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24/06/2015

KR'TNT ! ¤ 241. COSIMO MATASSA / GUS GUSTAFSON / JALLIES / L'ARAIGNEE AU PLAFOND / ROLLING STONES / ERVIN TRAVIS NEWS

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 241

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

25 / 06 / 2015

 

 

COSIMO MATASSA / JOHNNY GUSTAFSON

JALLIES / L'ARAIGNEE AU PLAFOND

ROLLING STONES / ERVIN TRAVIS NEWS

 

 

ERVIN TRAVIS NEWS

 

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Lyme - Solidarité Ervin Travis

· 20 h

Encore un nouveau traitement et des examens à effectuer

Foie Estomac

... et encore des analyses
Plus de force ni d'énergie avec des douleurs

de plus en plus insoutenables
Nouvel antidépresseur (Le douzième essai)

jusqu'à ce que l'on trouve le bon !
En attendant, recevez encore et toujours toutes et tous

toute notre reconnaissance pour votre soutien
Ervin Evelyne

 

 

 

 

MATASSA LE METISSEUR

 

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Nous n’irons pas par quatre chemins : Cosimo Matassa occupe dans l’histoire du rock le même rang que Sam Phillips. Pendant qu’à Memphis Sam Phillips enregistrait Elvis, Johnny Cash, Carl Perkins et tous les autres, au J&M Studio de la Nouvelle Orleans, Comimo Matassa enregistrait Fats Domino, Little Richard, Lloyd Price et d’autres immenses artistes hélas moins connus. On peut parler d’un son Matassa comme on parle d’un son Sun. Chez Cosimo, on adorait le son du bastringue et les solos de sax. Et de la même façon que Sam Phillips, Cosimo Matassa n’avait absolument aucun problème avec les noirs. Il savait au contraire les apprécier.

 

Curieusement, Cosimo a cassé sa pipe le même jour que Johnny Gustafson, le 11 septembre dernier. The Blues Magazine est le seul magazine qui ait pensé à saluer sa mémoire en confiant une dizaine de pages à Paul Trynka.

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Tout comme Rick Coleman dans son livre sur les origines du rock américain («Blue Monday - Fats Domino And The Lost Dawn Of Rock ’n’ Roll»), Paul Trynka insiste sur l’aspect primitif du matériel dont disposait Cosimo pour enregistrer tous ces orchestres de rock foutraques : une table de mixage avec seulement quatre entrées de micros et une sortie. Comme il n’y avait pas d’air conditionné dans le studio et qu’il y faisait une chaleur à crever, Cosimo avait installé des ventilateurs pour souffler l’air froid de gros pains de glace. C’est lui qui enregistra Guitar Slim, l’un de héros de Jimi Hendrix. En effet, «The Things I Used To Do» de Guitar Slim est le premier disque enregistré avec une guitare en distorse (on peut l’entendre sur «The Cosimo Matassa Story Volume 1» : Guitar Slim joue en lousdé comme T-Bone Walker, il gratouille des trucs à la sauvette et tout le son d’Earl King vient de là). La principale qualité de Cosimo était son ouverture d’esprit. Il enregistra méticuleusement le son ultra-distordu de Guitar Slim qui ce jour-là était venu au studio vêtu d’un costume rouge, comme s’il allait monter sur scène. Cosimo adorait ça. Il adorait voir les artistes faite leur numéro. Pareil pour Fats qui arrivait en studio avec son valet, son chauffeur, une caisse de Whisky Teacher’s et deux kilos de pieds de cochon, un plat dont Fats raffolait et qu’il adorait partager avec les copains. D’ailleurs, lorsqu’il était en tournée, il transformait sa chambre d’hôtel en cuisine. Il emmenait toujours avec lui un réchaud et des pieds de cochons qu’il cuisinait après le concert pour les servir à ses copains musiciens dans sa chambre. Et pour Cosimo, Fats pouvait aussi être «a pain in the ass to record», car au beau milieu d’une prise, il lui arrivait de demander à Cosimo : «Est-ce que je sonne bien ?»

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Tous les géants de la scène «black rock’n’roll» sont allés enregistrer chez Cosimo : Big Joe Turner, Little Richard, Fats Domino, Eddie Bo, Professor Longhair, Roy Brown, Dave Bartholomew, Slim Harpo, Elmore James, les Meters et des tas d’autres fabuleux artistes. Cosimo en était conscient : «I was lucky because I worked with some great great guys. My work was just to get them on tape.» C’est Cosimo qui enregistra le «Dust My Broom» définitif d’Elmore James. Il enregistrait aussi des cuts pour JD Miller, le boss d’Excello et Barbara Lynn pour Huey P. Meaux.

 

L’histoire de Cosimo ne pouvait se dérouler qu’à la Nouvelle Orleans où la tolérance envers les noirs était plus grande qu’ailleurs. Les musiciens noirs étaient traités comme des égaux par les rares blancs qui possédaient des studios. C’est aussi ce que rappelle Mac Rebennack dans ses mémoires, «Born Under A Hoodoo Moon».

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Cosimo enregistra son premier hit en 1947 avec Roy Brown, «Good Rocking Tonight», un cut que Wynonie Harris avait boudé. Roy Brown allait influencer BB King, Bobby Bland et surtout Elvis qui reprit «Good Rocking Tonight» en 1954, soit sept ans plus tard. Cosimo avait compris comment devait sonner un groupe de rock n’ roll. Eh oui, car à la fin des années quarante, il avait déjà enregistré des ribambelles de hits torrides avec Smiley Lewis et Dave Bartholomew, et ça allait continuer dans le début des années cinquante avec Lloyd Price, Huey Piano Smith et plus tard l’immense Earl King.

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Tout le monde connaît l’histoire de Fats, petit pianiste timide découvert par Dave Bartholomew en 1949. C’est lui qui emmena Lew Chudd, boss du label Imperial, voir jouer Fats au Hideout et Chudd fut tellement impressionné qu’il signa Fats sur Imperial le soir-même. Fats eut son premier smash hit avec «The Fat Man». Après cet événement, tout le monde voulut enregistrer chez Cosimo, car il détenait le secret du son. Et Dave Bartholomew - comme Willie Dixon à Chicago - était de toutes les sessions. Pour le trio Fats/Cosimo/Bartholomew, les choses s’emballèrent car en 1956, ils n’avaient pas moins de 17 titres au Hot 100 du Billboard.

 

Pour Cosimo, le son de la batterie était essentiel. «Il y avait des tas de bons batteurs à la Nouvelle Orleans, des gens comme Earl Palmer qui pouvaient jouer n’importe quoi. Dans la plupart des sessions, c’est lui qui menait le bal.» L’autre secret de Cosimo était l’ambiance qui régnait dans son studio. On y faisait la fête - a party - surtout quand les sessions étaient supervisées par Dave Bartholomew ou Bumps Blackwell - qui amena un jour un certain Little Richard en quête de hit - Oui c’est Bumps qui organisa les enregistrements historiques de Little Richard chez Cosimo, avec le phénoménal house-band emmené par Lee Allen (tenor sax) et qui comprenait Alvin Taylor (barytone sax), Justin Adams (guitar), Frank Fields (bass) et bien sûr Earl Palmer au crash-bam boum.

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Trynka raconte aussi comment Earl King, Professor Longhair (que Mac surnommait Fes), Mac Rebennack et «the crazed drummer» Smokey Johnson enregistrèrent «Big Chief», un hit qui allait donner naissance à un genre nouveau, le funk de la Nouvelle Orleans.

 

De la même façon que Sam Phillips, Cosimo monta Dover, un label destiné à lancer les gens qu’il admirait et qu’aucun autre label ne voulait signer. L’intemporel «Barefootin»» de Robert Parker est sorti sur Dover. Mais Cosimo eut moins de chance que Sam et Dover coula, à cause des distributeurs qui tardaient à payer. Dans l’affaire, Cosimo perdit tout, y compris son studio. Ce sont des gens qui l’admiraient comme Allen Toussaint et les Meters qui lui donnèrent de quoi vivre en le faisant travailler comme ingénieur du son. Mais Cosimo était brisé et il retourna travailler dans l’épicerie familiale ouverte par son père immigrant italien en 1924.

 

On le voyait encore rôder dans le quartier, à l’âge de 88 ans, «almost super-humanly positive». Il ne nourrissait aucune amertume sur le passé et il continuait de s’inquiéter du sort des musiciens qu’il avait tant admirés. On retrouve exactement la même chose chez Mac Rebennack, cette profonde humilité et ce souci des autres. Si Cosimo rêvait d’être riche, c’était surtout pour pouvoir payer les fantastiques musiciens qui venaient enregistrer dans son studio.

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S’offrir les deux volumes de «The Cosimo Matassa Story» et l’antho «Cracking The Cosimo Code» récemment parue chez Ace, ça revient exactement à la même chose que de s’offrir les six coffrets des Singles Sun édités par Bear : c’est un chaudron qui risque de vous exploser à la gueule. «The Cosimo Matassa Story Volume 1» et «Gumbo Ya Ya - The Cosimo Matassa Story Volume 2» sont deux coffrets de quatre disques. On trouve sur chaque disque trente titres, et pas des titres à la mormoille. En gros, ça vous donne 240 hits de juke de la Nouvelle Orleans et des découvertes extraordinaires en pagaille. Le volume 1 est le plus rocky de deux. Little Richard et Fats figurent sur la pochette. Quant au volume 2, c’est tout simplement une merveille inexorable.

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Fats est là avec «Reeling And Rocking» qu’il fracasse en le prenant au heavy beat. Il faut aussi voir la classe avec laquelle il prend «My Blue Heaven». Fats prend ça à pleines mains et chante d’une voix de maître. Sa grandeur consiste à dérouler à l’infini. Il chante «Don’t Blame It On Me» d’une voix fêlée, il est vrai que c’est toujours le même tempo, mais on l’écoute car Fats écrase tous les autres sous ses fesses. Au niveau swing, on peut dire que Fats reste imbattable. Pour preuve, son «I Can’t Go On», modèle de swing ultime. Personne ne peut rivaliser avec Fats et son orchestre - Rosalyn come back to me - Encore du pur swing avec «When My Dreamboat Comes Home». Ça part sans prévenir. Voilà une vraie pétaudière. Avis aux amateurs de pétaudières carabinées. «I’m Walking» est encore une preuve de l’existence d’un dieu du swing. Derrière Fats, Earl Palmer bat à la vie à la mort. On a là la combinaison de trois génies : celui de Fats, celui de Cosimo et celui de Dave Batholomew. Quand Fats attaque un slow blues comme «I Want To Walk To You», on recommande son âme à Dieu. Cosimo fabriquait un écho de rêve. On entend là une sorte de reverb insensée qui donne au cut de Fats un air proéminent et une profondeur irréelle. «My Girl Josephine» pourrait bien être l’emblème du shuffle cosimien. Chez Cosimo, ça chauffe et cet énorme artiste qu’est Fats bouffe tout. Son orchestre sonne comme une bande de damnés. Comme Dave Bartholomew, Fats prend «Let The Four Winds Blow» à bras le corps. On a l’impression que les murs bougent avec lui, c’est son côté magique. On retrouve une fois de plus ce swing incomparable. Qui saura dire la grandeur de Fats Domino, le roi du swing, l’homme qui après Elvis a vendu le plus de disques ? On parle ici de 65 millions de disques.

 

On entend aussi Mac Rebennack avec «Storm Warning» monté sur des vieux riffs connus. C’est un instro déterminé, mélange de Link Wray et de tout ce qu’on veut. Mais Mac se paye un solo de sax dévastateur, certainement l’un des plus violents de l’histoire.

 

Dans ses mémoires, Mac raconte qu’il voulut faire la peau de Lloyd Price. Il l’accusait de lui avoir volé un morceau. Par miracle, il n’a jamais réussi à le coincer. On retrouve l’ami Price ici avec «Woo Ho Ho», embarqué au piano et chanté au timbre de glotte blanchie - Please oh please - Ce black cherchait le swing maximaliste et un solo de sax ravageait la prairie. C’est Art Rupe, boss de Specialty, qui découvrit Lloyd Price, alors âgé de 17 ans. Specialty était un label basé à Los Angeles et Rupe était venu faire du repérage à la Nouvelle Orleans. Le premier cut de Lloyd Price pour Specialty fut «Lawdy Miss Clawdy», l’un des hits fondateurs du rock’n’roll. Enregistré bien sûr chez Cosimo sous la direction de Dave Bartholomew. Du coup, Art Rupe ouvrit un bureau à la Nouvelle Orleans. Il nomma Harold Battiste responsable de l’agence. Puis il racheta le contrat de Little Richard à Don Robey (Peacock Records) pour 600 dollars.

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Art Rupe et Bumps Blackwell produisent «Tutti Frutti» en 1955. Little Richard ne connaît pas le sens du mot inhibition. Il est le plus sucré, le plus raunchy et le plus excité de toute la faune qui fréquente le studio de Cosimo. Tutti semble se situer à l’origine de tout et surtout de ce qui fait l’essence du rock’n’roll, la sauvagerie. Et dire que Comimo avait ça sous les yeux ! Et on ne parle même pas du solo de Lee Allen. En 18 mois, cette équipe infernale va mettre en boîte 14 hits planétaires. Tout le monde le sait, «Long Tall Sally», c’est l’enfer sur la terre. Chez Cosimo, les meubles tremblent. Ce cut est probablement le plus explosif de l’histoire du rock. Ses musiciens sont des fous furieux. Lee Allen balance son solo d’antho, comme d’ailleurs sur «Slippin’ And Slidin’». Par contre, «Rip It Up» est joué au drumbeat d’Earl Palmer. Soixante ans plus tard, ce classique sonne toujours merveilleusement bien. Une fois de plus, Lee Allen troue le cul du cut avec un solo incendiaire. Il trashe carrément tout au passage. On retrouve cette merveilleuse explosion d’exaction dans «Readdy Teddy». Lee Allen resouffle comme un diable. On comprend que Lou Reed ait été fasciné par ce saxophoniste. Seul Johnny Walker peut déclencher un tel incendie. En chantant «The Girl Can’t Help it», Little Richard ouvre un four capable d’avaler le monde. Mais on attend bien entendu le solo de Lee Allen que Little Richard introduit par un scream bien dévoyé. Chaque fois qu’on réécoute «Lucille», l’adrénaline monte au cerveau. C’est mécanique. Little Richard pouvait foncer, il avait derrière lui le meilleur orchestre du monde. Après le solo brûlant de Lee Allen, Little Richard repend le beat à pleines mains. Dans les deux volumes, on trouve aussi «Jenny Jenny» et bien sûr «Good Golly Miss Molly», la pétaudière suprême, le raunch de rêve, intense et légendaire, la racine vivante d’un rock qui nous fouille le bulbe depuis plus de cinquante ans.

 

Shirley & Lee figurent parmi les attractions principales du petit monde de Cosimo. Ils étaient si pauvres qu’ils supplièrent Cosimo de les laisser enregistrer un disque. Cosimo leur dit : «Revenez avec deux dollars et on fait le disque !» Ce sera leur premier single, «I’m Gone»/»Sweetheart». «Swseetheart» est troué par un gros solo de sax et ils font de «I’m Gone» un froti-frota torride. Lee arrive comme le sauveur. Quel duo merveilleux ! Shirley chante avec une voix de morpionne et Lee chante comme un vétéran de toutes les guerres. Mélange suprême. «Baby» est un cut explosif lui aussi troué au cul par un solo de sax dément. L’un de leurs plus gros hits s’appelle «Feel So Good» que Lee attaque princièrement et Shirley arrive dans la foulée avec sa petite niaque juvénile. Elle arrache tout et des gros blacks aux mains poilues font des wap-doo-wah au fond du studio de Cosimo. Il faut voir comme ça swingue ! Cosimo est aux anges, il a dans son studio les plus grands artistes de son époque. Autre hit suprême du duo : «Rockin’ With The Clock». Shirley chante derrière, portée par le rumble de la Nouvelle Orleans. Ils sont tous les deux investis du génie de la trépidation et réinventent l’art de shouter en duo. Comme les Collins Kids, ils développent une énergie spectaculaire.

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Qui saura dire la classe d’Aaron Thibodeaux Walker, mieux connu sous le nom de T-Bone Walker ? Il suffit d’écouter «Got No Use». Une grande black vient chanter avec lui. T-Bone joue ses gimmicks insidieux et soudain un solo de sax vient tout balayer. Il lance aussi un «Long Distance Blues» avec un «Hello long distance !» digne de figurer dans les anthologies et il se met à jouer comme un dieu. Ce Texan avait un son exceptionnel et il pouvait jazzer comme Wes Montgomory.

 

Avec «Well I Done Get Over», non seulement Guitar Slim swingue comme un démon, mais il chante aussi avec des manières de prétendant au trône.

 

Professor Longhair est le père spirituel de Mac Rebennack. On l’entend chanter le fameux «Tipitina» que reprendra Mac sur «Dr John’s Gumbo», l’album qu’il a consacré aux personnages légendaires de la scène de la Nouvelle Orleans. En chantant son vieux cut, Fes s’égosille. Avec «Go To The Mardi Gras», Fes fait jouer les tambours africains. Personne ne peut rivaliser avec ça. Et Fes siffle, histoire de créer une distance - With your ticket in your hand/ You gonna go to New Orleans/ Et là tu verras the zooloo king/ And if you stay right there/ Tu verras aussi the zooloo Queen !

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Comme Fes, Huey Piano Smith fait partie des grandes légendes de cette scène grouillante de vie. Son «Little Liza Jane» se fond dans la légende comme le bronze des canons ennemis dans la statuaire impériale. C’est énorme d’africanité et d’une richesse musicologique inestimable. Sa version de «Rockin Pneumonia & The Boogie Woogie Flu» mérite d’entrer dans les annales car Huey y hurle comme un beau diable. Rien d’aussi fulgurant au niveau swing que «Would You Believe Me If (I Have A Cold)». Avec «For Cryin Out Loud», Huey montre une supériorité certaine. Il domine le monde à sa façon qui est la bonne, sans vouloir écraser les autres. Huey fait son cirque avec ses Clowns chez un Cosimo éberlué qui n’en perd pas une miette.

 

Smiley Lewis chante tous ses cuts d’une voix incroyablement ancienne. Il semble sortir de la nuit des temps et il n’a aucune chance d’entrer dans la modernité. C’est l’un des personnages les plus étranges, pour ne pas dire inclassables, de cette scène. Il s’est fait du blé avec sa version de «Blue Monday». On trouve aussi son «Real Gone Lover», un fantastique jump-blues dévasté par la pétarade d’un solo de sax. C’est chez Smiley que Dave Edmunds est allé repêcher «I Hear You Knocking». On a là la version originale qui est énorme. On est aux origines d’un monde qui s’appelle le rock anglais. Il semble que Dave doive tout à Smiley. Avec «One Night», Smiley creuse son sillon. Il a la teneur d’une ténor d’opéra des champs. Sacré Smiley. Son «Mama Don’t Like Me» est fulgurant de swing - We like pop music/ We like blues music/ We like jump music !

 

Autre personnage-clé de cette scène, Pee Wee Clayton qu’on entend avec «You Know Yeah», gros blues rock des familles du Quartier Français. Il traite ça à la Lazy Lester, c’est-à-dire en boogie millésimé et balance un solo de punk, alors on cesse de rigoler. Ce mec claque sa gratte comme une brute. C’est un killer vermoulu. Sur «Runnin’ Wild», il balance un solo de dingo, et il le fait intentionnellement.

 

Edwin Joseph Bocage, mieux connu sous le nom d’Eddie Bo, vaut lui aussi le détour. Avec «I Got To Know», il sonne un peu comme Ray Charles. Non seulement ces mecs savent secouer le sableur, mais Cosimo sait capter toutes les nuances du son. Voilà le groove idéal pour des vacances au bord de la mer. Attention à «Lover & A Friend» que chante Eddie en duo avec Inez Cheatman : c’est un stomp monstrueux, un groove de génie pulsé au sloop de la Nouvelle Orleans. Inez est une bonne et leur truc frise la démence de la jukence. «Walk The Walk» fut certainement un gros hit à l’époque, car c’est chanté avec une telle classe qu’on en reste coi. Et ça swingue. Chez Cosimo, ça swingue dans tous les coins, jusqu’au cœur de la moindre molécule de matière. Il chante «Oh Oh» de ses deux dents de castor. Eddie Bo fait sa bête avec «I Love To Rock ‘n’ Roll». Il chante ça d’une voix d’ange déchu et c’est violemment bon - Clap your hands and move/ Don’t you be no square - et derrière Eddie ça claque des mains - Oh my God, même Cosimo claque des mains - Clap your hands and move - Eddie Bo !

 

On entend aussi pas mal d’instros de Lee Allen et notamment «Creole Alley» claqué au sax et à la guitte de dingo. Lee Allen semble toujours vouloir battre tous les records de puissance dans la présence. Ces musiciens étaient complètement barrés. On retrouvera Lee Allen plus tard avec les Stray Cats et les Blasters.

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Voilà Earl King, chanteur, compositeur, arrangeur et fondateur d’un label, qui apprit la guitare pour imiter son héros Guitar Slim. Earl est un excité, comme on peut le voir avec «Can You Fly High». Il défonce tout. Il chante au scratch et arrive l’inévitable solo de sax infernal. Son cut vaut tous les hits de Wilson Pickett. Dans «Trick Bag», Earl King joue un joli riff insidieux. Pas étonnant que Mac Rebennack se soit prosterné devant ce guitariste doué d’une extrême finesse. On peut même aller jusqu’à le traiter d’inventeur. «Poor Sam» est un véritable killer kut, chanté et joué de façon démente. On pourrait même aller jusqu’à parler de génie punk des bas-fonds. Sacré Earl, il ne recule devant aucun excès. Il est le King de la Nouvelle Orleans, pas de doute. Son «Poor Sam», c’est à tomber. Alors on tombe. Ce monstre d’Earl King chante «Everybody’s Carried Away» au timbre altéré. Et hop, un gros solo de sax par là-dessus puis il balance son solo de punk. Le son monte comme la marée. Alors qu’Earl revient au chant, derrière lui, ça bruine incroyablement. Pur génie.

 

Auteur-compositeur, bandleader supreme, trompettiste, arrangeur de génie et producteur, Dave Batholomew savait tout faire. Issu d’une famille de coupeurs de canne, Dave Bartholomew fut considéré comme l’architecte du son New Orleans. De la même façon que Willie Dixon, Dave était une force de la nature et le principal interlocuteur des musiciens de session. Cosimo s’appuyait sur lui pour l’organisation des sessions. On l’entend dans les deux volumes, évidemment, notamment avec «Tra-La-La» et «Teejim». Il a dans la voix toute l’énergie du grand peuple noir. Avec «Stormy Weather» il se montre stupéfiant de bonne tenue. On sent comme chez Big Dix la force de la nature. Quand on entend «The Monkey Speaks His Mind», on voit bien que Dave Bartholomew sait chauffer un groove et qu’il sait balancer des solos de trompette extravagants. Encore plus effarant : «Four Winds», pur jive de juke, battu dans le fouillis du son et bardé de cuivres, hallucinant de musicalité. Franchement, Cosimo Matassa savait produire un enregistrement. Avec «Shrimp & Gumbo», Dave tape dans l’antillais et bat tous les records de véracité productiviste.

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Ronnie Barron figure en bonne place dans les mémoires de Mac Rebennack. Harold Battiste et Mac tentèrent de lui refiler l’habit de Dr John Creux au milieu des sixties, mais c’est Mac qui finira par l’endosser. À la place, Barron créa son alter-ego, Rev Ether, et travailla pour Paul Butterfield, Tony Joe White, Ry Cooder, BB King et bien sûr Dr John. Avec «Did She Mention My Name», on découvre un fantastique chanteur.

 

Lee Dorsey fut l’un des plus gros vendeurs de disques de la scène New Orleans. Allen Toussaint produisait ses hits. Ils se vendaient comme des petits pains mais Lee Dorsey continuait de réparer des bagnoles dans son garage, car il se méfiait des mirages de la starisation. «Get Out Of My Life Woman» est une sorte de groove seigneurial. Quand Lee Dorsey chante, le temps s’arrête. Il est tout simplement l’un des héros de cette scène. Il chante d’autorité, tout le monde le sait. Il se situe au même niveau que Marvin, mais versant Nouvelle Orleans. Autre merveille : «Lottie Mo». Lee Dorsey, c’est un peu le dandy du groove. C’est le noir Drieu du Morand des morasses. Lee tartine ça sans toc. Quand Lee Dorsey a attaqué «Ya Ya», Cosimo a dû tomber de sa chaise. Oui, car c’est beaucoup trop bon. Lee enfonce son clou avec «Do Re Mi». Il chante ça avec une niaque suspendue.

 

Selon Mac Rebennack, Johnny Adams fut le plus grand soulman de la Nouvelle Orleans. On le surnommait The Tan Canary et on allait même jusqu’à dire aux États-Unis qu’il était l’une des plus grandes voix de son époque.

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Art Neville est le fondateur des Meters. On le retrouve ici avec «Cha Dooky-Doo» qu’il joue à la claquette. Il chante un peu du nez et il met vite de l’ambiance dans la cambuse à Cosimo.

 

On appelait Aaron Neville The Voice. Il balance des groove de rêve. Son «Even Though» est un slowly but sureley, mais pas n’importe quel slowly. Aaron est un chanteur brillant, il travaille son son comme un orfèvre et ne semble vivre que pour l’émerveillement permanent. Les Meters deviendront par la suite les Neville Brothers, avec autour d’Art, Cyril, Charles et Aaron.

 

Frankie Ford restera dans l’histoire du rock grâce à «Sea Cruise», un hit d’abord enregistré par Huey Piano Smith. C’est l’enfer du son, encore pire que chez Little Richard. Robert Parker joue du sax là-dessus. Voilà bien le hit absolu, perclus de son et fouillé au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. Frankie est timbré et c’est la raison pour laquelle on le vénère. Il est dans le génie interprétatif et productiviste, comme l’étaient les Coasters ou les Temptations. My God, sans Cosimo, tout cela n’aurait peut-être jamais existé. Une chose est certaine : ce son n’existe pas ailleurs. Tout vient d’un petit rital nommé Matassa. Nouvelle machine infernale avec «Roberta». On se retrouve une fois encore au cœur d’une scène exceptionnelle. Les chœurs frisent la démence, le beat reste imparable et Frankie Ford swingue comme un démon. Nous voilà grâce à lui au sommet de cet art qu’on appelle le rock’n’roll. On ne trouvera pas ailleurs un truc aussi secoué, aussi inspiré, aussi gorgé de son et de jus. Retour du démon avec «Alimony». Il aurait fallu faire empailler Frankie Ford, il était trop bon. Avec «What’s Going On», Frankie s’arrache la glotte. Ce screamer peut se montrer digne de Little Richard.

 

Autre grosse poissecaille de cette scène : Ernie K Doe. Avec «Mother-In-law» paru en 1961, il eut l’un des plus gros hits de la Nouvelle Orleans. Il passa ensuite les années soixante-dix et quatre-vingt dans un bain d’alcool, ce qui explique qu’il soit sorti des écrans radars. Il attaque «Mother-In-law» par en-dessous, épaulé par des chœurs terriblement duveteux. Ernie se prélasse dans l’ouate moite. Il extrapole son génie interprétatif. «A Certain Girl» est un vrai groove de juke bardé de chœurs terribles.

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Et on entend aussi dans ces compiles somptueuses des chanteurs incroyablement doués comme James Wayne avec «Agreable Woman», Little Mr Midnight avec «Got A Brand New Baby» (qu’il chante d’une voix de castrat et derrière, c’est la pétaudière des vieux standards de Little Richard), Roy Baldhead Byrd avec «Rockin’ With Fes» (troué par un fabuleux solo de sax), Slim Saunders avec «Let’s Have Some Fun» et qui se perd littéralement pour Little Richard. Il swingue sous les jupes de l’orchestre et c’est d’un niveau qui dépasse les normes. Et puis sur le disk 2 du volume 1, on tombe sur Bobby Mitchell & The Toppers : «Sister Lucy». Attention, c’est une attaque de requins. Bobby chante comme un dieu. L’ambiance saxée embobine l’oreille. À partir de là, c’est foutu. Impossible d’échapper à la classe phénoménale de Bobby Mitchell. Même chose avec The Spiders et leur «21», une pure leçon de swing dans la démence de la partence, toujours le solo se sax troueur de cut et derrière ça claque des mains. Il règne dans le petit studio de Cosimo une ambiance surchauffée. Ces mecs jouent avec l’énergie du diable et ils cassent tout, les ventilateurs, les pains de glace, les chaises et les biscottes. Autre pure merveille : «Rich Woman» de Li’l Millet & His Creoles, un cut qui avance de travers, comme un crabe des cocotiers. Voilà un groove définitivement énorme et même renversant. C’est riffé aux trompettes avancées et Li’l Millet chante à l’édentée. Il raconte n’importe quoi, porté par une vague de groove magique. Roy Montrell chante «Ooh-Wow» avec un guttural des bas-fonds. Il sonne comme un gladiateur à l’agonie. Quel sacré pusher ! Par contre, son «Everywhere I Hear That Mellow Saxophone» coule comme du miel dans la vallée des plaisirs. On a aussi deux titres de l’incroyable Werly Fairburn, un rockab blanc arrivé chez Cosimo par hasard. Cosimo savait aussi enregistrer le slap, comme on peut le constater à l’écoute de «I’m A Fool About Your Love». Derrière Werly, un dingue joue des hillbilly licks au long et on re-salue au passage le génie productiviste de Cosimo Matassa. Dans le son, tout est incroyablement raffiné et bien fourni. Encore une pure merveille de hillbilly avec «All The Time» qui est slappé comme dans un rêve. Dans le son, tout est beau et comme mis en lumière : le piano, le slap, les riffs et le jeu au long. Une absolue merveille. Autre merveilleux inconnu : Oliver Morgan, avec «Who Shot The Lala», un gros groove des bas-fonds de la Nouvelle Orleans, un vrai groove de voyou rocailleux et gluant à souhait - Who shot the lala/ I don’t know - Même le solo est gluant. Voilà du punk-rock primitif. Ce veinard de Cosimo voyait ces gens-là jouer dans son studio. Oliver chantait et des filles lui répondaient ouuu yeah ! Avec «Play A Cornbread Song For Me And My Baby», Joe Haywood rivalise carrément de punch avec James Brown. Et forcément, son truc tourne à la monstruosité. Chanteur fantastique aussi que ce Bobby Charles. Il chante «Laura Lee» d’une voix un peu éteinte. Énorme hit que le «Rockin’ Behind The Iron Curtain» de Bobby Marchan. Voilà encore un beat pulsé à l’extrême et capable de faire sauter n’importe quel juke-box. Il faut aussi entendre «Just One More Chance» par Paul Gayten. Encore un fabuleux swinger qui chante d’une voix tannée et bien posée sur le sommet du pot de gumbo. Voilà qu’arrive un autre preux chevalier du swing : Diamond Joe qui avec «Moanin’ & Screamin’» monte au firmament voodoo pour l’éternité.

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On sort de là à quatre pattes et poussant des cris étranges.

 

Signé : Cazengler, aka Cosimodo Matuvu

 

Disparu le 11 septembre 2014

 

The Cosimo Matassa Story. Volume 1. Proper Records 2007

 

Gumbo Ya Ya. The Cosimo Matassa Story. Volume 2. Mis 2012

 

Cracking The Cosimo Code - 60s New Orleans R&B And Soul. Ace Records 2014

 

Rick Coleman. Blue Monday. Fats Domino And The Lost Dawn Of Rock ’n’ Roll. Da Capo Press 2006

 

The Blues Magazine #17. November 2014. Big Chief par Paul Trynka.

 

 

 

GUS N'EST PAS UN GUGUSSE

 

 

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Prenons l’exemple de la vie de Johnny Gustafson qui est passé de vie à trépas en septembre dernier : sa vie résume plutôt bien l’histoire du rock anglais, puisqu’il a navigué dans bon nombre de groupes importants pendant quatre décennies. On commence par le Mersey Beat de Liverpool avec les Merseybeats et les Big Three, puis on passe au gros prog seventies avec Quatermass, et de là on saute dans la scène proto-hard avec Hard Stuff et l’hyper-mythique John Du Cann. Oh, ce n’est pas fini ! En 1973, Roxy qui n’a jamais eu de bassiste attitré cherchait quelqu’un pour enregistrer son troisième album, et hop, viens par là mon petit Gus. Un peu plus tard, Gus reformait les Pirates avec Mick Green. Rien qu’avec ces quelques groupes, on a une sorte de crème de la crème du rock anglais.

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Comme les Beatles, les Big Three se situent à l’origine des temps. Gus, Johnny Hutchinson et Brian Griffiths voulaient se démarquer des autres groupes de Liverpool par la puissance du son - The Big Three payed rougher than anybody else - Gus : «There was more violence in the attack of our instruments and our drumming was loud and raucous.» Et ils insistent sur le «very raucous style of attack». Comme les Beatles, les Big Three sont managés par Brian Epstein et ils vont faire leurs classes au Star Club de Hamboug - They were already a wild rock’n’roll band and they simply got even wilder - Et ils enregistrent leur premier single sur Decca. Mais Brian Epstein essaie de transformer ces trois brutes en happy smiling pop performers. Il croyait même pouvoir les obliger à se déguiser en Beatles avec des petits costumes ridicules, mais les trois Big Three l’ont envoyé sur les roses. On disait alors de Brian Griffiths qu’il était le meilleur guitariste de Liverpool. Pour les témoins de l’époque, les Big Tree étaient out of this world. Ils étaient trois et sonnaient comme cinq. «Just a loud improvised jazz sort of sound !» Au fil des concerts, Gus devint une superstar à part entière car tout le monde le citait en référence. Plus tard, on a même comparé les Big Three à Cream, mais en entendant ça, Gus s’est marré : «On était un trio de hard rock, alors que Cream était un trio de blues with a fancy guitarist.» Finalement, Brian Epstein les vire en 1963 pour mauvaise conduite et c’est la fin du groupe. Hutch tente de continuer l’aventure avec d’autres musiciens, mais c’est cuit. Gus est récupéré par les Merseybeats qui tournent en Allemagne. Gus n’aime pas leur musique, mais il a besoin de blé.

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Grâce à Edsel, on peut entendre Gus et ses deux copains sur «Cavern Stomp», une compile qui reprend les singles poppy et le fabuleux EP «Live At The Cavern». Le seul cut décent de la face A est «Cavern Stomp», face B du premier single Decca. Hutch chante comme un punk et bat ça sec. Quelle énormité cavaleuse ! Les grosses pièces se nichent en face B, et pour commencer quatre classiques enregistrés live dans le fameux smoking hole de Liverpool : «What’d I Say», version chauffée à blanc, «Don’t Start Running», beau beat typique des années de braise, «Zip A Dee Doo Dah», gros mid-tempo solidement soutenu au gimmick par Griff et «Realin’ And Rockin’», l’énormité que tout le monde attend au virage. Pour l’époque, les Big Three sortent un son d’une incroyable modernité. Comme dirait Gus, c’est du loud and raucous. Hutch bat dur et Gus fait rouler sa grosse bassline. Stupéfiant ! Mais c’est de la rigolade à côté de ce qui suit : «You’ve Got To Keep Her Under Hand». Voilà une monstruosité préhistorique, c’est le premier heavy rock d’Angleterre. Gus et ses copains sortent un vrai jus de pétaudière, ce qui pour l’époque - 1963 - semble complètement irréel.

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Gus remonte les Big Three en 1973 avec Brian Griffiths, juste pour le fun. Ils enregistrent «Resurrection» avec Nigel Olsson au beurre. Gus y chante un étrange mélange de classiques du rock : «Rockin’ Robin», «Let It Rock», «Money» et «Dizzy Miss Lizzy». Il faut attendre «Just A Little Baby» pour trouver la viande. Gus chante ce rock comme un cut de soul et Brian Griffiths envoie une sorte de killer solo capable d’édifier les édifices. Tout ça sur fond de beat épais et de chœurs féminins. Plop ! L’oreille se dresse. Mais quelle est cette entourloupette ? La version de «Money» qui ouvre le bal de la face B préfigure la heavyness de Hard Stuff. Et les énormités arrivent. Pas n’importe quelles énormités : «All Of Me», pour commencer, jolie pièce de rock violent et bien contrebalancé aux drums. Brian Griffiths nous sabre ça au long cours. Il joue vraiment comme un punk. On ne comprend pas que ce trio ne soit pas devenu célèbre. Johnny Gustafson chante comme un beau diable et sa basse gronde sous le mix comme le dragon de Merlin sous la surface de la terre. Ça continue avec «Prince Of Love», grosse pièce de pop-rock âpre et lancinante. Gus tranche dans le lard du cut avec une belle aménité et Brian Griffiths balance l’un de ces solos complètement allumés dont il a le secret. Gus chante au chat perché et reste toujours remarquablement juste. D’ailleurs il finit ce bel album avec une version de «Lucille» digne de celle de Little Richard. En tant que bassiste chanteur, Johnny Gustafson aurait dû devenir aussi célèbre que Paul MacCartney.

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On connaît principalement les Merseybeats pour leur version de «Sorrow», bardée d’harmonies vocales invincibles. Johnny ne restera dans le groupe que quelques mois, le temps d’enregistrer quelques pièces fumantes comme ce «Milkman» embarqué à la bassline. Gus joue et ça s’entend ! Le hit parfait, avec ses clap-hands, ses harmonies vocales et cette terrible bassline têtue qui revient en boucle, à la folie. Autre gros coup de Jarnac : «Really Mystified» : pur garage. La basse de Johnny pousse le cut dans le dos et on tombe en arrêt sur un break de guitare punk. Et pouf ! Johnny envoie tout ça valser dans les orties. C’est une véritable dévastation - Yes ! Yes I am ! - Les Merseybeats se débrouillaient aussi très bien sans Johnny, comme on le constate à l’écoute de «Good Good Feeling» (complètement explosé aux clap-hads) ou encore «See Me Back» (pop énorme) et bien sûr «Jumpy Jonah», d’une exceptionnelle sauvagerie.

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Quand Johnny Gustafson monte «Quatermass» en 1970, c’est pour créer un monde. Il s’entoure de Peter Robinson (claviers) et de Mick Underwood (beurre). Comme l’orgue dominait, on fit à l’époque le parallèle avec les Nice de Keith Emerson. Pour l’amateur de rock progressif, ce disque est un festin, car tout y est extrêmement travaillé, arrangé et sophistiqué. Et surtout solide. Gus chante au chat perché et il utilise sa voix comme un instrument. C’est dingue ce qu’il sait driver un cut à la basse. Il est omniprésent. Il draine tout le beat à lui seul. Le pire, c’est qu’il suscite un intérêt constant et il débouche sur un final éblouissant. Et paf, c’est là que s’établit un autre parallèle. Avec Jack Bruce. Même genre d’histoire et même appétit de modernité. Gus nous gâte avec une jolie pâte de blues cuit, «Post War Saturday Echo» et Peter Robinson nous la jazzifie généreusement. Franchement, tout est bon sur ce disque. Gus chante «Up On The Ground» au bord du précipice. Quelle dévissade ! C’est balayé au shuffle et ça devient prodigieusement entreprenant. Gus aménage de grosses accointances au coin du groove. Il claque son breaking bad pendant que Peter Robinson joue le jazz des jiveurs forcenés. Ça tourne à la violence sophistiquée, un genre nouveau. On comprend que les gens de Roxy aient louché sur Johnny Gustafson. Encore plus énervé : «Gemini», puis Gus passe au broutage de basse avec «Make Up Your Mind» qui sonne comme un hit freakbeat. Un vrai terminator de trigger. Et la fête se poursuit avec «What Was That» joué à la flûte de Pan sur le clavier du diable. Et comme si le premier coup ne suffisait pas, ils font une reprise de «Make Up Your Mind» encore plus violente que la première. Franchement Quatermass méritait sa une au Melody Maker. Ils concluent cette belle virée avec «Laughin’ Tackle», tout aussi exceptionnel, où un joli shuffle chasse sous le couvert.

 

Entre deux projets, Gus faisait le session man. Voici les épisodes les plus connus : quand Linsey de Paul entra en studio pour enregistrer son fameux «Sugar Me», qui vint l’aider ? Le chevalier Gus, évidemment, et Peter Robinson, son collègue dans Quatermass. Gus joua aussi sur le fatidique «Once Bitten Twice Shy» de Ian Hunter.

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Ce brillant bassman et John Du Cann devaient bien finir par jouer ensemble, car leurs conceptions respectives du power trio concordaient parfaitement. Ils enregistrent «Bulletproof» en 1972. Cet album est considéré comme le Graal du rock hard britannique. On s’aperçoit bien vite que John Du Cann est un guitariste qui échappe aux lois de la physique : sur «Jay Time», il gratte ses cordes dans tous les sens, il gesticule et saute comme un cabri piqué par des guêpes. «Sinister Minister» arrive comme un missile et on se le prend en plein dans les gencives. Il se dégage de ce cut un vieux parfum boogie à la Mott The Hoople, mais John Du Cann corse l’affaire en triturant un effarant solo liquide. Aujourd’hui, on appelle ça un killer solo du diable vert. On reste dans le gras double avec «No Witch At All», ce gras de cochonnaille qu’apprécient les bons vivants barbus et ventripotents. Puis Paul Hammond nous stompe «Taken Alive», un boogie signé Gus qui adore Mott. John Du Cann rôde sous le boisseau avec ses horribles notes en suspension. C’est conçu dans la fumée de l’urgence du son et ça bat comme un cœur de ptérodactyle. Gus finit ça à la basse - baboum baboum - John Du Cann riffe impitoyablement «Time Gambler». Il plaque ses accords avec la foi du charbonnier. Il hache tout ça menu et Paul Hammond bat la cloche. Gus fait des merveilles à la basse. Hard Stuff s’inscrit dans la grande tradition des power trios instaurée par les Big Three. Riffé encore plus sec, voilà un «Millionaire» punkoïde, épais, vénéneux, sanglé serré et mené à l’assaut par l’ineffable John Du Cann. On nous gave d’infos sur Eric Clapton, mais jamais on ne cite le nom de John Du Cann, ce qui relève de la pire des injustices. Quand on connaît John Du Cann, on guette ses solos. On sait qu’il va partir systématiquement en vrille. Sacré John, il ne recule devant aucun excès. Il défonce les murailles. Il traverse le bâtiment d’Est en Ouest. Il faut voir la taille de ses sourcils. On sent bien la terre des Angles, these animal men, comme les appelait Jules César lors de l’invasion de l’île. En John Du Cann, on sent bien le sous-prolétariat de Whitechapel. Voilà un guitariste qui aime le gras et les tympans crevés. Il ne pouvait que bien s’entendre avec Gus. Il est inconcevable que «Millionaire» ne soit pas grimpé au sommet des charts anglais. Et ce n’est pas fini, car il reste «Monster In Paradise» où John Du Cann fait flamber la mythologie du power tio. Dans «The Provider Part One», John Du Cann plane en solo comme un biplan de la Luftwaffe, alors que Gus joue métal sur sa basse. On se croirait chez Miles Davis. Voilà encore un cut capable de dilater les orifices.

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Leur second album «Bolex Dementia» n’est hélas pas aussi bon. Nos trois amis s’engluent dans le prog. Avec «Roll A Rocket», on constate que John Du Cann adore construire des ponts alambiqués qui non seulement ne mènent nulle part, mais qui en plus ne servent à rien. Par chance, nos trois amis reviennent au glam avec «Ragman» et jouent ça avec un réel aplomb. Ils nous font là du pur Roy Wood. Pour la petite histoire, c’est un accident de voiture qui a brisé la carrière de ce groupe appelé à devenir énorme, au moins en Angleterre. On trouve un autre glam de banlieue sur cet album : «Jumpin’ Thumpin’» que John Du Cann chante avec toute la latitude que lui confère son statut de guerrier invincible. Ils finissent avec le morceau titre qui se perd dans des circonvolutions. Amen.

 

Avant de s’appeler Hard Stuff, le groupe s’appelait Bullet. Le vaillant petit label britannique Angel Air a sorti les bandes d’un placard. On retrouve la violence riffique de John Du Cann dès le cut d’intro, «Doors Open», râpeux et drummé à la dure par l’implacable Paul Hammond. De vieux relents d’Atomic Rooster s’échappent du cut. John Du Cann joue sec et sévère. Pour ceux qui le connaissent, il reste l’indétrônable roi de la riffaillerie. On retrouve cette belle compo de Gus, «No Witch At All», présente sur le premier album de Hard Stuff, ainsi que d’autres merveilles comme «Millionaire», «Taken Alive» (qui sonne aussi comme un hit) et «Sinister Minister», un glam digne des stades. Rien qu’avec ces trois ou quatre titres, Bullet entrait dans la cour des grands. Dans «Entrance To Hell», on entend la belle basse de Gus chuinter. Encore un hit fondateur avec «Fortunes Told», gros rock travaillé au corps avec aménité, assez proche de ce que faisait Deep Purple dans «In Rock». John et Gus avaient le cul entre deux chaises : d’un côté le stomp et de l’autre le proto-hard. Mais ses départs en solos restent des modèles du genre. On retrouve aussi sur l’album de Bullet la sévère purée de «Time Gambler», avec son chant crochu, son riff agressif et la belle partie de basse du père Gus.

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Gus commence à jouer dans Roxy en 1973, l’année où paraît «Stranded», troisième album du groupe - et pour les fans de la première heure, l’amorce du déclin - Ne cherchez pas Gus sur la pochette, il n’y figure pas, pas plus qu’il ne figurera sur les trois autres albums où on le crédite en tant que bassman. N’ayons pas peur des mots : «Stranded» est un album raté qu’on revend et qu’on rachète, histoire de vérifier qu’il est bien raté. On ouvre le gatefold, on voit les cinq Roxy traités à la saturation Psd. Gus n’y est pas, mais il s’en fout. Le seul cut sauvable de l’album est «Amazona» monté sur un beau groove de basse. Gus est poussé devant dans le mix. Phil Manzanera joue son solo dans la pampa et Gus lui procure un petit terreau propice aux notes épisodiques. Ils s’offrent tous les deux un fantastique redémarrage en côte. Si Roxy s’écroule comme un château de cartes avec ce troisième album, la raison en est simple : Eno vient de se faire virer.

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«Country Life» peut être considéré comme le dernier album potable de Roxy Music. Ne serait-ce que pour ce cut énorme qu’est «The Thrill Of It All». Le pounding, eh bien c’est Gus qui l’envoie. Il a la chance de jouer avec ce magnifique batteur qu’est Paul Thompson. Gus joue de belles transitions hurlantes. Il est admirable, ô comment ! Phil Manzanera a beau jouer des envolées, c’est Gus le boss du cut, c’est lui qui coache le coup comme un crac. Gus nous gave de groove. Il bosse bien ses bedons de basse. C’est une bénédiction pour les tympans hypersensibles. Gus bombarde comme un vieux canonnier de la flibuste. On lui dit : Gus tu vas jouer ça, alors il sort ses triplettes fatales. Bryan Ferry a beau chanter comme un beau diable, c’est Gus qui gode comme un God. Il n’en finit plus de manager l’ampleur apocalyptique. Même chose avec «Three And Nine», il joue ses notes distinguées et si on se laisse aller, alors on n’entend plus que lui. Sur «Out Of The Blue», il joue un beau gimmick de devant-derrière. Il construit bien l’ambiance, c’est un être participatif. Tout le cut repose sur ses épaules. Finalement, tous les bons morceaux de cet album sont montés sur des grooves de basse : «Casanova» ou «Prairie Rose» roulent sur d’intrépides basslines. Pour un peu, on irait lui serrer la main pour le remercier d’avoir sauvé l’album.

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Comme Gus est un mercenaire, il n’est pas dessiné au dos de la pochette de «Siren». On voit les cinq autres (Ferry, Thompson, Manzanera, Jobson et McKay) mais pas Gus ! Et pourtant, c’est lui qui sauve encore une fois cet album du désastre. Car il faut dire que le Roxy de 1974 décline dangereusement et vise la pop commerciale (comme Patti Smith et Blondie) et donc les fans de la première heure décrochent en masse. «Love Is The Drug» fut un énorme hit commercial aux États-Unis. Tout le morceau reposait sur la bassline métronomique de Gus. Dans le mix, il était devant, avec sa bassline tagada. La face A était d’une insignifiance terrible et il fallait attendre la face B pour se réveiller avec «She Sells», du Roxy gothique d’usage. Gus amenait une bassline décadenassée, mais comme Bryan Ferry, il savait aussi rester carré d’esprit. La pop narratrice de Ferry devenait vite ennuyeuse et l’absence de panache se faisait cruellement sentir. Il y avait un dernier spasme sur cet album avec «Both Ends Burning» et son atmosphère tendue et généreuse à la fois. Mais on sentait bien que la messe était dite pour ce groupe dont les deux premiers albums avaient été si brillants.

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Si on écoutait l’album live «Viva» sorti la même année que «Siren», c’était uniquement parce que Gus jouait dessus. Mais il y a quatre bassistes crédités sur la pochette : Johnny, John Wetton, Rick Wills et Sal Maida. L’avantage de cet album est qu’on retrouve «Pyjamarama», immense classique du Roxy des débuts, vrai cut dandy qui devait figurer sur «For Your Pleasure», mais qui fut rejeté. «The Bogus Man» figure aussi sur la set-list, l’archétype hypnotic d’une époque fantastique, celle de «For Your Pleasure», ce fatidique deuxième album. Ils finissent avec l’imparable «Do The Strand» tiré aussi du deuxième album. On revoit encore les gens qui dansaient là-dessus, lorsqu’un DJ avisé le jouait dans un festival du début des années soixante-dix en Angleterre.

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C’est en 1988 que Johnny, Mick Green et Les Sampson enregistrent «Live In Japan». Johnny qui adore le format power-trio a reformé les Pirates et il chante au chat perché, comme dans la reformation des Big Three. Ce disque donne l’occasion de réentendre ce fabuleux guitariste qu’est Mick Green, grand sabreur de goulots devant l’éternel. Il commence son festival dans «Ain’t Got No Money» et Johnny fait rouler sa bassline comme un vieux pro de Liverpool. Ce n’est pas compliqué : dans tous les morceaux, Mick Green place un solo inflammatoire. Ils font une version démente de «Lonesome Train». Ils jouent ça au riff sourd et développent la vélocité rockab. Mick Green allume la gueule d’un solo trash et aussitôt après ce coup de Jarnac, ils nous font un autre coup de Jarnac avec un «Money Honey» tellement saturé d’énergie que la basse de Gus pouette pouette. Il joue ses gammes pépères pendant que ce cinglé de Mick Green incendie le Reichstag. On attendait «Please Don’t Touch» au virage. Voilà le vieux hit de Johnny Kidd et son vieux maître d’équipage Mick Green le joue à la bonne arrache sur un beat rockab. Pire encore, avec «Honey Hush», Mick Green part en vrille, mais pas n’importe quelle vrille, celle du charpentier exacerbé et il multiplie les coups d’éclat à l’infini. Si vous cherchez un bon power trio, un conseil, retenez celui-ci. Ils tapent ensuite une superbe version raunchy de «Peggy Sue» et font chanter des milliers de Japonais sur «Shaking All Over». Dans les liner, Mick Green raconte qu’au Japon, on les considère comme des stars. Un jour, un jeune Jap arriva dans la loge avec une pile de disques sous chaque bras pour demander des signatures : TOUS ceux que Johnny avait enregistrés et TOUS ceux que lui, Mick Green avait enregistrés depuis l’âge de 18 ans, «and that included Englebert Humperdinck !»

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Signé : Cazengler, le gustomisé

 

Disparu le 11 septembre 2014

 

The Big Three. Cavern Stomp. Edsel Records 1982

 

The Big Three. Resurrection. Polydor 1973

 

The Merseybeats. The Meseybeats. Fontana 1964

 

Quatermass. Harvest. 1970

 

Hard Stuff. Bulletproof. Purple 1972

 

Hard Stuff. Bolex Dementia. Purple 1973

 

Bullet. The Entrance To Hell. Angel Air Records 1992

 

Roxy Music. Stranded. Island Records 1973

 

Roxy Music. Country Life. Island Records 1974

 

Roxy Music. Siren. Island Records 1974

 

Roxy Music. Viva. Island Records 1974

 

Pirates. Live In Japan. Thunderbolt 2001

 

20 / 06 / 15 - DORMELLES / 77

 

FÊTE DE LA MUSIQUE

 

JALLIES

 

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Les deux hémisphères du cerveau en ébullition toute la semaine. A droite, la Vaness, notre petite blondinette, le trésor de la prunelle de nos yeux, perdue toute seule au milieu des araignées et des serpents venimeux, dans les Indes lointaines, ô dieux tout puissants quand reviendra-t-elle, j'en aurais presque allumé une bougie à Ganesh, le maître des éléphants débonnaires pour qu'il nous la ramène au galop, j'avais sorti ma boîte d'allumettes et m'apprêtais à enflammer la mèche lorsque une nouvelle surprenante m'arrêta dans mon geste, de source sûre, sur le FB des Jallies, concert à Dormelles sans Vanessa avec... Du coup c'est la moitié gauche du cortex qui s'est mis à gamberger.

 

L'on en connaît des fous furieux, des insensés qui ont gravi l'Anapurna pieds nus, qui ont traversé la vallée de la mort sans boire une goutte d'eau, qui sont descendus nager dans la fosse aux crocodiles, qui se sont battus avec des anacondas de vingt-cinq mètres de long, si je voulais continuer la liste j'en pondrais vingt-cinq pages sans effort, mais là, l'annonce dépassait l'entendement. Jugez-en par vous-même, l'était écrit en toutes lettres qu'un certain Axel officierait au sein des Jallies en remplacement de Vanessa. Quelle présomption ! Comment un individu de sexe mâle – donc pourvu d'une intelligence supérieure par nature – osait-il se targuer d'une telle prétention ?

 

Le grand Phil lui-même en bafouillait, n'arrivait plus à reprendre son souffle, l'on a bondi dans sa voiture et l'on a filé darrache-pneu vers Dormelles.

 

DORMELLES

 

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Tels les incorruptibles d'Eliot Ness s'apprêtant à arrêter Al Capone l'on a déboulé sur Dormelles sans préavis. Joli petit village juché sur une légère colline, perdu au milieu des champs, quelque part entre la campagne et le bout du monde. Le bled pommé que personne ne connaît. Les Dormellois sont une peuplade pacifique. Près de quatre cents personnes réunies devant l'auberge du village se livrent à une étrange activité : engloutissent des milliers de barquettes de frites odorantes tout en écoutant placidement l'Harmonie Municipale... Une étrange idée du bonheur, mais qui serait assez fol pour médire des us et coutumes de la Brie profonde ? D'autant plus que ces gens-là ont l'air d'avoir du goût puisque pour la deuxième partie de la soirée, ils ont choisi les Jallies.

 

Attention Monsieur le Maire s'empare du micro, je ne m'aventurerai pas à critiquer sa gestion, mais m'a paru d'une efficacité redoutable. Dix secondes pour remercier la fanfare et dix autres pour présenter les Jallies. Rares sont les leaders politiques qui résistent au plaisir de pérorer devant leurs administrés. C'est aussi un homme qui sait apprécier la beauté à sa juste valeur, reviendra vingt-cinq minutes plus tard pour disposer un fanal devant Céline et Leslie, afin que personne ne perde dans la nuit tombante la grâce des demoiselles aux corps diaphanes, désormais nimbés d'une douce lumière.

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CONCERT

 

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Z'ont installé un marabout pour que le combo soit à l'abri du vent et des caprices d'une pluvieuse météo. Céline et Leslie devant, les garçons derrière, Tom à gauche, Kross à droite et la curiosité du jour au centre. Ouf ! Sauvés ! C'est un rocker ! Axel, le batteur des One Dollar Quartet, se tient sagement derrière la caisse claire, restera à son poste toute la soirée, tous nos cauchemars s'évanouissent, point de grande folle à la perruque blonde qui s'en viendrait avec une voix de casserole imiter l'absente Vanessa. Ce qui serait plus que regrettable car Leslie et Céline vont assurer pour trois. Relèvent le défi avec brio. Point de jeu de triolet. Le set file à toute vitesse, se sont partagées les rôles, Leslie le rock, Céline le swing. Pas le mur de Berlin entre les deux pôles, s'entraident, l'une chante et l'autre s'affaire aux chœurs.

 

Les boys reçoivent du renfort. Tristan qui s'en vient les soutenir par deux fois à la guitare et Ludo de Eight Ball qui prend la contrebasse de Kross, le temps d'un morceau. Tom cisèle ses riffs, en douceur et profondeur, particulièrement moelleux ce soir. Superbe sur le Bessie Mae d'Hendrix. Une coulée de miel. Beaucoup de compos personnelles I love him so, Iwana be like you, You'd better be good, Tooka.. de l'or en barre, Céline exubérante, Kross déchaîné, les Jallies ne laissent pas reposer le moulin.

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Les gens se sont levés et massés devant la scène, beaucoup d'enfants qui écoutent sagement et des fournées d'adultes comme attirés par le halo d'or d'énergie que le groupe diffuse. Stray Cat Strut et la foule se met à miauler à qui mieux-mieux. Johnny's got a boom boom, Leslie récolte applaudissements admiratifs, Céline emporte la mise sur Tooka, deux soeurs complices qui mettent l'assistance dans leur poche. Ça guinche de partout et ça balance terrible. Deux rappels plébiscités à grands renforts de cris, et c'est fini; malgré les protestations populaires... Un dernier remerciement à Axel sans qui le concert n'aurait pu avoir lieu...

 

FUITE

 

Sont tout excités les dormellois, ne savent plus quoi inventer pour que la fête continue. Le pire est l'ennemi du bien. Dans l'auberge, l'on allume la sono et l'on distribue les serviettes en papier. Chassez le naturel et le vieux fond franchouillard revient au galop. L'est temps pour nous de nous extraire de cette France profonde. Dormelles n'a eu que deux Jallies, mais méritait-il davantage ? Le maire a sauvé l'honneur de son village, fallait voir durant le set, la dévotion avec laquelle il alimentait en boisson, nos deux toute belles. Aux prochaines élections je voterai pour lui. A la réflexion non, plutôt pour les Jallies.

 

Damie Chad.

 

( Photos  du Grand Phil. )

 

FÊTE DE LA MUSIQUE

 

21 / 06 / 15PROVINS

 

L'ARAIGNEE AU PLAFOND

 

Place Balzac. Nous sommes très honorés. Ce soir la ville de Provins s'offre son quart d'heure de folie. L'Araignée au plafond est de retour ! Ce n'est pas un groupe tout à fait comme les autres. Sont capables de tout. Surtout des pires délires. Osent tout et ne craignent rien. Un joyeux foutoir à vous faire devenir malthusien, pour la limitation des naissances et contre la multiplication des petits pains.

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Au début n'étaient que deux, le père – une barbiche à la Metallica, très mauvais signe – la mère – discrète qui se cache derrière sa basse. Par la magie du saint-esprit ( ou d'autre chose ) se sont mis à proliférer. Deux garçons, une fille. Z'ont rameuté la grand-mère et les copains des enfants. L'appétit vient en mangeant. Sont maintenant onze sur scène. Trois sax, deux trompettes, une clarinette, batterie, orgue, guitare, basse, et flûte traversière. Nous les avons vus l'automne dernier ( voir KR'TNT 211 du 28 / 11 / 14 ) avec tout un orphéon aussi cuivré que les gisements d'El Teniente au Chili, l'arachnide est à géométrie variable. L'araignée met ses oeufs qui ne lui appartiennent pas dans tous les paniers. Nuits orientales ou soutien vectoriel à soirée Mickael Jackson, l'Araignée soutient tous les défis. Des fils pour tous les emplois. Ce soir, l'Araignée au plafond revient à ses premières amours, le rock and roll. Sous toutes ses formes.

 

JUMPIN' JACK FLASH

 

Jack l'éclair filant en intro, manière de donner le ton et de montrer que l'on n'est pas là pour s'amuser. Les cuivres s'en donnent à coeur joie, de la puissance sous le capot. Ça pulse comme un moteur de Ferrari. Encore faudrait-il un pilote dans l'avion. Accrochez sans faute vos ceintures, l'est au micro et glapit comme un renard qui se prépare à entrer dans le poulailler. C'est Mildred, toute belle dans sa tunique à rayures. L'a grandi depuis la dernière fête de la musique ( voir KR'TNT 195 du 26 / 06 / 14 ), s'est transformée en véritable rock shouter, a gagné en maturité. Le papillon sort de sa chrysalide.

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C'est parti pour plus de deux heures et demie. L'Araignée ne fait pas de reprises, elle se les approprie. On dirait qu'elles ont été écrites spécialement pour elle. Superbe travail d'orchestration, sont nombreux mais chacun taffe à mort. Mildred plus que les autres, n'aura droit qu'à deux petites récréations de quelques minuscules minutes, sinon c'est elle qui mène l'incendie. Pyromane de première classe. A l'aise partout. Du slow sirupeux façon cool sixties aux plus infâmes barbaries punk. Motor Head, Iggy and the Stooge, Metallica, Ramones, nos troublions ne se mouchent pas dans du papier de soie, sont plutôt adeptes des plaques de métal chauffée au rouge pourpre rock and roll. Faut voir Bob qui arpente la scène avec sa guitare ovale comme s'il emportait un ballon de rugby derrière les poteaux. Sacré vents dans les toiles de l'Araignée.

 

Inoculent leur venin dans tout ce qu'ils touchent. Mickael Jackson rockpoliné à mort y retrouve ses racines blues. Mildred se joue de toutes les difficultés. Pourvu qu'elle continue, impossible de dire encore quel style elle choisira mais elle a de l'abattage, et de l'aisance. Elle ne plaque pas les mots, elle les arrache, les sort d'on ne sait où et les rejette avec dédain une fois qu'ils lui ont servi. C'est que derrière elle l'armada la pousse dans ses derniers retranchements, faut que la voix domine le tumulte et se fasse entendre. Des copains qui ont fait le tour des autres podiums me susurrent dans l'oreille que c'est ici le plus rock. Je le savais déjà. N'y a pourtant pas que des demi-cageots à roulettes cassées cette année sur le programme, mais je comprends ce qu'ils veulent dire. Ici, c'est l'esprit rock qui règne, c'est du foutraque, c'est du valdingue-moi dans les fourrés, c'est du rentre-dedans-ôte-toi de là, la caravane passe et l'herbe ne repousse pas dans tes oreilles. Un joyeux bordel, pas étonnant qu'ils reprennent du Pogues, c'est la même philosophie, tout ce qui entre fait ventre : filez lui du rock, du punk, du folk irlandais, du rythm and blues, du ragtime, l'Araignée n'est pas difficile. Elle crockque tout et vous le ressort sous forme de fil de soie élastico-indestructible. Le rock du recyclage de tous les courants, c'est l'Araignée au Plafond.

 

Voyage au pays de la musique populaire. Devant c'est la fête, l'école du Cirque tourbillonne, des gamins infatigables agitent des drapeaux, jonglent avec balles et massues, virevoltent sur des vélos à une roue. Passent un groupe de danseurs country, un peu étonnés par le rythme trépidant de la musique. L'est clair que déposer leurs pas millimétrés sur de telles rythmiques endiablées s'avèrent d'emblée difficile. Mais l'on ne résiste pas à jouer les pom-pom girls dans une telle ambiance, vont tout de même parvenir à nous trémousser une espèce de stroll de contorsionnistes déhanchés sur une fracassée punko-destroy du meilleur aloi. Mildred les fera applaudir. Toutefois, ils se retireront prudemment.

 

Parfois les saxophones rugissent comme la sirène des riverboats du Mississippi qui descendent vers la New Orleans et parfois Mildred se saisit de sa flûte traversière et nous avons droit à la grandiloquence orchestrale et lyrique du hard symphonique mais l'orage de feu ne se fait pas attendre et l'on repart pour une course échevelée so typically rocky ! Mildred a remis sa tunique à rayures, elle paraissait si jeune et presque fragile dans son ensemble noir. Presque trois heures ininterrompues que l'Araignée batifole sur le plafond de nos espérances. Le public est là, aussi nombreux et encore plus enthousiaste. Mais en ce bas monde tout a une fin même les concerts fleuves de L'Araignée. En cadeau d'adieu, Mildred nous refait Pat Semetary des Ramones. Le maxi combo roule à mort une dernière fois comme s'ils étaient poursuivis par une horde de morts-vivants affamés. La prochaine saison je vous parlerai un peu plus des musiciens. Jeunes et méritants. Un superbe soirée. Faut voir les visages heureux des spectateurs pour comprendre que quelque chose vient de se passer là.

 

Damie Chad.

 

 

THE ROLLING STONES

 

PHOTOBIOGRAPHIE 1962 – 2012

 

FRANCOIS PLASSAT / GETTY LMAGES

 

( FETJAINE / 2012 )

 

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Toujours pareil. Suffit que je m'installe le samedi matin à la terrasse de mon café préféré avec mon paquet de crêpes au rhum pour que les copains se radinent par miracle. Mais ce matin, ne se sont pas contentés de se jeter sur mes rondelles au blé noir arhumatisées, m'ont aussi confisqué mon bouquin. Hi ! Hi ! Encore un livre sur les Stones, moi j'en ai une étagère, en plus t'as dû le payer cher, et c'est tous les mêmes. Je n'ai pas le temps de leur dire que j'ai l'ai eu tout neuf dans son emballage cellophane au tiers de son prix pour dix euros avec en prime une pièce de théâtre de Faulkner, que déjà ils sont dedans plongés jusqu'au cou. Impossible de déjeuner en paix, poussent des ah ! et des oh ! À croire qu'ils sont en train d'assister à une corrida, avec perfidie je les aiguille sur les quatre dernières pages, avec toutes les pochettes des albums par ordre chronologique, j'opère une coupe sur la bande son, une heure et demie à discutailler sur les mérites de celui-ci ou de celui-là...

 

Normal, c'est les Stones, on a vécu avec. Perso, je serais incapable de vous donner le premier titre des Rolling que j'ai entendu. Parfois j'ai l'impression qu'ils étaient dans un coin de la salle d'accouchement en train de répéter alors que je sortais du ventre de ma mère. Je ne pense pas que ce soit vrai, mais je n'en suis pas certain. En auraient été capables. Les Stones ont été la bande son, la piste magnétique fond de rêve, pour toute une génération ( la mienne, la meilleure ). Je ne suis pas le seul à le penser, François Plassat aussi. Quoique dans un passé antérieur il ait commis deux livres dithyrambiques sur Paul McCartney et les Beatles, ce qui vous en conviendrez est une énorme faute de goût. Serait-ce un traître qui aurait flairé la bonne aubaine du jubilé de 2012 ? Ne t'inquiète pas coco, l'on en vendra un max aux gogos ! Se feront un plaisir d'ouvrir leur crapaud pour nous refiler leur flouze ! On lui pardonnera car c'est une démarche typiquement stonienne. Vous le mettre si bien, que vous en redemandez. Le summum de l'arnaque rock and roll. En tout cas, c'est rudement bien foutu, du texte et des photos, une bonne maquette et le story board que vous connaissez par coeur qui défile sous vos yeux hagards. Des commentaires sans rien qui dépasse mais situés dans le courant moyen de l'injuste milieu des évènements. Sympathie avec le devil mais pas un siège en permanence retenu dans le Woodo Lounge.

 

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M'a fallu trois heures pour tout lire et regarder. Me reste toute ma vie pour y repenser. Un peu comme quand vous étiez petit, avant de vous endormir le soir vous demandiez à votre maman de vous raconter one more time L'histoire de la chèvre de Monsieur Seguin. Vous saviez que la jolie chevrette y laisserait la peau, que le loup était méchant et cruel, mais vous y appreniez l'essentiel de la vie : la mort et la sensation de l'Inéluctable. Idem avec les Stones, un début fulgurant et une longue nuit ( encore inachevée ) de quarante ans. L'irrémissible déclin. Et d'un autre côté, vous avez beau assurer qu'ils sont aussi usés qu'une semelle de corde, ils sont toujours là, indiscutablement. Une caisse enregistreuse qui empoche les millions de dollars. Les Stones, c'est le Sol Invictus des rockers. Le signe inaltérable de la victoire du rock and roll. Ils sont le loup-garou et nous le capridé stupide. Mais l'on s'en fout, sont les seuls qui nous permettent de voir l'éclipse du soleil au lever des petits matins glauques de nos médiocres existences.

 

A la maison, j'ai vérifié la coquille. C'était mon cerveau qui déraillait. Ian Stewart – le sixième Stone - un mystère éminemment plus prometteur que le cinquième évangile - est bien mort en 1985. Trente ans qu'il a disparu, me semblait que c'était avant hier. Tant qu'on est à empiler les cercueils autant se débarrasser de celui de Brian Jones, le Billant Jaune, celui à qui Claudel n'aurait pas hésité à dédicacer son Tête d'or. S'est noyé dans sa piscine. S'y est-il jeté tout seul, ou ses potes l'auraient-ils poussé ? Dans les bons films l'on accuse de préférence les mauvais innocents. Si Romulus n'avait pas tué Rémus, que serait devenu Rome, sans cette offrande sanglante aux dieux de la puissance ?

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Autre couple. Bill Wyman. Charlie Watts. Dans le casting final, suis sûr que Bill a été choisi parce que accessoirement il jouait de la basse. Basique, sans se poser de question. Aucune imagination mais aussi régulier qu'un métronome. Le balancement monotone idéalement imperturbable pour que Charlie puisse décaler sa charley d'un presque temps de retard. Mais n'importe qui aurait pu le faire. Non, le Bill a été choisi pour sa sale gueule de figurant dont on s'arrange pour qu'il soit systématiquement dans les arrière-plans. Ne participe pas à l'action, mais il inquiète, parangon de laideur anglo-saxonne, mais c'est pour lui que les filles mouillent leur culotte, de peur mais elles ne s'en aperçoivent pas, croient que c'est pour le gigolo devant qui ondule du cul avec son micro-bite à la main. Le Bill s'est taillé après trente ans de bons et loyaux services, a pris sa retraite sans état d'âme, certains que les cimetières sont pleins de gens irremplaçables. L'est parti et personne ne l'a remarqué, toutefois depuis les cheveux de Charlie ont blanchi et de la bande des septuagénaires frétillants, c'est celui qui accuse le plus son âge.

 

Passons aux Twin Towers. Encore debout. L'une immobile comme un roc, toute fissurée, et l'autre se balançant comme un garçon coiffeur autour de son client. Le majordome et Monsieur Loyal. Le clown triste et l'Auguste péroreur. Le chevalier à la triste figure et le bateleur. L'un qui n'en pense pas moins et l'autre qui se vante de tout. L'un de drogue, l'autre de drague. Mais à chacun son métier. Entre les deux, celui qui fait des Ron de jambe en bois avec sa guitare, ne donne pas l'impression de jouer son propre rôle, se contente d'être ce qu'il est. Sur le jeu des échecs stoniens c'est bien lui le fou qui emprunte la diagonale du rire pour se moquer de lui-même. Et du bonheur de vivre une fabuleuse aventure.

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Les pierres roulantes ont commencé par tout écraser sur leurs passages. Dégringolaient des collines du blues, ont continué sur les plaines fertiles du rock and roll et ont fini par s'ensabler sur les lagunes disparates d'un métissage de rythm and blues et de funk raboté. Maintenant elles tournent sur elles-mêmes indéfiniment. Inutiles, dérisoires, vertigineuses. Z'ont été des commandos de choc, ne sont plus que des caissières de supermarché. Un léger côté rétro à la dactylo-rock. Et pourtant les Stones, lugubres figures chatoyantes, capharnaüms ordonnés et chaos rampant perchés sur les arbres ( attention aux cocotiers ) du rêve ! Ils sont le fleuve qui roule des flots tumultueux et le barrage qui les retient et les emprisonne. Ils sont l'anneau et Gollum, les filles qui dansent, le tumulte du fleuve et l'or miraculeux. Qui scintille au fond et gît dans la vase nauséabonde.

 

Une vie remplie à ras bord. Ne peuvent pas dire qu'ils n'ont rien vécu. Un PIB ( Passé Intérieur Brut ) existentiel plus dodu que celui de la population de quatre départements français. Street fightin' men du bon côté de la barricade. Des nantis. Tout ce que je déteste. Fascinants. Une image de mauvais garçons opératoire. Ont su devenir la cible du Système tout en l'utilisant. Peut-être le groupe situationniste par excellence. Point d'appui glissant de la révolte. Bâtons merdeux pour qui se risque à essayer de les manipuler. Le gros caillou vous retombe sur les pieds dès que vous essayez de faire pression sur les leviers. Sont les maîtres du jeu. Sont les seuls qui posent les pions sur le listel. Façon que ça tranche dans le vif, et de jouer les deux faces en même temps. Côté blanc, côté noir. Le positif et le négatif, qui ne s'annulent point, mais qui se renforcent l'un l'autre.

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The Greatest Group of Rock'n'roll on the Earth, c'était l'appellation incontrôlée de leurs premiers pirates, avec le serpent vert gothéen et à section carré qui alignait le labyrinthe univoque de ses anneaux sur toute la pochette. Une évidence à laquelle il était impossible de se soustraire. Quand on pense aux Blue Caps de Gene Vincent qui sont rentrés à la maison après un an de tournée réputée épuisante, l'on voit qu'avec les Stones le rock changeait d'échelle. Les Beatles eux-mêmes se sont dépêchés d'arrêter les frais sous prétexte qu'ils ne s'entendaient plus jouer, à cause des cris des filles. Il aurait pourtant été plus simple de couvrir les gynécologiques glapissements du public en achetant une sono un peu plus grosse. Cela tombe sous le sens, mais l'hypothèse n'a jamais été envisagée par les journalistes. Quand on veut tuer son chien, on l'accuse d'aboyer trop fort.

 

C'est en cela que consiste la grandeur des Stones. N'ont pas continué jusqu'au bout. Ont dépassé le bout de la route depuis longtemps. Rien ne les a arrêtés. Peuvent changer une roue crevée de temps en temps. La halte peut s'éterniser, mais un jour ou l'autre on the road again. La vieille highway du blues, à fond la caisse. Pour la pureté, ne vous montrez pas exigeant. Du côté d'Elvis, ils ont préféré le costume du Colonel Parker. Rock and roll circus et rock and roll barnum. Les paillettes et la fanfare. Beaucoup de bruit et pas pour rien. Vous en prenez plein les mirettes pour beaucoup de ronds. C'est la vie, comme disait Johnny faut payer cash si tu veux être servi. En tous cas niveau attractions ils ne vous déçoivent pas. Le phallus géant du docteur Freud en version gonflable ( ça c'est gonflé ! ), et les numéros hasardeux se suivent et ne se ressemblent pas, sont tour à tour toutes les pièces de l'échiquier déchiqueté, les plus belles filles du monde et la galerie des monstres, les fil-de-féristes du riff et les prestidigitateur du swamp, mais le plus incroyable c'est la ménagerie, un seul animal, mais le plus terrible, le rescapé de la préhistoire, le dinosaurock, la bête la plus effrayante du disney-parc qu'est devenue notre planète. Du carton pâte, mais le prototype du développement durable. L'histoire sans fin et sans retour. Dès que les Stones sont sur scène, il y a comme un lézard dans votre existence. Pas la minuscule fêlure sur la façade de votre maison. Non, pas une broutille dans les lentilles. Le gouffre sous vos pieds. Pris au piège. Pauvre petite mouche sur le papier collant.

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Contrairement à tous les autres groupes qui vingt ans après se réunissent une dernière fois pour se rappeler le bon vieux temps de leur gloire passée, les Stones ne se reforment pas. Ils se déforment. Tels qu'en eux-mêmes l'éternité les change. Une dimension burlesque du monument qui se gondole mais qui ne casse pas. Usés jusqu'à l'os mais d'une usure inusable. Vous n'en voulez plus, en voici encore, et vous l'ouvrez en grand. C'est ce qui vous rapproche d'eux. Vous terminerez comme eux. Vous crèverez la gueule ouverte. Insatiables. Insatisfactionnables.

 

Et comme vous êtes polis, vous n'oublierez pas de dire merci.

 

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Damie Chad.

 

17/06/2015

KR'TNT ! 240 : EAGLES OF DEATH METAL / CW STONEKING / DIY / BILLY IDOL / ICONOGRAPHIE EDDIE COCHRAN / ERVIN TRAVIS NEWS

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 240

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

18 / 06 / 2015

 

 

EAGLES OF DEATH METAL / CW STONEKING /

DO IT YOURSELF / BILLY IDOL / ERVIN TRAVIS NEWS

ICONOGRAPHIE EDDIE COCHRAN

 

 

ERVIN TRAVIS NEWS

Bonjour à vous toutes et tous

Les choses restent inchangées pour le moment.
Parfois un léger regain qui ne dure pas longtemps

et parfois c'est pire comme hier

où Ervin a carrément perdu la vue

et puis c'est revenu petit à petit, comme c'était,

c'est à dire brouillé.
Les acouphènes sont toujours aussi violents,

accompagnés de maux de tête.
Dans quelque temps une prise de sang

va être envoyée en Allemagne
A suivre...
Merci pout tout
Ervin Evelyne

( FB : Lyme – Solidarité Ervin Travis )

 

 

LE TRIANON - PARIS 18° - 09 / 06 / 2015

 

EAGLES OF DEATH METAL

 

LES AVENTURES

 

DE BOOTS ELECTRIC ET DE BABY DUCK

 

 

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Boots Electric se recoiffe d’un coup de peigne vers l’arrière du crâne. Quelle étuve !

 

— Bonsoâr paris ! Don’t you know ? I loooooove you !

 

Boots Electric roule un énorme pelle au public.

 

— Hey Paris, tu veux danser avec Boots Electric ? Alors, enlève ton blouson et rejoins-moi sur la piste !

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Quel héros fantastique ! Boots Electric est le Travolta du rock moderne, un tortilleur de cul coiffé comme un greaser et tatoué comme un taulard. Il porte la moustache en croc du docker et les Ray-ban oranges de Peter Fonda dans «Easy Rider». Son costume de scène ? Marcel, jean moulant délavé, bretelles et santiags des bars interlopes. Il plaque en prime des power-chords sur sa grosse guitare blanche, comme Sylvain Sylvain jadis au temps béni des Dolls. Boots Electric ? Pur rock’n’roll animal. Aussi racé et ambigu que pouvait l’être Lou Reed en 1967 - waiting for my man/ twenty-six dollars in my hand.

 

— I came to LA to make rock n roll !

 

Wow ! Le plancher de la salle du Trianon se met à onduler. Paris saute en l’air.

 

— Along the way I had to sell my soul !

 

On se croirait dans l’océan en pleine tempête. Les cœurs chavirent ! Paris tombe sous le charme fatal de Boots Electric. Eh oui, ma poule, tu vois bien que c’est du cock-rock.

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— I made some good friends that make me say/ I really wanna be in LA.

 

Tempête ? Fête païenne ? Rituel antique ? Émeute urbaine ? C’est tout cela à la fois. Et même beaucoup plus car derrière Boots Electric, Baby Duck bat le beat du marteau-pilon. Coiffé comme un G.I. en partance pour le Mékong, il frappe le menton en avant, en pur idéaliste de l’extrémisme. Il redouble de violence tribale. Il frappe comme un damné. Il veut sonner comme ces terribles batteurs de cadences des galères de l’antiquité. Il s’agit cette fois non pas de couler la flotte perse à Salamine, mais de prendre Paris d’assaut. Tu veux du beat, Paris ? Baaaam ! Écarte les cuisses, Paris ! Baby Duck redouble de violence. Et comme il ne parvient toujours pas à écrouler les colonnes du temple, un séide vient battre à côté de lui. Double dose de beat turgescent ! Des poules se pâment ici et là ! D’incroyables brunes en lunettes noires et jeans taille basse ondulent au balcon. Babylone, baby ! Babylone’s burning !

 

— I take the city in the dead of the night.

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Pendant que Baby Duck met Paris à genoux, l’énorme Darlin’ Dave Catching roule ses riffs dans une stupéfiante mélasse gluante de distorse. Cet ogre au crâne luisant porte une barbe blanche de Père Noël et une grosse chemise à carreaux de bûcheron canadien. Il joue sur une Flyin’ G et sort un son mirobolant. Il connaît tous les secrets des coups de hanche et sait esquisser à la perfection les pas du desperado. Paris voit bouger l’ogre sur scène et n’en revient pas d’assister au spectacle d’une telle classe. L’ogre monte au micro comme s’il montait à l’assaut d’un rempart et bave ses chœurs avec la mine contrite d’un Saint-Sébastien percé de flèches.

 

— I’m burning gas until I feel alright.

 

Et Paris danse ! Paris chavire. Paris tangue. Paris chancelle. Paris adore. Boots Electric galvanise Paris. Il l’emmène danser la farandole sous la boule à miroirs d’un temple imaginaire. Alors Paris ne résiste plus. Paris se livre. Paris s’enivre. Paris se désinhibe. Paris bascule dans l’autre camp. Paris découvre la vraie vie.

 

— Clowns to the left of me, jokers to the right.

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Boots Electric pose sa guitare pour danser. Paris lui tend les bras. Danse avec moi ! Boots Electric travolte et virevolte. Il chaloupe et offre son cul à Paris. Shake your booty ! Il vire tout le pathos du rock. T’es viré le pathos ! Seule compte la rigolade. On est là pour prendre du bon temps, pas vrai les gars ? Sex and drugs and rock’n’roll ! Alors danse Paris, danse ! Et Paris redanse de plus belle. Paris n’avait plus dansé comme ça depuis quand ?

 

— Here I am, stuck in the metal with you !

 

Ça tourne à la carmagnole du diable. Au grand carrousel de la fin du monde. Ça saute toujours plus haut. Paris rebondit sur un plancher qui menace de céder. Dance Kalinda boum ! Dance to the Music ! Dancing with the Eagles of Death Metal ! Dancing the night away ! Dancing with myself ! Le tumulte bat son plein. Boots Electric mène la danse. De l’autre côté de la scène, le bassman McJunkins devient fou. Il court en tous sens, le visage noyé dans ses mèches de cheveux. Le beat l’emporte, il en est à la fois l’acteur et la proie. Cruel destin !

 

— Just make believe.

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Le pauvre Trianon n’avait pas vu un tel ramshackle depuis belle lurette. Paris transpire à grosses gouttes. Des femmes galbées comme des amphores hantent le bar. Boots Electric n’en finit plus d’allumer Paris. Il est à la fois Joel Grey, le Maître de Cérémonie de «Cabaret» et Roy Sheider, le chorégraphe de «All That Jazz», deux coups de Jarnac signés Bob Fosse. Il est aussi le Chaucer Pasolini des «Contes de Canterbury» et le trafiquant Fassbinder du «Le Mariage de Maria Braun». Boots Electric ? Entertainer number one, baby ! Grand-prêtre du rigodon. Meneur de sabbat. Grand ordonnateur des danses de Saint-Guy. Matelot échappé d’un chapitre de «Querelle de Brest» de Jean Genet. Transfuge des Village People passé au meilleur rock d’Amérique. Clin d’œil à deux pattes et incarnation des vieux mythes patiemment dépouillés par Jean Cocteau. Boots Electric injecte dans le gros cul de Paris un énorme shoot de modernité, tellement énorme que ça vire instantanément au classicisme. Il se dégage du set un mélange de déjà-vu et de nouveauté, capiteux mélange qui caractérisait déjà les sets et les disques des Queens Of The Stone Age, l’autre mamelle de cette fascinante scène californienne. Eagles Of Death Metal ? Baby Duck déborde d’imagination. Il sait trouver LE nom qui sonne bien. Au temps de la rue Keller, on entendait l’album «Death By Sexy» tourner en boucle chez Born Bad. Et pour cause. Cet album fonctionne comme un traquenard. On s’y gave de chant tremblé monté sur des gros romps d’accords vénaux. Boots Electric et Baby Duck y bardent un «Don’t Speak» d’accords pompés dans le premier album de Black Sabbath et posent par dessus un chant maniéré jusqu’à la nausée. Il traitent «Shasta Beast» au petit falsetto de proximité et jouent avec la perversité comme d’autres jouent avec le feu. Et puis il faut entendre au moins une fois dans sa vie cet étonnant «Nasty Notion», pris au chat perché de velours, encore une jolie pièce de rock interlope qui se glisse entre deux genres avec l’horrible aisance visqueuse d’une anguille.

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Leur premier album s’appelait «Peace Love & Metal». Ils jouaient déjà la carte de la provocation et truffaient leur heavy-glam de viande rouge. Dès «I Only Want You», on sentait l’odeur de l’album classique, avec ce ramassis d’accords secs et de soupirs indignes de la morale chrétienne. Ils se montraient experts dans la pratique des petits beats comprimés, ceux qu’affectionnaient particulièrement tous les pauvres hères de la scène post-punk des années quatre-vingt. Boots et Baby Duck revenaient aussi vite que possible aux bons beats râblés et livraient avec «So Easy» une sorte de glam à l’esprit de Seltz. Et Baby Duck nous battait tout ça au tribal amérindien. Avec «English Girls», ils proposaient ce qu’il faut bien appeler un classical Eagles Death-Metaller chanté à la gnognote dépravée. C’est sur cet album qu’on trouve l’irrésistible reprise du «Stuck In The Middle With You» de Stealers Wheel, avec un Middle transformé en Metal. Mais c’est «Already Died» qui nous sonnait vraiment les cloches. Il s’agissait là d’un cut effarant d’ingéniosité sonique, emmené au miel de chant et porté aux nues par une distorse panaméenne. Ils nous emmenaient là dans leur logique de l’isthme, la fine langue de terre qui sépare deux océans. D’un côté l’océan classique et de l’autre la modernité. Ces deux farfouilleurs de génie allaient puiser aux racines du blues en chantant comme le fantôme de Marc Bolan.

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Leur troisième album plonge encore plus profondément dans le spongieux de la consanguinité. «Heart On» restera dans l’histoire du rock pour un cut intitulé «How Can A Man With So Many Friends Feel So All Alone». Le velouté du chant insidieux s’y élève au rang d’œuvre d’art. On songe immédiatement aux grandes heures de Jack Bruce dans «Disraeli Gears». Peu de gens osent s’aventurer dans une telle direction. Baby Duck y atteint la pure excellence harmonique de tremblé psyché. Il flirte avec le génie - Left with nothing at all. Les autres gros cuts de l’album sont «Pussy Prancin’», chanté au mitoyen pervers de voix humides et «I’m Your Torpedo», un joli stomper du bout de la nuit battu au tribal et chanté à l’ambivalence. On y retrouve tout ce qu’on aime, le soin du son, l’impact de l’idée, le fléchage du talent et le don du dedans.

 

Signé : Cazengler, Eagle of Death Mental

 

Eagles Of Death Metal. Le Trianon. Paris XVIIIe. 9 juin 2015

 

Eagles Of Death Metal. Peace Love & Metal. AntAcidAudio 2004

 

Eagles Of Death Metal. Death By Sexy. Downtown Music 2006

 

Eagles Of Death Metal. Heart On. Ipecac Recordings 2008

 

 

 

CW STONEKING

 

GARE DE BOURGTHEROULDE-THUIT-HEBERT

 

07 / 06 / 2015

 

ROLLING STONEKING

 

 

 

 

Mais d’où sort C.W. Stoneking ? D’un saloon du XIXe siècle ? D’un bastringue des Appalaches ? D’une fête de l’Indépendance des années 1870, somewhere in the Connecticut ? D’une fête de mariage quelque part en Virginie, alors qu’au large croisent les derniers vaisseaux pirates ? Non ce type ancré dans le passé sort tout simplement d’une ferme perdue dans le bush australien.

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Il explique tout ça très bien dans le petit texte de présentation de l’album «King Hokum» paru sur le prestigieux label Voodoo Rhythm en 2005. Il est né en Australie, mais ses parents sont de vrais «hillbilly people», comme il le dit si bien. Très tôt, il tâte du blues, et pas du petit blues à ras des pâquerettes, puisqu’il va droit sur Robert Johnson et Son House, les deux fantômes de l’opéra. Et à l’âge de 21 ans, fatigué de faire le guignol dans les pubs, il décide de se retirer du monde et s’installe au cœur du bush pour deux ans. Il survit en faisant des petits travaux de ferme ici et là («Handyman»). Comme il a tout son temps, il joue de la guitare et trouve l’inspiration. Puis il revient au monde civilisé et s’installe à Melbourne pour devenir musicien professionnel. Il monte les Blue Tits en 1997 et tourne un peu pendant deux ans. L’un de ses potes Charley Bostocks casse sa pipe, alors CW lui consacre une chanson et démarre une carrière solo. Il travaille à l’ancienne et s’émerveille d’être bien accueilli par le public rock. Son disque ne se vend pas très bien, mais il en reçoit quelques exemplaires qu’il distribue à des stations de radio, comme ça se faisait aux États-Unis dans l’ancien temps. CW espère bien voyager dans le monde entier et vendre quelques albums pour regarnir son portefeuille. Il espère aussi pouvoir enregistrer de nouveaux disques, car ceux qu’il a fait entre-temps ne sont pas terribles, notamment l’album des Blue Tits où le clarinettiste ne jouait pas très bien. Comme CW travaille vraiment à l’ancienne, il a une oreille particulièrement affûtée et il ne laisse rien passer.

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C’est vrai que «King Hokum» interpelle le badaud. Dès l’attaque de «Way Out In The World», on sent qu’il se passe quelque chose d’inhabituel. CW crée les condition du bord du fleuve, les corbeaux s’en mêlent, il gratte sa National en tôle rouillée et lâche des syllabes d’édenté avec le timbre d’un vieil alligator. Il est stupéfiant de véracité acariâtre. Attention, ce n’est pas fini, car pour cette pièce de choix qu’est «Don’t Go Dancing Down The Darktown Stutter’s Ball», CW sort son banjo. On sent bien qu’il porte des bottes, et ce ne sont pas des petites bottes à la mode. Puisqu’on en arrive aux détails vestimentaires, signalons que le fond de son pantalon est consolidé, car CW voyage beaucoup à dos de cheval. Il revient au blues trade avec «She’s A Bread Baker», gratté à la bonne franquette. Il va chercher le gras de la couenne. Il connaît toutes les ficelles, même le plus fines - Yeah - Les retours de gimmicks et les descentes intempestives n’ont aucun secret pour lui. Il prélasse ses syllabes dans la mélasse et pousse des yeah intrépides pour encourager ses doigts crochus. On va de surprise en surprise, car dans «Dodo Blues», il fait le pauvre nègre qui se débrouille tout seul et qui n’a besoin de personne en Harley Davidson. Ce CW est à lui tout seul un vrai Mystère de la Chambre Jaune. Il sait même jouer le Dixieland, comme on le constate à l’écoute de «On A Christmas Day». Et voilà l’hommage au pote Bostocks : «Charley Bostocks Blues». CW va chercher ce qu’il y a de plus primitif dans le blues. Il ne recule devant aucun effort. Et le manège se poursuit en face B avec un beau boogie blues («Going The Country»), suivi d’un vrai blues traînard hanté par un chat de gouttière à voix humaine, tel qu’on le croise dans «L’Ensorcelée» du Connétable des Lettres («Bad Luck Everywhere You Go»). Voilà une pure merveille à écouter les nuits de pleine lune. C’est sacrément bien foutu, côté jive de traîne-savate. CW sait aussi faire du Jerry Roll Morton et nous propose un dialogue à la Pagnol avec la mother («You Took My Things») puis il revient à son expérience de journalier qu’il narre en dialoguant avec les péquenots du bush - Got miself a job ? - dans l’extraordinaire «Handyman Blues». Pour les amateurs de forme classique transposée dans les temps modernes, ce disque devient une cruelle nécessité.

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Et puis à partir de «Jungle Blues», paru en 2008, CW va devenir une véritable énigme à deux pattes. Comme s’il remontait l’histoire du blues jusqu’à ses racines et qu’il nous ramenait à la Nouvelle Orleans ou à Kansas City en 1928. Il démarre sur le morceau titre de l’album et il sonne comme Big Joe Turner accompagné de son big band. Il est soutenu par une orchestration digne des grands ensembles des années 30. Sur «Talkin Lion Blues», il part même en yodel. On se retrouve sur les contreforts des Appalaches au temps de la conquête de l’Ouest. C’est cru de véracité. On pourrait prendre CW pour un démon polymorphe - I’m in Africa wearing a ball and chain/ I’ll never mess with a talkin lion again - Nouvelle surprise de taille avec «Jungle Lullaby» : il chante au pur blackisme de mouille lippue et le voilà juché sur un tango-beat. Il va chercher ses mots dans le gras salivaire, en parfait jouisseur de la vie. Voilà encore un cut terrible et bon - Groonin swoonin that old time song where the days are long - Il y a tout ce qu’il faut dans ce cut pour rendre un homme heureux : le grain de la voix et le velouté des arrangements. Quelle somptuosité ! Il chante ensuite une jolie parodie du patriotisme américain, «Brave Son of America», qu’il traite à la rumba. Il s’adresse au Général McArthur et franchement, on s’en décroche la mâchoire. Lux ajouterait qu’elle nous pend sur la poitrine comme une lanterne. Il attaque ensuite «Jailhouse Blues» au banjo - Lord Lord Lord I got the jailhouse blues - Il reprend le principe du blues de bagnard. Il est dessus. Il sonne comme un vieux bagnard édenté et balance des formules définitives - My baby got a heart/ Like a rock in the bottom of the sea - Puis Kirsty Fraser chante «Housebound Blues» comme une diva du Chicago des années 30. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin de cet album trop dense, avec des mambos de la Nouvelle Orleans et du dixieland.

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«Gon’ Boogaloo» paraît six ans plus tard. Voilà encore un album qui semble vouloir échapper à toutes les normes et à tous les genres, même si on capte des effluves de gospel ou de jump-blues ici et là. Ce qui caractérise aussi ce disque, c’est l’étoffé des textes. CW semble vouloir rivaliser avec Bob Dylan en termes de volubilité. Ses chansons tendent à s’étirer considérablement dans le temps, ce qui n’est pas pour nous déplaire. C’est vrai qu’à l’origine, les bluesmen savaient prendre le temps de raconter une histoire. Dès son premier cut, «How Long», CW sonne comme un vieux chanteur de gospel noir. Il est magnifique de virtuosité crabique. Il passe ensuite au boogaloo avec «The Zombie». Ce mec s’amuse avec les genres. Il jongle avec les mythes. Peu de gens osent faire ça. Il chante au timbre voilé et des petites négresses font nah nah nah. Son cut se révèle délicieux de douceur boogaloo - When you hear the zombie rockin’ slow/ Til the break of dawn in the Congo - Puis il passe directement au jazz avec «Get On The Floor». Il sait décidément tout faire. Même le jazz. Il chante ça à la glotte en feu. CW est un artiste beaucoup trop évolué, même pour un public d’amateurs de blues moderne. Il passe à la rumba avec «The Things I Done», bien cousue mais agréable à l’entente. Et puis c’est vraiment inspiré par les trous de nez. Il peut se permettre toutes les fantaisies, même le carrousel des manouches de San Felipe. Avec «Tomorrow Can Be Too Late», il s’offre le luxe d’un son de big band. Les petites négresses le suivent partout. Il chante ça à la mode de Kansas City, à l’accent rauque des bastringues en folie. Son «Mama Got The Blues» sonne carrément reggae, mais il se dégage de ce cut un solide fumet des Causses d’Adélaïde. Puis il nous gratte «Goin’ Back South» à la Hawaïenne et nous entraîne au vent des alizés. Voilà qui peut sembler beaucoup trop parfait. Ce mec inquiète, car il paraît trop convainquant. Il claque «The Jungle Swings» à l’accord de Chuck et l’entrelarde de pur jungle rhythm. Il chante ça comme un black junko des bas-fonds. Il faut voir comme il y va. Effrayant - Do the jungle swing ! Do it ! - Il remonte le courant du swing comme un saumon extraverti et screame à l’éclabousse. Pure merveille. Les petites négresses crachent leur venin. Dingue, vraiment dingue ! Il règne dans le fouillis de ce cut un pur vent de folie et pour couronner le tout, c’est slappé à la vie à la mort. Avec «I’m The Jungle Man», il chante exactement comme Taj Mahal. Quelle extravagance ! Il a le même voile de timbre. Il boucle cet éminent album avec «We Gon’ Boogaloo», digne des grands maîtres du boogie de la Nouvelle Orleans. On ne citera pas de noms.

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Et comme par miracle, l’ineffable CW débarque au mois de juin à la gare de Bourgtheroulde-Thuit-Hébert, en plein cœur de la campagne normande, comme s’il débarquait dans un trou paumé du Wyoming. Il est venu chanter ses albums, du moins ceux qu’on connaît. Il ne porte que du blanc, comme Paddy McAloon sur ses dernières photos de presse. Une petite formation l’accompagne : un batteur dont on ne souviendra pas du visage - comme c’est généralement le cas - un contre-bassiste à l’ancienne, et deux petites sirènes blanches préposées au chœurs. Car figurez-vous que monsieur Stoneking n’entreprend rien de moins que de jouer le jive de bastringue de ses deux derniers albums. Et le pire, c’est que ça marche. Pas besoin d’un big band ni d’une chorale de gospel. Ils vont faire à cinq tout le pataquès foutraque de «Jungle Blues» et de «Gon’ Boogaloo». On croit rêver. Quand on connaît bien ces albums, on se pince pour être certain que la scène se déroule bien dans la réalité - Notez qu’on se pince aussi dans les rêves, mais cette fois pour être certain de ne pas être éveillé - Sur scène, CW affiche la prestance d’un Jesse James, sans doute à cause de son regard clair, de ses petits cheveux collés vers l’arrière et de sa nuque rasée, de ses mains tatouées et de sa skull-ring. Il affiche décidément une belle allure d’outlaw portant l’habit du dimanche pour chanter avec Dieu la musique du diable. Ce qui nous conforte dans cette idée, c’est la grain de sa voix. CW chante d’une voix anormalement rocailleuse et profonde pour un freluquet de cette espèce. Il sonne comme Big Joe Turner ou Louis Armstrong. Il sonne comme un vieux black de club du Quartier Bourbon. Il chante tout à l’édentée de la glotte râpée. La petite assistance qui n’est pas vraiment un public de fans - le concert est gratuit - tombe sous le charme de ce plaisant vaurien. Nul besoin de repère, il suffit simplement d’écouter ce bushman grommeler. Il tape des rumbas, des calypsos, et quand il attaque «Jungle Lullaby», on a l’impression que le soleil cogne deux fois plus fort. Le boogaloo et Hawaï sont aussi de la partie. Il joue tellement longtemps qu’on ne voit plus passer les heures. Ce gibier de potence a du génie, mais il n’en rajoute pas, il sait rester discret. Vieux réflexe de desperado. Il termine son set tout seul sur scène avec l’incroyable «Jailhouse Blues» et quand il balance la phrase magique - My baby got a heart/ Like a rock in the bottom of the sea - il atteint une sorte de sommet et transcende la notion même de feeling. Ce fascinant personnage navigue tout simplement au même niveau que Taj Mahal : ils ont depuis longtemps échappé aux genres, à ce qu’on appelle le blues ou le swing. Ils sont devenus par la force des choses de musicologues.

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Signé : Cazengler, Stonakoviste propagandiste

 

CW Stoneking. Gare de Bourgtheroulde-Thuit-Hébert. 7 juin 2015

 

C.W. Stoneking. King Hokum. Voodoo Rhythm Records 2005

 

C.W. Stoneking. Jungle Blues. King Hokum Records 2008

 

C.W. Stoneking. Gon’ Boogaloo. King Hokum Records 2015

 

 

 

DO IT YOURSELF

 

AUTODERMINATION ET CULTURE PUNK

 

FABIEN HEIN

 

( le passager clandestin / Mai 2012 )

 

Attention, un peu de sérieux. S'agit de punk, mais quittez votre tenue débraillée et aplatissez votre crête, et ne laissez traîner ni vos canettes de bière ni vos chiens à puces dans les allées rectilignes du savoir. Fabien Hein est docteur en sociologie et officie à l'université de Lorraine. S'est trouvé une spécialité cool, les musiques populaires. L'a déjà pondu deux ouvrages sur le hard et deux autres sur le punk. N'a pas encore rédigé une thèse sur KR'TNT ! mais ça viendra.

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Premier livre du Passager Clandestin que je lis, suis allé faire un tour sur leur catalogue. Une centaine de bouquins édités. Optique un peu anarchisante, critique du socialisme autoritaire, mais je me méfie d'une tartinette de tantinet, l'ensemble dégage un parfum bibliothèque rose. Pas celle du Club des Cinq, l'autre, celle que l'on déniche toute éclose sur les affiches politiques d'un grand parti de droite. Actuellement au pouvoir. Vous direz que j'y vais fort, simple question de flair. Quoique avec Souvarine et Castoriadis, il n'y ait point besoin d'un odorat particulièrement développé. Attendons dix ans que les chroses se décantent et nous y verrons plus clair. Je devine se profiler un wagon d'ennemis à l'horizon, ce n'est pas grave, la provocation ne relève-t-elle pas de l'esthétique punk ?

 

Revenons-en à Fabien Hein. Ecrit comme un prof. Normal, c'en est un. Chapitres tracés au cordeau de la prétention scientifique. Science molle, puisque humaine. C'est un peu la faute du punk, se fait vieux le rustre, rentre au musée et à l'université, les deux hospices de la récupération sociétale. Les spécialistes se regroupent auprès du cadavre, qui par chance vit encore un peu. Rien de mieux qu'un mort qui refuse de mourir, les pieds qui puent et qui dépassent du placard aux oubliettes intéressent quelques nostalgiques, et l'opération est sans danger car le macchabée en état de décomposition avancée est beaucoup moins dangereux qu'au temps de sa guerroyante et prime jeunesse.

 

Pour les amateurs de musique, pas de quoi remplir le quart du creux d'une moitié d'oreille, ce qui ne signifie pas que le bouquin soit inintéressant. Point du tout. Pose même la question essentielle. Le fameux problème de géométrie : peut-on sortir d'un cercle sans en franchir les limites circonférencielles ? Je ne suis pas méchant, je vous refile une première piste de réflexion : commencez par réfléchir à la nature de ce rond de sorcier infranchissable.

 

Le punk est un enfant bâtard de Jimmy Page que ses copines lui ont fait dans le dos. Essayez de jouer aussi bien de la guitare que le maître du Zeppelin, lorsque vous êtes un ado perdu dans sa chambre, en 1975. Vous n'y arrivez point. Normal, c'est trop dur pour vous. Deux options s'offrent alors à vous : ou vous vous tirez une balle dans la tête, celle que je vous conseille, ou le gros caca nerveux : je m'en fous de mes barrés qui se barrent, je jouerai quand même, na ! Le punk est né de ce caprice générationnel d'enfants rois. Ou alors auto-proclamés rois dans les quartiers les plus pauvres.

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A peu près au même moment aux States, les New York Dolls tentaient de remplacer les Stones. Parfois les batraciens veulent égaler le bovidé. Ils en crevèrent. Mais le bruit qu'ils firent attira l'attention de Malcolm McLarren qui pigea tout de suite le concept. Revenu en Angleterre, Malcolm alpagua une bande de crétins sous-doués en tout. Sauf en crétinerie. En quelques mois les Sex Pistols devinrent les exemplaires idoles d'une jeunesse perdue. Z'avaient donné le bon exemple de la réussite sociale. Le punk était né.

 

L'on peut le comparer à un bébé porteur du Sida. Grandira en voulant ressembler aux autres : belle vie, gros cigares, jolies nanas, et signature avec une major à sa majorité. Mais devra se contenter de ses seules tares. Laideur, insuffisances, maladie, faudra qu'il fasse avec. Débrouille-toi avec tout ce que tu n'as pas. Philosophie volontariste de la vie. En anglais, ils traduisent par Do It Yourself ! Très vite les punks voilèrent leur nudité crade sous le drapeau de leur arrogance. Firent illusion. Nous reconnaissons que certains avaient très belle allure. Ce qui n'empêche pas les morsures du froid. Alors quand l'occasion se présentait beaucoup d'entre eux rentrèrent se mettre au chaud devant les feux ronflants des cheminées des compagnies mastodontes. Humain, trop humain.

 

Le punk fut une aventure prodigieuse. La dernière du vingtième siècle. D'une heure sur l'autre votre statut changeait. Avec trois tubes de colle, une paire de ciseaux, la photocopieuse du travail de votre copine vous deveniez propriétaire d'un titre de presse, avec quatre copains désargentés et pour les plus veinards, les cinq cents tickets fournis par une mémé-gâteau, vous fondiez un label. Le maire de Trifoully-les-Oies vous prêtait la salle des fêtes – à la condition expresse de la rendre aussi propre qu'on vous la passait – et vous vous bombardiez entrepreneur de spectacles. Rock and Roll tourneur, le Peter Grant de province. Tout devenait possible, il suffisait de vouloir.

 

Pour le lectorat, les acheteurs et les spectateurs, pas de problème, le punk appliquait la recette du requin affamé qui se nourrit en mordant son propre ventre. Plus gore que le pélican d'Alfred de Musset, mais une très belle parabole de l'autonomie de survie. Bref les punks créèrent non pas une économie parallèle de grande envergure mais des minis poches d'auto-subsistance. Ceux qui rédigeaient le fanzine, achetaient les disques et fonçaient aux concerts. Et l'on se renvoyait allègrement l'ascenseur. Ça ne coûtait pas cher, tout le monde étant fauché l'on tirait les prix vers le bas. Rien à voir avec les Beatles et consorts qui dans les années soixante filèrent un sacré coup de pouce à l'excédent de la balance commerciale de Sa Très Gracieuse Majesté. Le petit milieu punk s'auto-finançait et vivotait joyeusement sans rien demander à personne.

 

Le problème dans la vie, c'est que dès que vous êtes pénardos dans votre coin, vous excitez l'envie des méchants. Qui n'ont pas de cœur mais des stylos billes et des carnets de chèques avec des files de zéros aussi longues qu'un autobus. L'on ne compte plus les groupes qui se laissèrent acheter par les méchants requins, le Do It Yourself, c'est bien, mais c'est encore mieux quand ce sont les autres qui font le boulot le plus ingrat à votre place et que vous n'avez plus qu'à lire les relevés de vos royalties.

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L'embêtant, c'est que certains croient en ce qu'ils font, ils emploient les grands mots, ils parlent du sens de l'existence, bref ils n'ont ni le cynisme, ni l'arrivisme forcené de Johnny Rotten. Entrevu sous sa version théorique le DIY est une véritable philosophie, la débrouillardise à la petite semaine a bon dos, cessez de regarder par le petit bout de la lorgnette. Le DIY est à entrevoir comme une alternative à l'exploitation capitaliste. C'est une manière de court-circuiter les prérogatives de l'Etat coercitif et des marchands voraces. Créez vos propres circuits de production et de distribution et vous deviendrez les acteurs de votre vie. La pratique du punk DIY renouait avec le discours anarchiste, de Thoreau à Kropotkine, et entrait de facto en résonance avec la vieille idéologie babacoolesque des communautés hippies...

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L'on est d'abord victime de son propre succès. Ma petite entreprise marche très bien tant que je me contente de peu : tirer un EP ou un CD à trois mille exemplaires et le differ en quelques mois à la fin de chaque concert, reste du domaine du possible. Peux être fier de moi, j'exerce mon contrôle sur toute la chaîne, de la conception à la distribution. Je reconstitue avec le résultat de mes ventes mon capital de départ lentement, mais au bout d'un an je suis capable de renouveler l'opération. Tant que je me contente de vivoter à petite échelle, tout se déroule à merveille. Mais si trois groupes me font les yeux de Chimène pour que je m'occupe d'eux et si mon succès dépasse les frontières locales de mon patelin et que je dois étendre mon réseau de distribution, se pose la nécessité d'un apport initial de capitaux que je suis loin de posséder. Les banques ne sont guère prêteuses et de toutes les manières je ne suis guère idéologiquement prêt à m'incliner sous les fourches caudines de l'économie libérale. L'aspect musical de la musique rock n'est que que le haut de l'iceberg sonore. Certains se contentent de cela. Mais d'autres sont davantage viscéralement attachés à tout ce que ce courant véhicule : une révolte quasi métaphysique à l'encontre de cette société de profits dans laquelle nous vivons. Qui dit rock propose refus et rupture avec l'ordre établi. Rentrer dans le mode de production capitaliste qui privilégie l'obtention immédiate d'un rendement financier à l'exclusion de tout autre priorité, la qualité artistique par exemple, s'identifie à un reniement... Attention, ne pas penser que nous sommes en présence d'une posture à la plus révolutionnaire que moi tu ne peux pas, c'est bien dans le tourbillon créatif de la mouvance punk que se sont approfondis , développés et affirmés, les combats des homosexuels, des lesbiennes, et des réflexions queer sur le genre... En notre douce France, les manifestations rétrogrades étiquetées Mariage Pour Tous ont démontré que ces sujets sont trente ans après des plus brûlants et corrosifs. La pilule ne passe pas.

 

C'est ici que s'établit la coupure entre les pragmatiques et les idéalistes. Ceux qui sautent du tortillard des pauvres en marche dès qu'on leur tend un coupon couchette première classe du rapide et ceux qui préfèrent rester inconfortablement installés sur l'essieu du wagon de marchandises. Ces derniers sont peu nombreux. Fabien Hein se penche particulièrement sur deux d'entre eux. Qui ont réussi et qui ont valeur d'exemple. Ceux qui sont passés à un autre volume que cinq cents disques revendus au compte-goutte de la main à la main, des copains aux copains des copains...

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Crass, chez nos amis outre-manchois, les rosbeefs. Me suis arrêté quelques instants pour vérifier sur le Dictionnaire Raisonné du Punk de Pierre Mikaïloff paru chez Scali en mai 2007, pas la moindre trace de Crass, c'est que le groupe de Penny Rimbaud n'a pas baissé son pantalon pour se la faire mettre chez CBS ou EMI, ont enregistré en toute modestie chez Crass Records. C'est bien chez soi qu'on est le mieux servi. L'on y concocte sa tambouille sans avoir à faire attention aux désidérata des impératifs de vente. Crass s'en est bien sorti, le label a prospéré et vendu quelques dizaines de milliers de disques. Mais Crass revendique avant tout une influence éthique. Même si le monde est pourri comme le proclamait Johnny, le futur n'est pas condamné. Pas la peine d'attendre qu'aux banquet des mendiants les maîtres vous jettent un os à moelle. Bougez-vous le cul et agissez. Crass fut la preuve qu'un autre punk était possible.

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Ce genre de démarche qui procède d'une positive attitude exige une révolution d'esprit. L'adolescent nihilisto romantique se doit se dégager de ses postures radicales. Aux USA, du punk émergea le mouvement Straigh Edge qui refusa l'alcool, la drogue, et le sexe à outrance. Vieux fonds de puritanisme ricain qui refait toujours surface au moment où on s'y attend le moins. Ce courant ( pour en savoir plus, confer in KR'TNT ! 202 du 25 / 09 / 14, notre kronic du roman Alphabet City d'Eleanor Henderson ) fut initié par le groupe Minor Threat qui refusa toujours cette paternité. Ian McKaye quitta le groupe et fonda Fugazi. Fugazi vendit des millions de disques mais ne signa jamais avec une major. Le groupe s'appuya pour écouler ses albums sur la reviviscence de tous les réseaux de bric et de broc construits aux quatre coins des USA par des activistes de tout poils, militants et borderline.

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Des exemples qui font chaud au coeur. Des petits cochons qui s'entendent pour niquer le gros méchant loup, c'est super. Fabien Hein ne crie pas victoire. Même si de subversifs labels prirent la suite de nos deux précurseurs, en fouillant un peu on s'aperçoit que d'une manière ou d'une autre la plupart des Indépendants qui tirent les marrons du feu sont de près ou de loin des sous-marins des majors. Fuyez le Système, il vous rattrapera. Vous attend par exemple au tournant de la distribution. Mais il y a pire. Crass, Fugazi, c'est parfait : ont réussi à vendre des disques et à organiser des concerts à petits prix, ont refusé la logique de l'enrichissement personnel à outrance. Ne sont pas les adeptes des royalties mirobolantes. Très bien ! Mais si on y regarde de plus près, leur exemple n'a pas bouleversé l'économie mondiale. Efforts risibles et dérisoires du colibri qui adopte la manière des autruches pour ne pas voir l'inanité de son action, dès qu'il essaie d'être un tant soit peu objectif...

 

L'arrive un moment ou votre petite niche de survie écologique se trouve confrontée à la jungle luxuriante qui l'entoure. Tout ce ce que vous pouvez faire c'est croiser les bras en espérant que jamais un boa affamé ne s'en vienne gober vos petits oeufs précieux... Quant à croire que vous pourrez infiniment repousser les limites de votre cercle et grignoter petit à petit les alentours nauséabonds... Tout le monde a le droit de rêver. Fabien Hein n'est pas particulièrement optimiste dans ses conclusions. L'on ne sait pas de quoi seront faites les luttes de demain, mais les défaites risquent d'être plus nombreuses que les victoires. Ne faut pas se faire trop d'illusion.

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Le livre remet la pendule du rock and roll à l'heure. En examine avec soin tous les rouages. Mais le constat final est des plus expectatifs. Malgré ses velléités de révolte, le punk n'est pas sorti des griffes de ses contradictions. Le capital est assez malin pour vous revendre votre propre révolte en barres chocolatées. Additifs pernicieux en prime. Difficile d'attendre un cercle au tournant. Refusez le statut de rock and roll star, poussez l'altruisme jusqu'à bosser en usine pour ne pas mélanger les genres et élever la probité jusqu'à son dernier degré, devenez un moine soldat du rock and roll, si cela vous chante, autant péter dans un saxophone, malgré votre détermination et votre colère, le monde ne reculera pas d'un iota. L'effet papillon, c'est très utile pour déclencher une tempête de sable en Arizona depuis le hamac de votre jardin, mais au niveau de l'Economie, les sismographes n'ont jamais détecté ne serait-ce qu'un frémissement de toile d'araignée au fond des réserves d'or de Fort Knox. Un peu comme si nous, chez KR'TNT ! l'on paradait en affirmant que la gratuité de nos chroniques allait dans les semaines qui viennent bouleverser la donne métaéconomique de la planète.

 

Dans son épilogue – même les belles histoires ont une fin qui n'est pas forcément heureuse – Fabien Hein affirme que toutes les actions de ce type si elles ne bousculent pas frontalement le Système de manière efficace, ont tout de même pour effet positif de revivifier le champ social. Sans doute n'a-t-il pas tort. A la réflexion le book Hein qui fourmille d'informations sur la mouvance indie and consorts est plutôt roboratif. Faudrait aussi parler de la jubilation intérieure des individus qui s'essaient au diy. A la notion de finitude du rock and roll, faut ajouter, celle de la funnytude. Les Rolling Stones qui vous tirent la langue par exemple ? Oui, mais là vous n'avez rien compris.

 

Damie Chad.

 

 

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J'ai mon fournisseur attitré. N'avais pas mis les pieds dans la boutique depuis trente secondes qu'il s'est rué sur moi. Monsieur Damie Chad, vous reprendrez bien un peu de drugs, de sexe et de rock and roll, ne dites pas non, je connais vos habitudes, j'ai ce qu'il vous faut. Et devant trois clientes aux regards soupçonneusement intéressés, il m'a d'office mis en main un paquet qui avoisinait allègrement les douze cents grammes. Pour le sexe je devrais vraisemblablement me contenter d'une poupée gonflable ai-je pensé en soupirant. Je me trompai sur toute la ligne de coke, ce n'était qu'un livre. L'a ajouté, je ne sais pas qui c'est. Toutes les chances que ce soit pour vous. En effet :

 

BILLY IDOL

 

DRUGS, SEX & ROCK'N'ROLL

 

mémoires

 

( l'ARCHIPEL / Mai 2015 )

 

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Billy Idol, le parfait pendant au Do It Yourself, un relevé d'expériences in situ après la théorie de Fabien Hein. Ah ! Oui, ai-je dit, prenant l'air du connaisseur qui a tout lu, tout vu, tout entendu, avant tout le monde, l'a eu une excellente chronique, je ne sais plus où, vous le prends par curiosité.

 

Vu les remerciements à la fin du bouquin, l'a dû se faire aider par tout un staff de conseillers pour la rédaction le Billy, n'empêche qu'il s'en sort bien dès le premier paragraphe avec mention de Coleridge et Wordsworth. Question prélude, l'est difficile de faire mieux. Les amateurs de poésie anglaise risquent d'être un peu déçus par la suite, point de vastes rêveries sur Keats et Shelley, l'est sûr que les Mémoires de Billy Idol ne sont point un précis de littérature britannique. Par contre ce qu'il raconte sur l'aventure punk est passionnant. Ces pages sont un parfait contrepoint aux deux autobiographies de Johnny Rotten, voir KR'TNT 180 et 208 des 12 / 03 / 14 et 06 / 11 / 14 ). Mais puisqu'il faut un début à tout, commençons par le commencement.

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Un rock and roll star thriller du meilleur effet. L'idole gît découpée en petits morceaux sur une autoroute de Los Angeles. A l'instar d'une armoire pharmaceutique son sang regorge de produits illicites. L'affaire se présente mal, l'est épuisé suite à deux années de sexe intensif, toutes les nuitées dans le studio où il enregistrait son prochain disque. Pour un peu l'on crierait à sa future disparition et l'on se préparerait à rédiger la nécro, mais s'il a écrit le livre, c'est donc qu'il a survécu. Pas de panique, retour dans le passé.

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Passons sur les primes années – dont un intermède américain entre trois et six ans – des parents qui travaillent dur pour s'en sortir et qui verront leurs efforts couronnés par le succès, accèderont à la classe moyenne, Billy n'a pas l'enfance misérable d'un Sid Vicious. N'est pas un stakhanoviste forcené qui vise les plus hautes marches de la réussite scolaire. Enfant intelligent qui ne fout rien. Un cas classique. Grandit sans anicroche, avec une idée simple dans le neurone : ne pas gaspiller sa vie comme ses parents à bosser comme un dromadaire. Louable intention. En attendant il s'adolescentalise vitesse grand V avec deux préoccupations majeures, la musique et les filles. Par ordre d'importance. Que voulez-vous bande de dépravés, il n'y a pas que le sexe dans la vie, la priorité des priorités c'est avant tout le rock and roll.

 

Né en 1955, connut cette chance d'avoir l'âge requis pour être dès la fin des sixties le spectateur attentif de l'explosion anglaise, entre quinze et vingt ans il assista à des séries de concerts pharamineux de Procol Harum à Led Zeppelin. Sensibilité rock. Pas si évidente que cela. Recoupe exactement les dires de Johnny le pourri. Sa génération n'est pas aussi accrochée que l'on pourrait le subodorer au rock and roll. Beaucoup de jeunes sont plus attirés par le reggae, le Rhythm and Blues mais déjà décliné en musique de danse dans les boîtes. La vague disco n'est pas loin. Bowie possède déjà cette prescience de l'évolution des goûts, Rock And Roll Suicide serait-il à considérer comme un adieu au rock and roll ?

 

GENERATION X

 

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Le rock a encore une carte à jouer. Celle du punk. Billy s'est naturellement rallié à cette bande de jeunes du quartier de Bromley -facile pour lui, il y habite - le fameux Bromley Contingent qui regroupa les premiers fans des Sex Pistols. C'est un peu le lieu itinérant de rassemblement de ceux qui ne se reconnaissent ni dans les Teddy Boys, trop réactionnaires, ni dans les Skins, trop fachistes, ni par la force des choses dans les Rude Boys jamaïcains. Savent ce qu'ils ne veulent pas, mais pas ce qu'ils voudraient. Empruntent un peu partout, essaient de se dénicher un look personnel, la boutique de Viviane Westwood leur permet d'oser. Les filles sont à la pointe de ce combat. Nous dit beaucoup de bien de Siouxie dont il admire l'énergie et la liberté d'allure et de ton. Le propulseur final seront bien les Sex Pistols. C'est après avoir vu Elvis en concert que Buddy Holly et Gene Vincent passèrent à l'acte. En 1975, les Pistols influencèrent nombre de jeunes gens. Faut lire ces pages où Billy se cherche et se trouve. Dès 1976, il possède son groupe, d'abord Chesea puis Generation X fondé avec son ami Tony James. Composent ensemble. S'entraident, s'encouragent. Ont la chance d'arriver après les Pistols qui ont essuyé les plâtres, avec son blouson noir, ses cheveux courts peroxydés, son rock and roll quelque part plus rock que punk, et surtout sa mignonne petite gueule d'ange brûlée par la passion dévorante de la vie, Billy et Generation X sont une alternative au punk. N'en a pas encore conscience, le Billy, mais le ver est déjà dans le fruit encore vert. Le punk fut un feu de paille. Tout comme le rockabilly. En 1981, après leur troisième album qui ne connut pas le succès, le groupe se sépare et Billy s'en va entamer une deuxième carrière en solo, aux Etats-Unis.

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SUCCES STORY

 

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Aux States personne ne l'attend, mais lui en attend beaucoup. Patronné par sa maison de disques Chrysalis, Bill Aucoin producteur de Kiss et le guitariste Steve Steven, il sent d'où souffle le vent. Du punk il ne gardera que l'énergie, Clash avait introduit des 1977 des relents de Ska et de reggae dans son rock, mais Billy ira beaucoup plus loin, mélange rock et dance music. Le fait petit à petit mais par touche franche. N'a aucunement l'impression de se trahir ou de renier quoi que ce soit. L'est certain qu'il apporte la révélation punk à de nombreux ignorants... Tout lui sourit, compose facilement, possède un orchestre de mieux en mieux rôdé, tourne partout, des filles à la pelle et même Perri ( en la demeure ) qu'il adore, qui lui manque, même s'il ne sait pas résister aux tentations... Tombe dans le cercle vicieux de la drogue, assez résistant au niveau physique pour échapper à l'engrenage fatigue-pilules, sera pris dans la nasse par le côté festif de l'affaire, les produits décuplent les extases amoureuses, le plaisir submerge tous les signaux inquiétants. Faudra des années avant qu'il ne prenne conscience de ses sautes d'humeur imprévisibles, alcool, héroïne, cocaïne, herbe tout est bon pour le remettre d'aplomb. L'addict heureux content de son sort qui n'a aucune envie de s'arrêter. Les ventes exponentielles de Rebell Yell dès 1983 qui atteignent les deux millions d'exemplaires, les passages-vidéo incessants sur MTV vous dopent le caractère et vous euphorisent à longs termes. Jusqu'à son accident de moto en 1993, Billy Idol vit dans le brouillard. Se revendique toujours du Diy punk, mais il use de celui-ci comme d'une méthode d'auto-management des plus efficaces pour gérer sa carrière : vidéos, films, album, produits à ingurgiter, sa vie personnelle se rétrécit, exerce le contrôle sur toutes ses activités, mais plus son intimité. Perri lassée de ses frasques sexuelles s'en va avec le bébé, Billy bichonne sa Harley...

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EN ROUE LIBRE

 

Le sort n'a pas voulu qu'il fasse un beau cadavre à la James Dean. Survivra à ses blessures – merci les chirurgiens – l'en profitera pour se sevrer de ses addictions. Sans devenir un pépé-la-morale des plus enquiquineurs. Pas le genre de ces anciens fumeurs qui déclenchent un scandale si vous avez l'imprudence d'allumer une clope dans l'habitacle de leur voiture... Ne se refuse rien mais l'on sent qu'il n'est plus soumis à un manque inextinguible. Sa convalescence terminée, il assure une méga-tournée au-travers des USA, mais l'excitation le quitte peu à peu. S'occupe de ses enfants. Le papa attentionné et aimant...

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Fera un break de douze ans avant de s'y remettre avec le nouveau siècle. Ne le dis pas mais je pense que le besoin de liquidité n'y est pas pour rien. Le désœuvrement et son ennui mortifères guettent aussi les heureux retraités. Les rockers vieillissants sont décevants. Nous font le coup de la volupté de la vie normale. Hélas, on les a surtout aimés pour leur existence anormale... Billy tresse des couronnes de louanges aux longues études de sa fille et nous emmène pleurer sur la tombe de son papa. C'est aussi émouvant qu'un tableau de Greuze. Pas Le Père Expliquant la Bible à Ses Enfants, mais le vieux rocker en sage chinois donnant des leçons de vie à ses fans. Qui commencent à avoir des rhumatismes...

 

Par contre, ce qui est super c'est qu'il ne regrette rien. Oui, il a fait des erreurs, mais il a vécu en être libre. Avec le recul il n'agirait plus ainsi, mais en telle situation il s'est débrouillé comme il a pu. Ne vous renvoie pas le boomerang en vous demandant comment vous vous seriez dépatouillés vous-mêmes. S'en moque éperdument. Parle de lui, pas de vous. On le sent solide dans sa tête, sa volonté bien chevillée au corps. Assume tout son itinéraire sans connaître un seul moment de contrition. Un parcours très drugs, très sexe, et un peu moins rock – ce dernier volet de la trilogie suscitera force mécontentements chez les purs et durs - mais la franche expression d'une belle personnalité. Beaucoup moins cynique et vaniteux que Johnny Rotten. Moins égotiste que Pete Tonwshend. Aussi à l'aise dans son propre personnage que Rod Stewart. Se lit avec plaisir.

 

Damie Chad.

 

 

ICONOGRAPHIE EDDIE COCHRAN

 

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FROM ALBERT LEA

 

10/06/2015

KR'TNT ! ¤ 239. Mr AIRPLANE MAN / DRAIGH / JOE HILL / GUN CLUB / JALLIES / ONE DOLLAR QUARTET / ERVIN TRAVIS NEWS

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 239

A ROCK LIT PR ODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

11 / 06 / 2015

Mr AIRPLANE MAN / DRAIGH / JOE HILL

GUN CLUB / JALLIES / ONE DOLLAR QUARTET

ERVIN TRAVIS NEWS

 

ERVIN TRAVIS NEWS

 

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Toujours beaucoup de repos et un peu de soleil pour Ervin afin

que dans un premier temps son moral remonte petit à petit.
Il continue sur sa lancée, nous savons que ce sera très long,

avec des bas et quelques petits "hauts", rares pour le moment,

mais encourageants malgré tout pour poursuivre ce long parcours.
Examens à faire et prise de sang tous les 15 jours.
Voilà pour les nouvelles actuelles
Merci pour tout ...

( voir FB :Lyme-Solidarité Ervin Travis )

 

LE SON DU COR - 30 / 05 / 2015

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ROUEN( 76 )

Mr AIRPLANE MAN

Hey Mr Airplane Man,

play a son for me

À la fin des années quatre-vingt dix, la grande mode des groupes à deux battait son plein. On récupérait une guitare et un copain batteur, et pouf, on montait un groupe. Les Black Keys, Winnebago Deal, les Kills et les White Stripes se bousculaient au portillon. Mais le duo le plus intéressant de la meute, ce fut Mr Airplane Man. Margaret Garrett et Tara McManus avaient tout bon en choisissant un titre d’Howlin’ Wolf comme nom de groupe. La classe.

 

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Elles eurent aussi la chance de fréquenter Mark Sandman - leader de Morphine - et de rencontrer Don Howland - ex ‘68 Comeback et leader des Bassholes. Sandman leur donna un bon conseil : achetez une vieille Cadillac et partez en tournée avec. Ce qu’elles firent. Elles traversèrent les États-Unis depuis la côte Est jusqu’au Deep South. Elles se retrouvèrent un beau jour dans le salon de Monsieur Jeffrey Evans, à Memphis. On s’en doute, leur vie changea du tout au tout. C’est là que Don Howland leur conseilla d’écouter Jessie Mae Hemphill, Junior Kimbrough et RL Burnside, les cracks du North Mississippi Hill Country Blues.

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Avec ces bons conseils, Margaret et Tara étaient parées. Elles disposaient de tout le nécessaire pour cartonner : les influences et le son. Il ne leur manquait qu’une chose : le label. Long Gone John qui grenouillait déjà dans les parages de Monsieur Jeffrey Evans fit paraître leur premier album sur Sympathy For The Record Industry - un label aussi cher au cœur des amateurs éclairés que le sont Crypt, Estrus et In The Red.

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«Red Lite» parut à l’aube du siècle, en 2001. Margaret et Tara y dévoilaient leurs petites racines blues et Monsieur Jeffrey Evans qui les produisait veillait à ce qu’elles disposent du son le plus trash qui se put concevoir à l’époque. Nick Diablo donnait un petit coup de main aux filles en grattant sa guitare trash ici et là. Quand on écoutait «Johnny Johnny», on se régalait du son, avec ce dégueulis de distorse sur la moquette, mais le petit tatapoum idiot de Tara agaçait sérieusement. Elles lancinaient avec «Pretty Baby I’m In Love With You» et derrière, Tara tatapoumait toujours aussi bêtement. Heureusement, Margaret bavait dans son micro et le larsen oxydait les cordes. Elles passaient aux choses sérieuses avec une version hypnotique du «Wanna Be Your Dog» des Stooges. Margaret amenait ça comme un orgasme. Tripoter le caoutchouc des choses légendaires ? Pas de problème. Elles en sortaient une version linéaire battue très serrée, bien ravalée, incroyablement sexuée, imprégnée d’une féminité brûlante et hagarde. La face B était beaucoup plus solide, car plus ancrée dans le blues. «Hangin’ Round My Door» est typique d’une époque où on travaillait le son pour couler des bronzes de trash-blues. Elles trashaient le blues jusqu’à le faire dégorger comme un coquillage. Leur «House Of Bones» avait tout de la cabane qui menace de s’écrouler. Elles tapaient aussi dans le «Black Cat Bone» de Jessie Mae Hemphill, la reine des one-man bands d’antan, associée à la légende d’Otha Turner mais aussi à celle de Tav Falco. C’est dans le blues de l’hypnose que s’est joué le destin du rock. Margaret et Tara se retrouvaient à la croisée des chemins, celui du son grâce à Monsieur Jeffrey Evans et celui de l’hypnose, grâce à Jessie Mae. Elles sortaient une viande sonique unique au monde, un pur chef-d’œuvre de dévotion cabalistique. S’ensuivait «What A Number», une fantaisie digne des Seeds, un petit garage cool adossé contre un mur, typique de l’Amérique et de ce genre de précepte warholien consistant à dire que la puissance, c’est d’être au coin d’une rue et de n’attendre personne.

 

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«Moanin’» sortit un an plus tard, toujours sur le label de Long Gone John. C’est un très gros disque, un classique garage de l’époque, l’un de ceux qui vont résister à l’usure du temps, enregistré par Jim Diamond au Ghetto Recorders et supervisé par Greg Cartwright. Le résultat est là : deux filles douées bien entourées, ça ne peut que blaster dans les brancards. Ouverture avec «Like That», allez vas-y, du chord à la moutarde, avec cette voix de vierge effarouchée qui traîne comme une serpillère dans le jus du son, mais elle est sauvée par des marins et échappe à l’oubli atroce. «Like That» est le prototype du cut simple et bien tenu, petitement battu par Tara. Elles font leur fricot, pas de problème. Puis elles passent directement à Wolf avec une reprise de «Moanin’», reprise certifiée, Jim Diamond veille au grain des girls. La chose vire dirt-garage, elles sont dessus, elles en font une charpie inspirée, remontée du collet, sensuelle et Margaret coule des ouhhh dans l’ass du trash. On les sent parvenues au sommet de leur art. Avec Big Foot Chester, elles sont les seules à l’époque à saluer la mémoire de Wolf. Elles reviennent au beau boogie avec «Somebody’s Baby» qu’elles farcissent de belles montées en septième et d’éclats de tierces diminuées sur cordes claires. Elles campent dans le blues, pas de doute. Leur truc reste inspiré et tapé bien sec par Tara qui fait d’incroyables progrès, puisqu’elle commence à multiplier les figures de style. Ah Tara c’est une bonne ! Wow, et «Drive Me Out», baby ! Du pur stomp de Detroit. Elles y vont franco, voilà du garage tangible - just drive me out ! - elles font ça bien mieux que des tas d’autres groupes prétendument sauvages. Elles montent même en température - ouh-ouh - Margaret veut qu’on l’emmène et c’est magnifique de prestance trashy. On tombe ensuite sur «Uptight», une pure merveille, certainement le hit du disque. Elles savent cuisiner un cut. Elles envoient ça à la Hooker, c’est bien relayé et lourd de conséquences, et même monstrueux, parce que ça monte toujours. Avec rien, elles font tout ouh-ouh et ça menace de nous exploser à la figure. La fin du morceau est la huitième merveille du monde, elles ruissellent de génie, elles relancent deux fois, et on voit déferler deux vagues géantes de trash sublime. Difficile de survivre à un tel assaut. Les cinq morceaux suivants vont en baver. Elles reviennent à Wolf avec «Commit A Crime» et sortent le gros son, comme d’autres sortent l’artillerie. Elles le font bien et on entend une guitare entrer en putréfaction. Ça en impose. Elles nous font le coup du beau balladif avec «Very Bad Feeling» et on passe à une reprise du vieux Mississippi Fred McDowell à tête de crapaud, «Sun Sinkin’ Low» - qu’elles reprenaient déjà dans leur premier disque non officiel - et qu’elles traitent avec le plus grand respect.

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Évidemment, on attendait monts et merveilles de l’album suivant, «C’mon DJ», mais on dut se contenter d’un album légèrement moins bon, toujours sur Sympathy For The Record Industry et toujours produit par Greg Cartwright. Belle pochette : on les voit toutes les deux assises à côté d’un petit électrophone et de quelques 45 tours, dont un 45 tours des Oblivians. Elles démarrent l’album avec un gros garage d’apocalypse, «C’mon DJ», et on reste sur l’impression que tout va s’écrouler d’un instant à l’autre. On entend l’ami Greg slider. Elles retapent dans le garage avec «Wait For Your Love», une pièce censée émouvoir les foules, mais c’est trop plaintif et moins coriace que chez les Detroit Cobras, par exemple. Encore une belle touille de distorse dans «Fallen». On les sent toutes les deux déterminées à pulvériser les records du trash-blues, mais la voix de Margaret se perd dans le sable. On attend un sursaut. «Hang Up» ? Oui. Soutenu à l’orgue et furieusement tatapoumé, voilà un beau garage - why you be so mean - fuzzé à la Troggs avec des oh-oh-yeah. Margaret joue son riff bien pesant à la fuzzerie concomitante. Elles renouent enfin avec l’énormité en attaquant «Make You Mine», ce pulsatif monstrueux poundé par Tara la tarateuse. En plus elle est devant dans le mix de Greg, elle savate sa pédale de grosse caisse et ça part en vrille avec des ouh ouh ouh qui semblent hurlés par des Pawnees sur le sentier de la guerre. Le beat n’est rien d’autre qu’une pure violence sourde de pounding tribal. Elles génèrent une énormité de bas-étage avec les petits chœurs du Sympathy des Stones. Puis elles basculent dans la folie, et pour mettre un terme à cette histoire, le destin tire la chasse. Il reste encore à écouter le petit garage bien secoué de «Red Light». Elles nous stompent ça aux petits oignons. Elles ont réussi à construire un univers complet avec de la distorse, du Wolf, du tatapoum et des voix un peu traînantes. Elles finissent d’ailleurs avec un nouvel hommage cinglant à Wolf, «Asked For Water». Solide et rocky. Elles lui claquent le beignet et pètent les quintes à l’accord. Margaret laisse traîner sa voix comme il faut. Elle se veut imparable, sévère et dure. Alors, elle miaule à la lune.

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On vient de voir paraître sur vinyle le tout premier album de Mr Aiplane Man. En 1998, Margaret et Tara n’avaient pas de label, mais elles voulaient ab-so-lu-ment sortir un CD. Elles proposaient à l’époque une reprise de Wolf, «Moanin’ For My Baby». C’était vraiment gonflé de leur part. Mais si Wolf avait vu ça, il aurait été ravi et aurait encouragé les deux petites poules blanches à taper encore plus dans son répertoire. Le premier morceau de l’album s’appelle «Baby» et Margaret le prend au bottleneck. Elle ne cherche pas d’effets, elle se contente de clamer le blues. Elle reste enthousiaste et sait bien, à l’époque, qu’elle ne va pas réinventer le fil à couper le beurre. Elle tape aussi dans Mississippi Fred McDowell en reprenant «Sun Sinkin’ Low» - qu’on retrouvera plus tard sur «C’mon DJ». En plein milieu du morceau, Tara tente une relance sauvage au tambourin. Elles montraient déjà de très bonnes dispositions, mais on sentait qu’il leur manquait encore l’étincelle.

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Bonne surprise ! Les voilà à l’affiche d’un petit festival des rues organisé dans ce que les Rouennais appellent le vieux Rouen. Comme tout le monde, elles ont pris un petit coup de vieux et Tara ne se teint pas les cheveux. Les voilà toutes les deux grimpées sur une petite scène et lancées dans un répertoire d’hommages aux géants du blues qu’elles vénèrent depuis leur adolescence - beside the Stooges, comme le précise Tara. D’ailleurs, elles ont collé les photos des vieux nègres sur deux petits présentoirs posés au bord de la scène. Pendant une heure, elles recyclent leur vieux brouet. Margaret joue comme dix. On découvre à la voir jouer qu’elle est extrêmement brillante. On passe même par de purs moments d’envoûtement. Une chose est sûre, leur son claque bien. Toutes les appréhensions liées au fait qu’elles jouent en plein air s’envolent rapidement. Elles rendent hommage à Alan Lomax à deux reprises. Puis elles expliquent qu’elles viennent de reformer le groupe. Margaret est tellement hantée par le blues qu’elle en trépigne. On voit ses petites jambes frétiller dans ses bottes, alors qu’elle envoie d'extraordinaires passades d’accords gimmickés.

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À la fin du set elles vendaient un nouvel album intitulé «The Lost Tapes». Sur l’insert, Tara raconte l’histoire de la cassette perdue et retrouvée par Margaret dans sa cave. Cette cassette fut enregistrée à leurs débuts. Elles attaquent avec le fameux «Sun Sinkin’ Low» de Fred McDowell. On tombe ensuite sur l’inévitable «Commit A Crime» de Wolf. Le texte de Tara fait tout le charme de ce disque, car elle raconte les circonstances de leur rencontre avec Matthew Johnson, le boss de Fat Possum qui, le soir de leur arrivée, nettoyait son flingue dans son bureau. Elle raconte aussi une nuit agitée à la Nouvelle Orleans et la rencontre d’un trafiquant d’alcool qui leur vendit une bouteille d’absinthe. Elles font aussi une très belle version de «Love Of Ivy» du Gun Club. On voit qu’à cette époque, elles n’écoutaient que des bons disques. Sur cette version, Margaret s’en sort avec tous les honneurs, car elle cherche en permanence l’effet de bottleneck le plus rageur. Alors elle gratte comme une folle et fait trembler ses petites guiboles. La reprise de Wolf vaut son pesant d’or, car Margaret cherche des noises à la noise. Elle fait montre d’une sacrée hargne ! Mais la bombe se trouve en fin de face B : «Hanging On A Thread», du pur garage avec Bruce Watson aux maracas. C’est enregistré dans son trailer, comme le précise Tara, et dans des conditions extrêmes, puisqu’ils viennent de siffler la fameuse bouteille d’absinthe - C’mon C’mon ! - C’est solide et bardé de viande, ça ferraille dans la déglingue. Elles shootent dans leur boogie du diable tout l’hypnotisme du North Mississippi Hill Country Blues. Elles ont ce son dans les veines. Elles l’ont chopé comme on chope une maladie incurable. Bruce Watson joue le thème à l’orgue, jusqu’à la mort. Rien d’aussi dément.

 

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Franchement, tous leurs disques valent le détour. Margaret et Tara nous emmènent au royaume du blues, exactement de la façon dont Garance nous entraînait dans la cohue des Enfants du Paradis.

 

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Signé : Cazengler, Mr Planplan Man

Mr Airplane Man. Le Son Du Cor. Rouen (76). 30 mai 2015

Mr Airplane Man. Red Lite. Sympathy For The Record Industry. 2001

Mr Airplane Man. Moanin’. Sympathy For The Record Industry. 2002

Mr Airplane Man. C’mon DJ. Sympathy For The Record Industry. 2004

Mr Airplane Man. Mr Airplane Man. Moi J’Connais records 2013

Mr Airplane Man. The Lost Tapes. Moaning Records 2015

De gauche à droite dur l’illustration : Tara McManus et Margaret Garrett, il y a vingt ans.

FONTAINEBLEAU

LE GLASGOW04 / 06 / 15

DRAIGH

Parfois, c'est la surprise totale. Tu viens me chercher, ce soir à Fontainebleau. A vos ordres, mademoiselle. La teuf-teuf vole déjà. Pas fou, je ne m'incruste pas dans la rencontre avec la copine. Le papotage entre filles est par trop soporifiquement insupportable à mon goût. Préfère œuvrer en solitaire pour la grande cause du rapprochement des peuples, surtout que les serveuses du bouiboui asiatique où j'ai atterri sont des plus ravissantes. C'est décidé, dès demain matin je deviens membre attitré des Amitiés Franco-Chinoises. En attendant, direction le Glasgow, jeudi soir, forcément un groupe en soirée. Aucune idée des oiseaux. Incapable de trouver la programmation sur le net. Ecrit blanc sur noir sur l'ardoise à l'entrée du pub : Draigh. Inconnu au bataillon. Des chevelus baraqués déchargent le matos d'une camionnette, à voir les mines des gladiateurs et les amplis, je présuppose du gros rock qui tâche.

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Me suis pas trompé dans mes hypothèses. De vieux briscards tombés de la dernière plaie d'Egypte. Ce soir ce sont les Draigh, souvent c'est le Peter Alexander Band. Faut tromper l'ennemi, vous enlevez un musico et vous en rajoutez un autre et vous obtenez une tambouille tout aussi savoureuse. Mais pas tout à fait de la même marmite. L'on sen fout, l'essentiel c'est que la soupe soit bonne. Et dans le Peter Alexander Band, la maison est ouverte depuis les années 80. Vous font tout ce que voulez : du hard, du rock, du country, du celtique, avec ou sans harmonica et même option violon, c'est un peu à la surprise du chef ; mais gosiers sensibles abstenez-vous, les marmitons ont la main lourde. Certains prétendent qu'ils détestent les légumes et qu'en fait ils ne cuisinent que les épices. Pour les boissons d'accompagnement, les alcools ne descendent jamais au-dessous de soixante degrés. Z'ont toujours du monde, car ils vous servent des portions à gaver une meute de glavials. Sont de Ponthierry, ont déjà sorti une flopée de disques, ont ouvert pour des grosses pointures à la Lynyrd Skynyrd, organisent même un festival, le genre de groupe qui aromatise les hamburgers au gaz moutarde. Je pense qu'il est temps de passer à table. Mais ce soir les Draigh.

PREMIER PLAT

Cinq sur scène. Un batteur, un basse, une guitare, un chanteur et un orgue. Me méfie beaucoup des orgues. Sont souvent comme des orques qui font régner la terreur autour de leurs congénères. N'y en a que pour eux, les autres peuvent faire de leur mieux, recouvrent tout de leurs nappes chantilly. C'est brillant pendant deux minutes mais très vite c'est assourdissant comme un manteau de neige. Au bout du deuxième morceau l'on a compris, ce soir on n'a pas à faire à un de ces ogres qui mangent le gâteau en entier et condescendent à laisser quelques miettes aux copains. N'intervient qu'à bon escient. Juste le filet de mayonnaise pour relever le goût du homard. Ne se contente pas de jouer les utilités non plus, l'apporte la puissance sonore, sur un plateau. Discrètement. Mais sans lui, la soirée serait ratée.

 

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Le Roland a mangé le quart de l'espace, du coup l'on ne voit plus le batteur engoncé derrière sa batterie, on a juste aperçu son T-shirt Good Morning, Vietnam lorsqu'il s'est glissé derrière les fûts. Vu sa frappe, l'aurait plutôt dû choisir Full Metal Jacket, l'a la batterie qui aboie sans arrêt. Cerbère le chien à trois têtes qui vous entrouvre la fournaise des Enfers, les yeux injectés de sang et la bave qui coule de la gueule. Un petit arrêt sur image pour les âmes sensibles. Draigh joue du rock, alors faites comme mes voisins qui se fourrent des boules de silicone dans les oreilles. Les gens ont de ces drôles de manie ! Je me demande s'ils mettent des lunettes noires pour visiter une expo de peinture.

Guitare et basse nous le confirment. Draigh ne nous propose ni des cigarettes avec filtre, ni du verre sécurit. Pas de siège-auto pour les enfants non plus. Nous avertissent dès le début du set sont du côté des Noirs Corbeaux qui essaiment comme des nuages de folie sur les dernières toiles de Van Gogh, le rock entendu comme une opération alchimique qui nous mène de l'oeuvre au noir du désespoir aux illuminations incandescentes de l'oeuvre au rouge des serpents fous du désir exaltés.

Et puis ils ont un chanteur. Un vrai. Ne bénéficie pas d'un vaste espace. Au mieux une surface d'un demi-mètre carré à condition d'éviter de s'embrocher sur le manche du guitariste. Sinon, il peut aussi se coller sur le mur. Mais il transcende tout cela. Est ailleurs, dans son corps, dans sa voix, dans son chant. Habité par une force tellurique. C'est le rock and roll qui lui donne sa pêche et qui l'habite. L'est dans le rock comme d'autres pédalent dans la choucroute de la vie, mais lui refuse d'en sortir, s'y vautre dedans comme un alligator dans le marécage. Bien sûr les autres lui passent des barres d'acier brûlantes, mais c'est lui qui jongle avec et qui arrange le puzzle.

Ca rocke comme au bon vieux temps des Faces, pour la mise en place vous ne savez où donner de la tête, une éruption volcanique, un grabuge chaotique, une chatte n'y retrouverait pas ses petits mais tout retombe sur ses pattes avec une précision d'orfèvres. Ça fourmille de riffs et de claquements, de roulements et de fusées sonores qui explosent dans tous les sens, et tout rentre dans l'ordre dans les secondes qui suivent, une coulée de lave brûlante qui met tout le monde d'accord et c'est reparti pour une autre giclée de pierres. Les Faces ce ne fut qu'un petit – si j'ose dire - combo de rock, z'avaient la hargne et le délire, mais après eux sont venus des groupes qui ont apporté la puissance.

 

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Le blues survitaminé à la Bonamassa c'est bien, suffit de se laisser porter par la vague, certes ce n'est pas donné à tout le monde mais il est permis à chacun d'essayer, quelques harmoniques un peu rauques dans la voix et c'est parti. Et de cela Olivier – si j'ai bien saisi, c'est son prénom - en a à revendre. Et c'est à ce moment que l'on s'inquiète pour lui, ce rythme effréné c'est bien le chien noir de Led Zeppe qui s'en vient aboyer, un morceau royal, mais faut monter grave dans les aigus, s'agit pas de se planter en beauté. L'a dû se faire un nœud dans la trachée artère car notre chanteur assure. Doit s'éviscérer à l'intérieur avec la colonne d'air. Plus tard après un intermède australien avec Electry Mary et AC/ DC, il clôturera le set avec un Kashmir mirobolant. Assistance estabousiée, écrasée par tant d'énergie et de savoir faire.

DEUXIEME PLAT

L'on croyait qu'ils nous avaient d'abord servi le plat de résistance, c'étaient juste les hors- d'oeuvres. A première vue, c'est la même chose. Mais en mieux. Plus blues et davantage rock and roll. Un truc qui vous prend aux tripes et un autre qui vous emporte hors de vous même. Tout l'alphabet d'AC / DC de Beatin Around The Bush à Whole Lotta Rosie, Deep Purple avec Mistreated – avez-vous déjà entendu un blues maltraité de cette manière – et Highway Star – particulièrement dantesque – et le retour du dirigeable, Rock And Roll, un must, et l'apothéose finale, l'atterrissage en vent de folie avec Whole Lotta Love. Captain Plant aux commandes pour Tin Pan Valley.

 

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Durant la courte pause, Olivier a dû affûter sa voix, elle ne crie plus, elle crisse, elle blatère, elle piaule, elle barrit, elle baraque, elle se ondule sur les lignes de basse ou jerke sur les riffs. Spectacle total, le larynx qui clame et brame et les doigts du guitar-hero qui triture et friture ses cordes. Et puis ces longues immobilisations comme pour obliger une note à résonner éternellement. Des curieux rentrent dans la salle, écoutent trois secondes et retournent sur la terrasse en se bouchant les oreilles. Quant à nous nous ne laisserions pas notre place pour un empire. Nous sommes dans la cage dorée du rock and roll, prisonniers à jamais.

DESSERT

Z'ont dit au revoir et félicité le Glasgow, quand on va les saluer pour les remercier d'un tel concert, ils nous demandent d'attendre cinq minutes, le temps d'une gorgée de bière les revoici sur scène pour un ultime rappel, un medley des Who, Behind Blues Eyes et Young Man Blues... Led Zeppelin pour terminer bien sûr.

L'on sort de là tout vacillant, tout estomaqué. Pour une surprise ce fut une surprise. Du classic rock en toute modestie. Jamais entendu des reprises aussi bien foutues. Les Draigh portent bien leur nom. Levons nos verres à leur santé, haut et sec !

Damie Chad.

( Les photos prises sur le FB du Peter Alexander Band ne correspondent pas au concert. )

Local CNT / 33 rue des Vignoles / PARIS 20°

TRIBUTE TO JOE HILL

ANGELA ( Julie Colère ) / CARO ( Coin Locker, ex-Folk you )

CYRIL, DEE, CRASH ( Destroy Putas ) / FRANCOIS ( Talune )

CYRIL, DAVID ( ex-Action Directe ) / FRED ALPI ( The Angry Cats )

GERALDINE ( Cartouche, La Twal ) / LES CHANTEURS LIVREURS

GILLES FEGEANT, Jo, Jules ( ex-Action Directe ) / RENAUD ( La Rabia )

KROQUETTE ( ex-Necrofilles, Better of Dead )



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Début des activités annoncées à 19 heures. Point de précipitation, rien ne commencera avant vingt heures trente, l'est vrai que le poulet au curry embaume et qu'il serait dommage que los companeros se laissent mourir de faim devant des marmites remplies à ras-bord. Même pour Joe Hill. Il n'est pas question d'exagérer. Z'en profitons pour assister à la fin de la balance de Fred Alpi qui est venu sans ses Chats Colériques. Plein d'humour, en un tour de main, il expédie un couplet d'Eddie Cochran, d'Edith Piaf, de Claude François, et de Johnny Cash, si vous n'en trouvez pas un à votre goût, c'est que vous êtes difficile. C'est qu'il a une belle voix sonore le Fred, vous la monte comme un Alpiniste jusqu'au haut de la montagne. En plus il y a Gilles Fegeant qui vous sort de son étui une magnifique guitare à résonateur sur laquelle, si vous écoutiez vos instincts basiques, vous perpétreriez votre droit personnel de réappropriation collective. Ben, non vaut mieux qu'il la garde, c'est qu'il la chatouille si bien avec son petit doigt slidé que vous ne feriez pas mieux. 

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Tout le monde étant repu ( nous n'ajouterons pas blicain ) les festivités peuvent commencer. Le fameux général qui avait la double gaule dirait qu'avec ces gamins qui courent partout et qui se roulent par terre, nous sommes en pleine chienlit. Mais oui, tout se calme et la soirée débute par une présentation de la vie de Joe Hill. Pas un hasard si la CNT lui dédie une soirée. L'est mort en 1915, à la suite d'accusation mensongère de la police. Ne montez pas sur les grands chevaux de l'indignation. La police n'y est pour rien. Joe Hill l'avait bien cherché. S'était depuis cinq ans acoquiné avec les IWW ( Idustrial Workers of the World ) de très méchants militants ouvriers, de sombres empêcheurs d'exercer en toute impunité la démocratique liberté d'exploitation des prolétaires. De mauvaises têtes qui avaient la sale manie d'organiser les grèves de protestation contre les pitoyables salaires en vigueur en ces années vers lesquelles nous sommes en train de retourner... Des inconscients qui pratiquaient un syndicalisme offensif de combat dans lequel ils admettaient et regroupaient les plus démunis, les chômeurs, les femmes et ( jusqu'où ne sont-ils pas allés ! ) les afro-américains qu'en ces temps bienheureux l'on appelait les nègres.

 

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Bref Joe Hill était un agitateur. Faisait pas de grands discours, préférait composer des chansons et les chanter avec sa guitare. Attirait trop de monde dans les meetings et les rassemblements, lors des grèves. Ses chants se transformaient très vite en hymnes révolutionnaires... Qu'auriez-vous fait à la place de la justice et de la police ? On ne pouvait pas décemment lui mettre un scotch sur la bouche, ces bandes adhésives ont le défaut de se décoller un peu trop vite. Alors on l'a traîné devant un peloton d'exécution. Vite fait, bien fait. On croyait s'en être débarrassé pour toujours. Hélas, la mauvaise graine repousse toujours. Dans les années soixante, Woody Guthrie, Bob Dylan, Joan Baez, Pete Seeger, et plein d'autres, inscrivirent nombre de morceaux de Joe Hill à leur répertoire, les tirant de l'oubli relatif dans lesquels ils étaient tombés auprès du grand public.

 

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Les IWW subirent de fortes attaques de la part des autorités étatiques. A leur vision d'une lutte classe contre classe, ouvriers contre patrons, la machine idéologique libérale parvint à substituer à l'occasion de la première guerre mondiale la nécessité d'une collaboration de classe sur fond de nationalisme... Si vous percevez en ces manœuvres des relents de fascisme doucereux, vous n'aurez point tort... ( Si vous désirez en savoir plus, lisez notre kronic sur Wobblies & Hobos de Joyce Kornbluh publié aux éditions de L'Insomniaque dans KR'TNT ! N° 114 du 18 / 10 / 2012 ). Puisque l'on parle bouquin, rappelons que cette soirée est organisée pour fêter la réédition augmentée du livre Joe Hill, Bread, Roses and Songs de Franklin Rosemont, aux Editions CNT-RP, dont nous reparlerons dans une prochaine livraison. Etait dans le lot que je m'étais procuré il y a deux semaines à La Parole Errante ( voire KR'TNT ! 236 ), faut toujours avoir de la suite dans les idées. Noires.

 

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Fred Alpi et Gilles Fegeant sont déjà sur scène – petite et encombrée de matos, vont y défiler en une heure et demie une quinzaine d'artistes – mais il reste un cadeau à distribuer, un petit livret de vingt pages intitulé The Little Red And Black Song Book qui nous livre le texte en anglais des morceaux de Joe Hill qui seront interprétés ce soir, avec en prime la traduction française que les intervenants vont nous interpréter. A la demande générale Fred Alpi, explique qu'il connaît Joe Hill depuis toujours puisqu'il est né dans la même région... en Suède ! Pour notre édification morale, il rajoute qu'un tiers de la population de la Suède émigra à la fin du dix-neuvième siècle en Amérique pour fuir la misère. Et sur ce il enchaîne un ancien morceau personnel, Chanson pour Joe Hill, une ballade enlevée à la Johnny Cash, sur laquelle Gilles Fegean nous montre ce qu'il sait faire. Puis en langue américaine ( parce que les anarchistes aiment bien enfreindre leurs propres principes organisationnels ) les derniers vers de Joe Hill écrits dans la nuit qui précéda sa mort – l'aurait pu faire un effort le Joe, car c'est un peu court – et au grand regret de l'assistance il quitte la scène avec son compère pour laisser la place aux copains.

Beaucoup n'auront pas son aisance, mais là n'est pas l'essentiel, ce n'est pas un karaoké, chacun apporte ce qu'il peut, sa ferveur ou sa maladresse, l'essentiel est de rendre vie et hommage à Joe Hill, et dans l'ensemble tous s'en sont sortis haut la main, comme David et Joe qui nous offrent une version quasi slamée mais testostéronée à l'énergie punk de The Tramp ( remplie de gros mots leur reprochera une gamine de six ans ) qui soulève l'enthousiasme.

Caro chemise country et accordéon et Kroquette guitare électrique rouge et bourdonnante n'ont pas hésité à rapter un jeune collégien à qui elles ont confié une caisse claire. N'est pas intimidé par les grandes dames le Gus, à lui tout seul il leur a charpenté leurs deux titres, The Rebel Girl et The Preacher And The Slave, comme un requin de studio. Possède le sens du rythme et chose plus rare, l'idée de son orchestration.

L'on nous explique que beaucoup de textes de Joe Hill s'en prennent à la religion. L'avait l'habitude de bouffer du curé – de toutes les sauces, évangélistes, baptistes, pentecôtistes et toute la sainte famille des cul-bénis – pour combattre l'emprise du christianisme sur les consciences, les Eglises n'étant que les filles aînées du Capital... Chez les IWW, on ne donnait pas dans le consensus mou de la liberté de chacun à s'humilier devant des chimères incapacitantes...

Je terminerai par les Chanteurs Livreurs qui nous bissent le Testament et invitent tous les confrères – même ceux dont je n'ai pas parlé parce que ce soir ma mémoire imbibée de White Lightning est défaillante – à les rejoindre pour chanter en choeur, et de tout coeur Coffee An'. Et this is the end, comme disait Jim Morrison, de cette soirée festive et chaleureuse. Sur la scène désertée, chacun peut lire les derniers mots de la dernière lettre de Joe Hill :

DON'T MOURN, ORGANIZE !

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Ne vous lamentez pas, organisez-vous ! Je traduis pour ceux qui font semblant de ne pas comprendre. Que le temps nous est compté, et que bientôt il sera inutile de venir pleurnicher regrets et remords.

Damie Chad.

PS 1 : sur Fred Alpy and the Angry Cats voir KR'TNT ! N° 130 du 07 / 02 / 2013.

PS 2 : ne pas oublier que la Mairie de Paris insiste beaucoup ces derniers temps pour récupérer le 33 de la rue des Vignoles. L'on va finir par croire que cette municipalité de gauche fait tout ce qu'elle peut pour bâillonner systématiquement les lieux d'expression radicale.

GUN CLUB

HISTOIRES POUR

JEFFREY LEE PIERCE

Préface : CYPRESS Grove

( Camion Blanc / Mars 2015 )

JEAN-LUC MANET / OLIVIER MARTINELLI / HERVE SARD / ALAIN FREYDRI / THOMAS FLEITOUR / STANISLAS PETROSKY / DAVID BOIDIN / GIUGLETTA / FREDERIC PAULIN / STEPHANE LE CARRE / PATRICK FOULHOUX / KARINE MEDRANO / PATRICK CAZENGLER / JEAN-ERIC PERRIN / PIERRE DOMENGèS / STEPHANE PAJOT / HUGUES FLECHARD / OLIVIER KERAVAL / MERLE LEONCE BONE / MATHIAS MOREAU / PIERRE MIKAÏLOFF / MARION CHEMIN / JEAN-PIERRE JAFFRAIN / JEAN-NOËL LEVAVASSEUR.

Illustrations : OLIVIER BRUT / JEAN-CHRISTOPHE CHAUZY.

 

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Une série qui n'est pas prête de s'arrêter : le principe est simple, une figure iconique du rock and roll, groupe ou / et chanteur, une trentaine d'auteurs réunis qui écrivent de leur plus belle plume une courte nouvelle censée exprimer de près ou de loin l'univers de ce personnage symbolique. Nous avons déjà chroniqué les volumes dédiés à la story de Little Bob et aux chiens de Dominique Laboubée. Voici donc le dernier consacré au Gun Club de Jeffrey Lee Pierce. Les lecteurs de KR'TNT y retrouveront avec plaisir et fierté notre Cat Zengler national. Je l'affirme haut et fort : le jour où Patrick Cazengler deviendra amnésique – atroce cauchemar - le rock and roll perdra sa Bibliothèque d'Alexandrie.

 

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Gun Club, c'est du pain bénit pour les plumitifs, les chieurs d'encre comme se plaisait à les nommer Jean Lorrain. Du blues trituré sous toutes ses formes, un condensé de l'Amérique électrique. Passe même par Las Vegas comme Elvis. Et ça se termine aussi mal. Pour l'ambiance, c'est du sérieux, du noir, du glauque, du sordide. En plus, le Jeffrey Lee Pierce il n'a rien inventé. A emprunté sa blondeur à Blondie et sa grosseur finale d'hippopotame mal léché à Jim Morrison. N'a rien fait d'autre. Entre temps il s'est contenté d'être. Rares sont ceux qui y arrivent. La plupart de nos contemporains ne dépassent pas le stade premier ( anal dirait Tonton Freud ) de l'existence nécrophilique des morts-vivants. Quelques uns parviennent l'on ne sait trop comment à jouer un rôle de troisième couteau dans le film parodique qui leur sert d'existence. Seul des sept milliards d'individus qui peuplent notre planète Jeffrey Lee Pierce a réussi à devenir Jeffrey Lee Pierce. Il y en a plein d'autres qui ont essayé, et qui même essaient encore, mais c'est une cause perdue, sans espoir. S'est tout de même fait un peu aider par le destin. Comme beaucoup d'adolescents en mal d'émotions fortes, dans sa jeunesse Jeffrey a longtemps hanté les cimetières la nuit. Par bravade. Par une étrange fascination qui ne saurait avoir été innocente. L'on finit toujours par trouver ce que l'on cherche.

 

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Il l'ignorait totalement. C'est une ancienne technique vaudou. Faut de la patience et de l'endurance. S'agit de faire sortir l'âme d'un mort du trou où elle gît et d'en grignoter un morceau lorsqu'elle passe près de vous. Attention à ne pas vous faire bouffer. C'est ainsi que ça se termine dans les meilleurs des cas. De véritables carnassiers affamés ces ectoplasmes vaporeux. Sinon, si vous en détachez un morceau c'est doux comme de l'amadou et aussi savoureux qu'un champignon hallucinogène. Méfiez-vous des imitations et encore plus des effets pervers.

 

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L'on a jamais su si ce fut un hasard ou un coup de génie. Une fois qu'il se promenait dans un grand cimetière sous la lune – ce n'était pourtant pas en Espagne puisque les témoins affirment qu'il y avait des palmiers – matez la circonstance, ce serait un film, vous n'y croiriez pas, vous trouveriez la ficelle trop grosse – à sa grande surprise, le Jeffrey aperçut virevoltante dans les rayons de l'astre Astarté, sortie de nulle part, une âme cotonneuse – mais noire – qui s'en vint s'emberlificoter autour de sa main droite. Secoue un peu les doigts pour s'en dépêtrer, c'est un brin visqueux et pas si agréable que cela au touché. Manque de chance, si la substance se détache sans résistance, l'en reste tout de même une poignée collée à sa paume. Voudrait s'en débarrasser au plus vite, mais voilà que son rendez-vous se pointe. Pour une fois qu'une gerce est pile à l'heure, il ne peut pas la renvoyer. Elle va le prendre pour un pleutre. La veille l'avait draguée en se vantant de l'honorer toute nue ( en anglais ça se dit : baby, I want to fuck You ) on the lawn of a grave. L'avait répondu OK, boy ! Et l'a tenu parole, elle commence déjà à se désaper. Le bonheur c'est comme le malheur, ça ne vient jamais seul. Jeffrey se tourne discréto vers une pierre tombale dans l'espoir qu'en grattant le granit il arrivera à se dépêtrer de ce truc spongieux qui lui colle aux phalanges. Victoire anticipée, la matière noire se détache toute seule de sa main et s'en va voleter au loin. La fille s'est déjà couchée sur l'herbe grasse ( qui pour une fois n'est ni bleue ni du Kentucky ), son corps blanc rehaussée d'un frisotis pubien attendrissant, nous met le Jeffrey en appétit, une faim subite, dévorante, le submerge, n'a même plus l'idée de baisser son froc, se rue sur elle, la langue en avant pour un cunnilingus démentiel. Sous la lueur blafarde de la lune son corps blanc s'arque et gémit comme un concerto de Ravel ( en si bémol pour violon ). L'en faut davantage pour satisfaire un rocker, lui tond littéralement la pelouse, le Mont de Vénus se transforme en Mont Chauve... les voici tous les deux haletants, Jeffrey n'est pas peu fier de son exploit : Regarde chéri, j'ai aspiré tous tes poils ! Arrête de te vanter gros bêta, I just shave my pussy avant de venir ! N'en croit pas un mot le Jeffrey, mais comme il a été bien élevé par sa maman, il ne la contredit pas et déboutonnant son pantalon, il s'apprête à lui jouer I got my mojo workin' dans l'entrecuisse. Nous ne nous attarderons point sur ce déplorable spectacle qui ne pourrait que choquer la jeunesse studieuse qui, à quinze jours de passer son bac, lit stupidement nos chroniques. La fille rassasiée s'en va. Et Jeffrey tout heureux s'en retourne s'occuper du courrier du fan-club de Blondie... Ne sait pas encore que dans la série aujourd'hui on rase gratis il vient d'acheter pour zéro dollar une âme au diable.

 

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Vous l'avez deviné, n'y avait pas un seul cheveu dans la soupe au foutre, le papillon noir voletant innocemment à la brise s'était posée sur l'intime partie de la demoiselle sans qu'aucun des deux ne s'en aperçussent. L'avait ingurgité un morceau de l'âme d'un mort, par mégarde le futur chantre du Gun Club. Le cas n'est pas unique. Pline l'Ancien relate une semblable méprise dans ses Histoires Naturelles. Plus près de nous Pierre Louÿs évoque une affaire similaire dans une lettre qu'il n'envoya pas à André Gide. Deux inadvertances érotiques qui ne bouleversèrent pas le monde. Pour Jeffrey Lee Pierce et le reste de l'humanité, les conséquences furent beaucoup plus dramatiques. Nous n'avons pas encore fini d'en recracher le morceau. 

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N'avait pas avalé par mégarde une bouchée de vulgaire macchabée en goguette. C'était un fragment de l'âme de Robert Johnson qu'une sourde mélancolie de sexe et de stupre avait guidé vers ce providentiel bas-ventre complaisamment offert sur la pelouse funèbre de sa tombe. Imaginez la colère du dieu du blues aspiré par ce lourdaud de Jeffrey. L'a mis du temps à ressortir. Mais à partir de cette nuit-là, les jours de Jeffrey Lee Pierce étaient comptés. Tout le monde s'accorde pour dire que le chanteur était habité par une âme trop grande pour lui. Du profond de ses entrailles s'exhalait un chant incompressible. Une douleur vivante. Un cri d'agonie perpétuel. Que rien jamais ne parvenait à apaiser. Ni l'alcool. Ni l'héroïne. Ni toute autre saleté. Jeffrey s'était empoisonné au blues. Pire qu'un sida mental. Ça vous détruit le corps, et votre esprit ne connaîtra plus jamais de repos. Une satanée mixture, le poison des produits, le feu du sexe, la violence du rock. Dieu est mort. Le Diable est mort. Mais la vieille malédiction de l'Homme survivra à sa propre disparition. Ne me demandez pas pourquoi. Ni comment. J'ai juste essayé de vous expliquer que si vous aimez Robert Johnson, vous adorerez Jeffrey Lee Pierce.

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Damie Chad.

 

L'on termine en beauté avec les Jallies. Deux articles pour nous faire pardonner l'orthographe fantaisiste du prénom de Kross et le baptême de Céline en Nathalie ! Pour nous dédouanner de cette faute impardonnable, nous rappellerons que Marcel Proust use dans La Recherche du Temps Perdu d'un procédé subterfugique identique pour nous faire accroire à la mort d'Albertine. Deux kronics du Grand Phil qui a eu l'ignoble chance d'être témoin du triomphe de nos adorées jaillissantes au festival Confluences de Montereau.

LES JALLIES

FESTIVAL CONFLUENCE / MONTEREAU

06 / 06 / 2015

 

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Le soleil brille, les ombres de midi dansent tandis que la voiture piaffe, moderne mustang, lorsque des obstacles tentent de ralentir sa course. Montereau. Enfin ! Mais c’est déjà l’affluence des grands jours. On se fraye un chemin à grands coups de pare-chocs jusqu’à un petit recoin ombragé où nous pouvons laisser notre fidèle monture pour courir, voler vers l’entrée où les barrières peinent à contenir la foule.

 

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Un an après. Les organisateurs ont compris, compris qu’elles méritaient de descendre les marches et de se retrouver sur l’une des deux grandes scènes du festival, ce coup-ci la scène Lou Reed. Mais quelle idée folle leur est passée par la tête pour les programmer à midi et demi. Etait-ce pour que le disque solaire les auréole de mille éclats ? Impossible, elles rayonnent déjà de mille feux. 

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Qu’à cela ne tienne, malgré cet horaire si peu propice, la pelouse se remplit petit à petit, puis grand à grand. Et c’est parti pour une demi-heure de bonheur swinging rock’n’roll.

 

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On leur laisse si peu de temps que les morceaux s’enchaînent sans prendre le temps de respirer. Le spectateur ébloui bat tous les records d’apnée. Le jeu de Kross et de Tom laisse transparaître cette tension. Guitare et contrebasse nous poussent et nous retiennent au bord du précipice. C’est à un véritable numéro d’équilibriste qu’elles nous invitent pour donner un aperçu de l’immensité de la gamme en un minimum de temps.

 

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De Gene Vincent à Amy Winehouse en passant par Nancy Sinatra, elles n’oublient pas de rendre hommage à leurs aînés, mais la plus grande part de leur set réside dans leurs compositions, jusqu’à la toute dernière qui vient achever cette demi-heure en un feu d’artifice qui laisse un regret, un amer regret...

 

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Quel dommage que ce fût aussi court ! Tout le monde, vieux aficionados ou nouveaux admirateurs, voudrait repartir pour un tour, désirerait que les Jallies les emportent dans le tourbillon magique de leur manège enchanté. La preuve en est le nombre de disques qu’elles ont vendu : il ne leur en est plus resté un seul.

Heureusement un espoir naît de ce succès : qu’elles reviennent encore et plus longtemps sur la scène des Confluences.

These girls are made for singing !

Philippe Guérin

 

ONE DOLLAR QUARTET / JALLIES

LE GLASGOW / FONTAINEBLEAU

JEUDI 07 MAI 2015

 

Des mois, des semaines, des jours, des heures, des minutes, des secondes que je n’avais pu voir les Jallies. A l’annonce de leur concert au Glasgow, mon sang ne fit qu’un tour. Et quel tour ! Je peux l’affirmer à tous les physiciens du monde, il existe une vitesse plus grande que celle de la lumière : celle du sang d’un adminrateur des Jallies à l’annonce de leur concert.

Aussitôt dit, plus vite fait. La voiture file vers l’étoile bellifontaine qui nous guide jusqu’à une rue ensevelie sous la foule. Nos belles font encore et toujours déplacer les foules. 

 

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Tous les moyens sont bons à nos trois grâces pour se faire désirer. Elles ont choisi de laisser tout d’abord la scène à One Dollar Quartet. Mais notre vue se trouble, nos yeux nous jouent des tours : la moitié masculine des Jallies est déjà là. Ne leur ont-elles pas dit ? Mais non ! Tom et Kross font aussi partie de ce quatuor qui ne vaut pas qu’un qu’un sou, qu’un dollar. Et les morceaux de s’enchaîner. Poussés par la batterie d’Alex qui nous frappe aux tripes à coups redoublés. Soutenus par la contrebasse de Kross qui ne nous tient la tête hors de l’eau que pour mieux nous la replonger dans les déferlantes de la guitare de Tom. Le tout enrobé, emballé par la voix de Michael qui ne nous lâche pas d’une semelle, ne prend sa respiration que pour mieux nous la couper. Ces quatre garçons dans le coin du Glasgow nous embarquent tant et si bien qu’on en oublie presque celles pour qui l’on est venu. Mais bons et beaux joueurs, ils nous le rappellent avant de laisser la place.

 

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They are the Jallies. Encore et toujours. Premiers accords, premiers coups de balais. Elles embarquent le public qui se presse, qui pousse les murs. L’espace se transforme, s’agrandit, gravite autour de cette scène, ou plutôt de ce petit recoin d’où elles irradient. Le monde n’est plus le même qu’avant les Jallies. Solaires. Astrales. Un nouvel univers dont elles sont le point nodal. D’un I want to be like you à Goin’ up to the country, ells font swinguer toute l’assistance. Mais ce n’est pas encore assez. Plus on est de fou, plus on rock’n’roll. Voilà qu’elles appellent Vincent et son harmonica dont les accents, comme ceux du kazoo de Céline, nous transportent vers les hautes plaines. Et comme si ça ne suffisait pas, belles joueuses, elles rappellent Alex et Michael. Deux groupes sur scène. Décidément elles nous gâtent ce soir. Et c’est reparti pour un tour. Un effet bœuf. Le public rentre en transe, veut rester toute la nuit, mais les règlements, qui n’ont vraiment rien compris à la magie musicale, annoncent la fin. Sans, cependant, nous empêcher d’entendre un Be bop a lula d’anthologie, où Leslie et Michael se rendent coup pour coup et mettent KO un public ravi, qui ne parviendra que difficilement à quitter la rue du Coq gris, grisé de swing, rock, roll.

 

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They are The Jallies and One Dollar Quartet.

Philippe Guérin