27/01/2016
KR'TNT ! ¤ 266 : BRIAN JAMES / MEGATONS / STEVEN TYLER / CHARLES MINGUS
KR'TNT !
KEEP ROCKIN'
TILL NEXT TIME
LIVRAISON 266
A ROCKLIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
28 / 01 / 2016
BRIAN JAMES / MEGATONS
STEVEN TYLER / CHARLES MINGUS
LE HIPSTER / ROUEN ( 76 ) / 21- 01 - 2016
BRIAN JAMES GANG
BRILLANT JAMES
L’histoire de Brian James commence bien sûr avec les Damned - bon souvenir - et se poursuit avec les Lords Of The New Church - moins bon souvenir - mais sa carrière solo, comme on dit dans la presse, s’inscrit dans la lignée du premier album des Damned.
Brian James et Wayne Kramer ont un sacré point commun : rescapés de deux groupes majeurs du XXe siècle, ils se sont lancés par la suite dans une traversée du temps et des modes en solitaires. Comme Brian, Wayne a su honorer nos oreilles de très beaux albums souvent dignes de ceux des Damned ou du MC5. Tous les deux sont par la force des choses redégringolés dans l’underground, et il se pourrait que leurs derniers fans fassent partie de ceux qui étaient les premiers, ce qui est souvent le cas dans ce genre de configuration. Par la force des choses, Brian et Wayne drainent un public de gens fidèles qui vont probablement disparaître avec eux. Brian et Wayne ne rempliront jamais Bercy. Ils laissent ce privilège aux arrivistes. Et c’est tant mieux. Quoi de plus horrible que cette salle de Bercy ?
En 1990, Brian James faisait déjà partie des laisser-pour-compte, puisqu’il se retrouva sur New Rose. Patrick Mathé avait à l’époque une âme particulièrement charitable, puisqu’il recueillait sur son label tous les bras cassés de l’histoire de rock et leur offrait une chance unique de relancer leur carrière. Dans cette horde de malheureux se trouvaient des gens du calibre de Chris Bailey et d’Alex Chilton, de Johnny Thunders et de Jeffrey Lee Pierce, de Chris Spedding et de Roky Erickson, de Tav Falco et de Moe Tucker. Les gros labels n’en voulaient plus.
Ce premier album sur New Rose est solide, car Brian avait une idée précise du son qu’il voulait sortir, qui était bien sûr le son du MC5. C’est ce qu’on entend dans «The Twist», on y retrouve ce son si particulier d’accords plombés et de petites incursions acides. Pas de problème, c’est bien dans l’esprit, Brian connaît le secret des belles remontées à la surface. Il a une autre obsession, comme d’ailleurs tous les guitaristes anglais de sa génération : la stonesy. «Slow It Down» somme comme l’hymne des dandies de la stonesy. On voit bien que Brian a adoré les Stones. On trouve une autre trace d’influence majeure dans «Another Time Another Crime» : celle de Dylan, Dans les couplets, Brian ramène les inflexions du cauchemar psychomoteur. On tombe en face B sur «Ain’t That A Shame», un joli classique et c’est là qu’on reconnaît la patte d’une star du rock anglais, à travers cette merveilleuse facilité à ficeler une cover de grand standing. Il traite ça avec une légèreté qui relève plus de l’élégance que de l’arrogance. On trouve plus loin deux autres gros cuts, «You Try», insidieux dans la démarche et bien cocoté, et «Polka Dot Shot», un heavy mid-tempo à l’Anglaise.
Brian va ensuite tenter de monter des groupes à vocations légendaires, comme par exemple Dripping Lips ou les Racketeers avec - comme par hasard - Wayne Kramer. C’est Jimmy Miller qui produit l’album des Dripping Lips, sorti sur Alive, le label d’un autre sauveur de légendes en mal de contrat. Grosso-modo, Patrick Boissel et Patrick Mathé ont fait le même genre de travail de sauvetage, de part et d’autre de l’Atlantique. On trouve sur l’album des Dripping Lips une pure stoogerie, «Damn You». Back to the Damned sound ! On a là en effet une fantastique évanescence damnique. On sent en Brian l’amateur de petites fournaises indicibles. Ses départs en solo sont proprement stoogiens. Rien d’aussi dépravé que ce jeu extatique. «Never Too Old» est aussi claqué à l’accord stoogien. Brian ne fait pas dans la dentelle. Robbie Kolman chante avec une petite hargne et on entend ce fauve de Brian partir en vadrouille dans la jungle. Quel prédateur ! Belle pièce aussi que ce «Powerful» d’ouverture ! Brian nous zèbre ça de coups malveillants. Comme toujours chez lui, c’est solidement visité. On retrouve la fine mouche sur cette espèce de boogie-blues qu’est «You Treat Me Too Kind» et «Hell Girl» sonne vraiment comme un vieux hit des Damned.
L’album des Racketeers est encore meilleur. Brian et Wayne se partagent les morceaux, mais curieusement, ce sont ceux que signe Brian qui accrochent le mieux. C’est lui qui ouvre le bal des vampires avec «Chewed». Il allume ça aux flammes de l’enfer et place un killer solo d’ambivalence expectative. Brian revient plus loin avec «Trouble Bones», un heavy stomp garage à la Thirteen Floor Elevators. C’est incendié sur les pourtours de la pourlèche et chanté aux chœurs de soudard avinés. Franchement, Brian se conduit comme un prince répudié, empreint d’une certaine décadence. Il revient plus loin pour jouer la carte de l’insidieux avec «Tell A Lie». C’est un sacré renard. L’autre cloche de McKagan fait les backing vocals et l’ami Wayne part en solo liquidifié d’exaction patibulaire. Il retrouve là ses apanages de killer suprême. Brian reprend plus loin le leadership pour «I Want It» - Oooh baby - Il chante comme un Dorian Gray désarticulé. Il devient extraordinaire d’assise moribonde. Il s’étale dans le bullshit going down et gratte un solo de dingue dans un climat de want it en suspension. Il continue son festival avec «Blame It». Il démontre que l’Anglais reste supérieur en tout. Sur ce disque, c’est Brian qui ramène la viande - Blame it on the mountain/ Blame it on the sea/ Blame it on the sunrise, but don’t blame it on me - et il passe un solo d’apocalypse. Hélas, les compos de Wayne et de son copain Brock Avery ne fonctionnent pas. Par contre, celles de Brian sonnent comme des classiques. Il boucle avec «I Fall» et un «Ooh Baby» qui est un véritable coup de génie. Brian y touille une stoogerie sur fond de chœurs extraordinaires. Voilà un disque dont on ressort groggy, c’est sûr, mais aussi à quatre pattes.
Autre disque terrible : «The Brian James Gang» sorti en 2007. Il attaque avec un «Catch That Bird» terrifiant. Le son est là. Il joue avec des ongles peints en noir et règne sur l’empire du rock anglais comme au temps du premier album des Damned. D’ailleurs, «Bad Boy» pourrait bien figurer sur ce premier album. C’est du garage punk à la dérive qui se cogne dans les murs et qui ne marche pas droit, balayé par le bourdon sonique d’un riff tiré à la note méchante. Brian James a toujours su créer les conditions du génie ratiboiseur. Il claque un solo dément dans «Green Worms» et on revient au riffage d’exaction majeure avec «Nurse». Terrific ! - Yeah I’m a nurse - Encore un cut digne de figurer sur le premier album des Damned. Il sème la confusion sur toute la plaine et l’enflamme à coups d’incursions délibérées. Il pousse des petits cris qui en disent long sur son talent de harpie - Oooouh stick it up - Franchement, c’est à se damner pour l’éternité. Brian James est l’un des joyaux de la couronne d’Angleterre. Plus loin, il claque «Time To Go» d’entrée, alors forcément, ça part en vrille définitive. Il nous barde ça d’accords de blitzkrieg et troue le mur du son de solos incendiaires. Trop de son. Trop de panache. Trop d’éclat. Il en fait beaucoup trop.
Pour les gens qui ont besoin de laisser reposer leurs oreilles, «Chateau Brian» est un disque idéal. Brian joue acoustique et il ne se passe pas grand-chose sur l’album. Il gratte un peu de blues et se fait insistant sur «Somethin’ Floatin’». Il a raison, c’est une façon de rester vivant. Quand on écoute «Starin’ At Me», on réalise soudainement que cet album n’est pas l’album du siècle. Son «Such A Lot Of Stars» sonne comme l’un de ces vieux balladifs de rockers, ridicules et insupportables.
Par contre on se réveille en sursaut avec «Damned If I Do», un album paru en 2013. Parce qu’il y reprend son vieux «New Rose», mais sur fond d’apocalypse. Il faut imaginer l’un des hits majeurs du XXe siècle complètement saturé d’énergie électrique. C’est insurpassable et complètement soniqué du ciboulot. Il enchaîne avec «Born To Kill», certainement le cut le plus insidieux de l’histoire du rock, l’un des plus dévastés de l’intérieur. Il joue ça à la rampette lysergique, la pire qui soit. On retourne en enfer avec «Sick Of Being Sick», encore un cut explosif comme pas deux. Son «Alone» est gratté aux power-chords de l’ancien temps. Encore une stoogerie gorgée de jus jaune. Brian James semble jouer son va-tout depuis quarante ans, mais avec une classe écœurante. Son cut se noie dans des nappes de trucs bruyants et la bienséance qu’il affiche a quelque chose de dérangeant. On retrouve aussi le fatidique «I Fall», posé sur un beat à moitié décidé et tous les fans des Damned vont se régaler du retour de «Fan Club», qui fut autant que les autres classiques un cut de rêve - Form a fan club ! - Brian le pleurniche dans sa fournaise bienheureuse, c’est joué dans la désaille des Damned, dans la convalescence d’accords décavés, on retrouve ce goût des Damned pour la déroute magnifique, on se laisse cavaler dessus - Form a fan club ! - Pure genius ! Et bien sûr, avec «Neat Neat Neat», il allume la mèche qui conduit à la sainte-barbe. Alors on saute.
Infatigable, Brian revient au bloody blast avec «The Guitar That Dripped Blood», un autre disque terrible. Ça démarre évidemment sur une pure stoogerie, «Becoming A Nuisance». Cheetah Chrome participe à la curée. Ces mecs sont complètement fous. Ils sortent le cut que les Stooges n’ont pas réussi à sortir sur leur dernier album, «The Weirdness». Encore une belle fournaise avec «The Regulator». Brian connaît toutes les ficelles du rock incendiaire. Il sait bricoler un riff malveillant et remplir un son jusqu’à la gueule, comme un canon de flibuste - It’s the regulator ! - «Not Invited» est sacrément bien déboîté du bénitier. Brian reste dans le gros son d’efficacité maximaliste. Il sait noyer un cut dans la fournaise outrancière et larguer des chorus qui se perdent dans des clameurs. Et voilà «Hindsight», stoogy en diable, sabré aux riffs acides et porte ouverte à toute forme de dérive. La musique de Brian James court sur la lande comme une langue de feu. Il renoue avec la vielle violence garage pour «Baby She Crazy». Il nous stompe ça dans l’estomac des civilisations. Il se fait aussi virulent que les Them de Van Morrison. Il rapatrie pour l’occasion toute la folie du british beat. Il termine avec «Mean Streak», un heavy groove d’allure positiviste.
Bien sûr, tout ça prend des proportions hallucinantes sur scène. Et pourtant, Brian n’a plus l’éclat de cette rock star entourée de courtisans qu’on aperçut backstage à Mont-de-Marsan, voici presque quarante ans. Brian était alors un type dont le regard incroyablement clair s’abritait sous une fange de cheveux noirs. Il portait du denim et franchement on ne voyait que lui. Comme chez tout un chacun, le temps a fait ses ravages et Brian débarque maintenant sur scène la bedaine en avant toute, en chemisette de touriste, coiffé d’un petit chapeau de romanichel et dès qu’il se met à chanter, on constate qu’il n’a plus les moyens d’aller chez le dentiste. Mais il s’en bat l’œil, il fait ce qu’il a toujours fait dans sa vie, il fout le feu à la baraque.
Très vite, il ressort le vieux «Born To Kill» et il joue ça aux accords de doigts pliés comme au temps béni des arènes de Mont-de-Marsan. En trois morceaux, il reconquiert la France. Tout le monde sait que Brian James a inventé le punk anglais avec «New Rose» en 1976, et d’ailleurs, il le joue en fin de set, il en fait une version expéditive qui ne peut pas décevoir les fans de la première heure. Il reprend aussi «The Regulator» et cette horreur qui s’appelle «Becoming A Nuisance» qui sort de son dernier album. Tout est joué au mieux du smoking beat désorbiteur, dans l’esprit des Damned, c’est-dire de l’uptempo stoogy-MC5. Brian est encore aujourd’hui le gardien du temple, l’un des derniers prescripteurs de l’orgie sonique et pour asseoir définitivement sa suprématie, il revient en rappel expurger un «Neat Neat Neat» qui transforme les Rouennais en statues de sel.
Signé : Cazengler, damné pour l’éternité
Brian James Gang. Le Hipster. Rouen (76). 21 janvier 2016
Brian James. ST. New Rose Records 1990
Dripping Lips. Ready To Crack ? Alive Records 1998
Racketeers. Mad For The Racket. MuscleTone Records 2000
Brian James Gang. ST. Easy Action 2007
Brian James And Grand Cru. Chateau Brian. Troubadour 2012
Brian James. Damned If I Do. Easy Action 2013
Brian James. The Guitar That Dripped Blood. Easy Action 2015
3 B / TROYES / 18 - 01 - 16
MEGATONS
Quatre heures du matin, la teuf-teuf soupire d'aise devant le portail de la maison. Mission accomplie. L'était garée devant le 3 B, elle a tout vu, et n'en revient pas. Les Megatons en font des tonnes, alors pour ne pas être en reste elle a appuyé à fond sur les pistons. Le moteur et les radars en fument encore. Au début lorsque Charlie a proclamé que c'était parti pour cinq heures, personne ne l'avait cru. Déclaration à classer dans les exagérations lyriques, en avait-on conclu. Moi encore plus que les autres. J'étais devant, le nez collé sur la setlist. Vingt-trois morceaux pour le premier set, vingt trois pour le deuxième. Ont tout éclusé méthodiquement, ne devait pas leur rester grand-chose.
TROIS
Charlie gratouille sa guitare l'air distrait. Et satisfait de lui-même. Normal, l'est le maître du temps. « C'est reparti pour trois heures ! » annonce-t-il. Et puis la question qui tue. « Vous voulez que l'on joue quoi ? » Le genre de truc(ulence) qu'il ne faut jamais demandé à un groupe de rockers chauffés à blanc par deux sets précédents. Tout le monde possède sa petite idée sur le sujet. Les doigts se lèvent et les propositions fusent. Inutile de se précipiter, ce soir, c'est groupe ouvert, jukebox à la demande. Avec exécution immédiate. Il y a ceux qui tapent dans le classique, Presley, Vincent, Holly, et ceux qui ont des envies de demoiselles enceintes et qui demandent après des minuits des gâteries hors-saison, par exemple Mister B qui tient à un Shan Romero, et d'attaque les Megatons nous servent un Hippy Hippy Shake à faire bondir jusqu'à la stratosphère les kangourous de l'Australie... L'on va en avoir des petites merveilles à foison, un Heartbreak Hotel concassé aux petits oignons, ceux qui vous tirent des larmes de joie au coin des yeux, une véritable invitation au chagrin tempétueux d'amour, immédiatement suivi d'un Mystery Train échevelé, avec la loco qui quitte les rails pour emprunter les sentes rocheuses fréquentées par les tribus apaches en état de rébellion armée.
Et puis très vite devant l'assistance enfiévrée qui remue, jerke, rocke, dans tous les sens et dans tous les coins, en hurlant de joie, Charlie se montre un franc partisan du Do it Yourself, abandonne le micro aux volontaires. Moment de stupeur lorsque Jean-François, secondé par Gil à l'harmonica, s'aperçoit dès l'introduction terminée, qu'il ne connaît pas les lyrics de Be Bop A Lula ( un véritable crime contre l'humanité ), y a un grand silence, les Megatons pétrifiés, les mains inertes suspendues au-dessus de leurs instruments, petit rire nerveux de l'impétrant... Cris de déception et chuchotements de haine, qu'il soit maudit jusqu'à la soixantaine génération, mais stupeur et tremblement, il trouve la parade et nous livre la version la plus déjantée de l'hymne national des rockers que je n'aie jamais entendue de ma vie, en un globuleux yogourt bulgare agglutiné, et tout le monde accompagne en choeur le charivari, ce charivaran des îles Galapagos miraculeusement épargnées lors de la disparition des dinosaures.
L'on ressort les antiquité du grenier : « Celui-là je ne l'ai plus joué depuis l'âge de quinze ans » - ( comptez un tiers de siècle en plus ), « On le fait en mi, ou en sol ? », les Megatons improvisent sur le champ et sur le chant, Jerry trouve toujours un endroit pour planter ses banderilles de saxo, Didac joue au fildefériste sur les cordes de sa Goya, Charlie réécrit les paroles, Stéphane se réfugie auprès du bar pour écluser une bière, Lulu assure la rythmique de main de maître. Une ambiance foutraquement rock and roll. Les grands-pères lutinent les jeunes filles, les verres se vident à la cadence d'un pipeline au fond du golfe du Mexique. C'est Béatrice, qui survient les bras en croix pour rappeler qu'il est deux heures du matin, et qu'il ne faut pas plaisanter avec la maréchaussée, déjà que l'on a précautionneusement baissé les rideaux depuis un bon moment... Billy trouve la parade, l'est exactement deux heures moins sept, encore sept minutes pour monter au septième ciel, alors Jean-François se précipite sur le micro pour le blues final du lundi matin. C'est lundi psalmodie-t-il, avec les Mégatons qui assurent la dernière bille du billard électrique. Tilt. Game Over. Féérie pour une autre fois, comme dirait Céline.
DEUX
Les Megatons n'aiment guère les temps morts. Avalent leur verre, mais la musique les rappelle, ne peuvent pas résister au chant des Sirènes. Deuxième set. Music maestros ! Lulu est au fond. Question batterie, si vous n'avez pas vu Lulu, vous n'avez rien vu. Impressionnant. J'en raffole mais lui rien ne l'affole. L'arrive à faire deux choses sur le même temps, l'une et son contraire. Il suit le mouvement et le précède. Pile à l'heure et un tour de plus. Lulu c'est le théorème d'incertitude d'Heisenberg revu et corrigé en apophtegme de certitude. Oui je peux être ici et en même temps légèrement ailleurs. Jamais en retard, jamais en avance, l'infinitésimale différence entre le lieu et le temps. Ici et pas maintenant. Avec ses accélérations foudroyantes. Vitesse et épaisseur. Se dépêcher est à la portée de tous, tout est question de volume à déplacer. Avec Lulu, c'est tout de suite imposant, les autres devant peuvent être tranquilles, lui il pousse et ne laisse aucun interstice pour que l'on puisse entrevoir l'improbable possibilité de souffler un peu. Les Megatons, ça pulse, et Lulu est à la manoeuvre. Lulu c'est de l'instinct intellectualisé, il agit sans sembler réfléchir ou être le moindrement préoccupé par la mise en place des gestes qu'il est en train d'effectuer, mais il a déjà le prochain roulement développé dans sa tête. Comme ces joueurs d'échecs qui voient plus loin que vous.
Deuxième ligne. Dans l'île du milieu, Jerry. N'est pas seul puisqu'il est accompagné de son saxophone. N'empêche que ce soir, l'est un peu coincé, ne peut pas venir faire le beau toutes les dix secondes comme d'habitude quand il est sur une scène plus vaste. S'avancera bien de temps en temps, mais il restera relativement discret. Je parle de sa personne, pas de son saxophone. Le saxo de Jerry, c'est un peu comme les cocotiers sur les plages de Tahiti. Quand il n'y en a pas, il manque et l'essentiel et la couleur locale. La Cadillac sans les chromes c'est comme le camembert – produisons français - sans l'odeur. Le sable fin sans les vahinés. La vie sans la joie de vivre. Les Megatons ont bien un morceau dans leur répertoire sans saxophone, genre on peut le faire, mais on ne le refera pas. La technique de Jerry est d'une simplicité absolue. En théorie, parce que en pratique vous avez intérêt à vous accrochez. Le sax à fond et salto avant pour les interventions. Une traînée de poudre, la mèche qui flambe et qui part en flèche.
Première ligne. Les trois guitares. Didac est à votre gauche. Mauvais poste à responsabilité illimitée. Se fade le boulot et personne n'a le temps de le remercier. Faut assurer le surfin'. Glisser sans s'arrêter. A une telle vitesse, un rien vous grippe la machine. Pas le temps de prendre des vacances entre deux riffs. Pour la simple et bonne raison, qu'il n'y a qu'un seul et unique riff par morceau. A développer tout du long. Ce n'est pas rock latitude mais longitude surfin'. Ni arrêt pipi, ni pose caca. Ne pas se prendre les doigts de pied dans les cordes du parasol. Car il faut jouer plus vite que son ombre. Alors le Didac il nous joue du dictaphone comme une dactylo surfin', un jeu super fin, serré, sans accoups turbo car il ne faut pas gâter la sauce.
En plus il doit avoir une oreille directement branché sur la guitare de Charlie. Une rythmique diabolique, dévolue à son usage exclusif. Ce n'est pas de l'égoïsme mais sa guitare est le moteur auxiliaire de son phrasé. L'appui vocal dont il a besoin pour ouvrir les vannes des lyrics. Car une fois que c'est parti, rien ne l'arrêtera, c'est à Didac de construire les digues de soutènement pour orienter le flot de l'impétueuse rivière. Deux lignes de guitare affûtées qui encadrent la crème de la gaufrette. Very speedy cantos, quand Charlie est parti, c'est pas du riquiqui, donne l'impression de chantonner alors qu'il dégobille les lyrics à toute vitesse.
Je serai moins disert pour Stephan, l'est engoncé dans un recoin et de là où je suis je ne le vois pratiquement pas. Et ne peux me livrer à mon jeu favori d'examiner le travail des artistes, la résolution fascinante des problèmes qui se posent à eux et surtout qu'ils se posent à eux-mêmes, leur magie d'oiseleur qui me permet de rêver à mon aise. Le Traité de la Chasse au Faucon comme Jean Parvulesco avait titré son deuxième recueil de poèmes. Mais nous reverrons un jour ou l'autre les Megatons et je ne le lâcherai pas de yeux.
UN
Un plaisir rare. Les Megatons s'accordent. Des stridences qui fusent de tous les côtés, une guitare qui se cale sur le riff d'Apache et Lulu qui prend le tempo au vol. Trente secondes d'une version minimaliste. Minorée mais enchanterresse. C'est parti. Inutile de courir après, vous ne les rattraperez jamais. Z'ont la ribambelle de titres et d'originaux à décharger, et question déménagement l'on ne fait pas attendre le client, Live It Up, Wild Wild Party, Wild Man, Rollin' Pin Mim, pour les titres faciles vous mettez baby et wild, vous accommodez avec au hasard girl ou boy et vous avez le futur standard. C'est que le Surfin' est une philosophie musicale qui répugne à se prendre la tête. L'innocence adolescente de nos premières surprise-party in the sixties, mais revue à l'américaine. Du sable, du soleil, des filles, et du rock and roll. Surtout ne pas perdre son temps. Vivre vite, conduire vite, baiser vite, et surtout ne pas cocher la seule option irrévocable. Ne pas se vautrer comme James Dean dans un cercueil pour faire un beau cadavre. Vaut mieux draguer vite que mourir vite. Le surfin c'est la joie de vivre. Roméo et Juliette autant de fois que vous pouvez par semaine mais pas question de finir en une morbide apothéose shakespearienne. Un peu de drame, les sanglots longs des violons de l'automne, si vous êtes un romantique obstiné mais il ne faut pas que la tragédie dure plus de trois heures. Plus de trois minutes pour les puristes. Alors les Mégatons ils vous balancent les titres sans perdre de temps à respirer.
Suffit de se laisser conduire. Les voitures sont larges, les banquettes arrière confortables et le temps est au bonheur fixe. Nous filons sur l'autoroute – fin cinquante-début soixante – à part le méchant loup de la bombe atomique qui ne sortira pas du bois, les prédictions sont bonnes, du boulot pour tout le monde et crédit illimité pour la consommation de masse. La pollution n'existe pas, les problèmes trouvent tous leur solution, le monde est beau comme une pièce de dix dollars toute brillante, toute neuve. C'est l'arrière-fond, le background des Megatons. Musique hédoniste. Alcool, filles et surfin', que pourriez-vous espérer de mieux pour votre bonheur ? Peut-être de ne pas vieillir, mais cela est une éventualité tellement lointaine que l'on n'y pense pas. De toutes les manières l'on pense peu, mais l'on vit beaucoup.
Les meilleurs – pas en qualité – les plus symboliquement significatifs, sont les instrumentaux dont ils émaillent leurs sets. Une parfaite bande-son, de l'époque, pas besoin de paroles, la musique parle d'elle-même. Juste quelques cris pour exprimer cette énergie galvanisante qui bout à gros bouillons dans votre sang. Une fusée de vif-argent. Les guitares qui caracolent, le saxo qui piaffe, et la batterie qui galope comme une troupe de mustangs en liberté. En plus ce soir, les Megatons nous prouvent qu'ils ont raison. Nous rendent heureux et nous les en remercions.
PARTEZ !
Mister B saute dans la teuf-teuf. L'on a déjà raté les No Hit Makers hier soir à Montreuil, tous nos espoirs du week-end résident dans les Megatons. Mais l'on sait déjà qu'ils ne vont pas nous décevoir. Pari tenu et remporté.
Damie Chad.
( Photos : FB : Christophe Banjac )
EST- CE QUE CE BRUIT
DANS MA TÊTE
TE DERANGE ?
STEVEN TYLER
( Traduit de l'anglais par Philippe Mothe )
( Editions Michel Jalon / 2011 )
L'est des inscriptions qui vous attirent immanquablement – le septième sens du rocker – je m'étais assis juste à la table à côté du gars, y avait des livres de cours qui traînaient dessus, on ne voyait rien, sauf l'inscription au bas de ce qu'il fallait bien identifier comme une pochette de trente-trois tours – élémentaire cher Watson, premier café en ligne droite que vous trouvez après Music-Action, l'antre du rock toulousain au début des seventies – Toys In The Attics, votre oreille n'a pas dévoré un centimètre du sillon de la galette, et déjà vous savez que ça va pulser sévère...
Quarante ans plus tard – ça ne nous rajeunit pas ma petite dame – en plein marché de Mirepoix, basse Ariège touristique – je tombe sur le camion de Mister Gibus, un allumé du bon vieux temps qui propose à une clientèle indifférente des quarante-cinq tours des Animals et des Kinks plus un assortiment de livres divers et d'occasion littérature et rayon rock ! Des ouvrages un peu trop branchouille pour ma pomme – nos contemporains s'enquièrent vraiment de mauvaise musique – et quand je demande à voir, Mister Gibus s'exclame : « Bon choix, vous prenez le meilleur du lot ! ».
Quand je pense que j'aurais pu être Steven Tyler ! Non je ne plaisante pas, je ne déraille pas non plus. Jusq'à hier soir, je l'ignorais. M'en suis aperçu dans les toutes dernières pages, lorsque Tyler jette un dernier coup d'œil rétrospectif sur sa vie. Exactement comme moi le Stevie, petit il a été marqué par le même livre que moi, Sambo le petit noir pourchassé par de méchants tigres qui lui volent ses habits et qui tournent, tournent autour de l'arbre sur lequel il s'est réfugié, tellement vite qu'ils fondent en une onctueuse pâte liquide avec laquelle la maman confectionnera de succulentes crêpes... Après un début si prometteur, j'ai dû rater une connexion. Je reprends donc toute l'histoire pour voir où j'ai déraillé.
MONTEE EN PUISSANCE
Naît en 1948. Une enfance de petit sauvageon autour du lac de Sunapee. Un père musicien. Classique. Première initiation. Une maman qui adore son gamin, qui le laisse aller en toute liberté au bout de ses expériences de fumette, qui pense que ce serait bien pour lui S'il envisageait une carrière dans la musique... Le genre de proposition qui ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. A quatorze ans il carbure au speed comme un grand, prend sa première baffe en écoutant Johnny Horton, puis Elvis, Little Richard et Bo Diddley. La seconde vient d'Angleterre, Beatles, Kinks, Animals, Stones, et les meilleurs de tous : les Yardbirds. Résume l'apport anglais en un seul mot : l'arrogance ! L'a du goût, le petit Steve, ne reste pas à rêvasser devant son transistor, assiste au concert, forme un groupe avec les copains, devient une petite célébrité dans sa région, essaie tous les produits qui passent à portée de sa main et toutes les copines à portée de phalus... Une jeunesse de rêve, un jour il aide même les Yardbirds à décharger les amplis de leur camionnette, mais à vingt-quatre ans se retrouve un peu bloqué. Le sentiment d'avoir essayé et d'avoir tout raté. Les Chain Reaction, le groupe où il officie en tant que batteur, joue en quarante-deuxième division...
JOE PERRY
C'est un gratteux du coin. L'habite à dix kilomètres de Sunapee mais ils ne se sont jamais rencontrés. Joe invite Steven à venir le voir en concert avec son groupe. Tyler n'en revient pas. L'a trouvé le guitariste de génie qu'il lui faut. C'est ainsi que naîtra Aerosmith. Frères de sang. Mais impur. Steven n'y va pas par quatre chemins. Joe a autant besoin de Steven que Steven de Joe, mais chacun voit l'autre comme son rival. En compétition constante. Davantage de haine que d'amour. Pour Steven, c'est l'idéal, cette confrontation permanente sera le moteur qui permettra d'avancer et de brûler les étapes. Joe Perry n'a pas manqué d'écrire lui aussi son autobiographie dans laquelle il donne sa version de l'histoire qui suit... Joe et Steven, c'est Keith et Jagger dans leurs mauvaises passes. Les Stones ont influencé les deux moitiés de la planète. Personne n'y échappe. Surtout pas Tyler le tigre qui a de nombreuses accointances avec le jaguar Jagger.
DREAM ON
Aerosmith, le groupe commence à tourner. Tyler a quitté son poste de batteur pour prendre le micro. L'est le frontman. Tout repose sur lui. L'a des idées pour enregistrer. Ne s'agit pas de bien jouer, mais de créer un son. L'a de l'oreille, de l'intuition, l'esprit créatif, et subitement il se rend compte qu'il sait écrire des textes qui tiennent le coup. Son Dream On, une belle ballade, bien orchestrée, pas très originale, mais pour lui l'écriture de ce morceau lui donne l'impression d'être passé à une dimension supérieure. Quatre cents pages plus loin, l'en cause toujours, c'est son drapeau rouge d'auto-reconnaissance qu'il déploie à chaque instant de doute et de triomphe. A le lire, la composition de Drean On est l'équivalent de la composition du Corbeau par Edgar Poe...
Le groupe tourne sans fin. Enregistre deux albums qui aident à asseoir une réputation grandissante auprès de la Blue Army des fans en jeans, mais c'est le troisième, Toys In The Attic, et le quatrième, Rocks, qui les classent parmi les grands groupes de hard du moment. Pour l'aspect musical vous puisez dans votre discothèque. Ce n'est pas le sujet du bouquin. La plupart du temps Tyler s'attarde davantage sur l'écriture des lyrics ( en relation avec sa vie ) que sur la musique.
DRUGS
Mais le loup est entré dans la bergerie. Traînait dans les parages depuis le début, mais ne se faisait pas remarquer. Mais avec la notoriété et l'argent, les dealers rappliquent en courant. La cocaïne puis sa copine l'héroïne coulent à flots. Plus t'en as, plus t'en veux. Tyler n'éprouve aucune honte : il aime ça, et n'a pas l'envie de s'en passer. Pas de regrets, pas de ah! Si j'avais su ! Il sait et tout le groupe sait. Comme il arbore la plus grande gueule, il le revendique plus fort que les autres, beaucoup moins discret que Joe Perry par exemple...
SEX
Les tournées sont harassantes. Mais elles offrent des compensations. On imite Led Zeppelin, on jette les postes de télévision dans les piscines, on sniffe à gogo, on boit comme des trous, on fume comme des sapeurs. Et puis les filles. Sont là, toutes nues de préférence. Tyler raconte sans fausse pudeur, oui il aime l'amour physique, oui il adore brouter le minou des minettes, jeunes et jolies. Ne cherche aucune excuse, n'exprime aucun regret.
SCENES
S'il est sur scène, c'est bien pour cela, hurler à s'en fusiller les cordes vocales, chasser les filles, et aspirer des rails de coke toutes les cinq minutes. Et le public semble apprécier. A chaque tournée l'on passe à la taille supérieure. Celle des stades, 20 000, 50 000, 80 000, spectateurs. Spirale inflationniste sans précédent. Aerosmith est entré dans l'aréopage des Dieux du rock...
DECHIREMENTS 1
Sex et patachons à foison. Une vie de rêve. Mais tel est pris qui croyait prendre. Filles d'un jour, pas de problème. La petite fiancée que l'on garde quelques mois entraîne des fâcheries avec les copains. Jalousies et inégalités d'humeur. Le pire est à venir. Lorsque du sexe l'on passe à l'amour. Le mariage est la plaie du rocker. Vous emmenez Madame en tournée, plus question de faire la bise à la standardiste de l'hôtel, vous êtes un criminel, matou échaudé vous laissez votre mégère à la maison, Madame sait tout, des images qui traînent à la télévision, des photos dans les magazines, des coups de fil bien intentionnés d'ami(e)s qui vous veulent du mal. Le pire, si rien n'a transpiré, vous décidez de jouer franc jeu, vous avouez une petite incartade, pas le temps de vous excusez, tout de suite ce sont les grands mots, avocats, procès, pensions... Grandes interrogations philosophiques de Tyler, l'est un homme, un macho, pas un moine. Ses épouses pourraient tout de même faire un effort de compréhension. Lui qui reconnaît la supériorité naturelle des femmes.
DECHIREMENTS 2
Deux étapes dans le cursus d'un accroc aux produits. Au début vous prenez de la drogue, mais ensuite c'est la drogue qui vous prend. Et qui ne vous lâche plus. Ce n'est pas un problème pour Tyler. Assume ses addictions. Mais cela peut devenir gênant, lorsque vous vous évanouissez sur scène par exemple. Cela ne fait pas sérieux. Surtout pour le chanteur. Le groupe finira par splitter. Tyler garde le nom, continue durant deux ans avec une autre équipe, mais l'on finira par se rabibocher.
Comédie humaine. Faut décrocher. En théorie. En pratique, l'envie n'est pas là. Tyler fréquentera les Addictifs Anonymes, il rentrera dans des institutions de sevrage. Expose les traitements psychologiques qui lui sont administrés. Les spécialistes en prennent pour leur grade. L'esprit pratique, analytique et caustique de Tyler est une arme de combat diablement efficace.
Tyler raconte qu'il arrivera à rester clean durant douze ans. Reconnaît de petits écarts. Mais la notion de petitesse est très relative. Il replongera. Si vous êtes étudiant en pharmacie, n'ayez aucun souci pour vos examens : tous les produits avec les effets désirables ( indésirables aussi ) et leur interaction sont longuement décrits. Vous apprenez en vous amusant.
DECHIREMENTS 3
Bon an, mal an le groupe continue. Des disques un peu balourds ou d'autres qui s'écoulent à des millions d'exemplaires. Mais il y a pire que le sexe et la drogue. C'est le rock and roll. Hurler, sauter, danser, trépigner, tant que vous êtes jeune c'est un jeu d'enfant, dès que vous mettez le cap vers la soixantaine, le corps a ses faiblesses que le cœur ne connaît pas. Un vaisseau qui pète dans la gorge, un genou qui craque, un pied qui se tumérise, une hépatite qui s'incruste, les gros bobos se suivent et se ressemblent par leur gravité, repos obligatoires, interventions chirurgicale, opérations... Un conseil de Damie Chad : ne vieillissez jamais.
DECHIREMENTS 4
Non ce n'est pas fini. Ceux-là sont les plus intimes. Le groupe qui essaie de vous remplacer, votre femme qui vous quitte pour un jeune plus costaud que vous... et puis les honneurs rendus aux stars vieillissantes, participation aux émissions de téléréalité, récompenses honorifiques diverses, peut-être pas encore une senteur de sapin, mais tout de même une certaine saveur de naphtaline... pour les mythes que l'on relègue dans les placards de l'avant-hier. Et peut-être le plus triste de tout : un essai avec Led Zeppelin pour remplacer Robert Plant. Tyler s'en tire avec les honneurs : avoue que Robert Plant est irremplaçable. Se démet de lui-même.
ECLATS DE RIRE
Rangez votre mouchoir. Tyler le rital, ne pleure pas sur son sort. E Perrycoloso e sporghesi sur soi-même. Ne se plaint pas, ne se vante pas, dit ce qu'il pense, et la seule personne à qui il ne fait pas de cadeau dans ce livre : c'est à sa petite personne... Content de lui, heureux de vivre, mais pas dupe. La vie lui a réservé de beaux cadeaux, les femmes ( les siennes et toutes les autres ) et ses enfants. Mauvais père, mais fiers d'eux. Et surtout cette chance extraordinaire mais recherchée, d'avoir fait partie d'un des groupes de rock les plus importants de son époque.
Autobiographie de rock star. S'en tire mieux que Townshend un peu piteux Tommy pathétique, que Johnny Rotten qui court après la gloire tout en jurant qu'il n'en a rien à foutre, que Rod Stewart obsédé par sa coupe de cheveux, un peu moins roublard que Rollin' Keith, Steven Tyler se contente d'être la somme de ses défauts. Et quand on réalisé l'addition, l'on se dit que le total est impressionnant.
Damie Chad.
P.S. : mais pourquoi n'ai-je pas eu la chance de croiser les Yardbirds en train de décharger leur camionnette ? Je pense avoir trouvé le chaînon manquant.
MOINS QU'UN CHIEN
CHARLES MINGUS
( Traduction : Jacques B. Hess )
( Editions Parenthèses 1985 )
Pouah ! Un jazzman ! Zoui, mais un grand, compositeur et instrumentiste. Ne se servait pas pas des cordes de sa contrebasse pour étendre le linge. Ou alors, uniquement les culottes et les soutient-gorges de ses petites amies. Je vois, que cela commence à vous intéresser. Quand j'ajouterai que cette autobiographie d'un des plus extraordinaires contrebassistes de jazz ne parle pratiquement pas de jazz, je vous sens réconciliés avec Mingus. Quand l'on a joué avec Louis Armstrong, Duke Ellington, Lionel Hampton, Thelonius Monk, Charlie Parker, Billie Holiday – je ne cite que les noms les plus connus – l'on a le droit de s'en vanter. Mingus le rappelle, mais sans forfanterie. Nous présente ces rencontres comme normales et logiques, vu son niveau, coulait de source qu'il pouvait s'acoquiner avec les meilleurs. N'en tire aucune gloriole, nous conte le déroulement sans prétention d'une vie de musicien conscient de sa valeur, de son apport personnel, qui ne profite pas de sa biographique relation pour se mettre en avant et démontrer les progrès mirifiques réalisés par le jazz grâce à son implication personnelle... Ne fait preuve d'aucune fausse modestie – la face cachée du cabotinage – n'endosse même pas l'attitude d'humilité de l'artiste sympathique qui rappelle la nécessité de travailler durement pour progresser quelque peu...
Là n'est pas son problème. N'est pas un féru d'historicité pure. Se raconte lui : ce qu'il a vécu et ce qui s'est passé dans sa tête. Avec sans doute une prédilection avouée pour ce qui s'est déroulé dans sa caboche. C'est un parti-pris qui peut choquer. A sa sortie en 1971 le livre a surpris les amateurs de jazz. S'attendaient à du solide, du béton armé, des dates, des noms, des faits, quelques anecdotes graveleuses pour corser le tout, mais guère plus. Se sont retrouvés avec un truc classieux mais difficile à manier. Un chef d'oeuvre; mais explosif. Une oeuvre littéraire mais aussi instable qu'un flacon de nitroglycérine posé sur le rebord du capot de la voiture qui démarre sur les chapeaux de roue. Une autobiographie, yes Sir, mais totalement phantasmée. L'a tout dit : tout ce qu'il a vécu, et tout ce qu'il a rêvé de faire. Soyez sensibles à la différence. Nous possédons tous le sens des convenances, l'envie vous en démange mais vous ne crierez jamais sur les toits que vous turlupine l'idée de crever les yeux de votre voisin sous prétexte que vous ne pouvez plus le voir en peinture. Vos amis vous regarderaient d'un drôle d'air. Une légère gêne s'installerait...
Mingus lui-même s'y est pris à trois fois. Commence son bouquin comme si c'était la transcription d'une analyse psychanalytique. Désirer le désir n'est pas accomplir le désir. Doktor Freud est votre garde-fou. Alors au bout de six pages il vire le praticien à grands coups de pompes dans le cul. N'assume pas encore tout à fait. Parle mais possède son censeur : lui-même, sa raison, sa conscience, sa petite voix personnelle qui temporise, qui explicite, qui prend du recul, qui reste des plus posées. Le hongre blanc de l'attelage qui tire le char de l'Esprit, selon Platon. L'est chargé d'éduquer le deuxième cheval du bige, l'étalon noir, qui n'en fait qu'à sa tête, qui tire à hue et à dia, qui ne pense qu'à vous entraîner dans de fougueux emballements déjantés ... Oui mais domptez le naturel et il repart au galop. Avancez de cent pages dans le livre et c'est le méchant noirâtre qui a pris le commandement. Le pâlichon gentillet pousse quelques hennissements de temps en temps, mais Mingus l'a remisé au fond de l'écurie d'où il ne le sort guère. La course folle s'achève comme il se doit : à l'asile. Même pas interné d'office, c'est Mingus qui insiste des heures et des heures pour qu'on lui permette d'être enfermé, de danser la camisole. De force.
Pour le bouquin, l'on a pris les pincettes. Heureusement qu'il y avait le titre Moins Qu'un Chien. L'on a traduit : dénonciation du racisme. Ouf, l'on était sauvé ! En territoire connu. Pas très loin de Really The Blues ( paru en français sous le titre de La Rage de Vivre ) la bio de Mess Mezzrow. ( Voir notre chronique KR'TNT ! 106 du 12 / 07 / 12 ). Avec un avantage en plus : Mezzrow était un petit blanc, qui s'est battu pour ses frères noirs, mais avec Mingus c'était un noir qui prenait la parole. Ce qui expliquait quelques énervements, quelques débordements... L'on aime bien les cases toutes prêtes. On a fait semblant de ne pas le voir, mais on avait beau refermer le placard, y avait toujours un gros cul noir qui dépassait. Il est temps de reprendre l'histoire par le commencement.
Watts. Célèbre quartier de Los Angeles connu pour ses émeutes. En pleine communauté noire. Première fêlure. Mingus n'est pas un malheureux. Petite classe moyenne. Mais sentiment aristocratique de la différence. Mingus n'est pas noir. Son père non plus. Sont café au lait. Le teint clair. Le haut du panier. Rien à voir avec les moricauds à la peau d'ébène. Sont la crème du café-crème. Ne tardera pas à s'apercevoir que la réalité fait voler les préjugés en éclats. En attendant essaie de régler un problème de robinet. Le sien, qui fuit chaque nuit. Victime d'urémie et de la double courroie de son père qui le fouette consciencieusement chaque matin. Une correction salutaire qui vous forge le caractère. Même pas mal, même pas peur. Auprès des voyous du quartier l'est un peu la poule mouillée que l'on pourchasse, Jusqu'à ce que quelques rudiments de judo lui permettent de se défendre et d'attaquer. Sa taille et son poids deviendront aussi des atouts majeurs.
Question physique les problèmes sont réglés. Niveau intellect se défend mieux que bien. Lit, réfléchit. L'on pressent l'adolescent futé qui cherche à comprendre et à ne pas s'en laisser conter. Musicalement, pour un musicien de jazz, ça bifurque très vite, très mal. Abandonne le trombone pour le... violoncelle. Avec archet. Joue du Beethoven et connaît Bartok. Formation classique. Qui lui servira. Plus tard il composera. Pondra des partoches. Sait écrire et lire la musique. Entre en conflit avec son professeur. L'a un rapport un peu plus intuitif avec la matière musicale, répéter à vitam aeternam une partition l'ennuie, l'existe une autre approche de l'instrument, plus intuitive, plus libre, plus créatrice, un thème de départ et hop, c'est parti pour les galipettes... Rejoint le jazz, naturellement. N'est-ce pas la musique des noirs ?
Car ses yeux se sont vite dessillés. Rappel à l'ordre. Barrière infranchissable celle qui sépare les nègres des blancs. Deux mondes séparés. L'en souffrira toute sa vie. Professionnellement parlant. A travail égal, salaire inégal. Un musicien blanc sera fêté. Un noir sera toléré. Ce n'est pas le plus grave. Ce qui l'exaspère c'est que les blancs sont à la traîne, pompent consciencieusement les noirs, s'inspirent des avancées techniques et des trouvailles stylistiques des blackos et finissent par s'en trouver crédités et récolter la gloire et le fric. De quoi vous mettre en colère et entretenir de forts ressentiments envers les blancs.
N'y a pas que le boulot dans la vie. Tout homme possède sa vie privée. Avec des interpénétrations entre les deux sphères. Pour Mingus, ça commence tout petit, l'est émerveillée par la beauté des filles. Extase contemplative. En grandissant, le rêve perd de sa pureté. Montée des hormones. Musicien, et bien monté. Tout ce qu'il faut pour attirer les jeunes filles. Qui n'ont pas froid à la chatte. Ne s'en prive pas. Tout en poussant la romance romantique avec Lee-Marie. S'aiment d'un amour tendre de tourtereaux. Mais le méchant papa ne veut pas. Ne se voient pas. Se téléphonent en cachette. Se perdent. Se retrouvent. Sont éloignés. Se marient. L'histoire se règle à coups de fusil. Couple brisé. Pire que Roméo et Juliette. Surtout que Mingus n'a jamais fait voeu de chasteté. Une vie sentimentale agitée. Une existence pornographique tourbillonnante.
Ce n'est pas sex and rock, mais jazz et cul. Entrevoyez la différence. Mingus vous aide : met les points sur les I, et la bite dans les vagins torrides. Avec en plus des considérations économiques. Les musiciens noirs sont sous-payés. Pourtant il existe des noirs très riches qui roulent en cadillacs flambant neuf. Les voyous qui s'adonnent à des trafics illicites. Un peu dangereux et pas tout à fait dans les cordes d'un contrebassiste. Les règlements de compte à coups de pétards pour une valise de cocke en litige, ça vous fait froid dans le dos des cadavres. Mais question professionnel, il y a plus douillet. Maquereau. Un beau métier. Mettez quelques copines au turbin et passez relever les compteurs en fin de soirée. Pas remboursé par la sécurité sociale, mais un boulot à portée de cul pour un musicien de jazz. Des admiratrices qui ont envie de se faire un musicien de jazz, n'en manque pas dans les boîtes. Un jeu d'enfant, et une constatation étonnante. Cela rapporte beaucoup plus que les engagements. La prostitution – Mingus n'emploie pas ce mot – comme un mode de survie économique. Avec en plus l'excuse toute trouvée : ce n'est pas de ma faute, j'y suis poussé par l'exploitation dont je suis victime.
Jusque-là tout va bien. Mingus n'outrepasse pas les limitées de la bienséance. Va bientôt passer à la dimension supérieure. La prostitution comme élément de combat et de libération. N'y a pas que des petites noiraudes qui s'en viennent chercher un supplément d'affection dans les clubs de jazz. Beaucoup de jeunes femmes blanches. Qui possèdent un immense avantage : osent braver l'interdit inter-racial grâce à leur fric. Peuvent manifester leur intérêt pour les gros zobs noirs sans être reléguées à l'index de la leur société. L'argent couvre toutes les turpitudes. Chez les musiciens noirs, c'est le top du top érotique : baiser une blanche et lui prendre tout son fric. Mâle acquis profite bien. Revanche sociale. Regardez bien petits blancs, je nique vos femelles, les plus classieuses, et je pompe vos dollars.
Un jeu jouissif et dangereux que Mingus va pervertir. Le cul est une chose, et l'Amour avec une majuscule une autre. Lui mélange tout. Une blanche et une noire. Le grand amour de sa jeunesse avec la nouvelle passion amoureuse. Scènes torrides. Avec glissement progressifs vers le plaisir. Du fric. Transforme ses maîtresses en call girls de luxe. Faut comprendre : l'émancipation des noirs passe par là. La prostitution comme moyen de lutte révolutionnaire de réappropriation de tous ce que les blancs ont volé aux noirs. Ce n'est pas une lutte strictement raciale : blancs contre noirs, mais une lutte de classes. Les noirs pauvres à l'assaut des blancs riches. Une théorisation qui dépasse sur sa gauche la servilité des Oncles Tom et sur sa droite la révolte des Black Panthers. La solution n'est pas au bout du fusil. Mais dans des draps de satin rose.
Avec en filigrane ses réflexions théoriques sur la nature du Noir qui sait prendre la vie comme elle vient du bon côté et celle du Blanc coincé en une vision moralisatrice de la vie. Tout en se défendant d'être un vulgaire profiteur. Mingus flirte avec sa propre inconséquence morale : se défend d'être un simple maquereau, au fond de lui il est un libérateur de son peuple opprimé. Contradictions qui lui éclatera à la figure. Si violemment que sa schizophrénie le mènera à l'asile. Cette partie essentielle de l'autobiographie tourne au roman de la sublimation pornographique. Ses amoureuses prennent leur indépendance... Le lecteur s'amuse comme un fou et en vient à regretter de ne pas être né noir aux Etats-Unis au bon vieux temps de la ségrégation raciale qui présentée par Mingus devient l'expérimentation osée d'un melting pot américain vraiment entremêlé.
Nous arrivons à la fin. Mingus fait du rétro-pédalage. Parle des difficultés pour un noir à assumer sa négritude. Son couple mixte est en proie à mille petites vexations journalières qui érodent son optimisme. Sur le plan professionnel la situation ne change pas. Un musicien noir reste moins bien payé qu'un blanc et les revues grand-public mettent systématiquement en valeur les visages pâles. Leur tressent des couronnes souvent imméritées. Prend conscience que s'il est difficile de faire l'impasse sur son jeu de basse lors des compte-rendus des concerts, son oeuvre de compositeur est systématiquement ignorée, tout au plus quelques mots rapides concédés en bout de plumes...
Ce n'est que dans les dernières lignes qu'il parle enfin du jazz. En cause avec une grande intelligence. Mais ce n'est pas l'essentiel du livre. Qui est avant tout le parcours existentiel d'un homme qui navigue à vue, entre les récifs de la réalité et les lames de fond de ses aspirations les plus intimes. Le partage des eaux entre la rugosité du réel et le diamant du rêve. Ce dernier étant aussi tranchant que les étocs du vécu. Une écriture shakespearienne, la truculence de Falstaff, la folie du Roi Lear, les mégères inapprivoisées, drame burlesque et comédie tragique. Moins qu'un chien. Mais un sacré bâtard qui ne se prive d'aucun os à moelle de la vie. Un corniaud enragé. Un mâtin câlineux. Un conseil, laissez-vous mordre. Jusqu'au sang. Vous ne le regretterez pas.
Damie Chad.
16:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
20/01/2016
KR'TNT ! ¤ 265 : DAVID BOWIE / RENE MILLER TRIO / VINCE TAYLOR / BILLIE HOLIDAY / CULTURE ROCK
KR'TNT !
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LIVRAISON 265
A ROCK LIT PRODUCTION
21 / 01 / 2016
DAVID BOWIE / RENE MILLER TRIO VINCE TAYOR / BILLIE HOLIDAY CULTURE ROCK |
BOWISTITI
Janvier 2015, gare de Rouen. Il promenait sa gueule enfarinée au long des présentoirs de magazines. Les médias s’étaient emparés de Bowie. Cette beauté cadavérique s’affichait en couverture de tous ces pauvres magazines qui ne servaient plus à rien. Bowie était né illusion, et il repartait illusion, décorant par le design de sa grâce l’ultime stade de la futilité des choses.
Pendant tout le trajet, il fut incapable de reprendre la lecture de cette grosse bio d’Aretha qu’il avait emportée. Sa pensée courait après le vif-argent, c’est-à-dire le souvenir d’une sorte d’enchantement musical qui datait de plus de quarante ans. Il laissa son regard errer sur les campagnes blafardes qu’éclairait péniblement le jour naissant. Comme ce fut le cas pour bon nombre de gens de son âge, la trilogie «Hunky Dory»/«Pin Ups»/«Ziggy Stardust» avait laissé en lui une sorte d’empreinte magique.
Nous vivions alors l’âge d’or du glam britannique. En ce temps-là, les journalistes anglais firent de Bowie une sorte de demi-dieu. C’était bien le moins qu’ils pussent faire. Nous assistâmes effarés à la naissance puis au sacrifice de Ziggy Stardust. Nous n’en étions plus au stade du raffinement ni du dandysme dont nous nous gargarisions tous alors, mais au stade de la pure intelligence. Comme Dylan, Bowie nourrissait une vision. Comme Dylan, il réussit miraculeusement à se protéger de la pression médiatique pour continuer à exister artistiquement. Et comme Dylan, il allait réussir à bâtir une œuvre à l’échelle d’une vie. Et comme Dylan, il n’allait hélas jamais réussir à retrouver l’éclat de son âge d’or.
ABSOLUTE BIGORNEUR
Wham bah-bah-bah bam ! David Pinup traverse la Tamise, remonte Charing Cross Road, tourne dans Shaftesbury et reprend à gauche pour enfiler Wardour Street jusqu’au Marquee. Vrooaar ! La béquille de son scooter frotte au sol et sème dans son sillage de belles gerbes d’étincelles. This is the swingin’ London, baby. Teenage vitesse en deux roues, parka, mocassins et quête d’un Graal électrique. Here comes the nightssssssss, surtout bien tirer sur l’alangui du nightssss de Van Morrison, yuuuu-yuuuuu, bien laisser la mélodie se faufiler dans l’entre-jambe du taille basse en tartan, et voir enfin la fumée de sa clope dessiner une arabesque dans l’infinie décrépitude du crépuscule de l’Empire britannique. Yeah, la nuit tombe sur Londres et les vampires wham bam se fondent dans la nuit. Magnifique de blancheur cadavérique, David Pinup arpente la rue, suivi d’un air de sax - oh it makes me want to die.
Pourtant petit marquis, David Pinup vient se prosterner devant Syd Barrett dont l’Emily Play lui plait. Oh oui, il assiste à la barrettisation des choses. Il sait qu’un jour, il n’y aura pas d’autre jour - There is no other day - Ah si Syd le dit, alors... Mais Good Lord j’essaierai quand même, je tenterai le chant d’accent frêle d’un Lord à la dérive mais qui surtout ne laisse rien paraître... Oh je ferai tinter des médailles grandiloquentes sur un accord de guitare à l’agonie... Oh je porterai l’art psychédélique jusqu’au bout de la décadence vidée de tout son sang et je ferai renaître des cendres le phénix d’une beauté irréelle. Il tend les bras vers le ciel - Soon after dark Emily cries - Comme j’aime à me laisser couler au fond des ténèbres glacées de Soho ! Et il jette toute sa déchéance génétique dans la balance du destin.
— Ah tu veux fixer le temps, petit marquis ?
— Qui es-tu ?
— La Forme Des Choses...
— What ya mean ?
— Shape Of Things !
— Aw je vois, Shapes of things before my eyes ! Viens, viens, my lonely frame prodigieusement moderne dans les lumières de Londres ! Viens viens que je te réinvente, que je te sacralise, viens que je te hérisse d’épis pareils aux miens et que je redore tes ailes de fringuant Yardbird ! David Pinup lève l’oiseau magique à bout de bras et le jette en l’air pour qu’il s’élève et qu’il disparaisse, à l’image de toute chose.
— Ainsi finira-t-on tous, murmure le petit marquis, hantés et dévorés par la nostalgie.
Il décide enfin d’entrer dans le Temple. Quel jour somme-nous ? Oh vendredi ! Friday on my mind ! David Pinup chante d’une voix de nez pointu. Il colle comme l’alpaga des grands soirs à la peau de la mélodie - Monday morning feels so bad - La terre entière a chanté ça, car c’est le chant d’espoir des ouvriers, oh cette semaine qui n’en finit plus, monday, tuesday, wens’day et la fièvre maligne monte dans le chant, un héros apparaît, semblable à ces milliards de kids qui se déversent dans les rues chaque vendredi soir - Gonna have fun in the city - David Pinup s’électrocute sur la chaise du destin, wow, dans ses veines bat l’easybeat, il est en cette seconde précise l’un de ces heroes qu’il chantera quelques années plus tard, il joue avec la violence pop et les zones de béatitude mélodique, il sait que cette magie inventée par Harry Vanda et George Young peut couvrir d’or n’importe qui - Tonight I spend my bread - Et conduire aux portes de la renaissance - Tonight I lose my head - Rock’n’roll suicide !
— Où suis-je ? Il semble paniqué.
— Anywho, lui répond la mélodie décadente.
— Oui mais who ?
— Anyway, lui redit la voix de gorge lubrique.
— Wait !
— No way ! Anywhere !
Tout le monde sait que les Who n’ont pas le temps. Alors David Pinup les chante d’une voix de gorille échappé des jupes de Victoria. Il colle si parfaitement à la folie des Who qu’il va les voir jouer sur scène chaque vendredi - I can go anyway/ Way I choooose - On jerke dans le magasin de porcelaine secoué par un tremblement de terre. Au Marquee, le marquis saute dans des dégaines et s’arroge la modernité des temps. Whooo ! Whooo ! Il recherche le stade ultime de l’exaspération, de l’outrance atrocement mal contenue, il souffre comme l’orgasme qui menace d’exploser dans les mains d’une reine dévoyée. David Pinup s’enivre de l’effluve des Who et de tout ce rock qui n’en finit plus de jaillir en giclées laiteuses dans le satin mordoré des nuits londoniennes. Il sait au plus profond de lui - Deep inside my heart, comme dirait Dylan - qu’en dépit de son essence errante, l’Anyway Anywho Anywhere brillera comme un phare dans la nuit et s’imposera dans l’histoire des hommes comme un poids lourd de conséquences.
La brume quand point le matin retire aux vitres son haleine. David Pinup pourrait chanter Aragon, mais il lui préfère Rosalyn. Il lui demande même des comptes. Rosalyn, tell me where you been, arrghhh ! Il a vu Phil le faire, alors il le fait à son tour. David Pinup vénère Phil et Vince Taylor parce qu’ils sont les seuls à oser s’habiller en blanc sur scène. À ses yeux, ils apparaissent comme des demi dieux. D’ailleurs Ziggy va naître aux pieds de Vince Taylor. En dépit de toutes ses certitude aristocratiques, David Pinup ne peut pas s’empêcher de poser cette question désespérée : Do you really love me ? L’amour de Phil est plus fort que tout. David Pinup comprend instinctivement cette sauvagerie. Il est devant et il voit Phil et Viv ramper sur scène - I’m on my own/ Nowhere to roam - Le beat Don’t Bring Me Down se dresse pour l’éternité. Il fécondera d’autres imaginaires, dans d’autres civilisations, bien après que nous soyions tous redevenus poussière. Comme Phil, David Pinup recherchera les cris de véracité rentrée, il tordra le bras d’une syllabe ici et là pour qu’elle couine comme une mijaurée, et ils plongeront le chant du rock dans l’enfer de la volonté sacrée. On verra aussi le petit marquis secouer ses cuisses et agiter ses guêtres. Alors, le coup d’harmo lui coulera dans le dos comme une giclée de semence. Comme Phil, le petit marquis organisera - I wander round/ Feel off the ground - la meilleure orgie des sens de tous les temps. Ah il faut le voir poser son down...
Puis il pissera à la raie du temps en compagnie de Ray. David et Ray n’en finiront plus de se lamenter aristocratiquement - Won’t you tell me where have all the good times gone ? - On assistera là à une sorte d’expertise de la décadence du won’t tell me, et cette expertise s’étendra jusqu’à l’horizon. Et puis quelque part dans la culotte du temps viendra rôder une fuzz. Alors tout redeviendra ineffablement médusant et sexuel. Mais qu’on ne se méprenne pas, ces gens-là ne sortent jamais l’artillerie, non, ils sont beaucoup plus virils puisqu’ils suscitent à coups de reins, dans le secret d’un art superstitieux. David Pinup ahane si bien qu’il évoque le râble d’un blaireau maté. Il assène ses coups fantastiques d’on the ground et il donne de la fuzz à la fuzz comme d’autres donnent du temps au temps. Hanté par le génie de Ray Davies, David Pinup roule comme un carrosse à travers la nuit des temps.
HUNKY PANKY
Les brumes d’automne léchaient les murs lépreux du manoir victorien de Hadden Hill, à Beckenham, une localité sise dans les faubourgs de Londres. Hunky Panky s’y tenait reclus, fuyant les assommantes vulgarités de la foule et la brûlante morsure des échecs.
Londres venait de réprouver The Hype, un groupe d’avant-garde qu’il comptait emmener au sommet des charts, épaulé par Mick Ronson et Tony Visconti. Ce cuisant échec l’avait profondément meurtri. L’aimable Hunky Panky renfermait comme l’huître la perle une nature à la fois quintessenciée et nubile.
Il gisait là, répandu sur une bergère vénitienne tendue de pourpre duveteuse, le regard embué de morosité. Il fuyait l’impitoyable nuisance des petites misères. Il caressait ses cheveux qui avaient la clarté de l’or pâle. Il sombrait dans des torpeurs hantées par de sourdes clameurs puis, pour éviter que son ennui ne devînt sans borne, se reprenait en songeant à de nouvelles chansons parées de scintillements mystérieux et pervers.
Il préparait ainsi «Hunky Dory», son prochain album. Pour attiser le brasier de sa mélomanie, il se laissait volontiers hanter par le spectre de Syd Barrett dont les couplets au fumet spécial, les mélodies aux charmes délirants, les contines aux accents dépravés achevaient d’irriter sa cervelle ébranlée.
Oh ce n’était pas tout. Il avait goûté à l’immense privilège de voir Vince Taylor sur scène. L’Anglais parut sur scène affublé d’une robe blanche. Pour les fidèles massés à ses pieds, il incarnait la résurrection. Hunky Panky vénérait Vince Taylor, un personnage suprêmement atypique qu’un solide abus de stupéfiants avait rendu emblématique. Au nombre des demi-dieux, Hunky Panky comptait aussi The Legendary Stardust Cowboy, une âme errante qu’on vit s’éloigner dans l’infini d’une lamentable désuétude.
Immergé dans l’eau stagnante de ses adorations, Hunky Panky sentait monter en lui le levain de touffeurs androgynes qu’exaspérait encore le camaïeu évanescent de sa tenue. Une robe d’homme moulait son corps d’éphèbe décavé. Celle-ci s’ornait d’un motif japonais représentant un boisseau de renoncules tendancieuses distribuées par une longue tige. Cinq boutons ciselés dans l’écaille de tortue fermaient cette robe sublime par le devant.
Hunky Panky prenait de longues poses accablées et mornes. Il levait une tasse diaphane et goûtait à petites gorgées un thé parfumé et bistre acheminé d’Orient par d’antiques caravanes. Autour de lui, les meubles sculptés dans des bois violets et fumés d’amarante imitaient les contractions du plaisir et les volutes des spasmes.
Hunky Panky grattait finement les douze cordes de sa guitare et parait son immense solitude de chansons d’un grand raffinement. Il désirait qu’elles fussent parfaitement aptes à tuer l’ennui, ce mal qui rongeait implacablement les jours. Il venait d’épuiser toutes ses ressources, notamment celles que prodigue la littérature. Il avait abusé, à s’en griser, des imprécations suroxygénées de Nietzsche, sucé jusqu’à la moelle les éditions complètes d’Aleister Crowley, une œuvre rongée par des syphilis et des lèpres, tout cela dans les âcres tourbillons des spirales haschichines. Il lui fallait revenir à des exhalaisons plus civilisées. Il n’entrevoyait qu’un seul moyen d’y parvenir : il lui fallait composer des chansons rares et précieuses qui brilleraient de l’éclat de topazes brûlées.
Angela Barnet, une Américaine au corps bien découplé et aux membres d’airain traversait la pièce. Elle évoluait, parée d’une robe de soie dont le frou-frou imitait le bruit d’un ruisseau. Il régnait à Hadden Hill un lourd parfum d’hédonisme.
En passant languissamment les accords de «Changes», Hunky Panky éprouvait la piquante satisfaction qu’éprouve le stratège à voir ses manoeuvres couronnées de succès. Il brassait avec les douze cordes de sa guitare un extravagant fouillis de notes lumineuses, et chantait d’une voix pincée, volatile et fruitée :
— Oh yeah, Mmmmm... Je ne sais toujours pas ce que j’attendais... Et le temps passait tellement vite...
Sa voix commettait de délicieux écarts :
— Un million d’impasses... Chaque fois que je croyais que c’était dans la poche, je sentais que ça n’allait pas...
Entre deux passades d’accords, délicates et charmantes, palpitantes et frileuses, il laissait un gémissement glisser le long de pentes éhontées. Il débouchait alors sur une ample phrase musicale, ouvrant soudain une échappée de panorama absolument immense.
— Ch-ch-ch-ch-changes... Tourne-toi et affronte le stress... Ch-ch-changes... Je ne veux pas devenir meilleur...
Achevé, ce magnifique spécimen de self-encapsulo manifesto brillait comme une pierre rare, de celles qu’on voit luire au front des reines antiques peintes par Gustave Moreau. En se retirant comme la marée, «Changes» laissait Hunky Panky épuisé, ahanant sur un rivage imaginaire.
Il concevait «Hunky Dory» comme une généreuse brassée d’hommages. Il en destinait un à Warhola, ce peintre d’origine polonaise établi à New-York et dont le génie sérigraphique commençait à éclabousser les cimaises d’Amérique. Voulue maniérée à l’extrême, cette chanson modestement intitulée «Andy Warhol» s’ouvrait sur une longue note errante bientôt mariée à un voluptueux accord de flamenco. Les grandes pompes suivaient, pareilles à ces cortèges qu’on voit défiler les jours de funérailles nationales et le couplet déroulait son cours, aussi vibrant qu’une note argentine. Hunky Panky se voulait si sincère dans son hommage qu’il s’étranglait presque, au moment de psalmodier le refrain :
— Andy Warhol a l’air d’un cri... Je l’accroche sur mon mur... Andy Warhol, écran d’argent... Je ne distingue rien du tout...
Il achevait chaque morceau le corps renversé à l’arrière, secoué de spasmes, comme frappé par cette singulière maladie qui dévaste les races à bout de sang. Mais voyant ses chansons sauter allégrement par dessus les bornes de la musicalité, il reprenait des forces. Il se redressait lentement et passait d’un geste las à l’œuvre suivante.
«Oh You Pretty Things» se présentait comme un boogie et s’arrêtait bien vite au seuil d’un couplet dépenaillé qu’une mélodie d’une saveur fatale emportait aussitôt. Et le refrain s’écoulait alors de la gorge de Hunky Panky comme une fontaine d’eau bleue :
— Oh, you pretty things... Ne savez-vous pas que vous rendez fous vos pères et vos mères ?
Il écrivait des refrains à caractère sacerdotal qu’il ajustait comme des parements sur de féériques apothéoses. Il lui arrivait de perdre connaissance. Il revenait à lui un peu plus tard. Il ramassait sa guitare, échappée de ses mains pâles, pour s’attaquer à la chanson suivante.
Issue des profondeurs ondoyantes de sa gorge, «Life On Mars» surgissait comme une grande composition à dimension cosmique et tragique à la fois. Conçue comme un hommage à Frank Sinatra, «Life On Mars» déployait, ainsi que le corbeau d’Edgar Poe, d’immenses ailes noires marbrées de reflets bleus.
D’œuvre en œuvre, Hunky Panky étendait son empire, le corps parcouru de frissons répétés et majestueux. D’une lenteur anémique, comme privée de forces et déjà harassée, une rengaine nommée «Quicksand» s’élançait pour s’en aller plonger dans un océan de désespoir. La voix d’Hunky Panky revenait parfois à la lumière, révélant ses accents dorés et craquelés. Il poussait sa plainte avec une grâce infinie, se complaisait aux affres d’un faisandage sommaire et ralenti. Son art blet atteignait aux sommets de la déliquescence. Il lâchait en soupirant des paroles charnues et molles qui sentaient le fauve. Sa voix épousait toutes les nuances de la perversité, elle modulait des paroles opaques, sulfureuses et comme jaunies de bile. Sa voix hissait vers la cime de l’art de douloureuses imprécations aux lueurs vitreuses et morbides. Elles jaillissaient de ses lèvres en jets fiévreux et aigres. Son esprit saturé de littérature, d’art et de décadence l’emmenait si haut qu’il paraissait se détacher du genre humain. Chanson après chanson, il bâtissait une œuvre désespérée et érudite. Il établissait dans un recoin d’ombre le nid d’un enchantement singulier et incantatoire.
Hunky Panky sentait qu’il s’épuisait. Il peinait à reprendre souffle, mais il lui fallait encore rendre hommage à Bob Dylan. Rassemblant ses dernières forces, il s’élança hardiment. Il attaqua «Song For Bob Dylan» d’une voix de nez pincé, retrouvant le secret perdu des arcanes dylaniennes.
Ayant rendu un bel hommage au peintre Warhola, il se sentit dans l’obligation saluer le Velvet Underground, une formation new-yorkaise qui exerçait sur lui une réelle fascination. Se sentant faible, il s’inspira à la hâte de «White Light/White Heat» pour interpréter «Queen Bitch» à la volée. Hunky Panky balançait ses épaules et martelait ses paroles :
— Je suis au onzième étage... Et je regarde les voitures qui circulent.
Ses pieds chaussés d’une feutrine de Syrie battaient sèchement le tempo. Quelques bouffées de chaleur lui rougissaient les pommettes. Il battait ses accords d’une main ferme et un sang barbare irriguait des veines que les excès avaient rendues poreuses. Le refrain recelait ce petit goût de vacherie musquée. Des coquetteries vocales l’humectaient d’une pluie d’essences félines sentant la jupe :
— Elle porte des fripes en satin qui bruissent... Une redingote, et un chapeau haut de forme... Oh God, je pourrais faire beaucoup mieux !
D’un geste lent, il chassa le voile qui commençait à lui obscurcir les sens, car il restait à explorer les corridors de la folie avec «The Bewlay Brothers». Il se préparait à fouailler les tensions exagérées de son cerveau, lesquelles avaient singulièrement aggravé sa névrose originelle et épuisé le sang déjà frelaté de sa race. En interprétant «The Bewlay Brothers», Hunky Panky allait s’enivrer sans limite des magies du style et attiser le délicieux sortilège de la note rare.
— Dans les coulisses d’où jaillissaient des aboiements... Nos dents de cuivre brillaient... Nous nous dressions dans l’ombre, oh... Et nous disparûmes.
Il poussait le couplet à se jeter dans l’insondable repos d’un néant béant, puis il levait d’une voix ample le rideau sur un horizon lustré de lumière blafarde. Hunky Panky passait des brassées d’accords magnifiques et bizarres. Il atteignait des régions mélodiques inexplorées, jouant sur sa guitare des combinaisons de notes évaporées d’une nature démente et sublimée. «The Bewlay Brothers» brillait d’une flamme liquide et sale. Cette immense chanson paraissait dégager une lumière d’un beau vert argenté. Elle scintillait d’un authentique éclat lunaire.
Aux dernières notes de ce morceau mirifique et spectral, Hunky Panky ressentit une violente douleur à la poitrine. Il savait que la vie le quittait. Rassemblant ses ultimes forces, il tituba jusqu’à la haute fenêtre et l’ouvrit. Son corps se prostra subitement. Il s’affaissa, privé d’air, sur la barre d’appui de la fenêtre.
En mourant, Hunky Panky donna naissance à Ziggy Stardust.
SANTA MONI CAT
Friday on my mind at the Santa Monica Civic Auditorium ! «Ziggy’s first american tour !» lit-on dans la presse. La sono du Civic envoie «L’Ode À la Joie» de Beethoven rouler sur la foule. Stephen Della Bosca se pince le bras au sang quand il voit arriver Ziggy Stardust sur scène. Comme tous les kids californiens agglutinés au pied de la scène, Stephen encaisse un choc d’une rare violence : le choc du futur. À la suite de Ziggy, the Spiders From Mars débarquent sur scène dans leurs space suits. C’est comme de voir le corps d’une femme nue pour la première fois : la fulgurance dépasse les facultés d’assimilation.
L’expression British rock star paraît même désuète en de telles circonstance. Stephen est bouleversé, ces fuckers de journalistes anglais ont menti ! Fucking liars ! Ziggy Stardust brille d’un tout autre éclat. Il est bien au-delà de tout ce qu’on a pu raconter ! Il réinvente le rock, exactement de la même façon qu’Elvis l’avait inventé. En une seconde, Stephen comprend que Ziggy ramène sur scène des trucs nouveaux, la bisexualité, c’est-à-dire la provoc ultime dans ce monde d’hommes qu’est le rock, puis l’indicible menace du Clockwork, directement puisée dans la mythologie Kubricko-Burgessienne. Et surtout un parfum enivrant de futurisme. On ne parle même pas de la beauté, qui fulgure tant qu’elle paraît logique, comme offerte en prime.
Sous un haircut rouge carotte luit d’un pâle éclat son visage fardé de blanc. Il porte une guitare acou en bandoulière et s’approche du micro. Bam ! «Hang On To Yourself» sans transition, la plus élégante des intros pour un set qui va transformer quelques vies, dont celle d’un Stephen qui frémit comme un étalon sauvage, planté dans ses boots argentées - Com’on com’on/ You’ve really got a good thing going - Ziggy le trépigne au com’on com’on et Ronno des Batignolles riffe au petit trot la charge de la brigade légère - We’re theee Spiders from Marchhhh ! - C’est un coup à tomber à genoux, Ronno vrille la voûte du Civic et de l’autre côté Trevor Bass Boulder broute le beat avec la mine peu avenante d’un charognard cosmique. Pourtant sevrés de miracles par Walt Disney, les kids californiens n’en reviennent pas. Stephen se sent désaxé pour la première fois de sa vie. Il sent son orbite se dématérialiser. Une bouche le suce, une vie nouvelle lui glace le sang. Ce qu’il éprouve défie les normes du plaisir. Oui, car Ziggy s’adresse à l’intellect - You’re the blessed, we’re the Spiders From Mars - Dans les villages de Palestine, le Christ ne procédait pas autrement. Il s’adressait lui aussi à l’intellect. Stephen dévore Ziggy des yeux. Jamais encore il n’avait senti une telle animalité chez un mec. Ziggy contrôle le moindre de ses mouvements, le battement de paupière comme le pas - Ziggy played guitah, jamming good with Weird an’ Gilly - Le public ovationne Ziggy qui raconte l’histoire de Ziggy. Il joue de la guitare de la main gauche dans les Spiders - Became the special man - Et la magie se répand sur le Civic. Ronno claque son Sol et son Si mineur avec une telle indécence que ça devient le passage d’accords le plus célèbre du monde. Ronno joue au gras des marquis, avec la plaisante lourdeur d’un bras chargé de dentelles et de bijoux. Sous son casque de cheveux platine, il challenge la suprématie de Ziggy, d’autant qu’il s’est peint les lèvres en rouge.
Ah yeah fait Ziggy et dans la précipitation, il scande - I still don’t know what I was looking for - Il déroule ce magnifique délibéré d’essence princière qu’est «Changes» - Tchooo tchoooo tchoooo tchoooo Changes - qui laisse la Californie sans voix car jamais une telle épopée n’était encore alors arrivée jusque là. En empruntant cette chanson à Hunky Panky, Ziggy délie la dragée haute d’une civilisation usée jusqu’à la corde. Ronno monte au micro et approche sa bouche de celle de Ziggy pour chanter avec lui. Chacun dans le public semble se réajuster mentalement au fil des cuts. Personne n’était préparé à un tel spectacle. Ziggy pointe le doigt vers l’espace - Sailors fighting in the dance hall/ Oh man ! - et il enchaîne avec l’infinie délicatesse de «Life On Mars». Il se fond dans les encorbellements cristallins de motifs corinthiens et d’arabesques mauresques que dessine Ronno sur les cordes de sa Les Paul en or massif. Ziggy tend la main. Five ? Oh yeah - Pushing thru the market square - «Five Years», beaucoup trop anglais pour venir de la planète Mars. D’autant qu’il voit des boys, des toys, des electric irons and Teevees, alors c’est louche. Stephen s’en émerveille, lui qui est d’un naturel si inquiet. Ronno fait monter sa mayo jusqu’à la prolifération orgasmatique - So many people d’encorbellement majeur.
C’est le moment que choisit Ziggy pour emmener tout le monde dans le cosmos - Grand control to Major Tom - fantastiquement gratté à l’accord, et Ziggy recrée la pop dans une dérive interstellaire - Planet earth is blue and there’s nothing I can do - Tant de beauté à l’image d’une infinie détresse. Ziggy décrit en quelques phrases l’absolu de la solitude : être perdu dans l’espace, sans aucune chance de pouvoir regagner la terre. Il invente le romantisme futuriste. Les Californiens ne sont pas préparés à une telle épreuve. Ils ne savent rien de la souffrance. Ils ne vivent que dans une quête éperdue de plaisir - Can you hear me ? - Personne ne répond. Ni dans la salle ni dans l’espace. Comme Ziggy, Stephen sait que les carottes sont cuites. Sans l’arrivée providentielle de Ziggy, jamais il n’aurait pu réfléchir à une telle chose : la solitude qui précède la mort. Ziggy salue rapidement Andy Warhol et Jacques Brel avec «My Death», deux ombres qui passent largement au dessus d’une Californie notoirement inculte et les Spiders redescendent dans l’enfer du psych-out anglais pour touiller une monstrueuse version de «The Width Of A Circle», hit underground d’un certain David Bowie. Ronno joue au gras double de l’agressivité maximaliste. Ziggy se campe sur ses pattes de Spider, le temps que passe la tourmente. Il souffle sur le Civic un vent de folie de force V du type de ceux que levaient les Standells en leur temps.
Ziggy porte sa touche bisexuelle à incandescence avec «Queen Bitch». Les coup de hanches qu’il donne en disent long sur l’aisance avec laquelle il lève des michetons dans les bars - I’m the space invader ! - «Moonage Daydream» tombe comme une chape sur le Civic et pourtant, il s’agit là d’une nouvelle prière - Keep your electric eye on me babe - Ziggy far-oute le Civic. Stephen vibre de tout son corps. Mais son état empire encore lorsque Ziggy attaque «John I’m Only Dancing» car Ziggy atteint là les sommets du dévoiement, il va même jusqu’à s’étrangler dans son trémolo - Don’t get wrong - Il pousse jusqu’à la perversion extrême. Et après avoir présenté Mick Ronson on guitah, il attaque une version somptueuse de «Waiting For The Man», battant toutes sortes de records au passage, dont ceux de l’ambiguïté androgyne à la Fellini et de l’instigation sauvage, car il vaut bien à lui seul une horde de cannibales affamés.
Ah des gens réclament du rock ? Ziggy leur jette «The Jean Genie» en pâture et donne carte blanche à Ronno qui pétrit ses riffs avec une rare violence. Il joue comme un vrai lad de Hull, faut pas lui marcher les pieds ni lui dire un seul mot de traviole. Ziggy s’ébroue et crache du snow white et du New York a gogo - And everything tastes nice - Avec les Spiders survoltés, ça prend des allures extravagantes, Ronno riffe serré, on assiste à un looks like a man et ça rampe dans les reptiles, Ziggy swingue ses chimney stacks ouuuh ouuuuh, les Californiens n’en peuvent plus - Jean Genie let yourself go ! - Stephen frise l’overdose, s’il mourait à cet instant précis, ce serait fantastique. Ziggy chante à pleine bouche de pipe. Rien ne pourra plus l’arrêter - Loves to be loved, loves to be loved - Et la bulle pop explose en plein vol avec «Suffragette City». Ziggy fait aux Californiens le plus beau des cadeaux : la pop du Palace Pier bardée d’amphètes - hey man ! - Ziggy secoue sa crête orange et balance le plus célèbre des refrains - Oh don’t lean on me man/ Cause you can’t afford the ticket/ I’m back on Suffragette City - Les Spiders jouent comme des diables, Ronno glisse dans les coulures du soufflet et c’est le break que guette la terre entière - Ohhh, Wham Bham Thank You Maaam ! Stephen assiste médusé à l’apothéose du glam anglais.
En sortant du Civic, il sent l’air chaud envelopper son corps en nage. C’est à cet instant précis qu’il décide de changer de nom. Il s’appellera désormais Ygarr Ygarrist et viendra donner une deuxième chance aux terriens avec un groupe originaire de Plutonia, dans la Xavia Zeee Galaxy, les fameux Zolar X. Ils joueront régulièrement à l’English Disco de Rodney Bigenheimer et se montreront parfaitement dignes de «The Rise And Fall of Ziggy Stardust & The Spiders From Mars» en enregistrant de beaux album de glam pur.
Signé : Cazengler, drôle de zig(gy)
David Bowie. Disparu le 10 janvier 2016
David Bowie. Hunky Dory. RCA 1971
David Bowie. Pin Ups. RCA 1973
David Bowie. Live Santa Monica 72. Virgin Records 2008
TROYES – 16 / 01 / 16
MIDWAY SHOOTER BAR
RENE MILLER TRIO
Toute la musique que j'aime, elle vient de là, alors on y va, en courant. En plein cœur de la bonne ville de Troyes. Vous avez perdu, ce n'est pas au 3 B, mais pas très loin, au Midway. Nous arrivons en avance. Pas question de perdre une note. Surtout une bleue. Les musicos finissent de manger confortablement installés sur un canapé. Au Midway les chaises sont rares mais les divans profonds et moelleux sont agrémentés de tables basses. Déco américaine typique sur les murs. René Miller, le fera remarquer durant son tour de chant, l'on se croirait chez soi, dans une grande pièce. Avec son borsalino et ses mains dans les poches, il ressemble à un gangster d'un film des année cinquante. En plus vous avez droit à une version originale puisqu'il parle sa langue natale. L'est en France depuis vingt ans, mais comme tout le monde connaît un peu d'anglais, il n'a pas eu à s'adapter...
L'on sent que l'envie de jouer le démange, pas le genre de gars à faire attendre le public. Une petite cigarette sur la terrasse et les voici tous les trois en place. Le bar s'est rempli doucement, moitié amateurs de blues et moitié fans de rockabilly...
CONCERT
Ben Body est à la contrebasse, le bras sur le manche et les doigts en attente sur les cordes. David Chalumeau a déballé ses harmonicas, toute la gamme posée dans l'ordre alphabétique près de lui. René s'est assis, le restera toute la soirée, telle l'image d'Epinal des bluesmen sur le perron de leur baraque en planches disjointes du Mississippi, l'a gardé son chapeau – étrangement il en paraît beaucoup plus jeune. Placidement il tire son étui à guitare, et l'en sort la plus merveilleuse des poêles à frire. Une guitare à résonateur bleutée comme un dos de requin. Nous prévient en son idiome qu'ils vont jouer essentiellement du blues, et après un regard ironique et appuyé sur le confederate flag, un peu de country aussi. No comment. Chacun appréciera l'humour de la situation à sa guise.
N'ont pas douze tonnes de Marshall derrière eux. Trois petits amplis de rien du tout. Celui de René Miller, vous l'employez chez vous pour ne pas réveiller les voisins. Brut de blues. Tout dans le souffle et les doigts. Pas de surenchère, ici, il faut jouer au plus près sans tricherie. Pas une question de son, mais de présence.
La guitare et la voix. Faut savoir les associer. Contrairement à ce que son nom laisserait supposer, le résonateur ne résonne pas. Il sonne, n'installe pas une profondeur sur laquelle le chant pourrait se vautrer comme sur un coussin rempli d'eau chaude. Le métal scalpe, il clinque et cliquette, c'est la voix qui dépose les harmoniques. Mais elle doit d'abord surmonter le clappement sec de l'acier, lui rabaisser le caquet comme l'on recourbe de la main vers le sol la tête du reptile qui voulait vous mordre. Faut être blues et shouter, ne pas passer en force, mais s'imposer une fois, deux fois, mille fois, autant de fois que nécessaire faut pousser son holler et retomber tout de suite dans la syncope du silence. Piquer du nez et reprendre de l'altitude.
Mais ce n'est pas tout. Reste le plus important, le doigt qui se glisse sous le manche au ras de la caisse et le cylindre du slide qui fait glisser les notes, les arrache et les gicle, en accentuent le feulement métallique tout en leur imprimant une onctueuse acidité. Le grain grinçant de sable qui enraye la machine tout en lui permettant de changer de dimension. La main gauche armée de ses deux médiators ne chôme pas mais c'est le bottleneck qui permet le basculement rythmique du blues, l'escalier qui descend alors que l'on monte, cette impression d'être aspiré par la vase du Delta alors que l'on se sent aggripé par le septième ciel. De la jouissance. Pas celui du mauvais dieu des églises.
David Chalumeau est à l'harmo. Monte en douce dans le wagon. Mais après plus question de le faire descendre, notre hobo. S'accroche à l'échelle et ne lâche plus la note. Pas de coupure, pas de zébrure, pas de déchirure. Joue à souffle continu. Ce n'est pas le train sifflera trois fois et se taira. N'est pas pour la stridence qui vous hache l'oreille en petits morceaux avec les oignons crus par-dessus. L'est pour la perceuse vicieuse qui vous troue le tympan et s'enfonce en avant sans jamais marquer de pause. Le serpent déroule ses anneaux, mais le bout de la queue n'apparaît que lorsque René Miller achève son morceau. Toujours par surprise. Brutalement. Une balle dans la tête et l'on passe au suivant. Et David Chalumeau se dépêche de choisir un nouvel harmonica.
Ben Body n'a pas ce souci. Toujours la même contrebasse. Suffit de suivre et d'impulser. N'a pas droit au déraillement. Les deux autres peuvent foncer devant, il est le gardien du phare. S'y réfèrent sans arrêt, l'est derrière, mais c'est lui qui guide même si Miller découvre le chemin et fonce en avant, Chalumeau est emporté dans sa cavalcade, mais Ben Body assure la logistique. A toutes les étapes l'on se retourne, mais il est là; imperturbable, le roc dans la tempête.
Deux sets, des incontournables du blues, un Crossroad démentiel, la guitare pour ainsi dire nue de René nous aide à comprendre l'attrait diabolique de ce morceau et pourquoi Robert Johnson est plus grand que son mythe. Du trapèze volant, sans filet. Une prédilection pour Mississippi John Hurt, son Frankie folk country bluesifié à mort, l'a la voix rèche qu'il faut pour cela. Un Higway 61 ( non revisité ) de Big Joe Williams, et un In my Time of Dying de Josh White, du blues comme il en ruisselle dans le grand fleuve. Un régal, live. Des compos comme Baby Roll, mais aussi des reprises plus modernes, ce Come Together des Beatles transformé en vieux blues déchiqueté à la Howlin Wolf – l'est vrai que Lennon s'était inspiré d'un peu trop près du You Can't Catch Me de Chuck Berry – puis ce qu'il annonce être l'hymne national « unofficial » du Canada, le Hallelujah de Leonard Cohen interprété un peu à la dernière manière de Johnny Cash, et surtout ce Sympathie for the Devil, d'autant plus fort et splendide que réalisé avec une formation pour ainsi dire à minima. Hyper bien chanté. Le morceau découpé jusqu'à l'os. Frisson sur la peau garanti. De quoi vous donner envie de lire les œuvres complètes d'Anton Lavey.
Et pour finir, en ultime rappel, une surprise, en français s'il vous plaît. Ne proposez pas de titre. Aznavour, un For Me Formidable, du temps il essayait de rivaliser avec les big bands d'Amérique. S'en tire joliment et avec le sourire. Applaudissements nourris. Le blues n'est pas toujours triste. Surtout pas celui du René Miller Trio, tonique et revigorant. Nous emportons un disque, comme un trésor, nous vous le chroniquerons bientôt.
Damie Chad.
( Photos : FB : Pascal SEHER )
ALIAS VINCE TAYLOR
LE SURVIVANT
( Editions DELVILLE / 1976 )
En 1976, l'on s'est précipité dessus comme les barbares sur l'Empire Romain. Enfin des nouvelles fraîches de Vince Taylor ! L'on n'y croyait plus. Pas trop en tout cas. Que Vince qui baragouinait un français approximatif ait pu rédiger son autobiographie laissait rêveur. D'autant plus que les trois premiers chapitres trahissaient la patte du romancier. Avec la collaboration de Jacques Guiod, c'était écrit en tout petit sur la page de titre. Le choix du rewriter n'était pas mauvais. Jacques Guiod a traduit plus d'une centaine de livres, principalement des ouvrages de science-fiction, les auteurs les plus prestigieux, je ne citerai à titre d'exemple que Robert Silverberg, d'autres babioles aussi, pour rester dans un domaine qui touche notre rêve américain nous mentionnerons la présentation des photographies des Indiens d'Edward Sheriff Curtis. Science-fiction, Vince Taylor, Ziggy Stardust David Bowie, les connexions s'opèrent d'elles-mêmes... Jacques Guiod était l'homme approprié pour ficeler coupures de presse et confidences de Vince en un tout cohérent.
Ne s'agit pas ici d'accuser Vince Taylor de mensonge. Toute vérité n'est qu'une reconstruction du réel. Au mieux on peut l'asséner de toute bonne fois. Mais ceux qui croient en leurs Dieux – idem pour les fans qui se prosternent devant leurs idoles - sont au minimum des naïfs. Au pire des idiots. Vince Taylor était trop intelligent pour ne pas douter de lui-même. Ne nous fait-il pas l'aveu au détour d'une phrase de nous révéler que ce qu'il vient de raconter n'a peut-être pas été vécu !
Inutile de délaisser le bouquin et de faire comme s'il n'était qu'un ensemble d'approximations fumeuses auxquelles l'on ne saurait accorder un crédit quelconque. D'abord parce que Vince donne pour tout le début de son existence des informations à l'époque inédites, que des enquêtes ultérieures corroboreront, mais surtout parce que se dessine en creux un portrait psychologique de Vince qui n'est pas sans intérêt.
Cette bio était censée préparer un des incessants comeback de Vince. Au premier plan de l'actualité. Dans sa tête sûrement. Pour son entourage l'on devait être plus dubitatif. L'on était passé au plan B, sauvons le rocker Vince Taylor, avant qu'il ne soit trop tard. Le plus étonnant c'est que de page en page, Vince Taylor s'y présente alternativement, sous son meilleur jour comme sous sa pire caricature.
L'a un côté vantard un peu énervant. Monsieur qui sait tout et qui a toujours raison. Peut prophétiser si les conseils qu'on lui prodigue et qu'il suit tourneront au fiasco ou seront des avancées décisives de sa carrière. Comme les premières années, la chance finit toujours par lui sourire, le lecteur lui pardonnera volontiers ses roublardises. L'on ne critique pas une équipe ( fût-elle constituée d'un seul membre ) qui gagne. N'insiste guère sur ses passages à vide en Angleterre, les mentionne, mais une fois qu'ils sont surmontés. C'est de bonne guère. In hoc signo Vinces. Si c'est écrit sur les paquets de cigarettes nous n'y pouvons rien. Peut-être était-ce un avertissement des Dieux, que la gloire s'envole facilement en fumée...
Rend fidèlement compte de son triomphe en notre douce France. Et peut-être même peut-on discerner en ses souvenirs heureux la prise de conscience que son incroyable succès repose sur une terrible méprise. Il apparaît à ses propres yeux comme le rocker par excellence, dans toute sa splendeur, des sets d'une sauvagerie inimaginable et d'une beauté absolue qui traumatisent littéralement la société française. Question rock, c'est une réussite parfaite. La France le gobe comme Proust sa madeleine. Mais ce n'est pas la coquillette sucrée de Marcel qui est l'héroïne du roman. Elle n'est qu'un adjuvant nécessaire mais contingent de ce qu'elle révèle. Idem pour les shows de Vince, n'intéressent – à part une poignée d'exaltés – the french population qu'en ce qu'ils dévoilent, mettent à nu, les désirs profonds et inavouables de la société, ceux d'une exigence d'une libération définitive des corps et des esprits.
Rompez les chaînes – Vince a pris l'habitude d'en brandir une sur scène - des esclaves, le retour du refoulé ne se fera pas attendre. Vince vous permet de vous débarrasser de votre culotte, mais à la fin de l'explosion libératrice c'est lui qui sera rejeté comme une vieille chaussette ( noire).
Vince ne dérogera pas à son chemin. Ses deux premières années de par chez nous tournent à l'émeute, c'est de la folie pure. Lorsque Barclay apurera les comptes de son investissement financier et qu'il retira ses billes, Vince n'en continue pas moins sa sente folle. Si le monde s'assagit, il comblera le déficit en prenant la folie à son compte. Tout se détraque dans sa tête. L'alcool et les produits n'y seront pas pour rien, mais nous les tiendrons pour des péripéties extérieures à la grande décision nervalienne de Vince Taylor, celle d'assumer du dedans, la folie de laquelle les spectres du dehors se détournent avec horreur.
Lui qui a connu le rock et les palaces se retrouvent seul. Les filles qui ne l'abandonneront jamais ne comptent pas. Se laissent pousser les cheveux. Vit dans la rue. Mais ce n'est pas le plus terrible. L'a perdu son statut de rocker. L'est devenu un hippie. Comparé à cette déchéance êtrale, les séjours en hôpitaux psychiatriques sont de la petite crème. Des broutilles. Les conte avec une certaine complaisance. Traverse l'enfer. Mais il en ressort vivant. A la fin du livre il dresse le bilan de sa vie. L'a été beaucoup trahi. Les seuls qui ne l'ont pas abandonné sont les rockers. Les Teddies en Angleterre, les rockers en France. Notamment la légendaire figure de Johnny de Montreuil. Le logent, le nourrissent, lui filent de l'argent, lui passent des copines, veillent sur lui. Préparent son retour... Des anges... noirs dont il dresse un portrait apocalyptique. Des réprouvés, des rejetés. Nés dans la misère et la violence. Des durs car les faibles ne survivent pas. Mais fidèles en amitié. Ne connaissent pas la pitié mais peuvent vous soutenir indéfectiblement. Avec eux, c'est à la vie, à la mort. Et jusqu'à après la mort. Cela s'appelle la vengeance...
Désolé pour les féministes. Comme dans les sociétés guerrières les filles passent après les gars. Sont là pour servir et se taire. Brunes ou blondes elles comptent pour du beurre. A Baratter. Une constance chez Vince. L'a honoré à la va-vite des tas de meufs. Macho, phalo et tout ce que vous voulez. L'était doué d'un irrésistible sex appeal. N'avait point besoin de se forcer. S'offraient. Consentantes. Soumises. N'allait pas non plus refuser ! Mais cette pression de femelles énamourées le dégoûtent. Gare à celles qui s'accrochent. N'hésite pas à les frapper si elles ont encore envie. Cette violence n'est pas réservée aux groupies anonymes un peu trop chaudes. Nombreuses seront ses compagnes qui auront droit à quelques mémorables corrections. En rejette la faute sur sa première épouse qui s'adonnait en cachette aux joies du striptease... Les contradictions du puritanisme anglo-saxon apparaissent au grand jour... Se dit assoiffé de pureté et s'étend longuement sur son aventure sentimentalo-érotique avec une nymphette de treize années. L'on n'est pas très loin des chaudes accointances de Jerry Lou avec sa petite cousine Myra et de la cour troubadourienne d'Elvis avec l'infante Priscilla... Très sexuellement incorrect. Qui de nos jours, en ces temps hypocrites d'ordre moral, aurait le courage de révéler sa vie intime avec autant de netteté !
Frelaté et fascinant. Authentique et outrancier. A la relecture, quarante après, ce bouquin est un magnifique artefact rock and rollien. Nous paraît même avoir gagné en force. En fait c'est notre époque qui s'est affaiblie. On a pris l'habitude de passer un peu vite sur ce livre. On a trouvé l'excuse, son manque de fiabilité et son imprécision chronologique. Mais à la lecture, si l'on prête l'oreille à la petite musique rock and roll qui s'en dégage, il n'est pas dépourvu d'un charme vénéneux. Prenez-y garde, le poison agit lentement. Mais sûrement.
Damie Chad
( Photo : Vince +jukebox / SITE ROLLCALL à visiter )
BILLIE HOLIDAY
MUNOZ & SAMPAYO
( Casterman / 2015 )
Centenaire de la naissance de Billie Holiday. Ca tombait bien, chez Casterman ils avaient dans les cartons l'album de Munoz et Sampayo sur Billie. Se sont dépêchés de le rééditer. A leur décharge, faut rappeler que les deux argentins sont pour ainsi dire des auteurs maison et que la boîte les édite sans désemparer depuis trente ans. Carlos Sampayo est un authentique amateur de jazz, l'a aussi participé à un Fats Waller avec le dessinateur Igort d'origine italienne - qui de son côté a commis un Sinatra - l'a même rédigé une Historia del Jazz. Vous l'avez compris Sampayo se charge des scénarii et José Munoz dessine. Dans sa jeunesse Munoz a travaillé avec un autre italien très célèbre, Hugo Pratt, le père de Corto Maltese... Italie, Argentine, jazz, Billie Holiday, Sinatra, quand j'aurai ajouté que Munoz et Sampayo ont réalisé un Carlos Gardel, prince du tango, nous pourrons certifié qu'il n'y a pas de hasard, uniquement des rencontres. Et comme notre monde vu depuis les étoiles est encore plus petit qu'on ne le pense, c'est la compagne de Jacques Tardi – duquel vous avez lu ses Aventures Extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec, héroïne anarchisante... - Dominique Grange – créatrice de Les Nouveaux Partisans – en quelque sorte l'hymne de la Gauche Prolétarienne – qui opéra la traduction des bulles. Pas étonnant que tous ces personnages se soient sentis en osmose avec la rage qui habitait Billie Holiday. Une même exigence artistique et un même sentiment de révolte politique les animent.
Suffit de regarder la couverture pour tout comprendre. Pourrait s'intituler la négresse rouge au camélia blanc. L'on vous résume la bio de Billie avant que vous ne commenciez, avec des photos d'époque. C'est que la suite est un peu embrouillée. C'est l'histoire de Billie mais dans le désordre. Trente ans qu'elle est morte. La radio en parle, les journaleux recherchent des documents et les témoins se souviennent. Ceux qui l'ont croisée sans même savoir qu'elle était Billie Holyday et ceux qui ne le savaient que trop. Les images arrivent dans le désordre, comme les coups de pied lorsque l'on vous passe à tabac, ou alors comme quand vous avez trop bu et que la tête vous tourne, ou alors comme quand le sang tape un peu trop dur dans vos veines sous l'effet de l'héroïne.
Billie vous offre le cocktail de sa vie. Difficile de l'avaler d'un trait. Trop d'amour, trop de sexe, trop de fric, trop de haine, trop d'injures, trop de mépris, trop de drogue, trop de trop. La vie est un cauchemar et la mort une épouvante. Entre les deux vous faites comme vous pouvez. Ne pensez pas à vous enfuir les issues sont fermées. Barrées. Obstruées. Bouchées. A la Reine. Cadenassées. La règle du jeu est simple. Les flics sont les bumpers et vous êtes la boule. De couleur noire. Cela à son importance car les arbitres ne seront jamais de votre côté. De toutes les manières, il n'y a pas d'arbitre. Billie connaît les règles du jeu. Elles sont simples. Tous contre vous. Vos ennemis. Et vos amis aussi. Du moins ceux qui devraient être vos amis. Les pigs sont partout. Même autour de votre lit de mort. Les honnêtes citoyens sont bien gardés. Les mauvais encore plus. Le répit ne peut venir que des anonymes. Mais ils n'ont aucun pouvoir, un sourire, une déférence. C'est tout. Je me demande si cela peut-être positif. Cela vous rembobine peut-être plus dans votre solitude. Dans votre désespoir.
Mais à chacun sa citadelle. Celle de Billie s'appelle le Pres. Ne sera pas imprenable. La mort finira par planter son drapeau noir sur la plus haute de ses tours. Avant il y avait eu la dépression, la folie peut-être. On n'a jamais su. Une forme particulière de schizophrénie. Ou alors quelque chose de plus difficile à cerner. Un repli. Le silence. Le mutisme. L'a été un des plus grands du jazz. C'était le miel de l'Hymette qui coulait de son saxophone. Comme la parole de Platon. Mais un jour il a arrêté. De vivre. Mais avant, de jouer. Soufflait bien un peu pour gagner sa croûte. Mais n'y faisait plus attention. Sans cœur, sans joie. Parce qu'il faut le faire. La corvée de vaisselle. L'on s'en passerait aisément, mais là ce n'est pas possible. S'appelle Lester Young et c'est l'ami de Billie Holiday. Son amant. Mais peut-être pas de chair. Personne n'en sait rien. Son amant d'âme de dame, oui cela est sûr. A eux deux ils sont la citadelle. Deux miroirs qui se renvoient leur reflet. Et puis rien d'autre. Cela suffit. Ne se comprennent pas nécessairement. L'important ce n'est pas d'avoir la compréhension intime de l'autre. Ce sont les autres, tous les autres qui vous ont désignés comme seuls horizons possibles. Vous ont condamnés à aller l'un vers l'autre. Naturellement. Lorsque vous ne pouvez allez nulle part vous ne pouvez rencontrer quelqu'un uniquement dans cet espace de nulle part. Pas de quoi pavoiser. Mais une grande tendresse, qui vous happe l'un vers l'autre. Et qui vous zappe des autres.
La mort du Pres fut un drame pour Billie. Ne le voyait plus beaucoup, ne jouaient plus ensemble, mais l'était toujours présent. En elle, près d'elle. Avec la mort de Lester, Lady Day s'est trouvée confrontée à la brutalité de l'existence. N'avait plus son bouclier de protection. Sans Young, la vie ne valait plus la peine. Billie absorbe la violence du monde dans son corps, et elle aussi devient violence. Lui faut émettre de la violence pour opposer une force au moins aussi forte à celle qui la submerge. Jeu de miroir mais la glace est cassée.
Ensuite plus rien ne peut l'atteindre. Ni les vivants ni les morts. Même quand elle est encore vivante, même quand elle est déjà morte. Encore morte. Il n'y aura pas de sorcellerie vaudou. Le fil est coupé. Personne ne le renouera. Allez vous recueillir sur sa tombe. Le cœur gonflé d'amour et de regret. Cela ne sert à rien. C'est tout juste bon à consoler votre chagrin à vous. Pas le sien. Egoïsme des hommes. Solitude d'une femme.
Sa conscience est plus vaste. Ce n'est pas sa propre existence qui lui fait mal. Ne s'en tire pas si mal que cela. Ce sont les blessures de tout un peuple qu'elle porte en elle. L'a bâti la cause stirnérienne de son moi sur rien. Elle l'a bâtie sur les autres. Tous couchés et si peu debout. Quelques uns et personne d'autre. De quoi subir tous les découragements du monde. Son âme était blessée mais la blessure était en dehors d'elle. Une situation qui n'est pas sans rappeler la double postulation du poète Joë Bousquet, blessé d'amour et de guerre. En la même époque. Mais le drame de Joë Bousquet fut personnel, individuel – même si la grande secousse cataclysmique de 14 – 18 en fut la première pourvoyeuse – celui de Billie Holiday est empêtré dans une trame collective qui se retire d'elle. L'alcool, le sexe et la drogue pour colmater les interstices.
Sampayo a découpé son récit en lanière. Un peu comme ces fouets qui s'abattaient sur les dos des esclaves. Munoz a adapté le dessin. L'a suivi le même processus créatif que son scénariste. Certes l'est difficile de décider si pour lui, le blanc de ses vignettes représente la béance d'ombre du vide et le noir la contrefort de la vie animée gorgée de sang chaud qui tente de faire barrage au néant, ou alors au contraire, si pour lui, le noir est le fond d'opacité du destin et les taches de blanc les battements d'ailes de la vie qui tenterait d'échapper à cette noirceur programmée.
Dans les deux cas, ce n'est qu'un jeu d'ombre sans lumière. Un combat de noirs qui se battent dans un tunnel à coups de boulet de charbon. Tournez les pages du livre rapidement, les formes s'estompent, se détache juste une lutte mouvante entre le blanc et le noir. Entre les noirs et les blancs. Jamais un auteur de bande dessinée n'aura autant réussi à effectuer la coïncidence suprême, celle de la matérialisation graphique du dessin avec ce qu'il sensé raconter et exprimer. Une véritable calligraphie orientale, selon laquelle le geste du pinceau trace le signe qui détermine le sens de l'œuvre. Jamais le dessin n'aura été aussi près de cet art suprême qu'est la musique car le frémissement seul de la voix de la chanteuse suffit à indiquer les émotions qu'elle s'emploie à nous faire partager. Même si l'auditeur n'entend un traître mot de la langue dans laquelle elle chante, il entend parfaitement la signification exacte et universelle que le vibrato de la voix impose. Sculpture vocale, art total, qui se passe de tout commentaire superflu.
Pour ceux qui ne comprendraient pas, la couverture s'avère explicite. Un peuple symboliquement décapité en faisant taire cette voix dans laquelle perçaient d'étranges fruits. La lame rouge de sang. Et la tête soleil noir, cou coupé.
Damie Chad.
CULTURE ROCK
L'ENCYCLOPEDIE
DENIS ROULLEAU
( Flammarion / 2015 )
Je n'arrivais plus à y mettre la main dessus. Jamais en rayon dans les librairies que je visitais. Lorsque j'ai remarqué la couverture souple, au regard j'ai pressenti la parenté, oui mais en 2011 elle pépiait d'un jaune canari éclatant, et là s'étale un rose quasi-fuchsique, s'offrait aussi en format un moindre qui lui refilait l'apparence d'un missel du dimanche ( ô Satan que ton nom soit sanctifié et que ton règne vienne ! ), exactement comme ces petits volumes qu'Hölderlin et toute la génération romantique trimballaient dans leurs poches durant leurs nobles pérégrinations. Réédition en cette fin d'année 2014, avec quelques centimètres de plus, augmentée et mise à jour, par son auteur Denis Roulleau.
Quand vous l'ouvrez, vous n'êtes pas dépaysé. Vous vous croyez dans votre blog-rock favori. Les mêmes couleurs criardes que celles qui badigeonnent les livraisons de KR'TNT ! Même que parfois vous devez écarquiller les mirettes comme des soucoupes volantes pour déchiffrer le texte. Spécialement un marron macrameux à dominante parmentière terreuse. L'esthétique punchy de mauvais goût du rockabilly dans toute sa splendeur. Sauf que ( de rat coupée ) les pionniers et les fifties ce n'est pas sa timbale de Jack.
Si vous pensez trouver tous les gentils rockers sagement alignés à la queue leu leu alphabétique, vous vous trompez, certes vous avez droit à une encyclopédie-rock, mais c'est le versant culture qui sera privilégié. Culture et Rock, deux mots qui ne vont pas très bien ensemble, s'exclameront les grincheux de service. Mais ce sont là gens de chagrine et étroite intelligence. Auxquels nous n'accorderons qu'un regard de mépris compatissant. L'est bizarre de voir combien beaucoup de nos contemporains s'accordent à rétrécir les champs du possible. Encore que ( de renard hendrixien ) ici, encyclopédique ne signifie point universel. Le livre est avant tout destiné à un public français. Pas au sens nationaliste du terme, mais culturel. Entendez par ce vocable que Denis Roulleau explore et explicite les différents canaux et éléments qui ont permis à tous les petits frenchies que nous sommes d'entrer, un jour ou l'autre, par telle ou telle capillarité sympathique et osmosique, en relation avec cette musique d'importation sauvage qu'est le rock and roll.
C'est comme à la piscine municipale. Le meilleur moyen d'apprendre à nager c'est de tomber par mégarde des quinze mètres du plongeoir meurtrier directement dans le grand bain. Vous êtes pénardos chez vous, et schploff ! sans avertissement un titre vous étreint. Le boa constricteur du rock s'est jeté sur vous, désormais jusqu'à la fin de votre vie, vous êtes perdu pour la communauté humaine, vous êtes devenu un rocker. Mais il y a des pétochards qui ont besoin d'une approche moins abrupte, demandent conseil au maître-nageur qui roulent de rassurantes mécaniques sur le bord des bassins. Vous êtes comme Dante ( une bonne pâte littéraire ) qui pour visiter les Enfers a eu besoin de Virgile pour la traversée des cercles peuplés de ces malheureux qui en leur terrestre existence se sont adonnés aux pêchés capiteux. Vous éprouvez la nécessité d'un intercesseur, d'un coach-rock pour vous guider en ce monde de sentes obscures, de pentes fatales.
Alors David déroule le Roulleau des opportunités à saisir de toute urgence. La presse tout d'abord puisque le premier article est dévolu à Actuel. Qui n'a pas eu entre ses mains ses pages colorées, ultraviolettes, et salades de fruits composées d'orange sanguine et de jaune citron mielleux, n'a rien vu. N'ont rien lu, non plus ceux qui se jetaient dessus. Mais c'était beau. Un magazine qui jetait l'encre dans les sujets tabous ( quoique le Special Cul du journal Tout ! à l'époque c'était vraiment culotté ), les gauchistes le lisaient en cachette, en public ils se méfiaient, le jugeaient un peu décadent. Pas vraiment léniniste. J'en profite pour évoquer Le Parapluie, un peu surfait à mon humble avis. Tant qu'il y était et vu le temps pluvieux, l'aurait pu ajouter L'Escargot Folk. En tout cas Rock'n'Folk, Best, Extra, JukeBox, Xroad et le premier d'entre eux le légendaire Disco-Revue qui essuya les plâtres. Mais un journal sans plumes c'est comme un oiseau sans ailes, les journalistes rock possèdent donc leur stèle Laurent Chalumeau, Alain Dister, Philippe ( grandes ) Manoeuvre, Yves Adrien, Eudeline, Philippe Garnier, et tous ceux qui s'appliquèrent à créer une écriture rock française, un art difficile, notre langue préférant de par son origine latine les grands drapés cicéroniens. Lisez, dans un tout autre ordre d'idée, une page d'hommes aussi peu marqués par le rock and roll que le général Charles de Gaulle et le Connétable Winston Churchill, pour comprendre hors de tout contexte l'avantage, dû à ses facultés plastiques, de l'idiome anglo-saxon. D'ailleurs le mieux serait peut-être que vous jetassiez un coup d'oeil chez les pères fondateurs d'outre-mer comme Greil Marcus, Nick Cohn, Nick Kent, Richard Meltzer, Lester Bang et l'ancêtre symbolique à tous Hunter S. Thompson, le grand inspirateur du journalisme rock gonzo. Le gonzo c'est le gonze insupportable qui se ramène là où l'on n'a qu'un besoin modéré de sa personne, et qui malheureusement ramène tout à sa petite personne. Bref le gars insupportable qui ne se prend pas pour la moitié d'un étron de chien ou de Dieu ( c'est un peu la même chose mais ce dernier sent un plus mauvais ), un égonze surdimentioné. Arrangez-lui une interview au paradis avec Elvis et vous aurez de la chance si par hasard il mentionne le nom du Memphis kid dans son article. Car Elvis est sûrement le rock, mais la star c'est celui qui pond l'article.
Attitude terriblement rock quand on y pense. Toutefois le rock ne se réduit pas à son écriture, alors Denis développe aussi le Roulleau des pellicules. Celles des photographes et des cinéastes. Et même celui des peintres rock qui peignent d'ailleurs de préférence au cran d'arrêt. N'oublie pas les salles de spectacle, les promoteurs, les tourneurs, les roadies, les ingénieurs du son, toute la faune spécialisée qui gravitent autour des musicos, sans faire l'impasse sur la quincaillerie qui marche avec, guitares, amplis, lunettes, Perfecto et tout le reste de la brockante...
Un malin le Denis Roulleau, les articles sont assez courts, dépassent généralement la Denis-page mais excèdent rarement la double pangée et avec les photos et les encadrés punaisés de ci de là, l'a toujours la possibilité de se retrancher derrière le manque de place si vous le trouvez le pépère un peu court. Sinon, c'est bien fait. Se débrouille pour refiler un max d'informations sans trop se prendre au sérieux. Juste ce qu'il faut pour rester crédible. Essaie de terminer sur une pirouette manière de mettre le lecteur dans sa poche.
N'y a que deux artistes qui possèdent leur pré carré pour ne pas dire une concession à leur nom dans le bouquin, les Doors et Woody Guthrie. Tous les autres apparaissent uniquement quand ils ont participé à un événement mémorable dont ils ne sont pas obligatoirement la vedette. Manière de remettre chacun à sa place, le rock relégué dans les combles, sous les toits, et la culture ( rock ) dans les appartements de prestige. Une fois n'est coutume ! Veut sans doute nous prouver que les rockers ne sont pas des béotiens. Certes s'ils n'écoutaient pas cette musique de sauvage ils n'auraient point besoin de rechercher tant d'alibis, ma bonne dame.
Je ne saurais que trop le conseiller à ceux qui veulent toujours en savoir plus. Qui ne se contentent pas de la beauté d'un phénomène, qui aiment à en saisir la signification. Cette fausse encyclopédie qui ne repose sur aucun projet de savoir hégémonique et dictatorial leur donnera les clefs qui ne permettront d'accéder ni la connaissance infuse ni à la vérité révélée. Juste l'indication d'un passage que l'on se doit d'emprunter. A vous de vous débrouiller pour la suite.
En haut à gauche de la couverture l'est écrit « Gilles Verlant présente ». Le livre lui est d'ailleurs dédié. Gilles Verlant est mort prématurément en 2013. L'a été l'initiateur de la série radiophonique L'Odyssée du Rock, de très courtes émissions qui présentaient un titre rock agrémenté d'un commentaire purement anecdotique. Le rock vu avec les grosses lunettes sex, drugs and rock. Il se peut que certains d'entre vous soient tombés chez des soldeurs sur des caisses pleines d'un de ses derniers livres Les Miscellanées du rock ( chez Fetjaine ), le genre d'ouvrage tape-à-l'oeil ( et au porte-feuille ) auprès duquel un article de Match acquiert la densité d'un traité d'Emmanuel Kant. Ne vous laissez donc pas rebuter par cette mention verlantaise sur la couve de Culture Rock. Sont de conception antithétique. Les Miscellanées sont des eaux stagnantes. Des marécages qui vous engluent dans une représentation que je qualifierai de rock pipi caca. Alors que ce Culture Rock vous ouvre les mille chemins de la rock-culture.
Damie Chad.
15:52 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : david bowie, rené miller trio, vince taylor, billie holiday, culture rock
13/01/2016
KR'TNT ! ¤ 264 : PRETTY THINGS / JIM AND THE BEAMS / CACTUS CANDIES / JANIS JOPLIN / ROCK'N'ROLL
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 264
A ROCKLIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
14 / 01 / 2016
PRETTY THINGS
JIM AND THE BEAMS
THE CACTUS CANDIES
JANIS JOPLIN / ROCK'N'ROLL
LE PETIT BAIN / PARIS ( 13 ) / 19 – 12 – 2015
PRETTY THINGS
OH YOU PRETTY THINGS
Tout le monde sait que David Bowie se faufilait jusqu’au premier rang pour voir de près les Pretty Things. Tout le monde sait aussi qu’il leur a dédié «Oh You Pretty Thing» (sur «Hunky Dory») et qu’il a repris «Rosalyn» et «Don’t Bring Me Down» (sur «Pin Ups»). Comme le rappelle John Lydon dans «Anger Is An Energy», les Pretties étaient bien meilleurs que les Stones. D’ailleurs, David Gilmour en rajoute une couche : the Pretties made the Stones look tame. On se souvient tous que «Parachute» fut classé meilleur album de l’année par Rolling Stone. Vous savez aussi que les Pretties furent bannis à vie de Nouvelle Zélande. Et malgré tous ces titres de gloire, Phil May et Dick Taylor errent toujours dans les ténèbres de l’underground. Ce qui nous arrange, car on n’aimerait pas être obligés d’aller les voir jouer au Stade de France.
Vous verrez les Pretties dans des petites salles, ici et là, parfois dans des bleds improbables comme Cléon, à côté de Rouen. Il y a de cela deux semaines, ils jouaient au Petit Bain, une péniche accostée au pied de la Grande Bibliothèque. Eh oui, les Pretties mangeaient à la cantine du Petit Bain, dans la plus conviviale des ambiances. On était au bar. Phil, Dick et toute la bande mangeaient juste à côté, à deux mètres.
Un mec d’un certain âge se trouvait assis à côté de nous au bar. Comme il nous avait vu serrer la pince de Dick puis de Phil, il nous demanda :
— C’est les Pretty Things ?
— Non, c’est les Animals !
Ça a failli mal tourner. Les gens n’ont plus d’humour.
Phil May sourit toujours, malgré une récente alerte. Dick Taylor trimballe toujours sa dégaine de prof de philo à la retraite, mais attention, quand il est sur scène, il joue comme un démon. Il a un son et semble jouer avec plus de hargne aujourd’hui qu’à l’âge d’or des Pretties. Pendant le concert, on entendait des gens s’interroger sur son âge, avec une légère pointe d’ironie dans le ton. Évidemment, si on a soixante-dix ans et qu’on monte sur scène pour jouer du garage, on s’expose. Ça fait jaser dans les villages. Mais cinquante après, Dick Taylor joue toujours «Rosalyn» et «Don’t Bring Me Down» avec la même ferveur, et il nous refout exactement la même chair de poule qu’en 1965. C’est vrai qu’on adorait aussi «The Last Time», «My Generation», «Sha La La Lee», «I Can’t Control Myself» et «You Really Got Me», mais «Midnight To Six Man» avait ce petit quelque chose de plus qui générait une sorte de sentiment d’appartenance. On se sentait profondément concerné par le wild beat des Pretty Things. Il y avait là quelque chose qui relevait directement de l’identitaire. Avec Little Richard et Jerry Lee, les Pretties traçaient une sorte de triangle définitif, les frontières d’un monde bien défini qui allait accueillir d’autres héros, du genre Stooges & Sonics, Charlie Feathers & Bo Diddley, et tous ceux qui nous ont aidé à vivre et même à survivre.
Et chaque fois qu’on a revu les Pretties sur scène, il s’est produit le même miracle : l’émergence d’un très fort sentiment d’appartenance. Voilà, c’est le monde qui nous correspond. C’est l’eau du poisson et l’oxygène du cerveau. Quand Phil May est sur scène, il cesse immédiatement de vieillir. Il redevient le soul shaker de haut rang et claque son tambourin, comme si rien n’avait changé depuis 1965.
Les Pretties proposent aujourd’hui un set assez complet. Ils jouent «The Same Sun» tiré du dernier album et quelques bricoles tirées de «SF Sorrow», dont un «Old Man Going» fondu dans «£SD». Ils font deux ou trois blues acou, mais quand ils tapent dans les vieux coucous, je vous garantis que ça monte directement au cerveau. Au premier rang se trouvait le mec qu’on avait vu pleurer d’émotion au concert de Martha Reeves. Un peu plus loin, encastré dans l’angle de la scène, un autre fan des Pretties sembla transfiguré par le bonheur lorsque Phil attaqua «Don’t Bring Me Down». Et quand il a lança Midnight, le souvenir d’un Jean-Yves devenu soudain psychotique vint se glisser dans la pétaudière. C’est vrai qu’on n’avait pas besoin d’être pleins comme des vaches pour jerker comme des cons sur Midnight. Ça faisait partie de l’ordre des choses. Une sorte de réflexe africain.
Bon, on ne va pas repasser tous les albums des Pretties en revue, car on les connaît comme le loup blanc. Par contre, il paraît nécessaire d’évoquer la parution récente d’un «Live At The BBC» plus complet que celui paru précédemment. On a cette fois quatre disques qui couvrent la carrière des Pretties depuis l’époque Fontana jusqu’à l’époque Swansong. Cette rétrospective est cruciale pour deux raisons. Un, c’est l’occasion d’entendre le vrai son des Pretties, car les groupes qui enregistraient à la BBC jouaient leur va-tout et n’avaient pas le droit à l’erreur. On l’a constaté dans le cas des Only Ones, de Bowie, d’Hendrix, des Vibrators et même des UK Subs : leur son est bien meilleur dans les BBC Sessions que sur les albums studio. Et deux, les fans des Pretties boudaient un peu les albums de la période Swansong, à cause du côté boogie trop présent, mais les versions enregistrées pour la BBC vont tous nous réconcilier avec ces trois albums («Freeway Madness», «Silk Torpedo» et «Savage Eye»).
Le disc 1, c’est l’ère classique. Ils tapent dans le swing des caves avec «Big Boss Man». Ils sonnent comme des dieux. S’ensuit «Don’t Bring Me Down» qui est la Mecque du garage. Basse/batterie, montées de fièvre, tout est parfait. Phil fracasse «Roadrunner» avec un talent fou et Vivian Prince fait son petit festival. Tout le monde sait qu’il fut le modèle de Keith Moon. Il fut surtout la source de folie du groupe. Apanage du garage fatal avec «Buzz The Jerk» - You buzz around - Phil chante ça sous le boisseau. Il y a deux versions de «Midnight To Six Man» sur ce disk 1. N’écoutez surtout pas la première qui est un peu ramollo. Avec la deuxième, ils sortent le vrai son. Ils jettent toute la viande dans la balance, c’est gorgé de violence et de passages d’accords définitifs. Phil est la voix du garage - Sure not comes around - Quel blast ! Le «Turn My Head» qui suit vous donnera le vertige. Trop d’énergie. C’est battu comme plâtre. En cet instant précis, les Pretties dominent le monde. On passe à l’époque suivante et on retrouve l’Angleterre magique avec «Defecting Grey» et les scintillements psyché. On ne se doute pas à quel point «SF Sorrow Is Born» peut être explosif ! Quelle évolution dans la révolution ! Rien que pour cette version, il faut rapatrier le coffret. Pour «She Says Good Morning» aussi, car la version est toute aussi dévastatrice. La puissance des Pretties n’en finira plus de vous subjuguer. Et «Balloon Burning» est voyagé de l’intérieur par un solo cavaleur de Dick Taylor. Puis ils passent aux choses sérieuses avec «She’s A Lover» (tiré de «Parachute») et enchaînent avec le heavy shuffle de «Sickle Clowns». C’est l’enfer selon les Pretties - hey hey - voilà le groove de cave visité par un solo beau comme un ange déchu. On reste dans la magie proto-punk avec «Cries FromThe Midnight Circus», le pur jus du pur jus - Can you hear me ! - C’est prodigieusement démentoïde et lié par du gros solo gras - Can you hear me/ I’m telling you games - Le problème, c’est que tout est bon sur ce disk. On ne s’en sort pas.
Les disk 2 vous mettra aussi au tapis. Ils attaquent avec un pur hit de génie mélodique, «Peter/Rip Off Train». Il faut voir comme ils explosent le rip off ! Ils restent dans la veine de «Parachute» qui est quand même l’un des fleurons du rock anglais. Ce cut est bardé de chœurs qui claquent au vent. Avec «Love Is Good», on a encore de la pop anglaise incroyablement mélodique. C’est digne des Beatles de l’âge d’or. On a là un départ en refrain qui vaut celui de «Hey Jude». Ils ont exactement la même ampleur que les Beatles. C’est à la fois grandiose et magistral, tout est démesuré là-dedans, les lignes de basse, le solo d’effarance et les relances perpétuelles de bouillonnement évanescent. «Summertime» sonne aussi comme un coup d’éclat, avec ses harmonies vocales claquées au zénith du rock anglais. C’est une fantastique giclée de bluebirds in the sky et de bluebirds in your eyes avec un Pete Tolson qui torche du solo flamboyant. On a là la meilleure pop d’Angleterre. Le «Stone Hearted Mama» qu’on n’aimait pas à l’époque reprend ici des couleurs. C’est dense et sacrément inspiré. Les Pretties jouent avec un sens du beat éhonté. Eh oui, ils swinguent depuis l’origine des temps. Ils reviennent au garage pur avec «Cold Stone» - We’re going down slow ! No rest for me ! - ça sent la punkaillerie de Covent Garden ! Et c’est torpillé par un solo vénéneux. Attention à la version d’«Onion Soup» qui se trouve à la suite... C’est incroyablement dévoyé - I got onions in my soup/ I got zebras in my zoo - On a tout ici, le solo féroce et la basse de jazz, les Pretties rockent à la vie à la mort, ils sortent une version monstrueuse qui explose de jus. Ils retapent même un petit coup de «Rosalyn» histoire d’asseoir leur suprématie, et plus loin, ils explosent «Route 66». Avec une nouvelle version de «Peter/Rip Off Train», ils se montrent carrément dignes de Brian Wilson. Pur génie bardé de guitares.
Sur le disk 3, ils tapent dans des cuts de «Freeway Madness» comme «Religion’s Dead». C’est Jon Povey qu’on entend au piano. Phil swinge bien le chant et puis ils s’adonnent à l’un de leurs jeux favoris : l’emballement. Ils visent le final exemplaire. On s’aperçoit avec les morceaux de cette époque que le Pretties explorent des territoires infinis. Ils intensifient jusqu’à la nausée, mais ils tiennent toujours admirablement la distance. On entend sur ce disk 3 une nouvelle version d’«Onion Soup» dans laquelle ils télescopent les ambiances garage et psyché. Ils filent sous le vent et vont chercher les échappées psychédéliques. Ils font aussi une version dévastatrice de «Route 66». Un bon conseil, planquez-vous ! Car ils démolissent tout sur leur passage. Quelle énergie ! Phil fend le vent. Jamais Jagger n’a fendu le vent comme ça. Le piano prend feu. Les Pretties prouvent une fois de plus qu’ils sont de véritables démons. Écoutez aussi cette nouvelle version de «Religion’s Dead», car Phil y écrase les syllabes de Religion pour en faire jaillir le jus. C’est un fantastique exécuteur de basses œuvres. On a aussi une nouvelle version d’«Onion Soup», mais cette fois, elle est complètement explosée aux guitares. C’est même la version la plus guitaristique de l’histoire des Pretties. Quand on aime ce groupe, on écoute ça avec une certaine forme de religiosité. Même dans les longs cuts à rallonges, ils maintiennent un niveau de sauvagerie qui n’a jamais existé chez les Stones. Comparez cette version d’«Onion Soup» avec «Midnight Rambler» et vous en tirerez vous-mêmes les conclusions qui s’imposent.
Sur le disk 4, on va se régaler de «Come Home Mama» et de la pure violence du boogie des Pretties. Pas de meilleur groupe anglais sur cette terre. Ils explosent tout à la foison des bouquets d’argent. C’est drivé au beat cavaleur. On a du Phil en pagaille et des filles qui chantent, des tambourins, de l’entrain, des cheveux qui volent, du génie et de l’huile de coude. Quel joli fatras ! Et avec «Dream/Joey», on retrouve ces explosions d’harmonies vocales dignes de celles des Beatles, soutenues par le piano de Jon Povey. Tout dans ce cut est très chanté et très évolué. C’est même totalement extravagant. Phil pousse son bouchon d’unisson très loin et fait tout basculer dans une ambition démesurée. On tombe plus loin sur un autre joli balladif à la Pretties, «Belfast Cowboys/Bruise In the Sky». On le suit à la trace, évidemment, et Phil relance tout à l’unisson. On sent chez lui une réelle fascination pour les Beatles. Les versions de cette époque sont beaucoup plus longues, mais terriblement riches, très fouillées, pleines de chant et d’instruments. Il reste à se taper l’incroyable version de «Singapore Silk Torpedo» tiré de l’album du même nom. C’est Jon Povey qui l’amène avec un thème de piano et ça tourne à la fixette sous acide. En tous les cas, c’est ainsi qu’on vivait ce truc à l’époque et soudain, ils lancent une grosse attaque digne des Who, oui, Phil chante comme Daltrey. On admire les vainqueurs du rock anglais, ça explose une fois encore, c’est battu à la cloche désordonnée par Skip Allan et on voit passer un solo de brute. C’est le festival des cannibales et vient l’extrême apothéose. Phil danse là-dedans, un pied dans le garage et l’autre dans le génie.
On connaît bien les albums officiels des Pretties, mais quand on va fureter dans les chemins de traverse, on fait de sacrées découvertes. En 2008, nos amis les Pretties enregistrèrent un album de reprises intitulé «Rocking The Garage». Parmi les invités, on comptait des Inmates et monsieur Eddie Phillips, la légende à deux pattes des Creation. Phil et Dick n’y vont pas par quatre chemins : ils tapent dans tous les plus gros classiques du genre, à commencer par «He’s Waiting» des Sonics. L’enfer ! Puis c’est au tour de «Strychnine» de passer à la casserole - Strychnine is good - C’est sûr. Ah vous aimez les Seeds ? Voilà une sacrée version de «Pushing Too Hard». Phil la pushe bien - On me ! - C’est la meilleure niaque d’Angleterre. Un petit coup de «Kicks» (Paul Revere) avant de sauter sur «Candy», version fulgurante jouée aux guitares kill kill kill - I want candy - Ils font du Bo. C’est tout ce qu’ils savent faire dans la vie. Comme leurs amis Keith Grant et Don Craine des Downliners - aussi présent sur cet album - leur raison d’être, c’est le Diddley beat et les loud guitars, le snarl d’effarance et le blasting toxico à gogo. Si vous aimez tout ça, alors ce disk vous comblera. C’est Matthew Fisher qui fait le tu tu tu tu légendaire de «96 Tears». Phil se fond dans le groove du vieux Rudi. Quelle classe ! On peut dire que tous ces mecs, Phil, Dick, Rudi, Sky, Eddie et Gerry auront créé un monde. Et quel mondo bizarro, amigos ! Phil fait son cry cry cry qui nous renvoie au temps béni des surboums endiablées, quand on jerkait comme des branleurs dans nos petits futs à carreaux et dans nos boots à élastiques. Les Pretties font même une accélération de fin de cut qui pourrait bien incarner le désordre mental, tel qu’on l’entend dans les théories scientifiques. Voilà encore une belle pièce de snarl : «Let’s Talk About Girls». Phil est dessus, comme l’aigle sur le putois. C’est lui le shark des Dents de la Mer. Il bouffe les Chocolate tout crus. Et paf, on s’y attendait, voilà les Standells avec Good Guys. Le dandysme des voyous. Phil ? Oh ça lui va comme un gant de cuir noir. Mais tout cela n’est rien à côté de la version d’«I’m A Man» qui suit. C’est la perle noire de cet album intenable. Eddie Phillips sort de sa retraite et vient faire son vautour du larsen. Il attend pour placer sa note mortelle comme au temps béni de «How Does It Feel To Feel». On l’entend, il est là, il monte en puissance, oh Eddie, héros fantasque ! Et il prend un solo de psyché a-po-ca-lyp-tique. Il nous plonge au cœur de la mythologie du rock anglais, dans la racine du hêtre. Eddie Phillips déclenche toutes les alertes. C’est d’une puissance pénultième qui dépasse notre pauvre langue française.
Une autre merveille est passée à la trappe et c’est Mike Stax, l’éditeur d’Ugly Things, qui s’est dévoué pour sortir sur son label le fantastique album que les Pretties ont enregistré avec leur ami français Philippe Debarge en 1969, entre «SF Sorrow» et «Parachute». Phil et son ami Wally Waller n’en finissaient plus de composer des petits chefs-d’œuvre de pop psychédélique et il suffit d’écouter «You’re Running You & Me» sur cet album pour en avoir une petite idée. C’est du psyché à l’état pur, le cru de base, l’essence de la pureté du son d’Angleterre. Victor Unitt joue dans sa cage. Il est agacé. Il se cogne aux barreaux. Il joue n’importe quoi dans la violence de son animalité. Phil fait des backings déments. On assiste là à l’éclosion du psyché du diable. Autre énormité : «Eagle’s Son». Phil fond sa voix dans cette panacée d’avancée glauquissime. C’est l’intrusion du psyché gluant dans la vulve anglaise, c’est fondu aux voix extrêmes, terrifiant d’allure et d’allant, pulsé dans l’exégèse de la genèse et Vic vient jouer là-dedans comme un chien galeux dans un jeu de vieilles quilles vermoulues. Que voulez-vous de plus ? Avec «Graves Of Gray», on est dans le pur Parachute des échos de voix mordorées. Le cut d’ouverture est lui aussi somptueux, tambouriné à outrance et visité par un serpent de fuzz signé Victor Unitt, le guitariste récupéré dans le Edgar Broughton Band et qu’on va entendre faire des siennes sur «Parachute». Justement, dans «Alexander», ils amènent les fabuleuses harmonies vocales de «Parachute». Vic sort un son métal d’ersatz d’étain que lustrent les backing de Phil. «I’ll Never Be Me» se noie dans l’énormité du son. Aucune chance de survie et les Pretties réservent le même sort à «Monsieur Rock (Ballad Of Phillip)». Offrez-vous la version vinyle, car la pochette est à l’image du disque : somptueuse.
Autre merveille passée à la trappe : «The Electric Banana Sessions (1967-1969)», qui date de la même époque que l’album enregistré avec Philippe Debarge. D’ailleurs on retrouve «Alexander» et «Eagle’s Son» sur cette compile. On a deux versions de chaque titre : la version chantée et la version instro. Inutile de vous dire que les versions instro valent le détour. C’est à ça qu’on voit les groupes qui savent jouer. Chez les Pretties, tout n’est que luxe, punch et volupté. Wally Waller broute «Alexander» à la basse. C’est Twink qui beurre la foison. Dans «I’ll Never Be Me», on subit le violent assaut d’une intro de basse, puis la SF sorrowtisation des choses. Les Pretties sonnent comme des heavy Beatles, ça édifie les édifices. Qui d’autre qu’eux aurait pu inventer un tel concept ? On voit rarement un tel scintillement de cymbales. Dans «Eagle’s Son», on assiste à l’explosion des chœurs. Il y a de l’épinard dans leur psyché. Phil et ce démon de Wally chantent sous le vent. Ils sont terrifiants de longilignité et d’allure solaire, au sens de l’ancienne Égypte psychédélique des disque d’or du temple d’Amon. Et comme si cela ne suffisait pas, Dick Taylor joue le pire solo de pourriture psyché qu’on ait vu ici bas. Encore un classique immémorial avec «Blow Your Mind». Wally devient nerveux à la basse et Dick virevolte comme un poulet décapité, il joue dans les coins, se cogne dans la distorse, ils sont vraiment tarés de jouer comme ça au télescopage dans ce délire foutraque de psyché britannique. Bizarrement, la version instro est encore plus alarmante. Et ça continue avec «Rave Up». Phil et Dick savent torcher le cul de la démence. Il n’existe rien d’aussi sauvage, à part peut-être «Come See Me». Ils attaquent «I See You» au prog anglais des Moody Blues et ça atteint rapidement des proportions spectrales extravagantes. On ne saurait espérer plus beau psyché d’excavation d’albâtre et d’ambre à la carbonara. Avec «Street Girl» ils renouent avec la sauvagerie, ça pète à la pétouille, c’est gratté à la gratouille, pulsé à la pulsouille d’arsouille, brisé à la brisouille, c’est incroyablement excitant, c’est chanté à la menace et traité au psyché de rêve. Dick suit Phil partout. Ils sortent une sorte de psyché de caprice des dieux - Hey sweet girl - Phil relance toujours ses troupes à l’assaut d’une gloire qui se refuse à eux comme le ferait une pute mal formée au métier. On se régale du jeu de Dick dans «A Thousand Ages From The Sun», il ne laisse aucun blanc derrière Phil. ll joue en continu avec une sorte de candeur antique. On tombe ensuite sur le fameux «Walking Down The Street» repris par les A-Bones. C’est jerké jusqu’à l’os. Et ils finissent avec «Danger Signs», du British beat de la pire espèce, le pur jus des Pretties des origines, digne de Motown et de toutes les caves de boum, comme si Motown se fondait dans la cave. Insurpassable.
Cette année, les fans des Pretties sont comblés car vient aussi de paraître un double DVD «Live At Rockpalast». On y trouve trois concerts filmés en Allemagne en 1998, 2004 et 2007. Au fil des trois sets, on voit le line-up changer : en 1998, c’est encore le line-up de «Parachute» : Phil, Dick, Wally, Skipper et Jon Povey. Le line-up de 2007 a évolué : Phil, Dick, Wally, Frank Holland et le petit batteur Jack Greenwood. Depuis, Wally a quitté le groupe et le jeune George Woosey l’a remplacé. Les trois concerts sont solides. C’est du full blown-Pretties, tel qu’on a pu l’apprécier en France ces dix dernières années. Les attaques de Dick sur «Roadrunner» et «Route 66» restent des modèles incomparables. En 2007, ils font encore «Baron Saturday» sur scène et Dick le chante toujours merveilleusement bien. Mais ils ne retrouvent pas la magie du Baron original enregistré à Abbey Road : Twink était assis incroyablement bas derrière son kit, les épaules jetées vers l’arrière, il jouait avec une sorte de nonchalance sidérante pendant que Phil et Jon Povey jouaient les percus (Twink remplaçait Skipper qui était resté en France avec une poule). Ils font aussi une fantastique version de «Midnight Circus». Dommage qu’ils ne jouent plus ces vieux classiques aujourd’hui. Ils finissent le set de 2007 avec «Rosalyn» - Yeah Rosalyn/ Tell me where you been ! Ça dure quasiment quatre heures. On ne s’ennuie pas une seule seconde.
En plus de tout cela, les Pretties continuent d’enregistrer de nouveaux albums. Petit coup d’œil sur «Balboa Island» paru en 2006. C’est là qu’ils tapent dans le blues d’acou et qu’ils commencent à rendre hommage à Robert Johnson. Ils ont une fantastique approche, Dick Taylor sait jouer au bottleneck. Leur «(Blues For) Robert Johnson» vaut le détour, de même que «Living In My Skin», pure bluesy motion contemporaine. Ils passent au heavy boogie avec «In The Beginning» et délivrent un final explosif contre-balancé aux chœurs d’artichauts. On retrouve la terre ferme avec «Mimi» qui est du pur jus de Bo. Dick ne s’embarrasse pas, le Diddley beat passe partout. Cet album est donc une sorte de fourre-tout, car on y trouve aussi une reprise de Dylan et un gospel. On a clairement l’impression qu’ils s’amusent comme des gosses. Mais on retrouve la magie des Pretties vers la fin avec «Dearly Beloved», une beautiful song à l’Anglaise, imprévisible et magistrale qui sonne comme un hit dès l’intro.
À l’intérieur de la pochette de leur dernier album, «The Sweet Pretty Things (Are In Bed Now Of Course)», on voit leurs vieux amplis Selmer rescapés des sixties. Et ils démarrent avec «The Same Sun», une énormité psyché bardée d’écho et digne de «Parachute». Ils donnent le ton. Avec «And I Do», on a une fantastique bouillasse de chœurs. Les Pretties ont appris à créer les conditions de la grandeur épique. C’est trop riche, beaucoup trop riche. Comment faire pour apprécier un son si plein ? Ils nous désemparent. Ils reprennent «Renaissance Fair», tiré du grand «Younger Than Yesterday» des Byrds et le «You Took Me By Surprise» de Sky Saxon. C’est du très grand art. On sent la poigne des vétérans de toutes les guerres. En prime, on a un solo de wha-wha vertigineux. Ils restent dans la pop de rang royal avec «Turn My Head». On réalise une fois de plus qu’ils naviguent au même niveau que les Beatles, mais en plus, ils s’arrangent toujours pour bricoler des fins grandioses.
Comme dessert, nous avons un coffret. Et quel coffret ! «Bouquets From A Cloudy Sky» est tout simplement le coffret de l’île déserte. Bien sûr, comme dans tous les coffrets, on trouve des conneries, des espèces de posters et des repros de documents à caractère anecdotique, mais dans celui-ci, vous aurez un gros livre signé Mike Stax, qui est certainement le meilleur spécialiste des Pretties (il suffit de se plonger dans la collection d’Ugly Things dont les premiers numéros proposaient des interviews de John Stax, Phil May, Wally Waller, etc.). On a là cent pages bourrées à craquer de photos des Pretties dont bien sûr des inédites. Et Stax conclut son histoire ainsi : «They’re still the art school outsiders, immune to fashion, immune to commerce, immune to compromise, filling out our grey streets with bouquets from a cloudy sky.» Et incrustés dans l’épaisseur de la deuxième et de la troisième de couve du livre, on trouve quatre disques : deux audio et deux DVD. Alors, attention, car là on ne rigole plus. Les deux disques audio proposent des rareties, comme par exemple une version ultra sauvage de «Mama Keep Your Big Mouth Shut», des cuts tirés de l’album sur-produit «Emotions», mais sans les effets qui ont coulé l’album. En écoutant «Bright Lights Of The City», on voit SF Sorrow se préfigurer. Wally composait déjà avec Phil. S’ensuit une version r’n’b de «Out In The Night» que Phil termine en apothéose en yeah-yeahtant. On entend aussi un truc incroyable : une cover du «Why» des Byrds enregistrée à Hyde Park par Nick Saloman, alias The Bevis Frond. Les Pretties semblent faire les Byrds mieux que les Byrds ! Voilà du pur chaos psychédélique. Et c’est peut-être là où on peut tracer un parallèle entre les Pretties et Moby Grape : même destin de groupe surdoué et poissard, même sens des harmonies vocales et même classe. Avec «She Says Good Morning», on sent bien que les Pretties sont au sommet de leur art. Quel son ! Et on retrouve le fameux «Alexander» qui est en fait une véritable machine de guerre. On a vraiment l’impression qu’ils démontent la gueule du rock. On ne se lasse pas de ce tourbillon d’harmonies vocales. On rencontre rarement un tel mélange de puissance rythmique et d’effervescence harmonique. On trouve aussi sur ce premier disque une version live de «SF Sorrow Is Born» enregistrée en Hollande. Des gens réclament «Don’t Bring Me Down» et Phil répond : «We got a cut from our new LP, SF Sorrow is Born !» Cette version est battue à la vie à la mort et jouée à la meilleure psychedelia du monde. Dick veille au grain et Wally voyage dans le son. Terrifiant ! On trouve aussi sur ce disque des cuts de l’album enregistré avec Philippe Debarge et, miracle, les démos de «Parachute». Rien que pour ça, on peut investir. Wally et Phil vivent à l’époque à Westbourne Terrace et ils enregistrent leurs démos sur un Revox. On entend donc tous les hits de «Parachute» joués et chantés à deux, au mieux des harmonies vocales et des coups d’acou. Wally gratte ses notes magiques. Tous ceux qui ont vénéré «Parachute» doivent vraiment écouter ça. C’est la genèse de l’album. Wally gratte à la finesse de l’extrême glissé. Il faut bien parler de génie, ici. Ils jouent aussi «Cries From The Midnight Circus» dans leur piaule. C’est invraisemblable de rootsisme. On est aux racines du mythe. Ils font ça à deux avec du tchi-ki-tchik et ça marche. La menace rôde.
D’autre merveilles guettent l’amateur sur le disque 2. À commencer par d’autres démos post-Parachute inédites. «Seen Her Face Before» est une pop incroyablement mélodique et ambitieuse. Pour «Everything You Do Is Fine», Pete Tolson vient jouer du gras à Westbourne Terrace en 1971. On sent une certaine grandeur d’âme chez les Pretties. Ça sonne comme le hit inconnu de l’Arc de Triomphe. Ils jouent «Cold Stone» à la cloche de cendrier. Fabuleuse démo. Pete Tolson est un excellent guitariste, plein d’à-propos. On tombe plus loin sur «Wild And Free». Wally a quitté le groupe, mais il nous reste le jeu de Peter, gorgé de jus. En démo, il joue et il surjoue, c’est un diable. Il fait du gras de jus multiplexe, il joue dans tous les coins, il noie le cut dans le son, mais Phil s’arrange toujours pour rester à la surface. Encore un bel inédit avec «Spider Woman», et on retrouve avec un plaisir non feint «Joey» tiré de «Silk Torpedo». On arrive un peu plus loin à l’époque du retour avec «Rage Before Beauty». Il faut se souvenir que les sessions de l’album ont duré 18 ans. «Holding On To You» est un outtake de l’album. Avec «Chain Of Fools», ils font Aretha. Phil s’en sort avec les honneurs. On finit avec la perle du disque 2 : la reprise d’«Helter Skelter», cut intouchable par excellence. Eh bien si, Phil y touche. Il en fait une version monolithique. Attention, c’est bardé de guitares psyché. Phil le prend sous le menton avec des yeah yeah yeah, il ne hurle pas, il le fait à la Phil - Tell me tell me the answer - C’est un cut qui peut hanter les esprits.
Et la fête continue avec les deux DVD. Le premier est un docu admirable, bardé d’interviews - Dick : I met Keith at 16. Then we met Brian Jones. Brian had already a band - Il parle bien sûr de Keith Richards, avant les Stones. On voit aussi John Stax toujours en vie à Melbourne. Portrait bouleversant de Brian Pendleton qui fut recruté via une annonce dans le Melody Maker - Brian was more of a jazz guitarist - et on saute en l’air en voyant les Pretties jouer «Big Bos Man», le jeu swingy de Viv, le jeu snaky de Phil, le jeu syncopé des jambes de John, le jeu appliqué de Brian et le jeu ultra-gibsonique de Dick. Phil rappelle que Viv fut le premier à quitter son kit sur scène pour ramper avec ses baguettes. Il tapait partout, même sur le dos de Phil qui rampait lui aussi -He drummed my back ! He did the lot - Oui, Viv Prince fut le premier batteur fou des Pretties. Dick ajoute que Keith Moon était au premier rang - Phil : Viv had this Pretty Things spirit - Et on assiste alors à un vrai show des Pretties filmé en Hollande en 1965, au Blokker Festival, avec les émeutes et les flics, plus les Pretties sur scène donnant une belle leçon de sauvagerie, avec John Stax grimpé sur un piano pour jouer de l’harmo, Viv rampant par terre avec ses baguettes et Phil à genoux complètement out of his brains. Puis on voit arriver les hits, «Rosalyn» écrit par Jimmy Duncan, «Don’t Bring Me Down» écrit par Johnny Dee qui se baladait dans Londres au volant d’une big american car, «Honey I Need», mis il n’y a pas de place pour les Pretties au sommet des charts, car c’est l’époque où les Stones et les Beatles les monopolisent. Viv fait le con, il est viré, et Phil hésite entre Skip Alan et Mitch Mitchell. Skipper est aussi bon que Viv, alors il est pris, et en prime, il fait aussi le batteur fou - He turned absolute lunatic - Voilà «Midnight To Six Man» et surtout «Come See Me», qui restera l’étalon or du garage. On les voit jouer ça dans une rue, on entend les gros coups de fuzz dans Baby I’m your man, et Dick descend aux enfers pour y placer un solo d’antho à Toto. Après «Emotions», Brian disparaît, puis c’est au tour de John Stax qui ne voulait pas jouer de psyché de disparaître. Alors Phil récupère son copain d’enfance Wally et son pote Jon Povey qui jouaient alors dans les Fenmen. Puis c’est la rencontre avec Norman Smith et les sessions à Abbey Road qui vont conduire à «SF Sorrow» - Norman Smith wanted to do with us what George Martin did for the Beatles - Quand ils sont à Abbey Road, Phil explique que d’un côté il y avait le Floyd qui enregistrait Piper et de l’autre les Beatles. Et c’est là où on tombe sur le clip magique : l’enregistrement de «Baron Saturday» à Abbey Road avec l’incroyable jeu dégingandé de Twink, lequel Twink ne restera pas longtemps dans les Pretties, puisqu’il repartira pour de nouvelles aventures avec les Pink Fairies, laissant la place libre pour Skipper, rentré en Angleterre après son escapade érotique avec une Française.
Sur le second DVD, on a le fameux SF Sorrow live at Abbey Road, avec Arthur Brown qui fait le narrateur, Skipper on drums, Frank Holland, Dick et Wally on bass. Et comme dans la version originale, c’est Dick qui chante «Baron Saturday», histoire de nous repropulser, une fois de plus en 1968.
Signé : Cazengler, pretty nothing
Pretty Things. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 19 décembre 2015
Pretty Things. Balboa Island. Zoho 2006
Pretty Things/Philippe DeBarge. Ugly Things Records 2009
Pretty Things & Friends. Rockin’ The Garage. Floating World 2008
Pretty Things. The Electric Babanana Sessions (1967-1969) Enigmatic Records 2011
Pretty Things. Live At Rockpalast. DVD Repertoire Records 2014
Pretty Things. The Sweet Pretty Things (Go In Bed Now Of Course). Repertoire Records 2015
Pretty Things. Live At The BBC. Repertoire Records 2015
Pretty Things. Bouquets From A Cloudy Sky. Madfish 2015
Sur l'illusse, de gauche à droite : Viv Prince, Brian Pendelton, Phil May, John Stax et Dick Taylor.
Le 3B / TROYES / 09 - 01 – 2016
JIM AND THE BEAMS
D'habitude la route de Troyes est déserte. De temps en temps l'on croise une automobile juste pour se souvenir que l'on n'est pas le dernier rescapé d'une catastrophe nucléaire sur cette planète. Mais là, ce soir, c'est un défilé ininterrompu de bagnoles qui se suivent à toute blinde et m'éblouissent de leurs phares. A force de rouler dans mes méninges suspicieuses, l'angoissante question du pourquoi de cette mystérieuse affluence routière en provenance de la capitale de l'Aube, je finis par trouver la réponse. Mais oui ! bons dieux paillards de l'Olympe ! comment la vérité ne s'est elle pas révélée un peu plus tôt ? Une évidence. Premier weekend des soldes de janvier. Les fameux magasins d'usine de la cité troyenne. Mon cerveau se met tout seul en pilotage philosophique. Je ne comprendrai jamais mes contemporains : comment peuvent-ils se déplacer en masses compactes pour acheter la mode d'avant-hier et des artefacts confectifs à des tarifs dont l'énormité défie toute concurrence quand on sait leur prix de revient au Bangladesh et autres pays similaires ? Bien sûr il y a les décotes sublimes de trente à cinquante pour cent, voire plus, qui doivent nous rappeler que le reste de l'année, ces mêmes objets nous sont proposés à des sommes prohibitives. Au début du dix-neuvième siècle Pierre-Joseph Proudhon affirmait que la propriété était le vol. Deux cents ans plus tard la situation a évolué, c'est l'appropriation prolétarienne des objets de consommation courante ( ce qui n'a rien à voir avec celle des moyens de production préconisée par notre anarchiste de service ) qui est devenue une entreprise de racket généralisée. Opération main basse sur les portefeuilles des pauvres, consentants. On vous le met jusqu'au trognon, et en plus vous êtes contents, certains d'avoir fait des affaires ! Merci, messieurs les actionnaires. Mais il est temps de déployer la problématique raisonnementale, et point subsidiaire, en son entier : comment peut-on passer son après-midi à Troyes - à gaspiller ses maigres ressources en parures vestimentaires superfétatoires - alors que le soir-même, au 3 B, vous avez un concert de rock and roll gratuit ? L'inconséquence de mes concitoyens m'étonnera toujours.
Comme par hasard ce soir, au 3 B, l'assistance n'est guère pléthorique. La cohorte des habitués mais guère plus. D'autant plus regrettable que l'on a repoussé les murs. Bye-bye les banquettes et les tables carré-mastoc remplacées par des guéridons circulaires. Un espace moins confiné pour les musiciens, et une mini-piste de danse et de déhanchements divers pour les excités. Autre bonne nouvelle nous retrouvons avec plaisir, Jim and the Beams. Comme quoi, doit être écrit sur le grand livre de la bêtise universelle que l'être humain chérit davantage les haricots de sa misère que les poutres de son bonheur.
JIM AND THE BEAMS
Sont là tous les quatre. A tout seigneur tout honneur Jim, droit comme un I majuscule. Une barbe de sapeur. Taillée à la hache. En règle générale les rockers ont toujours un oeil rivé vers le haut, surveillent leur banane, Jim n'a pas ce souci, en possède deux, latérales, une sur chaque joue, ses cheveux longs retombent librement derrière sa tête, une dégaine pas possible. Cyril est à sa gauche à la guitare, électrique comme il se doit. Gretsch rutilante au bout des doigts. Resplendissante. Amarante. Surtout quand on la compare à l'électro acoustique de Jim. Doit aimer les vieilles boiseries, qui ont beaucoup vécu. Une Gretsch. Idem pour José derrière, batterie Gretsch, des gars malins qui ont dû racheter la boîte, ou alors des aficionados. Vince est à gauche, oeil bleu, casquette d'apache en couvre-chef, sa fidèle contrebasse à ses côtés, bois vernis, la classe.
French rockabilly group. Le rockab est une musique à part entière. Embêtante. C'est comme l'omelette ou la crème chantilly. Ou vous la réussissez du premier coup ou vous la ratez, à jamais. Dans le deuxième cas, c'est la déconfiture totale. Sinon, c'est un délice, une merveille, une rareté. Mais c'est comme le paradis, beaucoup d'appelés et peu d'élus. Quoique entre nous soit dit, ce serait plutôt la porte des enfers. Une véritable fournaise. Si vous ne supportez pas la chaleur, allez écouter les valses de Vienne, parce que ce soir nos quatre lascars ils ont leur idée du rockabilly et ont envie de nous montrer ce qu'ils savent faire.
Un, deux, trois, c'est parti. Jim lance l'attaque. Les cordes du haut résonnent comme le hennissement d'un étalon sauvage qui appelle sa horde dans un défilé des Rocheuses. Et tout de suite c'est le grand galop. Cyril pourrait arriver avec ses gros sabots et prendre la tête. L'est plus subtil. Ne s'impose pas. Il intervient, tout en souplesse, tout en doigté. Fait miroiter des éclats par intermittences. Mais l'on guette ses interventions, du vif-argent, des touches légères mais indispensables. Des éclairs de lumière radieuse – les fameuses taches jaunes des Poésies de Joseph Delorme - qui percent la pénombre. Et puis il y a Vince. La contrebasse s'apparente au piano. L'existe deux sortes de concertistes, ceux qui font vibrer les cordes et ceux qui font sonner le bois. Vous pourriez croire à la manière dont Vince tape ou empoigne la crinière de sa big mama, qu'il est un partisan du vrombissement des élastiques, certes, mais écoutez bien, entendez mieux, c'est beaucoup plus perceptible dans les solos, trop rares, c'est le bois qui chante et claque. Une sonorité de branche cassée, de bûche qui craque et pète quand les flammes de la cheminée l'enserrent, des notes rêches mais prolongées, le genre de sons que Bartok recherchait dans ses quatuors à cordes pour donner sensation de vitesse et d'à-coups successifs, l'onde et les quanta. La lumière de l'oreille.
Reste José. Je le présente en dernier, car il est l'homme heureux par excellence. Hilare, sourire aux lèvres et rire aux gencives. Peut-être un clown triste à l'intérieur. Je ne sais pas mais un drummer de bronze à l'extérieur. L'a beau se marrer ne perd ni le nord, ni le bord de ses cymbales. Ne se contente pas de marquer le rythme, donne de l'amplitude au moindre de ses battements, la pulsation et la chair qui emballe le coeur.
C'est bien de les présenter un par un, mais un combo de rockab se doit d'être un tout organique. Faut un liant, ce sera la voix de Jim. Elle coule ambrée comme un filet de Sky. Balancée, binaire mais jamais monotone. C'est un des secrets du rockab, le rock balance et roule, le roulis et le tangage. S'il en manque un, ou si l'un écrase l'autre et l'empêche d'exister, vous vous sentez mal et vous dégobillez votre quatre heures sur le champ.
Vont nous offrir trois sets. Trois bibelots d'airain rockab comme l'on n'en fait plus. Une large palette mais uniformisée par un goût sûr et souverain, cela oscille comme le prolongement d'une fausse ballade – car trop appuyée – country cowboy, un peu à l'ouest de Johnny Cash, à la nervosité de Crazy Cavan, leurs titres originaux se fondant à merveille dans la cavalcade. D'ailleurs à la fin de chaque entracte, faut voir comme tout le monde se dépêche de rappliquer. Le troisième set se finit en apothéose, Annie aux maracas, Duduche au tambour, et Jean-François au chant en impro, qui s'en tire comme un chef. Jim and the Beams, nous repartons quatre rayons de soleil plantés dans le coeur. Merci les gars.
Damie Chad.
( Photos : FB : Nathalie Gundall )
THE CACTUS CANDIES
Attention, ça pique ! Un nouveau groupe qui monte. Pour le moment stationné dans la région nantaise. Pas des inconnus. Des figures déjà remarquées chez KR'TNT ! Soyons galant, place à la demoiselle. LilOu, elle est jolie, mais ce n'est pas le plus grave, elle possède la voix que vous avez toujours rêvé d'avoir. Nous vous renvoyons à notre chronique de l'album des Pathfinders – sobrement intitulé Pathfinders - ( in Kr'tnt ! 174 )une monstruosité rythm and blues, combien d'aussi réussis en ce genre cuivré ont-ils été enregistrés en France ? Je préfère ne pas répondre. Si vous avez un faible pour le rock rapportez-vous ( in Kr'tnt ! 178 ) à notre chronique du concert fabuleux, toujours des Pathfinders, à Réalmont ( 81 ) le 20 juillet 2014.
Deuxième figure charismatique : Mister Jull, le lead guitar des Ghost Highway, disparus des radars, le maître des studios BLR, et enfin le dénommé Max que je ne connais point et dont je ne vous dirai rien.
Un trio de choc. Commencent à tourner, vous pouvez les retrouver sur leur facebook. Parfois sur scène, peuvent être rejoints par Jean-Pierre ( Boogie-Lou ) Cardot au piano et Gaël à la batterie.
Quel genre de sucreries nous préparent les Cactus Candies ? Du western honky tonk de derrière les fagots, Faren Young and Pasty Cline en ligne de mire pour vous donner une idée. Deux super musicos, je n'oublie pas Lil'lOu qui martyrise sa guitare comme si elle lui brûlait les doigts, mais elle chante avec une telle énergie qu'elle vous emporte au royaume des cowboys sans que vous puissiez vous y opposer. Ni retour en arrière, ni prophétie avant-gardiste, même pas d'aujourd'hui. Intemporel. A suivre. A la trace.
Prometteur.
Damie Chad.
JANIS
LITTLE GIRL BLUE
AMY BERG / 2015
Janis ! Il y a des jours où l'on ne rajeunit pas. Par tous les diables de l'Enfer et toutes les bouteilles de Southern Comfort bues par les assoiffées de la planète, j'ai déjà vu un fiim intitulé Janis. Non pas The Rose avec Bette Midler sorti en 1979 et que je n'ai pas regardé parce que je n'aime pas les ersatz, mais bien avant. En fait un documentaire canadien d'Howard Alk paru en 1974. De lointaines remembrances, étrangement me reviennent les images sûrement les moins intéressantes, la star Janis Joplin de retour dans son collège et visiblement peu heureuse de se retrouver en face de si mauvais souvenirs...
Amy Berg a mis six ans à monter le film. Pas une fiction. Un documentaire. Mais avec des plus qui n'étaient pas disponibles voilà quarante ans pour Howard Alk. A adopté le système de Joe Boyd dans A Film About Jimmy Hendrix de 1973 : les extraits de concert, les interviews de l'artiste, et la parole donnée à tous ceux qui avaient connu Jimmy, famille et musiciens. A l'époque c'était le pied : en plus de l'Injun Fender on avait droit à Little Richard, Pete Townshend, Eric Clapton et Lou Reed, tout cela pour la modique somme d'une place de cinéma à prix étudié pour étudiants désargentés... Mais entre les deux films, il y a une sacrée différence. A l'époque le cadavre d'Hendrix était encore chaud comme de la braise ardente, de nos jours les os de Janis sont refroidis depuis belle lurette... Pour Hendrix et Janis la différence n'est pas bien grande. C'est pour les témoins que la situation tourne au drame. Vous les voyez caracoler sur les images, tout beaux, tout jeunes et plouf, trois seconde plus tard ils répondent aux questions. Sacré coup de vieux. Vous les croisez au coin de la rue, vous faites une prière pour spécifier aux puissances divines que vous ne voulez absolument pas leur ressembler. Horreur des horreurs, les irréparables outrages de l'âge sont passées par là et ce n'est pas joli à contempler. N'y a que David Niehaus – le dernier ( ! ? ) petit ami de Janis qui offre encore une dégaine de jeune homme, minceur macrobiotique et charme irrésistible de dandy. Pas étonnant que lors de leur première rencontre Janis l'ait interpelé en le qualifiant de beau gosse.
Mais il convient de commencer par le commencement. Le cocon familial. Le foetus agglutineux dont on ne sort que rarement indemne. Amy Berg ne nous ménage pas, la soeur en premier témoignage et un vidéo-clip de la mother pour finir la procession. Laura s'est mise sur son trente-un pour distiller ses sororales analyses. L'anti-Janis par excellence, guindée comme un guidon de vélo, un maintien de bourgeoise consommée, dans son tailleur bleu elle ressemble à sa propre caricature, trimballe sur son visage les stigmates du puritanisme américain. Quant à la mère sans profondeur, toute de noir vêtue, qui lit avec une componction désolée la lettre d'une fan de Janis qui vient d'apprendre la disparition de la chanteuse, l'a un air de croque-mort. L'enterre sa fille une deuxième fois. Car deux précautions valent mieux qu'une, et il ne faudrait pas qu'elle ressorte de sa tombe.
La petite Janis n'a pas de chance, en plus du boulet familial à traîner, l'en a un second, qui la touche de très près, charnel pour tout dire. Elle-même. Peut se regarder dans la glace tant qu'elle veut, le miroir ne lui dira pas qu'elle est la plus belle. Physique ingrat de boulotte mal dans sa peau qui ne s'accepte pas. Une tare congénitale. Notre physique ne serait-il pas la traduction formelle de notre âme ? Va faire en sorte que l'intérieur et l'extérieur correspondent. Prend les mauvaises manières. Exunt la politesse et la sagesse. Jure comme un charretier devient une gamine têtue qui ne renonce jamais à s'opposer au désir de bienséance parentale. Avec l'âge, la situation ne s'améliorera pas, se met à écouter les disques des réprouvés de l'Amérique blanche, Big Mama Thornton, Bessie Smith, Odetta... le blues s'immisce en elle sans qu'elle le sache vraiment. A l'université d'Austin elle se fait remarquer – pas positivement – cette fille du Texas est une adepte affirmée de l'émancipation des noirs... C'est à Austin qu'elle essaie de s'adonner aux vertiges de ce que Rimbaud appelait la vraie vie : alcool, amphétamines, sexe, poésie, musique, revendication féministe... Mais comme tout albatros qui se respecte elle a besoin d'air et d'une vie plus tempétueuse. C'est à San Francisco qu'elle s'enfuit, dans cette grande ville qui ne tardera pas à focaliser les regards de la jeunesse du monde entier, qu'elle se libère et se brûle un peu trop les ailes. Retour chez les parents, ravis de la récupérer, mais elle ne retardera pas à repartir...
C'est lors de ce second séjour à San Francisco que Janis devient Joplin. La chanteuse folk qu'elle était, la passionnée de country blues trouve enfin le médium qui lui permettra d'exprimer la rage bouillonnante qui lui brûle les entrailles : le rock and roll ! Une musique enfin capable de recevoir et d'accueillir l'amplitude sonore de l'énergie qui l'habite. Et puis de l'expulser hors d'elle afin de la partager avec tous. C'est toute une philosophie de la vie que San Francisco est en train d'expérimenter. Musique, drogues et sexualités sont à envisager comme des vecteurs d'ouverture au monde. Se réaliser soi-même, afin de donner pleinement aux autres. La contre-culture hippie prend son essor.
Dans le courant de l'année 1966, Janis devient la chanteuse du groupe Big Brother and the Holding Company. Dès le premier concert il apparaît qu'elle est appelée à en devenir le leader. Ce qui ne sera pas sans conséquence sur la suite de l'aventure. A l'idéal hippie des garçons s'opposera le désir immodéré de reconnaissance de Janis. Ce n'est pas qu'elle ait les dents longues, aucunement l'idée de faire carrière, mais Janis a besoin d'être rassurée. Une spirale psychologique qui la pousse à s'élever sans cesse vers le haut alors que ce mouvement salvateur et échappatoire qui l'exhausse n'en finit pas de creuser et d'approfondir le gouffre inextinguible qui se creuse en elle. Janis danse sur un volcan. Parfois elle est elle-même le volcan.
La voir et l'entendre sur scène. Transcende ses accoutrements un peu ridicules aujourd'hui, colliers, perles et cheveux emmêlés, un look négligé soigneusement mis au point et totalement vintage mais quand on compare avec la dégaine d'Amy Winehouse, il n'y a pas photo, l'anglaise a du chien, et l'américaine l'air d'un cocker malheureux privé de ses croquettes. Oui, mais filez-lui un micro et la bête reprend le dessus. Elle vous crache le blues à la gueule, en une seconde elle se métamorphose en une lionne qui cherche le combat. Elle éructe, même chez Bessie il y a toujours un côté geignard et plaintif, ce fonds de commerce du blues des matins blêmes, Janis le désosse, le pulvérise, le blues devient une arme de guerre, tranchante et contondante, une machette à la lame dégoulinant du sang. Se fraye un chemin en force. Rancœurs et frustrations expectorées deviennent des armes de jet qui vous atteignent en plein plexus, sans crier gare. Avec Janis, l'été de l'amour se transforme en celui de la haine qu'elle vous crache à la figure. Sans rémission. Pour la dentelle vous faudra repasser, n'en fait pas ou alors elle la tricote à coups de missiles tomahawks, prends mon blues en plein dans la gueule et sois heureux d'être encore vivant.
Et illico l'autre rappliqué, le bâtard de son père, le branleur de service, l'ébranleur de sévices, cet enculé de rock and roll, une petite frappe qui vous passe à tabac – vous avez l'impression que l'esprit vous sort des narines comme de la fumée de cigarette, Janis s'en sert pour ponctuer ses coups de reins, et ses coups de freins brutaux, elle en dynamise et dynamite le blues, derrière les musicos sont à son service, ont intérêt à suivre et à ne pas perdre le fil de l'histoire, demi-tour de tête et tout s'arrête la tour de Pise s'effondre, mais tout de suite c'est les bulldozzers qui entrent en action pour repousser les gravats. Janis est le grand opérator, parfois le plateau est envahi de danseurs, faites gaffe à ses coups de pied qu'elle lance pour arrêter la machine. Si vous le recevez dans les roubignoles, pouvez prendre le poste de castrat à la Scala de Milan.
Malgré votre voix de fausset, vous n'aurez pas le prix d'interprétation, sera dévolu à Janis. Elle ne chante pas, elle interprète, elle est la chanson. Endosse tous les rôles, celui de la chatte énamourée qui se retrouve devant la chatière bloquée, et qui étire son miaulement de femelle en manque comme un jour d'ivrogne sans whisky. Elle est la reine qui captive tous les regards. Elle mime avec la voix. Elle dessine avec le gosier. Elle peint à fresque, couleurs violentes et criardes. Pluies torrentielles de joies et torrents de peines, fêtes extatiques et colères explosives.
N'a enregistré que trois disques de son vivant, le quatrième sera posthume mais depuis les éditions live n'ont pas manqué. Elle sera présente aux deux rendez-vous mythiques de l'ère hippie, Monterey et Woodstock. Le début et la fin. Les trois coups et la descente du rideau. All the beautifull people à Monterey. Amy Berg en profite pour montrer ce que Janis a volé à Otis Redding. En rock le vol n'est que l'autre nom de l'inspiration. Prédatrice. On ne se refile pas le bébé. On le kidnappe et on le garde. On ne demande pas de rançon. A Monterey Janis est encore une éponge qui apprend. Tout ce qui rentre fait rage de ventre. Ce sera le point ultime de l'initiation. Journée de sacre. Deux années plus tard, c'est une personnalité reconnue qui monte en scène. L'impératrice. Beaucoup plus fragile que l'on ne pourrait l'accroire. Janis a réalisé son rêve. Personna grata incontournable. Faut entrer dans les coulisses du cerveau pour comprendre qu'elle n'en est pas plus heureuse que cela. Elle a monté le gros caillou jusqu'au plus haut sommet de la montagne. Et le rocher est toujours devant elle. Ce n'est pas une question de descente. Ni d'acide, ni de scène, ni de déclin. L'on peut pousser de toutes ses forces, mais en fin de compte l'on se retrouve devant soi. Le problème ce n'est pas la roche tégumentaire que vous repoussez, le problème c'est que vous êtes l'énorme gravier qui vous bloque le passage.
Amy Berg ne suit pas la vulgate communément admise. Selon laquelle l'on devrait se réjouir de l'overdose qui l'emporte assez tôt avant que les stigmates de la déchéance n'apparaissent au grand jour. Détruite par la drogue, rongée par l'alcool, les derniers mois de Janis auraient été une lente dégradation. Certes elle a connu ce passage à vide qui suit les grands moments d'excitation, cette dépression qui vous saisit lorsque vous avez atteint votre but et que vos désirs sont rassasiés. Mais non, Amy Berg s'acharne à démontrer le contraire. Montage serré et plans orientés. L'héroïne a remporté plusieurs victoires, l'a détaché de ses amis, ceux qui tenaient le plus à elle, mais elle aurait fini par dompter le cheval sauvage. La dernière prise aurait été selon les dires de Paul Rothchild le président d'Elektra, sa maison de disques, non pas une rechute, mais un dernier petit plaisir qu'elle se serait octroyée après une bonne et grosse journée de travail au studio. Aurait profité d'un moment de ce moment de solitude dans sa chambre d'hôtel pour se livrer à un innocent retour en arrière sur une partie de sa vie dont elle entendait tourner définitivement la page. N'était-elle pas en attente de David Niehaus, l'homme qu'elle aimait et la rendrait heureuse...
Le plus terrible c'est que les deux alternatives proposées – le soir funeste d'une vie échouée, l'aurore radieuse d'un futur immédiat enchanté – vous nagez en les deux cas en plein chromo. Teinte rose ou lavis noir. C'est toujours la morale puritaniste qui triomphe. La punition de vos actes qui s'abat comme un couperet de guillotine ou la lumière renaissante d'une vie pardonnée. J'ai du mal à entrevoir Janis en gentle born again... L'époque ne s'y prêtait guère, ce phénomène ne se développera vraiment qu'à la fin de la décennie suivante. Le mot d'ordre des septante était de jouir sans entraves. J'ai du mal à entrevoir la prêtresse hippie suivre la courbe repentante de l'égérie du punk. Les discours de Patti Smith sur l'amour que l'on se doit de se porter les uns aux autres me sont aussi insupportables que le fonds de bondieuserie catholique de Ségolène Royal. Avec tout de même le fait que Ségolène n'a jamais enregistré Horses. C'est au choix de son cheval que l'on juge la cavalière.
Moins artiste – même si dans ses interview Amy Berg insiste sur le souci collectif de la démarche artistique de Janis – que Patti qui quelque part n'est qu'une intellectuelle frappée par la foudre du rock, Janis est d'une autre nature. Elle est la foudre. Peut éclater en sanglots sous forme de pétards mouillés de temps en temps, mais est capable de lancer des éclairs tonitruants et d'allumer des incendies destructeurs au-dedans de nos têtes. La vie de Janis Joplin ne pouvait pas être un long fleuve tranquille. Si elle avait survécu, sans doute aurait-elle connu un parcours chaotique. Pour renaître de ses cendres le phénix doit d'abord accepter de périr.
Le film est à voir. Indispensable document d'une époque révolue. Nous parle encore de l'âge d'innocence du rock. Une indéniable existence carbonisée, menée à toute allure sur les tambours du blues et du rock and roll. Un sentiment de fête et de délivrance tellement fort que l'on pourrait croire que la réalisatrice nous raconte la fiction d'un monde meilleur.
Damie Chad.
ROCK'N'ROLL
RICHARD HAVERS / RICHARD EVANS
( Fetjaime / 2011 )
Un titre aussi radicalement concis et essentiel sur l'étalage du bouquiniste, vous conviendrez que c'est tenter l'ours avec un pot de miel. Certes Richard Havers est plutôt connu pour ses livres sur le jazz, qu'il a d'ailleurs parfois réalisés avec Richard Evans. Ce dernier, davantage dans nos cordes. Dans le staff des Who pendant presque quatre décennies. Le genre de carte de visite qui chez KR'TNT ! inspire le respect. Ne nous emballons pas pas, les Editions Fetjaine, ce n'est pas Le Mercure de France. Surfent sur l'actualité. Les sujets qui vendent. Ou alors les niches captives. Public ciblé mais assez nombreux. Sont spécialisés dans le haut de gamme. Prolétarien. Pas trop cher, mais pas le premier prix – du grand format, couverture rigide, photos couleurs et documents d'époque, du texte mais pas les cinq mille pages du Rameau d'or de George Frazer, l'on préfère l'article qui regorge d'anecdotes amusantes ou scandaleuses tout en délivrant un lot d'informations non négligeables. Le connaisseur s'y sent comme chez lui, et le néophyte en ressort ébloui devant tant d'érudition. Si possible, on rajoute un truc en plumes qui mousse, le gadget souvent inutile, le cadeau Bonux qui pousse à l'achat. Cette fois-ci un CD encastré dans la couve, vingt titres incontournables du rock. C'est eux qui le disent, mais comme j'y trouve Be Bop A Lula de Gene Vincent, je me laisse convaincre sans trop de difficulté.
Faut reconnaître que c'est bien fait. Il y a quarante ans, vous auriez froidement abattu vingt-huit personnes pour entrer en possession d'un tel trésor. Ce qui n'était que le début de vos difficultés, car vous auriez dû vous en fader la traduction. N'y avait que les rosbifs assez frappés pour vous pondre un tel bouquin. Et aucun french editor capable de l'inscrire à son catalogue. Aujourd'hui vous le revendriez sans état d'âme à la prochaine brocante du quartier. Un phénomène constitutif de nos temps modernes, un mouvement incoercible dont déjà dans les années soixante-dix le toulousain Raymond Abellio anticipait la venue en attirant l'attention de ses contemporains sur l'incoercible mouvement de dévoilement intégral des théories ésotériques les plus secrètes... Mais cela nous entraînerait trop loin. Vers la fin du dix-huitième siècle, alors que le livre couvre avant tout la glorieuse période des fifties. Ne sait pas trop par où commencer, mais s'achève d'une manière très précise et très symbolique, le 17 avril 1960, date de la mort d'Eddie Cochran.
Très bonne fausse bonne question. Quel fut le premier titre de rock and roll engendré en ce bas monde d'infamie qui je le rappelle reste notre lieu de résidence privilégié ? Nos deux compères nous rappellent qu'en 1922 Trixie Smith enregistre My Man Rocks Me, elle ne manque pas de nous apporter à l'instant mais entre parenthèses toutes les précisions indispensables With One Steady Roll, ce qui nous rassure tout de suite sur la manière de s'y prendre de ce monsieur dont le prénom ne nous est pas dévoilé. En tout cas, un fameux enregistrement, très jazzy – je ne sais pas qui tient le tuyau, mais c'est du pur sirop d'érable qui coule de sa bouche. La dame a tout de même enregistré avec ce que l'on ne peut pas appeler des demi-pointures, Louis Armstrong et Sydney Bechet. Les amateurs de fumettes diverse et variées rendront visite sur You Tube aux images d'un autre titre de la demoiselle, Jack, I'm Mellow, very jazz drugs and sex. Nos deux auteurs ne s'arrêtent pas en si bonne compagnie, je vous laisse découvrir leurs propositions sur l'hypothétique et illusoire origine de la musique du diable.
Pour ma part j'opèrerai autrement. Mon bouquin refermé, le nom qui revient le plus souvent, que l'on retrouve régulièrement sous leur plumes comme un inspirateur de vedettes confirmées est celui de Wynonie Harris. L'avait tout pour déplaire Wynonie, l'était noir, se trémoussait tel un désossé d'une manière libidineuse, ne chantait mais hurlait, accélérait le tempo de ses reprises comme s'il était pressé d'en terminer au plus vite, et entre deux mots il choisissait systématiquement le plus salace. Pas très policé, le monsieur. Exercera une très mauvaise influence sur un garçon pourtant parfaitement bien élevé par sa maman. Un certain Elvis Aaron Presley qui s'inspirera fortement du jeu de scène de cet danseur ancien danseur de claquettes. Genou fou qui déclenche la hanche, le mystère de l'appel sexuel de celui que l'on surnommera the Pelvis. La renommée a été injuste avec Wynonie Harris qui décède en 1969, oublié de presque tous. Le book ne se porte pas à son secours, ne lui consacre pas un chapitre. Remarquons que si Little Richard et Chuck Berry ont droit à leur loge d'honneur, Bo Diddley dont l'influence sur le rock de l'époque se révéla manifeste et incontestable est relégué dans la rubrique Chicago...
Difficile d'être exhaustif, nos auteurs ne s'acharnent pas à traquer l'essence du rock, suivent le déploiement commercial de la vague rock tel que les charts de l'époque l'ont révélé. Et l'est vrai que les maisons de disques se sont hâtées d'offrir aux jeunes blancs américains des produits un peu moins acidulés que les ronces noires qui peuplent les rivages du désastre pour parler comme Saint John Perse. Quand l'on se souvient que l'on a même réussi à leur vendre un clone d'Elvis Preley en la pâle personne de Pat Boone, l'on se prend à rêver de l'impact de dissuasion massive que vous fournit la main-mise sur les média de diffusion populaire. Ces gens-là ratissent large et sont capables de pervertir les goûts du public le plus affiné.
J'eusse préféré un article sur Johnny Carroll, mais non ce sera les Everly Brothers. Deux jeunes gens sympathiques aux harmonies que l'on se doit de qualifier de divines, mais beaucoup plus proches du country que du rock and roll. Puisque le livre n'hésite pas à emprunter ces voies tangentielles j'ai décidé de suivre le mouvement et de m'intéresser à deux figures dont je connais les noms, dont j'ai dû écouter en une vie précédente un ou deux de leurs morceaux, mais dont ma mémoire n'a retenu aucun souvenir. Après Elvis, Jerry Lou, Bill Haley et les autres cadors vous connaissez.
FRANKIE LYMON & THE TEENAGERS
Une bio de rêve. Le petit garçon noir de Harlem qui travaille pour arrondir les fins de mois parentales – celles qui tombent en début de première semaine – qui enregistrera son premier disque à quinze ans, qui fera partie du packaging des tournées Fats Domino, Eddie Cochran, Chuck Berry, et qui décède à l'âge de vingt-six ans – ratant de peu la série des 27 – d'une surdose d'héroïne. Frankie Lymon, ce n'est pas tout à fait sex, drugs and rock'n'roll mais, amours contrariées, drugs and doo wop. La romance à l'eau de rose qui se flétrit un peu trop vite. L'a tout fait pour réussir, même son armée comme Elvis, mais c'est surtout la Tamla Motown qui s'inspirera de son oeuvre. Notamment Les Jackson Five...
Alors pour vous j'ai écouté son titre phare le Why Do Fools Fall in Love enregistré en 1957, c'est mignon pas tout à fait sucré puisque la voix du jeune garçon n'est pas assez ample dans les aigus, derrière les Teenagers swinguent de leur mieux mais le meilleur du disque reste le solo de saxophone. Gentillet et dispensable. Par acquis de conscience j'ai surfé sur You Tube jusqu'à trouver Who Can Explain, je ne retire pas un mot du commentaire précédent. J'aimerais toutefois savoir qui soufflait dans le sax.
On en aura fini avec Frankie Limon quand on aura rappelé que son apparition au Show d'Alan Freed fut interdit de diffusion, car il avait osé esquissé quelques pas de danse avec une adolescente blanche... Pour les amateurs de biopic, l'existe un film sur sa courte carrière.
DANNY AND THE JUNIORS
On prend les mêmes et l'on recommence. Mais l'on change de couleur. Des petits blancs de Philadelphie. Un piano omniprésent un peu à la Jerry Lou au service d'un surf rock rapide. Enregistré en 1957 le titre sonne très soixante. Du doo-wop décliné à toute vitesse. Quand on n'a pas une belle voix de baryton, l'on s'en tire en chantant vite. Une esthétique qui vingt ans plus tard sera intuitivement reprise par les groupes punk. Ne nous éloignons pas de notre sujet : les Juniors sont tout de même très propres sur eux. Forment un véritable groupe et même si Danny se suicide en 1983, le groupe tourne encore. Ce n'est donc pas un hasard si deuxième succès s'intitulait Rock and Roll is Here to Stay... En leur jour de gloire eux aussi participeront aux spectacles d'Alan Freed Show, notamment avec... Frankie Lymon.
Eurent aussi leur scandale. Prévisible quand l'on pense qu'ils partageaient lors de leur deuxième tournée avec Alan Freed avec des calibres aussi tordus que Larry Williams et Screamin' Hawkins... A Boston le spectacle tourne à l'émeute et un marin sera retrouvé poignardé... Les Juniors n'auront plus accès aux grandes émissions télévision... Les autorités essaient en fait de s'en prendre à Alan Freed, mais le disc-jockey trop populaire est encore intouchable. Faudra attendre quelques mois pour que la Justice américaine parvienne à le coincer. Scandale des pots-de-vin qui touche aux ententes financières passées entre les médias et les maisons de disques. C'est Alan Freed qui en paiera les pots cassés....
THE BIG BOPPER
Je ne vais pas vous passer tous les artistes en revue. M'arrêterai avec un autre disc-jockey. Qui connut une fin tragique. L'était dans l'avion fatidique qui le trois février 1959 s'écrasa en pleine tempête de neige près de la ville de Moorhead avec à son bord Buddy Holly et Ritchie Valens... Signalons que tout dernièrement vient de mourir le fils du Big Bopper, né deux mois après la mort de son père, dont il interprétait les morceaux en des concerts hommagiaux...
Une riche personnalité excentrique qui n'eut pas le temps de s'épanouir. Se fit un nom en diffusant durant cinq jours d'affilées deux heures et quelques cacahouètes 1831 titres... Après cet exploit digne du Guiness World Records il se mit à composer des chansons et eut bientôt envie de les chanter. Eut juste le temps d'accoucher de deux chefs-d'oeuvre Chantilly Lace popularisé par Jerry Lou et le splendide White Lightning dont nous possédons une merveilleuse version de Gene Vincent et Eddie Cochran chantée en direct à la BBC, hélas la prise s'arrête trop brusquement... Les curieux ne manqueront point de visionner le Runnin' Bear de Johnny Preston, un titre du Big Bopper qui en assure le background vocal avec George Jones...
Tous les amoureux du rock and roll ne manqueront pas de se procurer ce bouquin et pas perdront pas leur temps à en tourner les pages. Un livre sur l'éclosion de cette musique aux USA entre 1954 et 1960. Pas la grande somme sur les pionniers que nous attendons tous. Mais une approche qui ne laisse pas indifférent.
Damie Chad.
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