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30/09/2015

KR'TNT ! ¤ 249 : STOMPIN' RIFFRAFFS / BRITISH ROCK / JALLIES

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 249

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

01 / 10 / 2015

 

 

STOMPIN' RIFFRAFFS / BRITISH ROCK / JALLIES

 

 

BETHUNE RETRO / 29 & 30 Août 2015

 

STOMPIN' RIFFRAFFS

 

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LE RAFFUT DES RIFFFRAFFS

 

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On ne savait pas encore qu’il s’appelait Nao, mais on voyait bien qu’il était japonais. Petit et bien typé. Et comme il avait cousu un logo Wild Records au dos de son blouson de jean, il semblait logique d’en déduire qu’il jouait dans les Stompin’ Riffraffs, le groupe de rockab japonais programmé à Béthune Rétro. Il se tenait tout près, à la barrière, pour voir jouer ses collègues les Desperados, eux aussi sur Wild. Comme tous ceux qui se trouvaient agglutinés à l’avant, il semblait vraiment apprécier la bonne petite pétaudière des Desperados, et lui peut-être plus encore, car il rigolait. Il semblait vivre un moment tellement intense qu’il l’exprimait naturellement par la rigolade, comme le font sur scène Steve Diggles des Buzzcocks ou encore Kyle Rose Stokes, la bassiste intérimaire des Love Me Nots. On ne voit pas souvent les gens se marrer dans les concerts. C’est dommage, car on y va principalement pour s’amuser. Aller au concert, ou aller en répète, c’est la même chose que d’aller au bac à sable quand on a quatre ans.

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Les organisateurs de Béthune Rétro 2015 n’avaient pas mis le paquet sur l’affiche, comme lors les éditons précédentes. Pas de grands noms, mais une multitude de petits groupes piquaient la curiosité, et du coup ça redevenait une affiche alléchante. Ça nous convenait parfaitement, et petite cerise sur le gâteau, il ne pleuvait pas. Il régnait cette sorte de petite canicule continentale qui pousse hélas les pauvres hères desséchés dans les bras de Bacchus.

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Il fallut attendre le soir pour voir jouer les Stompin’ Riffraffs. On peut bien l’avouer, on ne savait vraiment pas à quoi s’attendre. Du wild rockab de pacotille ? Du hillbilly asiatique au gingembre ? Du cross-genre à la Delta Bombers ? Du bombast au soleil levant ? De la contrefaçon bien ficelée ? Du boppin’ Guitar Wolf ? Du groove cabaretier de Macao ? De l’exotica de caboulot taiwanais ? On se perdait en conjectures lorsque soudain Nao parut sur scène. Il portait un costume noir à col en lamé. Sa mèche noire lui dégringolait sur le visage. De toute évidence, ce petit mec avait une classe folle. Il tenait une sorte de Jaguar noire et bien entendu, il souriait. Et puis les autres Riffraffs sont arrivées, trois petites japonaises qui portaient des robes courtes en lamé or et des masques noirs. Et bien entendu, elles souriaient. Ce groupe dégageait un lourd parfum d’étrangeté juvénile. Mais dès qu’ils ont commencé à jouer, les choses ont viré à l’énormité. Seuls les Japonais sont capables de transcender les genres d’une façon aussi radicale. Ils vont faire une seule chose dans leur vie, mais ils vont la faire à fond. Bien sûr, ça frise le cliché que d’asséner un truc pareil, mais c’est ce qu’on comprend quand on voit jouer des groupes comme Guitar Wolf ou Thee Michelle Gun Elephant. Ils sont dedans et pas dehors.

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Et les mighty Riffraffs mirent leur set en route pour une petite heure de grand spectacle, taillant leur chemin dans un univers de rock exotico-fifties et fabuleusement dense. Nao est à la fois un chanteur excitant, un guitariste qui ne craint pas la mort et un showman hors du commun. Il a une façon terrible de lancer des regards au public, l’épaule relevée et la mèche dans la gueule, avec un sourire qui renvoie directement au génie de Mishima. Il y a quelque chose d’emblématique en lui. Il a cette aisance qu’on retrouve chez les pures rock stars. Il est aussi à l’aise sur scène que le furent en leurs temps respectifs Brian Jones ou David Bowie. On voit bien qu’il est habité par les démons du rock, ça ne fait aucun doute. Il sait se laisser tomber au sol pour partir en solo et se relever juste à temps pour choper le couplet au vol. Essayez, et vous verrez que ce n’est pas facile. Mais ce qui fait la puissance féerique du groupe, c’est la présence rigolarde et le jeu solide des trois rocking girls qui l’accompagnent. Elles ont souri du début à la fin du set, et il ne s’agissait pas du sourire niais qu’affichent les animateurs de jeux télévisés. Cette façon de sourire est l’expression d’une espèce de candeur qui n’appartient qu’aux Japonais. La plus spectaculaire des trois est Saori, la batteuse, perchée sur l’estrade. Elle développe un beat puissant qui se situe aux antipodes du tatapoum auquel nous ont habitués les autres girl-groups japonais. Saori bat le vrai beurre, elle barde son jeu d’élégantes relances et muscle son beat de base à la folie. Par sa classe de batteuse, elle évoque bien sûr l’implacable Doug Wray, le frère de Link. Cette fille, on la dévore des yeux. C’est toujours un plaisir capiteux que de voir jouer une vraie batteuse. Par sa niaque, elle évoque la fantastique batteuse des Magnetix. En plus, Saori sourit et là, on croit rêver. Ses deux copines font elles aussi le show. On avait repéré la petite bassiste dans le public qui assistait au set des Desperados. Très fine, pour ne pas dire plate, et très belle, elle allumait un peu, mais tout à fait involontairement, comme savent le faire les japonaises. Dans sa petite robe en lamé or, elle avait une classe épouvantable. Elle jouait au médiator sur une basse électrique et grattait bien ses gammes. Elle sortait un drive de basse incroyablement souple et vivace. Elle fournissait avec Saori la batteuse la texture d’une section rythmique exceptionnelle. Quelle équipe ! De l’autre côté jouait Miku sur un petit piano électrique, elle aussi explosée de rire sous son masque, vivante, fraîche, du style on est là pour déconner alors on explose tout ! Ces trois filles dégageaient autant d’énergie que Nao le petit prince du Rétro, et dans les moments de pure intensité, Miku quittait son clavier pour venir déconner au bord de la scène avec son theremin. Alors les choses se barraient en sucette, et on assistait à l’une de ces belles montées en température qui font la grandeur des sets, avec un Nao tombé au sol pour placer l’un de ces fulgurants solos dont il avait la secret. Ah si seulement tous les concerts de rock pouvaient être aussi joyeux et aussi dévoyés ! Leur set fut un sans faute. On nota au passage un cut qui ressemblait trait pour trait au «He’s Waiting» des Sonics.

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Nao attaqua le dernier morceau en s’approchant du bord de la scène et soudain, il bascula dans le vide ! L’horreur ! Spalssshhh ! Il gisait sur le dos, avec sa guitare encore branchée. Il y eut un blanc de quelques secondes. Franchement, on le croyait mort. Il s’agissait d’une chute de plus de deux mètres sur du pavé à l’ancienne. Deux photographes s’approchèrent du corps à pas de loups. Soudain, Nao se redressa, comme ressuscité, jeta sa guitare sur scène et regagna le backstage par la droite de la scène, comme si de rien n’était. Il avait eu plus de chance que Dan Kroha qui s’était pété la cheville à l’Abordage, en sautant d’une scène haute de trente centimètres.

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Il existe un album des Stompin’ Riffraffs sur Wild. On n’y retrouve pas la frénésie du set béthunien, évidemment, sauf peut être sur «Dance Fanny Dance» qui est une espèce de merveille définitive, emmenée aux bouquets de chœurs - Come on now ! - et au pas de charge. C’est dans ce cut qu’on mesure la puissance de leur blast surexcité. Nao multiplie les breaks géniaux et claque son cut au chant mélodique. Il y a vraiment du Frankie Ford en lui, il a ce genre de puissance. L’autre gros cut du disque est «Knock Down», qui sonne un peu comme une descente aux enfers. C’est vrai, cette formulation ne veut rien dire, mais les chœurs de folles créent un climat de démence latent. Ces gens-là ne cassent pas la baraque, oh non, ils préfèrent l’exploser. Nao démonte tout - Knock down go ! - Il y a dix mille fois plus d’énergie chez ce petit bonhomme que chez tous les punks anglais réunis. En l’écoutant chanter «Knock Down», on le revoit blaster sur scène. C’est un personnage de conte fabuleux, une sorte de Kyuzo, le maître d’armes des Sept Samouraïs de Kurosawa. Nao, c’est le Seiji Miyaguchi du rockabilly. On retrouve aussi sur l’album ces instros cavaleurs farcis au theramin. «Buxotic» sonne comme un instro rampant et dérangeant à la Link Wray et la grosse basse de la petite Rie chevrote désagréablement. C’est sur «Linda» qu’on entend le mieux battre cette merveilleuse reine de la relance qu’est Saori la rigolarde. Ces filles n’en revenaient sans doute pas de se retrouver sur une grande scène, dans le Nord de la France et face à un beffroi dressé dans la nuit. On l’entend battre aussi comme une dingue sur «Screaming On Wheels». Elle vaut largement tous les batteurs du monde et en plus, elle ne frime pas. Nao refait un gigantesque numéro de charme avec «You Shake Me Up» et ramène pour l’occasion sa classe qui est celle d’une pure rock star.

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Signé : Cazengler, stomping ric rac

 

Stompin’ Riffraffs. Béthune Rétro. 29 & 30 août 2015

 

Stompin’ Riffraffs. Stompin’ Riffraffs. Wild Records 2015

 

 

 

BRITISH ROCK

 

1956 – 1964 : LE TEMPS DES PIONNIERS

 

CHRISTOPHE DELBROUCK

 

 

( Castor Astral / 2013 )

 

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Les rockers sont comme les petits enfants, ils adorent qu'on leur raconte chaque soir la même histoire. Pas celle du petit gentil chaperon rouge qui désobéit à sa maman, mais celle du grand méchant loup qui se jette sur elle pour se, hideusement, goinfrer de sa chair juvénile. Attention, ils la connaissent par cœur, alors ne faut pas trop s'écarter de la terrible aventure. Tant pis pour ceux qui essaient de les faire pleurer sur le sort de la vieille innocente grand-mère, ont intérêt à numéroter leurs abattis. Surtout l'épisode qui se déroule au pays de sa très gracieuse majesté (she's just a fascit pig, selon les dire d'un pure and rosbeef poète ). Avec les amerloques, ils n'osent pas trop moufter, un immense pays, très loin de l'autre côté de l'océan, il y a sûrement un détail qu'ils ignoraient, cinquante états, s'en est passé des trucks et des machines chouettes, là-bas, mais pour the Old England, ce n'est pas du tout la même farine, un mouchoir de poche, vous tendez le bras ( de mer ) et vous y êtes. Alors le Christophe Delbrouck s'il compte nous le faire à l'esbroufe, l'a intérêt à avoir cotisé pour une assurance vie. Un mec douteux, j'en détiens la preuve a-priorique, l'a déjà commis trois gros bouquins, plus un dictionnaire, sur Franck Zappa – ça zappa non, pas très franc du collier – et araignée velue sur le gâteau, un livre sur Crosby, Still, Nash and Young, un choix, vous en conviendrez délétère.

 

J'accordons qu'il n'a pas lésiné, quatre cents pages, grand format, et que le deuxième tome qui couvre les années 1965 – 1968 incessamment illico presto chez votre teinturier préféré, et que Le Père Fouettard vous apportera le troisième dès le mois du prochain décembre. Prolixe, notre Christophe Delbrouk, surtout qu'en consultant son site j'ai remarqué que parmi une pléthore d'autres activités il avait aussi fait partie du défunt groupe Nasal Retentive Orchestra dont il se promet prochainement d'accabler l'humanité de deux DVD gorgés d'innommables inédits. Nous en dirons tout le mal inutile en temps utile. Rassurez-vous, car pour ce British Rock : 1956 – 1964 : Le temps des pionniers, faut convenir que ce n'est pas mauvais du tout. C'est même très bien. Pas ennuyant pour un penny, un roman. Pour la composition a choisi la méthode opposée à celle du Da Vinci Code de Dan Brown, ne relance pas l'intérêt en fin de chapitre. Se contente de continuer son propos au suivant comme si de rien n'était. Vous fait attendre, avant d'aborder ce que le titre nous annonce. C'est qu'il en connaît des choses. Et des intéressantes. Et des subjuguantes . Un puits de sciences. L'a dû beaucoup lire. N'est pas égoïste, essaie de nous refiler le maximum.

 

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Pourrait nous laisser pour morts au détour du labyrinthe, agonisants sous des tombereaux de détails insignifiants. Mais non, sait où il va. Possède son fil d'Ariane. Je vous refile le nom de la bobine du cordon salvateur. Electrique. L'a tout compris, le rock c'est une simple question d'électricité. N'écoutez pas les écolos qui vous parlerons de guitare éolienne. C'est bon pour les folkleux. Christophe Delbrouck l'a fait son choix. Un homme de goût. 1956 – 1960, deux héros, Vince Taylor et Johnny Kidd.

 

 

LES PIONNIERS

 

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Ne pensez pas qu'il leur consacre les trois-quarts des cent-cinquante pages de la période. Une assiettée pas beaucoup plus remplie que celle des autres, la différence c'est la ferveur avec laquelle il en parle. L'intelligence de leur démarche, fût-elle extrémiste et solitaire, et leur farouche volonté à être ce qu'ils sont, à ne pas se laisser rogner les ailes, et surtout à avoir saisi l'essence du rock and roll.

 

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Sont loin d'être les seuls et les tout premiers. En Angleterre – comme partout ailleurs – le rock fut un grand éclair blanc. Qui causa beaucoup plus de dégâts dans les esprits des jeunes gens que l'explosion d'Hiroshima. Mais qui est entré par la petite porte. Sans tambour ni trompette, serait-on tenté de dire, lui qui pourtant fit tant de bruit. L'est tombé comme la foudre. Et beaucoup crurent en toute bonne fois qu'ils avaient reçu la révélation de la grâce. Se sont sentis appelés par le rock. Vous connaissez leur nom, Tommy Steele, Marty Wilde, Billy Fury, Cliff Richard, Shadows, Joe Brown – pour n'en citer que quelques uns. Leurs premiers enregistrements marquèrent les esprits. Apportaient au pays ce que Baudelaire n'avait pas encore réussi à trouver à la fin des Fleurs du Mal. Du nouveau. Du rock. Il est des miracles dont il vaudrait mieux être épargné. Encore faudrait-il prendre conscience des évènements que l'on traverse ou qui peut-être nous traversent. Certains pénètrent dans la cage aux serpents sans peur ni reproche. Par inconscience. Mais une fois ressortis, ils passent à autre chose. Un Tommy Steele fut – non pas un opportuniste – mais un opportuné. The right man, at the right place, in the rigth time. Un baroudeur. Idéal pour les coups durs. Mais la bagarre terminée, il se livra à des activités plus paisibles. Joe Brown ou la facilité du génie, rock sans effort, puis s'en éloigna avec désinvolture. Opérettes, contes de fées, vomitoires pour rockers de la part de ces deux-là. Cliff Richard sur les traces talentueuses d'Elvis, le suivit même sur la mauvaise pente. Hank Marvin, un raid Apache qui par son esthétisante fureur mit le feu aux poudres du rock anglais, après quoi il rentra de lui-même dans la réserve des occasions perdues. Marty Wilde, Billy Fury, chiens féroces qui se laissèrent amadoués par des morceaux de susucre. La punition ne se fit pas attendre : état dépressif généralisé.

 

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Le plus dérisoirement terrible dans cette histoire c'est que si la plupart des rockers se trouvèrent dans l'incapacité intellectuelle ou instinctive de comprendre la signification de ce qu'ils exprimaient, autour d'eux, dans leur entourage proche, l'on fut beaucoup plus avisé. Les pouvoirs publics réagirent au quart de tour. Ces chanteurs épileptiques n'étaient que les messagers des gros bataillons d'une jeunesse prête à toutes les rébellions. Dieu, la patrie et le sexe étaient en danger. Les comités de censure furent très efficaces. La BBC et la télévision se battirent violemment, et résistèrent longtemps, et pas à pas, à l'invasion rock. Le rock anglais doit une fière chandelle au producteur de télé Jack Good qui entreprit tant sur les chaînes privées que publiques une guerre d'usure avec la vieille morale sclérosée issue du puritanisme victorien. Mettait-on fin à son émission, qu'il en montait une similaire tout aussi excitante sur un autre canal... Quant aux maisons de disques, elles s'employèrent, à l'exemple de leurs grandes tantes américaines, à chasser le rock and roll de leurs productions, n'hésitant pas à châtrer par injections répétées de romances doucereuses la virilité des meilleurs rockers. Qui se laissèrent faire, à part les fortes têtes à la Vince Taylor et à la Johnny Kidd.

 

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DANS LES MARGES

 

Il ne faut jamais désespérer des mauvais garçons. L'en est toujours un certain nombre qui refusent de sucrer leur café noir. Ou de mettre de l'eau dans leur whisky. Des révoltés, des voyous ( de la pire espèce ), les teddy boys et toute une partie de la jeunesse ouvrière, boudèrent les manifestations officielles. Le rock se réfugia dans les arrière-salles des bars, dans les clubs miteux, au fin-fond des provinces et des campagnes. Une situation qui n'est pas s'en rappeler les temps actuels en France. Les groupes locaux et les forcenés à la Johnny Kidd, avaient là un public, désargenté, mais à qui il ne fallait pas en promettre. C'est en ces caves profondes, en ces cavernes lointaines que le rock s'enracinait, s'expérimentait, se modifiait, s'enrichissait... Evoluait-il ou dégénérait-il ? Les débats sont ouverts. Ce qui est sûr c'est qu'il survivait et se préparait à vivre une des pages les plus fameuses de sa légende.

 

 

BEAT & BLUES

 

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L'ennemi survient toujours par le côté où on ne l'attend pas. A Londres les maisons de disques avaient réussi à endiguer la bête. Ce fut chez les ploucs de Liverpool que la tarentule se réveilla. De tous les côtés. Trois cents groupes qui grouillaient dans tous les coins de la ville. Des teigneux qui jouaient fort parce qu'ils ne savaient pas faire grand-chose. Mais prêts à faire n'importe quoi pour se sortir d'affaires. Trop, c'est trop. Comme l'on ne pouvait pas faire une troisième guerre mondiale pour s'en débarrasser, l'on trouva une solution qui louchait vers le rapprochement des peuples. L'on prit l'habitude d'envoyer les moins pires ( certains disent les plus fauchés ) outre mer, dans le port de Hambourg. Un pays de cocagne, putes à foison et marins alcooliques. Je me refuse de vous faire languir, les Beatles y firent leur classe de commando rock. Quand ils revinrent de ce pays de matelots soiffards ils avaient gagné le pompon et toutes les filles leur coururent après pour le leur attraper. Eurent de la chance, leur manager Brian Epstein sut surfer sur la vague. Ménagea la chèvre de la rébellion adolescente avec le chou du socialement acceptable. Et puis surtout George Martin un ingénieur du son – un véritable producteur – qui savait tirer les meilleur effet du moindre morceau. L'on ne compte pas le nombre de combos made in Liverpool qui après les Beatles tentèrent leur chance. Toute maison de disques en voulaient un max. Même George Martin qui en coacha à lui tout seul une demi-douzaine. Ainsi naquit le Mersey Beat. Partout en Angleterre. Mais les Beatles ne furent jamais détrônés par ces concurrents qui s'épuisèrent à les poursuivre. Furent pressés comme des citrons par leurs employeurs, quelques tubes, des tournées marathon à n'en plus finir, la voix du chanteur qui se brise, et hop direction les poubelles de l'histoire du rock and roll !

 

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Objection votre honneur. Londres résista. What is it, cette musique de sauvage de campagnards sous-développés ? En la capitale, l'on est un peu plus évolué. On puise directement à la source. Au jazz. Euh, entre nous c'est un peu suranné et ultra-codifié, pas très vivant. Alors l'on descend d'un étage. Au fond du trou chronologique, se trouve le coffre au trésor, la pierre philosophale, le blues ! L'on n'osa pas exhumer le vieux blues rural du delta, ou plutôt on se hâta d'en raviver la teinte, un beau bleu électrique comme les ricains eux-mêmes n'en avaient jamais fait. Ainsi se créa une espèce d'élite clandestine autour de quelques fortes têtes comme Alexis Korner, Graham Bond, John Mayall... Une espèce de colonie bleue ouverte à toutes les bonnes volontés qui se moquait du hit-parade et qui refusait de passer sous les fourches émasculatrices des majors. Les Rolling Stones firent leurs armes dans cette mouvance. Firent plus de bruit que les autres, Sonny Boy Williamson, of course mais le jungle beat de Bo Diddley, les riffs de Chuck Berry et l'électricité de Muddy Waters, faut pas les laisser de côté. Faut même en rajouter. De l'huile sur le brasier. En plus de sacrées tronches, l'air d'être revenus de tout, méprisants, hautains emplis de morgue. Et de crasse. Les cheveux en bataille, les vêtements crados, tout pour inspirer le respect. Et les filles. Beatlemania et Stonemania sont main dans la main en 1963. Les deux groupes occupent les deux premières places, et aucun autre ne les leur ravira. Les Beatles ont su créer leur cocon de survie dans lequel ils sauront s'épanouir, et les Stones ne sont pas du genre à se laisser marcher sur les pieds par le staff qui les entoure. A tout instant, soyez méchants.

 

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N'y a pas que la musique qui change. Les rockers et les teddies sont supplantés par une nouvelle génération de jeunes gens modernes. Les Mod's écoutent un peu de jazz et beaucoup de chanteurs noirs américains de rhythm and blues. C'est leur musique. Les groupes qui commencent à s'inspirer de cette musique oscillent optent tantôt pour une forte présence de l'orgue, tantôt pour l'avantage aux guitares, comme si cette attitude rhythm'n'blues était le détour obligatoire vers un retour au rock and roll. Dynamisé.

 

ANIMALS ET AUTRES BESTIOLES

 

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L'on croyait avoir connu le fond de la lie du tonneau avec les Stones, mais ce n'était encore rien. Les Rolling indiquèrent aux anglais et au monde entier la direction du blues, les Animals firent pire. Montrèrent aux amerloques ce qu'était l'essence du blues sauvage. Comment ? Pourquoi ? Je suis incapable de le dire. Peut-être faudrait-il inventer et monter une théorie à la Raymond Abellio qui pondit un traité de six cents pages pour expliciter le dévoilement des savoirs ésotériques au dix-huitième siècle, mais ceci demanderait trop de temps et les fauves en liberté n'aiment guère attendre. Par quel miracle l'âme du blues boueux du delta s'incarna-t-il en Eric Burdon un gamin de Newcastle ( on Tyne ) ? Ce n'était pas uniquement qu'il était particulièrement doué pour chanter le blues, c'était que ce fils révolté des loyaux sujets de sa majesté se permit ce que de Robert Johnson à Muddy Waters aucun des rois du blues n'osa jamais entrevoir dans ses rêves les plus fous. L'ouvrit toute grande, en public et éructa de mille borborygmes. La colère, la haine, la hargne, la folie meurtrière, tous les serpents du blues qui macéraient à l'intérieur des vieux bluesmen, lui, Eric Burdon, il les recracha, les vomit, sur scène à la face du monde. L'entraînait le combo en de sombres ruées hypnotiques, le blues prenait la parole et la gardait. Revendiquait la marge, la révolte, et l'écroulement de la société entière. Les Animals sortirent de leur tanière, plus naturellement sales, plus naturellement crasseux, plus naturellement mal peignés que les Rolling Stones, et commencèrent à mordre à pleine gueule le monde entier. Des irréductibles. L'on essaya de les contenir. L'on employa la vieille tactique : diviser pour mieux régner. L'on surpaya l'organiste pour créer la zizanie. Alan Price sur le départ. Tant pis pour lui, aucune pitié pour les lapins qui rentrent de leur plein gré dans le clapier du showbiz. Mais c'était trop tard, le mal était fait. Aux USA, Eric Burdon convainquit l'Apollo qu'il était plus noir que les noirs, plus bleu que les nègres. Un électron fou qui dynamita à jamais le self-control britannique. Avec Eric Burdon et ses panthères noires le rock anglais atteignit sa majorité. N'était plus un adolescent retardé à la remorque des amerloques.

 

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Après les Animals, Christophe Delbrouck ne sait plus où donner de la tête. Vous naît un groupe à tous les coins de la page. Passe un peu vite. S'arrête à peine sur les Nashville Teens – qui accompagnèrent Jerry Lou à Hambourg - et beaucoup sur les Kinks. Revient sur les Stones qui continuent à n'en faire qu'à leur tête. Ne sont pas encore au niveau des Beatles. Se contentent de reprendre des vieux morceaux de blues, mais les rénovent de fonds en combles. Les Scarabées sont à un autre étage. Vous pondent des originaux toutes les trois semaines. L'on se demande où ils vont les dénicher. Tous les groupes reconnaissent leur suprématie. Vivent des jours de grand tumultes. Les filles qui hurlent et les concerts où personne n'entend rien. Sont les rois du monde. En Angleterre, en Asie, en Australie, aux USA, la folie Beatles submerge l'univers. N'en ont pas pour autant la grosse tête. A Londres, Jagger, Burdon, Lennon, discutent d'égal à égal. Le rock and roll prend conscience de lui-même. Ne s'agit plus exactement de musique. L'est aussi une remise en cause du vieux monde. Nous sommes en 1964, et la planète se dirige à marches forcées vers les grands soubresauts de la fin de la décennie...

 

RETROSPECTIVE

 

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Le livre fourmille de renseignements, quatre cent pages remplies à ras bord, à lire pour tous ceux qui s'intéressent au rock. N'y a que sur les Yardbirds que je le trouve un peu léger, mais sans doute seront-ils traités dans le deuxième tome. A la réflexion les passages les plus intéressants sont peut-être consacrés à ces artistes qui ne sont pour nous que des noms. Frank Ifield n'est qu'une ombre, Cilla Black un fantôme transparent. Tout ce qui s'est passé en Angleterre ne nous est parvenu que par un filtre. Nos média ne pouvaient pas se consacrer uniquement aux britihs, fallait aussi promouvoir les petits yéyés de par chez nous. De ce fait nous ne prêtons pas la même importance que le public anglais à des groupes comme les Hollies ou au Dave Clark Five . Nous les considérons comme des sous-fifres de deuxième catégorie alors qu'ils furent des jalons importants du déploiement historial du rock briton, pas obligatoirement à un niveau strictement musical. Je ne compte pas les surprises agréables comme cette présentation de Dusty Springfield qui est devenue dans notre mémoire une icône un peu poussiéreuse.

 

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Mais je finirai par le commencement. La toute première idole, Lonnie Donegan, and his skiffle group comme dirait Hugues Aufray. Très belle analyse. Un créateur auto-limité, qui n'a jamais voulu aller plus loin que lui-même. S'est contenté de son folk blues du pauvre et est resté ébloui de son propre succès. N''aurait jamais espéré de parvenir là où il était arrivé du premier coup et n'eut même pas l'idée qu'il pouvait poursuivre au-delà. Avait déplacé une montagne et n'a jamais pensé qu'il y en avait une deuxième à repousser. La même attitude que partagèrent les premiers rockers. Ne possédaient pas les moyens d'analyse conceptuels et prospectifs du phénomène qu'ils étaient en train de déclencher. Il en avait été de même aux USA, lorsque l'on voit comment un Elvis Presley s'est laissé manipuler par le Colonel Parker, il y a de quoi méditer. L'aura fallu dix ans pour que les maisons de disques soient mises au pas et décident de laisser la bride au cou de ces groupes qui piaffaient d'impatience et de talent. Ne nous berçons pas d'illusion, ce ne fut que brèves éclaircies intermittentes. Dans cette partie de poker ce furent les majors qui surent en fin de compte être les plus menteurs afin de juguler ces troupes indociles...

 

Damie Chad.

 

 

L'EXCUSE / LONGJUMEAU ( 91 )

 

25 - 09 - 2015 / JALLIES

 

 

Ce n'est pas que l'on cherche une excuse, nous n'en avons point besoin pour voir les Jallies, mais ce vendredi soir s'annonçait sans surprise. Une autoroute dégagée, une place de stationnement à soixante mètres du café, tout était parfait. Et puis entre nous soit dit, le répertoire des Jallies on connaît par coeur, d'ailleurs nous ne l'évoquerons qu'à peine. L'est sûr que l'Excuse est un café un peu spécial. Dans le genre que l'on apprécie. Matinée, après-midi, pas de problème, pouvez venir réviser vos droits et devoirs que vous octroient la Constitution. Personne ne vous en empêchera. Une paix royale. Lecteur, vous avalerez sans être dérangé une seconde les huit cents pages de L'Homme sans Qualité de Robert Musil. Vous y bénéficierez d'un calme et d'une sérénité olympiennes. C'est en soirée que la clientèle change. C'est l'autre France, celle ô combien sympathique des fêtards tous azimuts, celle des échappés du dur labeur quotidien qui s'en viennent trouver en ce rade de centre ville la chaleur humaine qu'ils n'ont guère eu l'occasion de côtoyer durant les heures de labeur. L'Excuse, le soir se transforme en soupape de sécurité sociétale, on boit, on crie, on chante, on s'amuse. L'on repeint le monde en couleur carnaval de Rio. Mais ce vendredi soir, une fois n'est pas coutume, à part nous, les Jallies et quatre cinq consommateurs au comptoir, ce n'est pas la foule. Fred, le patron, le prend avec philosophie. Fréquentation en berne dans tous les troquets de la cité, nous explique-t-il, et il nous profile un cours d'économie d'une limpidité absolue : moins de monde, moins de concerts. N'a pas l'air inquiet, tient bon contre vents et marées, lui il continue, il n'y a qu'à regarder le panneau avec les affiches des groupes qui sont passés dans son établissement.

 

 

PREMIER SET

 

Le grand Phil n'est pas mécontent, les Jallies pour pratiquement lui tout seul, l'est comme les enfants qui n'aiment pas partager leur cadeau de Noël, sous le sapin. Je ne fais plus les présentations, les trois filles devant, les deux garçons derrière. Vous reconnaîtrez les gars facilement, sont les seuls à porter un borsalino. Même que Kross sanglé dans son costume ressemble à un gangster - à cause des demoiselles, à la relecture j'ai supprimé le mot mac, les demoiselles en auraient fait tout un micmac – tout droit sorti des films noirs made in USA, dans les années cinquante. Ça roule pénardos, et même ça rock en roule. Alors que nous n'avons d'oeil que pour les trois mignonnettes, la salle du haut – pas de beaucoup, juste deux marches – se remplit, tout doucettement mais régulièrement. L'on s'embrasse, l'on se serre la paluche, l'on se congratule, peut-être pas en toute discrétion, mais en bas le son est si clair, si net, que cela ne nous gêne en rien. Notons que beaucoup de groupes - dans un passé récent nous les avons vus à l'œuvre - ont eu quelques difficultés avec le sound check. Résonnances indues dans la boîte carrelée, basse de plafond.

 

DEUXIEME SET

 

Petit entracte et rebelote illico. Un peu moins rock, davantage swing. Qui s'en plaindrait ? Pas nous. Il y a comme un remous dans la salle du haut. Pas de cris et une espèce de froufroument indistinct. Et brutalement la terrible réalité du monde se rue sur notre swingante quiétude. Le péril jaune grandeur nature. Attila et Gengis Khan en même temps. Qui déboulent et se précipitent dans le mini escalier. Nous n'avions pas vu la catastrophe poindre. Faut dire qu'à la radio, ils n'en ont point causé. Et pourtant, c'est bien une horde mongole qui déferle, tourne et virevolte au grand galop pour finir par se masser, sur la table du billard – fort heureusement – recouverte d'une planche protectrice. Mais que viennent-ils faire ici ? Nos yeux hagards nous obligent à reformuler notre angoissante question métaphysique. Mais que viennent-elles faire ici ? Car ce sont des filles. Des amazones, des guerrières, regroupées autour de leur reine qui lève le bras pour ordonner l'assaut. La lumière jaillit dans le tréfonds du cerveau du grand Phil. Les Indiens d'Inde nous ont enlevé Vanessa en juin dernier, et maintenant ce sont les peuplades sauvages des contrées incertaines de la lointaine Asie qui ont monté un raid pour les kidnapper toutes les trois ensemble. En théorie nous comprenons cette vision des choses, à en prendre une, autant subtiliser les trois, trois trésors valent plus cher qu'un seul. Mais nous n'avons aucune envie de laisser dérober les trois frangines sans lutter jusqu'à la mort pour les retenir. Le Grand Phil et moi, nous sommes prêts à nous opposer à cette harde d'asiates femelles en furie, dussent-elles passer sur la chair de nos corps. Trop tard nous n'avons plus le temps de nous porter à leur secours. La cheftaine a baissé le bras pour lancer l'ordre de l'assaut final. Elle a diaboliquement attendu la fin du morceau, cette fraction infinitésimale où l'orchestre étonné se jauge des yeux pour décider de la suite à donner au numéro précédent. Elles foncent droit vers nos trois sabines qu'elles ne vont pas manquer d'enlever. Mais au lieu de s'en saisir, elles effectuent une transition latérale sur le flanc gauche – la même que celle d'Alexandre à la bataille de Gaugamèles – et se campent – démoniaque surprise, ruse infernale - devant Tom qui coincé contre le mur ne peut plus s'enfuir. Sans doute ont-elles décidé d'éliminer d'abord la population mâle ! ( Perso, j'essaie de prendre mon air féminin, numéro 4 ). Pauvre Tom, ses secondes sont comptées, la cheftaine s'approche de lui et lance un ordre guttural : « Photo ! » Comme par un hasard incroyable j'ai sur moi ma méthode Assimil, Mongol-Français, je traduis immédiatement. Selfie ! Et hop ! Elle se fait tirer le portrait par une de ses lieutenantes, étroitement enlacée à Tom tout souriant. Et elles se retirent à toute vitesse. Pas le temps de dire ouf ! qu'elles ont regagné la rue alors que - la triste et impitoyable vérité historique m'oblige à rapporter le navrant comportement de nos trois damoiselles préférées, on ne le savait pas, mais comme la commune humanité, elles ont des défauts - taraudées par la jalousie qu'elles sont, elles proposent d'être, elles aussi, sur le cliché, mais apparemment la gent tartare n'aime guère partager, et leur proposition n'obtiendra qu'un silence dédaigneux... A la fin du set nous nous pressons autour de Tom pour le réconforter car en guise de baiser d'adieu la grande chef lui a planté un gros smack sur les joues, un coup de tampon amical, à vous envoyer deux jours en observation à l'hôpital. Devant nos insistantes questions - dépourvues de toute malsaine curiosité, vous nous connaissez – il est obligé de nous dévoiler des pans entiers de sa vie secrète de guitariste rock. Ses virées en Russie, jusqu'au fin fond de la Sibérie, où manifestement il s'est constitué un fan club des plus fidèles et des plus opiniâtres. Incroyable, mais vrai. Si elles se sont échappées si vite, c'est qu'elles avaient un train à prendre. Quittaient la France au petit matin.

 

 

TROISIEME SET

 

Nous pensions en avoir terminé avec les émotions. Ce n'était qu'un hors d'œuvre. Faut toujours se méfier de la cinquième colonne. De l'ennemi intérieur. L'intermède russe a donné des idées à Jojo. Remarquez qu'il n'y est pour rien, ce sympathique jeune homme. Mais c'est lui le coupable. C'est de sa faute. Un peu de sa mère aussi, puisque c'est elle qui lui a donné naissance. Ce doit être à peu près exactement un quart de siècle avant que ne débute notre soirée. Les joyeux drilles de l'étage supérieur se sont aperçus à l'occasion de la précédente invasion sibérienne qu'à un mètre cinquante du comptoir, il y avait un orchestre de rockabilly swing. Avec trois jolies minettes en plus. Comme quoi lever les yeux du fond de sa coupe de champagne peut parfois se révéler enthousiasmant.

 

Et les copains de Jojo, ce ne sont pas des caves. N'en croient pas leurs oreilles, quand, bonnes filles, entre deux morceaux, les Jallies lui fêtent son anniversaire, en trois langues, français, anglais, yaourt, tempo lent et tempo rapide. Sont éblouis par cette dextérité verbale, et tout de go, pour Jojo, saisis d'une saine émulation, ils se transforment en le choeur wagnérien des Maîtres Chanteurs, avec tout de même des relents avinés de fin de troisième mi-temps revus et corrigés par les Pogues, ces pochtrons d'irlandais particulièrement férus en la matière.

 

L'ambiance monte d'un double cran. Twist généralisé. Jojo est aux prises avec une panthère noire des plus lascives. Fait mine de le griffer, de le mordre, et de le dévorer tout cru. Jusqu'où ne s'arrêteront-ils pas ? Si après elle avait une petite faim pour moi, je ne dirais pas non. Mais non, ce n'était qu'un rêve. Le set se termine sous des applaudissements triomphaux. Ce n'était pas tout à fait un concert, plutôt une superproduction truffée de rebondissements. Avec nos trois Jallies en stars principales. Inoubliables dans leurs rôles. Mais elles sont déjà reparties pour de nouvelles aventures en Vendée...

 

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Damie Chad.

 

 

 

27 – 09 – 2015

 

LES ÔTONALES DE NANGIS

 

JALLIES

 

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C'est à côté de la maison. Trois jours de festival. Oui, mais le programme n'est pas folichon. Font avec les artistes locaux et ce n'est pas ce qui existe de mieux. Peut-être en début d'après-midi un bon groupe de reprises rock, mais se fader toute la suite, durant cinq heures pour à dix-neuf heures terminer avec les Jallies, hum-hum, on débarquera juste à sept heures pour croquer la cerise qui n'est pas posée sur le gâteau qui n'existe point.

 

C'est rempli de monde. Tout âge. Tout public. Un malheur a dû s'abattre sur la contrée. Mine d'enterrement généralisée. Même pas un gamin qui court. Pas un cri. L'on se croirait à la messe, le dimanche matin, un jour de pluie, dans la nef glacée. L'on a vite compris pourquoi. Il y a des super-musiciens sur scène. Pas des amateurs qui sortent le violon du grand-père une fois par trimestre pour que le bois ne moisisse pas. Des vrais, des étudiants, des sérieux qui ne ratent pas les cours, pour courir l'aventure rocksonnière. Sont encore à l'école. Pas n'importe laquelle. Une des plus prestigieuses. Celle de Didier Lockwood. Jouent parfaitement bien. Mieux que bien. Mieux que n'importe qui. Ils ont même un super beau son. Nous avons de la chance. Nous arrivons tard, juste pour les deux derniers morceaux. Mais quel ennui ! Pire que la salle d'attente du dentiste. Une torpeur mortelle s'est emparée de l'assistance. Nangis, ville morte. Pompéi après l'éruption du Vésuve. Cendres et désespoir. Vivement que ça se termine. Rien de plus terrible que le jazz qui court ( en vain et sans trop savoir pourquoi ) après la musique contemporaine. Allez expliquer après de tels abysses d'ennui à la population autochtone que la culture sauvera un jour l'Humanité. Nous avons trouvé la parade, pendant vingt minutes nous engloutissons crêpes à la confiture de fraise et assiettes de petits fours.

 

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Les Jallies sont en train d'installer le matos sur scène. Mais l'orga a pensé à notre bonheur. Après les partoches qui recherchent les difficultés artificielles, nous voici confrontés au binaire primitif. La batucada des Percutés. Faut être franc, c'est nous qui avons du mal à percuter. Serions-nous persécutés ? C'est mou de genou. De la frappe gentillette et proprette. Surtout le deuxième morceau aussi infini et monotone que les dunes du Sahara. Le soir tombe et un vent froid se met à souffler. Les Jallies trépignent d'impatience, dix-neuf heures pile au clocher de l'Eglise voisine. A elles de jouer.

 

 

CONCERT

 

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C'est parti pour une heure pile. Mais devant l'enthousiasme de la foule, l'orga autorisera trois rappels successifs. Un peu court. Mais efficace. Une bonne sono, une grande scène, toutes les conditions sont réunies pour un set remuant. Et d'anthologie. Apparemment le voyage en Vendée ne les a pas fatiguées. Rien qu'à entendre la mini balance de deux minutes a capella sur l'intro We are The Jallies, personne ne s'y trompe. Les fillettes sont en forme, et en voix. Se chipent les morceaux en rigolant. A chacune son maximum de tours. Derrière Tom fait vrombir sa guitare – je comprends pourquoi ils aiment cela jusqu'en Sibérie – et Kross penché sur sa contrebasse en a laissé tomber les bretelles de son futal.

 

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Ça déménage sec. Les instrus plus rocky que moi tu mourras, et les filles plus swing que moi tu ne pourras. Les dix commandements du rock réduits à la binarité de l'essentiel. L'important n'est pas de bien jouer – c'est nécessaire et en même temps subsidiaire – le truc rock par excellence c'est de vous emporter, vous loger dans une capsule d'espace temps des plus étroites et de vous emmener en voyage au pays où l'on arrive toujours lorsque l'on est bien. Lorsque la question de savoir si l'on pourrait être mieux ailleurs ne se pose plus, est nulle et non avenue, lorsque ce moment de votre vie, cette infime parcelle du vécu, devient un fragment d'éternité que rien ni personne ne pourra jamais vous enlever. Une jouissance sans pareille, une érotologie platonicienne qui vous permet accéder au monde des formes idéennes. Encore que le rock apporte une dimension supplémentaire. Ne suffit pas d'être maître de son art – vocal et / ou instrumental – faut encore en être pénétré pour qu'il modifie votre profil existentiel. Votre position d'assise dans le monde. Ne s'agit pas d'avoir le look, faut être le look. Art – cet autre mot du faire – et l'attitude – cet autre vocable de l'apparence – doivent se transformer en artitude. Deviens ce que tu es tout en étant ce que tu deviens. Deux postulations en incessante circulation. Partir d'un pôle pour arriver à l'autre. C'est là le secret de l'oubli et de la mort que tu trimballes au fond de toi. Et puis revenir à l'autre pôle. C'est ici l'arcane de la remembrance de soi-même à soi-même. Lorsque l'icône de toi-même devient toi-même et l'icône mnémosyenne de quelques autres. Entrer en soi pour mieux pénétrer en les autres. Se nier pour être au faîte de son incarnation. L'est une autre manière de dire cela : dire qu'en cet instant de grande affinité les dieux sont là. Ce n'est pas pour rien que la paganité philosophique du rock a été traitée de diabolique par diverses instances monothéistes. Comme par hasard, les premiers bluesmen ont eux-mêmes défini et revendiqué leur musique comme celle du diable. C'était une manière un peu naïve de se peindre sous les couleurs non pas de la plus grande adversité, mais sous celles de l'Adversaire, c'est—dire de la créature auto-déifiée. Rock and roll star. Fuck ! Fuck ! Fuck !

 

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Oui, je sais parfois j'élève le sujet ( au moins un demi-millimètre ), mais tout cela n'est que l'application de la musique des sphères au rock and roll. Toute cette logorhée pour retomber sur les Jallies et cette propension naturelle que j'ai déjà à maintes reprises spécifiée, cette faculté qu'elles ont d'emporter leur auditoire, quelles que soient les circonstances. Enchaînent reprises et originaux – je remarquons qu'avec le nombre des concerts qui doit approcher la centaine, l'harmonisation de leurs voix prend de l'ampleur. Ça remue et ça danse de tous les côtés. Faut voir les trognes des participants. Malgré la nuit qui tombe et le vent aigre qui redouble d'effort. Elles ont sauvé les Ôtonales, un véritable printemps. Un renouveau qui durant soixante-dix minutes a balayé la tristesse du monde.

 

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Damie Chad.

( Photos FB : Jallies et Ôtonales )

 

 

 

23/09/2015

KR'TNT ! ¤ 248 : TAV FALCO / SPUNYBOYS / GLAM / ARPEGGIO OSCURO / JOHN LENNON

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 248

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

24 / 09 / 2015

TAV FALCO / SPUNYBOYS / GLAM ROCK

L'ARPEGGIO OSCURO / JOHN LENON

 

SILENCIO / PARIS ( 2° ) / 18-09-15

TAV FALCO

 

TAV ET SES OCTAVES

 

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Le problème avec les gens qui sont en avance sur leur époque est qu’on n’en finit plus de les redécouvrir. Deux exemples : Captain Beefheart et Tav Falco. On a la prétention de croire qu’on connaît bien les albums et les historiques, mais il suffit d’un nouvel élément (réédition bien documentée ou travail de traduction - j’ai eu le privilège de traduire le Captain Beefheart de Mike Barnes) pour réaliser qu’on ne sait pas grand-chose. Il ne reste plus alors qu’une seule chose à faire : tout reprendre à zéro, c’est-à-dire tout réécouter, tout revoir et tout relire. Dans les deux cas cités, il faut prévoir du temps, car la somme des œuvres écrites, filmées ou enregistrées est volumineuse. Mais c’est la seule façon d’être à peu près sûr de ne pas passer à côté d’une œuvre importante.

Oui, dans le cas de Tav Falco comme dans celui de Captain Beefheart, il faut bien parler d’une œuvre. Ces deux gaillards sortent de l’ordinaire et du petit monde un peu sclérosé de la culture rock de magazine. S’il existait dans l’univers rock une consécration comparable à celle qui existe dans le monde littéraire, disons que ces deux-là pourraient entrer dans la Pléiade, et, pour Tav Falco, ce serait évidemment de son vivant, honneur suprême. Mais il est tellement éloigné des contingences de la reconnaissance que ce genre d’événement ne saurait même pas le concerner. Si ce genre d’événement était un point précis sur l’échelle du temps, disons une croix blanche tracée à droite sur le grand tableau noir de l’amphi, alors Tav Falco se serait déjà transporté là-bas, à l’autre extrémité du tableau noir. C’est une façon d’illustrer ce qu’il fait depuis toujours : il anticipe et donc se déplace. On croit le trouver là, mais non, il est déjà ailleurs. On le croyait à Memphis et le voici déjà à Paris. Il était à Paris et le voilà déjà à Vienne.

 

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Tav Falco et ses amis ont enregistré une quinzaine d’albums en trente ans. Et ce qui frappe le plus à l’écoute de ses albums et notamment des premiers, c’est l’ahurissante modernité de sa démarche. Tav Falco était fasciné par certains personnages cultes de la scène de Memphis, blancs comme noirs, et il commença à exprimer cette fascination non pas en tant que suiveur ou copieur, mais en se projetant littéralement dans l’avant-garde. Avec Captain Beefheart, il fut le seul à réussir ce prodige. Mais ça lui a coûté très cher, puisque - comme Captain Beefheart - il est resté quasiment toute sa vie dans l’underground, une élégante façon de rebaptiser la précarité. Tav Falco ne possède rien. Pas de villa en Californie ni de résidence à Hawaï. Pas de Rolls ni de manoir dans le Sussex. Pas de yatch aux Bermudes ni de villa en Suisse. Il vit dans une chambre d’hôtel à Vienne. Et c’est une légende vivante, comme prétendent l’être certains de ses collègues milliardaires. Captain Beefheart vivait dans une caravane et il ne put mettre un peu de beurre les épinards qu’en peignant des toiles abstraites à la fin de sa vie. Artiste mille fois culte, il n’a jamais réussi à vivre décemment de ses disques. Comprenez qu’il existe un abîme entre des artistes comme Tav Falco ou Captain Beefheart et des boutiquiers comme U2 ou le Pink Floyd. Ils semblent faire le même «métier», mais les démarches et les destins sont radicalement antipodiques.

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Modernité, oui. Ça saute à la figure quand on réécoute le premier album de Tav Falco paru sur le label anglais Rough Trade, «Behind The Magnolia Curtain». En 1981, on l’écoutait parce qu’on l’associait aux Cramps qui nous faisaient redécouvrir le rockabilly, à travers des personnages comme The Phantom ou Hasil Adkins. On assimilait les Panther Burns à un groupe de garage et on les admirait pour leurs reprises de classiques de blues obscurs - le blues qui était et qui reste encore aujourd’hui un continent à explorer. Eh bien, en 2014, on réécoute cet album pour en savourer la modernité. «Behind The Magnolia Curtain», c’est la même chose que «Clear Spot» : un chef-d’œuvre absolu qui ne prend pas une seule ride, un disque dense et tendu, fascinant de bout en bout, dans lequel tout semble déjà dit. En comme c’est luxueusement réédité chez Stag-O-Lee, Tav Falco rédige lui-même les notes de pochette. On a donc l’écrivain et le chanteur-passeur. Oui car Tav Falco est avant tout un passeur. Cet album est bardé de reprises de blues et de rockab féériques. Tav Falco fait exactement le même job que Lux : il déniche et redistribue, mais selon une vision personnelle, avec un vrai son. Il aligne sur ce premier album une série imparable de classiques rockab : «Hey High School Baby» (Benny Joy), «Ooooee Baby» (Ric Cartey), «Come On Little Mama» (Ray Harris) et «She’s The One That’s Got It» (Allen Page), «You’re Undecided» (Johnny Burnette). Mais le coup de génie de l’album, c’est sa version de «Brazil», monstrueusement kitsch pour l’époque, bien swinguée et chantée à la décadence du pauvre, et ce qui fait le souffle de ce coup de Jarnac, c’est la présence dans le studio du Tate County Fife & Drums Corp qui développe un beat énorme et primitif. Tav Falco mélange l’Afrique au Brésil. C’est incroyablement novateur pour l’époque. Au chant, il est complètement à côté, mais l’ensemble force la sympathie et finit même par tétaniser. Personne à part lui n’aurait osé un coup pareil. Il réédite cet exploit avec «Snake Drive», reprise haute en couleurs du classique de RL Burnside montée sur le rumble des fife & drums. Comme il l’écrit lui-même dans ses notes, c’est un «unprecedented cultural happening». Encore plus renversant : «Bourgeois Blues», attaqué à la fuzz, fantastique trivia de garage emmenée par un certain Jim Duckworth qu’on retrouvera un peu plus tard dans le Gun Club. Ils s’offrent même le luxe de trasher une reprise du «Moving On Down The Line» de Jerry Lee. Cet album fabuleux passa quasiment inaperçu en Europe.

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C’est un Français, Patrick Mathé, qui va voler au secours de Tav Falco. Car évidemment, à part New Rose, personne ne veut signer ces énergumènes inclassables et donc difficilement commercialisables. Essayez de faire entrer Tav Falco dans une stratégie de marketing, vous allez voir le travail ! Patrick Mathé fonctionnait comme un fan doublé d’un aventurier et New Rose fit paraître l’année suivante un mini-album intitulé «Blow Your Top» où on retrouvait les mêmes composantes incongrues, mais avec un son plus solide et plus sourd. Ron Miller slappait bien sa stand-up, Jim Duckworth jouait plus psyché, et non seulement Jim Sclavunos battait le beurre mais en plus il produisait. Spectaculaires reprises de «I’m On This Rocket» (Marvin Moore) et de «Bertha Lou» (Dorsey Burnette).

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S’ensuivit un autre mini-LP, «Sugar Ditch Revisited», une fois de plus bardé de reprises somptueuses de type «Money Talks» (une démo de Sir Mack Rice sauvée de la poubelle par Jim Dickinson), «Arkansas Stomp» (Bobby Lee Trammell), «Working On A Building» (un vieux classique d’Arthur Big Boy Crudup dont Charlie Feathers était obsédé). Et le festival se poursuivit avec un autre mini-LP, «Snake Rag», sur lequel se trouvaient «Warrior Sam (Don Willis), «Jumper On The Line (RL Burnside - fantastique ambiance de boogaloo rampant) et un «Cuban Rebel Girl» heavy comme l’enfer et que Tav Falco n’aimait pas trop, car il accusait Jim Dickinson de faire sonner les Panther Burns comme ZZTop.

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C’est Jim Dickinson en effet qui va veiller le plus souvent sur le destin discographique de Tav Falco. Ce fut une chance pour cet artiste condamné au ténèbres de l’underground. Au moins pouvait-il se consoler d’avoir le support artistique et moral de l’un des meilleurs producteurs du monde qui était aussi le garant de l’authenticité du Memphis Sound, ce dont à cette époque - celle des années 80 - tout le monde se foutait.

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En 1987 parait - toujours sur New Rose - un album passionnant de bout en bout, «The World We Knew», doté d’une pochette magnifique. Tav Falco y alignait une nouvelle série de reprises rockab de haut niveau, interprétées avec une confondante originalité : ««Dateless Night» (Allen Page), «It’s All Your Fault» (Bobby Lee Trammell qui fut d’après Roland Janes the wildest he ever saw, et c’est chanté avec l’abandon dandyque - Tav ne cherche jamais la performance vocale, il opte plutôt pour le groove léger et se laisse bercer par les langueurs monotones), «She’s My Witch» (Kip Tyler & the Flips - twisted dirty et grosse ambiance délétère, un idéal de rêve sale), «Mona Lisa» (Carl Mann, son dépouille de pur Memphis sound) «I’m Doubtful Of Your Love» (Benny Joy, infâme lamentation traitée au rythme du tango), mais il y a aussi deux reprises de Mack Rice «Ditch Digging» (hanté par l’esprit des chants des forçats - I’m gonna dig that one - monté sur la contrebasse de René Coman) et «Do The Robot» (aussi récupéré par Jim Dickinson dans la poubelle de Stax). Fantastique reprise de blues avec le «Big Road Blues» de Tommy Johnson qui date des années 20. Tav Falco dit que c’est le son d’une mule tirant une charrette dans la boue. Le chef-d’œuvre de cet album est la reprise de «The World We Knew», un classique de Frank Sinatra que notre héros chante radicalement faux. Tav Falco ne connaît pas les octaves. Puis il rappelle au monde entier qu’il en pince pour le tango et balance «Drop Your Mask» sur un son bien sourd. Évidemment, à l’époque, les gens ne comprenaient rien. C’était perçu comme un gag et Tav Falco risquait de ne plus être pris au sérieux, ce qui ne devait pas le gêner. Il fonctionne un peu comme ces grands peintres modernes qui restent longtemps incompris. À aucun moment, il ne fera l’effort de revenir vers les gens. Il attendra que les gens viennent à lui.

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S’ensuit un autre mini-LP, «Red Devil» sur lequel on retrouve «Ditch Digging», «Drifting Heart» (Chuck Berry, un peu tango à gogo), «A Little Mixed Up» (Betty James que Tav Falco entourloupe avec grâce), «Running Wild» (The Nightcrawlers, rockab nerveux aux frontières du tatapoutisme inverti), et «She’s The One To Blame» (Crazy Cavan, bien screamé aux entournures, adroit et bien senti - Tav Falco sait faire le wild cat quand il le faut). La perle du disque est la version du vieux «Tramp» de Lowell Fulson, avec sa petite intro à la Creedence. On a là une belle pièce d’authentique r’n’b, le vrai jerk des ralentis, un hit sur lequel les cowboys de Memphis dansent d’un pas lent et sûr. On se croirait dans une scène de rêve rouge filmée par David Lynch.

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«Midnight In Memphis» est le premier d’une petite série d’albums live officiels souvent très intéressants, car le côté peu cadré et mal rangé des Panther Burns se révèle souvent mieux sur scène. Alex Chilton, Ross Johnson et Doug Easley accompagnent Tav Falco. Ils sortent une version pittoresque de «Shade Tree Mechanic», qui sonne comme du garage baroque de cabaret balinais. Oui, car Tav Falco ne s’intéresse qu’au garage gracile de Louis Feuillade, au swing des grandes œuvres mystérieuses de Jean Marais. Il n’aime que la java de Belphégor, l’immense déviation des Bouges de Mac Orlan. Il sort des reprises irréprochables du «Jungle Rock» de Charlie Feathers et de «Big Road Blues» puis il tape dans «Goldfinger». Il chante merveilleusement faux. Au point que ça fait mal aux oreilles. On n’accepterait ça de personne d’autre que lui. La version du «Memphis Beat» de Jerry Lee est somptueuse et il revient à ses octaves avariées pour «The World We Knew». Puis Tav Falco flingue son set avec «Drop Your Mask». Le tango ne pardonne pas, car les gens ne comprennent pas : non seulement c’est absurde, mais c’est moche.

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L’album suivant s’appelle «Return Of The Blue Panther». On y entend le beau son de basse produit par René Coman. Belle série de reprises : «I’m Moving On» (Glen Glenn), «You Believe Everyone But Me (Charlie Feathers, pur Memphis sound avec ses gargouillis de guitares dans le fond du studio), «Knot In My Pocket» (Sir Mack Rice), «Rock Me Baby» (BB King, joué avec toute la retenue dandyque), «I Got Love If You Want It» (Slim Harpo, joué à la décontracte et idéal si on apprécie le laid-back), «Love Whip» (du bienheureux Reverend Horton Heat), et on appréciera plus particulièrement ces deux perles de pur garage pantherien : «Girls On Fire» (merveille de garage psyché signée Eugene Baffle, c’est-à-dire l’alter-ego de Tav Falco, pur jus mercurial d’essence patente - George Reineke sait ramoner une cheminée) et «Fun Mob» (belle pop garage qui sonne un peu comme le Plastic Bertrand d’antan qui planait pour lui, mais le génie fantomastique de Tav Falco reprend le dessus. Panther Burns ! Un millésime impénitent et masqué qui se glisse dans la nuit).

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1991 voit arriver dans les bacs «Life Sentence», un album extraordinaire. On sent que Tav Falco est bien décidé à en découdre. Pour preuve ce «My Mind Was Messed Up At The Times». Tav Falco avance sur un beat triomphant. Évidemment, puisque c’est signé Mack Rice. On a les trompettes et tout le bataclan. Eugene Baffle signe «Vampire From Havana», une kitscherie inspirée sur laquelle Alex Chilton joue un killer solo. Et Tav Falco l’acclame. S’ensuivent deux absolues merveilles : «Make Me Know You’re Mine» des Swinging Blue Jeans (effarant d’élégance et swingué à l’ancienne) et «Go On Home» de Sandford Clark, pièce de country émaciée perdue dans un saloon romantique. Eugene Baffle signe une nouvelle pièce de choc, «Auto Sapien», gorgée de fuzz. Pur garage de train fantôme, une véritable leçon de tenue destinée aux garagistes du monde entier. Attention, «Oh Girls Girls» est un mambo. Tav Falco parvient à créer les conditions d’une fantastique extrapolation de garage trash. On est là dans le pur génie - I’ll take the one with the red dress on - C’est embarqué aux clap-hands et devant une telle démence, on s’agenouille et on remercie New Rose d’avoir rendu un tel disque possible. Mais ce n’est pas fini, les gars. L’animal tape dans «I’m Gonna Dig Myself A Hole» d’Arthur Crudup, sur canapé de slap (Ron Easley) et de tap drums (Ross Johnson). C’est le plus bel hommage à Big Boy qui se puisse imaginer. Jim Dickinson joue de la guitare et Alex des maracas. Et ils embrayent sur «Sent Up» de Sir Mack Rice, encore de la démence à l’état pur, on a là la confrérie de choc, Tav/Alex/Ross Johnson/Jim Dickinson. C’est tout simplement effarant d’inspiration. Ces abrutis des labels américains n’avaient vraiment rien compris. Il a fallu que ce soit un Français pas bien riche qui sorte cet absolu chef-d’œuvre ! Incroyable mais vrai. Encore une pièce infernale avec «Baby What’s Wrong» d’Al Green. Nina Tischler donne la répartie et c’est joué au doux du gras. C’est même un modèle de groove - What can I do babe - Puis il boucle l’affaire avec une reprise d’«Only The Lonely», qui relève du romantisme purulent et qui par conséquent dépasse l’idée même du rock. Tav Falco cherche du côté de la note fatale, il flirte avec le piano jazz de cabaret et les nuits de Saint-Germain-des-Prés, mais avec un léger parfum d’européanisme culturel des années trente. Admirable.

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C’est un autre Français, Patrick Boissel, qui fit paraître en 1992 les fameuses «Unreleased Sessions» sur son label Marylin. On croit qu’on peut se passer de cet album, mais c’est une erreur. Il vaut largement le détour, rien que pour «The Bug», joué au petit son rockab, avec Jim Dickinson au piano et une trompette par derrière. C’est d’un amateurisme confondant. On trouve aussi une version de «She’s The One That’s Got It» complètement foireuse et une somptueuse version de «Big Road Blues». C’est Fantômas qui chante le blues fantôme. Ross Johnson bat ça en douceur et en profondeur. Le résultat est vaguement hypnotique. Voilà bien le genre de truc qu’on ne trouve que sur les disques de Tav Falvo. On se régalera du beat de «Bourgeois Blues» que traverse une stand-up qui n’est pas en mesure. Mais quel son ! Et surtout quelle ambiance ! Alex Chilton prend des solos de killer qui titube. Grâce au jeu aléatoire de Ron Miller, on obtient une mouture effarante de présence et d’inspiration. Ils tapent aussi dans l’intapable avc «Train Kept A Rolling» des frères Burnette. Ils mettent le train en route, et c’est terrible, car le son est au rendez-vous. Ils sont stupéfiants de puissance motrice. Tav Falco embarque ensuite «Red Headed Woman» comme une bête, Version sauvage et lacustre. Il ne faut plus s’étonner de rien.

 

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Nouveau mini-LP en 1994 avec «Deep In the Shadows», toujours chez Marylin. Nouvelle production géniale signée Jim Dickinson qui met bien la basse en avant et donc on se régale de «Running Wild», car la basse leste les morceaux trop lestes. Chaude ambiance, c’est à la fois libre de ton et catégorique. Extraordinaire walking beast que ce «Cuban Rebel Girl», puis on retrouve le «Poor Boy» de Lee Hazlewood qui se trouvait déjà sur «Red Devil». «She’s A Bad Motorcycle» vient de «The World We Knew», mais c’est une joie que de retrouver cette pièce de trash-bop emmenée par l’empah-pah-outeur from outersapce. Et puis voilà l’une des pièces mythiques de Tav Falco, le fameux «Tina The Go Go Queen», signé Sir Mack Rice, belle pièce de r’n’b rampant. Tav est sûr de Sir. Il est sur le son. Il est même sous le sceau de Sir. On retrouve aussi le fameux «Working On A Building» avec une grosse basse sourde sous le couvert. Bien sûr, tout cela se déroule chez Sam Phillips.

 

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Avec l’album «Shadow Dancer», Tav Falco va mordre le trait et aller un peu plus vers le tango. Il ouvre son bal avec «Invocation Of The Shadow Dancer», pur tango, puis il va droit sur le itchy-kitschy petit bikini de «Funnel Of Love», le redoutable classique de Wanda Jackson. Il paraît évident que cet album ne pouvait pas plaire à tout le monde. Pour corser l’affaire, il y rajoutait des petites rengaines italiennes qui par leur parfum d’exotica, ne pouvaient que faire fuir les amateurs de rock. La merveille de cet album s’intitulait «Have I The Right», joyeux et entraînant, bien battu par Jim Sclavunos. Mais sur le reste de l’album le kisch et le tango régnaient sans partage. C’est à cette époque que les disques de Tav Falco cessèrent définitivement de se vendre. Ils devinrent des piliers de bacs à soldes.

 

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Malheureuse méprise ! En 2000, Tav était de retour avec l’un des albums les plus spectaculaires du XXIe siècle : «Panther Phobia», produit par Monsieur Jeffrey Evans pour le compte d’In The Red Recordings. Tav ouvrait le bal avec «Streamline Train», un cut monstrueux de Memphis sound, battu par Ross Johnson le miraculé. Jack Oblivian jouait de la basse. On avait là le meilleur ramassis du monde. Quelle purge ! Et ça continuait avec une ribambelle d’énormités du genre «She Wants To Sell My Monkey», fantastique brouet d’intrusion cataclysmique, une bête impitoyable. Puis une reprise de Wolf, «Going Home», où Tav Falco semble réinventer le boogaloo en hurlant à la lune. S’ensuivait «Once I Had A Car», heavy comme l’enfer, démenterie corporatiste absolue, fabuleux d’entrain et plombé d’étain ambré. Et ça continuait avec «The Young Psychotics» pulsé aux chœurs de folles - psycho psycho ! - pur génie, désolé de ramener constamment le génie, mais c’est malheureusement le seul mot qui convienne. La basse de Jack O grimpe bien devant, et par derrière, c’est claqué aux vieux accords. S’ensuit une reprise terrible de «Wild Wild Women» de Johnny Carroll, avec l’emportement de bouche garanti, pur jus rockab et là on tombe sur une nouvelle preuve de l’existence de Dieu : la reprise du fabuleux «Cockroach», un instro signé Charlie Feathers. Ambiance démentoïde, c’est joué bien raunchy. Puis on a un coup de chapeau magistral à Rural Burnside avec «Mellow Peaches», on sent l’appel des champs de coton dans l’écho du son, c’est admirable de lourdeur de grattage. Puis voilà le hit d’Eugene Baffle, «Panther Phobia», bien poundé à la basse et monstrueux d’ambition phobique. C’est tellement énorme au plan cabalistique que ça en devient absurdement hypnotique. Si vous cherchez un album de rock parfait, en voilà un.

 

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Le dernier album studio de Tav Falco s’appelle «Conjurations - Séance For The Deranged Lovers». Il date de 2010. Tav y rend de sacrés hommages, puisqu’il y célèbre les masques et ça nous renvoie directement à Paul Verlaine (Masques et Bergamasques), mais aussi et surtout à Marcel Schwob (Le Roi Au Masque d’Or). Tav Falco s’enferme de plus en plus dans le mystère, ce qui lui va bien. «Sympathy For Mata Hari» est un joli stomp des mystères de la chambre jaune. Sur «Administrator Blues», Tav Falco sort sa fuzz comme on sort une épée. Il revient au grand vent d’Ouest du Memphis sound. On y entend aussi pas mal de tangos, et on arrive tranquillement au pied d’un véritable chef-d’œuvre, l’autobiographique «Gentleman In Black», une belle revanche de Tav Falco sur son impopularité. Il se dévoile d’un seul coup de cape - He travels fastest who travels alone - et il lâche à un moment l’aveu suprême - he leaves the people hanging to just sit and stare/ At a few moments of brillance in a lifetime of despair - Rien d’aussi bouleversant sur cette terre que cette confidence.

 

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Les admirateurs de Tav Falco n’auront pas hésité une seule seconde à se jeter sur les albums live, car ils savent que les classiques y retrouvent du rouge aux joues. La version de «Brazil» qui se trouve sur l’album «Live At The Subsonic» (pochette ratée) est admirablement swinguée aux drums par un nommé Doug Hodges. Comme il amène bien les montées ! Cette version est assez magique, pleine de boisseaux d’accords généreux. Tav Falco mêle son jeu subtil à celui du guitariste Peter Dark - from New York City ! - et on chavire au son du scintillement de ces fabuleux boisseaux.

 

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On renouvellera l’expérience avec l’album «Live In London At The 100 Club», qui est aussi un gros festival, un double album enregistré avec la formation actuelle (Giovanna, Grégoire Garrigues et Laurent Lanouzière). Belles versions de «Snake Drive», «Ooee Baby», «Brazil», «Funnel Of Love» et il boucle l’affaire avec une version surnaturelle de «Gentleman In Black» et «My Mind Was Messed Up At The Time» de son mentor Sir Mack Rice.

 

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Tav Falco a passé un accord avec le label allemand Stag-O-Lee pour rééditer tous ses albums. C’est une bénédiction, car chaque disque est largement annoté de la main de cet écrivain fabuleux qu’on a découvert lors de la parution de «Ghosts Behind the Sun: Splendor, Egnima & Death», en 2011. Ce qui frappe le plus chez l’écrivain Tav Falco, c’est le souffle. Mais ce n’est pas tout. Il a aussi recours à un stratagème superbe : le dédoublement de personnalité. Tav Falco se projette dans un alter-ego nommé Eugene Baffle, histoire de mieux se décrire, comme l’avait fait Michel Houellebecq dans «Les Particules Élémentaires». Et petite cerise sur le gâteau, Tav Falco dédie son fantastique ouvrage à Jim Dickinson («D’origine divine, protecteur, inspirateur et camarade. Sa passion pour la musique de Memphis et tout ce qui s’y rattache est indiscutable. Il est toujours présent, c’est sûr, comme l’indique l’épitaphe qu’il a fait graver sur sa tombe : Je ne suis que mort. Je ne suis pas parti.»). Pour mieux expliquer ce qu’est Memphis, il apporte le seul éclairage qui vaille, celui de l’histoire. Il propose une galerie de portraits hallucinants, des soldats de la Guerre de Sécession, des gibiers de potence, des Hell’s Angels, des poètes puis on finit par tomber sur des figures plus familières (et donc plus rassurantes), comme Sam the Sham, Jerry Lee, Sam Phillips et Charlie Feathers. Il donne carrément la parole à Paul Burlinson, qui au long de plusieurs pages, va retracer le parcours fulgurant du Johnny Burnette Rock’n’Roll Trio. Furry Lewis, Howlin’ Wolf et Albert King sont là, bien sûr, salués jusqu’à terre. Tav Falco donne la parole à Jim Dickinson qui évoque Elvis, le rockab et le souvenir de Dan Penn au long de pages qu’il faut bien qualifier de magiques. Puis Tav Falco remonte dans le temps jusqu’à nous et régale bien les admirateurs de Big Star, d’Alex Chilton et des Cramps. C’est l’ouvrage qu’il faut lire si on veut essayer de saisir l’importance du rôle qu’ont joué les musiciens de Memphis dans l’histoire du monde moderne. L’écrivain Falco a du style. C’est un visionnaire élégiaque. Il donne du temps au temps de ses phrases et semble toujours porter un regard détaché sur les choses. À l’image de la photo qui orne la couverture de son livre, sa prose est véritablement hantée.

 

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Et c’est pour cette raison qu’il faut rapatrier une compilation intitulée «Tav Falco’s Wild Exotic World Of Musical Obscurities» et récemment parue, car tous les portraits sont signés Tav Falco : Johnny Burnette, Don Willis, Bobby Lee Trammell, Allen Page (sur Moon Records de Cordell Jackson, deux guitares, pas de basse, précise-t-il), Arthur Big Boy Crudup, Benny Joy, rien que pour les rockabillies et ça fourmille d’informations, ça grouille de détails, on a vraiment l’impression qu’il a fréquenté assidûment tous ces gens là. C’est à la fois effarant et passionnant. Et extrêmement bien écrit. Vous ne verrez pas souvent des notes de pochette d’un tel niveau. Mais là où il va encore plus épater la galerie, c’est avec les trois autres faces de ce double album. Sur la face B, il a rassemblé des pièces d’exotica sublimes et comme il les présente et qu’il brosse des portraits terribles des interprètes, alors on les écoute attentivement. Et on découvre des merveilles, des choses qu’on avait déjà entendues comme «Harry Lime Theme» d’Anton Karas (magnifique pièce de jazz guitar), mais aussi des pièces raffinées sorties de sa culture : «Romance Del Barrio» par Los Indios Tacunau («Guitar tangos are particular favorites of mine»), ou «Desde El Alma» par Osvaldo Pugliese («It is said that an Argentine is an Italian who speaks Spanish, ates French and thinks he’s English»). Sur la face C, il a rassemblé quelques classiques de blues d’Elmore James («The Sky Is Crying» - «America is a sad country and that’s what Elmo’s guitar was saying»), de Bobby Blue Bland («Who Will Be The Next Fool Be», Tav Falco en fait le portrait d’une star «astonishingly silver-throated», pour lui c’est la star suprême et il sait le dire), Chet Baker («I’m A Fool To Want You», portrait d’un romantique, l’absolu - à quoi bon vivre si on n’aime pas ?), puis il revient au kitsch avec Fred Buscaglione (un rital qui s’est tué à Rimini au volant d’une pink Cadillac). La dernière face est une collection d’hommages aussi grandioses. Il salue Jimmy Whiterspoon («Sweet Lotus Blossom», mais comme il n’a pas réussi à trouver la version originale, il colle la version des Panther Burns). Puis un hommage bouleversant à Charlie Feathers («Jungle Ferver» - «He reached delirious heights unknown in the annals of American recorded music»), puis coup de chapeau à Alex Chilton («Bangkok», et Tav Falco explique qu’Alex a enregistré ça tout seul). Et il termine sur le plus faramineux des hommages : «Real Cool Trash» coup de chapeau à Baldu des Dum Dum Boys et il donne une belle définition du rock’n’roll qu’on devrait enseigner dans toutes les écoles : «Impulsive repetition, droning guitar & psychedelic riffs, histerical breaks and a finale of demented invocation of all the demons of the night that suspends the lead vocal for an eternity on the treshold of the void.»)

 

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Vient de paraître le nouvel album de Tav Falco, «Command Performance». C’est un disque totalement hanté. À commencer par «Fire Island», «autobiographical from Argentina», monté sur une belle basse et joué au bandonéon. Superbe supercherie ! Tav Falco commente chaque moreau. Il dit de «Whistle Blover» que c’est une «wistfulade to the loss of the true American ethos». Il chante ça à la manière de Bob Dylan. Il indique que c’est un hommage aux héros de notre époque, Snowden et Manning. Puis on passe au pur boogaloo avec «About Marie Laveau», the witch queen of New orleans. On s’en régale - Is that true/ What they say - L’admirable tempo semble cheminer sous la pleine lune. C’est effarant et bien vu à la fois. Avec «Doomsday Baby», Tav s’élève contre les génocides. Il a raison - Insect baby ! - Il ramène le son qui va avec. Puis il rend un fantastique hommage à son ami Alex Chilton - my fallen comrade, a gifted artist and mentor of towering sensibility - En peu de mots, Tav sait brosser des portraits terribles. Il rend bien sûr un hommage à Fantomas avec «Master of Chaos», perdu in the long shadows of evil. Et il en rajoute - The genius of torture, the Lord of terror - Il décrit avec délectation les méfaits de son héros, les flacons d’acide nitrique et de parfum, la comtesse Lejeune et tout le saint-frusquin. Quel fantastique hommage à Fantomas ! Dans la série des hommages, voilà celui rendu à Charlie Feathers, avec «Jungle Ferver» - The canon of my confederate and mentor Charlie Feathers - Il réussit à le saluer, et après des transgressions ineptes, il parvient à rattraper le thème. Franchement, ce disque sonne comme un testament ! S’ensuit un hit, «Memphis Rumble», hommage aux dix-sept années passées à Memphis. On a le son de rêve et les paroles de rêve, le tout ficelé par un artiste de rêve. Puis il reprend «Me And My Chauffeur Blues» avec Mario Monterosso. Il essaie de se mettre au niveau de Memphis Minnie et de Kansas Joe McCay. Il finit bien sûr avec le tango fatal, «Rumbetta».

 

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Tav Falco vient de mettre son univers en images avec un film hommage à Louis Feuillade, «Uriana Descending», tourné en noir et blanc et d’allure très poétique, puisque dans la mythologie grecque, Uranie est la muse qui préside à l’astronomie et à l’astrologie. Tav la nomme the muse of heavens. Ce film était présenté en avant-première au Silencio, un club-galerie installé par David Lynch dans les entrailles de la rue Montmartre. «Uriana Descending» ? Mais c’est du cinéma fantastique à l’état pur, à la fois baigné de lumière expressionniste comme les «Trois Lumières» de Fritz Lang et chargé d’ombre et de mystère. Gina Lee traîne au bord d’un fleuve en Arkansas et des heavy dudes lui tournent autour sur fond de «Jungle Fever». En trois minutes, Tav Falco produit l’essence même du rock américain, gros moulin, gros bras, jupe courte et Charlie Feathers. Cinq minutes plus tard, Gina Lee débarque à Vienne et nous plonge dans une dimension intemporelle, celle d’une ville figée dans le passé. Gina Lee erre longtemps dans Vienne et nous ensorcelle petit à petit, par la seule force de son charme discret. Lorsque Diego Moritz (Tav Falco) l’accoste, c’est évidemment pour lui proposer une mission d’espionne. Alors Gina Lee passe du statut de muse descendue du ciel via Berlin Airlines à celui de Mata-Hari chargée de séduire Von Riegl, le descendant d’un officier SS pour lui soutirer le plan d’un trésor de guerre nazi immergé au fond d’un lac autrichien. Et bien sûr, pour le séduire, il faut apprendre à danser le tango argentin. Tav Falco se fait une joie de l’initier et on assiste alors à une très belle scène de danse. Gina et Von passent une délicieuse soirée ensemble, et au petit matin, Von raccompagne Gina à l’hôtel Orient en calèche. Comme c’est du cinéma muet, les pas des gens et les sabots des chevaux sont illustrés par les bruitages, mais on aura veillé à décaler les bruitages. On entend parfois la voix de Tav Falco et des écrans de texte introduisent les scènes principales. Tout cela fonctionne à merveille, à condition toutefois de bien aimer ce type de cinéma. On ne sort pas indemne du «Napoléon» d’Abel Gance. Eh bien, il en va de même avec «Uriana Descending». Puis le rythme du film va s’accélérer et Von va bien sûr devenir Fantomas. On verra aussi Tav Falco conduire une moto sur les routes autrichiennes et produire une splendide pétarade.

 

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Un concert était prévu un peu plus tard dans la soirée. L’atmosphère intimiste du club convenait merveilleusement bien à un set des Panther Burns. Sur scène, Tav semblait avoir énormément rajeuni. Il y eut des moment où il rigolait comme un gamin. Et il nous fit la grâce de rassembler les personnages de sa mythologie pour une heure trente de bacchanale infernale : Charlie Feathers avec une reprise de «Jungle Fever», Mata-Hari, Fantomas, via «The Master Of Chaos» et même «Marie Laveau» tirée elle aussi du dernier album, cut sur lequel Grégoire Garrigues faisait les chœurs - Is that true/ What they say - Tav mit aussi en perspective les grooves interlopes de «Garden Of Medicis» et de «Ballad Of Rue De La Lune», tirés de «Conjurations». Ambiance spectaculaire, tout le monde dansait. Et puis on le vit danser le tango avec Via Kali et ce fut un vrai moment de féerie Vous ne verrez pas ça chez les Stones. En rappel, Tav revint jouer son vieux «Brazil» et ce fut une fois de plus l’occasion de savourer le fantastique drive de basse de Laurent Lanouzière.

 

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On venait tout simplement de prendre un gros shoot d’oxygène. Comme Lux Interior, Captain Beefheart, Jeffrey Lee Pierce, Ray Davies, Mick Farren ou Bob Dylan, Tav Falco est parti de zéro pour créer un univers complet qui fonctionne à merveille. Tous ces gens ont ceci de commun qu’ils sont écrivains, musiciens, découvreurs/passeurs et pour certains, ils se sont aussi frottés au cinéma avec la réussite que l’on sait. On parle ici de ce qui légitime la rock culture.

 

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Signé : Cazengler, Pantin Burns

Tav Falco. Silencio. 142 rue Montmartre. Paris IIe. 18 septembre 2015

Tav Falco’s Panther Burns. Behind The Magnolia Curtain. Rough Trade 1981

Tav Falco’s Panther Burns. Blow Your Top. Animal Records 1982

Tav Falco’s Panther Burns. Sugar Ditch Revisited. New Rose Records 1985

Tav Falco’s Panther Burns. Shake Rag. New Rose Records 1986

Tav Falco’s Panther Burns. The World We Knew. New Rose Records 1987

Tav Falco’s Panther Burns. Red Devil. New Rose 1988

Tav Falco’s Panther Burns. Midnight In Memphis. New Rose Records 1988

Tav Falco’s Panther Burns. Return Of The Blue Panther. New Rose Records 1990

Tav Falco’s Panther Burns. Life Sentence. New Rose Records 1991

Tav Falco’s Panther Burns. Unreleased Sessions. Marylin 1992

Tav Falco’s Panther Burns. Deep In The Shadows. Marylin 1994

Tav Falco’s Panther Burns. Shadow Dancer. Upstart 1995

Tav Falco’s Panther Burns. Panther Phobia. In The Red Recordings 2000

Tav Falco’s Panther Burns. Live At The Subsonic - France 10.2001. Frenzi 2002

Tav Falco’s Panther Burns. Conjurations - Séance For The Deranged Lovers. Stag-O-Lee 2010

Tav Falco’s Panther Burns. Live In London At The 100 Club. Stag-O-Lee 2012

Tav Falco. Comand Performance. Twenty Stone Blatt 2015

Tav Falco’s Wild Exotic World Of Musical Obscurities. Stag-O-Lee 2014

Tav Falco. Ghosts Behind the Sun: Splendor, Egnima & Death. Creation Books 2011

Tav Falco. Uriana Descending. Avec Via Kali, Peter Reisegger et Tav Falco. 2014

 

tav falco, spunyboys, hervé picart ; arpeggio oscuro, philip auslander, john lennon

 

 

COUILLY-PONT-AUX-DAMES

METALLIC MACHINES / 18 - 09 - 15

SPUNYBOYS

 

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Tiens donc, une commune qui n'a pas cédé au vertiges du politiquement correct comme Tremblay les Gon(z)esses désormais en France et qui porte fièrement son nom à coucher sous les ponts en galante compagnie, les attributs de la virilité vent debout. Mais foin de nos douteuses étymologies, nous sommes en partance vers le local des Metallic Machines – à dix kilomètres de Meaux, derrière le Super U. N'allez pas imaginer une soupente de cinq mètres carrés avec les Harley stationnées sur le trottoir. Rien que dans la cour intérieure il y a déjà une quarantaine de voitures garées. Nous sommes reçus dans une grande pièce, bar, espace, tables, sièges et banquettes. De quoi rendre jaloux les trois-quarts des troquets qui invitent les groupes. Mais ce n'est qu'un début, la pièce réservée au concert est à côté, une véritable salle avec une scène, qui a oublié d'être minuscule, montée sur palettes, idéale pour les combos de rock. Vous pouvez y entasser deux cents personnes sans problème. Grand standing. Rien à voir avec le confinement en abri anti-atomique un jour de guerre nucléaire. Parfait pour les garçons tourbillonnants qui ont l'habitude de jouer grand largue toutes voiles dehors.

CONCERT

 

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Eddie vérifie l'accordage de sa guitare, Guillaume cherche ses baguettes, Rémi se cale sur le micro. Profitez de ces deux petites dernières minutes de calme. Respirez profondément. Tout à l'heure ce sera trop tard. Trop tard, nous vous avions prévenus. C'est parti. Pour deux heures de folie. Sans interruption. Sinon trois secondes pour se concerter du regard : « C'est quoi maintenant ! » et un déluge de feu vous tombe sur le coin du museau sans que ayez le temps de dire ouf. Les oufs, ce sont les Spuny, doivent avoir le coeur qui tourne plus vite qu'un rotor d'hélicoptère. Ne sont pas le meilleur trio de rockabilly hexagonal par hasard. Même que les Belges et les Néerlandais commencent à les annexer de plus en plus souvent. Mais ceci est une autre histoire. Nous sommes ici à Couilly, et dans un vrai concert, pas dans une découpe de trois sets, une de ces pernicieuses saucissonades habituelles qui permettent aux bistrotiers de remplir la caisse.

 

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Pour ceux qui ne connaissent pas les Spuny, ça commence toujours bien. Comme un conte de Walt Disney. Bien sûr il n'y a pas de princesse. Uniquement le joli sourire de Rémi nonchalamment agrippé au manche de sa contrebasse. Quelques mots gentils, manière de vous accueillir dignement. Pas le temps de vous endormir et de faire de beaux rêves bleus, c'est Guillaume qui sans vous avertir déclenche les hostilités. Deux coups de canons à envoyer un porte-avion par le fond en deux secondes et puis une cascade infinie de breaks qui se bousculent et se mordent l'un dans l'autre avec une vélocité sans pareille. Un peu comme vous tournez les pages d'un livre à toute vitesse pour savoir la fin. Mais lui il ne saute pas une note de la partoche, n'omet même pas une seule ponctuation, vous les assène toutes, sans faillir, pétarades de missiles qui vous transpercent le corps sans rémission. S'il était le seul à se livrer dans son coin à ce cruel jeu de punching ball avec votre âme, vous pourriez lui pardonner. Mais non, Rémi en a profité pour se jeter sur sa contre-basse. Je ne sais pas ce qu'elle lui a fait, mais ce doit être grave. Lui hurle dessus en dansant comme un sioux autour du poteau de torture, et puis sans préavis l'escalade, lui saute sur le giron à pieds joints, enfin s'y niche sur l'épaule comme l'ajasse bavarde sur la plus haute branche, la transforme en poste de guet – au cas où l'ennemi surgirait – l'abat à terre, se vautre sur elle – sont-ce là les derniers outrages ? Non, il la cogne violemment contre la grosse poutre du plafond. Faut bien lui apprendre à vivre. Et à mourir ! Cela ne serait rien, s'il ne poussait le vice à en jouer tranquillement comme s'il tenait délicatement contre le velouté de sa joue gauche un précieux Stradivarius centenaire que lui aurait confié l'Orchestre Philharmonique de Berlin. Mais vous n'avez pas tout vu. Car non seulement il lui pince les cordes à profusion, les tape et les tire, en parfait unisson avec Guillaume - et avec ce marteau-pilon intraitable, l'a intérêt le Rémi à composer de la dentelle solide, car l'on n'emballe pas les torpilles avec du papier de soie faut les arrimer avec de filins d'acier galvanisés au titane – mais de temps en temps il se lance dans de rapides soli qui swinguent à mort. Reprenons pour ceux qui sont perdus : un, il détruit son instrument avec autant de méthode que Descartes son fameux Discours, deux, il interprète ses morceaux avec la dextérité de Franz Liszt pianotant son pleyel – vous pouvez remplacer Liszt par Jerry Lou si vous préférez, trois, il chante. Et pas qu'un peu, tous les morceaux, n'en laisse pas un seul aux copains. Même si derrière sa caisse Guillaume connaît toutes les paroles par cœur et les récite comme des mantras dévastateurs en dépeçant ses tambours maléfiques. Rémi doit pratiquer la plongée sous-marine en grande profondeur sans masque ni bouteille. Entre deux titres il suffoque comme un phoque asthmatique, souffle court qui s'essaie aux longues inspirations, avale deux goulées d'air frais comme vous deux lampées de café matinal lorsque vous êtes en retard et que vous savez que le patron vous attend sous la pendule avec à la main votre lettre de démission à signer, et hop d'un coup il bloque les amygdales et c'est reparti comme en quatorze, baïonnette au gosier. Comment se débrouille-t-il ? Voix de tête, colonne d'air, profondeurs abdominales et ventriques, je n'en sais rien mais le bougre possède une sacrée technique. Apprise ? Instinctive ? Cochez vous-mêmes la bonne réponse.

 

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C'est que, entendez-vous mugir en vos campagne cette voix qui déchire, les Spuny ils jouent du rock and roll, pas le générique de la petite maison dans la prairie. Mais il est temps de passer la parole – pardon la guitare – à Eddie. N'avons pas eu encore le temps de nous attarder sur lui car les deux autres ostrogoths ce soir ils occupent le devant de l'ampleur sonore. A lui de sa fader le véritable boulot. Attention je n'ai pas dit que les deux quécous se la coulent douce – mais ce soir Eddie est privé de ses éclatantes et métalliques cisailles diluviennes. Bien sûr, il ne peut s'empêcher d'en laisser échapper une par-ci par-là – merveilleuses sur le Goin' Home de Gene Vincent - mais là, il a vraiment trop de taf. Tout est une question de répertoire. Et pour être précis d'appréhension de ce dit-répertoire. Le style des Spuny c'est de l'énergie pure, celle-ci s'obtient de différentes manières. A toute blinde et arrive ce qui arrive, sauve qui peut et chacun pour soi, et vous faites du punk. A toute blinde mais cette fois-ci la rythmique étaye la galerie au fur et à mesure que vous avancez, la découpe du coffrage à la guitare électrique passe en première place, c'est le rock and roll. Passons sur l'amplification sonore, hard, heavy, doom etc... Vous reste une autre solution, plus historiale qui s'en va chercher les racines du rock dans ses origines country, dans sa ruralité rockabilienne, dans l'antique western bop rebopifié à outrance, tout cela pour donner ce mélange explosif mis au point par les Teddies anglais dans les années soixante-dix quatre-vingt. C'est avec cette mouture que les Spuny ont décidé d'offrir en cette soirée à leurs spectateurs en partie composés de bikers aux affiliations ted. La ramification des tribus ( quand ce ne sont pas des églises intégristes ) rock est d'une complexité infinie. Mais ceci est une autre historiette. Sacré turbin pour Eddie. Les deux autres forcenés qui galopent sans frein ni retenue, lui ont refilé le métier à tisser. La section rythmique caracole par-devant et c'est au guitar-héros de tisser la trame de base. Do the bop. Fait le bop. Il articule la syncope originaire. Ce n'est pas un-deux, un-deux, je m'en bats les Couilly-au-pont des dames, Eddie il ne joue pas dans la fanfare municipale à la va comme je te pousse et marche tout droit. La différence est dans le doigté, dans la subtilité. Guillaume et Rémi sortent les lingots du four mais c'est Eddie qui est au laminoir et qui livre le produit fini. Johnny Horton, Ronnie Dawson, Ray Campi, Johnny Cash, George Jones, que du bon, mais encore faut-il les rhabiller pour l'hiver des temps nouveaux qui s'annonce rude. Transformer sans trahir. Recouper sans couper. Adapter et s'adapter. C'est en cela que réside le balancement hypnotique – celui qui emporte mais qui n'endort pas - du pur style teddy. Faut de la sagacité, de la réflexion, des connaissances, de l'intelligence. Tout ce dont – tout ce don - possède Eddie. A revendre. Et son dévouement rythmique fut exemplaire. Le grand jeu. A la furia des deux copains il a apporté l'authenticité sans laquelle tout effort n'est que redite et répétition. Maintenant ce n'est pas 2 + 1, mais un trio de trois qui ramone en parfait unisson. C'est une architecture méditée – à allure d'étoile filante – qu'ils élaborent ensemble, de concert.

 

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Les Spunyboys nous ont gâtés. Nous ont offert un concert d'anthologie. De ceux qui montrent que le cœur brûlant du rock and roll continue d'irradier nos désirs et la sève de nos rêves. One, two, three, four, five, rock'n'roll is still alive !

 

André Murcie.

GLAM ROCK

LA SUBVERSION DES GENRES

PHILIP AUSLANDER

( La Rue Musicale / La Découverte / 02/2015 )

  

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Nouvelle collection chez La Découverte – les héritiers des Editions Maspéro – et de la librairie parisienne La Rue Musicale. N'ont que deux ouvrages dans leur série un David Bowie et ce volume consacré au Glam Rock. De Philip Auslander. Un professeur à l'université du Kentucky. Comme il est bien connu qu'ailleurs l'herbe est plus bleue, j'achète sans trop regarder. Fatale erreur. Dont je me repens en toute humilité. Mea culpa ! Mea culpa ! Faudra que je pense à en causer deux mots à mon confesseur sur mon lit de mort. J'ai lu quelques milliers de livres dans ma vie, aucun ne m'a plus ennuyé que celui-ci. Et pourtant dès qu'un quelconque bouquin porte sur sa jaquette le mot rock, il bénéficie chez moi d'un a-priori favorable.

SUZI QUATRO

 

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Je commence par le quatrième chapitre. Suzi Quatro ( mathématiquement parlant c'est assez bien vu ) en est l'objet d'étude. Je n'ai rien contre la damoiselle. Un peu garçonnasse – je me mets à l'unisson de l'auteur - j'en conviens, mais l'on sent la chic fille qui en veut. J'avoue que je ne me suis jamais levé la nuit pour écouter ses disques. Ni pour me masturber devant son poster. C'est sûrement une erreur. Ce n'est pas moi qui le dis. C'est Philip Auslander. Un grand connaisseur. Vous épluche la discographie au peigne fin. Les chansons une par une. Avec une prédilection pour les reprises. Qui furent en leur native originalité très souvent interprétées par des chanteurs mâles. Vous n'y voyez pas de mal. Philip Auslander y dénote de la perversité. Un garçon qui chante Baby I love You à sa copine reste de l'ordre de la normalité, mais la petite Suzon avec son futal et son blouson de cuir qui reprend Baby I love you, c'est de la transgression. Mélange des genres. S'adresse-t-elle à une fille ou à un mec ? Et l'auditeur qui entend cela, est-ce Suzette qui lui fait agiter sa zézette ou l'idée du mec qui la baise ou le fantasme qu'elle pourrait être le mec qui lui fasse subir les derniers outrages ? Vous ne savez plus à quelle queue de chatte donner votre langue. Pas de panique ( nique, nique, niqueue, niqueue ) la Suzi elle a du répertoire, alors le Philip Auslander il vous refait la démonstration une cinquantaine de fois à la suite.

GLAM DEFINITION

C'est un peu l'idée fixe d'Auslander. Le Glam comme une subversion des genres. Fille ou garçon. L'on ne sait plus. Frontières indéterminées. Ouvertes à tous les trans. Musicalement n'en parle pas trop. Trop d'artistes différents se sont réclamés de ce courant pour qu'il puisse être résumé en quelques mots se dépêche-t-il d'avancer. Ou alors des guitares affûtées qui entrent dedans. Allo, doctor Lacan, ne serait-ce point un lapsus significatif ? Préfère discutailler sans fin des tenues des chanteurs et des réactions du public.

T-REX

 

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Commence par T-Rex. La partie la plus intéressante du livre. Remonte à la période préhistorique de l'artiste lorsqu'il s'appelait Tyranosus Rex. C'était du temps des hippies et du psychedelic. Une époque ancienne. En ces âges reculés Marc Bolan aimait Dame Nature et lisait Bilbo le Hobbit et Le Seigneur des anneaux de J. R. R. Tolkien. Ecrivait de belles paroles moyenâgeuses, un peu évanescentes remplies de gentes pucelles aux licornes biscornues. Ne faut jamais se fier aux apparences. De temps en temps, notre preux chevalier se saisissait d'une guitare électrique et vous balançait quelques riffs soutenus. Et puis en y réfléchissant un peu, un duo de deux hommes, c'est tout de même un peu ambigu. Et puis toute cette idéologie un peu fleur bleue, c'était tout de même un peu féminin...

Et voilà que du jour au lendemain nous assistons à la mort du vieux dinosaure et apparaît une nouvelle espèce qui s'en va triompher lors de cette ère nouvelle de glamaciation. C'est le T-Rex. Vous l'entendez de loin avec ces guitares clinquantes qui vous claquent dans les oreilles. Bye-bye les hippies, Mar Bolan s'inspire des vieux rockabillies et des premiers Stones de l'âge de pierre des premiers blues électriques. Belle musique, mais ce n'est pas le plus important. Faut voir la bête. Un homme, çà ! Vous rigolez, avec son mascara, ses vêtements empruntés à sa femme, et ses paillettes sur les joues ! Une pédale, une tantouze, la honte de ses parents. Et du royaume.

Peut-être, mais des milliers d'adolescents aux désirs inavouables aperçoivent à la télévision, un homme ou peut-être une femme, délicieuse incertitude, qui ressemble à leurs rêves les plus secrets. T-Rex fonde le Glam, il est cette musique qui permet à chacun de vivre selon son genre.

BOWIE THEORIQUE

 

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T-Rex, c'est bien bon, mais il reste au fond de lui un rocker de base. Pourvu que les stratos fusent à plein gaz derrière lui, il est heureux. L'accoutrement, c'est un gimmick qui permet de se démarquer des autres et de gagner plein d'argent. Bowie c'est l'étage au-dessus. Pas vraiment un philanthrope. N'oublie jamais le tiroir caisse. Mais c'est un Artiste. Qui pense. Qui réfléchit. Qui médite sur son art. Qui théorise. S'habiller en femme, quel simplisme ! Son Ziggy poussière d'étoile une créature venue d'un autre monde, mâle ou femelle ? Les avis divergent. Bowie laisse planer l'incertitude. De même quant à sa propre personne qui n'est peut-être qu'un sale personnage de plus. Fernando Pessoa avait bien créé ses poétiques hétéronymes sur papier mais n'avait pas cherché à les incarner dans sa chair. Bowie lui s'avouera tour à tour, du bout des lèvres ou en lapidaires assertions, homosexuel, bisexuel, hétérosexuel. Débrouillez-vous comme vous pouvez.

Le genre de méli-mélo qui enchante Auslander. L'important ce n'est pas d'être ou ceci ou cela. La grande force du Glam assure-t-il c'est de ne donner jamais de réponse franche. C'est dans ce nuage d'incertitudes que le fan accomplira son chemin personnel qui n'appartient qu'à lui. Brouillard de protection et de camouflage qui vous permet de prendre assez de force pour un jour enfin dévoiler à la société entière ce que vous êtes vraiment. Sans oublier toutefois que pour vivre heureux faut savoir vivre caché.

QUEER ÊTES-VOUS ?

Ce que raconte Auslander n'est pas nécessairement idiot. Ce qui est un peu embêtant c'est qu'il analyse un phénomène sociologique qui s'est déployé entre 1971 et 1975 en employant des concepts qui ne se sont installés dans les habitudes mentales de nos contemporains que depuis ces toutes dernières années. Toutes ces théories du genre qui explicitent que les genres féminin et masculin ne sont pas afférents à notre sexe. Tout se passe dans la tête, et ni dans le zizi et ni dans le kiki. Genre de discours qui affolent les bien-pensants et les réactionnaires de tous poils ( au cul ). Par exemple : les cathos de la Manif pour Tous détestent ce genre de ratiocinations sexu-identitaires qui détruisent l'édifice traditionnel des rôles représentatifs des deux sexes dans l'organigramme sociétal.

 

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AFTER GLAM

Ces réflexions Auslanderiennes participent de toute relecture de l'histoire du monde. Toutes les époques relisent le passé avec leurs propres outillages conceptuels. L'est difficile de faire autrement. Mais notre penseur se livre à une véritable annexion du Glam. Le crédite un peu trop d'intentions théorisantes. A notre avis. Limite le phénomène à une simple évolution des mœurs de la société. Et surtout oppose systématiquement paragraphe après paragraphe la modernité artefactienne du glam, dont il dit le plus grand bien, au passéisme de l'idéologie, qu'il qualifie somme toute de très conservatrice, des hippies. Ces théories du genre procèdent quand même beaucoup plus des mouvements de réflexion suscitées par les tentatives d'une vie davantage en relation avec les lois de la nature que des prises en main destinales des individus mis en mouvement par la musique glam.

Le futur du glam, ce fut le no future du punk, comme notre auteur le souligne très bien dans sa conclusion. La révolte pure, et non la remise en question raisonnante de la société. Le livre aurait gagné à n'être qu'une plaquette théorique d'une cinquantaine de pages. En fait, tous les chapitres qui détaillent les carrières de Marc Bolan, Glary Glitter, Alvin Stardust, David Bowie, Bryan Ferry, Roy Wood, Suzy Quatro, au Runnaways et quelques autres sont presque de trop. Superfétatoires. Un comble pour un livre consacré à un mouvement musical.

Damie Chad.

L'ARPEGGIO OSCURO

HERVE PICART

Edition Blanche / 2015

Inutile de vous précipiter chez votre libraire. C'est une rareté. Tirage à limité à cinquante exemplaires. N'y a que les plus grandes institutions de la planète qui l'ont reçue. La Bibliothèque du Congrès aux USA, l'Ancienne Bibliothèque Impériale de Chine, l'Enfer de la Vaticane, la Bibliothèque ( reconstituée ) d'Alexandrie en Egypte, et bien entendu, mais cela ne vous étonnera pas, votre rock blog préféré, KR'TNT !

Nous n'allons pas faire les modestes devant tant d'honneur, nous l'avons mérité. Nous vous en avions déjà causé de L'Arpeggio Oscuro ( arrêtez vos stupides ricanements allusifs à la couleur de la couverture ) dans KR'TNT ! 197 du 10 / 07 / 2014. La mémoire vous revient ! Oui il s'agit de cette sombre histoire qui vous a tenu en haleine tout une année, une fois par semaine, sous le blogue du même nom. Un roman feuilleton que n'aurait pas renié Alexandre Dumas, mais attention au goût du jour, pas une poignée de mousquetaires bravaches et batailleurs, non un truc beaucoup plus subtil, un mystère impénétrable, une malédiction diabolique ourdie depuis plusieurs siècles. Une satanique conspiration à côté de laquelle le carrefour de Robert Johnson ne tient pas longtemps la route.

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Les plus fins limiers de nos lecteurs se douteront que nous n'avons pas cité le nom de l'inspirateur des plus grands guitaristes du rock des seventies au hasard. Celui qui mène l'enquête n'est pas le premier Sherlock Holmes venu. S'appelle Vernon Gabriel. Possède une profession honnête, c'est un noble commerçant – je sais, ces deux mots vous paraissent antagonistes - qui vend des guitares – vous voici rassurés. Je n'ai pas parlé de vulgaires poêles à frire japonaises mais de ces perles dont l'orient fut caressée par un Jimmy Hendrix ou un Cliff Gallup, ce ne sont que des exemples. C'est que celui qui tient la plume n'est qu'une de vos idoles, Hervé Picart in person, l'inoubliable kronicoeur de la rubrique Hard, de la légendaire revue Best.

Les grincheux de service diront que tout ce le verbiage qui précède n'éclaire en rien ce fameux Arpeggio tan Oscuro. J'essaie de me mettre à votre portée : vous n'êtes pas sans ignorer qu'à l'extrême fin des sixties courut parmi les amateurs de pop music une affolante rumeur qui affirmait que si l'on passait certains morceaux des Beatles à l'envers d'étranges et incroyables secrets nous seraient révélés. Mon tourne-disque ayant obstinément refusé de tourner dans le sens inverse à celui des aiguilles de Big Ben, je suis incapable – encore aujourd'hui – d'accréditer ou non ces révélations.

 

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Mais au fait que se passe-t-il vraiment lorsque l'on interprète un morceau de musique en commençant par la fin ? La question peut paraître saugrenue, pas grand-chose affirmeront les rationalistes forcenés. Oui bien sûr. Assurément. A part que si vous rentrez en possession d'un étrange grimoire qui relate une étrange histoire italienne vous risquez... mais la suite se trouve in-extenso sur www.arpeggio-oscuro.fr

Si vous préférez la version papier, vous pouvez éventuellement remplir une demande de prêt à la Bibliothèque du Congrès aux USA. Ce sera long. Alors en attendant, suivez mon conseil, vous feriez mieux de vous jeter sur www.faiseurdeclipse.fr . C'est une nouvelle aventure de Vernon Gabriel, encore plus mystérieuse et encore, beaucoup, mais beaucoup plus, rock and roll !

Damie Chad.

LE ROMAN DE JOHN LENNON

PIERRE MERLE

( Editions Fetjaine / 2010 )

 

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Le roman de John Lennon. Si l'on veut. Au début, ce devait être une vie croisée : celle de John Lennon avec celle de Mark Chapman. Celle de la victime avec celle de l'assassin. Un entre-deux tragique. Ou plutôt une conjonction dramatique. A ceci près que les trente grammes de la balle dum-dum ne fait pas le poids face à la masse de l'éléphant. Qu'elle a pourtant occis. Arrêté en pleine course. N'y a pas grand chose à dire sur Mark Chapman. Alors faut faire durer le suspense. Comme dans un film. Noir, de préférence. Obligation d'éterniser la scène. L'on sait comment cela se termine, au lieu de la garder inutilement pour la fin, on la mettra au début. Ouverture sanglante. Attention à ne pas la bâcler. C'est le morceau d'anthologie. Pas de précipitation. Ménageons la montée d'adrénaline. Quinze heures d'attente devant une porte cochère. Pierre Merle nous en tire cent quarante pages. Reprend les éléments de l'enquête. Un par un. A la loupe. De la précision. Ne nous fait pas le coup des arrière-plans. Pas de coup foireux de la CIA, pas de menées tordues du FBI derrière tout cela. Un détraqué. Même pas un pervers polymorphe, non un dérangé. C'est tout. Certes avec de la suite dans les idées. L'était déjà venu tenter le coup quelques mois auparavant. N'avait pas réussi. Un ratage de sixième zone. Par un raté. L'on a le off : les trottoirs, les badauds, les fans, les gardes, la sécurité. L'a même pris un disque Mark Chapman, pour la dédicace. Un très bel arrêt sur l'image dans la description. Un double brin de fantasy. L'a beau l'agité la pochette le meurtrier, au bout d'une demi-journée, le lecteur risque de s'ennuyer. Heureusement l'on a aussi le in : importation directe dans la boîte crânienne de Mister Chapman. Beaucoup de vide, une seule idée. Pas fausse. Mais banale. La trahison de Lennon. Le prolo devenu milliardaire. Des mots d'ordre révolutionnaires, des chansons incandescentes, et puis plus rien. Une vie de bourge dans un immeuble pour gros richards. Tant de rébellion pour capoter dans le Dakota. Peut vous les décliner sous toutes les couleurs, ses ressentiments, le Chapman. Mais au total, c'est un peu toujours la même chose. Alors pour bien remplir les feuillets, Pierre Merle s'en va fouiller dans la boîte à ordures du passé du citoyen. Joue le Scaduto du pauvre, ouvre le sac de la dérisoire existence de son sujet. Une vie de cloporte. Des parents qui ne s'aiment pas. Une adolescence solitaire. Un petit détour par la religion. Des petits boulots pour lesquels il n'a nulle envie de s'investir. Un mariage décevant. Une vie qui lui échappe. Se réfugie dans le rêve. Un autre monde est possible. Corrigera bientôt de lui-même l'omission du préfixe. Un autre monde est impossible. C'est mieux ainsi, plus près de la réalité. Bien sûr, c'est pire. Une constatation qui s'impose d'elle-même. L'est difficile de tricher avec sa propre vacuité. Se focalise bientôt sur John Lennon. Une obsession, une rancoeur délirante. Faut toujours trouver un coupable pour lui faire endosser la responsabilité de ses propres échecs.

 

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Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Quatre coups de feu, et c'en est fini de John Lennon. De Mark Chapman aussi. L'est en prison depuis trente-cinq ans. Doit trouver le temps long. Doit regretter son geste. Tout le monde s'en fout. Pierre Merle le premier. Le laisse croupir dans sa cellule. Là, le lecteur commencerait à broyer du noir. Mince alors, qu'écrire d'autre ? Reste tout de même une moitié de bouquin à terminer.

La chance des écrivains. De véritables orfèvres. Des orphèvres de la résurrection. Vous ressortent les morts de leur urne comme l'on fait sauter les bouchons de champagne. Et c'est parti pour la saga des Beatles. Tout y est : Liverpool, les Quarrymen, Hambourg, la Beatlemania, Sergeant Pepper et toute la bande, Yoko, le Maharishi, les dissensions, la brouille finale. Séparation, clap de fin. Evidemment le projecteur suit de près Lennon et McArtney. Les autres un peu moins, normal, ne sont-ils pas à eux deux la cheville ouvrière du quartet fabuloso ?

Mais c'est chacun leur tour. Sans Lennon pour donner l'impulsion première, il n'y aurait jamais eu de quatuor. C'est lui qui pousse, qui tire, qui ose. Paul le seconde. Les autres suivent. Parfois ils sont éliminés sans pitié. L'a une revanche à prendre sur la vie, le père qui l'abandonne, la mère qui le met en nourrice chez la tante, et qui s'en va se faire écraser alors que l'adolescent se rapprochait d'elle dans une complicité de plus en plus étroite. De la psychologie à deux sous. L'encaisse tout le Lennon, serre les dents et les poings. Parvient même à en rire, douloureusement. Humour noir et nonsense le sauveront du désespoir.

Au début tout se passe très bien. Une fusée qui monte, monte, monte... Une pharamineuse carrière se dessine à l'horizon qui pour une fois ne recule pas et se laisse très vite atteindre. En 1966, les Beatles sont les grands vainqueurs du moment, entrent en pleine évolution créatrice. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. C'est-là que Lennon nous refait le coup de l'Elvis. Après la pression des jours sans pain, puis celle de l'opulence, c'est la dépression qui arrive insidieusement. Que personne ne voit venir. Surtout pas lui.

C'est qu'il est occupé le Johnny s'en va en guerre. Des disques à enregistrer, le grand amour avec Yoko qui l'initie à l'art contemporain et qui lui donne l'illusion d'être plus intelligent qu'il n'y paraît, et puis la politique qui l'accapare. 69-70, Lennon n'échappe pas aux années gauchistes... Après 66, c'est Paul qui prend la relève, moins d'esbrouffe et davantage de travail, notamment à cause de ce grand escogriffe de John qui prend l'habitude de bosser à l'arrache. Tant et si bien, qu'un jour excédé Paul annoncera l'arrêt du groupe. Un geste dont Lennon pense qu'il aurait su le faire avec davantage de brio et de panache. Mais l'herbe que l'on vous coupe sous les pieds ne repousse pas.

John se retrouve seul. Avec Yoko. Grande gueule qui vient manger dans la main de la déesse mère. Tous deux s'engagent à mort contre la guerre au Vietnam. Militent auprès de la Nouvelle Gauche Américaine, pour la non-réélection de Nixon. L'échec de cette campagne marquera la fin d'une période. Yoko met son mari dehors. Elle sait bien qu'il lui reviendra. L'est libre, mais en liberté surveillée. Quand au bout de dix-huit mois elle battra le rappel reviendra en courant. L'aura eu le temps avec les copains de défonce d'enregistrer Rock'n'roll, le disque nostalgie de ses débuts de rockers. Mais le Teddy est définitivement assagi. Rentre à la maison. S'occupera du bébé. Calme plat pendant cinq ans. Recommence à enregistrer ( avec Yoko ) quand Mark Chapman se met sur son chemin. Revolver au poing.

 

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La vie de Chapman semble bien pâlotte comparée à celle de Lennon. Celle-ci nous l'avons résumée en trois paragraphes mais dont chacune des lignes pourrait devenir un roman de cinq cents pages. Tant de personnes rencontrées dans une époque d'une richesse créatrice incalculable ! N'empêche qu'en fin de compte, les dix dernières années de la vie de John n'ont guère été heureuses. Est aussi mal à l'aise à l'intérieur de lui-même que son assassin. Tous deux souffrent du même mal, l'incapacité ontologique de se dépasser. L'un parce qu'il ne s'est rien permis de prendre du monde en restant pelotonné sur son malaise congénital et l'autre parce qu'il s'est servi trop abondamment. L'un manque d'air et l'autre étouffe. Frères dans la déprime et l'inconséquence.

Des derniers chapitres en quelque sorte thématiques du bouquin, Lennon n'en sort pas grandi. Un naïf qui se laisse manipuler par lui-même. Il adore les révélations fracassantes qui ne cassent pas grand-chose. Ses abcès de colère, ses décisions à l'emporte-pièce cachent trop souvent des reculs devant les difficultés, quant à son humour et son ironie mordante ils s'imposent comme les meilleurs paravents de ses lâchetés. L'on a l'impression que Lennon s'est fait voler sa vie, bien avant les coups de feu fatidiques de cette nuit funeste du huit décembre 1980.

A peine trois ans après Elvis. Tous deux disparaissent après les années de pleine gloire. Comme si le sort avait décidé d'enrayer un déclin inéluctable. Mais chez Elvis la mort vient en quelque sorte de l'intérieur, comme une décision qui n'appartiendrait qu'à lui. Fidèle à ses volitions, Lennon a eu besoin de quelqu'un d'autre pour l'aider à quitter cette planète. Servi sans l'avoir demandé. Le destin d'une rockstar.

Damie Chad.

 

 

15/09/2015

KR'TNT ! ¤ 247 : SHARON TANDY / JALLIES / LES ENNUIS COMMENCENT / RICHARD HELL / CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 247

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

17 / 09 / 2015

 

SHARON TANDY / JALLIES / LES ENNUIS COMMENCENT /

RICHARD HELL / CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL

 

 

 

TANDY TROP OU PAS ASSEZ

 

 

Sharon Tandy a cassé sa pipe en mars dernier. Record Collector est le seul canard qui ait pensé à la saluer.

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Connue et inconnue à la fois. C’est le gros problème avec l’immense Sharon Tandy : soit elle en disait trop, et on l’attendait au virage, soit elle n’en disait pas assez, et on ressentait une grosse frustration. On aurait aimé qu’elle enregistre beaucoup plus de hits de soul freakbeat avec ses amis les Fleur de Lys. «Hold On» fait partie des meilleures choses qui soient arrivées à l’Angleterre. Comme si on avait fait le tour du propriétaire en trois minutes. Comme si Sharon nous avait emmené au cœur du problème. Comme si elle avait comme par magie balayé toute la concurrence. Comme si elle avait distancé les autres de manière irrémédiable. En effet, comment pouvait-on rivaliser avec the Freakbeat Queen of the Swingin’ London? Qui allait pouvoir shouter comme Sharon ? Comment allait-on pouvoir égaler un tel prodige ?

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Sa vie de star underground devenue culte est à l’image de sa discographie : courte et sèche, sans fioritures, sans atermoiements, sans rien d’autre que des bons disques, hélas trop peu de bons disques. Un groover adolescent caennais possédait un single de Sharon Tandy intitulé «Stay With Me Babe», avec «Hold On» en face B. Nous étions copains d’enfance. Cette chanson est restée pour lui comme pour moi l’une des manifestations les plus évidentes de la magie des sixties. Mais nous n’avions que ça à nous mettre sous la dent. Quand on entendait le solo de Bryn Haworth dans «Hold On», il nous était impossible d’écouter ceux de Clapton dans sa période Yardbirds/Bluesbreakers. Haworth avait décidé de libérer les démons de l’électricité et nous fûmes très sensibles à sa démarche.

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En 1967, on ne savait rien de Sharon Tandy. On parvenait à grapiller quelques informations sur Jools ou Sandy Shaw, parce que des articles paraissaient ici et là dans de mauvais magazines, mais rien sur Sharon. Il faudra attendre quelques années pour apprendre que Sharon venait de Johannesbourg, en Afrique du Sud, comme Mickie Most, et qu’elle était arrivée à Londres en 1964 au bras d’un nommé Frank Fenter, personnage ambitieux qui, comme Lucien de Rubempré, fit l’impossible pour s’élever dans l’échelle sociale. Il visait particulièrement le monde du showbiz. En tant qu’imprésario, il avait déjà essayé de promouvoir The Couriers, un beat band sud-africain à cheveux longs, mais sans succès. L’atterrissage londonien fut douloureux. Sharon se retrouva toute seule dans un appartement lugubre de Kensington, situé juste au-dessus d’un restaurant où Frank faisait la plonge. Elle se morfondait, sans un rond et sans amis. Frank savait qu’avec Sharon, il disposait d’une poule aux œufs d’or. Sa seule obsession fut de créer les conditions matérielles et médiatiques pour que ça se sache à Londres. Fenter savait qu’en partant de Londres, il pouvait conquérir le monde. Chas Chandler avait fait exactement le même calcul en ramenant Jimi Hendrix à Londres, et ça avait marché. Par contre, les gens qui avaient envoyé PJ Proby à Londres pour les mêmes raisons avaient échoué. Fenter est passé à deux doigts de la réussite. Sharon aurait pu devenir une big star comme Dusty Springfield. Elles disposaient toutes les deux du même genre de génie vocal et elles sont allées toutes les deux enregistrer des morceaux chez Stax à Memphis, accompagnées par la crème de la crème.

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Fenter disposait de l’essentiel : la voix. Pour les chansons, il pratiquerait de la même manière que Don Arden et Mickie Most qui allaient faire leurs courses au Brill Building. Il lui fallait ensuite consolider l’aspect contractuel de la carrière de Sharon. Comme il savait qu’elle allait devenir énorme, il fallait bien la border. Alors il passa du statut de plongeur dans un restaurant de Kensington au statut d’arpète chez Atlantic. Comme il débordait de détermination, il parvint à gravir les échelons assez vite et il devint le boss de la filiale anglaise d’Atlantic. Alors il se mit à gérer la carrière de Sharon. Il s’occupait de tout. Il réglait tous les détails, supervisait les moindres faits et gestes de Sharon, corrigeait ses manières, surveillait ses allées et venues, triait dans ses relations, corrigeait sa diction, observait sa façon de faire caca et distribuait l’argent de poche avec parcimonie. Rien ne lui échappait. Tu veux un backing-band, darling ? Oh pas de problème, j’ai engagé les Fleur de Lys, tu vas voir, ils sont très bien, c’est un combo agité qui commence à faire parler de lui et qui joue fort. Avec la voix que tu as, tu sauras te faire entendre ! En parfait stratège, Frank décide de lancer la carrière de Sharon avec un tube. Allez hop ! Tout le monde en lice ! Les Fleur de Lys s’accordent. Ils envoient «Stay With Me Babe» direct au firmament. La voix de Sharon file parmi les comètes éberluées. Elle chante derrière le beat, elle est trop barrée dans le génie pur ! Comme il y a deux faces sur un quarante-cinq tours, Frank demande une autre chanson. Ok boss ! «Hold On» ! Juste comme ça, pour garnir la galette. One two ! One two three ! «Hold On» part en locomotive hésitante et puis soudain, c’est le gros shuffle turbiné. Sharon se met à twister dans la fournaise des Fleur de Lys, elle secoue son popotin de vestale que dissimule à peine sa mini-jupe à grosses pétales. C’est quand même l’un des tubes les plus torrides de cette époque.

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Les Fleur de Lys sont trois. Bryn Haworth vient de remplacer Phil Sawer qui était à peu près aussi cinglé que lui. Gordon Haskell joue de la basse et Keith Guster bat le beurre.

 

Frank envoie Sharon faire des shows à la télé. Elle part en tournée avec ses Fleur de Lys chéris. Ils passent en première partie de Sonny & Cher. Sharon fricote avec Kiki Dee et Madeline Bell. Sa carrière est lancée. Jimi Hendrix vient même faire le bœuf avec les Fleur de Lys.

 

Et c’est là où Fenter met le turbo. Il réussit à faire entrer Sharon dans la tournée Stax Volt qui va embraser l’Angleterre en 1967. Mais Fenter ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Il envoie Sharon enregistrer à Memphis. Elle débarque toute seule à la gare de Memphis, comme dans un film de Jim Jarmush. Elle est un peu paumée. Un taxi la conduit chez Steve Cropper. Elle arrive en plein barbecue. Steve et Duck Dunn croquent des saucisses. Avec leurs grosses pognes pleines d’huile, ils serrent la petite pince de Sharon. Elle est morte de trouille. Elle leur explique que son mari Frank l’a envoyée chanter des chansons avec eux. Sharon est rouge comme une tomate. «Vous voulez une saucisse, Miss Tandy ?». Elle accepte poliment. Pas de serviette ? Tant pis, elle fera comme les autres, elle s’essuiera les mains sur sa jupe. Steve Cropper téléphone à son pote Isaac Hayes pour lui demander si par hasard il n’aurait pas une chanson qui traînerait dans un tiroir. Of course, Steve ! Après le barbecue, toute la joyeuse petite bande file au studio Stax. Sharon est ébahie. Ils jouent très bas ! Alors qu’à Londres, on joue si fort ! «Toe Hold» est bouclé en une prise. Une belle pièce de r’n’b que Carla Thomas reprendra elle aussi. Sharon voit défiler toutes les stars de Stax. Et hop, on enchaîne les petites merveilles : «For A Little While», une autre perle signée Isaac Hayes, et puis cette tranche de soul saignante, «More A Little Closer», où Duck Dunn, barbichu et perché sur son tabouret, tapote les cordes de sa basse avec un incomparable feeling. Pour «Things Get Better», on fait entrer la grosse artillerie dans le studio : les Memphis Horns ! L’incarnation de la Memphis Soul ! Les cuivres s’imposent, sur un morceau de Monsieur Eddie Floyd. Sharon fait une overdose de saucisses et rentre à Londres. Et malgré tout ça, sa carrière ne décolle pas. Voilà un mystère qui donnera du fil à retordre aux Égyptologues du cinquième millénaire.

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C’est à Big Beat - filiale d’Ace - qu’on doit cette fabuleuse rétrospective consacrée à Sharon, «You Gotta Believe It’s...», parue en 2004. Tout y est. C’est le moyen de mesurer la grandeur de Sharon Tandy. Dans le livret d’accompagnement, Alec Palao fait une rapide introduction et puis on se régale ensuite d’une longue interview de Sharon. Elle évoque ses souvenirs avec une candeur stupéfiante. Elle évoque le bon temps puis la cruauté du destin. On sent à travers ses propos que tout cela ne tenait qu’à un fil, celui de Frank Fenter, un mari volage dévoré par l’ambition.

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Le premier cut de l’antho s’intitule «You Gotta Believe It», gros balladif baveux. On se frotte aussitôt à cette voix de négresse blanche venue d’Afrique de Sud. Elle se fait caressante comme une chatte malicieuse et elle montre qu’elle peut grimper énormément. Et puis on tombe aussitôt après sur le mythique «Hold On», le hit-Hollandais-Volant du rock anglais, celui qu’on ne voit naviguer que les nuits sans lune. On entend Sharon entrer dans ce jerk endiablé d’une voix feinte et prendre toujours plus de poids à mesure que le morceau avance. Derrière, la fine fleur des Fleur de Lys attaque un break des enfers et l’autre brute de Bryn Haworth part en vrille, il tire ses cordes en faisant grincer ses dents, ce mec est une sale teigne, son solo coule comme de la morve, c’est un solo bien énervé, historique, l’essence même de la sauvagerie et il sort de là en hendrixant. Fabuleux shoot de distorse. Aucun guitariste anglais n’a osé jouer comme ça, même pas Jeff Beck. Ni Pete Townshend. Ce morceau justifie à lui seul l’achat de l’antho à Toto.

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Évidemment, quand on commence comme ça, après, il faut maintenir le niveau et ce sera extrêmement compliqué pour Sharon et ses amis. On aura des pièces solides comme «I Can’t Get Over It», où elle est accompagnée par Booker T & the MGs au grand complet, et «Our Day Will Come», bien heavy et poussée à l’orgue Hammond. Il plane sur «Our Day Will Come» la légende d’une jam nocturne des Fleur de Lys avec le Vanilla Fudge qui était de passage à Londres et dont Fenter était friand. Du Stax encore, avec «One Way Street», une compo d’Isaac Hayes produite par Tom Dowd. Et on apprend que ce morceau n’est jamais paru. «Hurry Hurry Choo Choo» est un groove ensorcelant qui ondule comme une hanche dans la lumière hachée du stroboscope. Frank se frotte les mains. Il félicite son pif qui ne l’a pas trompé. Sharon pulvérise les prévisions. C’est en effet une merveilleuse pièce de groove lascif et impérial, absolument dément d’envoûterie. Sharon grimpe là-haut et nous emmène sur la colline - hurry hurry - Magie pure. Sa voix nous touche au plus profond de l’être. Elle a des accents mûrs et si féminins de femme à poigne douce. C’est un hit de rêve, dans l’esprit choo choo. Encore un coup d’éclat : en plein milieu de «Daughter Of The Sun», Bryn la brute défèque un énorme solo psychédélique tout baveux. Mais, à côté de ça, il y a pas mal de déchets, sur cette antho, ce qui d’une certaine façon pourrait expliquer une partie du mystère.

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«The Way She Looks At You» est un pur hit de juke, signé Graham Dee et Brian Potter, deux Britanniques qui se situaient au niveau des compositeurs maison de Tamla. Selon Gordon Haskell, ce «writing team» d’enfer aurait dû exploser en Angleterre. Sharon est bien là-dessus. Elle peut éclater la voûte, comme le firent les Supremes, à elle toute seule. On sent la puissance de cette pop orchestrée. C’est l’époque qui veut ça, cette fébrilité dans la friandise et la surenchère des arrangements, histoire de nous faire croire que la vie est merveilleuse. Magie de la pop. Tempo soutenu. La bande-son des jours heureux. Délaissée par son mari, Sharon se jette dans les bras de Bryn Haworth. Elle est toujours mariée à Fenton, mais ils ne vivent plus ensemble depuis belle lurette. Elle va rester deux ans avec cette brute de Bryn qui sombre dans la drogue. Il partira ensuite aux États-Unis en compagnie de Leigh Stephens, le guitariste original de Blue Cheer. Sharon ne reverra jamais Bryn, l’amour de sa vie. Alors, en désespoir de cause, elle épouse son frère, Kim, qui est batteur.

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Puis on arrive à «Stay With Me». Elle monte si haut qu’elle fend le cœur des machos les plus endurcis. C’est un numéro de virtuose. L’amour dans les sixties, c’est Sharon Tandy.

 

Elle peut aller vers le jazz avec des trucs comme «More A Little Closer» - ah-ah approche-toi de moi - elle sait faire grimper la température. Retour au freakbeat signé Graham Dee avec «Gotta Get Enough Time» pure merveille taillée à la serpe wha-wha haworthienne. Le son, rien que le son ! Elle revient au grandiose avec un hit des Bee Gees, «World» et fait un duo de r’n’b avec Tony Head. Mais c’est la fin des haricots. Sharon sombre dans la déprime. Déguisé en Zorro, son oncle vient la chercher pour la ramener à Johannesbourg. Alors, elle se range des voitures. L’éclat de son culte brasille encore dans la mémoire des groovers caennais.

 

Signé : Cazengler le Sharognard

 

Disparue le 21 mars 2015

 

Sharon Tandy. You Gotta Believe It’s... Sharon Tandy. Big Beat Records 2004

 



 

NONVILLE ( 77 ) / 11 - 09 - 2015

 

LE JONGLEUR EST DANS LE PRE

 

FESTIVAL DES ARTS DU CIRQUE

 

JALLIES

 

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Nonville ! Encore un patelin improbable qui n'est même pas sûr d'exister. D'ailleurs le Grand Phil n'a jamais trouvé la localité. Il a simplement vu aux abords d'un croisement désertique des voitures stationnées devant une pépinière géante. C'était juste en face, dans l'Impasse des Prés. De toutes les manières pour les Jallies nous sommes prêts, à aller jusqu'au bout du monde. Un grand marabout, l'entrée est payante mais vous pouvez entrer sans payer. Qu'est-ce que c'est que ce cirque ? Ne circulez pas, il y a à voir, le concert en fin de soirée est gratuit, si vous aimez jongler avec les situations, deux spectacles sous chapiteau vous sont offerts pour la modique somme de dix euros. Comme nous sommes des rockers faméliques et que nous pensons que la vraie vie du Colonel Parker a commencé le jour où il a arrêté de s'occuper d'artistes circulaires pour manager Elvis, nous resterons attablés à nous goinfrer de barquettes de frites et à ingurgiter des hectolitres de bière et de café. Au demeurant l'ambiance est sympa, détendue, festive et amicale.

 

Ne croyez jamais ce que vous lisez dans les livres. Longtemps j'ai pensé que l'Inde était un pays de haute sagesse, de grande sapience, nantie d'une pensée millénaire, et tout le tintouin habituel que l'on évoque dès que son nom apparaît dans une conversation. Ce ne sont que des clichés. En vérité il s'agit d'un peuple stupide, dépravé, dégénéré, totalement insensible à la beauté du monde. La première personne que j'aperçois dans la foule, c'est la Vaness toute souriante, la preuve vivante de l'inintelligence indienne. Ces fous furieux ont tenu leur promesse, au bout d'un mois et demi, ils nous l'ont rendue, les malheureux l'ont laissée repartir en France. Nous à leur place, on l'aurait gardée, précieusement. Egoïstement. Elle aurait pu continuer à barbouiller toutes les fresques de tous les temples à sa guise, mais jamais on ne lui aurait donné la permission de retourner en douce France. Une fois prêtée, trois coups de bâton sur le bout du nez.

 

Les jongleurs ont fait leurs numéros, par deux fois. Super spectacles emplis de poésie, novateurs, surprenants et féériques, nous a assuré la copine – qui n'aime pas les patates en barquette plastifiée – et qui a choisi d'y assister. Nous, on ne s'est même pas déplacés sur la pelouse pour les cracheurs de feu. L'on a patiemment attendu avec les Jallies, Mister B discutant des cordes les mieux appropriées pour la toute nouvelle guitare folk de Vanessa. Plonk ! Plonk ! Plonk ! C'est la contrebasse de Kross qui fait ses gammes et l'orga paniquée qui court l'implorer de la mettre en moderato cantabile, car l'on n'entend plus les artistes sous le grand barnum ! Presque minuit ! La toile s'entrouvre, les femmes, les enfants et les pères de famille s'éclipsent dans la nuit, toute la saine jeunesse rallie comme un seul homme l'estrade des Jallies.

 

CONCERT

 

Ce qui est monotone avec les Jallies, c'est qu'elles captivent leur auditoire en moins de deux morceaux. Et ce soir, cela va confiner à la dévotion, à la moindre anicroche l'assistance se sent investie d'une noble mission de sauvegarde. La boule miroir pendue au plafond censée éparpiller en mille éclats tournoyant la lumière des projecteurs refuse-t-elle de tourner que régulièrement les plus grands escogriffes du public en transe se précipitent sur la pointe des pieds pour lui imprimer un mouvement aristotélicien de rotation ( en théorie ) infinie. Au cinquième titre, c'est l'affolement généralisé. Une cruelle évidence philosophique pénètre brusquement les consciences aux aguets avec la force syllogistique du raisonnement cartésien. Elles chantent, donc elles ont soif. Tout de suite l'on assiste au miracle de la multiplication des verres de vin qui n'en finissent pas d'arriver de partout. On a dû mettre un camion citerne en perce dans l'obscurité de la nuit. D'abord les gobelets de plastique remplis à ras bord du sang empourpré de la vigne sont religieusement déposés aux pieds des madones, puis devant l'afflux envahissant, une table est improvisée à portée de main, juste sur le devant des micros. Fait notable : pour une fois Tom et Kross, comme toujours relégués au second plan, ne sont pas oubliés, pour eux c'est la bière ambrée qui coule à flots.

 

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Je n'oublierai jamais de Leslie les yeux - pierres précieuses étincelantes – brillants de fièvre. Malade et frissonante, le cou enveloppé dans le boa vert d'une grosse écharpe laineuse dont elle finira par se démettre, la voix enrouée qui retrouve subitement son timbre pour un Train Kept A Rollin démentiel qui emporte tout sur son passage. Ne chantera que trois morceaux, trois hot rocks chargés d'intenses trépidations. Mister B qui l'entend pour la première fois nous dira qu'elle a une véritable voix. Ce qui chez lui n'est pas un mince compliment.

 

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Céline, explosive. Partout dans sa robe noire si seyante, tenaillée au corps par l'envie et la volonté de chanter coûte que coûte. Un allant fou. Bondit de micro en micro. Prête à faire sa fête à n'importe quel morceau. Elle a du chien, du hound dog dans sa voix, mais métissée en arrière-fond d'un écho de scat cat, qui tire vers un swing parfumé d'un léger fumet de jazz. Faut de la générosité pour cette sorte d'infléchissement, et tout dans les élancements de son corps trahit cette propension à se laisser glisser vers de telles difficultés, celle du rebond de la voix qui se doit de prendre appui sur elle-même pour atteindre encore à une plus grande élasticité.

 

Kross ce n'est pas une fille. C'est un garçon, un vrai, un dur. Dans la vie, le plus gentil. Mais à la contrebasse il a décidé d'affirmer sa virilité. Conquérante. Les trois mignonnettes devant elles peuvent vous faire le coup du charme, lui il ne donne que des coups. Pas la peine de le mettre derrière, il sait se faire entendre, suit le rythme mais devant. Un impulsif. Un incitatif. De la dentelle par devant, mais lui c'est la bonne toile écrue, solide et inusable. Les filles lui laissent de temps en temps l'espace de proposer un échantillon en solo, mais l'on est déjà au courant, depuis le début du set. Déballe sa marchandise dès la première minute, et au simple toucher d'oreille, l'on est obligé de reconnaître la qualité.

 

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Tom, à la guitare. Pas swing pour un euro, pas rockab pour un franc suisse. Mieux que cela. Des dollars à foison dans les poches. Vient du blues, en connaît tous les plans, et se permet d'en rajouter quelques uns à la panoplie qui n'appartiennent qu'à lui. L'est comme le chat qui s'en vient squatter votre appartement. Au bout de quinze jours il est devenu le véritable maître de la maison. Vous croyez qu'il s'est adapté à votre mode de vie, c'est faux c'est vous qui êtes devenu dépendant du sien. Pas swing, mais à la minute il vous pond la grille d'accord qui colle au mieux. Quand vous regardez d'un plus près vous êtes obligés de reconnaître que c'est sacrément bien trastégé, que vous n'y aurez pas pensé, mais que c'est parfait. Pas rockab, mais il vous infiltre le serpent du blues dans vos compos avec tant d'à-propos qu'elles sont beaucoup plus mordantes et acérées que vous ne l'auriez cru. L'air de rien quand il prend un solo, mais il creuse loin, il vous promène jusqu'au fond du paysage, vous fait visiter le pays et quand il rentre dans le rang vous vous demandez si vous n'avez pas rêvé, mais, vous devez en convenir. L'a tenu ses promesses et son rôle de lead guitar. Celui qui tient la barre.

 

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Deux filles. Deux garçons. Les Jallies ne sont pas pour la parité. L'en reste toujours une ( ou l'autre ) de plus pour ramasser la mise. Vanessa, revenue de son odyssée, encore un peu secouée, un peu plus sur la caisse claire et un peu moins au chant. Dommage car sa voix rauque et sauvage nous agrée, elle remue et arrache les cocotiers pachydermiques de nos consciences endormies comme un jour d'ouragan ou de grande tempête. Nous bouscule, nous ôte de là et d'ici pour s'y mettre. A notre place. Pour nous prouver que c'est mieux ainsi. Le tout avec ce sourire enjôleur qui se termine en éclat de rire intempestif. Comme le show de ce soir.

 

Ont joué plus d'une heure et demie sans discontinuer. Sous le vaste tipie aux pans relevé, la foule a dansé souverainement, un tournoiement sans fin de corps enchevêtrés. Acclamations terminales. Encore des concerts à venir. Les Jallies espèrent un breack courant octobre, le temps de composer et d'enregistrer un deuxième disque. Avec les Jallies la vie est un cirque qui ne s'arrête jamais. Ce n'est pas le Grand Phil qui me contredira.

 

Damie Chad.

( les photos ne correspondent pas au concert )

 

 

NOTULES DE TOULOUSE

 

LA DERNIERE CHANCE – 11 / 09 / 15

 

 

THE GRAVE DIGGERS / THE WILD ZOMBIE

 

LES ENNUIS COMMENCENT

 

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L'ami Chad nous l'avait conseillé : ne ratez sous aucun prétexte Les Ennuis Commencent. Les voici annoncés à La Dernière Chance. Nous voilà donc partis, Eric et moi, non pas en teuf-teuf, mais en tram et en métro, très vite. Peur de ne pas avoir de place mais en fait nous nous sommes retrouvés une poignée de pèlerins devant le cabaret de La Dernière Chance. Nous sommes pressés de saisir la nôtre, mais nous attendons car la billetterie ne trouve pas la caisse. Z’avaient fait la fête jusqu’à sept heures du mat la veille et effectuaient un sommaire nettoyage du lieu. Z'auraient dû se reposer, on n'aurait pas vu la différence, tout juste si le tenancier commençait à éponger le comptoir. Et nous voici en train de descendre un escalier, dans le noir profond - les mines de charbon ne sont plus à Decazeville - pour aboutir dans une petite salle avec une scène éclairée de trois mètres sur deux (difficile de se mouvoir pour les musicos ! ). Transportés dans un lieu comme il en existait il y a quarante ans, en une dimension non écologique où les gens fumaient sans que cela inquiétât qui que ce fût ! Heureusement nous n'étions que dix au départ pour finir une trentaine en fin de soirée. Z’avons vite compris en arrivant qu’il fallait bien choisir sa place car les semelles collaient tellement au sol - n'avait pas vu la couleur de l’eau depuis belle lurette – qu’une fois kitchés on ne pouvait plus bouger.

 

 

THE GRAVE DIGGERS

 

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Dès le premier morceau de The Grave Diggers, de Toulouse, on comprend vite qu’on en ressortira tous sourds. Mais comme tu ne peux plus bouger car tes pieds sont collés... Groupe sympathique, bons techniciens, corrects mais bon, un peu flous,  nous jouent les génériques de Pulp Fiction comme de L'inspecteur Gagdet….

 

 

THE WILD ZOMBIES

 

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Puis arrivent The Wild Zombies, quatre gars de la ville rose, deux guitaristes, basse et batteur, des colliers de dents autour du cou. Après une mise en scène : statuette Baron Samedi et encens, ils jouent de la bonne musique, le chanteur a une belle voix intéressante. Bons musicos. Nous ne sommes plus que six à les écouter, dommage car la musique est nettement supérieure à celle du groupe précédent.

 

 

LES ENNUIS COMMENCENT

 

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Gus Tattoo, le contrebassiste s’installe (je kiffe, comme dirait l'amie Béa, sur la contrebasse. J’en veux une comme ça, trop belle!). Puis arrive Atomic Ben, directly from Decazeville – un autre fils du Sud - je me précipite pour le prendre en photo et ne voilà-t-il pas qu’il pose en me disant : « d’habitude c’est le contrebassiste que l’on prend en photo! ». Suis contente, toute troublée... comme la photo! Ils paraissent tellement timides que l’on ne voit pas arriver le reste des musiciens, deux petits jeunes tout fins, Arno le guitariste et Hugo le batteur.

 

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Et puis, c’est le nirvana, bon n’exagérons pas mais quelle explosion! Nous serons finalement une trentaine à jubiler pendant une petite heure seulement, car il a fallut laisser la place à un DJ, n'aurions-nous donc vécu que pour cette infamie ? Dommage, les Ennuis étaient bien partis pour jouer une heure de plus. On ne les tenait plus, et nous non plus. Enfin une super ambiance, de la bonne musique, de l’humour, des musiciens qui vous offrent, tout simplement, leur talent et leur amour en partage. Bref, la classe !!!

 

Ils sortent leur dernier album le 28 novembre !

 

 

LA VIE APRES LE CHARBON

 

Et c’est complètement sourds que nous nous sommes extirpés de ce sol gluant mais sans regret d’être venus.

 

Pat'

 

 

 

L'OEIL DU LEZARD

 

RICHARD HELL

 

( Editions de L'Olivier / Col : Marges / 1999 )

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De loin sur l'étalage du bouquiniste je n'ai vu que le mot lézard qui me faisait de l'œil. Un truc sur Jim Morrison, je prends. Sans regarder. En m'approchant me suis aperçu que c'était un roman de Richard Hell. Titre original Go Now ( excellent morceau des Moody Blues, de 1965 ), avec un tel titre, l'éditeur était sûr de rameuter la frange de la clientèle idoine. Richard Hell, je l'ai un peu perdu de vue depuis longtemps. M'étais précipité sur l'album de Television ( surtout ne confondez pas avec Téléphone ) et l'hymne punk The Blank Generation que j'ai à plusieurs reprises tenté de fredonner. Sans réussir. Richard Hell, ce sont les débuts du punk américain, le CBGB, Paul Verlaine qui s'en fut avec Pattie Smith, et puis les Heartbreakers avec Johnny Thunders et Jerry Nolan rescapés des New York Dolls, et puis plus grand-chose, disparu des radars. Du moins des miens. L'est vrai que je traînais ailleurs. Son personnage, sa dégaine, sa philosophie existentielle, ont beaucoup influencé les Sex Pistols. L'a poursuivi sa route. N'a pas donné dans les émissions de télé-réalité comme Johnny le pourri. L'a continué son highway to Hell, l'a poursuivi sa saison en Enfer, tout seul comme un grand, est devenu – facile pour lui, l'était déjà poète – écrivain. Silence, s'il vous plaît, ne me dérangez plus, je lis.

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Terminé. Je reviens de chez le diable, je vais vous raconter. Les trois ingrédients de base – facile à identifier, il n'y a rien d'autre – que nous aimons tous. Sex, drugs and rock'n'roll. Pour les plats épicés, tout est question de dosage. Une pincée de rock and roll, trois pages en tout, une répète annulée, et un concert expédié à la pro. Pas mauvais, public content, mais ce n'est pas le sujet du bouquin. Sex, bite qui trique et vulves qui ouvrent la valve. Les trois morceaux de bravoure qui tiennent le roman. Trois scènes ad hoc. Le poids des mots, mais pas le choc des photos. Que de la prose, pas d'illustration. Mais parfois les mots qui font mâle vous crayonnent une esquisse de la réalité mieux qu'un dessin. Quant à la drogue je n'ose pas dire qu'il n'en manque pas, car le propre d'un junkie c'est d'être toujours en manque.

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Evitez les mésinterprétations induites par la quatrième de couverture. Le résumé nous raconte le scénario de Sur la Route de Kérouac. C'est vrai que nos deux héros sont chargés de traverser les Etats-Unis en bagnole, pour en ramener un bouquin, photos de l'une, textes de l'un. Pour les amateurs de paysages américains, style grands espaces infinis on the road sixty-six, à part l'asphalte grise des autoroutes ou le goudron des modestes routes campagnardes, pas grand-chose à reluquer. L'essentiel de l'action se déroule dans les chambres impersonnelles de motels interchangeables.

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Action riquiqui. Reste donc les sentiments. Une histoire d'amour. Qui se termine mal. Normal, celles qui s'achèvent bien se perdent dans les corvées de vaisselles et autres joyeusetés de la vie de couple. Triste fin. Mais dans un éclat de rire. En fait le héros se fout de l'héroïne. Mais pas de l'héroïne. La vraie celle qui vous procure the big trip, dixit Lou Reed. Quoique là, ce soit plutôt I'm Waiting For My Man, twenty-six dollars in my hand. Un peu moins brutal tout de même. A chaque coup, Billy le veinard parvient à s'en procurer. Sans trop de peine. Et pour par trop cher. Certes l'est fauché comme les blés un soir de moisson, mais ce n'est pas trop le problème. S'en sort toujours. Parvient à jongler, doses, méthadone, alcool, médicaments, l'un dans l'autre, l'une sans les autres, il colmate les fissures.

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Vous avez compris, de la page uno à la deux-cent trente-sixième, Mister Junk fait tous ses efforts possibles et inimaginables pour rester le junkie de base heureux de son sort. Au fond préfère un bon schoot qu'une baise à couilles rabattues. N'est pas vraiment un cénobite à la bite molle mais entre l'essentiel du sexe et l'absolu de la blanche béatitude, la balance penche obstinément du côté du second plateau.

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Vous ai raconté le début, le milieu et la fin de l'histoire. Le scénario est plus que prévisible. Cousu de fil blanc, avec de grosses cordes. Vous avez compris. Parfait. Vous pouvez maintenant commencer la lecture. Dégagée de tout élément évènementiel. Car voyez-vous tout se passe dans la tête du héros. Monologue intérieur. De l'Edouard Dujardin survitaminé, de la dame Bloom et joycienne adaptée à l'échelle de l'Amérique. Richard Hell est un écrivain. Vous visse au texte. Vous voulez en savoir plus. Circulez il n'y a rien d'autre à voir. Billy Mud vous le répètera plus de cent fois. L'important ce n'est pas la chose, c'est la manière dont on annonce la chose. Richard Hell, vous recompose le tangram des sept idées fixes qui tournent entre les neurones de Billy, à chaque fois vous vous y faites prendre, vous attendez la nouvelle configuration, à peine est-elle effective qu'il mélange une fois de plus la donne initiale et vous propose une autre mouture tout aussi passionnante que la précédente. Et la suivante aussi. Vous avez mordu dans le texte, tant pis pour vous. A chacun son addiction, pour Billy Mud – notre héros se réclame de l'esthétique punk – c'est l'héroïne, pour vous c'est le texte de Richard Hell. Vous entraîne dans sa dérive. Et dans celle de Billy Mud. En automobile vintage. Avec sa copine Chrissa. Mignonne, sympathique, artiste. Si elle disait oui, vous ne diriez pas non, mais soyons franc, c'est Billy qui vous attire. Je sais, ce n'est pas gay. C'est triste. Et même pire. Vous hypnotise avec sa candeur rusée de camelot, ses circonvolutions dérisoires, ses faux renoncements, ses véritables déclarations, du grand art. Pas celui de Billy qui agite le chiffon rouge de son verbiage souverain et infini sous le mufle de la bête poudreuse, mais celui de Hell qui opère une transaction alchimique sur son lecteur qui se transforme à son insu en junkie par procuration littéraire.

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Billy-Pénélope qui retisse le jour la toile de ses mensonges qu'il a défaits la nuit. Un Richard Hell célinien, par sa cruelle mise à nu des méandres humains. Le cerveau présenté comme un méat excrémentiel dont la décharge catharsique aide à garder l'équilibre sur la monture qui vole au-dessus de l'abîme. Le bellerophonoïmane ne chasse pas le monstre. Car la bête hideuse n'est pas une chimère. C'est lui le monstre. Peut faire semblant de s'endormir sous un déluge de paroles. Mais il n'est pas dupe de son cynisme. Le poison est le seul antidote du poison. Fait avec. Manoeuvre au plus près. Livre amoral. La Méduse se regarde-t-elle dans son miroir chaque matin ? Richard Hell voudrait-il insinuer que notre plus grande lâcheté est aussi notre plus pur triomphe ?

 

Un beau livre.

 

Damie Chad.

 

 

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CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL

 

STEVEN JEZO VANNIER

 

LE MOT ET LE RESTE ( Juin 2015 )

 

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Fut un temps où j'aurais pu devenir multi-millionnaire, l'aurait suffit une ordonnance du gouvernement créditant mon compte en banque d'une misérable pièce de Un franc à chaque fois que me serait passé chez les disquaires d'occasion, un simple single de Creedence Clearwater Revival. Y en avait partout, et pas de la gnognote pour chats souffreteux et malentendants. Que des bons morceaux, des scuds de premier choix, des tubes universels, des trucs que l'on entendait sans arrêt à la radio, suffisait qu'il y ait une fenêtre ouverte pour que les échos de Travellin' Band ou de Bad Moon Rising ne viennent nicher au creux de vos oreilles. A croire que la France entière passait son temps dans ses appartements à faire tourner sans discontinuer l'impressionnante collection des quarante-cinq tours de Creedence. En plus les Creedence possédaient une technique imparable. Beurraient les deux côtés de la tartine. Un hit incontournable en Face A, et une irremplaçable pépite d'or pur en face B. Pouviez la jouer à pile ou face, ou sortir l'objet du délice de sa pochette les yeux fermés, vous étiez à coup sûr gagnant. Question trente-tours vous vous la pétiez thaumaturge sans coup férir, chez les copains le dessus de la pile de disques c'était obligatoirement Cosmo's Factory. Y avait bien une minorité qui arborait Bayou Country, mais il y a toujours des petits malins qui aiment à se faire remarquer. Ne savent eux-mêmes pas pourquoi, mais c'est ainsi.

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Tout le monde écoutait Creedence Clearwater Revival. Tout le monde achetait du Creedence Clearwater Revival. Tout le monde tripait sur Creedence Clearwater Revival. Mais ne vous y trompez pas, l'était notoirement entendu que c'était de la grosse daube. En public, l'était bon ton de s'en gausser. Oui, j'ai toute la collection chez moi, mais c'est un pote qui déménageait qui ne voulait pas s'en embarrasser. Je les ai pris pour lui rendre service. Un festival d'hypocrisie. Soyez compréhensifs pour les copains. Ne les accusez pas des pires turpitudes morales. Ce n'était pas de leur faute. Mais celle du Creedence. C'était quoi ces bouseux à chemise à carreaux qui venaient piétiner les tapis du salon avec leurs bottes à crottins. Pouah ! Quelle horreur ! Sympathiques, certes. Mais des rustauds qui n'avaient jamais bougé de leur patelin. Des gars francs du collier, de bons bougres, des travailleurs honnêtes qui ne rechignent pas à plonger la main dans le cambouis, mais qui embaumaient la naphtaline, z'avaient dû rester dix ans enfermés dans un placard du Sun Studio. N'avaient pas eu le temps d'être débourrés. Des rupestres. Ne s'étaient pas aperçus que depuis 1954, l'on avait changé d'époque. La mode avait tourné. L'époque avait évolué. L'on abordait des temps de quintessence musicale, le rock était entré dans la ville, se vautrait dans le luxe des tentures de soie indienne, les atmosphères s'étaient raréfiées, l'on explorait des ambiances nouvelles, on tentait des teintes plus alambiquées. L'on cherchait l'inédit, l'inaudit, le rare, le précieux, alors ces quatre forgerons qui cognaient comme des sourds impavides, c'était too much et pas du tout too class for the neighbourhood. Toute la différence sociologique qui sépare la ruralité de la décadence. Le bourgeois du prolétaire. Les dinosaurocks qui s'invitent à brouter sur les rares pelouses interdites au commun des mortels, ça fait un peu désordre !

 

Remarquez qu'ils ont bien eu leur monde. On aurait pu réfléchir, qu'ils n'allaient pas faire mieux que les Doors. Jim Morrison, le Big Beat et les grosses bêtes vaseuses qui sortent du marécage, c'était de la mytho rock, venaient tout droit de Los Angeles. Idem pour le Creedence, un peu moins chanceux et fortunés les gars, nichaient dans un bled paumé El Cerrito ( pas du tout sur le gâteau ), sur la côte ouest pas très loin de Berkeley, et pourtant avec les moites touffeurs de leur reprise de I Put A Spell On You l'on aurait juré que les alligators de la Louisiane pondaient leurs œufs dans le potager familial.

 

TOM & JOHN

 

Des adolescents américains comme il en existait des millions. Avec le grand éclair blanc qui s'en vint illuminer leur adolescence. L'explosion du rock and roll. Elvis et toute la bande de frappés qui le suivirent ( et le dépassèrent ) sur le sentier de la guerre. Pour John Fogerty l'idole préférée, ce sera Little Richard. Le premier pas vers les bayous de la New Orleans. L'avenir s'annonce aussi limpide qu'un rêve impossible : sera guitariste de rock et rien d'autre. N'en démordra plus. D'autant plus que le frère aîné a déjà fait le même rêve et qu'il commence à être connu... à Cerrito et ses proches environs. En attendant John se débrouille, avec deux copains d'école Doug Clifford et Stewart Cook, ils forment les Blue Velvet. Ce n'est pas le tapis de velours rouge qui les emmènera à la célébrité, n'iront jamais plus loin que les fêtes d'école et les bals d'étudiants. L'avenir ne s'annonce guère grandiose, mais c'est alors que surgit le héros salvateur sur son cheval blanc. Juste une image, c'est Tom dont le groupe s'est désintégré qui vient donné un coup de main au frérot : la différence s'entend tout de suite, désormais nous avons affaire à Tommy Fogerty and The Blue Velvet. Parviennent à enregistrer en 1960 un simple sur Orchestra. Sans succès.

 

JOHN & TOM

 

Très doucement et très peu sûrement la machine se prépare à se mettre en route. Sont maintenant chez Fantasy, ont été rebaptisés The Golliwogs, et les singles se suivent et se ressemblent. Echec sur échec. Mais ce sont des teigneux, des coriaces. Persévèrent dans la devise de Guillaume d'Orange amère. Le plus vindicatif des quatre c'est John, ne quitte plus sa guitare à tel point qu'il devient meilleur que son frère et lui qui était un grand timide – encouragé par les trois autres qui lui trouvent une belle voix – assure de plus en plus souvent les vocalises. Désormais pas question de sauter une seule répète, instaure une discipline de fer, mais librement consentie par ses pairs qui veulent y arriver coûte que coûte. Unis comme les quatre doigts de la main, tous pour un et un pour tous, mais John Fogerty s'impose comme le boss moral. Crédo des amerloques : si tu bosses dur, tu réussiras.

 

THE SUNRISE

 

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C'est alors que surgit le héros salvateur sur son cheval noir. Mauvais présage que cette couleur, ils auraient dû se méfier mais il possède des arguments convaincants. Et directement il met la main à la pâte, et au portefeuille. S'appelle Saul Zaentz, vient de racheter Fantazy, l'a du métier et du flair. Ne croit pas en eux, les prend pour la poule aux œufs d'or. L'avenir très proche lui donnera raison. Tout de suite un contrat qu'ils signent les yeux fermés, puis un changement de nom, les gars proposent Creedence Clearwater Revival, accepté avec enthousiasme, et hop l'on enregistre direct un album. En huit jours, qui s'écoulera telles les eaux majestueuses du Mississippi, à un million d'exemplaires.

 

LE CONTE DE FEES

 

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Le Zaentz l'a tout pigé. Quand on a des cadors faut les laisser gérer gérer leurs partitions tout seuls. Niveau musical, se contente d'impulser le truc, hé, les gars ce ne serait pas mal de sortir un nouveau disque. Et puis, il ne s'en préoccupe plus. Les quatre bourrins se précipitent vers leur local de répétition. Au triple galop. Cette expression n'est pas une métaphore, en l'an de grâce 1969, ils sortent coup sur coup, trois trente-trois : Bayou Country, Green River, Willy and The Poor Boys. Trois bijoux, trois chefs-d'oeuvre. Le plus acharné à la tâche c'est John, le travail lui monte à la tête, se convainc qu'il est la cheville ouvrière du groupe, et les autres sont obligés de lui donner raison, sait exactement ce qu'il faut faire, et comment il faut le faire. A tel point que parfois il préfère le faire à la place des confères. Un peu vexant, mais avec les millions de dollars qui s'entassent à chaque fois, ils reconnaissent que le John Fogerty l'est terriblement efficace.

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Guitare et chant, l'assure à cent pour cent. Mais possède encore un troisième don, plus rare. Sait écrire, sait composer, trouve les mots qui portent. Un vrai tireur d'élite, et il ne se contente pas de Baby, I love You. Alors que sa musique n'oublie pas les racines, un subtil mélange typiquement américain à base de folk, de country, de rock and roll, et de blues – les pétales de ses paroles recueillent la pluie de l'actualité. Là encore il offre un mix, les vieilles valeurs traditionnelle de l'Amérique profonde, travail, individu, fierté, sont associées à cet esprit de révolte romantique, de volonté de changement et de mieux-être qui régit bien des colères de cette espèce de pragmatique utopique qui empêche que le rêve américain ne se transforme en cauchemar. Du moins dans les films. Sur ses rythmiques infaillibles Creedence véhicule des messages qui font mouche, préoccupations écologiques, opposition à la guerre du Vietnam, critique sociale, devoir de droiture des conduites humaines. Avec en sourdine, une note pessimiste, Fogerty s'élève contre les injustices mais ne nous promet pas un monde idyllique et heureux pour demain. Ni après-demain.

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CRAQUELEMENTS

 

Ce sont ses paroles qui vont permettre à la musique de Creedence d'être reçue dans les tribus hippies et la jeunesse révoltée de la Californie. Mais leurs prestations scéniques d'une qualité exceptionnelles et d'un professionnalisme aguerri par de nombreuses années de galère emporteront l'adhésion des récalcitrants. Creedence sera respecté et par ses fans et par l'ensemble du milieu musical un tantinet déjanté de l'époque. Sont un peu straight, chemises à carreaux, pas de cohortes de groupies délurés, pas de drogues, pas d'expérimentation lysergiques. Des petits gars mariés qui passent leurs vacances sagement en familles, tous ensemble.

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Un monde parfait. Qui pendant deux ans capitalisera sur cette image sereine et paisible. En 1970, Cosmo's Factory en léger recul par rapport aux trois précédents albums est accueilli à bras ouverts par le public. Mais avant d'exploser la lave des volcans bouillonne à l'intérieur. Stu, Tom, et Doug ne supportent plus l'hégémonie créatrice, directoriale et dictatoriale de John. Pendulum, le disque suivant met à jour, pour qui sait écouter, les dissensions du groupe. Dispersion instrumentale, paroles amères, les apparences ne sont pas sauvées. D'ailleurs Tom démissionne. S'en va et ne reviendra pas.

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En 1972, Mardi-Gras sonnera le glas du trio restant. Le disque a été enregistré à la manière de l'Abbey Road des Beatles, chacun travaillant sur ses propres compos, Stu et Doug ensemble, John tout seul. Expérience non concluante, le phénix ne renaîtra pas de ses cendres.

 

ET ZAENTZ, NE PASSE PAS L'EPONGE !

 

Stu et Doug ne retrouveront jamais le succès, mais ils ont accédé à un bien plus précieux, la liberté créatrice. Steven-Jezo-Vannier suit scrupuleusement la suite de leur pérégrination, mais c'est évidemment John Fogerty qui nous intéresse. L'homme avait tout ce qu'il faut pour devenir un outlaw de la rock music à laWaylon Jenning, ne parviendra même pas à rester lui-même. Se perd dans ce que Nietzsche nomme le nihilisme du ressentiment. C'est qu'à la déconvenue affective de la séparation s'en ajoute une autre d'une extrême gravité. Le contrat signé avec Saul Zaentz s'avère léonin. Lui revient le droit de propriété sur l'exploitation des chansons de John, qui se trouve démis de sa création. Moralement le combat de John pour rentrer en possession de son œuvre est plus que compréhensible, mais pour la justice la validité d'un contrat signé en bonne et due forme ne saurait être rejetée... Zaentz est en position de force, Stu, Doug et Tom ne tarderont pas à composer avec lui et à trouver un arrangement qui permet le versement de royalties sur les rééditions. John refuse de plier. Se fâche avec ses anciens complices. Ne retrouvera Tom que sur son lit de mort, mais le pardon ne sera pas total, c'est du moins ce que l'on peut comprendre du résultat de cette entrevue à laquelle personne n'assistera. John ne fera la paix avec lui-même que bien plus tard à la fin du siècle en 1997 lorsqu'il acceptera d'inclure et de chanter ses propres morceaux du temps de Creedence dans son tour de chant...

 

SURVIE ET RETOURS

 

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Perte d'argent n'est pas mortelle. Mais dans l'affaire John y laisse toutes ses plumes. La tranquillité d'esprit et sa fièvre créatrice. Décide de se venger en produisant un nouvel album aussi bon que les premiers Creedence. Se jure fort d'écrire de nouveau une douzaine de tubes qui iront cartonner au minimum dans le top 5 des hit-parades. Lui fallut déchanter. Ses diverses tentatives avortèrent. Sans rémission. Et pas la peine d'accuser les circonstances, le public, et la nouvelle maison de disques. Fogerty n'est plus Fogerty, ne parvient plus à concocter ses flamboyantes effulgences qui firent notre bonheur. Le monde a changé et Fogerty s'est aigri, comme un fruit trop mûr.

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Dix ans après, en 1985, ce sera enfin Centerfield qui marque le grand retour de John. L'a prouvé à lui-même, au monde, et à Saul Zaents, qu'il est redevenu lui-même, le Grand John Fogerty. Les jours qui suivent ne seront tout de même pas un grand fleuve tranquille. Les albums suivants n'atteindront pas le même succès mais remporteront l'estime des connaisseurs. L'homme a inscrit sa sculpture sur le Mont Rushmore de l'inconscient rock. Son aura symbolique le dépasse de beaucoup, l'est devenu un personnage de légende avant d'être mort. Aujourd'hui à soixante-dix ans Fogerty continue son chemin, encensé par tous, vénéré par Bruce Springteen pour qui il est le véritable boss.

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Steven Jezo-Vannier, spécialiste de de la culture rock californienne, chroniqueur sur plusieurs webzines comme Inside Rock ou Vapeur Mauve, n'est pas le moins déçu. A lire sa monographie de Creedence Clearwater Revival et de son leader on éprouve la sensation d'un arbre abattu un peu trop tôt. Dont tous les chants n'auront pas fui. Pour notre plus grand regret. Un livre à lire pour tous les amoureux du Creedence Clearwater Revival. Attention la fin de l'histoire est triste. A pleurer. A verser des larmes d'alligators nés dans le bayou mythique du rock and roll. Vous ne voudriez tout de même pas que le héros gagne tout le temps ?

 

Damie Chad.