03/02/2016
KR'TNT ! ¤ 267 : UK Subs / JUNIOR RODRIGUEZ & THE EVIL THINGS / GUILTY, SO WHAT ? / CHATEAU BRUTAL
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 267
A ROCKLIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
04 / 02 / 2016
UK Subs / CHATEAU BRUTAL / GUILTY SO WHAT !
JUNIOR RODRIGUEZ & THE EVIL THINGS
MICK JAGGER / ALEISTER CROWLEY
LE 106 / ROUEN ( 76 ) - 20 / 01 / 2016
UK Subs
ANARCHY IN THE UK Subs
Avec le temps, les UK Subs sont devenus une institution, au moins en Angleterre. Charlie Harper fait partie des vétérans de toutes les guerres. Il continue d’écumer les scènes dans le monde entier à la tête d’une équipe qui paraît aujourd’hui stabilisée. Car forcément, l’histoire des UK Subs, c’est aussi le bal des line-up.
On retrouve Charlie dans un numéro spécial de Classic Rock consacré aux Survivors avec bien sûr Keith Richards en couverture. C’est à John Robb, lui-même vétéran de la scène punk anglaise, que revient le privilège de brosser le portrait d’un Charlie Harper qui atteint aujourd’hui l’âge canonique de 71 ans. Charlie commence par rappeler qu’il suivait les Stones à leurs débuts. Il connaissait bien Brian Jones. Charlie avait teint ses pompes en vert et ça plaisait beaucoup à Brian. Il connaissait aussi Rod The Mod qui lui apprit à jouer de l’harmo. Mais plutôt que de former un groupe, Charlie devint routard et gagna le Sud de la France. Il chantait du Woody Guthrie, du Tom Paxton et du Dylan dans les rues, comme le fit Dave Brock à ses débuts. Les anglais appellent ces chanteurs de rues les buskers. L’avantage d’être dans le Sud de la France, c’est qu’on pouvait dormir sur la plage. Pas de frais. Charlie passa donc les sixties à busker. Il revint à Londres et monta son premier groupe les Marauders au début des seventies, puis The Charlie Harper Band pour jouer dans le circuit du pub rock. Il y croisait les géants du genre comme Dr Feelgood et les Ducks Deluxe. Charlie prend bien soin de préciser que tous ces groupes, les Clash, les Vibrators et les Stanglers venaient du pub rock.
«I guess we were second-wave punk». Eh oui, les UK Subs font partie de la seconde vague punk. «We were nothing when the first wave came. We were the audience.» Pour Charlie qui avait trente ans en 1977, les Pistols et les Damned représentaient le futur. Mais les UK Subs savaient qu’il resteraient un groupe de rhythm & blues.
Difficile d’évoquer la seconde vague punk anglaise. Pour ceux qui ont vécu ça en direct, cette seconde vague n’avait évidemment pas le panache de la première. Aucun groupe punk anglais ne pouvait rivaliser avec les Pistols ou les Damned, aussi bien sur scène que sur disque. Pour beaucoup d’amateurs, la seconde vague punk allait être d’une pénibilité sans nom. Et c’est avec une vraie réticence qu’on accepta d’écouter le premier album des Subs paru en 1979, «Another Kind Of Blue», qui d’ailleurs n’était pas vraiment un album de punk-rock, mais un album de cocotage à la Steve Jones. Il suffisait d’écouter «CID» ou «TV Blues» en face B pour retrouver ce qui avait fait la grandeur de Jonesy. Dans «CID», on sentait une nette influence des Pistols. Sur ce disque se trouvait aussi «I Live In A Car» qui allait devenir l’un des gros standard des Subs. Le guitariste s’appelait Nick Garratt, une sorte de champion du gimmick. «All I Wanna Know» est monté sur un gimmick rudement intéressant. Il amenait aussi «Crash Course» au bon riffage et on sentait nettement le potentiel d’un grand guitariste. Il plaçait un solo tellement incendiaire dans «Disease» qu’on croyait entendre Brian James dans les Damned. Alors, bon disque ? Pas bon disque ? Ça dépend en fait de l’époque à laquelle on le réécoute. L’album a les défauts de son époque et les qualités d’un disque de pur rock anglais.
En 2018, les Subs fêteront leur quarante ans de carrière, comme vient de le faire Motörhead. Comme tous ces groupes à longévité exemplaire, ils proposent ce qu’on appelle une discographie à rallonge qui est en fait un mélange d’albums studio et d’albums live, le tout copieusement farci de compiles. Ceux qui les suivent depuis le début savent que le vrai parcours des Subs suit l’ordre alphabétique. A pour «Another Kind Of Blues» et Y pour «Yellow Leader» qui vient de sortir. Les Subs compléteront leur alphabet avec un album Z à venir.
Comme Motörhead et comme le bon vin, les Subs vieillissent admirablement bien. Les trois derniers albums, «Work In Progress», «XXIV» et «Yellow Leader» qui vient de sortir sont de véritables bombes. Et c’est pour ça qu’il faut aller les voir jouer sur scène, car ils alignent autant de hits anglais que les Wildhearts, les Stiff ou les Buzzcocks.
Sur «Work In Progress», on trouve «The Axe» qui sonne comme un classique des Pistols. Rien que pour ça, il faut rapatrier l’album. C’est amené aux gros accords de Steve Jones. Charlie fait son Johnny Rotten - You ran the gauntlet you ran from the law/ But you ran out of luck when the axe came down - Charlie prévient que ça va mal finir et voilà que surgissent un solo dévastateur et des chœurs de cathédrale. On est dans l’esprit de «Never Mind The Bollocks», pas de doute - Your time will come/ When the axe comes down - On retrouve les grosses cocotes des Subs dans «Tokyo Rose», doté d’un refrain aux chœurs de pub pistolien. C’est énorme ! Et voilà que traîne à Trafalgar Square un solo de petite vertu signé Jet. Au fil des cuts, les Subs développent leur vieille démesure et montent la plupart des couplets à la cocote de Jonesy. Dans «Guru», Charlie saute à la gorge des gourous et ils tapent ensuite «Eighteen Wheels» au groove crampsy - Eighteen wheels a rollin’/ Out on highway number one - Ils attaquent «Rock’n’Roll Whore» aux accords des Heartbreakers et font une belle reprise de «Strychnine». Les vaillants Subs terminent cet album fumant avec «Robot Age» et on entend la heavy bass d’Alvin Gibbs voyager dans le groove et croiser à un moment un véritable tourbillon de wha-whatage des enfers.
«XXIV» est une pétaudière, sous un air de Sainte-Nitouche. «Implosion 77» saute à la gorge. Voilà un cut qui porte bien son titre. On sent une sorte de maîtrise définitive du son. S’il est un groupe puissant en Angleterre, c’est bien les Subs. Charlie passe ensuite au heavy blues d’harmo avec «Coalition Government Blues». Quelle fantastique aisance de la partance, Hortense ! Charlie est toujours aussi énervé qu’avant, comme on le voit dans «Rabid» - Instigation/ Savage bite ! - Et il lâche les puissances des ténèbres avec «Monkeys», grosse compo bardée de son et de puissance. La santé des Subs est un modèle du genre. Attention, si vous écoutez cet album, vous allez vouloir écouter tous les autres ! Et ça continue avec «Black Power Salute», un hommage vibrant à Smith et Carlos, les deux blacks qui avaient levé le poing sur le podium des Jeux Olympiques de 1968. C’est fantastique et énorme à la fois - Took a black power salute ! - La fête continue avec «Las Vegas Wedding». Les Subs visent l’absolu du punk anglais avec un refrain de chœurs de cathédrale - Limos and wedding bells/ Champagne and party girls - Chorus des enfers et violentes montées de fièvre ! Plus loin «Garden Of Good And Evil» éclate au grand jour comme une révélation. Voilà une nouvelle embardée dans la dégelée, c’est violent, musculeux et parfait, si on aime le son qui dégouline du beurrier. Tout est fantastique sur cet album. Les Subs n’ont jamais été aussi bons ! C’mon Charlie ! Vous voulez de la politique ? Voilà «Workers Revolution», un appel tardif à la révolte - Bankers and the bosses and the politicians/ Those donkeys get away with the lion’s share - Bien sûr, ce genre de discours paraît aujourd’hui indiciblement suranné, mais bon. Charlie tape ensuite dans Bo Diddley pour «Wreckin’ Ball» et il championne ça à l’harmo de Momo. C’est à l’image des Subs qui se sont toujours inscrits dans une sorte de classicisme moderne à l’ancienne. S’ensuit un fantastique «Detox» joué à la force du poignet clouté et c’est vrillé par un solo de Jet. Charlie chante «Failed State» à la Johnny Rotten, c’est le hit du disk. Et ils bouclent avec «Momento Mori», ultra-punk’s not dead, un clin d’œil aux dieux du punk-rock et l’effroyable Jet vient nettoyer tout ça à coups de guitare lance-flamme.
On a gosso-modo les mêmes composantes sur «Yellow Leader», avec une pochette BD montrant un chasseur pulvérisant l’avion ennemi. Voilà encore un disque qui fourmille d’énormités, à commencer par l’imparable «Sick Velveteen», pulsion de rock anglais punkoïde. On est plombé d’entrée de jeu. «Artificial» qui suit est magnifique de teneur. Cet air de rock s’incruste dans la mémoire vitale des cellules. Charlie tire bien sur son articifial intelligence et Jet le guerrier arrose tout ça d’un solo fleuve. Retour à la Guerre de Cent Ans avec «Bordeaux Red». Les Subs envahissent la France au son du Bordoo red ! C’est du rock de soudards impavides et Jet fourvoie son solo. Charlie finit dans une cheapside hostelry amongst the vermine. Voilà un cut épais et judicieux qui montre bien l’exemplarité d’un groupe au faîte de sa gloire. Retour à la high energy avec «Deconstruct». Ils tapent dans le jus du rock juteux des Hellacopters et des Deadbeats. S’ensuit un «Diatribe» qui sonne comme un hit dès l’intro. Jet fait son Jonesy et ça nous va bien. On se régale aussi de «Primitive Evil» qui raconte l’histoire du Tzar of pain, le pire démon. Ils jouent ça au beat de forteresse et ça repose sur de jolis contreforts. Stupéfiant «Sun City Blues», joué au boogie d’harmo. On trouve deux hymnes punk sur cet album : «Slave» qui répond bien à l’exigence de l’exégèse et «Big Bug» qui sonne comme un hit punk définitif - She’s always here gettin in my hair like a bug - Avec «Virus», ils font tout simplement l’hallali du punk-rock. Ils ne lâcheront jamais.
C’est cette équipe qu’on voit aujourd’hui sur scène, Charlie, Alvin Gibbs (bassman quasiment d’origine), Jamie Oliver au beurre et Jet le guerrier.
Si on aime bien les Subs, alors c’est avec une sorte de délectation perverse qu’on plonge dans leur alphabet.
«Brand New Age» est un album coupé en deux, avec une face A transparente que Nick Garratt tente de sauver avec sa guitare et une face B superbe. «Emotional Blackmail» est un hit punk qui fait twister les métacarpes, et doté en plus d’un beau solo longiligne. C’est admirable car très anglais dans l’esprit de seltz. C’est d’ailleurs l’un des standards qu’on retrouvera sur tous les albums live des Subs. De même que «Teenage», joué aux accords du MC5. Incroyable ! Non seulement ils écoutent des bons disques, mais ils envoient des chœurs de cathédrale ! S’ensuit un fantastique «Dirty Girls» bourré d’énergie concomitante, avec des yeah yeah yeah de relance impérative. Leur audace les honore. L’autre hit du disk s’appelle «500 CC». On les sent déterminés à vaincre. Le beat est si bon qu’il est élastique. Voilà qu’ils swinguent le punk-rock ! Ils incendient ensuite «Bomb Factory» aux chœurs guerriers. Cette équipe sait chauffer les enceintes et il bouclent cette face fumante avec un terrible «Emotional Blackmail II». Une fois qu’on a le riff, c’est facile.
«Crash Course Live» est le premier d’une longue série d’albums live. C’est vrai que le cœur de métier des Subs, c’est la scène, alors c’est normal qu’on bouffe du live. Crounch crounch crounch. On y retrouve tous les standards des deux premiers albums, mais ils sont comme dopés. On croit même entendre les accords des Heartbreakers dans l’intro d’«I Live In A Car». C’est l’un de leurs cuts les plus puissants. «Rat Race» sonne comme un cut des Saints, à cause de sa mitraille d’accords. Et «New York State Police» renvoie bien sûr au cocotage de Steve Jones dans «New York». Avec «Warhead», ils se prennent pour les Clash et c’est ridicule. De l’autre côté, «Organised Crime» retombe comme un soufflet au moment du solo, par contre, Charlie emmène «Dirty Girls» à coups de yeah yeah yeah vainqueurs. C’est un régal que de l’entendre tartiner son cockney. Ils tapent un autre hit subien, «Crash Course», que Nick Garratt cocote à la bonne rémoulade de rémona. On retrouve les accords des Heartbreakers dans «Teenage» - Teenage ! I wanna be teenage ! - Ils jouent ça bien serré dans les virages avec de jolies pointes d’accélération vite réprimées. C’est incroyable ce qu’on s’attache à ce groupe. Ils bouclent leur set avec «Emotional Blackmail» où on retrouve le beat bien sautillé des Vibrators. C’est tout simplement fantastique d’allant.
C’est avec «Diminished Responsibility» qu’arrive Alvin Gibbs. La pochette est ratée (trop arty), mais on trouve deux merveilles sur cet album, à commencer par «Fatal» qui sonne comme un hit des Pistols - You’re fatal/ You’re so fatal - C’est du heavy punk désenchanté à la Rotten. En en face B, Charlie refait son Clash avec «Party In Paris», un cut presque bon. Il soigne ses syllabes en ay et fait tomber son day comme un couperet cockney. Sut cet album, on trouve même un cut qui sonne comme ceux des Buzzcocks, «Time And Matter», et une autre singerie des Clash, «Violent City» - Thieve a car do a job/ Get ten points for hitting a cop - C’est exactement le son du premier single des Clash qui était - il faut bien le dire - excellent (c’est après que ça s’est dégradé). Avec «So What», Charlie s’adresse à tout le monde, hippy hippy, rasta rasta, junkie junkie, soul boy soul boy, et fait du vrai punk-rock londonien. Et Nick Garratt boucle l’album avec un beau solo suspensif dans «Collision Cult».
«Endangered Species» est probablement leur meilleur album, car c’est là que se nichent «Down On The Farm» et «I Robot», purs classiques de rock anglais. Avec «Down On The Farm», on a l’attaque de «The Final Solution» - All I need is some inspiration/ Before I do somebody some harm/ I feel just like a vegetable/ Down here on the farm - C’est énorme, aussi énorme que les mésaventures de Crocus Behemot dans Pere Ubu - The girls won’t touch me/ Cos I’ve got a misdirection/ And living at night/ Isn’t helping my complexion - Charlie en rajoute une couche en appelant sa baby on the telephone - Called my baby on the telephone/ Said come down and have some fun - Ce qui nous renvoie aux Stooges, quand Iggy called mum on the telephone dans «No Fun», puis Charlie explique qu’il écrit des milliers de lettres à s’en engourdir les doigts, mais le postier ne vient jamais à la ferme - I write a thousand letters/ Till my fingers all get numb/ But I’ve never seen no postman/ Down here on the farm - Si ce n’est pas un hit, alors qu’est-ce c’est ? Même question pour «I Robot», bardé de chœurs de rêve - Got a silicon brain/ I robot/ On a metal frame/ I robot/ Ain’t got no name/ I robot - C’est une pure merveille de renvoi d’ascenseurs de chœurs, dopée par une énorme dynamique de relance avec un retour au Got a silicon brain du meilleur effet, et ça continue jusqu’au délire avec des but he’s got no heart/ To tear apart et des ain’t got no vein de la pire excitation. Avec le morceau titre, Charlie rappelle qu’il fait partie avec les punks d’une espèce en danger d’extermination. Puis il profite d’«Ambition», pour revenir au heavy beat rincé à l’harmo. Les Subs jouent le pur rock anglais - Cheat me and I’ll jump on you - S’ensuit un magistral «Lie Down And Die» qui sonne comme un cut des Buzzcocks.
C’est Knox qui a dessiné l’affreuse Maggy Tatcher qu’on voit sur la pochette de «Flood Of Lies». Charlie redémarre avec une toute nouvelle équipe et Captain Scarlet à la guitare. Dès le morceau titre qui ouvre ce bal macabre, on sent peser les lourdeurs pestilentielles. Captain Scarlet fait des siennes dans «DB’s». Il place un joli killer solo. Même si elles ne tétanisent pas toutes, les compos de Charlie restent intéressantes. On se fait avoir à chaque fois, comme par exemple avec «Tampa Bay». Les grosses pièces se nichent de l’autre côté, à commencer par «In The Red» et une cisaillade à la base du système. Charlie attaque sec au pied de la montagne. Il ne renonce jamais. C’est joué à la vieille cocote anglaise. Les Subs ont un vrai son, une réelle présence, en dépit des mouvements de personnel. Charlie fait son boogaloo avec «Revenge Of The Jelly Devils». Quoi qu’il fasse, il suscite l’intérêt. Encore un cut négocié à la cisaille avec «In The Wild». Charlie adore ce son à la Jonesy et les mid-tempos chargés de menace. Ils bouclent avec un «Seas Of Mars» tapé à l’épisodique. Encore un cut signé Harper le crépusculaire.
Encore un album live avec «Gross-Out USA». Charlie et Captain Scarlet écument les scènes américaines. C’est l’occasion de ré-entendre «Emotional Blackmail», une version de «In The Wild» digne des Pistols, tant dans le riff que dans la voix, un chef-d’œuvre de punkitude avec «Violent Revolution» et «Stanglehold» qui est l’un des hits des Subs les plus déterminants, est-il besoin de le rappeler ?
Charlie reconstitue une nouvelle équipe pour «Huntington Beach» qui sort en 1986. On y trouve de belles dégelées, comme par exemple ce «Betweeen The Eyes» bien tapé et même assez imparabellum. Le «Suicide Taxi» qui suit est fantastique car bien monté sur un riff tendancieux et comme gratté sous le manteau. Quant à «Party Animal», c’est du pur Lydon et c’est extrêmement heavy dans l’intention. Charlie se dit bête de boum. Il flirte aussi avec la pop dans «Miss Teenage USA», mais comme c’est bien affirmé, on lui pardonne. De l’autre côté se niche «All The Kings Horses», amené comme un hymne punk dévastateur de dévastation. Au moment où arrive «Death Row», on sait qu’«Huntington Beach» est un solide album de bon vieux beat de punk de Sub. Ils bouclent avec un fantastique «Blinding Stories», une pièce de pure power-pop à l’Anglaise. Les Subs savent créer la surprise en fin de face sans perdre la face.
«In Action» est à la fois l’album du dixième anniversaire et un double album live sur lequel on retrouve tous les grands hits des Subs. En voiture Simone avec «Emotional Blackmail». Les Subs s’amusent bien, on entend une belle bassline dans «Endangered Species». Charlie fait son Rotten dans «Fear of Girls» et dans «You Don’t Belong». Il adore se prendre pour le meilleur chanteur d’Angleterre. Leur version de «Teenage» sonne comme un hit des Damned. Sur le deuxième disque se nichent des choses bien foutues comme «I Couldn’t Be You», soutenue par une basse alerte et vivace, «I Live In A Car», vrai hit de Sub, «Crash Course», chanté à la Rotten, «Blues» joué à la MC5, «Between The Eyes», pas loin des Stiff, «CID» quasiment stoogy, «Tomorrow’s Girls», joué à la cisaille maximaliste et «Stranglehold», un pur hit de Subs. Que vous faut-il de plus ?
Darrell Bath et Knox font partie de l’aventure qui conduit les Subs au Japon et qui se solde par l’enregistrement d’un album live, «Japan Today». Charlie a derrière lui une grosse équipe et il en profite. Darrell Bath fait des miracles à la guitare. Les compos sont pour la plupart lourdes et lentes, comme dirait Hardellet. L’ordre des morceaux gravés ne correspond ni à celui qui figure sur la pochette, ni à celui qui est sur l’étiquette. En face B, ils attaquent avec «Thunderbird», un chant de Noël de pub anglais, merveilleusement accompagné à la guitare par le petit Darrell. Il cisaille bien «Comin’ Back» à la grosse cocotte et Charlie sort son meilleur cockney pour «Hey Santa». Ils tapent ensuite dans la pure pop de juke avec «Skate Board Billy» et enchaînent avec un shoot de surf garage, «Surf Bastard». Incroyable mais vrai ! Les Subs tapent dans l’exotica ! Et Knox joue de l’orgue ! S’ensuit «Street Legal», un heavy boogie d’ampleur magistrale. On sent le groupe anglais bien en place. Ils bouclent avec «Angel» qui est le punk-rock idéal de fin de parcours. Franchement, les Subs ont un son.
Avec «Killing Time», on sent une forte baisse de régime. Ils ne retrouvent pas la grandeur d’«Endangerd Species». C’est pourtant l’album des retrouvailles avec Nick Garratt et Alvin Gibbs. Charlie attaque avec «Yellowman», une ode aux chinetoques - Chinese kitchen smells so nice/ Kung fu coke and vice/ Fast food faster girls - Mais quand Nick ou Alvin se mettent à chanter, ça tourne à la catastrophe. Le chanteur des Subs ne peut être que Charlie. On passe à travers la face A et en B, ils se reprennent pour Clash avec le morceau titre. C’est insupportable, car Clash est loin d’être un modèle. Charlie sauve l’album avec «Big Apple» - Big apple rotten to the core - C’est une fantastique pièce de rock alerte - See the stress/ Feel the anger/ For esay money/ There’s a restless hunger.
«Live In Paris» est un live de plus (de trop) qui n’apporte rien.
On retrouve Darrell Bath sur «Mad Cow Fever», un très bel album de reprises. Sur «Mandarins Of Chance», baby Bath double le chant à la fantômale. Ce petit teigneux ne lâche pas sa proie. Il fait des miracles sur «Boneyard», «Welfare Mother» et «Saints & Sinners», où il bat le plâtre d’une incursion rythmique. Charlie fait son Jim Morrison avec une reprise de «Roadhouse Blues». C’est stupéfiant de véracité intrinsèque. Il n’a pas la voix ni la beauté du Roi Lézard, mais il chante avec toute la niaque dont il est capable et c’est suivi à l’harmo. Ils font aussi du Chuck avec une reprise de «Talking About You» et un «Route 66» avec le son du MC5. Baby Bath sonne exactement comme Wayne Kramer ! Ils font aussi un hommage fantastique aux Dolls avec «Pills». Baby Bath a tout bon. Les Subs sont dessus - To my head ! - Nouvelle surprise de taille avec «Baby Please Don’t Go». Eh oui, ils repartent sur les traces des Them et du vieux riffing de Billy Harrison. Charlie fait son Van Morrison. Ils font une version longue, comme jadis les Amboy Dukes. Et pour finir, Charlie fait son Dylan dans «Ecology Blues». Même attaque de voix de pif. On aura tout vu. D’autant que c’est magnifico !
Les Subs reviennent en 1966 avec «Normal Service Resumed», fantastique album. Ils repunkent de plus belle avec «Dumfux» et «Killer Time» et bricolent avec «Jodie Foster» une sorte de classique du rock anglais, solide, bien cisaillé à la cisaillade et doté du meilleur des solos vitupérants. C’est sur cet album qu’on trouve l’excellent «Stangeways». Charlie y parle de cette taule de Manchester sur l’air de «Down In The Farm» - Iron door slammin/ Keys on chains - Ils enfoncent bien les clous - System system/ Prison regime ! - Autre énormité : «Bailiffs», un fantastique mid-tempo noyé de distorse. Charlie est en rogne - The media pigs have all the power/ Sell you shit by the hour - Fantastique énergie des Subs - The police treathen the bums/ To satisfy the tourist trade - On trouve de l’autre côté un remake de «Down On The Farm», coulé dans le son plus juteux et plus fluide d’Alan Campbell et les Subs dédient «Mohawk Radio» aux Indiens d’Amérique - Only you can save us now ! - Ils font aussi un «Reaper» qui sonne un peu pop - Tonight is the night of the reaper - et ils reviennent aux choses sérieuses avec «All The People». Les Subs c’est la même chose que Motörhead. On sent la force d’un système qui disparaîtra avec Charlie, comme Motörhead a disparu avec Lemmy. Et puis on restera sur un petit mystère : la Lydia de «Lydia» est-elle Lydia Lunch ?
Nouvelle équipe pour «Occupied» qui sort en 1996. Ils démarrent avec «Let’s Get Drunk» qui sent bon le pub anglais. «DF 118» est une belle crise de cisaillerie, l’apanage des Subs. Retour à l’énormité avec «Public Adress» - We are the underclass/ We only get in the way - C’est une chanson foutrement engagée au nom de tous les dépossédés de la vieille Angleterre. Autre énormité : «One Of The Girls», heavy rock hanté par des chœurs fantômes, avec un Charlie qui chante à l’insidieuse. Just perfect ! On passe un peu à travers la B. Il faut attendre «The Great Northern Disaster» pour retrouver un peu de viande et «Ode To Completion» pour retrouver Charlie dans son rôle préféré, celui de Johnny Rotten, d’autant que le guitariste Alan Campbell se prend pour Jonesy.
Le «Peel Sessions 1978-1979» qui paraît en 1997 vaut le détour, rien que pour le son. On y entend la formation d’origine et ils attaquent avec «I Couldn’t Be You», un punk-rock d’harmo terrible. S’ensuit une version ultra-énergétique de «Tomorrow’s Girls». Quelle pétaudière ! Et bien sûr quand on arrive à «Stranglehold» on chante en chœur. Ils jouent aux guitares éclatantes avec une énergie qui en dit long sur leur ambition. C’est le hit des Subs avec un solo déboîté de Nick Garratt. Avec «Killer» on a une fantastique embardée dans les Ardennes, c’est battu à la diable, puisant et riffé à la cocotte fatale. Explosive power ! Et bien sûr, «Crash Course» sonne comme un hit dès l’intro. C’est joué au beat tribal d’exaction blastmatique. Nick reprend un solo killer dans «Lady Esquire» et ils terminent avec un «Emotional Blackmail» qui est aussi le hit des Subs, extrême de tension et cisaillé à la cocote perfide. Charlie chante comme un champion hors catégories et il pose ses blackmail sur un tatapoum parfaitement dévoyé.
«Quintessentials» n’est pas le plus bel album des Subs, mais il reste bien énervé. On a la grosse dose de cocotage habituel dans le morceau titre, un cocotage qui comptera dans l’histoire de la cocote anglaise. Nick Garratt est un cocoteur d’ampleur catégorique. Les Subs adorent aussi jouer avec l’idée des armes, comme on le voit dans «AK 47» - City burning down - Et il faut attendre «Outside Society» pour renouer avec l’énormité, ce genre de petits miracles dont sont capables les Subs - Try to get a job/ Try to get straight/ I get a door in my face every step I take - En un couplet, Charlie résume un problème de société. C’est sa grande force - So fuck you/ I’m stricking back - Avec «Bitter & Twisted», ils font du punk de pub et c’est solide. On se croirait au Hope avec les Hot Rods. Même énergie. Charlie connaît bien le circuit. Ils tapent dans l’heavy decadence of sorts avec «Accident Prone». C’est incroyable qu’ils sortent un truc pareil ! - Name your poison/ Practice your religion/ Bow to the system - Joli coup d’heavyness. Ils bouclent avec l’excellent «Dunblane» joué à l’harmo magique - A child is born with a gun in his hand - Voilà encore une belle pièce de heavy power pop de pub plein de pattes d’harmo et de banjo.
«Riot» vaut l’emplette pour cinq raisons principales. Un, «Cyberpunk», attaqué à la mordante extrême. Nick Garratt est bien là pour en découdre et il stompe sa punkaillerie sans ménagement. Deux, le morceau titre, dont les paroles sont un chef-d’œuvre de mécontentement - Inner city is getting me down/ Police and gang wars all over the town - C’est un hymne d’attaque avec des ho-ho et un break de basse d’Alvin Gibbs. Trois, «House Of Card», un fabuleux mid-tempo visité par Nicky - Living in this madhouse makes me feel so crappy - Quatre, «Guilty Man». C’est du pur jus de Pistols. On y retrouve tout ce qui faisait la grandeur des Pistols. C’est un cut franchement digne de Nevermind, même son et même énergie. Cinq : ils font aussi du garage exceptionnel avec «Lost Not Found» - Catch that burning sound/ Kick me to the ground yeah - c’est éclatant de violence et parfaitement stupéfiant. Voilà encore un grand disque de rock anglais qui n’a pas à rougir de ses états de service.
«Sub Mission» est un Best Of. Mais on se surprend à réécouter les classiques des Subs avec un plaisir non feint. On retrouve «Captain Scarlet», «Thunderbird Wine» et «Hey Santa» bourrés d’énergie, de booze et de cockney. Dans la version de «Down On The Farm», on entend les grillons et le coq, puis une basse élastique incroyablement sourde. C’est le hit motel de la mortadelle. Ils nous farcissent ça d’accords criards jusqu’au trognon. Ce Best Of vaut surtout le détour pour l’incroyable «Another Typical City» qui est l’un des vrais hits des Subs et qu’on ne trouve pas sur les albums. C’est énorme. Pourquoi ? Parce que gratté aux accords de glam. Encore du pur jus de Subs avec «Ozone Drath», fulgurant et bien senti, même si ce n’est pas Charlie qui chante. Ils nous montent un mur du son dans «Stangeways». C’est même hallucinant de grandeur et noyé dans les guitares anglaises. On a là une tension terrifiante avec les incendies de rigueur et une sorte de clameur universelle. Voilà le pur génie punk des Subs. Encore une belle perle avec «Outside Society», un cut explosif digne des Pistols, et même encore plus explosif avec ces chœurs qui font ah ahhhh ! On trouve à la suite une bombe de punk anglais intitulée «Bitter & Twisted» et ils bouclent avec «Riot» et les hélicos, dans la dignité du grand punk-rock britannique.
Comme ils n’avaient rien de nouveau pour la lettre T, ils ont enregistré un nouveau Best Of et l’ont intitulé «Time Wharp». Nick Garratt et Alvin Gibbs font partie de l’aventure. Ils font une version bien grasse et presqu’informelle d’«Emotional Blackmail», une version de «Crash Course» aux power chords de cocotage et un «CID» emmené au vrai tatapoum. C’est drôle, on s’attache toujours plus aux Subs. Ils savent déclencher un CID ! On assiste à une fantastique série de déménageries, franchement. Leur version d’«I Live In A Car» est carrément stoogy et «Down On The Farm» reste certainement leur plus grand hit. Ici, il est bien amené à la charley et au riffage entreprenant. Charlie a changé toutes les paroles. Encore un shoot d’adrénaline avec «Stranglehold», l’un de leurs hits les plus puissants et les plus jouissifs. Charlie l’emmène très haut avec son énergie expiatoire. Quelle fantastique partie de basse ! Ces mecs ont désormais toutes les cartes, alors ils gagnent à tous les coups.
Alan Campbell est toujours là pour «Universal», paru en 2002. Avec «Soho», les Subs donnent une sacrée leçon de puissance. Alan Campbell nous fait la grâce d’un son gras et mélodique. On reste dans la chanson engagée avec «Third World England» - People dying of starvation - Charlie pense que l’Angleterre s’enfonce dans le tiers-monde - 1st world England and 3nd world crime - Par contre, avec «Universal», il chante un hymne à la canaille - Assholes are universal/ One size fits all - De l’autre côté, Charlie fait son gros méchant loup dans «White Lie» et joue avec le feu dans «Don’t Blame Islam» - Religion is evil/ Rape the poor - Charlie adore provoquer. On trouve en fin de face une belle chanson colérique, «Custody» - Neighbourhood/ Is burning down/ Leave this city/ Blow this town - Fantastique !
Et voilà, on arrive à la lettre V avec «Violent State» qui n’est pas vraiment un album, mais un live enregistré en 2004. Un de plus, dira-t-on. On y trouve pas mal de classiques comme «Emotional Blackmail», un «Cyber Junk» encadré aux chœurs de cathédrale et un «Mouth On A Stick» sévèrement cocoté, comme si Steve Jones traînait dans les parages.
Miraculeusement, les Subs débarquent à Rouen. Pas de vinyles, bien sûr, à la table des marchandises, mais la copine de Jet distribue un petit sticker qui annonce la parution du 26e et dernier album des Subs, Ziezo. Il faut aller sur Plegemusic.com pour le financer (même principe que les albums de Ginger, tout est financé par les fans, c’est du hors commerce et donc pas d’intermédiaires véreux).
On voit aussi dans le studio-vitrine le pauvre Charlie Harper répondre à des questions normandes. Il se conduit courtoisement, même s’il sent qu’il n’est pas dans son monde, car franchement les questions sont d’un niveau catastrophique. Tout s’arrange quand il arrive sur scène, bedaine en avant toute et ils reprend très vite ses prérogatives de légende du rock anglais, car c’est bien de cela dont il s’agit, plus que de punk-rock. Jet joue dans son coin comme une cat échappé des caves. Il joue sur la petite guitare jaune de Johnny Thunders et rocke le blast de toutes ses forces. De l’autre côté, Alvin Gibbs redore le blason des grands bass players anglais, il joue tout à l’aller-et-retour aérodynamique, combinant les razzias de bas de manches et les génuflexions délibérées. Il vole le show, avec son sens de la déboulade de gammes et sa dynamique jambaire extravagante. Vous ne verrez pas beaucoup de bassistes de ce niveau, je vous le garantis. Derrière ce set flamboyant, il y a tout simplement quarante ans de scène et de ferveur, de survie dans un milieu extrêmement élitiste qui est celui du rock anglais, quarante ans de bruit et de fureur, de tournées et de drogues, de ponts jetés par dessus les genres, mais franchement quand on les entend attaquer «Down On The Farm», c’est un rivière de frissons qui coule sous la peau. Il y a un peu de pogo dans la salle, mais pas trop. Bizarrement, Charlie qui est un homme de contact ne parvient pas à établir le contact avec le public. Seul un grand type au premier rang chante tout en double avec Charlie le survivant.
On pense bien sûr à Gerry Roslie qui atteint le même âge canonique et on se dit que ces mecs ont beaucoup de courage pour monter sur scène à leur âge. C’est bien au-delà de la vocation. Les mauvaises langues insinueront que c’est alimentaire, mais même si c’est pour manger, il faut de sacrées ressources pour grimper sur scène et faire le con pendant une heure et demie quand on a soixante-dix balais. À cet âge-là, la plupart des gens ont la goutte au nez et commencent à se ratatiner sérieusement. Pas Charlie. Comme quoi le rock ça conserve. D’ailleurs, il demande au public : «Ya know where I liv’ ?». Il n’attend pas et répond à la place du public : «I Liv’ In A Car» !
Alors Alvin saute en l’air, comme il l’a toujours fait, et puis on voit Jet de l’autre côté se plier en deux sur son chorus comme s’il venait de recevoir une balle dans le ventre. Ils balancent une version capiteuse de «Stranglehold» et un «Warhead» qui passe mille fois mieux sur scène que sur disque, et bien sûr, ils font un carnage avec le vieux «CID» en rappel. Comme Charlie a bon cœur, il fait aux Normands un beau cadeau d’adieu : il transforme son «Party In Paris» en «Party In Louen». Ooh la la Ooh la lay !
Signé : Cazengler, UK Sot
UK Subs. Le 106. Rouen (76). 20 janvier 2016
UK Subs. Another Kind Of Blue. Gem Records 1979
UK Subs. Brand New Age. Gem Records 1980
UK Subs. Crash Course Live. Gem Records 1980
UK Subs. Diminished Responsibility. Gem Records 1981
UK Subs. Endangered Species. NEMS 1982
UK Subs. Flood Of Lies. Fallout Records 1983
UK Subs. Gross-Out USA. Fallout Records 1984
UK Subs. Huntington Beach. FRB Recordings 1986
UK Subs. In Action (Tenth Anniversary). RFB Recordings 1986
UK Subs. Japan Today. Fallout Records 1987
UK Subs. Killing Time. Fallout Records 1988
UK Subs. Live In Paris. Released Emotion Records 1990
UK Subs. Mad Cow Fever. Fallout Records 1991
UK Subs. Normal Service Resumed. Fallout Records 1993
UK Subs. Occupied. Fallout Records 1996
UK Subs. Peel Sessions 1978-1979. Fallout Records 1997
UK Subs. Quintessentials. Fallout Records 1997
UK Subs. Riot. Cleopatra 1997
UK Subs. Sub Mission. Fallout Records 1999
UK Subs. Time Wharp. Cleopatra 2001
UK Subs. Universal. Combat Rock 2002
UK Subs. Violent State. Combat Rock 2004
UK Subs. Work In Progress. Captain Oi! 2010
UK Subs. XXIV. Captain Oi! 2013
UK Subs. Yellow Leader. Captain Oi! 2015
Classic Rock #145 - June 2010 - The Rock’n’Roll Survivors Issue - UK Subs by John Robb.
29 / 01 / 2016
SUPERSONIC / PARIS 12°
JUNIOR RODRIGUEZ & THE EVIL THINGS
GUILTY SO WHAT ! / CHATEAU BRUTAL
J'y suis allé à reculons. Non par prévention envers les groupes. Je ne les connaissais pas avant de les repérer sur le blog de Guendalina Flamini. Comme cette satanée photographe n'a pas l'habitude de clicher les tranches de rocktadelle molle, j'ai suivi son conseil. Me suis décidé en cinq minutes, la sagesse recommandait de rester au chaud avec mon rhumoféroce qui assaillait mon pauvre cerveau. Mais dans chaque rocker sommeille un guerrier spartiate. Ai avalé d'un coup la consommation semi-annuelle de cachetons d'Elvis et ai cavalé jusqu'à la teuf-teuf mobile.
En descendant à la station Bastille, pas du tout biscornu de repérer la rue Biscornet. Pour le 19, encore plus facile, par une large baie vitrée, vous apercevez la scène avec les instruments dessus. Supersonic, salle de concert, joliment bien chiadée, les gars qui ont pensé l'espace se sont débrouillés comme des chefs, vous leur filez un timbre-poste et ils y casent dessus le circuit d'Indianapolis. Le bar, l'étage mezzanine, le fumoir, la régie son, comment faire beaucoup avec peu. Ambiance cool, sympa, étudiants bobo, mais beaucoup d'amateurs.
GUILTY SO WHAT !
Acquittés dès les premières notes. Cinq prévenus, qui trafiquent dans les garages. Maquillent les voitures mais vous les revendent à bon prix. Deux guitars, une batterie, une basse, et Cédric Appietto dont la voix vous met en appétit. Grand, à l'aise mais pas frimeur pour deux sous. Guilty vous sert un rock calibré, équilibré, sans surprise, mais qui déménage. Se revendiquent – entre autres – du punk, mais ils sonnent comme un combo de base des années soixante, tout est en place et tombe pile-poil. N'en font pas des tonnes, les morceaux se terminent abruptement et très vite ils passent au suivant. Insane, Dust, Get what you need, ce dernier très stonien, batterie ronflante, guitares assurées, basse avenante, le rock and roll dans toute sa simplicité et son efficacité. Une excellente entrée en matière. Un hors d'oeuvre qui vous met l'eau à la bouche.
JUNIOR RODRIGUEZ
& THE EVIL THINGS
Changement de matos ultra rapide. Très court conciliabule entre les guitaristes. Ça dure quinze secondes, mais vos oreilles se dressent, une demi-mesure de Dazed and Confused, et puis ça se perd dans les derniers gratouillages d'accordage. Regards circulaires. Terminé. La féérie commence.
Un froissement de gazelle, une écharpe de soie, un suintement d'extase, c'est quoi, c'est qui ? C'est Junior Rodriguez et sa guitare. Comment fait-il ? Je n'en sais rien, à peine si ses doigts frôlent les cordes. En tout cas elles chantent la rhapsodie du désert et le cri des engoulevents qui engouffrent le vent tout là-haut. Another Time, Another Place, nous voici transportés en un pays magnifique du temps où les guitaristes ne grattaient pas comme des sauvages mais peignaient des paysages oniriques. L'est beau comme un ange, avec ses cheveux noirs qui enserrent la finesse de son visage de poète romantique, pieds nus sur la terre sacrée du rock. L'esprit totémique du rock plane sur nous. Rouge indien des rêves de survivance et bleu-noir des nuits massacrées. Peut-être est-ce pour cela que certains qualifient sa musique de psychédélic.
N'est pas tout seul. Yani Lotta ( shakin' goin' on ) est à la basse. Serait-il dans un autre groupe, vous demanderiez pourquoi le soliste n'a que quatre cordes. L'est une symphonie à lui tout seul. Fournit une somptueuse noirceur sur laquelle el Junior tisse ses mélopées incendiaires. Feust Light allume le feu de sa guitare de l'autre côté de la scène. Si j'étais lui, me ferais du mouron, quoi dire de plus que Junior ? Ben non, intervient sans arrêt, fait le lien entre le lead guitaro et la section rythmique. Fournit de l'épaisseur au son. Lui donne même du sens. Ne s'agit pas de faire de la jolie musique, l'ange a les ailes qui touchent le soleil, et même si la cire icarienne ne fond pas, le palmipède baudelairien doit avoir les pieds dans la boue du delta. Sinon, ce n'est plus du rock.
Fred ( whole ) Quota ( love ) est là pour le rappeler, il suit mais n'est pas suiveur. L'est l'ancrage au sol qui permet l'envol. Vont jouer une malheureuse petite heure, n'avez même pas le temps d'intégrer toutes les subtilités. Instrumentation d'une richesse inouïe. Dali was a liar, interprètent-ils, s'ils le disent ce doit être vrai, mais eux-mêmes projettent des schèmes oniriques de toute splendeur. Something You'll Never See, et vous ne pouvez qu'acquiescer, à cette musique qui s'infiltre derrière vos rétines et vous montre l'envers du décor qui se révèle encore plus beau que la réalité.
Et toujours cet impalpable toucher de corde, comme si c'était l'esprit qui jouait à la place de ses doigts. D'ailleurs souvent Junior lève son fétiche instrumental bien haut, comme une offrande aux étoiles pour qu'elle résonne du vide interstellaire des consciences. La passe derrière sa tête et la présente aux amplis. La lyre d'Orphée qui continue à chanter malgré la disparition du poète. Turn On The Light, car il faut ouvrir les portes de la perception pour accueillir le Sweet Demon. Le sucre de la vie et l'eau saumâtre du Mississippi quand les barrières cèdent.
Heavenlips, un de leurs premiers morceaux en début de set, gorgé de foutre et de sperme, une envolée lyrique qui a fait rugir de plaisir le public agglutiné sur le devant de la scène. Le rock avec une dimension supérieure, celle de l'artiste œil limpide de l'univers, n'ont qu'à refermer leurs paupières en fin de show pour que leur présence se transforme en absence dérélictoire. N'en ai pas parlé, mais Junior se charge aussi du chant, voix qui colle parfaitement à ses morceaux et en souligne la multiplicité interprétative.
Un petit regret, j'eusse aimé qu'ils glissassent un petit stoner rock de derrière les fagots juste pour entendre la perfection des guitares. Perso, si je montais un groupe de rock, je commencerai par brûler la camionnette de Junior Rodriguez & The Evil Things, manière d'éliminer la concurrence dans le voisinage. Ce serait trop tard, ils ont déjà été repérés par la presse anglaise.
CHATEAU BRUTAL
Troisième et dernier groupe. Difficile de trouver un meilleur groupe que Junior Rodriguez et ses choses diaboliques. Alors ils ont pris le pire. Ce n'est pas une critique, simplement un choix esthétique. Le rock ramené à son plus petit dénominateur commun. Ne sont que deux sur la scène. Un géant mastoc à la barbe noire de pirate à la guitare, se prénomme Cusmar Brutal, et un grand viking dégingandé, chevelure rousse à boucles flamboyantes, bientôt torse nu, le dénommé Chateau Brutal. Aux drums et au micro. C'est Cusmar qui chante mais c'est Chateau qui bonimente.
Evitons les amalgames. Si vous pensez déguster un château Margot entre amis bien élevés, en discutant de philosophie, passez votre chemin. Chateau Brutal c'est plutôt le genre bar à bière et plaisanteries bien grasses. Du rock and roll, ils n'ont retenu que deux composantes essentielles : le rentre-dedans et la provocation; attention pour la subtilité des propos vous repasserez. Ne connaissent que le premier degré.
Tout devant et rien derrière. Scénographie des plus simples : Cusmar vous tire du plumard vite fait, un riff des plus simples à fond répété deux cent cinquante fois, des paroles auprès desquelles les lyrics des Ramones atteignent à des fragrances proustiennes, et puis des rouquinades de batterie pulvérisantes destinées à vous hacher la cervelle aux petits oignons frits dans de la graisse de mammouth.
Quand c'est fini, ça recommence. A part que ce soir le diable s'en mêle. Rien de plus terrible pour un guitariste qu'une guitare qui ne produit aucun son. Une fois, l'on en rigole, deux fois l'on rappelle la malédiction des Dardanelles, trois fois le batteur nous fait un numéro, encore plus vite, encore plus fort, encore plus violent. A ce rythme-là, va nous péter une durite cardio-vasculaire. Heureusement qu'il possède un instrument de secours. Sa bouche. Grande gueule qu'il utilise pour des vannes de troisième mi-temps d'équipe de rugby du grand sud-ouest. Pour être plus près de la vérité sportive, niveau fan hardcore du Paris Saint Germain ( qui désormais ne priera plus pour nous ). Le public rigole, comme quoi quand l'on vous chatouille dans le sens des poils du cul, cela fait toujours plaisir.
Au dixième essai, Cusmar dégoûté jette sa gratte à terre. Pas de panique l'en a une seconde. Et c'est reparti comme en quatorze pour l'attaque de la tranchée, obus de grosse Bertha à la batterie, et baïonnette au fusil pour la guitare. Et le combat cesse faute de combattants. Bis repetita non placent. Cusmar commence à s'énerver. Chateau Brutal vous prend de petits airs de château branlant. Brutal le châtelain se marre, l'invite les amis au micro. C'est Adel qui s'y colle et nous avons droit à un étrange falsetto ultra rapide sur tempo de batterie dynamite.
Cusmar a trouvé le coupable. L'a jeté sa deuxième scie mécanique, repris sa première et fini par accuser le jack. Son compère en profite pour lancer de ces plaisanteries qui ne sucent que si l'on s'en sert, ce qui a le miracle de détendre l'atmosphère. Je vous épargne le chapelet de jurons qui marche avec.
Guilty so What ! Se dévoue et leur passe une guitare pour les trois derniers morceaux. Miracle elle fonctionne et Cusmar n'aura pas besoin de la projeter violemment sur les deux précédents cadavres. J'ai oublié de préciser qu'au tout début du set il s'était déjà débarrassé de sa pédale. ( Ouah ! Ouah ! Comme disait mon chien Zeus ). Terminent comme ils ont commencé par du rentre-dedans à la mord-moi le noeud vite et bien. Finissent acclamés par la foule. Rescapés de la Méduse du rock and roll qui fluctuat nec mergitur. Faut bien un peu de sapience latine pour faire passer ce rock primaire revendiqué haut et fort. Bruiteux et sympathiques.
RETOUR
A onze heures et des poussières le concert est révolu. Je m'éclipse après un dernier salut à Adel. Merci à la teuf-teuf qui m'a ramené toute seule à la maison. Me suis écroulé après avoir avalé l'autre moitié de la ration annuelle du Pelvis. Apparemment j'ai survécu, après cette soirée russo-montagnarde. J'aurais bien mis Junior Rodriguez & the Evil Things en fin du spectacle, mais l'orga en a décidé autrement. L'after punk hardcore possède ses limites qu'il revendique fièrement. Signe des temps d'une société qui naufrage sous nos yeux et qui n'a plus la volonté d'édifier des pyramides de rêves. Juste marquer le tempo de son anéantissement.
Damie Chad.
MICK
SEX AND ROCK'N'ROLL
CHRISTOPHER ANDERSEN
( JC LATTES / 2012 )
Les cinquante ans de carrière des Rolling Stones ont suscité bien des livres. Spécialiste de la famille royale ( God save the queen, she's a fascit pig ! ) Christopher Andersen a voulu enfoncer le coin, là où ça fait le plus mal. S'est donc fendu d'une autobiographie unauthorised de Mick Jagger. Non autorisée, l'appellation est classieuse, tout de suie vous êtes classé parmi les irrévérencieux, les esprits libres et forts. Je ferai simplement remarquer aux lecteurs de KR'TNT ! que toutes les chroniques qu'ils lisent avec une sublime délectation sont totalement unauthorised. Ne nous emballons pas donc si vite.
S'attaquer à Mick Jagger n'est nullement dangereux. L'homme a acquis une telle célébrité qu'il est au-delà de tout reproche. Se situe à un tel stade de représentation phantasmatique que l'eau de vaisselle la plus sale versée à pleines cataractes sur ses lèvres lippues n'est qu'un additif ruisselet de plus aux ondes tumultueuses qui font tourner le moulin de sa renommée. Peut dormir sur ses deux oreilles, il n'ira jamais trop vite.
Fallait donc accrocher le lecteur français, conscient que cette bio de Jagger rédigée par un tiers ne ferait pas le poids face à l'Autobiographie – qualifiée de sulfureuse par la presse unanime – de Keith Richards, l'éditeur a transformé le titre anglais original The Wild Life and Genius of Jagger en Mick ( tout de suite, vous avez l'impression de faire partie de ses intimes ) suivi de Sex and Rock'n'Roll. Ce second mot garde encore pour le public français une connotation tant soit peu maléfique, mais c'est le vocable sex qui tout de suite vous pénètre les synapses avec la force dévastatrice d'un troupeau d'éléphants dans le Musée de la Porcelaine de Limoges.
Evidemment le bouquin cause de rock and roll. Ce n'est pas le sujet principal : celui-ci serait plutôt la personnalité de Jagger. Andersen nous conte la carrière des Rolling Stones, disque par disque. Et la saga des tournées qui les précédèrent et les suivirent. Mais plus on avance dans la discographie, plus il délaisse l'idiosyncrasie de chaque galette pour s'intéresser aux ventes des albums et aux millions de dollars récoltés par les Stones. Z'auraient mieux fait d'intituler le book, Mick, l'argent et le rock'n'roll. Malheureusement, tout le monde le sait, si l'argent fait rêver, il ne fait pas vendre. L'est sûr que les chiffres sont vertigineux et que Mick Jagger se retrouve à la tête d'une fortune qui tourne autour d'un milliard et demi de dollars.
Le pire c'est qu'avec cet avoir monstrueux Jagger n'attache pas les banknotes avec des saucisses. L'est un peu radin, pas le genre de mec à vous laisser un gros pourboire, discute avec le taxi pour payer un ou deux euros de moins sur la course, rechigne pour régler la pension alimentaire de sa fille... Ce qui ne l'empêche pas de s'offrir de petits appartements un peu standing à cinq ou six millions d'euros...
Ce qui choque un tantinet nos âmes pures de rockers, c'est que Jagger ne jette pas the money par la fenêtre, le garde jalousement, fait bien attention à ne pas se marier sous le régime de la communauté des biens, et pire, le thésaurise en placements dans l'immobilier et le cinéma. Mais arrêtons de jouer aux pauvres qui ne cessent de parler d'argent.
L'est quand même pour beaucoup dans le succès des Stones. Ses acolytes n'y sont pas pour rien non plus, mais ses déhanchements suggestifs, ses virevoltes infatigables attirent les filles. Ne sera pas le premier chanteur qui parvient à mettre nos jeunes demoiselles en transe. Mais il y a un plus, un truc inédit, pour parodier le grand timonier Mao Zédong, son influence agit aussi sur l'autre moitié du ciel. Les garçons ! Et ce ne serait pas un hasard. C'est là que nous avons droit à la monstrueuse révélation : la bisexualité de Jagger. Et Andersen n'y va pas par quatre chemins lorsque le loup sort du bois : cite les témoins qui ont trouvé le Jag au lit nu comme un ver avec... vous cite quelques noms pour que vous ne saliviez pas trop longtemps : Keith Richards, David Bowie, Rudolf Noureev... et cite les preuves accablantes, la petite jupette blanche de Hyde Park, son goût inné pour les déguisements féminins, son côté yin aussi fort que son yang...
Pourquoi pas, après tout tout le monde est libre de faire ce qu'il veut avec son corps. Et celui des autres, à condition qu'il y ait consentement réciproque. Le problème ( manière de causer ) avec Jagger c'est que durant un demi-siècle, elles vont être des milliers à consentir. Si possible des mannequins, des super nanas à gogo. Ce qui n'exclut pas les inconnues. Les consomme une à une et comme dans les supermarchés par lot de deux, trois, quatre... Sans compter les nuits d'orgie en totale mixité. A tel point que son épouse Jerry Hall, mille fois cocufiée et vexée, en vint à lui conseiller de consulter psychiatres, psychologues, et même les assemblées d'addicts sexual... Much ado about nothing aurait dit Shakespeare qui s'y connaissait en mégères apprivoisées... Pour les cu(l)rieux de nature, Andersen dresse avec soin la liste des conquêtes du compère. Une vie sentimentale agitée.
Les veut toutes, surtout si elles sont maquées avec un autre chanteur de rock. Pas d'équivoque il se présente comme le mâle alpha. Un trait typique de son caractère. N'y a pas qu'avec ces dames qu'il se comporte en maître. Circonstances aidant, il s'érige en chef incontesté et incontestable des Stones. C'est lui le patron qui signe les contrats et assure les affaires. Comme l'argent coule à flot, personne ne se plaint. Même Keith, qui a un sérieux consensus à régler, lui reconnaît cette qualité de businessman avisé. L'est le premier à déclarer que l'on ne change pas un Président Directeur Général qui fait pleuvoir le fric dans les caisses, telle la pluie d'or voluptueuse de Zeus entre les cuisses de Danaé...
N'est pas hypocrite, le Mick, ne se cache pas, il aime l'argent et les filles. L'en profite à foison et à toison. Refuse le mariage, Bianca parviendra à l'alpaguer parce qu'elle lui ressemble, enfant gâtée qui sait se faire désirer, mais pour le respect et la fidélité de Mick, elle pourra repasser. Ce sera inutile. Bye-bye fillette, j'ai autre chose à baiser. Le Mick ne donne pas dans les grands sentiments. Il utilise les gens et les rejette sans pitié et sans regret lorsqu'il décide de grimper à l'échelon supérieur. Les différents managers des Stones en feront la triste expérience, ne sont même pas remerciés : du jour au lendemain ils n'existent plus. Brian Jones un des fondateurs du groupe sera mis sur le banc de touche dès qu'il deviendra un caillou dans la mécanique bien huilée du succès.
Pire, il sait aussi retourner sa veste. Entre 1965 et 1968, Jagger présente les Stones comme l'avant-poste critique de sa génération. Sont des rebelles qui s'opposent au système. Des Street Fighting Men. Belles rodomontades, tout cela pour finir par se faire médailler par la famille royale à Buckingham Palace... Même Keith ne se gêne pas pour le critiquer vertement. Révolutionnaire dans sa jeunesse, parvenu la quarantaine affichée, s'acoquine à la gentry la plus réactionnaire ( notamment le milliardaire Donald Trump qui est en train de briguer le poste de la Présidence des Etats Unis sur des positions conservatrices très fachisto-libérales ), l'est devenu un personnage essentiel de la jet-set...
L'animal possède des qualités. Dynamisme et clairvoyance. S'accroche, ne se laisse pas rebuter par les obstacles. You Can't Always Get What You Want, est un titre des Stones, Jagger a su le transcender. Quand il désire quelque chose, se donne les moyens pour y parvenir. Trois ans qu'ils ne sont pas partis en tournée, trois ans de fêtes et d'excès ininterrompus. Le Jagguar descend de son arbre sur lequel il se pavanait tel un pacha. Le show must goes on. Avec lui. S'applique, régime et sport. Si nécessaire il prend même des cours de danse. N'a pas honte de prendre un coach pour lui enseigner les chorégraphies qu'il a mises au point des années auparavant pour occuper le devant de la scène. Entendez le rire sardonique de Keith qui ne peut se retenir de mépriser son camarade...
Les Stones sont immortels ( c'est ce que les fans assurent ) mais les membres n'en sont pas moins soumis aux doléances de l'âge. Ces dernières années Jagger ferait moins souvent le beau devant les demoiselles. Lui dont toutes les amantes ont vanté les prouesses et le savoir-faire érotique, se confronte à une terrible réalité : les jeunes filles le trouvent sympathique et séduisant mais elles traversent moins souvent le Rubicon du sexe, il pourrait être leur grand-père pouffent-elles entre copines. Phrase porteuse d'une amère philosophie ! Après dix-huit ans l'a divorcé de Jerry Hall mais n'arrête pas de lui rendre visite. Pour les enfants. Qui commencent à atteindre la trentaine. Jerry compatissante décèle une grande solitude.
Difficile d'être quand on a été. L'a même essayé d'exister tout seul sans les Stones, y a cru un moment. Mais l'a dû déchanter. Les gens aiment le son des Stones. Se foutent du Jagguar qui miaule tout seul sur sa branche. S'entoure des cadors de son époque ou des fils de pour paraître plus jeune, rien n'y fait personne n'en veut.
Mick s'est toujours défendu d'avoir touché à la drogue. Déclare qu'il n'était pas fait pour cela, un petit joint par ci par là, un mandrax pour essayer, un LSD juste du bout de la langue, aucun mérite susurre-t-il, ce n'est pas son truc. Mais dans le bouquin Andersen nous le présente comme la reine des neiges, toujours en train de renifler... l'a su tirer les leçons de son emprisonnement de jeunesse. Inutile de folâtrer sous la gueule du Léviathan étatique en colère.
Mais il est temps de laisser la parole à ceux qui l'ont le mieux connu, sa mère qui jusqu'à sa mort, harcelée par les journalistes décidés à lui arracher un commentaire sur les frasques de son fils, prit toujours sa défense et lui trouva sans cesse des excuses. Son père, professeur de sport qui l'éleva à la dure. Des pompes tous les jours. Même aux premiers temps de la formation des Stones, il ne le laisse rejoindre Keith et Brian que s'il a d'abord effectué ses mouvements... Une discipline de fer qui finit par porter ses fruits si l'on en juge par la réussite du rejeton.
Un Jagger qui ne sort pas grandi des ces pages. L'est sûr qu'Andersen instruit à charge. Mais en gros, l'itinéraire de l'artiste est assez bien saisi. Comme Jagger a déclaré à plusieurs reprises qu'il s'interdisait d'écrire sa propre autobiographie, le travail d'Andersen se révèle quelque part utile. De toutes les manières, le fan de base – j'en suis un – balaiera tout cela d'un revers de main. Pacotille quand l'on écoute Paint It Black ou Time Is On My Side... et si on y réfléchit un peu, l'existence d'un Baudelaire est assez terne quand on la compare à la splendeur des Fleurs du Mal. J'ai même l'intuition que le divin Charles aurait troqué sans hésitation son train-train quotidien contre celui ô combien plus coloré de Mick Jagger. Moi aussi. Sex, drugs and Rock and roll, quand on y pense, ce n'est pas si mal que cela !
Damie Chad.
LE LIVRE DE THOT
ALEISTER CROWLEY
Traduction : PHILIPPE PISSIER
( Editions : ALLIANCE MAGIQUE / 2016 )
Jimmy Page est un homme charmant. Demandez-lui quelques renseignements sur les rééditions de Led Zeppelin et il se met en quatre pour vous fournir toutes les explications nécessaires. Revient longuement sur les conditions originelles des enregistrements et vous décrit par le menu le travail de reviviscence audio-thérapeutique qu'il a effectué avec un soin maniaque... Vous en profitez pour glaner quelques renseignements inédits sur ces jours heureux où le Dirigeable dominait de sa puissance le monde du rock. Mais attention, l'homme reste secret. L'est des moments où les heaven's gates de la connaissance se ferment hermétiquement si vous tentez d'en savoir davantage sur ses accointances passées avec l'œuvre d'Aleister Crowley. Les journalistes se taisent prudemment et évitent les questions qui gênent et fâchent. Ne se demandent même pas si ce mutisme obstiné ne correspondrait pas au silence de l'Adepte.
Ceux qui veulent en savoir plus n'ont qu'à directement puiser à la source des écrits d'Aleister Crowley. En reviennent la plupart du temps complètement dégoûtés. Faut un sacré bagage – bien supérieur aux maigres mallettes pédagogiques dispensées par nos institutions scolaires – pour goûter aux textes du Mage. Jeux de mots, obscures allusions et assertions biaisées abondent, encore faut-il posséder quelques rudiments de sciences occultes pour comprendre la démarche de ces arides traités quelque peu rebutants...
Toutefois nous possédons en France, un talentueux traducteur en la personne de Philippe Pissier. Voici plus de vingt ans qu'il a entrepris la passation de l'oeuvre crowleyenne en douce langue françoise. Pas le beau style stérile de Flaubert, plutôt la sapience celée des proses rabelaisiennes. Nous renverrons par exemple le lecteur à notre chronique 162 de KR'TNT ! du 07 / 11 / 2013.
Le Livre de Thot est un des derniers ouvrages d'Aleister Crowley, il parut en 1944 mais la publication ne fut pas à la hauteur de l'entreprise. L'édition française de Philippe Pissier est la première qui ait pris souci de remédier à ses inconséquences. Les lecteurs de langue anglaise qui voudront accéder à un texte débarrassé de ses scories n'ont plus qu'à apprendre le français...
Avant d'ouvrir le livre, penchez-vous sur l'illustration de la couverture. Elle est due à Frieda Harris à qui Crowley attribue le titre d'Artiste Exécutante. Elle fut la dernière compagne du magicien. C'est elle qui en effet peignit et confectionna sous les directives de la Grande Bête les vingt-deux images des atouts du Tarot, dont le Maître explique la signification dans son livre. Au vu de la somptuosité de cette première illustration il est dommage que dans le bouquin les vingt deux icônes tarotiques nous soient hélas transcrites en noir et blanc. Mais que le lecteur ne désespère pas : suffit d'allumer votre internet et de taper le nom de l'artiste pour les voir en couleur.
Le texte est beaucoup plus ardu que la contemplation des réalisations picturales de Frieda Harris. Deux principes aideront le néophyte à en percer les arcanes. Le premier est abondamment explicité par l'auteur : la grille interprétative du tarot est avant tout numérologique. Ce qui n'exclut aucune synesthésie avec tout autre mode d'appropriation intellectuelle. Mais il est clair que nul n'y pénètrera s'il n'est d'abord géomètre. Ne s'agit pas de calculer la surface de la terre ou de l'univers mais d'en tracer un plan numérique imperfectible. Selon Crowley, le tarot est une cartographie du Tout calquée sur l'arbre de vie et séphirotique de la qabale. Dix Nombres et les sentiers qui permettent de naviguer de l'un à l'autre. Vingt-trois chemins ( je sais vingt-deux, mais c'est sans compter l'absente de tous bouquets mallarméenne ) – 23 le chiffre éristique de la destruction – qui issus du Rien expriment le tout. Comme quoi l'Un unique et unitaire est la conséquence du vide et le vecteur dérivatif de toutes multiplications et divisions. Vision très schivaïque quand on se donne la peine d'y penser. La qabale puise ses sources dans la gnose hébraïque mais elle a été méchamment pollinisée par l'apport grec ( orphisme, mythologie, platonisme, pythagorisme ) et la gnose chrétienne.
Le deuxième principe, Crowley ne l'explicite pas, il l'expérimente sans fin. Un lecteur non averti est vite submergé. N'emploie que des symboles qui dérivent vers d'autres symboles. Défilent sous les yeux hagards de l'élève des renvois incessants à toutes les cultures religieuses. Pour ne pas se perdre, il est nécessaire de garder en tête la simple idée que tout symbole est réversible. Exemple de bas étage : le lion symbolise aussi bien la bravoure du chevalier qui défend la veuve et l'orphelin que la force despotique du tyran assoiffé de sang et de rapines. Si vous ne parvenez pas à comprendre la relation d'égalité entre le personnage du Christ et le poisson du premier avril, il vaut mieux que vous ne continuiez point votre lecture. L'évidence doit vous sauter aux ou dans la poêle à frire. Si vous accrochez à l'hameçon de cette devinette égalitaire, engouffrez-vous dans le texte, jetez vos filets, ils seront aussi pleins que celui de Pierre, au fond de l'eau.
Vous reste maintenant à interpréter le sens global du texte. Pour les esprits pratiques, c'est facile ( enfin tout est relatif comme disait Einstein à qui Crowley fait de fréquentes allusions ). Vous avez tout ce qui faut pour devenir une gitane diseuse de bonne aventure. Les notices explicatives de chaque carte vous sont fournies dans les dernières cent pages. Achetez vous une robe à falbalas, mais surtout n'oubliez pas les rituels. Faut les apprendre par coeur. Et oui, ça se corse comme l'on dit sur l'île de beauté.
C'est que voyez-vous le tarot selon Aleister Crowley n'est pas un jeu de bonne société. Tout geste – et surtout les rituelliques – ont une action sur l'ordre du monde. Pas obligatoirement néfaste. Demandez à Gérard de Nerval dont le fameux sonnet peut être lu comme la simple description des arcanes majeures d'un jeu de tarot. Mais peut-être en ai-je déjà trop dit. Cela vous aidera sans trop d'efforts à comprendre le silence de Jimmy Page.
Un livre essentiel. Faites attention, ne vous précipitez pas. L'abîme est profond.
Damie Chad.
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