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22/02/2016

KR'TNT ! ¤ 270 : KEITH RICHARDS OVERDOSE / HOWLIN' JAWS / NELSON CARRERA + SCOUNDRELS / YANN THE CORRUP TED / JAKE CALYPSO / LES ENNUIS COMMENCENT / NAKHT / FALLEN EIGHT

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 270

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

25 / 02 / 2016

 
KEITH RICHARDS OVERDOSE

NELSON CARRERA & THE SCOUDRELS

YANN THE CORRUP TED / JAKE CALYPSO

LES ENNUIS COMMENCENT / NAKHT

FALLEN EIGHT / HOWLIN' JAWS

 

04 / 12 / 2015

L'ESCALE / LE HAVRE ( 76 )

KEITH RICHARDS OVERDOSE

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UNE BONNE DOSE DE KEITH

RICHARDS OVERDOSE

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Ça remonte au temps où Born Bad se trouvait encore rue Keller. Deux choses vous mettaient en transe : le mur des nouveautés et bien sûr les bacs à thèmes : garage, surf, soul, punk, blues et rockabilly. On y piochait un mélange de nouveautés pointues et d’occases de rêve à 13 euros. Born Bad était pour ceux qui avaient fréquenté Rock On à Londres la suite logique. Et pendant qu’on farfouillait dans les bacs, Iwan passait des disques. Il passait bien sûr des trucs intéressants et les oreilles des lapins blancs se dressaient. Franchement, il régnait dans cette boutique une ambiance idéale. Pour les petits rockers de banlieue, c’était tout simplement la caverne d’Ali-Baba.

Un jour, alors que je sortais des bacs des beaux pressages américains de Dick Dale et toute une série d’occases des Chesterfield Kings, j’entendis un truc encore plus terrible que ce qu’on entendait habituellement, du garage-punk, mais avec un son sourd auquel nous n’étions pas habitués. Direction le comptoir.

— C’est qui qu’on entend ?

Il montre la pochette, avec la photo en noir et blanc. Je n’en reviens pas !

— Keith Richards Overdose ? Ça alors ! Le vieux Keef il a de l’humour !

— Mais non, c’est pas Keef, c’est des Marseillais !

— Quoi ? Des Français avec un son pareil ?

— Oui des anciens Hatepinks !

— Fantastique ! Il est à vendre ?

— T’as de la chance, il en reste un...

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L’album est solide, c’est le moins qu’on puisse dire ! Les Marseillais naviguent au même niveau que leurs compatriotes les Cowboys, dans les couches de son plein et dans le bon bal des influences. Ils nous happent dès «Rocking At The House Of Blue Lights» avec un punk-rock sourd et torride, bombasté à la vieille mode. On retrouve ce sourdisme de son dans «Chain Reaction Honey», et ça vire crampsy sans prévenir, avec une basse qui mène le binz par le bout du nez. C’est un excellent disque d’attaque frontale, comme le confirme «Hot Blood». On pense à l’album des Loyalties, perdu dans le fog de l’underground anglais - Hot blood I love you so ! - On reste dans la belle attaque avec «Skinny Jeans», torché à la belle énergie des ouh et des ah ! Le rock des KRO est d’une incroyable solidité. On retrouve chez eux toute la belle niaque des Cowboys From Outerspace. Cet album est vraiment excitant, bardé de gros climats pathogènes et d’excès d’oh yeah ! «Never Been Good With Math» est joué à l’excès de jus Gun Club/Gallon Drunk et noyé au plus profond des pires torpeurs atmosphériques. De l’autre côté, on trouve une reprise bien enlevée de «Hippy Hippy Shake» puis un stupéfiant «Walking The Frog», punkoïde au possible - Oh c’mon ! - C’est une vraie fournaise ! Les Overdoses pataugent dans l’excellence de la démence et ils font monter la mayo des c’mon jusqu’à l’apothéose. Avec «Try This», on se croirait chez les Who de «Live At Leeds» ! Ils nous plaquent carrément les accords de «Substitute» ! Encore une fameuse pétaudière avec «Scatman» et ils referment la marche avec un faramineux «1234 & Again» chanté au bon boogaloo et terrible de présence indigène.

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Les années passent et voilà que se produit un petit événement. Oh, ça ne fera pas la une des journaux, mais c’est un petit événement quand même. D’autant plus important qu’il est double. On apprend en effet la réouverture de l’Escale, un bon bar rock du Havre avec au programme nos amis marseillais. Il n’en faut pas davantage pour renouer avec ce vieux sentiment d’excitation qu’on éprouve chaque fois qu’un bon concert est annoncé. Le boss de l’Escale a refait sa salle à neuf et c’est presque devenu luxueux. Endroit idéal pour un groupe garage comme Keith Richards Overdose. Et petite cerise sur le gâteau, la salle est pleine.

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Sur scène, les Marseillais offrent un surprenant mélange de stonesy et de garage-punk, le tout bien soutenu au beat. Avec son maillot rayé et son ancre de marine tatouée sur le bras, le chanteur renvoie à l’univers visuel des Dolls, d’autant qu’il joue sur une grosse White Falcon, comme jadis Sylvain Sylvain. Le parallèle avec les Dolls est flagrant, et on repense à cette assurance qu’affichaient Sylvain et Johnny Thunders, lorsqu’ils plaquaient leurs accords en tordant leurs bouches, eh oui, ils savaient au plus profond d’eux-mêmes (deep inside their hearts) qu’ils jouaient dans le meilleur groupe de rock du monde, à l’époque. On retrouve la trace de cette assurance chez le Marseillais, car il semble véritablement possédé lorsqu’il claque ses accords en hurlant ses refrains. Ce mec est un pur rock’n’roll animal, un porteur de flambeau, l’héritier d’une lignée de puristes qui remonte aux Dolls et aux early Stones.

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Ce mec sait ruisseler comme Little Richard et montrer son cul comme Iggy Stooge. Il peut faire le con sur scène, sauter dans le public, il a derrière lui une section rythmique infaillible et un transfuge des mighty Holy Curse en support guitaristique. Leur objectif semble se limiter à offrir un bon set de rock aux Havrais, ce qui est en soi le plus louable des objectifs. C’est aussi l’occasion de vérifier une fois de plus que l’avenir du rock se trouve dans les bars, plutôt que dans les stades.

KEITH RICHARDS OVERDOSE, HOWLIN' JAWS, NELSON CARRERA AND THE SCOUNDRELS . YANN THE CORRUP TED,  JAKE CALYPSO / LES ENNUIS COMMENCENT, NAKHT, FALLEN EIGHT

Le deuxième album des Marseillais vient de paraître sur Closer, avec une pochette ornée du Jolly Rodger des junkies : un crâne et deux seringues croisées en guise de tibias. Joli titre : «Kryptonite Is Alright». Ils attaquent avec «If I Was You», ce slow super frotteur qui fit des ravages pendant le set du Havre. On pense bien sûr au slow super-frotteur des Oblivians. L’ensemble de l’album est très rock’n’roll. La plupart des cuts sont montés sur des structures classiques, mais si on ne retrouve pas le son du premier album, on croise au coin du bois la belle tension qui faisait son charme. Ils ornent «Ton Punk Rock De Vieille» d’un beau solo suspensif et bouclent la face avec «Fifteen Sixteen», amené au parti-pris de stonesy et doté d’un beau background dollsy. Ce cut inspiré vaut pour le hit du disque, d’autant qu’on sent battre sous la peau le pouls des Dolls. De l’autre côté se niche un fantastique balladif intitulé «So You Say You Lost Your Baby» et on tombe plus loin sur l’excellent «Hold Me Tony», nerveux et bien goulu. On voit bien qu’ils cherchent leur voie sans trop se casser la tête. Ils bouclent avec un «Worse Things I Could Do To You» servi sur un plateau par l’intro de basse du grand Nasser. Ce cut fit lui aussi quelques ravages lors du set, car il fonctionne à l’insidieuse.

Signé : Cazengler, aux verres dose

Keith Richards Overdose. L’Escale. Le Havre (76). 4 décembre 2015

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Keith Richards Overdose. ST. Scanner Records 2011

Keith Richards Overdose. Krytonite Is Alright. Closer Records 2015

19 – 02 – 2016
ROCK'N'BOAT

LA PATACHE / PONT DE L'ALMA

 

HOWLIN' JAWS /

 

NELSON CARRERA & THE SCOUNDRELS

YANN THE CORRUPTED

 JAKE CALYPSO

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Finissons de faire les zouaves, dare-dare au Pont de l'Alma, pour prendre à l'abordage La Patache à l'attache le long du quai. D'abord franchir la muraille de Chine des touristes made in Hong Kong qui rejoignent leur car, ensuite s'engouffrer au galop dans le navire amiral du rockabilly. Pas le temps de le parcourir jusqu'à la poupe pour saluer amis et connaissances que Bernard Soufflet l'organisateur de l'évènement présente déjà les Howlin' Jaws. Comme un rocker normalement constitué ne rate jamais un gig des Howlin' je me faufile au premier rang. Non sans difficulté, car il y a du monde.


HOWLIN'JAWS

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Même si vous ne les connaissez pas, je vous donne le truc pour les reconnaître. Sont le seul groupe du monde à arborer fièrement une casquette à hélice – allusion hélicoïdale à la structure de l'ADN, ou apparition du complexe de l'hélicoptère à ajouter aux analyses freudiennes ? : les savants n'ont pas encore résolu le problème – sur la tête. Le grand sur votre droite, incliné sur sa contrebasse c'est Djivan, he's the one in his red blue-jean, au fond au milieu, baguette à la main, non ce n'est pas le chef d'orchestre, c'est la batteur Mathieu qui ne croit qu'en ce sur quoi il cogne ( dur ). Enfin the last but not the least, c'est Lucas (grave) penché sur son instrument, l'esquire exquis de la squier guitar. Avant de lâcher les fauves, je vous explique le comportement de ces félins. Comptez dix minutes de déchaînement absolu. Vous êtes en train de sortir votre portable de la poche pour alerter les autorités, lorsque tout se calme, comme par magie. Silence absolu. Apparemment nos lascars ont quelque chose de plus important à faire. C'est au choix. Ou Djivan, ou Lucas. Il tire son peigne de sa poche arrière et entreprend de lisser ses cheveux en arrière. Ne poussent pas le vice jusqu'à se regarder dans une glace, et c'est brusquement reparti pour un quart d'heure de pur bonheur. Pour ceux qui aiment le grabuge au mètre cube.

Quatre groupes, alors autant mettre la barre au plus haut tout de suite. Les Howlin' détestent les gradations lentes. Appliquent un principe des plus simples, en dix secondes vous devez être au maximum. Ensuite, toujours en rajouter. Ne jamais baisser en intensité. Pour bien montrer qui ils sont, ils tapent en majorité dans leur répertoire original. Ils sont les Howlin, aux dents longues, et le public ne manque pas de mordre à l'hameçon.

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Djivan est au chant et Mathieu au tambour. Lucas est partout. Les deux acolytes lui fournissent la toile, écrue, épaisse, une véritable voile de clipper taillée pour les vents d'orage, et c'est Lucas qui dessine dessus les têtes de mort et les sabres d'abordage. Pirate au long cours qui ne fait pas de prisonnier. N'est à l'aise que dans les combats rapprochés. Bondit sur le devant de la scène et vous tire quelques boulets juste dans la soute à munitions pour vous faire sauter le caisson. C'est un retors, vous a toujours l'intervention de trop, celle qui vous fait chavirer de joie, la lame du poignard qui pénètre droit dans votre coeur sans crier gare. Et Djivan qui ricane des chants de matelots à vous glacer d'horreur l'âme de Baudelaire. Derrière Mathieu crashe boume et hue comme un forcené. Impulse le rythme, droit à la lame, ne pas faiblir, ne pas mollir, lorsque l'on a déchaîné la tempête faut assumer. Et il assomme à tour de bras. Djivan déchire the big mamamita – elle va mourir mais il s'en soucie comme de son premier radeau.

Revoilà Lucas, on ne l'avait pas oublié avec ces notes qui nous déchirent le cerveau sans pitié, ce gars il est dangereux, il vous trépane jusqu'au bulbe rachidien et vous l'applaudissez des deux mains comme un zombie stupide. Les Howlin n'ont pas cassé la baraque, ils ont réduit les planches en poudre. Et plus ils vous dézinguent plus la masse des spectateurs s'appesantit sur le devant de la scène.

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Difficile de rêver mieux comme entrée en matière. C'est comme pour Le Vaisseau Fantôme de Wagner l'on risque de ne se souvenir que du prélude. Les Jaws nous ont pulvérisés. Un set d'une intensité incroyable. Sans bla-bla, sans chiquet, trois musiciens et leur musique. Le problème pour les hypothétiques lecteurs qui n'aimeraient pas, c'est qu'ils ne jouent que du rock and roll. Vous n'êtes pas obligés d'apprécier. Ni d'être parfaits. Evidemment les Howlin' Jaws, eux ils sont parfaits. Tant pis pour vous, tant mieux pour eux.

Quand ils ont quitté la scène il y avait de quoi écrire un livre rien qu'à décrire les yeux brillants d'adrénaline de l'assistance stupéfaite et ravie.


NELSON CARRERA

AND THE SCOUNDRELS

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Pas évident de passer après une telle tornade. Les Howlin' c'est du rockag électrifié à mort comme une chaise dans un pénitencier américain, Nelson Carrera c'est le hillbilly des collines, agreste et rural. Faut être un sorcier pour de telles transitions. Pas le genre de défi qui peut apeurer Nelson. Mais ce n'est pas aux renards que vous apprenez à voler les poules. Les Scoundrels ne sont pas des demi-sels. Des pros : Jorge le Taiseux qui ne regarde que sa contrebasse, faut entendre comme il l'a fait chanter, Pascal l'Efficace aux drums et à la barbichette, inutile de se retourner vers lui, vous suivrait jusqu'en enfer, et Raphaël à la gâchette facile. Un coup d'oeil de Nelson et c'est parti pour la chevauchée sans pitié. Vous vouliez savoir ce que c'est qu'une guitare électrique, Raph vous fait la démonstration. N'allez pas vous plaindre à votre mère après. Il sera trop tard. D'autant plus que Nelson sur sa rythmique il vous mène les frères Jesse James à l'attaque de la banque sans état d'âme.

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En plus Nelson, il a une arme même pas secrète, une voix d'or. C'est presque trop facile. Enrageant, vous pouvez toujours essayer devant le lavabo. S'en sert comme un brigand pour fracturer la porte de votre sensibilité. Cinq titres à tout berzingue pour montrer ce dont les Scoundrels sont capables et puis l'on part vers la campagne country, les contreforts des Appalaches, le rock d'avant le rock. Un enchantement. Nous tient sous le charme, Nelson, ne nous lâchera plus. Les titres défilent sous les acclamations, un hommage à Carl des Rhythm All Stars, qui nous manque. Charlie Feathers, Johnny Horton, les grands noms, la discographie idéale, interprétée par un combo de rêve. Ne savez plus où donner de la tête, Jorge qui résonne, Pascal qui façonne, Raph qui cisèle et Nelson qui module tout en expédiant le tout sur une rythmique d'enfer. C'est en cela que réside le mystère, une pêche d'enfer et une voix qui explore les moindres sinuosités de la nostalgie. Nelson sous sa couronne de cheveux blancs est le barde du hillbilly, nous administre une leçon de bel canto rockab. Après lui pouvez aller vous rhabiller. C'est du cousu d'or fin. De la belle ouvrage rehaussée de la pourpre incendiaire de la guitare de Raph.

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Chante longtemps sous les vivats du public. On s'y laisserait prendre, l'on passerait toute la soirée avec. Mais Bernard Soufflet regarde sa montre. C'en est fini de cette oasis de fraîcheur dans ce monde de brute. Nelson et son band de malandrins ont une fois de plus réussi leur coup. Une douceur enlevée, une tendresse enfiévrée, et hop, ils sont déjà repartis. Mais ils emportent tout ce que vous avez de meilleur en vous. Un rêve d'Amérique que vous ne referez jamais tout seul avec une même intensité. Faudra attendre que Nelson Carrera et ses boys repassent près de chez vous.


YANN THE CORRUP TED

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Attention l'on change de scène. L'on est dans le gang des outlaws. Chevauchée dans les rangs des rebelles. Le devant de la scène est squatté par un bataillon de teds. Texas est à la basse, placide, l'en a vu d'autres, le fiston a intérêt à assurer à la guitare. Jacky Lee et son incroyable dégaine – c'est fou comme ses favoris en lames de faux qui se rapprochent de ses lèvres lui confèrent une terrible dignité - attend les dernières accordailles de la balance, ne sera jamais parfaitement établie, la voix de Yann étant trop souvent reculée par rapport à sa guitare. Dommage car le set fut infernal.

Du début à la fin. Facile à résumer, une rythmique de fer. Intangible. Avec un crescendo irrésistible. Morceau après morceau. Ce n'est pas que l'on joue obligatoirement plus fort, c'est que l'on confère davantage d'intensité à chaque fois. Musique très physique avec une terrible implication personnelle. A la moitié du set, les fans n'y tiennent plus et montent danser sur scène. Chacun s'approprie le morceau, le mime, de la voix et du corps, d'une guitare imaginaire.

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Yann a cherché l'efficacité. Maximum de classiques beaucoup de Flyin' Saucers et de Charlie Feathers. Tout le monde connaît les titres et se laisse dériver et hypnotiser par le tempo d'acier. Trois infatigables. Sont pour le développement durable mais pas pour économiser l'énergie. Texas file les lignes de basse comme s'il pêchait au gros. Pas des truites vagabondes. Du cachalot bagarreur. Mes yeux sont rivés sur les doigts de Yan qui scandent le rythme sur des cordes fines et coupantes comme des noeuds coulants. Jacky Lee est fascinant. En mouvement perpétuel. L'abat des coups tranchants comme des cognées de bûcheron sur l'entaille des arbres. Pas d'écho, pas de rebond, pas de volume ouaté, sec comme une branche d'arbre qui casse d'un bruit net sous votre pied. Ou le déclic d'un piège à loup sur votre jambe. A la fin du set, l'est un signe qui ne trompe pas, fait jouer ses poignets pour en chasser la rigidité robotique. Une frappe d'une vigueur étonnante. Chaque coup retentissant dans sa propre solitude sonore sans jamais mordre sur le suivant ou le précédent. Un mouvement d'horlogerie pour une cadence inexorable.

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Auront droit à un rappel, exigé par le public. On ne pouvait pas les laisser comme cela. Nous aurons droit à un Train Kept A Rollin démentiel. Perso j'ai une préférence pour leur interprétation de Born To Be A Rolling Stone de Gene Vincent, un titre rarement choisi dont ils ont bousculé avec bonheur l'orchestration. Finissent dans un charivari festif des plus agréables. Ont réussi à corrompre le public. L'est vrai que les rochers, quand on leur propose du rock qui dévaste le périmètre de leur entendement, ont l'âme vénale. Drapés dans leur enthousiasme les Teds sont toujours les Teds. Egaux à eux-mêmes. Ne déçoivent pas. Sont vivants.


JAKE CALYPSO

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L'est attendu comme le messie. Pas celui qui marche sur l'eau, celui qui bondit de rock en rock sur les rochers qui affleurent. Thierry révèle sa nature méticuleuse, range son boîtier à lunettes dans son sac, vérifie sa monnaie dans la poche du pantalon, vous le regardez et vous vous dites, on en a encore pour une demi-heure. Guillaume ramasse sa contrebasse, Christophe passe sa bandoulière, Hervé trifouille sa guitare. Prend subitement deux décisions lourdes de conséquence. D'abord il enlève sa veste jaune pour arborer une chemise d'un rouge-orangé à faire hurler de joie les photographes, puis d'un geste large il jette au fond de la scène le fil et le scotch qui relie sa guitare à l'ampli. Prend la parole et résume la situation d'une phrase lapidaire à la Jules César dans La Guerre des Gaules. «  Pas de jack, pas de répétition, pas de balance ! ».

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Retenez-les. Trop tard c'est parti. Christophe Gillet plante les premières banderilles, se propulse en avant à chaque riff, le pied catapulté en hauteur comme à la savate. Sous sa casquette plate Guillaume maltraite son encombrant, et Loison à qui il ne faut pas en promettre se met à glousser au micro comme une pintade quand le goupil se faufile dans le poulailler. La salle chavire et caquette comme la fameuse poule d'Henri IV que l'on viendrait chercher pour la glisser dans le pot idoine. Thierry bat la démesure du fou tranquillou dans un mouchoir de poche. Le mec qui ne s'affole jamais. Dans le tintamarre qui va suivre, se contentera d'esquisser de temps en temps un sourire sardonique. Il est l'oeil de l'ouragan. Le moteur immobile de la roue folle du karma humain qui tourne à toute vitesse. Loison se mue en Shiva, le dieu aux mille bras. S'est débarrassé de sa bandoulière, tient sa cithare acoustique coincée comme une oiselle sous son aisselle, ce qui lui donne une belle prestance à la Elvis. Ce qui tombe à pic, puisqu'il est en train de revisiter son dernier CD, downtown à Memphis qu'il a enregistré avec son band dans les studios Sun. Un truc que je ne comprendrai jamais, comment fait-il ce diable d'homme, cet agité du bocal, pour vous restituer le son dans sa pureté absolue ! Bien sûr, l'a son gilet de sauvetage, le Chris qui vous turlupine tout ce que vous voulez sur sa guitare. Tout en étant atteint d'une tarentulite aigüe. Avec Guillaume plié de rire en deux, tel un Ganesh facétieux, sur son engin – sans pour autant pédaler dans la choucroute d'un quart de ton – moi j'aurais comme un doute. Mais non Loison, c'est en même temps la pureté foncière du rockab et l'Actor's Studio. Vous en donne le maximum pour le prix minimum. Eloge de la gratuité de la folie. Romantisme débridé et échevelé. Grogne, ronce, babatise et attise sans cesse le public. Ne sont plus seulement quatre mousquetaires sur scène, le régiment du public les suit et les précède. Deux cents gosiers chantent en choeur avec Loison. A chacun son petit délire, perso je suis en train de jouer des tablas sur la contrebasse de Guillaume quand ma voisine me tire par la manche pour me passer un demi-verre de bière éventée. What is it ? Je ne suis pas celui pour qui vous me prenez ! Mais non, elle vient de déboucher une bouteille de Sky et je suis désigné pour passer à Jake sans jack un graal de Jack, ce nectar suprême des Dieux. C'est que Loison, il faut le ravitailler en plein vol, l'est d'ailleurs en train de voler au travers de la salle sur le bout de nos bras. D'autres se vautrent sur la scène, certains caressent le visage d'Hervé maintenant gisant sur le dos, ça hurle de tous les côtés, des excités inventent de nouvelles danses, Loison refait un petit tour à vol d'oiseau, revient en courant, glisse sur une flaque de bière et emporte au sol une danseuse, un flip flap arrière à vous briser la colonne vertébrale dont Noureev n'a jamais osé rêver. Au sourire ravi de cette cavalière si rapidement jetée à terre, l'on pourrait parler de choc amoureux.

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Mais Hervé est déjà sur scène – au-dessus des eaux de la Seine – chante le désespoir du blues – un blues de peaux rouges criards et ravagés à l'eau de feu - en faisant le poirier sur la batterie de Thierry qui n'est pas ému pour une demi-cacahouète par cette pirouette. Jette sa chemise dans la foule, s'enfuit en coulisses. Mais on ne stoppe un pandémonium aussi facilement qu'un go-fast sur une autoroute. Il se fait tard. Bernard Soufflet octroie un rappel, tout de suite transformé en trois morceaux par Mister Loison. Je préfère ne pas vous raconter, vous m'en voudriez toute la vie de n'avoir pas été là. Bref, un set de folie. Merci à nos quatre héros.

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RETOUR

L'on s'éclipse à toute vitesse. Comment l'on a regagné la Teuf-teuf à l'autre bout de Paris, sans métro, je vous le conterai un autre jour. Mais la journée a été tellement bonne que l'on n'a pas ressenti cela comme une galère. En plus j'ai ramené, un petit vingt-cinq centimètres inédit de Gene Vincent qui vient juste de sortir; tra-la-la-la-lère !

Damie Chad.

( Photos fb des artistes : Sergio Photostock / Rey Fonzareli / Olvier Navet )

 

LES ENNUIS COMMENCENT

LOVE-O-RAMA

FLIGHT OF THE TAIKONAUTS GUITAR / THE FRENCH PLAYBOYS MOTORCYCLE BOYS / DON'T TELL ME YOUR TROUBLES / MARWINE TAGADA / JOHNNY'S DEAD / WHEN ELVIS WAS THE KING / 2000 YEARS FROM HOME / I ATE MY BURGER ( TWO DAYS LATER ) / THE GODSPELL ACCORDING TO A. A. NEWCOMBE / TEENAGE QUEEN / OFF THE BUNCH / SOLLACARO 2:45 PM

 
Atomic Ben : Vocal, guitar / Gus Psycho Picasso : double bass / HUGO SLIM KIDD : Drums / Arno Cole Hicks : guitars /

Benislav Bridgen : organ piano / Jezebel Rock : Arrangements

Methanol Production / Buzz Buzz Records

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Fly of The Taikonauts Guitar fanfares de guitares, apachien ou appalachien ? Un rumble des familles dirions-nous pour mettre tout le monde d'accord, oui ça sonne plus américain qu'anglais, mais voyez-vous c'est la poule aux oeufs d'or française qui nous a pondu cette petite merveille. The French Playboys Motorcycle Boys après la poulette made in France ceux qui portent un aigle sur le dos, cavalerie de chevaux d'acier, c'est Ben qui chevauche en tête, super girl sur le porte-bagage, bagarres et cavalcades à foison, c'est chromé comme un aileron de Triumph, la route des légendes, l'autoroute de la mythologie rock, Don't Tell Me Your Trouble conseil d'un ami à l'ami, ne dépose pas tes valises de problèmes dans mon living-room, j'en ai des malles pleines, les nanas deviennent merveilleuses dès qu'elles se sont enfuies, alors écoute ce camaïeu musical, cet entremêlement de batterie ponctuée de guitares et la voix de Ben qui sautille sur les obstacles, y a trop de bon rock and roll dans le monde pour s'ennuyer dans la vie. Marwine tagada elle est sucrée comme une fraise tagada arrosée de sucre candy, la petite Marwine, avec ses sourires de crocodile vous la croqueriez sans rémission. Les Ennuis vous présentent la poussinette idéale, le rêve dont on dreame toutes les nuits et dont vous vous interdisez la cueillette, avec des chœurs féminins à vous conduire tout droit en enfer. Ne craigniez rien, à peine avalée vous en dégustez dix autres aussi sweetest dans le paquet de la vie, suffit de remettre dix fois de suite la piste 4. Attention terriblement addictif. Johnny's Dead changement de climat, l'est des êtres plus inquiétants que Marwine, le rythme obsédant du morceau, vous incite à la plus grande des prudences, attention l'Amitié est encore plus dangereux que l'Amour. Johnny le zombie n'est pas le copain idéal, mais l'est irrésistible comme tous les bad boys. Une version des Bras en Croix de Johnny mis au goût du jour dans le retour des morts-vivants. Le malheur c'est tout comme pour Marwine, vous allez y revenir au moins vingt fois de suite pour en goûter tout l'humour noir. Attention le noir prédomine. Et ces notes éthérées de strato comme un avion qui se perd dans le brouillard... When Elvis Was The King quand Elvis s'insinue dans votre âme et friture tout votre feedback. Le rock est une drogue destructrice, façonne votre pensée et dicte vos déviances. Jeune et jolie, mais déjà en mode survivance. Parce qu'Elvis est le roi. Et que personne ne peut rien y faire. L'est des cauchemars dont on refuse de sortir, l'on y est trop bien. Chant phantomatique de Ben qui vous atomise. 2000 Years From Home quand la réalité est trop lourde à porter vaut mieux sauter dans le fuselage de l'orgue et s'enfuir à l'autre bout de l'univers. Avec les Stones en trip dans le cockpit, l'on est sûr de ne pas s'ennuyer. I Ate My Burger ( Two Days Later ) retour sur terre, attention c'est encore plus terrible qu'un voyage dans l'espace, les fins de soirée sont parfois dures à achever, surtout au petit matin, quand on a sniffé filles, rock and roll et cocaïne dans les intraveineuses de la rage de vivre. Difficile de retrouver son assiette. Et même de retrouver son burger dans son assiette. The Godspell according to A. A. Newcombe le même sujet que le précédent, mais en plus sombre. Un massacre. Ne plus survivre dans la mythologie mais dans la réalité de la vie. Pouvez prier Jésus et tous les diables de l'enfer, les filles s'éloignent... Teenage Queen le réel perdu, vous revivez votre vie en kaléidoscope avec les titres de Gene Vincent en bande son. Une fois ouvert le livre de la nostalgie rock ne se referme jamais. Rêve de vampire qui éprouve une folle envie de fraises tagadas. Off The Bunch reprise de la course en tête. Soyons clair, dans la tête du perdant. Magnifique si vous voulez, mais ne vaut mieux pas donner un titre au tableau en peau de chagrin. Portrait de Dorian très gris sombre. Spellacaro 2: 45 PM instrumental sous-titré Death in the afternoon. Tout un programme. Tout le programme. Quand vous abattez l'as de pique au poker menteur de la vie, faites attention que ce ne soit pas le Johnny Ace.


Waouh ! C'est des français qui ont fait un truc de ce calibre ? Se foutent de notre gueule : chantent en anglais mais prennent soin de glisser le mot french dans les lyrics. De tous les disques rock parus en France, c'est vraisemblablement celui qui s'inscrit le mieux dans l'imaginaire rock national. Lisez les notes de la pochette si vous voulez confirmation.

A se procurer d'urgence si vous êtes fan de rock an roll. Même si en fait c'est un disque de blues, le disque de blues, le plus déchirant éclos sur le terreau national. Bourré d'humour dynamite, une production des plus soignées, des musicos au summum de leur art et un chanteur époustouflant. Tout en finesse. Mais en prime, tout ce que l'on ne dit pas, tout ce que l'on tait par pudeur, pour ne pas ennuyer les voisins, ce désespoir qui vous saisit à la gorge lorsque vous passez la frontière du mi-temps de la vie, la pente du déclin. La pochette annonce la couleur : couleur bleu-gris du soir qui descend. Le renard de l'existence vous subtilise toujours le fromage de la vie, à vous le corbeau déplumé même si vous possédez le plus beau love-O-ramage du pays...

Musicalement c'est une merveille. Un groupe de mambo-rockabilly qui ne court plus après les vieilles lunes de l'adoration perpétuelle, mais qui tient par-dessus tout à se démarquer du troupeau de la meute suiveuse par son aspect créateur. Les seuls vrais loups encore sauvages sont les solitaires.

Citez-moi cinq disques français qui atteignent à ce niveau, et je vous remercierai. Perso, je n'en connais que trois. Commencez par quérir et chérir celui-ci.

Damie Chad.

 


NAKHT / ARTEFACT

INTERLUDE / ARTEFACT / OUR DESTINY / NEW BREATH / FALLEN LIFE

Danny : Vocals / Chris : guitar / Alexis : Guitar / Clément : bass / Damien : drums

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Désolée la terre. Astre mort. Ecrasée par l'immensité spatiale des nues. Avec au centre d'un anneau saturnien trop parfait pour ne pas être inquiétant, l'apparition de l'oeuf germinatif planétaire culminant selon les contreforts d'une mastaba pyramidale rudimentaire. Presque un visage en croissant de lune renversé en filigrane. Taisez-vous, une oreille runique nous écoute. Avons-nous jamais été seuls depuis l'extinction génocidaires des terribles lézards. Très belle pochette du premier EP de Nakht.


Interlude destruction finale. Juste le commencement d'un autre cycle. Des voix éparses agonisantes dans la poussière du bruit. Et une autre qui émerge de sa toute férocité barbare. La musique comme une fin de règne, le bruit comme la fureur d'un monde nouveau émergeant. L'on ne brise pas la coquille du magma stellaire sans tuer les derniers hommelettes que nous sommes. Juste un interlude. Artefact la suite de l'histoire de la bête qui nage dans le fétus humain. Mais c'est nous qui sommes le produit de cette gestation germinative. Nous croyions être de êtres vivants, nous ne sommes que des constructions aléatoires du vivant cellulaire. La coupure du triangle et les grognements du cochon qui nous dévore de l'intérieur. Nous sommes la crotte du cosmos. La merde puante des dieux. Enfoncez-vous cela dans le crâne à coups de pelles avant de creuser la tombe de vos illusions. Crash final. Our Destiny s'annonce mal, l'oracle n'est pas très optimiste nous promet tous les malheurs de l'univers cosmique. Nous sommes les résidus du bidet intergalactique. Assomption finale dans les vertiges de la brutalité. New Breath une respiration brontausaurique. Hosannah sur les cistres et les encensoirs comme disait Mallarmé. Je vous apporte la bonne nouvelle. Tout va mal et rien n'ira pour le mieux. L'horizon s'éclaircit. Pas la peine non plus d'entreprendre la danse votive du feu primordial. Le soleil n'est pas mort. Il n'a jamais existé. C'est ce que l'on appelle l'espoir. Fallen Life la vie nous est tombée dessus comme la nielle dans un champ de blé, comme la mort sur un cimetière. Les voix se sont tues à jamais. Plus de plaintes, plus de de menaces. Nous avons triomphé. Nous sommes devenus un oubli objectal. Tous les objectifs sont atteints.

Musique de cataclysme. Crépuscule des hommes. Nakht frappe fort. Lot de consolation sur le disque : Le scarabée hexagrammique de l'immortalité, le triomphe des insectes. Quinze minutes pour apprendre à survivre en devenant insectivore. Le secret des Dieux en barres chaucolocaustées empoisonnées. Prémonition de la catastrophe à venir. Guerre du feu nucléaire posthistorique. Oreilles fragiles s'abstenir.

N'a qu'à acheter. Nakht.

Damie Chad.

 


FALLEN EIGHT / RISE & GROW

REBORN / COME FROM THE SKY / FINAL SHOT / BREATH OF THE AGE / LIGHT / WORST NIGHTMARE

Clem : vocals / Medy : lead guitar / Joffrey : bass / Florian : guitar / JP : drum

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Pochette comme une main tendue au néant. Parmi le chaos des étoiles la rosée se dépose sur la fleur miraculeuse. Poussez et croissez. Ainsi parle Fallen Eight. Sur le volet intérieur, l'effigie des apôtres de la bonne nouvelle. Celle de la germination aristotélicienne qui assure les mystères de l'advenue de l'Être. Taisent l'autre côté du décor, la corruption de toute rose en son déclin.

Reborn cri primal de l'enfant qui vient de naître. Rassurez-vous si l'avenir s'annonce radieux, l'accouchement s'est mal passé. L'enfant en porte les stigmates de la plus grande des violences. Parfois l'amour engendre des monstres. Fallen Eight c'est un peu wagnérien, la voix qui hurle que tout est beau et les leitmotives des orages désirés qui hantent la musique. Come From The Sky tout ce qui tombe du ciel n'est pas obligatoirement bon. L'est des bébés dragons qui deviennent insupportables dès qu'ils grandissent. Tout est dans la façon d'entrevoir les choses. L'explosion atomique à moitié réussie ou à moitié ratée. Dans les deux cas, c'est volontairement catastrophique. Final Shot parfois il ne faut pas hésiter. Faut tuer le chien avant que sa morsure ne vous enrage. Une seule balle suffit. Mais débat de conscience en votre âme corrodée par les illusions des prophéties ambigües. Musique pressante et oppressante. Dialogue partitif de guitares. Les voix se sont tues. Mélodies du bonheur empoisonnées. Breath Of The Ages déferlement des âges anciens dans votre âme vous aboyez comme un chien sous la lune louvienne et solitaire. Sans doute y a-t-il quelque chose à dire, mais encore faut-il savoir quoi. Crier ne suffirait-il pas ? Fallen Eight s'emballe. Hurlements et tambours de la colère. Restez seul avec votre solitude. Vous ne pourrez jamais être en plus mauvaise compagnie. Light La lumière est au bout du chemin comme la terreur au bout de la nuit. La clarté n'est que l'envers de l'obscurité. La distance entre les deux est millimétrique. Un pas sur le côté et la lumière vous aveugle, la nuit reposera votre vue. C'est ainsi que les aveugles deviennent voyant. Inversion des valeurs ? Worst Nightmare le pire est toujours certain. Mais c'est sur le fumier de la décomposition qu'éclosent les plus belles fleurs. Un monde pétri de brutalité décompositoire engendre le plus doux des parfums. Fallen Eight emprunte la voie sèche, celle qui allie la plus véloce des rapidités à la plus grande efficacité. La grande déferlante du limon régénérateur.

Une voix magnifique, les orgues de la tendresse et la philharmonique de la rébellion. Théâtralité extrême du choc émotionnel. Servie sur le coussin rugueux d'une orchestration sans défaut. Beauté parfaite. Roses carnivores aux épines acérées et cancéreuses. A cueillir sans retenue.

Damie Chad.

 

17/02/2016

KR'TNT ! ¤ 269 : CHICKEN DIAMOND / NAKHT / BEAST / FALLEN EIGHT / LES ENNUIS COMMENCENT / MUTANTISME

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 269

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

18 / 02 / 2016

 


CHICKEN DIAMOND / NAKHT / BEAST

FALLEN EIGHT / LES ENNUIS COMMENCENT

MUTANTISME

 

06 / 02 / 2016

L'ABORDAGE / EVREUX ( 27 )

CHICKEN DIAMOND


CHICKEN DIAMOND IS THE GIRLS'BEST FRIEND

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— Quoi ? Y l’habite où ?

— Thionville...

— C’est où ça, Thionville ?

— Bah j’en sais rien. Jamais entendu parler d’ce bled.

— Mais où t’as chopé l’info ?

— Dans Dig It. Y font un reportage sur les one-man bands. Y disent que Chicken Diamond y l’est de Thionville.

— Avec le son qu’y l’a, j’aurais juré qu’y v’nait de Memphis, ou de l’Indiana comme Left Lane Crouiser.

— On a déjà eu l’même coup avec Petit Vodo. Y l’aurait pu faire illusion. Mais sur scène, comme y parlait en français, ça redev’nait d’la France profonde.

— Ouais, mais d’la bonne ! Son hommage à Skip James m’avait bien bluffé !

— T’as vu, les trois albums de Chicken Diamond, y sont sortis sur Beast, chez le petit mec de Rennes. Pas mal hein ?

— Tu l’as dit, bouffi ! Ce mec a bon goût ! Y ne sort que des bonnes galettes. Y suit des groupes comme Chicken Snake et Hipbone Slim, tu vois un peu l’délire ? Heureusement qu’y l’est là pour sortir les albums de Chicken Diamond ! Lui, on devrait le décorer pour services rendus à la nation ! Pour une fois qu’un petit label indépendant ne sort pas de la daube, y faut en profiter.

— T’as raison, le premier album de Chicken Diamond y l’est fantastique !

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— C’est une bombe, mec, Chicken y sonne comme Elmo Williams sur «Damn Old Sin» ! Y reprend les vieux accords démentoïdes du vieil Elmo avec un son bien âpre et y chante comme un voyou avec de la bave aux lèvres. Tu sais quoi ? Y remodernise le blues, comme RL Burnside l’avait fait en son temps. Y l’est d’ssus, monté sur le dos du blues, comme le lapin sur la lapine, pour la niquer, y l’a tout pigé, le blues y coule dans ses veines. En plus y l’a le génie du son ! Et derrière ça, t’as «Factory Smoke» ! Ah la claque ! Y joue ça au dégueulis sur un beat tribal de pédale de grosse caisse, c’est dingue comme y l’est bon, y freine, y remet de l’huile dans les vieux riffs rouillés et y repart ! T’as déjà vu ça ?

— Non.

— Et avec «Power Of The Ancient People», y bat tous les records de primitivisme ! Y sonne comme une tribu du Congo. Je te jure que ce mec est visité par les esprits, comme Wolf. Tiens puisqu’on parle de Wolf, t’as «Bones». Y prend ça au guttural de l’arrache maximaliste. Y l’est comme Freddy J IV de Left Lane Crouiser, y s’en va chercher le meilleur guttural des cavernes, car c’est là que se niche toute la sainte colère du blues. Mais le pire de tout ça, c’est sa version de «Sister Ray». Personne n’avait osé toucher à ça depuis le Velvet. Ben voilà, c’est fait. Chicken y tape sa reprise au tambourin et y réussit à exploser l’inexplosable. T’as vu comme y s’y colle ? Y n’en finit plus d’emboutir le vieux cul ridé de Lou Reed. Y le retapisse avec une hargne à peine concevable. Et en face B, y tape même dans les Cramps, avec sa reprise de «Teenage Werewolf». C’est un exploit sportif, mec. Y repasse les Cramps à la moulinette de Wolf, c’est comme si y l’embarquait les Cramps dans les bois, en pleine nuit, pour leur flanquer la trouille de leur vie. T’as qu’à voir... Et son solo à la fin de «Civilized» ! Du pur trash ! J’adore aussi son «Come Home», car c’est du groove de cro-magnon, une abomination caractérisée. On croirait entendre un gros black échappé de la taule d’Angola !

— T’as pas l’impression que les deux autres albums y sont moins denses ?

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— Ah non... Ce n’est pas vraiment ça. T’as des gros trucs sur «II», comme «Disappear» qu’y chante avec une voix de grognard tuberculeux sur un vieux coup de tatapoum. Y sort un riff un peu anglais et du liant avantageux. Y reste bien dans l’esprit de premier album. Ce mec a du talent, y l’est plein de vitalité, d’énergie et de jus. «Gold Rush», c’est pareil, y joue ça au riff borgne de bord du fleuve. Y gratte l’os du riff et y rajoute des paquets de viande, comme ça, sshhhblarf ! sshhhbliirf ! sshhhbluuurf ! C’est un sacré réinventeur du blues des cabanes. C’est ce genre de mec qu’y faut suivre à la trace. Y règne sur l’empire du riff, tu piges ?

— Ouais.

— Y l’est encore plus énervé quand y fait son «Spitting In Your Face», tu vois un peu le travail, ça veut dire qu’y va te cracher dans ta gueule d’abruti. Y rigole pas, le thionvillais. Y l’est capable de piquer des crises. Y lâche des morves infâmes de solo. Je te le dis, ce mec y doit être bon pour l’asile. Y doit bien aimer Wolf parce qu’y prend son «Leaving In The Morning» avec une sorte de volonté wolfienne. Si tu veux mon avis, y l’a un goût très prononcé pour le crépuscule et la menace. Y l’a tout bien pigé. On voit rarement ça chez les mecs qui font du blues aujourd’hui. La plupart, y se contentent de singer BB King ou Albert King ou Freddy King ou Earl King ou King Kong, tu vois un peu le désastre ? Si tu veux bâiller aux corneilles, t’as qu’à écouter les nouveaux virtuoses du blues. Là mon pote, tu vas te faire chier comme un rat mort, comme disait Choron. Alors que lui, Chicken, y joue le vrai blues, y l’est dans l’esprit du blues qui est celui de la modernité. Le dernier cut de «II» est dément. Avec «High Low Blues», y fait son Wolf agonisant et ça marche - Sometimes I feel so low/ Feels like a walking dead - C’est le blues le plus désespérant que j’ai jamais entendu. Encore plus désespérant que Robert Pete Williams.

— Ah ouais !

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— J’aime bien la pochette de son troisième dixe. C’est un vieux bar à putes, tu sais comme dans la rue Saint-Denis. Qu’est-ce qu’on s’est bien poilé dans ces vieux rades. Heureusement qu’on avait de la thune, parce que les putes elles ont tout le temps soif !

— Ah t’as raison !

— Ces salopes nous mettaient sur la paille, mais on rigolait bien. Tu vois, je te disais que Chicken y sonnait comme Wolf sur certains cuts, et là, sur le troisième dixe, y sonne comme Beefheart sur un cut qui s’appelle «Cotton Field». Alors tu vas me dire que Beefheart y chantait comme Wolf, c’est pas tout à fait faux, mais c’est pas non plus exact. Beefheart y l’admirait Wolf, ça tout le monde le sait, mais y f’sait son truc à lui, avec un autre son. Tu t’rappelles de «Bat Chain Puller» ?

— Ouais.

— Ben c’est ce son-là. Chicken y reprend le son du Magic Band pour faire son cat cat oh catton fields et son bloody ca-catton, c’est exactement ce beat-là. Alors du coup, Chicken y devient un héros. Tu te rends compte, t’as un mec qui sonne comme Wolf et Beefheart, comme Elmo Williams et RL Burnside, qui reprend les Cramps et Sister Ray. Que veux-tu de plus ?

— Ah bah rien !

— Y tape même une version du «Maggie’s Farm» de Dylan ! Là, y frôle le génie. Y fait du dylanex des cavernes. Y l’est complètement enragé. Y bave. Ah la trogne ! Y dégage une drôle d’odeur. T’aimerais pas être sa femme. Au lit ça doit être terrible. Putain, qu’est-ce qu’il pue ! Pire que le clochard du Pont de Levallois, tu te rappelles, on pouvait pas dormir à côté tellement y puait. Mais y chante ça comme un dieu - Ain’t gonna work for Maggie’s farm no mooooooore ! Et son «Motorcycle» ! Mais c’est encore pire que du Motörhead ! Y joue dans la purée de l’échappement. Ce mec, je vais te dire, c’est un trogglodyte qui dynamite tout, les riffs et le beat, y touille tout ça dans son jus. C’est pas compliqué, j’aime tous les cuts de cet album, à commencer par «Undercover». Y bat ça à la sourde. Y tombe dans les abîmes de chaos, un peu comme les Chrome Cranks, mais lui y l’est tout seul, alors t’as qu’à voir. Y ressort aussi le coup du serpent avec «(Don’t Wanna Be A) Reptile». Y monte ça sur un riff régurgité. Y cherche toujours la niaque maximale. C’est lui le lion des cavernes, le Tounga des temps modernes, c’est un Chicken de choc, un diable en diamant, y joue le blues fatal, c’est un irrécupérable de basse-fosse, un violent quidam. Y l’enfonce toutes les portes ouvertes, mais quelle classe !

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Nos deux amis se retrouvent quelques mois plus tard.

— Ben dis toi, on t’a pas vu l’aut’ soir à l’Abordage ?

— Ah parce que c’est rouvert ?

— Ben oui pomme de terre ! Et tu sais qui c’est qu’on a vu à l’Abordage ?

— Ben non...

— Chicken Diamond !

— Ah bah dis donc !

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— Assis sur son tabouret, en première partie d’une soirée Beast.

— Ah bon ? Y avait qui comme groupes après lui ?

— Ah ça ma poule, me rappelle plus. Mais Chicken y m’a bien s’coué la paillasse, ah l’enfoiré ! C’est encore pire que sur ses dixes ! Tu verrais le son qu’y sort sur sa vieille pelle, c’est un garage-band à lui tout seul. Ah les autres, y z'ont encore des progrès à faire quand tu vois un lascar comme Chicken avec sa guitare. Y l’est complètement dans son délire de raw blues primitif, tu verrais la perfection de son tempo, ses cuisses sont toujours pile à l’heure sur le beat, c’est pas comme chez le pauv’ Hasil Adkins où y a toujours une sorte de décalage, lui c’est du trash-garage suisse, y l’est infernal de précision et de puissance. Y dégage autant qu’une locomotive à vapeur, et en plus y gueule tellement dans son micro qu’y l’envoie des tas de postillons voltiger dans la lumière des spots. C’est du psychédélisme de cabane. Chicken y fait pas dans la dentelle, y n’cherche pas à faire frétiller les érudits universitaires du blues de pacotille, non, y cherche plutôt à hypnotiser les serpents du désert, t’as pas idée comme y l’est balèze !

— Ah bah non...

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— Les gens n’ont pas encore bien pigé que Chicken c’est le descendant de Wolf. Mais ça viendra. En attendant, ce mec ne la ramène pas. Y l’est d’une humilité qui en impose. Y l’a du mal à chauffer la salle, mais sa musique est si bonne qu’y ne viendrait à l’idée de personne de lui faire un reproche. Y l’a deux grattes sur scène, l’électrique, une vieille demi-caisse, et une acoustique qui a elle aussi bien vécu. Figure-toi qu’y sort aussi un son terrible avec son acou. Comme quoi hein ?

— Ah bah oui !

— Et tu sais comment y l’a bouclé son set ?

— Non...

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— Avec deux coups de Trafalgar, poto ! D’abord une version démeeeeente de «Ghost On The Highway» du Gun Club ! On aurait dû se prosterner, car y cherchait forcément à communiquer avec le fantôme de Jeffrey Lee Pierce ! C’est la meilleure version qu’on a entendu depuis des lustres et des lustres ! Terrible ! Et y l’a enchaîné ça avec «Sister Ray». Alors là, on tombe dans l’au-delà du taillage de bavette, on frise le saint, on bascule dans le barbare sacré, on atteint les sommets du Kilimanjaro du culte. Là, on peut dire que Chiken y l’a défoncé les annales de la postérité, et la pauvre, je te garantis qu’aujourd’hui elle a encore du mal à marcher. Et tu sais quoi ?

— Non...

— Ben y vient d’sortir son quatrième album !

— Ah bon ?

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— Y s’appelle, tiens-toi bien, «The Night Has A Thousand Eyes» ! C’est là d’ssus qu’on r’trouve la version de «Ghost On The Highway». Tu veux que j’t dise un truc ? C’est vraiment inspiré par les trous d’nez ! Y joue ça au blast, y l’arrache le foie de Jeffrey Lee et y l’explose le highway ! Y l’explose le Gun et le Club, tout te saute à la gueule, on dirait qu’y chante avec la voix pleine de terreur ! Fais gaffe si tu chopes le dixe, tu vas tomber d’ta chaise. Ça rue dans les brancards dès «Cursed Blood», y tape de tous ses pieds dans ses petites caisses de one-man band, on dirait qu’y sont dix, c’est une brute atroce et y chante à la glotte en sang, et comme un Screamin’ Jay tuberculeux, y s’en va dégueuler dans des cimetières, c’est au-delà du boogie-blues et du boogaloo, ce mec est complètement hanté par l’esprit de blues. Si t’écoutes «Castle In The Desert», tu verras des feux s’allumer au loin et tu verras le cut basculer dans une sorte de démence. Ouais poto, ça bat tout le stoner, avec sa brutalité, Chiken y met tout le rock par terre. Y gueule comme un crucifié, you’re fuckin’ me baby, y fait du guttural d’antho à Toto. Ce mec y l’a du génie, et tu sais qu’est-ce qu’y vient rajouter dans cette horreur ?

— Ben non...

— Un solo glou-glou. Et ça continue avec «Speed Demon», tu vas voir, y l’est complètement baisé ce mec, y chante tout au maximum de la barbarie d’Attila. Y va trop loin, c’est du Monster Magnet chanté par le Sonics. Tous les couvercles sautent. Et y s’en va gueuler des trucs du genre «Hey look at the sky» ! Attends, c’est pas fini !

— Mais j’ai rendez-vous chez l’merlan !

— Y a encore un truc fabuleux sur le dixe, c’est «Slow Wave Sleep». On dirait le blues de la fatalité. Y prend ça d’en haut, avec des coups de réverb, on dirait qu’y joue le beat dont on a toujours rêvé et y gueule just follow me down, alors tu parles qu’on le follow ! Et si t’aimes bien l’hypno, alors tu vas te pourlécher les babines avec «Could Have Done So Much Better». Y fait gicler son frichti, y malaxe bien ses ambiances, ce mec a du génie, y sort encore un cut complètement explosé de son et de hargne baveuse, on dirait même qu’y l’en tartine tous les murs de la piaule quand t’écoute ça !

— Wow c’est super. Mais là faut qu’j’y aille !

— Dac. Prends soin de toi, poto ! Et souviens-toi, You’e a ghost on the highway, Your gesture is meaningless !

— Ah bah oui !

Signé : Cazengler, Chicken rôti

Chicken Diamond. L’Abordage. Évreux (27). 6 février 2016

Chicken Diamond. Chicken Diamond. Beast Records 2011

Chicken Diamond. II. Beast Records 2012

Chicken Diamond. My Name Is Charlie Chicken Diamond. Beast Records 2014

Chicken Diamond. The Night Has A Thousand Eyes. Beast Records 2015

 
OPERATION FOUDRES

« Comment Damie la patrie est en danger et toi tu dors ! » Mon ami le Commissaire tire sans préavis les couvertures dévoilant au passage les attributs de ma virilité, qui ma foi quoique au repos n'en sont pas moins d'une taille impressionnante. Me lance mon perfecto et un magnum de sky : «  Tiens prends cet en-cas pour petit déjeuner et écoute les nouvelles : je quitte la police officielle, désormais je fais partie des Groupes Mobiles d'Interventions Sécuritaires, regarde – l'agite triomphalement une feuille de papier A4 – signée de la main même de notre premier ministre bien-aimé ! Pleins pouvoirs et réquisitions à volonté ! L'on ne peut pas rêver mieux ! Allez dépêche !»

Sur le trottoir je pousse un cri d'horreur. Une dizaine de sagouins virevoltent autour de la Teuf-Teuf ! «  T'as vu ! J'ai fait installer un obusier sur le toit – un vieux canon de char tigre récupéré sur les Allemands en 1945, le dernier cri de la technologie, et booster légèrement le moteur, tout cela pendant que Monsieur Damie Chad dormait dans son lit comme une pelure de pomme de terre au fond d'une poubelle ! Ne reste pas là les bras ballants, fous-toi au volant, c'est urgent ! »

« Z'on va z'où ? » Le Commissaire fulmine : «  Pas le temps de poser des questions. Tu enfiles la bretelle d'autoroute, oui celle-là, à contre-sens, accélère un peu, l'on est à peine à 180 km / h ! ». Le Commissaire semble heureux, il allume un gros cigare, et tapote le tableau de bord en chantonnant la Marseillaise. Au fond c'est un bon bougre, s'amuse à faire quelques ronds de fumée et me met au parfum : «  La France a besoin de toi, Damie, dans six heures faut un rapport, signé de ma main, – ultra-secret, confidentiel – en six exemplaires, sur le bureau du Premier Ministre. N'y a que toi pour me torcher le truc, en si peu de temps. Que veux-tu, je suis un homme d'Action moi, pas le temps de me dépatouiller avec la conjugaison du subjonctif imparfait. Mais qu'est-ce que c'est cet abruti ? »

Un bus scolaire nous ayant vu arriver à contre-sens a freiné un peu top brutalement. S'est mis en travers de la route et bloque la circulation. Le Commissaire monte dans la tourelle et tire deux obus droit au but sur le bus qui s'enflamme et se désintègre. Quinze secondes plus tard l'a repris sa place et m'explique : «  Vois-tu Damie, apparemment c'est un crime, une quarantaine de gamins rayés de la carte scolaire en un tour de main. Je ne vais pas te faire le chapelet des commentaires circonvolutifs des journaleux habituels qui ont pour mission de faire passer la pilule au gros peuple stupide : le soulagement des parents enfin débarrassés de leurs insupportables marmots, les économies réalisées par l'Etat pour leur éducation, non l'heure n'est plus aux jérémiades : le pays est en guerre Damie, quarante chiards éliminés d'un coup, mais si on laisse faire en quelques mois la France sera devenue la Syrie. Tu imagines les villes détruites, les écoles bombardées, les hôpitaux pris pour cible, les populations errantes sur la route, essayant vainement de gagner la Turquie. Un cauchemar, Damie. Tourne à gauche, ne t'inquiète pas pour la vieille dame sur le passage clouté, les enfants hériteront plus vite. Mais désormais avec l'Etat d'Urgence nous intervenons sans perdre de temps. Freine, on est arrivés. Non, non, pas de constat, le basané que tu viens d'écraser, mille chances contre une que ce soit un terroriste. Je suis certain qu'il préparait son coup. Tu vois, à peine sur les lieux de l'action, et déjà Les Ennuis Commencent.


( Quelques indiscrétions nous ayant permis de nous procurer, sur le bureau même du Premier Ministre, un des six exemplaires ultra-secrets de nos agents nationaux en mission, nous avons la fierté de le présenter à nos fidèles lecteurs, in-extenso et en avant-première, avant qu'il ne s'étale demain matin à la une de tous nos quotidiens. Toutefois afin de lever toutes les ambiguïtés sur les soi-disant douteuses accointances de notre chroniqueur avec les forces sécuritaires de la nation, le lecteur se rapportera aux livraisons 177 du 20 / 02 / 14 et 235 DU 14 / 05 / 15 )

 

13 / 02 / 2016

LES FOUDRES / PARIS ( 20° )

LES ENNUIS COMMENCENT

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Pluie et vent. Brrrr ! on s'engouffre dans les Foudres sans froufrou ! Patou et Eric – venus spécialement de Toulouse – il y a des gens qui courent après les Ennuis - bien au chaud derrière leur chope de bière rigolent comme des bossus quand je m'ébroue, je les foudroie du regard et en jette un autre circulaire sur les alentours. Première malédiction, le café est long et étroit comme le corridor secret qui mène à la tombe de Toutankhamon. Deuxième malédiction, aucun groupe de rock à l'horizon. Troisième malédiction, ne sont inquiets ni le patron, ni les garçons, sont de l'Aveyron. Sont même fiers d'eux, ont dégagé trois mètres carrés dans le recoin de la porte d'entrée en empilant tables et banquettes le long du mur.

Sourire aux lèvres et mine réjouie les Ennuis arrivent. Sont tout nu. Demoiselles ne regrettez pas votre absence, je signifie simplement que nous avons les musicos en chair et en os, mais pas encore le camion avec le matos. Qu'importe nous vivons un grand moment d'émotion : la moitié des consommateurs se lèvent pour venir les saluer, c'est l'heure exquise des bises et des retrouvailles comme au soir des épousailles.

C'est alors que les ennuis commencent : sont des gars consciencieux, ont vidé la camionnette et déposé tout leur barda dans l'espace dévolu au concert. C'est bien, mais il ne reste plus de place pour les musiciens. Le jeu des quinze cubes à ranger dans une boîte qui n'en contient que dix. Ne sont pas obtus du ciboulot, en dix minutes ils trouvent l'astuce. Ne reste plus qu'à jouer au tangram musical : si tu te mets là, le manche de ta guitare me cisaille le slibard. Parviennent à se caser, tous les quatre, une précision d'horlogers suisses. Reste encore à rajouter le portemanteau inondé d'imperméables qui cache la vue aux spectateurs massés le long du comptoir, aussi serrés que les brebis pantelantes du Grand Troupeau de Giono.

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C'est l'heure des décisions décisives. Celles qui transforment Austerlitz en victoire, seront brèves et efficaces. Pas de balance. Et la promesse qui n'engage que ceux qui y croient : on ne va pas jouer trop fort. C'est parti mon kiki, c'est bien ça mon kaka, et rien ne sera perdu mon kuku !


DOUCEMENT LES BASSES

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J'allais oublier de les présenter ! Commençons par celui qui n'est pas là. Le Gus Tattoo, avec son nom vous devinez que le gars est chamarré comme un arbre de Noël, de la plante des pieds au sommet du crâne. Vous ne pouvez pas ne pas le remarquer. Même son absence clignote. Les filles adoraient se selfier avec lui. L'en rajoutait des tonnes, en surplus de ses peintures de guerre indélébiles se promenait toujours accompagné de sa contrebasse grand format Louis XVIII, des fois que ces dames ne l'auraient pas remarqué. N'est plus là. Officiellement il a ouvert un échoppe de tatouage à Decazeville. Et pourquoi pas un magasin de frigidaires au pôle Sud ? Non, ils l'ont viré, étaient trop jaloux. Remarquez celui qu'ils ont pris, ils n'auraient pas dû. Un mec qui a toutes les qualités, belle gueule de rocker, belle dégaine de rocker, belle basse rouge de rocker, belle copine de rocker, et je ne parle pas du pompon, le plus beau des prénoms de rocker : Vinz. Y a vraiment des gars sur qui les fées se sont penchés sur leur berceau.

GUITAR MAN

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KLX est coincé entre le comptoir et un amoncellement de tables. C'est pour le protéger. Atomic Ben nous apprendra qu'il attend un bébé. Depuis pas longtemps, ça ne se voit pas encore. M'énerve, de temps en temps il caresse légèrement sa guitare, l'air de rien, bouge à peine la dernière phalange de son petit doigt et il vous libère des riffs d'acier barbelés à vous arracher les yeux. Genre Bruce Lee qui de deux seules manchettes vous empile une muraille de cadavres autour de lui.

BATMAN KID

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L'homme qui bat. Il n'est pas chauve mais il ne sourit pas. Il frappe. That's the Kid !Le garnement de la troupe. Mène le reste du troupeau à la baguette. Un, deux, trois c'est parti, vous a des breaks d'enfer, et vous mène au galop dans le coeur de la bataille, là où aboie la mitraille. L'a le tempo méticuleux, et puis ces finitudes surprenantes. Vous êtes encore au milieu du temps, qu'il a pris un raccourci et vous attend au tournant le sourire en coin. Pas le temps de dire fou ! Qu'il est déjà reparti.

ATOMIQUE BIEN

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Quand je pense que la moitié de la planète tremble de peur à l'idée des réactions atomiques dans les centrales nucléaires. Encore une fausse rumeur d'écologistes. Atomic Ben est la preuve vivante qu'il ne faut pas se fier aux racontars propagés par les ondes médiatiques. Ce qui est vrai dans l'histoire c'est qu'il vous désintègre en trois secondes. Incidemment il joue de la guitare – plutôt très bien d'ailleurs, mais ce n'est pas le principal – l'est le faire-valoir, le bonimenteur, un ton de crockquemitaine, le crockmentateur numéro un du rock. Allie le ton solennel des Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand au cruel persifflage de Voltaire. Un alliage contre-nature qui décape le cerveau en un tour de bouche.

KILLIN' SET

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Débutent par un instrumental à la Tchaïkoski – celui qui vous casse les noisettes – mais en plus rock. Suivi d'un petit Elvis, juste pour vous montrer qu'ils ont le vice dans la peau. En plus ils ont le son. Le bon. Celui du rock. Un quart de lourdeur stonienne, un quart de strato appachienne, un quart de déjante crampique et un quart des ennuis qui ne s'arrêtent jamais. Rockez à feu violent, rollez au wok, dégustez chaud, brûlant. Ensuite ce sont les sept merveilles du monde, que dis-je les soixante-quatre positions soniques du Kama-Sutra rock, deux Stones, dont un Under My Thumb à vous casser le pied, a Soviet Bomb qui n'a rien d'un pétard mouillé, un Come On si farci que l'on hésite pour savoir s'il penche vers Keith ou du côté de Chuck, un plagiat revendiqué haut et fort de la Belle Saison des Dogs, puis plus tard une reprise en hommage à Dominique Laboubée, toute la nostalgie du rock livrée clef en main en trois minutes... un Don't Tell Me Your troubles ( voir chronique nouveau disque à la prochaine livraison ) de Don Gibson... Attention, les titres ce n'est rien, les reprises comme les originaux, tout dépend de la manière dont on les distribue. Pour deux personnes aux oreilles fragiles qui s'enfuient précipitamment, l'en est rentré une cinquantaine d'autres. S'agglutinent dans le corridor de la mort, mais à leurs trognes illuminées, ne semblent pas traumatisés par leur sort. C'est que Les Ennuis Commencent, c'est le sortilège, avec quatre fois rien – j'exagère, car ce sont de sacrés lascars, ils vous redonnent vie au rock and roll, vous le ressuscitent en trois riffs et quatre battements, plus le vocal de Ben, appuyé de passion et d'ironie, l'authenticité et le détachement si étroitement emmêlés qu'il retisse la toile de nos imaginaires déchirés. Du beau monde dans l'assistance, Jezebel, Jean-Emile Hanona le premier batteur de Trust, très discret. Plus des inconnus à l'attitude trop rock pour être des anonymes. Un public à l'unisson du groupe qui crée une atmosphère de complicité quasi-palpable. L'on remonte très loin dans le temps, à cette époque où le rock se célébrait dans les marges irradiantes. Encore trois morceaux – merci patron ! - et il est temps de mettre un terme à ces deux heures d'incandescence. Avec les passants arrêtés en pleine rue, scotchés devant les larges baies du café, souriant sous la pluie battante.


S'en suivront deux heures de discussion et de ripailles le long du comptoir...


CONCLUSION

En apparence un groupe de factieux qu'il conviendrait d'éliminer au plus vite. Cependant une évolution est en vue : le sieur Atomic Ben, 48 dust my broom au compteur ( c'est ainsi, sous cette appellation étrangère, que les rockers désignent ce que nous nommons beaucoup plus prosaïquement « balais » ) a déclaré, certes au milieu de propos fort équivoques, à la salle réjouie, que l'âge venant « il se sentait de plus en plus de droite ». Nous ne savons s'il s'agissait d'ironie. Toutefois, l'approbation populaire au gouvernement est actuellement si faible que nous avons décidé de comptabiliser ces paroles comme les marques d'un soutien indéfectible à votre action.


En d'autres termes : tout Valls bien ! Les Ennuis Commencent.


Commissaire Labavure.

Responsable des

Groupes Mobiles d'Interventions Sécuritaires

 
( Les photos sont de Pat et Eric )

 


L'EMPREINTE / SAVIGNY-LE-TEMPLE

NAKHT / BEAST

FALLEN EIGHT

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L'Empreinte de Savigny. Architecture d'un goût douteux, façade de grosses plaques colorées vertes, oranges, rouges, bleues. Le concepteur a dû penser que ça faisait jeune, et la municipalité que ce n'était pas trop cher. Par contre ils l'ont nichée à deux cents mètres du RER, excellente idée pour ceux qui ne possèdent pas de sémillante teuf-teuf mobile toujours prête à courir les routes dès que le mot magique rock and roll est prononcé. Ne boudons pas notre plaisir : trois bons groupes pour zéro centimes d'euro, difficile de trouver moins cher sur le marché. Comme par hasard – à croire que, contrairement aux lois sacro-saintes du libéralisme ambiant, c'est l'offre qui crée la demande - toute une jeunesse se presse devant l'établissement pour l'ouverture des portes à vingt heures tapantes.

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Petite déconvenue, nous n'avons pas droit à la grande salle, nous y avons vu ( rappelez-vous KR'TNT ! 243 du 08 / 07 / 15 ) au mois de mai dernier Barabbas et Klaustrophobia. D'ailleurs, avant qu'il ne soit trop tard je déconseille vivement aux lecteurs claustrophobes de s'abstenir de poursuivre la lecture de cette kronic. Toute la soirée, la densité au mètre carré sera égale à celle d'un trou noir intergalactique qui aurait été compressé par César. Compacté, mais vibrionnant.


NAKHT

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Nous avions assisté à leur première apparition publique le 11 octobre 2014 ( voir KR'TNT ! 205 ), à Chartrettes, nous avaient impressionnés, ils avaient gagné le tremplin, et pourtant ils n'étaient pas confrontés à des demi-portions... Les voici donc, deux ans après. J'avoue que cela me taraudait de les revoir. Ne sont plus que cinq, l'un des deux chanteurs, Thug n'est plus là. Sur le moment, je regrette, mais mes inquiétudes se révèleront vite vaines. A la première seconde.

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C'est cela Nakht. La puissance paralysante en action. Une force venue d'ailleurs. Le monolithe de 2001 Odyssée de l'Espace qui se pose parmi nous. La terre tremble sur ses assises et le monde entre en maelström. Deux guitares, Chris et Alexis, une basse, Clément, une batterie, Damien, ne font pas de la musique. Produisent de la matière. Du sable sonore, friable et irritant. Une pâte granuleuse sèche et brûlante. Prenez-la dans dans la main et elle s'écoule imperturbablement comme le sablier de la mort. Elle est le désert en fusion, et les lointains inaccessibles. Pas de mélodie, pas de rythme, simplement le feu qui dévore et la flamme qui consume. Et là-dessus Danny pose sa voix. Mettez le pied sur la queue du serpent et vous entendrez. L'organe bifide d'un mutant, un reptile qui dresse sa tête sur la pierre des pyramides, une reptation étrangère à notre galaxie, une fissure en mouvement qui dévoile des abîmes sans fond.

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Le venin de la folie s'est instillé dans les âmes. Space rolls dévastateurs, des colonies de fourmi noires comme attisées par une haine écarlate s'enlacent les unes aux autres, se dénouent, s'encastrent et rebondissent contre les murs, sans fin. Nakht libère les énergies rouges des sangs résiduels qui d'habitude stagnent dans les vaisseaux de notre corps. L'aboiement d'Anubis réveillent les morts. Les zombies que nous sommes se projettent en une spirale involutive qui nous ramène à l'état primordial, grouillement collectif du foetus germinatif originel. Nous sommes le cri, le vent, la tempête, et atteignons à l'insouciance des dieux immortels.

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Nakht s'égosille et invoque les forces telluriques des cauchemars. C'est la voix du prédicant qui soulève les éléments et déclenche les catastrophes. Cinq guerriers mais un seul être, un golem de nuisance, un insecte gigantesque, un scarabée monstrueux aux élytres de roches, aux antennes d'orichalque, un crissement gigantesque qui vous emplit de terreur et de joie. L'indicible est de retour, nous ne possédons pas de mots pour décrire cette pluie fécale, cette excrémentation cérébrale surgie du néant qui s'impose et nous engloutit en sa mouvance phonique. Nakht c'est l'horreur absolue et sa face cachée, l'extase hébétante. Nakht vous permet d'atteindre à la sensation d'éternité. Musique même pas inhumaine. D'une temporalité interdite aux frêles êtres humains que nous sommes.

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Nakht acte fractal. Ca n'akhtrrive pas qu'aux autres, suffit de les voir en concert pour en être persuadé.


BEAST

Groupe local. Tous issus de Seine & Marne. J'espère qu'aucun décideur local ne récupèrera l'idée et ne s'en serve de bande-son pour inciter les Entreprises à venir s'installer dans notre département. J'imagine les vues de la Forêt de Fontainebleau avec les rugissements de Beast par-dessus. Vont nous prendre pour les dernières tribus sauvages de l'ère paléolithique, nous cataloguerons d'aurignaciens inférieurs. Plus tout à fait des bêtes, mais pas encore des hommes modernes...

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Après Nakht, l'on ne pouvait pas mettre du 36 fillette. Alors on a libéré la bête, the Beast. Rien qu'à la balance l'on comprend que ça va être du gros cœur de taureau saignant qui bat encore soixante-douze heures après avoir été arraché de la poitrine de l'animal vivant. Pour que le public ne s'impatiente pas, laissent fulgurer comme par négligence, quelques demi-accords de guitare. Trois secondes au maximum, genre rhinocéros échappé du cirque qui déboule dans la messe du dimanche matin.

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Beast c'est du hard, hardcore banlieue, pour être précis, tenue de scène style équipement de footballeur, casquette de rappeur pour Cédric le chanteur. Admirez les biceps de Rémi le guitariste, assez larges pour y repeindre le plafond de la Chapelle Sixtine, s'est modestement contenté d'un tatouage monstrueux. N'ont pas de drum-machine, proposent mieux, un drum-Maxime, grand blond, cheveux longs, les toms très bas, pour le moment, fait ses exercices d'assouplissements, pivote sur lui-même, baguettes en main. On le sent pressé de commencer.

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C'est parti sous une monstrueuse ovation. Z'avez un peu l'impression que le mur du son vient de s'écraser sur vous. Mais au micro Cédric prend les travaux de déblaiement en mains. C'est quoi cet amalgame d'être humains en mouvements, fini de jouer aux autos-tamponneuses, c'était bon pour les années soixante, nouvelle attraction, amusons-nous au punching-bulldozers, rien ne vaut l'action de groupes, la saine émulation d'équipes qui se fracassent les unes sur les autres, ce qui n'exclut pas les fantaisies particulières comme les adeptes du trapèze volant sur la fragile tubulure qui supporte les ligths...

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Cédric sirène de requin enroué, pas l'inoffensive roussette des restaurants de bord de mer, le squale des profondeurs, le tueur des eaux froides, le glouton des surfers, les dents de la mort. Subite. Beast ne fait pas dans la dentelle, rideaux de sons, basse de Robin plus noire que la vie, guitare de Rémi road-movie à la tronçonneuse sanglante et Maxime qui forge l'épée du désastre sur ses cymbales. Je ne citerai que le titre des derniers morceaux – car toute parole peut être retenue contre vous – Like A Blood, Supporters, 77 HC ( vous ne risquez pas de confondre avec HEC ).

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Tout en force et rien en douceur. Car qui aime bien châtie bien. Public maso qui en redemande. Est-ce un concert ? Non, monsieur le Préfet, c'est une folie collective. L'Empreinte de Savigny-Le-Temple transformée en deliriumdrome. L'on soupçonne une épidémie due à un énorme moustique que nos spécialistes dénomment Beast. Aucun antidote répertorié pour annihiler les effets de sa morsure. - Mais alors nous sommes foutus ? - Jusqu'au trou du cul, Monsieur le Préfet, sauf votre respect, bien entendu.

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FALLEN EIGHT

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Je n'aime guère me livrer à des actes de dénonciation, mais quand c'est trop, c'est trop. Je donne donc le nom du coupable. Fallen Eight, c'est eux qui ont tout manigancé. Z'ont même donné un nom de code : The Fallen Eight : Release Party, juste pour fêter la sortie de leur premier CD, Rise & Grow, auraient pu faire leur tambouille avec leurs copines dans leurs deux pièces cuisine sans embêter le peuple, mais non, ils ont invité deux groupes de tueurs ( ils appellent cela des amis ) et rassemblé plus de deux cents fans dans une pièce qui peut au grand maximum en accueillir une soixantaine.

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Fallen Eight, vu le 02 octobre 2015 ( KR'TNT ! 250 ) aux Dix-huit Marches. ( Qui doivent fermer, en effet l'escalier politiquement incorrect est une passe impossible à franchir pour les handicapés. Interdiction logique, que j'approuve, car elle nous force donc à éliminer tous les riches actionnaires de la planète puisque les pauvres chômeurs sont incapables d'atteindre leur niveau de vie. ) Avaient ouvert la soirée et nous avaient délivré un métal furieux mais néanmoins mélodique, une incitation aux régressions internes dans le réservoir cauchemardesque de notre psyché brisée.

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Dès qu'ils ont posé les pieds sur scène, l'ambiance difficilement descriptible jusqu'à lors, est devenue totalement... indescriptible. Sont attendus comme les sept plaies sur l'Egypte. Tout le concert ne sera qu'une immense et énorme clameur poussée par le public, du début à la fin. Doivent être beaux car toutes les filles se bousculent pour squatter les places devant.

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Passer après la destructivité de Nakht et la bestialité de Beast est une véritable gageure. Possèdent leur huit de pique. Un chanteur, Clem, look androgyne, fine moustache blonde, chemise à gros carreaux rouges et noirs, une voix à cracher du verre et à graver des arabesques sur les verres en cristal de Tante Agathe, une élégance et un charisme innés, une présence folle, attire les yeux de toute l'assistance, une gestuelle de félin, ne reste pas en place, tout à l'heure au milieu de la foule vociférante, debout sur une caisse, vocal imperturbable mais le sourire complice en coin de lèvres. A l'opposé tout au fond, vous trouverez JP, souvent cachés par les guitares, mais il abat, sur ses caisses, un boulot phénoménal. Infatigable, terminera torse nu, ruisselant de sueur, tel un antique athlète grec oint d'huile luisante se préparant pour la pancrace. Florian et sa barbe de sapeur est à la basse. Elément décisif du groupe, à chaque fin de séquence il frappe du pied sur la scène et Fallen Eight repart de plus belle, tel un léopard qui se jette sur sa proie. Et puis Medy et Florian tissent des mélodies d'acier aux guitares. Le secret de Fallen Eight réside en ces tricotées de cordes savamment maîtrisées, ne perdent jamais le nord, chargent à mort, mais en groupe, compacts.

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Ce soir Fallen Eight nous emporte dans un tourbillon de phantasmes oniriques, voyage aux pays où l'on n'arrive jamais, avec escale à Cythère et croisière sur la nef des fous. Last One, Worst Nighmare, Reborn, les titres parlent d'eux-mêmes. Les deux guitaristes sont emportés sur les mains des fans et se perdent au fond de la salle, hystérie collective, faudra deux rappels, deux Final Shots cataleptiques pour que les morts-vivants déchaînés que nous sommes acceptent de rentrer dans le cercueil de leur train-train habituel.

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MORE

Non je l'ai pas oublié, s'appelle Athur, Clem lui a passé le micro sur un morceau. Encore un hurleur du fond des bois vampiriques, possède aussi un groupe : From A Broken Stereo, l'ai mis en zone rouge, dans le collimateur, faudra provoquer l'occasion d'un concert pour entendre le prince Arthur de plus près.

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Vingt-trois heures quarante, la teuf-teuf démarre, quelle soirée, quelle pêche, quel enthousiasme, quelle jeunesse ! Il y a soixante ans que cela dure, le rock and roll a la vie dure !

Damie Chad.


P. S. : On en reparlera la semaine prochaine, j'ai ramené le CD de Nakht et celui de Fallen Eight. Deux groupes à suivre.

Les photos sont sur les FB des artistes, elles sont signées Alek Garbowski qui couvre Beast ( is the best ) et les copains.


MUTANTISME : PATCH 1.2


NIKOLA AKILEUS / ZAÄK ARANDI / ARCHILUX / NICOLAS BAUDOIUN / BEURKLAID / VOLODYMYR /BILYK / SERGE CASSINI / PATRICE CAZELLES / ALEXIS CHOPLAIN / g.cl4renko / COLLECTIS M.A. / FRANCK OSLO DEAUVILLE / MARINE DEBILLY / SEBASTIAN DICENAIRE / JME GUGGINO / MARC HERNANDEZ / HYPSIS / LESALA / LWO / MERYL MARCHETTI / AURELIEN MARION / NORA NEKO / OXYJENNY / SEE REAL / MATHIAS RICHARD / OLIVIER DE SAGAZAN / XAVIER SERRANO / CHRISTOPHE SIEBERT / YANNICK TORLINI / ANNABELLE VERHAEGHE / OLIVIER WARZAVSKA
( CAMERAS ANIMALES / Février 2016 )

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Caméras Animales. Tout un programme. C'est comme si vous regardez le monde depuis l'œil d'un varan. Question de perspectives. Le maître d'œuvre de cette maison d'éditions s'appelle Mathias Richard, écrivain, poète, performeur. Plusieurs cordes emmêlées à son arc car parfois chez les êtres humains – espèce en voie de disparition – la création s'auto-produit réseaunablement. D'où le saut qualitatif qui s'opéra en 2011, lorsque parut Le Manifeste Mutantiste ( 1. 1. ). Cinq ans plus tard, voici donc ce Mutantisme : patch 1. 2.

Faut le dire, ces derniers temps la poésie et la littérature ronronnaient. Je ne parle pas de cette hypertrophie éditoriale d'écrits massifiés destinés au grand public, mais de cette auto-consécration thurifériale et mortifère de leur passé. Je n'en donnerai que deux exemples : la débauche célébrative en 1991 du centenaire de la mort de Rimbaud et tout présentement les cérémonies en l'honneur des cent ans de la naissance de Dada. Les temps ont changé : fut une époque où seuls les moutons de Panurge avaient droit à l'honorable couronne de lauriers marquant l'appartenance au cheptel des bêtes d'abattoir, aujourd'hui l'allégeance du citoyen au Système a atteint à un tel degré d'épuisement que l'on récupère avant tout... les irrécupérables.

C'est que voyez-vous le monde a changé. En trente ans, la civilisation a mis des bottes de sept lieues. Pour nous pauvres mortels il ne s'agit pas de se répandre en jérémiades. Ce n'est pas que c'était mieux avant. Ce n'est pas que ce sera pire demain. C'est exactement maintenant qu'il faut nous rendre compte qu'il ne suffit pas de changer de fusil d'épaule. C'est notre épaule qu'il nous est nécessaire de métamorphoser. Nous faut muter. Le monde n'est pas en crise, il est en train de se transformer, l'est comme les atomes de Leucippe et de Démocrite. Court plus vite que nous et nous avons intérêt à piquer un bon sprint si l'on veut rattraper le retard que l'on a pris. La passe est difficile. L'accélération est foudroyante et nous ne sommes pas habitués à supporter un tel rythme. Etrangement pour une fois le danger ne vient pas de nos congénères. Jusqu'à maintenant c'était pépère : l'on s'étripait mutuellement joyeusement. Aujourd'hui nous sommes confrontés à une nouvelle race d'envahisseurs. Nous avons joué aux apprentis sorciers et nous avons perdu. Heidegger nous avait avertis : la bombe atomique a été déclenchée par le poème de Parménide. L'était loin de compte le grand Martin, l'existe encore pire que le neutron qui se désarticule. Ce sont de petites bêtes inoffensives, vous ne sursautez même pas lorsque leurs noms résonnent à vos oreilles : machinisme, robotique, informatique, cybernétique, ordinateurs. Pour le moment sont encore dociles. Mille fois plus que votre chien qui aboie pour sa promenade. Mais elles sont comme le dieu de la bible : elles vous fabriquent à leur ressemblance, elles vous modélisent. C'est un défi. Qui ne vous est pas claironné dans les oreilles. Mais qui agit comme le chaos rampant de Lovecraft, s'insinuent partout, ne se sont pas encore emparées de la citadelle de votre cerveau, mais s'infiltrent habilement, souterrainement dans vos habitus, dans vos comportements, vous déprogramment petit à petit de votre humanité et vous reprogramment à leur façon. Une invasion comportementale qui tend à vous modifier.

Z'avez intérêt à vous manier le brain storming si vous désirez ne point être englués dans la toile de l'araignée. N'espérez pas rester ce que vous êtes. L'antique Humanitas est périmée. Deux solutions, ou les machines vous changent ou c'est vous qui changez les machines. Mais pour ce faire, bougez-vous, en autre termes construisez-vous une nouvelle nature : abandonnez le rêve de la créature éternelle, encore un peu perfectible, mais pas très loin de sa réalisation totale. Rien ne sert de détruire la machine, elles ont déjà concassé l'Homme même si vous ne vous en êtes pas aperçu.

Ou vous n'êtes plus, ou vous êtes des apprentis mutants. Ou les poubelles de l'Histoire ou la radieuse aurore. Pas d'alternative. Devant un tableau si réalisto-pessimiste, je vous sens inquiets. Vous voudriez bien tenter la grande mutation, mais vous ne savez comment faire. La solution est à portée de votre main : dans Mutantisme : patch 1. 2. Bonne lecture.

L'existe deux sorte de machines. Celle qui vous permet de battre les oeufs, c'est un mixer, juste un exemple parmi des milliers d'appareils plus ou moins sophistiqués. Et celle qui a présidé à leur conception intellectuelle. C'est le langage. L'est unique. Peut aussi se décliner sous forme de sons ( plus ou moins mélodieux ), de pictogrammes ( plus ou moins élaborés ) de volumes objectaux ( plus ou moins difformes ). Mais le langage c'est avant tout les mots qui véhiculent la pensée. Le problème c'est que depuis des millénaires nous avions totalement apprivoisé le langage. S'est mis à notre service, nous a aidé en tout et même à fignoler notre environnement machinique, qui est en train doucement mais sûrement de prendre le pas sur nous, c'est-à-dire de devenir le maître du langage. Un peu comme si ce chien amadoué à force de caresses et de croquettes, qui dort sur le canapé, commençait à régner en maître dans notre appartement.

Les mots d'ordre du mutantisme sont clairs : il nous reprendre barre sur le langage, sous toutes ses formes, écritures, musicales, picturales, et même machiniques. Ce volume riche d'une trentaine de contributions nous enseigne les rudiments d'une stratégie qui se veut opératoire. Les premiers mutants, les éveilleurs, opèreront par la force des choses dans la sphère artistique. Ne pas détruire les machines, mais pervertir leur fonctionnement. Telle est la stratégie. Ce n'est pas la machine qu'il faut changer, mais notre rapport au langage, l'utiliser autrement afin que la machine soit infestée par notre nouvelle manière de penser. Agir comme un virus, car il s'agit de faire en sorte que ce soient les machines qui produisent selon nos nouveaux schèmes de penser, tout en participant à la création de notre nouvelle pensée. Nous mutons, mais la machine aussi doit suivre notre mutation.

Tout ce qui précède pour le niveau théorique. Reste à nous pencher sur les mises en pratiques concrètes. C'est-là que vous vous apercevez du retard accumulé. Les mutantistes proposent beaucoup, mais les dadaïstes, les lettristes, les bruitistes, les situationnistes et tous les autristes ont déjà défriché le chemin, ont établi les principes d'une autre circulation du sens. N'est plus question d'exposer, de dire, de démontrer, mais de créer les courts-circuits qui font émerger le sens par l'interruption même du sens. Notons que nous sommes dans des propositions qui recoupent quelque peu les propositions des Appelistes groupés autour de la revue Tiqqun. Ce qui est assez logique puisque Tiqqun procède en partie de la démarche situationniste.

Certes le rocker de base peut se sentir un peu perdu et se demander où toute cette intellectualité le mènera. La lecture de notre Kronic de Lipstick Traces de Greil Marcus ( in KR'TNT ! 136 DU 21 / 03 / 2012 ) qui retrace la généalogie secrète qui court de Dada aux Sex Pistols ne pourra qu'aider à faire comprendre que souvent l'apparition d'un phénomène quelconque est acté par de multiples et insoupçonnables influences... D'autres part, l'invasion de l'électropop dans le monde du rock ne pourra que générer des réflexions instructives. Le Système possède des capacités de récupération phénoménales même si ce Patch 1. 2 tout attentionné à vous aiguiller vers despropositions destructionnelles ne s'attarde guère sur le phagocytage sans cesse possible des modes de rébellion anti-Système.

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Ce livre est urticant. Vous pousse dans vos retranchements, il s'attache davantage à contourner le Système qu'à le détruire. Ce qui ne nous rend pas plus fort, nous tuera un jour ou l'autre. Ce Mutantisme : patch 1.2 ne serait-il pas l'annonce de notre prochaine disparition ? A lire et à méditer. Et à mettre en oeuvre.

Damie Chad.

( PS : Photo de Mathias Richard, nous ne pouvons que conseiller aux lecteurs curieux d'explorer les sites net du mutantisme et de ses signataires )

10/02/2016

KR'TNT ! ¤ 268 : COOKINGWITHELVIS / BE BOP CREEK / PSYCHEDELIC / JODOROWSKY

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 268

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

11 / 02 / 2016

 
COOKINKWITHELVIS / BE BOP CREEK

PSYCHEDELIC / JODOROWSKY

 

ROUEN ( 76 )

LES TROIS PIECES / 24 – 10 – 2015

LE KALIF / 5 – 02 - 2016

COOKINGWITHELVIS

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A DATE WITHCOOKINGWITHELVIS

Un jour, un bon ami disquaire me colla dans les pattes un LP et deux singles.

— ‘Coute ça !

Le connaissant pour son flair de cocker, j’obtempérai, malgré un a-priori défavorable concernant le LP : la pochette noire ornée d’une sorte de graphe de pendu me déplaisait par son côté sommaire. Par contre, la pochette intérieure semblait plus alléchante : on y voyait la photo d’un mec coiffé d’une pompadour qu’encadraient deux pulpeuses chanteuses black. On aurait dit un Esquerita à la peau blanche pris en sandwich entre deux clonettes de Tina Turner. Miam miam.

Alors je fis ce qu’on doit faire dans ces cas-là : une écoute au casque. Mais rien n’est plus difficile que de s’enthousiasmer à froid, à partir d’un disque dont on ne sait rien. Un morceau accroche, et puis le suivant déçoit. Le troisième, puis le quatrième. J’ai rangé l’album dans sa pochette. Même chose pour les deux singles et retour au comptoir.

— Alors ?

Il fallait trouver quelque chose à répondre.

— Ben bah bof...

No comment. Le disquaire remit l’album et les singles dans la pile. Histoire de ne pas rester sur un malentendu, je fis l’hypocrite :

— Ya des trucs intéressants... D’où ça sort ?

— Ils sont parisiens. Le label s’appelle Bullit. Un mec est venu les mettre en dépôt.

Comme toujours dans ces cas-là, on sent que pour les disques, c’est foutu d’avance. Le vrai boulot n’est pas fait. Personne ne sait raconter l’histoire du groupe. Il y a forcément une histoire. Mettre des disques en dépôt chez un disquaire, ça ne sert strictement à rien. C’est exactement la même chose que de laisser des flyers pour le concert d’un groupe que personne ne connaît. Qui va aller risquer de s’emmerder pendant une heure comme un rat mort ? Seuls les curieux viendront et encore, c’est une race en voie de disparition. L’underground est un monde extraordinairement difficile et donc mortifère. Les groupes ne doivent le plus souvent leur survie qu’à leur seule réputation. Et qui fabrique les réputations ? Les fanzines, bien sûr.

Les fanzines ont toujours su cultiver la réputation des groupes, car ce sont des fans qui les publient. C’est le rôle que se sont assigné Dig It et Rock Hardi depuis des lustres, et que s’assigne à une autre échelle Ugly Things. Mike Stax et l’équipe de Dig It défendent une culture et des artistes fragilisés ou happés par l’oubli. Avec leurs petits bras et avec leur petites jambes, ces gens qui sont des fans savent consacrer quatre pages à un loser dont on ne verra jamais les disques à la FNAC, qui, faut-il le rappeler, n’a jamais été un disquaire. Quand on parle de disquaires, on parle bien sûr d’endroits comme l’Open Market, Music Action ou Born Bad au temps de la rue Keller, ou encore Rock On à Londres.

On rejette un coup d’œil à la pochette noire. Au fait, c’est quoi, le nom de groupe ? Wow ! CookingWithElvis ! Plutôt bizarre. Et même incompréhensible. Et puis cette histoire de choristes black ne passe pas, tout simplement parce qu’on vient de se faire avoir avec les deux albums des Excitements, un groupe de soul-funk basé en Espagne et mené par une tigresse qui aimerait bien chanter comme Tina à l’époque de la Revue. Mais les Excitements ne sont pas les Buttshakers. Il leur manque le petit quelque chose qui fait la différence.

Les mois passent et voilà qu’on annonce une soirée Bullit en ville. Tiens tiens... Un vague souvenir de quelque chose, mais rien de précis. Souvenir d’un joli son sur un single, quelque chose de bien rock, mais rien de plus. On mène l’enquête et voilà qu’on découvre que le leader de Rikkha joue dans Western Machine, en première partie de CookingWithElvis. Oh on verra bien. Tous ceux qui ont vu Rikkha ne seront pas déçus par Western Machine : le trio sort le gros son. Seb le Bison porte un Stetson fatigué, un collier de chien et un costard rouge. Il offre au maigre public rouennais cette touche de rock glamour à laquelle nous avaient habitués les Dolls. On retrouve à la basse Marion la Vidange qui cette fois est coiffée comme un greaser chicano. Elle s’est dessiné des rouflaquettes et une moustache au feutre. Ça fait illusion. Elle ne trahit sa féminité que lorsqu’elle parle au public.

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Dans le petit backstage de la cave, on aperçoit une sorte d’Alice Cooper surmonté par une pompadour de vingt centimètres. L’étrange individu porte l’un de ces costumes trois pièces très cintré qu’on portait dans les années soixante-dix et les bottines de frimeur qui vont avec. Et soudain arrivent deux plantureuses blackettes en jupes courtes.

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Wow, on se dit qu’Alice Cooper dispose vraiment des gros moyens s’il peut se payer des choristes de cet acabit ! Elles sont toutes les deux magnifiques, imposantes, avec tout ce qu’il faut pour faire lever un sourcil de macho. Ils s’installent sur scène. Pas de cuivres ? Non juste un backing-band traditionnel guitare basse batterie, mais comme on va le voir, quel backing-band ! Alors attention, ce que ces gens-là proposent est tout simplement exceptionnel. Leur set est une pétaudière. Ça ressemble à un gag au départ mais on s’aperçoit très vite qu’ils jouent comme de vrais soul-shakers. C’est même par moment complètement explosif, car monté en épingle par les deux choristes qui bouffent littéralement la scène, qui dansent et qui shoutent, trempées de sueur et possédées par les dieux de la Soul.

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Elvis fait lui aussi le cake et il danse comme on savait danser dans Soul Train, l’émission mythique de Don Cornelius. Il faut voir cet Elvis coordonner ses pas avec ceux des deux blackettes et pirouetter comme un Travolta de train fantôme. Il plonge son regard de fou dans ceux des spectateurs, exactement de la même manière que Screamin’ Jay Hawkins en son temps au Méridien - les filles criaient car il leur faisait peur, mais c’était pour rire - Musicalement, ils tapent dans le western gothique et les balladifs élégiaques, au cours desquels ils se livrent à des ballets sulfureux. Quand Elvis danse le slow avec ses deux partenaires, ça tourne à la grosse partie de froti-frota, mais bon esprit. L’incroyable est qu’ils parviennent à danser sur du country rock up-tempo comme s’il s’agissait d’un hit de James Brown. Et ça marche !

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Les filles font tourner les chœurs et les cœurs en bourrique - Johnny my lover ! - Oh et ce balladif indécent de classe qui s’appelle «Pretty Girl» mené à la baguette par une Flora déterminée à vaincre. Et sur «I Was A Bird», entre deux couplets gluants de western gothic, Elvis twiste comme un Chubby Checker de Muppet Show, fantastiquement tatapoumé par derrière. Le genre de spectacle que l’on voudrait sans fin.

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Du coup, on récupère le fameux «Fireman» à la pochette noire. Ça s’ouvre sur un «I Carry The Sun» digne des Rezillos et du chant de menton vainqueur. Voilà un cut joliment profilé sur un drive de basse avantageux. C’est la dame en noir qui prend au chant «Fucking Girl» pour lui faire sa fête. On voit avec «Funeral Blues» que Jype sait très bien crooner à la surface des balladifs élancés. «Ma Complainte» est une reprise du hit de Joachim Du Bellay, la fantastique «Complainte du Désespéré». Mais c’est avec «I Was A Bird» que le groupe décolle véritablement. Sur scène, on les voit danser à trois sur le refrain. Il règne dans ce cut la même atmosphère de western gothique - I want a bird/ The sun was out - C’est un vrai coup de Jarnac apparemment tiré d’un poème de Richard Brautigan. Quelles belles dynamiques internes ! En face B, le «Lipstick» qui fait l’ouverture sonne comme du Marianne Faithfull. C’est Flora qui chante et qui s’en sort avec les honneurs. Et on retrouve la fantastique frénésie avec un «Fireman» chanté à trois voix. Quelle énergie ! On les sent bien montés sur le beat, bien ramassés sur eux-mêmes et prêts à intervenir pour en découdre sévèrement. Ils retapent dans Brautigan pour un «Madeleine» qui ne doit absolument rien du tout à Brel. Pour «Johnny» ils créent une ambiance musicale extrêmement sophistiquée. Toutes leurs ambiances sont typiques du Southern Gothic de banlieue, avec un mélange bouleversant de pulsions motrices et de chœurs d’artichaut, de dance in the dark et de beat gluant.

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Jype et ses amis sont revenus secouer les cocotiers rouennais. Pour remercier Louen de son accueil, il lut sur scène un petit poème de Pablo Neruda et jeta son Folio dans la foule. Il n’y avait rien de nouveau par rapport au set précédent, le groupe jouait avec le même enthousiasme, la même cohésion et le même sens de la fête, avec de sacrées montées de fièvres et des pas de danses à trois fabuleux. Oh, il n’y avait pas foule, mais on sentait que Jype et ses amis gagnaient les sympathies une par une. La version de «Pretty Girl» fut absolument magique. C’est l’un des hits de Cooking, comme ce «I Was A Bird» qui embarque systématiquement la salle en voyage pour Cythère. Ils firent un simili rappel avec une reprise d’Elvis, le fameux «Viva Las Vegas» qui prit des tournures de carnaval à Rio, avec cette force d’enchantement et cette conviction qu’on retrouve chez Tav Falco lorsqu’il tape dans «Brazil». Les filles dansaient en rigolant et on se sentait une fois de plus dans le meilleur des mondes. Si on aime le rock et le spectacle, le bon esprit et la modernité, il faut aller voir les Cooking.

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Signé : Cazengler, CookingWithL’Avis


CookingWithElvis. Le Trois Pièces. Rouen (76). 24 octobre 2015

CookingWithElvis. Le Kalif. Rouen (76). 5 février 2016

CookingWithElvis. Fireman. Bullit 2015


MIDWAY SHOOTER BAR

TROYES / 07 / 02 / 2016

BE BOP CREEK


De retour au Midway Shooter bar, aux canapés aussi profonds que la mer, celle que l'homme libre toujours chérira. Premiers arrivés, nous qui venons du plus loin, les Be Bop sont encore attablés et dégustent leur part de pizza. Toutefois le pub se remplira doucettement mais avec une constance qui fit plaisir à voir.

ROUND ONE

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Trois pas plus. Caisse claire, tambour, cymbale. Le strict minimum. Le royaume de Laurent. Rocky est à sa gauche à la contrebasse, et William à droite à la guitare. Formation équilatérale. A trois il ne peut pas y avoir d'angle mort. Chez BBC, le wait and see n'est pas de mode. Pas question de glander dans son coin, pendant que les copains ramonent la cheminée. Trio rockab, rien de plus simple, rien de plus difficile. Arcs-boutants sur le mur porteur. Un seul qui flanche et l'ensemble s'écroule. Pouvez suivre l'apport de chacun à l'oreille. Pas de droit à l'erreur. Surtout qu'ils poussent le challenge plutôt haut. Les exercices les plus difficiles. The earlier rock. Le rock des débuts. Celui inimitable des pionniers, ces gars surgis de nulle part. Une génération spontanée, beaucoup retombés dans l'anonymat d'où ils étaient venus, dont il ne reste que quelques disques comme autant de traces éparses et perdues. Un miracle qui s'est joué entre 1954 et 1960. Quelque chose qui n'est déjà plus du tout le western bop et que les bricolos de la génération suivante s'en iront turbiner et surfiner à leur guise dans les garages parentaux. Un instant de grâce musicale, mais tempétueuse. Le monde en a été bousculé.

Reprises et contrepartie. Ne pas copier. Be Bop Creek relève le défi, deux originaux d'entrée, No Squares Allowed suivi d'Emelynn Gal. Laurent donne le rythme et chante. Et tout de suite, c'est l'enchantement, la justesse du phrasé et ce balancement inimitable du beat lancinant que l'on hache à toutes les sauces. Pas le temps de musarder. William vous lâche de ces banderilles dans les oreilles, c'est ce que j'appelle du Peavey Picking, une note égale une balle traçante, l'en lance comme s'il en pleuvait des piques et des hallebardes. Impossible de confondre les épines lacérantes du rockab avec les romances à l'eau de rose. Trois minutes pour conquérir le monde. Et l'on recommence tout de suite après.

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Rocky vous tient sa big mama droite comme I. Ne doit pas aimer la tour de Pise, au moindre écart de son axe de symétrie, un soupçon à gauche, un semi-tantinet en arrière, il vous la remet droit debout, aussi rectiligne qu'un fil-à-plomb, stable comme le donjon d'un château-fort. Ne penche pas un chouïa du côté par où elle va tomber. Je vous préviens, Rocky est un faux-calme. D'apparence le gars sérieux qui marne dur pour ramener la paye à la maison. Mais il a ses moments de folie. Pas douce du tout. Sans préavis il la jette à terre, s'allonge dessus sa cavalière de bois verni ou s'étend dessous. Continue d'en jouer méthodiquement, imperturbable, pour un peu il nous ferait croire qu'il est en train d'officier une messe en Ré Mineur dans le London Symphonicum. Ne trompe personne, l'a un arrachage de cordes un peu trop sauvage pour donner le change. Tout cela ne sera rien lorsqu'il entreprendra, plus tard, une danse du scalp échevelée autour de la prisonnière du désert – genre trip lakotas en colère à la bataille de Little Big Horn – qui nous arrache des hurlements de peaux-rouges.

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Je n'aimerais pas être à la place de Laurent entre ces deux acolytes. Les mecs les plus sérieux du monde, s'inquiètent de la tonalité, quémandent pour qu'il indique le rythme initial, et... s'amusent à démarrer avant ou après. Just for fun, et la seconde suivante ça fuse en trombe, accrochez-vous aux petites branches, il n'y a sûrement pas de frein. Nous servent un festin. Des plats exquis aux saveurs rares, du Terry Fell, du Lonnie Lillie, du Doc Palmer, du Bill Bowen, du Van Brothers. Palais sensibles s'abstenir, petits régals superbement asticotés et épicés à souhait. Laurent est au four et au moulin, bat le beurre au lait de dinosaure sur sa maigre batterie de cuisine, et infléchit de sa voix le boulot des deux marmitons qui récurent leur casserole avec une énergie sans cesse renouvelée.

Et puis il y a les cadeaux maison, un Lonely Heart de Carl Perkins, un Crazy Legs de Gégène Patte Folle Craddock, un Teenage Cutie d'Eddie Cochran et un Stuck On You du Pelvis expédié à coups de pompes dans le croupion, comme jamais Elvis n'a osé le faire.


ROUND 2

Je ne l'ai pas vu passer. Trop bon. De petites merveilles, un Big Fool de Ronnie Self, un Shake 'um Up Rock de Benny Cliff, un Jilted Again des Collins Coins ( celui-là, je ne sais pas d'où ils l'ont sorti, ils ont dû le déterrer avec la hache de guerre ), un Alone and Crying de Johnny Fortune, remastérisé à la Johnny Burnette, nous supposons pour lui inoculer un plus de nocivité. Plus leurs propres compos qu'ils pourraient nous faire facilement passer pour des morceaux de célèbres inconnus.

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Laurent est à la fête, baguette fichée sur la caisse claire, immobile, et le balai qui fait le ménage autour. Inimaginable toutes les nuances que l'on peut exfuser d'une simple peau tendue. En fait ce n'est pas l'instrument qui résonne, mais la façon de l'aborder qui pulse la différence. C'est l'énergie de la frappe qui modifie le quanta sonore. L'a dû écouter au moins dix mille fois Dickie Harrel pour arriver à ce nuancier de touches, ces traînées d'échos comme un camaïeu de frappes dont le dégradé serait atteint d'autochromophonophagie sismique opérant ces glissandi si particuliers, d'autant plus que si William joue à la note, il ne suit en rien les longs silences syncopiques du jeu qu'imposait Cliff Gallup, et en cela le son de Be Bop Creek acquiert sa légitime originalité. Lorsque William s'emparera de son bottleneck, la donne ne changera pas, malgré les longs rubans d'acier dévalés dont il enchaîne ses rafales de notes discordantes et détachées qui vous clouent au sol en des postures extatiques. Be Bop Creek, ce sont les flèches meurtrières d'Héraklès qui se fichent dans les sternums d'airain des oiseaux du Lac de Stymphale.

ROUND 3

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Ce devrait être interdit de prévoir uniquement dix titres pour le final. Surtout quand on allume le feu avec deux petits Cochran à vous faire dépaver les rues et deux Elvis incandescents en générique de fin. Mais ce n'était qu'une infâme ruse de coyote pour mieux s'approcher du soleil rougeoyant du rock and roll. William sort de derrière son ampli, sa petite liste personnelle. A prendre et à ne pas laisser. Les deux autres n'ont qu'à suivre. Ce qu'ils font en courant. Façon toute symbolique de parler puisque Rocky rampe par terre sous sa contrebasse comme un escargot, William assis sur l'instrument jouant manifestement la coquille du gastéropode. Skinny Jim, Little Girl, un Stray Cat, Blue Jean Bop, Red Bluejean and a Pony Tail, défilent dans un délirium final. Le public collé au trio infernal, aboie et hoquette sans fin. Justement ce n'est pas la fin, dernier morceau. William appelle Raphaël, c'est le patron, un gars discret et souriant. Je n'ai aucun reproche à lui adresser, mais des voix s'élèvent, manifestement personne ne veut l'entendre chanter. Laurent est là pour ce noble exercice. Raphaël s'avance sous la bronca, dédaigne le micro, tend le bras vers William et lui en coupe deux d'un geste vif et assuré. Rassurez-vous demoiselles. Puis trois autres. Pas avec les mains comme un saguoin, avec une pince coupante, ne lui en reste plus qu'une. Corde à sa guitare, qu'à cela ne tienne, l'on aura droit encore à un dernier classique et pour finir en beauté un instrumental à fond les manettes qui ressemble pas mal au Get Rhythm de Johnny Cash. Sur une seule corde sans filet. Je ne vous raconte pas comment Rocky a dû pédaler pour rétablir l'équilibre.

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GROUND 0

Ce coup-ci, c'est terminé pour de vrai. Nous reste même plus assez de cordes pour nous pendre de désespoir. Les Be Bop Creek nous ont scotchés. Puissants et affûtés, le bon vieux rockab des familles, comme on l'aime. Survitaminé et décapant. Un ruisseau où il fera bon de retourner boire.

Damie Chad.

( Photos : FB : Nathalie Gundall )

 
ROCK & FOLK / H. S. 32.

PSYCHEDELIC SHIT

( Décembre 2015 )

 
JEROME SOLIGNY / BERTRAND BOUARD / ERIC DELSART / THOMAS FLORIN

PHILIPPE MANOEUVRE / BUSTY /DOMINIQUE TARLE / OLIVIER CACHIN

THOMAS E. FLORIN / PATRICK EUDELINE / CHARLES CIANFARANI

EVE BABITZ / PHILIPPE GARNIER /ALEXANDRE JODOROWSKY

ROBERT CRUMB / PHILIPPE THIEYRE / NICOLAS UNGEMUTH

JOE BANKS / BENOIT SABATIER / BASILE FARKAS

JONAZTHAN WITT / JEAN SOLE

 

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Cent soixante-deux pages, des illustrations à la veux-tu en voilà, et du texte en petits caractères, quelques heures de lecture, toute l'équipe ( ou presque ) de Rock & Folk y a contribué. C'est que le sujet est ample. Touche à la période sacrée du rock classic, prend son essor au milieu des sixties et mord sur le début des seventies. Et puis il y a le retour du rock psychédélique, ces derniers mois. Le psychédélisme est dans l'air du temps. Trois destins exceptionnels en couverture, Janis Joplin, Jimi Hendrix, Jim Morrison, trois figures iconiques du rock, mais il ne faudrait pas que les baobabs géants cachent la forêt de broussailles impénétrables, peuplée encore davantage de reptiles étranges et miraculeux que les bayous de la Louisiane d'alligators voraces.

Le rock, le blues, le rhythm and blues, jusqu'en 1965 la zoosphère roucoulait pépère. Parfois cela prenait des aspects de pierres roulantes qui dévalaient les pentes en un sublimissime tohu-bohu dévastateur, mais chacun y retrouvait ses petits assez facilement. C'était un domaine réservé. Aux parias de la société. Les rejetés, les réprouvés, les marginaux. Subitement ce fut l'invasion. Jusqu'à lors il s'agissait essentiellement de musique. Et brusquement les hordes barbares et chevelues entraient dans l'empire. Un phénomène nouveau et inquiétant. Ne venaient pas squatter un endroit strictement délimité, pas question de s'entasser entre les hautes murailles du Domaine d'Arnheim, plus il en arrivait, plus les murs reculaient, l'impression d'un ballon de baudruche dont les parois s'écartent de plus en plus au fur et à mesure que l'on y souffle de l'air. Univers en expansion.

Jusques-là le rock était une musique. Point à la ligne. Et voici que s'ajoutaient des pelures qui n'avaient à voir avec : du graphisme, de la littérature, de la presse, des expériences existentielles, du cinéma, de l'électronique, de la couture... Total capharnaüm ! Les cats de base n'y retrouvaient plus leurs petits rockers chéris des origines. Les verrous avaient sauté. C'est que l'explosif employé était puissant. Nom de code : LSD 25. Provenance USA. Un acide qui ne rongeait pas ( enfin, pas obligatoirement ) le cerveau, mais qui vous le surmultipliait. Vous n'étiez plus vous, vous étiez en même temps et le vecteur cinétique de vos sensations, et le décor halluciné et coloré dans lequel vous vous mouviez, et l'incarnation des idées et des pulsions qui traînaient habituellement dans votre subconscient mémoriel. Le big trip. Intéressant. Ces essais pharmascopiques auraient pu s'arrêter là. Il n'en fut rien. Vous manquait la bande son. Elle s'imposa d'elle même. Le rock and roll et rien d'autre. Le classique trop pompeux, le jazz trop bavard, le rock était la bonne sur-vitesse.

Ce phénomène amena un changement du public, aux engagés un peu frustres des légions populaires de la première heure, s'adjoignirent les cohortes d'étudiants ouverts à d'autres réalités que la transe strictement binaire. Le rock acquit une dimension artistique qu'il ne possédait pas à ses débuts. Fut rejoint par des cohortes d'artistes en tout genre, qui sautèrent dans le Mystery Train du vieil Elvis en marche, dont ils ne tardèrent pas à repeindre, puis à réaménager les wagons. Se glissèrent aussi dans la cabine de la locomotive, et s'occupèrent à redessiner le tracé des rails. Ce fut le dernier grand mouvement culturel de masse du vingtième siècle, une sorte de surréalisme sauvage à la puissance mille, auprès duquel les Manifestes objurgatifs de Breton faisaient pâle figure et grise mine. Le psychédélisme ne promettait rien, ne tirait pas des plans sur la comète du futur d'une humanité à libérer. Il réalisait. Dans l'anarchie la plus complète. Et pas question de faire semblant de ne pas le voir, l'était trop flashy. Ni de ne pas l'entendre, le rock and roll était une caisse de résonance, trop stridente.

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Aux USA, la jeunesse n'eut pas le choix, ou l'amour libre ou la guerre. Ne voyez pas la réalité avec le petit trou de la lorgnette du sexe. Refuser le Vietnam, c'était choisir d'autres rapports humains, féminisme, droits civiques mais peut-être encore plus profond, le refus d'une consommation industrialisée, lutte armée, retour à la campagne, écologie, bouffe-bio, usage de stupéfiants, tout s'entremêlait, tout se mettait en place, rien ne restait fixe... Un profond bordel dans les consciences, les autorités eurent les chocottes, les tentatives d'instauration de zones de vie différentes dans les grandes villes comme Londres, Amsterdam, San Francisco, ne reçurent pas la bénédiction des pontifes politiciens... En Angleterre la revue IT ( International Time ) devint la bête noire des policiers... Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Faut lire l'article d'Eric Delsart, Ladbroke Groove, sur Notting Hill quartier londonien laboratoire existentiel et musical, avec parmi tant d'autres, la belle et exemplaire personnalité de Mick Farren ( dont notre Cat Zengler favori nous a longuement entretenu à plusieurs fois dans KR'TNT ! - voir par exemple Livraison 153 du 29 / 08 / 2013 ).

Mais avant de nous lancer dans l'exploration de toute la mouvance psychédélique internationale, je m'attarderai sur l'apport français au mouvement, tel que nous le rappelle Patrick Eudeline. Une kyrielle infinie de noms. Je doute fort qu'un lecteur d'une vingtaine d'années arrive à en identifier deux ou trois de plus que Johnny Hallyday et Antoine. Certes les radios et même la télévision ne furent pas totalement étanches, mais comme trop souvent, il n'y eut pas de véritable suivi. Des apparitions fugaces et puis plus rien. Déjà que les maisons de disques vous bridaient pas mal le cou, et qu'il n'était pas facile d'enregistrer exactement ce que vous désiriez... en résumé, le psyché national, maintenu par les programmateurs en une ombre cauteleuse, n'atteignit pas le grand public, comme toujours ce fut un rendez-vous manqué avec l'Histoire. La malédiction camembertique du franchouillard n'a pas omis de commettre ses ravages habituels.

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Par ordre chronologique, Thomas Florin nous cause du premier hippie. Le néanderthalien originel. Se nomme Eden Ahbez, un doux sauvage végétarien rousseauiste, né en 1908 et mort en 1995. Aimait à vivre dehors en pleine nature, faisait la route, fut l'immortel auteur de Nature Boy, un hit de Nat King Cole, qui rapporta tant d'argent à Capitol qu'avec les bénéfices l'entreprise fit construire la célèbre tour ( celle-là même où Gene Vincent... ). Enregistra en 1960 un disque Eden's Island, qui n'eut aucun succès, mais influença par ses parti-pris existentiels et musicaux les mouvements beatnik et hippie. Fut aperçu dans un studio avec Brian Wilson des Beach Boys...

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A tout seigneur, tout honneur. Les Beatles. Un groupe sur le départ. Implosif. Entamaient leur deuxième période par un grand voyage initiatique en Inde. S'étaient trouvés un gourou le grand Maharishi truc muche, le maître de la méditation transcendantale – perdait un peu de sa concentration dès qu'il entrevoyait des formes féminines un peu trop rebondies – mais il servit de caution philosophique au mouvement. N'apporta aucun nouveau message fracassant, nous y voyons la preuve d'une grande sagesse, mais les guitars boys désormais mués en sitar lovers surent imprimer au mouvement un semblant de spiritualité des plus exotiques. Désormais musicalement tout était possible : aucune retenue sur les lignes harmoniques, une bande à l'envers, une bande à l'endroit, choix d'instruments tous azimuts. De la flûte du charmeur de serpent aux bidouillages électroniques les plus ambitieux. Une superbe cacophonie. L'ensemble aurait pu virer à la catastrophe, mais il y eut une telle émulation, une telle inventivité, que la face du rock s'en trouva changée. Fini le culte de la note bleue. Désormais elle serait de toutes les couleurs. Le psychédélisme fut la mère de toutes les batailles. Le réservoir procréatif de tous les genres, la ligne de partage des eaux fut multiple; le néo-folk, le hard-rock, le progressive rock, l'électro-rock, toutes les musiques que nous aimons et même celles que nous détestons, elles viennent de là, elles viennent du psyché, c'est sans doute pour cela qu'elles y retournent, mais ceci est une autre histoire.

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Soyons politiquement correct : pas question d'avoir notre unique chocolat de service, en l'occurrence le bel enfant vaudou Jimi Hendrix, c'est peu, alors on le mentionne à peine, Olivier Cachin dirige la lumière sur le Black Psyché, tous les spot-ligth braqués sur Albert Lee leader des Seeds, Sly and the Family Stone, le groupe détonateur, et puis George Clinton, la métamorphose en trois étapes ultra-rapide du binaire rock en la folie funkadélique... le tout s'acheva plus mal que le commencement ne le promettait, un glissement progressif vers le déplaisir du disco...

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Nul n'est parfait. Pas même Jim Morrison. Il ne faut jamais marcher sur la queue du serpent endormi. Une fois qu'il s'est réveillé il est difficile de le maîtriser. Eve Babitz sait de quoi elle parle. Elle est sortie avec Jim Morrison. Un gros nounours gêné aux entournures par son embonpoint. Un rat de bibliothèque, pas de quoi fasciner les étudiantes. Heureusement il a trouvé le régime idéal, vingt-cinq kilos en un an. Le phacochère vous a pris des allures de prince charmant. Je ne suis pas égoïste, je vous refile son truc. Facile, carburez au LSD, et la graisse fond d'elle-même. Attention, ce n'est pas le remède miracle, pour le physique c'est parfait, seul hic toc vous gardez le même mental. Aussi ringaros avant qu'après. Morisson ou pas, c'est pareil, vous êtes gros parce que vous êtes mal dans votre peau, une fois tout maigre vous vous sentez tout aussi mal. Comme Jim n'était pas bête, il s'en est aperçu, l'a abandonné l'acide pour l'alcool. S'est retrouvé avec sa carrure d'ours mal baisé ( et du coup mal baiseur ) antérieure, ce qui l'a rassuré. Ne savait plus trop ce qu'il faisait, tout partit en couilles, sur scène. Sur Seine à Paris où il se met à s'injecter l'héroïne de sa copine Pamela. Pas de veine, il ne savait pas doser... Un décès de has-been, dans le prolongement du personnage, l'a commencé à chanter avec les Doors, au Whisky-a-Gogo, dont le chanteur vedette était... bonjour l'angoisse, bonsoir la poisse... Johnny Rivers. Inutile de pleurnicher, le pire devait arriver, était programmé : personnalité suicidaire. Lui taille un beau costume d'enterrement, son ex ! Elle l'a tout de même un côté sympathique, c'est qu'elle ne se rate pas non plus. Elle arbore un petit côté moraliste larockefoulcadien désabusé du grand siècle, délicieux.

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De son vivant Morrison fut respecté comme un dieu. Un héros. Un poète. Un demi-siècle après sa mort, son cadavre ne fait plus l'unanimité. Remettez-moi une couche de terre sur sa tombe qu'il ne risque pas d'en ressortir. Beaucoup qui l'ont admiré ne considèreraient-ils pas son auto-effacement comme un reproche à leur survie vieillissante ? N'est-il pas ( le plus ) heureux celui à qui les Dieux ont donné la mort en pleine jeunesse comme nous l'annonçait Callimaque aux temps radieux de la Grèce ancienne ! Les morts sont encombrants. Busty analyse le dernier film d'Amy Berg sur Janis Joplin. Rien à reprocher à Janis. L'a vécu au plus près de son authenticité. Que reste-t-il à dire quarante-cinq ans après sa mort ? Ainsi débute l'article. Les disparus sont un poids mort au bout du fil de notre mauvaise conscience. Nous attirent. Nous retiennent. Nous appellent.

Jodorowsky est toujours vivant. Bon pied, bon oeil, ne regrette rien de ces folles années. Ne demande qu'une chose qu'elles recommencent. Un bon antidote à Philip K Dick. Ce ne fut pas un écrivain mais un prophète. Pas le Saint-Jean apocalyptique de la fin du monde grand spectacle avec trompettes du jugement dernier et retour final en grandes pompes au paradis ( pas du tout artificiel ). Juste l'époque où nous vivons. Pas très belle, nous évoluons dans un univers paranoïaque, dépressif, et schizophrénique. Heureusement que nous faisons semblant de ne pas nous en apercevoir. Plus que deux camps, les flics et les esclaves. Aucune illusion, votre nom est sur la liste des manipules serviles. Ce ne sont pas les planches de Crumb qui vous remettront le moral au beau fixe. L'épisode s'arrête juste au moment où le Retour de Mr Natural commençait à devenir intéressant... Un seul espoir, la grève mondiale générale, ce n'est pas moi qui lance le mot d'ordre mais Alejandro. Jodorowsky. Voir article suivant.

Un petit coup porté à notre orgueil de rocker. Non ce ne sont pas des chevelus sous acide qui ont inventé les orgues Martenot, le thérémine, l'Ondioline, tous ces ancêtres des synthétiseurs ( quoique entre nous soit dit un bon vieux piano sans queue mais couillu à mort à la Jerry Lou... ) mais des scientifiques dans la première partie du vingtième siècle. Robert Johnson s'escrimait sur sa guitare que déjà des mecs en blouse blanche inventaient le futur du blues et du rock dans les laboratoires... Un dernier article sur les nouveaux héros d'aujourd'hui du psyché, Jacco Gardner, Wardocks, Black Angels, Melody's Echo Chamber, King Gizzard & the Lizard Wizard, TY Segall... sans parler les discographies d'avant-hier à après-demain, et les planches sur les graphiteurs et les photographeurs qui flashèrent et colorèrent la belle saison du psychédélisme...

Un numéro copieux. De quoi se rappeler le bon vieux temps pour les rescapés et les anciens combattants, et signifier aux pilleurs d'épaves des utopies disparues que certaines portes sont de véritables issues de secours pour ceux qui essaient de fuir la morosité des temps actuels... Un autre monde a bien été possible. Voici, pas si longtemps que cela. Pas un miracle, plutôt un mirage. Nombreuses sont les merveilles du rock. Mais la plus grande des merveilles reste le rock and roll lui-même.

Damie Chad.

 

LA MONTAGNE SACREE

ALEJANDRO JODOROWSKY

( Film / 1973 )

 

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Parfois l'esprit vous trahi. Il y a quelques cinq années de cela je m'étais persuadé que La Montagne Sacrée sur son étagère était un western. Une resucée de La Colline des Potences. Stupide confusion, entre El Topo de Jodorowsky, Gary Cooper et Delmer Daves, vraisemblablement due à l'époque à la trop grande absorption de feulements de guitares de Wilko Johnson. Les mois passant, les rayons du soleil ont eu raison du nom du réalisateur calligraphié en lettres jaunes. Total, mon cerveau a failli. Chaque fois que mes yeux tombaient par hasard sur le titre, je m'insurgeais contre cette idée stupide qui m'avait habité un jour de m'approprier le DVD de l'adaptation filmique ( 1982 ) de La Montagne Magique par Hans W. GeiBendorfer, comme s'il était possible de réduire ce splendide roman de Thomas Mann – méditation philosophiquo-nietzschéenne sur la décadence intellectuelle du monde occidental - en images colorées. C'est en lisant le Hors-Série Psychédélic Shit ( voir kronic précédente ) de Rock & Folk que l'aveuglante vérité s'est imposée : je possédais, chez moi, dans mon petit intérieur douillet de rocker, et ce depuis plus d'un lustre, La Montagne Sacrée d' Alejandro Jodorowsky, moi qui avais l'habitude de me plaindre très régulièrement de ne l'avoir jamais vue. Donc acte.

VISION-ÂGE

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A proprement parler ce n'est pas un film. C'est une suite d'images. Pour mieux comprendre, vous relisez la Kronic de la semaine précédente sur l'édition du livre de Thot de Crowley, je sais, cela devient fastidieux, vous devez vous taper laïus sur laïus, mais c'est un peu le sujet du canada-dry ( il ressemble à de l'alcool mais c'est de l'acide sulfureux ) de Jodorowsky qui se peut résumer en deux phrases lapidaires. L'on n'a rien sans rien. Et rien ne sert à rien. Difficilement conciliables, mais si vous désirez établir la coïncidence des oppositions, vous devrez faire avec. Donc une succession d'images abattues dans le désordre. A part qu'il faut bien entendre que la chronologie des abattis totalement aléatoire du chaos, est en elle-même la succession ordonnancée de séquences déroulées à la queue loi loi. Comme il est gentil, Jodorowsky vous offre une sortie de secours. Inutile de vous précipiter vers l'ascenseur. Il n'y en a pas. Votre montée d'adrénaline porte une appellation contrôlée. LSD. C'est pour les touristes, le consommateur de base qui veut une explication à tout. Délire assuré. Vous êtes rassuré. Tout s'éclaire.

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Sinon vous poussez l'intuition un tout petit plus loin. Jodo vous y aide, vous présente les images mentales de son tarot intérieur. N'est pas peintre comme Frieda Harris, cinéaste, il leur a donné l'apparence mobile de ce que l'on attend de lui : un film. Donc des arcanes qu'il déploie tour à tour devant vous. Pousse le vice jusqu'à vous commenter le déroulé en fin de bobine. C'est comme pour les échecs, les commentateurs en savent toujours plus que le maître qui a mené la partie. Mais au fait, seriez vous capables sans leur aide de désigner le vainqueur et le vaincu ?

C'est compliqué, oui. Mais prenons les choses par le commencement. En leur simplicité. Jodor étant mexicain, l'action se déroule très naturellement au Mexique. Un Mexique fantasmé, réduit à son essentiel : le sexe, la mort. Nous sortons tous du trou premier et nous finissons tous dans le trou de la dernière. Trajet existentiel réduit à l'essentiel. Entre les deux vous avez les forces qui vous attirent vers le sexe et celles qui vous poussent vers la mort. Difficile d'y échapper. Vous êtes leur jouet. Mais comme rien n'est simple, parfois c'est vous qui manipulez les joujoux. Pour la mort, en ces pays d'Amérique du Sud, les occasions sont pléthoriques : à tout moment, militaires, policiers, paramilitaires sont prêts à vous envoyer ad patres sans hésitation. Ce sont les grands pourvoyeurs de l'hémoglobine écarlate. Jodorowsky est un coloriste, vous peint des sanguines à seaux. Difficile de survivre en ces ambiances mortifères. Ne vous reste plus qu'à crever. Vous êtes un Christ en puissance. Tout le monde vous aime, tout le monde veut votre mort. L'on vous torture, et l'on vous caresse. Ne vous montez pas la tête. Pour avoir l'apparence du fils de Dieu, il y a de fortes chances que vous ne soyez qu'une réplique de plâtre, grandeur nature. Mais un crucifix n'est pas Jésus.

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Vous voici rejeté de votre divinité. Vous y aspiriez, votre rêve s'écaille, s'effiloche et se brise. Jodo se débarrasse des Evangiles, s'en fout, il possède un autre livre. L'oeuvre complète de Freud. Mais il fait son choix. Dans Totem et Tabou, l'a rejeté tout tabou. Par contre le Totem, il le dresse au milieu de la ville. Beaucoup plus haut que Big Ben, une tour rouge érigée vers le ciel tel un phallus monstrueux, oui même vous chers lecteurs, dans vos rêves les plus fous vous n'avez jamais eu l'idée de vous doter d'un tel attribut turgescent. Le tout est d'y pénétrer. Une fois tout en haut vous n'avez qu'à percer la membrane qui permet de découvrir les mystérieuses entrailles de l'échalas.

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D'abord les cours du soir. Petite leçon pratique d'alchimie. Caca au pot. Œuvre au noir. Œuvre au blanc. Œuvre au rouge. Fait même gaffe à ne pas oublier le rayon vert. Ce n'est pas un hasard si la pellicule est en couleurs. Laisser refroidir et servir avec dorure sur tranche. Le problème c'est que le fric ne règle pas tout. Enfin presque. Et là Jodo sort le grand jeu : les dix plus précieuses arcanes du tarot. Ce qu'elles peuvent vous apporter dans la vie : puissance, argent, sexe, gloire. Un univers très matériel. A la hauteur de la bassesse de l'Homme Matérialiste et Mercantile. Pitoyable de grossièreté. Un monde qui ressemble au nôtre. Un portrait peu flatteur de notre laideur morale, de notre hideur mentale. Ne vous regardez pas dans ce miroir. Vous y retrouveriez sans peine le calque de votre humanité.

L'est temps de prendre le bon chemin. Celui qui conduit à l'immortalité. Enfin on y arrive ! A la Montagne Sacrée. La tour avec son ascenseur n'était qu'une préfiguration. Pas une partie de plaisir. La pente est rude. Mais ce n'est pas le plus dur. Faut se délester de ses phobies, de ses angoisses, de ses vanités, de ses avidités, de ses croyances, et même de ses phantasmes ( hélas oui, charmantes lectrices ) au vestiaire de la commune humanité. C'est un homme nouveau qui doit parvenir sur la crête.

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Si vous vous lanciez dans une telle aventure, ne vous démunissez point de votre raison. Gardez la soigneusement en état de marche, sans boussole mentale vous risquez de vous embarquer dans des histoires insensées. Le coup était foireux dès le départ. Le plan était d'une rigueur absolue : s'agissait de tuer les Immortels qui crèchent tout là-haut pour prendre leur place. Mais comment peut-on tuer un Immortel ? Le projet n'est-il pas étymologiquement insensé ? Jodorowsky résout la contradiction avec une facilité déconcertante. Les Immortels n'existent pas. Vous n'irez pas plus loin que vous-même. Mortel vous êtes né. Mortel vous périrez. N'en faites pas une maladie, elle pourrait-être mortelle. Ce qui compte ce n'est pas le but, c'est le chemin pour y parvenir. Tao pantin !

Mais le Jodo est un vrai Jedi, un as, l'en a encore deux dans sa manche. Souriez, vous êtes filmé. Regardez, vous croyiez être dans une anabase de l'absolu, vous étiez juste un des acteurs d'un film. Mise en abyme, à profondeur plate : le spectateur regarde un film qui n'est qu'un film. Pour le savoir occulte, si vous pensez avoir mal saisi, relisez le scénario. Pour la sagesse suprême vous repasserez.

Oui, mais pour les déçus du jodorowkysme, il reste une bouée de sauvetage. L'amour, humain, mais avec un A majuscule. Une petite copine, un grand copain, et c'est reparti. Fini les plans cul, et la baise au drome, désormais c'est l'amour, si vous aviez su, vous ne vous seriez pas donné tant de mal. Un peu moins hard que de finir sur une croix, certes mais enfin, tout de même, un peu de sexe...

Se fout bien de votre gueule le Jodo. Vous promet de chevaucher la tigresse et vous vous retrouvez avec un tout petit mignon chaton au creux de vos mains. Vous avez la sensation de vous être fait avoir. Et ce n'est pas qu'une légère impression. Un sentiment aussi lourd qu'un éléphant. Et si le gentillou minou qui dort sur vos genoux était un petit de la chatte de Schrödinger ?

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Mais non, vous n'avez pas tout perdu. D'abord le film est magnifique. Une oeuvre d'art à part entière. Et puis ce n'est pas parce que vous n'avez pas mis la main sur la clef qui permet d'ouvrir la porte qu'il n'existe pas des doubles disséminés, par-ci, par-là. Tenez par exemple, si vous relisiez l'introduction de cette chronique, elle ne vous a pas paru un peu emberlificotée ? Non pas du tout : vous avez conservé votre âme d'enfant qui croit encore aux contes de fées. Si un peu, et vous avez continué votre lecture en passant outre, vous n'avez pas eu la présence d'esprit de suivre l'adage de Philippe Pissier, traducteur du Livre de Thot, de Crowley, qui dans sa jeunesse parlait de « faire péter les archétypes ». Et vous n'avez donc pas pris soin de vous munir d'une cartouche de dynamite mentale ? Tiens, quel est ce bruit ? Rien à redire : Jodorowsky, c'est méchamment rock.

Damie Chad.