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01/07/2020

KR'TNT ! 471 : EDDIE PILLER / MOSE ALISON / ALVIN GIBBS / THE PESTICIDES / THE JUKERS / ROCKABILLY GENERATION / MIKE NEFF & THE NEW AMERICAN RAMBLERS / POGO CAR CRASH CONTROL / SUICIDE COLLECTIF

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 471

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

02 / 07 / 20

 

EDDIE PILLER / MOSE ALLISON / ALVIN GIBBS

THE PESTICIDES / THE JUKERS

ROCKABILLY GENERATION 14

MIKE NEFF & THE NEW AMERICAN RAMBLERS

POGO CAR CRASH CONTROL / SUICIDE COLLECTIF

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Piller tombe pile

 

Trèèèèèèèèèèès belle compile que ce Soul On The Corner concoctée par deux vieux Mods anglais, Martin Freeman et Eddie Piller. Rappelons qu’Eddie le pillier dirige un label mythique nommé Acid Jazz. Puisque c’est un double album, ils ont chacun leur galette. On voit très vite qu’Eddie Piller préfère le smooth au pas smooth, alors que Martin Freeman va plus sur le pas smooth, mais il ne va quand même pas jusqu’au raw, n’exagérons pas. Ils veillent tous les deux à rester dans les clous d’une Soul on the Corner, celle dont parle si bien Piller dans ses commentaires, la Soul des clubs tard dans la nuit. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard s’il ouvre son petit bal de round midnite avec Bobby Womack et «How Could You Break My Heart», tiré de l’album Roads Of Life. Bobby y dégouline de classe, nous dit Eddie. Bobby tartine une fantastique ambiance de groove souverain, comme il l’a fait toute sa vie et passe même sur le pouce un solo final de Womack guitah. Eddie y va fort, puisqu’il enchaîne avec un autre monstre sacré, Willie Hutch et «Lucky To Be Loved By You», tiré de son premier album, Soul Portrait, paru en 1969. Eddie ne comprend toujours pas pourquoi Willie n’est pas devenu une superstar. Ça le dépasse complètement. Les bras lui en tombent. Il n’est pas le seul à qui ça arrive. Quand on écoute Soul Portrait, on tombe automatiquement de sa chaise. Alors oui, pourquoi Willie Hutch n’est-il pas devenu une superstar ? L’attaque de Loved By You vaut toutes celles des Supremes et même celles du grand Smokey. Willie nous fait le coup de la Soul des jours heureux. C’est un véritable chef-d’œuvre de good time music. Le message d’Eddie est clair : écoutez Willie ! Et ça continue avec l’extrême délicatesse de la sweet Soul de Tommy McGee, avec «Now That I Have You». C’est d’un raffiné ! On se délecte à l’écoute de cette perle noire posée dans l’écrin des falaises de marbre du lagon d’argent. Autant parler de magie de la Soul, ça ira plus vite. Puis Eddie va essayer de nous refourguer ses découvertes de label boss, du style Laville avec «Thirty One», un mec qu’il a découvert par hasard dans la rue et qu’il a signé sur Acid Jazz. Eddie privilégie le soft groove, celui qui coule comme de la crème anglaise bien tiède sur le banana split. Ce que vient d’ailleurs confirmer le «Love Music» de Sergio Mendes & Brazil 77. Comme tous les DJs, Eddie est une véritable caverne d’Ali Baba à deux pattes. Si on commence à l’écouter, on y passe la nuit. Il nous sort des trucs inconnus au bataillon comme Pajoma, puis un certain Goodie dont il ne nous viendrait jamais l’idée d’acheter l’album, au seul vu de la pochette. Ce fin limier d’Eddie nous sort même une Française, Patsy Gallant, qui chante une espèce de petite Soul moderniste. Les compiles servent à ça, mais en même temps, il faut avoir du temps et surtout une mémoire d’éléphant, pour emmagasiner toutes ces infos. Nouvelle découverte avec Arnold Blair et «Finally Made It Home». Eddie ne sait pas si Arnold est un homme ou une femme. C’est vrai qu’on se pose aussi la question. Arnold chante au smooth de classe humide, et pendant qu’on salive à l’écoute de cette merveille, Eddie le renard nous annonce qu’il y a more to come. Apparemment, il va sortir des trucs d’Arnold sur Acid Jazz. Sans doute rééditera-t-il l’exploit de Leroy Huston, dont l’intégrale est reparue sur Acid Jazz. En attendant, nous voilà avec un nouveau chanteur de rêve sur les bras, Arnold Blair chante à l’angle du biseau d’ange de miséricorde, un peu à la façon de Leroy Huston, justement. Cette manie du smooth conduira Eddie en enfer ! Et puis voilà une autre surprise de taille : The Reverend T.L. Barnett & The Youth For Christ Choir et «Like A Ship (Without A Sail)». Aux yeux d’Eddie, il n’existe que trois formes de spiritual music genius : Rastafarianism & Spirtual jazz, but especially gospel. True wall of Soulful Soul. Si on aime le real deal du gospel, on est servi. Il termine sa galette avec un autre roi du smotth, Jerry Butler qui fit partie des early Impressions, l’un des groupes qui a vraiment su marquer son époque au fer rouge.

Martin Freeman démarre sa galette avec l’inexorable Barbara Aklin et «A Raggedy Ride». Vintage 68 Soul avec un twist of something, nous dit Freeman la bouche en cœur. Sacré shoot de Barbara ! Elle shake ses envolées belles avec la niaque d’une vraie jerkeuse. Nouveau message : écoutez Barbara Aklin. C’est l’une des Soul Sisters de base. Freeman rend ensuite hommage à Georgie Fame avec un «Daylight» signé Bobby Womack. En bon DJ, Freeman sait que Georgie remplit any dancefloor, garanteed. C’est vrai qu’il ne faut pas prendre Georgie pour une brêle. La version de «Parchman Farm» qu’on trouve sur Mods Classics 1964-1966 est un passage obligé. Puis Freeman tire «Fan The Fire» du premier album d’Earth Wind & Fire et il s’exclame la main sur le cœur : «Good Lord, they were so good !». Il a raison, les premiers albums d’Earth Wind & Fire valent tout l’or du monde, si l’on peut dire. Et comme son copain Eddie, Freeman propose des choses moins intéressantes avant de revenir en force en B avec Donny Hathaway et «Voices Inside (Everything is Everything)». Là c’est facile, car Donny est imbattable. Et Freeman en rajoute une couche en déclarant qu’il est one of the best. Il recommande bien sûr le premier album sur ATCO, Everything Is Everything - Let’s get down now - Donny est avec Marvin l’un des rois du groove urbain, un groove gorgé de blackitude sensuelle. Freeman enchaîne avec Syreeta et «I’m Going Left». Elle sonne comme les Supremes, c’est presque un compliment. On le sait, Syreeta chante avec tout le petit chien de sa chienne et elle tient la dragée haute à G.C. Cameron sur un très bel album, Rich Love Poor Love. Il faut aussi aller l’écouter sur Mowest. Elle est sans doute l’une des dernières à brandir le flambeau du Motown Sound. Puis Curtis Mayfield sort son plus beau smooth pour «Love To Keep You In Mind». Freeman dit que d’écouter Curtis, ça le fait chialer. Il n’est pas le seul. C’est vrai que Curtis semble avoir inventé la délicatesse, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Freeman tente ensuite de nous refourguer Tower Of Power, mais bizarrement, ça ne marche pas. Ça ne marche jamais. Chaque fois que Tower Of Power apparaît sur une compile, c’est le bide assuré. Trop middle of the road ? Allez savoir ! Ceci dit, le principal c’est que ça plaise à Freeman. Nous on est là pour écouter, pas pour la ramener. Freeman tape ensuite dans la crème de la crème avec le Brook de Cotillon. Eh oui, ce hit se trouve sur l’excellent Story Teller de Brook Benton enregistré au Criteria de Miami avec les Dixie Flyers et produit par Jim Dickinson et Arif Mardin. Autant parler d’un méga-big classic. Brook parle de ses chaussures qui, nous dit Freeman, le ramènent inexorablement chez son ex. Nouvelle rasade de Soul avec Tommie Young et «Hit & Run Lover». On a là la good time music des jours heureux, Tommie est une reine de la rue, une soul Sister du Texas. Et comme tout a une fin, voilà Betty Wright qui vient tout juste de casser sa pipe en bois. Freeman nous propose l’un de ses vieux hits, «The Babysitter» tiré de l’énorme Hard To Stop paru en 1973. Freeman nous dit qu’elle n’avait même pas 20 ans, mais son Babysitter tape en plein dans le mille. D’ailleurs, il suffit de voir la pochette de l’album : Betty y réincarne la reine de Saba.

Signé : Cazengler, Eddie Pinard

Martin Freeman And Eddie Piller Present Soul On The Corner. Acid Jazz 2019

 

Fingers in the Mose

 

Dans le docu que lui consacre Paul Bernays, Mose Allison est salué par des fameux compères : Pete Townshend, Van Morrison, Joel Dorn, Frank Black et la belle Bonnie (Raitt) qui va jusqu’à déclarer : «He’s the one who can sing the blues.» Townshend s’émerveille du fait que Mose soit né dans le delta et qu’il ne soit pas noir - He was born in the delta but... he wasn’t black ! - Oui, Mose Allison naquit à Tippo, Mississippi, et il raconte qu’il y avait du country blues partout autour de lui. Son père tenait la grosse épicerie - Tippo General Store, that my father built - Et puis voilà le fin du fin de ce qu’on appelle le Mod Jazz, «Parchman Farm» que Mose enregistra en 1957. Bernays nous laisse en compagnie Gerogie Fame qui en fit certainement la version la plus légendaire - In my nose came the Mose sound - Nous voilà au Flamingo, à Soho, avec une chain-gang song de forçats transformée en hymne de la scène Mod anglaise.

Mose Allison vient à la fois du blues et du jazz. Il réalise assez vite que pour vivre de sa musique, il doit aller s’installer à New York. Il y débarque en plein dans la bohème des early sixties - Jazz was very much part of it - Il accompagne Stan Getz et Jerry Mulligan. Un témoin black du docu dit de Mose qu’il est white but soulful, ce qui vaut pour un compliment. Peter Townshend est l’un de ses early fans. Le «Young Man Blues» qu’il joue avec les Who est l’un des grands classiques de Mose, et Townshend avoue que «My Generation» vient de ce tempo jazzy bien rythmé, d’ailleurs il le chante sur un tempo jazz. L’autre grand admirateur de Mose devant l’éternel n’est autre que Frank Black. Souvenez-vous d’«Allison» sur Bossanova. Eh, oui, c’est un hommage à Mose. Frank Black considère même Mose comme un dieu - I know he’s just a man, but you know, I’m not sure about that - Le gros laisse planer le mystère de sa conception - And when the planet hit the sun/ I saw the face of Allison.

Bon, on va se calmer un peu, car les disques du vieux Mose ne sont pas des plus accessibles. D’ailleurs Atlantic lui fit remarquer à une époque qu’il allait devoir faire un petit effort pour que ses disques se vendent. Le son de Mose est un son très piano-jazz-shuffle, très entre-deux eaux, ni trop ni pas assez, complètement inclassable, moderne et ancien à la fois, dynamique et classique en même temps. Ses albums sont encore plus austères que ceux du James Taylor Quartet qui bénéficie aussi d’une certaine aura chez les connaisseurs, comme d’ailleurs tous les disques Mod Jazz un peu pointus. Mais ça reste un truc de spécialistes. Très compliqué de les recommander. Il ne vaut mieux pas s’y risquer.

Par contre, le tribute à Mose Allsion qui vient de paraître est chaudement recommandé, car des ténors du barreau se bousculent au portillon. On doit cette initiative à Fat Possum, le petit label indépendant spécialisé dans le Southern raw blues. L’album s’appelle If You’re Going To The City. A Tribute To Mose Allison, et dans le digi se trouve en complément le docu de Paul Bernays, Mose Allsion: Ever Since I Stole The Blues. L’ensemble constitue ce qu’on appelle généralement une merveille et pour approcher un artiste aussi complet que Mose, rien n’est plus indiqué. C’est Richard Thompson qui se tape «Parchman Farm» - It’s a song about a difficult work - Le vieux Richard joue le shuffle légendaire du pénitencier sur sa guitare, mais il ne décoince pas. Il aurait dû laisser la place à Georgie Fame. C’est Chrissie Hynde qui va décoincer le truc avec «Stop This World». Elle prend les choses au groove de jazz, elle a tout compris. Elle plonge dans le rêve de Mose et caresse le mythe d’une main experte. L’autre invité de marque est Iggy qui prend «If You’re Going To The City» au heavy dumbbeat. Rien à voir avec Mose, mais Iggy l’aime bien, alors il rigole, hé hé hé, il groove un hip-hop à la con. N’empêche qu’il faut faire confiance à Iggy, il chante pour toi, hé hé hé, il devient l’Iggy que l’on sait, Iggy the terrific. Toute aussi terrific, voilà Bonnie Raitt, avec «Everybody’s Crying Mercy». Elle en fait une énormité, elle bouffe Mose tout cru au petit déjeuner, Bonnie est une bonne, ça tout le monde le sait. Elle éclate sa Soul de jazz au Sénégal avec sa copine de cheval, elle est atrocement bonne, c’est une joie de la trouver à la suite de Chrissie Hynde et d’Iggy.

Taj Mahal ouvre le bal avec «Your Mind Is On Vacation». Il fracasse le vieux boogie comme il fracassait jadis celui de Sleepy John Estes. Ça joue à la stand-up, donc on a le vrai truc, Taj does it right et redonne vie au vieux boogie de Mose. C’est le disque de rêve des temps modernes : Taj Mahal + Mose Allison + la stand-up. Que peut-on espérer de mieux ? Encore un invité de marque avec Frank Black et «Numbers On Paper». Le vieux Magic Band boy Eric Drew Feldman l’accompagne. Le gros placarde son Mose à la poterne du palais. C’est comme ça et pas autrement. On entend aussi la fille de Mose, Amy Allison, accompagnée de Costello, chanter «Monsters Of The ID» d’une voix de canard médusé. Mais dès que Costello chante, ça devient comme avec Stong le contraire du rock. C’est très compliqué à écouter. On en voit d’autres se vautrer, comme par exemple les frères Alvin avec «Wildman On The Loose». Ils ramènent beaucoup trop de guitares, comme s’ils n’avaient rien compris au jazz de Mose. On a aussi Peter Case qui se prend pour un Jazz cat avec «I Don’t Worry About A Thing». Pas facile d’entrer dans l’univers très pur de Mose. Les Américains s’y cassent les dents un par un. Ils sont trop dans l’approximation. Difficile d’évaluer les dégâts. Il aurait fallu confier le dossier à un institut spécialisé dans les statistiques. Ou confier l’ensemble du tribute à Chrissie Hynde, Iggy, Taj et le gros. On voit aussi Loudon Wainwright et Fiona Apple se vautrer en beauté. Par contre, Robbie Fulks joue «My Brain» au dada strut et en fait de l’Americana de haut rang, avec un banjo qui prévaut comme un prévôt dans le mix. Quelle belle déveine de la dégaine ! Jackson Browne s’en sort lui aussi avec les honneurs, il tape «If You Live» au very big sound avec une voix à la Dylan. Il américanise lui aussi le vieux Mose, mais c’est idiot, vu que le vieux Mose est déjà américain. Si Jackson ne s’appelait pas Jackson, on pourrait croire qu’il s’appelle Bob. On tombe plus loin sur une curieuse association : Ben Harper & Charlie Musselwhite. Ils prennent «Nightclub» à la bonne franquette. Comme on l’a vu, l’oncle Ben bouffe à tous les râteliers, mais Charlie, c’est une autre dimension. Il est mille fois plus crédible que l’oncle Ben. Charlie est le punk de Chicago, il explose Mose à coups d’harmo. Il renoue avec l’énergie originelle du grand Mose Allison, et franchement, ça vaut le déplacement.

Signé : Cazengler, Morve Allison

If You’re Going To The City. A Tribute To Mose Allison. Fat Possum Records 2019

Paul Bernays. Mose Allison: Ever Since I Stole The Blues. DVD 2019

 

 

Le job de Gibbs

 

Après avoir quitté les UK Subs, Alvin Gibbs s’installe à Los Angeles pour redémarrer une nouvelle carrière. Un jour, il reçoit un drôle de coup de fil : Andy McCoy l’appelle pour lui proposer le job de bassman dans le groupe d’Iggy Pop. Wot ? C’est un big deal. On est en 1988, Iggy vient d’enregistrer Instinct et envisage une tournée mondiale de promo qui va durer huit mois. Donc il recrute des mercenaires, à commencer par Andy McCoy qui fit des siennes avec Hanoi Rocks. Et comme McCoy connaît Alvin Gibbs et qu’il le sait basé à Los Angeles, il le met sur le coup. Les autres mercenaires sont le guitariste Seamus Beaghen et le batteur Paul Garisto. Le job est bien payé et les tourneurs offrent des garanties d’hébergement dans les meilleurs hôtels. Le job de guitariste devait revenir initialement à Steve Jones qu’on entend sur Instinct, mais les tourneurs veulent des gens clean pour la tournée : pas de dope, pas d’alcool, pas de rien, et des papiers en règle. Comme Steve Jones n’est pas net, le job revient à Andy McCoy qui réussit miraculeusement à montrer patte blanche.

Alors, se régale-t-on de détails croustillants, de scènes de débauche dans les grands hôtels, de hard drive of sex drugs & rock’n’roll ? Curieusement, non. Alvin Gibbs porte sur le cirque de cette tournée mondiale un regard extrêmement puritain, ce qui, d’une certaine façon, l’honore. Pas de voyeurisme à la mormoille. Mais en contrepartie, il nous fait le coup des cartes postales, notamment à Tel Aviv et au Japon, et là, il perd un peu de son panache. Le seul intérêt du book est bien sûr Iggy qui est alors en plein redémarrage avec cet album inespéré que fut Instinct, du big hard drive d’Iggy bien moulé dans son pantalon de cuir. C’est aussi l’époque où Iggy a décidé de calmer le jeu et pour éviter toute forme de dérive, il emmène sa femme Sushi avec lui en tournée. No sex and no drugs, ou plutôt comme l’indique perfidement Alvin Gibbs, just a little bit of sex dès que Sushi s’absente 24 h et a little bit of drugs quand apparaît comme par miracle un joli tas de coke dans la chaleur du backstage.

On le sait, le journal de bord d’une tournée de rock est un genre difficile. Avant Gibbs, d’autres se sont frottés au genre, notamment Ian Hunter (Diary Of A Rock’n’Roll Star) et Robert Greenfield (STP Stones Touring Party). Le plus intéressant de tous étant certainement le livre que Noel Monk consacre à la tournée américaine des Sex Pistols (12 Days on The Road/The Sex Pistols And America). En comparaison de ce cauchemar génial que fut la seule tournée américaine des Pistols, le récit de Gibbs paraît un peu fadasse. Et les relents touristiques de certains épisodes ne font rien pour arranger les choses. À la limite, on est content qu’Iggy prenne soin de lui (sauf sur scène où il continue de prendre des risques en se jetant dans la foule), mais en même temps, il manque tout le Search & Destroy de son âge d’or. Mais au fond, la plupart des tournées de rock stars doivent ressembler à ça : séjours dans les capitales du monde entier, gros shows, parties d’after-show avec les célébrités locales et la crème de la crème des courtisanes agréées, grands hôtels et gamelles dans les meilleurs restos, trajets en première classe dans des avions avec des hôtesses coquines, petits écarts de conduite pour les hommes mariés, tout cela finit par être d’une effarante banalité, à tel point que ça ne fait même pas envie. Iggy a semble-t-il passé le cap des excès pour se professionnaliser, car il sait au fond de lui que c’est la seule façon de continuer à exister en tant qu’Iggy. De ce point de vue, il est excellent. Le fait d’engager des mercenaires fait aussi partie du jeu. Un album, une tournée et hop, on passe à autre chose : pas d’attachement, pas d’état d’âme. Iggy navigue en solitaire et tient son cap. Alvin Gibbs nous restitue un Iggy plus vrai que nature. Bon, on sait qu’il chante bien et qu’il est légendaire, mais ce portrait en demi-teinte d’Iggy est un petit chef-d’œuvre d’observation. Gibbs nous parle ici d’un homme extrêmement intelligent qui a choisi d’exercer l’un des métiers les plus difficiles qui soient au monde, celui de rock star, en évitant de se détruire. Et c’est parce qu’il s’est fait plumer par le showbiz qu’il a décidé de réagir en prenant son destin en main. Voilà ce que nous montre Alvin Gibbs, un Iggy en pleine possession de tous ses moyens et résolu à ne plus se faire enculer à sec par ces fucking suits qu’il hait profondément.

Alors évidemment, les épisodes un peu gratinés comme cette nuit de débauche avec les Guns N’ Roses dans un hôtel texan et les lignes d’héro d’Andy McCoy retombent comme des soufflés. Le personnage d’Iggy est mille fois plus rock’n’roll que tous ces rois du m’as-tu-vu. D’ailleurs, Alvin Gibbs boucle son book avec un bel hommage à Iggy, le qualifiant de borderline superman projective artist of rare talent, et il demande, dans le feu de l’action : «Qui d’autre que lui aurait pu écrire une phrase aussi sublime que ‘I wish life could be Swedish magazines ?’»

Il se fend aussi d’une belle intro : «Posez votre smartphone, fermez la tablette et la télé et tous ces outils infernaux qui vous bouffent la vie et prenez le temps de découvrir à quoi ça ressemblait d’être un musicien qui accompagne à travers toutes les grandes villes des cinq continents l’un des plus explosifs interprètes de rock et son double plus posé et plus lettré, James Newell Osterberg Jr.»

Quand il rencontre Iggy pour la première fois sur le balcon de l’appart d’Andy McCoy, Alvin Gibbs est frappé par sa musculature. Iggy ne porte pas de chemise sous sa veste en cuir. Gibbs découvre ensuite qu’Iggy se lève chaque matin à 6 h pour faire une heure d’exercices, avant de prendre son breakfast avec sa femme.

Pendant le segment américain de la tournée, le groupe voyage en bus. Alvin Gibbs s’assoit parfois à côté du chauffeur Jim Boatman et écoute ses histoires drôles :

— Qui a des cheveux décolorés, deux cents jambes poilues, deux cents bras tatoués et pas de dents ?

Alvin Gibbs donne sa langue au chat :

— J’en sais rien, Jim...

— C’est le premier rang d’un concert de Willie Nelson.

Jim Boatman en propose ensuite une autre qui concerne Julio Iglesias, mais elle est tellement trash qu’il est impossible de la révéler ici, pour ne pas salir le joli blog de Damie Chad.

Autre anecdote intéressante : Alvin Gibbs se retrouve dans une party à New York. Il repère Andy McCoy : il est installé dans un coin avec une gonzesse et fume de l’opium. Andy insiste pour qu’Alvin tire une bouffée sur sa pipe :

— Have some of this !

Connement, Alvin tire une grosse bouffée et ça lui monte aussitôt au cerveau. Le rush s’accompagne d’un violent mal de mer. Il fonce vers les gogues et en entrant, il tombe sur une blondasse en train de se faire tirer par Johnny Thunders, debout contre l’évier de la salle de bains. Entre deux coups de reins, Thunders lance :

— What chew want man ? (Quesse-tu veux, mec ?)

Alvin demande s’il peut gerber dans le lavabo. Thunders lui répond :

— Hey man take a look, I’m busy here, use the bath. (Hey mec, tu vois bien que je suis occupé, gerbe dans la baignoire).

Alvin gerbe dans la baignoire.

Mais c’est bien sûr à Iggy que revient la palme d’or. Dans un taxi qui les raccompagne à leur hôtel, il explique ceci à Alvin : «Je vivais dans une cave sans chauffage et pour bouffer, j’ai joué pendant huit mois de la batterie pour des bluesmen dans les south side clubs de Chicago. Au bout d’un moment, j’ai compris que seul un black pouvait vraiment jouer le blues, tu vois, ils ont ça dans le sang. C’est instinctif. Aucun petit cul blanc ne peut jouer aussi bien qu’eux. Lorsque j’ai compris ça, je suis rentré dans le Michigan pour former les Stooges.»

Quand ils se retrouvent à Sao Paulo, Iggy et ses mercenaires découvrent que la ville est coupée en deux : d’un côté les gens très riches et de l’autre, la grande majorité des millions d’habitants sont des gens très pauvres. Très très pauvres. Forcement, ce sont les riches qui assistent au concert d’Iggy qui leur lance : «Oui vous avez du blé, des grosses bagnoles, des baraques et des serviteurs, mais vous n’avez pas de cœur, pas de couilles, vous n’avez rien !» et Iggy se tourne vers son groupe et lance : «Play for these zombie motherfuckers ‘You Pretty Rich Face Is Going To Hell !»

Dans un lobby d’hôtel, Alvin Gibbs assiste à un échange gratiné entre Andy McCoy et Iggy :

— Hey McCoy, t’as jamais baisé une gonzesse avec une patte en moins ?

— O man, tu déconnes, je ne pourrais pas, c’est dégueulasse !

Iggy éclate de rire :

— T’es qu’une poule mouillée, McCoy, tu devrais essayer, tu vas adorer ça !

En parallèle à ses exploits éditoriaux, Alvin Gibbs à bouclé les 26 lettres de l’alphabet avec ses copains des UK Subs et enregistré en plus un album solo : Your Disobedient Servant. Son groupe s’appelle Alvin Gibbs & The Disobedient Servants. On s’en doute, c’est un album assez punk, comme le montre l’«Arterial Pressure» d’ouverture de bal. Il a du monde derrière, notamment Brian James. Joli son. Il faudra attendre «Back To Mayhem» pour vibrer sérieusement. Alvin Gibbs investit sa mission, la cavalcade punk. Il peut aussi faire du glam, comme le montre «I’m Not Crying Now». Il passe au glam avec la mâle assurance du Cid. C’est un régal. Il joue avec «Ghost Train» la carte de l’aristocratie et c’est bien vu. Il est dans le bon turn up de haut rang. Tout aussi bien vu, voici «Camdem Town Gigolo», un cut crépusculaire noyé de chœurs de Dolls. On voit aussi Brian James allumer «Clumsy Fingers». Ces mecs ont appris à ne pas s’arrêter en si bon chemin. Autre belle pièce de Gibbs juju : «Ma!», un cut powerful bardé de grosses guitares, heavy rock de cocote absolutiste - I said Ma! Ma! Ma! - Il sait atteindre des sommets d’exacerbation, il va là où vont peu de gens. Comme disent les Anglais, he delivers the goods. Tout au long de l’album, on le voit veiller sur la véracité de ses amis avec un œil de lynx. Et du son. Il termine avec le big rockalama de «Deep As Our Skin», il y fait son Slade à la petite semaine, au sein d’un beau brouet d’accords. Bien vu, bien flamming, digne des géants du genre. Il jette l’ancre dans l’excellence du British rock.

Signé : Cazengler, Alvin Gerbe

Alvin Gibbs & The Disobedient Servants. Your Disobedient Servant. Cleopatra Records 2020

Alvin Gibbs. Some Weird Sin. Extradition Books 2017

 

THE PESTICIDES FIX

 

L'EP est actuellement disponible sur toutes les plate-formes de chargement, l'artefact est en préparation. Mais que ce soit sous forme digitale ou objective cet EP nous serre la gorge, c'est en même temps une bonne surprise et un très mauvais tour du destin. La joie de retrouver nos deux pestes, et cette tristesse de savoir que nous assistons au dernier tour de piste de Djipi Kraken que la camarde peu camarade a radié du monde des vivants. Ecouter ce disque est une manière de le retenir encore parmi nous, en présence de ses deux grandes sœurtilèges, tous trois ils formèrent The Pesticides, nous les avons vus en concert, il leur a suffi d'une seule apparition pour séduire l'assemblée, nous les avions alors chroniqués, et une deuxième fois quelques morceaux trouvés sur le net, et aujourd'hui cet EP, comme un dernier signe de la main, depuis l'autre rivage que hante désormais le Kraken...

Death circle : il est des titres prémonitoires auxquels on n'échappe pas, mais l'on a pas le temps d'y songer, une envolée de guitare arracheuse qui emporte tout et dessus la voix des jumelles douce comme du venin de tarentule, et lorsque la fureur s'arrête c'est pour mieux reprendre sa course folle, Djipi et sa guitare jupitérienne vous emportent en un safari sauvage avec nos deux vestales qui rallument les feux de la destruction du monde chaque fois que les flammes semblent s'arrêter dans l'immobilité de l'éternité. Un morceau qui s'écoute et qui s'écoule en boucles fuyantes... Une merveille. Just hold on : avez-vous déjà entendu une guitare couiner le blues comme cela et des jérémiades de jumelles aussi bassement susurrantes et menaçantes, et bientôt voix et musique ne forment plus qu'un nœud de serpents qui s'entremêlent et qui enflent, enflent jusqu'à ce qu'il ne reste plus de place pour ce que nous appelons le monde. Sex share and song : plus joyeux, les fillettes font les fofolles et tirent la langue, Djipi les accompagne, essaie de les devancer, mais c'est déjà fini elles ont gagné la course. Des tricheuses, elle sont parties avant le top départ. Petite distance, une minute treize secondes ! Jessy : un must, voix processionnaires et guitare gouttière qui résonne sans fin, Une espèce de blues primal qui rampe par terre, un serpent sans queue ni tête d'autant plus dangereux que l'on ignore le sens de l'attaque qui viendra. J'ai si peur. Parfois le monde est étrange et l'on a besoin d'une berceuse pour se réveiller. Take me : le réveil des sens. Le poulpe du désir balance ses huit bras en rythme mais vous voudriez davantage, alors les voix se taisent et la guitare s'insinue, et la jouissance vous emporte. What's wrong with me : le Djipi n'en mène pas large, l'essaie de se défiler à l'anglaise, sur la pointe acérée des cordes de sa guitare, mais nos deux mégères vindicatives ne le lâchent pas, l'acculent de leurs voix comminatoires, alors il feule comme un chat en colère et sort ses griffes. Le tout tourne au pugilat, combat de trois tigres rugissants.

Dans les sixties avec une idée on faisait un morceau, dans les seventies avec une idée on faisait un album. Ici vous avez au moins trois idées pour chaque morceau. Le trio des Pesticides était un véritable groupe. Un son original, une présence sur scène qui attirait l'œil et médusait. Cet EP est plus que prometteur. Les deux premiers titres sont de véritables bijoux. Et les quatre autres ne déparent en rien.

Un rock vénéneux, un magnifique tombeau baudelairien pour Djipi Kraken. Qui restera. Mais la vie appartient aux vivants, nous sommes sûrs que les demoiselles Elise Bourdeau continueront le chemin. Leur chemin. Qui n'appartient qu'à elles.

Damie Chad.

 

CHÂTEAU- THIERRY / 27 - 06 – 2020

PUB LE BACCHUS

THE JUKERS

 

2 : PLEIN SUD

Par les temps qui courent les concerts sont encore rares, donc direction Château-Thierry. Sabine du Bacchus ne passe pas son temps  à se plaindre. Elle agit, trois concerts concerts rock en dix jours à son actif. Trop pris vendredi soir pour Boneshaker et leur Motörhead Tribute, donc pas question de rater les Jukers le samedi. Faites le joint étymologique avec juke et vous comprendrez que ce ce sont des amateurs de blues électrique. Ils ne l'ont pas fait exprès, ce n'est pas de leur faute, mais ce soir vous avez cette atmosphère lourde et poisseuse typique du Sud des Etats-Unis, z'avez l'impression d'être immergé dans un roman de William Faulkner, les vêtements collent au corps et dehors ce n'est guère mieux que dedans. Peu de monde au début mais la clientèle ne tardera pas à s'installer et même à s'affaler autour des tables et à consommer moultes boissons rafraîchissantes.

3 : JUKERS

Donnez-moi un point d'appui et je soulèverai la terre s'est exclamé Archimède. Pour le rock et le blues généralement il en faut davantage. Beaucoup d'amateurs pensent que le nombre trois est idéal pour mettre en branle ces boules jumelles de feu et de foudre que sont ces deux musiques du diable. Bref les Jukers sont trois. Ne sont pas tout jeunes, mais ne sont pas tout vieux non plus, aux âmes burinées l'expérience est une valeur sûre. Ne perdent pas de temps pour vous en convaincre. Sans tergiversation ils allument le fire avec Help me de Sonny Boy Williamson. On se demande bien pourquoi car ils n'ont nullement besoin d'aide.

Rico Masse s'est casé entre le mur et le piano. Question discrétion c'est raté, c'est le batteur et ça s'entend. Ce n'est pas qu'il se complaît à faire du bruit pour se faire remarquer, pas du tout, simplement dès la première frappe il pose son volume sonore. Parfait pour les acolytes. Il est là, toujours là, le magnolia géant en fleurs sur la pelouse d'une plantation, relisez Les étoiles du Sud de Julien Green, l'arbre de vie, une rythmique massive, et fidèle, que rien ne peut arrêter, ni même contrarier. Proposez-lui n'importe quel morceau, il démarre au quart de tour, et illico presto il vous file la cadence du blues, les douze mesures emblématiques du blues c'est un peu comme l'alexandrin dans la poésie française, une fois qu'il s'est infiltré dans votre oreille, vous le reconnaissez sans faute quelles que soient les fioritures rythmiques auxquelles s'amusent les poëtes.

Hello, voici Mars à la basse. Un mec sérieux. Rien à redire. Il bassmatique sans fin. En apparence dans la lignée mythique des bassistes refermés sur eux-mêmes comme les huîtres sur leur perle. Attention, sur ses cordes les doigts sont lourds et point gourds, mais de temps en temps il laisse tomber un mot, apparemment anodin, mais d'une ironie dévastatrice. Ou alors il se permet un court commentaire fort mal à propos qui comme mise en boîte révèle un grand sens du comique. Le blues ne pleurniche pas toujours, l'est rempli de sous-entendus drôlatiques, un bluesman digne de ce nom n'est jamais dupe de lui-même. Le blues casse et concasse mais sait aussi être cocasse.

Kris Guérin hérite de la double peine, vocal et guitare. L'est un peu le leader. Décide du choix des morceaux, mais Rico et Hello ne sont pas contrariants, alignent tout de suite la rythmique adéquate, genre muraille de Chine, pas style Jericho qui s'écroule après quelques coups de trompettes, parce que le Kris l'a les doigts qui crisent et qui crissent, vous passent des accords avec lesquels vous êtes obligés d'être d'accord, ne voudrais pas être à la place de sa Freatman bleu pâle, elle en voit de toutes les couleurs, vous la fait tinter comme ces écus d'or pur que dans les temps royaux les grands seigneurs faisaient cliqueter sur les comptoirs des auberges pour s'adjuger la plus belle chambre et la plus accorte des servantes, l'on sent qu'il y prend du plaisir, cherche les difficultés, de The wind cries Mary à Brown Sugar, certes sur Hendrix pas de problème pour une six-cordes mais sur le Rolling, le Keith remue les meubles mais c'est surtout Bobby Keys qui aboule le sbul avec son saxo, et là nos trois gaillards question cuivre ils font sale mine, alors Mister Guérin se démène joliment au four et au moulin, et comme il se charge du chant, il vous fait en prime l'article de la marchandise, pas de la camelote, de bonne came, le Rico n'est pas à la masse sur ses tambours, et Mars emprunte le sentier de la guerre, tellement heureux qu'il lance à la suite les premières mesures de Honky Tonk Woman.

Un groupe de reprises, du moins ce soir, avec tous les vieux hit-riffs, inusables que votre oreille reconnaît avant même qu'ils ne les aient commencés, mais en plus cette joie de jouer, de prendre un pied d'acier suédois nickelé, it's just bluesy electric rock'n'roll but we like it, et le public aime ça ! Trois sets, le premier bluesy, le deuxième davantage rock, plus le supplément crème chantilly à la poudre noire, les gars se laissent aller, nous montrent un peu de quoi ils sont capables, ce devait être un ou deux morceaux mais ils éternisent le groove. Lorsque vous avez glissé votre jambe dans la gueule d'un croco, il est difficile de la retirer. Personne ne se plaint, après deux mois de confinement l'on salive pour le live ! Bacchussimus ! Un jus de Jukers pour tout le monde !

1 : ARRIVEE

Retour au Bacchus. Du monde et du bruit dans l'artère centrale de Château-Thierry, serais-je impatiemment attendu par une population en liesse ! Hélas non, je dois déchanter, une grande fête foraine draine toute une partie de la population familiale de la ville vers ses clinquant manèges tire-fric... est-ce ainsi que les hommes vivent demandait Aragon...

4 : RETOUR

Pluies éparses sur le pare-brise. Dans la nuit profonde la teuf-teuf longe des étendues de champs entrecoupés de forêts, un renard traverse la route fort inopinément, plus loin ce sera une biche qui attendra d'être en plein dans le halo des phares pour rejoindre l'autre côté de la départementale, je songe à ce peuple invisible et discret de bêtes qui de terriers en terriers, de hallier en hallier, depuis des siècles et des siècles, vivent en parallèle à nos côtés, pas trop loin de nous, et surtout pas trop près, sans doute ont-elles des préoccupations moins frivoles que le bétail futile des humains, qui a perdu le goût de la vie sauvage.

5 : REFLEXIONS

Un regret tout de même, lorsque Rico a branché un petit ventilateur à quinze centimètres de son visage, ils auraient pu embrayer sur Ventilator blues, cela s'imposait ! On leur pardonne parce que leur version hyper deströy de Sunshine of your love valait le détour.

Damie Chad.

 

ROCKABILLY GENERATION 14

 

Pan, la semaine dernière le Cat Zengler s'occupait du 13, alors que le 14 tournait sous les rotatives et le voici ce matin dans la boîte à lettres ! Rockabilly rules, rockabilly brûle ! Un numéro maison, par la force du confinement. Pas de concerts, pas de déplacements, courrier au compte-goutte, situation idéale pour une revue-rock !

Hier soir une question insidieuse me trottait dans la tête, une fois que Saint Jerry Lou aura quitté cette planète l'on pourra clore définitivement la liste des grands pionniers, les figures tutélaires, j'en faisais le compte ; Bo Diddley, Chuck Berry, Little Richard, Bill Haley Elvis Presley, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, ceux-là sont indiscutables, l'Histoire les a désignés, neuf ce n'est pas mal mais le chiffre dix avec son assise récapitulative pytagoricienne s'impose. Avec le onze nous sombrons dans la dispersion. Depuis un certain temps dans les conversations, sur les réseaux sociaux, un nom revient avec insistance, Fats Domino, un grand artiste je ne le nie pas, mais trop cool, une certaine désinvolture qui à mon humble avis ne sied pas au style rock, je sens que l'on trépigne dans les milieux rockabillyens nationaux, ne suis-je pas en train de commettre le crime heideggerien de l'oubli de l'oubli, le premier de tous : Johnny Burnette ! O K ! boys ! mais alors que faites-vous alors de Carl Perkins !

En tout cas, il y en a un qui ne fera pas l'impasse sur Carl Perkins. C'est Greg Cattez, qui tient à chaque numéro la chronique des Grands Anciens, nous livre un splendide article sur Perkins et pour une fois Carl aura de la chance, vu l'interdiction des concerts, l'auteur de Blue Suede Shoes a droit à huit pleines pages, et parmi tous les articles que j'ai lus, celui-ci, qui couvre la carrière entière, tient sacrément la route.

Un autre veinard du même genre : 12 pages – magnifiques portraits de Sergio Khaz – dévolues à Cherry Casino, enfin pas tout à fait, à Axel Praefcke l'homme qui se tient sous la clinquance du pseudonyme qu'il arbore sur scène, guitariste qui officie notamment avec les Gamblers, Ike & the Capers, et The Round up boy, parle de sa naissance en Allemagne de l'Est, de sa vision du rockabilly qui le porte à rechercher les instruments, le matériel de studio d'époque... pourtant l'on ne sent pas dans ses paroles le puriste revanchard et puritain, un passionné qui raconte son vécu, un bel être humain qui se dévoile.

Le précédent interview est à mettre en relation avec celle d'une légende du rockabilly européen Sandy Ford, mené par Brayan Kazh, Sandy de la génération de Crazy Cavan, qui évoque bien sûr sa carrière, qui a tout vu et tout entendu, qui n'en garde pas moins les yeux fixés sur futur du rockabilly, l'a les yeux tournés vers demain, une sourde inquiétude entre les lignes, le public rockabilly qui au bout de quarante ans est composé d'amis... Sympathique mais aussi la preuve d'une certaine raréfaction...

Une première réponse : celle de Brandon âgé de vingt cinq ans batteur des Rough Boys Rockabilly composé de Jacky Lee ( guitare et chant ) et Jacko Vinour à la basse qui n'est autre que le père de Jacky Lee, un parfait exemple de transmission. Old style never dies !

Un beau numéro, moins d'articles ce qui a permis à chacun de nous faire part de ce qui lui tient le plus à cœur, ainsi ces réflexions de Cherry Casino sur l'évolution du rock'n'roll qui sont à relire et à méditer.

Une dernière annonce : la réédition augmentée du N° 4 sorti en janvier 2018, ajout de nombreux documents sur Crazy Cavan qui était déjà sur la couverture.

Pour terminer trois cerises sur le gâteau : lors de l'édito Sergio nous parle de la connexion qui est en train de s'établir entre Rockabilly Generation News et l'équipe de Big Beat Records, rappelons que BBR a beaucoup fait pour l'éclosion du mouvement rockabilly en France et en Europe. Une véritable épopée qu'il faudra raconter un jour. En attendant sont joints ) à la revue deux tracts-pub indépendants pour les amateurs et les collectionneurs : l'un consacré à Johnny Hallyday, et le deuxième à Elvis Presley, dans les deux cas de beaux joujoux, pack vinyle CD + picture disc. Rien que les tracts sont en eux-mêmes des collectors.

Damie Chad.

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,60 Euros + 3,88 de frais de port soit 8,48 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 33, 92 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Une bonne nouvelle tout de même : devant la demande générale, le numéros 4 avec la dernière interview de Cavan Grogan a été retiré. Si vous ne l'avez pas, c'est une erreur.

 

THE ROYAL

MIKE NEFF & THE NEW AMERICAN RAMBLERS

( CD : Ramblers Records / 2012 )

 

Will Duncan : drums, keyboards, vocals / Andy Wild : bass, saxophone, clarinet, vocals / RLS Cole Sackett : trumpet, vocals / Vaughn Macpherson : keyboards, accordion / Esme Paterson : vocals / Megan Fong : vocals / Charles Von Buremberg : mandolin, vocals / Aaron Collins : Vocals / Mike Neff : guitars, vocals

Ne faites pas les malins, ne dites pas que vous les connaissez. Moi-même jusqu'au moment où le copain – il a joué du banjo sur scène avec eux aux USA – me l'a mis entre les mains j'ignorais jusqu'à leur nom. Viennent de Denver. Colorado. L'état juste au-dessous du Wyoming. Ils ont sorti plusieurs disques. Celui-ci est intitulé The Royal parce qu'il a été enregistré à la New Orleans.

Place for us : du tout doux, surprenant sont une dizaine mais Mike Neff est tout seul pour évoquer sa tendre amie, à croire qu'il est dangereux de clamer haut et fort son bonheur. Country soft. Country folk. Des modulations vocales à la Dylan, innocence américaine. Blood-red bottle : country-road vers la New-Orleans, l'orchestration s'étoffe lentement tandis que la rythmique trottine sans faille. La voix raconte autant une chanson de route qu'à boire l'espace intérieur. Ponies : un peu de batterie mais l'harmonica prend son envol tandis que la voix égrène la sérénité de vivre selon ses propres envies. Cross-continent waltz : une voix qui gratte et une guitare qui ronronne, et tout s'apaise, suffit de se laisser bercer, impression de mélancolie, toute douceur comporte quelques relents amers. Typewriter : changement de climat, des cuivres sardoniques sur le rythme des touches de la machine à écrire que l'on enfonce pour donner la parole à ce que l'on a dans la tête, tout cette vie aigre-douce qui s'entête à embrumer et ennuager les souvenirs, petit solo jazzy manière de faire un clin d'œil au bon vieux temps qui est sans doute plus vieux que bon... Faire le point pour ne pas mettre un point final. Providence harbor : un départ dylanien, rien que le titre évoque le Zimmerman, la longueur du morceau, l'harmo la voix qui traîne, des intonations râpées sur les éboulis de la conscience. Toutes les âmes sont tuméfiées et traînent la blessure de ne pouvoir surmonter cette suppuration que rien ne pourra étouffer, même pas une fanfare dans la rue, et les échos perdureront par intermittence jusqu'au bout. Where I'm going : ballade à l'acoustique, tout est dans la voix à la Springteen du gars qui a beaucoup vécu. Après le pont, les zicos se regroupent en sourdine autour de lui, l'est accompagné en douceur, l'important est de faire un bout du chemin avec lui, mais il continuera très bien tout seul. Got a gal : vous croyez partir pour une ballade mais l'eau du blues monte lentement et s'étale comme un océan de tristesse. L'on n'est jamais sûr de rien. Davantage dans le delta que dans le bayou. Company store : parti pour une ballade dylanienne, la vie est comme un grand bazar qui vous offre tout ce dont vous avez besoin et tout ce que vous désirez, mais pourquoi ce rythme des enchaînés de Perchman, sont-ce vraiment vos propres désirs bien à vous, un solo vaseux et visqueux, pour vous faire comprendre que votre existence est engluée jusqu'au cou dans une drôle de manufacture où l'on vous reconfigure selon un modèle qui ne vous plaît pas. Old man winter : le seul morceau qui ne soit pas écrit par Mike Neff, mais par Will Duncan. Des notes aussi légères que des flocons mais la voix de Mike Neff en bleuit quelque peu la blancheur, à l'orée du blues, mais les pas sont étouffés, morceau que l'on serait tenté de nommer pièce musicale, au loin s'élève une une fanfare mortuaire, celle du dernier voyage. Un peu de gaité puisque l'on quitte une vallée de larmes... Let's get married : une chanson joyeuse ne saurait faire de mal après l'élégie funèbre précédente... Faut-il vraiment y croire ? Your love will come : longue introduction musicale, une voix désabusée qui veut encore espérer l'impossible. L'espoir rend les fous joyeux et les poëtes tristes.

Croyez-vous que la Remington un peu déglinguée sur la couve soit mise là au hasard ? Pourquoi privilégier cet appareil mythique de la littérature américaine et pas une guitare ? Enregistré à la New Orleans, mais cela est un peu anecdotique. L'aurait pu être mis en boîte aussi bien en Californie ou à New York, Mike Neff porte son monde dans sa tête, l'est l'escargot qui ne quitte pas sa coquille, se trimballe avec son monde intérieur dans la valise de ses méninges. Un côté irrémédiablement folk, qui louche un peu vers le blues et le country, comme tout american folk qui se respecte. Une belle voix tendrement éraillée, qui berce et réveille. Vous enferme chez lui, pas à double-tour, mais vous pouvez rester autant de temps que vous voulez. Suis sûr que certains vont en abuser.

Si vous voulez écouter c'est sur Bandcamp.

Damie Chad.

 

POGO CAR CRASH CONTROL

 

Je sens qu'une partie du lectorat tremble de peur. Il a raison. Avec les Pogo il faut toujours s'attendre au pire. Vous êtes prévenus. Toutefois nous allons procéder par étapes. Je ne voudrais pas gâcher vos vacances, certaines images pourraient hanter votre mémoire, vous troubler durant vos siestes estivales, vous réveiller en pleine nuit, vous empêcher de dormir, à la rentrée avec votre mine de papier mâché puis vomi, et remâché, votre patron vous mettra à la porte, un long avenir de SDF vous attend, c'est bien fait pour vous, vous n'aviez qu'à pas regarder les vidéos des Pogo Crash Car Control !

CREVE ! ( Clip )

( Novembre 2016 )

C'est un ancien clip, date de 2016, un de leurs premiers morceaux, certes les paroles n'ont pas été écrites par Madame de Sévigné, elles vont droit au but, '' Ta gueule ! Crève !'' , normal c'est du rock. La rage adolescente. Si vous voyez ce que je veux dire. Pour les images, au début c'est de tout repos, presque la photographie de campagne pour l'élection de François Mitterrand, l'église et son clocher, petit village de Seine & Marne. Toutefois une drôle d'atmosphère. Il ne se passe rien, comme dans les films avant l'attaque des zombies. Ne respirez pas c'est pire. Bruit de moteur compétition rodéo-car à l'américaine, quand on s'appelle Pogo Car Crash Control, normal on ne s'attend pas à des vues d'un dessin animé de Babar le gentil petit éléphant rose. Carambolages dans la boue. En supplément, protégé par de simple barrières métalliques vous avez le groupe qui joue. La musique colle à l'image. Merveilleusement. Sont énervés comme un troupeau de rhinoféroces dérangés dans leur sieste. Question zique les Pogo ce n'est pas la Petite Musique de Nuit de Wolfang Amadeus Mozart. Derrière eux les bagnoles se catapultent les une contre les autres à qui mieux-mieux. A qui pire-pire.

Le malheur c'est que dans un clip ce n'est pas ce qui est représenté qui est important mais la manière dont c'est filmé. Et là c'est le parti-pris gore ultime, des gros plans d'images saccadés et tressautant qui vous cisaillent les yeux. Ce qui est bien, car le mec accidenté, l'est totalement énucléé, les voitures lui ont roulé dessus, son visage sanglant vous est jeté à la figure à plusieurs reprises. Mais ce n'est pas le plus grave. Parmi la débauche sanglante d'images choc ce qui est subliminalement insupportable c'est la volupté qui se dégage de toute cette violence. La haine et le désir de mort de l'ennemi sont des jouissances supérieures, Les Pogo ne trichent pas dans l'expression des sentiments. Âmes sensibles s'abstenir. Décapant Rock 'n' roll !

 

Non, je ne vous le repasse pas une deuxième fois. Je ne suis pas cruel. Mais l'on trouve toujours pire. En l'occurrence ici Stazma The Junglechrist. Faudra qu'un de ces jours nous lui consacrions quelques chroniques. En attendant je vous laisse vous recueillir devant la photo du profil FB de Julien Stazmaz qui en compagnie de Romain Perno  s'est amusés – est-ce ce verbe qui convient – à proposer un remix de :

CREVE ! ( Clip )

( Juin 2019 )

Un pas de plus vers l'ignominie. Souhaiter la mort de son ennemi est somme toute très naturel. L'abattre d'un coup de fusil, lui planter un couteau dans le dos, l'écraser avec votre voiture, franchement c'est petit joueur, mesquin et médiocre. Lui en vouliez-vous vraiment pour vous débarrasser de lui si platement ? Non ! Il y a mieux, il y a pire ! En plus c'est vous qui allez vous retrouver très embarrassé avec un cadavre sur les bras ! Non une seule solution : la désintégration !

Pas si difficile que cela. Cela ne demande pas de gros moyens. Juste un peu d'imagination et de savoir faire. Julen Stazma the Junglechrist nous montre comment l'on peut empêcher la résurrection. Comme dans la Bible, '' Je détiens les clefs de la mort'' mais lui il ferme la porte à double-tour.

Reprend les mêmes images. En un autre désordre. Pas tout à fait la même musique. Beaucoup de batterie, un gros surplus d'agressivité sonore. Répétitif. Scandé. Un parti pris de débitage. N'est pas pour la réalité augmentée, mais fragmentée. L'image avance et recule. Moins de voitureS. Davantage la gueule twistante d'Oliver. La haine est un boomerang qui se retourne contre vous. Ne pas tuer pour avoir un mort, tuer jusqu'à l'idée de la mort. L'a des dents à la place des yeux, sa voix se déforme, devient barrissement, se mue en vagissement, logorrhée de dégueulis verbal, mais le pire c'est l'image qui se parcellise, qui s' émiette, qui déchire en confetti, un seau d'eau sale que l'on jette et qui emporte la réalité du monde avec elle.

Clip cannibale qui bouffe ses propres images et qui finit par se bouffer lui-même, faute de mieux, faute de pire.

 

Vous êtes un peu remués. Je comprends. Passons à un autre groupe. N'en soyez pas rassurés pour autant. N'y a que Lola qui n'est pas là. Toute confiante elle a quitté les garçons pour l'après-midi. Elle n'aurait pas dû. Se sont sentis tout bêtes, tout seuls, ils ont fondé un groupe parallèle, nous avons chroniqué leur Ep dans notre livraison 444 du 26 / 12 / 2019. Z'avaient des idées noires, l'ont appelé Suicide Collectif. Sur ce l'infâme Baptiste Groazil, un des dessinateurs les plus doués de sa génération responsable des couves ( trashy dirty mauvais goût ) de Pogo, s'est amusé à confectionner sur le quatrième morceau de l'EP, un petit dessin animé pour égayer les ennuyeuses vacances de nos charmantes têtes blondes.

MOTHER FACES 30 YEARS EN PRISON

SUICIDE COLLECTIF

( Clip de Baptiste Groazil / Juin 2020 )

Pour la musique toute la violence des Pogo, de toutes les manières les images de Baptiste Groazil sont si accaparantes que vous n'y faites plus très vitre attention. Un bruit de fond. Mais l'histoire est au rythme du morceau. Déboule à toute vitesse. Un prologue, et quatre scènes dument séparées, le tout en une minute et quarante-cinq secondes. Pour les couleurs principalement des verts glabres, des mauves nauséeux, des roses mortadelles périmées. Pour le sujet... En un siècle futur, enfin maintenant, le héros est mal parti, on lui ouvre le ventre pour voir ce qu'il y a dedans. Un brave garçon, un peu attardé, croit encore à l'amour, notre joli cœur ! L'est tout de suite livré à un groupuscule de ménades qui lui font subir une sacrée séance de massages sauvages. Ce n'est que le début, l'est réduit en esclavage, traité pire qu'un chien. Ravalé au rang d'une bête martyrisée. Consolation du pauvre. A la séquence suivante le voici réduit à l'état d'os du chien que les chiennes en chaleur lèchent avec ferveur. Séance viol collectif. L'est à bout de forces. Tremble de peur. Se retrouve encouronné sur le trône. Sur son front est marqué Suicide Collectif.

Sexe et société ? Les mâles heures du féminisme ? Par Groazizil ? Je vous laisse déchiffrer cet apologue. Sex  and society. Danger zone. Roi des cons, roi des connes... Débrouillez-vous pour ne pas finir dans les prisons de la bien-pensance.

Damie Chad.

 

21/12/2019

KR'TNT ! 444 : LA CRAMPE / WEIRD OMEN / SUICIDE COLLECTIF / DAVE VAN RONK

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 444

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

26 / 12 / 2019

 

LA CRAMPE / WEIRD OMEN

SUICIDE COLLECTIF / DAVE VAN RONK

 

VOUS EN AVEZ DE LA CHANCE !

LA LIVRAISON 444 ARRIVE EN AVANCE !

PAR CONTRE NOUS SERONS UN PEU RANCES

POUR LA 445 QUI SERA EN PARTANCE

APRES TROIS JOURS D'ERRANCE...

BONNES VACANCES !

KEEP ROCKIN' AND DANCE !

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

La Crampe tear sa crampe

 

Elle a tout compris. Elle s’appelle Fanny et elle tear it up, comme dirait Johnny Burnette. Ce qu’elle tear n’est pas ce que vous croyez, elle tear up le mad genius de Lux Interior, elle entre dans le mondo bizarro des Cramps à coups de cello et de bravado vocale et si nos souvenirs sont exacts, elle fait ce que fit Lux pendant trente ans : mener sa bacchanale à la bravado pure et dure. Fantasy, power and boogaloo, telles sont les trois mamelles de ce vieux mythe que sont devenus les Cramps.

Pari gonflé : jouer les cuts des Cramps au violoncelle, ça pourrait presque passer pour une belle arnaque intellectuelle. Quoi ? Pas de fuzz ? Pas de heavy beat ? Tout repose sur une allégresse vocale hors normes, un sens aigu du va-comme-je-te-pousse, une espèce de démesure cabaretière sans foi ni loi, un rigoletto savamment décomplexé, elle allume son buzz buzz à la hussarde, elle poivre on Saddle up à la régalade, elle dégouline d’allure véracitaire, elle est l’une des plus crédibles crampoulettes qui se puisse imaginer ici bas. Oui, on peut dire qu’elle a pigé l’essentiel : le mad genius de Lux Interior repose principalement sur l’interprétation. Quand Lux tape dans «The Crusher», il devient un catcheur mexicain plus vrai que nature, rrrrrahhhh, de la même façon que De Niro devint Jake La Motta pour les besoins de Ragging Bull. Quand Lux tape dans «Goo Goo Muck», il gratte ses puces comme le faisait King Kong dans sa forêt de Skull Island, avant que Carl Derham ne vienne le capturer. Quand Lux tape dans «She Said», il s’enfourne un gobelet dans la bouche pour rivaliser de dinguerie fulminante avec le plus dingue d’entre les dingues, Hazil Adkins, et il y parvient. Fanny y parvient elle aussi, elle balance une version de «She Said» qui vaut son pesant de hou hi ha ha/hou hi ha ha, elle s’en donne à cœur joie et chante ça à la glotte folle, bien épaulée par le tatapoum d’Olive, son drumbeat man planté de l’autre côté de la scène et qui donne au passage une brillante leçon de désinvolture.

L’autre notion fondamentale des Cramps sur laquelle Fanny s’est penchée, c’est bien sûr celle du mondo. Les Cramps surent en leur temps créer un univers à base de films fantastiques, de singles rares, de voodoo, d’exotica et de sensualité, en conformité avec le fameux sex & drugs & rock’n’roll qui sous-tend l’esprit d’un phénomène socio-culturel moderne qu’on appelle le rock. Le sexe des Cramps n’est jamais vulgaire, les drogues des Cramps sont tellement discrètes que personne n’en parle. La Crampe, c’est exactement le même esprit. Fanny démarre son set enveloppée dans un manteau et dix minutes plus tard elle trouve qu’il fait chaud - It’s hot in here, isn’t it ? - Elle tombe le manteau et devient Chihuahua Pearl, l’aventurière de saloon qu’on croise en petite tenue dans les aventures de Blueberry, et pouf voilà Fanny en corset et bas résille, il ne lui manque que le cigare et le colt Cobra 38 special planqué dans la bottine à boutons. Cette esthétique de saloon bitch renvoie directement à Ivy. Fanny et Ivy même combat ! T’as voulu voir Vesoul et t’a vu la Crampe !

Mais ce n’est pas tout. Elle pousse encore le bouchon en fabriquant le décor. Ça tombe bien, dans le civil, elle travaille le métal, elle brase et elle soude, she welds it up ! Son pied de micro pourrait en effet sortir tout droit du cerveau purulent de HR Giger : avec une chaîne de moto, elle fait de l’Alien pur et dur. L’objet haut de deux mètres pèse une tonne. Pareil pour la chaise haute sur laquelle elle s’installe pour jouer, c’est un objet d’art pensé/soudé/limé/poncé à la Tinguely, weird-weld iron shoot, mêmes réflexes à base de récup et de confrontation avec la matière, même sens de la possibilité d’une île, lorsqu’un objet condamné à disparaître trouve sa vocation dans l’incongruité. Le pompon est sans doute la lampe tournante installée au fond sur l’ampli basse : posée sur la platine d’un petit tourne-disque rescapé des sixties, elle démarre une nouvelle carrière en arrosant la scène de lumière rococo. Avec tout ça, les cuts des Cramps arrivent forcément comme la cerise sur le gâteau. Rien n’est plus capiteux, plus exaltant que l’expression de la cohérence artistique. Songez-y. D’autres très grands artistes ont aussi compris cela, l’importance qu’il faut attacher au décor. Quand on voyait Beat Man (en solo, avec sa petite lampe, sa valise et ses instruments de bric et de broc) ou Queen Adreena (ambiance de catacombe avec des linceuls sur les amplis), on ne pouvait pas s’empêcher de penser à Kantor et à son obsession maladive de l’acte créateur. Chez lui, les objets du décor jouaient un rôle capital. Pas de Classe Morte sans les bancs d’école. Avec toute la modestie qui lui incombe, Fanny inscrit la Crampe dans cette prestigieuse lignée. La Crampe sur scène ? C’est quasiment gagné d’avance. On reconnaît les grands artistes à leur capacité à lever une pâte de temps, c’est-à-dire l’heure de spectacle. Et c’est sans doute beaucoup plus difficile en matière de rock que d’avant-garde théâtrale, telle que la concevaient tous ces grands maîtres de l’épate contextuelle que furent Kantor, Barba et Peter Brook.

Pour conclure le déballage de Raymond la Science, citons Tav Falco, passé lui aussi maître en épate contextuelle (sidérante prestation au Silencio, on y reviendra) : «Les Cramps furent un groupe de rockabilly post-moderne qui par sa grandeur incarna le Théâtre de la Cruauté, tel que défini par Antonin Artaud.»

Hou hi ha ha ! On est en plein dans le Théâtre de la Cruauté, aucun doute, hou hi ha ha ! Pour En Finir Avec Le Jugement de Dieu, c’est les Cramps en 1947, alors vous lui réapprendrez à danser à l’envers comme dans le déliiiiire des bals musette, and I need a new kind of kick ! Et cet envers sera son vériiiitable endrrroit ! Bon, Fanny ne reprend pas «New Kind Of Kick» sur scène, mais elle attaque son set à l’arrache malgache, Craaaaamp Stomp ! C’mon baby, get ya high as King Kong twat, elle ne gratte pas ses puces mais son violoncelle à coups d’archet, elle module ses attaques sur le tatapoum d’Olive et comme les deux font bien la paire, ça tourne vite au beautiful ramdam de bric et de broc ! Rien de plus crampsy que cette débauche de beat hagard et grincheux, le crin-crin amène une overdose de bringueballage déambulatoire. Leur ramdam monte vite au cerveau. Pas besoin de prendre des trucs. Elle enchaîne avec «The Way I Walk», clin d’œil superbe à l’immense Jack Scott récemment disparu, c’mon baby love me right. Fanny fait couiner la mythologie (ça lui fait du bien), elle fait grincer les portes vertes et voilà qu’elle s’en va faire sa bad bad girl avec un «Like A Bad Girl Should» transformé pour le coup en rengaine insistante et prodigieusement balancée. Elle tombe sur le râble du refrain avec des ahhhh orgasmiques assez troublants, ça devient même complètement surréaliste puisque la voilà encore plus royaliste que la reine en bad girl de cartoon américain - Bad bad/ bad bad girl ! - Magique élan prolétarien, hommage stupéfiant aux Cramps. Elle buzze ensuite un coup d’«Human Fly» et l’introduit à la couinante supplétive, vite reprise par le heavy beat tribal à dix balles d’Olive. Ils invoquent si bien l’esprit des Cramps qu’il en devient palpable. C’est presque un numéro de médium. Elle s’en va sculpter le chant au sommet des ninety-six tears et replonge dans l’enfer délicieusement grinçant de l’infernale transmutte combinatoire. Rock tonite ! Buzzzzz ! Rock it right ! Dommage que Lux ne puisse pas voir ça. Le cello et la caisse claire se livrent un combat sans merci dans «The Most Exalted Potentate Of Love», l’un des cuts les plus âpres des Cramps. Quasi-intouchable. Wow, ils en sortent la plus honorable des versions couinantes et trébuchantes, le cello parvient même à orientaliser la moelle de la Potentate qui n’en demandait pas tant. Et comme si ça ne suffisait pas, elle file droit sur «Faster Pussycat», un cut encore plus difficile et certainement le plus ambitieux jamais entrepris par les Cramps. Épique et perché, Faster ne se laisse pas dompter, Fanny et le Professor qui tente lui aussi de s’y frotter peinent à en tenir les rênes, comme si Lux était le seul au monde à pouvoir l’interpréter, alors Fanny se bat avec son Faster, elle parvient miraculeusement à rester juste et passe le beau break instru à coups d’archet rageur, fabuleux brouet de crin-crin qui encore une fois transporte les Cramps au château de Versailles parmi les emperruqués et les fardés de la cour. Barry Lyndon meets the Queen of Pain ! Fantastique énergie ! Ils dégagent à deux autant d’énergie qu’une centrale nucléaire et elle finit à la hurlette de Hurlevent, dans un délire de tortillettes extrapolatoires. Il faut aussi la voir driver un Saddle Up emmené au beat des reins en rut, salement cadencé, Olive le tape à la cloche de bois, baby rock tonite, rien de plus crampsy que ce shoot infernal de buzz buzz. Elle joue «Fever» toute seule et maîtrise bien la jazzification des choses, parfaitement à l’aise sur les contretemps de ce drive cellico-jazzy. Elle swingue le chant comme si elle avait passé toute sa vie à se produire dans les clubs de Harlem - Fever in the morning/ Fever all through the nite - et Olive revient pour le dernier couplet, tac-tac en place pour un tact de fin. Ils finissent la conquête du bar avec la triplette de Belleville «You Got Good Taste»/ «What’s Inside A Girl»/ «She Said», véritable shoot fulminant. Il faut voir l’Inside couiner et tatapoumer comme si de rien n’était. Olive ramène pour l’occasion toute la dynamique du rockab, il tape à la relance insistante et bigne sa cymbale au coin du bois, comme un bandit de grand chemin. Au point où on en est, on pourrait même insinuer que leur version de «She Said» est la plus sauvage de toutes, tellement Fanny se jette avec la bataille dans la balance, elle chante de toutes ses forces et ça explose à tous les sens du terme. Un régal pour un rockab comme Olive qui joue ça au fouetté de huitième de cavalerie, Hopalong, c’est lui, et pendant ce temps Fanny hou-oute à s’en arracher la rate. Tank youuu, tank youuuu ! Elle est délicieusement drôle, tout le bar rigole. Pour finir, elle atteint le summum de l’American despair avec un «Lonesome Town» joué à la scie musicale ! Sans doute le moment le plus sensiblement intense de son show. Elle dérive dans la mélodie et fait pleurer sa vieille scie rouillée. On croyait ce numéro réservé à l’élite. Fanny va vous scier quand vous la verrez. Vous voilà prévenus.

Signé : Cazengler, la Crêpe

La Crampe. Le Ravelin. Toulouse (31). 7 décembre 2019

 

Et spiritus sancti, Omen

 

S’il est un groupe qui a su créer son monde, c’est bien Weird Omen. Comme Jim Jones, ils font appel à Jean-Luc Navette pour dessiner la pochette de Surrealistic Feast, leur troisième album. Au vu du médium, on sait exactement ce qui nous pend au nez. On entre alors dans cet album comme on entre dans le cabinet du médium, «A Place I Want To Know». Un son distinct de naissance, distinct de sang, distinct de lignée, cisaillé dans l’âme des tibias, stupéfiant et dépenaillé à la fois, hardi mais brutal, un vrai punch-up. Comme si on recevait un coup à l’estomac. Ils ne sont que trois mais ils dépotent tout le volume de l’enfer à coups de pouet pouet. Dans l’esprit, ça flirte avec le chaos de Fun House, avec une vielle impression de jamais vu, de fumées, de lumière rouge, les trois Weird Omen explosent au quart de tour avec des pauses en forme de chutes du Niagara, le son tombe du ciel comme un déluge, cataplasmé par une frappe in-cro-ya-ble-ment frappadingoïdale. Il s’appelle Rémi Lucas et il réincarne à lui seul deux siècles de forges du Creusot, mais il faut imaginer ces forges amphétaminées. Power & drive. S’ensuit un «Wild Honey» d’une très rare violence et ils reviennent jiver le cabinet branlant du médium avec «Please Kill Me», une sorte de heavy groove garage de Johnny fais-moi mal assez obsédant. Un démonologue dirait que ça sort de la cuisine du diable. Ça parait en effet chanté au fond des bois, et ce solo digne d’entrer dans la petite boutique des horreurs entre en collision avec une turbulence de saxophone. Devant un groupe qui sort un son pareil, on ne peut faire qu’une seule chose : s’agenouiller pour prêter allégeance. Tiens puisqu’on parle du diable, voici «The Goat». C’est là qu’ils révèlent leur vraie nature : ce sont des fous du son. Ils ne vivent que pour le heavy sludge, mais un heavy sludge qui ne doit rien à personne, même pas aux Stooges et encore moins à Monster Magnet. Leur son sent la terre humide et les coups de wah dégagent l’âcre odeur du génie putride. Ils chantent «Trouble In My Head» à plusieurs voix, ils crucifient leur garage au Golgotha, sous un ciel noir comme le cul d’un esclave nègre. S’ensuit un «Out Of My Brain» battu et riffé comme plâtre, leur garage n’a plus rien à prouver. Ils sont déjà si loin devant. Ils battent encore tous les records de démesure avec un «Earthworm» tapé à la définitive. «Earthworm» explose à la face du monde. Les vagues de son déferlent sur «Earthworm» et avec sa guitare, Martin Daccord part en vrille de néant absolu. On plonge avec délice dans le bain d’acid de «Collection Of Regrets», nouveau hit heavy et conquérant, sans foi ni loi. Les clameurs tombent du ciel et tu ne peux rien y faire.

Si on aime les très grands disques, il faut écouter Breakfast Before Chaos. Un cut comme «Stranger» donne une idée assez juste de la modernité, une modernité de baraque foraine, avec une forte odeur de friture. «Stranger» frit vivant devant nous, les Weird Omen sortent un son saigné aux quatre veines et nous mettent de la stoogerie plein la vue. On prend la wah en pleine gueule, c’est un son qui avance à marche forcée, chaussé de plomb. Effarant ! Même quand ils proposent un petit garage vite fait comme «Extatique», c’est wild au-delà de toute espérance, et le diable sait si l’espoir fait vivre. Retour aux incendies volontaires avec «Back From WBB», véritable downhome d’overwhelmed Weird Omen. Avec ce huge shoot d’overdose, ils passent de l’autre côté du miroir. «Transcontinental», c’est Bo Diddley accompagné par les éléphants de Salammbô. Ils sortent un son bourrelé de démesure, ils chantent au sucre de My Friend Jake, ils saturent tout d’allant définitif, ils touillent leur fournaise à coups de tridents soniques - I hate you ! - Ils enchaînent avec un «Saturday Nights Are Gone» encore plus insensé, Fred Rollercoaster joue du sax errant et paf, ça explose, on s’en doutait, mais quand ça explose chez eux, mieux vaut s’accrocher à la rampe, ils travaillent la tempête au long cours, le sax fracasse le plafond de verre, ils font sauter leur Saturday comme on faisait sauter la Sainte-Barbe autrefois, à coups d’overdose de claquemure cataclysmique. Seuls les Weird Omen sont capables de fourbir un final screamé comme celui de Saturday. Ils sont aussi capables de gras double («Complications») et d’arpèges sixties («I Think I’m Going Down»). Mais ils préfèrent plonger dans la folie et «Tumblin’ Down» sonne comme l’au-delà du rock français, c’est le Weird Sound à base de wah et de crises, une sorte de summum de mad frenzy. «Don’t Know Why You Go Away» monte tout seul en température. Sur cet album, chaque cut est frappé au maximum des possibilités. Le son happe et fond systématiquement. Le Weird Sound rôde dans le marigot comme un vieux croco. Quand il ouvre le bec, c’est trop tard, t’es baisé. Ils terminent cet album faramineux avec «Sunday Drowning» et son bouquet de clameurs. Ça couine dans l’air brûlant, comme si des milliers de guerriers sortaient d’un désert de l’Antiquité. Les Weird Omen jouent en cinémascope chamanique.

On peut aussi se jeter sans risquer l’ennui dans leur premier album, Last Train For Love, paru sur Beast à l’époque. Ils y proposent un garage plus classique («Thousand Times A Day»), mais très bien gaulé et un solo de sax demented vient désailler l’organisation de ce garage d’arrache. Les deux gros coups de l’album s’appellent «It’s Up To You» et «Action Time». Ils visent chaque fois le burst out maximaliste, avec toute la bravado dont on peut rêver quand on aime le blast off. C’est comme toujours chez eux tapé à l’insistance et le sax vient toujours envenimer les choses. Ça pourrait devenir un principe, mais chaque cut est tellement libre qu’il semble crier vive l’anarchie ! Sur «Action Time», le sax vient même krakatoer le beat à coups de délires de free. C’est chauffé à blanc comme au temps de Steve MacKay. C’est encore le sax qui vole le show dans «Bag O’ Bones». Il règne en maître sur l’Omen et ça devient même très spectaculaire, il s’étrangle de fureur apocalyptique, Fred scalpe le son comme savait si bien le faire Rahsaan Roland Kirk. Ce morceau de bravoure se révèle indécent de véracité viscérale. C’est aussi le sax free on the loose qui embarque «Do The Boogie». L’Omen donne une belle leçon de garage avec ces coups de sax tressautés à la folie. Ces mecs ont du son au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Aventure. On se régalera encore plus de ce «Lumber Jack» chanté de l’intérieur du menton et déchiqueté par un solo de sax sourd. Le sax de Fred Rollercoaster plonge «Be My Rose» dans une profonde comatose, c’mon be my rose, le son coule en intraveineuse et ça explose à chaque coup de c’mon pour le meilleur et pour le pire. Ils terminent cet album tentaculaire avec un «(You’ve Got To) Hide Away» en hommage aux Beatles. Joli coup, en tous les cas, l’émotion est au rendez-vous.

Les trois albums suffiraient largement à rendre un homme heureux, mais c’est sur scène que l’Omen donne une petite idée de ce que peut vouloir dire le mot démesure. Wagner, John Coltrane, les Stooges comptaient jusque-là parmi les rois de la démesure. Il faut maintenant ajouter l’Omen à cette caste. Les voir sur scène est une expérience plutôt physique qu’il faut recommander à tout amateur de real deal. L’Omen échappe littéralement à toutes les étiquettes. Ni rock, ni punk, ni garage, ni trash, ni wave à la mormoille, ils ne sont plus qu’un souffle, ils balayent toute forme de classification, ils vont loin, bien au-delà de tout ce qu’on sait du garage ou des Stooges, ils développent un son en fusion permanente, ils fondent les structures des cuts comme s’il fondaient le bronze des statues. Des trois, le plus spectaculaire est le batteur, penché sur ses fûts, comme aux aguets, comme prêt à bondir, fabuleusement animal, repoussant continuellement les limites du blasting, il bat par rafales jusqu’au-boutistes, il va au bout du bout du maximalisme, il bat tous les records de violence et shoote dans le cul des cuts la plus belle dose de powerhouse qu’on ait vu ici bas. Si on voulait le comparer à d’autres batteurs, ce serait impossible, il est infiniment plus wild que Mickey Dee ou Jerry Shirley et n’a de point commun avec Manah (le batteur des Lullies) que le fait de jouer en short et de porter des tatouages superbes sur tout le torse et les bras. Remi Lucas est le far-out drummer par excellence, il ne se contente pas de jouer la loco, il joue la loco dingue, ses rafales sont les pelletées de charbon que jette à la volée dans la chaudière un mécano possédé par le diable. Si les deux autres n’étaient pas aussi spectaculaires, il ferait quasiment tout le show à lui seul. Wow ! Il faut voir Fred fondre ses notes de baryton dans l’infernal tohu-bohu que génère ce power-trio éruptif, il se plie et se déplie dans les rafales comme s’il cuisait à la chaleur d’un four, il ne joue qu’en termes de clameurs d’émeutes urbaines, ça va même encore plus loin car il fait barrir son sax, il sort un son tragiquement organique, celui de l’éléphant de combat horrifié de voir des fantassins numides tenter de lui cisailler les tendons des quatre pattes pour l’abattre avec son howdah bourré d’archers, et pendant que les barrissements trouent le cul des annales, le groover en casquette groovy plaque sur sa Phantom des volées de power-chords que le courant emporte comme des fétus de paille, ça glougloute dans la marmite des enfers, ça n’en finit de rougeoyer au fond de la cave, leur son trouve l’environnement idéal, comme si Hadès pressé de faire trembler la terre, avait convié l’Omen à lui rendre hommage en célébrant l’immense portée de sa colère.

L’Omen ne laissera personne indifférent. Mieux qu’une cuirasse, leur sauvagerie les protégera des imbéciles. Mais ils sont beaucoup trop bons pour une scène comme la scène française. On se souvient que Gallon Drunk tenta le diable à Londres à une époque. Même chose avec James Chance qui mit jadis le feu à la scène new-yorkaise. Mais aucun d’eux n’a jamais atteint le niveau de volatilité inflammatoire de l’Omen.

Signé : Cazengler, Weird Omerde

Weird Omen. Le Trois Pièces. Rouen (76). 4 décembre 2019

(Encore merci aux Délicieuses Récidives)

Weird Omen. Last Train For Love. Beast Records 2013

Weird Omen. Breakfast Before Chaos. Beast Records 2016

Weird Omen. Surrealistic Feast. Dirty Water Records 2019

 

SUICIDE COLLECTIF

full EP 2019

Vous trouvez le monstre sur You Tube ou sur le FB de Pogo Car Crash Control à la date du 09 / 11 / 2019. Ce n'est pas une vidéo. Il vaut peut-être mieux car rien qu'à voir le dessin – ne manquez pas de vous en délecter - de Baptiste Groazil qui s'affiche et qui ne bouge pas de toute la bande-son l'on aurait pu s'attendre au pire s'il s'était chargé d'animer l'immonde dégueulis qui coule comme une glaireuse fontaine de jouvence maudite, tout le monde se souvient des clips qu'il a réalisés pour les Pogo. Je suis malade rien qu'à la pensée du compte-vomi dans lequel j'aurais été obligé de patauger.

Les esprits incisifs demanderont : pourquoi les Pogo diffusent-ils ce premier EP de Suicide Collectif ? C'est la faute de Lola, en tant que fille elle devrait savoir qu'il ne faut jamais laisser les garçons tout seuls, sans quoi ils s'ennuient, tournent en rond, ne savent pas quoi faire, et finissent par devenir incontrôlables. Ce qui pour des Crash Control s'avère doublement nuisible. Bref pendant qu'elle s'occupait parallèlement avec Cosse, les trois boys ont emprunté la diagonale de la folie, z'ont rendu visite à leurs copains une bande de singes psychédéliques qui les ont laissé s'amuser dans leur studio avec Fred ( pas du tout ) Lefranc du collier, et des mains pas très nettes aux manettes.

Bref voici le résultat final : une abomination. Comme on les aime. Attention les morceaux se suivent sans séparation.

Fuckin' Party : ( débute au début ) : vous avez de la chance, cela ne dure que soixante-douze secondes, les plus dures de votre existence. Un coup de batterie, ne comptez pas sur cet avertissement salvateur pour vous prendre la poudre d'escampette, vous n'avez même pas le temps de sauter par la fenêtre ouverte de votre chambre de bonne au dix-huitième étage, pouvez même plus ouvrir la bouche pour vous plaindre, vous êtes irrémédiablement englué dans une diarrhée sonore dont vous n'avez jamais eu l'idée qu'il puisse en exister de si dégoutante, une avalanche de merde gluante qui vous transforme en statue d'étron liquide. Une musique compressée à l'extrême – vous savez à ce degré où l'eau perd son humidité et devient une tempête de sable saharienne - et un vocal à l'arrache catapulté à la fronde. N'espérez pas vous en sortir vivant, vous n'êtes déjà plus de ce monde. Ça s'arrête comme ça a commencé. Très mal. Très brutal. Optimal. She said : ( commence à 1' 13'' ) : vous croyiez que la suite ne pourrait pas être pire, que vous aviez mangé votre pain noir empoisonné au cyanure et à l'ergot de seigle, funeste erreur, pour She Said, ils ont défoncé toutes les portes de tous les asiles de la terre, une sarabande terrifique, certes vous avez un moment de répit, quand l'avion de chasse descend en piqué sur vous et vous envoie deux missiles air-sol pour vous refaire le portrait, hélas ce bienfait céleste ne dure même pas six secondes, tout de suite après ça reprend en plus sauvage, en plus condensé, ne vous demandez pas qui est cette She qui vous chie en pleine face vos quatre mensonges, vous la reconnaissez vite, vous êtes de l'autre côté de la rive noire, c'est Perséphone en personne à fond les mégaphones qui vous semonce et sermonne méchamment. Mais ce n'est pas là le plus terrible. C'est en sous-main, les guys se moquent de vous, prêtez bien l'oreille, alors que vous subissez les pires avanies, rôde au-dessous de tout, une allégresse vicieuse, une jubilation festive qui traduit le plaisir qu'ils prennent à vous faire du mal. Sont visiblement contents d'eux, alors l'escadrille du cynisme vous abandonne à votre triste sort et fonce à l'infini dans l'horizon sanglant de vos rêves détruits. All inclusive : ( démarre à 2' 55'' ) : un bourdonnement prolongé pour débuter, un peu comme le début de la Tétralogie wagnérienne l'om du malheur métaphysique dont êtes prisonnier, et puis une accélération foudroyante, des cris de haine qui vous tombent dessus à la manière des flèches agoniques d'Héracles sur les oiseaux de Stymphale, le soleil est devenu aussi noir que votre âme et des vociférations telluriques vous emmurent les tympans à tout jamais, et toujours cette aigrette aigrelette de presse-purée moqueur qui grince comme si l'un des rares neurones de votre cervelle tentait vainement de résister à ce traitement de choc, mais non vous serez pas le grain de sable qui enrayera l'engrenage de ce retors rotor surpuissant. La maison ne fait pas de crédit, pas de remise de peine, par contre tout est compris dans le prix. Sévices irréprochables. Mother faces 30years in prison : ( attaque à 4' 28'' ) : tiens c'est les soldes, ils ont décidé de liquider leur complexe d'œdipe. Ils ont raison, c'est comme cela que l'on grandit. Batterie endémique aussi puruleuse que les sept plaies d'Egypte, guitares tournoyantes et la voix traitée en meute de chiens qui se disputent la dépouille sanglante de la biche – pas plus innocente que vous puisqu'elle ne mérite pas de vivre - dépecée. Ne vous laissent même pas un os à moelle à sucer pour vous remercier de les avoir écoutés jusqu'au bout.

A écouter en boucle. Si vous êtes clautro évitez, le son vous emprisonne comme des petits pois dans leur cosse. Idem si vous ne supportez pas les cris et les bosses. Attention pour les cadeaux sous le sapin. Plutôt Père Fouettard que Père Noël. Déconseillé pour Tante Agathe. Faudra qu'un jour ils sortent ce bébé vagissant sur un vinyl. Ce sera le 45 tours le plus nocif du rock français. Un objet digne de vous. A la condition expresse que vous soyez dignes de lui.

Ce qui n'est pas donné.

Damie Chad.

 

MANHATTAN FOLK STORY

DAVE VAN RONK

Avec Elijah Wald.

Le guitariste qui a inspiré le film Inside Llewyn Davis des frères Coen que je n’ai pas vu. Dave Van Ronk décédé en 2002, reste une figure incontournable du folk américain. Un activiste, peu connu du grand public par chez nous, si ce n’est par les fans de Bob Dylan, les paléontologues de la musique populaire américaine le définissent comme le chaînon manquant entre Woody Guthrie et le Zimmerman. Van Ronk n’a pas pu terminer ses mémoires, la grande faucheuse l’ayant transféré au pays des ombres. C’est Elijah Wald qui a donc bouclé le bouquin en s’aidant des bandes de préparation et des interviews réalisées auprès de nombreux acteurs de la scène folk qui l’ont croisé et mené à divers titre des carrières dans cette branche de la zique contestataire. L’on peut le regretter, Van Ronk n’étant pas dépourvu d’humour n’est guère tendre avec lui-même. L’auto-dérision semble être sa seconde nature.

Né en 1936 - un an après Gene Vincent pour mieux signifier les bifurcations entre rock et folk - très vite abandonné par son père, pourvu d’une mère souvent absente, Dave Ronk passe papido sur ses premières années, ce n’est pas qu’il veuille les biffer de sa vie, révèle son pragmatisme, c’était comme ça, un point c’est tout, pas de pleurs, pas d’auto-apitoiement, ni d’introspection psychanalytique à la petite semaine. Plonge directement dans sa vie. L’a compris que son faux statut de petit-bourgeois très au-dessous de la moyenne ne le mènera pas bien loin. Suit son instinct d’adolescent, qui le conduit surtout dans des impasses. C’est qu’il veut devenir musicien. Une intention louable. Mais il n’est pas doué, gaucher contrarié, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux question agilité des doigts lorsque l’on s’obstine à pratiquer un instrument… Mais il s’obstine d’autant plus qu’il abandonne l’apprentissage du solfège trop rébarbatif et du même coup le piano. Se rabat sur la guitare - influence de Charlie Christian - qu’il remplacera par le banjo. Un instrument qu’il aura du mal à maîtriser.

Ce n’est pas qu’il préfère le banjo à la guitare. Avant tout un choix idéologique. Le petit gars de Brooklin s’est naturellement orienté vers le jazz. En ses débuts il ne se pose pas de problème, il aime tout ce qui est bon, d’Amrstrong à Charlie Parker pour prendre des noms symboliques. Il rencontre Clarence Williams - compositeur de Crazy Blues, le premier blues officiel enregistré par Mama Smith, chasseur de tête pour Okeh qui découvrit Bessie Smith - Clarence lui apprend à écouter des disques, à reconnaître le style de chaque soliste, à comprendre comment ils résolvent les problèmes qu’ils se posent… parallèlement Dave profite de toutes les occasions pour jouer sans oublier de s’initier à la marijuana. A seize ans il décide de devenir musicien de jazz professionnel.

Déclaration de guerre musicale, il s’engage du mauvais côté. Le monde du jazz s’est scindé en deux camps irréconciliables. Les anciens contre les modernes. Les tenants du premier jazz contre les amateurs des novateurs de la deuxième génération. Jazz trad contre be-bop. Il s’est enferré dans une mauvaise route. S’aperçoit qu’il en arrive à défendre par principe des musiciens qui refourguent les vieux plans éculés aux véritables aventuriers et créateurs. Il est difficile d’avouer que l’on s’est trompé. Cela ressemble à une trahison. Quand on y pense n’est-on pas trahi que par soi-même ? Honteuse palinodie ou stérile entêtement ? Une seule solution pour échapper à un tel marasme psychologique, se trouver, pour ne pas parler d’issue de secours, une porte de sortie…

Il n’est pas un bon musicien de jazz. On le tolère avant tout parce qu’il se charge de la tâche ingrate et infamante pour tous les musicos de jazz : le chant. L’a une grosse voix - qui lui sert à couvrir ses insuffisances instrumentales - dont il use à volonté. C’est une copine qui lui demande de l’accompagner à Greenwich Village, une première visite qui laissera des marques… Et surtout cette découverte de visu de ce style de jeu de guitare qu’il ne connaissait pas : le finger-picking qui lui ouvre de grandes perspectives… Certes il ne sera jamais un grand instrumentiste, se débrouillera, mais son atout maître dans ce nouveau monde sera sa voix sonore.

UN PEU DE POLITIQUE

Petit intermède boulot de marin bien payé, le pied quand le job de musicien vous a souvent laissé le ventre vide… Mais le revoici à Greenwich Village avec une belle guitare. Pour la musique vous attendrez un peu, Dave Ronk est décidément un être idéologique. Le folk est-il de gauche ou de droite ? Grave question, mon bon monsieur, il est avant tout un ramassis de chansons que tout le monde connaît. Si vous voulez chanter, vous puisez dans le pot commun, un point c’est tout. Il existera même un folk d’extrême-droite, les fameuses racines ancestrales de la race blanche. Par contre s'est creusée une sacrée différence entre le folk rural et le folk urbain. La même qui parcours les milieux occitanismes en France, entre les tenants de l’occitan, artificiel idiome moderne créé de toutes pièces par les intellectuels au dix-neuvième siècle et les tenants du patois, pardon des patois, car chaque village possède ses vocables et ses expressions qui lui sont propres, les modernistes s’exprimant en un strict et honteux volapuk non représentatif…

Ceci posé, Dave Ronk survit dans un milieu de marginaux, des gens sans travail ou des étudiants en rupture d’études. Naturellement de gauche serait-on tenté de dire. Commence par rendre hommage au Parti Communiste américain, qui a été au cœur des luttes sociales et qui a subi de plein fouet le maccarthisme, en perte de vitesse, parce que la répression l’a durement touché mais surtout parce que toute une nouvelle génération avide de liberté ne se reconnaît plus dans ce qui se passe en URSS, la révolte hongroise sonnera le glas de bien des illusions… Par contre-coup les luttes syndicales menées depuis les années 10 par les IWW lui paraissent participer d’une philosophie libertaire beaucoup plus tentante, Woody Guthrie n’a-t-il pas participé guitare en main aux grèves des cueilleurs de fruits dans les grands domaines californiens. C’est décidé, Dave Ronk sera anarchiste ! Jusqu’à ce qu’un vieux militant lui demande perfidement s’il a lu Kropotkine ( et tous les autres ) dont il ignorait jusqu’à l’existence. Dave s’aperçoit qu’il a besoin de lire… Nous sommes en 1956, toute cette mouvance gauchisante sera au rendez-vous des luttes pour les droits civiques aux côtés des noirs.

En 1957 ouvre le Café Bizarre, le premier muni d’une véritable scène spécialement ouverte au folk, elle sera inaugurée par Odetta, toute jeune mais qui possède déjà une légitimité artistique au moins égale à celle d’un Pete Seeger. Dave ouvre la deuxième partie du spectacle. Odetta le félicite et lui demande une cassette qu’elle passera à Albert Grossman le propriétaire du Gate of Horn, le cabaret folk par excellence, sis à Chicago. La démo ne parviendra jamais à Odetta, et notre Dave ( je m’y voyais déjà ) Ronk après d’interminables semaines d’attente monte en stop à Chicago. Grossman l’écoute mais lui fait remarquer qu’il fait un peu pâle figure comparé à Big Bill Broonzy, Josh White, Brownie McGhee et Sony Terry… Retour à la case départ.

MONTEE EN PUISSANCE DU NEO-FOLK

1957 et 1958, furent cruciales. Le mouvement néo-folk commença à s’organiser. Izzy Young ouvre le Folklore Center, un petit magasin de disques et de livres consacrés au folk qui ne tarda pas à devenir un lieu de rendez-vous et de discussion. Le panneau des petites annonces servit à de multiples rencontres… Une base organisationnelle c’est bien, un vecteur de diffusion des idées c’est mieux. Ce fut Lee Shaw Hoffman qui créa le magazine Caravan. Dave Ronk n’hésite pas nous donner de larges extraits de ses éditoriaux, le premier une attaque en règle contre le catalogue Elektra qu’il accuse de n’offrir que du bon vieux folk traditionnel peu urticant, et le deuxième une défense de Pete Seeger à qui certains reprochaient son engagement militant pro-communiste. La théorie c’est bien, la pratique c’est mieux. Tous nos jeunes artistes sont en manque de concerts, se formera la Folksingers Guild Retribution destinée à organiser la défense et la promotion de ses adhérents. Un conglomérat d’amateurs certes mais au milieu de cette armada mexicaine peu douée certains espèrent devenir de véritables professionnels. Leurs concerts regroupent entre trente et deux cents personnes. Dave Ronk fait partie du haut de panier. Le monde bouge, certaines émissions de radio spécialisées commencent à faire appel à eux. The times they are a changin’ comme dirait l’autre.

N’empêche que le revival folk se fait attendre. Malgré l’aide du vétéran Paul Clayton, la situation de Dave ne s’arrange point. Plus tard Clayton deviendra le mentor de Dylan qui lui empruntera beaucoup pour Don’t Think Twice. Van Ronk participera à quelques anthologies foireuses parviendra à arracher à Kenny Goldstein un contrat pour Folkway. Le trente-trois tours enregistré en un jour, avec pour seul additif à une voix haut perchée un micro et une guitare pas plus maîtrisés l’un que l’autre, n’est pas un chef d’œuvre. Bien plus passionnante s’avère la rencontre avec Sam Brill l’homme qui avec son bouquin Country Blues relança l’intérêt pour le blues et déclencha la recherche à travers tout le pays des vieux bluesmen que tout le monde croyait morts.

ESCAPADE CALIFORNIENNE

Un plan d’enfer, un copain qui lui refile l’adresse d’un restau-concert à Los Angeles, cent vingt cinq dollars la semaine. Ce qui nous vaut un remake de On The Road de Kerouac, la traversée des States sous la neige. L’arrive à San Francisco. Tout le long du chemin, il s’est aperçu que la chasse aux barbus est ouverte, à Frisco les autorités n’aiment pas tout ce qui ressemble de près ou de loin à un beatnick… Il rencontre Mimi Baez à l’époque beaucoup plus connue que sa cadette Joan… Se laisse un peu vivre, la scène folk de Frisco est envahie d’étudiants friqués qui dispensent une musique ennuyeuse et médiocre. Beaucoup de syndicalistes, d’anarchistes, et de gauchistes. L’est comme un poisson soluble dans l’eau frelatée d’un aquarium… Sous l’injonction téléphonique de Terry sa petite amie, il file enfin à Los Angeles profiter de la place promise, la paie est bonne, mais ce n’est pas le plus important, c’est-là où il apprend le boulot, chante six soirs par semaines jusqu’à cinq sets par soirée. Il rentre à New York. Dresse le bilan : positif : a fait la connaissance d’une légende vivante du folk New Yorkais qui s’était tiré faire fortune sous les palmiers, Ramblin’ Jack Eliott, négatif : par rapport à la côte du Pacifique, New York est en retard question folk, partout l’on trouve des établissements qui programment à grands flots du folk, alors que dans la Grosse Pomme, découvrir un lieu où jouer s’avère difficile. Quand on se prend pour l’avant-garde et qu’ailleurs l'herbe est plus verte, il y a comme un bleime.

MONTEE EN PUISSANCE

Rien n’a changé mais tout a évolué. Dave revient à New York sur la fin de l’été 1958, dans les deux années qui suivent a lieu une véritable révolution culturelle. De nombreux café-houses vont ouvrir. Ce n’est pas le folk qui en sera le premier bénéficiaire, mais les beatniks, ces poètes vociférant aux proclamations séditieuses attireront la clientèle des touristes qui débarquent en masse. Mais le spectre spectaculaire de la poésie est des plus limités, cris et chuchotements accompagnées de tamponnades de bongos finissent par lasser, les folkleux sont appelés à la rescousse. Van Ronk rappelle que les beats sont des amateurs de jazz et que plus subtilement le folk est le cousin germain du blues. Lui-même a fait de grands progrès à la six-cordes. Le fautif en est Gary Davis auquel il rend un magnifique hommage. Ce prêtre aveugle et baptiste qui accompagne ses sermons à la guitare est aussi un adepte de la musique du Diable. Chez lui, en privé, il n’hésite pas à jouer Cocaïne Blues. Possède une âme charitable, ne connaît pas la musique, mais lors de ses leçons de guitare, il ralentit les riffs pour que l’élève Dave puisse voir là où, et comment, il faut poser les doigts pour obtenir l’effet recherché.

Les coffee-houses ouvrent, ferment, changent de patrons, sont sous la surveillance suspicieuse de la police mais le mouvement est ascendant. Dave va de l’un à l’autre, d’abord adepte du Commons il jettera son dévolu sur le Gaslight qui paye mieux. N’en fait pas une description idyllique, un trou à rats - ceci n’est pas une métaphore - d’une saleté imbuvable, un ancien entrepôt de charbon - qui vous propose pour le prix d’un whisky un café imbuvable, quand vous avez bu une tasse vous n’en prenez pas une deuxième, vous quittez les lieux sans demander votre reste, ce qui est parfait car vous pouvez accueillir une nouvelle fournée de touristes décidée à s’encanailler… L’on sent que Dave est devenu un des principaux personnages de Greenwich, il a ses entrées partout, est souvent chargé de la programmation. Il est aussi pratiquement le seul survivant des années de bohème précédentes. Les étudiants originels ont repris leurs études, de partout arrivent des étrangers doués et qui en veulent… Les grandes voix du folk new yorkais proviendront des états lointains…

L’EXPLOSION FOLK

Un petit nouveau venu passe au Café Wha ? Arbore un nom destiné à devenir célèbre : Bob Dylan. Un maigrichon, bourré de tics, une voix calamiteuse, une guitare intermittente, un harmonica essoufflé. Un mytho. Ce n’est pas le plus grave, dans le métier on réinvente son passé pour les besoins de la cause. Comprendre : l’effet escompté sur un groupe d’auditeurs particuliers. Par contre le Bob possède deux qualités essentielles, certes il vous raconte des craques mais vous êtes sous le charme, mais le plus gravement génial c’est que le gars il a compris que l’on ne gagne qu’avec les armes que l’on possède, les siennes sont rouillées et tordues, tout autre penserait s’en défaire mais lui non. L’assemble tous ses manques et toutes ses défectuosités en un mix unique, un tract incapacitant métamorphosé en tremblements de prophète, une voix abominablement nasillarde, un harmonica asthmatique et une guitare bringuebalante, ce juif rachitique a du génie, un véritable charmeur de serpents qui tient le rôle du serpent. Brûle les étapes, commence par squatter le canapé de Dave - ce qui n’est pas un exploit, son appart est une ruche à amis et à folkleux démunis, Terri lui sert d’imprésario, il se débrouille l’on ne sait comment pour avoir une cohorte de fans fidèles qui le suivront partout, est vite remarqué par Albert Grossman qui lui signe un contrat chez Columbia. Dave en profite pour tracer un intéressant parallèle entre l’itinéraire de Ramblin’ Jack Elliott, fils de bonne famille new yorkaise parti courir les routes californiennes avec Woody Guthrie, alors revenu sur la côte est pour profiter du boom-folk, et Dylan. Quelques pages sur l’affaire de The house of the rising sun. Le morceau c’est une découverte de Dave sur un vieux disque appartenant à Hally Wood, un enregistrement de Georgia Turner effectué dans le Kentucky par Alan Lomax. Dave en a peaufiné l’arrangement, et compte le mettre sur son prochain disque, dans la série ce qui est à toi ne ferait pas de mal dans mon escarcelle Dylan l’enregistrera sur son premier trente-trois. Gros froid entre les deux amis. Se réconcilieront, mais rien ne sera plus comme avant. Pour la petite histoire The Rising Sun n’était pas un bordel de la Nouvelle-Orleans mais une prison. Un nom qui fleure bon, enfin qui pue, la rédemption chrétienne. Le Pénitencier de Johnny est donc assez proche de l’esprit originel, Saluons l’intuition d’Hugues Aufray qui composa les paroles…

Comme le livre est censé raconter la carrière de Dave, revenons à lui, l’est au plus haut de la vague. L’est invité dans la ville de Cambridge, la hype de l’intellingentia américaine, qui se pare de la plus prestigieuse des universités : Harvard… dont de nombreux étudiants s’adonnent au folk. Ronk ressort son vieux couplet prolétarien anti-petits-et-grands-bourgeois sans problèmes… N’empêche qu’il est obligé de reconnaître que la mouvance cambridgienne très old-folk et peu ethno-folk compte tout de même quelques cadors, Bob Gibson par exemple, dans ses rangs. L’en profite pour passer ses nerfs sur le néo-folk féminin, toutes ces filles chantent dans le style des générations précédentes, Joan Baez la première. Ses préférences vont à Joni Mitchell. Dans le village Grossman a dans l’idée de monter à un bon vieux trio à l’ancienne, ce sera Peter Paul and Mary qui attirera le grand public au folk. En plus ils auront la bonne idée de reprendre The River un morceau de Dave, ce qui lui vaudra un bon paquet de royalties. Dave ne crache pas sur la monnaie, question romantisme de la misère il a déjà donné.

OLD BLUES AND NEW SONG

L’argent arrive. Dave signe chez Mercury, auparavant il enregistre deux galettes chez Prestige, une de jazz trad, et une de jug band. Qui ne marcheront pas fort, mais l’on revient toujours à ses premières amours, le passage du jug band au Newport Jazz festival sera un fiasco, vite oublié avec la clique de revenants qui firent leur apparition, jugez du beau monde : Mississippi John Hurt, Skip James, Sleepy John Estes, Robert Wilkins, Fred McDowel, Fury Lewis, Booker White, Yank Rachell et jusqu’à Son House et Lonnie Johnson. Dave les croise en tournée, joue avec eux, les côtoie de près, et nous livre de savoureuses anecdotes que les amateurs de Blues apprécieront.

Et Dylan se mit à l’électricité. Ce n’était plus du folk, mais ce n’était pas le plus grave. Se mit à écrire ses propres morceaux lançant ainsi la mode des « auteur-interprètes-compositeurs » ce qui lui faisait franchir le Rubicon qui sépare le folk de cette sous-musique pour laquelle Dave n’emploie pas le mot rock afin de l’étiqueter. Le plus fou c’est que Dylan n’était pas le premier, avant lui Tom Paxton et Phil Ochs l’avaient précédé, Paxton dans l’expression lyrique et Ochs selon une couleur politique beaucoup plus prononcée. Mais Dylan était beaucoup plus doué. L’avait le style qui faisait la différence. L’avait aussi de la jugeote, comprit vite que des textes en faveur des droits civiques et contre la guerre au Vietnam ne seraient plus d’actualité lorsque ces deux causes seraient périmées. Contrairement à Dylan, Ochs et Paxton n’avaient point lu et soigneusement annoté la collection des poëtes français de la bibliothèque de Dave. Le Zim avait pris des leçons chez Rimbaud et Mallarmé. Cela densifia quelque peu ses textes. Dylan avait des facilités : travaillait vite et bien, si vite qu’il se convainquit que personne ne ferait la différence entre un beau couplet et un charabia pondu au fil de la plume. Si Dylan l’avait écrit et si vous ne compreniez pas, c’était de votre faute. On ne prête qu’aux riches… Dave ne mâche pas ses mots. Les dylanophiles n’apprécieront pas. Dave vous refile la recette : rédigez n’importe quoi et prétendez-vous artiste ! Toutefois Dave se mettra à écrire quelques unes de ses chansons : nous en donne un exemple inspiré de Villon. Ce n’est pas mal du tout, Dylan aurait pu le signer…

THE END

1967-1968, l’attrait de l’argent a changé la donne, le rock devient hégémonique, lorsque Dave le puriste consent à former un groupe il est trop tard… Les dix années suivantes seront difficiles, retour à la case départ, refaire les cafés, redonner des leçons de guitare, accumuler les dettes… La machine se remettra en route grâce à l’Europe, nouvelles tournées, mais cela c’est Elijad Wald qui le raconte, Dave Van Rock s’arrête au début de la fin, son projet n’était pas de rédiger une autobiographie mais de rendre compte de la mouvance new yorkaise de la grande panique folk. Essaie de rester debout, se retranche dans la fierté de son intégrité, mais quand il mesure son destin à celui de Bob Dylan, la nostalgie est dure à combattre, l’aura fait ce qu’il aura aimé, ce qu’il aura pu. Pour la plupart d’entre nous il est difficile de faire mieux. Et même aussi bien.

Damie Chad.