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30/09/2015

KR'TNT ! ¤ 249 : STOMPIN' RIFFRAFFS / BRITISH ROCK / JALLIES

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 249

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

01 / 10 / 2015

 

 

STOMPIN' RIFFRAFFS / BRITISH ROCK / JALLIES

 

 

BETHUNE RETRO / 29 & 30 Août 2015

 

STOMPIN' RIFFRAFFS

 

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LE RAFFUT DES RIFFFRAFFS

 

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On ne savait pas encore qu’il s’appelait Nao, mais on voyait bien qu’il était japonais. Petit et bien typé. Et comme il avait cousu un logo Wild Records au dos de son blouson de jean, il semblait logique d’en déduire qu’il jouait dans les Stompin’ Riffraffs, le groupe de rockab japonais programmé à Béthune Rétro. Il se tenait tout près, à la barrière, pour voir jouer ses collègues les Desperados, eux aussi sur Wild. Comme tous ceux qui se trouvaient agglutinés à l’avant, il semblait vraiment apprécier la bonne petite pétaudière des Desperados, et lui peut-être plus encore, car il rigolait. Il semblait vivre un moment tellement intense qu’il l’exprimait naturellement par la rigolade, comme le font sur scène Steve Diggles des Buzzcocks ou encore Kyle Rose Stokes, la bassiste intérimaire des Love Me Nots. On ne voit pas souvent les gens se marrer dans les concerts. C’est dommage, car on y va principalement pour s’amuser. Aller au concert, ou aller en répète, c’est la même chose que d’aller au bac à sable quand on a quatre ans.

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Les organisateurs de Béthune Rétro 2015 n’avaient pas mis le paquet sur l’affiche, comme lors les éditons précédentes. Pas de grands noms, mais une multitude de petits groupes piquaient la curiosité, et du coup ça redevenait une affiche alléchante. Ça nous convenait parfaitement, et petite cerise sur le gâteau, il ne pleuvait pas. Il régnait cette sorte de petite canicule continentale qui pousse hélas les pauvres hères desséchés dans les bras de Bacchus.

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Il fallut attendre le soir pour voir jouer les Stompin’ Riffraffs. On peut bien l’avouer, on ne savait vraiment pas à quoi s’attendre. Du wild rockab de pacotille ? Du hillbilly asiatique au gingembre ? Du cross-genre à la Delta Bombers ? Du bombast au soleil levant ? De la contrefaçon bien ficelée ? Du boppin’ Guitar Wolf ? Du groove cabaretier de Macao ? De l’exotica de caboulot taiwanais ? On se perdait en conjectures lorsque soudain Nao parut sur scène. Il portait un costume noir à col en lamé. Sa mèche noire lui dégringolait sur le visage. De toute évidence, ce petit mec avait une classe folle. Il tenait une sorte de Jaguar noire et bien entendu, il souriait. Et puis les autres Riffraffs sont arrivées, trois petites japonaises qui portaient des robes courtes en lamé or et des masques noirs. Et bien entendu, elles souriaient. Ce groupe dégageait un lourd parfum d’étrangeté juvénile. Mais dès qu’ils ont commencé à jouer, les choses ont viré à l’énormité. Seuls les Japonais sont capables de transcender les genres d’une façon aussi radicale. Ils vont faire une seule chose dans leur vie, mais ils vont la faire à fond. Bien sûr, ça frise le cliché que d’asséner un truc pareil, mais c’est ce qu’on comprend quand on voit jouer des groupes comme Guitar Wolf ou Thee Michelle Gun Elephant. Ils sont dedans et pas dehors.

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Et les mighty Riffraffs mirent leur set en route pour une petite heure de grand spectacle, taillant leur chemin dans un univers de rock exotico-fifties et fabuleusement dense. Nao est à la fois un chanteur excitant, un guitariste qui ne craint pas la mort et un showman hors du commun. Il a une façon terrible de lancer des regards au public, l’épaule relevée et la mèche dans la gueule, avec un sourire qui renvoie directement au génie de Mishima. Il y a quelque chose d’emblématique en lui. Il a cette aisance qu’on retrouve chez les pures rock stars. Il est aussi à l’aise sur scène que le furent en leurs temps respectifs Brian Jones ou David Bowie. On voit bien qu’il est habité par les démons du rock, ça ne fait aucun doute. Il sait se laisser tomber au sol pour partir en solo et se relever juste à temps pour choper le couplet au vol. Essayez, et vous verrez que ce n’est pas facile. Mais ce qui fait la puissance féerique du groupe, c’est la présence rigolarde et le jeu solide des trois rocking girls qui l’accompagnent. Elles ont souri du début à la fin du set, et il ne s’agissait pas du sourire niais qu’affichent les animateurs de jeux télévisés. Cette façon de sourire est l’expression d’une espèce de candeur qui n’appartient qu’aux Japonais. La plus spectaculaire des trois est Saori, la batteuse, perchée sur l’estrade. Elle développe un beat puissant qui se situe aux antipodes du tatapoum auquel nous ont habitués les autres girl-groups japonais. Saori bat le vrai beurre, elle barde son jeu d’élégantes relances et muscle son beat de base à la folie. Par sa classe de batteuse, elle évoque bien sûr l’implacable Doug Wray, le frère de Link. Cette fille, on la dévore des yeux. C’est toujours un plaisir capiteux que de voir jouer une vraie batteuse. Par sa niaque, elle évoque la fantastique batteuse des Magnetix. En plus, Saori sourit et là, on croit rêver. Ses deux copines font elles aussi le show. On avait repéré la petite bassiste dans le public qui assistait au set des Desperados. Très fine, pour ne pas dire plate, et très belle, elle allumait un peu, mais tout à fait involontairement, comme savent le faire les japonaises. Dans sa petite robe en lamé or, elle avait une classe épouvantable. Elle jouait au médiator sur une basse électrique et grattait bien ses gammes. Elle sortait un drive de basse incroyablement souple et vivace. Elle fournissait avec Saori la batteuse la texture d’une section rythmique exceptionnelle. Quelle équipe ! De l’autre côté jouait Miku sur un petit piano électrique, elle aussi explosée de rire sous son masque, vivante, fraîche, du style on est là pour déconner alors on explose tout ! Ces trois filles dégageaient autant d’énergie que Nao le petit prince du Rétro, et dans les moments de pure intensité, Miku quittait son clavier pour venir déconner au bord de la scène avec son theremin. Alors les choses se barraient en sucette, et on assistait à l’une de ces belles montées en température qui font la grandeur des sets, avec un Nao tombé au sol pour placer l’un de ces fulgurants solos dont il avait la secret. Ah si seulement tous les concerts de rock pouvaient être aussi joyeux et aussi dévoyés ! Leur set fut un sans faute. On nota au passage un cut qui ressemblait trait pour trait au «He’s Waiting» des Sonics.

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Nao attaqua le dernier morceau en s’approchant du bord de la scène et soudain, il bascula dans le vide ! L’horreur ! Spalssshhh ! Il gisait sur le dos, avec sa guitare encore branchée. Il y eut un blanc de quelques secondes. Franchement, on le croyait mort. Il s’agissait d’une chute de plus de deux mètres sur du pavé à l’ancienne. Deux photographes s’approchèrent du corps à pas de loups. Soudain, Nao se redressa, comme ressuscité, jeta sa guitare sur scène et regagna le backstage par la droite de la scène, comme si de rien n’était. Il avait eu plus de chance que Dan Kroha qui s’était pété la cheville à l’Abordage, en sautant d’une scène haute de trente centimètres.

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Il existe un album des Stompin’ Riffraffs sur Wild. On n’y retrouve pas la frénésie du set béthunien, évidemment, sauf peut être sur «Dance Fanny Dance» qui est une espèce de merveille définitive, emmenée aux bouquets de chœurs - Come on now ! - et au pas de charge. C’est dans ce cut qu’on mesure la puissance de leur blast surexcité. Nao multiplie les breaks géniaux et claque son cut au chant mélodique. Il y a vraiment du Frankie Ford en lui, il a ce genre de puissance. L’autre gros cut du disque est «Knock Down», qui sonne un peu comme une descente aux enfers. C’est vrai, cette formulation ne veut rien dire, mais les chœurs de folles créent un climat de démence latent. Ces gens-là ne cassent pas la baraque, oh non, ils préfèrent l’exploser. Nao démonte tout - Knock down go ! - Il y a dix mille fois plus d’énergie chez ce petit bonhomme que chez tous les punks anglais réunis. En l’écoutant chanter «Knock Down», on le revoit blaster sur scène. C’est un personnage de conte fabuleux, une sorte de Kyuzo, le maître d’armes des Sept Samouraïs de Kurosawa. Nao, c’est le Seiji Miyaguchi du rockabilly. On retrouve aussi sur l’album ces instros cavaleurs farcis au theramin. «Buxotic» sonne comme un instro rampant et dérangeant à la Link Wray et la grosse basse de la petite Rie chevrote désagréablement. C’est sur «Linda» qu’on entend le mieux battre cette merveilleuse reine de la relance qu’est Saori la rigolarde. Ces filles n’en revenaient sans doute pas de se retrouver sur une grande scène, dans le Nord de la France et face à un beffroi dressé dans la nuit. On l’entend battre aussi comme une dingue sur «Screaming On Wheels». Elle vaut largement tous les batteurs du monde et en plus, elle ne frime pas. Nao refait un gigantesque numéro de charme avec «You Shake Me Up» et ramène pour l’occasion sa classe qui est celle d’une pure rock star.

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Signé : Cazengler, stomping ric rac

 

Stompin’ Riffraffs. Béthune Rétro. 29 & 30 août 2015

 

Stompin’ Riffraffs. Stompin’ Riffraffs. Wild Records 2015

 

 

 

BRITISH ROCK

 

1956 – 1964 : LE TEMPS DES PIONNIERS

 

CHRISTOPHE DELBROUCK

 

 

( Castor Astral / 2013 )

 

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Les rockers sont comme les petits enfants, ils adorent qu'on leur raconte chaque soir la même histoire. Pas celle du petit gentil chaperon rouge qui désobéit à sa maman, mais celle du grand méchant loup qui se jette sur elle pour se, hideusement, goinfrer de sa chair juvénile. Attention, ils la connaissent par cœur, alors ne faut pas trop s'écarter de la terrible aventure. Tant pis pour ceux qui essaient de les faire pleurer sur le sort de la vieille innocente grand-mère, ont intérêt à numéroter leurs abattis. Surtout l'épisode qui se déroule au pays de sa très gracieuse majesté (she's just a fascit pig, selon les dire d'un pure and rosbeef poète ). Avec les amerloques, ils n'osent pas trop moufter, un immense pays, très loin de l'autre côté de l'océan, il y a sûrement un détail qu'ils ignoraient, cinquante états, s'en est passé des trucks et des machines chouettes, là-bas, mais pour the Old England, ce n'est pas du tout la même farine, un mouchoir de poche, vous tendez le bras ( de mer ) et vous y êtes. Alors le Christophe Delbrouck s'il compte nous le faire à l'esbroufe, l'a intérêt à avoir cotisé pour une assurance vie. Un mec douteux, j'en détiens la preuve a-priorique, l'a déjà commis trois gros bouquins, plus un dictionnaire, sur Franck Zappa – ça zappa non, pas très franc du collier – et araignée velue sur le gâteau, un livre sur Crosby, Still, Nash and Young, un choix, vous en conviendrez délétère.

 

J'accordons qu'il n'a pas lésiné, quatre cents pages, grand format, et que le deuxième tome qui couvre les années 1965 – 1968 incessamment illico presto chez votre teinturier préféré, et que Le Père Fouettard vous apportera le troisième dès le mois du prochain décembre. Prolixe, notre Christophe Delbrouk, surtout qu'en consultant son site j'ai remarqué que parmi une pléthore d'autres activités il avait aussi fait partie du défunt groupe Nasal Retentive Orchestra dont il se promet prochainement d'accabler l'humanité de deux DVD gorgés d'innommables inédits. Nous en dirons tout le mal inutile en temps utile. Rassurez-vous, car pour ce British Rock : 1956 – 1964 : Le temps des pionniers, faut convenir que ce n'est pas mauvais du tout. C'est même très bien. Pas ennuyant pour un penny, un roman. Pour la composition a choisi la méthode opposée à celle du Da Vinci Code de Dan Brown, ne relance pas l'intérêt en fin de chapitre. Se contente de continuer son propos au suivant comme si de rien n'était. Vous fait attendre, avant d'aborder ce que le titre nous annonce. C'est qu'il en connaît des choses. Et des intéressantes. Et des subjuguantes . Un puits de sciences. L'a dû beaucoup lire. N'est pas égoïste, essaie de nous refiler le maximum.

 

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Pourrait nous laisser pour morts au détour du labyrinthe, agonisants sous des tombereaux de détails insignifiants. Mais non, sait où il va. Possède son fil d'Ariane. Je vous refile le nom de la bobine du cordon salvateur. Electrique. L'a tout compris, le rock c'est une simple question d'électricité. N'écoutez pas les écolos qui vous parlerons de guitare éolienne. C'est bon pour les folkleux. Christophe Delbrouck l'a fait son choix. Un homme de goût. 1956 – 1960, deux héros, Vince Taylor et Johnny Kidd.

 

 

LES PIONNIERS

 

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Ne pensez pas qu'il leur consacre les trois-quarts des cent-cinquante pages de la période. Une assiettée pas beaucoup plus remplie que celle des autres, la différence c'est la ferveur avec laquelle il en parle. L'intelligence de leur démarche, fût-elle extrémiste et solitaire, et leur farouche volonté à être ce qu'ils sont, à ne pas se laisser rogner les ailes, et surtout à avoir saisi l'essence du rock and roll.

 

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Sont loin d'être les seuls et les tout premiers. En Angleterre – comme partout ailleurs – le rock fut un grand éclair blanc. Qui causa beaucoup plus de dégâts dans les esprits des jeunes gens que l'explosion d'Hiroshima. Mais qui est entré par la petite porte. Sans tambour ni trompette, serait-on tenté de dire, lui qui pourtant fit tant de bruit. L'est tombé comme la foudre. Et beaucoup crurent en toute bonne fois qu'ils avaient reçu la révélation de la grâce. Se sont sentis appelés par le rock. Vous connaissez leur nom, Tommy Steele, Marty Wilde, Billy Fury, Cliff Richard, Shadows, Joe Brown – pour n'en citer que quelques uns. Leurs premiers enregistrements marquèrent les esprits. Apportaient au pays ce que Baudelaire n'avait pas encore réussi à trouver à la fin des Fleurs du Mal. Du nouveau. Du rock. Il est des miracles dont il vaudrait mieux être épargné. Encore faudrait-il prendre conscience des évènements que l'on traverse ou qui peut-être nous traversent. Certains pénètrent dans la cage aux serpents sans peur ni reproche. Par inconscience. Mais une fois ressortis, ils passent à autre chose. Un Tommy Steele fut – non pas un opportuniste – mais un opportuné. The right man, at the right place, in the rigth time. Un baroudeur. Idéal pour les coups durs. Mais la bagarre terminée, il se livra à des activités plus paisibles. Joe Brown ou la facilité du génie, rock sans effort, puis s'en éloigna avec désinvolture. Opérettes, contes de fées, vomitoires pour rockers de la part de ces deux-là. Cliff Richard sur les traces talentueuses d'Elvis, le suivit même sur la mauvaise pente. Hank Marvin, un raid Apache qui par son esthétisante fureur mit le feu aux poudres du rock anglais, après quoi il rentra de lui-même dans la réserve des occasions perdues. Marty Wilde, Billy Fury, chiens féroces qui se laissèrent amadoués par des morceaux de susucre. La punition ne se fit pas attendre : état dépressif généralisé.

 

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Le plus dérisoirement terrible dans cette histoire c'est que si la plupart des rockers se trouvèrent dans l'incapacité intellectuelle ou instinctive de comprendre la signification de ce qu'ils exprimaient, autour d'eux, dans leur entourage proche, l'on fut beaucoup plus avisé. Les pouvoirs publics réagirent au quart de tour. Ces chanteurs épileptiques n'étaient que les messagers des gros bataillons d'une jeunesse prête à toutes les rébellions. Dieu, la patrie et le sexe étaient en danger. Les comités de censure furent très efficaces. La BBC et la télévision se battirent violemment, et résistèrent longtemps, et pas à pas, à l'invasion rock. Le rock anglais doit une fière chandelle au producteur de télé Jack Good qui entreprit tant sur les chaînes privées que publiques une guerre d'usure avec la vieille morale sclérosée issue du puritanisme victorien. Mettait-on fin à son émission, qu'il en montait une similaire tout aussi excitante sur un autre canal... Quant aux maisons de disques, elles s'employèrent, à l'exemple de leurs grandes tantes américaines, à chasser le rock and roll de leurs productions, n'hésitant pas à châtrer par injections répétées de romances doucereuses la virilité des meilleurs rockers. Qui se laissèrent faire, à part les fortes têtes à la Vince Taylor et à la Johnny Kidd.

 

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DANS LES MARGES

 

Il ne faut jamais désespérer des mauvais garçons. L'en est toujours un certain nombre qui refusent de sucrer leur café noir. Ou de mettre de l'eau dans leur whisky. Des révoltés, des voyous ( de la pire espèce ), les teddy boys et toute une partie de la jeunesse ouvrière, boudèrent les manifestations officielles. Le rock se réfugia dans les arrière-salles des bars, dans les clubs miteux, au fin-fond des provinces et des campagnes. Une situation qui n'est pas s'en rappeler les temps actuels en France. Les groupes locaux et les forcenés à la Johnny Kidd, avaient là un public, désargenté, mais à qui il ne fallait pas en promettre. C'est en ces caves profondes, en ces cavernes lointaines que le rock s'enracinait, s'expérimentait, se modifiait, s'enrichissait... Evoluait-il ou dégénérait-il ? Les débats sont ouverts. Ce qui est sûr c'est qu'il survivait et se préparait à vivre une des pages les plus fameuses de sa légende.

 

 

BEAT & BLUES

 

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L'ennemi survient toujours par le côté où on ne l'attend pas. A Londres les maisons de disques avaient réussi à endiguer la bête. Ce fut chez les ploucs de Liverpool que la tarentule se réveilla. De tous les côtés. Trois cents groupes qui grouillaient dans tous les coins de la ville. Des teigneux qui jouaient fort parce qu'ils ne savaient pas faire grand-chose. Mais prêts à faire n'importe quoi pour se sortir d'affaires. Trop, c'est trop. Comme l'on ne pouvait pas faire une troisième guerre mondiale pour s'en débarrasser, l'on trouva une solution qui louchait vers le rapprochement des peuples. L'on prit l'habitude d'envoyer les moins pires ( certains disent les plus fauchés ) outre mer, dans le port de Hambourg. Un pays de cocagne, putes à foison et marins alcooliques. Je me refuse de vous faire languir, les Beatles y firent leur classe de commando rock. Quand ils revinrent de ce pays de matelots soiffards ils avaient gagné le pompon et toutes les filles leur coururent après pour le leur attraper. Eurent de la chance, leur manager Brian Epstein sut surfer sur la vague. Ménagea la chèvre de la rébellion adolescente avec le chou du socialement acceptable. Et puis surtout George Martin un ingénieur du son – un véritable producteur – qui savait tirer les meilleur effet du moindre morceau. L'on ne compte pas le nombre de combos made in Liverpool qui après les Beatles tentèrent leur chance. Toute maison de disques en voulaient un max. Même George Martin qui en coacha à lui tout seul une demi-douzaine. Ainsi naquit le Mersey Beat. Partout en Angleterre. Mais les Beatles ne furent jamais détrônés par ces concurrents qui s'épuisèrent à les poursuivre. Furent pressés comme des citrons par leurs employeurs, quelques tubes, des tournées marathon à n'en plus finir, la voix du chanteur qui se brise, et hop direction les poubelles de l'histoire du rock and roll !

 

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Objection votre honneur. Londres résista. What is it, cette musique de sauvage de campagnards sous-développés ? En la capitale, l'on est un peu plus évolué. On puise directement à la source. Au jazz. Euh, entre nous c'est un peu suranné et ultra-codifié, pas très vivant. Alors l'on descend d'un étage. Au fond du trou chronologique, se trouve le coffre au trésor, la pierre philosophale, le blues ! L'on n'osa pas exhumer le vieux blues rural du delta, ou plutôt on se hâta d'en raviver la teinte, un beau bleu électrique comme les ricains eux-mêmes n'en avaient jamais fait. Ainsi se créa une espèce d'élite clandestine autour de quelques fortes têtes comme Alexis Korner, Graham Bond, John Mayall... Une espèce de colonie bleue ouverte à toutes les bonnes volontés qui se moquait du hit-parade et qui refusait de passer sous les fourches émasculatrices des majors. Les Rolling Stones firent leurs armes dans cette mouvance. Firent plus de bruit que les autres, Sonny Boy Williamson, of course mais le jungle beat de Bo Diddley, les riffs de Chuck Berry et l'électricité de Muddy Waters, faut pas les laisser de côté. Faut même en rajouter. De l'huile sur le brasier. En plus de sacrées tronches, l'air d'être revenus de tout, méprisants, hautains emplis de morgue. Et de crasse. Les cheveux en bataille, les vêtements crados, tout pour inspirer le respect. Et les filles. Beatlemania et Stonemania sont main dans la main en 1963. Les deux groupes occupent les deux premières places, et aucun autre ne les leur ravira. Les Beatles ont su créer leur cocon de survie dans lequel ils sauront s'épanouir, et les Stones ne sont pas du genre à se laisser marcher sur les pieds par le staff qui les entoure. A tout instant, soyez méchants.

 

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N'y a pas que la musique qui change. Les rockers et les teddies sont supplantés par une nouvelle génération de jeunes gens modernes. Les Mod's écoutent un peu de jazz et beaucoup de chanteurs noirs américains de rhythm and blues. C'est leur musique. Les groupes qui commencent à s'inspirer de cette musique oscillent optent tantôt pour une forte présence de l'orgue, tantôt pour l'avantage aux guitares, comme si cette attitude rhythm'n'blues était le détour obligatoire vers un retour au rock and roll. Dynamisé.

 

ANIMALS ET AUTRES BESTIOLES

 

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L'on croyait avoir connu le fond de la lie du tonneau avec les Stones, mais ce n'était encore rien. Les Rolling indiquèrent aux anglais et au monde entier la direction du blues, les Animals firent pire. Montrèrent aux amerloques ce qu'était l'essence du blues sauvage. Comment ? Pourquoi ? Je suis incapable de le dire. Peut-être faudrait-il inventer et monter une théorie à la Raymond Abellio qui pondit un traité de six cents pages pour expliciter le dévoilement des savoirs ésotériques au dix-huitième siècle, mais ceci demanderait trop de temps et les fauves en liberté n'aiment guère attendre. Par quel miracle l'âme du blues boueux du delta s'incarna-t-il en Eric Burdon un gamin de Newcastle ( on Tyne ) ? Ce n'était pas uniquement qu'il était particulièrement doué pour chanter le blues, c'était que ce fils révolté des loyaux sujets de sa majesté se permit ce que de Robert Johnson à Muddy Waters aucun des rois du blues n'osa jamais entrevoir dans ses rêves les plus fous. L'ouvrit toute grande, en public et éructa de mille borborygmes. La colère, la haine, la hargne, la folie meurtrière, tous les serpents du blues qui macéraient à l'intérieur des vieux bluesmen, lui, Eric Burdon, il les recracha, les vomit, sur scène à la face du monde. L'entraînait le combo en de sombres ruées hypnotiques, le blues prenait la parole et la gardait. Revendiquait la marge, la révolte, et l'écroulement de la société entière. Les Animals sortirent de leur tanière, plus naturellement sales, plus naturellement crasseux, plus naturellement mal peignés que les Rolling Stones, et commencèrent à mordre à pleine gueule le monde entier. Des irréductibles. L'on essaya de les contenir. L'on employa la vieille tactique : diviser pour mieux régner. L'on surpaya l'organiste pour créer la zizanie. Alan Price sur le départ. Tant pis pour lui, aucune pitié pour les lapins qui rentrent de leur plein gré dans le clapier du showbiz. Mais c'était trop tard, le mal était fait. Aux USA, Eric Burdon convainquit l'Apollo qu'il était plus noir que les noirs, plus bleu que les nègres. Un électron fou qui dynamita à jamais le self-control britannique. Avec Eric Burdon et ses panthères noires le rock anglais atteignit sa majorité. N'était plus un adolescent retardé à la remorque des amerloques.

 

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Après les Animals, Christophe Delbrouck ne sait plus où donner de la tête. Vous naît un groupe à tous les coins de la page. Passe un peu vite. S'arrête à peine sur les Nashville Teens – qui accompagnèrent Jerry Lou à Hambourg - et beaucoup sur les Kinks. Revient sur les Stones qui continuent à n'en faire qu'à leur tête. Ne sont pas encore au niveau des Beatles. Se contentent de reprendre des vieux morceaux de blues, mais les rénovent de fonds en combles. Les Scarabées sont à un autre étage. Vous pondent des originaux toutes les trois semaines. L'on se demande où ils vont les dénicher. Tous les groupes reconnaissent leur suprématie. Vivent des jours de grand tumultes. Les filles qui hurlent et les concerts où personne n'entend rien. Sont les rois du monde. En Angleterre, en Asie, en Australie, aux USA, la folie Beatles submerge l'univers. N'en ont pas pour autant la grosse tête. A Londres, Jagger, Burdon, Lennon, discutent d'égal à égal. Le rock and roll prend conscience de lui-même. Ne s'agit plus exactement de musique. L'est aussi une remise en cause du vieux monde. Nous sommes en 1964, et la planète se dirige à marches forcées vers les grands soubresauts de la fin de la décennie...

 

RETROSPECTIVE

 

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Le livre fourmille de renseignements, quatre cent pages remplies à ras bord, à lire pour tous ceux qui s'intéressent au rock. N'y a que sur les Yardbirds que je le trouve un peu léger, mais sans doute seront-ils traités dans le deuxième tome. A la réflexion les passages les plus intéressants sont peut-être consacrés à ces artistes qui ne sont pour nous que des noms. Frank Ifield n'est qu'une ombre, Cilla Black un fantôme transparent. Tout ce qui s'est passé en Angleterre ne nous est parvenu que par un filtre. Nos média ne pouvaient pas se consacrer uniquement aux britihs, fallait aussi promouvoir les petits yéyés de par chez nous. De ce fait nous ne prêtons pas la même importance que le public anglais à des groupes comme les Hollies ou au Dave Clark Five . Nous les considérons comme des sous-fifres de deuxième catégorie alors qu'ils furent des jalons importants du déploiement historial du rock briton, pas obligatoirement à un niveau strictement musical. Je ne compte pas les surprises agréables comme cette présentation de Dusty Springfield qui est devenue dans notre mémoire une icône un peu poussiéreuse.

 

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Mais je finirai par le commencement. La toute première idole, Lonnie Donegan, and his skiffle group comme dirait Hugues Aufray. Très belle analyse. Un créateur auto-limité, qui n'a jamais voulu aller plus loin que lui-même. S'est contenté de son folk blues du pauvre et est resté ébloui de son propre succès. N''aurait jamais espéré de parvenir là où il était arrivé du premier coup et n'eut même pas l'idée qu'il pouvait poursuivre au-delà. Avait déplacé une montagne et n'a jamais pensé qu'il y en avait une deuxième à repousser. La même attitude que partagèrent les premiers rockers. Ne possédaient pas les moyens d'analyse conceptuels et prospectifs du phénomène qu'ils étaient en train de déclencher. Il en avait été de même aux USA, lorsque l'on voit comment un Elvis Presley s'est laissé manipuler par le Colonel Parker, il y a de quoi méditer. L'aura fallu dix ans pour que les maisons de disques soient mises au pas et décident de laisser la bride au cou de ces groupes qui piaffaient d'impatience et de talent. Ne nous berçons pas d'illusion, ce ne fut que brèves éclaircies intermittentes. Dans cette partie de poker ce furent les majors qui surent en fin de compte être les plus menteurs afin de juguler ces troupes indociles...

 

Damie Chad.

 

 

L'EXCUSE / LONGJUMEAU ( 91 )

 

25 - 09 - 2015 / JALLIES

 

 

Ce n'est pas que l'on cherche une excuse, nous n'en avons point besoin pour voir les Jallies, mais ce vendredi soir s'annonçait sans surprise. Une autoroute dégagée, une place de stationnement à soixante mètres du café, tout était parfait. Et puis entre nous soit dit, le répertoire des Jallies on connaît par coeur, d'ailleurs nous ne l'évoquerons qu'à peine. L'est sûr que l'Excuse est un café un peu spécial. Dans le genre que l'on apprécie. Matinée, après-midi, pas de problème, pouvez venir réviser vos droits et devoirs que vous octroient la Constitution. Personne ne vous en empêchera. Une paix royale. Lecteur, vous avalerez sans être dérangé une seconde les huit cents pages de L'Homme sans Qualité de Robert Musil. Vous y bénéficierez d'un calme et d'une sérénité olympiennes. C'est en soirée que la clientèle change. C'est l'autre France, celle ô combien sympathique des fêtards tous azimuts, celle des échappés du dur labeur quotidien qui s'en viennent trouver en ce rade de centre ville la chaleur humaine qu'ils n'ont guère eu l'occasion de côtoyer durant les heures de labeur. L'Excuse, le soir se transforme en soupape de sécurité sociétale, on boit, on crie, on chante, on s'amuse. L'on repeint le monde en couleur carnaval de Rio. Mais ce vendredi soir, une fois n'est pas coutume, à part nous, les Jallies et quatre cinq consommateurs au comptoir, ce n'est pas la foule. Fred, le patron, le prend avec philosophie. Fréquentation en berne dans tous les troquets de la cité, nous explique-t-il, et il nous profile un cours d'économie d'une limpidité absolue : moins de monde, moins de concerts. N'a pas l'air inquiet, tient bon contre vents et marées, lui il continue, il n'y a qu'à regarder le panneau avec les affiches des groupes qui sont passés dans son établissement.

 

 

PREMIER SET

 

Le grand Phil n'est pas mécontent, les Jallies pour pratiquement lui tout seul, l'est comme les enfants qui n'aiment pas partager leur cadeau de Noël, sous le sapin. Je ne fais plus les présentations, les trois filles devant, les deux garçons derrière. Vous reconnaîtrez les gars facilement, sont les seuls à porter un borsalino. Même que Kross sanglé dans son costume ressemble à un gangster - à cause des demoiselles, à la relecture j'ai supprimé le mot mac, les demoiselles en auraient fait tout un micmac – tout droit sorti des films noirs made in USA, dans les années cinquante. Ça roule pénardos, et même ça rock en roule. Alors que nous n'avons d'oeil que pour les trois mignonnettes, la salle du haut – pas de beaucoup, juste deux marches – se remplit, tout doucettement mais régulièrement. L'on s'embrasse, l'on se serre la paluche, l'on se congratule, peut-être pas en toute discrétion, mais en bas le son est si clair, si net, que cela ne nous gêne en rien. Notons que beaucoup de groupes - dans un passé récent nous les avons vus à l'œuvre - ont eu quelques difficultés avec le sound check. Résonnances indues dans la boîte carrelée, basse de plafond.

 

DEUXIEME SET

 

Petit entracte et rebelote illico. Un peu moins rock, davantage swing. Qui s'en plaindrait ? Pas nous. Il y a comme un remous dans la salle du haut. Pas de cris et une espèce de froufroument indistinct. Et brutalement la terrible réalité du monde se rue sur notre swingante quiétude. Le péril jaune grandeur nature. Attila et Gengis Khan en même temps. Qui déboulent et se précipitent dans le mini escalier. Nous n'avions pas vu la catastrophe poindre. Faut dire qu'à la radio, ils n'en ont point causé. Et pourtant, c'est bien une horde mongole qui déferle, tourne et virevolte au grand galop pour finir par se masser, sur la table du billard – fort heureusement – recouverte d'une planche protectrice. Mais que viennent-ils faire ici ? Nos yeux hagards nous obligent à reformuler notre angoissante question métaphysique. Mais que viennent-elles faire ici ? Car ce sont des filles. Des amazones, des guerrières, regroupées autour de leur reine qui lève le bras pour ordonner l'assaut. La lumière jaillit dans le tréfonds du cerveau du grand Phil. Les Indiens d'Inde nous ont enlevé Vanessa en juin dernier, et maintenant ce sont les peuplades sauvages des contrées incertaines de la lointaine Asie qui ont monté un raid pour les kidnapper toutes les trois ensemble. En théorie nous comprenons cette vision des choses, à en prendre une, autant subtiliser les trois, trois trésors valent plus cher qu'un seul. Mais nous n'avons aucune envie de laisser dérober les trois frangines sans lutter jusqu'à la mort pour les retenir. Le Grand Phil et moi, nous sommes prêts à nous opposer à cette harde d'asiates femelles en furie, dussent-elles passer sur la chair de nos corps. Trop tard nous n'avons plus le temps de nous porter à leur secours. La cheftaine a baissé le bras pour lancer l'ordre de l'assaut final. Elle a diaboliquement attendu la fin du morceau, cette fraction infinitésimale où l'orchestre étonné se jauge des yeux pour décider de la suite à donner au numéro précédent. Elles foncent droit vers nos trois sabines qu'elles ne vont pas manquer d'enlever. Mais au lieu de s'en saisir, elles effectuent une transition latérale sur le flanc gauche – la même que celle d'Alexandre à la bataille de Gaugamèles – et se campent – démoniaque surprise, ruse infernale - devant Tom qui coincé contre le mur ne peut plus s'enfuir. Sans doute ont-elles décidé d'éliminer d'abord la population mâle ! ( Perso, j'essaie de prendre mon air féminin, numéro 4 ). Pauvre Tom, ses secondes sont comptées, la cheftaine s'approche de lui et lance un ordre guttural : « Photo ! » Comme par un hasard incroyable j'ai sur moi ma méthode Assimil, Mongol-Français, je traduis immédiatement. Selfie ! Et hop ! Elle se fait tirer le portrait par une de ses lieutenantes, étroitement enlacée à Tom tout souriant. Et elles se retirent à toute vitesse. Pas le temps de dire ouf ! qu'elles ont regagné la rue alors que - la triste et impitoyable vérité historique m'oblige à rapporter le navrant comportement de nos trois damoiselles préférées, on ne le savait pas, mais comme la commune humanité, elles ont des défauts - taraudées par la jalousie qu'elles sont, elles proposent d'être, elles aussi, sur le cliché, mais apparemment la gent tartare n'aime guère partager, et leur proposition n'obtiendra qu'un silence dédaigneux... A la fin du set nous nous pressons autour de Tom pour le réconforter car en guise de baiser d'adieu la grande chef lui a planté un gros smack sur les joues, un coup de tampon amical, à vous envoyer deux jours en observation à l'hôpital. Devant nos insistantes questions - dépourvues de toute malsaine curiosité, vous nous connaissez – il est obligé de nous dévoiler des pans entiers de sa vie secrète de guitariste rock. Ses virées en Russie, jusqu'au fin fond de la Sibérie, où manifestement il s'est constitué un fan club des plus fidèles et des plus opiniâtres. Incroyable, mais vrai. Si elles se sont échappées si vite, c'est qu'elles avaient un train à prendre. Quittaient la France au petit matin.

 

 

TROISIEME SET

 

Nous pensions en avoir terminé avec les émotions. Ce n'était qu'un hors d'œuvre. Faut toujours se méfier de la cinquième colonne. De l'ennemi intérieur. L'intermède russe a donné des idées à Jojo. Remarquez qu'il n'y est pour rien, ce sympathique jeune homme. Mais c'est lui le coupable. C'est de sa faute. Un peu de sa mère aussi, puisque c'est elle qui lui a donné naissance. Ce doit être à peu près exactement un quart de siècle avant que ne débute notre soirée. Les joyeux drilles de l'étage supérieur se sont aperçus à l'occasion de la précédente invasion sibérienne qu'à un mètre cinquante du comptoir, il y avait un orchestre de rockabilly swing. Avec trois jolies minettes en plus. Comme quoi lever les yeux du fond de sa coupe de champagne peut parfois se révéler enthousiasmant.

 

Et les copains de Jojo, ce ne sont pas des caves. N'en croient pas leurs oreilles, quand, bonnes filles, entre deux morceaux, les Jallies lui fêtent son anniversaire, en trois langues, français, anglais, yaourt, tempo lent et tempo rapide. Sont éblouis par cette dextérité verbale, et tout de go, pour Jojo, saisis d'une saine émulation, ils se transforment en le choeur wagnérien des Maîtres Chanteurs, avec tout de même des relents avinés de fin de troisième mi-temps revus et corrigés par les Pogues, ces pochtrons d'irlandais particulièrement férus en la matière.

 

L'ambiance monte d'un double cran. Twist généralisé. Jojo est aux prises avec une panthère noire des plus lascives. Fait mine de le griffer, de le mordre, et de le dévorer tout cru. Jusqu'où ne s'arrêteront-ils pas ? Si après elle avait une petite faim pour moi, je ne dirais pas non. Mais non, ce n'était qu'un rêve. Le set se termine sous des applaudissements triomphaux. Ce n'était pas tout à fait un concert, plutôt une superproduction truffée de rebondissements. Avec nos trois Jallies en stars principales. Inoubliables dans leurs rôles. Mais elles sont déjà reparties pour de nouvelles aventures en Vendée...

 

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Damie Chad.

 

 

 

27 – 09 – 2015

 

LES ÔTONALES DE NANGIS

 

JALLIES

 

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C'est à côté de la maison. Trois jours de festival. Oui, mais le programme n'est pas folichon. Font avec les artistes locaux et ce n'est pas ce qui existe de mieux. Peut-être en début d'après-midi un bon groupe de reprises rock, mais se fader toute la suite, durant cinq heures pour à dix-neuf heures terminer avec les Jallies, hum-hum, on débarquera juste à sept heures pour croquer la cerise qui n'est pas posée sur le gâteau qui n'existe point.

 

C'est rempli de monde. Tout âge. Tout public. Un malheur a dû s'abattre sur la contrée. Mine d'enterrement généralisée. Même pas un gamin qui court. Pas un cri. L'on se croirait à la messe, le dimanche matin, un jour de pluie, dans la nef glacée. L'on a vite compris pourquoi. Il y a des super-musiciens sur scène. Pas des amateurs qui sortent le violon du grand-père une fois par trimestre pour que le bois ne moisisse pas. Des vrais, des étudiants, des sérieux qui ne ratent pas les cours, pour courir l'aventure rocksonnière. Sont encore à l'école. Pas n'importe laquelle. Une des plus prestigieuses. Celle de Didier Lockwood. Jouent parfaitement bien. Mieux que bien. Mieux que n'importe qui. Ils ont même un super beau son. Nous avons de la chance. Nous arrivons tard, juste pour les deux derniers morceaux. Mais quel ennui ! Pire que la salle d'attente du dentiste. Une torpeur mortelle s'est emparée de l'assistance. Nangis, ville morte. Pompéi après l'éruption du Vésuve. Cendres et désespoir. Vivement que ça se termine. Rien de plus terrible que le jazz qui court ( en vain et sans trop savoir pourquoi ) après la musique contemporaine. Allez expliquer après de tels abysses d'ennui à la population autochtone que la culture sauvera un jour l'Humanité. Nous avons trouvé la parade, pendant vingt minutes nous engloutissons crêpes à la confiture de fraise et assiettes de petits fours.

 

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Les Jallies sont en train d'installer le matos sur scène. Mais l'orga a pensé à notre bonheur. Après les partoches qui recherchent les difficultés artificielles, nous voici confrontés au binaire primitif. La batucada des Percutés. Faut être franc, c'est nous qui avons du mal à percuter. Serions-nous persécutés ? C'est mou de genou. De la frappe gentillette et proprette. Surtout le deuxième morceau aussi infini et monotone que les dunes du Sahara. Le soir tombe et un vent froid se met à souffler. Les Jallies trépignent d'impatience, dix-neuf heures pile au clocher de l'Eglise voisine. A elles de jouer.

 

 

CONCERT

 

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C'est parti pour une heure pile. Mais devant l'enthousiasme de la foule, l'orga autorisera trois rappels successifs. Un peu court. Mais efficace. Une bonne sono, une grande scène, toutes les conditions sont réunies pour un set remuant. Et d'anthologie. Apparemment le voyage en Vendée ne les a pas fatiguées. Rien qu'à entendre la mini balance de deux minutes a capella sur l'intro We are The Jallies, personne ne s'y trompe. Les fillettes sont en forme, et en voix. Se chipent les morceaux en rigolant. A chacune son maximum de tours. Derrière Tom fait vrombir sa guitare – je comprends pourquoi ils aiment cela jusqu'en Sibérie – et Kross penché sur sa contrebasse en a laissé tomber les bretelles de son futal.

 

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Ça déménage sec. Les instrus plus rocky que moi tu mourras, et les filles plus swing que moi tu ne pourras. Les dix commandements du rock réduits à la binarité de l'essentiel. L'important n'est pas de bien jouer – c'est nécessaire et en même temps subsidiaire – le truc rock par excellence c'est de vous emporter, vous loger dans une capsule d'espace temps des plus étroites et de vous emmener en voyage au pays où l'on arrive toujours lorsque l'on est bien. Lorsque la question de savoir si l'on pourrait être mieux ailleurs ne se pose plus, est nulle et non avenue, lorsque ce moment de votre vie, cette infime parcelle du vécu, devient un fragment d'éternité que rien ni personne ne pourra jamais vous enlever. Une jouissance sans pareille, une érotologie platonicienne qui vous permet accéder au monde des formes idéennes. Encore que le rock apporte une dimension supplémentaire. Ne suffit pas d'être maître de son art – vocal et / ou instrumental – faut encore en être pénétré pour qu'il modifie votre profil existentiel. Votre position d'assise dans le monde. Ne s'agit pas d'avoir le look, faut être le look. Art – cet autre mot du faire – et l'attitude – cet autre vocable de l'apparence – doivent se transformer en artitude. Deviens ce que tu es tout en étant ce que tu deviens. Deux postulations en incessante circulation. Partir d'un pôle pour arriver à l'autre. C'est là le secret de l'oubli et de la mort que tu trimballes au fond de toi. Et puis revenir à l'autre pôle. C'est ici l'arcane de la remembrance de soi-même à soi-même. Lorsque l'icône de toi-même devient toi-même et l'icône mnémosyenne de quelques autres. Entrer en soi pour mieux pénétrer en les autres. Se nier pour être au faîte de son incarnation. L'est une autre manière de dire cela : dire qu'en cet instant de grande affinité les dieux sont là. Ce n'est pas pour rien que la paganité philosophique du rock a été traitée de diabolique par diverses instances monothéistes. Comme par hasard, les premiers bluesmen ont eux-mêmes défini et revendiqué leur musique comme celle du diable. C'était une manière un peu naïve de se peindre sous les couleurs non pas de la plus grande adversité, mais sous celles de l'Adversaire, c'est—dire de la créature auto-déifiée. Rock and roll star. Fuck ! Fuck ! Fuck !

 

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Oui, je sais parfois j'élève le sujet ( au moins un demi-millimètre ), mais tout cela n'est que l'application de la musique des sphères au rock and roll. Toute cette logorhée pour retomber sur les Jallies et cette propension naturelle que j'ai déjà à maintes reprises spécifiée, cette faculté qu'elles ont d'emporter leur auditoire, quelles que soient les circonstances. Enchaînent reprises et originaux – je remarquons qu'avec le nombre des concerts qui doit approcher la centaine, l'harmonisation de leurs voix prend de l'ampleur. Ça remue et ça danse de tous les côtés. Faut voir les trognes des participants. Malgré la nuit qui tombe et le vent aigre qui redouble d'effort. Elles ont sauvé les Ôtonales, un véritable printemps. Un renouveau qui durant soixante-dix minutes a balayé la tristesse du monde.

 

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Damie Chad.

( Photos FB : Jallies et Ôtonales )

 

 

 

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