27/12/2019
KR'TNT ! 445 : TAV FALCO / JERRY TEEL / THE JINETS / ERIC CALASSOU / ROCK 'N' PHILO
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 445
A ROCKLIT PRODUCTION
02 / 01 / 2020
TAV FALCO / JERRY TEEL THE JINETS / ERIC CALASSOU ROCK 'N' PHILO |
Textes + Photos sur : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Tav & ses octaves - Part Four
Noël approche et c’est l’occasion ou jamais de ressortir un Christmas album. On a le choix : The Christmas Gift For You de Phil Spector, le Beach Boys’ Christmas Album, le funky Christmas album de James Brown, Sharon Jones et son Holiday Soul Party, le Christmas Card des Temptations, le Twenty-Fifth Day Of December des Staple Singers, l’incroyable Christmas With the Miracles de Smokey Robinson, le Christmas Here With You des Four Tops, le tardif Christmas Is The Perfect Day de Fats Domino, ou encore l’excellent Sino-Way José d’El Vez, mais au fond, on aura une préférence pour le Tav Falco Christmas Album, car dans le genre, il est difficile de mieux faire. C’est un chef-d’œuvre incomparable. Il tape bien sûr dans tous les classiques, mais il choisit une ambiance spéciale pour chacun d’eux. Il monte par exemple «Santa Claus Is Back In Town» sur un fabuleux shoot de heavy boogie blues, pretty baby. Jumpy & sexy, comme l’écrit Tav dans ses notes de présentation. Une fantastique clameur de chœurs couronne le tout. Il se veut plus rococo que Rocco et ses frères avec «White Christmas», il va plus sur un domaine qu’il maîtrise parfaitement, la romantica. Il bourre sa dinde de kitsch. C’est bardé de son, il sort pour l’occasion le meilleur croon d’Amérique. Avec le temps qui passe, Tav Falco devient un chanteur extrêmement impressionnant. Il brasse le son avec une classe qui défie toute concurrence. Il a l’ambiance, le sourd Christmas stomp, c’est un chef-d’œuvre inexorable. Nimbé de mystère, Tav Falco ne laisse aucune chance au hasard. Puis il nous emmène à Broadway pour «Jungle Bell Rock». C’est un bonheur que d’entendre chanter cet homme. Il excelle dans l’expression du sing-along américain. Ses jingle bells rock it out et le solo claque au quart de tour. Tout est parfait chez Tav Falco. Il mastérise son Christmas Tree à coups de walking bass. Pour présenter «Rudolph The Red Nosed Reinder», il cite Gene Autry et part en mode comedy act. Tav Falco est adorable, au sens où on le disait des dieux antiques. Il jazzifie son affaire avec «Christmas Blues». Ça jingle bell à l’Ouest du Montgomery. Admirable et enveloppé à la fois. Il claque ça avec une désinvolture qui en dit long sur son état d’esprit. Retour à la valse à trois temps pour «Holly Jolly Christmas», les filles derrière sont héroïques, elles assument bien la légendarité des choses de la vie. Il va même tâter du funk pour «Soulful Chritmas» et un nommé Mick Watt bat la chamade sur son manche. C’est tout de même dingue qu’un mec comme Tav se prête à cette Soul funk Christmas party ! Faut-il être wild pour aller imaginer un tel plan - So you came to see my show and that’s why Tav Falco loves you so ! - C’est avec «Blues Christmas» qu’il va boucler son rappel au Silencio, comme on va le voir par la suite. Il bat avec cette prodigieuse bluette tous les records de glamour - Be so blue - Les chœurs regorgent de magnificence - My heart was drenched to the bone in mood bluer than blue - Il explose le genre. C’est bouleversant. Il semble tellement appartenir à une autre époque qu’il en devient un personnage littéraire.
S’il se produit au Silencio, ce n’est pas par hasard. Le Silencio fait partie des endroits les plus mystérieux de Paris. Située au creux de la rue Montmartre, l’entrée semble se fondre dans l’anonymat urbain. Il faut se glisser dans la porte entrebâillée comme le firent jadis les conspirateurs. Puis vous passez devant un homme tapi dans l’ombre qui hoche la tête et qui ne dit mot. Dirigez-vous ensuite vers le gouffre d’une première volée de marches faiblement éclairées par des torches. Les volées succèdent aux volées et l’impression grandissante de s’enfoncer dans les entrailles de la terre diffuse en vous un singulier mélange d’angoisse et d’exaltation. Une descente aux enfers ? Non, il s’agit plutôt d’une plongée dans l’épais mystère. Inespéré. Aucun doute, un tel endroit sort plus de l’imagination d’Eugène Sue que du cerveau brûlant de David Lynch. En bas d’une ultime volée de marches apparaît un tunnel mal éclairé. Il faut s’y glisser pour atteindre une première salle. Une femme se tient derrière une sorte de grand comptoir et hoche la tête sans mot dire. Vous traversez donc cette salle pour en gagner une autre un peu plus vaste, où se trouve une petite scène que ferme un rideau de velours jaune un peu fané. D’autres couloirs étroits rayonnent à partir de cette salle et le diable seul sait ce qui s’y trame. Loin au fond du couloir qui jouxte la grande salle apparaît une silhouette furtive. L’homme n’est pas très haut, il semble porter un jabot blanc. The Gentleman in black ? Il nous voit plus qu’on ne le voit. Cette apparition aiguise jusqu’au délire la fantasmagorie de la situation - If you’re real late/ At a bar some nite/ Under a cold blue light/ It may be your fate/ Under a cold spotlight/ larger than fate/ To see for a fact/ The gentleman in black - Oui, c’est exactement ce que dit le texte, sous la lumière froide d’un éclairage en forme de destin apparaît le Fra Diavolo du Memphis beat, le Cagliostro de Little Rock, le détrousseur des âmes. Ou bien encore ‘l’irrésistible brigand que fit chanter M. Auber’, tel que vous le glisse Jules Claretie dans le creux de l’oreille avant de disparaître derrière un rideau d’ombre. Mais qui êtes-vous au juste, Monsieur Gustavo Nelson ? Seriez-vous Raoul d’Avenac, le chef de la sûreté Lenormand, Don Luis Perenna ou Tav Falco, le célèbre baladin qui fut au temps jadis le chantre du rockabilly et du North Mississippi Hill Country Blues ? De la même manière que Michel Zévaco et Maurice Leblanc ont inventé le roman policier ésotérique, Tav Falco propose depuis plusieurs décennies un subtil ersatz de rock ésotérique, savant dosage de rockab, de blues, de tango et d’Americana.
Le rideau s’ouvre enfin sur la petite scène et trois musiciens s’élancent dans une interprétation parfaite d’«Apache». Dans l’angle gauche du fond de la scène aménagé en trompe-l’œil réapparaît la frêle silhouette de Tav Falco. Il nous voit encore une fois plus qu’on ne le voit. Il attend le moment de paraître sur scène, comme le font les magiciens dans les cabarets montmartrois. Le voici enfin, délicieusement grimé, coiffé, sans âge, en smoking de soie et jabot blanc, encore plus inclassable qu’il ne le fut jamais. Il arrive à petits pas les bras en l’air sous les acclamations du public. Son premier tour de passe-passe consiste à passer en bandoulière sa guitare Hofner noire pour réactiver un vieux «Manifesto» datant du Panther Phobia paru en l’an 2000. Parmi toutes ses égéries, il ne choisira ni Mata Hari ni the Lady From Shangai mais the witch doctor mama of New Orleans, Marie Laveau - Is it true/ What they say ? - et en fin de set, la Sally de «Sally Go Round The Roses», reprise d’un vieux hit des Jaynettes, l’un des fleurons de son dernier album, le ténébreux Cabaret Of Daggers paru en 2018. Des roses qu’il effeuille d’une voix étrangement fatiguée. Fin se set ? Poids des siècles ? Poids de la nostalgie ? Il tire aussi «New World Order Blues» du Cabaret Of Daggers, un playdoyer aussi enragé que pouvaient l’être ceux que Jules Vallès jeta à la face de l’absolutisme. Sur fond de boogie blues sourd comme un pot et gratté à la manigance, Tav Falco pourfend les politicards modernes qui rendent l’actualité plus nauséeuse qu’elle ne le fut jamais - America and Korea just itching to light the fuse/ The fuse our degenerate-in-chief clown prince god emperor/ Has already lit and there’s not a thing you can do (Ça démange l’Amérique et la Corée d’appuyer sur le bouton/ Le bouton que notre président dégénéré, notre clown impérial, a commencé à enfoncer/ Et il n’y a rien qu’on puisse faire pour l’en empêcher) - Enflammé, Tav Falco abandonne sa guitare pour monter sur ses grands chevaux, il taille sa bavette à la meilleure niaque de combat, comme s’il attisait la haine des Versaillais du haut d’une barricade au quartier latin. Il tire une autre chanson de combat de Cabaret Of Daggers : «Strange Fruit», un terrible classique de Billie Holliday. Comme chacun sait, les ‘fruits étranges’ sont les corps des nègres qu’on voyait pendre aux branches des arbres après leur lynchage. Ce fantastique prestidigitateur sort de sa manche une colombe, c’est-à-dire la plus émouvante des chansons de Billie Holliday, et si son interprétation en bouche un coin sur l’album, alors vous pouvez imaginer ce qu’elle va pouvoir boucher quand il l’interprète sur scène. Il poursuit l’étourdissante valse des hommages avec l’antique «Me And My Chauffeur Blues» de Memphis Minnie, certainement le personnage le plus légendaire de l’avant-scène de Memphis - So I’m gonna steal me a pistol/ Shoot my chauffeur down - Memphis Minnie ne voulait pas partager son chauffeur avec les autres putes de Beale et du coup Tav Flaco s’encanaille de plus belle. Sous les lumières rouges, son visage prend un nouvel éclat. Il enchaîne sans coup férir avec le «Bangkok» d’Alex Chilton et l’on comprend à le voir jerker le Memphis beat qu’un destin extraordinaire liait ces deux hommes - Here’s a little thing that’s gonna please ya/ Just a little town down in Indonesia - Un ectoplasme sort alors de la bouche de Tav Falco : tout le monde reconnaît Alex Chilton. Un grand wow admiratif salue cette manifestation surnaturelle. Aussi fidèle en amitié que le furent les rois de la pègre, Tav Falco invoque un autre fantôme : Charlie Feathers, ‘with the perfect rendition of «Jungle Ferver»’. Ça tombe bien, Mario Monterosso joue sur une Gretsch rouge et donc il dispose du son. Tav Falco rocks it out. Au fil des cuts, il gagne en intensité, comme possédé par le diable. Est-ce une hallucination ? Le fantôme de Charlie Feathers vient se déhancher à côté du Master of Chaos. Le spectacle bascule dans une irréalité ectoplasmique que Victor Hugo pourtant féru de sciences occultes n’aurait jamais pu appréhender. Tiens, encore une merveille tirée du Cabaret Of Daggers : «Old Fashioned Morphine». Il explique tranquillement aux médusés échoués sur sa rive que si c’était bon pour Isabelle Eberhardt, alors that’s good enough for me. Fabuleuse calipette contextuelle, the Gentleman in Black (a man without a country/ A man without a home/ He travels fastest/ Who travels alone) revient aux amours de sa jeunesse avec «Strange (Ubertango)», un air de tango connu comme le loup blanc de Montevideo - Tu cherchais quoi ?/ À rencontrer la mort ?/ Tu te prends pour qui ?/ Toi aussi tu détestes la vie ? - Il ouvre les bras et une très belle jeune femme vient s’y lover pour esquisser quelques pas de rioplatense. Il poursuivra la valse des hommages avec deux merveilles géographiques tirées de Conjuration Séance For Deranged Lovers : «Garden Of The Medicis» et «Ballad Of The Rue De La Lune». «Malgré l’obsession du Baron Hausmann pour la luminosité, la ville lumière est», nous confie l’enchanteur, «le sombre théâtre des caresses, des flirts et des conjurations.» Et il ajoute, narquois : «Ici, s’arrêtent les traditions du monde réel en faveur d’une poursuite de plaisirs concupiscents. Ici, se donne un grand opéra constitué du faible bruit des pas dans les cages d’escalier et de l’errante sérénade du violoniste. Ici, dans la rue de la Lune.» Lorsqu’il nous emmène visiter le Jardin Medicis, il cite Jorge Juis Borges et tente de nous faire croire qu’il échappe aux attentions pressantes d’une feminine beauty. C’est une chanson affreusement triste, a kind of sinister fable - Of a lover condemned to beauty that he cannot touch - Et il ré-endosse son habit de Fantômas pour conclure en beauté avec «Master Of Chaos», véritable apologie de la voyoucratie à l’ancienne, celle qui nous fit tous tant rêver - Getting out of Monaco/ Driving a Riva motoscafo/ Jocko robbed the casino/ Grand Hotel Monte Carlo - Après un rappel en forme d’exutoire existentialiste et un «Blue Christmas» bluer than blue, le Master of Chaos se volatilise. Un seul regret, dirons-nous : «Red Vienna», capiteux fleuron du Cabaret Of Daggers, aura brillé par son absence. Sur le fond tourneboulant d’une authentique valse de Vienne, Tav Falco y évoque les noms de Trotsky et de Klimt. Il crée une fois encore de l’enchantement - Farewell to Red Vienna/ Farewell to your glorious fame/ Our lips will be forever/ Forever whispering your name - Tav tomb’ sur le rock à l’abracadabra raccourci et fouette cochinchine au Mata à risques. Nous autres terreux terriens avons les artistes que nous méritons. Fabuleux privilège, n’est-il pas vrai ?
Signé : Cazengler, Tav Falot
Tav Falco. Le Silencio. Paris IIe. 11 décembre 2019
Tav Falco. A Tav Falco Christmas. Frenzi 2017
Tav Falco. Cabaret Of Daggers. Frenzi 2018
Teel l’espiègle
On parle beaucoup de Jon Spencer, mais moins de Jerry Teel. Dommage, car Teel l’espiègle vaut son pesant de décibels. Honeymoon Killers, Chrome Cranks, Knoxville Girls, Chicken Snake, qui dit mieux ? En matière de parcours, on fait difficilement mieux. On retrouve Teel l’espiègle à tous les étages du garage punk new-yorkais en montant chez Kate et ce serait bien le diable si dans son abondante discographie on trouvait un seul mauvais disque. Teel l’espiègle est l’homme du son, ou plutôt l’homme d’un son et ce n’est pas un hasard Balthazar s’il a monté un studio à New York, le bien nommé Fun House qui allait devenir au moins aussi mythique que le fameux Sweatbox de Tim Kerr.
Dès le premier album des Honeymoon, The Honeymoon Killers From Mars, on sent le souffle. Ce vieil album de sonic trash new-yorkais date de 1984, ce qui ne nous rajeunit pas. Jerry Teel a glissé cinq inserts photocopiés dans la pochette, ce qui était alors d’usage courant. On voit tout de suite que «Cornbread Fed» rampe sous le boisseau du pire trash new-yorkais. Pas de rémission ni de ristourne d’electrolux. Pas de rien. C’est battu par une gonzesse nommée Claire Fontaine. Jerry tire déjà les ficelles de cette infâme purée. S’ensuit un «I Love To Eat It» glacé d’horreur. Jerry hurle comme un sale con dans le fracas du désastre. Il dit aimer lui bouffer le cul. On le croit. En B, il tape «Ubangi Stomp» au train de ferraille. Voilà la pire version du Stomp qu’on ait vue ici bas. Elle ne veut pas plaire. Jerry n’a qu’un but dans la vie : se faire des ennemis. Inutile d’attendre de lui la moindre concession. Il est d’un seul bloc, comme le montre «Cat People». Pour des politesses, pareil, il faut aller voir ailleurs. C’est vrai qu’il en fait parfois un peu trop. Le boogaloo qu’il développe dans «Who Do You Love» est un peu âpre.
Sur Love American Style paru l’année suivante, ils ne sont plus que trois : Jerry, Sally aux drums et Lisa au bassmatic. Toujours soucieux de régaler les fans, Jerry a glissé un single et une photo du trio dans la pochette. On les voit tous les trois devant un chicken shop. Le parti-pris de l’album est celui du son de «Death Party». On croirait entendre le Gun Club dans «Night After Night». Même tempo, même ferveur. Joli groove atmosphérique aussi que ce «Boom Like I Like It». Encore un peu de viande en B avec un «Batman» thème joué à la traînasse. On tombe plus loin sur un «Good n’ Cheap» embarqué à coups d’harp. Globalement, cet album reste très porté sur le son de la cave. «Motor City» se montre digne de Motor City. Ils jouent ça au heavy Death Party beat de wham bam doom.
Dans la pochette de Let It Breed, Jerry a glissé un photo du groupe prise devant un stand de fête foraine. Jerry porte un chapeau et les deux gonzesses cultivent le trash avec leurs cuisses énormes. On les entend tester du son dans leur cave, comme s’ils jouaient au jeu de l’underground. Il faut attendre «Dr. Pain» pour trouver un cut un peu dédouané du bilboquet. Jerry renoue avec le format indolent du rock new-yorkais. Ils proposent une A foutraque mais peu captivante. C’est en B que se joue le destin de l’album, notamment avec «Brain Dead Bird Brain» qui préfigure un peu les Chrome Cranks. Nous y voilà. Dark et bien atmospherix. Sans doute le hit dark de l’album mais affreusement mal chanté. On retrouve aussi cette épaisse bassline à la Death Party. La bassiste Lisa chante «Face Of A Beast» à la façon de Moe Tucker, pendant que Jerry joue de groove anaconda, celui qui rampe dans les ténèbres.
Et puis voilà Turn On Me qui date de 1987. On sent que Jerry est obsédé par «Death Party». C’est cette pulsation d’avant-garde nucléaire qu’on retrouve dans «Dolly W/A Dick». Il farcit son cut d’intrusions maléfiques et d’intentions comateuses. Ça bat comme le cœur du golem. «You Thrill Me» se veut assez beginning to see the light, cut têtu comme une bourrique, pas décidé à renoncer, ça vaut pour du big hypno dégommé au beat de brute. En B, on tombe sur un «Das Dum Flick» assez envoûté de la clé de voûte, joué à un rare degré de digonnade et on voit cette basse mordre la viande. Mais c’est avec «Hot Wad Of Clay» qu’ils créent la sensation, car ça stooge en profondeur. Ah quelle excellence dans l’exercice du rock’n’roll infectueux ! Voilà un cut fabuleusement enjoué, secoué de vents mauvais avec des chutes de tension spectaculaires et du regain de rage encore plus spectaculaire.
Suite de l’aventure Honeymoon Killers avec Take It Off. Trois énormités se nichent dans les ténèbres de l’album, à commencer par ce big «Hard Life» qui sonne comme un hit subversif joué à la stridence anti-matérialiste, avec un regain d’excès permanent. Le beat est encore une fois celui du «Death Party». Ils font une version complètement iconoclaste de «Hanky Panky». Ils transforment cette pop céleste en heavy groove de doom. Plus rien à voir avec Tommy James. Jerry Teel nous tartine là le plus cadavérique des grooves. Le thème original entre sur le tard, mais très léthargique. Joli coup de heavy beat en B avec «Smotherly Love». Voilà encore du très beau son, bien obstiné, qui se moque du qu’en-dira-t-on. C’est absolument superbe de panache underground, celui qui ne sert à rien. On se régale du son de Jerry Teel et de ses amis, un son dense hanté par de belles guitare atmosphériques. Jerry Teel chante son «Sexorcist» comme un diable crampsy, à la petite menace rampante. Et quel joli bass sound, baby !
Avec Til Death Do Us Part paru en 1990, on voit bien que Jerry Teel veut du rampant. Il le farcit de tortillettes. Dès «Baby Blew», il sort un son très gun-clubbish des catacombes, très désespéré et gorgé de dark vibes d’underway. Tout explose avec «Jump», puissant et infesté de persistances, joué au beat tribal des forêts humides. C’est encore une fois perclus de tortillettes. Sur cet album, Jerry s’entoure de trois filles, Cristina (guitar), Lisa (bass) et Sally (drums). Ils sortent un son sur-saturé, avec de l’écho plein la sourdine. «Evil Green» sonne comme un heavy hit de l’underground le plus ténébreux. On ne peut pas les battre sur ce terrain. Ils sortent un swamp new-yorkais bien épais qui colle aux semelles. Ça clapote dans la nuit d’encre. En B, ils passent avec «I Can’t Wait For Nothing» à un exercice de transe. C’est l’hypno de blast furnace. Encore un hit infesté de requins : «Head Twister», ou le boogie according to Jerry Teel. Excellent album, sombre musicalité.
Fulgurant album que cet Hung Far Low enregistré en 1991. Jon Spencer et Russell Simins viennent renforcer les rangs des Honeymoon Killers et ça change tout. Dès «Mad Dog», ils se montrent malveillants en jouant sous le manteau. Mais c’est avec «Wanna White» que ça explose. On y assiste au fantastique développement du heavy groove new-yorkais. Jon Spencer l’embarque en enfer et Jerry Teel l’embobine au riff tournoyant. C’est so good que Jon Spencer fait so good ! On reste dans l’énormité avec «You Can’t Do That». Avec Jon Spencer, il y a toujours un allant. Ce «You Can’t Do That» renvoie au «Dropout Boogie» de Captain Beefheart. Aw ! Il pousse même les Aw que John Lennon dans «Cold Turkey». Pendant que Russell Simins bat bien son beurre et que Jerry Teel gratte sa gratte, la petite Lisa bosse bien sa basse. Avec «Kansas City Milkman», Jon Spencer abandonne toute dignité et se vautre dans le stupre new-yorkais. Mais c’est en B que les choses se corsent, avec notamment «Thanks A Lot» attaqué à la vérole stoogienne, aux pires riffs de Jerry Teel. Ils sont capables d’être encore plus royalistes que le roi des Stooges. Au chant, Jon Spencer bat tous les records de violence psychotique. Encore un cut drivé au riff malade avec «Fannie Mae». Jon Spencer y joue la carte du riff excédé, il trépigne de rage. Ils continuent de battre bien des records avec «Scootch Says». Violente montée de la basse dans le mix, et derrière ça cisaille à la parade. Oh comme ça monte ! Lisa chante «Madwoman Blues», elle chante ça à la paumée de la pommerolle définitive, c’est incroyablement trash, d’autant plus trash qu’elle n’a pas de voix et derrière, ils cisaillent comme dans Massacre à la Tronçonneuse. Crrrrrrrrr ! Bon il est temps que cet album se termine. «Whole Lotta Crap» se veut plus cérémoniel. Ils sont imbattables au petit jeu du pété de casseroles. Il souffle un beau vent de folie dans les quilles du bâti stoogy. Ils dévorent leur place au soleil.
Teel l’espiègle allait connaître les vertiges de la gloire avec les Chrome Cranks. Leur aventure commença dans les années quatre-vingt dix par une petite photo publiée dans la rubrique «On» du New Musical Express. Pour les groupes débutants, cette rubrique constituait une sorte de tremplin fatidique. On y qualifiait les Chrome Cranks de stoogiens. Il n’en fallait pas davantage. Cap sur le rayon import des deux ou trois disquaires parisiens capables de proposer ça et wham bam, thank you pas mam mais On. Jackpot !
Dead Cool paraît sur Crypt en 1994. On y trouve cinq coups de génie. Un, «Desperate Friend» : enfoncé au pilon, monté sur un riff massif d’une autre époque, de type «Gloria» des Them, glorieux mélange de garage d’Irlande du Nord, de sauvagerie à la Wolf et de majesté crampsy. Deux, «Way Out Lover» : la bombe du siècle, un champignon atomique de basse fuzz qui s’auto-détruit, pièce imbattable, oh yaaa yaaaa, balayé par des vagues fuzzo-subliminales, et Peter Aaron hurle à la vie comme à la mort, spectaculaire et vertigineux, c’est battu à la forge, non, il n’existe aucun équivalent sur le marché. Trois, «Bloodshot Eye» : stoogerie de type «Down In The Street», riff de rue qui s’enfonce dans la pénombre. Quatre, «Nightmare In Pink» : mètre-étalon du trash-punk new-yorkais, pure giclée de jus, magnifique de délabrement mongoloïde, dynamité à chaque instant. Et en cinq, l’immense «Shine It On», rien au dessus, tendu dans la chair du punk-rock, irradié par l’ampleur du scream, porté par la clameur de l’insanité, au-delà de toutes les normes, au-delà de TOUT, explosion de toute la pulsion sexuelle du rock. Le morceau le plus hurlé de l’histoire du rock, monté en épingle et explosé au sommet du riff. Qui peut égaler ce screamer fou ? Personne. Cette déflagration sonique surpasse celle des Stooges. Eh oui, on ne croyait pas ça possible et c’est arrivé près de chez vous, une balle dans l’oreille, shine it oooon yeahhhh, l’inaccessible étoile du trash. On prend feu en écoutant ça. Comme si on rôtissait en enfer et qu’on adorait ça.
Les Cranks vont enchaîner trois autres albums bourrés de classiques : Chrome Cranks, puis Love In Exile et Hot Blonde Cocktail. Avec le morceau titre de Hot Blonde Cocktail, Peter Aaron nous plonge dans la folie. Les refrains s’échappent de l’asile. Personne n’est allé aussi loin que lui dans l’arrachage de barrières de sécurité, à part Antonin Artaud. On ne peut pas s’empêcher d’imaginer Artaud à notre époque. Il aurait adoré les amplis Marshall et la Fender Jaguar, les flaques de bière sur la scène et les traces de sang sur le manche de guitare. Il aurait hurlé son ventre de poudre ténue et le sexe du bas de son âme qui monte en triangle enflammé. Il n’aurait pas engagé Marthe Robert ni Jacques Prevel, mais Bob Bert à la batterie, William Weber à la guitare et Jerry Teel à la basse. Peter Aaron se serait incliné devant le maître et aurait accepté de voir son orchestre le quitter. Sur Hot Blonde, on trouve aussi ce vieux classique des Cranks, «Lost Time Blues», fuzzy et riffé comme un classique des sixties, solidement arrimé et secoué de petites explosions intraveineuses - et le screamer le plus ardent du XXe siècle invente le trash éternel, celui qui va marquer les mémoires au fer rouge. Tout l’esprit du rock ultime se trouve piégé dans cette pièce crampsy et maudite. Au-delà, il n’y a plus rien, comme dirait Léo Ferré.
Les Cranks vont tenir dix ans. C’est un record, pour une pétaudière à huit pattes. Puis vient le split. En 1996, paraissait Diabolical Boogie, un double album proposant les singles, les démos et les raretés. Peter Aaron profitait de l’occasion pour écrire un texte d’introduction digne de celui proposé par Lux Interior dans How To Make A Monster. Ce texte magistral s’intitule «Cordes cassées, rêves brisés (et des crachats)». En voici le début : «Ce n’est pas un texte de présentation, c’est un exorcisme. Pour moi, en tous les cas. Oh je sais que ça peut sembler pathétique. Je veux dire, les Chrome Cranks n’étaient rien d’autre qu’un groupe de rock en plus. Mais c’était MON groupe. Être dans un groupe, c’est comme être marié. Quand un groupe s’arrête, comme le font la plupart des groupes, c’est dans la grande majorité des cas pour les mêmes raisons que celles qui détruisent un mariage : la jalousie, l’absence de communication, l’arrogance et parfois des abus de substances. Vous voyez de quoi je veux parler. Ça oui, on a eu tout ça dans les Chrome Cranks, et à la puissance dix. Moi-même, je peux plaider coupable pour au moins deux des raisons citées (mais pas la dernière, à moins que vous ne considériez la caféine et la nicotine comme des drogues). J’aurais bien aimé pouvoir comprendre tout ça à l’époque, mais... Toujours pareil, blah blah blah, à quoi bon ?» Il rend ensuite hommage à ses amis Jerry Teel, Bob Bert et William Weber : «En observant le line-up classique des Chrome Cranks depuis mon promontoire du XXIe siècle, je vois un ensemble de choses qui permettent de distinguer le groupe de la scène garage classique et «rétro» à laquelle on nous rattachait. On avait des atouts comme par exemple les lignes des basse néandertaliennes de Jerry, ou la distorse de dingue et l’insupportable volume sonore que je sortais de mon ampli. C’est la frappe extrêmement brutale de Bob qui emmenait le groupe, et il frappait toujours comme un malade, que ce soit sur scène ou en studio. Et comme je suis un fervent amateur de rock depuis trente ans, je peux vous dire en vous regardant dans le blanc des yeux qu’il existe peu de guitaristes du niveau de William G. Weber. Ce mec anormalement doué peut jouer dans n’importe quel style et il joue bien mieux que n’importe quel guitariste de la scène new-yorkaise des années 90 - et même encore aujourd’hui - et bizarrement, personne n’a pensé à enregistrer ce guitariste de génie. Oh, n’oublions pas ce screamer fou qu’on entend sur les vieux morceaux rassemblés sur cet album, je suppose qu’il fait lui aussi partie des atouts. Peut-être n’étions-nous pas le groupe le plus original de l’histoire du rock, mais on y croyait dur comme fer et on a vraiment essayé de rester aussi inventifs qu’on le pouvait, tout en restant dans le cadre que William et moi avions pré-défini au départ. En règle générale, les journalistes appréciaient beaucoup les Cranks.»
Véritable fatras hystérique, Diabolical Boogie dégueule de fuzz et de scream. Avec les Cranks, on est sûr d’aller de blast en blast. C’est écrit, comme dirait Léon Bloy, le grand punkster de l’Avant-siècle. Sur quel autre disque peut-on trouver un tel shoot de trash-blues ? Aucun. L’objet reste unique au monde. Dès le premier morceau, «Love And Sound», les Cranks nous plongent la tête dans leur chaudron, c’est trashé dans l’âme, yah-yah ! Et Peter Aaron hurle comme un beau damné, il explose de trashitude céleste, il est l’empereur du trash derrière lequel l’herbe ne repousse pas, il bat tous les records de hurlements de Sainte-Anne, il hurle comme s’il voulait conjurer tous les démons de la création («The Big Rip-Off»), atmosphères plombées et rafales de scream, telle est leur recette, on a l’impression de voir un morceau en putréfaction, ou des organismes incandescents, succession de couplets hurlés dans la nuit glacée («Sacred Soul»), Bob Bert cogne sans relâche, solos outranciers et écarts de voix impardonnables («Street Waves», reprise de Pere Ubu). «Pin-Tied» est un clin d’œil au swamp-blues. Les alligators de Screamin’ Jay Hawkins et de Roky Erickson se pavanent dans la mélasse sonique. Les Cranks sonnent parfois comme ces pauvres tarés de Birthday Party. Ils prennent le parti-pris du non-retour. C’est une abomination. Peter Aaron n’en finit plus de hurler. On retrouve l’atmosphère des Scientists, les ambiances irrespirables, les moustiques, les sangsues, les Seminoles, les flèches et les cadavres qui flottent. La musique tournoie sur des accords séculaires. Et puis ce «Red Dress», d’une rare violence, embarqué au scream et viandé à coups d’accords stoogiens, pur génie trash, sommet de la vraie jute et screamé jusqu’à l’os du crotch, comme s’ils ouvraient une voie vers une nouvelle sorte de folie libératrice. Une folie de la modernité, telle que la concevait certainement Artaud. Stoogerie encore avec «Collision Blues», mais les élèves dépassent les maîtres, Peter Aaron pose une voix à la Iggy sur un beat rebondi et ça devient rapidement effrayant de collusion collutoire, puis ça jaillit et ça explose dans le magma des enfers rouges d’un cerveau en contusion, yah yah yah !, celui de Peter Aaron. Ils semblent encore s’enfoncer dans le chaos avec cette version de «Burn Baby Burn», drumbeat dément, l’une des intros du siècle, beat plombé, menaçant, l’empire du binaire de la mort noire, et Peter Aaron fait le loup derrière. Les guitares se fondent dans la fournaise. La voix de Peter sort du fond de la crypte. Le beat enfonce les clous. Bob bat le beat des dieux viking. Peter Aaron sonne comme Lux Interior. La pression est terrible. Et soudain, ça se met en route, ça tourne garage, mais garage en feu, c’est hallucinant de barbarie sonique, qui va aller chercher des enfers pareils, à part les Cranks ? On entend les pas traînants des guerriers ivres de carnage dans les rues de la ville en feu, c’est agité de violents spasmes de riffage sixties. Dans «Come In And Come On», Peter Aaron hurle comme Dracula - Scream Dracula Scream - et William Weber arrose le chaos de bottleneck. Ça sent la friture. Nouvelle version du blues des catacombes, «Lost Time Blues», Peter Aaron fait son bouc émissaire, c’est dingue ce qu’il peut bien hurler. Dingue, vraiment dingue. Tout est là, dans le néant du scream. On tombe ensuite sur une version live de «Draghouse» : une sauvagerie sans équivalence dans toute l’histoire du rock. Un métro lancé dans la nuit, sans but ni conducteur. Ce truc sonne comme un cauchemar de la révolution industrielle. Une charge de la brigade légère glorieuse et héroïque, une épiphanie des clones du fourbi définitif, du Lovecraft fondu déversé dans l’œil d’Absalon, ça hurle comme sur les croix des hérétiques, à l’époque où l’on fouillait les chairs au fer rouge et où l’on faisait issir les moelles. Ils font même une reprise de «Little Johnny Jewel», le premier single de Television : la reprise du siècle, n’ayons pas peur des mots. Hantée. Esprit es-tu là ? Et puis pour finir, un glam du diable avec la reprise de «The Slider» de T. Rex. Chaos technique. On sort de ce disque complètement sonné, en maudissant le ciel. Trop éprouvant pour les nerfs, surtout quand on les sait fragiles. Mais si le radicalisme sied à votre tempérament, alors c’est l’orgasme intellectuel garanti, la commotion sidérale. Ça peut même aller jusqu’à la révélation.
Les Chrome Cranks, c’est en effet le groupe parfait. Ils disposent de tous les éléments de choix : le son, le look, les compos, l’esprit, la démesure, le goût du chaos et une certaine «wasted elegance».
Puis, pendant dix ans, aucune nouvelle de Peter et de ses amis. Rien. Pour les admirateurs du groupe, ça semblait incompréhensible. Quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Et pourquoi les Cranks vendent-ils moins de disques que Blur ou Radiohead ? Comment lutter contre une telle injustice ?
Et puis le miracle est venu d’un label indépendant du pays basque espagnol, Bang Records. Entre 2009 et 2013, trois nouveaux albums des Chrome Cranks sont parus sur cet audacieux petit label (qui réédite aussi le Gun Club et les Scientists - il n’y a pas de hasard, Balthazar). The Murder Of Time est une compilation, par contre, Ain’t No Lies In Blood est l’album de reformation des Cranks. Aussi hanté qu’à l’origine, aussi pilonné, les Cranks appliquent les mêmes vieilles recettes apocalyptiques, multipliant les violentes montées en température. Dans une reprise de Roger McGuinn, «Lover Of The Bayou», William Weber déverse ses déluges et Bob Bert dédouble à l’infini ses redoublements. Ils sont encore plus enragés qu’avant. Sur «Rubber Rat», ils virent jazzy, avec un son musclé, vaillant et déterminé. Jerry Teel y joue une ligne de basse souple et élastique. Avec «Star To Star», ils renouent avec le grand art abyssal, dans une ambiance ténébreuse et dangereusement électrisée. «Broken Hearted King» est monté sur une structure bombastique ultra-puissante, un beat de surmenage valvulaire agité de pulsations psychotiques. C’est à la fois mauvais et hérissé. Bob bat comme un Bert. L’album regorge de purées fumantes de distorse et de chant hurlé, comme au temps béni de «Doll On A Dress» et de l’immoral «Dirty Son (Lie Down/Fade Out)».
Moon In The Mountain est le dernier album des Cranks paru. Cet objet original propose une A en 33 tours et une B en 45 tours. Écoutez l’A. On y retrouve des vieux coucous enregistrés pour une radio anglaise, et notamment «Wrong Number» qui cueille le menton avec son pilon de grosse caisse, ses couplets vomis et sa cisaille de guitare. Du velours pour l’estomac. Sauvagerie démente ou démence de la menthe, olé ! Merci Bang ! On retrouve ensuite un «2:35» pétri d’accords martyrs et de virulences à répétition, «Backdoor Maniac» et ses dynamiques perverses vibrillonnées de scream. Ils appuient dessus comme sur une boule de pus, ça gicle ça hurle et ça cavale, yaaah yaaah ! Bel hommage à Wolf avec «We’re Goin’ Down», même uh-uuuuh, avec des down qui pleuvent comme vache qui pisse et ça se termine avec un «Down So Low» qui bascule dans la biscaille qu’on peut imaginer. Tout y est. On appelle ça un fantastique album de rock.
Nouvel épisode de poids pour Teel l’espiègle : il monte the Knoxville Girls avec Kid Congo, Bob Bert et deux autres mecs. Knoxville Girls paraît en 1999. On peut parler d’album culte. On a là le nec plus ultra du revamp US, ces mecs jouent la carte de l’indécence définitive. Impossible d’échapper aux trois guitares de «Soda Pop Girl». Effarant de profondeur. Teel l’espiègle chante «Two Time Girl» au gut de l’undergut, les Knoxville Girls sonnent comme un riot de campagne. Ils vont piétiner les plate-bandes du JSBX avec «King Pow Chicken Scratch» et sa plastique d’expression funkoïdale de garage kid invétéré. Quel instro ! Typical Teel l’espiègle avec «NYC Briefcase Blues». Il sonne comme un bluesman efflanqué, c’est même très dylanesque, puis ça repart en mode boogie avec «Warm & Tender Love», ça gratte à l’apanage des Appalaches, oh honey, ils vont bien sous le boisseau avec du jus à gogo, ça devient même stupéfiant. Et comme si ça ne suffisait pas, ils passent au heavy gospel blues avec «I Had A Dream». Teel l’espiègle essaye de surpasser Jon Spencer, mais ce n’est pas facile. Retour à la violence originelle avec «One Sided Love». Ils jouent au freakout des Girls, ça gratte à la surenchère, ce diable de Teel l’espiègle sonne comme un big shouter.
Paru l’année suivante, In The Woodshed est un album live. On y retrouve les hits du premier album, à commencer par «Warm & Tender Love», ils grattent ça à la désaille impérative. Ils tapent «I Had A Dream» et «NYC Briefcase Blues» au heavy doom de boogie down, spécialité du vieux Jerry. Tout le son est raclé jusqu’à l’os du bone, et Kig Congo vient faire le con dans «Sophisticated Boom Boom». On retrouve Teel l’espiègle aux commandes de «Truck Driving Man», il avance à coups de you know what, c’est explosif. On voit rarement des blasters aussi beaux. Mention spéciale aussi pour «Armadillo Roadkill Blues» joué au bottleneck de mauvais aloi et explosé de rockabilly. Ces mecs sont des bandits, ils ne respectent rien. C’est noyé de son, perdu à jamais, sans espoir d’avenir. Trop sauvage. Mississippi river, aw my God ! Ils terminent avec «Low Cut Apron/Sugar Box», un vieux boogie de la désaille extrêmement bienvenu et noyé de son. On n’en demandait pas tant.
Leur troisième et dernier album s’appelle In A Paper Suit. Teel l’espiègle drive le morceau titre sec et net, c’est fabuleusement décadent et ça sonne comme du Dada évangélique. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio de «Sophisticated Boom Boom». Le Kid y fait la pluie et le beau temps. Il va d’ailleurs reprendre le cut à son compte, dans l’un de ses albums solo. Joli cut aussi que cet «Oh Baby What You Gonna Do Now» cisaillé dans la mélasse de la rascasse, ils taillent une route pas facile, ces blancs jouent avec le son des noirs, ça peut vite devenir tendancieux. Leur «Baby Wedding Bell Blues» carillonne, tellement c’est plein de son. Ils passent au heavy bish bash avec «That’s Alright With Me». C’est très Knoxvillien, awite, bien allumé aux accords de réverb. Ils passent au stomp avec «Butcher Knife». Teel l’espiègle s’amuse bien, awite, on a même de l’orgue dans le pitch. Ils jouent à la petite fournaise ronflante. Le Kid revient au micro pour «Drop Dead Gorgeous», il chante comme un délinquant et on entend des chœurs de Dolls ! Magique !
En 2008, Teel l’espiègle monte au side-project avec Pauline, trois copains et les Sadies qui s’appelle Jerry Teel And The Big City Stompers. Un bel album sort sur Bang, le label basque. Teel l’espiègle récupère le banjo des Sadies pour doper sa musicalité. Il ne mégote pas sur la marchandise. Il propose ici une sorte de country d’upright et de fiddle. Il envoie du banjo dans les guibolles d’«Hillbilly Boogie» et tape dans Townes avec «Loretta», mais il tape ça en mode Velvet. On se croirait à New York en 1968 ! C’est en B que se joue le destin de l’album, avec notamment ce «What Am I Supposed To Do» swingué au slap, bien sourd et même génial. Il y shoote toute la puissance du bop de rockab. Il connaît les secrets du hit en sourdine. Fantastique ! Il tape aussi «Sugarbaby» au lowdown country blues et nous embobine sans problème. Avant d’aller coucher au panier, on écoutera encore «Long Legged Guitar Pickin’ Man», car c’est chanté à deux voix avec du banjo à gogo et des violons à gaga. Admirable jerk de saloon ! Curieusement, Teel l’espiègle s’arrange toujours pour répondre aux attentes.
En 2010, il rassemble Pauline, Josh Lee Hooker, Nicholas Ray et le batteur Danny Hole pour monter Chicken Snake. Un premier album paraît sur Beast : Lucky Hand. Attention, les faces sont inversées et ne correspondent pas aux étiquettes. On y détecte deux influences prépondérantes, celle du Velvet avec l’excellent «N. Rampart St Blues» et celle de Dylan avec «Punjabi Jack» qui sonne vraiment comme l’I ain’t not gonna work for Maggie’s farm no more. Les fans du Velvet se régaleront de «N. Rampart St Blues», car Teel l’espiègle le travaille au groove hypno et termine sur un beau final digne des calamités du Velvet de l’âge d’or, avec à la clé les dissonances du grand bazar. On voit aussi avec «Hand Me Down Snake Skin Shoes» que Teel l’espiègle connaît les secrets du relentless : groove bien rampant, même si le son reste clair. On voit bien que ces gens-là adorent le shakedown de vieux tremblement.
Alors c’est parti pour les Chicken Snake, ils vont suivre leur petit bonhomme de chemin sur Beast d’année en année, avec chaque fois une photo du groupe sur la pochette et le titre de l’album en pied. En 2012 paraît Trouble On My Doorstep, dominé par un cut très dylanesque en B intitulé «I’m A Lonesome Hobo». Bel hommage. Teel l’espiègle ramène son sens aigu du beat insistant et ça correspond très bien au Dylan de l’âge d’or. Gros festin de guitares carnivores, fondu d’accords magistraux, d’harmo et de vieille niaque. L’autre point chaud de l’album boucle la B : «Fortune Teller Blues», monté sur un bon beat et secoué aux percus. The snake shake le bon shook de l’ivraie. C’est littéralement hanté par les guitares et décidé à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Ailleurs, ils retombent dans leur normalité qui est celle du boogie énervé et du beat sautillant. Avec «Doctor Doctor», ils vont chercher le deep Southern groove d’harmo joliment infesté de New Orleans Sound. Avec «If The Creek Don’t Rise», ils tentent de créer une grosse ambiance, mais ça n’est pas toujours aussi facile qu’on le croit. C’est un genre éculé par trop d’abus. Ils sauvent la mise du cut grâce à l’insistance du beat. Danny Hole bat tout ça si sec.
Avec Unholly Rollers paru deux ans plus tard, ils vont plus sur l’hypno, à commencer par «Cowgirl Blues». Facile, c’est une cover de Jessie Mae Hemphill que chante Pauline à la plage. Très beau drive. Jessica Melain a remplacé Danny Hole. Le groupe a donc trouvé sa parité : deux mecs, deux filles. Autre prodige hypnotique en B avec «Evermore», chanté à deux voix sur un beau beat de percus. Ils maîtrisent admirablement l’art du rattlesnake beat. Ils embarquent aussi «Nothing Ain’t Right» au vieux rumble de cabanon, c’est battu à la tressaute prégnante et le solo se coule dans le moove comme un serpent, sale et vénéneux. Ils shakent toujours le snake avec «Crazy Mama» et ramènent toute l’ostentation de la paraphernalia. Joli cut aussi que ce «Yer Poison» d’ouverture de bal, joué au lousdé de New Orleans avec des clochettes de cabanon. Ils savent parfaitement doser le poison d’un son. S’ensuit un «Bad Blood Blues» joué à la petite transe hypno du Teely System. Il joue des notes épaisses dans une sourde clameur d’outre-tombe. Très envoûtant. Ce mec est un don du ciel.
Encore un album réussi avec Tombstone N Bones qui date de 2016. Au dos de la pochette, ils se font photographier dans un cimetière, pour faire bonne mesure. «Baby Stop» sonne comme un classique des Stones - Baby stop dragging me down - Ils savent traire les vaches maigres de la Stonesy, aucun problème. Puis on voit Teel l’espiègle et Pauline à la plage duetter sur «Walkin’ Blues». Chacun son couplet. Teel l’espiègle sait travailler sa diction de vieux blackboard. Wow, ils sont excellents, enrootsés dans la modernité. On pourrait presque dire la même chose de «Donna Lynn», chanté aussi à deux voix. Ça joue tout droit, à la bonne vieille admirabilité des choses, assez hypno dans l’esprit, avec quelques relents de Velvet. Ils attaquent leur B avec «Hot Cold», une vieille souche de garage signée Spencer T Jones et riffée avec la pire des sévérités. Joli son de baraque. Toute la B reste dans une ambiance de bonne franquette et de heavy boogie down. Ils tapent «Lay It Down» au heavy groove de pathos d’Honeymoon. Tout ce qu’ils jouent est bon, bien battu et gorgé de son. Ils n’hésitent plus à chanter à deux voix comme X à la grande époque. Tout est calibré au mieux des possibilités du rock underground de bon aloi.
You Must Be The Devil date de l’an passé et semble encore plus réussi que les albums précédents. Teel l’espiègle emmène ce rootsy meltdown qu’est «Trouble» à la clameur fantômale. Il crée ainsi une superbe tension et une musicalité de pure véracité. Ils atteignent au raw to the bone charnu et fourni, celui dont rêvent tous les groupes de rock. Avec le morceau titre, ils passent au joli stomp de cabane qui sent bon la menace funeste et la pétoire fumante. Ils stompent sous le boisseau. Merveilleuse équipe. Jessica Melain bat ça si sec. Ils flirtent avec le Gun Club. Retour au Velvet avec «Sick». On se croirait dans «Sister Ray» tellement c’est bien foutu. Ils ramènent un invraisemblable swagger dans la soupe aux vermicelles. Puis Teel l’espiègle tape dans Link Wray avec «Fire And Brimstone». Il ne fait jamais rien au hasard. Il faut se souvenir de sa reprise de «Batman» à l’époque des Honeymoon Killers. En B, ils reviennent au Velvet avec «Back Water Blues» et passent au low key avec «Midnight Call». Un chef-d’œuvre de dosage, extrêmement bien tressauté du beat et chanté à deux voix. Ils tiennent là une formule épatante, ce que vient confirmer «Fortune Teller Blues» monté sur le même beat. Cet album est très inspiré. Ils chantent aussi «Worried Blues» à deux voix, dans la meilleure tradition de downhome cabane blues. Ils terminent sur un fabuleux clin d’œil à Hank Williams avec «Honky Tonk Blues». Ils s’amusent bien au fond de leur shack de snake.
Dans les années 90, Teel l’espiègle monte Bewitched avec Bob Bert et Chris Ward. Leur premier album s’appelle Brain Eraser. Le son renvoie au Cranks, car Bob bat ça à la ferraille. Il fait de «Sky Skag» un instro hypno imparable. On assiste dans «Hold» à une extraordinaire flambée de violence. Voilà le real deal de l’underground new-yorkais, celui de Pussy Galore et des Chrome Cranks. La guitare de Jim Fu Teel règne encore sans partage dans «U-Turn». C’est un excellent album de son, plein d’allant et de retour. Suite de la foire à la saucisse avec «I Dunno What To Do». Ça pendouille de partout, ça chauffe et ça vomit de la disto dans tous les coins. Quand ils n’ont rien de particulier à dire, ils restent ambianciers, comme c’est le cas avec «Chuck’s Got A Big One». Ils se contentent de chauffer la gamelle pour que ça mijote à la new-yorkaise. S’ensuit un «Skunk Hole Town» bien travaillé à la cisaille. C’est l’esprit punk new-yorkais dans ce qu’il peut présenter de plus captivant.
Le deuxième album de Bewitched s’appelle Harshing My Mellow. C’est l’occasion pour Teel l’espiègle d’adresser un gros clin d’œil aux Stooges. «No1» est encore plus stoogé que le roi des Stooges. C’est un white trash de bidon so messed up, les énergies fondamentales sont là, avec tout le tempo animal dont on peut rêver et le better watch out de circonstance. Wow, ça mâche et ça broute bien la motte. Bob Bert boom ça bien. Tout aussi stoogé du ciboulot, voilà «Broken Forest». Il chante comme Igyy, awite ! William Weber traîne aussi dans le studio. Ils rendent hommage à Owsley avec «Orange Owsley» - Awss ley !, comme dirait Sonic Boom. Ça joue aux heavy nappes de psyché avec la petite voix de Dana dans le mix. Aw ! Yeah ! Right ! Now ! Ils savent de quoi ils parlent. On voit Peter Aaron chevaucher le dragon dans «Stereo Nag» et William Weber passe des accords en désaccord dans «Beaver Town». Il fait son barrage contre le Pacifique, tout est barré dans le barrage de son. On sort ravi de cet album et surtout ravi d’avoir pu croiser le chemin d’un mec comme Teel l’espiègle.
En 1998, il monte Little Porkshop avec ses amis Stumblin’ Jack Martin, Lisa Jayne et Lazy Susan. Ils enregistrent l’excellent Welcome To Little Porkshop sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry. L’ambiance est plus country que sur les albums précédents, et avec «Be Mine All Mine», Lazy Susan drive le drive, avec ce diable de Jack Martin en franc tireur dans l’angle du son. C’est excellent. «Tangled Mind» vaut pour un fabuleux shook de shake. Ils jouent tout à l’écho country. C’est bardé de son, et du meilleur : celui des connaisseurs. Ils hérissent «Liquor Store baby» à la petite niaque d’acous électrifiées et c’est du meilleur effet. Ils ouvrent leur bal de B avec un «Big Mouth Blues» tapé au choo choo d’arrière campagne et ils s’engagent résolument dans le country style avec «Bogeda Flower». Ils portent des chapeaux et des chemises brodées. Teel l’espiègle sait jouer le heavy blues de cabane et «Cryin’ Blues» ne fait que le confirmer.
Signé : Cazengler, Jerry Tuile
Honeymoon Killers. The Honeymoon Killers From Mars. Fur Records 1984
Honeymoon Killers. Love American Style. Fur Records 1985
Honeymoon Killers. Let It Breed. Fur Records 1986
Honeymoon Killers. Turn On Me. Buy Our Records 1987
Honeymoon Killers. Take It Off. Buy Our Records 1988
Honeymoon Killers. Til Death Do Us Part. King Size Records 1990
Honeymoon Killers. Hung Far Low. Fist Puppet 1991
Chrome Cranks. Dead Cool. Crypt Records 1994
Chrome Cranks. The Chrome Cranks. PCP Entertainment 1994
Chrome Cranks. Love In Exile. PCP Entertainment 1996
Chrome Cranks. Ain’t No Lies In Blood. Bang Records 2012
Chrome Cranks. Dirty Airplay. Bang Records 2014
Chrome Cranks. Oily Cranks. Atavistic 1997
Chrome Cranks. Diabolical Boogie. Atavistic 2007
Chrome Cranks. The Murder Of Time. Bang Records 2009
Knoxville Girls. Knoxville Girls. In The Red Recordings 1999
Knoxville Girls. In The Woodshed. In The Red Recordings 2000
Knoxville Girls. In A Paper Suit. In The Red Recordings 2001
Jerry Teel And The Big City Stompers. Bang Records 2008
Chicken Snake. Lucky Hand. Beast Records 2010
Chicken Snake. Trouble On My Doorstep. Beast Records 2012
Chicken Snake. Unholly Rollers. Beast Records 2014
Chicken Snake. Tombstone N Bones. Beast Records 2016
Chicken Snake. You Must Be The Devil. Beast Records 2018
Bewitched. Brain Eraser. No. 6 Records 1990
Bewitched. Harshing My Mellow. No. 6 Records 1990
Little Porkshop. Welcome To Little Porkshop. Sympathy For The Record Industry 1998
THE JINETS
ROCK'N'ROLL LADIES
( demos )
Une promesse. De filles. Donc il faut se méfier. Des traîtresses alors que nous les boys nous sommes irréprochables. Elles ont déjà un FB et une chaîne You Tube, avec deux malheureuses démos mises en ligne depuis le huit octobre, et depuis silence radio. Elles ont dû recevoir des monceaux de lettres recommandées alors nos princesses ont annoncé leur première apparition publique au Rockin' Breizh Club à Pencran le 29 février 2020 avec les Strike et les Flight Deville, d'un côté on n'est pas content parce que la Bretagne c'est loin, mais de l'autre on est heureux parce que l'on aura de belles photos de Sergio Kazh dans Rockabilly Generation News, autant de pris sur l'ennemi.
C'est que les Jinets ce n'est pas n'importe qui, jugez par vous-mêmes du casting, par ordre alphabétique Ady Errd : vocal et guitare chez Ady and the Hot Pickers, Emilie Crédaro guitariste chez The Black Prints, et Vaness Jallies : caisse claire et vocal chez les Jallies, trois groupes que nous avons accueillis chez Kr't'nt ! une réunion au sommet de la féminité rock'n'roll de par chez nous. Elles surfent un peu sur la facilité, les trois plus belles, les trois plus intelligentes et les trois plus douées. Du cousu d'or fin, vingt-quatre carats. Métaphore un peu exagérée parce que je ne crois pas qu'elles soient les plus riches de la contrée.
Donc deux démos. Elles n'abusent pas, uniquement le logo comme image, ne vous font pas le coup du charme champagne assuré. Jugez-en uniquement par vos oreilles.
SLIPPIN'AND SLIDIN'
S'encombrent pas dans les décombres et les catacombes de la facilité. Little Richard, juste pour commencer. C'est comme si vous débutiez l'alpinisme par la face nord de l'Anapurna. On s'excuse on n'a pas trouvé plus difficile. J'y discerne une volonté matoise de faire la nique aux garçons, nous on n'a pas peur de rencontrer le Yéti, avec nous les abominables homme des neiges fondantes peuvent aller se rhabiller.
Rien de plus facile que les standards du rock si vous tenez à surnager sans effort, de véritables radeaux insubmersibles, l'assurance tout risque d'arriver à bon port même si le vent de l'inventivité ne souffle pas dans vos voiles. Maintenant si vous tenez à joindre les deux bouts inconciliables du respect et de l'originalité, vous vous apercevez que le serpent ne se mord pas la queue aussi facilement que cela. Un mot pour qualifier cette relecture de la pépite richardienne par les Jinets, la légèreté, jouent aux fines mouches qui vous donnent l'impression de ne pas vouloir se poser sur la tartine beurrée. Mais au final vous relevez de véritables empreintes dinosauriennes sur votre biscotte. Et voilà qu'elles viennent essuyer leur pattes graisseuses sur vos oreilles. Et vous aimez ça. Au début Emilie et sa guitare y vont tout doux, rapide mais précise, et puis les deux copines ramènent leur fraises tagada, la voix sucrée de Vaness douce comme une timbale de vin chaud légèrement épicée, et Ady qui vous lâche en catimini des obus à blanc depuis sa contrebasse, vous n'y faites pas trop gaffe, mais elles accélèrent le mouvement, un peu comme ces petites gamines qui entourent de rubans multicolores les touristes tout joyeux sur les Champs Elysées, le gars se croit à Honolulu et il y a longtemps que son porte-feuille a disparu. Vous voici sur le Grand-huit et votre navette file à une vitesse de ratignoles poursuivies par le chat du rock'n'roll, ces filles vous ensorcellent, vous emportent dans une sarabande effrontée, vous essayez de les intercepter mais elles se refilent le bébé à tour de rôle comme des petites folles qui rigolent de votre fiole. Une merveille de précision, la big mama d'Ady castafiore, Vaness rauque'n'rolle sa voix, et Emilie suit les pointillés pour vous découper en tranches. Vous êtes emballés par cette petite merveille. Pesés et mis sous cellophane.
SEE SEE RIDER
Ady a toujours eu une petite préférence secrète pour le blues. C'est donc elle qui se colle au vocal pour ce classique de Ma Rainey. Elle a aussi laissé son up-right pour la basse. L'est sûr que l'interprétation de ce morceau par Eric Burdon et les Animals en a quelque peu assombri la tonalité et qu'il est difficile de l'ignorer. Malgré cela la guitare d'Emilie reste claire, mais plus pointue à la manière d'une lame de couteau qui se glisse dans votre chair. L'impulsion charnelle du vocal d'Ady s'empare du morceau à bras-le-corps, vous sentez le sang chaud et le cœur qui bat la chamade du désespoir. D'autant plus profondément que les copines en chœur rajoutent par la clarté moqueuse de leurs voix l'inéluctabilité de la perte irréparable. Vaness use de ses cymbales à la manière d'un gong funèbre définitif. Emilie vous passe le balai d'un dernier solo afin de renvoyer à la poubelle du néant les souvenirs et les débris des fiévreuses étreintes orgiaques passées. Un blues enlevé qui vous colle à la peau comme les ventouses d'une pieuvre qui vous vient sucer la colérique lymphe de vos regrets éternels.
Deux morceaux. Versant rock et versant blues. Pas plus ni moins. Assez pour définir un périmètre d'investigation et de création assez large. Ne reste plus qu'à les voir sur scène et à attendre un premier disque.
Damie Chad.
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Une grande interrogation métaphysique parcourt le mental de nos contemporains. Mais que font les rockers quand ils ne font pas un bruit de tous les diables avec leur musique infernale – les statistiques sont formelles, plus vous logez à proximité d'un individu appartenant à cette engeance maudite davantage vous serez exposés aux dépressions nerveuses irrémédiablement terminées par un suicide ( peut-être collectif et familial ) – oui à quoi occupent-ils donc leur temps lorsqu'ils ne s'adonnent pas à d'épileptiques pratiques sexuelles déviantes, quand ils ne s'amusent pas à ingurgiter des produits illégaux qui les rendent fous furieux...
Chez KR'TNT ! nous ne reculons devant rien pour satisfaire l'avidité de savoir insatiable des sous-humanoïdes qui se prétendent nos contemporains, comme s'ils vivaient dans la même ère culturelle que nous ! Bref, de temps en temps nous nous pencherons sur certaines figures du mouvement rock dont nous retraçons les multiples et périlleuses aventures depuis plusieurs années. Nous commencerons par un cas doublement intéressant. Nous ne traiterons pour cette première fois seulement une seule des activités parallèles ( et forcément coupables ) à laquelle se livre le dénommé Eric Calassou.
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ERIC CALASSOU / PHOTOGRAPHE
Je ne devrais pas vous le présenter. Vous l'avez déjà maintes fois croisé dans les colonnes de Kr'tnt, Eric Calassou n'est autre que le chanteur, compositeur et guitariste de Bill Crane. Un des groupes les plus curieux et les plus excitants de la scène parisienne. Difficile à cataloguer. Un rock pervers, obvié, de guingois. Tous les mythes du passé et tous les schèmes encore indéterminés du futur. Mais là n'est pas la question en cette chronique.
Eric Calassou est aussi un adepte de la photographie. Au regard tordu. Ne comptez pas sur lui pour les beaux paysages, les jolis minois d'enfants craquants, et les robes de mariée complaisamment exhibées dans les jardins municipaux devant les rosiers en fleurs. Pas de chats trognons, ni de chiens mignons non plus. Ignore totalement les splendides couleurs d'un coucher de soleil majestueux sur les flots océaniques. N'est pas non plus le sociologue de service qui tire les portraits des travers et des injustices de la société inhumaine dans laquelle nous essayons de survivre. Le mieux ce serait que vous alliez y voir par vos mêmes. Vous avez plus de sept cents clichés à visionner sur Flickr calassou eric.
Après un tel préambule, vous hésitez, vous avez raison. Eric Calassou ne photographie aucun des êtres vivants ou des objets inanimés de notre quotidien. Amis rockers, vous risquez d'être déçus, pas de Chambords chamarrées, pas d'Harley customisées à mort, pas de rockers célèbres ou inconnus. Tout cela, c'est trop voyant pour Calassou. Alors quoi ?
Il y a un parti pris chez Eric Calassou. Ne s'intéresse pas aux choses en elles-mêmes. Son truc à lui, c'est le mensonge de la chose, ce qu'elle n'est pas. Son reflet, son apparence, son insignifiance. Ceci n'est pas une pipe a dit Magritte. Ceci est une photo répond Calassou. Mais que représente-t-elle s'exclament les imbéciles qui voient la lune alors qu'on leur montre le doigt. Avec Calassou, c'est simple une photo ne représente qu'elle même. Et peut-être aussi le regard de celui qui l'a prise. Renoue un peu avec l'esthétique de ces peintres chinois qui refusaient de se saisir d'un calame ou d'un pinceau pour reproduire une chose. Partaient tranquillement en promenade, mais les sens en alerte, souvent rentraient chez eux les mains vides, mais parfois l'œil aux aguets avait repéré dans la disposition hasardeuse de teintes différentes sur la surface d'une pierre l'évocation profilée d'un paysage merveilleux qui n'existait nulle part... Une quête si proche de l'improbable.
Prenez une série comme Asphalt-surf. Evidemment aucun véhicule, aucune route. Juste de minuscules fragments qui font signes. L'entrecroisement de quelques couleurs d'où surgit une beauté qui n'est pas sans rappeler les tableaux de Nicolas de Staël, à tel point que l'on peut se dire que si l'ouvrier de la voirie n'a jamais eu l'occasion d'entrer dans un musée pour admirer les prodigieux aplats de Staël, Staël lui a obligatoirement vu les goudrons peinturlurés des rues qu'il traversait. Si ce n'est pas comme l'affirmait Baudelaire la nature qui imite l'artiste, ne serait-ce pas alors l'artiste qui reproduit les éclats éparpillés de la beauté que les hommes ont jetée de-ci de-là sans être conscient de la valeur de leur geste. A l'œil limpide de l'artiste prônée par Schopenhauer il est intéressant d'opposer le regard kaléidoscopique du peintre qui ré-assemble pour l'amplifier la réalité éparpillée.
Bien sûr dans cette série Calassou enserre dans le diaphragme de son appareil des formes géométriques connues et n'hésite pas à photographier le dessin schématique d'une voiture, mais qu'est-ce au juste, ces segments de droite coupés de leur environnement, ce dessin qui n'a plus aucune fonction utilitaire, voici des signes fragmentés qui ne signifient plus rien, qui n'agissent plus sur le monde, qui entrent en interaction avec le regard humain qui ne peut leur donner une quelconque signifiance, à tel point que parfois il nous manque les mots qui pourraient les exprimer. Vertige : ces photos montrent le monde mais ne permettent plus de le saisir, de le comprendre, de le plier à notre simple compréhension humaine. Que nous dit Calassou, que le monde, même celui que nous avons créé de nos mains existe en dehors de nous. Vit et meurt sans nous. Nous nous consolons de Calassou en disant que ses photos montrent d'infimes portions d'univers auxquelles nos bourdonnantes existences tumultueuses d'hommes du troisième millénaire ne prennent pas garde. Et hop, le petit couplet attendu sur le stress occasionnée par la modernité. Bla-bla-bla ! Ce que nous disent ces photos de Calassou c'est que nous n'existons que par intermittences, en nous-mêmes mais pas au-dehors de nous-mêmes, que le monde est vide de toute présence humaine, même si nous pensons que nous en sommes le pivot. L'homme n'est ni la volonté ni la représentation du monde.
Changeons d'album. Voici Scotch-tapes. A peine neuf photos. Amplement suffisantes s'exclameront les impatients. Des photographies de bandes de scotch. Je subodore que l'irritation de certains lecteurs risque d'arriver au bout du rouleau. Surtout que si vous zieutez bien, parfois le scotch a disparu et il ne reste que la trace du ruban adhésif sur le support. Surface serait-on tenté d'ajouter en clignant de l'œil vers un des mouvements de peinture contemporaines les plus connus. Ce qui nous semble une fausse piste. Le mouvement supports / surfaces c'est encore une sacralisation de la peinture réduite à sa seule objectivité de peinture. Le monde n'est-il pas que supports et surfaces sur lesquelles vivent et reposent objets et êtres animés ! La démarche calassienne nous paraît beaucoup plus radicale. D'abord elle ne rajoute rien, elle est acte de préhension, elle prend, mais elle ne prend qu'un reflet, de fait elle ne prend rien. Pour vous en convaincre visitez la série Headlights, des reflets de phare de voiture, non pas l'objet des phares en lui-même, juste le jeu de la lumière naturelle qui s'y mire dedans. Et qui ne s'y mire pas, car cela c'est encore une vue de l'esprit du photographe. De fait la photographie ne photographie pas l'espace matériel de l'objet, ce qui est appréhendé ce n'est pas la matière de l'objet mais un instant fugace de l'objet. Le photographe se livre à une étrange dichotomie, il prélève un fragment temporel de l'objet. Sépare l'ici solide du maintenant fugace. S'attaque à la structure même du monde. La photographie devient une explosion dés-atomique de la matière. Ne libère pas l'énergie, mais emprisonne la lumière.
Revenons à des choses plus simples. L'album Derrière la vitre. Le principe en est d'une simplicité absolue. Photographier des personnes derrière une vitre, plus ou moins épaisse, plus ou moins colorée, plus ou moins granuleuse, plus ou moins sale... Ô joie, l'on reconnaît les formes, hommes, femmes, vêtements, nous sommes enfin en pays connu dans un univers à taille humaine. Ne respirez pas. Regardez ces photos comme les troubles agissements d'un serial-killer, il ne s'agit pas de montrer des gens mais de s'ingénier à mettre en scène leur éloignement progressif, leur élimination physique, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des taches de couleurs. Juste une vibration de la lumière. Chez Nicolas de Staël c'est la couleur flamboyante qui mangent les footballeurs, chez Calassou, les couleurs visent à la transparence invisible de la lumière.
Tour de passe-passe. Maintenant le magicien Calassou s'amuse, il semble imiter Staël, la transparence du verre se colorise de plus en plus à chaque vue. Un seul problème : quelles belles teintures, comme c'est beau, oui certes mais où est passé l'être humain initial. Stéphane Mallarmé devisait quant à la disparition élocutoire du poëte, Calassou lui s'amuse à la dissolution chromatique de l'Homme.
Frissons sous la peau. Que reste-t-il de nous lorsque nous serons plus là. Un champ de ruines. La série Broken House a-t-elle été inspirée par la pochette du Led Zeppelin IV, nous n'en savons rien, en tout cas elle est moins optimiste que le message ésotérique du Dirigeable. Calassou joue. C'est une habitude humaine de peindre les murs. Alors il inonde d'aplats géométriques les parpaings dénudés. Juste nous dire que nous repeignons le monde à notre manière parce que comme l'a écrit Joe Bousquet, la lumière est une infranchissable pourriture.
Photographie / Peinture. La frontière se traverse facilement. Mais que peint Calassou. Il ne peint rien, il peint et photographie des peintures qui ressemblent à ses photographies. Des peintures éclatées, des peintures sur l'eau songez à l'épitaphe sur la tombe de Keats – ici repose un homme dont le nom fut écrit sur l'eau.
Vous aimez les idoles. Calassou vous a compris. Calassou a eu pitié de lui. Il vous livre sept auto-portraits. Pas le portrait de l'artiste en jeune chien. Non beaucoup plus grave. Sur huit photos Calassou ne s'est pas peint en Calassou. L'a adopté une posture qui le fait étrangement ressembler à Gérard de Nerval. Le poëte qui voyait le réel d'une manière beaucoup plus profonde que la plupart. Certains diront qu'il a une grosse tête sur la photo et d'autres plus perfidement ajouteront que pour oser cela il faut surtout avoir la grosse tête. Alors regardez la série Cartons. Des photographies de simples cartons. De morceaux de cartons. L'a appliqué à ses autoportraits la même technique que pour ses questions. Photographiez au plus près, photographiez macro pour tenter d'apercevoir l'infiniment minuscule. Il arrive un moment où le plus grand s'égalise au plus petit. Ce n'est pas que le microcosme humain corresponde au macrocosme humain – c'est cela avoir la grosse tête – c'est l'instant où tout l'univers s'équalise et s'équalyse en des milliards de parcelles pas plus importantes l'une que l'autre.
Mais allez y voir par vous-même. Calassou est certes un rocker. Mais à part entière il est aussi photographe. Qui a longuement réfléchi sur son art et sa relation avec le monde. Les photos d'Eric Calassou, ne sont pas un passe-temps futile, un violon d'Ingres pour employer une expression consacrée. L'on y ressent une démarche réflexive quasi-philosophique. Une interrogation sur la place de l'homme dans l'univers. Cette idée que l'acte photographique sert à donner du sens à notre insertion dans la réalité intangible qui nous échappe à tous moments.
Bizarrement le rock d'Eric Calassou et de Bill Crane est beaucoup plus visible que ses photographies. Mais si le rock tend à exprimer les dédales mythographiques d'un jeune homme d'aujourd'hui, ses photographies participent d'une démarche interrogative beaucoup plus métaphysique.
Damie Chad.
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Vous avez passé un mauvais été. Et le bulletin de ce premier trimestre ne vous incite pas à une festive allégresse. La chair de votre chair en est responsable. Il est inutile de continuer à taper sur la tête de votre coupable progéniture avec votre batte de base ball. Entre nous soit dit, c’est un peu de votre faute, vous avez dû lui communiquer quelques unes de vos tares congénitales - ne vous défaussez pas sur votre conjoint - assumez ! Comment une personne aussi intellectuellement déficiente que vous aurait-elle pu engendrer un génie supérieur de l’humanité ! Vous acquiescez, mais cela ne règle pas le problème de votre descendance et encore moins ce 1 sur 20 coefficient 8 qui lui a interdit en juin dernier d’accéder au Saint Graal, le fameux bac qu’évidemment il n’a pas décroché. Pas la peine de vous lamenter comme un crocodile du zoo de Vincennes privé de son marigot natal. Chez KR’TNT ! Nous possédons la solution, le remède miracle, en vente dans toutes les bonnes crèmeries idoines. Vous refile le titre et quelques notifications subsidiaires.
ROCK’N’PHILO
FRANCIS METIVIER
( Editions Bréal / Mai 2011 )
Quand j’ai été averti de l’imminence de la parution de ce bouquin, j’ai haussé les épaules, un clampin qui a trouvé un moyen racoleur pour se faire du fric juste avant les vacances, et je n’y ai plus pensé jusqu’à ce que je le trouvasse sur l’étal du bouquiniste. J’ai soulevé la couverture, cinq euros, cela ne creuserait guère mon découvert bancaire, mon banquier n’aura pas besoin de se suicider, lorsque je l’ai soupesé j’ai tiqué, du lourd, plus de quatre cents pages, pas une photo, seulement dans les marges les silhouettes d’une guitare, d’un jack, d’un fil de micro… Cela, ai-je doctement supputé, doit être rempli d’anecdotes croustillantes sur les tournées érotiquement tourmentées de nos idoles, sinon comment voudriez-vous retenir l’attention d’un adolescent d’aujourd’hui… Ayant conservé un esprit jeune je l’ai emporté à la maison.
L’a fallu déchanter. Le bouquin est un peu construit sur la recette du pâté d’alouette - un cheval pour une alouette, c’est le charcut qui vous plume - de la philo livrée en palettes de plusieurs tonnes, pour le rock un petit cageot de fruits pas toujours du premier choix. Francis Métivier n’a pas oublié son métier de prof de philosophie, l’a recopié in-extenso le cours qu’il refile à ses alumnos durant l’année scolaire. Soyons juste : il ne se moque pas d’eux, c’est du bien fait, du charpenté, du solide. A chaque séance il vous présente un auteur : n’hésite devant aucune citadelle, Platon, Aristote, Kierkegaard, Saint Augustin ( entre nous comment un esprit religieux peut-il être philosophe ! ), Heidegger, Wittgenstein et tous les autres. Vous explique leur démarche, le problème auquel les aîtres suprêmes de la réflexion se confrontent, la manière dont ils le résolvent, citations et commentaires à l’appui. L’a la cerise pour chacun des gâteaux qu’il présente : à l’étude de chaque notion il fait correspondre un philosophe et un titre d’un groupe ou d’un chanteur : je vous cite trois exemples : Descartes et Pixies, Leibniz et Rolling Stones, Schopenhauer et Téléphone. Un peu comme Plutarque rédigea les Vies Parallèles des Hommes Illustres en présentant par exemple un homme de guerre grec avec un général romain. Voudrais pas critiquer les stars du rock’roll, ne sont pas obligatoirement des ignares mais comparés aux délices d’un Tractacus Logicus ou d’une Critique de la Raison Pure, leurs lyrics, que nous adorons, paraissent tout de même un peu maigres. L’a son truc pour épaissir le potage Métivier, ne se contente pas de décrypter les paroles, y joint l’analyse instrumentale et ma foi dans l’ensemble il se débrouille plutôt bien. Chapeau l’artiste. M’a même bluffé avec son Thomas d’Aquin et Nico Love Teen des BB Brunes. Même si le sous-entendu nicotineux du titre pourrait être envisagé par un sourcilleux recteur pour une apologie éhontée de la consommation du tabac alors que dans les derniers précis de philo pour classeS terminales l'on a pris soin d'omettre de la célèbre photographie d'Albert Camus la cigarette allumée qu'il tenait entre ses doigts.
Si j’étais Inspecteur de l’Education Nationale je proposerais qu’on lui décerne les Palmes Académiques pour les six premières leçons qui traitent du Sujet. C’est que voyez-vous, quand on y réfléchit, au niveau philosophique le sujet-rock n’est pas vraiment différent du sujet-non-rock. Par contre dans la partie suivante, ça se gâte un peu. Reconnaissons-lui de prendre le taureau de la Culture par les cornes. N’y va pas de main morte, ne tergiverse même pas dans le chemin de traverse de la notion de contre-culture si chère aux hippies, l’est franco de port, pose la question qui fâche : l’ontologie du rock est-elle différente de l’essence de tout autre art majeur. Reste fair-play, l’avoue sa défaite. Il ne sait pas. Qu’il se rassure nous non plus.
Partie suivante, La Raison et le Langage, il se dévoile un peu plus, sa note administrative risque de s’infléchir, ne suit pas la ligne idéale de l’optimisme ministériel, la raison n’arrive pas à se faire entendre, nous vivons entre doute et mensonge. Voici un sujet professoral qui se la joue au sophiste. Si les profs dispensent des cours de rébellion métaphysique, tremblons pour nos têtes blondes. La perversion intellectuelle est un vilain défaut.
Semble se rattraper avec la dernière partie : La Morale. Lui a scrupuleusement pris soin durant tout le volume de traduire le mot fuck ( vocabulaire de base du rocker anglophone ) par ''b…'' la bénigne lettre qui ne mange pas ses trois points, semble nous dire que le bonheur est possible, presque à portée de main, souriez les enfants, si vous êtes sages la société vous récompensera, tombe subitement le masque en tressant des couronnes de laurier à Stirner le chantre de l’anarchisme individualiste et en élevant une statue d’or pur à Diogène le cynique provocateur, l’infâme prévaricateur des principes les plus sacrés. Bel exemple donné à notre saine jeunesse !
Jeunes gens qui passez votre bac l’an prochain, n’hésitez pas à vous procurer ce manuel. Vous y apprendrez beaucoup. Certes tout n’est pas parfait. Beaucoup trop de chanteurs français qui flirtent un max avec la variétoche mais d’un abord linguistique plus évident que les amerloques, n’ayez crainte le sabir anglophone est traduit, mais surtout au moment de composer votre copie, délaissez quelque peu les diatribes pistoliennes, endossez un peu de retenue socratique, c’est juste un conseil de haute prévention, mais si vous tenez à affirmez vos préférences destructrices, sachez que la philosophie est aussi l’enseignement de la liberté.
De toutes les manières les rockers n’en font qu’à leur tête, peut-être Francis Métivier s’est-il donné beaucoup de mal pour rien. Nietzsche nous a prévenus, l’on n’arrêtera pas la montée du nihilisme.
Damie Chad.
10:16 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tav falco, jerry teel, the jinets, éric calassou, rock'n'philo
24/05/2018
KR'TNT ! 375 : TAV FALCO / THE FLUG / BILL CRANE / SILLY WALK / KIERON McDONALD / HANK'S JALOPY DEMONS
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 375
A ROCKLIT PRODUCTION
24 / 05 / 2018
TAV FALCO THE FLUG / BILL CRANE / SILLY WALK KIERON McDONALD / HANK'S JALOPY DEMONS |
TEXTE + PHOTO SUR :
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Tav & ses octaves - Part Three
Vient de paraître un livre de photos consacré à Tav Falco : This Could Go On Forever. On The Road With Tav Falco & Panther Burns. Une certaine Gina Lee signe les images. L’ouvrage sort chez un éditeur autrichien. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne coûte que 38 euros. La mauvaise concerne le choix de papier. L’ouvrage est imprimé sur une sorte de mauvais papier offset, l’un de ces papiers instables tellement sensibles à l’humidité et qui n’ont pas la main d’un couché ou d’un bouffant. Dans un projet éditorial, le choix de papier est aussi crucial que la qualité d’impression et les choix typographiques. L’objet doit être aussi agréable à l’œil qu’au toucher. C’est en plus un papier très blanc, très acide, qui ne rend pas forcément service aux images. Et on ne parle même pas de la qualité des images. On ne peut pas parler véritablement d’un livre de photos, au sens où on l’entend généralement. L’ouvrage reste graphiquement muet. Les tailles d’images uniformes et les cadres privés de perspective renvoient plutôt à ces images qu’on fait sans réfléchir pour documenter une page facebook. On est plus proche de l’album de souvenirs de voyage que du livre d’art. Aujourd’hui, avec un smartphone et un éditeur sur le web, n’importe quel touriste peut financer l’édition d’un livre de photos. C’est dire si.
Ceci dit, on est toujours content de voir des photos de notre vampire préféré. Quoi ? Vous ne saviez pas que Tav Falco était un vampire ? Pourtant ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Bizarre que Jim Jarmush n’ait pas pensé à lui pour le rôle principal d’Only Lovers Left Alive. Et le fait que Tav Falco vive à Vienne ne fait que renforcer cette évidence. Tous les vampires reviennent un jour s’établir à Vienne, cette capitale d’empire qui fut voici plusieurs siècles le berceau du fantastique. Toutes les images proposées dans ce livre ne font qu’enfoncer le clou : cet homme échappe aux modes et au temps. Ça n’en finit plus d’alimenter son prestige et d’épaissir son mystère. Quoi, un vampire qui se pavane au soleil des Baléares ? Oui, il faut le voir pour le croire.
Une première image nous montre un Tav Falco en costume bleu clair, photographié dans le backstage d’une festival allemand. Il sourit. Il porte des lunettes noires et brandit sa guitare Höfner. Le voilà frais comme un gardon. Allez, on lui donne vingt-cinq ans maximum. Petit, léger. L’inaltérable modernité du vampire. Mais là où Tav Falco subjugue, c’est qu’il offre l’apparence d’un vampire heureux. Qui aurait cru ça possible ? Ça frise le contresens. Un peu plus loin, on le voit photographié à Lisbonne, près de la statue de Fernando Pessoa. Il porte un blazer brun clair et semble perdu dans ses pensées. Le velouté de son teint d’adolescent a de quoi édifier les édifices. Plus loin, une image le surprend de dos remontant une rue de Palma de Majorque. Il s’éloigne. On entend ses pas se perdre dans l’écho du temps. Rien n’est plus symbolique - au plan fantastique - que ce type d’image. Toujours à Palma, il pose en haut d’un escalier, coiffé d’une casquette de parieur hippique, sans doute un cadeau de Jean Gabin dans les années trente. Tav Falco semble redoubler de prestance. Personne d’autre que lui n’oserait porter ce pantalon moulant à grosses rayures bleues et blanches : les couleurs d’un pyjama !
Au fond, ce livre fonctionne comme l’antithèse de la fatalité. Les pages des magazines de rock anglais n’en finissent plus de nous montrer des Stones et des Who vieillissants, comme s’il fallait s’habituer à l’idée d’un rock entré dans son déclin. Tav Falco inverse carrément la tendance. Vieillir ? Laissez-le rire ! Page 19, une image nous le montre souriant, comme si Antonioni le filmait à Rimini en 1952 : sourire à la Delon et lumière chaude. Par contre, les photos de scène sont souvent aléatoires. Rien n’est plus difficile que de réussir un vrai shoot de scène. Et voilà notre héros parfaitement à son aise au Cabaret Voltaire de Zurich, oui, dans le berceau du dadaïsme. Il porte son imper blanc et pose devant le portrait d’Hugo Ball, photographié en pied dans son accoutrement satrapique d’as de pic cintré. Toujours en imper blanc et en casquette de titi parisien, voici Tav Falco photographié à l’angle de la rue de la Lune, une image qui illustre parfaitement l’excellent «Ballad Of The Rue De La Lune» qui ouvre le bal des vampires de Conjurations - Séance For Deranged Lovers, paru en 2010.
Et puis voilà ces fabuleuses images du Penalty : on y voit Tav Falco en gilet brodé se coiffer à deux mains dans l’éclat éblouissant d’une lumière de printemps. Pur rockabilly shoot ! Le fantastiques images en noir et blanc parues jadis dans R&F proviennent de cette séance. Elles sont de François Grivelet qu’on voit d’ailleurs ici de dos, assis face à Tav Falco. L’air de rien, ce livre grouille d’informations underground. Il n’est pas surprenant de retrouver notre héros attablé à la Nouvelle Orleans, qui est, comme chacun le sait, le berceau du vampirisme sur le nouveau continent. Et en vis-à-vis, Tav Falco se livre à l’un de ses jeux de scène favoris : il se roule par terre avec sa guitare. Avec Carl, son fils Barny et Chris Bird des Wise Guyz, ils sont les derniers à perpétuer le wild rockab roullé-boullé des frères Burnette. Et le voilà au sol, tombé du ciel comme l’ange déchu, photographié d’en haut, mais s’il chute, c’est en chaussures deux tons. Une autre image permet de voir qu’il porte des chaussettes décorées de têtes de mort. Dommage qu’on ne puisse voir un gros plan des boutons de manchette streamline train dont il faisait jadis l’apologie. Il pose aussi devant la vitrine d’un chapelier milanais. La boutique s’appelle Borsalino et bien sûr, Tav Falco ne déroge pas aux lois séculaires du dandysme. D’ailleurs, cet ouvrage pourrait bien être le pendant moderne de l’essai jadis publié par Barbey d’Aurevilly, Du dandysme Et De George Brummel, dans lequel Barbey explique avec brio l’art de se distinguer sans le montrer. Tout repose sur une maîtrise parfaite de la discrétion et de la mesure. Un art que Tav Falco maîtrise puisqu’il s’efface le plus souvent des pages pour laisser vivre ses compagnons de voyage. L’anti m’as-tu-vu par excellence. Et la plus belle image du livre n’est-elle pas celle d’un vampire qui se baigne en Italie, coiffé de son petit chapeau napolitain ? Cet homme n’en finira donc jamais de piquer la curiosité et d’exciter les muqueuses.
Il existe un autre livre de photos, paru voici deux ans chez le même éditeur : An Iconography Of Chance. 99 Photographs Of The Evanescent South. Les photos noir et blanc que propose l’ouvrage sont cette fois signées Tav Falco. À l’instar de son maître Bill Eggleston, Tav Falco y défend une théorie de l’image : the veracity of the unmolested photographic image is undeniable. Il parle ici de l’image virginale et de sa magistrale véracité. Comme Eggleston, il se dit influencé par Henri Cartier-Bresson, l’un des esprits les plus libres du XXe siècle. Nos amis américains auraient aussi pu citer d’autres grands chasseurs d’images comme Robert Doisneau, richement imprégné de la réalité urbaine des faubourgs, ou encore Brassaï, l’âme errante des nuits de Paris.
Tav Falco revient sur Bill Eggleston pour préciser qu’il ne voit pas les mêmes choses que lui. Eggleston fait des images «concrètes», très directes. Celles de Tav Falco relèvent d’un regard nettement plus poétique, voire fantastique - il suffit de voir la couverture de son livre et ce couple hallucinant dansant le rock au bal des fantômes de la rue Morgue, une sorte d’hommage photographique à Edgar Poe. Alors qu’Eggleston - avec lequel Tav a appris le métier de photographe - claque son flash dans un plafond laqué rouge (l’image orne la pochette de Radio City, second album de Big Star). Eggleston semble vouloir mettre la réalité à nu. Ses images nous la livrent toute crue, sans fard.
Les images de Tav Falco dégagent un charme d’autant plus capiteux qu’il les commente. Ce prodigieux écrivain cultive aussi l’art des formules épiques. Sa prose les charrie comme un fleuve amérindien charrie les sables alluvionnaires : à la tonne. Bel exemple avec la première photo, celle de la Saint Francis River, à l’Est de l’Arkansas. Tav suggère que dans l’ombre des bois qui bordent le fleuve, les esprits courroucés des Indiens marchent encore silencieusement en file, chaussés de mocassins. Voilà ce que voit Tav Falco dans cette image d’apparence si banale.
Les livres de photographes sont parfois très denses, et cette densité génère une sorte de tension intellectuelle. Lorsqu’on feuillette La Main de l’Homme de Salgado, on est immédiatement tétanisé par la violence graphique des images. Encore plus fascinant et plus difficile à feuilleter : le recueil de portraits de Richard Avedon, grand spécialiste du grain de peau et des yeux qui parlent. Même Cartier-Bresson semble trop graphique, bon nombre de ses images relèvent d’une forme de génie du cadre, beaucoup plus que du fameux «moment décisif» auquel Tav Falco fait référence. La photographe dont Tav Falco se rapproche le plus est certainement Diane Arbus.
Les premières images de ce livre sont des détails de paysages, sans personnages. On s’y sent tout de suite bien, comme chez Diane Arbus qui toute sa vie a photographié les gens ordinaires. La troisième image est celle d’un wagon abandonné en pleine cambrousse - These rail cars are long forsaken and consigned to perpetual oxidation - Sur le wagon, on peut lire Rock Island et bien sûr on pense à Leadbelly et à «Rock Island Line». Une autre image nous montre une sorte de taverne misérable dont les deux fenêtres sont protégées par les barreaux. Idéal pour l’imagination galopante de Tav Falco - The bistro is open from dusk to dawn and what goes on behind its barred windows defies the most feral imagination in the every act known to man is possible here - L’auteur nous indique que derrières les barreaux de ces fenêtres, tout ce qui relève de l’imagination la plus fertile est possible. Pour lui, les trains ne laissent derrière eux «que de la poussière, du chagrin et de la suie», alors que les entrepôts ont vu défiler «de sombres cargaisons et de ténébreuses émotions». Au fil des images, Tav Falco parvient à européaniser le néant de l’Amérique profonde. C’est un exploit poétique assez prodigieux qui mérite d’être souligné.
Les petites cabanes du Deep South qu’il photographie renvoient évidemment à Walker Evans. Mais Tav Falco est moins cru, son regard est beaucoup moins ethnologique. Il préfère choper deux gosses qui partent à la pêche à Okatoma Creek pour ramener à la maison a mess of fresh perch for mama to fry in a blackened iron skillet. Tout ça sur un air chantant de Charles Trenet.
Le premier portrait arrive assez tard dans la pagination. Il s’agit bien sûr d’un «perennial rockabilly Ho-daddy» sortant de l’agence locale de la compagnie de téléphone. Tav Falco sait qu’on croisera ce mec plus tard dans la soirée «au Bad Bob’s Vapors Club». Il photographie aussi une statue du soldat inconnu en Arkansas, et profite de l’occasion pour ironiser sur le compte de la cause perdue - The War of Rebellion and the valiant troops who fought to the death for the lost cause may never it seems be dismissed from memory - C’est vrai que l’idée de la cause perdue présente quelque chose de chevaleresque, comme avait essayé de le montrer D.W. Griffith dans The Birth Of A Nation. Et puis soudain, on tombe sur une image montrant Rural Burnside jouant dans un club. Des blacks dansent devant lui. Tav Falco note que la vie de travailleur des champs ne laisse pas beaucoup de temps pour repasser son pantalon.
On tombe un peu plus loin sur un autre portrait, stupéfiant, celui d’un vieux docker noir sur son trente-et-un, le regard noyé dans l’ombre d’une immense casquette de gavroche. Tav Falco profite du portrait d’un camarade d’université, David Grünewald, pour évoquer ses souvenirs de jeunesse à l’University of Arkansas, «rebutting the dialectics of Heidegger, Barthes, Derida and the dérive de Guy Debord.» Il n’est pas surprenant de retrouver le nom de Guy Debord sous la plume de Tav Falco. Ces deux-là ont su chacun à leur manière incarner l’idée pure de l’avant-garde, doublée d’un mépris psychorigide pour les concessions. Tav Falco livre aussi un beau portrait de sa mère, Rita, dont les parents arrivèrent d’Italie du Sud. Il ajoute que la voix de sa mère était si claire qu’elle fut engagée comme speakerine dans une radio d’Arkansas. Portrait spectaculaire du fils de Sleepy John Estes lors de l’enterrement de son père. Allez, tiens, encore un autre portrait spectaculaire, celui de Van Zula Hunt, l’une des chanteuses noires qui, comme Jessie Mae Hemphill, fascinait tant Tav Falco.
On tombe un peu plus loin sur Jerry Lee et sur Sun Ra, photographiés sur scène. Fantastiques évocations de ces méga-stars dont on s’est tous nourris. La photo la plus connue de Tav Falco est sans aucun doute celle de Charlie Feathers occupé à démarrer une Harley - a 1934 Harly-Davidson VLD just like the one he once rode on loan from his older brother - C’est un hommage fantastique à celui qui fut, avec Jim Dickinson, son mentor - The immortal Charlie Feathers was one of the handfuls of innovators who created the inchoate genre of rockabilly in American vernacular music - Deux pages plus loin, on tombe sur un Dickinson assoupi au Huey’s Bar, à côté de Stanley Booth - acrimonious and sulphurous author of Rythm Oil and other tales, who deigned to suck the cock of arrogance - Joli shoots de Phineas Newborn, pianiste de jazz qui accompagna Charlie Mingus, puis page suivante de Furry Lewis, le bluesman de Memphis qui fut aussi le mentor de Sid Selvidge (et de Don Nix). Tav Falco raconte que Furry balaya les rues de Memphis toute sa vie, ce qui lui permit de chanter le blues en descendant une bouteille de whisky par jour. On trouve aussi deux photos des Cramps, la première shootée au Arcade Café across from Memphis Central Train Station - Tav Falco profite de l’occasion pour rappeler que les Cramps incarnèrent le rockabilly post-moderne et le Théâtre de la Cruauté selon Artaud - As envisioned by Antonin Artaud, the French dramaturgist, The Cramps were the apotheosis of a post-modern rockabilly band that embodied the Theather of Cruelty -
Les deux dernières images du livre comptent parmi les plus spectaculaires, tant au plan graphique qu’au plan évocatif. Portrait de James Caar devant le pont qui franchit le Mississippi - while the onus of the delta sun reigns like an inexorable demon - une lumière grise enveloppe le grand James Carr plongé dans ses pensées - Some mysteries the restless light of day can nerver reveal - Eh oui, la lumière du jour ne livre pas tous ses secrets. Et la dernière image est celle d’un crépuscule «over Majik Market», image qui servit à illustrer la couverture de son livre, Ghosts Behind The Sun: Splendor, Enigma & Death - Mondo Memphis. Tav Falco conclut : Potato chips and magic potions are no comfort and no protection against the tornado brewing in the distance. Eh, oui, qui va nous protéger de l’ouragan qui se prépare ?
On sort de ce livre épuisé, comme au sortir d’une partouze, au petit matin. Tav Falco est un homme dangereux : à le fréquenter, on risque en permanence l’overdose de sèves salvatrices.
Signé : Cazengler, Falconard
Tav Falco. An Iconography Of Chance. 99 Photographs Of The Evanescent South. Elsinore Press 2015
Gina Lee. This Could Go No Forever. On The Road With Tav Falco & Panther Burns. Elsinore Press 2017
17 - 05 - 2018 / MONTREUIL
LA COMEDIA
BILL CRANE / THE FLUG / SILLY WALK
On ne change pas une formule qui gagne, toutefois pour désorienter quelque peu le lecteur, cette fois au contraire de la semaine dernière, nous serons, dans le seul but de tenir les kr'tnter readers en haleine et de brouiller les pistes, le premier soir à la Comedia et le second au 3B.
Alerte noire dès l'entrée dans la Comedia. Panne d'électricité, Rachid et deux aides debout sur le comptoir essaient de démêler des fils savamment embrouillés. Pas de déception, les Dieux du rock sont avec nous, la scène est restée miraculeusement alimentée, encore une fois notre planète échappe à une irrémissible catastrophe... Ampoule cerisée sur le gâteau, la salle bénéficiera aussi au bout d'une heure de tripatouillages éclairés d'une lumière décente. Tout est bien dans le meilleur des mondes.
Quoique.
UNE BALANCE MOUVEMENTEE
D'habitude la mise en place des groupes n'attire l'attention que de deux ou trois obsédés des effets soniques. Mais cette fois, joyeuse cohue devant l'estrade. Je peux vous la faire à la Larmartine, Un seul objet vous manque et le rock est dépeuplé. Grosse absence remarquée : pas de batterie sur le plateau. Mais ce n'est pas le pire, l'émoi est provoqué par un ustensile de la taille d'un cahier d'écolier pas plus épais que le cerveau rabougris d'un énarque ( 2, 5 cm ). Rien de plus qu'un artefact rythmique. Pas de quoi fouetter un dinosaure, et pourtant des mains multiples se tendent pour s'en emparer, des doigts facétieux appuient à tout hasard sur les touches, on la débranche, on la rebranche, une dizaine de lascars à crêtes multicolores particulièrement en verve s'agitent autour du boîtier magique. Croire qu'il s'agit de geeks obsédés d'électronique serait une funeste erreur. De fait ils n'en ont rien à faire de cette malheureuse boîte à bruit. Elle n'est qu'un prétexte. Un psychologue vous apprendrait en son jargon qu'elle tient lieu d'objet transactionnel. En d'autres termes qu'elle permet d'entrer en communication.
Car rien ne sert de courir après l'effet, mieux vaut identifier la cause, disait Aristote. L'avait raison. Délaissons cette beat-box aguicheuse, et intéressons-nous à ses abords immédiats. A thing of beauty is a joy for ever nous a susurré John Keats en un de ses immortels poèmes, les faits lui donnent doublement raison, car elles sont deux. Deux filles. Deux aimants, vous attirent les guys comme la paratonnerre la foudre. Sourires enjôleurs et réparties fuselées, des girls style riot grande, peur de rien et qui rient de tout. Chouettes divas athéniennes que rien n'effraie. Se jouent des boys, impertinentes et provocatrices, des calamités sur pattes, mais les voir c'est déjà les absoudre. De multiples défauts, mais une grande qualité : font partie de The Flug.
THE FLUG
Un garçon relégué dans le coin au fond. Quantité négligeable. Fait tout le bruit qu'il faut sur sa guitare, vous la fait vrombir comme une attaque de spitfires en piqué, dégomme dur et décalque sec. Oui mais un gars qui s'exhibe avec trois filles sur scène pour lui tout seul n'est-il pas qu'un sombre égoïste ? Remarquez la vie ne doit pas être drôle tous les jours pour lui. La plus grande est à la basse. De visu elle semble être de bonne famille, bien élevée et toute gentille. On lui a sûrement appris à ne pas ouvrir la bouche pour n'importe quoi. Mais ses lèvres dessinent un sourire fin et ironique qui en dit long. De toutes les manières se trahit toute seule, vous émet une onde de choc prolongée, une espèce d'attaque noisy burn out qui vous déblaie le chemin au lance-flammes. A tous les deux nos musicopathes vous tissent ce que dans les ouvrages de science-fiction l'on nomme le rayon de la mort. Inutile de courir. Vous ne ne lui échapperez pas.
Surgissent de chaque côté du fétiche syncopal, micro en main. La Blonde et la Brune. Donnent de la voix l'une après l'autre. Possèdent un timbre identique, fermez les yeux – ce serait fort dommageable - et vous ne saurez pas discerner celle qui entonne le chant de guerre. Elles éructent à la sauvage, elles ne s'embarrassent pas de lyrics raffinés, flug par ci, flug par là, flug au monde entier, flug à l'univers, flug you and flug me, flug à tout ce qui est, et flug à tout ce qui n'est pas, la hargne et la haine, à toutes deux elles sont la hyène et le chacal, le chien courant et la meute, ne respirent plus, ne sont que déversoir de rage, souffle d'huile sur le feu, chant tintamarre qui dégoise et ratiboise, métal hurlant. Et les pals deviennent fous quand elles descendent de l'estrade et se mêlent à eux, ils ondulent, s'entrechoquent et grouillent autour d'elles comme les serpents autour de la tête de la Gorgone, hypnotisés par ces deux prêtresses en combinaison de travail qui prêchent le vacarme, le marasme, et l'anéantissement de la raison humaine. Extremist hurlent-elles et la musique semble s'écrouler sur elle-même, elles sont les sœurs jumelles de la déraison et de la colère, la vouivre à deux têtes gonflées de poison et de venin, elles sont passion et destruction, elles sont l'incendie et la cendre, le tapis de bombes et la fulgurance de l'explosion.
C'est fini. Elles redeviennent des filles comme les autres. Pas tout à fait. A voir le cortège des boys qui ne cesseront de papillonner autour d'elles, comme les phalènes autour du bout incandescent de la mèche du bâton de dynamite. Flug le désir !
BILL CRANE
Une entité. Sortie du crâne d'Eric Calassou. Avec cette particularité que de temps en temps, le créateur se confond avec sa créature. L'on ne sait pas laquelle de ces deux composantes s'incarne en l'autre mais ce dont on est certain c'est qu'à chaque avatar nous sommes au plus près du rock. Trois sur scène ce soir. Ne resteront pas longtemps car il se fait tard. Dommage, mais nous aurons eu l'essentiel. Huit titres issus de leur dernier CD.
D'abord la guitare d'Eric. Avant de l'entendre, il faut la voir. Donne l'impression de la désolation. Le pan de mur d'une maison abandonnée. Le plâtre et des inscriptions effacées par le temps. Comme une remontée à l'ère des origines. Lorsque le rock'n'roll n'était qu'une fissure dans le vertige du monde. La lézarde fongicide et irrémédiable qui en précipiterait la ruine. Eric joue comme s'il était en survie. Funambule sur ses cordes. Trapéziste qui se fraye un chemin dans le dédale emmêlé des agrès d'un cirque dont le chapiteau aurait été emporté par une tempête dévastatrice. Un jeu de brisures, de glissements, de reprises, de reptations, de rétablissements, au-dessus de l'abîme, au-dessus de la cime, mais en progression. Une avancée chaotique, le chat sur le toit fulminant, le danger est partout, en instabilité permanente. Move It pour ouvrir le set. Bouge ça et surtout bouge-toi car la mort te grignote les talons, le rock est un exercice de survie, un riff, un simple riff n'est qu'une pente verglacée, une balade à trous multiples, faut savoir s'y jeter dedans et avoir l'instinct de remonter l'entonnoir engloutisseur. Le riff est une aventure métariffique. L'on joue du rock pour brûler sa vie. Roulette russe le pistolet au bout du cran.
Gwen le seconde magnifiquement. L'a compris qu'il n'est pas là pour pêcher à la ligne de basse. Pousse des brandons sous la marmite infernale. L'est présent pour en accélérer la chauffe, la faire exploser au moment idoine, telle une pivoine rouge dans un poème japonais. Sa basse cliquette vicieusement comme le clic de sûreté qui empêche la crémaillère du train de céder à la pesanteur vertigineuse de la renonciation à surmonter les sommets aux glaciers transparents. L'est des fausses routes qui peuvent se transformer en déroute, lorsque Eric semble s'être aventuré sur un carrefour sans issue, Gwen déneige au chalumeau, il ouvre une voie qui permet de franchir l'obstacle.
Ce soir Bobo a décidé de manier le bulldozer. L'écrase les toms avec une joie sans égale. Le jazzman mange son pain blanc, alors les rockers vous voulez du rock, et il vous abat les quintes flush comme s'il en avait une armée en réserve dans ses bras de chemise. Pas de pitié, pas de quartier, pas de prisonnier, en avant toute, balayez les doutes et foncez droit devant. Comme l'on dit vulgairement pousse au cul, et les deux zèbres ne renâclent point à la tâche, galopent et dropent à toute vitesse. Un set à train d'enfer qui suscitera de forts applaudissements approbateurs chez les connaisseurs, notamment sur ce Travellin' Man qui fonce et vous défonce les cartilages du cerveau.
Le set se termine bien trop vite, mais Bill Crane a trépané tous les amateurs. Zombies qui n'attendent plus que le retour du maître.
SILLY WALK
Dans la teuf-teuf qui me conduisait à la Comédia je m'interrogeais sur le sens caché du nom de ce groupe dont j'ignorais tout. Cette marche stupide évoquait-elle les Monty Python ou the duckwalk, la fameuse marche du canard de Chuck Berry ? Je n'en savais rien, et n'en sais pas plus aujourd'hui, mais lorsqu'ils m'ont confirmé qu'ils venaient de Toulouse – ô lou pais de ma folle jeunesse – je me disais qu'ils ne pouvaient pas être totalement mauvais, non seulement mon intuition était bonne mais ils furent sacrément meilleurs. Et pourtant, ils inauguraient une ère nouvelle puisque leur chanteuse venait de les quitter. Souvent femme varie, Bien fol est qui s'y fie !
Silly Walk a le rock sauvage. Ils n'y peuvent rien, ce n'est pas de leur faute, c'est naturel chez eux. Ne sont sont pas du genre à faire beaucoup de bruit pour rien. Déménagent. Vous emportent les meubles, les portes et les fenêtres. N'oublient même pas les murs. Vous cassent la baraque. Dès le premier morceau. Power rock trio.
Marco martèle. Contrairement à ce qu'ils prétendent les Silly Walk ne procèdent pas d'une démarche idiote. Z'ont assez écouté les poupées de N. Y. et les Coeurs Brisés pour avoir compris que dans le rock la batterie est comme le crachat de Dieu. Elle ne se pose ni devant, ni derrière. Encore moins à côté. Elle se doit d'être partout à la fois et en même temps. Attention, pas un mur de briques qui arrête toute velléité subsidiaire. Non, tornade de feu en constant déplacement. Des pâles d'hélicoptères folles, si vous possédez un guitariste et un bassiste capables de s'enfourner dans la fournaise du rotor fou, vous êtes sauvé. Comme par hasard Silly Walk détient en son cheptel ces brebis rares. Des ovins carnivores, aussi agiles que des tigres affamés. Raoul est à la guitare au chant. A l'étincelle et à la plaine incendiée en même temps. Pas le temps de s'ennuyer avec lui, vous file l'impression qu'il a engagé un duel au riff avec lui-même. Là où un autre vous en refilerait un, lui il vous en entortille deux l'un dans l'autre, un bruit d'enfer, le genre choc de titans en colère ou combat de rhinocéros en furie. Alex à la basse n'est pas le gars contrariant, question grabuge il sait poser son grain de sel. L'a la basse sourde et crépitante. Les deux à la fois. Pourquoi rechercher le silence quand l'on a trouvé le secret de la tonitruance. Un véritable pousse-au-crime. Ne s'embête pas avec les remords. Vite fait, bien fait. Lui faut une autre victime. Immédiatement.
Silly Walk c'est franc et direct. Pourriez aussi bien dire vicieux et traître. Tous les coups sont permis. Le rock est un sport de combat, full contact. A consommer sans modération. Même quand Raoul chante que My Baby is gone with my Telephone, il se range franco plutôt du côté des dents du crocodile que de ses larmes. Silly Walk est partisan du rock qui mord. Heureusement qu'ils nous ont indiqué que Parachutiste était de Leforestier, parce que personne ne l'aurait reconnu. Radio Béton et Titanic Reaction, les titres parlent d'eux-même. Apothéosent sur un Runaway et un Fingers up apocalyptiques.
Groupe idéal pour finir un concert. ( Pour le commencer aussi d'ailleurs ). Vous bousculent les tympans de manière fort agréable. Débranchent les appareils sous la clameur du public rassasié.
Damie Chad.
MOVE IT
BILL CRANE
Bill : guitare, chant / Pat : sax baryton / Gwen : basse / Bobo : batterie.
MyZikind / Sound cloud / Bill Crane Official
Move it : le rock'n'roll à l'état pur, un sax qui dérape sans fin, une rythmique qui bat de l'aile et des guitares qui couinent comme si l'on était en train de les égorger, la voix qui force le destin, tous les ingrédients de la vie déjantée réunis. She's my baby : tintamarre de poubelles dans le petit matin, l'on se console comme on peut, la vie est une maladie, ce que l'on préfère ce sont les poussées de fièvre. Lonely : à tout instant le sax sera méchant, la plainte sempiternellement colérique des abandonnés fiers de l'être, car il vaut mieux être seul que mal accompagné, la musique appuie là où ça fait mal. Normal, sans quoi ce ne serait pas du rock'n'roll. Lovely face : bruits inquiétants, la voix titube, la guitare grince, la batterie se réfugie dans le triangle des Bermudes, le chant comme une incantation à la lune noire. Ne jamais regarder le soleil en face. Ce qui est visqueux est vital. Le sax en robinet d'eau sale qui fuit. Sans fin. SM dream : une rythmique revigorante, un vrai coup de fouet. Une ambiance maladive à la Lou Reed, la voix qui mord et ordonne en maître, satin de guitare froissée. Surf rider : une cloche qui sonne pour endormir les mort-vivants, des riffs maladifs, une basse répulsive, une batterie qui cogne sans espoir à la porte noire qui ne s'ouvrira pas. Instrumental de cristal carboné. Brisé et incassable. Une matière inconnue. I love her : impulsion de guitare et la voix qui éclate, de la réverbe tous azimuts, la basse dégringole des escaliers, à croire que tout se perd en ce bas-monde, les temps de l'imploration sont arrivés. On s'arrête doucement sans faire de bruit. Loverman : insistances, le vocal décisif, et la musique mortuaire qui n'en finit pas d'enterrer vos dernières illusions. Cela ressemble à une invocation satanique, mais sans illusion. Travelin'man : ( to Mousique & Big Joe ) : cavalcade de sax, affirmation de soi, respect aux grands ancêtres, dès qu'il touche à sa propre légende le rock'n'roll reprend vie. Chant de triomphe. Haillons royaux. I can't help it : ( to Chuck Berry ) : le bon vieux groove des familles. La guitare sonne, le boxeur se lève et retourne sur l'adversaire. Vous le met en K.O. D'un direct au foie meurtrier. Le rock c'est ça : définitif.
Enregistré dans les conditions du direct live. No overdub. Juste le son de la crudité de la vie. Pochette minimaliste.
Si vous aimez le rock agonique et désespéré des serpents qui rampent sur votre descente de lit, vous n'écouterez que ce disque. L'esprit rock. Le cloaque intérieur. Plus qu'un chef d'œuvre, un acte poétique.
Great.
Damie Chad.
SILLY WALK
Léo Ladysioux : lead vocal / Raoul Bertache : guitars, vocals / Alex : bass, vocals / Marcacide : drums.
SW001/ Eté 2016.
L'allure d'un 33 tours, mais à faire tournoyer en 45 tours. La première de couve étrangement similaire à celle du CD de Bill Crane. Platon avait raison, les idées ne nous appartiennent pas. Ce sont elles qui nous visitent. Regardez le dos de la pochette pour apercevoir l'héroïne, elle a la voix qui pique comme une pustule, mais qui refuserait d'être embrassée par cette langue de vipère rock'n'roll !
Nobody Knows : un coup de guitare à vous trancher la tête. Des cymbales qui vous roulent dans la sciure. Ladysioux se lance sur le sentier de la guerre. Une voix vindicative qui n'admet que l'obéissance absolue. Et la tribu des trois gars la suivent au galop en essayant de la dépasser, se font rappeler à l'ordre des prérogatives, la cheftaine devant, s'éloignent dans un torrents de poussières et des hurlements de guitare. La horde disparaît bien trop tôt au premier tournant. Barcelona : les Ramblas à fond de train. Un prétexte pour foncer à toute vitesse, brûler les feux rouges et vous faire de ces coups de freins à vous décoller le dentier et la rétine. Imaginez la Ladysioux debout avec le buste qui dépasse du toit ouvrant et qui vous insulte les passants juste pour le plaisir. Avant de les écraser. Et les boys au moteur qui conduisent, comme un marteau sans maître pour Marcacide aux drums, et à la scie égoïne pour les cordiers. Runaway : une tragique histoire d'amour. Rien de sérieux. Juste un prétexte pour vous vous amuser. La Lady vous sort sa voix de mijaurée, et les gars miaulent comme des chats à la mi-août. Juste de le plaisir de se jeter le non-dit des rapports psychanalytiques en pleine face. En n'importe quelle circonstance le rock est une musique de jouissance. Wild : Un titre qui ne vous prend pas par surprise. Silly Walk isn't sweet. Une batterie qui résonne comme un tambour de guerre et Lady Sioux qui décolle et caracole, une véritable peste triomphatrice, genre je ramène ma fraise tagada à l'arsenic, les guitares filent rapide, et les musicos qui ne demandent pas leur reste, elle vous les cisaille de sa voix, ne doit plus en rester grand-chose. My babe is gone with my telephone : il est parti avec le téléphone, les trois boys font la course pour le lui ramener ce maudit clavier qu'apparemment elle préfère à son boyfriend. L'on compatit avec lui, à sa place on en aurait fait autant. Insupportable la miss, mais si craquante. I want more : encore un caprice. Pouvez lui apporter le monde sur un plateau, elle s'en fout, lui faut encore plus. Pourtant lui tissent une de ses robes d'organdi dont toutes les rockeuses rêvent, s'en moque, vous la déchire et vous la piétine sans rémission.
Damie Chad.
18 / 05 / 2018 – TROYES
3 B
KIERON McDONALD
HANK'S JALOPY DEMONS
A vue d'œil sur la mappemonde l'Australie c'est loin. En prime me faudrait de gros pneus – assurent une meilleure flottaison – pour la teuf-teuf, et une paire de rames car on ne sait jamais. Peut-être pourrais-je louer un pédalo, mais non, après renseignement cette option est hors de prix. Je ne suis pas anéanti, un rocker possède toujours un plan B, à trois étoiles, communément appelé plan 3 B. Quand vous ne pouvez aller à la montagne, laissez la cordillère venir à vous. D'ailleurs la voici, elle n'est pas loin, à Troyes, en plus elle s'est pointée fissa et pas radine, avec deux sommets. Deux pitons volcaniques. En activité selon la terminologie des spécialistes, chance, nous aurons droit à deux éruptions.
Je ne suis pas le seul, en plus du vieux fond traditionnel des rockers, le bouche à oreilles doit dans la bonne ville de Troyes fonctionner à merveille, de nouvelles têtes apparaissent en nombre, pas spécialement des gens attirés par le rockabilly mais l'on commence à s'apercevoir aux alentours que dans ce modeste bar, passent régulièrement de super musiciens...
HANK'S JALOPY DEMONS
Ne jamais se fier à ce que l'on voit. Toujours à ce que l'on entend. I'm Goin Straight et là c'est du pur rockab, sans une once de graisse, sans produits mortifères ajoutés. La beauté minéralogique du désert. Cactus solitaires aux épines meurtrières, colonies de crotales se prélassant sur le sable sec et brûlant, solitudes spectrales, un rockab décharné jusqu'aux os blanchis sous le soleil. Une épure essentielle. Reste à savoir comment ils parviennent à produire cette merveille. Au premier abord, sont simplement en train de jouer et de chanter, comme tout le monde serait-on tenté de dire. Simplement, sans effort, sans effet de manche, sans pose théâtrale, cette dramaturgie réduite au minimum exige une étude et une observation poussée. Prenez Andrew Lindsay, à la batterie, pépère débonnaire à grosse casquette qui remue la choucroute sans forcer sur sa caisse claire. J'ai mis du temps à débusquer le lézard. Pratiquement invisible. Fais ses coups en douce, le Lindsay. Toujours du même côté. Le gauche. Mériterait d'être surnommé Lefty Lindsay ! De la droite il sert les hors d'œuvres, mais de la gauche – c'est à peine s'il la remue – vous abat le gros gibier entre les deux yeux. Jusqu'à ce jour je ne savais pas que l'on pouvait frapper aussi fort, juste en remuant tout petit peu le poignet. Commence à comprendre comment le combo fonce droit dans la vallée de la mort sans perdre son haleine. Surtout n'allez pas croire que nous avons affaire à un hémiplégique parce que du côté droit, il turbine salement right, le Lindsay et à tous les niveaux. Un principe de base, au-dessus de la ceinture travaille pour la guitare et au-dessous il bosse pour la contrebasse.
Encore un qui à l'air d'attendre le train sur le quai de la gare. Le mec placide, Til Snappy Vex, balance sa poigne sur le cordier sans avoir l'air d'y penser. L'est tout souriant, le gus content de lui et heureux de vivre sans savoir pourquoi. Vous fait la pompe à bras sur sa big mama sans y réfléchir. La main calleuse qui slappe sans effort, l'a dû faire ça toute sa vie. Pour un peu vous le traiterez de fonctionnaire de la double bass. Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, sont deux à jouer ensemble, Til and Andrew, les towers twins de la rythmique, pas de celles qui s'écroulent, de celles qui restent stables durant les ouragans. Pire ce sont eux qui provoquent les tempêtes de sable qui vous engloutissent une civilisation en trois heures. Andrew du pied lui envoie la balle par le tunnel de la grosse caisse et le Snappy vous la réceptionne illico. Et tout de suite ils recommencent. Stompent à la kangourou – ne viennent pas d'Australie pour rien - le rythme avance par rebonds, à intervalles calculés au millimètre près, bref le combo carbure sans bromure.
Mais revenons du côté de Lefty sound. Sa baguette droite, s'en sert de temps en temps pour taper sur la cymbale. Un coup, ça suffit. Juste un signal. N'en faut pas plus à Dave Cantrell pour vous offrir une démonstration de guitare. Ne monopolise pas l'attention, pendant trois jours, vous refile quatre notes à la rapidité de l'éclair. Vous éblouissent. Quatre pichenettes qui vous illuminent l'âme, du cristal le plus pur, extase sonique, vous en reprendrez bien, cela tombe bien, il n'est pas avare, suit bientôt une deuxième démonstration, puis une troisième et infiniment ad libitum. Mais ne sort jamais du cercle proposé par la base rythmique, ne marche pas sur les salades des copains, et ceux-ci n'oublient jamais de lui laisser une ranger pour planter ses laitues.
Pour le moment nous avons droit à une de ces reproductions à l'identique de l'american rockab, tel qu'il en explosait de temps en temps entre 1954 et 1956, et pourtant malgré tout, tout cela ne sent pas l'imitation ou la copie conforme. Non, ça ne sonne pas faux, plutôt résolument moderne. Une rythmique légèrement plus rock, un peu plus rentre-dedans, je veux bien l'admettre, mais il y a autre chose.
Et surtout quelqu'un d'autre. Hank Ferguson – c'est à cause de lui que l'on ne reconnaît plus personne – porte haut sa guitare rythmique tout près du cœur et vous a une voix des plus martiales, chante comme un dieu, un timbre qui vous cloue sur place. L'a tous les tics du chanteur rockab. Mais il ajoute un plus. L'occupe toute la place, ne laisse aucun espace à ses acolytes, ce n'est pas par égoïsme, sont tellement doués et surs de leur fait qu'on les entend sans problème. Le chant de Hank écrase tout mais n'occulte personne. L'est partout à la fois, infatigable, increvable, irremplaçable. Dig You Baby, High Voltage, Wig Flip Bop, vous refile du lait d'alligator survitaminé, du grand art, le gars qui vous fait les vingt-quatre heurs du Mans en tête du début à la fin de la course, sans même s'arrêter pour faire le plein. L'a de l'énergie à revendre.
Dans l'interset, pendant que disques, CD et T-shirts s'arrachent, ça papote dur chez les amateurs, une merveille. Une chance extraordinaire que Béatrice la patronne ait pu les arrêter sur Troyes lors de leur tournée européenne, l'a des antennes de sorcière.
KIERON McDONALD
Pas de crainte, pas un hamburger avarié. Un mec avisé. L'a gardé les mêmes musiciens. Hank Ferguson est dans la foule, Khieron McDonald a pris sa place devant le micro. Pour Til Snappy Vex et Andrew Lindsay, rien ne change, nous resserviront la même gelée royale. Désormais nous refuserons de toucher à un autre condiment auditif. Mais pour Dave Cantrell la charge de travail s'alourdit.
L'a une sacrée classe Kieron McDonald, il ouvre la bouche et hop c'est emballé, pesé. Des facilités, une aisance extraordinaire. Vous ne le quittez plus de l'oreille. L' a plusieurs registres. Le premier à l'ancienne, Little Girl, I don't Love You Anymore, I Don't Wana, vous croyez entendre Hank – pas Ferguson, Williams – vous a la voix qui nasille et cet accent traînant du vieux Sud qui vous tope aux tripes, et bien sûr il prend le temps de respirer, vous glisse des silences, entre deux couplets, au milieu d'un vers, en prosodie on dirait qu'il respecte la coupe à l'hémistiche, et puis ces arrêts stoppin' en plein milieu du stompin, évidemment c'est à Cantrell à marquer le coup, dès que la voix s'estompe, c'est la guitare qui klaxonne, vous savez ces dégelées de notes, comme quand l'étagère des pots à confiture de tante Agathe cède sous le poids des bocaux et vous les précipite sur le carrelage, ces tintements délicieux de verres cassés, fracassés, fricassés... et la voix qui reprend comme s'il ne s'était rien passé, jusqu'à la prochaine catastrophe qui ne saurait manquer.
Mais ce n'est pas tout. Cadeau maison McDonald, Kieron lui laisse le temps de se lancer dans de véritables soli rockab, pas un égrenage de quatre notes, une plaine infinie de quinze secondes, le must du guitariste rockab, toute l'âme résumée en un tour de main, une torsade de passe-passe dont les musiciens de jazz ne comprendront jamais l'urgence absolue, l'en a les yeux, encore plus bleus que sa chemise, qui lui sortent de la tête le Dave, y prend un plaisir fou, se surpasse à chaque fois. Ne nous ressort jamais le même. Invente sans cesse.
Mais McDonald n'est pas un Kieron qui se repose sur une seule patte à l'ombre des palétuviers. Fifties à mort, mais aussi sixties à vie. Le rockab campagnard avec ses galops de bronco certes, mais surtout ne pas oublier le white rock des garages et des châssis surbaissés. Un boulevard, une piste d'Indianapolis pour un guitariste, Cantrell hot-rode sans capot avec les flammes qui jaillissent de partout.
Hank et Kieron se partageront le dernier set. Une dernière démonstration. Nos cinq rockabillymen auront marqué les esprits. Les corps aussi car si toute une partie du public les a mangés des oreilles, l'en est une autre qui bouge à se damner. Applaudissements mérités et triomphe assuré. Mieux que cela, ils ont suscité le respect. Des prestations impeccables et admirables, à vous laisser muets. Avis aux amateurs, ne feront qu'une seconde date au Balajo, ce mercredi 23 mai à Paris. Sinon seront un peu plus loin, Belgique, Hollande, Suisse, Allemagne, Croatie...
Plus le temps passe, plus il se passe de choses extraordinaires au 3 B !
Damie Chad.
P. S. : Un gros merci à l'ingé du son Fab et à Béatrice Berlot dont la programmation pour la saison suivante s'annonce affriolante...
09:27 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tav falco, the flug, bill crane, silly walk, kieron mcdonald, hank's jalopy demons
23/09/2015
KR'TNT ! ¤ 248 : TAV FALCO / SPUNYBOYS / GLAM / ARPEGGIO OSCURO / JOHN LENNON
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
LIVRAISON 248
A ROCK LIT PRODUCTION
24 / 09 / 2015
TAV FALCO / SPUNYBOYS / GLAM ROCK L'ARPEGGIO OSCURO / JOHN LENON |
SILENCIO / PARIS ( 2° ) / 18-09-15
TAV FALCO
TAV ET SES OCTAVES
Le problème avec les gens qui sont en avance sur leur époque est qu’on n’en finit plus de les redécouvrir. Deux exemples : Captain Beefheart et Tav Falco. On a la prétention de croire qu’on connaît bien les albums et les historiques, mais il suffit d’un nouvel élément (réédition bien documentée ou travail de traduction - j’ai eu le privilège de traduire le Captain Beefheart de Mike Barnes) pour réaliser qu’on ne sait pas grand-chose. Il ne reste plus alors qu’une seule chose à faire : tout reprendre à zéro, c’est-à-dire tout réécouter, tout revoir et tout relire. Dans les deux cas cités, il faut prévoir du temps, car la somme des œuvres écrites, filmées ou enregistrées est volumineuse. Mais c’est la seule façon d’être à peu près sûr de ne pas passer à côté d’une œuvre importante.
Oui, dans le cas de Tav Falco comme dans celui de Captain Beefheart, il faut bien parler d’une œuvre. Ces deux gaillards sortent de l’ordinaire et du petit monde un peu sclérosé de la culture rock de magazine. S’il existait dans l’univers rock une consécration comparable à celle qui existe dans le monde littéraire, disons que ces deux-là pourraient entrer dans la Pléiade, et, pour Tav Falco, ce serait évidemment de son vivant, honneur suprême. Mais il est tellement éloigné des contingences de la reconnaissance que ce genre d’événement ne saurait même pas le concerner. Si ce genre d’événement était un point précis sur l’échelle du temps, disons une croix blanche tracée à droite sur le grand tableau noir de l’amphi, alors Tav Falco se serait déjà transporté là-bas, à l’autre extrémité du tableau noir. C’est une façon d’illustrer ce qu’il fait depuis toujours : il anticipe et donc se déplace. On croit le trouver là, mais non, il est déjà ailleurs. On le croyait à Memphis et le voici déjà à Paris. Il était à Paris et le voilà déjà à Vienne.
Tav Falco et ses amis ont enregistré une quinzaine d’albums en trente ans. Et ce qui frappe le plus à l’écoute de ses albums et notamment des premiers, c’est l’ahurissante modernité de sa démarche. Tav Falco était fasciné par certains personnages cultes de la scène de Memphis, blancs comme noirs, et il commença à exprimer cette fascination non pas en tant que suiveur ou copieur, mais en se projetant littéralement dans l’avant-garde. Avec Captain Beefheart, il fut le seul à réussir ce prodige. Mais ça lui a coûté très cher, puisque - comme Captain Beefheart - il est resté quasiment toute sa vie dans l’underground, une élégante façon de rebaptiser la précarité. Tav Falco ne possède rien. Pas de villa en Californie ni de résidence à Hawaï. Pas de Rolls ni de manoir dans le Sussex. Pas de yatch aux Bermudes ni de villa en Suisse. Il vit dans une chambre d’hôtel à Vienne. Et c’est une légende vivante, comme prétendent l’être certains de ses collègues milliardaires. Captain Beefheart vivait dans une caravane et il ne put mettre un peu de beurre les épinards qu’en peignant des toiles abstraites à la fin de sa vie. Artiste mille fois culte, il n’a jamais réussi à vivre décemment de ses disques. Comprenez qu’il existe un abîme entre des artistes comme Tav Falco ou Captain Beefheart et des boutiquiers comme U2 ou le Pink Floyd. Ils semblent faire le même «métier», mais les démarches et les destins sont radicalement antipodiques.
Modernité, oui. Ça saute à la figure quand on réécoute le premier album de Tav Falco paru sur le label anglais Rough Trade, «Behind The Magnolia Curtain». En 1981, on l’écoutait parce qu’on l’associait aux Cramps qui nous faisaient redécouvrir le rockabilly, à travers des personnages comme The Phantom ou Hasil Adkins. On assimilait les Panther Burns à un groupe de garage et on les admirait pour leurs reprises de classiques de blues obscurs - le blues qui était et qui reste encore aujourd’hui un continent à explorer. Eh bien, en 2014, on réécoute cet album pour en savourer la modernité. «Behind The Magnolia Curtain», c’est la même chose que «Clear Spot» : un chef-d’œuvre absolu qui ne prend pas une seule ride, un disque dense et tendu, fascinant de bout en bout, dans lequel tout semble déjà dit. En comme c’est luxueusement réédité chez Stag-O-Lee, Tav Falco rédige lui-même les notes de pochette. On a donc l’écrivain et le chanteur-passeur. Oui car Tav Falco est avant tout un passeur. Cet album est bardé de reprises de blues et de rockab féériques. Tav Falco fait exactement le même job que Lux : il déniche et redistribue, mais selon une vision personnelle, avec un vrai son. Il aligne sur ce premier album une série imparable de classiques rockab : «Hey High School Baby» (Benny Joy), «Ooooee Baby» (Ric Cartey), «Come On Little Mama» (Ray Harris) et «She’s The One That’s Got It» (Allen Page), «You’re Undecided» (Johnny Burnette). Mais le coup de génie de l’album, c’est sa version de «Brazil», monstrueusement kitsch pour l’époque, bien swinguée et chantée à la décadence du pauvre, et ce qui fait le souffle de ce coup de Jarnac, c’est la présence dans le studio du Tate County Fife & Drums Corp qui développe un beat énorme et primitif. Tav Falco mélange l’Afrique au Brésil. C’est incroyablement novateur pour l’époque. Au chant, il est complètement à côté, mais l’ensemble force la sympathie et finit même par tétaniser. Personne à part lui n’aurait osé un coup pareil. Il réédite cet exploit avec «Snake Drive», reprise haute en couleurs du classique de RL Burnside montée sur le rumble des fife & drums. Comme il l’écrit lui-même dans ses notes, c’est un «unprecedented cultural happening». Encore plus renversant : «Bourgeois Blues», attaqué à la fuzz, fantastique trivia de garage emmenée par un certain Jim Duckworth qu’on retrouvera un peu plus tard dans le Gun Club. Ils s’offrent même le luxe de trasher une reprise du «Moving On Down The Line» de Jerry Lee. Cet album fabuleux passa quasiment inaperçu en Europe.
C’est un Français, Patrick Mathé, qui va voler au secours de Tav Falco. Car évidemment, à part New Rose, personne ne veut signer ces énergumènes inclassables et donc difficilement commercialisables. Essayez de faire entrer Tav Falco dans une stratégie de marketing, vous allez voir le travail ! Patrick Mathé fonctionnait comme un fan doublé d’un aventurier et New Rose fit paraître l’année suivante un mini-album intitulé «Blow Your Top» où on retrouvait les mêmes composantes incongrues, mais avec un son plus solide et plus sourd. Ron Miller slappait bien sa stand-up, Jim Duckworth jouait plus psyché, et non seulement Jim Sclavunos battait le beurre mais en plus il produisait. Spectaculaires reprises de «I’m On This Rocket» (Marvin Moore) et de «Bertha Lou» (Dorsey Burnette).
S’ensuivit un autre mini-LP, «Sugar Ditch Revisited», une fois de plus bardé de reprises somptueuses de type «Money Talks» (une démo de Sir Mack Rice sauvée de la poubelle par Jim Dickinson), «Arkansas Stomp» (Bobby Lee Trammell), «Working On A Building» (un vieux classique d’Arthur Big Boy Crudup dont Charlie Feathers était obsédé). Et le festival se poursuivit avec un autre mini-LP, «Snake Rag», sur lequel se trouvaient «Warrior Sam (Don Willis), «Jumper On The Line (RL Burnside - fantastique ambiance de boogaloo rampant) et un «Cuban Rebel Girl» heavy comme l’enfer et que Tav Falco n’aimait pas trop, car il accusait Jim Dickinson de faire sonner les Panther Burns comme ZZTop.
C’est Jim Dickinson en effet qui va veiller le plus souvent sur le destin discographique de Tav Falco. Ce fut une chance pour cet artiste condamné au ténèbres de l’underground. Au moins pouvait-il se consoler d’avoir le support artistique et moral de l’un des meilleurs producteurs du monde qui était aussi le garant de l’authenticité du Memphis Sound, ce dont à cette époque - celle des années 80 - tout le monde se foutait.
En 1987 parait - toujours sur New Rose - un album passionnant de bout en bout, «The World We Knew», doté d’une pochette magnifique. Tav Falco y alignait une nouvelle série de reprises rockab de haut niveau, interprétées avec une confondante originalité : ««Dateless Night» (Allen Page), «It’s All Your Fault» (Bobby Lee Trammell qui fut d’après Roland Janes the wildest he ever saw, et c’est chanté avec l’abandon dandyque - Tav ne cherche jamais la performance vocale, il opte plutôt pour le groove léger et se laisse bercer par les langueurs monotones), «She’s My Witch» (Kip Tyler & the Flips - twisted dirty et grosse ambiance délétère, un idéal de rêve sale), «Mona Lisa» (Carl Mann, son dépouille de pur Memphis sound) «I’m Doubtful Of Your Love» (Benny Joy, infâme lamentation traitée au rythme du tango), mais il y a aussi deux reprises de Mack Rice «Ditch Digging» (hanté par l’esprit des chants des forçats - I’m gonna dig that one - monté sur la contrebasse de René Coman) et «Do The Robot» (aussi récupéré par Jim Dickinson dans la poubelle de Stax). Fantastique reprise de blues avec le «Big Road Blues» de Tommy Johnson qui date des années 20. Tav Falco dit que c’est le son d’une mule tirant une charrette dans la boue. Le chef-d’œuvre de cet album est la reprise de «The World We Knew», un classique de Frank Sinatra que notre héros chante radicalement faux. Tav Falco ne connaît pas les octaves. Puis il rappelle au monde entier qu’il en pince pour le tango et balance «Drop Your Mask» sur un son bien sourd. Évidemment, à l’époque, les gens ne comprenaient rien. C’était perçu comme un gag et Tav Falco risquait de ne plus être pris au sérieux, ce qui ne devait pas le gêner. Il fonctionne un peu comme ces grands peintres modernes qui restent longtemps incompris. À aucun moment, il ne fera l’effort de revenir vers les gens. Il attendra que les gens viennent à lui.
S’ensuit un autre mini-LP, «Red Devil» sur lequel on retrouve «Ditch Digging», «Drifting Heart» (Chuck Berry, un peu tango à gogo), «A Little Mixed Up» (Betty James que Tav Falco entourloupe avec grâce), «Running Wild» (The Nightcrawlers, rockab nerveux aux frontières du tatapoutisme inverti), et «She’s The One To Blame» (Crazy Cavan, bien screamé aux entournures, adroit et bien senti - Tav Falco sait faire le wild cat quand il le faut). La perle du disque est la version du vieux «Tramp» de Lowell Fulson, avec sa petite intro à la Creedence. On a là une belle pièce d’authentique r’n’b, le vrai jerk des ralentis, un hit sur lequel les cowboys de Memphis dansent d’un pas lent et sûr. On se croirait dans une scène de rêve rouge filmée par David Lynch.
«Midnight In Memphis» est le premier d’une petite série d’albums live officiels souvent très intéressants, car le côté peu cadré et mal rangé des Panther Burns se révèle souvent mieux sur scène. Alex Chilton, Ross Johnson et Doug Easley accompagnent Tav Falco. Ils sortent une version pittoresque de «Shade Tree Mechanic», qui sonne comme du garage baroque de cabaret balinais. Oui, car Tav Falco ne s’intéresse qu’au garage gracile de Louis Feuillade, au swing des grandes œuvres mystérieuses de Jean Marais. Il n’aime que la java de Belphégor, l’immense déviation des Bouges de Mac Orlan. Il sort des reprises irréprochables du «Jungle Rock» de Charlie Feathers et de «Big Road Blues» puis il tape dans «Goldfinger». Il chante merveilleusement faux. Au point que ça fait mal aux oreilles. On n’accepterait ça de personne d’autre que lui. La version du «Memphis Beat» de Jerry Lee est somptueuse et il revient à ses octaves avariées pour «The World We Knew». Puis Tav Falco flingue son set avec «Drop Your Mask». Le tango ne pardonne pas, car les gens ne comprennent pas : non seulement c’est absurde, mais c’est moche.
L’album suivant s’appelle «Return Of The Blue Panther». On y entend le beau son de basse produit par René Coman. Belle série de reprises : «I’m Moving On» (Glen Glenn), «You Believe Everyone But Me (Charlie Feathers, pur Memphis sound avec ses gargouillis de guitares dans le fond du studio), «Knot In My Pocket» (Sir Mack Rice), «Rock Me Baby» (BB King, joué avec toute la retenue dandyque), «I Got Love If You Want It» (Slim Harpo, joué à la décontracte et idéal si on apprécie le laid-back), «Love Whip» (du bienheureux Reverend Horton Heat), et on appréciera plus particulièrement ces deux perles de pur garage pantherien : «Girls On Fire» (merveille de garage psyché signée Eugene Baffle, c’est-à-dire l’alter-ego de Tav Falco, pur jus mercurial d’essence patente - George Reineke sait ramoner une cheminée) et «Fun Mob» (belle pop garage qui sonne un peu comme le Plastic Bertrand d’antan qui planait pour lui, mais le génie fantomastique de Tav Falco reprend le dessus. Panther Burns ! Un millésime impénitent et masqué qui se glisse dans la nuit).
1991 voit arriver dans les bacs «Life Sentence», un album extraordinaire. On sent que Tav Falco est bien décidé à en découdre. Pour preuve ce «My Mind Was Messed Up At The Times». Tav Falco avance sur un beat triomphant. Évidemment, puisque c’est signé Mack Rice. On a les trompettes et tout le bataclan. Eugene Baffle signe «Vampire From Havana», une kitscherie inspirée sur laquelle Alex Chilton joue un killer solo. Et Tav Falco l’acclame. S’ensuivent deux absolues merveilles : «Make Me Know You’re Mine» des Swinging Blue Jeans (effarant d’élégance et swingué à l’ancienne) et «Go On Home» de Sandford Clark, pièce de country émaciée perdue dans un saloon romantique. Eugene Baffle signe une nouvelle pièce de choc, «Auto Sapien», gorgée de fuzz. Pur garage de train fantôme, une véritable leçon de tenue destinée aux garagistes du monde entier. Attention, «Oh Girls Girls» est un mambo. Tav Falco parvient à créer les conditions d’une fantastique extrapolation de garage trash. On est là dans le pur génie - I’ll take the one with the red dress on - C’est embarqué aux clap-hands et devant une telle démence, on s’agenouille et on remercie New Rose d’avoir rendu un tel disque possible. Mais ce n’est pas fini, les gars. L’animal tape dans «I’m Gonna Dig Myself A Hole» d’Arthur Crudup, sur canapé de slap (Ron Easley) et de tap drums (Ross Johnson). C’est le plus bel hommage à Big Boy qui se puisse imaginer. Jim Dickinson joue de la guitare et Alex des maracas. Et ils embrayent sur «Sent Up» de Sir Mack Rice, encore de la démence à l’état pur, on a là la confrérie de choc, Tav/Alex/Ross Johnson/Jim Dickinson. C’est tout simplement effarant d’inspiration. Ces abrutis des labels américains n’avaient vraiment rien compris. Il a fallu que ce soit un Français pas bien riche qui sorte cet absolu chef-d’œuvre ! Incroyable mais vrai. Encore une pièce infernale avec «Baby What’s Wrong» d’Al Green. Nina Tischler donne la répartie et c’est joué au doux du gras. C’est même un modèle de groove - What can I do babe - Puis il boucle l’affaire avec une reprise d’«Only The Lonely», qui relève du romantisme purulent et qui par conséquent dépasse l’idée même du rock. Tav Falco cherche du côté de la note fatale, il flirte avec le piano jazz de cabaret et les nuits de Saint-Germain-des-Prés, mais avec un léger parfum d’européanisme culturel des années trente. Admirable.
C’est un autre Français, Patrick Boissel, qui fit paraître en 1992 les fameuses «Unreleased Sessions» sur son label Marylin. On croit qu’on peut se passer de cet album, mais c’est une erreur. Il vaut largement le détour, rien que pour «The Bug», joué au petit son rockab, avec Jim Dickinson au piano et une trompette par derrière. C’est d’un amateurisme confondant. On trouve aussi une version de «She’s The One That’s Got It» complètement foireuse et une somptueuse version de «Big Road Blues». C’est Fantômas qui chante le blues fantôme. Ross Johnson bat ça en douceur et en profondeur. Le résultat est vaguement hypnotique. Voilà bien le genre de truc qu’on ne trouve que sur les disques de Tav Falvo. On se régalera du beat de «Bourgeois Blues» que traverse une stand-up qui n’est pas en mesure. Mais quel son ! Et surtout quelle ambiance ! Alex Chilton prend des solos de killer qui titube. Grâce au jeu aléatoire de Ron Miller, on obtient une mouture effarante de présence et d’inspiration. Ils tapent aussi dans l’intapable avc «Train Kept A Rolling» des frères Burnette. Ils mettent le train en route, et c’est terrible, car le son est au rendez-vous. Ils sont stupéfiants de puissance motrice. Tav Falco embarque ensuite «Red Headed Woman» comme une bête, Version sauvage et lacustre. Il ne faut plus s’étonner de rien.
Nouveau mini-LP en 1994 avec «Deep In the Shadows», toujours chez Marylin. Nouvelle production géniale signée Jim Dickinson qui met bien la basse en avant et donc on se régale de «Running Wild», car la basse leste les morceaux trop lestes. Chaude ambiance, c’est à la fois libre de ton et catégorique. Extraordinaire walking beast que ce «Cuban Rebel Girl», puis on retrouve le «Poor Boy» de Lee Hazlewood qui se trouvait déjà sur «Red Devil». «She’s A Bad Motorcycle» vient de «The World We Knew», mais c’est une joie que de retrouver cette pièce de trash-bop emmenée par l’empah-pah-outeur from outersapce. Et puis voilà l’une des pièces mythiques de Tav Falco, le fameux «Tina The Go Go Queen», signé Sir Mack Rice, belle pièce de r’n’b rampant. Tav est sûr de Sir. Il est sur le son. Il est même sous le sceau de Sir. On retrouve aussi le fameux «Working On A Building» avec une grosse basse sourde sous le couvert. Bien sûr, tout cela se déroule chez Sam Phillips.
Avec l’album «Shadow Dancer», Tav Falco va mordre le trait et aller un peu plus vers le tango. Il ouvre son bal avec «Invocation Of The Shadow Dancer», pur tango, puis il va droit sur le itchy-kitschy petit bikini de «Funnel Of Love», le redoutable classique de Wanda Jackson. Il paraît évident que cet album ne pouvait pas plaire à tout le monde. Pour corser l’affaire, il y rajoutait des petites rengaines italiennes qui par leur parfum d’exotica, ne pouvaient que faire fuir les amateurs de rock. La merveille de cet album s’intitulait «Have I The Right», joyeux et entraînant, bien battu par Jim Sclavunos. Mais sur le reste de l’album le kisch et le tango régnaient sans partage. C’est à cette époque que les disques de Tav Falco cessèrent définitivement de se vendre. Ils devinrent des piliers de bacs à soldes.
Malheureuse méprise ! En 2000, Tav était de retour avec l’un des albums les plus spectaculaires du XXIe siècle : «Panther Phobia», produit par Monsieur Jeffrey Evans pour le compte d’In The Red Recordings. Tav ouvrait le bal avec «Streamline Train», un cut monstrueux de Memphis sound, battu par Ross Johnson le miraculé. Jack Oblivian jouait de la basse. On avait là le meilleur ramassis du monde. Quelle purge ! Et ça continuait avec une ribambelle d’énormités du genre «She Wants To Sell My Monkey», fantastique brouet d’intrusion cataclysmique, une bête impitoyable. Puis une reprise de Wolf, «Going Home», où Tav Falco semble réinventer le boogaloo en hurlant à la lune. S’ensuivait «Once I Had A Car», heavy comme l’enfer, démenterie corporatiste absolue, fabuleux d’entrain et plombé d’étain ambré. Et ça continuait avec «The Young Psychotics» pulsé aux chœurs de folles - psycho psycho ! - pur génie, désolé de ramener constamment le génie, mais c’est malheureusement le seul mot qui convienne. La basse de Jack O grimpe bien devant, et par derrière, c’est claqué aux vieux accords. S’ensuit une reprise terrible de «Wild Wild Women» de Johnny Carroll, avec l’emportement de bouche garanti, pur jus rockab et là on tombe sur une nouvelle preuve de l’existence de Dieu : la reprise du fabuleux «Cockroach», un instro signé Charlie Feathers. Ambiance démentoïde, c’est joué bien raunchy. Puis on a un coup de chapeau magistral à Rural Burnside avec «Mellow Peaches», on sent l’appel des champs de coton dans l’écho du son, c’est admirable de lourdeur de grattage. Puis voilà le hit d’Eugene Baffle, «Panther Phobia», bien poundé à la basse et monstrueux d’ambition phobique. C’est tellement énorme au plan cabalistique que ça en devient absurdement hypnotique. Si vous cherchez un album de rock parfait, en voilà un.
Le dernier album studio de Tav Falco s’appelle «Conjurations - Séance For The Deranged Lovers». Il date de 2010. Tav y rend de sacrés hommages, puisqu’il y célèbre les masques et ça nous renvoie directement à Paul Verlaine (Masques et Bergamasques), mais aussi et surtout à Marcel Schwob (Le Roi Au Masque d’Or). Tav Falco s’enferme de plus en plus dans le mystère, ce qui lui va bien. «Sympathy For Mata Hari» est un joli stomp des mystères de la chambre jaune. Sur «Administrator Blues», Tav Falco sort sa fuzz comme on sort une épée. Il revient au grand vent d’Ouest du Memphis sound. On y entend aussi pas mal de tangos, et on arrive tranquillement au pied d’un véritable chef-d’œuvre, l’autobiographique «Gentleman In Black», une belle revanche de Tav Falco sur son impopularité. Il se dévoile d’un seul coup de cape - He travels fastest who travels alone - et il lâche à un moment l’aveu suprême - he leaves the people hanging to just sit and stare/ At a few moments of brillance in a lifetime of despair - Rien d’aussi bouleversant sur cette terre que cette confidence.
Les admirateurs de Tav Falco n’auront pas hésité une seule seconde à se jeter sur les albums live, car ils savent que les classiques y retrouvent du rouge aux joues. La version de «Brazil» qui se trouve sur l’album «Live At The Subsonic» (pochette ratée) est admirablement swinguée aux drums par un nommé Doug Hodges. Comme il amène bien les montées ! Cette version est assez magique, pleine de boisseaux d’accords généreux. Tav Falco mêle son jeu subtil à celui du guitariste Peter Dark - from New York City ! - et on chavire au son du scintillement de ces fabuleux boisseaux.
On renouvellera l’expérience avec l’album «Live In London At The 100 Club», qui est aussi un gros festival, un double album enregistré avec la formation actuelle (Giovanna, Grégoire Garrigues et Laurent Lanouzière). Belles versions de «Snake Drive», «Ooee Baby», «Brazil», «Funnel Of Love» et il boucle l’affaire avec une version surnaturelle de «Gentleman In Black» et «My Mind Was Messed Up At The Time» de son mentor Sir Mack Rice.
Tav Falco a passé un accord avec le label allemand Stag-O-Lee pour rééditer tous ses albums. C’est une bénédiction, car chaque disque est largement annoté de la main de cet écrivain fabuleux qu’on a découvert lors de la parution de «Ghosts Behind the Sun: Splendor, Egnima & Death», en 2011. Ce qui frappe le plus chez l’écrivain Tav Falco, c’est le souffle. Mais ce n’est pas tout. Il a aussi recours à un stratagème superbe : le dédoublement de personnalité. Tav Falco se projette dans un alter-ego nommé Eugene Baffle, histoire de mieux se décrire, comme l’avait fait Michel Houellebecq dans «Les Particules Élémentaires». Et petite cerise sur le gâteau, Tav Falco dédie son fantastique ouvrage à Jim Dickinson («D’origine divine, protecteur, inspirateur et camarade. Sa passion pour la musique de Memphis et tout ce qui s’y rattache est indiscutable. Il est toujours présent, c’est sûr, comme l’indique l’épitaphe qu’il a fait graver sur sa tombe : Je ne suis que mort. Je ne suis pas parti.»). Pour mieux expliquer ce qu’est Memphis, il apporte le seul éclairage qui vaille, celui de l’histoire. Il propose une galerie de portraits hallucinants, des soldats de la Guerre de Sécession, des gibiers de potence, des Hell’s Angels, des poètes puis on finit par tomber sur des figures plus familières (et donc plus rassurantes), comme Sam the Sham, Jerry Lee, Sam Phillips et Charlie Feathers. Il donne carrément la parole à Paul Burlinson, qui au long de plusieurs pages, va retracer le parcours fulgurant du Johnny Burnette Rock’n’Roll Trio. Furry Lewis, Howlin’ Wolf et Albert King sont là, bien sûr, salués jusqu’à terre. Tav Falco donne la parole à Jim Dickinson qui évoque Elvis, le rockab et le souvenir de Dan Penn au long de pages qu’il faut bien qualifier de magiques. Puis Tav Falco remonte dans le temps jusqu’à nous et régale bien les admirateurs de Big Star, d’Alex Chilton et des Cramps. C’est l’ouvrage qu’il faut lire si on veut essayer de saisir l’importance du rôle qu’ont joué les musiciens de Memphis dans l’histoire du monde moderne. L’écrivain Falco a du style. C’est un visionnaire élégiaque. Il donne du temps au temps de ses phrases et semble toujours porter un regard détaché sur les choses. À l’image de la photo qui orne la couverture de son livre, sa prose est véritablement hantée.
Et c’est pour cette raison qu’il faut rapatrier une compilation intitulée «Tav Falco’s Wild Exotic World Of Musical Obscurities» et récemment parue, car tous les portraits sont signés Tav Falco : Johnny Burnette, Don Willis, Bobby Lee Trammell, Allen Page (sur Moon Records de Cordell Jackson, deux guitares, pas de basse, précise-t-il), Arthur Big Boy Crudup, Benny Joy, rien que pour les rockabillies et ça fourmille d’informations, ça grouille de détails, on a vraiment l’impression qu’il a fréquenté assidûment tous ces gens là. C’est à la fois effarant et passionnant. Et extrêmement bien écrit. Vous ne verrez pas souvent des notes de pochette d’un tel niveau. Mais là où il va encore plus épater la galerie, c’est avec les trois autres faces de ce double album. Sur la face B, il a rassemblé des pièces d’exotica sublimes et comme il les présente et qu’il brosse des portraits terribles des interprètes, alors on les écoute attentivement. Et on découvre des merveilles, des choses qu’on avait déjà entendues comme «Harry Lime Theme» d’Anton Karas (magnifique pièce de jazz guitar), mais aussi des pièces raffinées sorties de sa culture : «Romance Del Barrio» par Los Indios Tacunau («Guitar tangos are particular favorites of mine»), ou «Desde El Alma» par Osvaldo Pugliese («It is said that an Argentine is an Italian who speaks Spanish, ates French and thinks he’s English»). Sur la face C, il a rassemblé quelques classiques de blues d’Elmore James («The Sky Is Crying» - «America is a sad country and that’s what Elmo’s guitar was saying»), de Bobby Blue Bland («Who Will Be The Next Fool Be», Tav Falco en fait le portrait d’une star «astonishingly silver-throated», pour lui c’est la star suprême et il sait le dire), Chet Baker («I’m A Fool To Want You», portrait d’un romantique, l’absolu - à quoi bon vivre si on n’aime pas ?), puis il revient au kitsch avec Fred Buscaglione (un rital qui s’est tué à Rimini au volant d’une pink Cadillac). La dernière face est une collection d’hommages aussi grandioses. Il salue Jimmy Whiterspoon («Sweet Lotus Blossom», mais comme il n’a pas réussi à trouver la version originale, il colle la version des Panther Burns). Puis un hommage bouleversant à Charlie Feathers («Jungle Ferver» - «He reached delirious heights unknown in the annals of American recorded music»), puis coup de chapeau à Alex Chilton («Bangkok», et Tav Falco explique qu’Alex a enregistré ça tout seul). Et il termine sur le plus faramineux des hommages : «Real Cool Trash» coup de chapeau à Baldu des Dum Dum Boys et il donne une belle définition du rock’n’roll qu’on devrait enseigner dans toutes les écoles : «Impulsive repetition, droning guitar & psychedelic riffs, histerical breaks and a finale of demented invocation of all the demons of the night that suspends the lead vocal for an eternity on the treshold of the void.»)
Vient de paraître le nouvel album de Tav Falco, «Command Performance». C’est un disque totalement hanté. À commencer par «Fire Island», «autobiographical from Argentina», monté sur une belle basse et joué au bandonéon. Superbe supercherie ! Tav Falco commente chaque moreau. Il dit de «Whistle Blover» que c’est une «wistfulade to the loss of the true American ethos». Il chante ça à la manière de Bob Dylan. Il indique que c’est un hommage aux héros de notre époque, Snowden et Manning. Puis on passe au pur boogaloo avec «About Marie Laveau», the witch queen of New orleans. On s’en régale - Is that true/ What they say - L’admirable tempo semble cheminer sous la pleine lune. C’est effarant et bien vu à la fois. Avec «Doomsday Baby», Tav s’élève contre les génocides. Il a raison - Insect baby ! - Il ramène le son qui va avec. Puis il rend un fantastique hommage à son ami Alex Chilton - my fallen comrade, a gifted artist and mentor of towering sensibility - En peu de mots, Tav sait brosser des portraits terribles. Il rend bien sûr un hommage à Fantomas avec «Master of Chaos», perdu in the long shadows of evil. Et il en rajoute - The genius of torture, the Lord of terror - Il décrit avec délectation les méfaits de son héros, les flacons d’acide nitrique et de parfum, la comtesse Lejeune et tout le saint-frusquin. Quel fantastique hommage à Fantomas ! Dans la série des hommages, voilà celui rendu à Charlie Feathers, avec «Jungle Ferver» - The canon of my confederate and mentor Charlie Feathers - Il réussit à le saluer, et après des transgressions ineptes, il parvient à rattraper le thème. Franchement, ce disque sonne comme un testament ! S’ensuit un hit, «Memphis Rumble», hommage aux dix-sept années passées à Memphis. On a le son de rêve et les paroles de rêve, le tout ficelé par un artiste de rêve. Puis il reprend «Me And My Chauffeur Blues» avec Mario Monterosso. Il essaie de se mettre au niveau de Memphis Minnie et de Kansas Joe McCay. Il finit bien sûr avec le tango fatal, «Rumbetta».
Tav Falco vient de mettre son univers en images avec un film hommage à Louis Feuillade, «Uriana Descending», tourné en noir et blanc et d’allure très poétique, puisque dans la mythologie grecque, Uranie est la muse qui préside à l’astronomie et à l’astrologie. Tav la nomme the muse of heavens. Ce film était présenté en avant-première au Silencio, un club-galerie installé par David Lynch dans les entrailles de la rue Montmartre. «Uriana Descending» ? Mais c’est du cinéma fantastique à l’état pur, à la fois baigné de lumière expressionniste comme les «Trois Lumières» de Fritz Lang et chargé d’ombre et de mystère. Gina Lee traîne au bord d’un fleuve en Arkansas et des heavy dudes lui tournent autour sur fond de «Jungle Fever». En trois minutes, Tav Falco produit l’essence même du rock américain, gros moulin, gros bras, jupe courte et Charlie Feathers. Cinq minutes plus tard, Gina Lee débarque à Vienne et nous plonge dans une dimension intemporelle, celle d’une ville figée dans le passé. Gina Lee erre longtemps dans Vienne et nous ensorcelle petit à petit, par la seule force de son charme discret. Lorsque Diego Moritz (Tav Falco) l’accoste, c’est évidemment pour lui proposer une mission d’espionne. Alors Gina Lee passe du statut de muse descendue du ciel via Berlin Airlines à celui de Mata-Hari chargée de séduire Von Riegl, le descendant d’un officier SS pour lui soutirer le plan d’un trésor de guerre nazi immergé au fond d’un lac autrichien. Et bien sûr, pour le séduire, il faut apprendre à danser le tango argentin. Tav Falco se fait une joie de l’initier et on assiste alors à une très belle scène de danse. Gina et Von passent une délicieuse soirée ensemble, et au petit matin, Von raccompagne Gina à l’hôtel Orient en calèche. Comme c’est du cinéma muet, les pas des gens et les sabots des chevaux sont illustrés par les bruitages, mais on aura veillé à décaler les bruitages. On entend parfois la voix de Tav Falco et des écrans de texte introduisent les scènes principales. Tout cela fonctionne à merveille, à condition toutefois de bien aimer ce type de cinéma. On ne sort pas indemne du «Napoléon» d’Abel Gance. Eh bien, il en va de même avec «Uriana Descending». Puis le rythme du film va s’accélérer et Von va bien sûr devenir Fantomas. On verra aussi Tav Falco conduire une moto sur les routes autrichiennes et produire une splendide pétarade.
Un concert était prévu un peu plus tard dans la soirée. L’atmosphère intimiste du club convenait merveilleusement bien à un set des Panther Burns. Sur scène, Tav semblait avoir énormément rajeuni. Il y eut des moment où il rigolait comme un gamin. Et il nous fit la grâce de rassembler les personnages de sa mythologie pour une heure trente de bacchanale infernale : Charlie Feathers avec une reprise de «Jungle Fever», Mata-Hari, Fantomas, via «The Master Of Chaos» et même «Marie Laveau» tirée elle aussi du dernier album, cut sur lequel Grégoire Garrigues faisait les chœurs - Is that true/ What they say - Tav mit aussi en perspective les grooves interlopes de «Garden Of Medicis» et de «Ballad Of Rue De La Lune», tirés de «Conjurations». Ambiance spectaculaire, tout le monde dansait. Et puis on le vit danser le tango avec Via Kali et ce fut un vrai moment de féerie Vous ne verrez pas ça chez les Stones. En rappel, Tav revint jouer son vieux «Brazil» et ce fut une fois de plus l’occasion de savourer le fantastique drive de basse de Laurent Lanouzière.
On venait tout simplement de prendre un gros shoot d’oxygène. Comme Lux Interior, Captain Beefheart, Jeffrey Lee Pierce, Ray Davies, Mick Farren ou Bob Dylan, Tav Falco est parti de zéro pour créer un univers complet qui fonctionne à merveille. Tous ces gens ont ceci de commun qu’ils sont écrivains, musiciens, découvreurs/passeurs et pour certains, ils se sont aussi frottés au cinéma avec la réussite que l’on sait. On parle ici de ce qui légitime la rock culture.
Signé : Cazengler, Pantin Burns
Tav Falco. Silencio. 142 rue Montmartre. Paris IIe. 18 septembre 2015
Tav Falco’s Panther Burns. Behind The Magnolia Curtain. Rough Trade 1981
Tav Falco’s Panther Burns. Blow Your Top. Animal Records 1982
Tav Falco’s Panther Burns. Sugar Ditch Revisited. New Rose Records 1985
Tav Falco’s Panther Burns. Shake Rag. New Rose Records 1986
Tav Falco’s Panther Burns. The World We Knew. New Rose Records 1987
Tav Falco’s Panther Burns. Red Devil. New Rose 1988
Tav Falco’s Panther Burns. Midnight In Memphis. New Rose Records 1988
Tav Falco’s Panther Burns. Return Of The Blue Panther. New Rose Records 1990
Tav Falco’s Panther Burns. Life Sentence. New Rose Records 1991
Tav Falco’s Panther Burns. Unreleased Sessions. Marylin 1992
Tav Falco’s Panther Burns. Deep In The Shadows. Marylin 1994
Tav Falco’s Panther Burns. Shadow Dancer. Upstart 1995
Tav Falco’s Panther Burns. Panther Phobia. In The Red Recordings 2000
Tav Falco’s Panther Burns. Live At The Subsonic - France 10.2001. Frenzi 2002
Tav Falco’s Panther Burns. Conjurations - Séance For The Deranged Lovers. Stag-O-Lee 2010
Tav Falco’s Panther Burns. Live In London At The 100 Club. Stag-O-Lee 2012
Tav Falco. Comand Performance. Twenty Stone Blatt 2015
Tav Falco’s Wild Exotic World Of Musical Obscurities. Stag-O-Lee 2014
Tav Falco. Ghosts Behind the Sun: Splendor, Egnima & Death. Creation Books 2011
Tav Falco. Uriana Descending. Avec Via Kali, Peter Reisegger et Tav Falco. 2014
COUILLY-PONT-AUX-DAMES
METALLIC MACHINES / 18 - 09 - 15
SPUNYBOYS
Tiens donc, une commune qui n'a pas cédé au vertiges du politiquement correct comme Tremblay les Gon(z)esses désormais en France et qui porte fièrement son nom à coucher sous les ponts en galante compagnie, les attributs de la virilité vent debout. Mais foin de nos douteuses étymologies, nous sommes en partance vers le local des Metallic Machines – à dix kilomètres de Meaux, derrière le Super U. N'allez pas imaginer une soupente de cinq mètres carrés avec les Harley stationnées sur le trottoir. Rien que dans la cour intérieure il y a déjà une quarantaine de voitures garées. Nous sommes reçus dans une grande pièce, bar, espace, tables, sièges et banquettes. De quoi rendre jaloux les trois-quarts des troquets qui invitent les groupes. Mais ce n'est qu'un début, la pièce réservée au concert est à côté, une véritable salle avec une scène, qui a oublié d'être minuscule, montée sur palettes, idéale pour les combos de rock. Vous pouvez y entasser deux cents personnes sans problème. Grand standing. Rien à voir avec le confinement en abri anti-atomique un jour de guerre nucléaire. Parfait pour les garçons tourbillonnants qui ont l'habitude de jouer grand largue toutes voiles dehors.
CONCERT
Eddie vérifie l'accordage de sa guitare, Guillaume cherche ses baguettes, Rémi se cale sur le micro. Profitez de ces deux petites dernières minutes de calme. Respirez profondément. Tout à l'heure ce sera trop tard. Trop tard, nous vous avions prévenus. C'est parti. Pour deux heures de folie. Sans interruption. Sinon trois secondes pour se concerter du regard : « C'est quoi maintenant ! » et un déluge de feu vous tombe sur le coin du museau sans que ayez le temps de dire ouf. Les oufs, ce sont les Spuny, doivent avoir le coeur qui tourne plus vite qu'un rotor d'hélicoptère. Ne sont pas le meilleur trio de rockabilly hexagonal par hasard. Même que les Belges et les Néerlandais commencent à les annexer de plus en plus souvent. Mais ceci est une autre histoire. Nous sommes ici à Couilly, et dans un vrai concert, pas dans une découpe de trois sets, une de ces pernicieuses saucissonades habituelles qui permettent aux bistrotiers de remplir la caisse.
Pour ceux qui ne connaissent pas les Spuny, ça commence toujours bien. Comme un conte de Walt Disney. Bien sûr il n'y a pas de princesse. Uniquement le joli sourire de Rémi nonchalamment agrippé au manche de sa contrebasse. Quelques mots gentils, manière de vous accueillir dignement. Pas le temps de vous endormir et de faire de beaux rêves bleus, c'est Guillaume qui sans vous avertir déclenche les hostilités. Deux coups de canons à envoyer un porte-avion par le fond en deux secondes et puis une cascade infinie de breaks qui se bousculent et se mordent l'un dans l'autre avec une vélocité sans pareille. Un peu comme vous tournez les pages d'un livre à toute vitesse pour savoir la fin. Mais lui il ne saute pas une note de la partoche, n'omet même pas une seule ponctuation, vous les assène toutes, sans faillir, pétarades de missiles qui vous transpercent le corps sans rémission. S'il était le seul à se livrer dans son coin à ce cruel jeu de punching ball avec votre âme, vous pourriez lui pardonner. Mais non, Rémi en a profité pour se jeter sur sa contre-basse. Je ne sais pas ce qu'elle lui a fait, mais ce doit être grave. Lui hurle dessus en dansant comme un sioux autour du poteau de torture, et puis sans préavis l'escalade, lui saute sur le giron à pieds joints, enfin s'y niche sur l'épaule comme l'ajasse bavarde sur la plus haute branche, la transforme en poste de guet – au cas où l'ennemi surgirait – l'abat à terre, se vautre sur elle – sont-ce là les derniers outrages ? Non, il la cogne violemment contre la grosse poutre du plafond. Faut bien lui apprendre à vivre. Et à mourir ! Cela ne serait rien, s'il ne poussait le vice à en jouer tranquillement comme s'il tenait délicatement contre le velouté de sa joue gauche un précieux Stradivarius centenaire que lui aurait confié l'Orchestre Philharmonique de Berlin. Mais vous n'avez pas tout vu. Car non seulement il lui pince les cordes à profusion, les tape et les tire, en parfait unisson avec Guillaume - et avec ce marteau-pilon intraitable, l'a intérêt le Rémi à composer de la dentelle solide, car l'on n'emballe pas les torpilles avec du papier de soie faut les arrimer avec de filins d'acier galvanisés au titane – mais de temps en temps il se lance dans de rapides soli qui swinguent à mort. Reprenons pour ceux qui sont perdus : un, il détruit son instrument avec autant de méthode que Descartes son fameux Discours, deux, il interprète ses morceaux avec la dextérité de Franz Liszt pianotant son pleyel – vous pouvez remplacer Liszt par Jerry Lou si vous préférez, trois, il chante. Et pas qu'un peu, tous les morceaux, n'en laisse pas un seul aux copains. Même si derrière sa caisse Guillaume connaît toutes les paroles par cœur et les récite comme des mantras dévastateurs en dépeçant ses tambours maléfiques. Rémi doit pratiquer la plongée sous-marine en grande profondeur sans masque ni bouteille. Entre deux titres il suffoque comme un phoque asthmatique, souffle court qui s'essaie aux longues inspirations, avale deux goulées d'air frais comme vous deux lampées de café matinal lorsque vous êtes en retard et que vous savez que le patron vous attend sous la pendule avec à la main votre lettre de démission à signer, et hop d'un coup il bloque les amygdales et c'est reparti comme en quatorze, baïonnette au gosier. Comment se débrouille-t-il ? Voix de tête, colonne d'air, profondeurs abdominales et ventriques, je n'en sais rien mais le bougre possède une sacrée technique. Apprise ? Instinctive ? Cochez vous-mêmes la bonne réponse.
C'est que, entendez-vous mugir en vos campagne cette voix qui déchire, les Spuny ils jouent du rock and roll, pas le générique de la petite maison dans la prairie. Mais il est temps de passer la parole – pardon la guitare – à Eddie. N'avons pas eu encore le temps de nous attarder sur lui car les deux autres ostrogoths ce soir ils occupent le devant de l'ampleur sonore. A lui de sa fader le véritable boulot. Attention je n'ai pas dit que les deux quécous se la coulent douce – mais ce soir Eddie est privé de ses éclatantes et métalliques cisailles diluviennes. Bien sûr, il ne peut s'empêcher d'en laisser échapper une par-ci par-là – merveilleuses sur le Goin' Home de Gene Vincent - mais là, il a vraiment trop de taf. Tout est une question de répertoire. Et pour être précis d'appréhension de ce dit-répertoire. Le style des Spuny c'est de l'énergie pure, celle-ci s'obtient de différentes manières. A toute blinde et arrive ce qui arrive, sauve qui peut et chacun pour soi, et vous faites du punk. A toute blinde mais cette fois-ci la rythmique étaye la galerie au fur et à mesure que vous avancez, la découpe du coffrage à la guitare électrique passe en première place, c'est le rock and roll. Passons sur l'amplification sonore, hard, heavy, doom etc... Vous reste une autre solution, plus historiale qui s'en va chercher les racines du rock dans ses origines country, dans sa ruralité rockabilienne, dans l'antique western bop rebopifié à outrance, tout cela pour donner ce mélange explosif mis au point par les Teddies anglais dans les années soixante-dix quatre-vingt. C'est avec cette mouture que les Spuny ont décidé d'offrir en cette soirée à leurs spectateurs en partie composés de bikers aux affiliations ted. La ramification des tribus ( quand ce ne sont pas des églises intégristes ) rock est d'une complexité infinie. Mais ceci est une autre historiette. Sacré turbin pour Eddie. Les deux autres forcenés qui galopent sans frein ni retenue, lui ont refilé le métier à tisser. La section rythmique caracole par-devant et c'est au guitar-héros de tisser la trame de base. Do the bop. Fait le bop. Il articule la syncope originaire. Ce n'est pas un-deux, un-deux, je m'en bats les Couilly-au-pont des dames, Eddie il ne joue pas dans la fanfare municipale à la va comme je te pousse et marche tout droit. La différence est dans le doigté, dans la subtilité. Guillaume et Rémi sortent les lingots du four mais c'est Eddie qui est au laminoir et qui livre le produit fini. Johnny Horton, Ronnie Dawson, Ray Campi, Johnny Cash, George Jones, que du bon, mais encore faut-il les rhabiller pour l'hiver des temps nouveaux qui s'annonce rude. Transformer sans trahir. Recouper sans couper. Adapter et s'adapter. C'est en cela que réside le balancement hypnotique – celui qui emporte mais qui n'endort pas - du pur style teddy. Faut de la sagacité, de la réflexion, des connaissances, de l'intelligence. Tout ce dont – tout ce don - possède Eddie. A revendre. Et son dévouement rythmique fut exemplaire. Le grand jeu. A la furia des deux copains il a apporté l'authenticité sans laquelle tout effort n'est que redite et répétition. Maintenant ce n'est pas 2 + 1, mais un trio de trois qui ramone en parfait unisson. C'est une architecture méditée – à allure d'étoile filante – qu'ils élaborent ensemble, de concert.
Les Spunyboys nous ont gâtés. Nous ont offert un concert d'anthologie. De ceux qui montrent que le cœur brûlant du rock and roll continue d'irradier nos désirs et la sève de nos rêves. One, two, three, four, five, rock'n'roll is still alive !
André Murcie.
GLAM ROCK
LA SUBVERSION DES GENRES
PHILIP AUSLANDER
( La Rue Musicale / La Découverte / 02/2015 )
Nouvelle collection chez La Découverte – les héritiers des Editions Maspéro – et de la librairie parisienne La Rue Musicale. N'ont que deux ouvrages dans leur série un David Bowie et ce volume consacré au Glam Rock. De Philip Auslander. Un professeur à l'université du Kentucky. Comme il est bien connu qu'ailleurs l'herbe est plus bleue, j'achète sans trop regarder. Fatale erreur. Dont je me repens en toute humilité. Mea culpa ! Mea culpa ! Faudra que je pense à en causer deux mots à mon confesseur sur mon lit de mort. J'ai lu quelques milliers de livres dans ma vie, aucun ne m'a plus ennuyé que celui-ci. Et pourtant dès qu'un quelconque bouquin porte sur sa jaquette le mot rock, il bénéficie chez moi d'un a-priori favorable.
SUZI QUATRO
Je commence par le quatrième chapitre. Suzi Quatro ( mathématiquement parlant c'est assez bien vu ) en est l'objet d'étude. Je n'ai rien contre la damoiselle. Un peu garçonnasse – je me mets à l'unisson de l'auteur - j'en conviens, mais l'on sent la chic fille qui en veut. J'avoue que je ne me suis jamais levé la nuit pour écouter ses disques. Ni pour me masturber devant son poster. C'est sûrement une erreur. Ce n'est pas moi qui le dis. C'est Philip Auslander. Un grand connaisseur. Vous épluche la discographie au peigne fin. Les chansons une par une. Avec une prédilection pour les reprises. Qui furent en leur native originalité très souvent interprétées par des chanteurs mâles. Vous n'y voyez pas de mal. Philip Auslander y dénote de la perversité. Un garçon qui chante Baby I love You à sa copine reste de l'ordre de la normalité, mais la petite Suzon avec son futal et son blouson de cuir qui reprend Baby I love you, c'est de la transgression. Mélange des genres. S'adresse-t-elle à une fille ou à un mec ? Et l'auditeur qui entend cela, est-ce Suzette qui lui fait agiter sa zézette ou l'idée du mec qui la baise ou le fantasme qu'elle pourrait être le mec qui lui fasse subir les derniers outrages ? Vous ne savez plus à quelle queue de chatte donner votre langue. Pas de panique ( nique, nique, niqueue, niqueue ) la Suzi elle a du répertoire, alors le Philip Auslander il vous refait la démonstration une cinquantaine de fois à la suite.
GLAM DEFINITION
C'est un peu l'idée fixe d'Auslander. Le Glam comme une subversion des genres. Fille ou garçon. L'on ne sait plus. Frontières indéterminées. Ouvertes à tous les trans. Musicalement n'en parle pas trop. Trop d'artistes différents se sont réclamés de ce courant pour qu'il puisse être résumé en quelques mots se dépêche-t-il d'avancer. Ou alors des guitares affûtées qui entrent dedans. Allo, doctor Lacan, ne serait-ce point un lapsus significatif ? Préfère discutailler sans fin des tenues des chanteurs et des réactions du public.
T-REX
Commence par T-Rex. La partie la plus intéressante du livre. Remonte à la période préhistorique de l'artiste lorsqu'il s'appelait Tyranosus Rex. C'était du temps des hippies et du psychedelic. Une époque ancienne. En ces âges reculés Marc Bolan aimait Dame Nature et lisait Bilbo le Hobbit et Le Seigneur des anneaux de J. R. R. Tolkien. Ecrivait de belles paroles moyenâgeuses, un peu évanescentes remplies de gentes pucelles aux licornes biscornues. Ne faut jamais se fier aux apparences. De temps en temps, notre preux chevalier se saisissait d'une guitare électrique et vous balançait quelques riffs soutenus. Et puis en y réfléchissant un peu, un duo de deux hommes, c'est tout de même un peu ambigu. Et puis toute cette idéologie un peu fleur bleue, c'était tout de même un peu féminin...
Et voilà que du jour au lendemain nous assistons à la mort du vieux dinosaure et apparaît une nouvelle espèce qui s'en va triompher lors de cette ère nouvelle de glamaciation. C'est le T-Rex. Vous l'entendez de loin avec ces guitares clinquantes qui vous claquent dans les oreilles. Bye-bye les hippies, Mar Bolan s'inspire des vieux rockabillies et des premiers Stones de l'âge de pierre des premiers blues électriques. Belle musique, mais ce n'est pas le plus important. Faut voir la bête. Un homme, çà ! Vous rigolez, avec son mascara, ses vêtements empruntés à sa femme, et ses paillettes sur les joues ! Une pédale, une tantouze, la honte de ses parents. Et du royaume.
Peut-être, mais des milliers d'adolescents aux désirs inavouables aperçoivent à la télévision, un homme ou peut-être une femme, délicieuse incertitude, qui ressemble à leurs rêves les plus secrets. T-Rex fonde le Glam, il est cette musique qui permet à chacun de vivre selon son genre.
BOWIE THEORIQUE
T-Rex, c'est bien bon, mais il reste au fond de lui un rocker de base. Pourvu que les stratos fusent à plein gaz derrière lui, il est heureux. L'accoutrement, c'est un gimmick qui permet de se démarquer des autres et de gagner plein d'argent. Bowie c'est l'étage au-dessus. Pas vraiment un philanthrope. N'oublie jamais le tiroir caisse. Mais c'est un Artiste. Qui pense. Qui réfléchit. Qui médite sur son art. Qui théorise. S'habiller en femme, quel simplisme ! Son Ziggy poussière d'étoile une créature venue d'un autre monde, mâle ou femelle ? Les avis divergent. Bowie laisse planer l'incertitude. De même quant à sa propre personne qui n'est peut-être qu'un sale personnage de plus. Fernando Pessoa avait bien créé ses poétiques hétéronymes sur papier mais n'avait pas cherché à les incarner dans sa chair. Bowie lui s'avouera tour à tour, du bout des lèvres ou en lapidaires assertions, homosexuel, bisexuel, hétérosexuel. Débrouillez-vous comme vous pouvez.
Le genre de méli-mélo qui enchante Auslander. L'important ce n'est pas d'être ou ceci ou cela. La grande force du Glam assure-t-il c'est de ne donner jamais de réponse franche. C'est dans ce nuage d'incertitudes que le fan accomplira son chemin personnel qui n'appartient qu'à lui. Brouillard de protection et de camouflage qui vous permet de prendre assez de force pour un jour enfin dévoiler à la société entière ce que vous êtes vraiment. Sans oublier toutefois que pour vivre heureux faut savoir vivre caché.
QUEER ÊTES-VOUS ?
Ce que raconte Auslander n'est pas nécessairement idiot. Ce qui est un peu embêtant c'est qu'il analyse un phénomène sociologique qui s'est déployé entre 1971 et 1975 en employant des concepts qui ne se sont installés dans les habitudes mentales de nos contemporains que depuis ces toutes dernières années. Toutes ces théories du genre qui explicitent que les genres féminin et masculin ne sont pas afférents à notre sexe. Tout se passe dans la tête, et ni dans le zizi et ni dans le kiki. Genre de discours qui affolent les bien-pensants et les réactionnaires de tous poils ( au cul ). Par exemple : les cathos de la Manif pour Tous détestent ce genre de ratiocinations sexu-identitaires qui détruisent l'édifice traditionnel des rôles représentatifs des deux sexes dans l'organigramme sociétal.
AFTER GLAM
Ces réflexions Auslanderiennes participent de toute relecture de l'histoire du monde. Toutes les époques relisent le passé avec leurs propres outillages conceptuels. L'est difficile de faire autrement. Mais notre penseur se livre à une véritable annexion du Glam. Le crédite un peu trop d'intentions théorisantes. A notre avis. Limite le phénomène à une simple évolution des mœurs de la société. Et surtout oppose systématiquement paragraphe après paragraphe la modernité artefactienne du glam, dont il dit le plus grand bien, au passéisme de l'idéologie, qu'il qualifie somme toute de très conservatrice, des hippies. Ces théories du genre procèdent quand même beaucoup plus des mouvements de réflexion suscitées par les tentatives d'une vie davantage en relation avec les lois de la nature que des prises en main destinales des individus mis en mouvement par la musique glam.
Le futur du glam, ce fut le no future du punk, comme notre auteur le souligne très bien dans sa conclusion. La révolte pure, et non la remise en question raisonnante de la société. Le livre aurait gagné à n'être qu'une plaquette théorique d'une cinquantaine de pages. En fait, tous les chapitres qui détaillent les carrières de Marc Bolan, Glary Glitter, Alvin Stardust, David Bowie, Bryan Ferry, Roy Wood, Suzy Quatro, au Runnaways et quelques autres sont presque de trop. Superfétatoires. Un comble pour un livre consacré à un mouvement musical.
Damie Chad.
L'ARPEGGIO OSCURO
HERVE PICART
Edition Blanche / 2015
Inutile de vous précipiter chez votre libraire. C'est une rareté. Tirage à limité à cinquante exemplaires. N'y a que les plus grandes institutions de la planète qui l'ont reçue. La Bibliothèque du Congrès aux USA, l'Ancienne Bibliothèque Impériale de Chine, l'Enfer de la Vaticane, la Bibliothèque ( reconstituée ) d'Alexandrie en Egypte, et bien entendu, mais cela ne vous étonnera pas, votre rock blog préféré, KR'TNT !
Nous n'allons pas faire les modestes devant tant d'honneur, nous l'avons mérité. Nous vous en avions déjà causé de L'Arpeggio Oscuro ( arrêtez vos stupides ricanements allusifs à la couleur de la couverture ) dans KR'TNT ! 197 du 10 / 07 / 2014. La mémoire vous revient ! Oui il s'agit de cette sombre histoire qui vous a tenu en haleine tout une année, une fois par semaine, sous le blogue du même nom. Un roman feuilleton que n'aurait pas renié Alexandre Dumas, mais attention au goût du jour, pas une poignée de mousquetaires bravaches et batailleurs, non un truc beaucoup plus subtil, un mystère impénétrable, une malédiction diabolique ourdie depuis plusieurs siècles. Une satanique conspiration à côté de laquelle le carrefour de Robert Johnson ne tient pas longtemps la route.
Les plus fins limiers de nos lecteurs se douteront que nous n'avons pas cité le nom de l'inspirateur des plus grands guitaristes du rock des seventies au hasard. Celui qui mène l'enquête n'est pas le premier Sherlock Holmes venu. S'appelle Vernon Gabriel. Possède une profession honnête, c'est un noble commerçant – je sais, ces deux mots vous paraissent antagonistes - qui vend des guitares – vous voici rassurés. Je n'ai pas parlé de vulgaires poêles à frire japonaises mais de ces perles dont l'orient fut caressée par un Jimmy Hendrix ou un Cliff Gallup, ce ne sont que des exemples. C'est que celui qui tient la plume n'est qu'une de vos idoles, Hervé Picart in person, l'inoubliable kronicoeur de la rubrique Hard, de la légendaire revue Best.
Les grincheux de service diront que tout ce le verbiage qui précède n'éclaire en rien ce fameux Arpeggio tan Oscuro. J'essaie de me mettre à votre portée : vous n'êtes pas sans ignorer qu'à l'extrême fin des sixties courut parmi les amateurs de pop music une affolante rumeur qui affirmait que si l'on passait certains morceaux des Beatles à l'envers d'étranges et incroyables secrets nous seraient révélés. Mon tourne-disque ayant obstinément refusé de tourner dans le sens inverse à celui des aiguilles de Big Ben, je suis incapable – encore aujourd'hui – d'accréditer ou non ces révélations.
Mais au fait que se passe-t-il vraiment lorsque l'on interprète un morceau de musique en commençant par la fin ? La question peut paraître saugrenue, pas grand-chose affirmeront les rationalistes forcenés. Oui bien sûr. Assurément. A part que si vous rentrez en possession d'un étrange grimoire qui relate une étrange histoire italienne vous risquez... mais la suite se trouve in-extenso sur www.arpeggio-oscuro.fr
Si vous préférez la version papier, vous pouvez éventuellement remplir une demande de prêt à la Bibliothèque du Congrès aux USA. Ce sera long. Alors en attendant, suivez mon conseil, vous feriez mieux de vous jeter sur www.faiseurdeclipse.fr . C'est une nouvelle aventure de Vernon Gabriel, encore plus mystérieuse et encore, beaucoup, mais beaucoup plus, rock and roll !
Damie Chad.
LE ROMAN DE JOHN LENNON
PIERRE MERLE
( Editions Fetjaine / 2010 )
Le roman de John Lennon. Si l'on veut. Au début, ce devait être une vie croisée : celle de John Lennon avec celle de Mark Chapman. Celle de la victime avec celle de l'assassin. Un entre-deux tragique. Ou plutôt une conjonction dramatique. A ceci près que les trente grammes de la balle dum-dum ne fait pas le poids face à la masse de l'éléphant. Qu'elle a pourtant occis. Arrêté en pleine course. N'y a pas grand chose à dire sur Mark Chapman. Alors faut faire durer le suspense. Comme dans un film. Noir, de préférence. Obligation d'éterniser la scène. L'on sait comment cela se termine, au lieu de la garder inutilement pour la fin, on la mettra au début. Ouverture sanglante. Attention à ne pas la bâcler. C'est le morceau d'anthologie. Pas de précipitation. Ménageons la montée d'adrénaline. Quinze heures d'attente devant une porte cochère. Pierre Merle nous en tire cent quarante pages. Reprend les éléments de l'enquête. Un par un. A la loupe. De la précision. Ne nous fait pas le coup des arrière-plans. Pas de coup foireux de la CIA, pas de menées tordues du FBI derrière tout cela. Un détraqué. Même pas un pervers polymorphe, non un dérangé. C'est tout. Certes avec de la suite dans les idées. L'était déjà venu tenter le coup quelques mois auparavant. N'avait pas réussi. Un ratage de sixième zone. Par un raté. L'on a le off : les trottoirs, les badauds, les fans, les gardes, la sécurité. L'a même pris un disque Mark Chapman, pour la dédicace. Un très bel arrêt sur l'image dans la description. Un double brin de fantasy. L'a beau l'agité la pochette le meurtrier, au bout d'une demi-journée, le lecteur risque de s'ennuyer. Heureusement l'on a aussi le in : importation directe dans la boîte crânienne de Mister Chapman. Beaucoup de vide, une seule idée. Pas fausse. Mais banale. La trahison de Lennon. Le prolo devenu milliardaire. Des mots d'ordre révolutionnaires, des chansons incandescentes, et puis plus rien. Une vie de bourge dans un immeuble pour gros richards. Tant de rébellion pour capoter dans le Dakota. Peut vous les décliner sous toutes les couleurs, ses ressentiments, le Chapman. Mais au total, c'est un peu toujours la même chose. Alors pour bien remplir les feuillets, Pierre Merle s'en va fouiller dans la boîte à ordures du passé du citoyen. Joue le Scaduto du pauvre, ouvre le sac de la dérisoire existence de son sujet. Une vie de cloporte. Des parents qui ne s'aiment pas. Une adolescence solitaire. Un petit détour par la religion. Des petits boulots pour lesquels il n'a nulle envie de s'investir. Un mariage décevant. Une vie qui lui échappe. Se réfugie dans le rêve. Un autre monde est possible. Corrigera bientôt de lui-même l'omission du préfixe. Un autre monde est impossible. C'est mieux ainsi, plus près de la réalité. Bien sûr, c'est pire. Une constatation qui s'impose d'elle-même. L'est difficile de tricher avec sa propre vacuité. Se focalise bientôt sur John Lennon. Une obsession, une rancoeur délirante. Faut toujours trouver un coupable pour lui faire endosser la responsabilité de ses propres échecs.
Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Quatre coups de feu, et c'en est fini de John Lennon. De Mark Chapman aussi. L'est en prison depuis trente-cinq ans. Doit trouver le temps long. Doit regretter son geste. Tout le monde s'en fout. Pierre Merle le premier. Le laisse croupir dans sa cellule. Là, le lecteur commencerait à broyer du noir. Mince alors, qu'écrire d'autre ? Reste tout de même une moitié de bouquin à terminer.
La chance des écrivains. De véritables orfèvres. Des orphèvres de la résurrection. Vous ressortent les morts de leur urne comme l'on fait sauter les bouchons de champagne. Et c'est parti pour la saga des Beatles. Tout y est : Liverpool, les Quarrymen, Hambourg, la Beatlemania, Sergeant Pepper et toute la bande, Yoko, le Maharishi, les dissensions, la brouille finale. Séparation, clap de fin. Evidemment le projecteur suit de près Lennon et McArtney. Les autres un peu moins, normal, ne sont-ils pas à eux deux la cheville ouvrière du quartet fabuloso ?
Mais c'est chacun leur tour. Sans Lennon pour donner l'impulsion première, il n'y aurait jamais eu de quatuor. C'est lui qui pousse, qui tire, qui ose. Paul le seconde. Les autres suivent. Parfois ils sont éliminés sans pitié. L'a une revanche à prendre sur la vie, le père qui l'abandonne, la mère qui le met en nourrice chez la tante, et qui s'en va se faire écraser alors que l'adolescent se rapprochait d'elle dans une complicité de plus en plus étroite. De la psychologie à deux sous. L'encaisse tout le Lennon, serre les dents et les poings. Parvient même à en rire, douloureusement. Humour noir et nonsense le sauveront du désespoir.
Au début tout se passe très bien. Une fusée qui monte, monte, monte... Une pharamineuse carrière se dessine à l'horizon qui pour une fois ne recule pas et se laisse très vite atteindre. En 1966, les Beatles sont les grands vainqueurs du moment, entrent en pleine évolution créatrice. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. C'est-là que Lennon nous refait le coup de l'Elvis. Après la pression des jours sans pain, puis celle de l'opulence, c'est la dépression qui arrive insidieusement. Que personne ne voit venir. Surtout pas lui.
C'est qu'il est occupé le Johnny s'en va en guerre. Des disques à enregistrer, le grand amour avec Yoko qui l'initie à l'art contemporain et qui lui donne l'illusion d'être plus intelligent qu'il n'y paraît, et puis la politique qui l'accapare. 69-70, Lennon n'échappe pas aux années gauchistes... Après 66, c'est Paul qui prend la relève, moins d'esbrouffe et davantage de travail, notamment à cause de ce grand escogriffe de John qui prend l'habitude de bosser à l'arrache. Tant et si bien, qu'un jour excédé Paul annoncera l'arrêt du groupe. Un geste dont Lennon pense qu'il aurait su le faire avec davantage de brio et de panache. Mais l'herbe que l'on vous coupe sous les pieds ne repousse pas.
John se retrouve seul. Avec Yoko. Grande gueule qui vient manger dans la main de la déesse mère. Tous deux s'engagent à mort contre la guerre au Vietnam. Militent auprès de la Nouvelle Gauche Américaine, pour la non-réélection de Nixon. L'échec de cette campagne marquera la fin d'une période. Yoko met son mari dehors. Elle sait bien qu'il lui reviendra. L'est libre, mais en liberté surveillée. Quand au bout de dix-huit mois elle battra le rappel reviendra en courant. L'aura eu le temps avec les copains de défonce d'enregistrer Rock'n'roll, le disque nostalgie de ses débuts de rockers. Mais le Teddy est définitivement assagi. Rentre à la maison. S'occupera du bébé. Calme plat pendant cinq ans. Recommence à enregistrer ( avec Yoko ) quand Mark Chapman se met sur son chemin. Revolver au poing.
La vie de Chapman semble bien pâlotte comparée à celle de Lennon. Celle-ci nous l'avons résumée en trois paragraphes mais dont chacune des lignes pourrait devenir un roman de cinq cents pages. Tant de personnes rencontrées dans une époque d'une richesse créatrice incalculable ! N'empêche qu'en fin de compte, les dix dernières années de la vie de John n'ont guère été heureuses. Est aussi mal à l'aise à l'intérieur de lui-même que son assassin. Tous deux souffrent du même mal, l'incapacité ontologique de se dépasser. L'un parce qu'il ne s'est rien permis de prendre du monde en restant pelotonné sur son malaise congénital et l'autre parce qu'il s'est servi trop abondamment. L'un manque d'air et l'autre étouffe. Frères dans la déprime et l'inconséquence.
Des derniers chapitres en quelque sorte thématiques du bouquin, Lennon n'en sort pas grandi. Un naïf qui se laisse manipuler par lui-même. Il adore les révélations fracassantes qui ne cassent pas grand-chose. Ses abcès de colère, ses décisions à l'emporte-pièce cachent trop souvent des reculs devant les difficultés, quant à son humour et son ironie mordante ils s'imposent comme les meilleurs paravents de ses lâchetés. L'on a l'impression que Lennon s'est fait voler sa vie, bien avant les coups de feu fatidiques de cette nuit funeste du huit décembre 1980.
A peine trois ans après Elvis. Tous deux disparaissent après les années de pleine gloire. Comme si le sort avait décidé d'enrayer un déclin inéluctable. Mais chez Elvis la mort vient en quelque sorte de l'intérieur, comme une décision qui n'appartiendrait qu'à lui. Fidèle à ses volitions, Lennon a eu besoin de quelqu'un d'autre pour l'aider à quitter cette planète. Servi sans l'avoir demandé. Le destin d'une rockstar.
Damie Chad.
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