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20/11/2019

KR'TNT ! 439 : DAVID BERMAN + SILVER JEWS / WILDHEARTS ! / OMETEOTL / JARS / ALICIA F ! / LES VIELLES PUTES / THE LECHERS / ''THE NETWORK''

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 439

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

21 / 11 / 2019

 

DAVID BERMAN + THE SILVER JEWS

WILDHEARTS / OMETEOTL / JARS / ALICIA F !

LES VIEILLES PUTES / THE LECHERS

''THE NETWORK'' CASE

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com

You Got The Silver (Jews)

 

Dans le microscopique article que lui consacre Andrew Perry dans Mojo, il apparaît que David Berman (Troubled poet of Silver Jews) serait allé se suicider dans une suite d’hôtel à Nashville, la suite où Al Gore aurait attendu en l’an 2000 le résultat des élections. Dans sa lettre d’adieu, Berman écrit : «I want to die where the presidency died.» Il n’en était pas à son coup d’essai. Pour se tuer, Berman préfère les drogues aux calibres ou à la corde. La corde, c’est bon pour les Gallois de Badfinger. Pour le portraiturer vite fait, Perry le décrit comme un sorte d’indie Leonard Cohen doué pour le désespoir existentiel, une formule qui pouvait aussi s’appliquer à Bill Callahan, avant qu’il ne trouve un équilibre en fondant une famille. Si les Silver Jews sont arrivés dans le rond du projecteur en 1994, c’est bien sûr grâce à la présence de Stephen Malkmus. Pavement avait alors le vent en poupe et Berman était le copain de fac de Malkmus. Berman allait constituer un fonds de commerce à base d’addiction et de dépression, et sortir du lot par la seule qualité de ses compos. Dans Uncut, Bob Nastanovich qui fit à la fois partie de Pavement et des Silver Jews s’appuie sur une amitié vieille de 30 ans pour témoigner, et là, ça devient beaucoup plus intéressant, même s’il ne fait aucune révélation. Il connaît Berman depuis 1985, au temps de la fac de Charlottesville, en Virginie. Après la fac, il s’installe à New York avec Berman et c’est là que Malkmus les rejoint pour monter les Silver Jews. Aux yeux de Nastanovich, Berman est un auteur extrêmement doué et extrêmement drôle. Mais en même temps, il observe que son copain Berman souffre d’une ‘mental illness’ que personne ne parvient à soigner, ni les médecins ni le principal intéressé, comme c’est souvent la cas. D’où les drogues. Crack, hero, the lot.

Paru en 1994, Starlite Walker restera sans doute le meilleur album de David Berman, rien que pour l’admirable nonchalance de «Living Waters». Berman est littéralement brillant de décadence, il est aussi capable de magie que Syd Barrett ou Lou Reed. On pourrait dire la même chose de «Rebel Jew», un cut effarant d’overwhelming qui lui se montre digne des Stones à Muscle Shoals. Berman allume des relents d’Americana inflammable. Écouter son album est une expérience qu’on souhaite à tous les amateurs de rock. Berman est de toute évidence le Syd Barrett américain, il drive d’extraordinaires courants de pensée. Il monte encore d’un cran dans l’excellence avec «The Silver Pageant», solide mish mash bermanien. Tout s’éclaire sur cet album tombé du ciel. Son «Trains Across The Sea» sonne très Velvet, très laid back mais beau. On comprend même qu’il se soit foutu en l’air - Trouble/ No troubles - C’est envoûtant - I can’t stand to see you/ When you’re crying - Il se rapproche de Pavement, ce qui semble logique vu que Stephen Malkmus fait partie de l’aventure. Les Jews restent dans le Pavement Sound avec «Advice To The Graduate» - Oh I know you got a lot of hopes for the new men XZ - Joliment décadent. Puis les Jews vont se paumer dans les Sargasses de «Tide To The Oceans». Berman illustre son vieux mépris de la vie - When you ask/ Please ask me/ Ask me to stay - Nouvelle plongée dans la décadence avec «Pan American Blues», mais ça n’a rien à voir avec Oscar Wilde. Non, c’est autre chose - There’s gonna be truce - Il répète ça trois fois. Berman se révèle prodigieusement intéressant. Il assoit sa présence dans les esprits, ce mec se rapproche de ton cou cut après cut, comme un vampire. Sa présence se fait inexorable. Diable comme cet album est beau.

David Berman va calmer le jeu avec son deuxième album, The Natural Bridge. On le sent très dégagé des réalités de ce monde. Il cultive bien son détachement, comme le montre «How To Rent A Home» et son gratté d’acou popotin et pourtant clairsemé d’authentiques épanchements. Il faut savoir apprécier le balladif décati pour entrer dans «Black & Brown Blues» - When I go downtown/ I always wear a curdoroy suit/ Cause it’s made of a hundred gutters/ That the rain can run through - Oui, Berman adore porter du velours côtelé quand il va faire un tour en ville, car c’est fait de centaines de petites gouttières où s’écoule la pluie. Il se sert de «Dallas» pour raconter qu’il s’est évanoui au treizième étage et pour saluer B.B. King au General Hospital - O Dallas you shine with an evil light - «Inside The Golden Days Of Missing You» lui permet de renouer avec le heavy balladif mélodique finement soutenu à l’orgue - You can live again/ But you’ll have to die twice in the end - Fantastique de beauté désespérée !

Paru en 1998, American Water est avec Starlite Walker l’autre grand album des Silver Jews. David Berman propose une fois encore cet admirable mélange de désaille et de présence tutélaire. Il chante «Random Rules» du fond de son vieux baryton. Puis avec «Smith & Jones Forever», il fait monter son Smith & Jones dans le forever. Mais c’est avec «Night Society» qu’il fait basculer le destin de l’album. Les Jews profitent de cet instro pour silverer à bonne allure. On tombe plus loin sur un «People» assez jouissif et très pavementier. David Berman semble régner sans partage sur l’empire de la désaille. Avec «Blue Arrangements», il vise le junk de funk ultra titubé en grattant des accords d’arrière boutique du groove. Retour à la décadence avec «We Are Real», nec plus ultra de l’underground, my friend. Il chante à l’intimisme de l’haleine chaude, c’est Dylan on the solace d’all my lovers could say - Et il ajoute la main sur le cœur : «We are real to me, oh yeah.» La classe de la désaille ! En fait, David Berman plante ses choux dans l’underground, avec des manières d’une sidérante élégance. On le voit multiplier les incartades, il rend hommage à la mort dans «Like Like The The The Death» - Awite, could be anyone - et chute avec un nobody cares de la pire espèce. Et voilà l’énormité tant espérée : «Buckingham Rabbit». Il attaque son lapin dans le dur. Berman est un vieux mineur, il creuse profond. Il joue des atonalités stupéfiantes, il fait sonner des accords underground dont personne n’a jamais entendu parler. Il nous fait encore le coup de la fantastique allure, c’est gratté dans l’ombre avec une certaine violence. Il termine avec «The Wild Kindness». Il y va sans discuter. Il se montre encore une fois aussi balèze que Lou Reed. Il sait créer la sensation de voix grave. Une fille se joint à lui et tout grimpe dans la stratosphère. C’est ultra-joué aux guitares et désespérément bon.

Attention, Bright Flight calme le jeu. Il chante son «Slow Education» d’une voix chaude de mineur du Yukon. Puis il pianote «Room Games & Diamond Rain» sur les pourtours de la pourlèche. En fait cet album ne propose aucun stand-out track. On pourrait presque le qualifier d’album pépère. David Berman ne cherche plus à créer la sensation. Il laisse ça aux collègues. Il préfère se jeter dans le désespoir et en mourir («Time Will Break The World»). Il propose ensuite un «I Remember Me» assez bien ramassé, basé sur le vécu, comme tous ces trucs américains. Il continue de cultiver son art avec une rare intensité. C’est avec «Horseleg Swastikas» qu’il exprime le mieux son mépris de la vie - And I wanna be like water if I can/ Cause water doesn’t give a damn - C’est du heavy Berman joué aux guitares stellaires dans l’ouate d’une mort underground. Puisqu’on parle de la mort, voici «Transylvania Blues». Ces mecs ont du talent, mais en même temps, il n’en ont absolument rien à foutre. Vas-y joue ! Il salue le Tennessee dans «Tennessee» - Come to Tennessee/ You’re the only teen I see - Ça chante au sucré - Because the dead do not improve - Impossible d’échapper à l’empire de cette classe.

S’il est une chose que David Berman ne soigne pas, ce sont les pochettes. Tanglewood Numbers illustre bien cette désinvolture graphique. Pour Bright Flight, il photographiait un coin de canapé. Pour Tanglewood, il photographie les étagères d’un bar. Il opère un beau retour à la décadence avec deux titres, «Animal Shapes» et «How Can I Love You If You Won’t Lie Down». Il joue le premier au banjo jovial, on peut même parler de Silver groove car on retrouve cet art du débraillé qu’il cultivait si bien sur son premier album. On s’en épate à n’en plus finir. Et dans le deuxième, il ramène tous les chœurs de bayou du monde. Il s’éclate au Sénégal avec sa copine de cheval. Ce fantastique chanteur nous bluffe une fois de plus avec «Sleepy Is The Only Love». Il entre dans le chaud du cut et se montre d’une justesse de ton imparable. Si ce diable de David Berman débarque dans ton salon, t’es foutu. Il va imposer sa présence. Il ramène avec «The Farmer’s Hotel» le plus beau croon de l’underground. C’est terrifiant de glamour trash. Il devient une sorte de Lou Reed de la désaille. «Punks In The Beerlight» s’impose avec un joli son de la ramasse. On peut même parler de belle présence d’action directe. C’est un son décidé, qui fait le choix du pas en avant - I love you to the max ! - Il en est tellement convaincu qu’il le répète plusieurs fois. Ce diable de Berman chante sa pop avec de la chaleur plein la bouche. Il boucle ce très bel album avec un «There Is A Place» terriblement en place. David Berman sait coincer un cut dans un coin pour le faire parler. Les Silver Jews brillent au soleil fané d’un vieil underground, mais ils brillent avec tact, avec un certain aplomb et une vraie stature. David Berman chante son stomp sans aucune illusion, mais il est bon. Il fait partie des gens les plus précieux, les empêcheurs de tourner en rond.

Le dernier album des Silver Jews s’appelle Lookout Mountain Lookout Sea et date de 2008. Énorme album. Rien qu’avec «Suffering Jukebox», la partie est gagnée. C’est une pop de chœurs de filles - Suffering jukebox in a happy town - Merveille extraordinaire que ce suffering jukebox in a happy town, les filles explosent la classe du suffering jukebox. Tout aussi énorme, voici «Strange Victory Stange Defeat». David Berman chante sous le boisseau de la meilleure pop américaine. Il sonne comme un héros. Il sait allumer une pop-song. Le festival se poursuit avec «Open Field» qu’il attaque avec toute la classe rock’n’roll des motel rooms du Nara Motel. Il redéfinit tout simplement l’apanage de la good time music. Ce mec ouvre d’incroyables horizons avec une simplicité de ton à couper le souffle et les filles n’en finissent plus de clamer leur open field. Cet album regorge de richesses. David Berman s’impose dès le premier cut, ce «What Is Not But Could Be If» de fantastique ampleur. Il va droit au but - So how we do get out of this ? - Les relances sont des merveilles paradisiaques. C’est plus fort que lui, David Berman ne peut pas s’empêcher de créer de la magie - It’s just beginning - À l’écoute de «My Pillow Is The Treshold», on comprend que ce mec est béni des dieux, tellement il dégouline de grâce. Avec «San Francisco BC», il part en délire à la Lou Reed, en mode heavy talking. Il brosse le portrait d’une société. Il peut réciter des poèmes fleuves comme Léo Ferré. Il se révèle encore un attaquant d’exception avec «Candy Jail». Encore une fois, il n’est pas loin de Lou Reed, mais il amène un truc en plus.

Après la disparition des Silver Jews, Berman monte Purple Mountains et a tout juste le temps d’enregistrer un album avant de casser sa pipe en bois. L’album est hautement recommandable, et ce pour deux raison fondamentales : la première porte le doux nom d’«All My Happiness Is Gone», et quand Berman dit ça, il a tout dit - Il n’y a plus de bonheur en moi - C’est nappé d’orgue, que de luxe, que l’opulence dans le désespoir ! Il respire à peine - All my happiness is gone/ It’s all gone/ Somewhere beyond/ All my happiness is gone - Seul Léo Ferré peut rejoindre cette dimension du néant absolu avec «La Mélancolie». Berman n’en finit plus de se vautrer dans la pire merveille inimaginable - It’s not the purple hills/ it’s not the silver lakes - Sa rengaine lui vient du ventre, comme une boule - Everywhere I go/ I know my happiness is gone - Berman dispose d’une vision aussi puissante que celle de Lou Reed. L’autre raison fondamentale s’appelle «She’s Making Friends I’m Turning Stranger». Comme il décide de devenir Dieu, il le devient grâce à un couplet demented - She is making friends/ I’m turning stranger/ And the people on hit end/ Couldn’t make it plainer - Il atteint à la beauté suprême - I’m a loser/ She’s a gainer - On croit entendre l’orgue de Dylan, pure magie. Les autres cuts frisent la resucée de Silver Jews, comme par exemple ce «Darkness And Gold» mâché dans le bas de la bouche. Il s’arrange toujours pour développer un sacré pathos. «Snow Is Fallling In Manhattan» reste heavily bermanien, il tape son snow au aw, il fait du pur Lou Reed, le tempo est réglé sur la chute de neige, tempo léger et irrémédiable. Il emmène ensuite «Margaritas At The Mall» à bonne allure, c’est à la fois puissant et extrêmement écrit - We’re only drinking margaritas at the Mall/ That’s what this stuff is about after all - Il gère son «Nights That Won’t Happen» au clair de la lune, il chante au suffering, il conduit sa pop comme une petite bagnole à travers la campagne, on l’adore, pour sa pureté et sa puissance. Il rend son dernier souffle avec un «Maybe I’m The Only One For Me» tout aussi déterminant, d’autant plus déterminant qu’il s’agit de son ultime chanson avant le suicide. Il chante comme un beautiful crack - I always had a hunch/ I would crumble in the crunch - Berman se pose la vraie question - Peut-être n’étais-je fait que pour n’aimer que moi.

Signé : Cazengler, silver jus

David Berman. Disparu le 7 août 2019

Silver Jews. Starlite Walker. Drag City 1994

Silver Jews. The Natural Bridge. Drag City 1996

Silver Jews. American Water. Drag City 1998

Silver Jews. Bright Flight. Drag City 2001

Silver Jews. Tanglewood Numbers. Drag City 2005 dorfkonsum 5,50

Silver Jews. Lookout Mountain Lookout Sea. Drag City 2008

Purple Mountains. Purple Mountains. Drag City 2019

Andrew Perry. Strange victory strange defeat. Mojo # 312 - November 2019

Bob Nastanovich. He always made me laugh. Uncut # 270 - November 2019

 

Wildhearts of gold - Part One

 

Inespéré : les Wildhearts débarquent à Paris ! Il n’existe rien de plus culte en Angleterre que les Wildhearts. Un groupe aussi légendaire que celui-là devrait remplir l’Élysée Montmartre à ras bord, mais pour une raison qui échappe à toute logique, ils se produisent dans une petite salle un peu plus haut sur le boulevard, au Backstage By The Mill, ainsi nommée pour sa proximité avec le Moulin Rouge. L’accès de la salle se trouve au fond du pub O’Sullivan. Il n’y aura donc pas foule, mais ce qui va faire la qualité du set, c’est le côté trié sur le volet du maigre public : ce ne sont que des fans, ce qu’on appelle en Angleterre des die-hard fans, des purs et durs qui portent les sweaters et les T-shirts aux couleurs des Wildhearts. C’est une ambiance de rêve, comme on en connut autrefois, lorsqu’on se retrouvait immergé dans des premiers rangs gorgés de fidèles parmi les fidèles. Ça papote sec et tout le monde ne parle que de ‘Ginge et des Wildhearts sur scène, combien de fois, quand, où, comment, l’essaim bourdonne et l’excitation croit au fil des minutes d’attente. Un excellent groupe parisien fait les frais de la première partie, The Dead Pop Club, mais ne rêvons pas, les gens sont là pour Ginger et son équipe de vétérans extraordinaires.

Ils arrivent enfin sur scène : Ginger, CJ, Danny McCormack et Ritch Battersby. L’apparition des Wildhearts vaut largement toutes les grandes apparitions, celles de Motörhead, des Heartbreakers, des Mary Chain ou de Jerry Lee. On parle ici de monstres sacrés.

Ce qui frappe le plus chez Ginger, c’est sa grosse tête, couronnée d’une extravagante crinière de dreadlocks. Il joue sur une guitare noire de metaller et porte un perfecto, des tatouages et des badges à gogo. Sur scène, Ginger opte pour l’extrême concentration et raréfie les contacts visuels avec le public. Il se relâchera en fin de set lorsque des bonnes âmes lui proposeront des verres de Jack pour le désaltérer. À sa gauche se tient de façon inespérée Danny McCormack, rescapé d’une amputation de la jambe droite. Il tient debout, c’est sûr, mais il doit parfois poser son cul sur un tabouret. Il est le bassman anglais par excellence, présent, dense, épais et Wildheart de la première heure. Les rares fois où il sourit, on voit de jolis trous dans sa dentition de pirate. Il porte sur le public un regard d’une profonde fixité. McCormack est lui aussi un héros, tous ceux qui connaissent l’excellent Uppers And Downers des Yo-Yos se prosternent jusqu’à terre devant lui. De l’autre côté de Ginger se dresse CJ, son autre bras droit, tout aussi vétéran des Wildhearts de la première heure, un CJ chapeauté de frais qui gratte sa red gratte bas sur les genoux et qui complète l’infernale riffalama de Ginger. Dès le «Diagnosis» d’entrée en matière, ça blasticote dans les brancards. On retrouve cette petite bombe sur leur dernier album, l’implacable Renaissance Men. Ils enchaînent avec un «Let ‘Em Go» tiré du même endroit. Il semble que les Wildhearts atteignent la vitesse de croisière des groupes bien rodés, mais certains objecteront qu’ils naviguent déjà au sommet de leur art depuis vingt ans, ce qui n’est pas faux, d’autant qu’ils enchaînent avec «I Wanna Go Where The People Go», ce hit interplanétaire tiré de P.H.U.Q et qui reste aux yeux et aux oreilles des fans de la première heure le grand album classique des Wildhearts. «I Wanna Go Where The People Go» vaut n’importe quel hit des Beatles ou des Mary Chain, ce hit développe une effroyable puissance mélodique, un souffle magique qui se glisse sous la peau et qui provoque ces frissons tellement indispensables à la vie. Alors bien sûr, on bascule dans le surréalisme à les entendre jouer Wanna Go. Ils vont tirer deux autres merveilles de leur vieux Fishing For Luckies : «Sick Of Drugs et « Red Light Green Light». L’autre moment surréaliste du set est la résurrection de l’immense «Vanilla Radio» tiré de The Wildhearts Must Be Destroyed. Même chose : ils défoncent la rondelle des annales à coups de powerhouse mélodique. C’est aujourd’hui un son unique en Angleterre. Les Wildhearts sont les seuls à proposer cette miraculeuse mixture de pop anglaise et d’overdrive de power surge. C’est d’ailleurs le problème : les étiqueteurs ont fini par les classer dans le rayon hard-rock, alors qu’ils n’ont rien à faire dans cette fâcheuse compagnie. Les Wildhearts tirent aussi «The Jackson Whites» de l’excellent Chutzpah et terminent leur set palpitant avec l’«Action Panzer» qu’on peut trouver sur la compile Coupled With, une compile qu’il faut considérer comme indispensable, puisqu’elle rassemble tous les grands singles des Wildhearts. En rappel, ces démons vont blaster l’effarant «My Baby Is A Headfuck» tiré d’Earth Vs The Wildhearts, un cut que Mick Ronson rendit mysthique, pas seulement parce qu’il y joue un solo d’antho à Toto, mais aussi parce que ce solo fut le dernier de sa vie. Ronno allait mourir aussitôt après.

S’il est un conseil qu’on peut donner aux amateurs de grand rock anglais, c’est d’écouter l’excellent Renaissance Men qui vient de paraître. Depuis vingt ans, les Wildhearts collectionnent les grands albums, mais celui-ci semble encore monter d’un cran, tellement il est bourré de son et de purs moments d’hystérie collective. Le stand-out track est ce fameux «Let ‘Em Go» balancé sur scène comme une bombe sur le Japon, car il sonne tout simplement comme un hymne. C’est le pouvoir du grand Ginger que de savoir composer des hymnes rock. Il sait propulser sa power-pop comme une fusée à travers le cosmos. Ah il fallait voir les fans sauter en l’air avec les bras tendu et reprendre en chœur cet excellent Let ‘Em go ! - Go find your own way home/ Go find your own way home/ Find your own way - Le son semble se dégager du cut en de gros volutes ambitieux. Ils reprenaient aussi «Dislocated», le brûlot qui ouvre le bal de l’A. Dès les premiers accords, on sent nettement l’énergie des invaincus - All the while the enemy was just/ Around the corner - Ces mecs jouent the blast furnace forever. Ginger fait partie des gens incapables de se calmer, ce n’est même pas la peine de lui poser la question. Cette fois, il frise l’apoplexie marmoréenne à la Killing Joke, tout l’espace du cut est bombardé de son et les canards boiteux ont intérêt à se trisser vite fait. Ginger vise ici l’extrême explosif et il finit en apothéose harmonique wildheartienne. Tout homme normalement constitué doit tomber sur le cul. Et quand on entend «Dislocated», il faut bien comprendre que Ginger n’a fait que ça toute sa vie et qu’il ne sait faire que ça, et qu’il n’est pas question de lui demander de faire autre chose. Il est le pendant mélodique de Lemmy. Même genre de carrure, même vision d’un son, même prodigieuse aisance à l’incarner. Les Wildhearts ouvraient leur set avec l’infernal «Diagnosis» qui boucle l’A : ils jouent ici la carte de l’extrême démolition riffique. C’est effarant et comme si ça ne suffisait pas, Ginger nous achève avec un final éblouissant, l’une de ses grandes spécialités. On trouve encore deux coups de maîtres sur cette A demented : «The Renaissance Men» et «Fine Art Of Deception». Ils jouent le premier au tiguili de CJ/Gingerama avec des chœurs pris dans la nasse de la rascasse - Arriba ! - Ginger chante dans l’âme même d’une borderline sonique. Pour comprendre ce que ça veut dire, le seul moyen est de l’écouter chanter dans l’âme de sa borderline sonique. On peut parler ici d’énergie de la densité sensitive. Les Wildhearts passent ensuite «Fine Art» à la rôtissoire de l’intensité mirifique, ils filent à une fantastique allure. Ginger entre en lévitation pour soloter, c’est du très grand art et derrière, les deux autres bombardent le cœur du nucléus productiviste avec un acharnement inquiétant. Rien qu’avec l’A, on se sent groggy. Tellement de son, tellement d’aventures, tellement de perfection ! Que peut-on attendre de plus d’un disk de rock ? Une B du même acabit ? Alors voici l’acabit d’Aqaba, comme dirait Lawrence d’Arabie. Ouverture du big ball de B avec «My Kinda Movie», ultra pulsé par Ritch Battersby le mangeur de bananes et on assiste à un vroomage de power-quartet mixé à des coulées de lave en creux de cratère. Avec les Wildhearts, les choses finissent toujours par basculer dans une sorte d’excès protéiforme, un capiteux mélange de magie, d’harmonie et de power. Ce que vient confirmer «Little Flower», une pop qui semble dévorer le cœur de la vieille Angleterre. Ginger s’entoure d’une masse sonique absolument extravagante et l’ineffable Danny McCormack pilonne pesamment son bassmatic. Ils terminent cet album hors du temps et des modes avec «My Side Of The Bed», véritable émulsion de power-pop touffue et radieuse, gorgée de son jusqu’à la nausée, puis voilà «Pilo Erection», fantastique camouflet en forme de fin de non recevoir - I’ll be there waiting/ Pilo-erect ! - Comme le disait si bien Jerry Lee, follow that, niggah !

C’est encore Vive Le Rock qui sauve les meubles en Angleterre en consacrant six pages aux Wildhearts. Guy Skankland s’assoit en face et tend son micro. Ginger tient très vite à affirmer que les Wildhearts sont devenus une famille, à force d’en voir des vertes et des pas mures - We got through so much - se plaît-il à répéter. Il revient aussi longuement sur le retour inespéré de Danny McCormack dans le groupe, après dix ans d’errance dans le junk, tout son matos vendu, des journées passées au lit, gouching out on the couch. Ginger se marre, car Danny est devenu la mascotte du groupe - An hour on stage with him and I feel a sense of pride - Il dit sa fierté de se retrouver sur scène avec son vieux Danny boy. Et comme on lui a coupé une patte, les Wildhearts sont devenus the seven-legged rock’n’roll machine, une formule assez drôle qu’on peut lire au dos des nouveaux T-shirts du groupe. Ginger tient aussi à préciser que Renaissance Men est un album enregistré live en studio et chacun des cuts doit pouvoir être joué sur scène - If we can’t play it live, fuck it - Il reste persuadé que les fans veulent de bons albums des Wildhearts - They want a roaring to fuck album - Dans la foulée, il ajoute qu’il n’aime pas le mot fan. Il préfère ‘community’. Il donne d’ailleurs une combine : pointe-toi au bar en portant un T-shirt des Wildhearts, et les contacts se feront très vite, comme au temps de Motörhead. Ginger rappelle que ce fut toujours un honneur pour lui que de porter un T-shirt Motörhead. Il parle d’une notion en voie de disparition, qui est la loyauté for your favorite bands. Voilà les deux mamelles des Wildhearts : community and loyalty. Skankland tente de les piéger : «Avez-vous vu The Dirt, le biopic consacré à Motley Crüe ? Croyez-vous qu’on puisse espérer un biopic consacré aux Wildhearts ?» Ginger saute en l’air : «I fucking hope not !» Jamais de la vie ! Et il ajoute en ravalant son dégoût : «Ils sont actuellement en train d’en faire un autre sur les Pistols, et après ils vont en faire sur Poison et Bon Jovi !» Ginger s’en prend violemment aux gens qui font appel aux producteurs à la mode, au ‘in’ video guy ou au big management company. « We’ve always fucking hated that and walked away from that era !» On a toujours détesté ces pratiques puantes. Mais les gens des maisons de disques interpellent les Wildhearts : «Tous les autres font un biopic, pourquoi n’en faites-vous pas un ?» Ginger écrase son verre dans le creux de sa paume et bave de rage : «That’s exactly why we don’t want to fucking do one !» Il préférerait un docu. À condition d’avoir le bon angle. Mais il répète qu’il n’y a rien d’exceptionnel dans l’histoire des Wildhearts - We never really had a big success, we were quite a popular underground type of band - On n’est qu’un modeste groupe underground qui n’a jamais eu de gros succès. Cette humilité vaut tout l’or du monde. Ginger et ses amis comptent parmi les derniers géants de la vieille Angleterre.

Signé : Cazengler, wildbeurk

Wildhearts. Backstage By The Mill. Paris XVIIIe. 26 octobre 2019

Wildhearts. Renaissance Men. Graphite Records 2019

Guy Skankland. Born to raise hell. Vive le Rock # 63 – 2019

De gauche à droite sur l’illusse : CJ, Ginger, Ritch Battersby et Danny McCormack.

12 / 11 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

OMETEOTL / JARS

 

Retour à la Comedia. Trois semaines à courir de-ci de-là, que voulez-vous les rockers ont des vies trépidantes, mais ce soir ce sont les Jars, des oisons particulièrement sauvages, et puis pour citer Long Chris, quand l'aigle est blessé ne revient-il pas vers les siens ! C'est beau, même si l'on est en pleine santé.

OMETEOTL

Méfions-nous des apparences. Au premier abord, rien de plus simple, trois gars sympas, le trio de base : basse, batterie, guitare. Au deuxième, toujours les trois éléments basiques et encore trois sympathetics guys. L'on pourrait en rester-là. Pour faire bonne mesure nous ajouterions qu'ils n'ont pas joué indéfiniment, pas assez longtemps, et l'on classera leur musique dans la catégorie prog-évolutif. Evolutif, c'est très bon, le terme par excellence qui ne veut rien dire et tout sous-entendre. Ne serait-il pas temps de passer aux choses sérieuses.

Justement les choses sérieuses c'est ce à quoi s'intéresse Ometeotl. Déjà, rien que le nom – essayez de le recopier du premier coup sans commettre une faute d'orthographe – fleure bon la fleur de peyolt, le Mexique, Artaud et Castaneda. Mais leçon cela, trop littéraire, trop hippie, même s'ils ont les cheveux longs. Peut-être vaudrait-il mieux regarder du côté d'un François Schuiten et ses mondes ( im)parfaits, d'autant plus étranges que ce dessinateur reste obsédé par la structure du cercle à tel point que son œuvre graphique s'efforce de représenter notre monde cubique – entendez par là les architectures dans lesquelles nous vivons, mais aussi ce qui dénote déjà une réflexion plus poussée, le parcours de nos existences - sous forme de cycles répétitifs. La musique possède cette supériorité par rapport au dessin qu'elle se déploie sous une forme volumique, autrement dit, elle tend à exprimer non pas platement la quadrature du cercle mais la cubiciture de la sphère. Bref nous sommes plus près de Parménide que de l'ésotérisme de pacotille, de babacotille.

Est-ce un hasard si une des trois seules images que nous trouvons sur le FB ometefuckinotl du groupe est un dessin de M. C. Sheters, qui a passé sa vie à dessiner des mondes impossibles dans lesquels toute forme au pire en engendre une autre – très souvent métaphoriquement son antithèse, exemple des poissons qui ne sont que des oiseaux et vice-versa – et au mieux se perd dans un espace vide que ne sous-tend aucun espace. Mathématiquement parlant, un élément vide est-il un élément ou pas. Etre ou ne pas être. Ne vous prenez la tête, envoyez chier ce genre de problématique aussi vicieuse qu'une bande de Möbius. La troisième image de leur galerie n'est-elle pas un zéro de o ? Nullité absolue ou perfection divine ? A vous de choisir.

En attendant sont trois sur scène. Z'ont profité de la balance pour jouer. Longuement. Pas une répétition. Une approche. Et maintenant les voici. La chose choque. La musique est complexe mais les morceaux sont courts. Un peu comme s'ils se contentaient de poser le problème mais se refusaient à le résoudre. Beaucoup comme si ce n'était que des fragments destinés à se rejoindre plus tard. A work in progress. Florian est à la basse. Z'ont un satané boulot à accomplir. Deux moteurs, Damien à la batterie et Jonah à la guitare. Une tâche ardue, chacun joue sa partie mais doit faire attention à ce qu'elle s'imbrique dans celle de l'autre. Quand ils ne peuvent plus, lorsque la fusion devient impossible, le morceau s'arrête, une armée qui ne peut pénétrer plus avant dans le corps de l'ennemi. Florian, le visage protégé par le rideau de ses cheveux noirs – les deux chevelures de ses camarades tirent vers le blond – s'occupe de la logistique, fait en sorte que les deux autres puissent avancer, il glisse sous leurs pas de conquérants de l' inutile inconnu comme des éléments d'un pont mobile lancé sur le vide. Ne croyez pas qu'ils produisent une musique intellectuelle et ennuyante à la manière d'un certain jazz moderniste déconnecté de toutes ses racines, non ils restent dans la chaleur du rock'n'roll, les titres parlent d'eux-mêmes, Point G, Wild Womans, Mojave baby, Phallic Power, le zéro focal et orgasmique se résoudrait-il en l'orifice du sexe yonique.

Un déploiement sonore qui semble aller droit devant, mais si vous prêtez l'oreille vous vous apercevez que la ligne droite s'incurve et peu à peu vous enferme puis paraît se clore selon elle-même en un cercle, mais c'est plus subtil que cela, la batterie cogne à l'intérieur de la concavité pour l'empêcher de se refermer, et la guitare oscille à cloche-pied, un jeu de gamin qui s'oblige à ne jamais poser le pied sur les dalles rouges de l'esplanade éparpillées aléatoirement sur la surface grise du ciment, difficile tentative de traversée qui pour être victorieuse nécessite un surcroît d'efforts et réflexions, ce n'est pas la gamme qui est augmentée, mais la réalité virtuelle des structures sonores engendrées par la créativité phonique dont le tourbillonnement est conçu en tant que géométrie appliquée de diffractions spiraliques catastrophiques. Il est des musiques qui se font entendre mais celle d'Ometeotl se doit d'être écoutée. Un groupe à suivre.

JARS

Il est des instants de vérité. La semaine dernière ( voir notre précédente livraison 438 du 14 / 11 / 2019 ) nous avions écouté avec ravissement – l'emploi de ce terme terme restera incompréhensible chez les mozartiens – deux de leurs opus. Restait à savoir s'il irradiaient sur scène d'une aussi grande intensité. La réponse ne s'est pas faite attendre. Du phosphore pur. Qui s'enflamme à l'air souillé de notre monde de par ses seules qualités intrinsèques. Mais celui-là nous fait le coup du phénix qui brûle mais qui ne s'éteint pas. Un feu inextinguible qui n'a pas besoin de renaître de ses cendres. Toutefois vous avez un avant : les trois gars Anton, Vova et Sasha S, de tranquilles garçons derrière leurs instruments. Et puis un après. N'essayez pas de savoir, il est trop tard. Bombardement atomique. Explosion nucléaire. Libération d'énergie pure. Destruction de la planète. Trois fous furieux sur scène. Dans la fournaise de l'action. Si vous voulez tout voir ouvrez votre troisième œil, celui de la folie.

Ne les nommerai plus par leur prénom, leur attribuerai désormais l'algorithme générique et indivis de chatouny, ces ours fous que l'hiver russe n'arrive pas à endormir, alors ils errent dans les forêts désertées, habités d'une immense fureur, sans doute la cervelle encombrée d'un rêve trop grand pour le contenir. Qui les dépasse et les enjoint de marcher sans trêve dans le but de réveiller et de détruire le monde des hommes enfoncés dans une servitude volontaire.

Chatouny est à la basse. Jamais vu, jamais entendu un tel bassiste enragé. Une bête malfaisante qui tourne en rond dans sa cage, incapable de rester immobile une demi-seconde, monopolise l'espace devant la scène pour lui tout seul, personne ne s'y risquerait, un fauve enragé, quant à ce qui sort de sa basse, des dégelées de riffs, des cascades dégringolées de notes qui vous donnent l'impression que l'on s'amuse à vous racler à l'aide d'une machette rouillée la chair qui entoure vos os, une inédite collection de bruits inaudibles, caressez-vous la trachée artère avec un hérisson, les plus courageux utilisez un porc-épic, une virtuosité qui rappelle celle d'un Django qui aurait abandonné le picrate à 9° bien de chez nous pour ne boire que de la nitroglycérine pure des nihilistes révolutionnaires russes. Imaginez le désastre. Ce mec me force à inventer le concept de noise-philharmonic. Tout ce que n'avez jamais voulu ouïr, vous est révélé sans votre accord.

Chatouny est à la lead. A lui tout seul il fait plus de bruit que le Blue Öyster Cult. Comme il ne peut pas décemment dire ''doucement la basse'', faut qu'il sorte ce qu'il a de meilleurement plus horrible à disposer sous le sapin de Noël. Pas de problème, il a de la ressource. Ce n'est pas au choix, livre en vrac, les derniers jours de Pompéi, la chute de l'Empire Romain et l'explosion du volcan de Santorin qui envoya l'Atlantide dans les bas-fonds de l'océan, rajoute même Hiroshima mon amour, histoire de se faire comprendre par ceux qui ont des lacunes en histoire antique. L'accompagne le tintamarre de la voix, c'est du Russe on ne comprend rien, mais à la vigueur avec laquelle il articule ses oukases borborygmiques on intuite tout de suite qu'il annonce tempête force mille dans son bulletin météo. L'a de ces accélérations cordiques que l'on n'y croit pas, que l'on doit cauchemarder, qu'il a acheté une guitare spéciale fin du monde, il ne s'en servira pas longtemps car au train où il gronde, il ne la gardera pas longtemps, ne reste plus grand chose à détruire par ici.

Chatouny est à la batterie. Oubliez les deux précédents. Celui-ci avec ses cheveux blonds, un champ de blé ukrainien, a ouvert le concert. Vous a asséné trois coups définitifs sur sa caisse claire, à faire bouger le plancher, à faire trembler la Tour Eiffel, à faire s'écrouler la tour de Pise, à faire vaciller les élites de son pays. A-mi concert, il quittera sa machine drumique et pendant que ses acolytes firent silence, il nous parlera en anglais de la répression policière en Russie. Pas triste. Pour les curieux rendez-vous plus bas pour la traduction de son appel. Vous comprendrez que la violence musicale du groupe n'est pas gratuite, il ne s'agit pas d'une stérile surenchère hors de tout propos, qu'elle est articulée sur la situation d'une jeunesse sacrifiée par son Etat. Cette musique ne tend pas la joue droite quand on la gifle sur la bajoue gauche. S'agit de rendre coup sur coup. Alors Chatouny retourne sur son siège et il reprend ses foudroyantes jonchées d'orages secs. Le craquement des chênes que l'on abat pour le bûcher d'Hercule s'accumule dans vos tympans, vous êtes emporté en un tournoiement infini, la grande roue du monde grince horriblement, elle quitte son support et s'écrase en flammes sur le confort de vos certitudes.

Lorsque le groupe s'arrête, vous avez du mal à recoller avec la sordide réalité de votre présence. Une lourde minute de silence s'installe en l'honneur des survivants dont vous faites partie. Jars vous a mis en boite. Espérons que vous pigerez la démonstration, que ne finirez pas sur le haut de l'armoire, sagement aligné, avec les bocaux de confiture des grands-mères. Le punk russkof ne donne pas dans le dérisoire futile. Il préfère les routes de l'affrontement. A méditer.

Damie Chad.

 

14 / 11 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

ALICIA F ! / LES VIEILLES PUTES

LES LECHERS

 

La Comedia c'est comme les petits beurres, une fois que vous en avez croqué un, vous craquez le paquet en entier. Donc re-retour. Deuxième concert d'Alicia F, en plus derrière vous avez du lourd chevronné, un quarteron de Vieilles putes, connaissent parfaitement leur métier, et un groupe d'Irlandais, des têtes dures par excellence.

ALICIA F !

Epaule dénudée, t-shirt Fuck Cancer, bottes lacées qui n'atteignent pas le genou, bas résillé bientôt auréolé d'un trou de chair zone de perdition au-dessous du tatoo, chaînes d'argent épigastriques, et surtout ce recueillement, cette écume sur les lèvres entrouvertes d'un sourire amusé presque intérieur, une gamine qui médite un sale coup. Celui de s'offrir corps et âme pour une heure de jouissance extrême aux démons du rock'n'roll.

Elle attend. Pas longtemps. De sa guitare en V, de son trident poseidonesque, Tony Marlow harponne sans préavis le riff, le monstre se défend, il gronde et grogne de fureur, Fred Kolinski lui assène de violentes tabassures sur la tête à lui briser l'occiput, c'est bien la baleine blanche, le cachalot maudit du rock'n'roll qui vient de surgir de ses plus profonds abysses, il ouvre sa gueule pour briser l'équipage de malotrus qui s'est aventuré à le réveiller, Fred Lherm a beau lui jeter des lignes hérissées d'hameçons dans le gosier grand ouvert afin de lui arracher les entrailles, il n'y prend pas garde, c'est vers la statue silencieuse d'Alicia qu'il se tourne, afin de la happer d'un seul coup de mâchoire meurtrier.

Il ne l'aura pas. C'est lui qui va se faire avoir. La sirène était une tueuse. Une carnassière. Elle vous le mord, à pleines dents, à plein gosier, un nuage de pourpre enrobe les deux combattants, qui saigne-là parmi les étoiles de mer obscure, c'est la lymphe menstruelle de la féminité, Monthly Visitors qui vous submerge, le sang du taureau mithraïque qui s'écoule dans la fosse, vous asperge, une ondée bienfaisante qui revivifie vos forces exténuées. Alicia déchaînée. Elle ne bouge pratiquement pas. Juste quelques gestes, quelques poses, des effets de glaciations subites qui figent dans vos prunelles sa silhouette pour l'éternité, mais la voix, braquée sur vous, une montée incandescente de lave, un lac de feu, une fleur rougeoyante de volcan, qui vous regarde comme l'œil menaçant d'un cyclope que ravage un flot de haine. Vous n'avez qu'une envie, c'est de sauter à pieds joints dans cette marée incoercible de sang irascible et de vous fondre en ce feu régénérateur.

Ne soyez pas dupes, le rock'n'roll est comme le dieu Janus, une face tournée vers les grandioses réminiscences légendaires du passé et l'autre accueillante selon la présence guerroyante du monde. Alicia vous conte The city of broken dreams, la guitare de Tony flambe, Kolinski concasse sans remords vos rêves et Lherm exhale de sa basse de lourds nuages de poussières empoisonnées, subitement la musique s'est faite symphonique et la Diva vous enlace dans des arabesques vocales qui s'enroulent autour de vous avec la force de lianes carnivores décidées, par l'entremise de leur mille points de succions extatiquement douloureux, à aspirer votre âme. Alicia vous la rendra, clouée des mots de vos désastres les plus intimes que plus jamais vous ne prononcerez, mais qui suinteront en vous, inguérissables et éternelles blessures.

Love is like a switchable, l'esprit n'est jamais loin de la chair, Alicia glisse sa main en son entrecuisse, d'un geste frauduleux elle caresse son sexe – à ses côtés les musiciens deviennent fous – et très vite elle ressort sa fine menotte magnifiée d'un doigt d'honneur – le public ondoie sous l'outrage – la voici métamorphosée en l'androgyne mythique qui se suffit à elle-même, qui nous fait l'aumône de son fabuleuse apparition parmi nous. Elle est miroir, glauque lumière, qui nous renvoie le reflet de notre fan attitude, de notre incomplétude de midinette assoiffée d'une réalité dont nous nous complaisons à ne jamais franchir le fossé abîmal.

My no-generation, depuis son origine le rock'n'roll trimballe le regard désabusé de l'adolescence qui sait qu'elle est l'ultime fleur fraîchement éclose du genre humain, vouée à se faner. L'acmé d'un animal destiné à dépérir longuement tout le reste d'une longue existence qui ne retrouvera jamais son heure de gloire. Le complexe d'Hamlet. Alicia assène les mots parmi la tonitruance orchestrale, nous sommes tous les enfants d'une génération éperdue.

Un set magnifique, Alicia en prêtresse iconique, soutenue par trois musiciens endiablés, elle a rivé l'assistance à ses lèvres, nous a enchaînés tels de minuscules prométhées à l'écrasante grâce de sa présence. Ce soir l'on a effleuré l'essence du rock'n'roll. Ne nous laissons pas submerger par l'émotion, les contes les plus noirs d'Edgar Poe sont parcourus d'éclats de rire grimaçants. Terminent sur Le diable avec toi, le Shakin' All Over de Johnny Kidd en français, version sixties des temps d'innocence perfide du rock'n'roll.

LES VIEILLES PUTES

D'habitude elles tapinent vers Montpellier, mais pour des professionnelles comment résister à l'attrait de la région parisienne. Un petit point grammatical s'impose, malgré notre pronom personnel au féminin pluriel, il vaudrait mieux dire '' ils'' car les Vieilles Putes comptent en leur rang plus de gars que de gals. Trois contre deux. De(ux)moiselles battues à plate couture. Peut-être est-ce pour cela que JC a essayé de partager la pomme en deux. Donc deux filles et demie et deux garçons et demi. Non il ne s'est pas fait opérer ni n'a osé pousser l'égalitarisme paritaire jusqu'à changer de sexe par opération du Saint-Esprit. Ce n'est pas le genre de la maison. Pour le haut il a laissé une pilosité foisonnante envahir son visage. Pour le bas il ne s'est pas débarrassé des bijoux de famille, l'a endossé un kilt, une solution équivoque si l'on y réfléchit un minimum. Pour Sylvain et Nico, pas de problème, assument totalement leur rôle de mecs. Mènent leur guitare à un train d'enfer. Que voulez-vous chez Les Vieilles Putes les câlins sont brûlants et rapides. Vous enfilent quatre passes en dix minutes. Plus machosas qu'elles vous ne trouverez pas. C'est bon, mais c'est court.

Mais il est temps de nous pencher sur la cohorte des amazones. La première fois que j'ai vu Ludivine, l'idée qu'elle ferait partie du groupe ne m'est pas venue. L'était assise sur la marche de la porte-fenêtre, semblait un peu déboussolée, une jeune femme désorientée de la vie, fatiguée. Très surpris de la voir s'installer derrière la batterie. Sur les deux premiers morceaux elle a poumpoumé sans plus. C'est après qu'elle s'est réveillée. Une lionne. De la chair de patron idéale. L'ouvrier que vous faites bosser dix heures sans même une pause pipi et qui devient de plus en plus performant au fur et à mesure que l'horloge tourne. Vous casse la baraque en moins de deux, vous ratiboise le jardin en moins de trois. Vous trombine trois heures supplémentaires de taf sans demander à être payé. Nos guitar-héros ont dû mettre les bouchées doubles car elle a ramponné à mort, speedé à outrance. Au sixième titre les Vieilles Putes marathonaient à donfe, Ludivine a relâché sa crinière de cheveux blonds et elle vous a martelé une charge digne des lanciers du Bengale. Quant à JC, il n'est pas resté derrière à chercher les vers luisants, a directement branché ses lignes de basses sur le métronome du drumin' et ne s'est plus posé de problème. L'a galopé à la manière d'un étalon qui parade en tête du troupeau.

Sauf que tout à fait devant il y avait Sophie. Elle a un sourire enjôleur moins sage que son prénom. L'en faut plus qu'un larsen tenace pour la désarçonner, sûre d'elle, qu'elle finirait bien par lui clouer le bec, d'ailleurs au bout de quatre minutes, il s'est dépêché d'obtempérer, l'a compris que celle qui l'ouvre c'est elle, Sophie la chanteuse. Micro en main, toute fessue, toute dodue, toute charnue de partout, un charme fou, un charisme ravageur, vous raconte des horreurs et l'assistance reste pendue à ses lèvres. N'y a que le groupe derrière qui ne fait pas attention à elle. Ce n'est pas du mépris. Simplement l'assurance qu'elle est capable de se tirer de toutes les difficultés avec une aisance indiscutable. Et ils ont raison. Place ces lyrics au bon endroit, et pourtant à la vitesse de ses acolytes les fenêtres de tir vocal sont réduites. A pleine voix, mais jamais époumonée.

Les Vielles Putes sont intègres. Elles ont le punk qui flirte un tant soit peu avec le rock alternatif français, foutent l'accent davantage sur le dérisoire des situations que sur la nécessité d'une révolte radicale. Nous débitent en tranches des scènes de la vie scabreuse des populations en mal d'intégration bourgeoise plus attirées par l'expérience des limites que par l'adhésion moutonnière à un existentialisme au cul correctement coincé. Sophie vous narre et vous marre tout cela en Balzac des marginaux en dérive extrêmisée. Plus de quinze ans d'existence. Vous pondent toutes les trois minutes un hymne plus trashy que le précédent. Une fois qu'elles ont atteint leur vitesse de croisière, vous êtes sur que personne ne les arrêtera. Elles vous content les déboires de l'être humain confronté aux affres de notre modernité. Gros sabots gaulois et pieds nus sur la terre qui a perdu toute sacralité. Elles reviennent de loin. Elles en ont vu des vertes et des pas mûres. Des pourries aussi. Mais elles préfèrent en rire qu'en pleurer des larmes de crocodile. Sophie suffit à tous ces affects. Antidote joyeux aux maux du siècle.

THE LECHERS

Des Irlandais, de Dublin, en tournée en France. Vu leur nom, doivent s'intéresser à la mesure de l'énergie qu'ils dégagent. La phrase précédente risque de soulever des interrogations chez un certain nombre de lecteurs. Cette affirmation hypothétique est trop théorique. Mais ceux qui ont déjà eu la chance d'avoir vu les Lechers en leur pratique punkoséidale du rock'n'roll auront compris. Le groupe dépense une folle énergie. Point à la ligne. Pas plus difficile que cela. Nous encouragerons les esprits curieux à s'inquiéter des ondes gravitationnelles que leurs corps dégagent. Cette étude vous permettra surtout de dresser la courbe isotopique de votre déperdition personnelle. Moins vous émettez plus vous vous rapprochez de votre mort. Point final, cette fois-ci.

Trois sur scène. Quand ils sont montés sur l'estrade, vous avez cru que vous comprenez l'anglais, dès que le batteur a ouvert la bouche, c'était clair comme de l'eau roche, mais son accent du sud vous détrompe rapidement, c'est simplement un français qui s'en est allé villégiaturer voici depuis une vingtaine d'années en la capitale de la République d'Irlande. L'a fait son chemin, s'est aussi intégré à l'équipe des Outcasts, groupe punk des années légendaires.

Une dégaine incroyable. Le pire c'est qu'elle illustre parfaitement le paragraphe introductif. Le bassiste occupe l'échelon le plus bas sur l'échelle de Lecher. Remarquons toutefois que comparé à la moyenne de nos contemporains avachis il assure grave. Toutefois discret au possible. Une figure glabre qui ne laisse transparaître aucune émotion. Visage pâle. Retranché en sa tour d'ivoire. Si ce n'était le rythme de son instrument il semblerait ne plus entretenir de rapports avec le monde qui l'entoure.

Look de corsaire, bandeau de samouraï, arbore bizarrement une mèche de cheveux qui retombe sur son visage et qui ressemble à un scalp prélevé sur le cadavre d'un ennemi, se charge de la lead et du chant. Ne ménage pas ses efforts. C'est lui qui donne forme à la musique des Lechers, il l'étalonne, lui dessine un profil, la charge de hargne et d'électricité. Celui-ci vous le mettez sur les derniers échelons. Un individu plein de fougue, déborde d'envie de battre le fer de la vie tant qu'il est encore brûlant.

Enfin le batteur. Un dominant. Le mâle alpha pour parler comme les comportementalistes animaliers. Une boule de billard lisse refermée sur sa propre ivoirine. Un de ces alephs, ces nombres inventés par Cantor qui contiennent l'univers et encore plus. Vous pouvez en extraire tout ce que vous voulez, une fois que vous aurez rempli le monde des collections d'objets qui le forment, il en restera encore dans le fond de la sacoche mathématique, selon certains vous n'en saurez jamais plus, l'inconnu restera caché au creux du sac, mais d'autres prédisent que le contenu s'évadera sous forme d'un rayonnement kaotique, une radiance d'énergie folle, peut-être des milliards de milliards de big bands qui n'en finiront pas d'éclore. L'est ainsi J.P. Le phisotope – peut-être le nom de la philosophie de la folie – il émet d'invraisemblable quantités d'énergie, un roulement de tambour monumental et infini. D'un bout à l'autre du set. La même galopade, un rythme soutenu, imperturbable, au-dessus du jeu cordique, qui plane à dix mille mètres, qui emporte le tout avec lui, qui précipite le groupe en un tohu-bohu souverainement ordonnancé. Même pas une fuite en avant, une intumescence rythmique qui gonfle repoussant les frontières de l'univers de sa propre présence.

Le set se termine comme il a commencé. La bourrasque sonore s'arrête avec la même souveraineté par laquelle elle avait débuté. The slide, Toxins, No like that, You're already dead, Go go paranoïa, Stop, les titres essaient de rendre compte du phénomène tout en ayant du mal à en évaluer l'étrange ampleur. Longs applaudissements admiratifs.

Le plus délirant c'est lorsque JP fait remarquer qu'il n'y aura pas de rappel car le guitariste s'est éclipsé. Ce n'est pas ce qu'il dit, c'est son accent de sudiste patenté, on était prêt a le considérer comme un surhomme siégeant au-dessus de l'échelle de Lecher et le voici redevenu un homme normal, tout semblable à nous. Ou alors peut-être est-ce parce que nous aussi, nous sommes installés au pinacle lecherien. C'est fou comme le rock vous fournit d'émotion !

Damie Chad.

*

Le Chef nous attendait, un quidam qui l'aurait vu aurait cru qu'il fumait avec béatitude un Coronado, les gens sont ainsi, vous leur montrez un Coronado et ils sont obnubilés par la fumée qui monte en large cercles concentriques vers le plafond. Le Chef pensait. Il méditait. A ses yeux demi-fermés je conclus qu'il ne fallait pas le déranger, sans doute son esprit était-il en train de finaliser les subtils rouages du plan-secret que le SSR se promettait de mener sur l'échiquier géo-politique de la planète.

Je m'assis devant son bureau, Molossa se percha sur mes genoux pour que je la caressasse et tous deux attendîmes patiemment pour faire notre rapport et recevoir notre nouvel ordre de mission. Durant près de trois heures et demie l'on n'entendit que le bourdonnement d'une mouche obstinée sur une vitre de la fenêtre. Brusquement le Chef planta son regard d'aigle dans les prunelles de Molossa.

    • Agent Chad, à partir d'aujourd'hui vous nourrirez trois fois par jour l'agente Molossa uniquement avec une double portion de viande d'autruche, je précise exclusivement d'autruche. Un seul manquement à ce régime diététique équivaudrait à une catastrophe internationale. ( L'intéressée approuva d'un bref aboiement, nous pouvions compter sur elle. ) Maintenant j'aimerais apprendre que vous n'avez pas perdu votre temps.

    • Chef, vous pouvez être fier de vos agents. Je rapporte un document ultra-secret, que voici, oui je sais, il est un peu poisseux, la belle espionne l'avait caché en son intimité la plus secrète, mais j'ai réussi à le subtiliser sans qu'elle s'en aperçoive, le voici. Je vous laisse le lire. Un appel de la Résistance Russe.

 

'' THE NETWORK'' CASE

L'AFFAIRE DU '' RESEAU''

En Russie, à Penza et St Pétersbourg, neuf jeunes gens sont détenus depuis presque deux ans. Ils sont accusés d'avoir créé l'organisation terroriste '' Network'' dans le but d'organiser une rébellion armée et de préparer le renversement du pouvoir. Ils risquent entre cinq et vingt ans de prison.

Le dossier a été ouvert par le FSB ( ex-KGB, service secret russe ) de Penza le 18 octobre 2017. Après un jour d'interrogatoire par les services secrets, Yegor Zorin, un étudiant âgé de 20 ans de la Faculté de Physique et de Mathématique, arrêté pour possession de drogues, admit sa participation à une communauté terroriste et rédigea sa confession. Sa confession et sa participation à l'enquête épargnèrent à Zorin d'être inculpé sous le chef de '' terrorisme'', quant aux '' drogues'' il écopa de trois années de probation.

Les accusés du '' Network case'' de Penza sont Dmitry Pchelintsev, Ilya Shakursky, Arman Sagynbaev, Andrey Chernov, Vasily Kuksov, Maxim Ivankin, Mikhail Kulkov.

A la requête du procureur de Penza, se déroulèrent des douzaines de perquisitions et d'interrogatoires de jeunes gens en différentes villes de Russie dont St. Pétersbourg, où le FSB régional ouvrit une '' Network case'' et arrêtèrent Viktor Filinkov, Igor Shishkin et Juliy Boyarshinov

Filinkov, Pchelintsev, Shakurky et Shagynbaev ont déclaré qu'ils avaient été torturés à l'électricité, pour les forcer à apprendre par cœur le contenu de leurs confessions. Arrêté comme témoin Ilya Kapustin a aussi déclaré avoir subi des séances de torture ( le Bureau d'investigation judiciaire a recensé 80 points caractéristiques de brûlures occasionnées par des électrochocs, des hématomes et des écorchures). Kapustin quitta la Russie et reçut l'asile politique en Finlande. Des membres du comité pour le respect des droits de l'homme de la prison de St Pétersbourg ont relevé de nombreuses brûlures et blessures sur Filinkov et Shishkin. Mais Shiskin ne témoigna pas de torture, il passa un accord avec les enquêteurs, il plaida coupable et fut condamné à trois ans et demi dans une colonie pénale. Boyarshinov, d'après des soupçons véhiculés par les officiers de la sécurité l'accusant de '' faire des choses pires'' fut transféré dans un centre de pré-triage de détention réputé pour son emploi de la torture, où il fut jeté dans une cellule surpeuplée prévue pour cent personnes, il plaida aussi coupable, mais ne passa aucun accord avec les enquêteurs.

Plusieurs accusés et témoins ayant aussi subi des intimidations physiques et des pressions psychologiques de la part du FSB maintinrent leurs dépositions durant le procès qui débuta au printemps 2019. Ainsi, dans un centre de triage in Penza plusieurs témoins ont révélé comment ils avaient été forcés à s'agenouiller, frappés et obligés à répéter pour les mémoriser les articles de loi liés au terrorisme du Code Criminel, leur témoignage fut aussi altéré par les enquêteurs qui leur proposèrent un modèle-type. Ainsi grâce à une enquête électronique du tribunal menée à la demande des accusés, il s'avéra que des changements dans les dossiers avaient été effectuées après l'arrestation des accusés. En outre, plusieurs protocoles et confessions étaient juste recopiés l'un sur l'autre, leurs textes correspondaient à 90 %, l'on y retrouve les mêmes dispositions typographiques et les mêmes fautes d'orthographe.

Les détenus partagent les mêmes vues anti-autoritaires et anti-fascistes. Quelques uns sont végétariens ou vegans. Beaucoup ont participé à des libérations d'animaux, organisé des marchés à prix libres, des concerts de charité et des tournois anti-racistes d'arts martiaux. Parmi les informations circulant sur les médias, recueillies par les accusés et brandies comme une preuve indiscutable par l'accusation, il y a même une recette pour un vegan burger.

Le Centre de Surveillance des Droits de l'Homme ( anciens Droits de l'Homme NGO en Russie ) ont déclaré Yuliy Boyarshinov et Viktor Filinkov comme prisonniers politiques.

Notre campagne soutient tous les accusés de l'affaire, à l'exception d'Igor Shishkin qui a passé un accord avec les enquêteurs. Toutes les contributions serviront principalement à payer les avocats et à fournir des plateaux végétariens et vegan aux emprisonnés :

Vous pouvez suivre les développements the Network's case sur : rupression.com

Aide aux accusés : Paypal:abc-msk@riseup.net

rupression. Com

( maladroite traduction SSR )

    • Enfin du sérieux, agent Chad je vous félicite ainsi que l'agente Molossa, un document d'une extrême importance, j'espère que ça n'a pas été trop difficile.

    • Terrible Chef, nous avons dû opérer de nuit !

    • Je serai attentif à ce que le service comptable n'oublie pas de doubler ces heures de travail nocturne.

    • Merci Chef, mais ce n'est pas tout !

    • Quoi donc agent Chad !

    • Avant de décrocher sous un effroyable envoi de projectiles meurtriers j'ai réussi à m'emparer d'un exemplaire d'une arme de destruction massive mise au point par les rebelles russes !

    • Un Jars, je suppose ! Depuis le temps que tous les Services Secrets rêvent d'en posséder ne serait-ce qu'une photographie !

    • Oui Chef, le tout dernier modèle, fabriqué en toute illégalité dans une base belge, P.O.G.O. Records, une succursale de Missiles of October, cornaquée par rappelez-vous cet activiste Lionel Beyet que nous tenons à l'œil.

    • Agent Chad, trêve de bavardages, il est temps de spectographier au plus vite ce Jars. Je ne vous le répèterai jamais assez : le sort du monde en dépend.

( Agent Chad du Service Secret du Rock'n'roll ). A Suivre.

06/11/2019

KR'TNT ! 437 : DETROIT COBRA / Dr JOHN / K'PTAIN KIDD / CHRIS THEPS / ALICIA F. / JADES / RED HOT TRIO / HOWLIN' JAWS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 437

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

07 / 11 / 2019

 

DETROIT COBRAS / Dr JOHN

K'PTAIN KIDD / CHRIS THEPS / ALICIA F !

JADES / RED HOT RIOT / HOWLIN' JAWS

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À Cobras ouverts

Un petit coup de Detroit Sound, ça ne fait de mal à personne. Au contraire. Ça remet bien les pendules à l’heure. Qu’il s’agisse des Stooges, de Wayne Kramer, des Dirtbombs, de Scott Morgan, des Demolition Doll Rods ou des Detroit Cobras, le blast est garanti. Les gens le savent puisqu’une belle ovation accueille Rachel Nagy lorsqu’elle arrive sur la scène du Gibus. Eh oui, elle est entrée dans la légende sur la foi de quelques beaux albums et de trop rares apparitions en Europe. Sa dernière prestation européenne remonte à 2004. Elle reste une très belle blonde à l’accent canaille et aux bras couverts de tatouages. Malheureusement elle n’a plus le droit de fumer sa clope sur scène. Rachel Nagy est aux blondes ce que Chrissie Hynde est aux brunes : la femme fatale par excellence. On détaille du regard son corps resté parfait. À sa gauche se tient sa fidèle lieutenante, Mary Restrepo Ramirez. Elle est elle aussi incroyablement bien conservée, fine comme une anguille et brune à gogo. Elle déborde littéralement d’enthousiasme et fonce à travers la plaine avec sa rythmique endiablée. Il n’existe pas de guitariste plus dévouée au beat que Mary Restrepo Ramirez. De l’autre côté se tient Eddie Baranek, un vétéran de toutes les guerres du Detroit Sound qu’on vit jadis œuvrer dans les Sights. Le vieux Eddie porte la barbe, des cheveux bien gras, des lunettes à verres bleutés et une grosse chemise à carreaux. Il s’est empâté mais il joue comme mille diables. Il allume en permanence et arrose tout de disto. Les Cobras attaquent avec « I Can’t Go Back », suivi du knocking « You Don’t Knock » des Staple Singers. Plus loin, ils font un véritable carnage avec le vieux « Cha Cha Twist » d’Hank Ballard. Version explosive, on le sait depuis vingt ans. Par contre, aucune trace de « Hey Sailor » ni de « Right Around The Corner ». Le seul cut de Life Love And Leaving qu’ils reprennent est le « Shout Bama Lama » d’Otis. Sur scène, Rachel Nagy continue d’incarner tout ce qu’un homme peut attendre au plan libidinal du rock américain. Quand elle attaque « Weak Spot », on tombe définitivement sous son charme. Rachel Nagy fait avec « Weak Spot » le même genre de ravages qu’Aretha avec « Respect ».

Ces rois du swing vachard que sont les Cobras ne jouent que des reprises. Ils tapent dans l’inépuisable réservoir de hits du patrimoine musical américain. Leur répertoire est un twisted jukebox à la puissance dix. Ils déterrent des hits fabuleux. Ils font avec la Soul et la pop de Detroit ce que les Cramps firent avec le rockab : ils les subliment. Les Detroit Cobras explorent les catacombes de la culture américaine et ramènent à la lumière des hits oubliés qu’ils revitalisent à coups de riffalama.

Le groupe n’a que vingt ans d’âge, en fait. Il fut monté en 1998 par Steve Shaw, Mary Restrepo Ramirez et Jeff Meier, un ancien membre de Rocket 455, garage-band mythique de Detroit dans lequel jouait aussi Dan Kroha. Les trois compères proposèrent à Rachel de chanter, mais elle prétendit qu’elle ne savait pas chanter. On connaît la suite de l’histoire. Leur premier album Mink Rat Or Rabbit sortit sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry et fit sensation. Sur la pochette, on voit une femme noire danser nue devant un blanc, probablement dans un club de go-go girls. C’est un album de reprises spectaculaires. Ils attaquent avec le « Cha Cha Twist » d’Hank Ballard. La reine punk d’Amérique, c’est Mary Restrepo Ramirez. La lionne du désert, c’est Rachel Nagy. Et le père fondateur du garage de Detroit, c’est Steve Shaw. Ils enchaînent avec « I’ll Keep Holding On » des Marvelettes. Ils en font un pur jus de garage poundé à la dure. Puis ils tapent dans les Shirelles avec « Putty (In Your Hands) ». Ils l’embarquent à la sévère, ils instaurent le Biribi du garage, le marche ou crève définitif - oh oh oh - Quel ramshakle ! Puis ils tapent dans les Shangri-Las, les Oblivians et les 5 Royales, mais les cuts accrochent moins. La B s’ouvre sur une reprise du « Midnight Blues » de Charlie Rich. Un peu plus loin, ils ramènent la première d’une longue série de reprises d’Irma Thomas, « Hittin’ On Nothing », une belle pièce de r’n’b râblée et poilue. Puis c’est la fête avec « Out Of This World » de Gino Washington et ils finissent avec une reprise fouillée de Jackie DeShannon, « Breakaway ». Dans les pattes des Cobras, la belle pop de Jackie explose littéralement.

Life Love And Leaving parut trois ans plus tard sur le même label. Un gros plan de Rachel avec son micro et sa clope orne la pochette. L’album est encore meilleur que le précédent. Les Cobras s’installent au sommet de leur art. Ils attaquent avec « Hey Sailor », qui est en réalité le « Hey Sha-Lo-Ney » de Mickey Lee Lane (repris par The Action en Angleterre et par Ronnie Spector). Rachel bouffe ce vieux hit tout cru. Puis c’est au tour des Ronettes de passer à la casserole avec « He Dit It ». La pop des Cobras est dix mille fois plus puissante que ne le fut celle de Blondie. Leur pop explose et s’emballe. Ils tapent ensuite dans la heavyness de Solomon Burke (« Find Me A Home »), dans la pop de première classe des Chiffons (« Oh My Lover ») puis c’est le grand retour à Irma Thomas avec « Cry On », mais il ne s’y passe rien. La bombe de l’album, c’est bien sûr la reprise du fabuleux « Stupidity » de Solomon Burke. Ils embarquent ça au riff - oh -  et c’est claqué derrière les oreilles. La grandeur des Detroit Cobras se mesure à l’aune de Stupidity. Rachel en fait littéralement de la charpie. Elle se couronne Garage Queen d’Amérique. Puis ils volent dans les plumes du « Bye Bye Baby » de Mary Wells. Ils attaquent la B avec un hit inconnu au bataillon, « Boss Lady » de Davis Jones & the Fenders. C’est incroyablement bon. Rachel y met tout le chien de sa chienne - I’m a boss lady ! - On la croit sur parole. Elle transforme cette vieille pop en pure exultation primitive - Hey yeah ! Hey shake it baby ! - Puis ils retapissent « Laughing At You » des Gardienas. C’est la cavalcade infernale. Ils se prennent pour des locomotives. On a là toute l’énergie de la splendeur garage, avec un son paradisiaque. On tient avec Life Love And Leaving le disque de rock idéal. Il ne faut surtout pas le lâcher. « Right Around The Corner » des 5 Royales est certainement leur reprise la plus connue - That’s where my baby stays - C’est infernal de grandeur tournoyante. Leur manège donne le vertige, c’est une farandole excédentaire, un vertigo de pop extrême. Rachel arrache la peau de ses retours de couplets. Quelle démesure organique ! Et ils finissent avec une hot cover du « Shout Bama Lama » d’Otis. Leur choix de reprises est parfois un peu prétentieux - au sens de l’obscurantisme - mais les restitutions sont toutes irréprochables.

Seven Easy Pieces est ce qu’il faut bien appeler un mini-LP explosif. Ils attaquent avec une merveilleuse pounderie, « Ya Ya Ya », Rachel descend à la cave et nous plonge dans l’enfer de la fournaise. Le solo débilitant échappe à toutes les hypothèses imaginées par Sigmund Freud. Puis Rachel avale « My Baby Loves The Secret Agent » tout cru. Elle tire tout à la force de la voix - ah-ouh ah-ouh - elle sidère par tant de classe définitive. Ils font une reprise rouleau compresseur du « You Don’t Knock » des Staple Singers et ça se corse encore avec « 99 And A Half Just Won’t Do », dont les atomes explosent, comme dans un réacteur. On dit dans les cercles autorisés que les physiciens ont dû prendre le phénomène Detroit Cobras en compte. Et ils finissent dans le boogaloo avec « Insane Asylum », un joli clin d’œil à Koko Taylor.

Baby sort l’année suivante. Un couple romantique orne la pochette. Pour une fois, ce ne sont pas des romantiques blancs, mais des romantiques noirs. Baby est probablement le meilleur album des Cobras. Ils attaquent avec un cut signé Dan Penn/Spooner Oldham, « Slippin’ Around » et ils font sonner ça comme du Sony & Cher, avec toute la pression du Detroit Sound. C’est un véritable coup de génie. Rachel y fait un vrai carnage. Rooooaaar ! Ils explosent « Baby Let Me Hold Your Hand », un cut obscur de Hoagy Lands. On sent la puissance d’une démesure évidente. Nouvelle merveille extravagante : « Weak Spot », composé par Isaac Hayes pour la grande Ruby Johnson. Tout le génie de Rachel Nagy explose ici au grand jour. Les Cobras embarquent ça au firmament. « Weak Spot » est certainement leur exploit le plus retentissant. En B, ils sortent le « Mean Man » de Betty Harris de sa tombe. On sent la puissance sous le vent. Ils font aussi une reprise de « Baby Help Me », un hit de Bobby Womack interprété par Percy Sledge. Là, ils tapent dans l’extrêmement bon. Rachel sait emmener une pop song dans le bois des songes. Elle est la grande princesse des rock dreams humides. Et puis voilà le pot aux roses : la version ultime de « Cha Cha Twist » farcie de redémarrages explosifs. Comment parviennent-ils à transfigurer des classiques aussi parfaits ? Dieu seul le sait. Rachel dérape au coin du couplet et c’mon baby, ça ferraille derrière elle. Chaque fois qu’on réécoute ce cut, on voit danser en filigrane le nombril magique de Rachel Nagy.

Chant du cygne avec Tied & True paru en 2007. La formation originale du groupe avait depuis longtemps explosé. Il ne restait plus que Mary et Rachel. Greg Cartwright des Oblivians vint leur prêter main forte. Sur certains cuts, Rachel sonne comme Chrissie Hynde. Le groupe est en perte de vitesse. La version du fameux « Leave My Kitten Alone » de Little Willie John a un certain cachet, car on retrouve le côté cavaleur des Cobras, c’est ramassé au beat et chanté haut la main par une Rachel écarlate. Une petite pointe de rockab se fait sentir dans les entrelacs. Soutenu par un drumbeat tressauté, le riff de guitare fait tout le travail. Ils tapent aussi dans Bettye LaVette avec « You’ll Never Change » et en font un beau boogaloo sous le manteau. La version de « The Hurt’s All Gone » d’Irma Thomas est tellement pop que c’en est catastrophique. Le groupe tente de sauver son âme avec « On A Monday » de Leadbelly. Ils finissent heureusement en beauté avec « Green Light » des Equals. Ouf ! Mais on voit bien que les carottes sont cuites.

Les gens de Munster ont rassemblé les singles des Detroit Cobras dans une belle compile intitulée The Original Recordings. On y trouve des trésors comme « Maria Christina » chanté par Mary Restrepo Ramirez en chicano. Notons au passage que Steve Shaw et Mary étaient des découvreurs, au sens où Lux et Ivy l’étaient. L’autre révélation de ce disque, c’est la reprise d’un vieux coucou des années trente, « Come Over To My House » de Gesshie Wiley & Elvie Thomas. Ils déterrent aussi le « Sad Affair » d’un vieux soul man de Motor City, Lee Rogers, et en font du très gros Cobra. Même traitement infernal pour « Down In Louisiana » d’un certain Polka Dot Slim. Et puis on tombe dans la pure mythologie avec la reprise d’un cut inédit de Question Mark & The Mysterians, « Ain’t It A Shame », un spectaculaire exploit garage. Ils passent aussi le vieux « Slum Lord » des Deviants à la casserole. On trouvera de l’autre côté une belle mouture du fameux « Funnel Of Love » de Wanda Jackson - un long-time favorite des Cramps - et une reprise ratée du « Brainwashed » des Kinks. Steve Shaw chante « Time Changes Things », un hit superbe des early Supremes et ils transforment le « Curly Haired Baby » de Professor Longhair en bombe atomique.

Grâce à cette belle série d’albums, Rachel Nagy et ses amis vénéneux sont devenus des héros mythologiques, au même titre que Zorro.

Signé : Cazengler, Detroit Cobra cassé

Detroit Cobras. Le Gibus. Paris XIe. 30 octobre 2019

Detroit Cobras. Mink Rat Or Rabbit. Sympathy For The Record Industry 1998

Detroit Cobras. Life Love And leaving. Sympathy For The Record Industry 2001

Detroit Cobras. Seven Easy Pieces. Rough Trade 2003

Detroit Cobras. Baby. Rough Trade 2004

Detroit Cobras. Tied & True. Rough Trade 2007

Detroit Cobras. The Original Recordings. Munster Records 2008

Oh Dr John I’m Only Dancing

- Part Two

Babylon compte parmi les plus grands albums de rock de tous les temps. Ça semblait déjà évident en 1969, année de sa parution. Et pourtant, quelle année ! Ça grouillait déjà de gros disques, Let It Bleed, le Led Zep 1, Trout Mask Replica, Everybody Knows This Is Nowhere, Happy Trails, Beck-Ola, le premier album des Stooges, Goodbye des Cream, A Salty Dog et d’autres encore. Rien qu’avec ce tas d’albums mirobolants, on avait épuisé son temps d’écoute et ses économies, mais Babylon s’imposait avec son Creaux pur tapé aux percus des marais avec une incomparable profondeur. Le jazz rock volait au secours d’une dimension incontrôlée. Dans son morceau titre, Mac Rebennack invoquait les démons du free - No politicians/ No more human beings - Il voulait la bombe atomique. Bienvenue dans la décadence de Babylone. Il faut vite se faire une raison : Babylon est un album expérimental. Ça joue du tuba et ça groove dans les marais. Avec «Glowin’», Mac ramène des sons d’entre les morts, les filles qui chantent sont vermoulues. C’est très spécial et même très louche. Il contrebalance son what I’m gonna do dans le weird, il fait l’étalage de toutes ses extravagances, son keep on est beau à mourir. Il monte son «Black Widow Spider» sur un monstrueux drive de basse et nous enferme dans une torpeur extraordinaire. Il invente le Big Atmospherix de la Nouvelle Orleans. Le son grouille de sonorités inconnues. Cet album fonctionne comme une initiation. Il nous présente ensuite la fille aux pieds nus, «Barefoot Lady», sur fond de groove carnavalesque. Il chante comme un dieu et les congas de Congo Square jouent le real deal. Il se fend le cœur rien qu’en chantant «Twilight Zone». Il travaille sa torpeur avec les filles. Comme le Jack Flowers de Peter Bogdanovitch, il travaille avec des filles dévouées. Mac fait un album anti-commercial. Puis des chœurs d’enfants sucrent «The Patriotic Flag Waver», alors Mac peut aller chanter sur Main Street. Il chante la good time music des jours heureux et plonge son groove dans les affres du free. Il n’en finit de ramener du free dans le son, et il n’est pas prêt de se calmer.

En 1992 paraît un autre album extraordinairement fastueux, Goin’ Back To New Orleans. C’est la suite de Gumbo, qu’on a salué dans le Part One. Dr John y célèbre une fois de plus l’histoire musicale de la Nouvelle Orleans. À commencer par le Carnaval avec «The Red Indian», - Only in New Orlean will you hear this kind of song - Fabuleuse énergie et trompettes mariachi. Mac fait son white nigger dans «Basin Street Blues» et nous plonge dans la mythologie du heavy groove. Il rend hommage à son mentor Professor Longhair avec «Fess Up» - Strickly a tribute ! Ticklin’ the ivories all the double note crossovers, all that good stuff - Puis il envoie un gros clin d’œil à Annie Laurie avec «Since I Fell For you» : heavy blues d’une sensualité hors d’âge. Mac éprouve un gros béguin pour Annie. Powerful ! Autre clin d’œil, cette fois à Fatsy avec «Goin’ Home Tomorrow». Mac rappelle que Walter Papoose Nelson joue de la guitare sur la version originale. C’est le son de Fats. Fantastique cover ! Mac se souvient aussi d’une conversion avec Horace Silver qui lui disait que le premier disque de blues qu’il entendit sur un jukebox en Nouvelle Angleterre était «Goin’ Home Tomorrow» - He thought it was a hip blues for that time. Things like that stick in your mind - Mac sort aussi une cover de «Blue Monday» et rappelle que l’original est de Smiley Lewis. Il profite aussi de l’occasion pour dire qu’à l’âge d’or de la Nouvelle Orleans, on jouait le junkie blues toute la nuit. Il rend ensuite hommage à Huey Piano Smith avec «Scald Dog Medley/ I Can’t Gon On» et salue ensuite Art Neville avec une fantastique version de «Goin’ Back To New Orleans». Il croasse son groove à la perfection - I mean we just walked in and nailed this sucker - Son «Litanie des Saints» flirte avec Le Temps Des Gitans. Avec «How Come My Dog Don’t Bark», il est encore plus royaliste que les blacks et il salue Leadbelly doing ‘double life’ in Angola avec une superbe version de «Good Night Irene». Il profite du coucou à Leadbelly pour saluer aussi James Baker qui pianotait ce truc avec ferveur.

Son autobiographie s’arrête au moment où paraît Television, en 1994. L’album est nettement moins hanté que Babylon et Goin’ Back To New Orleans. Mac s’entoure d’une nouvelle équipe et d’Hugh McCraken. Dans «Lissen», il recommande de fermer la télé, le walkman et le BEI - Turn down the MTV, learn to listen - Ça date. Aujourd’hui, il dirait : «Turn down the internet.» Le hit de l’album est une reprise de Sly Stone, «Thank You (Falletin Me Be Mice Elf Again)». Derrière lui, les filles sont géniales. Mac en fait une épaisse tranche de groove fumante de génie. L’autre coup de Jarnac est une reprise de «Money», le vieux hit de Berry Gordy. Mac en fait du gospel batch. Il fout le paquet et les filles font «That’s/ What I want !» Le reste de l’album est joué sur le même type de groove. On sent une volonté commerciale, d’ailleurs, la pochette est assez putassière. Dans «Witchy Red», Mac évoque un mojo satchel made of human skin et le chanteur des Red Hot Chili Peppers vient ruiner «Shut D Fonk Up». Plus loin, Mac chante «U Lie 2 Much» avec la voix d’un Ravaillac attaché aux quatre chevaux qui vont l’écarteler. La sincérité de son timbre ne trompe pas. Puis on l’entend sucer toutes les syllabes de «Same Day Service». Cet homme adore chanter ses chansons - Get me for less/ Every little bit u get/ It’s all correckkk - et les filles du gospel batch font le «Same day service» du cortège funèbre. Admirable !

L’année suivante paraît Afterglow. Sur la pochette, Mac semble serein, avec sa canne et sa commisération. Il chante au heavy groove de round it off. Le cut qui se détache du lot s’appelle «So Long». Mac nous régale d’un art définitif, une sorte de slow groove de rêve. Il pianote son «I Know What I’ve Got» au gras du bide, comme tout pépère qui se respecte, mais il amène de sacrés cuivres dans son chabrot. Soit tu quittes la table parce que tu n’apprécies pas le spectacle, soit tu t’aperçois que la tradition regorge d’une certaine forme de génie. C’est à toi de voir. Tu ne connais rien à la vie et tu dois faire face à tes responsabilités. Pendant ce temps, Mac sait exactement ce qu’il fait. Il fait couler une rivière de diamants sud-africains. Mac est très black dans l’esprit, très convaincu, anti-bonnet blanc et blanc bonnet. Il joue un «I’m Just A Lucky So-and-so» assez spectaculaire. De la même façon que Trane allait au Love Supreme, Mac passe au groove suprême avec «Blues Skies». Son «New York City Blues» flirte avec la classe intercontinentale du round midnite de Broadway. Il bouffe son chant comme on crève l’écran. Il chante comme un démon. Il mène le même combat que Leon Russell au soir de sa vie, il revient aux basics et enfile les chefs-d’œuvre comme des perles. C’est un album qu’on serre contre son cœur.

Il revient au boogaloo avec l’excellent Anutha Zone paru en 1998. On le croit calmé. Pas du tout ! «Ki Ya Gris Gris» renoue avec les torpeurs de Babylon, il ressort son vieux delirium, le son rôde dans le cimetière, les cris qu’on entend ne sont pas ceux des chouettes mais ceux des vampires. Mac murmure plus qu’il ne chante. On croit que c’est du boogaloo, mais non, c’est du vermoulu secoué aux percus africaines. Plus loin, il salue God au heavy beat de bienséance. Il monte «Hello God» en neige du Kilimandjaro et profite de l’occasion pour ramener les Edwin Hawkins Singers ! Clameur extraordinaire ! C’est l’un des hits les plus spectaculaires de Mac Rebennack. Seul un mec de la Nouvelle Orleans peut ramener autant de brebis égarées dans le giron de God. Keep on ! Et ça continue avec «John Gris», heavy groove des catacombes, mélange de xylo et de flûtes d’os. Ça pue le mystère ! Groove de la mort. Encore plus dévastateur : «I Like Keyoka», joué au sax de crocodile. Mac croasse dans les marais. Il fait sonner les clochettes des rattlesnakes. C’est épais et deep in the flesh. Il faut aussi saluer le morceau titre, une vraie merveille de heavy boogie joué à la meilleure connivence. Retour à la tradition avec «Sweet Home New Orleans» joué aux trompettes de rue. Il renoue avec la puissance inexorable du groove. Ce mec est très fort. Il allume son cataplasme à coups de yeah-oheh !

Changement complet de registre avec ce brillant hommage à Duke Ellington paru en 1999 : Duke Elegant. Les mecs qui accompagnent Mac sur cet album sont inconnus au bataillon. Album étonnant, car Mac va réussir à créer de la magie à partir de la magie existante. On entend un «I’m Gonna Go Fishin’» joué à la basse métallique, par exemple. Et ça frappe dur chez la mère tape-dur. Mac tape «It Don’t Mean A Thing» au croassement. Il semble écraser l’œuf du serpent. Il bâtit son pont des arts avec une maîtrise subliminale, il fait du gainsbourring de bonne bourre, à coups de rumble d’orgue. Ça groove dans les bas-flancs du brigantin. Il laisse le swing emporter «Perdido». Tout ce qui sort de Mac maque les mots et marque les mecs. Il shoote «Don’t Get Around Much Anymore» à l’insistance nasale. Il se régale et nous aussi. Des mecs sifflent et se fondent dans le groove downtown. Ça se termine en rap de South Side. Puis Mac descend dans les eaux profondes de «Solitude» pour pianoter comme Satie. Il chante de l’intérieur de l’âme. Il atteint à l’apanage de la nage. Il fait le choix du heavy funk pour «Thing’s Ain’t What They Used To Be» et tape «Caravan» au shuffle de petite surface. Dans son texte de présentation, Mac explique qu’il n’a rencontré Duke Ellington qu’une seule fois, sur un vol à destination de la Nouvelle Orleans. Il comprit immédiatement pourquoi on l’appelait Duke Elegant - The man was a mystic, chanting enchantments, and charming to the max - Puis il découvrit que ses musiciens s’habillaient comme des banquiers. Selon mac, Duke connaissait le secret de l’immortalité : «Write a bunch of tunes that people keep on singin’ and playin’.»

Retour au cimetière avec Creole Moon et sa pochette fantasmatique. Mac attaque cet album clé avec «You Swore», l’un des pire grooves de l’histoire du groove - Definitely the West African vibe - Authentic New Orleans sound. Bienvenue au paradis des enfers et les filles chantent à point nommé. C’est l’album des héros. Mac salue Art Blakey dans «In The Name Of You» et Fred Westley vient jouer du trombone dans «Food For Thot». Mac nous funke le shit de choc avec une invraisemblable énergie. Il sait se montrer aussi pugnace d’un black du ghetto. Ideal for cuising nous dit Mac de «Holdin’ Pattern» - Inner city rhythm, caribbean flourishes and shades of fonk inside it - Il bat tous les records atmosphériques. «Bruha Bembe» sent bon le cimetière. Mac fait rouler le Bembe africain. Quel shoot de boogaloo ! Aw come in down ! Encore un extraordinaire coup de love & potion amené à l’experiment extrême des crânes. Il co-write «Imitations Of Love» avec Doc Pomus - Written in 6/8 - Il songe à Ray Charles et à T Bone Walker. Eh oui, nous restons chez les géants. Il nous sert à la suite ce qu’il appelle un authentic raw New Orleans funk avec «Now That You Got Me» et passe au boléro de Charlie Parker avec le morceau titre. Aw Calypso ! Aw Trinitad ! Effarant ! Il swingue les îles. Il offre une conception très spectaculaire de l’exotica. Il affirme ensuite que sa mère est sortie de sa tombe pour lui chanter «Georgianna» - My bébé fais dodo/ My Georgianna - C’est son clin d’œil aux Cajuns. Il tape plus loin «Take What I Can Get» au guiding light spiritual church flavor - Sonny Landreth, the Cajun Santana, plays his part - Il a vraiment le chic des formules. Pour «Queen Of Old», il parle de jazzified flamenco. Cuba/Puerto Rico groove avec un mec à la trompette. Il termine avec «One 2 Am Too Many», a favorite of mine. Il a vraiment le groove dans le sang.

Voilà-t-y pas qu’en 2004 paraît l’un de ses meilleurs albums, N’awlinz Dis Dat Or D’udda ! Comme si c’était Dieu possible ! Il suffit pour s’en convaincre définitivement d’écouter «When The Saints Go Marching On», soutenu aux chœurs de morts vivants. C’est vibré à l’or de la mort, chanté au mieux des possibilités du gospel funéraire, avec la trompettes de Sidney Bechet dans l’écho du temps. Mac sublime le boogaloo de cimetière. Toute la mythologie de la Nouvelle Orleans est là, une fois encore. Mac reste dans le gospel avec «Lay My Burden Down». Il invite Mavis et Earl Palmer qui vient fouetter son snare. Il faut voir Mavis entrer dans la danse ! Elle swingue le heavy gospel de Mac, do like Jeusus et elle swingue son nobody à la folie. On grimpe encore d’un cran avec «Marie Laveau». Cyril Neville s’installe au piano et les Mardi Gras Indians fourbissent les bouquets de chœurs toxiques. Voodoo here we goo ! Mac chante les louanges de Marie Laveau, the Voodoo Queen of New Orleans. On entend les Werdell Quezergue Horns derrière, baby tout est si haut de gamme ! Ah ya ya ! Mac colmate les brèches de la réalité avec de la mousse de cimetière et les filles font chichakchichakchichak dans les ténèbres. Cette fois encore, ce démon de Mac bricole sa magie noire et frise le génie définitif. Nicholas Payton réveille ensuite le fantôme de Sidney Bechet avec «Dear Old Southland» et Mac revient au deep groove avec «Dis Dat Or D’Udda». Il sort pour l’occasion son baryton d’alligator, il croone dans le marigot, c’est effarant de tenue et de funky motion. On retrouve ensuite Earl Palmer dans «Chikee Le Pas». Mac fait appel à la crème de la crème du gratin dauphinois : en plus d’Earl on retrouve the Mardi Gras Indians et the Werdell Quezergue Horns. Im-bat-table ! Mac fouette sa crème de la crème. C’est encore une fois l’un des plus beaux albums de rock américain. L’hommage suivant va droit sur ce géant de la Nouvelle Orleans qui vient tout juste de disparaître, Dave Bartholomew, avec «The Monkey». Mac chauffe son Monkey comme Jimi Hendrix chauffait sa Foxy Lady. Randy Newman accompagne Mac sur «I Ate Up The Apple Tree», c’mon see about me ! Mac s’amuse avec sa voix de canard transmuté, on assiste à un duo de géants de la scène américaine. C’est une véritable merveille de classe et d’éclat. Snooks Eaglin et Willie Neslon rejoignent Mac sur «Ya Ain’t Such A Much». Que d’invités ! Que de son ! Snooks passe un solo au tiguili de shaking all over. Puis Mac revient avec «Life Is A One Way Ticket» au deep groove à la Bobbie Gentry. Il sait rocker le groove dans l’âme. Il sait cajoler la bête qui sommeille en nous. Il œuvre dans l’ombre du Grand Œuvre. Il n’en finit plus de ruisseler, mais ce sont des diamants. Il invite ensuite B.B. King et Clarence Gatemouth Brown à partager le festin de «Hen Layin’ Rooster». Quelle rooste ! Il n’existe rien de plus définitif en matière de groove. Mac réchauffe la terre entouré de ses amis, tous vétérans comme lui du Chitlin’ Circuit. Gate vient concasser des œufs pour l’omelette. Il faut reconnaître à Mac un talent fou d’instigateur. Son «Stakalee» n’est autre que Stagger Lee chanté à la décadence vermoulue. Hommage à Fess, boogie de rêve à la ramasse rebennackienne. Il invite ensuite Eddie Bo à partager le festin de «St James Infirmary» - I went down to the St James Infirmary down home - Il roule le texte sous sa langue et Eddie Bocage fait son apparition, ha ha ! C’est chanté au plus chaud de la matière. Ce disque est une espèce de carnet mondain de rêve. Tout ici n’est que luxe, calme et volupté.

Paru en 2005, Nex Hex - Nashville Sessions propose une belle série de classiques. Mac met le paquet sur le boogie de bastringue avec des choses comme «In The Night» - In the wee wee hours - et «Baldhead», vieux hit de Fess - Look at her/ She ain’t got no hair - Mac est plus jouissif que jamais. Il chante à l’accent tranchant et derrière, la fanfare de la Nouvelle Orleans s’emballe. Si on cherche du son, c’est là. Il chante ensuite «Whichever Way The Wind Blows» à l’épurée syllabique et enroule le groove autour de sa langue pour «Woman Is The Root Of All Evil». Version dévastatrice, salée aux cuivres. Il entraîne «Danger Zone» dans le giron de son groove spongieux et chante «Just Like A Miror» du haut de son heroin addiction. Il chante comme un dieu. Encore une merveille qui tombe du ciel avec «Helping Hand» qui vire en mode big heavy shuffle, oh helping hand ! C’est l’occasion de redire le génie de Mac Rebennack. Il tient son shit de choc par la barbichette. Il glisse le vieux «Tipitina» de Fess entre deux tranches pour en faire un sandwich magique. «Qualified» sonne comme l’un des plus beaux shuffles de l’histoire du rock et il ramène du rêve à la pelle avec «Mama Roux». Il réussit à recréer sa magie à Nashville, c’est un exploit. Il passe au heavy funk avec «A Quitter Never Wins». Une façon comme une autre de mettre les points sur les i. C’est même littéralement allumé de l’intérieur. Encore un album dont on sort épuisé mais ravi.

Avec Mercernary paru l’année suivante, Mac propose un choix de chansons de Johnny Mercer. Sur la pochette, il ressemble à un gangster. Avec «You Must Have Been A Beautiful Baby», Johnny Mercer rendait hommage à une femme délicate - Did your mama realize ? - Mac travaille son boogie au corps. Il jazze son groove. Le joyau de cet album s’appelle «Lazy Bones». Il le prend à l’éraillée et ça devient un blues de rêve. Il ne fait jamais les choses à moitié. Il plonge «Moon River» dans la décadence, il chante ça en biseau de croco. C’est de très haut niveau - My huckleberry sweet - Avec «I Ain’t No Johnny Mercer», Mac avoue qu’il n’est pas Johnny Mercer. Mais il tape ça au meilleur groove qui soit ici bas. Il atteint des sommets. On est dans l’excellence du night-clubbing. Il termine avec «Save The Bones For Henry James» joué au vieux jump de trombones. Mac est le roi du croak. Cet album renforce l’hypothèse d’un parallèle entre le prophète blanc (Mac) et le prophète black (Isaac). Il suffit d’écouter «Hit The Road To Dreamland» pour s’en convaincre. Mac drive son groove sous terre avec des accents chantants et crée de la proximité. Il chante aussi son «Dream» avec un appétit de croco affamé. Il va vers la lumière sur un beat de jump.

On retrouve pas mal de vieux coucous sur What Goes Around Comes Around. À commencer par «Tipitina», flamboyant et chanté au pire tranchant. Chant spongieux et décadent. On croit entendre un prince chanter. On revient aux racines de la Nouvelle Orleans avec «Mama Roux» qui sonne comme la bande son du bonheur parfait. On a tout là-dedans : l’emprise du swing, le radieux solaire, l’extrême fraîcheur du groove. Lookahere ! Voici «Qualified», véritable dégelée de son de Cadillac. Le rumble de la Nouvelle Orleans dégage les bronches. Mac chante à la pointe du progrès. Il passe au groove africain avec «Quitters Never Win». Pendant qu’il sort son meilleur tranchant, ça groove sec autour de lui. Et voilà le morceau titre, embarqué au bassmatic déconcerté. C’est une merveille de marche en crabe. Les filles le raclent vite fait avec des chœurs immondes, c’est en plus nappé de violons et donc doublement appétissant. Quelle incroyable vitalité du son ! Un son qui retombe sur ses pattes de manière inespérée. Tout ça pour dire qu’un album de Mac Rebennack se vit chaque fois comme une aventure. Il revient à son cher voodoo avec «Zu Zu Man» Les squelettes dansent dans le cimetière, sous la lune blafarde. Si on n’a encore jamais entendu un piano voodoo, il fait profiter de l’occasion. Mac pianote dans les ténèbres et croasse des choses inintelligibles. On le voit plus loin siphonner le groove de «Loser For You» avec ses dents de vampire. Il reprend aussi son vieux «Woman Is The Root Of All Evil» et chante «Bring Your Love» à la bonne aventure. Il pianote plus loin le junk de «Make Your Own Bed Well» et part en dérive. Il joue son round midnite aux coins cassés. C’est là que se fait la différence entre un mec comme Mac et MTV. Il ira pianoter à la folie junk dans l’âme d’un groove divinatoire, ce qui est quand même plus marrant qu’un clip sur MTV.

Le Trader John’s Crawfish Soiree paru en 2007 propose en fait deux albums, Trader John et Crawfish Soiree, tous deux bourrés à craquer de vieux classiques comme «Helping Hand» chanté au petit bonheur la chance, ou encore «Loser For You». Il y a quelque chose d’incroyablement chaleureux dans l’accent chantant de Mac, c’est d’ailleurs ça qui finit par le rendre tellement indispensable. Il chante toujours à la régalade d’homme repu. Comme si le groove suivait son petit bonhomme de chemin en père peinard sur la grand-mare des canards. Mac est génial, car avec «Loser For You» il va se prosterner aux pieds d’une pute - Two times loser/ Can’t help myself/ To come back to you - Il est en rut et brame à la gorge blanche. Il passe entre deux autres merveilles un instro de tous les diables, «One Night Late», véritable drive de monster wild, bassmatiqué au punch up de so far out. Il fait du big Mac avec un «I Pulled The Cover Off You Two Lovers» heavily pianoté. Tout le power est là, dans l’essence du rumble. Pas besoin de distorse. Avec «New Orleans», il envoie un coup de méthane dans le boyau de la mine et passe au heavy groove des enfers avec « The Ear Is On Strike». Admirable et gluant. Il revient à la goguette de bastringue avec «Just Like A Mirror» et devient une sorte de prince de la titube. On retrouve tous ces classiques sur Crawfish. Mais on ne s’en lasse pas. Tout est tellement pianoté dans l’âme. On retrouve ses grooves spongieux, ses coups de trompette, ses craquements de bois vermoulu et le poids du savoir, les cuivres de dixieland et les envoûtements, le shooo raaaah et le Zu Zu man, les pianotis dignes de Monk et la beauté déchirante de certains accents.

Au soir de sa vie, Mac mène le même combat que Tonton Leon, sauf que Tonton Leon n’est pas tombé dans le piège que lui tendaient les sirènes de la pseudo-modernité, ces petits mecs qui s’achètent une crédibilité à bon compte. Eh oui, Dan Auerbach produit Locked Down en 2012 et met son nom en gros sur la pochette. Alors qu’il n’a pas vécu le quart du centième de ce qu’a vécu Mac. On en est là. Même problème avec Mavis tombée dans les pattes de Jeff Tweedy qui met lui aussi son nom en gros sur les pochettes. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, le vieux Mac prend son heavy groove au timbre biseauté, ce timbre de nasal junk unique au monde - Locked down locked down/ Like a cornered cat/ What y’all know bout that ? - Mac n’en finit plus d’affirmer sa singularité. Il chante aussi son «Revolution» au pincé de nez, mais il force un peu trop sur le nasal, il s’est mis dans les pattes d’une prod putassière, tant pis pour lui. Il nous fait «Big Shot» en mode carnavalesque - Ain’t never gonna be no big shot like me - et passe à l’âge de glace avec «Ice Age». Trop de son pour le bon Doctor. Beaucoup trop. Limite hip-hop new-yorkais. Comme c’est tapé au heavy beat menaçant, il en rajoute une caisse. Mais l’impression du trop de son persiste. Un groove comme «Getaway» ne lui ressemble pas. Auerbach commet une fantastique erreur en chargeant la barque. Il fait du spectaculaire sur le dos d’un mec qui a fui le spectaculaire toute sa vie. Avec «Kingdom Of Izzness», on bascule dans l’horreur. Mac sonne comme une pop star et il n’a jamais voulu sonner comme une pop star. Voilà un kingdom drapé d’accords flamboyants, et Mac n’a jamais voulu d’accords flamboyants. C’est le monde à l’envers, on se retrouve confronté au problème du producteur qui impose un son à l’artiste, comme Tweedy l’a fait avec Mavis. C’est insupportable. Mais Mac est gentil, il se met dans un coin et attend de pouvoir continuer. Le désastre se poursuit avec «You Lie». On n’entend que la guitare d’Auerbach. Le pauvre Mac doit se débrouiller avec le m’as-tu-vu des Black Keys. Trop de guitare. C’est le contraire du New Orleans Sound. Mac parvient à sauver «My Children My Angels» - I wish I’d never made you blue - et il finit en chantant divinement «God’s Sure Good» - God don’t be guessin’/ He sure don’t - C’est admirable. Mais Auerbach ramène sa guitare, et un changement de rythme sauve le cul du cut, des chœurs de rêve et un drive de basse volent au secours de Mac qui sonne comme un Mac de rêve - God knows I’m OK.

Après les hommages à Johnny Mercer et à Duke Ellington, Mac rend en 2014 hommage à Louis Armstrong, aka Satchmo, avec Ske-Dat-De-Dat The Spirit Of Satch. C’est d’ailleurs son dernier album studio. Bien sûr, il démarre sur l’hymne à la vie, «What A Wonderful World», et fourbit une belle version de bastringue. C’est mené au doo-wopping de rêve. Oh la fantastique énergie des doo-woppers ! - What/ What a wonderful world ! - Chef d’œuvre du grand songbook d’Amérique. Ce sont les Blind Boys Of Alabama qui shootent l’or du temps et Nicholas Payton souffle dans sa trompette. Hallucinant ! On comprend alors qu’on est entré dans un très bel album. Mac passe à la funky motion avec «Mack The Knife», pulsion maximaliste, ça joue à contre-temps du syncopal. Un rapper vient rapper le Mack de Mac, c’mon gimme some more ! Mac shake son shook comme pas deux. Un Chicano nommé Telmary prend le lead sur «Tight Like This» et roule les r d’une belle espagnolade. C’est le kitsch à l’état le plus pur. Arturo Sandoval joue un solo de trompette merveilleusement épique, le cut se noie dans le kitsch mariachi et finit par exploser. Pure folie ! On passe au walking bass de Broadway avec «I’ve Got The World On A String». Bonnie Raitt vient duetter avec Mac, c’est le meeting des géants, ils chantent tous les deux à la viande crue, ils sont demented are go et écœurants de génie, affolants de niaque cabaretière. On assiste là à une sorte de consécration suprême, comme si ce duo légitimait toute l’histoire de l’industrie musicale. Mac la ramène pendant que Bonnie chante à pleine voix. L’affront du disk Auerbach est lavé. Nicholas Payton revient illuminer le heavy groove de «Gut Bucket Blues». Ces mecs dégagent autant que les pionniers du Dixieland. Un nommé Anthony Hamilton prend le micro sur «Sometimes I Feel Like A Motherless Child». Il est moins frénétique que Richie Heavens, dommage. Mac swingue ensuite «That’s My Home». Il joue la carte du velours et souffle de l’air chaud. Comme Walt Disney, il fait rêver les enfants. Il passe au gospel batch avec «Nobody Knows The Trouble I’ve Seen» et fait intervenir les McCrary Sisters et Ledisi. Ce sont des battantes. Les Blind Boys Of Alabama reviennent enflammer «Wrap Your Troubles In Dreams». Mac fend la bise et bat tous les records de morgue. Terence Blanchard joue de la trompette. C’est un fantastique album de Soul et de Spirit. Grâce à cette trompette New Orleans, on se paye une extraordinaire virée dans le son. Shemekia Copeland radine sa fraise pour «Sweet Hunk O’ Trash». On peut dire qu’elle chante son ass off. Mac lui donne la réplique. Il s’encanaille. L’album n’en finit plus de surprendre, avec tous ces rebondissements. Arturo Sandoval revient souffler dans sa trompette pour illuminer «Memories Of You». Mac sort sa meilleure voix de vieux croco, ses dents brillent à la lune. Bel hommage à Satchmo. Mac est sans doute le plus habilité des habilités.

Tout fan du bon Doctor doit impérativement s’offrir The Atco/Atlantic Singles 1968-1974, une compile parue en 2015. Car c’est du double concentré de tomate Rebennack. On groove délicieusement des hanches sur «Mama Roux», puis on savoure l’insidieux beat des tambours de Congo Square sur «I Walk On Gilded Splinters», un beat tellement épicé, tellement exotique, à la fois menaçant et moussu, une pure merveille d’exotica et il enchaîne avec le part two de Splinters, toujours hanté par les esprits africains. Mac les aide à dévorer les âmes de tous ces blancs cruels et avides. On reste dans la mythologie de la Nouvelle Orleans avec «Gris Gris Gumbo Ya Ya», on descend dans l’œsophage de l’esclavage, avec les O’Jays de Ship Aloy, dans les soutes de ces voiliers qui ramenaient des cargaisons de chair humaine, et Mac invoque les esprits, il comprend cette violence inacceptable, c’est de ça dont parle son art, un art qui relève du génie politique, il rend un hommage bouleversant aux martyrs de la traite, l’horreur la plus noire. Mais comment les blancs pouvaient-ils s’imaginer qu’ils allaient s’en tirer à bon compte ? God ce n’est pas possible ! Heureusement, le serpent voodoo rôde et tue. Quelle dose de sortilège dans ce cut ! Et ça continue avec une fantastique leçon de boogaloo intitulée «Loop Garoo». Mac chante comme Fess, son mentor, et voilà «Iko Ikoo», véritable hit africain, joyeux et fêtard. Mac navigue dans les Sargasses de la magie. Il rend aussi un bel hommage à Huey Piano Smith avec «Huey Smith Boogie», énorme cut claqué des mains, et passe ensuite à Big Dix avec une reprise de «Wang Dang Doodle». Mac y retrouve le chemin de la viande, all nite long, et il sort pour l’occasion son meilleur accent canaille. Il a tout compris. On a en prime un fantastique solo de guitare. Tiens encore un hommage magique à Fess, avec «Big Chief», joué aux instruments africains. On y retrouve la foison du son magique de la Nouvelle Orleans, forcément. Mac swingue à outrance. Il hurle comme un beau diable dans «A Man Of Many Words» et revient au groove avec «Right Place Wrong Time» : il se glisse sous le vent du marais, il groove son truc avec l’énergie d’un punk des bas-fonds et il revient aussitôt après au bon vieux boogaloo avec «I Been Hoodood», un cut fait pour rôder la nuit dans les cimetières, bien battu aux congas de Congo Square. C’est un zombie groove de tous les diables. Il passe au groove de Cuba avec «Cold Cold Cold». Mac ne tape que dans le haut de gamme. Il est incapable d’enregistrer un navet. Il se permet même de jouer de la rumba oblique, de s’enfoncer dans la jungle avec «Life» et de chanter «(Everybody Wan Get Rich) Rite Away» avec une voix de vieux clochard. Quel héros !

Tant qu’on y est, on peut aussi rapatrier The Crazy Cajun Recordings, une compile parue en 1999. Comme Jerry Lee Lewis et Doug Sahm, Mac a fréquenté un temps Huey P. Meaux et ça donne des résultats pour le moins explosifs. Le premier coup de génie s’appelle «You Said It», vieux shoot de groove voodoo. Quand Mac envoya ses cohortes, Huey dut avoir la peur de sa vie. Comment peut-on résister à ça ? Impossible ! Autre coup de génie avec «The Ear Is On Strike», heavy groove d’orgue des catacombes. Prod superbe, avec l’orgue joué loin derrière pour ne pas gêner le chant. Huey a bien compris la nature concassée du génie de Mac. C’est en tous les cas ce que montre «Make Your Own», joué au piano de round midnite. Mac chante ça à la désespérance maximaliste. Son «Which Way» sonne assez punk, il y touille un brouet malsain, sans doute est-ce la raison pour laquelle Huey le respecte autant. Mac casse littéralement la gueule du rythme. Il chante comme un nègre sur «A Little Closer To My Home». Il rampe dans le groove et se révèle plus royaliste qu’un roi nègre. Sur «I Pulled The Cover Off You Two Lovers», il chante comme Van Morrison. On a là une sorte de Gloria à la sauce New Orleans. Par contre, il chante «The Time Had Come» à l’affliction, ou plus exactement à la compassion du laid-back concassé. Puis il prend «Woman» au groove de naseaux perçants. Mac n’en finit plus de chanter un rock fin et racé, comme brisé de mille cassures de rythme. Il sort aussi un «Go Ahead On» en mode boogie léger de la cheville. Il limite les défauts et les accentue en même temps. Il est le maître de son temps. C’est assez stupéfiant. Comme s’il faisait la pluie et le beau temps. Vous en connaissez beaucoup des artistes capables de faire la pluie et le beau temps ? Il revient ravaler la façade de «Chicky Wow Wow». Il n’y a que lui qui sache faire ça. Par sa prodigieuse disposition au génie foutraque, Mac échappe définitivement à la médiocrité. Puis on l’entend vers la fin taper sur son piano de bastringue pour donner à son «Doghouse Blues» la perfection du saumâtre des bas-fonds.

En 1973, Mac doit être au sommet de son art, car c’est ce que laisse entendre ce Lost Broadcast paru récemment sous le titre At The Ultrasonic Studios. New York 1973. Pas question de faire l’impasse sur une telle merveille, d’autant qu’il démarre avec son vieux «Loop Garoo». On se demande bien ce que les New-yorkais pouvaient comprendre à ça, à l’époque. Trop de modernité et trop d’exotisme. C’est gratté au boogaloo, ça grouille de puces. Mac chante la délinquance des rues, bien épaulé par Sugar Bear Welch qui envoie du wah et Robert Lee Popwell qui roule sa bosse sur sa basse. Le décor est planté. Ils traînent le groove dans la boue du limon. Ils jouent avec le power et le décousu du junk. C’est l’équivalent exotique du Velvet Underground. Mac reste dans le registre de la déglingue pour attaquer de front «I Walked On Guilded Splinters». Les reines de la ramasse l’accompagnent. Elles s’appellent Bobbie Montgomery et Jessie Smith. Elles poussent de cris de hutte et chargent l’ambiance à outrance. Elles battent tous les records de déglingue. Rien n’est en place et ça tient, feel a lot better, John Boudreaux bat à l’Africaine, il sort un fantastique groove tribal mal dégrossi. Si on aime l’exotica, on est servi. Et ça monte encore d’un cran avec «Danse Kalinda Ba Boom», mélange de shuffle d’orgue et de beat voodoo. Mac jive comme Jimmy Smith, il smack le smooth de Smith. Les filles chantent à l’orgasmique dévoyé. Il faut les entendre, elles sont tellement vulviques ! Ça jive tant qu’on se croirait dans le Graham Bond ORGANization. Solo de sax dans les dents du cut, le mec s’appelle Jerry Jummonville, c’est le Trane de la défonce. Ce Lost Broadcast permet de choper Dr John au sommet vivant de son art. Les gens applaudissent. Yah ! Mac lance «Hawk you music lovers !» d’une voix de héros jovial. Il passe à Fess avec «Stag-o-lee». Ça pue la classe à dix kilomètres à la ronde. On sent qu’il ne vit que pour ça, pour la classe du jive. Retour des folles sur «Life», un hit bâti sur un joli riff d’Allen Toussaint. Le riff remonte le groove à contre-courant. S’ensuit un r’n’b brassé dans la profondeur du son, «Put A Love Letter In Your Heart». Mac n’en finit plus de relancer et les deux folles battent tous les records d’excès. Elles sont en sueur et Mac les excite encore. Il chante dans sa barbe, comme Gargantua un jour de ripaille. Il prend «Tipitina» au pire perçant de chat perché. C’est convaincu d’avance. Toute l’équipe s’y met. Merveilleux gumbo fantasmatique ! En matière de groove, on ne fera jamais mieux. Mac pulvérise New York. Il attaque «I’ve Been Hoodooed» d’une voix d’outre-tombe, nous plonge dans la nuit gelée du cimetière et les filles roucoulent un hooodoooo de rêve. On ne rigole pas car Mac est très sérieux et tout est cuivré de frais. Il retient son «Such A Night» par la manche et revient à son cœur de métier avec «Right Place Wrong Time». Fantastique jungle jive, il swingue l’excellence à outrance. S’il faut écouter une version de Right Place, c’est celle-ci. Elle est écorchée vive. Mac et son gumbo explosent tout. Les filles n’en finissent plus d’allumer le feu. Mac fait aussi un méchant clin d’œil à Big Dix avec «Wang Dang Doodle». Il le prend par en-dessous, comme un alligator. Chicago descend dans le bayou, all nite long ! Impossible de décrocher d’une telle merveille. On pourrait dire la même chose de «Mama Roux». Il l’amène au mieux des possibilités du génie rebennackien. Il chante ça à l’avenant. Il ouvre un océan de beauté innervée, il sonne le tocsin du bonheur éternel. Et tu as les filles qui explosent. Avec «Qualified», Mac bat d’autres records, ceux de la délinquance funk.

Pour finir, on se remet un coup de Desitively Bonnaroo, car Mac est beau comme un prince sur la pochette. On l’écoute une fois encore shaker son butt d’une voix pincée. «Quitters Never Win» sonne big and fat, umh-umh-umh et derrière, tu as les Meters et Allen Toussaint. Que peux-tu espérer de mieux ? George Porter au bassmatic ? C’est gagné d’avance. Art Neville on keys ? Laisse tomber. Et Zingaboo au beurre ? Faut pas charrier. D’ailleurs le Porter des enfers vient hanter «Stealin’», puis «What Comes Around Goes Around». Le monde appartient à George Porter. Zigaboo se montre plus discret, il se contente de rôder dans le marigot du groove comme un alligator. Son cousin le croco blanc chante et il descend dans le meilleur lard du monde, down down down, suivi par des filles vulvaires. Mac crée des zones de non-droit extravagantes et du côté des Meters ça pouette à tire-larigot. On voit ensuite Mac naviguer dans une mer de chœurs géniaux. Le cut s’appelle «Me You Loveliness». Les Meters déroulent le tapis rouge pour «Let’s Make A Better World». On se trouve là au maximum des possibilités du son, les filles deviennent insalubres. Mac a beaucoup de chance de pouvoir groover dans ces eaux-là. Les filles allument le brasier de «Can’t Git Enuff» et Mac ramène sa vieille niaque de sorcier africain. Alors forcément, ça explose. Les filles jettent de l’huile sur le feu. Il passe au groove de la désaille avec «Go Tell The People», il barre en couille de génie, il heurte le récif avec un talent indescriptible. Il taille sa route de titube dans un groove extrême. Pur génie ! Il finit cet album sublime avec le morceau titre, une sorte de take it off de non-recevoir. Les filles le harcèlent et ça devient intéressant. Nous voilà dans le heavy Mac, celui qui ne la ramène pas. Les Meters plombent le son, au sens fort du terme. Le babe babebabe restera un modèle du genre. Mac chante ça tellement à la renverse qu’on tombe de la chaise.

Dans le Part One, on faisait un peu l’impasse sur cet album intimiste paru en 1989, In A Sentimental Mood. Son duo avec Ricky Lee Jones va tout seul sur l’île déserte. Mac joue «Makin’ Whoopee» au piano bar de bonne contenance et nous berce de langueurs monotones. Il chante à la puissance du ton mouillé. L’autre merveille de cet album s’appelle «My Buddy». Il y crée une fantastique atmosphère d’amitié. On peut lui faire confiance - My buddy nobody sounds so fine - Les rivières de diamants qui s’écoulent de son piano s’en vont se perdre dans les nappes de violons. Mac chante ici avec tout le charme d’un vieil Américain bourré de talent. Cet album est aussi délicat et fragile qu’un recueil de poèmes de Paul-Jean Toulet. C’est taillé dans le cristal d’une certaine intelligence. Il chante «Don’t Let The Sun Catch You Cryin’» à la beauté déchirante. Plus rien à voir avec le menu fretin de pop et de rock. Mac vise l’undergut de bassdown nappé de violons et y fait rouler ses rivières de diamants. Il songe sans y songer à l’éternité. Mac, c’est un peu l’histoire d’un blanc qui se prenait pour un nègre. Il fait d’ailleurs partie de ceux qui ont réussi leur coup. Par la nature viscérale de son art, il a réussi à échapper aux anecdotes. Ses fans héritent d’un énorme tas de disques somptueux.

Signé : Cazengler, Dr Jauni

Dr John. Babylon. Atco Records 1969

Dr John. Goin’ Back To New Orleans. Warner Bros Records 1992

Dr John. Television. GRP 1994

Dr John. Afterglow. Blue Thumb Records 1995

Dr John. Anutha Zone. EMI 1998

Dr John. Duke Elegant. Blue Note 1999

Dr John. Creole Moon. Parlophone 2001

Dr John. N’awlinz Dis Dat Or D’udda. EMI 2004

Dr John. Nex Hex - Nashville Sessions. Purple Pyramid 2005

Dr John. Mercernary. Parlophone 2006

Dr John. What Goes Around Comes Around. DBK Works 2006

Dr John. Trader John’s Crawfish Soiree. SPV GmbH 2007

Dr John. Locked Down. Nonesuch 2012

Dr John. Ske-Dat-De-Dat The Spirit Of Satch. Concord Records 2014

Dr John. The Atco/Atlantic Singles 1968-1974. Omnivore Recordings 2015

Dr John. The Crazy Cajun Recordings. Edsel Records 1999

Dr John. At The Ultrasonic Studios. New York 1973. Smokin’ 2013

Dr John.  Desitively Bonnaroo. Atco Records. 1974

Dr John.  In a sentimental Moon. Warner Bros. Records. 1989

Dr John (Mac Rebennack). Born Under A Hoodoo Moon. St Martin Press 1994

02 / 11 / 2019PARIS

QUARTIER GENERAL

K'PTAIN KIDD / ALICIA F / CHRIS THEPS

 

Soirée littéraire un peu spéciale ce soir, rendez-vous avec le féroce Capitaine Kidd qui finit pendu sur les quais de Londres mais dont Edgar Allan Poe a magnifié le trésor perdu dans sa nouvelle Le scarabée d'or. L'entrevue sera suivie d'une escale au wonderland afin de rencontrer la merveilleuse Alice. Tout cela en un seul lieu – on n'arrête pas le progrès - au Quartier Général, rempli à ras-bord, telle la panse d'un long horn qui aurait brouté toute l'herbe bleue du Kentucky en une seule et mémorable nuitée. Grosse affluence ce soir, Alicia F nous offre sa première apparition publique, mais aussi afin de fêter son anniversaire, une bolée de punch – un véritable bolet de Satan – à tous ces notoires assoiffés que comptent dans leurs rangs les différentes familles des rockers réunies pour cette grande kermesse rock'n'roll.

JOHNNY KIDD

Johnny Kidd fut un des pionniers du rock'n'roll anglais. Le seul qui fraya à jeu égal avec la deuxième vague du british rock, Stones, Yardbirds, Animals, mais la mauvaise roue du destin – celle aux dents cassées – lui joua un mauvais tour sur une route d'Angleterre en octobre 1966. Son souvenir et son équipage de Pirates auraient pu sombrer au rayon des pertes et profits, mais il n'en fut rien. Please don't touch et Shakin' All Over sont devenus des classiques du rock, sa manière exemplaire d'aborder le rock en sa nudité énergétique originaire – guitare, basse, batterie – ne fut jamais oubliée, servit même de signe de ralliement et de reconnaissance – les marins nomment cela des amers - à tous les réfractaires qui un jour ou l'autre se rendent compte que le volatile efflanqué du rock s'est quelque peu transformé en poularde graisseuse ou embourgeoisé en chapon opulent, alors ils lui volent dans les plumes, lui arrachent les rémiges faisandées, lui écarlatisent la crête d'un rouge ardent, lui aiguisent les ergots à la mode assassine, et la cérémonie voodooïque des égorgements peut recommencer. Le pubrock de Dr Feelgood lui doit beaucoup, et au travers de ce retour au source l'insoumission punk sut renouer avec la combustion et l'énergie primale indispensables à toute révolte.

En France, Tony Marlow grand admirateur de Johnny Kidd enregistra en les années désormais fastueuses de 2014 et 2015, sous le nom de K'ptain Kidd, deux Cds consacrés à l'œuvre du britannique chevreau malfaisant, Feelin' et More of the same, dument chroniqués in Kr'tnt ! – pour les collectionneurs il existe un vinyle du second. Je vous livre les noms de cet équipage initial de forbans : Tony Marlow à la guitare, Gilles Tournon à la basse, et Stéphane Mouflier aux drums.

K'PTAIN KIDD

Oubliez le Tony Marlow de la semaine dernière à L'Armony, ce n'est pas le plus le même, je ne parle pas de chemise blanche à manches évasées, Fred et Fredo ont revêtu pour leur part une marinière à bandes bleu pâle. Non, la guitare. Non, il ne l'a pas repeinte en vert olive ou en bleu turquoise. Il s'en sert différemment. Toujours la même aisance, mais elle sonne différemment. Plus court si j'ose dire. C'est la faute à Johnny Kidd et ses damnés Pirates, de jouer au plus près de l'os, de viser à l'efficacité de ne rien se laisser perdre dans l'hors-champ des harmoniques. Ici on ne rêve pas, pas de trêve entre deux riffs, c'est comme pour les haricots verts, vous coupez toute la partie gauche, et toute la partie droite, vous vous contentez du mini trognon qui reste dans votre menotte, à vous de savoir pimenter la soupe.

N'est pas tout seul pour commettre ses méfaits Tony, l'a les Freddies à sa gauche. Rien de plus dissemblable que ces deux boucaniers. Visez un peu la pose hiératique de Fred Kolinski derrière sa batterie. Portrait en majesté. Avec ses cheveux de satin cristallin qui retombent sur ses épaules, au casting d'une super-production il décrochera sans problème le rôle de Merlin. Mais pour une fois pas l'enchanteur. Si vous n'y prêtez pas trop attention, vous ne le verrez pas bouger, à peine s'il se penche légèrement, l'a chargé ses missi dominici de se farcir le gros du boulot. Ses avant-bras s'activent méchamment. Another break in the wall of sound. Voici Merlin le cogneur. Vous fait de ces tours de passe-passe ahurissant, vous n'y voyez que du bleu, mais vos oreilles entendent le galop. Vous scude les azimuts l'air de rien. Mais ce n'est pas tout, en plus, lui l'imperturbable, il se permet de sourire. Ce n'est pas qu'il se moque de votre effarement devant cette promptitude drummique, c'est simplement un pâle sourire de complicité narquoise adressé à Tony ou à son homonyme.

Le deuxième Fred, rendons-lui son identité, Frédéric Lherm. L'antithèse parfaite de maître Kolinski. Sourit sans arrêt. Le gars jovial. N'est pas venu sur scène pour faire du boudin. L'est là pour s'amuser. A part que quand il fait mumuse sur sa basse, ça fait mal. A lui tout seul, il fait presque autant de bruit que le reste de l'équipage, attention ni tonitruance, ni brouhaha, juste des coups de marteau – c'est son côté merlin à lui - qui vous enfoncent des tire-fonds de vingt centimètres de long qui vous consolident le coffrage de chaque morceau avec une dextérité sans égale.

Si vous vous faîtes du souci pour Tony escorté par ses deux véritables gibiers de potence, qui mériteraient d'être pendus à la grande vergue, c'est que vous ne connaissez pas le Marlou. Entre les thermiques poinçons lhermiques et les battements d'ailes kolinskéens, un guitariste normal pleurerait à chaudes larmes, se plaindrait d'être exilé au bout du monde, se muerait en Ovide le triste relégué au lointain pays des Scythes par la fureur d'Auguste, dans la nullité de cet espace que lui concèdent les deux affreux, vous n'y glisseriez pas une feuille de papier, Tony vous y fait entrer toute la partition. Entre la brute et le truand, c'est toujours le bon le juste et le beau qui colle ses balles en plein milieu de la cible nous a enseigné Platon. Ah! C'est sûr qu'il joue serré, qu'il prend les virages à la corde, qu'il se faufile entre les deux autres chevaliers de l'apocalypse comme l'anguille dans un panier de crabes monstrueux.

Si vous y croyez vraiment, c'est que vous êtes naïfs, s'entendent tous les trois comme larrons en foire, ont longuement étudié leur affaire, après les passages les plus carambolesques, les gymkhanas les plus excessifs, ils échangent des signes de complicité et de satisfaction évidents, car il est sûr qu'ils évoluent sur un trapèze volant sans filet. En plus le Marlou, c'est comme les funambules qui font leur exercice les yeux bandés, il a double peine – je voulais dire double joie, mais il faut savoir apitoyer le lecteur – car en plus de la lead il se charge du vocal. Et attention, ce soir ils doivent avoir un train à prendre car ils enchaînent les morceaux à la seconde près. Vous les passent à la moulinette survitaminisante. Les rois du rock n'attendent pas.

Faudrait les analyser un par un, ce Big blon' baby craché à la serpentine de tête de Méduse, la voix de Tony Marlou sinueuse comme route de montagne stoppée net au bord du précipice, ce Goin' back home grondant comme train fonçant dans un tunnel effondré, ce Please don't touch qui vous ne vous touche pas mais vous heurte en avalanche de rochers dont la chute se referme sur votre cadavre. Et puis ce Shakin' all over, que tout le monde attend depuis trop longtemps pour ne pas être une pure merveille. Il y a un siècle que la salle est entrée en transe. Je préfère ne pas vous parler. De toutes les manières, c'est fini, les portes du pénitencier de l'existence coutumière se referment sur vous, Tony se retourne vers son ampli, il esquisse déjà le geste de l'éteindre, mais il se ravise, et nous propose un dernier blues, le dénommé Chris Theps est prié de monter sur scène.

CHRIS THEPS

Si vous n'avez pas eu la chance d'avoir eu votre maison défoncée, écrasée, rasée, démolie détruite par une tornade, vous ne pouvez pas imaginer Chris Theps. C'est qu'il y a blues et blues, le sympathique chaloupé, idéal pour margouliner les filles, et puis l'autre, l'ondée dévastatrice qui vous réduit en miettes une plantation du Mississippi en moins de quatre minutes, un condensé de colère d'esclaves et de rage de petits blancs prolétaires. Chris Theps nous l'avons déjà aperçu au QG, lorsque les formations s'y prêtent, il vient dégoupiller une grenade, just for fun.

Chris Theps l'a tout pour lui. Une dégaine à faire peur. De celles auxquelles succombent les filles. Grand et habillé de noir, des anneaux aux oreilles qui lui filent une dégaine à le confondre avec Keith Richards, une allure stonienne plus vraie que nature, il ne suffit pas de rouler pour amasser la mousse du talent. Faut une voix. Ça tombe bien Chris Theps n'en a pas. A la place il a dû se faire greffer un rugissement. En trois minutes, l'a mis tout le monde à genoux. Ce n'est pas le blues qui est sorti de son gosier, mais tous les alligators des bayous qui sont venus faire un tour au QG. L'a vampirisé l'atmosphère, souriez les morts vivants sont parmi vous. Zoom sur les zombies.

Un organe à la Rod the Mod, une orgie d'orages, un barrage d'eau lourde qui se barre et vous atomise. Je ne me rappelle plus trop ce qu'il demandait à sa baby, mais à sa place j'aurais essayé de ne pas me faire remarquer, les blues les plus torrides sont les plus désespérés. Elle avait dû salement l'énerver, car le Chris l'a hurlé à la lune à la façon d'une meute de loups décidée à avaler ce gros cachet d'aspirine. Malgré ses vêtements noirs, l'a pris l'apparence d'un ours blanc en fureur qui d'un coup de patte vous décapsule le haut de l'igloo dans lequel vous aviez tenté de trouver refuge.

L'est descendu de scène sous un déluge d'ovations et s'est glissé dans la foule, suivi d'un respectueux et interrogatif murmure d'admiration. C'était Chris Theps.

ALICIA F

F comme fatidique. Car tout le monde n'était venu que pour elle. Le bouche-à-oreille. La rumeur. Une dizaine de prestations d'un, ou deux, ou trois morceaux à l'arrache au milieu d'un set de Tony Marlow, le truc qui accroche certes, mais ce soir, ce n'est plus l'exotique essai sympathique, mais la voici en vedette, vingt titres à la suite, ça passe ou ça casse. Elle est là immobile devant le micro, attendant que les trois marlous de K'ptain Kidd lancent les hostilités.

Plein de filles, venues soutenir, non pas une copine, mais une rockeuse capable d'en démontrer aux garçons. Plein de boys aussi, car le miel des abeilles sauvages possède cette intrinsèque propriété d'attirer les bourdons solitaires. Ballet de photographes subitement électrisés en paparazzi afin de fixer pour l'éphémère éternité des curiosités inquisitrices l'image d'une soirée sauvage d'Alicia F.

Tout près de nous dans ses noirs atours mais retranchée en elle-même dans son silence. Je m'accroche à cet inopportun pilier central qui devant la scène vous oblige à un strabisme divergent, je suis comme Ulysse attaché à son mât, qui attends le chant de la sirène. De noir vêtue, seule la double opaline nacrée du revers dénudé de ces seins, et ce mince bandeau de blancheur libre entrevue sous le haut des bas résillés jaillissant des bottes de cuir noir révèlent la vénusté royale des ardeurs de grande fervence, ceinturé d'une jarretière tatouée, imaginez échardes de barbelés ou ronciers impénétrables , qui attirent autant le regard qu'ils l'interdisent. Bras nus, colliers de griffes de jaspe noir, chaînes argentées, lèvres de sang encadrées de cheveux châtaignes qui oscillent entre rousseurs mordorées et pâleurs rutilantes de reflets purpuréens. Des yeux brillants, parfois elle les réduit à une fente noire de khôl cool, parfois elle les ouvre de cet air taquin irrésistible qui clignote en vous comme un appel et s'évapore aussitôt pour ne laisser entre vos mains que l'écume des songes vains.

C'est Tony Marlow qui déclare les hostilités après un dernier regard échangé avec les Freddies, Alicia lance son cri de guerre, Blietzkrieg Pop, akha talismanique et ramonique d'osmose émotionnelle avec le public. Derrière, l'on nous a changé le band. K'ptain Kidd s'est enfui en haute mer, le bang band d'Alicia c'est autre chose, un son beaucoup plus années soixante-dix, plus coulant, débordant de la baignoire et dévalant les escaliers des huit étages de l'immeuble tel un trouble torrent chargé d'alluvions fertiles. Tony a empoigné sa Gibson Flying V, elle lui permettra de nous régaler de ces soli fluides et sans fin qui brûlent votre âme – c'est ainsi que Thétis rendit son fils Achille presque immortel – derrière Kolinski métamorphose la rythmique en profondeurs caverneuses et Lherm vous éclabousse de lignes de basse hérissées d'hameçons pour la pêche au gros.

Alicia passe aux choses sérieuses. Désirs de femme et désagréments de femelle. I need a Man, une voix forte, et des gestes suggestifs, elle s'est rapprochée de Tony, touche à plusieurs reprises son corps, notamment les parties que l'on ne nomme point, le chant déboule sur vous comme la charge d'Alexandre à Cheronnée, une véritable rivière de sang, d'ailleurs la voici qui débarque dans Monthly Visitors – une compo d'Alicia, à la fin du set plusieurs personnes enthousiasmées et pas des moindres prétendront que ses six originaux furent les moments les plus forts du gig – ce jus qu'exhale le corps de la femme comme mangue trop mûre débordant de suc – Cicéron rappelle que le Consul Lentulus aimait à s'abreuver à ce nectar divin, toutefois nous noterons car il ne faut jamais regretter l'occasion de s'instruire que ce passage est rarement signalé à l'attention des collégiens latinistes. Et puisque l'on cause féminité – cette set-list a été concoctée avec une diabolicité toute alicienne – voici l'hymne féministe du rock'n'roll, le supersonique I love Rock'n'roll de Joan Jett, profitons-en – pendant que dans le public les filles deviennent hystériques – pour regarder bouger Alicia. Ne s'éloigne guère du micro, avez-vous déjà vu une princesse gesticuler comme un camelot à la foire, juste des poses, des arrêts brusques du corps figé pour une demi-moitié de poignée de secondes en une immobilité signifiante, une image fixe destinée à s'incruster dans vos prunelles, des engrammes encéphalogrammatiques de sorcière qui feront désormais partie de votre vision imaginale du monde, Alicia le bras tendu, Alicia le micro tenu des deux mains, Alicia subitement murée en son silence, avant de vous aguicher, à la commissure de ses lèvres, d'un surgissement de langue perverse. Une galerie de portraits.

Le morceau nous laisse sans souffle. Sans doute est-ce pour cela qu'elle enchaîne sur Breathless, ce qui est sûr c'est que question folie dure vous pouvez faire confiance à Jerry Lou, ici pas de pumpin' piano, Alicia le remplace aisément, elle a appuyé sur la touche tempête et son bang band à ses côtés s'en donne à cœur joie. Un peu comme si vous proposiez une bouteille de moonshine à un groupe d'alcooliques anonymes en manque. Ne soyons pas paranos, Alicia veut-elle vraiment nous entraîner dans une nuit de Walpurgis goethéenne avec Paranoid ? Je vous laisse débattre la question. J'ai mieux à faire, le meilleur titre du set City of broken dreams, une composition, désormais vous pouvez vous moquer des misérables incendies californiens et vous pisser dessus de rire en évoquant la forêt amazonienne en feu, mais après cette infamie torride quelle perle va-t-elle enfiler à ce chapelet diabolique, Fred Kolinski vous souffle la réponse, Eddie Cochran sauve la mise, Summertime Blues survient à la manière des sept plaies d'Egypte, à la différence près qu'en suppôt de Satan que vous êtes devenus, vous ne pouvez que que reprendre en chœur les fabuleux couplets de Sharon Sheeley.

Burn out dans mon pauvre cerveau carbonisé, je ne me souviens plus de Love is like a switchblade – puisque c'est Alicia qui l'a écrit, c'est sûr que c'est la vérité vraie – et de Cherry Bomb, coupé en deux par le premier titre et explosé en soixante dix mille neuf cent soixante trois confettis par le second – tout comme cet état second dans lequel elle a réduit l'assistance, cette fille c'est Le diable en personne, et le diable au corps en même temps pour cette version ligne-haute tension-langouro-kitch hyper-électrifiée de Shakin' all over. Juste une pensée émue pour Johnny Kidd et Vince Taylor.

J'avais cru qu'avec City of broken dreams l'on avait atteint le point acméique du show, mais dans la vie il ne faut pas croire, mais savoir ( penser c'est encore mieux, mais c'est plus difficile ), mais voici qu'avec My no-generation l'on gravit – à une vitesse folle – un autre Everest, deuxième preuve que la set-list enchaîne les titres comme les scènes d'une pièce se succèdent pour raconter par leur juxtaposition une histoire dont le sens est fortement guidé par le propos secret de l'auteur, nous abordons un point post-acnéique avec I'm eighteen d'Alice Cooper, l'homme qui accompagna Gene Vincent au festival de Toronto et qui glissait des boas vivants dans les culottes des filles.

Il y a longtemps que vous ne savez plus qui vous êtes dans les trépignations de la salle, Alicia l'avoue, elle ne reconnaît plus personne en Harley Davidson, elle creuse les reins et remue du cul, qu'elle frotte sur la croupe de Tony, la voici animale, chatte en chaleur qui ondule de plaisir sous les caresses et qui miaule pour obtenir la permission de courir les matous fous sur les toits en pente, le rock'n'roll a de toujours frayé avec l'obscénité et le grotesque des représentations humaines. C'est pour cela que nous l'aimons et que beaucoup le détestent. Il est des miroirs qui réfléchissent trop pour être compris. Comme l'on parle de félinité nous sauterons Hey You et California sun pour caresser le dernier titre composé par Alicia, dédié à Speed Rock son chat roux qu'elle a recueilli tout chaton, mort de froid et de faim, à la sortie d'un concert. Une belle flambée réconfortante qui vous permet de vous transformer chamaniquement en tigre altéré de sang. Immédiatement suivi d'I fought the law, une déclaration d'intention, Alicia nous déverse son modus vivendi sur les lisières philosophiques d'une liberté stirnérienne, selon sa seule volonté d'être uniquement ce c'est qu'elle est. Mais tout ce qu'elle est. Sans rien jeter. Sans rien cacher. En rock starter.

Déjà le rappel, Mercedez Benz et Road 66. Qui nous laissent sur notre faim de tigre non rassasié, alors un dernier cuissot de mammouth décongelé au lance-flamme, le truc le plus dangereux de la soirée, elle est comme cela Alicia, quand elle tire sa révérence, c'est avec un minimum d'insolence pour que vous la regrettiez encore plus. Après le tsunami qu'a été le set, après la violence, l'ironie mordante de Chuck Berry, son You never can tell qui sonne comme une rengaine populaire entachée d'une pernicieuse sagesse.

Alicia F a gagné son pari. L'aura cloué le bec à tous les coincés du cerveau qui suivent les modes sociétales et les injonctions étatiques. L'aura prouvé de façon exemplaire que le rock'n'roll reste un des rares chemins de survie, une piste ombreuse, qu'il faut avoir le courage d'affronter. Pour ne pas mourir d'inanition. La culture-rock est un plat qui se mange chaud-brûlant.

Damie Chad.

MISNAKE

JADES

( 2018 )

Toutes les filles sont des sorcières. Enfin, presque toutes. Du moins quelques unes. Les généralisations hâtives retirent l'âpreté du sel au goût des choses et des êtres vivants. Mais pour celles-ci je confirme. Je me porte garant. J'ai été témoin et il n'y avait pas de photographes dans la salle pour fixer le moment. Ils ont raté le cliché du siècle. C'était dans l'inter-set du concert au Chaudron – le lecteur curieux ou soucieux de se rafraîchir la mémoire se reportera à notre livraison 435 du 24 / 10 / 2019. L'on s'active sec pour installer le matos. Mais elles sont deux, isolées près d'un ampli, attentives aux dires d'un technicien qui leur serine je ne sais trop quoi. Elles sont de dos et de trois-quart, de longs vêtements, capes ou manteaux, enrobent leurs silhouettes découpées dans l'obscurité glauque et fuligineuse, de laquelle dépasse le manche de leur guitare, troublante ressemblance, deux sorcières évadées d'Harry Potter qui s'apprêtent à s'envoler sur leurs balais Parfois l'illusion de la réalité est plus véridique que les films.

Lindsay : vocal + bass / Taïphen : lead guitar / Cherry : rhythm guitar / Chloé : drums.

Misnake : un beau jeu de mots, titre éponyme de ce premier EP qui mélange l'idée de faute et de mauvais serpent. Que voulez-vous dans l'âme de toute jeune fille rôde le fantôme enviée de l'arrière- grand-mère qui la première a osé désobéir et goûter aux fruits de la chair et de la connaissance. Vous le jettent dès le début '' I'm a girl'' leur seule prétention. Un vocal qui se traîne comme un serpent qui ondule sur le sol, parce que voyez-vous ce sont les courbes qui vous permettent d'avancer droit. Un arrière-fond de chœurs aux tonalités curieusement aigre-douces. Une belle partie de guitare, la piqure du reptile n'est peut-être pas mortelle mais vous apprécierez la couleur de sa peau. Peut-être même laisserez-vous la sinueuse bestiole dormir au creux de votre lit. Méfiez-vous de même. Tout compte fait ce mamba inquiétant pourrait se révéler dangereux. Les serpents ne se lovent pas toujours comme l'espèce humaine. I don't care : n'y a pas que les serpents qu'il faut regarder avec suspicion, les filles doivent être traitées avec les mêmes précautions, pas toutes peut-être, mais les Jades oui. Certes au début vous décidez de les laisser crier tout à leur aise, tout compte fait leur colère n'ébranle pas le monde, mais quand Chloé commence à frapper avec ses baguettes, il commence à se passer quelque chose et dès lors quand elles vous tombent toutes les quatre sur le paletot, vous devenez pâles trop tard, ces maudites gamines faut les prendre au sérieux. The monster in me : ne venez pas dire que je ne vous avais pas avertis, elles ont le mal en elles, vous préviennent par une guitare moqueuse et une simili comptine psalmodiée en chœur, et quand Lindsay prend la parole z'avez l'impression qu'un alien menaçant parle par sa bouche. Je précise mes avertissements, les Jades, elles sont très fortes sur la fin des morceaux, Taïphen vous dégouline un solo à vous pousser au suicide et tant pis pour vous. Ready or not : z'avez intérêt à être prêts parce qu'il y a longtemps qu'elles ont quitté les starting blocks, un festival de grouillis de guitare rouillées comme l'on n'en fait plus. Cherry s'y met aussi et pousse Lindsay dans ses retranchements, Chloé vous crapahute un petit frappé tarabusté de bien belle manière, ce morceau est une mosaïque, chaque tesselle vous offre une surprise, elles vous ont aménagé le château de Barbe Bleue en petites chambres de torture douillettes que vous aurez du mal à quitter. D.E.A.D. : ça tombe bien parce que vous êtes déjà morts. Et ces sales sorcières vous pondent un riff joyeux comme un œuf d'hippopotame. Et la fête n'est pas terminée, vous entraînent dans une farandole avec paliers accélératifs, à la fin du morceau, vous devez sortir de votre cercueil. Et vous le regrettez, vous ne vous étiez jamais aussi bien portés. For rock'n'roll : mais comme c'est pour le rock'n'roll vous consentez à les suivre. Incroyable mais vrai, il leur reste encore assez d'énergie pour balancer un maximum, chantent toutes en chœur et vous découpent avec le chalumeau des guitares. En plus votre mine déconfite d'autruche qui vient de pondre une tour eiffel en tôle ondulée les fait rire. Aux éclats.

Une galette qui disparaîtra de votre étagère. Allez faire un tour dans les affaires de votre petite sœur ou de votre progéniture genrée au féminin. Sûr que ce sont elles qui vous l'ont chouravée. Confisquez-la leur sur l'heure, sinon elles subiront une très triste influence. Elles finiront rockeuses. Un très mauvais exemple. Votre appartement deviendra un nid de sorcières, c'est comme cela que Jades a commencé.

 

La musique c'est bien, mais la synesthésie c'est mieux. Quoi de plus affriolant que les arts s'interpénètrent. Jades s'est donc engagé en un nouveau projet, une BD un comic-book dessiné par Thomas Healstone Moreaux, qui est aussi guitariste et vocaliste de The Warm Lair. C'est une oeuvre en progrès, une souscription est à votre disposition sur Ulule ( rockpleaser_jades ), nous en reparlerons à sa parution.

Damie Chad.

NINETEEN

RED HOT RIOT

( 2019 )

 

Scotty : double bass / Ricky : Vocals and guitars / Kane : drums

Le titre indique leur âge. Idéal pour faire preuve d'énergie parce que Corneille l'a dit : aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années. Nous les avions vus à la Comedia nous avaient fait une intraveineuse à réveiller un éléphant mort. Tout cela est raconté dans notre 436 ° livraison du 31 / 10 / 2019.

 

Life you get : ne respirez plus vous êtes tombés dans un trou de l'espace-temps, dans une party comme les jeunes s'en offraient dans les années cinquante, vous avez une guitare qui mord le moindre riff qui passe à sa portée et vous le secoue comme le chien qui ne veut pas lâcher la jambe de votre pantalon, ensuite pour faire taire ( vainement ) les chantonnements ironiques des chœurs, Ricky entreprend de fendre les bûches à coups d'un solo de cliquetis étourdissant qui vous réduit un tronc de séquoia en planchettes de dix centimètres de long sur cinq de large. Quand la jeunesse s'amuse, c'est du n'importe quoi. Oui mais c'est ce que l'on aime. This boy is having a nightmare : l'on n'a jamais dit à Scotty que l'on ne tapait pas sur une double bass pour la réduire en poudre, et comme derrière Kane drumise comme un sourd, n'y a plus pour Ricky qu'à tailler sa guitare en pointe et puis de s'amuser avec sa voix pour encourager ses copains à se surpasser. Ce qu'ils font sans problème. Street lights ( Hey Hey Hey ) : cette fois le vocal de Ricky est mixé devant, juste pour faire croire qu'ils sont sages et bien élevés, mais il n'en est rien, ça les démange et à chaque appel Hey Hey Hey ils vous flanquent des ces rafales instrumentales comme d'autres coulent une bielle exprès pour exploser le moteur de leur voiture. Modern age : tiens ils donnent dans le musical. La guitare ronronne comme une panthère qui s'apprête à dévorer un yack sur les pentes neigeuses de l' Annapurna alors les gars s'amusent à jouer avec les échos de la montagne, Ho ! Ho ! Ho ! crient-ils à gorge déployée, et ce qui doit arriver arrive : déclenchent une avalanche qui emporte tout. Vous avec. Walking the dog : après la grosse bêtise précédente, ils essaient de se comporter en garçons sages qui promènent le chien chaque soir. Hélas, la maudit bâtard s'enfuit pour rattraper une guitare qui court plus vite que lui. Cela se termine brusquement, en le poursuivant ils ont renversé une vieille mémé qui est allée rouler sous les roues d'un bus qui passait fort inopinément par là. Pas grave, ils se dépêchent de rentrer à la maison pour faire leurs devoirs. Pas vus, pas pris. Peggy : surtout que la jeune Peggy attire maintenant leur attention. Pendant qu'ils lui font du gringue réfléchissons à l'effet produit par leur musique. C'est simple vous prenez un disque de Gene Vincent avec les Blue Caps d'origine et au lieu de le passer en 45 tours vous adaptez un démultiplicateur sur votre bécane. A cinq cent soixante trois tours / minutes, indexés sur les tables de de Pythagore vous obtenez exactement le son du Red Hot Trio. Evidemment c'est du pur haché, la guitare de Gallup monte et descend en dents vertigineuses de scie sauteuses, et le pauvre Dickie supprime les espaces entre chaque battement. Excellemment jouissif. Vous fait vibrer encore plus que le sexe de Peggy.

Damie Chad.

 

BURNING HOUSE

HOWLIN' JAWS

( BMCD006 / 2018 )

Baptiste Léon : drums, backing vocals / Lucas Humbert : guitar, backing vocals / Djivan Abkarian : double bass, lead vocal / + Keyboards : Camille Bazbaz.

Belle pochette. Artwork de VanGogo, photos de Mauro Fiorito. Recto : les Howlin, dans un paysage urbain quelconque, style hall d'aéroport. Perdus dans la vastitude déshumanisante du monde moderne. Au verso, les voici tous trois regroupés, seuls contre le monde entier. Et sur le disque ne subsistent que trois ombres aiguisées comme la flèche du cruel Zénon. Qu'advient-il de notre présence au monde. Y sommes-nous seulement présents, ou n'avons nous fait que semblant d'y passer.

Oh well : sonne plus anglais que les british-pop d'aujourd'hui. Un feu d'artifice, ne pensent pas à ce que le morceau qu'ils sont en en train de jouer peut leur apporter, mais à ceux que chacun se doit de lui apporter. Z'ont compris le message, à chaque fois lui insuffler le maximum d'énergie. La quote-part du lion et le zèbre sera dévoré sabots compris, chacun y va de son petit solo pendant que les autres tronçonnent le tronc des arbres de l'allée de la bienséance. Un gros reproche toutefois, ils terminent trop vite, vous laissent le quai sans même agiter un mouchoir et pour réparer cette erreur démentielle, vous êtes obligé de le remettre trente fois de suite. Burning house : ont entendu le reproche, ce coup-ci ils font gaffe, y vont tout doux. Vous tapent un blues. Pour l'envoyer au cimetière des éléphants. Plus macabre que cela ce n'est pas possible puisque les cadavres ne peuvent pas mourir. Le Djivan n'y va pas de main morte, vous pousse des hurlements à réveiller un maccabée, mais celui-ci doit être sourd, Lucas est obligé de lui trépaner les oreilles avec un solo-killer, quant à Baptiste depuis le tout début il s'adonne à la marche funèbre. Ils ont tué le blues, et tout le monde s'en fout. Mais cela par chez nous c'est le lot des novateurs. Pour le blues, ne paniquez pas, il en a vu d'autres. You got it all wrong : z'ont repris du poil de la bête même qu'à la fin ils sonnent la cloche qui annonce l'imminence finale des naufrages. Mais avant cela surfez sur ces friselis de basse, profitent de votre béate admiration pour jeter quelques meubles par la fenêtre. Une manière de faire le ménage que vous devriez adopter chez vous quand tout va mal. Cela ne peut que vous faire du bien. She's gone : Elle est partie, c'est très bien, une merveilleuse occasion pour Baptiste de mixer sa batterie tout devant, et de vous triturer un kaotic-drumin' comme vous n'en avez jamais entendu. Du coup Lucas vous sort un truc de derrière les fagots, l'a la guitare qui pleure des larmes de crocodile tout en miaulant en même temps, essayez chez vous, vous m'en direz des nouvelles, en plus vous avez Dlivan qui essaie de planter son vocal au premier plan, un peu comme ces arbres de la liberté ( ou la mort ) que l'on dressait aux premiers temps de la révolution. Tant de bruit pour une fille, est-ce vraiment sérieux. Pas du tout, la preuve elle est partie car elle n'a pas supporté. Three days : cela sent un peu son Chuck Berry, qui s'en plaindrait, surtout que les Howlin' ils inspirent de l'admiration et de l'énergie davantage qu'ils ne s'inspirent, au début ils restent dans les canons étroits de la tradition, mais c'est juste pour vous faire comprendre comment ils la dynamitent. En plus ils allient absolue nouveauté et total respect. Combien sont-ils capables d'intuiter de telles trouvailles aujourd'hui. I'm mad : près des Them pour le background instrumental, et des Animals pour le traitement des voix, et leur guitare grondante et pétaradante sur Bo Diddley. Un petit chef-d'oeuvre qui revisite l'histoire du rock anglais. Encore une fois trop court. Un bijou. De l'or pur, pas de la pacotille.

Des jeunes groupes actuels les Howlin'Jaws sont ceux qui se sont aventurés le plus loin. Possèdent une qualité que beaucoup n'ont pas. Ils sont créatifs. N'enregistrent que de l'essentiel, tournent un max, apportent du nouveau.

Damie Chad.

25/09/2019

KR'TNT ! 431 : CARL BRADYCHOCK / LARRY WALLIS / TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK / JIMM / FISHING WITH GUNS / KERYDA / COMPAGNIE R2 / ROCK'N'ROLL STORIES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 431

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

26 / 09 / 2019

 

CARL BRADYCHOCK / LARRY WALLIS

TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK

JIMM / FISHING WITH GUNS

KERYDA / COMPAGNIE R2

ROCK'N'ROLL STORIES

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Le choc de Bradychok

 

Coincé entre rien et rien, en plein cagnard béthunien, offert sur la grande scène en pâture au petit peuple venu musarder en masse, le pauvre Carl avait bien du mérite à jouer. D’autant plus de mérite qu’on ne parvenait pas à mémoriser son nom : hein ? Brady qui ? Bradychuck ? Un Américain de Detroit accompagné par des Français, les qui ? Les Monkey Makers ? Ce Brady qui ne devait rien au cinéma de Mocky allait devoir l’emporter à la force du poignet et c’est exactement ce qu’il fit. Ce petit bonhomme sorti de nulle part semblait ravi de jouer sur cette scène offerte aux quatre vents. Il imposa très vite un son et pas n’importe quel son : le Detroit Sound qui même dans le rockab peut faire la différence. Carl Bradychok joue très électrique, c’est un furioso de la six cordes, il tartine ses interventions avec une âpreté au grain qui n’appartient qu’aux guitaristes de Motor City. Par grain, il faut bien sûr entendre le bon grain, celui qu’on sépare de l’ivraie, le grain qui donne le frisson. Ce fut un plaisir jamais feint que de le voir prendre des killer solos flash et doubler son chant au gimmicking sonnant et trébuchant. Il s’illustra particulièrement par une magistrale reprise du «Please Give Me Something» de Lee Allen, l’un des chevaux de bataille de Tav Falco, et certainement l’un des classiques rockab les plus mythiques. Carl Bradychok en fit la plus menaçante, la plus inspirée, la plus heavy des versions, la chargeant comme une mule de Detroit Sound, au point que ça en devenait complètement inespéré de véracité rampante, et plutôt que ce conclure bêtement, il ajouta en queue de cut une petite progression de power chords hendrixiens, un peu dans l’esprit de ce que fit El Vez à une époque, quand il finissait «That’s Alright Mama» sur des accords du «Walk On The Wild Side» de Lou Reed. Fantastique présence d’esprit. Le set prit alors une sorte de tournure purement révélatoire. D’où sortait ce démon de Chok ? Il évoqua un peu plus tard la mémoire de Jack Scott, histoire de rappeler que le vieux Jack venait lui aussi de Detroit. Pour le saluer, il reprit son premier single, «Two Timin’ Woman». Mais il fit vraiment sensation avec des cuts plus construits et beaucoup plus mélodiques, comme cette reprise du «Just Tell Her Jim Said Hello» d’Elvis, car il y shootait un gusto qui rappelait celui de Frank Black. Ce mec imposait un style très puissant, du haut d’une vraie voix, il affirmait une forte personnalité musicale et un goût immodéré pour les grosses compos. Il termina avec une reprise stupéfiante de «Love Me». Depuis celle des Cramps, on n’avait pas entendu de version aussi déterminée, aussi flamboyante, aussi démâtée que celle-ci. Carl Bradychok fut la découverte du Rétro 2019.

Ses disques ne courent pas les rues. Pour se les procurer, il faut aller cliquer sur carlbradychok.net. Quand on commence à les écouter, on se félicite d’avoir cliqué car les disques sont excellents. Vraiment excellents, bien au delà des espérances du Cap de Bonne Espérance. En plus d’Elvis et de Jack Scott, Carl chouchoute une autre idole du siècle dernier : Carl Perkins. Son dernier album est un tribute à Carl Perkins et s’appelle Carl Plays Carl. Tous les fans de Carl Perkins devraient écouter ce tribute, car Carl ramène du son dans Carl, pas n’importe quel son, le Detroit Sound. Il faut le voir remonter les bretelles de «Movie Magg» et passer un solo complètement de traviole avec ce son clairvoyant qu’on va retrouver partout. Carl chante Carl d’un accent sec et tranchant. Idéal pour un cat comme Carl. Avec «Matchbox», Carl décrète l’enfer sur la terre. Il le prend à la bonne mesure, sauvage et sourde. Version bien meilleure que celle de Jerry Lee qui joue Matchbox trop boogie. Autre belle bombe : «Say When». Carl va vite et bien, il embarque ça au jeu liquide et scintillant. Il joue vraiment comme un dieu et n’est pas avare de virulence. Voilà un «Say When» éclaté au shuffle de guitare folle. Comme le fait Jake Calypso, Carl ramène tellement de panache qu’il aurait parfois tendance à effacer les versions originales. L’autre belle bombe est le «One More Shot» qu’on trouve vers la fin. C’est même assez violent. Souvenez-vous de ce que disait Wayne Kramer du Detroit Sound : «What you get is very honest.» On entend un slap de rêve en sourdine totale et un guitariste déterminé à vaincre. Que pourrait-on demander de plus ? Carl ne fait qu’une bouchée de «Put Your Cat Clothes On», avec son pote Roof qui part au quart de tour d’upright. Ah il faut voir Carl enluminer le cut d’un killer solo flash éclair ! Ça vaut vraiment le détour. Il tape aussi une version très country de «When The Rio De Rosa Flows», mais l’écouter jouer est un pur régal, il ramène un son tellement juteux, high on tone, un son de demi-caisse Gibson de jazz agressif et fluide. Fabuleuse version aussi que celle de «Because You’re Mine». Carl y claque tout ce qu’il peut et chante au piqué de because. On voit encore le fan à l’œuvre dans «Honey Cause I Love You» et il joue «Big Bad Blues» comme s’il encerclait la caravane. Quand il lance l’assaut, il part en vrille. Très spectaculaire.

Son premier album s’appelle Children At Play et date de 2004. Quand on retourne le boîtier, on voit Carl ado poupin avec sa belle Gibson rouge. Il profite de cet album pour saluer l’autre grande légende du rockab local : Johnny Powers. Eh oui, tous les fans de rockab connaissent «Long Blond Hair». Carl en propose une version incroyablement inspirée, avec le tiguili d’intro et la fournaise immédiate - I love you once/ I love you twice - Il le boppe dans l’œuf. Terrific ! Il tape en plein dans le mille et passe l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Souvenons-nous que Johnny Powers réussit à se faire connaître à Detroit avec un seul hit et qu’il alla ensuite enregistrer un autre single chez Sun. Il est toujours en circulation. Autre clin d’œil de poids : «That’s All Right». Carl n’a pas froid aux yeux, il le softe bien, il le touille à la pa-patte, comme le chat avec la souris. Vas-y Carl, on est avec toi ! - Anyway you doooooo - Carl claque les trucs de Scotty, il soigne son hommage. Carl n’est pas un beauf, il fait ça bien, anyway you doooo. Il rend aussi hommage à la clameur avec une fameuse cover de «Lawdy Miss Clawdy». Tout est dans la clameur, Carl en saisit la grandeur, because I give all of my money. Son solo à la ramasse est un beau spécimen de génie humain. Il joue juste ce qu’il faut. Ses interventions devraient théoriquement entrer dans la légende. Il sait claquer une note à la revoyure. Bradychok, quel choc ! So bye bye baby, bye bye darling. Autre clin d’œil révélateur : celui qu’il adresse à Link Wray avec une fantastique reprise de «Rawhide». Bill Alton claque des mains. Carl n’a que onze ans. Vas-y Carl, claque-nous le beignet de Link. Ah il y va le Carl, c’est un polisson. On le voit s’énerver avec «House is Rocking» qu’il chante au petit nasal. Carl est déjà un viscéral, il ne lâche pas prise. Son départ en solo pue l’enthousiasme. Oh, il sait de quoi il parle, ain’t got nothing to lose ! Big stuff. On a là du vrai raw. Et tout explose avec «Shim Sham Shimmy», Carl nous plonge au cœur du rockab de Detroit, c’est claqué au slap avec un solo à l’arrache-dent. Il part tout seul, comme un desperado précoce. Il rend aussi hommage à Creedence avec «Bad Moon Risin’» et diabolise le «Viberate» de Conway Twitty. En 2004, Carl sortait donc frais émoulu du moulin.

Quand on va sur son site, on voit qu’il en pince pour Elvis. Deux tribute albums ! Le premier étant sold out, on peut se consoler en écoutant le volume 2, Let Yourself Go, paru en 2017. C’est là qu’on trouve sa puissante version de «Just Tell Her Jim Said Hello». Il l’explose littéralement et en fait un véritable chef-d’œuvre interprétatif. Oui, c’est tellement bon qu’on pourrait en tomber de sa chaise. Strong melody. C’est avec cette version qu’il emporta la partie au Rétro. Mais le reste de l’album vaut aussi le détour, à commencer par le morceau titre, embarqué au heavy groove. Il est au faîte de son système, il explose son Let Youself Go dans l’œuf. On enrage à l’idée de penser que cet album va rester inconnu du grand public. Il embarque son «Shake Rattle And Roll» à 300 à l’heure. Carl et ses amis jouent comme des diables, au powerus maximalus. Carl sait très bien fabriquer un grand disque. Toutes ses reprises fument. Tiens, rien qu’avec le «Trouble» d’ouverture de bal, la partie est gagnée. Carl explose le groove anaconda d’Elvis. Mais il va encore beaucoup plus loin dans le serpentinage d’écailles moussues. Il le chante à la pure écroulade de falaise, where I’m evil. Le son est bon, bien au-delà de ce que pourraient en dire les commentés du cyberboulot, Carl joue son va-tout au Detroit Sound, avec du power plein les mains. Encore du power à gogo dans «I’m Coming Home». Il joue au gras de jambon et chante comme un dieu rococo. Tout le rock du Middle West est là. The voice ! Ah il peut taper dans Elvis, il en a les moyens. Il suffit d’écouter «Fame & Fortune» pour comprendre qu’il colle au train d’Elvis avec sa glue. Admirable album ! Et la valse des niaques détroitiques continue avec «Money Honey» et il sort son meilleur shake pour «I Need Your Love Tonight». Il le fait pour de vrai. Sa justesse de ton en dit long sur sa passion pour Elvis. Si on sait apprécier le feeling, alors Carl est un must.

Et puis voilà un autre album paru en 2015, sans titre ni label. Carl Bradychok tout court. Rien que le son. Juste un disque destiné aux amateurs. Il pose debout avec sa guitare, tout vêtu de noir et cravaté de blanc. Il repend le vieux «Do Me No Wrong» de Pat Cupp et des trucs beaucoup plus calmes comme «Your Cheatin’ Heart». Il sait se donner les moyens d’une certaine ampleur vocale, comme le fait Jerry Lee, sur ce type de vieux coucou d’Hank Williams. Mais Carl ne s’arrête pas en si bon chemin : on le voit aussi taper brillamment dans Waylon Jennings avec «You Ask Me To». Back to Detroit avec Jack Scott et une cover de poids : «The Way I Walk». Classique parmi les classiques, saint des saints. Carl opte pour le swing. Pas de raunch comme dans la version des Cramps. Carl veille à respecter l’esprit original, avec du solo à gogo. C’est là qu’on trouve sa version de «Please Give Me Something». Il sait bien faire monter la sauce dans l’écho et restituer la zizanie solotique de la version originale. Mais pas de fin en progression d’accords. Dommage. Son coup de Jarnac au Rétro flattait bien les bas instincts. On adore quand ça flatte les bas instincts. La surprise vient de «End Of The World», un hit pas très connu de Skeeter Davis, fabuleusement bien emmené et chanté par dessus les toits.

Signé : Cazengler, (a)brutichok

Carl Bradychok. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

Carl Bradychok. Children At Play. King Drifter Productions 2004

Carl Bradychok. ST. Not On Label 2015

Carl Bradychok. Let Yourself Go. Tribute To Elvis Volume 2. Not On Label 2017

Carl Bradychok. Carl Plays Carl. Not On Label 2018

 

Wallis the question ?

 

Voici deux ans, on rééditait Death In The Guitarafternoon, l’unique album solo de Larry Wallis. À cette occasion, Vive le Rock consacrait (enfin) une double page à notre héros. L’interview commençait mal. Le mec lui demandait ce qu’il avait fabriqué dans les derniers temps, et Larry lui répondait : Not up to much at all mate. Pas grand chose, mon pote. Il expliquait à la suite qu’il avait perdu l’usage de sa main gauche, puis de sa main droite. Il se trouvait sur une liste d’attente pour se faire opérer. À la question : ‘Pourquoi les Pink Fairies ne sont jamais devenus énormes ?’, Larry répondait : a couple of crap managers, agents that stunk out loud, and a crap record company. Voilà, pour Larry, le crap suffit à ruiner la carrière d’un groupe. En France, on appelait ça des imprésarios véreux.

Oui, cette légende à deux pattes qu’est Larry Wallis joua avec les meilleurs rockers de son temps, Wayne Kramer, Lemmy, Steve Peregrin Took et Mick Farren. Lemmy ? - Not a fantastic bass player but the best Lemmy ever. A complete one-off ! - Il sait aussi reconnaître le talent d’écrivain de Mick Farren - but for many years a crap singer - jusqu’à ce que Larry s’occupe de lui et en fasse un vrai singer sur l’album Vampires Stole My Lunch Money (clin d’œil aux arnaqueurs des maisons de disques). Happé par des tas d’autres occupations, Mick Farren avait disparu de la scène musicale pendant des lustres. À la fin des seventies, il revint avec cet album bourré de chansons à boire, du style «Drunk In The Morning» et l’impavide «I Want A Drink», grosse bouillasse boogie posée sur une bassline frénétique à la «What’d I Say». Aucune originalité, mais quelle classe dans la désaille ! Son coup de génie consistait à reprendre un morceau de Zappa, «Trouble Coming Every Day» pour le transformer en bombe garage, l’une des plus atomiques du siècle, tous mots bien pesés. Mick Farren s’y arrachait la glotte, avec une belle soif d’anarchie ! Il renouait avec son vieil instinct de rebelle. Kick out the jams motherfuckers et Zo d’Axa, même combat ! Mick Farren brandissait le flambeau et il allait le brandir jusqu’à la fin. Cet album est superbe pour une simple et bonne raison : Larry Wallis le produit. «Bela Lugosi» valait aussi le détour. Bien plus intéressant que Bauhaus ! Mick Farren se prêtait merveilleusement au jeu. On avait là un Farren magnifique de prestance boogaloo. Des folles envoyaient des chœurs de vierges effarouchées et Farren psalmodiait comme un ogre amphétaminé. «Son Of A Millionaire» sonnait comme un classique des New York Dolls - Oui, oui, tout ça sur le même album, tu ne rêves pas - Mick Farren harponnait ce boogie dollsy d’une voix bien rauque. Avec «People Call You Crazy», il envoyait sa voix basculer par dessus bord et se rapprochait de Screamin’ Jay Hawkins et des grands prêtres voodoo. Vampires va tout seul sur l’île déserte.

Et pourtant, ce n’était pas gagné. Il suffit d’écouter l’On Parole de Motörhead paru en 1979 pour voir que Lemmy a frôlé la catastrophe en s’acoquinant avec Larry Wallis qui était pourtant le leader des Pink Fairies. Ils font une bonne version de «Motörhead», infestée d’intrusions vénéneuses et Larry tente de couler un bronze de légende, comme il a su le faire en reprenant les Pink Fairies sous son aile. Mais les autres cuts de l’album sont un peu mous du genou. Même la version de «City Kids» qu’on trouve sur Kings Of Oblivion manque de panache. On comprend que Lemmy ait opté pour une autre formule. Il voulait quelque chose de plus hargneux. La version de «Leaving Here» qui se trouve sur cet album semble complètement retenue. On ne sent aucun abandon. Et Lemmy chante «Lost Johnny» à l’appliquée, accompagné par Larry à l’acou. N’importe quoi !

Le grand décollage de Larry Wallis se fit quelques années plus tôt, en 1973, au moment où Paul Rudolph quittait les Pink Fairies. Tout le monde connaît l’anecdote : fraîchement embauché par Duncan Sanderson et Russell Hunter, Larry demande :

— Alors les gars, on enregistre quoi ?

Les deux autres lui répondent qu’ils n’ont pas de chansons. Et ils ajoutent :

— T’as qu’à en composer !

Larry panique :

— Mais je n’ai jamais composé de chansons !

— Do it !

Alors il do it et ça donne un album quasi-mythique : Kings Of Oblivion. Le titre est tiré de «The Bewlay Brothers» qu’on trouve sur Hunky Dory. Selon Luke Haines, tous les cuts de Larry Wallis sont punk as fuck - The Lazza-Russ ‘n’ Sandy Fairies line-up was a power trio supreme - Oui, c’est exactement ça, un power-trio suprême, c’est ce qu’on vit au Marquee à l’époque. Quand on avait vu les Fairies sur scène, il n’était plus possible de prendre les groupes français au sérieux. Les Fairies incarnaient l’essence même du rock, the real ragged power et dans le cas particulier des Fairies, the no sell out, qu’on pourrait traduire en français par une intégrité qui a les moyens de son intégrité. «City Kids» sonne comme un classique entre les classiques, monté sur l’extraordinaire beat russellien, heavy à souhait, bardé de relances, il fonctionne exactement comme une loco, il fonce à travers la nuit. À la limite, c’est lui Russell Hunter qui fait le show. Il double-gutte d’undergut. Alors Larry Wallis peut partir en maraude. Ah qui dira la grandeur décadente d’un Russell Hunter qu’on voit - sur le triptyque glissé dans la pochette - sous perfusion de bénédictine, avec un visage peint en vert. Cette photo en fit alors fantasmer plus d’un. Encore un hit avec «I Wish I Was A Girl». Cette fois, Sandy fait le show sur son manche de basse, il voyage en mélodie dans la trame d’un cut bâti pour durer. Ils partent à trois comme s’ils partaient à l’aventure et le Wallis part en Futana de solo gargouille. En B, les cuts auraient tendance à retomber comme des soufflés et il faut attendre «Chambermaid» pour renouer avec le cosmic boogie, et «Street Urchin’» pour renouer avec le classicisme, au sens où entend ce mot dans les musées. On y retrouve l’esprit de «City Kids», le beat avantageux et l’éclat puissant du glam. Fantastique ! Ils sonnent comme d’admirables glamsters de baraque foraine. L’album nous mit à l’époque dans un état de transe proche de la religiosité mystique.

Au cœur du mouvement punk londonien, Larry Wallis fit des étincelles chez Stiff avec deux singles, «Police Car» et surtout «Screwed Up» avec Mick Farren. Larry y screwe le beat à sa façon et le précipite dans le gouffre béant du néant psychédélique. Autre petite merveille fatidique : «Spoiling For A Fight», véritable furiosa del sol, c’est la b-side du single «Between The Lines». On a là du pur jus de combativité boogie. Wow, les Faires cherchent la cogne - Fight ! - Et Larry part en killer solo flash !

Avec le Live At The Roundhouse 1975 paru en 1982, on tient certainement l’un des meilleurs albums live de tous les temps. Double batterie, Twink et Russell Hunter, Sandy sur Rickenbacker et deux killer flash-masters devant, Paul Rudolph et Larry Wallis. En fait, c’est la dernière fois que Paul Rudolph joue dans les Fairies. Et comme Larry Wallis commençait à jouer avec Motörhead, ça sentait la fin des haricots - If the Fairies were going to bow out, they were planning to do it in style (les Fairies comptaient bien finir en beauté) - Ils roulèrent des centaines de spliffs pour les jeter à la foule. Larry rappelle aussi dans une interview que Sandy, Russell et lui se sont goinfrés de pefedrine avant de monter sur scène - It makes you go mad. So Sandy, Russell and I took as much of that as we could get our hands on (la pefedrine peut rendre cinglé aussi en ont-ils avalé autant qu’ils ont pu) - Quant à Paul Rudolph, il était arrivé à la Roundhouse en vélo avec une thermos de thé. Ce live saute à la gueule dès «City Kids» que Larry avait composé pour Kings Of Oblivion. Hello alright ? Si on aime le rock anglais, c’est là que ça se passe. Tu prends tout le proto-punk en pleine poire. Tu as là tout l’underground délinquant de Londres. Larry chante et Sandy fait du scooter sur son manche de basse. Ils enchaînent avec une version de «Waiting For The Man» de la pire espèce, claquée par les deux meilleurs trash-punksters d’Angleterre, Larry et Paul. Ils rendent un hommage dément au Velvet. Les Fairies développent une énergie qui leur est propre. Ils sont de toute évidence complètement défoncés. Voilà la preuve par neuf qu’il faut jouer défoncé, c’est la clé du rock. S’ils étaient à jeun, ils ne développeraient pas une telle puissance. Ils jouent leur Velvet à outrance, ces mecs jouent à la vie à la mort, c’est saturé de son, au-delà du descriptible. Ils bouclent avec une reprise du «Going Down» de Don Nix, et en font une version heavy qui dépasse toute la démesure du monde. Ça prend des proportions terribles.

Comme Larry Wallis partageait son temps entre la reformation des Fairies et Motörhead, il se gavait d’amphètes : «I think the longest I ever stayed awake in my life was eleven days at Rockfield, and when you think about it now... God !» Onze jours sans dormir à Rockfield ! Et comme il ne mangeait pas, il avait un sacré look - I looked fantastic, my mother nearly had a nervous breakdown when she got to see me - En le voyant si joliment émacié, sa mère faillit bien tomber dans les pommes. N’oublions pas que Larry est l’un des mecs les plus drôles d’Angleterre. Give The Anarchist A Cigarette grouille d’anecdotes hilarantes. L’écrivain Farren y célèbre le génie trash de Larry Wallis : «Larry avait des pythons, des cobras et même un rattlesnake dans des gros aquariums, tout ça dans un appart minuscule. Il élevait des rats pour nourrir ses serpents. C’était un fucking nightmare. Quand il était rôti, il jouait avec ses serpents et on était sûrs qu’il allait se faire mordre et y laisser sa peau.»

Big Beat fit paraître en 1984 l’excellent Previously Unreleased, une série de cuts inédits enregistrés par Larry, Sandy et George Butler. On retrouve la niaque épouvantable des Fairies dès «As Long As The Price Is Right». Pas de pire powerhouse que celle-ci. Larry vrille comme un beau diable. Ils restent dans le drive des enfers avec «Waiting For The Lightning To Strike». Ils jouent comme des démons cornus et poilus. Il n’est humainement pas possible de faire l’impasse sur cet album. On entend clairement les puissances des ténèbres sur ce «No Second Chance» battu si fort que les coups rebondissent. Il faut bien dire que c’est extraordinairement bien mixé. Quand on écoute «Talk Of The Devil», on sait les Fairies capables de miracles.

Si on veut entendre Larry Wallis et Wayne Kramer jouer ensemble, alors il faut écouter cet album des Deviants, Human Garbage. Ils y accompagnent Mick Farren qui à cette époque porte le cheveu court. Sur «Outrageous Contagious», Wayne Kramer passe un solo perceur de coffre. Mick Farren n’a pas de voix, on le sait, mais c’est l’esprit qui compte, n’est-il pas vrai ? On retrouve l’énorme bassmatic de Duncan Sanderson dans «Broken Statue». En fait, c’est lui qui fait le show, hyper actif dans l’effarance de la lancinance. On tombe plus loin sur une excellente version de «Screwed Up», le hit de Mick Farren, certainement le plus punk des singles punk d’alors, visité en profondeur par un solo admirable. Ils attaquent la B avec «Taking LSD», un vieux clin d’œil de Larry aux alchimistes du moyen âge, et ils enchaînent avec le grand hit wallissien, «Police Car» sorti aussi en pleine vague punk, avec un son qui reste brûlant d’actualité. C’est joué à l’admirabilité des choses, dans tout l’éclat d’un rock anglais datant d’une autre époque, avec tout le punch des guitares et tout le brouté de basse qu’on peut imaginer. On a là une version un peu étendue, puisque Larry la joue cosmique, avec son sens inné du lointain. Ils terminent avec l’inexplicable «Trouble Coming Every Day» de Zappa. Pourquoi inexplicable ? Parce que garage, alors que les Mothers n’avaient rien d’un groupe garage. N’oublions pas que Mick Farren admirait Frank Zappa, ce qui nous valut quelques mauvaises surprises sur les trois premiers albums des Deviants.

On a longtemps pris Kill ‘Em and Eat ‘Em paru en 1987 pour un mauvais album, et chaque fois qu’on le réécoute, ça reste un mauvais album. On y retrouve pourtant la fine fleur de la fine équipe : Larry, Andy Colquhoun, Sandy, Russell et Twink. Sur la pochette, Larry fait le con avec un masque de singe barbu et sa strato rouge. Dans les notes de pochette, Mick Farren raconte qu’un matin de gueule de bois, il est réveillé par un coup de fil qui lui annonce la reformation des Fairies. Oui c’est ça, et Attila revient avec les Huns, hein ? - Yeah and Attila is getting his Huns back together, répond-il - You gotta be kidding - Tu plaisantes, j’espère - And then I remembered, in rock’n’roll, anything is possible - Oui, Mick avait bien raison de dire que tout est possible dans le monde du rock. Et pouf, ils démarrent avec «Broken Statue», un vieux boogie composé par Mick. Larry le joue à la folie et c’est battu comme plâtre par la doublette mythique de Ladbroke Grove. Toute la niaque des Fairies re-surgit de l’eau du lac comme l’épée d’Excalibur. Mais sur cet album, les cuts restent bien ancrés dans le boogie. Larry fait pas mal de ravages, mais il manque l’étincelle qui met le feu aux poudres. «Undercover Of Confusion» sonne comme de la viande de reformation. «Taking LSD» sonne comme un vieux boogie des Status Quo, ou pire encore, de Dire Straits. Pas plus putassier que ce boogie-là. Ils font même un «White Girls On Amphetamines» insupportable de médiocrité et de non-présence. On croirait entendre les mauvais groupes français. Larry tente de sauver l’album avec «Seing Double». Il ressort des grosses ficelles, mais au fond, on ne lui demande pas de réinventer la poudre. Il faut rendre à Cesar Wallis ce qui appartient à Cesar Wallis. «Seing Double» est à peu près le seul cut sérieux de cet album.

La compile des Deviants intitulée Fragments Of Broken Probes sortie sur le label japonais Captain Trip propose des cuts qu’on ne trouve pas ailleurs. Mick Farren chante «Outrageaous Contagious» à la manière de Beefheart, en ruminant ses syllabes. Il fait son cro-magnon. Larry Wallis et Paul Rudolph participent à cette sauterie. Mick Farren adore forcer cette voix qu’il n’a pas. Il tape aussi dans Phil Spector avec une reprise de «To Know Him Is To Love Him» : épouvantable. Mick Farren hurle comme le capitaine d’une frégate brisée par la tempête. Version superbe de «Broken Statue». Derrière Mick Farren, ça joue. On retrouve cette ambiance d’émeute urbaine, avec les clameurs et les gros accords. Ce qui la force des albums de Mick Farren, c’est la vision du son. S’il est bien un mec sur cette terre qui sait ce que veut dire le mot power, c’est lui. On trouve à la suite une version live de «Half Price Drinks» extrêmement plombée. Ça s’écoute avec un plaisir renouvelé à chaque verre.

Autre album des Deviants indispensable : The Deviants Have Left The Planet. En plus d’Andy Colquhoun, on y retrouve les deux vieux compères, Larry Wallis et Paul Rudolph. Ils démarrent avec un «Aztec Calendar» brûlé à l’énergie des réacteurs. Son terrible, Andy joue dans l’interstellaire, il se répand dans la modernité farrenienne comme un vent brûlant. Mais c’est la version de l’«It’s Alright Ma» de Bob Dylan qui nous envoie tous au tapis. Heavy Andy l’attaque de front. C’est électrifié à outrance. Andy arrose tous les alentours. Ils profitent de Dylan pour sortir la pire mad psyché d’Angleterre. La dévotion d’Andy pour Mick Farren n’a d’égale que celle de Phil Campbell pour Lemmy. Andy revient toujours avec la niaque d’une bête de Gévaudan. Saura-t-on dire un jour la grandeur de cette énergie, et la grandeur d’un Farren d’Angleterre ? «God’s Worst Nightmare» est un cut co-écrit avec Wayne Kramer. Mick fait son guttural et Adrian Shaw, l’expat d’Hawkwind, fournit un solide bassmatic à l’Anglaise. Retour au groove des enfers avec «People Don’t Like Reality». Andy adore jouer comme un démon des enfers - Turn & look at me - On se noie dans l’essence de la décadence. Puis ils retapent dans le vieux classique des Deviants, «Let’s Loot The Supermarket», en compagnie de Paul Rudolph et de Larry Wallis. Andy joue de la basse. Retour à la légende : ils font du punk de proto-punk et brûlent d’une énergie d’exaction fondamentale. L’autre merveille de ce disque est bien sûr «Twilight Of The Gods», avec son extraordinaire ouverture de fireworks. Ça sonne comme du Monster Magnet, avec un sens de l’extrapolation du néant cher à Mick Farren. Il bâtit une dérive mirifique au fil d’une poésie crépusculaire chargée d’orient et de pourpre. Il rime les mass contraction et la satisfaction. On sent le poids d’un génie qui ne s’invente pas. C’est somptueux, digne des funérailles d’un pharaon au soleil couchant, c’est le disque d’or de toutes les mythologies antiques et brille au cœur de cet univers sacré le firmament d’une guitare, celle d’Andy Colquhoun.

Autre passage obligé : Shagrat que Larry monte avec Steve Peregrin Took en 1975. Mais ils préféraient se défoncer tous les deux dans le studio plutôt que de travailler. Pour la sortie de Lone Star en 2001, Larry écrivit une fantastique hommage à son pote Took : «Steve a eu et a toujours une prodigieuse influence sur ma vie, depuis ma consommation massive de LSD jusqu’à la façon dont je compose. Une influence magique. Dave Bidwell qu’on appelait Biddy, était aussi un original. Lui et Steve étaient semblables, et même beaucoup trop semblables. Ces deux-là aimaient bien pousser à l’extrême leurs expériences avec les drogues, ce qui, comme chacun le sait, finit en général assez mal. Si je parle des drogues, c’est parce qu’à l’époque on ne vivait que pour explorer des planètes inconnues, et les vaisseaux spatiaux qui permettaient d’y accéder, c’était justement les drogues. Took était le capitaine de notre vaisseau. Dans les années précédentes, Took avait été salement désavoué. Il avait pourtant joué un rôle aussi important que celui de Bolan dans Tyrannosurus Rex, un groupe qui sortait de nulle part, et il semble que ce soit Mickey Finn qui en ait tiré les marrons du feu. J’imagine qu’il n’est pas responsable de cette erreur d’appréciation. Alors, il ne vous reste plus qu’à savourer les virées cosmiques de Took, comme il les appelait. J’ajoute que ces chansons dissipent un malentendu voulant apparenter Took et Bolan au monde des lutins de la forêt. C’est entièrement faux. Tout ce qui intéressait Steve était ce qu’il appelait lui-même le kerflicker-kerflash, une sorte de rock’n’roll super-trippant et cosmique, du neon sex fun.» Comme dans le cas d’Hendrix, on se demande ce que Took aurait pu produire s’il avait vécu. Son sex fun serait-il devenu complètement incontrôlable ? C’est bien du cosmic neon sex fun qu’on entend dans «Boo! I Said Freeze», véritable carnage de druggy dub de freeze joué à l’énergie ralentie. Larry balaye tout à la guitare et il redevient l’un des trublions les plus virulents d’Angleterre. Il déploie sa furia del sol dans les méandres du sex fun de la titube. On se serait damné à l’époque pour un disque pareil. On encore cette mad psychedelia qui hante «Steel Abortion», c’est joué au Wallis of sound, couru comme le furet, répandu comme l’ampleur galvanique, explosé du cortex, projeté au-delà de la raison. Larry fait le show, il va là où bon lui semble. L’autre énormité de cet album miraculé s’appelle «Peppermint Flickstick», un cut digne de Syd Barrett, complètement barré, druggy at the junction, nous voilà plongés au cœur de la pire mad psychedelia qui soit ici bas et l’aimable Larry profite de l’embellie pour se barrer en sucette de solo gras. Ah quelles effluves de dérives molles ! Les Américains prétendument férus de psychédélisme feraient bien d’écouter ça et de prendre des notes.

Il est grand temps de revenir à la réédition de Death In The Guitarafternoon. Fantastique album ! (Encore un !). Si on aime la guitare électrique, alors il faut écouter Larry Wallis jouer ses arpèges d’allure martiale dans «Are We Having Fun Yet». Il tape dans le western spaghetti de haut vol et ramène cette vieille niaque qui date du temps béni des Fairies. Au fond, il est très proche de Jeff Beck. Il vise la véritable aubaine d’exaction parégorique. Il peut se montrer très prog dans l’esprit de seltz, mais avec une effarante énergie combustible. Il enchaîne ça avec «Crying All Night», une belle pop de Futana. Larry tient son rang de légende irrémédiable. Tout sur cet album reste allègre et hautement énergétique. Il prend ensuite un vieil instro de fête foraine intitulé «Dead Man Riding». George Webley y fait des merveilles sur sa basse. On note aussi la présence de Mickey Farren en tant que parolier dans «Downtown Jury», un cut typique de l’époque des Social Deviants et hanté par des solos qui s’en vont errer comme des hyènes dans l’écho de temps. Hallucinant ! Et voilà qu’il enchaîne trois cuts encore plus fantasques : «Where The Freak Hang Out», «Don’t Mess With Dimitri» et «Meatman». Larry qualifie «Where The Freak Hang Out» de full flying tribal song. Il est vrai que ça dégage bien les bronches. Un peu long, mais Larry n’est pas homme à mégoter. Il sort un son exceptionnel noyé de réverb maximaliste. Quel album ! Mickey Farren signe aussi ce «Don’t Mess With Dimitri» monté sur une bassline insistante. Larry claque ses vieux accords au loin et ça explose dans la lumière réverbérée de Ladbroke Grove at midnite. Il faut voir ces gens comme une extraordinaire équipe d’aventuriers du son. Avec «Meatman», Larry fait du Tom Waits. Il n’y croit pas un seul instant, mais quelle rigolade ! - Yeah I’m the meatman - Il tape aussi dans son vieux hit, «I’m A Police Car» et l’allonge avec des tonnes de guitar tricks. Larry fait ce qu’il veut quand il veut. On ne craint pas l’ennui, même s’il lui arrive de tirer sur la corde. Il chante d’une voix de mec usé par les conneries. Il termine cet album faramineux avec «Screw It», une fois de plus joué à la vie à la mort. Larry ne lâche rien, il faut s’en souvenir. L’album reste intense de bout en bout - About a pain in my ass/ C’mon let’s do it.

Un label psychédélique nommé Purple Pyramid vient de faire paraître un conglomérat de bric et broc intitulé The Sound Of Speed. L’intéressant de cette affaire, c’est que Larry commente ses brics et ses brocs, et ça vaut toutes les revoyures du mondo bizarro. Le bal d’A s’ouvre sur le flamboyant «Leather Forever», un single de 1986. Larry se souvient vaguement des gens qui l’accompagnaient : Andy Colquhoun, Sandy ‘Basso Profundo’ et George Bawbees Butler, Scottish drums. Ah wooow ! comme dirait Wolf. Il aligne ensuite des cuts tirés du lost Stiff, à commencer par «I Think It’s Coming Back Again». Deke Leonard et George Webley l’accompagnent. On note au passage la fantastique énergie du son. En même temps, c’est très anglais, typique du temps de Stiff. Le mec des Attractions bat «I Can’t See What It’s Got To Do With Me» si sec. Larry rend hommage à ce cet excellent drummer nommé Pete Miles O’Hampton Thomas : «Nobody does it better.» En B, il nous sort un «Old Enough To Know Better» qui devait figurer sur le Death album. C’est excellent, entièrement joué sous le boisseau, avec une basse aussi perverse qu’une cousine consanguine. Il tape à la suite un «Story Of My Life» dans le plus pur Fairy style et Deke Leonard passe de fabuleux coups de slide. On sent l’équipe de surdoués. Il faut entendre battre Peter Thomas derrière. On reste dans le Fairy groove avec l’excellent «I Love You So You’re Mine», gratté aux accords de Gloria. Larry y va de bon cœur. C’est fabuleusement embarqué. Il indique au passage qu’il destinait le cut aux Feelgoods. Il termine avec «Meatman». Il dit ne pas se souvenir de l’avoir enregistré. Le Line-up ? Bof... Avant de nous dire au-revoir, il écrit en bas de ses notes lapidaires : «Well I did say I wouldn’t be able to give much away folks, but I did my best. Hope you enjoy my noise and let’s be careful out there, ok ? OK.» (Je vous disais que je ne serais peut-être pas capable d’en dire très long, mais j’ai fait de mon mieux. J’espère que vous allez apprécier ma soupe et faites gaffe à vous les mecs, d’accord ? Bon d’accord). Et il signe Lazza.

Signé : Cazengler, Larry Varice

Larry Lazza Wallis. Disparu le 19 septembre 2019

Pink Fairies. Kings Of Oblivion. Polydor 1973

Larry Wallis. Police Car. Stiff Records 1977

Mick Farren And The Deviants. Screwed Up. Stiff Records 1977

Mick Farren. Vampires Stole My Lunch Money. Logo Records 1978

Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

Pink Fairies. Live At The Roundhouse 1975. Big Beat Records 1982

Pink Fairies. Previously Unreleased. Big Beat Records 1991

Deviants. Human Garbage. Psycho Records 1984

Pink Fairies. Kill ‘Em And Eat ‘Em. Demon Records 1987

Deviants. Fragments Of Broken Probes. Captain Trip Records 1996

Deviants. The Deviants Have Left The Planet. Captain Trip Records 1999

Shagrat. Lone Star. Captain Trip Records 2001

Larry Wallis. Death In The Guitarafternoon. Ribbed Records 2001

 

23 / 09 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

TONY MARLOW / ALICIA F / VOLK

Il y a des soirs où il vaut mieux se laisser faire. Surtout quand on vous veut du bien. Je vous laisse juges. Plateaux de melons, tartines de fromages et de pâtés gracieusement offerts par la Comedia, avec Tony Marlow, Alicia F, et des américains venus de Nashville, c'est ce qui s'appelle être gâtés, ou je ne m'y connais pas, d'autant plus que ce lundi soir ce n'est pas la foule énorme mais l'on ne compte pas les amis au mètre carré, comme s'il en pleuvait.

TONY MARLOW

Et sa guitare. Car ce soir Tony ne l'a pas ménagée. Dorée avec d'étranges reflets sépia lorsqu'elle entre en collision avec un rai de lumière. Quelle classe le Tony ! Prestance et port altier. Juste quelques mots de bienvenue et déjà il nous emporte à l'Ace Cafe, une chevauchée à toute blinde qui sera immédiatement suivie d'un petit – minusculité affective – Chuck Berry. Around and Around, fascinant de voir l'emprise digitale du Marlou sur les riffs, l'orfèvre les cisèle, les précise, les incise, une habileté diabolique, j'essaie de mémoriser les plans pour les revendre à une puissance étrangère, mais je n'y parviens pas, car il n'y a pas que les doigts de dextre et de senestre qui courent et accourent, z'avez aussi le son qui monte et descend, ce cristal adamantin qui coule et ricoche dans les oreilles, l'essence du rock'n'roll, qui vous raconte l'épopée magique de la jeunesse du monde.

Mais une guitare ne suffit pas. Faut un forgeron pour forger l'anneau d'or. Un sorcier des alliages secrets, Fred Kolinski, longs cheveux blancs, sourire énigmatique, ferait un superbe Merlin dans une filmique saga brocéliandesque, détient les clefs du tonnerre derrière sa batterie. Pas un batteur fou, mais le maître de la résonance, la guitare joue et les tambours éclatent, prolongent les effets, et les stoppent définitivement, en une ampleur sonore sans équivalence. Fred finit les séquences, il retourne le sablier du temps pour ouvrir une nouvelle ère riffique.

Noire est la big mama d'Amine le fatidique. Il est le temps qui presse la vie, la pousse et l'envoie bouler dans la corbeille à papier. Sans pitié. Ce qui est derrière nous ne reviendra jamais, alors, grand seigneur, Amine nous console en boutant le feu à notre présent. Sa contrebasse fulmine à la manière des mitrailleuses, les balles traçantes passent au-dessus de vos têtes, et vous comprenez l'urgence du rock'n'roll, la loi du mouvement imperturbable, cette impavide propulsion en avant, qui fait qu'un morceau à peine commencé se hâte vers le delta de sa fin, car vous désirez toujours plus vivre davantage intensément. Alors Amine se déchaîne, devient épileptique, tressaute sur lui-même, se lance dans une frénétique danse du scalp autour de son instrument et parfois il s'engouffre dans des soli de foudre et de poudre qui claquent et cavalent, giclent en rafales d'énergies, emportent tout sur leur passage. Ne vous laissent que les yeux pour rire d'un bonheur effréné.

Effarant de voir comment en une vingtaine de titres Tony vous offre sa carrière, quarante ans d'histoire du rock'n'roll français -enté et hanté d'Amérique – et ment partiellement quand il déclare que Rockabilly Troubadour et Le cuir et le baston résument toute sa vie, car sa voix exprime plus qu'une expérience personnelle, elle a ce velouté incisif, ce nostalgique tranchant, qui fait que chacun se reconnaît dans les bribes de son existence, et peut se donner l'illusion bienfaitrice d'en recoller les morceaux épars en une radieuse unité. Tony le musicien n'ignore rien des charmes ensorcelants et des larmes retenues des poëtes.

Faudrait disséquer tous les titres un par un, Tony et ses marlous étaient en grande forme, nous retiendrons un de ses tous premiers titres, Western, magnifique, beau comme une chevauchée fantastique, l'émouvant et hommagial I'm Going Home de Gene Vincent, et les trombes cordiques de The Missing Link, car une fois le set terminé, il vous semble qu'il vous manque l'élément essentiel du rock'n'roll, la présence active de Tony Marlow.

ALICIA F.

N'a fait qu'une courte apparition dans le set de Tony. Deux malheureux morceaux. Si ce n'est pas un scandale. Mais elle se réserve, bientôt elle sera sur scène en tant qu'elle-même, en vedette, patientez jusqu'au deux novembre.

Se glisse sur scène en toute simplicité. Ce soir elle nous montre une autre facette de son talent. Nous connaissions l'aguicheuse, celle qui jouait sur la profonde ambiguïté qui relie le rock au sexe, et le roll au désir, mais la voici toute seule dans son charme vénéneux et son espiègle beauté, moulée dans ses tatouages, son legging noir taché de motifs blancs et son T-shirt auréolé de la couronne d'opale de la naissance de ses seins, ses yeux verts d'émeraudes serpentines, et ses cheveux carrés aux bouts teintés d'un soupçon de rouge-sang-séché.

Marlou et ses sbires enchaînent aussi sec, I Need a Man et I Fought The Law, ce sera tout, une bourrasque qui arrache le toit de la maison et déracine le châtaigner centenaire dans la cour, et dans cette trombe Alicia F, toute droite, mais le moindre déplacement imperceptible de ses bras vous a de ses grâces inquiétantes de panthère, une pose de prêtresse hiératique, elle récite les lyrics démoniaques avec une impassibilité impossible, transformant les mots en brandons de feu, et cette force inquiétante du cobra qui se dresse lentement devant vous, cette immobilité tranquille, que quand elle se retire de la scène, vous avez compris qu'elle vient de vous mordre l'âme, mais que c'est trop tard, que vous êtes mortellement touché, que l'aconit du rock'n'roll vous étreint de son cercle de feu.

Alicia F. Alicia Fulminante.

VOLK

Ne sont que deux. Un garçon et une fille. Gal and Guy. Mais le set pourrait être sous-titré, la leçon venue d'Amérique. Ça commence doucement. Eagle Eye ne vous transcende pas. Le temps pour Chris Lowe de vérifier sa planche à effets multiples et à Eléot Reich de chauffer sa voix. Mais après vous comprenez que vous avez posé vos pieds sur le sentier de la guerre et que vous avez peu de chance d'en sortir vivant. Donc Eléot est à la batterie. Mensonge éhonté. Elle ne joue pas de la batterie. Mais de la tambourinade. Un roulement incessant, une transe rythmique impitoyable, vous comprendrez mieux à l'énoncé des titres, Atlanta Dog, Snake Farm, Honey Bee, I fed Animals, ni plus ni moins qu'une séance chamanique, vous ne vous méfiez pas, avec sa chevelure noire et sa robe rouge d'un lamé brillant vous croyez qu'elle va vous jouer le numéro de l'entertaineuse américaine type, vous n'y êtes pas du tout, à la manière dont elle enserre la caisse claire dans la blancheur de ses cuisses, et cette position voûtée, vous vous dîtes qu'il y a de la puissance vaudou en elle, qu'émane de son corps un magnétisme tellurique, et qu'elle transmet et transmute, qu'elle infuse et diffuse une force inconnue que l'on pourrait nommer l'esprit de la terre.

De prime abord Chris est moins inquiétant. Un grand gaillard solide, une tête bien faite d'étudiant attentif. Une grosse Gretsch blanche dans ses mains qui barre son épaisse redingote, un large éventail de delays électroniques à ses pieds, simple rythme binaire pour débuter, chante aussi. Faut attendre un peu pour intuiter ses dons de sorcier. Mine de rien, l'a des doigtés étranges. Vous semble qu'il rajoute de temps en temps des pincées de sel dans la tambouille qui cuit paisiblement sur le feu. Plutôt de la poudre à canon. Dissuasive. Little Games et Revelator's Bottleneck, ne riffe pas, il rajoute du son au son, fait des interventions, joue à la manière des joueurs d'échecs, ce n'est que cinq coups après que vous réalisez la raison irraisonnable pour laquelle il a poussé tel pion dans cette case inopérante. En moins de deux il contourne votre défense, force vos muraille et vous met à mal, à mat et vous mate à mort. Une démonstration. In vivo.

Fascinant. Eléot ne fait pas que tricoter ses baguettes. Elle chante aussi, une voix qui monte dans les aigus, qui s'assombrit et s'intempestive, et qui au morceau suivant devient douce et suave, un roucoulement de gâteau au miel, sucrée comme un apple pie. Souvent elle double celle beaucoup plus virile de Chris, elle lui apporte une profondeur et une discrète résonance qui l'amplifie souverainement. Notamment lors du rappel, une très belle balade country de Jack Bruce, qui vient un peu en contrechant à l'inexorable montée progressive du set selon une sourde violence fascinante qui contraindra toute l'assistance à se masser devant la scène.

Je terminerai sur cette divine surprise, cette version sublimissime, subluesmissime, de Sumertime Blues d'Eddie Cochran, qui n'a pas entendu le martellement d'Eléot et sa voix d'outre-tombe – elle endosse le rôle de Jerry Capehart – n'a jamais rien entendu, et Chris qui abrupte le riff si sourdement qu'il devient le tourment de votre vie, et son vocal qui flirte avec la raucité d'Eddie sans jamais l'imiter...

Un régal ! Tony Marlow résumera la situation : une révélation. Du country roll comme l'on n'en n'avait jamais ouï de ce côté-ci de l'Atlantique. De surcroît un garçon et une fille très gentils, ne connaissent pas un mot de français mais la sympathique complicité qu'ils dégagent ne trompent pas. Une soirée comediane à marquer d'une pierre blanche.

Damie Chad.

20 / 09 / 2019MONTREUIL

LA COMEDIA

JIMM / FISHING WITH GUNS

 

Suis arrivé à la Comedia sans trop savoir qui j'allais voir, m'étant quelque peu embrouillé dans les dates. Mais l'instinct du rocker ne se trompe jamais, une soirée explosive m'attendait. Mais je n'étais pas le seul à subir la déflagration!

JIMM

Parfois il vaut mieux être trois que mal accompagné. Cet adage populaire vieux de trois millénaires que je viens d'inventer mérite un codicille précisif : trois cadors. Car comment peut-on produire une telle mayonnaise avec si peu de personnel. L'est vrai que Xavier avec sa taille de géant peut facilement compter pour deux, avec sa chevelure de boucles barbares et sa basse il ne se fait pourtant guère remarquer, à peine s'il vient de temps en temps pousser un cri de guerre ou hurler une rapide interjection au micro. Mais mine de rien, il assure grave. Le grondement de base, c'est lui le fautif, ce roulement de galets entrechoqués emportés par la furie d'un torrent c'est lui le responsable. N'est pas non plus le seul coupable, serait anormal qu'un seul écope de toutes les malédictions. A la batterie, Billy n'est pas innocent. L'a les mains pleines de baguettes. Les lève bien haut, les fait tournoyer entre ses doigts, et puis c'est fini. Le bonheur est désormais personna non grata sur notre misérable planète. L'apocalypse est commencée et rien ne l'arrêtera. L'a compris qu'il est là pour taper, alors il tape, l'a le pied meurtrier sur la grosse caisse et des menottes d'étrangleurs en série. Ne sait pas s'arrêter, un jusqu'au-boutiste, quand il n'y en a plus, il en a encore, l'as de la logistique distributive, des coups pour tous les tambours de la terre, une canonnade d'escadres ennemies, Xavier la tempête, Billy se charge de la métamorphoser en ouragan. Libère les vents de l'outre d'Eole. Bref, vous filez à cent-vingt neuf nœuds secondes et déjà se pose en vous la question fatidique, dans tout ce brouhaha comment un guitariste arrivera-t-il à survivre?

Jimm a deux manières de répondre à votre interrogation métaphysique. D'abord : par le chant. S'approche du micro, et non il ne chante pas. Se débrouille – je ne sais comment – pour que sa voix devienne un quatrième instrument, une coloration nouvelle, qui se fond au magma sonore, s'y installe naturellement comme l'oiseau se construit un nid dans le couvert des épaisses frondaisons de l'arbre. De plus en français, n'en tirez aucune gloire nationaliste, car ce serait in english que vous n'entendriez point la différence, l'a sa manière à lui d'appuyer sur les syllabes, et par ce fait même de les détacher si fortement que vous comprenez très vite en ce langage universel qui se nomme l'idiome rock.

Ensuite : il joue de la guitare. Au bout de deux minutes vous vous dites, c'est un très bon guitariste. Mais bientôt vous devez réviser votre jugement. L'a un truc spécial, n'est pas un vulgaire pousseur de riffs, son pied à lui c'est de surnager au-dessus du tumulte, comme dans les orchestres symphoniques menées à fond de train par Toscanini quand brusquement au-dessus de la monstrueuse masse sonore s'élève la plainte virevoltante du violon solo et vous n'entendez plus que cela, le Jimm il est pareil, l'a les soli de guitare qui brillent, qui scintillent, tels une rivière de diamants qui vous éclabousse de mille rayons de soleils réfractés. Cette scie sauteuse qui vous dentellise les tympans est le nectar des Dieux.

En plus ils vont jouer longtemps, enchaînent les titres, Prêt à penser, Ton blues dans la peau, Jamais vieillir, et devant la scène ça remue salement, pas tous les jours que le rock déboule sur vous avec une telle intensité. Un triomphe.

FISHING WITH GUNS

Avec un tel patronyme, l'on se doutait que ce n'étaient pas des joueurs de pipeaux. Passer après Jimm de prime abord ne semble pas être une sinécure. Mais première surprise, ne serait-ce pas Billy Albuquerque qui s'installe derrière les drums, exactly my dear, pas besoin d'être Sherlock Holmes pour comprendre que l'on n'est pas là pour cueillir des petits pois. Va toutefois falloir résoudre l'énigme Inigo. Quand ils se sont installés semblaient être quatre mais là sur scène maintenant que l'éruption volcanique a commencé – déjà rien qu'au trente secondes de secousses sismiques échappées de la guitare de Tof juste pour voir si tout était en place juste avant le début du set, l'on avait subodoré que les gaziers préféraient les bâtons de dynamite à la pêche au goujon -ils ne sont plus que trois.

Inigo, c'est un peu comme dans les albums Où est Charlie, faut lui mettre la main dessus, car il est perdu dans la foule. A peine si de temps en temps il s'octroie une brève station et remontera quelques secondes sur la scène. L'est dans le public agglutiné devant. Certes pour l'entendre vous l'entendez. Mais impossible de savoir où il est. Surgit à l'improviste devant vous, un peu comme le vaisseau fantôme entre deux plaques de brume. Mais quel cantaor ! La voix qui djente, pas trop, mais suffisamment pour vous mettre le feu à la moelle épinière. Et ces poses ! Le fil du micro haut levé, le visage tourné vers le cromi et cette poudrière vocale qui explose. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'il en use avec parcimonie, n'en abuse jamais, laisse à l'orchestre le temps de poser les assises du riff, d'articuler la séquence, et quand tout est bien en place, il vocalise, tel le caïman qui sort du fourré juste pour venir vous couper une jambe, proprement d'un seul coup de dentition. Puis il se retire dans l'eau saumâtre de son propre silence tandis que ses congénères continuent leurs monstrueux tapages comme s'il était nécessaire à la survie de nos existences. Le pire c'est qu'il l'est indispensable. Motherfucking badass ! Reste du Blood on the ropes !

C'est que derrière les trois lascars ne vous laissent pas le temps de respirer jouent une espèce de mixture de stoner estampillé aux marteaux de Thor et émargé aux forges d'Héphaïstos, sur sa basse Bouif ramone la suie des cheminées de volcan, parfois son corps se réduit et se cambre à croire que l'électricité le traverse de part en part et des ondes noires s'échappent de son instruments comme des meuglements d'agonie de cachalots échoués sur les rives du désastre. Tof taffe à mort, l'a la guitare qui mord, le feu qui couve sur deux accords et puis qui tout à coup flamboie et se déploie dans l'univers tout entier, vous consume l'âme comme un mégot qui grésille dans le cendrier. Les Fishing vous fichent la trouille et la chtouille à jouer trop bien, trop fort, trop sauvage. Profitent d'un instant de répit pour distribuer à l'assistance leur dernier EP, le prochain est en préparation et ils nous régaleront de quelques aperçus. Et c'est reparti pour une charge à la baïonnette finale. Pas question, le peuple rock qui s'est salement secoué devant l'estrade refuse de les laisser partir, et nous avons droit à deux derniers feux d'artifice. Deux explosions nucléaires de soleils noirs !

Damie Chad.

BLOOD ON THE ROPES

FISHING WITH GUNS

( Avril 2017 )

Peu d'indications sur la pochette qui reste relativement mystérieuse. Recto brun dont le visage granitique de statue saignante émarge au verso et se dissout en une blancheur envahissante au bas de laquelle se profilent un revers montagneux et la silhouette automnale d'un arbre. Peut-être le sens est-il à décrypter dans l'image des deux lutteurs de pancrace opposés et entremêlés sur la sesterce blanche du CD. Serions-nous emplis d'une fureur incontrôlable qui, dans le temps même qu'elle nous donne force de vie, nous agonise.

Dodge and counter : lourd and loud, instrumental, une guitare qui sonne et résonne, des cymbales qui se glissent par dessous car lorsque la menace se précise, que vous entendez ces gros godillots qui avancent, vous êtes dans l'attente de la catastrophe vous êtes sensible aux plus petits détails, au craquement insidieux de la moindre brindille subsidiaire, mais l'emprise sonore devient obsédande, le rythme reste toujours lent, l'intensité sonore s'amplifie, la rupture... Motherfucking badass : ...déboule, une course folle sur une rythmique impitoyable, un trait de feu qui parcourt l'espace, rejoint par une voix qui amplifie le sentiment de l'inéluctable. Brut de noir à pas cadencés, le pendule de la mort qui descend vers vous imperturbablement se rapproche. Une voix de tuerie, des guitares de chienlit, des frayeurs pulsatives de batterie, hallali démiurgique, un dernier hurlement, et les ronronnements de guitares s'éloignent au loin. Un morceau merveilleusement structuré. Thirst for lust : éclats nerveux de guitares, crachats de voix sur la face de Dieu, semelles de plombs du drumming, le rythme se segmente pour se reconstituer en plus schismatique, en plus rapide, mais comme ralenti par la saturation hérésiarque des guitares. Froissements de ferrailles, la voix qui criaille en un festival d'ailerons de requins qui arrachent les chairs sanglantes de leurs victimes. Apothéose. King of the crossroads : guitares grondantes et hachoir vocal, collisions de carrefours, courses à mort, déconnections et reconnections, rien ne les arrêtera. Eclaboussures de tintements et moteurs en furies qui grondent. Reason to cry : pas une raison pour ralentir le rythme en tout cas, ni de pleurer honteusement dans son mouchoir. Une voix salement insidieuse. Forge drummique pressurisée en arrière-plan. Vocalises qui s'égosillent, guitares qui ripent sur du verre brisé, l'on entend les tintements cristallins du diable qui cogne à la fenêtre béante de l'esprit dévasté. Désormais les guitares tirebouchonnent dans les amplis, la voix se fraye un chemin dans les soubassements de l'obscurité et l'on refait un tour sur la bande de Möbius de la souffrance animale infinie. Qui finit par se rompre en un grandiose balancement.

Damie Chad.

CAMON ( 09 ) / 09 - 08 - 2019

La Camonette

KERYDA

Jeudi, retour obligatoire à la Camonette, bouffe excellente mais totalement subsidiaire, la semaine dernière nous avons eu le père, Chris Papin-Jijibé, dans le jeu des sept familles des musiciens donnez-moi le fils, Damien. L’aurait pu mal tourner comme le père et s’adonner au démon du blues comme le prédestinait son prénom, mais non, est abonné à un tout autre genre. Difficile à définir : disons un folk curieux pour ceux qui ont besoin d’étiquette.

KERYDA

Sont beaux et jeunes tous deux, prince courtois et princesse charmante échappés d’un conte de fées. Il a une vieille contrebasse toute sombre à ses côtés, et elle une harpe de bois clair d’Ariège posée sur un piédestal. Contrebasse + harpe, ensemble composite mais en même temps empreint d’une similarité sonore évidente même si la vieille dame s’adonne à de funèbres tonalités automnales et si de la damoiselle fièrement cambrée s’élancent de claires perlées de rires d’enfants cristallines. Alta et contralta. L’assemblée, au bas mots plus de cent cinquante convives, bruisse de bruits confus lorsque Damien se saisit de son archet. Qu’il délaisse aussitôt pour des doigtés de pizzicati virevoltants à la manière d’étincelles de jazz, et c’est sur ce tapis tressautant d’escarboucles que Sara Evans dépose de translucides feuillages brocéliandiques agités par une brise mutine. En un instant, elle installe un autre espace, plus subtil, plus fluide, de silence et de musique entremêlés, miroirs et reflets de miroirs. C’est cela Keryda, cette création d’une dimension à part, d’une intimité plus profonde avec le vertige des apparences. Ce premier morceau est suivi d’un deuxième qui sonne étrangement et orchestralement contemporain, sont-ce les sourds frappés de Damien sur le bois, ou cette savante rythmique entrecroisée de sons clairs et sombres mais l’instant s’avère magique et soulève les applaudissements. Et la musique de Keryda se fait plus lointaine, à croire qu’elle veuille nous entraîner dans les terres du songe en des contrées arachnéennes et infinitésimales. La big mama marmonne de profondes incantations et les notes de Sara profèrent des mélopées d’endormissement vaporeux. La nuit et le jour s’unissent en une couleur goethéenne ignorée des simples mortels, habitée par de malicieux farfadets invisibles dont on ne perçoit la présence que par l’évanouissement disparitif qu’ils laissent derrière eux. Instants de rêves indistincts suspendus sur le vide vertigineux des glaciers de la beauté.

+ FRIENDS

Pour le troisième set, la scène est envahie d’invités. Le facteur et Zoé, la fille triangulaire. Il fabrique et tient entre ses mains un accordéon, elle toute blonde se contente d’un triangle isocèlement métallique. Il y a encore une violoniste, un guitariste et Julien aux percus. Changement d’ambiance, Damien s’est muni d’une basse électrique et il groove grave, un son concassé que le facteur se hâte par derrière d’étoffer. L’on dérive lentement vers un méli-mélo d’improvisations, au substrat argentin. C’est bien fait, agréable, sympathique, mais cela n’atteindra jamais à l’intemporalité de Keryda.

Damie Chad.

TARASCON ( 09 ) / 17 - 08 - 2019

COMPAGNIE R2

Damie tu pourrais m’amener à Tarascon, ce soir il y a de la danse contemporaine. Un truc de fille évidemment, palsambleu de la danse contemporaine ! tout être normal et évolué aurait repéré un groupe de rock obscur dans un bouge perdu, mais non de la danse contemporaine. Bref direction Tarascon ( con ! ). Evidemment, la grande esplanade festive est vide, faut arpenter les rues en pente de la vieille ville pour trouver La Placette.

Un mouchoir de poche, le tatamis noir en occupe la plus grande largeur juste devant l’unique maison, déduction logique les habitants sont condamnés à rester chez eux durant la représentation, une trentaine de chaises sont entassées dans le triangle restant, mais des spectateurs peuvent se masser sur le côté de la rue qui monte rude et surplombe, à ne pas confondre avec celle de l’autre côté qui descend profond. Je précise que l’Ariège est peuplée de montagnes. Une hétéroclite collection de tableaux grand-format sont accrochés un peu partout aux murs de pierres ocres.

PASSAGE

Sont tous les quatre en chaussettes blanches, se déchaussent de leurs sandales et vont se prostrer en silence sur quatre chaises de bois noir. Les deux filles vêtues de blanc, les deux garçons en jeans bleu-délavé et tunique blanche. Musique. Non ce n’est pas du rock. C’est du Pink Floyd ! Une bonne sono qui vous en met plein les oreilles. Dès les premiers mouvements esquissés, il apparaît que l’on affaire à de véritables professionnels. Vous scotchent sur place, suivent la musique de The Wall, pas de l’improvisation sauvage et hasardeuse au petit bonheur la chance, un véritable ballet, aux séquences ultra-réglées et codifiées. Pour le Pink dont la musique vous enveloppe, je m’aperçois - mais la gestuelle m’y pousse peut-être - qu’ils ont sacrément pompé sur le Tommy des Who, jusqu’à Waters qui essaie de retrouver la flexibilité vocale ( sans y arriver ) de Daltrey. En tout cas pour la thématique, il n’y a pas plus de lézard que d’horloge. L’enfermement est bien le sujet central des deux opéras.

Les schizos ne freinent jamais. Sont tout à leur délire. Même leur moments d’abattement restent inquiétants. Sont à côté du monde, enfermés en eux-mêmes, n’ont besoin de rien d’autre, ils ont rapté au grand tout universel des hommes ce qu’ils ont de pire, la violence et la folie. Des guêpes folles recluses dans une bouteille qui tourbillonnent, se montent dessus ou se fuient, se laisse aller à des simulacres de sexe et de meurtre. Des tentatives d’amitié sans lendemain. La seule véritable absente de cet entremêlement de corps entassés ou distendus, c’est étrangement la Mort. L’est comme une valeur fiduciaire qui court entre les individus mais totalement invisible, reléguée hors du plateau et de l’esprit de la folie.

Une esthétique manga. Sont-ce les tuniques blanches, le fait que le maître plus âgé danse avec ses trois jeunes élèves qui me poussent à une lecture nipponne de cette pièce créée en 1996, non plutôt ces arrachés de bras, ces mouvements subitement arrêtés en plein élan, ces tourbillons de contre-plongée, ces emprunts hip-hopiens comme des citations de mantras énergétiques, cette frénésie d’ailes de phalènes carnivores, subitement cloués en plein vol sur la noirceur d’une planchette par l’épingle froide d’un entomologiste insensible obnubilé par la poursuite vaine d’un rêve sans cœur ni raison. Une inversion de la théorie du papillon, le battement de l’âme d’un individu excédé de folie déclenche les pires tempêtes non pas à des milliers de kilomètres à l’autre bout du monde, mais un tsunami irrémédiable dans l’esprit même, phalène qui halète sans fin, prisonnier dans sa propre cellule intérieure, et le corps secoué de spasmes, cassé en deux, morcelé en fragmentations infinies, n’est que la résultante de cette force psychéïque retournée contre elle-même, à défaut d’un revolver salvateur. L’ensemble vous donne l’impression d’une stérile obstination à perpétrer un hara-kiri impossible puisque opéré avec l’arme émoussée de la chair incapable malgré tous ses remuements eschatologiques d’entamer les silex tranchants et nervaliens de votre psyché délirante. Car la folie tourne en rond en vous-même et vous broie pour vous empêcher de traverser le miroir des apparences. Tout cela dans ces saccades de gestes prompts, ces rafales de delirium tremens, ces abattements somptuaires et résignés qui à peine en repos se rallument comme flammes vives dans les pinèdes des songes inavoués. Et infinis. La danse comme équation mathématique à quatre corps inconnus qui ne sera jamais résolue, sinon sans l’arrêt de la musique qui mène le bal.

Un triomphe. Pour ceux qui se demandent le pourquoi de cette chorégraphie incandescente sur la musique du Floyd, qu’ils se procurent la cassette vidéo du Pink Floyd Ballet en collaboration avec Roland Petit. La danse est un geste sans cesse recommencé mais toujours inachevé.

Damie Chad.

ROCK'N'ROLL STORIES

BUDDY HOLLY

RNRS : Série 2 / N° 6

15 / 09 / 2019

Buddy Holly est mort à vingt-deux ans, mais si vous voulez vous pencher sur sa discographie, entreprenez plutôt la lecture du Tractacus Logicus de Wittgenstein, pas très rock'n'roll je vous l'assure, mais ô combien moins complexe. En fait le plus simple sera d'écouter ce sixième numéro de Rock'n'roll Story. Certes Buddy a enregistré un maximum de simples et je vous l'accorde ces pochettes de papier, souvent blanches, ne sont pas très vidéographiques, mais si vous êtes patients vous aurez droit aux belles images des 33 tours. De toutes les manières perso j'ai une préférence pour les EP français. Vous en verrez aussi. Je ne voudrais pas être rabat-joie mais Buddy n'avait pas tout à fait un physique de jeune premier.

Les débuts de Buddy sont riches d'enseignements pour ceux qui s'intéressent à l'éclosion du rock'n'roll. Ça ressemble un peu à un vol d'albatros qui s'arrachent d'un océan mazouté, mais après c'est comme dans le poème de Baudelaire, cette satanée musique hante la tempête et se rit de l'archer. Enfin pas tout à fait, car il y aura de sacrées descentes en flammes, Buddy notamment abattu en plein vol. Par la main froide du destin.

Une famille de musiciens – à croire qu'aux States il n'y avait que des gens qui savaient jouer de quelque chose – Buddy taquinera, la mandoline, le piano et grâce à son grand-frère Travis la guitare. En 1951, il formera le duo Buddy and Bob, Bob Mongomery, copain de collège, à la guitare et Buddy au banjo. Auparavant il avait déjà formé un duo avec Jack Neal, le futur bassiste des Blue Caps. Lorsque l'on lit les mémoires de Sharon Sheeley, la '' fiancée'' d'Eddie Cochran l'on s'aperçoit que le vaste monde du rock'n'roll américain devait être toutefois assez exigu car la plupart de ces artistes se connaissaient et n'arrêtaient pas de se croiser malgré l'immensité du territoire. Par contre s'il est un vivier inépuisable c'est celui des maisons de disques, des labels, des imprésarios, des organisateurs de tournées, des producteurs, le dessous grouillant de l'iceberg. Ne nous y trompons pas ces hommes de l'ombre empochaient les plus gros bénéfices. Un véritable panier de crabes. Ainsi entre Decca, Brunswick et Coral, Buddy aura du mal à tirer son épingle du jeu. Ses disques paraîtront sous diverses appellations, The Crickets ou Buddy Holly and The Crickets, Buddy Holly. Autre tare de ce système, les artistes ne sont pas les seuls à avoir droit de regard sur les titres. Beaucoup de démos seront ainsi refusées, elles feront plus tard la joie des rééditions.

Pour le moment Buddy et ses compagnons – la formation des Crickets est pleine d'allées et venues – deviennent doucement des gloires locales. Peu de choses au regard de l'étendue du pays mais assez pour participer par trois fois à la première partie des trois spectacles qu'Elvis Presley donnera en 1955 – c'est à cette époque qu'il enregistrera Down the Line et Baby won't you play house with me ( ce dernier à mon goût supérieure à la version d'Elvis ) - et 1956, toujours à Lubbock. Sera aussi présent au concert de Bill Haley. Puis ce sera la rencontre de Norman Petty qui restera son producteur pratiquement jusqu'à la fin. Si après la mort de Buddy, Petty trafiquera quelque peu les bandes, il faut reconnaître que leur collaboration permettra à Holly de fixer son style. Imaginez un mix mélodieux et heurté d'un son qui allierait le flegme d'Hank Williams au jungle sound de Bo Diddley. Dans cet alliage, le plus important, ce ne sont ni les racines noires ni celles du western bop, mais cette idée de la création d'un son, Sam Phillips inventera en quelque sorte l'enregistrement, mais Buddy y ajoutera cette idée que l'on ne doit pas reconnaître la marque du studio, mais le son singulier de l'artiste. C'est en Angleterre que la leçon portera ses fruits, Beatles et Stones sauront écouter le message de Buddy et se forger leur propre marque sonore de reconnaissance totémique. Que serait devenu Buddy s'il n'avait pas disparu, tout ce que l'on peut dire c'est qu'il avait le projet de monter un label Prisme. Sans doute serait-il passé souvent derrière les manettes...

Mais délaissez cette hâtive chronique, écoutez Rock'n'roll Stories, il est impossible de faire mieux et plus précis en trente minutes. ( Sur You Tube ou le FB )

RNRS : Série 2 / N° 3

EDDIE COCHRAN

04 / 08 / 2019

Un destin similaire à celui de Buddy Holly. Fauché en pleine jeunesse. A vingt-et-un ans. Mais avec un goût d'inachevé que l'on ne retrouve pas chez Buddy. L'impression non pas d'une perte, mais d'un gâchis. La sensation qu'il est parti hier ou à peine depuis dix minutes, qu'il a laissé sa guitare pour aller fumer une clope et revenir. Buddy a laissé une œuvre. Eddie des semences. De celles qui permirent la renaissance de l'épeautre à partir des grains retrouvés dans les tombes des pharaons. Une dizaine de titres essentiels – sans oublier tout le reste - mais à partir de seule cette maigre poignée, ne subsisterait-il à la surface de la terre que cela, l'on pourrait reconstruire le rock'n'roll rien qu'à partir de ce coffre aux merveilles. Bien sûr tout est bon chez Eddie, un enseignement magistral à puiser du premier titre au dernier enregistrement. Mais cela ressemble à des brouillons d'enfant surgénial. D'une folle générosité. D'une immense précocité. D'une diabolique facilité. L'on ne peut s'empêcher de penser au destin d'un Evariste Galois fauché à vingt ans dans un duel, laissant en jachère des théories mathématiques qui furent reprises par bien des suiveurs. L'on aimerait savoir ce qu'il aurait fait par la suite. L'on se plaît à accroire que les routes du rock'n'roll auraient amorcé d'autres trajectoires, mais l'on n'en sait rien. En disparaissant Eddie Cochran ne nous a laissé sur quelques photographies que son sourire enfantin et triomphal pour essayer de déchiffrer une énigme qui nous dépasse.

C'est pour cela que les remémorations de Rock'n'roll Stories nous sont précieuses, au-delà des faits elles ouvrent les perspectives infinies du rêve.

Damie Chad.

Sur FB : Rock'n'roll stories ou sur You Tube.