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16/09/2010

KR'TNT ¤ 18.

 

KR'TNT ¤ 18

LIVRAISON DU 16 / 09 / 2010

A ROCK LIT BLOG'N'ROLL

 

EDITROCK

 

KR'TNT est né sur un coup d'enthousiasme après le feu d'un concert de BURNING DUST le 25 avril 2009. Un simple feuillet intermittent envoyé par la poste ou passé de la main à la main à divers amis. Confidentiel. L'intention première était de se contraindre à une parution régulière et hebdomadaire mais le coeur a failli à l'ouvrage... Dès le numéro 1 nous faisions la promesse de le mettre à la portée de tous les amateurs sur le net. Tout arrive pour qui sait attendre !

 

Le rock est un vaste pays aux multiples provinces. Nous n'avons pas l'intention de les explorer toutes. A peine nous contenterons-nous d'en visiter quelques unes. Blues, country, rythm'n'blues, rock'n'roll, pionniers, hard, punk, punkabilly, rockabilly, sous toutes leurs déclinaisons adjacentes et résurgentes... Disques, livres, concerts, documents, témoignages, interviews et réflexions, nous ne serons, faute de moyens, jamais exhaustifs, mais nous entendons tout de même tracer comme une arabesque hommagiale et signifiante.

 

Le numéro 18 étrenne donc notre blog'n'roll. ( Pour les collectionneurs fous nous l'avons fait précéder des dix-sept livraisons papier. ) Est-ce un pur hasard s'il est consacré à la mythique figure de GENE VINCENT ?

Keep Rockin' Till Next Times !


 

GENE VINCENT

DIEU DU ROCK'N'ROLL

JEAN-WILLIAM THOURY

 

400 pp. 30 €. Août 2010. CAMION BLANC.

 

A rendre malades les ricains et les rosbifs, deux gros livres sur Gene Vincent coup sur coup ( voir KR'TNT ¤ 16 ) en douce France. Va falloir qu'ils se mettent à la langue de Voltaire plus vite que prévu. Enfin nous tenons notre vengeance, pauvres petits froggies obligés depuis cinquante ans que le rock'n'roll dure à nous farcir tout un fatras d' incompréhensibles hiéroglyphes avec notre anglais scolaire de seconde zone.

 

Jean-William Thoury n'est pas né de la dernière pluie. Il était déjà présent le 27 janvier 1963 au Palais des Sports à Paris. C'est dire s'il connaît la musique ! Son nom traîne dans les revues depuis un demi-siècle mais pour le grand public il reste avant tout le quatrième homme, l'éminence rock'n'rollienne, non point grise mais flamboyante, du groupe Bijou. J'avons toujours pensé que la dissolution de Bijou au début des fatales eighties fut une catastrophe pour le futur du rock'n'roll français, mais ceci est une autre histoire. Que l'on ne refait pas.

 

Donc un livre sur Gene Vincent. Une biographie qui colle au plus près de la chronologie de l'idole, a book dates with Gene Vincent en quelque sorte. Une vie pleine comme un oeuf. Dur. Quoique un peu mollet de la jambe. Si pleine que l'on comprend que Jean-William Thoury ne s'encombre pas de fioritures. D'abord et avant tout des faits bruts. Des noms, des lieux, des dates. Et puis les addendas : impossible de rencontrer un quidam du showbiz sans que Thoury ne nous donne une vue de sa vie passée, contemporaine et future en de courtes notules qui recèlent l'essentiel de ce qu'il faut savoir. Idem pour la discographie, chaque parution signalée pour les USA, l'Angleterre et la France, analysée titre par titre dans l'ordre de leur enregistrement et l'impact sur le public et le milieu professionnel.

 

Cette érudition a son explication psychologique. L'on a tant glosé sur le personnage de Gene que Jean-William Thoury prend ses précautions. S'il est sûr que l'on ne prête qu'aux riches il est tout autant vrai que l'on n'accable que les malheureux. Thoury refuse de céder aux racontars post-mortem de la légende. Pas question pour lui de se laisser bouffer par le mythe. Les faits parlent d'eux-mêmes. Il est inutile d'en rajouter. Ne rien retrancher non plus. Gene n'était pas un ange. Ou alors, comme chacun de nous, déchu. Et peut-être même un tout petit peu plus déchu que la moyenne. Mais uniquement par rapport à la naïve grandeur de ses propres rêves.

 

Page après page de ces milliers d'informations obstinément recueillies et ordonnées se dégage tout de même un portrait des plus attachants. Ce qui saute aux yeux, et cela personne, que l'on idolâtre ou déteste l'homme, ne le niera, c'est que du début à la fin, Gene est resté fidèle et égal à lui-même. A good guy, un bon gars comme l'on dit, avec tout ce que cette formule laisse sous-entendre de dédain péjoratif. Les méchants à la parole incisive le traiteront de beauf parfait, d'un naturel jaloux alors que lui-même ne se gêne ( Vincent ) pas pour... qui chez lui passait son temps à se gaver de séries TV et à s'adonner à de brutaux mélanges d'alcool et de pilules. Encore pire lorsqu'il sortait, irascible, soupçonneux, violent, toujours prêt à vous sortir de sa poche une arme chargée et comble de ringardise absolue, doté d'un humour des plus lourds.

 

Jean-William Thoury remet les pendules à l'heure. L'alcool et les médicaments n'étaient qu'un palliatif à la douleur de la blessure jamais stabilisée. A cause de ces deux béquilles Gene pouvait être victime de sautes d'humeur assez déstabilisantes pour son entourage. Avec les difficultés et les pensions alimentaires qui sont devenues de plus en plus prégnantes lorsque les revenus ont commencé à baisser, et les hommes de loi de plus en plus insistants, sont apparues des tendances paranoïaques qui ne sont pas faciles à gérer pour les proches.

 

Il sait être calme, gentil et serein. La majeure partie de ceux qui sont entrés en relation avec lui gardent le souvenir d'une personne placide. Mais c'est aussi et avant tout un rocker. Ne vous plaignez pas si votre rhinocéros a écrasé votre voiture, achetez-vous un cochon d'Inde. C'est moins dangereux. Gene porte la tourmente du rock'n'roll au fond de lui, il peut faire preuve de calme mais parfois l'orage éclate. Crise ( aigüe ) de couple, il est capable de menacer la belle-mère avec un revolver. L'on a vu James Brown poursuivre sa femme dans la rue le pistolet à la main, et l'on n'en fait pas un fromage. Gene se contente de porter plainte pour persécution psychologique. Trait d'esprit digne de l'Anthologie de l'humour noir du surréalisme.

 

Mais cet homme est avant tout un immense artiste. Lui qui définit les axiomes de base du rock'n'roll refuse de se scléroser. Ses derniers disques ne se répètent pas. Au grand dam d'une partie de ses fans qui restent englués dans un passé mythifié et révolu. Il va de l'avant, essayant avant tout de préserver, non pas la forme, mais l'esprit et l'essence. Certes l'on peut regretter qu'il n'ait jamais eu assez d'argent pour entretenir un véritable groupe. Il n'aurait alors pas eu à s'épuiser set après set à transcender des réunions aléatoires de musiciens, l'on n'ose même pas imaginer ce qu'il aurait pu donner, inventer et créer, porté, soutenu et poussé dans ses retranchements par des musiciens dignes de ce nom.

 

Ce livre est à dévorer. Jean-William Thoury a pris le parti de ne pas céder à sa passion de fan. Nous lui donnons raison. Le génie de Gene se détache d'autant plus que la froide et méthodique objectivité des constats établis s'éloigne de tout romantisme exacerbé. Notons tout de même que pas une seule fois, même dans les situations où Gene n'apparaît pas sous son meilleur jour, l'auteur ne se départit d'un immense respect pour le musicien exceptionnel que fut Gene Vincent. Thoury n'excuse rien mais explicite tout. Le lecteur est assez grand pour se débrouiller tout seul.

 

Il est un aspect du rock'n'roller sur lequel Thoury insiste beaucoup : la solitude. Il peut prêter à sourire que malgré une existence menée à deux cents à l'heure et quelques crises de folie furieuse, Gene Vincent ait pu en ses moments de plus grande lucidité se définir comme un métaphysicien. C'est pourtant en y réfléchissant la plus parfaite et plus honnête définition du chanteur. Il suffit de prêter l'oreille à ses plus beaux morceaux pour entendre ce qu'il voulait dire. L'art de Gene est au-delà de la commune mesure. Et à ce niveau-là nous sommes plus loin que le rock'n'roll. Que ce soit un monstre à la Pink thunderbird ou une bluette à la Under the rainbow, Gene Vincent est au-delà du chant dans les régions élyséennes de la beauté absolue. La solitude est donc là dès le début, malgré le succès fou, l'argent facile et les filles consentantes.

 

L'on a tendance à expliquer le supérieur par l'inférieur. C'est à cause de sa jambe malade que Gene aurait développé son jeu de scène si particulier. C'est tout le contraire. C'est parce qu'il était habité d'une démesure inhabituelle qu'il a incarné celle-ci dans une posture rituelle singulière. C'est d'ailleurs cela le grand art du rock'n'roll une ritualisation poétique coulée dans un spectacle de cirque.

 

Avec en plus à la fin de la présentation, la passation à la caisse. La sordide réalité reprend ses droits. Mais Gene a toujours su se comporter comme un prince. L'argent lui filait des mains. Certains ont su profiter de sa générosité, d'autres l'ont escroqué mais cela fait partie du jeu. De toutes les manières cet enfant de pauvre n'avait pas l'âme bourgeoise. Pas question pour lui de thésauriser, de faire des économies, de placer sa monnaie à l'abri du Capital. Quand il est mort le roi était nu mais couvert de dettes. C'est pourtant nous qui survivons qui avons de drôles de créances à son égard. Gene a beaucoup plus donné de beauté au monde qu'il n'a pris de sa laideur.

 

Merci à Jean-William Thoury pour ce livre magnifique. Le fait qu'il soit sorti dans une collection qui compte plus d'une centaines de bouquins traitant de tous les âges et de tous les styles du rock permettra à de nouvelles générations de se connecter avec cet immense chanteur.

 

Dam Chad

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