse fuzz qui secoue le cocotier du mix. C’est du pur jus de délinquance juvénile. Nicole Laurenne envoie des yeah qui en disent long sur ses fantasmes judiciaires. Il faut se méfier de cette femme, elle peut allumer des brasiers sous la carpette et libérer autant de clameurs infernales que l’ostensoir du chanoine Docre. Elle passe à la stoogerie avec «Gonna Make You Love», elle est bonne, au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. Elle trempe sa chique dans la purée et ne mégote pas sur les lâchers de volutes. Virulence et beat turgescent, telles sont les deux mamelles des Darts. Avec «Not My Baby», elle shake son garage dans l’attente de jours meilleurs. C’est toujours comme ça quand on attend trop de la vie, on passe sa vie à attendre. Par contre, elle tarpouille son «Get Messy» dans la joie et la bonne humeur. Oh le filles, comme le disait si bien Eddick Ritchell, elles me rendront marteau ! La B tombe de sa chaise à cause de «Don’t Freak Me Out». C’est tellement battu que Nicole Laurenne a du mal à reprendre les rênes. C’est battu trop dur. Elles sont complètement folles. La batteuse vole le show. Comme elles ont décidé de ne pas se calmer, elles enchaînent avec «The Generator», elle tapent leur shit à la concassure, pas de retour en arrière possible, et Michelle nettoie la tranchée au killer solo flash. «I Made A Wish» sonne comme une expectitude de wonderland, c’est du garage spontané et plein de vie, avec un killer solo à la clé. On ne se lasse pas de l’exubérance des Darts. Dernier coup de Jarnac avec «Caught In The Devil’s Game» qui sonne comme un hit des Love Me Nots.

Le conseil qu’on peut donner, hormis les voir sur scène, c’est d’écouter cette compile parue chez Dirty Water, The Darts. Oh elle est facile à trouver dans le bac : la pochette s’orne d’un horrible sous-tif, sans doute un clin d’œil amusé de Nicole Laurenne aux médecins qui l’ont charcutée pour la sauver d’un cancer du sein. Cette compile grouille de hits fabuleux, à commencer par «Take What I Need», ce que les Anglais appellent an extraordinary delivery. Nicole Laurenne y déclenche l’enfer sur la terre, il n’y a pas d’autre formule possible, c’est digne de Question Mark & the Mysterians, elle exalte le beat comme d’autres exaltent des bites sur les parkings. On a là un hit phénoménal. L’autre monster blast de la compile s’appelle «I Wanna Get You Off», c’est illuminé à coups de wild shoots, Nicole Laurenne chante ses guts off, elle est out of her mind et c’est somptueux. Elle explose le concept qui devient une sorte d’exploding inevitable à la Warhol. On voit le hit se démultiplier à l’infini. Effarant ! Autre joli numéro de cirque : «Runnin’ Through Your Lies». Les Darts le jouent à l’emballement perpendiculaire. C’est du garage noyé d’orgue et pourtant, ça devient puissant, superbement girly, bien bombardé de son. S’il fallait les complimenter sur un truc, ce serait leur énergie. Encore plus surprenant : «Carry Me Home», slab de garage que remontent à contre-courant des nappes étranges. Le refrain décati en fait un hit. Ce beautiful «Carry Me Home» fait partie de leur set-list. Nicole Laurenne fait encore de sacrés ravages avec «Ramblin’ Stone» et son you got me ! Elle se montre extraordinairement présente, mue par une énergie qu’il faut bien qualifier d’infernale. On peut même parler de fondamental stuff. Elle cogne son shit contre un mur. Sa façon de le swinguer. Elle se livre à un truc purement américain, de l’American sex, perdu au fond de nulle part, comme un film de David Lynch. Elle se montre encore plus impliquée dans «You Got Me» - Save my soul/ Got no use - C’est un bonheur que de l’entendre shouter sa hot shit de choc. Ce qui ressort de la plupart des cuts énumérés est une sorte de crazyness. Elle drive son «She’s Gone» en enfer et c’est pour le moins enthousiasmant. On a là le big drive de garage d’Arizona. On croit même entendre Michael Johnny Walker, tellement c’est bien foutu. On assiste à une sorte d’explosion de joie et de bonne humeur, de celles qui vous sauvent une soirée.

Signé : Cazengler, Dark

Darts. L’Abordage. Évreux (27). 2 juillet 2019

Darts. Me Ow. Dirty Water Records 2017

Darts. I Like You But Not Like That. Alternative Tentacles 2019

Darts. The Darts. Dirt Water Records 2018

05 – 07 – 2019 / MONTREUIL

COMEDIA

COSMIC TRIP / DIRTEEZ

La teuf-teuf mobile filoche sur le goudron moite, deux messages, jour sur jour, de Nikopol m'coco, m'enjoignant d'être présent ce vendredi soir à la Comedia, because il y avait un super bon groupe de rock comme je les aimais. Bien sûr c'était un mensonge éhonté, désormais tous les jours de ma vie je me méfierai des annonces de Nikopol m'coco, il n'y avait pas un seul bon combo de rock, mais alors pas du tout, il y en avait deux. Certes deux genres totalement différents, de style aussi éloigné l'un de l'autre que notre bonne vieille galaxie des confins erratiques inexplorés des limites extrêmes de l'univers, jugez-en par vous-mêmes : poésie et rock'n'roll. Si par hasard vous connaissez des trucs plus explosifs que le rock'n'roll et la poésie, contactez-moi. Qui que vous soyez. Sauf Nikopol m'coco bien entendu.

COSMIC TRIP

Nous ont fait le coup de la fausse balance. Sont partis direct en poésie comme d'autres prennent le bateau. Pas la barcasse ivre de Rimbaud, mais la descente phantasmatique du radeau dans le ruisseau de Giono. Un de ses plus beaux textes, bref ils étaient trois, guitare, basse, trombone, puis elle est venue, surgie de nulle part, s'est installée devant le micro, et c'était parti pour une longue dérive de mots et de musique. Je l'avais entraperçue gisant sur le sofa en princesse assoiffée lasse de vivre alors que les autres s'affairaient autour de la leurs instruments et de leurs machineries. François Seuls et Michel, à la guitare et à la basse qu'ils échangeront dans la dernière partie du set, de vraies gueules de poëtes, broussailles de cheveux blonds et t-shirt de sang vermeil pour l'un, yeux rêveurs sur barbe engrisonnée et pointue de gentilhomme du seizième siècle pour l'autre. Ils sont les modérateurs de l'infini. Ne vous le propulsent pas à la vitesse de la lumière, vous le font couler doucement, un froissement de reptile enfui dans les fourrés, mais vous sentez que la présence redoutable et venimeuse vous suit sur le chemin. Ne vous quittera plus. Cordes indolentes et endormeuses. Raga sans rage venu d'un Orient inconnu. Vous ensorcèlent sans que vous y preniez garde. S'il n'y avait pas Sly Trombone à leurs côtés, l'endormissement et l'enfouissement final vous guetteraient.

Sylvie Shnou n'est pas un mou du genoux. Femme et espiègle. L'est chargée de réveiller les morts. Elle rutile de coups de trompettes incandescents. Faut la voir allonger démesurément son trombone, l'exhausse en cou de girafe, puis elle vous le rapetisse à la manière des parapluies pliants, les gars vous emmènent dans les plis et replis d'une musique sérielle et Sly tire au tromblon comme si elle était pistolero dans un western mexicain, à elle toute seule elle éclate aussi fort que la fanfare de l'Opéra des Quat'sous, elle vous kurt weillise vous bretchise sans concession, et ma foi elle vous fait tinter la monnaie fort bellement sur les comptoirs de la joie de vivre. L'on devrait crier au scandale, dénoncer un intolérable pot-pourri musical de douce brise et de broc frontal, un mélange qui ne devrait pas exister, mais bizarrement cette disharmonie de base est des plus harmonieuses.

Et puis il y a Lili. Juste elle. Elle a compris l'injonction mallarméenne, que la poésie se doit de reprendre son bien à la musique. La parole d'abord, la voix suffit. Tout le reste s'inscrit dans l'ordre du superfétatoire. Compagne des trois autres mais solitaire en elle-même. Mince silhouette, une éblouissante sveltesse d'un corps aux courbes évanescentes teintées à l'aquarelle comme crayonnées en dessous par James Whistler. Et puis la voix, filtrée au sang intérieur, un miracle de ton monocorde, une corde tendue sur l'abîme, pas d'effets, aucune recherche d'aigus pointus, aucun jeu de graves soubassements, le flot ininterrompu, venu de nulle part, la voix d'ailleurs de la Pythie de Delphes, l'écume basse de la Sibylle de Cumes, certes elle psalmodie des paroles du quotidien, du Prévert ou des litanies des difficultés de vivre à deux, mais ces murmures sont à interpréter, Lili nous communique les harmonies des Dieux, et c'est à vous de les recevoir et de les comprendre, car la poésie est une terrible exigence qui dit toujours plus que ce que véhicule le misérable sens des vocables humains.

Nous avons de la chance, joueront longtemps. S'amuseront, essaieront d'inclure des boucles sonores dans le long écoulement de leur musique, imprimeront en filigrane quelques rythmes de bossa, Lili prononcera des gros mots, nous proposeront de nous engouffrer dans un marathon poétique de cinquante-deux heures... Sylvestre vient leur donner un coup de main. Lili lui cède le micro et silencieuse s'occupe à être, seulement à être, au fond de la scène, et Sylvestre se lance dans une brillante démonstration de poésie sonore, petite-fille des théories d'Isidore Isou. Ne s'agit plus de déclamer, mais à l'instar des musiciens qui n'ont pour tout instrument que leur corps, le poète n'a que des mots, pas du discours construit, des espèces de proférations de mots, coupés, raccourcis, concassés, entassés, des dégringolades de phonèmes, des jacasseries de son, des dévergondages de perroquetteries, ne s'agit plus de se faire comprendre mais de démontrer qu'une fois le message aboli subsiste la présence élocutoire du poète, à entendre comme le ramage mélodieux des oiseaux. Inversion de toutes les règles prosodiques et logiques, c'est l'apparition du non-sens qui fait sens. Très belle performance de Sylvestre. Encore un peu de musique et c'est la fin, alors Lili, s'éloigne somptueuse, dans un halo de rêve.

DIRTEEZ

Trois sur scène. Subitement vous avez l'impression que quelque chose vous manque? Sont bien là tous les trois, c'est bien-là le problème. Un bassiste, yes, une guitariste, yes. Et le troisième, l'a dû venir en touriste. Rien dans les mains. L'a perdu sa batterie sur le chemin ! Non, ils n'en ont pas. Quoi un groupe de rock avec une boîte à rythmes, faut demander à être remboursés. Déjà que l'on nous promet l'apocalypse mondiale pour 2030, voilà que maintenant l'on supprime les batteries. Ne vous affolez pas. D'abord l'apocalypse elle nous est tombée dessus trente secondes plus tard. Pour la bestiole rythmique s'en sont sortis comme des chefs. Z'ont compris comment on s'en sert. Très fort, très vite. Imaginez un escalator dans un grand magasin, lancé à 100 kilomètres heures, que ce soit en montant ou en descendant vous n'avez pas à rater une marche pour rester dans les temps. Les Dirteez nous ont défilé une trentaine de titres sans faillir. Quand vous êtes poursuivi par trois molosses il est chaudement recommandé de ne pas s'arrêter pour relire La Métaphysique d'Aristote. Z'avez intérêt à cavaler grave.

Prenons un cas pas tout à fait au hasard, puisque c'est celui de Clint Lhazar, celui qui est arrivé avec son look d'aristocrate anglais convaincu que la simple présence au monde de sa personne lui sert de caution à la tentation cioranique d'exister. Rien dans les mains, mais tout dans la voix. Faut avouer que les deux autres ne l'aident pas, font un boucan d'enfer, nous règlerons leur problème tout à l'heure mais le Clint il s'en fout, possède l'arme secrète, détient the voice, pas à la Sinatra, à la sinistra, l'a l'organe qui tape dans le baryton funèbre, pourriez lui mettre un éteignoir sur la tête, ou un heaume d'armure médiévale, que vous l'entendriez toujours. Le pire c'est qu'il ne s'en sert pas pour soutenir les basses dans le requiem de Gabriel Fauré, n'oublie pas un seul instant qu'il officie dans un groupe de rock, alors il l'utilise comme un chalumeau pour découper l'enveloppe de fer blanc qui enrobe une bombe atomique. Dès qu'il l'ouvre, à chaque fois vous êtes surpris, la possibilité qu'une telle turgescence vocalique puisse exister n'avait jamais effleuré votre esprit, même dans vos délires imaginatifs les plus fous. Le barrissement concis et incisif de l'éléphant en rut et l'ampleur du profond de la baleine qui endort son baleineau. En plus parfois il la râpe au presse-légume guttural, et là vous jouissez sourdement.

Un bassiste. Vous voulez rire. Un gars sympa, une belle dégaine rock, des biceps d'acier, le mec gentil et prévenant qui vous annonce les titres, du genre Endless Night et une trombe de sable brûlant vous vérole le visage, ou alors River of Sorrow et un volcan explose sous vos pas, car personne ne lui a jamais appris qu'il jouait de la basse, mais pas de la guitare électrique. Lui il ne sait pas faire la différence. Vous tire les cordes avec cet empressement des légionnaires qui ont cloué Jésus sur la croix, l'aime le travail bien fait et vite fait.

Le plus terrible c'est que de l'autre côté de la scène, il y a son double, son triple, son quadruple, féminin. Un sourire gourmand de petite fille qui grignote une crêpe au chocolat s'étale sur son visage. Son T-shirt qui arbore une gueule de tigre colérique est un sérieux indicateur, ne s'appelle pas Wild Cat Lou pour rien, regardez le chaton de léopard tatoué sous son poignet pour vous en convaincre, l'est concentrée sur sa guitare comme un chat devant un trou de souris, l'a l'air perdue dans d'abstruses ruminations géométriques et puis sans préavis, elle vous allonge la patoune droite et vous griffe à mort le malheureux riff qui pensait que la voie était libre. Et alors elles miaulent, toutes les deux, la guitare et elle, deux tigresses endiablées, et du coup le bassiste se met à hululer comme un loup dans un roman de James Oliver Curwood. Parce que voyez-vous, je ne vous l'avais pas dit encore pour ne pas vous faire peur, mais Dirteez n'est jamais aussi bon que quand ils poussent la goualante tous les trois ensemble. Bien sûr, souvent il n'y en a qu'un qui s'y met avec Clint, mais quand ils y sont tous les trois, vous êtes obligé de reconnaître que ni le MC 5, ni les Stooges n'ont jamais pensé à cette sorte de pétaudière.

Pour résumer le carnage : ils ont commencé au niveau par lequel généralement les autres groupes terminent, vers la fin la Wild Cat s'est jetée à genoux par terre, a glissé sa tête dans la jupe longue d'une danseuse, l'a dû humer des vapeurs – je n'ose employer l'adjectif qui me vient sur le clavier – s'en est sortie toute excitée, pour, ivre de cette féminine fragrance, se fracasser la tête en arrière sur le carrelage, les mains serrées spasmodiquement sur sa guitare dont elle a continué à lacérer les cordes, une expression d'extrême extase orgasmique sur son visage. L'a fallu deux valeureux jeune homme pour la relever. Rock'n'roll ! Brothers and sisters, dear motherfuckers, il n'y a que cela de vrai sur cette terre maudite.

Damie Chad.

UNDEAD STORY

THE DIRTEEZ

( 2008 / OP001 )

Clint Lhazar : vocals / Wild Cat Lou : guitar, vocals / Jack Redrum : bass / Don Donuts : drums, banjo, backing vocals.

Âmes sensibles, estomacs délicats, ou adeptes avérés du cunnilingus, ne regardez pas la pochette, le message subliminal induit par le dessin signifie-t-il que toute la saleté du monde a trouvé refuge au plus haut d'entre les jambes des filles ? Je vous laisse seul juge. Toutefois rappel du principe le plus élémentaire de la justice humaine : ne portez de jugement qu'après longue enquête et preuve à l'appui.

UFO : les Dirteez ne lésinent pas sur le budget, vous offrent un voyage en objet volant non identifié dès le premier morceau. A peine sur la rampe de lancement que la puissance des moteurs vous arrachent irrémédiablement à l'attraction galactique. Z'ont même embauché un orchestre pour égayer le voyage : guitares fuzzantes, drummin' néphrétique, et vocals de dingos. Dirty talk with batman : un cri de goret pour vous arracher à votre tranquillité, encore pire que le premier morceau, est-on obligé de s'enfoncer de si bonne heure dans l'horrible ? Hélas avec les Dirteez c'est irrémédiable. Et cette guitare qui vous la fait nique ( mère, filles, sœurs, voisines ), un coup de grosse caisse pour renverser la marmelade, les guitares qui se prennent pour des spitfires en flammes. Not Alone : sûr qu'il n'est pas seul pour faire tout ce ramdam, il y a une chatte qui miaule pour réclamer ses croquettes du soir, doivent être particulièrement nutritives parce qu'elle réclame une seconde ration trente secondes plus tard. L'est servie sans ménagement par un maître aux petits soins. Gypsy Rose Lee : dès le début on a compris que l'on ne retrouvera jamais plus Rose Lee dans cet infâme bastringue. J'en profite pour signaler la voix de clergyman enrouée de Clint Lhazar, l'est certain que lorsqu'il les anime de son organe tuméfié les réunions tuperware spécial-paroissiennes doivent valoir le déplacement. Les assesseurs sont du même calibre. Peeping Tom : il y a des groupes qui sont dirigés par des idées simples : la même chose qu'au morceau précédent mais en mieux. Alors le Clint il dégaine sa voix comme Eastwood son flingue, et les acolytes font comme les frères de Jessie James, tirent d'abord, réfléchissent ensuite. Super western on the TV. Ça dégomme dur. Monster from outer space : à force de foutre le bordel un peu partout sur la planète on s'attire des ennuis, sont maintenant aux prises avec un monstre venu de l'espace. Certains informations secrètes de la CIA sous-entendent que c'était les Dirteez qui s'étaient déguisés pour agir en toute impunité. Enquête faite, les soupçons sont confirmés. Paradise : tiens c'est plus doux, du moins sur les trois secondes de l'intro, l'est vrai que nous sommes au paradis, mais le bon temps ne dure guère, l'on assiste à une querelle épique entre Eve Wild Cat et Clint Adam, au raffut qu'ils font l'on comprend pourquoi le bon dieu les a foutus dehors. Nous lui donnons raison. Now we're dead : ce qu'il y a de triste c'est que même morts cela ne les a pas calmés, jouent à la horde de walking deads qui déambulent dans le vestibule de votre maison-bulle. Cachez-vous dans la pendule, s'ils vous touchent vous attraperez des pustules. The real potion N° 9 : c'est le neuvième titre, encore pire que les précédents, rien à dire ce qui vous tue vous rend encore plus fort. Z'avez une guitare qui gronde comme un monstre. Vous auriez dû regarder l'étiquette, le poison sort des labos du bon doctor Feelgood. Du coup Clint et Wild Cat harmonisent une mélodie, rien que pour vous montrer qu'ils peuvent le faire, oui mais ça ne les intéresse pas, ce genre de facéties ils l'abandonnent très vite ! Carry me : une batterie qui s'emballe, un vocal qui survole et une guitare qui bouscule les armoires du living-room. Les Dirteez savent ce qu'ils veulent : allumer le feu du sexe pour ne pas le laisser s'éteindre. Haunted blues : quand le diable élit sa demeure dans le blues, ça tourne en eau de boudin, en rock'n'roll si vous voulez une traduction. Un conseil dépêchez-vous de vendre votre âme, c'est trop bon. River of sorrow : un chagrin violent avec un larsen qui vous coupe les oreilles en pointe dès le début, et puis c'est le côté rivière country déjanté qui prend le relais. Voix profonde, fleuve majestueux. Courant invisible mais si vous y mettez le pied, serez entraîné tout au fond. Pour le cadavre, les poissons chats le boufferont. She's my baby : le genre d'éructation qui mettent les gars en joie, le Clint il brame à la manière des cerfs au fond des bois, les autres derrière font les balèzes, seraient tous prêts à entonner le chant des partisans, la wild Cat vous passe les riffs comme les bandes pour la mitrailleuse. Incubus : un peu de démonologie n'a jamais fait de mal à personne, d'autant plus que l'incubus l'est au cube, le Clint particulièrement en forme pour ce morceau. Les autres vous tartinent la mortadelle à la pelleteuse de bien belle manière. Pink Bikini : musique pour effeuillage, le Clint il aime le rose ( à moins que ce ne soit le bikini ), l'on n'entend que lui, le même effet que le chiffon rouge sur le taureau, en plus la Wild Cat vient lui susurrer de ces miaulements libidineux à l'oreille qu'il en ronronne de plaisir. Vaut mieux les laisser en paix, n'ont pas besoin de nous. Se débrouillent même très bien. Car crash : étrange d'abord ils freinent et ils rentrent dedans, et c'est après qu'ils foncent comme des dératés à croire que le fisc les poursuit pour les impayés. A la vitesse où ils vont, personne ne les rattrapera jamais.

Damie Chad

DANCE OF SOULS

THE DIRTEEZ

( 2019 )

Clint Lhazart : chant / Wild Cat Lou : guitares, chant / Cyril Last Train : batterie / Tchoupi : basse, chorus + dessins & design.

La pochette vaut le détour. Voulions dire par cela que le recto est nettement plus beau. Esthétique woodoo délurée, en des tons gris explosifs.

Tiens dix ans ont passé, sans doute se sont-ils calmés, ils étaient jeunes et fous, il faut comprendre, ils ont jeté leur gourme, pas encore des grabataires mais un peu plus adultes.

Lazy : c'est indubitable, ils ont changé, sont devenus beaucoup plus vicieux. Z'avant ils vous plantaient direct le cran d'arrêt en pleine chair. Maintenant, ils se sont spécialisés à l'injection d'insuline, en sous-cutané, opèrent en douce. Une fois que vous avez votre dose, vous êtes dépendants. Dance of souls : Ils faisaient danser les corps c'était franc et brutal, carrément hématomique sur les bords et au milieu, maintenant, vous extirpent l'âme et ils s'en servent comme des marionnettistes pour la faire entrer en contact avec d'autres. Moins de chair, davantage de frisson. Vous aimeriez que cela ne s'achève jamais. Shark smile : n'en ont pas pour autant perdu les mauvaises habitudes, méfiez-vous de ces sourires en coin aussi pointus que des étoiles de ninja. La Wild Cat en a encore dans le bec, une fille qui s'adresse à vous comme cela, vous n'en avez jamais rencontré. Thirsty road : l'était très bon le morceau précédent, ben celui-ci il est meilleur. Chantent en chœur comme l'armée rouge mais les instrus sont des chars d'assaut qui ne tirent pas à blanc. Talisman : là on n'y peut rien, détiennent la formule magique, une voix qui force les serrures blindées et une guitare qui s'introduit dans votre cœur sans demander la permission. Parce que c'est eux, parce que c'est nous. Strong : pas une seconde d'hésitation, ils sont du mauvais côté de la force. Cette batterie qui enfonce le pont-levis de votre âme, la Wild Cat qui miaule comme la Pasionaria s'insinue en vous avec des faux slogans qui finissent par exploser vos certitudes. Des anarchistes, monsieur l'agent, ils ne respectent rien. I can't wait : peuvent pas attendre, résultat sont pressés. Tous en groupe en formation commando, foncent vers l'objectif à détruire, vous les applaudissez. Vous n'auriez pas dû. C'était vous. Boogie rats : ne sont pas prêts à s'arrêter en si bon chemin. La Wild Cat est au chant comme les régiments de sapeurs à la contre-mine. Evidemment, c'est sans surprise, quand la catastrophe s'arrête vous n'y croyez pas. Vos oreilles non plus. Keep it dirty : retour à l'insidieux, l'infirmière Wild Cat vous fait une piqûre et vous vous envolez jusqu'au plafond, elle crie de joie et vous faites des galipettes accroché au lustre. Avec les Dirteez c'est fou ce que l'on s'amuse Docteur, sans eux la vie est une terrible saleté. Endless night : pour le dernier morceau ils sont gentils ne vous promettent pas la lune mais la nuit sans fin. Un voyage digne de Céline et des Cent-vingt jours de Sodome. Jusqu'au bout de l'horreur-rock.

Damie Chad.

P.S. : si vous n'aimez pas le rock'n'roll, il vous est vivement recommandé de ne pas acheter ces deux disques.

07 – 07 – 2019 / MONTREUIL

COMEDIA

LOS MUERTOS / VOLUTES

Dernier concert de la saison parisienne – septembre-juillet 2018-2019 – même s'il se retrouve chroniqué avec le précédent, en début de nouvelle période 2019- 2020...

LOS MUERTOS

Sont bien vivants, je vous rassure. Que voulez-vous ce sont des Mexicains, un peuple que la mort fait rigoler. Bref ils sont quatre, ou trois + 1, pas des squelettes en sucre, sont bien là en chair et en os. Ont revêtu leurs visages d'un masque, par contre pas de micro en vue. Normal c'est un groupe de surf. En fait le batteur en recèle un, dont il ne se servira que dans la deuxième partie du set.

Qui dit surf, dit guitares. El Jonathan et Olivier en possèdent une. Jusque-là tout va bien. Mais il y a un truc qui cloche. Z'ont un style antithétique. El Jonathan c'est le surfer modèle, à peine El Julio a-t-il tamponné ses baguettes l'une contre l'autre qu'il se lance dans une galopade effrénée. Soutenu de main de main de maître par le drummin' caracolant d'El Julio, et El Giovanni chevauche sa basse comme s'il menait de bout en bout le derby d'Epsom. De la belle ouvrage. Ça vibrionne à la manière d'un essaim de moustiques-tigres enfermés dans une bouteille. Le surf est un art acrobatique, imaginez un funambule sans filet, sans balancier et sans corde tendue entre deux clochers sur la place publique. Encore plus dur que le Christ qui s'appuyait sur l'eau pour marcher sur le lac de Tibériade. Dans le surf, pas de triche, où vous avancez ou vous vous esclaffez à terre comme la figue mûre qui tombe toute seule de l'arbre. Les surfers ont rejeté la sainte trinité du rock'n'roll : pas de chanteur, pas de solo, pas de frime, dévalent la colline tous ensemble, course en équipe, sautent les obstacles et s'enfoncent dans les précipices de concert. Et Los Muertos s'y entendent à merveille à ce petit jeu d'esbroufe collective, guitare, basse et batterie, sont comme les chevaux du char de Ben-Hur, se mordent la croupe pour passer devant, se filent des coups de croche-patte pour faire basculer le copain, se cabrent tout droit sans préavis pour couper le rythme, un tintouin de tous les diables, mais ils finissent toujours par franchir la ligne d'arrivée tous ensemble.

Et Olivier dans toute cette folie. Ne la partage pas. Ne boude pas dans son coin non plus. Mais ne s'excite pas. Dans la basse-cour, vous avez toujours un coq qui refuse fièrement de se ruer sur le grain lancé à pleines poignées par la fermière, Olivier a les doigts qui picorent dignement. Le tireur d'élite qui prend son temps mais dont le tir fait mouche à chaque fois. Le gars qui craque une allumette sur les bidons d'essence. Peu d'action, mais efficacité maximale. Le mec qui desserre le frein à main pour que la voiture du voisin pique droit sur la vitrine du café afin de mettre un peu d'animation dans le magasin.

Tiens Giovanni pose sa guitare, sans doute la suivante sera-t-elle plus appropriée pour le prochain morceau. Pas du tout il descend de scène. Laisse le rôle de guitariste soliste à Olivier. Et là commence la grande mutation. Le surf que nulle oreille humaine n'avait jamais ouï jusqu'à lors. Une esclandre à pousser les puristes de l'orthodoxie surf au suicide. Pour les figures imposées pas de problème, vous les avez toutes, les voltes et les vire-voltes, le grand-huit et les montagnes russes, mais imaginez le championnat du monde de dressage dans lequel un candidat entre dans le carré en moto. Car oui, bye-bye les sixties, Olivier n'a pas customisé sa guitare avec des auto-collants, l'a carrément motorisée, elle ronfle comme si elle servait le biscuit chez Mötorhead. Voici le surf minotaure. Ne miaule pas, pétarade. L'est doué le gazier, s'amalgame au style des deux autres Muertos sans problème, le boa qui fait mumuse avec les souris, tout le monde est content et applaudit à tout rompre.

Pour la suite vont alterner un coup de guitare à la Dick Dale et un autre à la mandoline métallisée, le set en devient encore plus punchy y El Julio n'y tenant plus ne peut s'empêcher de chanter dans son micro. L'est particulièrement en verve sur Lorena qu'il chante un peu à la manière des guateques d'étudiants d'outre-Pyrénnées. Ay ! que fiesta mejicana ! Que recordar !

VOLUTES

A les voir sur scène avant qu'ils ne commencent vous n'y croyez pas. Genre d'action en bourse que vous n'achèterez pas. Une erreur dramatique, le cours va très vite monter et pulvériser le CAC 40. J'avoue que c'est une image qu'ils n'aimeront pas, qu'ils réprouveront car elle ne correspond en rien à leur idéologie. Mais que voulez-vous, un batteur et un bassiste, plus un chanteur aux mains vides, vous vous dites qu'après l'hélicoptère précédent, le son risque de paraître plutôt maigre. Oui mais ils vous prennent en traître. C'est un déluge bruitiste qui vous tombe sur le museau au plutôt sur le paletot. Z'êtes en plein capharnaüm musical, certes PH Katsos s'active au drumin' et Matthieu Lesenechal ne chôme pas sur son bassophone, mais cela n'explique pas l'épaisseur du son émis, l'enquête sera vite terminée, le coupable se nomme Christophe Guillemin, l'a amené son petit clavier Novation, pas plus grand que quatre boites à sucre pas très épaisses, s'y rue dessus, enfonce trois doigts sur trois touches du clavier, à la manière des serres d'un vautour affamé qui s'affale sur une charogne de chacal putréfié dans la Vallée de la Mort et il vous arrose à la lance incendie d'une interminable succession de giclées d'acide chlorhydrique.

Vous pensez que l'on ne peut faire plus question maltraitance physique. Vous oubliez la cruauté mentale du bourreau qui vous soumet à la pire torture psychologique. Rien qu'à la manière de porter son micro à la bouche, nul doute c'est un artiste. Chante comme les peintres et les poètes expressionnistes allemands ont bouleversé l'art au sortir de la guerre de 14-18. L'est bien jeune pour avoir connu les horreurs des tranchées mais notre société moderne, peut-être ne vous en êtes-vous pas aperçu, ne nous offre pas un monde baudelairien de luxe, de calme et de volupté. La planète est en feu, et l'engeance humaine court à sa fin. Alors Christophe vous envoie l'étoffe du message à pleins drapés. Chante avec tout son corps, se tord comme un chaman qui se plie aux incantations rituelliques, s'investit de charisme animal, l'est le rhinocéros féroce qui charge et pulvérise les idées reçues, le lion royal qui rugit ses imprécations, l'éléphant majestueux qui écrase la vermine monsantique sous ses pattes sans pitié. L'est parfois inondé de violente colère, il se jette sur Matthieu qui, impassible alors que Christophe tente de l'étrangler, n'en continue pas moins de jouer tandis que Katsos tape encore plus fort sur ses fûts. Revient vers nous et répète sans fin, dix fois, vingt fois, trente fois une espèce de mantra dynamite destiné à vous trouer le cerveau. Retourne sur son clavier comme le chien à son os à moelle, un éboulis sonore s'écroule sur vous, le son tremble comme les immeubles secoués par les ondes de choc d'un tremblement de terre, Katsos en profite pour bousculer le tout et Matthieu vous segmente le charivari à la tronçonneuse. Volutes vous submerge dans une musique paroxystique, bain de métal qui boue à gros bouillons et clapote en dégageant les pires tourbillons méphitiques.

Parfois les mots sont des missiles lancés contre les mensonges de l'ancien monde. Une voix rauque chargée d'émotion et de hargne. Les paroles sont en français, Volutes fait partie de ces groupes qui ont délibérément choisi d'employer l'idiome national, de ne plus se satisfaire des signaux de fumée de l'anglais de pacotille employé par beaucoup. Tant de situations à dénoncer, tant de visions de vie à exprimer, tant de rapports humains à redéfinir, tant de colère à alimenter, tant d'idées à faire circuler... Un rock théâtral, liturgique qui exacerbe les pulsions de révolte éparpillées dans l'esprit du public en les dévoilant en tendant à chacun le miroir de ses replis intérieurs dans lequel il est censé se reconnaître pour s'éveiller de sa propre léthargie. Un rock qui se veut révélation agorique qui explose et expose sur la place publique les contradictions de nos propres interpénétrations dans le tissu mensonger de nos compréhensions lâchement acceptatrices, de nos pactisations éhontées avec une réalité sociale que nous réprouvons en théorie et avec lequel nous composons en pratique. Volutes explore le labyrinthe de nos atermoiements, n'oublios pas qu'en mathématique l'étude des tourbillons s'inscrit dans la théorie des catastrophes.

Ce qui n'a pas empêché le groupe de faire un tabac.

Damie Chad.

VOLUTES

2.4 - √ - ◀◀

Pour la pochette ayez de l'imagination, aiguisez votre herméneutique, je m'amuse à y voir une empreinte de patte de chat, ce pourrait être aussi un projet de couverture pour La mort viendra et elle aura tes yeux le second recueil de poésie de Pavese mais dans les deux cas je suis sûr que ce n'est pas cela. Tout noir et à peine visible. Pour l'onglet blanc, pas d'erreur possible, édition à tirage limité, qui exhibe fièrement le numéro de votre exemplaire. Délicate attention pour vous rappeler que vous non plus vous n'êtes pas unique.

 

Syriana : ne vous laissez pas emporter par le motif vaguement arabisant, très rapide, trop rapide, le morceau dépasse à peine deux minutes, c'est quand vous vous posez la question cruciale – mais de quoi parle-t-il au juste ! - que vous commencez par vous dire qu'il va falloir le repasser une nouvelle fois. Pas de chance, vous aurez besoin de renouveler l'expérience pour y voir un peu plus clair. De fait c'est aussi incompréhensible que la situation en Syrie. Vous avez voulu soulever le couvercle, alors maintenant souriez. Les serpents des mauvaises raisons s'entremêlent. Mettez la main dans le nœud des vipères et dépatouillez-vous avec. L'on se presse autour de vous pour vous siffler les réponses inconséquentes. Le monde va mal, vous le saviez déjà, ne venez pas vous plaindre. La situation politique générale est déraisonnable. Nerfs à vif : grésillement de gégène intérieure. L'on a changé de pays, pas très loin, de toutes les façons dans le monde entier c'est la même situation, arrachez-vous la peau par petits lambeaux, vous serez au plus près de ce que l'on se doit de ressentir. Scarlett : tiens une chanson d'amour pour changer d'atmosphère, remarquez toutes les filles sont à l'image de Scarlett, voici le film de sa tête qui ne va pas très bien, en plus elle veut surtout pas changer d'état, cela s'appelle de la complaisance envers soi-même, si vous vous êtes laissé prendre à son manège, tant pis pour vous, la Scarlettine tue beaucoup plus que la scarlatine. Le champ des signes : voix de bonimenteur, n'y a que les filles qui soient mortelles, les hommes qui se regroupent vous pondent des théories fumeuses qui vous prouvent par a +b que l'avenir n'a plus de futur. Que voulez-vous, tout à une fin. Les signes n'indiquent que les voies sans issues. Veuillez les emprunter s'il vous plaît, nous n'avons rien d'autre en stock. Options ▷ 2.4 - √ - ◀◀ : musique électronique, vous n'y entravez que couic, c'est très court et aussi incompréhensible que notre monde. Le message se détruit avant que l'ayez écouté. Règle N° 1 du non-jeu.

L'artefact est d'une écoute dérangeante. Figurez-vous que vous oubliez qu'il y a aussi de la musique et du chant. Pour une fois ( n'est pas coutume ) ce sont les paroles qui vous prennent à la gorge et toute la place. Ce qui est rare est précieux.

Damie Chad.

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