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05/01/2019

KR'TNT ! 400 : JIMMY WEBB / SYNDRO-SYS / PUNISH YOURSELF / JOHN LENNON / NEW THING / BIG UP GIRLS

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 400

A ROCKLIT PRODUCTIOn

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

03 / 01 / 2019

 

JIMMY WEBB / SYNDRO-SYS / PUNISH YOURSELF

JOHN LENNON / NEW THING / BIG UP GIRLS

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Webb master - Part Two

 

Le gros pendant du body of work de Jimmy Webb est l’ensemble des collaborations. Cela va de la crème de la crème (Thelma Houston et Richard Harris) à des choses moins convaincantes (Glen Campbell ou Art Garfunkel). Mais dans tous les cas, Jimmy Webb tire à merveille l’or de son épingle du jeu.

Quand il découvre Thelma Houston en 1969, il ne tarit plus d’éloges sur elle : «The most prodigious talent I ever encoutered.» Eh oui, Thelma peut grimper, comme on peut le constater à l’écoute du morceau titre de Sunshower. Elle grimpe là-haut sur la montagne, elle épouse à merveille les hauteurs sculpturales de Jimmy Webb. Elle va même s’exploser la glotte au sommet de sa dernière octave. What a grimpeuse ! Et ce n’est qu’un hors-d’œuvre car voici «Everybody Get To Go To The Moon», plus pop mais Thelma se met à sonner comme Liza Minelli. Elle shoote tout le chien de sa chienne et ça tourne vite à l’universalisme, comme chez Burt. Elle enchaîne avec «To Make It Easier On You», transportée par l’ampleur orchestrale du grand Jimmy Webb. Elle renoue ici avec les ambiances magistrales de «MacArthur Park». Elle descend dans ce qu’il existe de plus profondément beau ici bas et touche à la perfection. Elle termine avec un final explosif à la Aretha. L’autre hit de l’A s’appelle «Mixed Up Girl», cut terriblement pop et d’une telle élégance, dear, tiré au cordeau sur nappes de violons et battu si sec par Hal Blaine. Pure magie ! C’est un exercice de tension orchestrale hors du commun, porté par la voix puissante de cette petite femme. Elle attaque sa B bille en tête avec une curieuse version de «Jumping Jack Flash». Elle passe après Merry Clayton et shake bien le shook de Jack. Elle le bouffe même tout cru ! Elle retourne ensuite au firmament avec «This Is When I Came In». Elle prend son temps et son élan, épouse les sinusoïdales et ramène systématiquement du shooting de Soul Sister à chaque fin de cut. Sans doute Thelma est-elle à Jimmy Webb ce que Dionne est à Burt : l’interprète idéale, the perfect voice of an art. Elle atteint à la clameur parabolique, elle chante à l’échelle du temps et investit l’espace. Elle illustre au chant une certaine idée de l’infini, esquissé par Jimmy Webb à travers des compos comme «This Is Your Life». Elle passe au r’n’b pour «Cheap Lovin’», mais le tire sur le territoire orchestral des classes supérieures. Elle le swingue à la Aretha. Même aisance à swinguer l’apogée, elle va très loin dans l’excellence. Shoot Sister Shoot !

Elle recollabore dix ans plus tard avec Jimmy Webb, pour l’album Breakwater Cat. Cette fois, elle fait un peu de diskö, car tout le monde à cette époque doit passer à la casserole. Le hit diskö de l’album s’appelle «Before There Could Be Me», mais c’est d’une élégance qui renvoie à Esther Phillips. Et ça vire délicieusement jazz rock. Thelma maîtrise bien la situation. On sent sa poigne. L’autre haut fait de l’album se trouve en fin de B : «Something We May Never Know». Elle chante ça au clair de la lune, d’une voix un peu blanche à la Liza. Elle sait pareillement créer de la magie balladive et elle nous montre comment elle voit l’excellence de la comédie musicale. Elle chante avec l’ampleur et la résonance des géantes de Broadway. Quand on écoute le morceau titre qui fait l’ouverture du bal, on réalise clairement que de toutes les Soul Sisters, Thelma est celle qui se rapproche le plus d’Aretha. Même pulpeux octavique, même fruité de timbre, même élan glorieux et même facilité à l’élongation. Et quelle assise ! C’est d’ailleurs ce qui la rend passionnante. Forcément, cet album est très difficile à approcher, à cause de sa pochette trop typique de l’époque : la piscine, la coiffure, le maquillage, la robe, ça pue la pression commerciale. Mais on est bien récompensé quand on met le nez dedans. D’ailleurs, Thelma retrouve l’univers baroque et généreux de Jimmy Webb avec «Gone». Elle s’y enfonce dans la beauté formelle d’une vision musicale immensément déployée. Et elle s’y épanouit. Elle fait même une version diskoïdale du «Suspicious Mind» d’Elvis.

Avec les Fifth Dimension, Jimmy Webb jouait aussi sur du velours. Paru en 1967, Up Up And Away vaut vraiment le déplacement. C’est Jimmy Webb, encore inconnu à l’époque, qui signe le morceau titre, pur jus de sunshine pop, digne de Burt, d’une lumière éclatante. Ce hit va propulser les Fifth Dimension dans les charts. C’est du grand Webb aérien, ça colle merveilleusement à l’esprit de la pochette, cette musique s’élève dans l’azur immaculé. Jimmy Webb signe aussi «Pattern People», qui sonne comme un hit des Mamas & the Papas, chanté au développé d’excellence concordante, hanté par des pah pah pah d’époque, ça enchante et ça virevolte. Mais curieusement, c’est Willie Hutch qui vole le show avec «California My Way» et «Learn How To Fly». Dans California, Florence LaRue et Marylin McCoo s’échangent le lead et Fly fonctionne comme un bel élan vers le ciel. Ces gens-là savent shooter de l’énergie dans les bronches d’un hit. Ça sent bon la liberté et l’insoutenable légèreté de l’être. On note aussi la présence de «Rosecrans Boulevard» sur cet album, mais la version ne fonctionne pas. Problème de prod ?

Comme ils savent que Jimmy Webb est la poule aux œufs d’or, les Fifth Dimension collaborent de nouveau avec lui pour l’album The Magic Garden, un chef d’œuvre de pop californienne paru en 1967. En fait c’est Johnny Rivers qui a signé les Dimension et comme il paye Jimmy Webb pour composer des hits, alors la voie est toute tracée. Le morceau titre y frise le Disneyland, tellement c’est sunshiny. Par contre, «Summer’s Daughter» est le hit absolu. On croirait entendre du Burt. Tout y explosé de lumière, éclaté de splendeur arrangée. Ça grouille d’instrumentations bariolées, les chœurs semblent rayonner dans l’azur immaculé. Et ça n’en finit plus de grimper dans les degrés de la perfection. C’est non seulement digne de Burt, mais aussi de Brian Wilson. «Carpet Man» sonne comme de la heavy pop et cette version est autrement plus éclatante que celle de Johnny Rivers. Ces diables de Lamonte McLemore et de Marylin McCoo cavalent leur pop ventre à terre et c’est littéralement explosé aux harmonies vocales. Ils battent tous les records d’unisson du saucisson. Ça réjouit le cœur d’entendre des cuts aussi explosivement bons. Qui pourrait se lasser d’une telle merveille ? C’est en tous les cas un don du ciel. Jimmy Webb et les Dimension sont imparables. Le Carpet Man nous met carpette. Même les clap-hands ont de l’écho et on a un solo de sitar à la fin. Franchement, que peut-on attendre de plus d’un hit pop ? Lamonte McLemore se taille la part du lion dans «Requiem 8:20 Latham» et on repart au pays de la pop enchantée avec «The Girl’s Song». Du très grand art, encore une fois. Marylin McCoo does it well. C’est poppé jusqu’à l’os du genou. Ils savent malaxer un bulbe rachidien. Leur art bascule dans quelque chose d’infiniment spirituel. En tous les cas, c’est une pop qui incite à la rêverie et qui rend heureux. S’ensuit un «The Worst That Could Happen» chanté au sommet du Broadway Sound System. Lamonte McLemore chante de toutes ses forces. Il est le seigneur des anneaux, il explose tout, grâce à Jimmy Webb. Les violons ne font que l’exciter et il ah-ouhte au sommet de son art. Tiens, encore un heavy hit pop avec «Paper Cup». Rien d’aussi frais et rose que cette pop. Ils terminent sur un final dément. Évidemment, il faut considérer cet album comme l’un des grands disques de Soul de pop d’Amérique.

Huit ans plus tard, Jimmy Webb produit un autre album des Fifth Dimension, Earthbound. On y trouve une belle version du «Moonlight Mile» des Stones. On peut parler de petit miracle alchimique : comment faire basculer la Stonesy dans l’océanique webby ? Demandez aux Fifth Dimension, ils savent. Avec «Don’t Stop For Nothing», ils se recentrent sur le funky r’n’b. Ils tapent aussi dans les Beatles avec une reprise d’«I’ve Got A Feeling». C’est chanté à la force du poignet et très Soul. Ils restent dans l’excellence de la Soul avec «Magic In My Life» et le grand art mélodique de Jimmy Webb éclate une fois de plus au grand jour. Encore de la belle Soul d’élan vital en B avec «Lean On Me Always», monté sur un merveilleux contrefort d’harmonies vocales. Ces gens-là ne rencontrent pas le moindre obstacle, ils savent vraiment naviguer dans l’azur marmoréen. S’ensuit une autre pièce de Soul aérienne intitulée «Speaking With My Heart». Ils règnent sur l’empire des sens, vous savez, celui qui s’étend jusqu’à l’horizon.

À ses débuts, Jimmy Webb travaillait avec Johnny Rivers, un artiste alors très en vogue aux États-Unis. Dans Rewind, sorti sur Imperial en 1967, on trouve quelques compos du jeune prodige en herbe, comme «Carpet Man», savamment orchestré, enrichi aux harmonies vocales, une spécialité californienne. Belle pop, mais ça ne marche pas à tous les coups, Jimmy. Trop bubblegum. Encore de la belle pop de développement évolutif avec «Tunesmith». Johnny Rivers chante d’une façon très intéressante, très pop dans l’esprit. Tout est très orchestré, très chanté, très soigné sur cet album, mais on passe un peu à travers. Comme Jackie DeShannon, Johnny Rivers tape dans Motown pour rester dans l’air du temps. Il choisit «Baby I Need Your Lovin’» et le jerke jusqu’à la mortadelle. Tiens, voilà «Rosecrans Boulevard» ! Jimmy Webb adore déambuler dans les villes. Rosecrans et MacArthur, c’est en gros le même délire urbain d’ambiances et de climats changeants. Et Johnny qui est un grand artiste réussit à se l’approprier.

L’autre très grand interprète des œuvres de Jimmy Webb, c’est bien sûr Un Homme Nommé Cheval, c’est-à-dire Richard Harris. Paru en 1968, A Tramp Shining est un album indispensable à tout amateur d’art. C’est bien sûr là que se trouve «MacArthur Park», joyau du surréalisme rock. Dès les premiers accords de piano, on sent qu’on entre dans une page d’histoire. C’est le secret de la vie. On tombe parfois si bas qu’on sait qu’on ne se relèvera pas. Jimmy Webb prétend le contraire. On se relève, mais dans une drôle de lumière, sans connaître la recette du gâteau. Avec «River Deep Mountain High», c’est sans doute la chanson la plus symbiotique de toute l’histoire du rock, et naturellement, the park is melting in the dark. Cet aristocrate définitif qu’est Richard Harris s’inquiète pour le gâteau, cos’ it took so long to bake it, ça peut prendre une vie entière, il faut parfois une vie entière pour cuire le gâteau d’une vie, et comment fait-on pour tout recommencer ? Richard et Jimmy nous l’expliquent : en regardant le ciel. Mais c’est impossible ! Et pourtant si, comme dans la chanson, on commence par narrer les choses dans des repas ineptes de fausse connivence, but the park is melting in the dark et on sait à cet instant précis qu’on n’aura jamais the recipe again. Again ! Again !!! La vie est passée, c’est fini et Richard Harris louvoie dans des lumières tremblantes, ça melte in the dark, c’est la seule chanson qui permette de revisiter une histoire de vie, et l’aube revient, there will be another one for me, ce diable de Richard renaît, il se lève de son banc et ce diable de Jimmy Webb remet un peu de vie dans cette mort, il réanime Richard symphoniquement et le voilà qui clame son thinking of you, c’est stupéfiant, les batteurs battent le beat des enfers sur la terre et Richard n’en finit plus de revenir sur le gâteau qui a mis tant de temps à cuire, alors que Jimmy Webb instaure la splendeur sur la terre - And I think I can’t take it/ Cos it took so long to bake it - et il fait monter ses oh-no si haut qu’on les perd de vue. On trouve d’autres chefs-d’œuvre sur cet album comme par exemple «Didn’t We». Quel fantastique chanteur ! Il se plie à toutes les subtilités du grand art. Il se fond dans la masse mélodique d’une voix rauque. Il chante en cinémascope - Didn’t we almost make it this time ? - Encore un hit d’une incomparable qualité mélodique avec «Name Of My Sorrow». Richard l’Indien chante de toute son âme et comme il chante de la pop magique, il devient the Very Big One, the Interpreter par excellence. On reste dans la veine de la veine avec «Love Such As I» qui se pose comme un papillon sur la branche de l’eucalyptus. Ce diable d’Irlandais se fond dans le miel du bonheur mélodique. On a là le même genre d’osmose que Dionne avec Burt. Jimmy Webb hisse toute sa pop au niveau symphonique. Avec le morceau titre qui referme la marche, on retombe dans l’extase mélodique. Diable, comme cet homme chante bien. Il fait sonner sa voix au clair de la lune. Cette pop chargée de violons évoque la nonchalance d’une splendeur antique, celle des jardins suspendus de Babylone et c’est là que tout se passe, dans le giron de Richard Harris, l’homme qui se voulait hors normes.

Paraissait la même année The Yard Went On Forever, bourré à craquer de compos de Jimmy Webb. Tout est terriblement épique sur cet album et certainement pas pop, au sens où on l’entendait à l’époque. On y trouve cependant un chef-d’œuvre absolu, «The First Hymn For Grand Terrace», pop de rock folky à la Fred Neil - There was a DJ in LA./ We used to tune him at night/ To hear our favorite song - On note à la fin de «Water Mark» une belle envolée. Richard Harris la pulse à la glotte enjolivée, even as I see the sun, mais on échappe définitivement à la pop. Et ce disque n’en finit plus d’échapper aux genres, peut-être se veut-il trop symphonique. Trop écrit. Pas assez MacArthur. Quand on réécoute «Gayla», on comprend mieux pourquoi ça ne pouvait pas marcher à l’époque : trop beau, trop puissant, trop dense, pour une époque où régnait la frivolité.

Sur ses deux albums suivants (My Boy et The Richard Harris Love Album), Richard Harris chante encore des œuvres de Jimmy Webb : «One Of The Nicer Things» sur le Love Album et quatre titre sur My Boy : «Beth» (assez pur, bien profilé sur l’horizon), «Sidewalk Song» (très symphonique, mais difficile de rééditer l’exploit de MacArthur), «Requiem» (et là on comprend que cet album ne pouvait pas se vendre, les compos dégoulinent beaucoup trop) et enfin «This Is Where I Came In», emmené au groove de basse et suivi par les longues langues râpeuses de l’orchestration. Et ça explose. On retrouve le grand Jimmy Webb à l’œuvre. Il ne se prive d’aucun luxe explosif. Ce diable de Richard Harris a beaucoup de chance. Les hits de JimmyWebb, comme il dit, sont d’absolues merveilles.

En 1972, Jimmy Webb collabora avec Motown, le temps de produire un album des Supremes post-Ross, The Supremes Produced and Arranged By Jimmy Webb. Il s’y niche deux belles choses, à commencer par «Il Voce Of Silenzio» : c’est un festin extraordinaire d’harmonies vocales sublimé par les orchestrations. «Cheap Lovin’» referme la marche de la B d’une manière assez glorieuse. Oui, c’est un fantastique shoot de big olé r’n’b. Elles héritent de tout le Motown Sound, enfin plutôt de l’esprit du Motown Sound, car ce ne sont pas les Funk Brothers qui jouent. D’autres belles choses guettent l’amateur d’art, comme par exemple ce «5.3, Plane» signé Jimmy Webb, joli cut de pop évangélique, chargé de toute l’ampleur de la propension. Jean Terrell qui remplace la Ross et l’ex Bluebelle Cindy Birdsong chante très sucré, mais on l’admire pour son ampleur casuistique. Elles tapent dans une autre compo de Jimmy Webb, «Beyond Myself», mais on y voit aussi les limites du système. Les filles parviennent difficilement à monter dans les octaves supérieures, comme le fait Thelma Houston. Elles aimeraient bien, mais c’est compliqué. En B, elles tapent une reprise du «All I Want» de Joni Mitchell. C’est assez bien foutu, d’autant que les filles ne lésinent pas sur la crème au beurre. Jimmy Webb chante le deuxième couplet de «Once In The Morning», mais c’est une pop trop blanche pour des filles de Detroit comme les Supremes. Elles s’attaquent aussi à l’énorme «I Keep It Hid». Les filles parviennent tant bien que mal à tartiner l’océanique de Jimmy Webb. On trouve à la suite une autre reprise de choc, le «Paradise» d’Harry Nilsson. C’est battu en neige de Kilimanjaro. Admirable giclée de pop romantique et même paradisiaque ! Cette folle équipe s’y amourache des éthers d’éternité. On a là une superbe pièce montée dégoulinante d’extase vocale. Jean Terrell et Mary Wilson peuvent dire un grand merci au petit patron blanc, Mister Webb.

On a vu dans le Part One que Glen Campbell est devenu célèbre grâce aux compos de Jimmy Webb. Il existe trois albums collaboratifs des deux hommes, et le premier s’appelle Reunion. The Songs Of Jimmy Webb, paru en 1974. On les voit sourire bêtement sur la pochette. Mais vraiment bêtement. Surtout Glen Campbell. On note la présence d’une Beautiful Song sur l’album : «Wishing Now». La guitare de Campbell entre dans le foisonnement orchestral et semble prendre une sorte d’envol. C’est très spécial, la partie de guitare est tout simplement somptueuse, grattée à la jouissance pure. Curieusement, ils démarrent l’album avec un hommage à Lowell George, «Roll Me Easy». Puis Campbell attaque une série de compos de Jimmy Webb. Il apporte une touche country aux riches heures du duc de Webb. Il finit par remonter dans les estimes, car il se plie volontiers aux rigueurs de l’échappée belle according to Jimmy Webb, comme on le voit dans «You Might As Well Smile». La touche country qu’il continue d’apporter dans cette prodigieuse clarté mélodique passe plutôt bien. Encore de l’extrêmement gratté/chanté/orchestré dans «Ocean In His Eyes». Pas une seule seconde de vide sur cet album. Campbell a beaucoup de chance : on lui donne du beau grain à moudre. Comme par exemple «I Keep It Hid», d’une incroyable ampleur mélodique - I still love you like I did - Campbell est obligé de monter, alors il monte. Il ne peut pas grimper aussi haut que Thelma, mais disons qu’il s’en sort avec les honneurs, ce qui n’est déjà pas si mal. On trouve encore la grosse pop ambitieuse en fin de parcours, notamment avec «Adoration». Rien n’est plus parfait que cette association de voix blanche et de grande composition. Campbell termine avec «It’s A Sin», admirable de good time flavour. Une fois de plus, ce diable de Jimmy Webb semble faire le tour du monde.

Nouvelle collaboration Campbell/Webb quatorze ans plus tard avec l’album Light Years. Disons que c’est un disque sympa qui ne fait pas d’histoires. Ce gentil balladif bien propre sur lui qu’est «If These Walls Could Take» ne mange pas de pain et ne fait pas de vagues. Campbell enchaîne une série de chansons privées de relief. Rien de semble vouloir accrocher. Tout est très tartiné. C’est peut-être sa voix qui pose un problème. Glen glande. En tous les cas, on passe à travers la B comme on est passé à travers l’A. Les compos de Jimmy Webb sont comme banalisées.

Le troisième album collaboratif de Glen Campbell & Jimmy Webb s’appelle In Session. Très intéressant car doublé d’un bon vieux DVD des familles. Dès «Light Years», on voit que Campbell peine à ramener du volume au chant. Richard Harris a mille fois plus d’envergure. Avec Campbell, ça ne marche pas. Et ça se voit sur sa figure. Limité, pas d’ouverture. Le pauvre Campbell reste un piètre interprète. Comment faire confiance à une tronche de cake ? Dans «Galveston», il se prend pour un grand chanteur, mais il ne peut pas monter comme monte Bobby Hatfield. On a l’impression de voir un plouc s’acheter une allure à bon compte. Il chante mal et reste bien rigide, pendant que Jimmy Webb fait pleuvoir des pluies de diamants noirs dans «Where’s The Playground Susie». On tombe ensuite sur MacArthur et on se frotte les mains, car Campbell va se vautrer. Dès l’intro, il sonne faux. Il appréhende mal les virages. Il chante comme un porc, là où Richard Harris fait de miracles. Campbell sort son baryton d’occase. Il chante comme un slip. Il fait mal aux oreilles. Mais comment Jimmy Webb a-t-il pu tolérer une chose pareille ? Campbell sonne comme une boîte de coupe Campbell. Tout ceci ne tient que par la qualité mélodique de la chanson. Campbell n’a pas les moyens de chanter un tel chef-d’œuvre. On ne comprend pas que Jimmy Webb ait pu choisir un interprète aussi médiocre, surtout quand on sait qu’il a travaillé avec Thelma Houston et The Fifth Dimension. Par contre Campbell joue comme un diable sur le pont central. On le voit battre tous les records de virtuosité sur une guitare électrique. Entre chaque cut, Campbell fait des commentaires. Il indique par exemple qu’«If These Walls Could Speak» fut composé pour Waylon Jennings qui n’en voulut pas. Alors il dit l’avoir récupéré pour son album Light Years qui est comme on l’a vu assez catastrophique. Mais ici, le cut prend un relief particulier. Le mélange piano/acou est une merveille. Il faut bien admettre que Campbell joue comme un dieu. Sa technique de picking effare. Jimmy Webb raconte aussi que la première fois qu’il entendit son «Galveston» à la radio, il le trouva a bit too fast, but I’couldn’t complain, it was top ten. Avec le temps, il est revenu au bon tempo. Campbell en fait une version country et c’est du très grand art, le grand confort. On le voit aussi jouer le thème central de Wichita sur l’acou. Quel fantastique guitar-picker ! Campbell, il faut engager comme session man, pas comme chanteur. Et on le voit jouer une mirifique version de «Sunshower» en arpèges ! Effarant guitar man ! Franchement, ce document vaut le détour.

Comme il l’indique dans son livre, Jimmy Webb travaille aussi à une époque avec Art Garfunkel dont il admire la voix. Un premier album de collaboration paraît en 1977 : Watermark. Alors faut-il écouter Watermark ? Oui, pour une raison qui s’appelle «Crying In My Sleep». C’est une pop de Jimmy Webb d’une extraordinaire pureté mélodique. Idéale pour une voix comme celle d’Art. On y assiste à de fantastiques développements. Art n’a fait qu’un mauvais rêve, mais il fallait qu’il le chante. Quelle énergie là-dedans ! Si on aime la pop préraphaélite jouée aux petits arpèges alertes et bienveillants, alors il faut écouter le morceau titre. Art le chante avec tout le miel du monde. Il ne semble vivre que pour le miel. Retour à la pop anguleuse pour «Saturday Suit». Un enchantement, doté d’un trou dans le ciel pour l’échappée belle. Encore de la pop de rêve, direz-vous, oui, mais c’est d’une finesse inaltérable, si tant est qu’on puisse altérer son altesse. Art chante «All My Love’s Laughter» au vibré de beauté. Il s’en étrangle. Il fait monter la pop de Jimmy Webb en neige du Kilimandjaro. Il enchaîne avec une reprise du «Wonderful World» du vieux Louis. C’est joué au beat des îles et joliment mou du genou, une façon comme une autre de dire que c’est raté.

Garfunkel et Jimmy Webb se retrouvent dix ans plus tard pour enregistrer des chansons de Noël. L’album s’appelle The Animals Christmas. Bon, on peut s’en passer. On s’y ennuie royalement. C’est un peu le même problème qu’avec The Yard Went On Forever : on échappe complètement à la pop. Le seul cut qui capte l’attention s’appelle «Words From An Old Spanish Carol»/»Carol Of The Birds» : des chœurs enfantins apportent une fraîcheur inédite et ça prend de l’élan, comme dans un gospel choir. Une nommée Amy Grant entre en scène et swingue le carol. Soudain, c’est relancé au tatapoum philharmonique, les chœurs explosent sous la voûte étoilée et Amy Grant revient, sidérante de grandeur charismatique, des vagues de chœurs déferlent et tout explose ! Tout ! C’est digne des Edwin Hawkins Singers et Jimmy Webb signe ce prodige qui du coup sauve l’album.

Jimmy Weeb s’acoquina avec une autre artiste mainstream à la fin de siècle dernier : Carly Simon. Il ne viendrait à l’idée de personne d’aller écouter Carly Simon si Jimmy Webb ne traînait pas dans les parages. Dans Film Noir, on entend la belle Carly chanter Jimmy Webb d’une voix de diva hollywoodienne, avec une charge sexuelle si forte que ça peut mettre le caoutchouc en état d’alerte. Mais ce genre d’exotica baroque reste purement hollywoodien. On voit bien qu’elle fait des efforts désespérés pour devenir légendaire. Elle tape même une version de «Lili Marlene», accompagnée au piano allemand. Elle entre dans un domaine qui n’est pas à sa portée. Son vibré de glotte n’a pas traîné dans le dépravé fassbinderien de l’entre-deux guerres. Pour tout dire, on s’ennuie un peu dans ce disque qui voudrait tant paraître parfait. Elle fait un duo avec Jimmy Webb dans «Spring Will Be A Little Late». On ne l’écoute que parce que Jimmy Webb y participe, mais on est loin de MacArthur, même si Jimmy Webb imprègne bien le règne de la duègne. Le morceau titre est co-écrit par Carly & Jimmy. Elle chante ça d’une voix d’homme et la chose accroche, car on y retrouve les falbalas de Jimmy Webb et tout le tonnerre orchestral fait de marches qui montent au ciel. Dès que Jimmy Webb compose, ça change du tout au tout. C’est d’une puissance dramatique exceptionnelle. Carly s’enclipse dans le pathos orchestral. Tiens voilà Arif Mardin ! Il dirige l’orchestre qui accompagne Carly sur «Laura». Cette femme chante d’une voix profonde et peut finir par fachiner le chinois, mais avec une sorte de froide sensualité hollywoodienne de type Faye Dunaway dans Chinatown, et ça vire sax de Taxi Driver à la Bernard Hermann. Terrifiant ! Avec «I’m A Fool To Want You», Carly Sinatra marche sur les traces d’Ute Lemper. Elle va loin dans la germanisation des choses de la vie. Elle fait du gothique berlinois hollywoodien, elle hollywoodise l’Hanna Schygulla fassbinderienne. Son «Fools Coda» dramatiquement nappé de violons est beau comme une pierre en toc, c’est-à-dire puissamment kitsch. Plus loin elle tape dans Smokey avec «Don’t Smoke In Bed» et Van Dyke Parks dirige l’orchestre. Elle chante vraiment comme Amanda Lear. Et Jimmy Webb reprend la sarabande en mains pour le «Somewhere In The Night» final. Ça redevient humain. Avec ce genre de bonne femme, il faut bien border le lit. Alors Jimmy Webb borde puissamment, à la mode hollywoodienne.

Jimmy Webb participe à un autre album de Carly Simon, This Kind Of Love. Dès le morceau titre, Jimmy Webb sort le grand jeu en orchestrant un outro Brazil exceptionnel. On le retrouve ensuite dans «People Say A Lot». Il y joue de la basse au long cours, mais il joue comme un black du ghetto, il sort un son d’infra-basses ultra-saturées. Ce mec ne fait jamais les choses à moitié. Il sait jouer les contretemps de syncope, cheville ouvrière du funk aléatoire. Il joue carrément comme Larry Graham, à la décharge funkoïdo-sidérale. On a là un vrai hit urbain. Il barbote le beat dans les effluves d’Amanda Lear. Quel cocktail dévastateur ! On retrouve Jimmy Webb au synthé sur «Island», une bluette d’arpeggio de lettre morte. Rebondissement spectaculaire avec «Hola Soleil», brazil en diable, gorgé d’énergie jusqu’au vertige. C’est un délire de beat caraïbe insufflé par ce croque-mitaine de Jimmy Webb. On le retrouve à l’œuvre dans «The Last Samba» - Lost on the beach on this trance/ They’re playing the last samba/ Shall we dance - On s’émerveille de cette invitation à danser la samba - Shall we dance ?

Signé : Cazengler, Jimmy wesh

Thelma Houston. Sunshower. Pathé Marconi 1969

Thelma Houston. Breakwater Cat. RCA Victor 1980

Fifth Dimension. Up Up And Away. Soul City 1967

Fifth Dimension. The Magic Garden. Soul City 1967

Fifth Dimension. Earthbound. ABC Records 1975

Johnny Rivers. Rewind. Imperial 1967

Richard Harris. A Tramp Shining. RCA Victor 1968

Richard Harris. The Yard Went On Forever. Dunhill 1968

Richard Harris. My Boy. ABC/Dunhill 1971

Richard Harris. The Richard Harris Love Album. ABC/Dunhill 1972

The Supremes Produced and Arranged By Jimmy Webb. Tamla 1972

Glen Campbell. Reunion. The Songs Of Jimmy Webb. Capitol Records 1974

Glen Campbell. Light Years. MCA Records 1988

Glen Campbell & Jimmy Webb. In Session. Fantasy 2012

Art Garfunkel. Watermark. Columbia 1977

Art Garfunkel. The Animals Christmas. Columbia 1986

Carly Simon. Film Noir. Arista 1997

Carly Simon. This Kind Of Love. Hear Music 2008

LE MEE-SUR-SEINE / 21 – 12 – 2018

LE CHAUDRON

SYNDRO-SYS / PUNISH YOURSELF

Dernier concert de l'année. Je vous emmène dans un lieu connu – Le Chaudron – mais pour une tambouille nouvelle. D'habitude nous y assistons à des concerts de Metal. De nombreux participants à la dernière programmation avaient promis qu'ils seraient là pour Punish Yourself. Z'ont manifestement eu affaire pressante ailleurs, nous n'avons aperçu aucune tête connue...

SYNDRO-SYS

Jessy Christ capte tous les regards. Engoncée dans un épais manteau qui se surajoute à sa large silhouette. Elle ne bouge pratiquement pas sinon pour esquisser de légers pas de danse mécanique. Emane d'elle une froideur que je qualifierai de japonaise. Rien à voir avec les éclats d'une fièvre mangaïque. Plutôt l'inquiétante retenue d'une cérémonie zen d'un thé létal glacé. Ecrans derrière elle et sur les côtés. Défilent des images grises et des symboles orange et noirs d'un monde médicalisé à l'extrême. Peu hospitalier, même si à la fin du premier morceau elle nous souhaite '' Bienvenue dans la Communauté''.

Deux guitaristes, à sa droite et à sa gauche, font office d'infirmiers bourreaux. Un batteur au fond. Ne font que surajouter de la musique à celle produite par les appareils qui encombrent le bloc opératoire scénique. Produisent une ambiance noire. Il serait faux de parler de tintamarre, les mots de raffut assourdissant sembleraient mieux appropriés. Une tourmente tournante qui revient machinalement sur elle-même, un bourdonnement d'une pale géante d'hélicoptère. B. e .s baise ses drums impitoyablement, ne baisse ni le ton ni les toms. Accompagne, ponctue, survigilance tapatoire assourdissante. Adam et x.]S.T[x sont promus aux dégelées agglutinantes de guitares. Plaquent un accord et vous injectent du son sans se lasser dans votre cortex d'une manière un peu rudimentaire, destinée à accentuer la rudesse de l'attaque. Volume violent. Jessy crie dans l'orang-outangerie déchaînée. Voix de fer qui surmonte ce pandémonium sonore. Vous envoûte. Donne des ordres. Commandante, pour ne pas dire kommandatur. Etrangement le public est tout sourire. Groupe local, l'on devine que les amis sont là. Un peu bobos, un peu intellos. Prêt à suivre tout conseil de mauvaise vie. Tout compte fait, lorsque quelqu'un se charge de vous indiquer le chemin, ce n'est pas plus mal. Les titres ne vous promettent pourtant pas le paradis : Cobaye, Piors Company, System of Lies, Reign, Demons... ne craignez rien la cheftaine suprême est devant vous pour vous mener au camp du bonheur. Le groupe possède son logo répété à l'envi. De quoi vous faire froid dans le dos. Syndro-Sys nous prophétise des lendemains sous calmants. Le public conquis ondule gentiment. Assentiment généralisé. Un set froid comme une peau de reptile. Esthétique blanche. White Ghost. Post Coïtal. Manifeste de la déception pure.

PUNISH YOURSELF

Nous avons eu l'ambiance du futur frigoririque, voici la chaleur tropicale. Avec un tel nom, l'on s'attendait à une grande séquence de flagellation masochiste. Après le noir et ses blancheurs cadavériques, l'arc-en-ciel aux mille couleurs. Toute une floppée sur scène. Sept, et pas des nains. Violaine Viollence joue le rôle de Blanche-Neige, mais en beaucoup plus délurée. Punish Yourself sont des organisateurs de vacarme. Z'ont Xa Mesa à la batterie, mais l'est comme Vulcain dans sa forge, l'a ses aides. Michaël Chany module les synthés, ne vous méprenez pas sur ce verbe à consonnante murmurale, disons qu'il mordhurle, dès qu'il touche un bouton de l'espèce de la choucroute ébouriffée de fils électriques de toutes les couleurs posée devant lui, il vous trépane d'un rythme abracadabrant qui vous tortille salement la moelle épinière. Doivent penser que le mal est l'ennemi du pire car sur la droite Vx est confiné à l'atelier. Possède un établi métallique pour lui tout seul. C'est un abonné aux fréquences frénétiques, faut qu'il agite ( violemment ) quelque chose, n'importe quoi fera l'affaire, pourvu que ce soit bronzophone on mégatonnant, laisse tomber des plaques de fer, frappe à coups de tringles sur des bidons, agite une chaîne de fer monumentale qui cliquette comme le cou écailleux des brontosaures, bref, il est à lui tout seul le marteau de Thor, l'enclume d'Héphaïstos et le tonnerre de Zeus.

Vous rajoutez Xav et Pierlox à la guitare, tous deux chargés d'un objectif ultra simple : augmentation surmultiplieuse du vacarme. Des gars qui n'ont jamais entendu parler d'unplugged. Produisent des tonitruances de moteurs de hors-bords géants, des trombonophones d'armada d'aspirateurs capables d'avaler le monde. Attention, ne font pas que du bruit, produisent aussi le beat. A tel point qu'au début j'ai eu peur. J'avons cru que nous allions déraper vers un metal-rap de mauvais aloi, mais non sont gaillardement restés fidèles à une ligne de conduite sonore que l'on pourrait qualifier de doom-indus-speed-noise.

Je suppose que vous en avez plein les oreilles, alors maintenant je vous injecte les mirettes. Sont peinturlurés comme des peaux-rouges sur le sentier de la guerre de couleurs huper-flashy, rose carnivore et vert cru pour l'un, jaune ripolin et mauve sépulchral pour un autre, de la tête aux pieds. Cela leur octroie l'apparence de squelettes en goguette dans un cimetière mexicain, fortement démantibulés par un vent de force 10. Eros suit et même précède Thanatos. Voici Violaine. Pas très sage, ce n'est vraiment pas La jeune Fille Violaine chère à Paul Claudel. Arbore de longues tresses de fillette pétillante. Qui se serait épouvantablement recouverte de peinture jaune durant le cours de dessin. N'épiloguons point sur ses bas retenus par des porte-jarretelles qui laissent le hautde ses cuisses dénudées. Je vous rassure, son T-shirt noir est des plus corrects. C'est pour cela qu'elle ne tardera pas à l'enlever dévoilant le galbe chaleureux de deux seins teints de jaune. Un bonheur n'arrivant jamais seul, vu l'ambiance de fou qui règne dans la salle et sur scène, l'élévation de la température fera fondre la calotte de gouache jaune laissant vos yeux de voyant accéder au pur dévoilement du saint des saints.

Violaine, timbre d'elfe bondissant de l'alpha cristallitoire à l'omégaphone du barrissement d'un éléphant en colère. Elle rugit comme la lionne à qui vous venez de tuer son petit, sa voix transperce l'onde de choc mettallifère que déverse le big orchestra sur la foule en transe. Les Viollences de Violaine n'ont peur de rien, elle se lance à corps perdu dans la fosse tumultueuse, et des bras empressés se tendent, et elle tombe telle la rosée matutinale sur les corolles ondoyantes des paumes qui s'ouvrent pour recueillir la plus précieuse des ondées miraculeuses. Jeux de mains ne signifient pas obligatoirement jeux de vilains, pas un doigt des gentlemen porteurs de ce graal charnel n'ose s'égarer sur un des dômes dénudés, Violaine ceinte d'admirateurs qui la transporteraient jusqu'au bout du monde si sa place n'était sur la scène...

Vous n'avez encore rien vu. Punish Yourself possède aussi un chanteur. Un enragé. Vous boufferait le le micro tout cru que ce ne serait pas grave. Offre un sacré coffre de résonnance. Faut le voir penché sur la foule, la hampe du cromi levée tel le trident de Neptune, il aboie et mène la tourmente de la tempête qui déferle sans fin. Vous croyez que le groupe se contente de faire du bruit et de noyer l'univers sous une bourrasque sonore infinie, il détient une vox dei qui ordonne le kaos, dès qu'elle s'éructe du gosier z'avez l'impression que la folie phonique se transforme en quatuor à cordes de musique de chambre. Et en même temps, l'est le loup hurleur qui mène la horde à l'assaut d'un tyranosaurus épileptique, dix foix fois, cent fois, mille fois, il revient vous mordre, infatiguable, indestructible, la salle n'est plus qu'un maelstrom en furie, vous voici explorateur imprudent plongé dans les gros bouillons du chaudron au milieu d'une tribu de canibales en délire... Rien ne pourra vous calmer. Rallongeront le set tant qu'ils pourront. S'arrêteront épuisés. Seront punis par là où ils ont péché. La bronca déchaînée les oblige à revenir. Le dernier quart d'heure sera meurtrier. Overdose de glucose sonore pour tout le monde.

Damie Chad.

P. S. : pour les photos visitez le FB de Douche Froide Photographie. Dans la tourmente sonore je ne jurerai pas que je ne me suis pas mélangé les pinceaux dans la nomenclature des artistes. Qui viennent de Toulouse, ultim thulée de ma jeunesse...

JOHN LENNON

LE BEATLE ASSASSINE

JEAN-PAUL BOURRE

( Editions Dualpha / 2000 )

Nombreux sont les livres sur les Beatles et sur John Lennon. Mais celui-ci se détache du lot. Contrairement à ce que l’on pourrait croire ce n’est pas par la thèse proposée par son titre. Que le FBI ou la CIA aient été derrière David Chapman reste une hypothèse plausible, police et services secrets ne s’embarrassent guère de scrupules, éliminer les gêneurs fait partie de leurs attributions semi-officielles. Certes Jean-Paul Bourre n’oublie pas de mentionner les agissements des agents chargés d’infiltrer ( mission peu difficile à accomplir ) les mouvements contestataires américains et de réunir les éléments compromettants dans d’épais dossiers… mais ce n’est que dans l’ultime page du livre que la question est posée dans sa crudité : Qui a tué John Lennon ? Et fort prudemment Jean-Paul Bourre botte en touche, les assassins ne sont pas si loin de nous que nous pourrions l’accroire, peut-être même sont-ils au-dedans de nous, dans nos cauchemars les plus intimes. Bourre nous renvoie à nos lâchetés les plus honteuses, celle que nous refoulons, celle que nous évacuons par la mise sur orbite adulatoire de quelques pauvres gars et garces auxquels nous faisons endosser la responsabilité symbolique de nos colères rentrées que nous n’osons affronter et assumer en les laissant éclore et éclater au grand jour. Les idoles ne sont-elles pas des substituts, des marionnettes que nous manipulons dans le seul but de masquer nos propres démissions… Les champions générationnels se battent pour nous dans l’arène, depuis les gradins nous ne manquons point de les encourager, c’est facile et sans danger. De quoi se plaindraient-ils, s’ils prennent des coups - parfois mortels - nous leur offrons l’argent, la célébrité, le sexe, la gloire, et pour les moins chanceux ou les plus fragiles, nous tissons de fils d’or le plus pur le linceul de leur légende.

Ceux qui liront ce bouquin en pensant feuilleter une biographie de Lennon se trompent. Erreur sur toute la ligne. Nous n’en voulons pour preuves que les brutales accélérations qui émaillent le récit. Les universitaires se plaindront de ces ellipses temporelles qui sabrent la vie de Lennon. Jean-Paul Bourre ne prétend à aucune exhaustivité, il est des moments d’une vie qui ne sont guère significatifs. Les torrents tumultueux génèrent eux aussi des zones de calme embourbement. Bourre fait confiance à son lecteur pour combler les vides. L’histoire de Lennon est connue et rabattue. Poussons le cynisme un peu plus loin : les néophytes qui n’ont pas connu cette époque auront ainsi la chance de découvrir des détails nouveaux - qui du moins le leur paraîtront - en farfouillant dans diverses publications annexes. Lorsque les carottes sont cuites vous n’avez pas la chance de les bouffer toute crues avec la terre qui colle encore à leurs radicelles.

C’est à un véritable roman que nous convie Jean-Paul Bourre. Sait écrire le bougre. Donnez-lui le plomb saturnien du vécu vous le transforme en l’or du Rhin radieux. Sous sa plume Lennon devient un héros balzacien, le Rastignac du rock et mieux que cela le Louis Lambert de sa génération. Vous le dépouille de tous ses oripeaux, vous en dresse un portrait à nu, et à l’encre forte. Vous le trépane et vous introduit dans son cerveau. Pas beau à voir, un véritable chaos, un cloaque aussi. Vous la joue à la Sigmund Freud, le mineau de dix ans relégué depuis sa naissance chez sa tante si raisonnable par sa mère qu’il adore et qui a la mauvaise idée de se faire stupidement écraser par une voiture, voilà de quoi vous aider à briser en mille morceaux le fameux complexe d’Oedipe. En attendant c’est le rock and roll qui débarque dans sa vie, Elvis Presley, Gene Vincent, Little Richard, le rock donne accès à une cinquième dimension, celle d’une vie rêvée qu’il entend saisir à pleines mains et réaliser. Ne sera pas un suiveur, mais un fonceur. Un leader. Lennon contre le monde entier. Les copains comme les pièces de playmobil que l’on garde soigneusement si elles s’adaptent à la maquette de la fusée spatiale en construction, et que l’on jette et remplace tout aussi facilement, dès que l’on en aperçoit une meilleure. Lennon n’a pas de pitié, l’est trop pressé pour cela, à Hambourg, dans son cuir de rocker il jette sa gourme et sa hargne sans compter. Ne barjote pas à se demander pas si les coups qui ne vous tuent pas vous rendent plus fort, il rocke avec ses compagnons de galère amirale, à coups de marteau, juste pour se forger un destin à sa démesure. Il y réussit parfaitement.

L’Angleterre devient rapidement trop petite. L’Amérique l’attend. Mais ici tout est plus grand. Avec les Beatles, les USA redécouvrent le rock, mais c’est surtout Lennon qui s’aperçoit que l’on ne l’a pas attendu pour prôner un changement radical du modus vivendi. L’hostilité à la guerre du Vietnam a été un détonateur. La jeunesse ne veut plus la guerre, prend l’autre option : la paix. Ne suffit pas que les boys rentrent à la maison et que tout continue comme avant. L’existe une arme miracle, qui repousse les cloisons intérieures, le LSD vous révèle que l’on peut franchir les frontières mentales. Drogue, sexe et rock and roll, la jeunesse possède sa sainte trinité, de quoi révulser le citoyen moyen qui bosse comme un bœuf sans se poser de questions. Le gouvernement s’inquiète de ces indociles, chevelus et mal lavés qui crachent sur l’American Way of life, Lennon se trouve à son aise dans ce maelstrom, il est vite catalogué par les autorités comme une figure de proue d’autant plus dangereuse qu’il est aimé par des millions de gens qui achètent ses disques par millions, le Christ lui-même n’avait jamais envisagé une aussi grosse multiplication pour ses petits pains ( sans barre chocolatée ).

Tempête médiatique dans un verre d’eau dont le bizness alimente les feux, récupération marchande, ou révolution en marche ? Le système en a digéré d’autres… Bourre nous décrit tout cela avec brio, mais n’oublie pas que l’essentiel se joue ailleurs. Dans la tête de Lennon qui explose. Trop de pression, trop de fric, trop de produits, la désagréable impression que l’on croit chevaucher le tigre alors qu’il vous tient fermement par le bras et qu’il est en train de vous dévorer l‘omoplate. L’a trouvé le port dans la tempête. Une femme. Yoko Ono. Quelque part aussi givrée que lui. Mais d’une autre trempe. Le Prolétaire convole en justes noces avec l’Artiste. A qui profite la promotion sociale ! Perso j’ai plus d’estime pour l’art pompier du dix-neuvième siècle que pour l’art conceptuel du vingtième, si vous voyez ce que je veux dire. N’empêche que je ne partage pas la haine que beaucoup de lennonâtres vouent à Yoko. La préface de Nicolas Raletz en est un parfait exemple. Dans un couple, vous trouvez obligatoirement deux couplables. Les maîtres ( et les maîtresses ) sont aussi dépendants des esclaves que vice-versa.

Bourre nous présente l’enregistrement de Rock and roll par Lennon comme un retour aux sources. Le compteur remis à zéro, l’extraballe qui permet un nouveau départ. Une deuxième tentative pour mieux voir où tout a foiré. Afin de corriger le tir, d’effectuer un parcours sans fautes. Prendre conscience de ses erreurs ou de celles des autres. David Chapman se charge du tilt final. Nous ne saurons jamais.

Le héros meurt à la fin du livre. L’on ne peut même pas blâmer l’auteur, c’est trop bien écrit. De main de maître.

Damie Chad.

LES CAHIERS DU JAZZ

SPECIAL NEW THING

N° 16 - 17 / 4° Trim. 1968

DANIEL BERGER / JEAN CLOUZET / JEAN-LOUIS COMOLLI / ALAIN GERBER / ROGER GUERIN / DON HECKMAN / JACQUES B. HESS / ANDRE HODEIR / HENRI HUBERT / MICHEL-CLAUDE JALARD / GUY KOPEL / LUCIEN MALSON / JEAN-ROBERT MASSON / JEAN-CLAUDE MONTEL / PAUL-LOUIS ROSSI.

Le lecteur jazzverti aura reconnu les grands noms de la critique française, ceux qui accueillirent à bras ouverts la révolution parkerienne et qui se trouvèrent fort démunis lorsque la bise de la New Thing apparut. Le temps est impitoyable. Vous vieillit en dix ans d’une génération. Pensez aux rockers made in 56 confrontés à la vague hippie de 1966. Parfois faut s’accrocher aux petites branches pour surnager. D’autant plus que nos cadors sont conscients de leur valeur. L’éditorial de Lucien Malson est sans équivoque, revendique le jazz en tant que mouvement culturel de première importance. Les saillies contre les universitaires sont nombreuses, pensez que la revue paraît quelques mois après Mai 68, même si les entretiens ont d’après moi été enregistrés avant le mois fatidique puisqu’il est spécifié qu’ils se présentent sous forme d’une transcription sténographique qui a dû demander quelque temps. Les soixante premières pages - plein-texte et petits caractères - de la revue retracent en effet neuf conversations qui tournent autour du free-jazz.

Face à un phénomène nouveau, le premier réflexe est d’estomper son impressionnante et inadmissible nouveauté en rappelant qu’il en existe d’autres sinon du même acabit du moins fortement similaires, la New Thing a bousculé les schémas habituels du jazz mais quand on y pense Godard et la Nouvelle Vague ont agi de même vis-à-vis du cinéma et Robbe-Grillet, Michel Butor et le Nouveau Roman ont mis la littérature en coupe réglée. Plus loin Dada sera évoqué… Toutefois méfiance, ce recours aux rideaux froissés de la vieille culture européenne ne serait-il pas un réflexe colonialiste de mauvais aloi ? L’on commencera donc par l’évocation de la situation du peuple noir aux Etats-Unis et spécifiquement même à Harlem, même si le jazz s’est déplacé et si les novateurs ont élu résidence à l’est de New-York. Les noirs n’acceptent plus leurs conditions. Ils veulent tout et maintenant. Black power, Black Panthers, New Thing, même combat. Les musiciens de jazz entendent se réapproprier le jazz en délaissant les patterns jusqu’ à lors admis. Tout est remis en question. L’on débouche aussi sur n’importe quoi. Albert Ayler et son frère se font tailler de magnifiques costumes. Mais ils ne sont pas les seuls coupables. L’on désigne les responsables. Deux noms s’imposent : John Coltrane et Ornette Coleman. Celui-ci surtout. L’on dissèque son jeu, l’a bouleversé beaucoup de choses pour terminer par se rabattre sur la musique modale. John Coltrane avec son Love Suprême s’était déjà enferré dans cette vieille route. Mais rien ne sert de leur lancer des pierres. La musique classique a connu les mêmes impasses, au bout de l’atonalité, du dodécaphonisme, les musiciens sont revenus à l’increvable modalité. La musique moderne tourne en rond…

Il y aurait bien un sentier esquissé dès avant Coltrane dans le jazz, les sifflets, le slap, le borborygme, en gros tout ce qui se rapporte au bruit. Mais cette voie est déclarée naturellement sans issue. Ôtez ce sein acoustique que tout mélomane ne saurait entendre. Faudra attendre les musiques industrielles et le Noise pour aiguiser les oreilles. Mais là nous outrepassons les limites naturelles du jazz que le free a déjà abattue. De fait, quel crime odieux les Archie Schepp et les Sony Rollins ont-ils perpétré ? Z'ont tué le swing, avant eux, sous toutes ces formes le jazz a swingué sans défaillance. Le swing c’était le tombeau de l’Anatole du blues, le truc qui a permis de s’évader du blues terreux, de créer cette nouvelle musique qui balançait un max. Et voici que les aventuriers de la New Thing vous jetait le bébé du swing avec l’eau du jazz par la fenêtre… Un seul défaut à nos novateurs, neuf ans qu’ils ont renversé les murs mais ils n’ont pas encore produit un seul chef d’œuvre incontestable. Restons prudent, peut-être parce que nos oreilles ne sont pas assez taillées en pointe pour être capables de l’entendre. Pourquoi dans vingt ans, la New Thing ne serait-elle pas autant admise que le Be Bop ou le New Orléans aujourd’hui ? Son apport révolutionnaire rentré dans les mœurs, accepté par tout le monde, déjà dépassé par un nouveau mouvement ?

A moins que. Ce ne soit la queue de la comète. L’exploration finale d’une forme musicale qui arrive à expiration. La profusion décadentiste qui afflige tous les arts vieillants. La New Thing ne serait-elle pas le signe annonciateur de la mort du jazz. Le jazz aussi obsolète que la musique baroque. Z’avaient du flair, certes les musiciens de jazz courent de nos jours les festivals qui font salle comble, mais rien de nouveau ne se dresse sous le soleil de Satan. Le jazz d’aujourd’hui se mord la queue, ou alors il se marie avec un tas d’autres musiques venues d’ailleurs… à plusieurs reprises notre quarteron de généraux poussés à la retraite ( car les combats finissent toujours faute de combattants ) lorgnent sur le rhythm and blues, musique populaire et simpliste qu’ils affirment trop répétitive. Inimaginative.

Le kr’tnt-reader ne manquera de faire l’analogie avec la survie du rock. En quoi cette musique se renouvelle-t-elle ? Insidieuse question à laquelle nous ne tenterons même pas de répondre, c’est que ce numéro des Cahiers du Jazz est loin d’être terminé, reste encore les articles individuels à lire.

Quand on y regarde de plus près l’on est obligé de constater que l’apparition de la New Thing a causé plus d’interrogation chez les élites du jazz des années 60 que la survenue du punk in the seventies dans l’intelligentzia des journalistes rock. La cause fut très vite entendue, pas de drame cornélien, une tranquille assurance partout, ceux qui firent comme s’il s’agissait d’un micro-courant comme le rock en compte tant, une musique de chapelle un peu plus tonitruante que les autres qui ne les intéressa guère et ceux qui adhérèrent tout de suite et en devinrent de fervents supporters. Certains remarquèrent que c'était moins la réouverture de la querelle des Anciens et des Modernes que l’expression larvée du conflit générationnel, les jeunes contre les vieux, de plus de trente ans, peu enclins à ce que l‘on resservît le couvert, et à revivre une deuxième fois les fièvres de leur adolescence sur lesquelles ils avaient bâti les murailles de leurs certitudes contre-culturelles.

Peut-être aussi qu’en 1977 les carottes étaient-elles cuites et archi-cuites. La New Thing était sacrilège en le sens où elle s’attaquait à une tradition culturelle établie depuis des siècles, le punk arrive, après le passage du bulldozer l'on dresse le constat que tout le monde faisait en catimini dans sa tête sans oser le crier trop fort : il n’y a plus rien, nil n'ignore qu’il marche sur un monde décombres et non de semence. Montée du nihilisme nietzschéen.

Les contributions des articles rédigés en solo rendent compte de la stupeur intellectuelle apportée par la New Thing, l’on assiste au recul ( pas à pas ) des vieux schémas d’analyse qu’ils soient d’origine platonico-hégelienne - l’on discute encore d’esthétique : la mort du Beau entraîne-t-elle obligatoirement celle du Juste - ou de profusion marxiste : l’on essaie de jauger le taux d’alcoolémie révolutionnaire qui se fait jour dans les revendications noires et l’on pressent déjà ce qui deviendra la tarte à la crème de la modernité actuelle : la mauvaise conscience colonialiste blanche prise entre le marteau de la morale auto-culpabilisante et la faucille vindicatrice de l’égoïsme de l’avancée de la réalité capitalistique des choses qui se moque de votre acquiescement individuel. Le théâtre et l’attitude revancharde vis-à-vis des blancs de Leroy Jones - l’auteur de Le Peuple du Blues - servant de pierre d’angle à la discussion.

Le livre établit une longue discographie de la New Thing et le recensement des nouveautés jazz américaines. Nous retiendrons surtout les longues et intelligentes chroniques de disques d’Alain Gerber. Vieille d’un demi-siècle la revue donne encore à réfléchir. Ce qui prouve sa qualité intrinsèque.

Damie Chad.

BIG UP GIRLS

# 4 / Novembre 2016

Je sais que ça ne se fait pas de faire attendre les dames mais je n’ai même pas deux années entières de retard. J’ai découvert la revue à Toulouse sur l’étagère à bouquins de Vicious une boutique à vinyls comme il devrait s’en créer dans le moindre des villages. Les gars soyez discrets, rasez la moquette et essuyez-vous les pieds sur le paillasson avant d’entrer, c’est écrit sur le flyer de la Release Party à l’occasion de la sortie du numéro précédent : Ni Dieu, Ni Mec.

Meilleure nouvelle : c’est rempli de filles, Manon, Camille, Fanny, Lucie, Marine, Bonny, Jenny, Julie et Laure, toutes différentes mais toutes sévissent dans un groupe ( pas obligatoirement non-mixte ) de punk hardcore. Racontent leurs parcours, leurs difficultés à se faire accepter dans ce milieu de machos en puissance dans lequel elles s’imposent tout compte fait avec facilité. A croire que tous ces garçons ne sont pas des prédateurs sexuels en manque de chair fraîche. Des tranches de vie, bien mises en page, qui se révèlent intéressantes voire fascinantes. Ces demoiselles ne manquent ni d’expérience ni de réflexion. Vous avez même droit au compte-rendu de la journée d’études du 16 octobre 2016 au centre musical Barbary Fleury in Paris intitulée ‘’La Scène Punk en France - Questions de Genre’’ qui sent un peu trop la grille de lecture universitaire à mon goût de mâle blanc dominant, plus un témoignage sur un Queer Rock Camp aux Etats-Unis.

La revue ( à prix libre, et produite par Way Out Asso ) est très symptomatique de la dernière mouvance générationnelle punk, qui partie de rien, a fortement bouleversé et influencé les modes d’existence et d’attitude de millions d’individus de par le monde. Tous ces gens qui essaient de vivre dans les marges aux confins de la rébellion brute et de l’affirmation stirnérienne de leur individualité forcément déviante par rapport aux normes que le système essaie de nous imposer.

Les kr’tnts-readers qui auront établi un parallèle avec le public qui fréquente La Comedia de Montreuil, auront fait preuve d’un flair infaillible.

Damie Chad.

23/09/2015

KR'TNT ! ¤ 248 : TAV FALCO / SPUNYBOYS / GLAM / ARPEGGIO OSCURO / JOHN LENNON

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 248

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

24 / 09 / 2015

TAV FALCO / SPUNYBOYS / GLAM ROCK

L'ARPEGGIO OSCURO / JOHN LENON

 

SILENCIO / PARIS ( 2° ) / 18-09-15

TAV FALCO

 

TAV ET SES OCTAVES

 

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Le problème avec les gens qui sont en avance sur leur époque est qu’on n’en finit plus de les redécouvrir. Deux exemples : Captain Beefheart et Tav Falco. On a la prétention de croire qu’on connaît bien les albums et les historiques, mais il suffit d’un nouvel élément (réédition bien documentée ou travail de traduction - j’ai eu le privilège de traduire le Captain Beefheart de Mike Barnes) pour réaliser qu’on ne sait pas grand-chose. Il ne reste plus alors qu’une seule chose à faire : tout reprendre à zéro, c’est-à-dire tout réécouter, tout revoir et tout relire. Dans les deux cas cités, il faut prévoir du temps, car la somme des œuvres écrites, filmées ou enregistrées est volumineuse. Mais c’est la seule façon d’être à peu près sûr de ne pas passer à côté d’une œuvre importante.

Oui, dans le cas de Tav Falco comme dans celui de Captain Beefheart, il faut bien parler d’une œuvre. Ces deux gaillards sortent de l’ordinaire et du petit monde un peu sclérosé de la culture rock de magazine. S’il existait dans l’univers rock une consécration comparable à celle qui existe dans le monde littéraire, disons que ces deux-là pourraient entrer dans la Pléiade, et, pour Tav Falco, ce serait évidemment de son vivant, honneur suprême. Mais il est tellement éloigné des contingences de la reconnaissance que ce genre d’événement ne saurait même pas le concerner. Si ce genre d’événement était un point précis sur l’échelle du temps, disons une croix blanche tracée à droite sur le grand tableau noir de l’amphi, alors Tav Falco se serait déjà transporté là-bas, à l’autre extrémité du tableau noir. C’est une façon d’illustrer ce qu’il fait depuis toujours : il anticipe et donc se déplace. On croit le trouver là, mais non, il est déjà ailleurs. On le croyait à Memphis et le voici déjà à Paris. Il était à Paris et le voilà déjà à Vienne.

 

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Tav Falco et ses amis ont enregistré une quinzaine d’albums en trente ans. Et ce qui frappe le plus à l’écoute de ses albums et notamment des premiers, c’est l’ahurissante modernité de sa démarche. Tav Falco était fasciné par certains personnages cultes de la scène de Memphis, blancs comme noirs, et il commença à exprimer cette fascination non pas en tant que suiveur ou copieur, mais en se projetant littéralement dans l’avant-garde. Avec Captain Beefheart, il fut le seul à réussir ce prodige. Mais ça lui a coûté très cher, puisque - comme Captain Beefheart - il est resté quasiment toute sa vie dans l’underground, une élégante façon de rebaptiser la précarité. Tav Falco ne possède rien. Pas de villa en Californie ni de résidence à Hawaï. Pas de Rolls ni de manoir dans le Sussex. Pas de yatch aux Bermudes ni de villa en Suisse. Il vit dans une chambre d’hôtel à Vienne. Et c’est une légende vivante, comme prétendent l’être certains de ses collègues milliardaires. Captain Beefheart vivait dans une caravane et il ne put mettre un peu de beurre les épinards qu’en peignant des toiles abstraites à la fin de sa vie. Artiste mille fois culte, il n’a jamais réussi à vivre décemment de ses disques. Comprenez qu’il existe un abîme entre des artistes comme Tav Falco ou Captain Beefheart et des boutiquiers comme U2 ou le Pink Floyd. Ils semblent faire le même «métier», mais les démarches et les destins sont radicalement antipodiques.

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Modernité, oui. Ça saute à la figure quand on réécoute le premier album de Tav Falco paru sur le label anglais Rough Trade, «Behind The Magnolia Curtain». En 1981, on l’écoutait parce qu’on l’associait aux Cramps qui nous faisaient redécouvrir le rockabilly, à travers des personnages comme The Phantom ou Hasil Adkins. On assimilait les Panther Burns à un groupe de garage et on les admirait pour leurs reprises de classiques de blues obscurs - le blues qui était et qui reste encore aujourd’hui un continent à explorer. Eh bien, en 2014, on réécoute cet album pour en savourer la modernité. «Behind The Magnolia Curtain», c’est la même chose que «Clear Spot» : un chef-d’œuvre absolu qui ne prend pas une seule ride, un disque dense et tendu, fascinant de bout en bout, dans lequel tout semble déjà dit. En comme c’est luxueusement réédité chez Stag-O-Lee, Tav Falco rédige lui-même les notes de pochette. On a donc l’écrivain et le chanteur-passeur. Oui car Tav Falco est avant tout un passeur. Cet album est bardé de reprises de blues et de rockab féériques. Tav Falco fait exactement le même job que Lux : il déniche et redistribue, mais selon une vision personnelle, avec un vrai son. Il aligne sur ce premier album une série imparable de classiques rockab : «Hey High School Baby» (Benny Joy), «Ooooee Baby» (Ric Cartey), «Come On Little Mama» (Ray Harris) et «She’s The One That’s Got It» (Allen Page), «You’re Undecided» (Johnny Burnette). Mais le coup de génie de l’album, c’est sa version de «Brazil», monstrueusement kitsch pour l’époque, bien swinguée et chantée à la décadence du pauvre, et ce qui fait le souffle de ce coup de Jarnac, c’est la présence dans le studio du Tate County Fife & Drums Corp qui développe un beat énorme et primitif. Tav Falco mélange l’Afrique au Brésil. C’est incroyablement novateur pour l’époque. Au chant, il est complètement à côté, mais l’ensemble force la sympathie et finit même par tétaniser. Personne à part lui n’aurait osé un coup pareil. Il réédite cet exploit avec «Snake Drive», reprise haute en couleurs du classique de RL Burnside montée sur le rumble des fife & drums. Comme il l’écrit lui-même dans ses notes, c’est un «unprecedented cultural happening». Encore plus renversant : «Bourgeois Blues», attaqué à la fuzz, fantastique trivia de garage emmenée par un certain Jim Duckworth qu’on retrouvera un peu plus tard dans le Gun Club. Ils s’offrent même le luxe de trasher une reprise du «Moving On Down The Line» de Jerry Lee. Cet album fabuleux passa quasiment inaperçu en Europe.

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C’est un Français, Patrick Mathé, qui va voler au secours de Tav Falco. Car évidemment, à part New Rose, personne ne veut signer ces énergumènes inclassables et donc difficilement commercialisables. Essayez de faire entrer Tav Falco dans une stratégie de marketing, vous allez voir le travail ! Patrick Mathé fonctionnait comme un fan doublé d’un aventurier et New Rose fit paraître l’année suivante un mini-album intitulé «Blow Your Top» où on retrouvait les mêmes composantes incongrues, mais avec un son plus solide et plus sourd. Ron Miller slappait bien sa stand-up, Jim Duckworth jouait plus psyché, et non seulement Jim Sclavunos battait le beurre mais en plus il produisait. Spectaculaires reprises de «I’m On This Rocket» (Marvin Moore) et de «Bertha Lou» (Dorsey Burnette).

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S’ensuivit un autre mini-LP, «Sugar Ditch Revisited», une fois de plus bardé de reprises somptueuses de type «Money Talks» (une démo de Sir Mack Rice sauvée de la poubelle par Jim Dickinson), «Arkansas Stomp» (Bobby Lee Trammell), «Working On A Building» (un vieux classique d’Arthur Big Boy Crudup dont Charlie Feathers était obsédé). Et le festival se poursuivit avec un autre mini-LP, «Snake Rag», sur lequel se trouvaient «Warrior Sam (Don Willis), «Jumper On The Line (RL Burnside - fantastique ambiance de boogaloo rampant) et un «Cuban Rebel Girl» heavy comme l’enfer et que Tav Falco n’aimait pas trop, car il accusait Jim Dickinson de faire sonner les Panther Burns comme ZZTop.

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C’est Jim Dickinson en effet qui va veiller le plus souvent sur le destin discographique de Tav Falco. Ce fut une chance pour cet artiste condamné au ténèbres de l’underground. Au moins pouvait-il se consoler d’avoir le support artistique et moral de l’un des meilleurs producteurs du monde qui était aussi le garant de l’authenticité du Memphis Sound, ce dont à cette époque - celle des années 80 - tout le monde se foutait.

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En 1987 parait - toujours sur New Rose - un album passionnant de bout en bout, «The World We Knew», doté d’une pochette magnifique. Tav Falco y alignait une nouvelle série de reprises rockab de haut niveau, interprétées avec une confondante originalité : ««Dateless Night» (Allen Page), «It’s All Your Fault» (Bobby Lee Trammell qui fut d’après Roland Janes the wildest he ever saw, et c’est chanté avec l’abandon dandyque - Tav ne cherche jamais la performance vocale, il opte plutôt pour le groove léger et se laisse bercer par les langueurs monotones), «She’s My Witch» (Kip Tyler & the Flips - twisted dirty et grosse ambiance délétère, un idéal de rêve sale), «Mona Lisa» (Carl Mann, son dépouille de pur Memphis sound) «I’m Doubtful Of Your Love» (Benny Joy, infâme lamentation traitée au rythme du tango), mais il y a aussi deux reprises de Mack Rice «Ditch Digging» (hanté par l’esprit des chants des forçats - I’m gonna dig that one - monté sur la contrebasse de René Coman) et «Do The Robot» (aussi récupéré par Jim Dickinson dans la poubelle de Stax). Fantastique reprise de blues avec le «Big Road Blues» de Tommy Johnson qui date des années 20. Tav Falco dit que c’est le son d’une mule tirant une charrette dans la boue. Le chef-d’œuvre de cet album est la reprise de «The World We Knew», un classique de Frank Sinatra que notre héros chante radicalement faux. Tav Falco ne connaît pas les octaves. Puis il rappelle au monde entier qu’il en pince pour le tango et balance «Drop Your Mask» sur un son bien sourd. Évidemment, à l’époque, les gens ne comprenaient rien. C’était perçu comme un gag et Tav Falco risquait de ne plus être pris au sérieux, ce qui ne devait pas le gêner. Il fonctionne un peu comme ces grands peintres modernes qui restent longtemps incompris. À aucun moment, il ne fera l’effort de revenir vers les gens. Il attendra que les gens viennent à lui.

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S’ensuit un autre mini-LP, «Red Devil» sur lequel on retrouve «Ditch Digging», «Drifting Heart» (Chuck Berry, un peu tango à gogo), «A Little Mixed Up» (Betty James que Tav Falco entourloupe avec grâce), «Running Wild» (The Nightcrawlers, rockab nerveux aux frontières du tatapoutisme inverti), et «She’s The One To Blame» (Crazy Cavan, bien screamé aux entournures, adroit et bien senti - Tav Falco sait faire le wild cat quand il le faut). La perle du disque est la version du vieux «Tramp» de Lowell Fulson, avec sa petite intro à la Creedence. On a là une belle pièce d’authentique r’n’b, le vrai jerk des ralentis, un hit sur lequel les cowboys de Memphis dansent d’un pas lent et sûr. On se croirait dans une scène de rêve rouge filmée par David Lynch.

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«Midnight In Memphis» est le premier d’une petite série d’albums live officiels souvent très intéressants, car le côté peu cadré et mal rangé des Panther Burns se révèle souvent mieux sur scène. Alex Chilton, Ross Johnson et Doug Easley accompagnent Tav Falco. Ils sortent une version pittoresque de «Shade Tree Mechanic», qui sonne comme du garage baroque de cabaret balinais. Oui, car Tav Falco ne s’intéresse qu’au garage gracile de Louis Feuillade, au swing des grandes œuvres mystérieuses de Jean Marais. Il n’aime que la java de Belphégor, l’immense déviation des Bouges de Mac Orlan. Il sort des reprises irréprochables du «Jungle Rock» de Charlie Feathers et de «Big Road Blues» puis il tape dans «Goldfinger». Il chante merveilleusement faux. Au point que ça fait mal aux oreilles. On n’accepterait ça de personne d’autre que lui. La version du «Memphis Beat» de Jerry Lee est somptueuse et il revient à ses octaves avariées pour «The World We Knew». Puis Tav Falco flingue son set avec «Drop Your Mask». Le tango ne pardonne pas, car les gens ne comprennent pas : non seulement c’est absurde, mais c’est moche.

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L’album suivant s’appelle «Return Of The Blue Panther». On y entend le beau son de basse produit par René Coman. Belle série de reprises : «I’m Moving On» (Glen Glenn), «You Believe Everyone But Me (Charlie Feathers, pur Memphis sound avec ses gargouillis de guitares dans le fond du studio), «Knot In My Pocket» (Sir Mack Rice), «Rock Me Baby» (BB King, joué avec toute la retenue dandyque), «I Got Love If You Want It» (Slim Harpo, joué à la décontracte et idéal si on apprécie le laid-back), «Love Whip» (du bienheureux Reverend Horton Heat), et on appréciera plus particulièrement ces deux perles de pur garage pantherien : «Girls On Fire» (merveille de garage psyché signée Eugene Baffle, c’est-à-dire l’alter-ego de Tav Falco, pur jus mercurial d’essence patente - George Reineke sait ramoner une cheminée) et «Fun Mob» (belle pop garage qui sonne un peu comme le Plastic Bertrand d’antan qui planait pour lui, mais le génie fantomastique de Tav Falco reprend le dessus. Panther Burns ! Un millésime impénitent et masqué qui se glisse dans la nuit).

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1991 voit arriver dans les bacs «Life Sentence», un album extraordinaire. On sent que Tav Falco est bien décidé à en découdre. Pour preuve ce «My Mind Was Messed Up At The Times». Tav Falco avance sur un beat triomphant. Évidemment, puisque c’est signé Mack Rice. On a les trompettes et tout le bataclan. Eugene Baffle signe «Vampire From Havana», une kitscherie inspirée sur laquelle Alex Chilton joue un killer solo. Et Tav Falco l’acclame. S’ensuivent deux absolues merveilles : «Make Me Know You’re Mine» des Swinging Blue Jeans (effarant d’élégance et swingué à l’ancienne) et «Go On Home» de Sandford Clark, pièce de country émaciée perdue dans un saloon romantique. Eugene Baffle signe une nouvelle pièce de choc, «Auto Sapien», gorgée de fuzz. Pur garage de train fantôme, une véritable leçon de tenue destinée aux garagistes du monde entier. Attention, «Oh Girls Girls» est un mambo. Tav Falco parvient à créer les conditions d’une fantastique extrapolation de garage trash. On est là dans le pur génie - I’ll take the one with the red dress on - C’est embarqué aux clap-hands et devant une telle démence, on s’agenouille et on remercie New Rose d’avoir rendu un tel disque possible. Mais ce n’est pas fini, les gars. L’animal tape dans «I’m Gonna Dig Myself A Hole» d’Arthur Crudup, sur canapé de slap (Ron Easley) et de tap drums (Ross Johnson). C’est le plus bel hommage à Big Boy qui se puisse imaginer. Jim Dickinson joue de la guitare et Alex des maracas. Et ils embrayent sur «Sent Up» de Sir Mack Rice, encore de la démence à l’état pur, on a là la confrérie de choc, Tav/Alex/Ross Johnson/Jim Dickinson. C’est tout simplement effarant d’inspiration. Ces abrutis des labels américains n’avaient vraiment rien compris. Il a fallu que ce soit un Français pas bien riche qui sorte cet absolu chef-d’œuvre ! Incroyable mais vrai. Encore une pièce infernale avec «Baby What’s Wrong» d’Al Green. Nina Tischler donne la répartie et c’est joué au doux du gras. C’est même un modèle de groove - What can I do babe - Puis il boucle l’affaire avec une reprise d’«Only The Lonely», qui relève du romantisme purulent et qui par conséquent dépasse l’idée même du rock. Tav Falco cherche du côté de la note fatale, il flirte avec le piano jazz de cabaret et les nuits de Saint-Germain-des-Prés, mais avec un léger parfum d’européanisme culturel des années trente. Admirable.

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C’est un autre Français, Patrick Boissel, qui fit paraître en 1992 les fameuses «Unreleased Sessions» sur son label Marylin. On croit qu’on peut se passer de cet album, mais c’est une erreur. Il vaut largement le détour, rien que pour «The Bug», joué au petit son rockab, avec Jim Dickinson au piano et une trompette par derrière. C’est d’un amateurisme confondant. On trouve aussi une version de «She’s The One That’s Got It» complètement foireuse et une somptueuse version de «Big Road Blues». C’est Fantômas qui chante le blues fantôme. Ross Johnson bat ça en douceur et en profondeur. Le résultat est vaguement hypnotique. Voilà bien le genre de truc qu’on ne trouve que sur les disques de Tav Falvo. On se régalera du beat de «Bourgeois Blues» que traverse une stand-up qui n’est pas en mesure. Mais quel son ! Et surtout quelle ambiance ! Alex Chilton prend des solos de killer qui titube. Grâce au jeu aléatoire de Ron Miller, on obtient une mouture effarante de présence et d’inspiration. Ils tapent aussi dans l’intapable avc «Train Kept A Rolling» des frères Burnette. Ils mettent le train en route, et c’est terrible, car le son est au rendez-vous. Ils sont stupéfiants de puissance motrice. Tav Falco embarque ensuite «Red Headed Woman» comme une bête, Version sauvage et lacustre. Il ne faut plus s’étonner de rien.

 

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Nouveau mini-LP en 1994 avec «Deep In the Shadows», toujours chez Marylin. Nouvelle production géniale signée Jim Dickinson qui met bien la basse en avant et donc on se régale de «Running Wild», car la basse leste les morceaux trop lestes. Chaude ambiance, c’est à la fois libre de ton et catégorique. Extraordinaire walking beast que ce «Cuban Rebel Girl», puis on retrouve le «Poor Boy» de Lee Hazlewood qui se trouvait déjà sur «Red Devil». «She’s A Bad Motorcycle» vient de «The World We Knew», mais c’est une joie que de retrouver cette pièce de trash-bop emmenée par l’empah-pah-outeur from outersapce. Et puis voilà l’une des pièces mythiques de Tav Falco, le fameux «Tina The Go Go Queen», signé Sir Mack Rice, belle pièce de r’n’b rampant. Tav est sûr de Sir. Il est sur le son. Il est même sous le sceau de Sir. On retrouve aussi le fameux «Working On A Building» avec une grosse basse sourde sous le couvert. Bien sûr, tout cela se déroule chez Sam Phillips.

 

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Avec l’album «Shadow Dancer», Tav Falco va mordre le trait et aller un peu plus vers le tango. Il ouvre son bal avec «Invocation Of The Shadow Dancer», pur tango, puis il va droit sur le itchy-kitschy petit bikini de «Funnel Of Love», le redoutable classique de Wanda Jackson. Il paraît évident que cet album ne pouvait pas plaire à tout le monde. Pour corser l’affaire, il y rajoutait des petites rengaines italiennes qui par leur parfum d’exotica, ne pouvaient que faire fuir les amateurs de rock. La merveille de cet album s’intitulait «Have I The Right», joyeux et entraînant, bien battu par Jim Sclavunos. Mais sur le reste de l’album le kisch et le tango régnaient sans partage. C’est à cette époque que les disques de Tav Falco cessèrent définitivement de se vendre. Ils devinrent des piliers de bacs à soldes.

 

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Malheureuse méprise ! En 2000, Tav était de retour avec l’un des albums les plus spectaculaires du XXIe siècle : «Panther Phobia», produit par Monsieur Jeffrey Evans pour le compte d’In The Red Recordings. Tav ouvrait le bal avec «Streamline Train», un cut monstrueux de Memphis sound, battu par Ross Johnson le miraculé. Jack Oblivian jouait de la basse. On avait là le meilleur ramassis du monde. Quelle purge ! Et ça continuait avec une ribambelle d’énormités du genre «She Wants To Sell My Monkey», fantastique brouet d’intrusion cataclysmique, une bête impitoyable. Puis une reprise de Wolf, «Going Home», où Tav Falco semble réinventer le boogaloo en hurlant à la lune. S’ensuivait «Once I Had A Car», heavy comme l’enfer, démenterie corporatiste absolue, fabuleux d’entrain et plombé d’étain ambré. Et ça continuait avec «The Young Psychotics» pulsé aux chœurs de folles - psycho psycho ! - pur génie, désolé de ramener constamment le génie, mais c’est malheureusement le seul mot qui convienne. La basse de Jack O grimpe bien devant, et par derrière, c’est claqué aux vieux accords. S’ensuit une reprise terrible de «Wild Wild Women» de Johnny Carroll, avec l’emportement de bouche garanti, pur jus rockab et là on tombe sur une nouvelle preuve de l’existence de Dieu : la reprise du fabuleux «Cockroach», un instro signé Charlie Feathers. Ambiance démentoïde, c’est joué bien raunchy. Puis on a un coup de chapeau magistral à Rural Burnside avec «Mellow Peaches», on sent l’appel des champs de coton dans l’écho du son, c’est admirable de lourdeur de grattage. Puis voilà le hit d’Eugene Baffle, «Panther Phobia», bien poundé à la basse et monstrueux d’ambition phobique. C’est tellement énorme au plan cabalistique que ça en devient absurdement hypnotique. Si vous cherchez un album de rock parfait, en voilà un.

 

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Le dernier album studio de Tav Falco s’appelle «Conjurations - Séance For The Deranged Lovers». Il date de 2010. Tav y rend de sacrés hommages, puisqu’il y célèbre les masques et ça nous renvoie directement à Paul Verlaine (Masques et Bergamasques), mais aussi et surtout à Marcel Schwob (Le Roi Au Masque d’Or). Tav Falco s’enferme de plus en plus dans le mystère, ce qui lui va bien. «Sympathy For Mata Hari» est un joli stomp des mystères de la chambre jaune. Sur «Administrator Blues», Tav Falco sort sa fuzz comme on sort une épée. Il revient au grand vent d’Ouest du Memphis sound. On y entend aussi pas mal de tangos, et on arrive tranquillement au pied d’un véritable chef-d’œuvre, l’autobiographique «Gentleman In Black», une belle revanche de Tav Falco sur son impopularité. Il se dévoile d’un seul coup de cape - He travels fastest who travels alone - et il lâche à un moment l’aveu suprême - he leaves the people hanging to just sit and stare/ At a few moments of brillance in a lifetime of despair - Rien d’aussi bouleversant sur cette terre que cette confidence.

 

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Les admirateurs de Tav Falco n’auront pas hésité une seule seconde à se jeter sur les albums live, car ils savent que les classiques y retrouvent du rouge aux joues. La version de «Brazil» qui se trouve sur l’album «Live At The Subsonic» (pochette ratée) est admirablement swinguée aux drums par un nommé Doug Hodges. Comme il amène bien les montées ! Cette version est assez magique, pleine de boisseaux d’accords généreux. Tav Falco mêle son jeu subtil à celui du guitariste Peter Dark - from New York City ! - et on chavire au son du scintillement de ces fabuleux boisseaux.

 

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On renouvellera l’expérience avec l’album «Live In London At The 100 Club», qui est aussi un gros festival, un double album enregistré avec la formation actuelle (Giovanna, Grégoire Garrigues et Laurent Lanouzière). Belles versions de «Snake Drive», «Ooee Baby», «Brazil», «Funnel Of Love» et il boucle l’affaire avec une version surnaturelle de «Gentleman In Black» et «My Mind Was Messed Up At The Time» de son mentor Sir Mack Rice.

 

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Tav Falco a passé un accord avec le label allemand Stag-O-Lee pour rééditer tous ses albums. C’est une bénédiction, car chaque disque est largement annoté de la main de cet écrivain fabuleux qu’on a découvert lors de la parution de «Ghosts Behind the Sun: Splendor, Egnima & Death», en 2011. Ce qui frappe le plus chez l’écrivain Tav Falco, c’est le souffle. Mais ce n’est pas tout. Il a aussi recours à un stratagème superbe : le dédoublement de personnalité. Tav Falco se projette dans un alter-ego nommé Eugene Baffle, histoire de mieux se décrire, comme l’avait fait Michel Houellebecq dans «Les Particules Élémentaires». Et petite cerise sur le gâteau, Tav Falco dédie son fantastique ouvrage à Jim Dickinson («D’origine divine, protecteur, inspirateur et camarade. Sa passion pour la musique de Memphis et tout ce qui s’y rattache est indiscutable. Il est toujours présent, c’est sûr, comme l’indique l’épitaphe qu’il a fait graver sur sa tombe : Je ne suis que mort. Je ne suis pas parti.»). Pour mieux expliquer ce qu’est Memphis, il apporte le seul éclairage qui vaille, celui de l’histoire. Il propose une galerie de portraits hallucinants, des soldats de la Guerre de Sécession, des gibiers de potence, des Hell’s Angels, des poètes puis on finit par tomber sur des figures plus familières (et donc plus rassurantes), comme Sam the Sham, Jerry Lee, Sam Phillips et Charlie Feathers. Il donne carrément la parole à Paul Burlinson, qui au long de plusieurs pages, va retracer le parcours fulgurant du Johnny Burnette Rock’n’Roll Trio. Furry Lewis, Howlin’ Wolf et Albert King sont là, bien sûr, salués jusqu’à terre. Tav Falco donne la parole à Jim Dickinson qui évoque Elvis, le rockab et le souvenir de Dan Penn au long de pages qu’il faut bien qualifier de magiques. Puis Tav Falco remonte dans le temps jusqu’à nous et régale bien les admirateurs de Big Star, d’Alex Chilton et des Cramps. C’est l’ouvrage qu’il faut lire si on veut essayer de saisir l’importance du rôle qu’ont joué les musiciens de Memphis dans l’histoire du monde moderne. L’écrivain Falco a du style. C’est un visionnaire élégiaque. Il donne du temps au temps de ses phrases et semble toujours porter un regard détaché sur les choses. À l’image de la photo qui orne la couverture de son livre, sa prose est véritablement hantée.

 

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Et c’est pour cette raison qu’il faut rapatrier une compilation intitulée «Tav Falco’s Wild Exotic World Of Musical Obscurities» et récemment parue, car tous les portraits sont signés Tav Falco : Johnny Burnette, Don Willis, Bobby Lee Trammell, Allen Page (sur Moon Records de Cordell Jackson, deux guitares, pas de basse, précise-t-il), Arthur Big Boy Crudup, Benny Joy, rien que pour les rockabillies et ça fourmille d’informations, ça grouille de détails, on a vraiment l’impression qu’il a fréquenté assidûment tous ces gens là. C’est à la fois effarant et passionnant. Et extrêmement bien écrit. Vous ne verrez pas souvent des notes de pochette d’un tel niveau. Mais là où il va encore plus épater la galerie, c’est avec les trois autres faces de ce double album. Sur la face B, il a rassemblé des pièces d’exotica sublimes et comme il les présente et qu’il brosse des portraits terribles des interprètes, alors on les écoute attentivement. Et on découvre des merveilles, des choses qu’on avait déjà entendues comme «Harry Lime Theme» d’Anton Karas (magnifique pièce de jazz guitar), mais aussi des pièces raffinées sorties de sa culture : «Romance Del Barrio» par Los Indios Tacunau («Guitar tangos are particular favorites of mine»), ou «Desde El Alma» par Osvaldo Pugliese («It is said that an Argentine is an Italian who speaks Spanish, ates French and thinks he’s English»). Sur la face C, il a rassemblé quelques classiques de blues d’Elmore James («The Sky Is Crying» - «America is a sad country and that’s what Elmo’s guitar was saying»), de Bobby Blue Bland («Who Will Be The Next Fool Be», Tav Falco en fait le portrait d’une star «astonishingly silver-throated», pour lui c’est la star suprême et il sait le dire), Chet Baker («I’m A Fool To Want You», portrait d’un romantique, l’absolu - à quoi bon vivre si on n’aime pas ?), puis il revient au kitsch avec Fred Buscaglione (un rital qui s’est tué à Rimini au volant d’une pink Cadillac). La dernière face est une collection d’hommages aussi grandioses. Il salue Jimmy Whiterspoon («Sweet Lotus Blossom», mais comme il n’a pas réussi à trouver la version originale, il colle la version des Panther Burns). Puis un hommage bouleversant à Charlie Feathers («Jungle Ferver» - «He reached delirious heights unknown in the annals of American recorded music»), puis coup de chapeau à Alex Chilton («Bangkok», et Tav Falco explique qu’Alex a enregistré ça tout seul). Et il termine sur le plus faramineux des hommages : «Real Cool Trash» coup de chapeau à Baldu des Dum Dum Boys et il donne une belle définition du rock’n’roll qu’on devrait enseigner dans toutes les écoles : «Impulsive repetition, droning guitar & psychedelic riffs, histerical breaks and a finale of demented invocation of all the demons of the night that suspends the lead vocal for an eternity on the treshold of the void.»)

 

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Vient de paraître le nouvel album de Tav Falco, «Command Performance». C’est un disque totalement hanté. À commencer par «Fire Island», «autobiographical from Argentina», monté sur une belle basse et joué au bandonéon. Superbe supercherie ! Tav Falco commente chaque moreau. Il dit de «Whistle Blover» que c’est une «wistfulade to the loss of the true American ethos». Il chante ça à la manière de Bob Dylan. Il indique que c’est un hommage aux héros de notre époque, Snowden et Manning. Puis on passe au pur boogaloo avec «About Marie Laveau», the witch queen of New orleans. On s’en régale - Is that true/ What they say - L’admirable tempo semble cheminer sous la pleine lune. C’est effarant et bien vu à la fois. Avec «Doomsday Baby», Tav s’élève contre les génocides. Il a raison - Insect baby ! - Il ramène le son qui va avec. Puis il rend un fantastique hommage à son ami Alex Chilton - my fallen comrade, a gifted artist and mentor of towering sensibility - En peu de mots, Tav sait brosser des portraits terribles. Il rend bien sûr un hommage à Fantomas avec «Master of Chaos», perdu in the long shadows of evil. Et il en rajoute - The genius of torture, the Lord of terror - Il décrit avec délectation les méfaits de son héros, les flacons d’acide nitrique et de parfum, la comtesse Lejeune et tout le saint-frusquin. Quel fantastique hommage à Fantomas ! Dans la série des hommages, voilà celui rendu à Charlie Feathers, avec «Jungle Ferver» - The canon of my confederate and mentor Charlie Feathers - Il réussit à le saluer, et après des transgressions ineptes, il parvient à rattraper le thème. Franchement, ce disque sonne comme un testament ! S’ensuit un hit, «Memphis Rumble», hommage aux dix-sept années passées à Memphis. On a le son de rêve et les paroles de rêve, le tout ficelé par un artiste de rêve. Puis il reprend «Me And My Chauffeur Blues» avec Mario Monterosso. Il essaie de se mettre au niveau de Memphis Minnie et de Kansas Joe McCay. Il finit bien sûr avec le tango fatal, «Rumbetta».

 

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Tav Falco vient de mettre son univers en images avec un film hommage à Louis Feuillade, «Uriana Descending», tourné en noir et blanc et d’allure très poétique, puisque dans la mythologie grecque, Uranie est la muse qui préside à l’astronomie et à l’astrologie. Tav la nomme the muse of heavens. Ce film était présenté en avant-première au Silencio, un club-galerie installé par David Lynch dans les entrailles de la rue Montmartre. «Uriana Descending» ? Mais c’est du cinéma fantastique à l’état pur, à la fois baigné de lumière expressionniste comme les «Trois Lumières» de Fritz Lang et chargé d’ombre et de mystère. Gina Lee traîne au bord d’un fleuve en Arkansas et des heavy dudes lui tournent autour sur fond de «Jungle Fever». En trois minutes, Tav Falco produit l’essence même du rock américain, gros moulin, gros bras, jupe courte et Charlie Feathers. Cinq minutes plus tard, Gina Lee débarque à Vienne et nous plonge dans une dimension intemporelle, celle d’une ville figée dans le passé. Gina Lee erre longtemps dans Vienne et nous ensorcelle petit à petit, par la seule force de son charme discret. Lorsque Diego Moritz (Tav Falco) l’accoste, c’est évidemment pour lui proposer une mission d’espionne. Alors Gina Lee passe du statut de muse descendue du ciel via Berlin Airlines à celui de Mata-Hari chargée de séduire Von Riegl, le descendant d’un officier SS pour lui soutirer le plan d’un trésor de guerre nazi immergé au fond d’un lac autrichien. Et bien sûr, pour le séduire, il faut apprendre à danser le tango argentin. Tav Falco se fait une joie de l’initier et on assiste alors à une très belle scène de danse. Gina et Von passent une délicieuse soirée ensemble, et au petit matin, Von raccompagne Gina à l’hôtel Orient en calèche. Comme c’est du cinéma muet, les pas des gens et les sabots des chevaux sont illustrés par les bruitages, mais on aura veillé à décaler les bruitages. On entend parfois la voix de Tav Falco et des écrans de texte introduisent les scènes principales. Tout cela fonctionne à merveille, à condition toutefois de bien aimer ce type de cinéma. On ne sort pas indemne du «Napoléon» d’Abel Gance. Eh bien, il en va de même avec «Uriana Descending». Puis le rythme du film va s’accélérer et Von va bien sûr devenir Fantomas. On verra aussi Tav Falco conduire une moto sur les routes autrichiennes et produire une splendide pétarade.

 

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Un concert était prévu un peu plus tard dans la soirée. L’atmosphère intimiste du club convenait merveilleusement bien à un set des Panther Burns. Sur scène, Tav semblait avoir énormément rajeuni. Il y eut des moment où il rigolait comme un gamin. Et il nous fit la grâce de rassembler les personnages de sa mythologie pour une heure trente de bacchanale infernale : Charlie Feathers avec une reprise de «Jungle Fever», Mata-Hari, Fantomas, via «The Master Of Chaos» et même «Marie Laveau» tirée elle aussi du dernier album, cut sur lequel Grégoire Garrigues faisait les chœurs - Is that true/ What they say - Tav mit aussi en perspective les grooves interlopes de «Garden Of Medicis» et de «Ballad Of Rue De La Lune», tirés de «Conjurations». Ambiance spectaculaire, tout le monde dansait. Et puis on le vit danser le tango avec Via Kali et ce fut un vrai moment de féerie Vous ne verrez pas ça chez les Stones. En rappel, Tav revint jouer son vieux «Brazil» et ce fut une fois de plus l’occasion de savourer le fantastique drive de basse de Laurent Lanouzière.

 

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On venait tout simplement de prendre un gros shoot d’oxygène. Comme Lux Interior, Captain Beefheart, Jeffrey Lee Pierce, Ray Davies, Mick Farren ou Bob Dylan, Tav Falco est parti de zéro pour créer un univers complet qui fonctionne à merveille. Tous ces gens ont ceci de commun qu’ils sont écrivains, musiciens, découvreurs/passeurs et pour certains, ils se sont aussi frottés au cinéma avec la réussite que l’on sait. On parle ici de ce qui légitime la rock culture.

 

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Signé : Cazengler, Pantin Burns

Tav Falco. Silencio. 142 rue Montmartre. Paris IIe. 18 septembre 2015

Tav Falco’s Panther Burns. Behind The Magnolia Curtain. Rough Trade 1981

Tav Falco’s Panther Burns. Blow Your Top. Animal Records 1982

Tav Falco’s Panther Burns. Sugar Ditch Revisited. New Rose Records 1985

Tav Falco’s Panther Burns. Shake Rag. New Rose Records 1986

Tav Falco’s Panther Burns. The World We Knew. New Rose Records 1987

Tav Falco’s Panther Burns. Red Devil. New Rose 1988

Tav Falco’s Panther Burns. Midnight In Memphis. New Rose Records 1988

Tav Falco’s Panther Burns. Return Of The Blue Panther. New Rose Records 1990

Tav Falco’s Panther Burns. Life Sentence. New Rose Records 1991

Tav Falco’s Panther Burns. Unreleased Sessions. Marylin 1992

Tav Falco’s Panther Burns. Deep In The Shadows. Marylin 1994

Tav Falco’s Panther Burns. Shadow Dancer. Upstart 1995

Tav Falco’s Panther Burns. Panther Phobia. In The Red Recordings 2000

Tav Falco’s Panther Burns. Live At The Subsonic - France 10.2001. Frenzi 2002

Tav Falco’s Panther Burns. Conjurations - Séance For The Deranged Lovers. Stag-O-Lee 2010

Tav Falco’s Panther Burns. Live In London At The 100 Club. Stag-O-Lee 2012

Tav Falco. Comand Performance. Twenty Stone Blatt 2015

Tav Falco’s Wild Exotic World Of Musical Obscurities. Stag-O-Lee 2014

Tav Falco. Ghosts Behind the Sun: Splendor, Egnima & Death. Creation Books 2011

Tav Falco. Uriana Descending. Avec Via Kali, Peter Reisegger et Tav Falco. 2014

 

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COUILLY-PONT-AUX-DAMES

METALLIC MACHINES / 18 - 09 - 15

SPUNYBOYS

 

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Tiens donc, une commune qui n'a pas cédé au vertiges du politiquement correct comme Tremblay les Gon(z)esses désormais en France et qui porte fièrement son nom à coucher sous les ponts en galante compagnie, les attributs de la virilité vent debout. Mais foin de nos douteuses étymologies, nous sommes en partance vers le local des Metallic Machines – à dix kilomètres de Meaux, derrière le Super U. N'allez pas imaginer une soupente de cinq mètres carrés avec les Harley stationnées sur le trottoir. Rien que dans la cour intérieure il y a déjà une quarantaine de voitures garées. Nous sommes reçus dans une grande pièce, bar, espace, tables, sièges et banquettes. De quoi rendre jaloux les trois-quarts des troquets qui invitent les groupes. Mais ce n'est qu'un début, la pièce réservée au concert est à côté, une véritable salle avec une scène, qui a oublié d'être minuscule, montée sur palettes, idéale pour les combos de rock. Vous pouvez y entasser deux cents personnes sans problème. Grand standing. Rien à voir avec le confinement en abri anti-atomique un jour de guerre nucléaire. Parfait pour les garçons tourbillonnants qui ont l'habitude de jouer grand largue toutes voiles dehors.

CONCERT

 

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Eddie vérifie l'accordage de sa guitare, Guillaume cherche ses baguettes, Rémi se cale sur le micro. Profitez de ces deux petites dernières minutes de calme. Respirez profondément. Tout à l'heure ce sera trop tard. Trop tard, nous vous avions prévenus. C'est parti. Pour deux heures de folie. Sans interruption. Sinon trois secondes pour se concerter du regard : « C'est quoi maintenant ! » et un déluge de feu vous tombe sur le coin du museau sans que ayez le temps de dire ouf. Les oufs, ce sont les Spuny, doivent avoir le coeur qui tourne plus vite qu'un rotor d'hélicoptère. Ne sont pas le meilleur trio de rockabilly hexagonal par hasard. Même que les Belges et les Néerlandais commencent à les annexer de plus en plus souvent. Mais ceci est une autre histoire. Nous sommes ici à Couilly, et dans un vrai concert, pas dans une découpe de trois sets, une de ces pernicieuses saucissonades habituelles qui permettent aux bistrotiers de remplir la caisse.

 

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Pour ceux qui ne connaissent pas les Spuny, ça commence toujours bien. Comme un conte de Walt Disney. Bien sûr il n'y a pas de princesse. Uniquement le joli sourire de Rémi nonchalamment agrippé au manche de sa contrebasse. Quelques mots gentils, manière de vous accueillir dignement. Pas le temps de vous endormir et de faire de beaux rêves bleus, c'est Guillaume qui sans vous avertir déclenche les hostilités. Deux coups de canons à envoyer un porte-avion par le fond en deux secondes et puis une cascade infinie de breaks qui se bousculent et se mordent l'un dans l'autre avec une vélocité sans pareille. Un peu comme vous tournez les pages d'un livre à toute vitesse pour savoir la fin. Mais lui il ne saute pas une note de la partoche, n'omet même pas une seule ponctuation, vous les assène toutes, sans faillir, pétarades de missiles qui vous transpercent le corps sans rémission. S'il était le seul à se livrer dans son coin à ce cruel jeu de punching ball avec votre âme, vous pourriez lui pardonner. Mais non, Rémi en a profité pour se jeter sur sa contre-basse. Je ne sais pas ce qu'elle lui a fait, mais ce doit être grave. Lui hurle dessus en dansant comme un sioux autour du poteau de torture, et puis sans préavis l'escalade, lui saute sur le giron à pieds joints, enfin s'y niche sur l'épaule comme l'ajasse bavarde sur la plus haute branche, la transforme en poste de guet – au cas où l'ennemi surgirait – l'abat à terre, se vautre sur elle – sont-ce là les derniers outrages ? Non, il la cogne violemment contre la grosse poutre du plafond. Faut bien lui apprendre à vivre. Et à mourir ! Cela ne serait rien, s'il ne poussait le vice à en jouer tranquillement comme s'il tenait délicatement contre le velouté de sa joue gauche un précieux Stradivarius centenaire que lui aurait confié l'Orchestre Philharmonique de Berlin. Mais vous n'avez pas tout vu. Car non seulement il lui pince les cordes à profusion, les tape et les tire, en parfait unisson avec Guillaume - et avec ce marteau-pilon intraitable, l'a intérêt le Rémi à composer de la dentelle solide, car l'on n'emballe pas les torpilles avec du papier de soie faut les arrimer avec de filins d'acier galvanisés au titane – mais de temps en temps il se lance dans de rapides soli qui swinguent à mort. Reprenons pour ceux qui sont perdus : un, il détruit son instrument avec autant de méthode que Descartes son fameux Discours, deux, il interprète ses morceaux avec la dextérité de Franz Liszt pianotant son pleyel – vous pouvez remplacer Liszt par Jerry Lou si vous préférez, trois, il chante. Et pas qu'un peu, tous les morceaux, n'en laisse pas un seul aux copains. Même si derrière sa caisse Guillaume connaît toutes les paroles par cœur et les récite comme des mantras dévastateurs en dépeçant ses tambours maléfiques. Rémi doit pratiquer la plongée sous-marine en grande profondeur sans masque ni bouteille. Entre deux titres il suffoque comme un phoque asthmatique, souffle court qui s'essaie aux longues inspirations, avale deux goulées d'air frais comme vous deux lampées de café matinal lorsque vous êtes en retard et que vous savez que le patron vous attend sous la pendule avec à la main votre lettre de démission à signer, et hop d'un coup il bloque les amygdales et c'est reparti comme en quatorze, baïonnette au gosier. Comment se débrouille-t-il ? Voix de tête, colonne d'air, profondeurs abdominales et ventriques, je n'en sais rien mais le bougre possède une sacrée technique. Apprise ? Instinctive ? Cochez vous-mêmes la bonne réponse.

 

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C'est que, entendez-vous mugir en vos campagne cette voix qui déchire, les Spuny ils jouent du rock and roll, pas le générique de la petite maison dans la prairie. Mais il est temps de passer la parole – pardon la guitare – à Eddie. N'avons pas eu encore le temps de nous attarder sur lui car les deux autres ostrogoths ce soir ils occupent le devant de l'ampleur sonore. A lui de sa fader le véritable boulot. Attention je n'ai pas dit que les deux quécous se la coulent douce – mais ce soir Eddie est privé de ses éclatantes et métalliques cisailles diluviennes. Bien sûr, il ne peut s'empêcher d'en laisser échapper une par-ci par-là – merveilleuses sur le Goin' Home de Gene Vincent - mais là, il a vraiment trop de taf. Tout est une question de répertoire. Et pour être précis d'appréhension de ce dit-répertoire. Le style des Spuny c'est de l'énergie pure, celle-ci s'obtient de différentes manières. A toute blinde et arrive ce qui arrive, sauve qui peut et chacun pour soi, et vous faites du punk. A toute blinde mais cette fois-ci la rythmique étaye la galerie au fur et à mesure que vous avancez, la découpe du coffrage à la guitare électrique passe en première place, c'est le rock and roll. Passons sur l'amplification sonore, hard, heavy, doom etc... Vous reste une autre solution, plus historiale qui s'en va chercher les racines du rock dans ses origines country, dans sa ruralité rockabilienne, dans l'antique western bop rebopifié à outrance, tout cela pour donner ce mélange explosif mis au point par les Teddies anglais dans les années soixante-dix quatre-vingt. C'est avec cette mouture que les Spuny ont décidé d'offrir en cette soirée à leurs spectateurs en partie composés de bikers aux affiliations ted. La ramification des tribus ( quand ce ne sont pas des églises intégristes ) rock est d'une complexité infinie. Mais ceci est une autre historiette. Sacré turbin pour Eddie. Les deux autres forcenés qui galopent sans frein ni retenue, lui ont refilé le métier à tisser. La section rythmique caracole par-devant et c'est au guitar-héros de tisser la trame de base. Do the bop. Fait le bop. Il articule la syncope originaire. Ce n'est pas un-deux, un-deux, je m'en bats les Couilly-au-pont des dames, Eddie il ne joue pas dans la fanfare municipale à la va comme je te pousse et marche tout droit. La différence est dans le doigté, dans la subtilité. Guillaume et Rémi sortent les lingots du four mais c'est Eddie qui est au laminoir et qui livre le produit fini. Johnny Horton, Ronnie Dawson, Ray Campi, Johnny Cash, George Jones, que du bon, mais encore faut-il les rhabiller pour l'hiver des temps nouveaux qui s'annonce rude. Transformer sans trahir. Recouper sans couper. Adapter et s'adapter. C'est en cela que réside le balancement hypnotique – celui qui emporte mais qui n'endort pas - du pur style teddy. Faut de la sagacité, de la réflexion, des connaissances, de l'intelligence. Tout ce dont – tout ce don - possède Eddie. A revendre. Et son dévouement rythmique fut exemplaire. Le grand jeu. A la furia des deux copains il a apporté l'authenticité sans laquelle tout effort n'est que redite et répétition. Maintenant ce n'est pas 2 + 1, mais un trio de trois qui ramone en parfait unisson. C'est une architecture méditée – à allure d'étoile filante – qu'ils élaborent ensemble, de concert.

 

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Les Spunyboys nous ont gâtés. Nous ont offert un concert d'anthologie. De ceux qui montrent que le cœur brûlant du rock and roll continue d'irradier nos désirs et la sève de nos rêves. One, two, three, four, five, rock'n'roll is still alive !

 

André Murcie.

GLAM ROCK

LA SUBVERSION DES GENRES

PHILIP AUSLANDER

( La Rue Musicale / La Découverte / 02/2015 )

  

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Nouvelle collection chez La Découverte – les héritiers des Editions Maspéro – et de la librairie parisienne La Rue Musicale. N'ont que deux ouvrages dans leur série un David Bowie et ce volume consacré au Glam Rock. De Philip Auslander. Un professeur à l'université du Kentucky. Comme il est bien connu qu'ailleurs l'herbe est plus bleue, j'achète sans trop regarder. Fatale erreur. Dont je me repens en toute humilité. Mea culpa ! Mea culpa ! Faudra que je pense à en causer deux mots à mon confesseur sur mon lit de mort. J'ai lu quelques milliers de livres dans ma vie, aucun ne m'a plus ennuyé que celui-ci. Et pourtant dès qu'un quelconque bouquin porte sur sa jaquette le mot rock, il bénéficie chez moi d'un a-priori favorable.

SUZI QUATRO

 

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Je commence par le quatrième chapitre. Suzi Quatro ( mathématiquement parlant c'est assez bien vu ) en est l'objet d'étude. Je n'ai rien contre la damoiselle. Un peu garçonnasse – je me mets à l'unisson de l'auteur - j'en conviens, mais l'on sent la chic fille qui en veut. J'avoue que je ne me suis jamais levé la nuit pour écouter ses disques. Ni pour me masturber devant son poster. C'est sûrement une erreur. Ce n'est pas moi qui le dis. C'est Philip Auslander. Un grand connaisseur. Vous épluche la discographie au peigne fin. Les chansons une par une. Avec une prédilection pour les reprises. Qui furent en leur native originalité très souvent interprétées par des chanteurs mâles. Vous n'y voyez pas de mal. Philip Auslander y dénote de la perversité. Un garçon qui chante Baby I love You à sa copine reste de l'ordre de la normalité, mais la petite Suzon avec son futal et son blouson de cuir qui reprend Baby I love you, c'est de la transgression. Mélange des genres. S'adresse-t-elle à une fille ou à un mec ? Et l'auditeur qui entend cela, est-ce Suzette qui lui fait agiter sa zézette ou l'idée du mec qui la baise ou le fantasme qu'elle pourrait être le mec qui lui fasse subir les derniers outrages ? Vous ne savez plus à quelle queue de chatte donner votre langue. Pas de panique ( nique, nique, niqueue, niqueue ) la Suzi elle a du répertoire, alors le Philip Auslander il vous refait la démonstration une cinquantaine de fois à la suite.

GLAM DEFINITION

C'est un peu l'idée fixe d'Auslander. Le Glam comme une subversion des genres. Fille ou garçon. L'on ne sait plus. Frontières indéterminées. Ouvertes à tous les trans. Musicalement n'en parle pas trop. Trop d'artistes différents se sont réclamés de ce courant pour qu'il puisse être résumé en quelques mots se dépêche-t-il d'avancer. Ou alors des guitares affûtées qui entrent dedans. Allo, doctor Lacan, ne serait-ce point un lapsus significatif ? Préfère discutailler sans fin des tenues des chanteurs et des réactions du public.

T-REX

 

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Commence par T-Rex. La partie la plus intéressante du livre. Remonte à la période préhistorique de l'artiste lorsqu'il s'appelait Tyranosus Rex. C'était du temps des hippies et du psychedelic. Une époque ancienne. En ces âges reculés Marc Bolan aimait Dame Nature et lisait Bilbo le Hobbit et Le Seigneur des anneaux de J. R. R. Tolkien. Ecrivait de belles paroles moyenâgeuses, un peu évanescentes remplies de gentes pucelles aux licornes biscornues. Ne faut jamais se fier aux apparences. De temps en temps, notre preux chevalier se saisissait d'une guitare électrique et vous balançait quelques riffs soutenus. Et puis en y réfléchissant un peu, un duo de deux hommes, c'est tout de même un peu ambigu. Et puis toute cette idéologie un peu fleur bleue, c'était tout de même un peu féminin...

Et voilà que du jour au lendemain nous assistons à la mort du vieux dinosaure et apparaît une nouvelle espèce qui s'en va triompher lors de cette ère nouvelle de glamaciation. C'est le T-Rex. Vous l'entendez de loin avec ces guitares clinquantes qui vous claquent dans les oreilles. Bye-bye les hippies, Mar Bolan s'inspire des vieux rockabillies et des premiers Stones de l'âge de pierre des premiers blues électriques. Belle musique, mais ce n'est pas le plus important. Faut voir la bête. Un homme, çà ! Vous rigolez, avec son mascara, ses vêtements empruntés à sa femme, et ses paillettes sur les joues ! Une pédale, une tantouze, la honte de ses parents. Et du royaume.

Peut-être, mais des milliers d'adolescents aux désirs inavouables aperçoivent à la télévision, un homme ou peut-être une femme, délicieuse incertitude, qui ressemble à leurs rêves les plus secrets. T-Rex fonde le Glam, il est cette musique qui permet à chacun de vivre selon son genre.

BOWIE THEORIQUE

 

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T-Rex, c'est bien bon, mais il reste au fond de lui un rocker de base. Pourvu que les stratos fusent à plein gaz derrière lui, il est heureux. L'accoutrement, c'est un gimmick qui permet de se démarquer des autres et de gagner plein d'argent. Bowie c'est l'étage au-dessus. Pas vraiment un philanthrope. N'oublie jamais le tiroir caisse. Mais c'est un Artiste. Qui pense. Qui réfléchit. Qui médite sur son art. Qui théorise. S'habiller en femme, quel simplisme ! Son Ziggy poussière d'étoile une créature venue d'un autre monde, mâle ou femelle ? Les avis divergent. Bowie laisse planer l'incertitude. De même quant à sa propre personne qui n'est peut-être qu'un sale personnage de plus. Fernando Pessoa avait bien créé ses poétiques hétéronymes sur papier mais n'avait pas cherché à les incarner dans sa chair. Bowie lui s'avouera tour à tour, du bout des lèvres ou en lapidaires assertions, homosexuel, bisexuel, hétérosexuel. Débrouillez-vous comme vous pouvez.

Le genre de méli-mélo qui enchante Auslander. L'important ce n'est pas d'être ou ceci ou cela. La grande force du Glam assure-t-il c'est de ne donner jamais de réponse franche. C'est dans ce nuage d'incertitudes que le fan accomplira son chemin personnel qui n'appartient qu'à lui. Brouillard de protection et de camouflage qui vous permet de prendre assez de force pour un jour enfin dévoiler à la société entière ce que vous êtes vraiment. Sans oublier toutefois que pour vivre heureux faut savoir vivre caché.

QUEER ÊTES-VOUS ?

Ce que raconte Auslander n'est pas nécessairement idiot. Ce qui est un peu embêtant c'est qu'il analyse un phénomène sociologique qui s'est déployé entre 1971 et 1975 en employant des concepts qui ne se sont installés dans les habitudes mentales de nos contemporains que depuis ces toutes dernières années. Toutes ces théories du genre qui explicitent que les genres féminin et masculin ne sont pas afférents à notre sexe. Tout se passe dans la tête, et ni dans le zizi et ni dans le kiki. Genre de discours qui affolent les bien-pensants et les réactionnaires de tous poils ( au cul ). Par exemple : les cathos de la Manif pour Tous détestent ce genre de ratiocinations sexu-identitaires qui détruisent l'édifice traditionnel des rôles représentatifs des deux sexes dans l'organigramme sociétal.

 

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AFTER GLAM

Ces réflexions Auslanderiennes participent de toute relecture de l'histoire du monde. Toutes les époques relisent le passé avec leurs propres outillages conceptuels. L'est difficile de faire autrement. Mais notre penseur se livre à une véritable annexion du Glam. Le crédite un peu trop d'intentions théorisantes. A notre avis. Limite le phénomène à une simple évolution des mœurs de la société. Et surtout oppose systématiquement paragraphe après paragraphe la modernité artefactienne du glam, dont il dit le plus grand bien, au passéisme de l'idéologie, qu'il qualifie somme toute de très conservatrice, des hippies. Ces théories du genre procèdent quand même beaucoup plus des mouvements de réflexion suscitées par les tentatives d'une vie davantage en relation avec les lois de la nature que des prises en main destinales des individus mis en mouvement par la musique glam.

Le futur du glam, ce fut le no future du punk, comme notre auteur le souligne très bien dans sa conclusion. La révolte pure, et non la remise en question raisonnante de la société. Le livre aurait gagné à n'être qu'une plaquette théorique d'une cinquantaine de pages. En fait, tous les chapitres qui détaillent les carrières de Marc Bolan, Glary Glitter, Alvin Stardust, David Bowie, Bryan Ferry, Roy Wood, Suzy Quatro, au Runnaways et quelques autres sont presque de trop. Superfétatoires. Un comble pour un livre consacré à un mouvement musical.

Damie Chad.

L'ARPEGGIO OSCURO

HERVE PICART

Edition Blanche / 2015

Inutile de vous précipiter chez votre libraire. C'est une rareté. Tirage à limité à cinquante exemplaires. N'y a que les plus grandes institutions de la planète qui l'ont reçue. La Bibliothèque du Congrès aux USA, l'Ancienne Bibliothèque Impériale de Chine, l'Enfer de la Vaticane, la Bibliothèque ( reconstituée ) d'Alexandrie en Egypte, et bien entendu, mais cela ne vous étonnera pas, votre rock blog préféré, KR'TNT !

Nous n'allons pas faire les modestes devant tant d'honneur, nous l'avons mérité. Nous vous en avions déjà causé de L'Arpeggio Oscuro ( arrêtez vos stupides ricanements allusifs à la couleur de la couverture ) dans KR'TNT ! 197 du 10 / 07 / 2014. La mémoire vous revient ! Oui il s'agit de cette sombre histoire qui vous a tenu en haleine tout une année, une fois par semaine, sous le blogue du même nom. Un roman feuilleton que n'aurait pas renié Alexandre Dumas, mais attention au goût du jour, pas une poignée de mousquetaires bravaches et batailleurs, non un truc beaucoup plus subtil, un mystère impénétrable, une malédiction diabolique ourdie depuis plusieurs siècles. Une satanique conspiration à côté de laquelle le carrefour de Robert Johnson ne tient pas longtemps la route.

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Les plus fins limiers de nos lecteurs se douteront que nous n'avons pas cité le nom de l'inspirateur des plus grands guitaristes du rock des seventies au hasard. Celui qui mène l'enquête n'est pas le premier Sherlock Holmes venu. S'appelle Vernon Gabriel. Possède une profession honnête, c'est un noble commerçant – je sais, ces deux mots vous paraissent antagonistes - qui vend des guitares – vous voici rassurés. Je n'ai pas parlé de vulgaires poêles à frire japonaises mais de ces perles dont l'orient fut caressée par un Jimmy Hendrix ou un Cliff Gallup, ce ne sont que des exemples. C'est que celui qui tient la plume n'est qu'une de vos idoles, Hervé Picart in person, l'inoubliable kronicoeur de la rubrique Hard, de la légendaire revue Best.

Les grincheux de service diront que tout ce le verbiage qui précède n'éclaire en rien ce fameux Arpeggio tan Oscuro. J'essaie de me mettre à votre portée : vous n'êtes pas sans ignorer qu'à l'extrême fin des sixties courut parmi les amateurs de pop music une affolante rumeur qui affirmait que si l'on passait certains morceaux des Beatles à l'envers d'étranges et incroyables secrets nous seraient révélés. Mon tourne-disque ayant obstinément refusé de tourner dans le sens inverse à celui des aiguilles de Big Ben, je suis incapable – encore aujourd'hui – d'accréditer ou non ces révélations.

 

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Mais au fait que se passe-t-il vraiment lorsque l'on interprète un morceau de musique en commençant par la fin ? La question peut paraître saugrenue, pas grand-chose affirmeront les rationalistes forcenés. Oui bien sûr. Assurément. A part que si vous rentrez en possession d'un étrange grimoire qui relate une étrange histoire italienne vous risquez... mais la suite se trouve in-extenso sur www.arpeggio-oscuro.fr

Si vous préférez la version papier, vous pouvez éventuellement remplir une demande de prêt à la Bibliothèque du Congrès aux USA. Ce sera long. Alors en attendant, suivez mon conseil, vous feriez mieux de vous jeter sur www.faiseurdeclipse.fr . C'est une nouvelle aventure de Vernon Gabriel, encore plus mystérieuse et encore, beaucoup, mais beaucoup plus, rock and roll !

Damie Chad.

LE ROMAN DE JOHN LENNON

PIERRE MERLE

( Editions Fetjaine / 2010 )

 

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Le roman de John Lennon. Si l'on veut. Au début, ce devait être une vie croisée : celle de John Lennon avec celle de Mark Chapman. Celle de la victime avec celle de l'assassin. Un entre-deux tragique. Ou plutôt une conjonction dramatique. A ceci près que les trente grammes de la balle dum-dum ne fait pas le poids face à la masse de l'éléphant. Qu'elle a pourtant occis. Arrêté en pleine course. N'y a pas grand chose à dire sur Mark Chapman. Alors faut faire durer le suspense. Comme dans un film. Noir, de préférence. Obligation d'éterniser la scène. L'on sait comment cela se termine, au lieu de la garder inutilement pour la fin, on la mettra au début. Ouverture sanglante. Attention à ne pas la bâcler. C'est le morceau d'anthologie. Pas de précipitation. Ménageons la montée d'adrénaline. Quinze heures d'attente devant une porte cochère. Pierre Merle nous en tire cent quarante pages. Reprend les éléments de l'enquête. Un par un. A la loupe. De la précision. Ne nous fait pas le coup des arrière-plans. Pas de coup foireux de la CIA, pas de menées tordues du FBI derrière tout cela. Un détraqué. Même pas un pervers polymorphe, non un dérangé. C'est tout. Certes avec de la suite dans les idées. L'était déjà venu tenter le coup quelques mois auparavant. N'avait pas réussi. Un ratage de sixième zone. Par un raté. L'on a le off : les trottoirs, les badauds, les fans, les gardes, la sécurité. L'a même pris un disque Mark Chapman, pour la dédicace. Un très bel arrêt sur l'image dans la description. Un double brin de fantasy. L'a beau l'agité la pochette le meurtrier, au bout d'une demi-journée, le lecteur risque de s'ennuyer. Heureusement l'on a aussi le in : importation directe dans la boîte crânienne de Mister Chapman. Beaucoup de vide, une seule idée. Pas fausse. Mais banale. La trahison de Lennon. Le prolo devenu milliardaire. Des mots d'ordre révolutionnaires, des chansons incandescentes, et puis plus rien. Une vie de bourge dans un immeuble pour gros richards. Tant de rébellion pour capoter dans le Dakota. Peut vous les décliner sous toutes les couleurs, ses ressentiments, le Chapman. Mais au total, c'est un peu toujours la même chose. Alors pour bien remplir les feuillets, Pierre Merle s'en va fouiller dans la boîte à ordures du passé du citoyen. Joue le Scaduto du pauvre, ouvre le sac de la dérisoire existence de son sujet. Une vie de cloporte. Des parents qui ne s'aiment pas. Une adolescence solitaire. Un petit détour par la religion. Des petits boulots pour lesquels il n'a nulle envie de s'investir. Un mariage décevant. Une vie qui lui échappe. Se réfugie dans le rêve. Un autre monde est possible. Corrigera bientôt de lui-même l'omission du préfixe. Un autre monde est impossible. C'est mieux ainsi, plus près de la réalité. Bien sûr, c'est pire. Une constatation qui s'impose d'elle-même. L'est difficile de tricher avec sa propre vacuité. Se focalise bientôt sur John Lennon. Une obsession, une rancoeur délirante. Faut toujours trouver un coupable pour lui faire endosser la responsabilité de ses propres échecs.

 

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Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Quatre coups de feu, et c'en est fini de John Lennon. De Mark Chapman aussi. L'est en prison depuis trente-cinq ans. Doit trouver le temps long. Doit regretter son geste. Tout le monde s'en fout. Pierre Merle le premier. Le laisse croupir dans sa cellule. Là, le lecteur commencerait à broyer du noir. Mince alors, qu'écrire d'autre ? Reste tout de même une moitié de bouquin à terminer.

La chance des écrivains. De véritables orfèvres. Des orphèvres de la résurrection. Vous ressortent les morts de leur urne comme l'on fait sauter les bouchons de champagne. Et c'est parti pour la saga des Beatles. Tout y est : Liverpool, les Quarrymen, Hambourg, la Beatlemania, Sergeant Pepper et toute la bande, Yoko, le Maharishi, les dissensions, la brouille finale. Séparation, clap de fin. Evidemment le projecteur suit de près Lennon et McArtney. Les autres un peu moins, normal, ne sont-ils pas à eux deux la cheville ouvrière du quartet fabuloso ?

Mais c'est chacun leur tour. Sans Lennon pour donner l'impulsion première, il n'y aurait jamais eu de quatuor. C'est lui qui pousse, qui tire, qui ose. Paul le seconde. Les autres suivent. Parfois ils sont éliminés sans pitié. L'a une revanche à prendre sur la vie, le père qui l'abandonne, la mère qui le met en nourrice chez la tante, et qui s'en va se faire écraser alors que l'adolescent se rapprochait d'elle dans une complicité de plus en plus étroite. De la psychologie à deux sous. L'encaisse tout le Lennon, serre les dents et les poings. Parvient même à en rire, douloureusement. Humour noir et nonsense le sauveront du désespoir.

Au début tout se passe très bien. Une fusée qui monte, monte, monte... Une pharamineuse carrière se dessine à l'horizon qui pour une fois ne recule pas et se laisse très vite atteindre. En 1966, les Beatles sont les grands vainqueurs du moment, entrent en pleine évolution créatrice. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. C'est-là que Lennon nous refait le coup de l'Elvis. Après la pression des jours sans pain, puis celle de l'opulence, c'est la dépression qui arrive insidieusement. Que personne ne voit venir. Surtout pas lui.

C'est qu'il est occupé le Johnny s'en va en guerre. Des disques à enregistrer, le grand amour avec Yoko qui l'initie à l'art contemporain et qui lui donne l'illusion d'être plus intelligent qu'il n'y paraît, et puis la politique qui l'accapare. 69-70, Lennon n'échappe pas aux années gauchistes... Après 66, c'est Paul qui prend la relève, moins d'esbrouffe et davantage de travail, notamment à cause de ce grand escogriffe de John qui prend l'habitude de bosser à l'arrache. Tant et si bien, qu'un jour excédé Paul annoncera l'arrêt du groupe. Un geste dont Lennon pense qu'il aurait su le faire avec davantage de brio et de panache. Mais l'herbe que l'on vous coupe sous les pieds ne repousse pas.

John se retrouve seul. Avec Yoko. Grande gueule qui vient manger dans la main de la déesse mère. Tous deux s'engagent à mort contre la guerre au Vietnam. Militent auprès de la Nouvelle Gauche Américaine, pour la non-réélection de Nixon. L'échec de cette campagne marquera la fin d'une période. Yoko met son mari dehors. Elle sait bien qu'il lui reviendra. L'est libre, mais en liberté surveillée. Quand au bout de dix-huit mois elle battra le rappel reviendra en courant. L'aura eu le temps avec les copains de défonce d'enregistrer Rock'n'roll, le disque nostalgie de ses débuts de rockers. Mais le Teddy est définitivement assagi. Rentre à la maison. S'occupera du bébé. Calme plat pendant cinq ans. Recommence à enregistrer ( avec Yoko ) quand Mark Chapman se met sur son chemin. Revolver au poing.

 

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La vie de Chapman semble bien pâlotte comparée à celle de Lennon. Celle-ci nous l'avons résumée en trois paragraphes mais dont chacune des lignes pourrait devenir un roman de cinq cents pages. Tant de personnes rencontrées dans une époque d'une richesse créatrice incalculable ! N'empêche qu'en fin de compte, les dix dernières années de la vie de John n'ont guère été heureuses. Est aussi mal à l'aise à l'intérieur de lui-même que son assassin. Tous deux souffrent du même mal, l'incapacité ontologique de se dépasser. L'un parce qu'il ne s'est rien permis de prendre du monde en restant pelotonné sur son malaise congénital et l'autre parce qu'il s'est servi trop abondamment. L'un manque d'air et l'autre étouffe. Frères dans la déprime et l'inconséquence.

Des derniers chapitres en quelque sorte thématiques du bouquin, Lennon n'en sort pas grandi. Un naïf qui se laisse manipuler par lui-même. Il adore les révélations fracassantes qui ne cassent pas grand-chose. Ses abcès de colère, ses décisions à l'emporte-pièce cachent trop souvent des reculs devant les difficultés, quant à son humour et son ironie mordante ils s'imposent comme les meilleurs paravents de ses lâchetés. L'on a l'impression que Lennon s'est fait voler sa vie, bien avant les coups de feu fatidiques de cette nuit funeste du huit décembre 1980.

A peine trois ans après Elvis. Tous deux disparaissent après les années de pleine gloire. Comme si le sort avait décidé d'enrayer un déclin inéluctable. Mais chez Elvis la mort vient en quelque sorte de l'intérieur, comme une décision qui n'appartiendrait qu'à lui. Fidèle à ses volitions, Lennon a eu besoin de quelqu'un d'autre pour l'aider à quitter cette planète. Servi sans l'avoir demandé. Le destin d'une rockstar.

Damie Chad.