16/09/2010
KR'TNT ¤ 19.
KR'TNT ¤ 19
LIVRAISON DU 20 / 09 / 2010
A ROCK LIT BLOG'N'ROLL
EDITROCK
Dave Smith n'est pas un chanteur de rock comme son nom pourrait le laisser supposer. Non, c'est un poète. Reconnu aux USA. La liste des prix et des honneurs que lui ont valu ses poèmes serait trop fastidieuse à égrener. Il est aussi romancier et a dirigé plusieurs revues de poésie. Il a, comme il se doit, enseigné la poésie dans diverses universités américaines des plus prestigieuses. Il fut par deux fois finaliste du prix Pulitzer de poésie. Un gros calibre.
Je subodore l'impatience de quelques lecteurs. Pour que vous compreniez mieux notre subit intérêt pour la poésie américaine contemporaine, nous ajouterons deux ou trois détails qui risquent de titiller votre attention.
Dave Smith est né en 1942 à Portmouth. Pour ceux qui n'ont pas la tête géographique rappelons que ce port mou se trouve en l'état de Virginie, à quelques encablures de Norfolk. Je sens que notre histoire commence à vous intéresser prodigieusement !
Dans un de ses recueils intitulé Little boats – Ensalvaged nous sommes tombés sur ce poème au titre des plus prometteurs The Gene Vincent's blue cap. Nous avons illico presto décidé de le traduire afin de vous l'offrir.
Mal nous en a pris ! La poésie de Dave Smith n'est pas des plus faciles. Elle aurait la réputation d'être assez obscure et plutôt hermétique. Un article du New York Times dénonce même l'imperméabilité des images de cette fameuse casquette de Gene Vincent dont le bleu s'assombrit à chaque nouvelle lecture.
Nous proposons donc, non pas une traduction, mais une interprétation de ce texte. Pour que chacun se fasse sa petite idée nous faisons précéder notre version, forcément fautive vu notre faible niveau in skakespearian language, de l'original.
Comme par hasard dans la vingtaine de livres écrits par Dave Smith, l'un d'entre eux se nomme The essential Poe. Quand en des livraisons antérieures de notre blog'n'roll nous remarquions d'étranges corrélations entre les destinées d'Edgar Poe et de Gene Vincent nous n'étions pas si hors-circuit que cela... Sur ce bonne lecture et...
Keep Rockin' Till Next Times !
GENE VINCENT'S BLUE CAP
Be Bop a Lula
She's my baby
Cool March seeps from azalea beds, sun sprinkles limbs.
The blue jay's radaring head checks what I work,
his uniform quievry against the fresly clawed dirt.
Once, years back, I smelled the spring ooze, a dirge
almost, though it doesn't sing or echo, just is.
Black leaves, green shoots, everything aster like the cool
ice-blue of Gene Vincent's cap. Three-man band, all blue.
Thirteen, date inches taller, I danced as wind do
trashing new blossoms, and he played faster, if fast is
what you do with sax, drum two pawned guitars, leg
fused the bus rolled, broke, cycle smashed. Susan's
father fixed him up, stiched and pinned, hence a concert
of thanks in her garage. I watched him figthing the fall
we knew he'd take, toppling among us, that bully
blue cap never lost. Be Bop a Lula again. Pain's play
makes me think of yards I racked, March, making cash
to pin on her small breast – what flower was it then ?
So much we can't reclaim. His face lit when I asked
him to sign my George Washington, and now his own
blue cap lifted down, brim gilded like Odysseus',
scratching Gene Vincent ! Be Bop a Lula. I hear the cop
spit who dragged him from oily dark, who gassed the nurse
who said Do you know who his boy is ? Just another noise,
Ithink, night's piece of ice in the rake's teeth breaks, yet here
in the yard all at once I'm dancing, girl's hand in mine, dirt's
slick, daffodils rising. I'm shaking it up inside, I'm
certain life's worth it all, Gene plays, you're my baby, yeah.
DAVE SMITH
( Little boats, unsalvaged : poems 1992 – 2004 )
GENE VINCENT'S BLUE CAP
LA CASQUETTE BLEUE DE GENE VINCENT
Be Bop a Lula
She's my baby
Doux Mars suinte depuis les parterres d'azalées, le soleil saupoudre les branches.
La tête sans cesse en mouvement du geai bleu surveille ce que je fais,
son plumage monochrome contre la récente et enserrante saleté du monde.
Une fois, des années en arrière, j'ai senti l'exhalaison du printemps, presque
un thrène quoique l'on puisse dire qu'il ne chante ni ne résonne, mais juste cela.
Feuilles noires, vertes branches, chaque fleur comme le froid
bleu glacé de la casquette de Gene Vincent. Un orchestre de trois musicos, tout bleu.
13 ans, quelques pouces de plus vous donnent droit au rendez-vous, je dansais comme le vent
emporte les tendres pétales, et il jouait plus vite, aussi rapide
qu'il se peut avec un sax, une batterie et deux guitares pourries, la jambe
heurta le bus qui roulait, coupa la route, la moto s'écrasa. Le père
de Susan le remit debout, avec broche et béquille, d'où un concert
de remerciement dans son garage. Je le regardais lutter contre le sort
qui venait de s'acharner sur lui, nous le savions, agitant victorieusement parmi nous, cette foutue
casquette bleue toujours sur sa tête. Be Bop a Lula encore. Le feu de la douleur
me fait penser à tous les efforts que j'ai fournis, ô Mars, prêt à payer cash
Pour rapter sa petite poitrine – quelle corolle était-ce alors ?
Tellement merveilleuse que nous ne pouvons nous plaindre. Son visage s'éclaira quand je lui demandai
un autographe sur un billet de dix dollars, et maintenant que sa propre
casquette bleue a glissé à terre, visière étincelante telle celle d'Ulysse,
Gene Vincent à jamais symbolisé ! Be Bop a Lula. J'entends aboyer le flic
qui le tira de la flaque d'huile ombreuse, et qui renseigna l'infirmière
qui demandait Savez-vous qui est ce garçon ? Juste un autre bruit
je me souviens, les glaçons de la nuit se brisent dans le crissement des dents, cependant là
dans la cour d'un seul coup je danse, la main de la fille dans la mienne, nappe
de saleté, éclosion de jonquilles, je mélange tout ensemble, je suis
persuadé que la vie est la pire des choses, tu es ma poupée, yeah.
DAVE SMITH.
( Petits bateaux, à la dérive : poèmes, 1992-2004. )
14:51 | Lien permanent | Commentaires (0)
KR'TNT ¤ 18.
KR'TNT ¤ 18
LIVRAISON DU 16 / 09 / 2010
A ROCK LIT BLOG'N'ROLL
EDITROCK
KR'TNT est né sur un coup d'enthousiasme après le feu d'un concert de BURNING DUST le 25 avril 2009. Un simple feuillet intermittent envoyé par la poste ou passé de la main à la main à divers amis. Confidentiel. L'intention première était de se contraindre à une parution régulière et hebdomadaire mais le coeur a failli à l'ouvrage... Dès le numéro 1 nous faisions la promesse de le mettre à la portée de tous les amateurs sur le net. Tout arrive pour qui sait attendre !
Le rock est un vaste pays aux multiples provinces. Nous n'avons pas l'intention de les explorer toutes. A peine nous contenterons-nous d'en visiter quelques unes. Blues, country, rythm'n'blues, rock'n'roll, pionniers, hard, punk, punkabilly, rockabilly, sous toutes leurs déclinaisons adjacentes et résurgentes... Disques, livres, concerts, documents, témoignages, interviews et réflexions, nous ne serons, faute de moyens, jamais exhaustifs, mais nous entendons tout de même tracer comme une arabesque hommagiale et signifiante.
Le numéro 18 étrenne donc notre blog'n'roll. ( Pour les collectionneurs fous nous l'avons fait précéder des dix-sept livraisons papier. ) Est-ce un pur hasard s'il est consacré à la mythique figure de GENE VINCENT ?
Keep Rockin' Till Next Times !
GENE VINCENT
DIEU DU ROCK'N'ROLL
JEAN-WILLIAM THOURY
400 pp. 30 €. Août 2010. CAMION BLANC.
A rendre malades les ricains et les rosbifs, deux gros livres sur Gene Vincent coup sur coup ( voir KR'TNT ¤ 16 ) en douce France. Va falloir qu'ils se mettent à la langue de Voltaire plus vite que prévu. Enfin nous tenons notre vengeance, pauvres petits froggies obligés depuis cinquante ans que le rock'n'roll dure à nous farcir tout un fatras d' incompréhensibles hiéroglyphes avec notre anglais scolaire de seconde zone.
Jean-William Thoury n'est pas né de la dernière pluie. Il était déjà présent le 27 janvier 1963 au Palais des Sports à Paris. C'est dire s'il connaît la musique ! Son nom traîne dans les revues depuis un demi-siècle mais pour le grand public il reste avant tout le quatrième homme, l'éminence rock'n'rollienne, non point grise mais flamboyante, du groupe Bijou. J'avons toujours pensé que la dissolution de Bijou au début des fatales eighties fut une catastrophe pour le futur du rock'n'roll français, mais ceci est une autre histoire. Que l'on ne refait pas.
Donc un livre sur Gene Vincent. Une biographie qui colle au plus près de la chronologie de l'idole, a book dates with Gene Vincent en quelque sorte. Une vie pleine comme un oeuf. Dur. Quoique un peu mollet de la jambe. Si pleine que l'on comprend que Jean-William Thoury ne s'encombre pas de fioritures. D'abord et avant tout des faits bruts. Des noms, des lieux, des dates. Et puis les addendas : impossible de rencontrer un quidam du showbiz sans que Thoury ne nous donne une vue de sa vie passée, contemporaine et future en de courtes notules qui recèlent l'essentiel de ce qu'il faut savoir. Idem pour la discographie, chaque parution signalée pour les USA, l'Angleterre et la France, analysée titre par titre dans l'ordre de leur enregistrement et l'impact sur le public et le milieu professionnel.
Cette érudition a son explication psychologique. L'on a tant glosé sur le personnage de Gene que Jean-William Thoury prend ses précautions. S'il est sûr que l'on ne prête qu'aux riches il est tout autant vrai que l'on n'accable que les malheureux. Thoury refuse de céder aux racontars post-mortem de la légende. Pas question pour lui de se laisser bouffer par le mythe. Les faits parlent d'eux-mêmes. Il est inutile d'en rajouter. Ne rien retrancher non plus. Gene n'était pas un ange. Ou alors, comme chacun de nous, déchu. Et peut-être même un tout petit peu plus déchu que la moyenne. Mais uniquement par rapport à la naïve grandeur de ses propres rêves.
Page après page de ces milliers d'informations obstinément recueillies et ordonnées se dégage tout de même un portrait des plus attachants. Ce qui saute aux yeux, et cela personne, que l'on idolâtre ou déteste l'homme, ne le niera, c'est que du début à la fin, Gene est resté fidèle et égal à lui-même. A good guy, un bon gars comme l'on dit, avec tout ce que cette formule laisse sous-entendre de dédain péjoratif. Les méchants à la parole incisive le traiteront de beauf parfait, d'un naturel jaloux alors que lui-même ne se gêne ( Vincent ) pas pour... qui chez lui passait son temps à se gaver de séries TV et à s'adonner à de brutaux mélanges d'alcool et de pilules. Encore pire lorsqu'il sortait, irascible, soupçonneux, violent, toujours prêt à vous sortir de sa poche une arme chargée et comble de ringardise absolue, doté d'un humour des plus lourds.
Jean-William Thoury remet les pendules à l'heure. L'alcool et les médicaments n'étaient qu'un palliatif à la douleur de la blessure jamais stabilisée. A cause de ces deux béquilles Gene pouvait être victime de sautes d'humeur assez déstabilisantes pour son entourage. Avec les difficultés et les pensions alimentaires qui sont devenues de plus en plus prégnantes lorsque les revenus ont commencé à baisser, et les hommes de loi de plus en plus insistants, sont apparues des tendances paranoïaques qui ne sont pas faciles à gérer pour les proches.
Il sait être calme, gentil et serein. La majeure partie de ceux qui sont entrés en relation avec lui gardent le souvenir d'une personne placide. Mais c'est aussi et avant tout un rocker. Ne vous plaignez pas si votre rhinocéros a écrasé votre voiture, achetez-vous un cochon d'Inde. C'est moins dangereux. Gene porte la tourmente du rock'n'roll au fond de lui, il peut faire preuve de calme mais parfois l'orage éclate. Crise ( aigüe ) de couple, il est capable de menacer la belle-mère avec un revolver. L'on a vu James Brown poursuivre sa femme dans la rue le pistolet à la main, et l'on n'en fait pas un fromage. Gene se contente de porter plainte pour persécution psychologique. Trait d'esprit digne de l'Anthologie de l'humour noir du surréalisme.
Mais cet homme est avant tout un immense artiste. Lui qui définit les axiomes de base du rock'n'roll refuse de se scléroser. Ses derniers disques ne se répètent pas. Au grand dam d'une partie de ses fans qui restent englués dans un passé mythifié et révolu. Il va de l'avant, essayant avant tout de préserver, non pas la forme, mais l'esprit et l'essence. Certes l'on peut regretter qu'il n'ait jamais eu assez d'argent pour entretenir un véritable groupe. Il n'aurait alors pas eu à s'épuiser set après set à transcender des réunions aléatoires de musiciens, l'on n'ose même pas imaginer ce qu'il aurait pu donner, inventer et créer, porté, soutenu et poussé dans ses retranchements par des musiciens dignes de ce nom.
Ce livre est à dévorer. Jean-William Thoury a pris le parti de ne pas céder à sa passion de fan. Nous lui donnons raison. Le génie de Gene se détache d'autant plus que la froide et méthodique objectivité des constats établis s'éloigne de tout romantisme exacerbé. Notons tout de même que pas une seule fois, même dans les situations où Gene n'apparaît pas sous son meilleur jour, l'auteur ne se départit d'un immense respect pour le musicien exceptionnel que fut Gene Vincent. Thoury n'excuse rien mais explicite tout. Le lecteur est assez grand pour se débrouiller tout seul.
Il est un aspect du rock'n'roller sur lequel Thoury insiste beaucoup : la solitude. Il peut prêter à sourire que malgré une existence menée à deux cents à l'heure et quelques crises de folie furieuse, Gene Vincent ait pu en ses moments de plus grande lucidité se définir comme un métaphysicien. C'est pourtant en y réfléchissant la plus parfaite et plus honnête définition du chanteur. Il suffit de prêter l'oreille à ses plus beaux morceaux pour entendre ce qu'il voulait dire. L'art de Gene est au-delà de la commune mesure. Et à ce niveau-là nous sommes plus loin que le rock'n'roll. Que ce soit un monstre à la Pink thunderbird ou une bluette à la Under the rainbow, Gene Vincent est au-delà du chant dans les régions élyséennes de la beauté absolue. La solitude est donc là dès le début, malgré le succès fou, l'argent facile et les filles consentantes.
L'on a tendance à expliquer le supérieur par l'inférieur. C'est à cause de sa jambe malade que Gene aurait développé son jeu de scène si particulier. C'est tout le contraire. C'est parce qu'il était habité d'une démesure inhabituelle qu'il a incarné celle-ci dans une posture rituelle singulière. C'est d'ailleurs cela le grand art du rock'n'roll une ritualisation poétique coulée dans un spectacle de cirque.
Avec en plus à la fin de la présentation, la passation à la caisse. La sordide réalité reprend ses droits. Mais Gene a toujours su se comporter comme un prince. L'argent lui filait des mains. Certains ont su profiter de sa générosité, d'autres l'ont escroqué mais cela fait partie du jeu. De toutes les manières cet enfant de pauvre n'avait pas l'âme bourgeoise. Pas question pour lui de thésauriser, de faire des économies, de placer sa monnaie à l'abri du Capital. Quand il est mort le roi était nu mais couvert de dettes. C'est pourtant nous qui survivons qui avons de drôles de créances à son égard. Gene a beaucoup plus donné de beauté au monde qu'il n'a pris de sa laideur.
Merci à Jean-William Thoury pour ce livre magnifique. Le fait qu'il soit sorti dans une collection qui compte plus d'une centaines de bouquins traitant de tous les âges et de tous les styles du rock permettra à de nouvelles générations de se connecter avec cet immense chanteur.
Dam Chad
14:48 | Lien permanent | Commentaires (0)
KR'TNT ¤ 17.
KR'TNT ¤ 17
ROCK'N'ROLL CLANDESTZINE FLYER / N° 17 / 22 / 06 / 2010
A ROCK-LIT PRODUCTION
ROMANS NOIRS & BLOUSONS
PAS DE CHARENTAISES POUR EDDIE COCHRAN
PATRICE LEMIRE.
372 pp. FOLIO 2002. N° 3639.
Avec un titre comme ça on pouvait pas ne pas aller voir. On a juste dix ans de retard, c'était sorti en 2000 aux Editions du Rocher. Un polar, un bon polar même, mais question Eddie Cochran, c'est un peu juste et très vite la horde sauvage des six chevaucheurs de provinciales mobylettes s'emberlificotent dans un tourbillon de gros ennuis qui leur tombent dessus si brutalement qu'ils ne trouvent plus le temps de penser à leur idole préférée.
L'idée de départ partait d'un bon sentiment. Mettre le feu à trois avions garés en bout de piste d'un aérodrome perdu dans la campagne pour venger la mort d'Eddie décédé dans un accident de taxi qui roulait à tout allure pour ne pas rater son vol pour les USA. Entre nous soit dit il aurait été plus logique qu'ils immolassent dans les flammes un entrepôt de taxis, cela leur aurait évité de mettre les doigts dans un sacré engrenage qui remontait jusqu'en Co(co)lombie.
Je ne vous raconte pas la suite, les charentaises d'Eddie sont justes une amorce ronflante pour appâter le client, et je vous laisse le plaisir de découvrir la suite des aventures de nos pieds nikelés en sortie d'adolescence... Le blouson noir avec l'aigle sur le dos sera vite remisé dans le placard aux illusions perdues.
Patrice Lemire vous promène un scalpel au vitriol sur la société française. De l'ouvrier au patron d'entreprise, du plus jeune au plus vieux, du petit fonctionnaire aux hommes de main, il n'y en a pas un qui pourrait racheter l'autre. Tout le monde est circonscrit dans sa petite médiocrité personnelle et chacun est englué dans la toile d'araignée sociale. On interprète sans talent un rôle convenu... Heureusement qu'Eddie Cochran est mort avant de s'en être aperçu. Pour les survivants, il n'existe aucune remédiation à la dérisoire catastrophe de l'existence humaine.
CLASSE DANGEREUSE
PATRICK GRENIER DE LASSAGNE
176 pp. LA MANUFACTURE DE LIVRES. Janvier 2010.
Cliquez sur www.classedangereuse.com et vous aurez droit à l'interview de l'auteur sur fond de Gene Vincent et consorts, le bonus photos et la bande son crée spécialement pour le bouquin. Patrick Grenier de Lassagne s'est-il aperçu que le manque de musique était la seule écorniflure qui déparait un peu le noir blouson de son écriture ? Bien sûr on relève les noms de Cliff Richard et d'Eddie Cochran et nous filons à fond la caisse au concert live de Crazy Cavan mais le rock des pionniers est entendu comme une donnée qui coule de soi, qui n'a besoin d'aucun commentaire. Une espèce de tradition culturelle si bien ancrée dans les (gé)gênes du lumpen prolétariat français qu'il se perpétuerait par la seule grâce du onzième commandement de droit divin selon lequel rock'n'roll will never die.
Nous le regrettons d'autant plus que le titre du livre indique une certaine propension à analyser la thématique en suivant une optique pour le moins sociologique. Mais il faut dire que Patrick Grenier de Lassagne, pas plus que son héros narratif dans lequel il a investi une partie de son vécu personnel, n'a le temps de réfléchir. Le livre commence sur les chapeaux de roue, sur l'anneau de la mort de Rungis. OK Corral et OK Carole. Ou le premier cercle de l'enfer si vous préférez. Ensuite, c'est à tout berzingue qu'il faut se taper le reste des circonvolutions ténébreuses de notre bande de pieds nikelés. A coups de chaînes à vélos et de santiags. Du rire, du sang, de la sueur, de la mort et pire encore l'infinie certitude de ne jamais trouver la sortie. Pour la simple et bonne raison que le rond-point de la vie dans lequel ils se sont engouffrés au seuil de leur adolescence ne possède aucune voie de dégagement. A part le cimetière et la prison, ce qui n'est pas l'idéal pour la santé.
L'histoire d'une bande, plutôt d'une poignée de copains, prêts à toutes les conneries de la vie et à toutes les ardoises de la société. Des hors-la-loi, des contestataires de la contestation organisée, qui ne font confiance à personne surtout pas à ceux qui leur ressemblent le plus. Entre rockers, teddies, hells et autres tribus ce n'est ni l'union sacrée contre la bourgeoisie ni la constitution de l'internationale des voyous qui priment ! Chacun pour soi et quelques copains. Les cellules de base ne s'agrègent point. C'est peut-être même entre elles qu'elles déchargent le plus d'agressivité. Les semblables se repoussent plus qu'ils ne s'attirent. Dans l'algèbre des outlaws, moins par moins n'égale pas plus !
Nos temps actuels connaissent les mêmes problématiques. Nous ne parlons plus de baston et de bagarres mais de guerre de gangs et de guerre de cités. Les enjeux ne sont plus les mêmes, les rockies - ces bandes de néo rockers qui se sont formées durant une dizaine d'années entre 1975 et 1985 reprenant le flambeau des premières bandes de rockers issues des années soixante - jouaient encore dans la cour hugolienne des petits miracles. Incivilités, chahuts, vols à la roulotte, tirages de tires, casses d'amateurs, échauffourées avec les flics, dépouille au cran d'arrêt, un bon début de chemin qui pouvait vous mener vers le grand banditisme, mais la plupart des lascars s'arrêtaient avant. Boulot, gerce, gosses, la jeunesse s'englue plus facilement que l'on ne croit dans la merde existentielle...
Aujourd'hui le trafic de la drogue a changé la donne. Le bisness a remplacé la saine émulation de la bagarre entre pots ( pourris ). Nos actuels voyous de banlieues détiennent l'arme absolue que leurs lointains devanciers ne possédaient pas : le nerf de la guerre. L'on gagne beaucoup plus d'argent en revendant un kilo de cocaïne qu'en refourguant un blouson chouravé trois blocs d'immeubles en aval. De la revente sous le manteau l'on est passé à l'économie de marché. Le rap a détrôné la foire et le rock.
Que sont devenues nos bandes de blousons noirs et de rockies ? Se sont-elles dissoutes dans la société libérale comme le sucre dans la pisse de chat ? Pas vraiment, elles existent encore, regroupées autour de musiciens et de combos à la notoriété plus ou moins épisodique. Etrangement, c'est cinquante après la naissance de son style musical que le mouvement rock n'a jamais été aussi près de sa musique !
Reste qu'il y a trente années de cela la voie était sans issue. Notre narratophile s'en sortira en s'enfuyant comme un voleur. C'est ainsi que les rats quittent le navire. Après avoir immergé sa bécane au fond du canal il change de trottoir à tout jamais. Salut les copains, je m'en vais voir ailleurs ce que je deviens.
Imaginons qu'il soit devenu écrivain ? Serait-ce une trahison ? Comment s'arrange-t-il en privé avec sa conscience. De classe ? Broie-t-il parfois du noir ? Entre la nostalgie du temps perdu et la peau tendue de l'écriture comment assure-t-il son indépendance ? Patrick Grenier de Lassagne joue-t-il souvent au cat et à la souris avec ses phantasmes et son passé ? De toutes les manières rien en ce bas monde n'est perfecto.
DAM CHAD.
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