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27/05/2015

KR'TNT ! ¤ 237. B.B. KING /SPUNYBOYS / RIVALS / SCOTTSBORO BOYS / MORT DE TINTAGILES /ERVIN TRAVIS NEWS

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 237

 

A ROCK LIT PR ODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

28 / 05 / 2015

 

 

B. B. KING / SPUNYBOYS / RIVALS /

SCOTTSBORO BOYS / LA MORT DE TINTAGILES /

ERVIN TRAVIS NEWS

 

 

ERVIN TRAVIS NEWS

( Un simple petit extrait du FB : Lyme – Solidarité Ervin Travis ) )

Alain Maury : Salut bon courage et une question.... vous en êtes où financièrement parlant, y a t il toujours des dons car nous ne voyons plus d' infos à ce sujet.
Nous pensons à vous
Bises

Lyme - Solidarité Ervin Travis : çà va çà vient avec des dons des achats de cd de livres et de disques ... et des ventes persos que nous déposons sur le compte. Prochainement un enregistrement studio de notre duo "Betises Boop" avec ma fille et le cd sera mis en vente pour l'assoc. à 15 euros Nous allons en avoir besoin pour les prochaines analyses en Allemagne et ensuite le Rdv à la clinique ainsi que le traitement non remboursé en partie qu'il suit actuellement ... Merci Alain ! Bises de nous deux. Evelyne.

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LA VALLEE DES ROIS : B. B. 1er

 

Part One

 

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— T’as vu ? B.B. King il est mort...

 

— Ouais, ils en ont parlé aux infos...

 

— Ça m’en a foutu un coup... C’est raide, hein ?

 

— Putain c’est dur...

 

— Ce matin, au café, je me suis mis «Everyday I Have The Blues».

 

— Ouais, moi j’ai ouvert le magasin avec «Singin’ The Blues» sur Crown...

 

— Super ! Où qu’il est ?

 

— Il n’est pas à vendre. Première presse de 57. T’as pas les moyens, Bernard.

 

— Ah ben zut.

 

Agacé par ce qu’il entendait, un voyageur en transit ajouta :

 

— Il est mort pour de vrai ? Ouf ! Bon débarras ! Place aux jeunes !

 

Ce qui ne manqua de plomber l’ambiance. La scène se déroulait chez un petit disquaire de province.

 

Deux jours plus tard au bar du Régalia, en face du pont Mirabeau.

 

— Bien content de te revoir, Guillaume... Cela fait une éternité...

 

— Oh oui, notre dernière rencontre remonte à la nuit des temps... N’étions-nous pas en compagnie de Moreas aux Halles ?

 

— Ah quelle nuit ! Toi qui baffrais comme un régiment de hussards et le menton de Moreas qui bleuissait sous le fard, au petit matin. Alors dis-moi Guillaume, qu’est-ce qui t’amène de ce côté-ci de la Seine ?

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— Cher ami, me voilà bien enquiquiné. Le directeur du journal me demande de lui pondre pour ce soir un hommage à B.B. King dont on vient d’apprendre le décès. Or, je ne sais que fort peu de choses de ce pauvre homme. Me voilà donc coincé entre le marteau et l’enclume. D’un côté, je n’ai pas les moyens de refuser une commande, fût-elle digne de la rubrique des chiens écrasés comme c’est ici le cas, et de l’autre, l’intégrité morale qui me régit m’impose de ne pas saloper la besogne. Puisque je ne suis pas aussi bien informé des talents de ce pauvre monsieur King que de ceux de mon ami Pablo, je dois solliciter la bienveillance d’une âme charitable. En outre, je n’ai ni le temps ni la patience d’écouter tous les disques que ce pauvre monsieur King a pu enregistrer en 88 ans de carrière. Accepterais-tu d’éclairer ma pauvre vieille lanterne ? Le journal m’octroie une colonne en dernière page. J’aimerais brosser un portrait léger, une sorte de médaillon, dans l’esprit de celui que je fis voici quelques années en mémoire d’Alfred Jarry.

 

— Je crains cher Guillaume que la tâche ne s’avère épineuse. À la différence de celle de Jarry, la personnalité de B.B. King ne présente quasiment pas de relief. B.B. King n’est pas un provocateur mais au contraire, un musicien noir en quête de reconnaissance. Oh tu me diras que Jarry le fut aussi, d’une certaine façon, mais B.B. King ne sifflait pas d’absinthe et ne tirait pas des coups de pistolet dans des miroirs de brasseries. Tu vas devoir trouver un angle plus... américain. L’histoire habituelle, celle d’un négrillon né sur une plantation de coton du Mississippi dans les années 20. Mais avant d’entrer dans le détail, permets-moi de t’offrir un verre.

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— Excellente initiative, compère. Un mandarin !

 

— Garçon ! Deux mandarins, s’il vous plaît ! Bon, revenons à nos moutons. Pour simplifier, nous dirons que les blancs d’Amérique considèrent B.B. King comme un bon nègre puisqu’il est le bluesman qui a reçu le plus d’hommages officiels, me semble-t-il. Je te dis cela pour situer le personnage, mais il n’est pas utile de le répéter dans ton oraison funèbre. L’objet n’est pas de ternir sa réputation. Par contre, tes lecteurs doivent savoir qu’il a entamé sa carrière chez Sam Phillips, en même temps qu’Howlin’ Wolf et Ike Turner. Tu vois, en 1949, le jeune B.B forgeait déjà son destin en fréquentant la crème de la crème. Il traînait aussi avec le vénérable Bukka White. Pour l’anecdote, sache que Bukka, Ike et Wolf frisaient la délinquance. Pas B.B.

 

— Que veux-tu dire ?

 

— Ike s’offrait les faveurs de femmes blanches, ce qui à cette époque était puni de mort par le KKK. De leur côté, Bukka et Wolf eurent maille à partir avec la justice expéditive des États du Sud, suite à des altercations qui ont mal tourné.

 

— Alors comment ce pauvre monsieur King a-t-il réussi à se tailler une telle réputation ?

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— Grâce à son talent, bien sûr, et à son endurance. Il s’inspirait de T-Bone Walker et jouait le blues électrique classique. Pour simplifier, disons qu’il sut développer un style basé sur le toucher de notes. Mais tu le sais bien, il n’y a pas de hasard en matière d’art. Seul un grand artiste peut atteindre une telle renommée. Pour apprécier l’immense talent de B.B. King, il suffit d’écouter «Live At The Regal». J’avais acheté cet album en 68, à l’époque où sortaient tous ces fringants albums de British Blues, ceux de Fleetwood Mac, des Chicken Shacks ou des Bluesbreakers.

 

— Mais pourquoi as-tu acheté ce fameux album ?

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— Tout simplement parce que le disquaire, un nommé Buis, me le recommandait avec insistance. Et il ne se trompait pas. Cet album extraverti te plairait, je n’en doute pas un seul instant. Il s’agit en fait d’un concert enregistré en 1964 dans un club de Chicago qui s’appelle le Regal. Dès la première note de «Everyday (I Have The Blues)», on sent le souffle du grand spectacle : tu as une extraordinaire profusion de cuivres, tu sens une énergie considérable et B.B. King chante fan-tas-ti-que-ment bien ! Là dessus, je suis formel. De la même façon que son homonyme Albert, B.B. discute avec le public. Il fait ses annonces à la mode américaine, avec des formules du genre : «and it sounds something like that...» Quand tu entends «Sweet Little Angel», tu crois voir couler la fameuse rivière de miel dont parlaient les navigateurs de la Haute Antiquité, ceux qui exploraient au péril de leur vie les confins du monde connu. Fantastique artiste que ce B.B. King, tu peux me croire sur parole ! Il jouait alors son blues avec une passion dévorante. Comme tous les grands artistes américains, il faisait chanter des choristes et la température montait d’un seul coup. À travers tout ce fourbi, on devinait l’exigence d’un roi. Et tu entends le public acclamer ses départs en solo. B.B. King misait tout sur la limpidité. Il en a fait ce modèle qu’ont copié les Anglais. «It’s My Own Fault» fait partie des grands standards du blues électrique. Tu y savoures de grosses poussées de fièvre ponctuées par une fantasmatique descente de gamme de blues. Tu l’entends remercier le public - Hank you ! - Cet homme se révèle tout simplement confondant d’humilité. Tu te régaleras aussi de «You Upset Me Baby», tapé sur une caisse claire par un obsédé du tempo. Là, tu as tout ce que tu peux attendre d’un orchestre noir : le boogie woogie, la pétaudière du big band, l’énergie du rhythm & Blues et le swing le plus pur, celui qui génère de l’allégresse. Sur scène, B.B. King n’est pas homme à mégoter. Tu l’entends aussi jouer «Worry Worry» tout seul et le public l’acclame à n’en plus finir - Hey you hurt me so bad babe ! - S’il faut recommander un disque de B.B. King, c’est de toute évidence «Live At The Regal». Le grand art de B.B. King se révèle sur scène.

 

— Ouf, tu me rassures, je craignais de devoir éplucher sa plantureuse discographie.

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— Surtout pas, tu briserais l’élan de ta colonne. C’est l’une de ces discographies qui donnent le vertige et qui chassent le profane. Dans son catalogue, Ace Records ne propose pas moins de 40 articles pour B.B. King. En dehors de cette profusion, le reproche qu’on pourrait adresser à B.B. King serait d’avoir institué la forme classique du blues électrique qui à force de resucées et de ressassements finit par générer l’ennui le plus mortel. J’insiste beaucoup sur l’aspect scénique, car c’est à mon sens le seul moyen de pouvoir mesurer la hauteur d’un tel artiste. Je me souviens d’un concert de B.B. King aux Banlieues Bleues, sous un chapiteau à Saint-Denis. On le vit arriver sur scène, s’aidant à marcher avec des béquilles et guidé par une infirmière. Une fois stationné derrière son pied de micro, un membre de l’orchestre lui passa la bandoulière de sa Gibson sur l’épaule. Alors B.B. King jeta ses béquilles au loin et se mit à jouer comme un démon. Je peux t’affirmer cher Guillaume que ce fut un set infernal, à l’américaine, dans l’esprit de ce qu’on appelait autrefois les revues. On voyait bien que ces gens-là étaient rodés par des années d’âpres tournées aux États-Unis. Derrière B.B. King jouait un orchestre au grand complet en costume de scène, dont une fabuleuse section de cuivres. Un gros noir aux cheveux gominés soufflait dans une trompette, et entre deux chapelets de pouet-pouet, il secouait la tête en rythme. Mais on aurait dit que sa tête se désolidarisait de son corps, comme s’il avait eu un cou en caoutchouc. Ce côté Muppet Show nous amusait prodigieusement. Et puis avec l’âge et les méfaits du diabète, B.B. King s’est calmé. Il a fini par jouer affalé sur une chaise, comme Solomon Burke.

 

— Retrouve-t-on le nom de ce pauvre monsieur King dans les propos de personnages célèbres ? J’aimerais bien conclure par une citation ou deux. Tu me diras que ce procédé pèche par son manque d’élégance, mais vu le peu de matière dont on dispose, c’est à priori le seul moyen de garnir l’os de ma colonne d’un peu de viande.

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— Oui, tu peux par exemple reprendre une anecdote célèbre. Quand Bob Dylan engagea Michael Bloomfield pour jouer sur «Highway 61 Revisited», il ne lui fit qu’une seule recommandation : «I don’t want no B.B. King shit !» Dylan ne voulait pas d’un jeu à la B.B. King, il voulait le Bloomfield sauvage qu’on entend sur l’album «So Many Roads» de John Hammond. De toute évidence, Dylan ne voulait pas blesser B.B. King, mais le mal était fait. Au fond, ce n’était pas si grave car B.B. King fait partie des grands artistes noirs qui ont connu les pires aspects de la ségrégation. La bêtise et la brutalité des blancs les aura considérablement endurcis. D’une certaine façon, ça leur aura même rendu la dignité que l’esclavage leur avait ôté. Alors une vacherie de plus ou de moins, quelle importance ? Tu peux aussi citer le nom de Mike Figgis.

 

— Qui est ce monsieur Figgis ?

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— Un cinéaste. L’auteur de «Red White & Blues», l’un des sept films consacrés à la mémoire du blues que produisit Martin Scorsese. Figgis caressait l’ambitieux projet de raconter le blues non pas d’un point de vue américain, mais d’un point de vue britannique. Il a donc demandé aux acteurs du fameux British Blues Boom de témoigner.

 

— Comment se fait-il que les Anglais aient eu leur mot à dire sur le blues ?

 

— Voilà l’explication : à la fin du film, tu vois B.B. King rendre un hommage spectaculaire aux petits blanc-becs d’Angleterre : «Grâce aux Anglais, beaucoup de portes se sont ouvertes. Sans eux, on aurait continué à en baver, comme avant. Je n’aurais pas cru cette embellie possible de mon vivant.» Et tu le vois remercier les Anglais : «Thank you very much.» Émouvant. Ne regarde jamais cette scène, car comme tu as le cœur sensible, elle te ferait pleurer.

 

Signé : Cazengler, baba King

 

B.B. King. Disparu le 14 mai 2015

 

B.B. King. Live At The Regal. ABC 1965

 

Mike Figgis. Red White And Blues. The Blues, A Musical Journey Vol 5. DVD 2004

 

 

FONTAINEBLEAU –21 / 05 / 15

 

PUB LE GLASGOW

 

SPUNYBOYS

 

Pour Léa et Patrick,

 

L'est des jours où le malheur fond sur sur vous comme l'aigle cruel sur la pauvre souris innocente. Jugez-en plutôt par vous-mêmes. J'étais tranquille chez moi, les pieds sur la table, le verre de scotch à portée de la main, le havane au coin de la bouche, Eddie Cochran sur la platine. Le bonheur ! Qui ne dure jamais longtemps ! La porte s'est ouverte et ce fut le déferlement, les Cimbres et les Teutons ravageant le couloir rhodanien, les Wisigoths s'emparant de Toulouse, les Vandales déferlant sur la Gaule, les hordes Hunique ravageant l'Europe. En fait ce fut plus terrible que tout cela. Certes c'étaient des amis, mais des jazzeux qui illico se mirent à souffler dans leurs cornets maudits. Et personne à l'horizon pour m'extirper de cette engeance jazzistique fléautique. J'étais donc délaissé par les dieux, et le monde entier ne se souciait guère de sauver le rocker Damie. J'allais succomber, lorsque au loin – comme dans les westerns de John Wayne – retentit le clairon du Septième de Cavalerie. Les dieux du rock avaient eu pitié de moi ! Ce n'était pas une escouade de cavaliers fringants qui volaient à mon secours mais le Grand Phil qui klaxonnait comme un malade devant le portail. Dépêche ! hurla-t-il, il y a les Spuny qui passent au Glasgow ! J'accourus et c'est ainsi que j'échappais à une super jazz home party. Ce n'est pas que je n'aime pas le jazz, c'est que je préfère le rock and roll.

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Jeudi soir à Fontainebleau. Vingt et une heure. Du monde partout, ça se balade dans tous les coins, les terrasses des restaux sont archibondées, drôle de contraste avec Provins. L'on a même l'insigne honneur de rencontrer Leslie des Jallies et sa copine Anaïs, bien entendu venues pour les Spuny... Le Glagow est encore vide mais l'on reconnaît – quel hasard – un groupe de fans rencontrés aux Loners. Sont en train de raconter la folle exhibition des Hot Chikens du samedi précédent ( voir KR'TNT 236 ). Rien à dire, ce soir le public sera en partie composé de connaisseurs.

 

ROCK ON !

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Z'ont commencé depuis un moment, mais mon esprit vagabonde. Dire qu'il y en a qui ont dépensé quatre-vingt euros pour voir AC / DC de loin dans un stade, je n'ai rien contre AC / DC mais à leur concert je n'ai aucune chance de me faire éborgner par un manche de guitare, alors qu'ici, au Glasgow je suis au plus près de l'action, à moins de vingt centimètres d'Eddie et de la chance insigne d'arborer fièrement un œil de verre pour le restant de mon existence... Le genre de blessure rock qui vous classe pour la vie. C'est cela, le rock and roll, cette proximité physique avec la musique. Sinon, c'est du spectacle, de l'amusement, du divertissement pascalien. Allez à l'Opéra et achetez-vous une lorgnette. Il est tout de même temps que j'arrête de philosopher car les Garçons Tourbillonnant n'ont pas l'habitude d'attendre dans les abribus. Sont déjà loin devant. Remarquez, ils n'iront pas jusqu'au bout du monde, parce qu'avec le cercle d'admirateurs qui se pressent devant eux, ils sont prisonniers d'une nasse de fans enthousiastes qui s'est refermée sur eux et qui ne sont pas prêts de leur rendre la liberté. Pas de chance ( uniquement selon les numérologues tarotiques de l'arcane de la mort ) c'est la treizième fois – ainsi que l'annonce Rémi - qu'ils passent dans le pub et chacune de leur prestation a laissé des traces. Pas du tout un hasard, si beaucoup reviennent systématiquement dès que leur nom est à l'affiche.

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Les Spuny, c'est quoi ? D'abord c'est le sourire de Rémi. Suffit qu'il actionne ses zygomatiques pour que tout le monde soit heureux. Préfère ne pas m'attarder sur les ondulations qui parcourent à chaque fois le corps des filles. N'a pas vraiment le temps de nous adresser de grands discours, car Guillaume ne lui en laisse pas placer une, deux coups de grosse caisse et hop on enchaîne, en voiture Suzette et la monnaie par ici. Et le Rémi ( pas du tout plégique ) se dépêche d'enchaîner. L'a du travail, le chant et la contrebasse. La pauvre, à la retraite grâce toutes ses balafres scotchée, elle aura droit à ses primes de pénibilité, parce que si Rémi se souvient qu'un tel instrument sert avant tout à faire de la musique, il en use pour tout autre cérémoniee. Encore que dans le Glasgow il doit se restreindre. Madame de Récamier recevait ses invités nonchalamment couchée sur son sofa, Rémi lui préfère se percher sur sa contrebasse, l'est comme le corbeau de la fable et son ramage est aussi appétissant qu'un fromage fondant. Car oui, il chante. Il vous décanille des rocks à tire-larigot. N'en a pas terminé un qu'il enfile déjà le suivant. Du chaud, du bon, du brûlant. L'a intérêt à aligner les victoires d'étape parce que derrière Guillaume pratique la politique de la terre brûlée. Là où il frappe, le rock ne repousse pas. Faut toujours aller de l'avant, plus loin et plus vite. Un set des Spuny, ça filoche, vingt morceaux et vous n'avez pas le temps de voir passer. L'on ne sait plus où donner des oreilles, pour un peu l'on en oublierait Eddie. Encore un qui turbine, les deux autres peuvent caracoler, lui il les double par l'extérieur dans les courbes, ah ! ces descentes frémissantes de guitare, le peuple applaudit, encore ! Encore ! Mais il est déjà barré dans un autre plan, pas un foireux, non un subtil, un rusé que l'on n'a jamais entendu et qui vous surprend en dernier ressort. A la manière dont je vous les décris vous pourriez croire qu'ils se tirent la bourre et passent leur temps à se tailler des croupières, que nenni, c'est un trio qui joue parfaitement ensemble, avec un mutuel respect, une superbe entente, une générosité qui fait chaud au cœur, chez les Spuny on n'empiète pas sur les plate-bandes du copain mais on le pousse dans le dos pour qu'il les traverse au plus vite.

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Finissent sur une tempétueuse version de I'm Going home, avec feulements semi-pornographiques qui font hurler de plaisir le public. Vingt minutes de pose. Méritées. Pour tout le monde. Le temps de me lancer dans une seconde méditation – que voulez-vous il est des soirs où l'âme aime à rouler de vastes et sublimes sujets. J'établis un parallèle entre la set-list de ce soir et celle du mois précédent aux 3 B. A Troyes le public était moins composite, quatre-vingt-quinze pour cent d'amateurs de rockabilly, les Boys avaient privilégié le repertoire pionnier et teddy, ici ils l'entrecoupent de quelques morceaux plus country à la Cash, à la Horton, mais rassurez-vous débités à la tronçonneuse.

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Pourront-ils faire mieux que tout à l'heure ? La réponse sera oui, sans ambages, sans équivoque. Ce deuxième set fut fabuleux, pharamineux. Une énergie à enfoncer les portes nervaliennes de corne et d'ivoire du rêve. De tous, ce fut Rémi le plus heureux. Par deux fois il s'échappa de la fournaise brûlante pour s'en aller batifoler dans la rue, plus tard on le retrouva la tête collée aux poutres du plafond, accroché aux flancs de sa big mama elle même juchée sur uns des grosses barriques qui servent de table. L'en profitera même pour nous régaler d'un solo époustouflant. Mais le cercle se refermera sur lui dès qu'il aura rejoint ses acolytes. Car c'est-là que ça se passe au cœur même du trio indéfectible, dans ce parfait triangle équilatéral du rock and roll. L'on aimerait connaître leur secret, savoir comment dans leur creuset trépidant ils parviennent à réaliser cette alchimie de la vitesse et de la syncope. L'on n'en saura rien, montrent tout, mais ne dévoilent rien. Maintenant c'est Eddie qui relance la course, Guillaume embraye derrière mais c'est bien Eddie qui place la première estocade. Du rock and roll à l'état pur. Le robinet est ouvert et personne n'oserait se proposerait pour le fermer.

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Ne croyez pas que le public attend sagement son tour comme pour aller à la confesse. Va falloir essorer t-shirt et chemises après le concert car ça moutonne comme les vagues de la mer. Parfois dans un ondoiement spasmodique de la foule en transe le corps de la divine Leslie se colle à moi et je pense à Shave Your Pussy que les Jallies ont composé en l'honneur des Spunyboys et qu'elles ne manquent jamais d'inclure non sans apporter toutes les précisions nécessaires dans leur répertoire... Ne nous égarons pas. Les born again américains ont raison : le rock and roll est bien la musique tentatrice et pernicieuse du diable.

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One, Two, Three, Four, Five, Rock and Roll Is Still Alive ! C'est le cri de guerre et de ralliement que les Spuniboys aiment à répéter, un mantra protecteur pour la survie du rock and roll jusqu'au prochain siècle. Au minimum. Car il n'est pas permis de laisser refroidir la colle. Ni maintenant, ni jamais. Et les Spuny s'y emploient de fort belle manière. Ne restent plus que vingt minutes avant l'heure fatidique du couvre-feu, mais la pression et la tension montent encore d'un cran. Ca crie, ça hurle de tous côtés, et les Spuny nous livrent un final étourdissant, des éclats de batteries, des stridences de guitare, des raquellements rauques de contre-basse et les paillettes d'or de la voix de Rémi. Z'ont tout donné, et on a tout pris. Un signe qui ne trompe pas, lorsqu'ils coupent le son, on les applaudit pas, on les remercie. Car ce soir, ce fut vraiment le grand partage du rock and roll.

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Ce soir l'on est comblés, cette sensation de manque d'on ne sait quoi qui nous grignote sans cesse, ce sentiment de nous cogner aux barrières trop étroites de notre finitude, a disparu. Ne nous manque plus rien. Pour quelques heures seulement – nous ne nous faisons aucune illusion. Mais toute cette plénitude que nous ressentons, nous la devons à ces trois têtes folles des Spunyboys. Et quand il passe la porte du bar, Eddie ajoute en toute humilité, sans vous, nous ne sommes rien. Sont déjà un des grands groupes de pure rock and roll actuel. Des passeurs d'énergie.

 

Damie Chad.

 

 

 

MONTREUIL / 24 – 05 - 15

 

SOUTIEN AU REMOULEUR

 

RIVALS

 

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Encore un truc d'anarchistes. Les rockers ont vraiment de mauvaises fréquentations. Pour une bonne cause. Le Rémouleur est un local associatif de quartier qui accueille de nombreux collectifs de lutte contre nos vies précaires. Entrée libre, vous donnez ce que vous voulez, l'on vous rend la monnaie, idem pour la bouffe et les boissons. En plus, concerts en soirée. Un bon milliers de personnes se pressent dans les lieux. L'on comprend pourquoi le Conseil Général a décidé de fermer ce chaudron en ébullition permanente.

 

TARACE BOULBA

 

Fanfare funk. Un beau début, une vingtaine de cuivres qui s'en vont faire un tour dans les jardins, un beau son, très rhythm and blues. Quand ils reviennent, ils ont disparu. On ne les entend plus. Sont pourtant bien là, trompettes, trombones, saxophones, parqués sur l'estrade, mais derrière eux, il y a deux percussionnistes qui font un bruit du diable. Coupent du bois, très méthodiquement sans varier de rythme ni opérer brisures ou respirations. L'on ne perçoit qu'eux. Les souffleurs devraient rentrer chez eux, sans plus attendre. Entre fanfare et batucada il faut choisir. Tarace Boulba n'offre aucun des deux. Très ennuyant.

 

ROCKAB FREUDIEN

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C'est la copine qui voulait voir Fantasio, moi j'aurais évité. Je l'ai déjà supporté dans un festival de hippies en Ariège. Ne me souviens de rien de sa prestation mais j'ai encore la sensation d'ennui mortel ( enrobé de reggae alternatif ) qui m'avait enveloppé. Ce soir l'on m'assure qu'il est accompagné d'un groupe de rock. Je veux bien, mais je demande à voir. Et à entendre.

 

Un batteur qui s'entoure d'une ribambelle de percus – généralement très mauvais signe – un guitariste, et une jeune japonaise devant un tambour, à eux trois ils forment les Pantacaldi présentés sur l'affiche en tant que groupe de Rock freudien, Fantasio est à la contrebasse. Je n'aime guère tonton Freud, mais questions rockab il leur faudra pousser l'analyse. Le cauchemar commence par dix minutes de battements effrénés assénés par l'auguste représentante du pays du Soleil Levant. Derrière le batteur fait de la figuration libre. Au bout de dix minutes Fantasio commence à chanter. En espagnol, avec un fort accent roumain, plus tard il passera au français mais ce ne sera guère plus audible, il déblatère sans rythme ni raison. Fatiguant et lassant. D'autant plus que le groupe s'engouffre dans un tempo binaire des plus simplistes. En fait, l'ensemble ressemble à de la Dance Music. Avec une basse asthmatique. Le public a l'air d'apprécier. J'en conclus qu'avant de faire la révolution dans la société, faudra d'abord la faire dans les goûts musicaux. Pas étonnant que le mouvement soit si atone. Si ennuyant que la copine demande à partir au bout d'une heure de torture auditive...

 

RIVALS

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Heureusement entre les deux catastrophes évoquées ci-dessus se sont glissés les Rivals, groupe montreuillois psyché garage. Enfin de la musique à visage inhumain ! Du rock and roll ! Psyché, je veux bien, mais la musique des Rivals me semble trop maîtrisée pour participer des efflorescences psychés, voici un adjectif que l'on emploie dès qu'un combo pousse une de ses racines dans la deuxième moitié des sixties. D'ailleurs le premier morceau, avec ses passages clavier assurés par Clem, Take You Out évoque irrésistiblement les Animals, pas les premiers avec Alan Price mais la troisième mouture davantage rentre-dedans avec Dave Rowberry. Mais ce qui fit le fondement du style psychédélique, ses grands errements de délires turgescents, ses guitares en folie, et ses intumescences d'instrumentations boursoufflées, les Rivals n'y adhèrent point.

 

Garage, en quarante ans le garage a tellement évolué qu'il n'est plus qu'une appellation symbolique. Un choix en quelque sorte philosophique de votre attitude rock. Rivals ce n'est pas non plus, en avant toute, toute la gomme et l'on ne se soucie pas de la mesure suivante. Dispensent une musique quelque part chevillée à ses origines noires mais reblanchies au rhythm and blues anglo-saxon, un refus du lyrisme au profit d'une recherche de l'efficacité. Rien de trop. L'on est souvent surpris par la fin des morceaux qui arrivent brutalement alors que l'on s'attendrait à quelques développements supplémentaires.

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Les Rivals c'est d'abord Matt au vocal. Debout devant ces deux micros, peu de jeu de scène, une attitude sereine qui ne cherche pas à amadouer le public. Il envoie et il assure. Peu de gesticulation, totalement enté dans ses lyrics, se refusant à toute sentimentalité communicative. Le rock n'est pas un sourire adressé aux gens bêtement heureux de vivre. L'accompagnement est en parfait unisson avec cette démarche, Hervé, Sam, Dom, Clem, délivrent une musique engagée en elle-même, refermée en quelque sorte comme les écailles qui enserrent le serpent. Pas de soli à la guitar hero, pas de break bavard de batterie, les Rivals envoient sec, et sans fioritures. Ont déjà quelques disques derrière eux, ne sont pas nés de la dernière pluie, puisent dans leur répertoire, Finger On The Trigger, Take Me For A ride, Hard Rock, New Punk, défilent au pas de course. Dommage que le public ne soit pas vraiment rock, le groupe aurait mérité que ça bougeât davantage. On les reverra avec plaisir et intérêt.

 

Damie Chad.

 

SCOTTSBORO ALABAMA

 

DE L'ESCLAVAGE A LA REVOLUTION

 

PARLIN SHI KHAN / TONY PEREZ

 

( L'ECHAPPEE / 2014 )

 

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S'il est un livre qui retiendra votre attention par sa couverture, ce sera bien ce Scottsboro Alabama, pas besoin de la tenir entre ses doigts pour saisir son épaisseur cartonnée qui ne correspond pas à un caprice de l'éditeur. L'a essayé de rendre l'impression des matrices de toute oeuvre qui emprunte à l'art de la linogravure. La linogravure c'est un peu l'art de la gravure sur bois du pauvre. Le matériel de base est peu onéreux et son impression offre un noir qui possède cette singularité d'être en même temps extrêmement mat quant à la qualité des aplats et extrêmement brillant quant à son épanouissement visuel. A l'intérieur du livre, la reproduction des planches ne bénéficie point de la brillance occasionnée par le relief contrastée de la couverture, mais la blancheur du papier alliée à la violence des images amplifie la force noire de l'encrage.

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Dans l'imaginaire français la bourgade de Scottsboro ne représente rien. Sise dans l'Alabama – réputé pour être l'état le plus raciste des USA – elle fut en 1931 le départ d'une affaire judiciaire qui marqua un jalon important dans la lutte des noirs pour leur émancipation. Nous sommes aux joyeux temps de colossale misère qui suivit la crise de 1929, des milliers de travailleurs empruntent le chemin de fer pour voir si ailleurs ils ne trouveraient pas avec quelque chance un patron qui accepterait de les exploiter pour quelques misérables cents... Les hobos – le lecteur se reportera à notre kronic du livre IWW. Wobblies & Hobos de Joyce Kornbluh in KR'TNT ! 118 du 18 / 10 12 pour en savoir davantage sur cette étrange faune – qui ne payent pas leur trajet, poursuivi au mieux en des situations rocambolesques, ne sont guère en odeur de sainteté lorsqu'ils débarquent plus ou moins au hasard dans une bourgade perdue... Un hobo blanc possède l'immense avantage – c'est le seul - de ne pas être un hobo noir. La libre circulation des voyageurs n'a jamais été bien vu par le Capital... et puis ces nègres qui se promènent sans rien payer ressemblent à s'y méprendre aux esclaves en fuite du bon vieux temps de l'esclavage.

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Heureusement à Scottsboro la police et la justice veillent sur la tranquillité des honnêtes citoyens. Elle en arrête neuf d'un coup – les plus jeunes ont tout juste treize ans – l'on pourrait organiser un lynchage de groupe, mais ça ferait beaucoup en une seule fois, alors l'on force deux jeunes femmes blanches qui voyageaient dans un autre wagon à avouer que les peaux d'ébène les ont violées à tour de bras, enfin avec un de leurs cinq membres, je vous laisse deviner lequel. Honte et indignation ! Ces séminaux sauvageons méritent la mort, l'on se dépêche de les y condamner en un procès mené tambour battant. Il va de soi que pour un procès de viol, il n'est nullement besoin d'enquête à décharge.

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L'histoire aurait pu se terminer rapidement. Romantiquement même, puisque le cas du plus jeunot de la bande avait été ajourné par des juges compatissants qui dans un souci d'humanité évident hésitaient entre l'envoyer à la chaise électrique ou lui octroyer la prison à vie. Une incompréhensible mansuétude. Mais il est toujours des individus qui n'ont de cesse de mettre des bâtons dans les roues de ceux qui mènent rondement la marche en avant de la caravane humaine vers le progrès. Le Parti Communiste et des militants syndicaux de l'International Labor Defense, s'en mêlèrent, bientôt rejoints par des mouvements de défense moins extrémistes... L'affaire fit grand bruit. Dans un premier temps ils obtinrent un procès en appel, puis un troisième... La cour suprême des Etats Unis intervint par deux fois pour rappeler que la justice doit être rendue avec un minimum d'impartialité... Les fameux droits démocratiques de l'individu... Au bout de sept ans de lutte, les innocents finirent par sortir de prison... Scottsboro reste un jalon essentiel de la lutte des noirs aux USA, elle est un peu oubliée par chez nous. L'on comprend pourquoi, le problème de la libération fut posée d'une manière par trop politique, l'on est loin des rêves de fraternité christo-universelle d'un Luther King. Dans les années trente une campagne de sensibilisation se développa jusqu'en Europe... Le livre et ses quatre présentations de Robin D. G. Kelley, Andrew H. Lee, Michael Gold et Frank Veyro – qui est aussi le traducteur de l'ouvrage publié en 2002 aux USA - expliquent à foison et en détail les évènements.

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Mais nous sommes encore loin du cœur du livre : celui-ci est constitué de la reproduction de gravures consacrées à cette affaire et réalisées par deux artistes Parlin Shi Khan et Tony Perez – nous remarquons les patronymes d'obédience étrangère en ces temps de lutte finale et internationale – desquels l'on ne sait presque rien, si ce n'est leurs accointances avec la revue New Masses d'obédience communiste... Leur travail resta inédit jusqu'à sa redécouverte dans le fonds des documents acquis par l'Université de New York.

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C'est une oeuvre de militants qui présente le combat de la cause noire en la liant non pas à une simple question de racisme mais à la réalité englobante de l'exploitation capitaliste des pauvres qu'ils soient noirs ou blancs. Le livre débute en Afrique et se termine par la nécessité de la lutte révolutionnaire cotre le capitalisme international sans âme et apatride. Nous sommes dans les années trente et la lutte contre le fachisme en tant que variante économico-politique du développement capitalisme est clairement indiquée. De belles leçons à méditer encore d'actualité aujourd'hui, car si les formes d'oppression se transforment, elles n'ont jamais été aussi férocement dominantes...

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Je vous laisse admirer le travail graphique des deux artistes. La simplicité du trait qui accentue la force tourbillonnante des vues de groupes, et l'expressivité animale d'une technique au service de l'idée. Car ici, c'est bien le message qui est le média et non le contraire comme se complaisent à le théoriser les songe-creux des techniques de communication moderne au service de l'ignorance généralisée induite par l'idéologie libérale actuelle. Celle qui tend à vider les cerveaux des masses des travailleurs, des précaires et des chômeurs, afin d'éradiquer de leur pensée en friche la nécessaire pratique de la révolte et de la réappropriation active de leur vie...

 

Damie Chad.

 



 

THEÂTRE DES BOUFFES DU NORD - 23 / 05 / 15

 

LA MORT DE TINTAGILES

 

MAURICE MAETERLINCK

 

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Le symbolisme reviendrait-il à la mode ? Après Villiers de L'Isle-Adam ( voir KR'TNT ! 232 du 23 / 04 / 15 ) Maurice Maeterlinck. Maeterlinck un drôle de coco, il aimait tout ce qu'aiment les rockers, les autos qui vont vite, les femmes qui sont belles, la vie à pleines dents. Une espèce de géant au sourire engageant. C'est à l'intérieur qu'il y avait un sacré micmac. Evitez sa poésie : avec Les Serres Chaudes, vous agoniserez d'un cancer de l'âme tout le restant de votre vie, ne parcourez jamais ses Chansons, vous ne trouverez plus jamais une fille à votre goût, son théâtre est une invitation désespérée et permanente au suicide, ses ouvrages de prose sont des précis de sciences naturelles ésotériques qui oscillent entre les logorrhées New Age et la subtilité des visions quantiques d'analyse de l'univers les plus avancées. Aujourd'hui l'aura de Maeterlinck a fortement décliné, pour éviter tout embarras mental nos contemporains ne le lisent plus. De temps en temps l'on ressort en catimini une de ses pièces – le nihilisme poétique étant la chose culturelle qui se partage le mieux – une tous les dix ans, et pas très longtemps à l'affiche, car cela pourrait induire de mauvaises idées au public. Donc, La Mort de Tintagiles étant programmée aux Bouffes du Nord pour une quinzaine de représentations, l'on a foncé sans plus réfléchir.

 

LA MORT DE TINTAGILES

 

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Ce n'est pas difficile de raconter La Mort de Tintagiles, au début de la pièce Tintagiles est un enfant malade, à la fin de la pièce il est mort. Je vous le résume en moins de deux lignes, Maeterlink qui est plus doué que moi, vous en pond vingt pages.

 

TOMBEAU POUR ANATOLE

 

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Pas bésef, me direz-vous. Oui d'autant plus qu'entre temps il ne se passe rien de bien concret. Alors pour rallonger la sauce, en hors d'œuvre à ce repas funéraire, manière de vous mettre dans l'ambiance mortelle, Denis Podalydès, qui a mis en scène le spectacle, le fait précéder d'une lecture de quelques pages du brouillon du Tombeau d'Anatole de Stéphane Mallarmé. Anatole était le fils du poète mort à huit ans, Mallarmé rompu par le chagrin ne parvint jamais à terminer le poème que l'on retrouva bien plus tard dans ses papiers. Le texte s'inscrit en lettres blanches sur le fond noir de la scène, Polydadès le lit sans en faire trop, tout en faisant ressortir la gravité du propos. Perso je trouvons qu'il a privilégié les feuillets qui analysent le deuil familial au détriment de ceux qui proposent une vision plus métaphysique – entendez ce vocable débarrassé de toute confluence religieuse - de l'épisode terminal de nos existences.

 

LA MORT DE TINTAGILES

 

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Pour les décors : rien. Le noir des murs, la noirceur de la salle que troue de temps en temps un projecteur. Je n'aurais pas aimé être à la place du technicien car les effets sont à la seconde près. Tintagiles n'est pas présent en chair et en os, son corps est une marionnette manipulée avec une doucereuse affection par ses deux soeurs, Ygraine et Bellangère. Depuis les coulisses un acteur lui prête sa voix. Deux musiciens, violoncelle et barytons à cordes pour l'un, l'autre est à l'alto et armé d'une viole d'amour. Ce dernier joue aussi le rôle du professeur fidèle à ses deux anciennes élèves. Rien d'autre si ce n'est la peur qui s'installe et que l'on ressent physiquement. Une frousse bleue, une panique qui vous étreint le cœur. Car elle est là, dans le donjon maléfique du château, rampant dans votre esprit, la Reine des lieux qui conduit la chasse nocturne, que vous connaissez sous de nombreux avatars, la souveraine impitoyable, la Cruella d'enfer, les Trois Parques, l'Hécate des carrefours mais toutes ces appellations poétiques ne sont que des mots pour désigner la Mort. C'est elle qui mène la danse. Même lorsqu'elle n'est pas là. Sa venue est inéluctable, vous ne la verrez pas, vous entendrez ses rires et ses chuchotements, et puis c'est tout. Tintagiles est mort. Ses soeurs ont tout essayé, la ruse, la révolte, l'imploration, rien ne saurait l'arrêter. Le suaire de la mort est cousu de fil blanc.

 

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Une cruche, une lampe, une trappe, une corde. Rien de plus. La scène est vide, ou alors les personnages arrêtés dans un immobilisme désolé. Le déroulement de la pièce est entrecoupé de longs passages musicaux ( Satie, Bartok ) qui loin d'interrompre sa progression en augmentent l'angoisse. Rien à faire de Tintagiles, c'est vous qui êtes au fond du tombeau, vous ressentez le froid de la mort, tellement puissant que vous ne pouvez ni claquer des dents, ni même frissonner. La jeu des acteurs, l'obscurité, les trombes de musique – car les harmoniques pulsent à tout berzingue – tout concourt à vous faire vivre à l'avance votre future mise en terre. La froide fixité qui s'emparera de vous pour toujours...

 

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Lorsque la lumière se rallume c'est un tonnerre d'applaudissements pour Christophe Colin Adrien Gamba Gontard, Garth Knox, Lesle Menu, Clara Noël, longs et chaleureux. N'empêche qu'à la sortie je remarque que de nombreux spectateurs ont les yeux rouges. Existe-t-il vraiment une catharsis libératoire à la mort ?

 

Damie Chad.

 



 

20/05/2015

KR'TNT ! ¤ 236. GORIES / HOT CHICKENS / EARL AND THE OVERTONES / BILLIE HOLIDAY /ERVIN TRAVIS NEWS

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 236

 

A ROCK LIT PR ODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

21 / 05 / 2015

 

 

GORIES / HOT CHIKENS / EARL AND THE OVERTONES /

BILLIE HOLIDAY / ERVIN TRAVIS NEWS

 

 

ERVIN TRAVIS NEWS

Toujours pas la grande forme pour Ervin. Ce sera long et cher. Peut-être faudrait-il relancer quelques concerts dont les bénéfices seraient versés à l'Association Lyme-Solidarité Ervin Travis. Les participations individuelles ne sont évidemment pas à exclure. Ervin nous a beaucoup donné durant de nombreuses années en ravivant la présence de Gene Vincent parmi nous. Qu'il en soit remercié en ces moments de combat contre la maladie serait un juste retour des flammes du rock and roll.

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BOURGES ( 18 ) - 16 / 05 / 15

 

COSMIC TRIP FESTIVAL

 

THE WILD 'N' CRAZY ROCK'N'ROLL FESTIVAL

 

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THE GORIES

 

FANTASMAGORIES

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Eh oui, on revient toujours aux Gories. Ce trio de Detroit pourrait se vanter d’avoir inventé le garage moderne, mais ce n’est pas leur genre. Ils se contentent de blaster. Tous les garagistes se souviennent du choc que produisit la parution de «Houserocking». On ne comprenait pas bien d’où sortait ce son réinventé. On se demandait même pourquoi le chanteur était noir. Mick Collins aura dû monter pas mal de coups fumants pour enfin s’imposer. Il est aux vingt dernières années ce que Jimi Hendrix fut aux seventies : un prodigieux réinventeur doublé d’un showman spectaculaire. «Thunderbird ESQ», c’est exactement la même chose que «Purple Haze» : l’un de ces hits bombastico qui font la légende du rock.

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Les trois albums des Gories font partie des grandes triplettes fatales de l’histoire du rock, au même titre que les trois albums des Stooges, les trois Velvet, les trois MC5 ou encore les trois Jimi Hendrix Experience. Dès qu’on pose l’aiguille sur «Houserocking», un truc nommé «Feral» nous saute à la gueule - You’re feral wouahhhh - Mick Collins traîne ça dans un jus de délinquance et s’arroge la couronne rouillée de roi du garage américain. Et toute la face A s’écroule comme un immeuble dans un délire de trash. On n’avait jamais rien revu de tel depuis les Sonics. Avec «I Think I Had It», Mick Collins nous plonge le museau dans la pire killerrerie de désossement inimaginable et c’est servi fumant avec des chœurs complètement déboîtés. Pire encore : il y colle un solo squelettique qui sonne comme une offense aux dieux de l’Olympe. Il détruit tout simplement le vieux mythe du solo de guitare. Avant Mick Collins, seuls les Godz (ESP) avaient eu l’idée saugrenue de s’attaquer à ce mythe. Puis il passe au sombre cannibalisme garage avec «Charm Bag». Mick chante ça dans l’ombre d’un recoin, soutenu par des chœurs à la con - Hey yeah yeah yeah - Les Gories n’en finissent plus de démantibuler tous les vieux plans garage pour les réinventer. Non seulement il fallait y penser et oser le faire, mais il faut surtout savoir le faire. Dès ce premier album, Mick Collins donnait un avant-goût de son génie déstructurateur. «Sovenreignty Flight» fait aussi partie des grands classiques goriques, car monté sur un beat hypnotic bien poundé par Peg. Un modèle du genre, probablement destiné aux jukes des Zoulous. On trouve deux reprises de Big Dix sur cet album mirobolant : «Hidden Charms» et «You’ll Be Mine». Mick Collins en fait du pâté swingué à la sauce de Detroit. C’est aussi sur ce disque qu’on trouve le cut le plus wild de l’histoire du garage : «Give Me Love». C’est tellement saturé de violence que le morceau se congestionne. Et nous aussi, d’ailleurs.

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Écouter les albums des Gories, c’est exactement la même chose que d’écouter les trois albums des Stooges : chaque cut envoie de l’oxygène au cerveau. Le second album «I Know You Fine But How You’re Doin’» parut d’abord sur New Rose, puis fut réédité par Tim Warren sur son label Crypt en 1994. C’est là qu’on trouve «Thunderbird ESQ», monté comme le «Boom Boom» de John Lee Hooker, mais Mick Collins rajoute une énorme couche de génie suspensif. C’est l’un des hits du XXe siècle, à la fois simple et dévastateur. On pressentait à travers ce cut toute la grandeur des Gories et leur écrasante supériorité. Quand on écoute «Detroit Breakdown», on note que Peg bat sec. Elle bat tout droit comme Moe Tucker, elle ne se casse pas la tête. L’autre hit du disque est «You Make It Move», fuzzé jusqu’au croupion et battu à la ramasserie déconstructiviste. Mick yeah-yeah-yeahte à la Gloria et tire tout ça vers le tribal buté, vers le bombage de bulbe. Quel beat, Bob ! Curieusement, les cuts que chante Dan Kroha sont nettement moins présents. Il devrait laisser le micro à Mick. C’est Mick qu’on va voir sur scène. Mick is the real deal. Tous ceux qui ont vu les Dirtbombs le savent. Autre monstruosité : «Let Your Daddy Ride». Mick bricole des tortillettes invétérées sur sa guitare pendant que Dan maille le cut avec la précision d’un métronome. Et ça donne une ambiance menaçante d’attentisme garage, un fleuron de la perdition. C’est là que les Gories inventent le garage moderne. Comme disait William Reid dans une interview au NME, pour sortir un hit, il suffit simplement d’avoir un peu d’imagination. Et sur «Smashed» Mick chante comme l’ami Jimi, c’est exactement le même timbre, mais il se veut plus menaçant et plus incontrôlable. Les Gories inventent même le néant du garage avec la reprise du «Ghostrider» de Suicide. Ils bouclent cet album indécent de classe avec «View From Here», un garage carnivore qui s’auto-dévore. Celui-ci, personne à part Mick Collins n’aurait jamais pensé à l’inventer, d’où l’intérêt d’écouter les albums de Gories. Son garage cannibale échappe à Dieu et au diable, c’est une sorte de stade ultime du garage. D’ailleurs, le solo de Mick finit par s’égarer, complètement paumé.

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C’est à Tim Warren que revint l’honneur de sortir le troisième album, «Outta Here». On y retrouvait tout ce qui nous avait chatouillé dans les deux premiers albums, ce trash detroitique trempé d’huile comme un vieux chiffon, qu’on retrouve dans «There But For The Grace Of God», le pire trash-garage qui se puisse imaginer, celui qu’on voit traîner au fond de la fosse à vidange avec des mégots et des vieux pansements. Mick tâte un peu de rockab avec son «Crawdad» - Hey crawdaddy ! - et «Stormy» préfigure les horreurs à venir de Blacktop. Il faut attendre la face B pour renouer avec le garage des damnés. Dan chante «Telepathic», mais le beat est tellement heavy que ça passe comme une lettre à la poste. Mick sauve cet album un peu plus faible que les précédents avec «Drowning», du pur trash trempé de désespoir - I’m drowning/ Somebody please/ Somebody save me/ Caus’ I’m drowning !

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On a vu arriver récemment dans les bacs un album live des Gories enregistré en 1988 : «The Shaw Tapes». On y trouve quelques reprises du type «Leaving Here» (vieux coucou repris par les Birds et Motörhead, et que chante Dan, dommage) et «Real Cool Time» des Stooges (les hurlements de Dan ne cachent pas la misère). Comme le son est pourri, on doit se contenter de plâtrées de bouillie infâme, type «Sovereignty Flight», «Thunderbird ESQ» ou encore «I Think I Had It».

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Les Gories jouaient au Cosmic Trip Festival de Bourges le deuxième soir, pris en sandwich entre les Movie Star Junkies et Big Boss Man. Comme d’habitude, pas de roadies pour les Gories. Mick et Dan viennent brancher les Stratos sur les Twin Reverb. Clic clac, direct. Ils ne passent pas une heure à exaspérer le public avec des petits réglages à la mormoille. Dan le pivert porte un T-shirt Flamin' Groovies et Mick l’un de ces T-shirts sac à patates dont il s’est fait une spécialité. Mick Collins ? L’anti-rock star - dans les apparences, mais rock star dans l’action - Peg vérifie la sonorisation de sa batterie minimaliste, un tom basse et une autre caisse. Rien au pied. Pas de cymbales à la mormoille. De toute façon, la mormoille n’intéresse pas les Gories. Ça ne peut pas les intéresser. Pourquoi ? Parce que. Peg joue tribal, elle n’a donc pas besoin de tout l’attirail. Dan porte le cheveu court et semble avoir rajeuni de vingt ans. Il paraît plus jeune qu’au temps béni des Demolition Doll Rods. Quant à Mick, c’est un énergumène toujours aussi haut et massif. Il ressemble encore un peu à un prof de gym d’université américaine et de plus en plus à un grand jazzman à l’ancienne, croisement de Monk et de Roland Kirk, à cause d’une barbe en jachère qui lui allonge le profil comme une presqu’île. Lorsqu’il part dans ses solos pétrificateurs de foules, sa tête est si mobile qu’elle devient un objet biscornu qui tournoie anarchiquement au sommet d’un buste renversé vers l’arrière. Mick Collins incarne le garage, de la même façon que Charlie Feathers incarnait l’esprit rockab.

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Sur scène, les Gories ont toujours veillé à rester très spéciaux. Ils sonnent tout simplement comme un groupe qui ne répète pas. Les incidents techniques font même partie du set. Pendant une heure, Mick Collins a joué avec un court-cicuit dans sa prise de jack et ce bruit atrocement parasite qu’aucun guitariste n’aurait pu tolérer, il a su l’intégrer dans la purée de son trash-beat. Ce genre d’incident aurait même plutôt tendance à les amuser. Quand Mick se débranche et se rebranche pour tenter d’éradiquer la friture, Dan et Peg continuent à jouer, imperturbables, comme si de rien n’était. Chez les Gories, pas de breaks techniques à la mormoille, avec le technicien barbu qui ramène une guitare propre. N’importe quel autre groupe s’arrêterait. Certainement pas les Gories. Tu veux voir du garage, camarade ? Tiens en voilà ! Et tu as de la chance, car en plus t’auras pas mieux ailleurs, sauf peut-être chez les Monsters. Ici, on parle de purée de garage, de binaire dévoyé, d’explosions orgasmiques et de solos déliquants, oui ces solos qui échappent à toutes les lois et à toutes les normes et qui sont l’antithèse des endormeurs professionnels de type Clapton.

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Les Gories ont un son qui ne peut pas intéresser les amateurs de préciosité et les coupeurs de cheveux en quatre. Mick Collins va au cœur du viscéral et c’est là que se situe son génie de garagiste. Quand il part en solo, il part physiquement. Son énorme carcasse vibre. On pense à Artaud ligoté sanglé sur un lit rodézien pendant les électro-chocs. On voit l’espèce de grosse cacahuète de son crâne tournoyer et arroser les alentours d’une pluie de gouttes se sueur. Il atteint une sorte de point de non-retour, un absolu de violence sonique qu’on croyait réservé à des gens comme Wayne Kramer ou Ron Asheton. C’est même encore pire puisqu’il transcende le vitriolique en claquant ses notes à coups rageurs de vibrato. On avait encore jamais vu une chose pareille. Dans une sorte de transe, il se rapproche de son Twin Reverb pour le défier. Comme l’ami Jimi, il continue de jouer ses notes au manche de la main gauche et lève son bras droit en l’air, comme s’il donnait le signal d’une charge de cavalerie. Puis il attrape la poignée de son ampli pour le secouer. Sur scène, Mick Collins est de plus en plus spectaculaire. On voit ses doigts immenses barrer le manche et bien sûr, on songe à Jimi Hendrix qui utilisait exactement la même technique de pincement de cordes, avec la même classe intrinsèque dans les cuisses et la même animalité de hanches. Mick Collins reste le blow fatal, la sauvagerie à deux pattes, l’archétype du trash, le wildman par excellence, le meilleur killer de sa génération, une bête qui n’en finira plus de nous fasciner. Avec ses lunettes à la Ray Charles, il passe Link Wray, Bo Didlley, John Lee Hooker, Thunderbird, Daddy Ride et tout le saint-frusquin trempé de sueur à la moulinette. Et il ne la ramène pas. Il s’en fout. Il joue. Thank you for bein’ there ! - Et il ajoute aussitôt - Thank you for staying !

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Signé : Cazengler, le gorikiki

 

Cosmic Trip Festival. The Wild’n’Crazy Rock’n’Roll Festival. Bourges (18). 16 mai 2015.

 

Gories. Houserockin’. Crypt Records 1994

 

Gories. I Know You Fine But How You’re Doin’. Crypt Records 1994

 

Gories. Outta Here. Crypt Records 1992

 

Gories. The Shaw Tapes. Live In Detroit 5/27/88. Third Man Records 2013

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LAGNY-SUR-MARNE - 15 / 05 / 2015

 

LOCAL DES LONERS

 

HOT CHICKENS

 

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Quand on est monté dans la teuf-teuf mobile, direction les Loners, pour la soirée Hot Chickens l'on ne s'attendait guère à assister à une représentation du Dialogue des Carmélites sur une musique de Francis Poulenc. Avec ces satanés Poulets Frits venus du Nord l'on entrevoyait dans nos pensées les plus aventureusement rationnelles la soirée plutôt comme une joyeuse farandole style Dansons la Carmagnole. L'on était pourtant loin du compte. Parking pratiquement vide, même pas le tonneau habituel enflammé devant l'entrée du local, cinq ou six silhouettes devant la porte. Que se passait-il ? L'on n'allait pas tarder à le savoir.

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J'éteignais le moteur de la teuf-teuf lorsque une voiture est venue se ranger à côté de la Teuf-Teuf. L'on aurait voulu le faire exprès que l'on n'y serait point arrivé, millimétrée à la fraction de seconde près, l'on a ouvert notre portière pour se retrouver face à face avec Billy et Nathalie rencontrés le samedi précédent au concert des Jallies la semaine précédente. Eclats de rire, salutations, embrassades, et puis c'est tout. Si, cinq heures plus tard, l'on est repartis après un dernier bisou, Billy et sa tribu vers Troyes et nous sur Provins.

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Pour le reste, ce n'est pas la peine. D'abord vous ne me croirez pas, ensuite c'est inracontable et enfin ce moment s'est glissé dans une de ces failles temporelles dans laquelle la réalité se métamorphose en délire dionysiaque. Tout cela de la faute des Hot Chikens. Puisque vous insistez, je vais vous révéler l'innommable. Une demi-heure plus tard c'était le grand cirque. La barrique qui crachait un feu de tous les diables, des Harley par dizaines, des carrosseries rutilantes ( mais non, teuf-teuf chérie et préférée, de vulgaires boîtes de conserves aux couleurs criardes ) et une impressionnante armée de blousons de bikers et de rockers, à croire que l'on tournait la scène de l'Armée des Morts dans Le Seigneur des Anneaux 3. La salle ne tarderait pas être pleine comme un huître, me suis faufilé devant la scène.

 

ACTE 1

 

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Très cool au début. Thierry Sellier s'en est venu le premier cajoler sa batterie, très vite suivi par Hervé Loison en veste rouge qui s'est tout de suite préoccupé de brancher sa contrebasse pivoine écarlate. N'en manquait plus qu'un. L'on a attendu pénardos, sages comme des images d'Epinal. Frémissement dans la foule. Pas d'affolement, mais l'on s'écarte précipitamment pour laisser passer le fauve. Parmi les blousons noirs l'on n'aperçoit qu'une haute stature de léopard qui se fraie son chemin. Pas de panique, ce n'est que Christophe Gillet enserré dans la magnifique étoffe de sa chemise au motif panthère-plus-rockabilly-que moi-tu-meurs qui rejoint ses acolytes.

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Les Hot Chickens ! Christophe plaque trois accords, entre deux roulements de tambour Thierry fait naviguer ses deux baguettes entre ses doigts avec l'aisance d'une majorette accomplie et c'est parti pour le rock and roll. Deux Gene Vincent ( vous ne payez pas le premier, et vous emportez le second gratuitement ), deux Eddie Cochran, puis du Buddy Holly et du Little Richard avec entre les deux packs, deux titres des Chikens. C'est là que l'on a compris que les Chikens étaient particulièrement speed. Motorcycle quelque chose, un truc à vous faire passer le Born To Be Wild des Steppenwolf pour une berceuse hémiplégique. N'imaginez pas qu'Hervé se contente de gazouiller vroum-vroum sur un ruban d'asphalte, question harmonie imitative il est du genre mégaphonique, l'avale presque son micro et il en ressort une sirène de pétrolier en flammes qui fonce droit sur le rivage. Avec Sellier qui pousse les turbines à fond – l'on entend le martèlement fou des bielles - et Christophe qui lance les gilets de sauvetage à la mer pour être sûr que personne n'en réchappera, notre intime conviction est faite, il n'y aura pas de survivants.

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Les Hot Chikens c'est un peu le poulailler en folie. Hervé ne trouve aucun perchoir à son goût. Les essaie tous en même temps, un pied sur la grosse caisse et l'autre dans l'échancrure de la contrebasse. Puis il s'accroche à sa big mama comme si elle était une danseuse de flamenco, finit par s'y vautrer dessus comme sur le divan du psychanalyste, la rejette par terre et décide de poser sa tête sur un des toms de la batterie. Thierry en profite pour varier les sonorités, un coup sur les drums et un second – comme si de rien n'y était - sur la tête du volatile effervescent. Le sang et la cervelle lui coulent par le trou des oreilles et se répandent sur le plancher, une aubaine pour ce guépard assoiffé de Christophe qui s'en vient lécher à coups de cordes râpeuses l'immonde flaque sanglante. Comme dirait Jean-Luc Godard, la phrase précédente n'est pas une image juste, c'est juste une image.

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En plus il y manque le son. Ce qui est dommage, car les Chikens vous concassent le rock, vous le rendent à la fois convexe et concave, ce qui relève de la quadrature du cercle qu'ils réalisent parfaitement, un rock tordu de tous les côtés mais qui file droit devant sans demander son reste. Vince Taylor, Burnette, Chickens, passent tous à la moulinette, et ils vous les ressortent sous forme de gaufrettes. Détergentes et énergétiques. Comme je suis sympa, je vous donne la recette. Sont trois qui jouent ensemble, mais chacun dans son délire. Donc vous préparez trois cocotes-minute car c'est bien connu les Chikens apprécient particulièrement les cocotes. Feu violent sous les trois.

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Dans la première vous épluchez un kit de batterie, vous faites cuire à toute vapeur, pas besoin de rajouter ail ou épices, un Sellier suffit. Attention aux clapotis, c'est comme le homard ça se cuit vivant et ça remue méchant, tenez bon le couvercle par dessus, la bestiole va y frapper dessus durant des heures. Infatigable, connaît toutes les ruses, essaiera peut-être de vous apitoyer avec le toc-toc-toc du Petit Chaperon Rouge, ne lui ouvrez-pas car il se transformera en loup et c'est vous qui lui servirez de repas. Le Sellier est un animal redoutable. Tous ses coups sont mortels.

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Dans la deuxième marmite vous mijotez un Gillet. C'est un félin peu commode. Normalement ça se prépare comme un gigot d'agneau. Le plus dur c'est de le ficeler selon les règles de l'art. Six cordes, pas une de plus. Ne se laisse jamais faire, en avez-vous immobilisé cinq qu'il tire sur la sixième, retient les autres avec ses doigts nerveux pour montrer combien il n'est pas d'accord, - employez le terme idoine : ne dites pas il n'arrête pas de bouger, dites il jamesburtonise à la perfection. L'on n'amadoue pas un Gillet même s'il est doué d'un esprit taquin. Les meilleurs cuistots finissent par jouer et sauter à la corde avec lui. Comme quand ils étaient mômes durant les récréations. C'est un jeu auquel il gagne toujours. Passe le cordon derrière vous et vous étrangle.

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Dernière casserole. Avant toutes choses, procurez-vous un Loison. C'est un volatile particulièrement malfaisant. Il est inutile d'essayer de lui mettre du sel sur la queue car il se laisse attraper relativement facilement. Le Loison ne cuit qu'à gros flocons. C'est au moment de l'ébullition que la situation se complique. Le Loison sentant qu'il va mourir lance son chant du cygne. Les connaisseurs en apprécient la suavité rockandrollienne, les néophytes s'en lassent vite, c'est que le Loison chante durant des heures. Les rares marmitons qui ont survécu à la cuisson d'un Loison racontent que son chant harmonieux est un piège terrible. EN mélomanes charmés vous perdez toute prudence, et c'est alors qu'il se jette sur vous avec des grognements de rock and porc affamé. Sur ce, après ces doctes conseils culinaires, nous nous permettons de vous souhaiter bon appétit.

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Grosse crise de délirium sur scène. Mister Loison joue de la contrebasse les pieds en haut et la tête en bas. Se roule par terre, imite le poirier, pousse des grognements de verrat conduit à l'abattoir. Christophe Gillet est victime d'un étrange dédoublement de personnalité, parfois il lève la jambe droite très haut comme une danseuse classique sur le plateau de l'Opéra Garnier, parfois il file de méchants coups de savates tel Bruce Lee dans la Fureur du Dragon. Thierry Sellier n'arrête pas de rouler les mécaniques sur son kit drumique, du genre le prochain stoppeur sur le bord de la route, on l'écrase pour laver le pare-brise avec son sang. Dans la salle c'est la tension artérielle qui monte.

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Stop : moment de recueillement. Hommage à B. B. King. Ne faites pas cette figure d'enterrement. Pensez à la New Orleans, les obsèques s'y déroulaient sous forme de grands moments festifs. On y dansait, on y chantait, on y fanfarait à foison. Everyday I have the blues, mais pas ce soir, le mojo s'est emparé des Hot Chikens. Hervé sort son harmonica, l'enfourne dans sa bouche, le ravale, le suce comme un sucre, le recrache comme un piment rouge, mais il a de l'appétit puisque c'est au tour du micro de subir le même traitement. Dans la salle ce n'est pas vraiment le blues qui domine, l'on donne dans la transe chamanique et la possession vaudou. Encore deux ou trois morceaux et les Hot décrètent qu'il est temps de se rafraîchir le gosier. Tout le monde consent car ils promettent de revenir.

 

ACTE 2

 

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Pour beaucoup l'Acte 1 serait le concert de l'année. Celui qu'ils raconteront à leurs petits enfants qui ne les croiront pas – le pépé il débloque chaque fois qu'il parle de rock. Oui mais l'Acte 2 va pulvériser cette croyance. Encore une fois, le début est très cool, Thierry Sellier assis derrière sa batterie, devait ressembler à cela lors de la photo scolaire pour sa maman. Se penche en avant et extrait d'on ne sait trop où une petite boîte imitation peau de léopard ( le diable se cache dans les détails, ne l'oubliez pas ). L'en tire une magnifique paire de lunettes de soleil – nettement plus classe que les hublots noirs de de Ray Charles – désormais il ressemble à un acteur américain ! De série Z.

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Un peu de Burnette pour remettre les idées en place, et c'est parti pour le grand safari à Jurassic Park. Les Hot sont brûlants, en grande forme. En forme de quoi, me demanderez-vous ? Difficile à définir. Quelque chose qui doit ressembler à la onzième plaie d'Egypte que dans sa colère le Seigneur avait omis d'utiliser, et que les Hot Chickens ont dû récupérer sur un stand de brocante. Une espèce de bacille qui vous coagule le cerveau et vous fait accéder à des états de conscience interdits. Les Hot ne sont plus qu'une machine à rythme haletante et spasmodique qui fonce dans la nuit. Et l'on suit derrière tels des renards glapissants. Et devant Loison essaie de percer le plafond bétonné à grands coups de cul de contrebasse... Se lancent dans un deuxième hommage à B. B. ( pas fricotin ) le King de la guitare, et Christophe Gillet se plantera par deux fois sur le rebord de la scène, et nous montrera non pas tout ce qu'il sait faire – l'a de réserve – mais ce que nous, nous ne savons pas réaliser. Sa Lucile miaule bien plus férocement que celle des Stray Cats, à chaque note l'on dirait qu'il vous arrache une dent, la lance devant lui, n'a pas le temps de retomber qu'il jette déjà la suivante, et encore, et encore, et encore... acclamations sans fin...

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Hervé Loison, a enlevé sa chemise, se traîne par terre comme un gamin qui ne veut pas sortir de sous la table. C'est qu'il a un grand projet : veut sauver notre âme. Il y a du travail, mais il ne renâclera pas à la tache. S'y donne à fond. L'a foi en ses brothers et ses sisters rock. Semble avoir une légère préférence pour celles-ci. L'est vrai que depuis qu'il arbore la nudité de son torse musclé, elles se sont précipitées sur le devant de l'estrade et lèvent les bras vers lui aussi implorantes que les suppliantes d'Eschyle. Et voici qu'il leur tend la main et les fait monter sur scène, parvient à en caser dix sur la minuscule plate-forme. C'est donc cela, les Hot Chickens ? Un piège a filles ! Quelle triste moralité ! Mais non, ce n'était qu'une ruse, ce dont il a besoin, ce sont des hommes, de gaillards solides aux biscotos de fer et pas de fragiles péronnelles, en voici tout un groupe massé devant lui. Et Loison, fait le saut de l'ange et la cohorte de blousons lui fait visiter les locaux, tandis que Christophe et Thierry, troisiémés par un volontaire tout heureux qui a d'office été appelé pour tenir la contrebasse, mènent un boucan d'enfer.

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Coucou, le revoilou. Save Your Soul ! Et la salle reprend ! Dix fois, vingt fois, cent fois, Thierry saccade le rythme, Christophe tape sur ses cordes, Hervé noircit sa voix, Mister James Brown est avec nous. Save Your Soul ! Deux cents fois, trois cents fois, le rock retrouve ses radicelles noires, transportés par la transe et la féroce psalmodie des répétitions, un dimanche après-midi, au coeur d'une plantation près de Clarksdale. Ferveur religieuse des negro-spirituals d'antan... Nous aurions pu être tous sauvés, hélas chassez le naturel et le grand Cornu rapplique au galop. Mes très chers frères le Mal nichonne dans le corps endiablé des gentes demoiselles. Et comme il y en a une dizaine qui shakent et rattlent and rollent avec frénésie sur le piédestal... notamment Nikky la panthère dans son fourreau de soie, à qui Hervé fourre sa basse entre les mains, lui pose les doigts sur les cordes et elle se débrouille mieux que bien pour une première fois. D'ailleurs à la plus légère hésitation, l'on se précipite pour lui venir en aide... Loison se repaie une visite des locaux, manière de vérifier si c'est toujours aussi bien de voler de ses propres ailes sur les bras ascendants des spectateurs. Quand il revient, je préfère ne pas vous dire. Sachez toutefois que l'on est passé pas très loin de l'orgie romaine et des antiques saturnales...

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RETOUR

 

Dans la voiture Mister B ne tarit pas d'éloges sur Christophe Gillet et Thierry Sellier qu'il traite de sacrés musiciens. Entre mecs, on parle technique et feeling, Mister B épluche les deux sets, l'explique que derrière le délire, Loison et son gang cachent une superbe connaissance de l'histoire du rockabilly, et que... c'est à ce moment que la copine intervient, ô Jake Calypso – l'a pas encore compris la différence entre les Chickens et Jake – qu'est-ce qu'il est beau, quelle énergie, quelle classe, je l'adore ! ... L'est pas prête d'y retourner la prochaine fois.

 

Damie Chad.

( Superbes photos prises sur FB de Marcel Marcello )

 

 

 

TROYES - 16 / 05 / 2015

 

MIDWAY SHOOTER BAR

 

EARL & THE OVERTONES

 

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Depuis le temps que nous entendons parler du Midway, l'occasion était trop bonne. Les Overtones, french groupe mythique des nineties – à l'époque, dixit Mister B, n'étaient pas très nombreux, et c'était une référence – viennent de se reformer et commencent à tourner dans la région. Un petit moment qu'on les a dans le collimateur et que l'on cherchait l'occasion – celle qui fait les larrons – de les voir de près. Donc nous voici à Troyes, face au Midway. Très simple pour le trouver, rue parallèle aux 3 B, avec évidemment dans l'embrasure de la porte, devinez qui ? Pile ! vous avez trouvé, Billy et Isabelle. Il n'y a pas de hasard, rien que des rencontres.

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Le comptoir est au fond, l'orchestre bénéficie d'un assez vaste espace sur la gauche, un coin Deejay à droite juste en face, une avant-salle par-devant avec tables basses et banquettes profondes. Déco western, rebel rock, and rock'n'roll. Petits prix et grosses portions pour la restauration rapide.

 

PREMIERE PARTIE

 

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Grand, guitare rythmique en bandoulière, Earl possède la classe innée. Ne reste pas en place. Transporte son micro avec lui. Des mouvements de félins qui ne laissent pas indifférents. Se fige brusquement, la gratte à la main, puis revient au micro qu'il domine de toute sa hauteur. Freddy est à la guitare. Perpétuels regards lancés à David derrière ses futs. Micka est à la basse, solitaire, comme détaché du groupe. L'on nous avait promis du white rock hyper électrique et nous avons droit à du Bison Bop, du country rock teinté de rockabilly si vous préférez. Sympa, mais pas exaltant. Les vaches qui batifolent dans les près clôturés si vous voulez, mais perso je préfère quand les Comanches brûlent les fermes, abattent le bétail et poursuivent la diligence. C'est la fatalité qui va clore cet épisode, Freddy casse une corde et le temps qu'il opère le changement l'on migre sur la terrasse. Earl nous rejoint et bougonne qu'il ne peut pas passer son temps à refaire Blue Suede Shoes.

 

DEUXIEME PARTIE

 

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Bye bye les pâturages. La rumeur avait raison. Le set se white rockise à chaque morceau. Earl ne pioche pas dans la vitrine, file au fond du magasin dénicher des raretés sur Starday ou Decca, ces singles fabuleux que plus personne ne connaît. Enfin presque. L'on sent que depuis qu'il a quitté les Burning Dust, Earl a beaucoup écouté et farfouillé dans les mines d'or abandonnées du rockabilly, l'en ramène quelques lourdes pépites. Le tout c'est de les faire passer sans désarçonner le public. C'est pourtant facile. Je me comprends. Il suffit de s'y mettre et chaque fois que le combo se lance c'est parfait. Earl a tout ce qu'il faut, des déhanchements tayloriens, des jeux de micros très vincenal, et surtout cette souplesse elvisienne époustouflante. Le geste sûr et précis. Cette aisance, cette maîtrise et cette adéquation parfaite entre l'immobilité du corps et l'arrêt du chant. Et les trois shérifs derrière qui stoppent leur monture en plein galop, au moment où l'on s'y attend le moins. Et qui repartent à fond de train, six dixième de secondes plus tard. Reste tout de même un défaut. Trop de temps mort entre les titres, ces allées et venues, ces tournoiements à grandes enjambées, comme si Earl se parlait à lui-même, une espèce d'hésitante inquiétude, une transposition d'angoisse pratiquement métaphysique, et la machine repart, superbe, racée, jusqu'au prochain arrêt. Mais le guignon s'acharne sur Freddy qui casse une deuxième corde...

 

TROISIEME MOMENT

 

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Un peu plus hargneux. Earl se lâche et Freddy commence à se laisser aller à ses plus mauvais démons ( ce sont les meilleurs ). N'a pas écouté que Cliff Gallup, le Freddy peut s'aventurer où il veut, dans le heavy-metal comme dans le garage. Etrange mélange que cette obsession nostalgique d'une pureté rockabilesque perdue d'Earl et ce flirt très poussé de Freddy avec les dérives impures du rock and roll. Difficile de faire avancer un train sur des rails qui s'écartent sur la ligne d'horizon, mais se se rejoignent tous les deux sur la ligne de fuite du white rock des ados boutonneux des surfin' USA. Le Cindy Lou de Johnny Fay brandi comme un drapeau sur la ligne d'arrivée d'une course de hot rods. La voiture bleue carbure à l'énergie rockab et la rouge à la fureur électrique. Partent ensemble et arrivent ensemble. C'est la voix d'Earl qui cornaque la manœuvre. Bye-bye la tyrolienne, pas le temps d'étirer les sonorités, Earl avale la première syllabe des mots et bouffe la dernière, ce qui reste il le jette très vite, à peine sorti, déjà oublié, le chant comme une urgence. Et toujours ces postures lapidaires de toute beauté. Earl nous avertit qu'ils n'iront pas plus loin, mais comme tout le monde en redemande, ils resservent la soupe avec une telle abondance qu'ils reviennent aux premiers morceaux du répertoire...

 

QUATRIEME MOMENT

 

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Un dernier verre sur la terrasse, l'on échange déjà les poignées de mains du départ, lorsque Earl revient sur ses déclarations finales. L'on va vous en faire quatre autres. ( Vous multipliez par quatre. ). L'a-t-il senti qu'il manquait quelque chose, une espèce de déséquilibre dans le répertoire ? Et vlan, liste pionniers à tout berzingue, tous ces classiques auxquels il avait juré de ne plus toucher : That's All Right Mama, Jerry Lou, et toute la sainte famille. Bizarrement la salle se remplit de jeunes gens peignés à la mode fifties et l'ambiance exulte. Echange humoristique avec le public dont les intervenants n'ont pas la langue dans la poche, ce qui tombe bien car Earl a la répartie facile. Ça pétille de rire, de malice, et de complicité. A la bonne franquette du rock and roll. Finissent exsangues mais heureux parmi les rires et les applaudissements. Earl and the Overtones, un groupe qui monte en puissance.

 

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Damie Chad.

 

( Photos concert prises sur le FB Earl & the Overtones correspondent au concert donné au Club 931 de Chavin que nous saluons )

 

LADY IN SATIN

 

BILLIE HOLIDAY

 

PORTRAIT D'UNE DIVA PAR SES INTIMES

 

JULIA BLACKBURN

 

( RIVAGE ROUGE / Mars 2015 )

 

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2015, c'est le centenaire de la naissance de Billie Holiday, on s'agite un peu autour du cadavre, réédition avec les outakes de son avant-dernier disque Lady In Satin et Rivage Rouge en profite pour titrer sa traduction de With Billie de Julia Blackburn, comme par hasard : Lady In Satin. Saint Marketing, priez pour nous ! Pour Billie ce n'est pas la peine. De toutes les façons, sûr de sûr qu'elle est en enfer !

 

LE FANTÔME DE LINDA KUEHL

 

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Billie est morte en 1959, c'est en 1970 qu'une jeune journaliste amatrice de jazz décide de rassembler un maximum d'éléments – photos, disques, objets divers, papiers officiels et interviews - dans le but d'écrire par la suite une biographie de Billie. Linda Kuehl amasse un véritable trésor, cent cinquante entretiens avec des personnes qui ont côtoyé de près et même intimement Billie, amis, parents, amants, mari, musiciens, producteurs, policiers... Etrange personnalité que celle de Linda, l'est certain qu'au travers de Billie c'est elle-même qu'elle recherche. Mais cette entrée dans un monde chronologiquement proche mais en quelque sorte disparu après la tornade des sixties se révèlera très déstabilisante... En janvier 1977 après avoir assisté à un concert de Count Basie, elle monte dans sa chambre, rédige une lettre annonçant son suicide, s'assoit sur le rebord de la fenêtre et se lance dans le vide depuis le troisième étage... Difficile d'expliquer les motifs de cet acte qui n'appartiennent qu'à elle. Je ne pense pas qu'ils soient principalement dus à sa difficulté à transcrire et à mettre en forme les centaines d'heures de K7 réalisées, ni au fait que la dernière éditrice pressentie ne voyant venir rien de concret au bout de plusieurs années lui ait signifié qu'elle se retirait du projet... Plutôt à une insatisfaction profonde dont il faudrait rechercher les implications entre les composantes existentielles des morsures du sexe, de l'intellect et des paradis artificiels. Chair, esprit et rêve, trois chevaux fous qui emmêlent un peu trop souvent les rênes de l'attelage... Exit Linda Kuehl.

 

JULIA BLACKBURN

 

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C'est en 2005 que parut le livre de Julia Blackburn consacré à Billie Holiday. Née en 1948, écrivain, intéressée par la manière dont chacun – anonymes ou célébrités – fait face à ses propres problèmes, elle a notamment écrit deux biographies sur Napoléon le titan déchu et Goya enfoncé dans sa surdité... Ayant eu accès à la somme de documents réunis par Linda Kuelh, elle a tenté de rédiger à partir de leur contenu une biographie des plus classiques de Billie Holiday. Mais elle s'est retrouvée face aux difficultés qu'avait déjà affrontées Linda Kuehl. Les serpents vivants ne se laissent pas découper en tranches aussi facilement qu'une bûche de Noël. Chacun des témoignages recueillis est une entité en soi. Ne rentrent pas dans les cases. Alors elle a opté pour la seule solution qui s'imposait : les donner tels quels, les uns à la suite des autres.

 

Petits bémols, ne donne qu'une grosse trentaine des cent cinquante interviews, la plupart résumés. L'accès aux véritables paroles prononcées ne nous est que trop rarement accordé. Nous explique que les conversations sont remplies de redites et de contradictions ( qu'elle signale dans les notes ) et que leur transcription est pénible à lire. Les régimes sans sel et sans sucre sont bons pour la santé mais ce qui donne le goût à la nourriture ce sont bien le sel et le sucre... Espérons qu'un jour l'intégralité des documents sera mis en ligne sur le net. Chacun aura alors la possibilité de se faire sa propre idée. Toutefois, tel qu'il est, le livre est une merveille.

 

UNE MERVEILLE

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Qui n'est pas sans défauts inhérents à sa constitution. Ceux qui ne connaissent rien de Billie Holiday auront peut-être intérêt à lire une vie de la chanteuse car l'ouvrage souffre d'un manque cruel, donne la parole à ceux qui ont connu la chanteuse inconnue et à ceux qui ont rencontré la star, mais aucun des intervenants ne revient sur les moments où la chrysalide ignorée est devenue aux yeux de tous le papillon multicolore. Brutale transition, il suffit de tourner une page pour que le statut de Billie se soit métamorphosé. Certains répliqueront qu'ils ont déjà tout ce qu'il faut à la maison puisque depuis longtemps Lady Sings The Blues trône dans leur bibliothèque sur le rayon de leurs livres préférés. Pour le moment nous nous contenterons de rappeler que Billie n'aimait guère son autobiographie...

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Le book est une descente prodigieuse aux joyeux temps de la ségrégation, de la prohibition, et du maccarthysme. Les interlocuteurs de Linda ne sont pas des anges, ne sont pas tout blancs et sont pour la plupart recouverts d'étranges zones de noirceurs. N'ont pas toujours été réglos avec Billie, ou avec d'autres, réécrivent l'histoire à leur façon, la mémoire leur fait défaut, comme chacun de nous ils possèdent quelques cadavres dans leur placard, sont convaincus que tout ce qu'ils pourront dire pourra être retenu à leur encontre... mais malgré tous ces atermoiements possibles, de la première à la dernière ligne l'ensemble pue l'authenticité. Moins le parfum des roses satinées que les fragrances des égouts qui débordent. Et puis il y a Linda, avec son charme et sa féminité qui ne laissent pas les hommes insensibles.

 

MISERE NOIRE

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Si Billie avait été la seule petite fille noire à connaître la misère, cela aurait été regrettable mais pas dramatique. Mais Billie n'est qu'une pièce du puzzle. C'est tout le peuple noir qui est rejeté dans les marges de la société blanche. Pour chacun, un seul impératif : s'en sortir coûte que coûte. Quel que soit le moyen employé. Le travail très rare et excessivement mal payé, la débrouille, les combines, les trafics en tout genre, le vol, le banditisme, le crime, la prostitution, et autres frivolités du même acabit. La communauté noire est un panier de crabes. Les blancs sont inatteignables, détiennent la force, les règles du jeu et les cordons de la bourse. Le noir s'attaque d'abord aux noirs. L'entraide, la pitié, la solidarité, sont de belles idées mais avant de prendre soin des autres l'on pense d'abord à soi. N'y voyez ni bien, ni mal : ce sont-là des notions de deuxième nécessité.

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A la misère sociale s'ajoute l'indigence affective que l'on rencontre aussi dans le quart-monde blanc – voir le récit de dans White Trash Blues de Ron Hacker in KR'TNT 234 du 16 / 04 / 15 – Sadie la mère de la petite Eleanor n'a pas une fibre maternelle très développée, sa fille lui sera toute sa vie un fardeau même lorsque l'enfant prodige pourvoira à ses besoins. Le père, joueur de banjo, Clarence Holiday, disparaît très vite, plus tard lorsqu'elle le retrouvera, ils s'entendront bien ensemble. Professent la même philosophie hédoniste de la vie... Sera en partie élevée par une grand-mère éloignée à Baltimore. C'est dans le nord, mais la cité est profondément raciste, les dernières émeutes noires survenues en avril 2015 témoignent encore d'une mentalité blanche très rétrograde.

 

FILLE ET FEMME

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Violée à onze ans par un voisin, prostituée à quinze ans. Dans le bordel où travaille sa mère. Un parcours sans faute. De quoi vous étendre sur le divan d'un psychanalyste jusqu'à la fin de votre vie. Genre de plaisanterie que seuls se permettent les riches. Les évènements dépendent de l'importance qu'on leur accorde. Rien que de très normal dans le milieu où elle vit. Pour Billie c'est clair : elle a davantage de choses en tête que dans le cul. Il est inutile de s'arrêter aux petits détails de l'existence. Commence à chanter dans les bars. Une manière plus agréable de se faire de l'argent de poche. Nous sommes en 1930.

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Billie grandit et apprend la vie facile, les bars, l'alcool, l'herbe, les pourboires... tapine un peu, c'est elle qui choisit, plutôt des gus qui lui plaisent et avec des dollars plein les poches, autant joindre l'utile à l'agréable. Les goûts de Billie s'affirment, ne fait pas la fine bouche devant une copine mais ce qu'elle préfère, ceux sur qui elle jettera son dévolu, la gloire venue, ce sont les hommes, les vrais, les durs, les mecs, les macs, ceux qui préfèrent vous filer un oeil au beurre noir que vous offrir une rose. Ou alors uniquement les épines. Un peu, beaucoup, passionnément maso, Billie.

 

LADY DAY

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La célébrité arrive à partir de 1933, elle enregistre et chante avec Benny Goodman, Lester Young, Duke Ellington, Count Basie, Artie Show... le livre ne s'attarde guère sur l'aspect musical, s'intéresse plutôt aux rapports de Billie avec ses propres musiciens. C'est elle la patronne, une duchesse, tout le monde lui obéit, parce qu'elle le veut, parce que c'est Elle. Ne joue pas à la vierge effarouchée, se dénude entièrement dans les coulisses sans qu'aucun ne lui manque de respect. Pas bégueule, et généreuse. Donne de l'argent, offre des tournées gratuites, ne tient pas ses comptes, dépense sans compter... Une artiste accomplie.

 

STRANGE FRUIT

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Les clubs de New York se l'arrachent. L'avenir s'annonce paisible et serein. Mais si Billie s'amuse beaucoup, elle n'en jette pas moins un regard aigu sur la société dans laquelle elle évolue, blanche et raciste. Elle refuse le privilège dû à sa célébrité de dormir dans un hôtel réservé aux blancs si l'on n'accepte pas ses musiciens, elle insulte ceux qui la traitent de négresse, les frappe, les chasse, leur jette son verre à la figure, n'hésite pas à les menacer de les égorger, geste à l'appui, une bouteille brisée à la main... Elle sait se faire respecter. Elle est la première noire, le premier noir, à ne pas baisser les yeux, à revendiquer sa négritude sans mot d'excuse... Par sa violence, par son intransigeance, elle préfigure davantage les Black Panthers que Martin Luther King.

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Courageuse. Tous ses proches lui conseillent de ne pas enregistrer Strange Fruit, cet hymne qui dénonce ( très poétiquement ) le lynchage ne pourrait lui attirer que des ennuis. Nous sommes en 1939, et jusqu'à la fin de sa vie Billie inclura systématiquement le morceau dans tous ses tours de chant, dans tous ses concerts. Elle le paiera très cher.

 

FBI

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Jusqu'à Strange Fruit en 1939, Billie n'est qu'une artiste. Les autorités surveillent, mais laissent faire. L'est vrai que ces nègres qui chantent et jouent cette musique d'entertainment qu'est le jazz se débrouillent pas mal pour des singes savants. Autour des cabarets l'argent coule à flots. Il graisse bien des mains et ferme bien les yeux. L'alcool, la drogue, la prostitution qui gravitent autour sont une économie parallèle qui enrichit beaucoup de monde. L'on daigne supporter cette musique de sauvage qui semble être l'ingrédient essentiel nécessaire à la confection de la potion magique.

 

Mais avec Strange Fruit, Billie Holiday change de registre. On ne la range plus parmi les amuseurs publics. Elle devient une activiste. Aujourd'hui on la taxerait de terroriste. La police s'intéresse désormais à elle. Puisque l'on ne peut pas l'assassiner – cela provoquerait trop de scandale – l'on appliquera la méthode lente. L'on attendra même plusieurs années avant de resserrer la nasse...

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Suite à une perquisition des plus douteuses qui permet de découvrir des stupéfiants dans sa chambre d'hôtel, on lui retire sa carte de travail, celle qui lui permet de chanter dans les clubs de New York qui constituent l'essentiel de son gagne-pain. Mal défendue, elle sera en 1947 condamnée à un an de prison... Avec la bénédiction de J. Edgar Hoover, le patron très controversé du FBI...

 

LES DIX DERNIERES ANNEES

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Ne pouvant exercer à New York, Billie s'épuise dans d'interminables tournées au travers des USA... Fatigues, dépressions, Billie devient accro à l'héroïne, sans dédaigner la cocaïne et le LSD... Les hippies n'ont décidément rien inventé... Ses amants ne sont pas de la meilleure fréquentation, les milieux jazz et la pègre entretiennent d'étranges relations de voisinage : les uns gagnent de l'argent, les autres fournissent des produits... La police ne la lâche pas d'une semelle. Sans cesse dans le collimateur. Elle donnera beaucoup de monnaie pour éviter le pire... Bientôt il ne lui restera plus rien. Les contrats se font rares, les campagnes de presse salissent son image, lorsqu'elle publiera son autobiographie en 1956, le livre sera expurgé de nombreuses pages, les anciens amis dont elle évoque en toute franchise le souvenir s'empressent de demander – au vu du manuscrit obligeamment fourni par l'éditeur – la suppression de nombreux passages sous peine de futures poursuites. La Lady a intérêt a chanté un blues d'un bleu très pâlichon...

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L'enregistre encore quelques merveilles, donne aussi quelques concerts somptueux, mais le coeur n'y est plus. Bouffie, grossie, en manque perpétuel, le corps déglingué par ses multiples excès, elle n'est plus la grande Dame qu'elle fut... Lorsqu'elle s'effondre et qu'elle est admise à l'hôpital, la police envoie un de ses « amis » lui rendre visite et déposer très discrètement quelques grammes d'héroïne sous son oreiller... Elle aura l'honneur d'agoniser et de mourir avec un policier en faction devant la porte de sa chambre.

 

A LIRE

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Je ne vous ai présenté que le squelette du livre. Faut entendre les voix qui racontent les fragments de la vie de Billie, ceux - assez rares - qui l'ont aimée et tenté de la protéger, ceux qui l'ont admirée sans mot dire, et ceux qui ont profité d'elle sans pitié ni regrets, ni remords. Une belle leçon d'humanité !

 

Billie n'y apparaît pas comme une blanche colombe innocente. D'ailleurs elle aurait détesté cela. L'on devine une personnalité entière, une forte individualité, très sûre d'elle-même, qui ne regrette rien, qui assume ses errements, ses choix. N'en fait qu'à sa tête et ne rejette les fautes sur personne. Un exemple pour les rockers.

 

Damie Chad.

 

 

13/05/2015

KR'TNT ! ¤ 235. DARRELL BATH + CRYBABYS / JALLIES / ONE DOLLAR QUARTET / LES ENNUIS COMMENCENT /ERVIN TRAVIS NEWS

 

KR'TNT !

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

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LIVRAISON 235

 

A ROCK LIT PR ODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

14 / 05 / 2015

 

 

DARRELL BATH + CRYBABYS / JALLIES / ONE DOLLAR QUARTET

LES ENNUIS COMMENCENT / ERVIN TRAVIS NEWS

 

 

 

ERVIN TRAVIS NEWS

Cette belle journée d'hier ne fut pas du tout la même aujourd'hui.
Tremblements, nausées et douleurs intenses dans tout le corps, acouphènes encore plus forts dès le réveil qui ont bien entendu entraîné un moral désastreux. Chutes de tension, puis hausses. Idem avec le rythme cardiaque et çà pendant des heures durant. Et pour couronner le tout, une légère paralysie du bras gauche avec la main enflée après avoir tenté un tour de pâté de maison.
Une difficulté respiratoire s'en est suivie, donc une prise de calmant pour stabiliser tout çà !
Ervin a fait encore mille efforts pour supporter tout çà et a mangé puis rebelote ! Un moment d'accalmie avant de passer du canapé au lit, heureusement ! Bref une journée ensoleillée mais seulement à l'extérieur... No more comment... Evelyne
Merci à vous ...

( contact FB : Lyme – Solidarité Ervin Travis )

 

 

 

DARREL BATH14 / 02 / 2015

 

LES TROIS PIECES / ROUEN ( 76 )

 

CRYBABYS14 / 04 / 2015

 

RUE CAUCHOISE / ROUEN ( 76 )

 

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LITTLE BIG BATH

 

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Sous sa casquette de Gavroche, il affiche un faux air de Ronnie Lane. C’est un petit gabarit, comme Plonk, Mac ou Stevie. Et comme eux, Darrell Bath dégage quelque chose qui ressemble à la classe, celle des géants de la scène londonienne, une race qui après avoir régné sur la terre entière semble aujourd’hui s’être réfugiée dans les ténèbres de l’underground. C’est là qu’on croisait Nikki Sudden jusqu’en 2006 et qu’on croise aujourd’hui Dave Kusworth, Steve Ellis, les Vibrators, Honest John Plain ou les deux Tyla.

 

Darrell Bath trimballe avec lui tout un pan de l’histoire du rock anglais. Ce guitariste étonnamment doué a joué avec les UK Subs («Oh I was just a baby !»), les Crybabys (qu’il vient de reformer avec Honest John Plain des Boys, eux aussi reformés), les Dogs d’Amour, Ian Hunter («Oh yeah it was kickass !») et aujourd’hui les Vibrators (où il remplace Knox pour les tournées). Les gens comme Darrell Bath sont les derniers héritiers de la grande scène anglaise des Sixties et des Seventies. Ils réinventent en permanence l’art sacré du rock anglais incarné par les Stones et les Small Faces. Tant qu’il existera des soul-shakers du niveau de Darrell Bath, la vie vaudra d’être vécue. Et grâce à l’indifférence des médias, Darrell Bath joue dans des bars devant trente personnes. Mais il ne se plaint pas. Pour lui, jouer, c’est tout ce qui compte.

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Alors le voilà seul sur la scène minuscule avec sa guitare acoustique. Il joue les morceaux de son album «Love And Hurt» plus quelques reprises dont un cut de Steve Ellis et l’un des grands classiques du rock anglais, «Debris» de Ronnie Lane - qu’on trouve sur «A Nod Is As Good As A Wink... To A Blind Horse», l’un des quatre albums des Faces - Il attaque ça tout seul, c’est un peu gonflé, car il n’a pas la bassline de Ronnie Lane qui soutient si bien la mélodie chant. Mais justement, il monte la mélodie au chat perché et soutient son chant avec un jeu de guitare complètement débridé qui semble l’embarquer dans le delta du Mekong et nous avec, car en trois minutes, il recrée une sorte d’infini de pureté mélodique. C’est un véritable tour de magie. Entre deux cuts il s’envoie de grandes lampées de Pastis. Il passe à la deuxième partie du set en branchant une Gibson SG. Il se perche sur un tabouret et tape dans Jimmy Reed. Il finit par un hommage à Nikki Sudden en reprenant «All The Good Times». Moment d’autant plus intense qu’il paraît complètement bouleversé. Il accompagnait Nikki sur ses trois derniers albums et on imagine aisément le vide qu’a dû laisser la disparition de son ami.

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Un petit conseil, rapatriez «Love And Hurt» paru sur Angel Air en 2010. Facile à trouver sur le net. Angel Air est un petit label anglais qui continue de sortir les albums de Jackie Lomax, de Steve Ellis, de John Fiddler (Medicine Head puis Mott - Darrell accompagne Fiddler en concert à Londres). Angel Air a fait un travail remarquable du vivant de John Du Cann pour rééditer tout ce qui était rééditable d’Atomic Rooster et d’Andromeda.

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Dès «Bit Of Your Pride», vous allez fondre, car Darrell monte sa mélodie chant à la slide et ça sonne comme du Nikki Sudden. Et tous les morceaux de l’album sont visités par la grâce de la slide. «Still Leaving» est une jolie pièce de Stonesy - greater affinity to Ronnie Lane than to Keith Richards - et pourtant le son est là, énorme de présence, riche, cooky, joué à la revoyure des vieux claqueurs d’accords de la scène londonienne. Toujours on the loose avec «Stop Talkin’ Bout Money», pur groove de gratte de cabane de Londres. Le son est tellement pur qu’il paraît primitif et évidemment, on pense à Ronnie Lane assis sur la marche de sa roulotte avec un dobro - Let’s get out of here - Et voilà qu’il se met à sonner comme les Faces avec «To Die For». Ça pue l’élégance à dix kilomètres à la ronde. Il enroule son cut au gimmick et ça devient infernal. Encore du mélodiquement imparable avec «Gimme A Choice», niveau Sudden, terrible et grandiose, car c’est gorgé de chant et de guitares - Just gimme a choice - L’album se termine avec deux reprises : le fameux «All The Good Times» de Nikki Sudden et là Darrell flirte avec le génie. Mais ce n’est rien du tout à côté de la version du fantastique «Flight 505» des Stones, vrillée par une descente caracolante de basse fuzz. Le son ! Darrell Bath est encore plus stonien que les Stones. Il envoie son 505 crever l’écran noir de nos nuits blanches, et la seule comparaison possible, c’est avec Ronnie Lane qui jouait son riff de basse fuzz dans «Rolling Over» avec un drôle de petit sourire en coin.

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Cette année est sorti un EP 5 titres, «Madame Zodiac» sur le petit label espagnol Sunthunder (qui édite aujourd’hui les albums de Dave Kusworth). La pochette s’orne de photos de singes déguisés et les cinq titres restent dans la veine de l’album Angel Air. Darrell prend «Dirty Rocky Road» à l’arpège de non-retour et renoue avec l’élégance suprême dans «Clingin On». Et bien sûr, il rend un nouvel hommage aux Stones des seventies avec «Trying To Live My Life Without You».

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Darrell joue sur trois albums des UK Subs : «Japan Today», «Europe Calling» et «Mad Cow Fever». On l’entend exploser les vieux riffs punk. Darrell est un guitariste qui ne traîne pas en chemin. D’ailleurs, il n’a pas le temps de réfléchir. Il faut jouer les barrés à toute vitesse, comme le faisait Johnny Ramone. Pas le temps de regarder les filles au premier rang. Les cuts d’«Europe Calling» sont enregistrés à Paris. Sur «Endangered Species», le pauvre Darrell gratte de plus en plus vite et il joue les virtuoses dans les virages, au risque de s’encastrer dans un platane. Merveilleuse pièce de punk buzzcockien que ce «I Robot» tenu aux chœurs des enfers. On retrouve l’excellente dynamique de «Spiral Scratch». Mais en règle générale, les Subs vont beaucoup trop vite. Il faut attendre le mid-tempo «You Don’t Belong» pour entendre Darrell placer l’un de ses fabuleux phrasés décousus. Et quand les Subs passent à la pop musclée, alors ça devient très intéressant, comme sur «Strangehold». Plus loin, Darrell parvient à placer un killer solo dans «I Live In A Car». On trouve pas mal de bonnes reprises sur «Mad Cow Fever» : «I Walked With A Zombie» de Roky Erickson (bien zombique), «Roadhouse Blues» des Doors (idéal pour la flash guitar de Darrell - mais le pauvre Charlie Harper tente de faire son Jimbo et ce n’est pas gagné), «Talking ‘Bout You» de Chuck (pas de jus), «Roadrunner» de Bo (version marrante, car les Subs reviennent aux basics du British Beat, mais c’est quand même un peu moins sauvage que chez les Pretties), «Route 66» (beaucoup plus wild et Darrell fout le feu à la prairie, car il joue exactement comme Wayne Kramer, oui, il renoue avec le panache du MC5, et ça donne une version fantastique. Darrell joue comme un démon), «Pills» (bel hommage aux Dolls et là Darrell fait son Johnny alors ça tourne à l’énormité. Ils sont dessus et c’est complètement effarant de véracité cavalante) et «Baby Please Don’t Go» (les Subs tapent dans la vieille rythmique des Them, mais avec un son plus clair, et ça tourne au morceau de batteur). Ils finissent avec «Ecology Blues» où Charlie Harper s’amuse à chanter comme Dylan. L’autre gros cut de l’album, c’est «Welfare Mother». L’ami Darrell y éclate bien les limites du son subien en enroulant et en déroulant son tapis magique. Il est partout et joue à l’incisive, à la cocote, au volontaire, à la ramasse, à l’injonction et à l’avenant. Terrible guitariste !

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«Japan Today» est un album Live. Knox des Vibrators fait aussi partie du voyage. On trouve sur cet album quelques belles pièces de rock classique comme «Another Cuba» ou «Comin’ Back», plus psycho. Darrell cocote sec sur «Sex Object», qui semble même un peu knoxé. Charlie Harper chante ça avec sa voix de gros dur et on a un bon beat. Inutile de courir, il faut partir à point. Les Subs font partie des bons groupes de rock anglais. Charlie Harper sort le grand jeu cockney des tavernes de l’East End pour «Hey Santa», ils se moquent des surfers avec «Surf Bastard» et Darrell fait son festival pyrotechnique dans «Street Legal».

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Curieusement, on retrouve l’amigo Bath sur le meilleur album des Dogs d’Amour, «More Unchartered Heights Of Disgrace» paru en 1993. Pourquoi meilleur ? Parce que les guitares, justement. Sur cet album, tout est résolument énorme et on mesure la présence de Darrell à la différence de son qui existe entre cet album et les autres, non pas que Jo ‘Dog’ Almeida soit un mauvais guitariste, loin de là, mais il n’a pas l’exubérance et la richesse stylistique d’un Darrell Bath. Cet album n’est qu’une fantastique broussaille de rock anglais emmenée à grand train. Tout est travaillé aux guitares, jusqu’à la folie. Dans «CDR Addiction», on note la violence du beat de Bam, c’est véritablement une explosion de bons sentiments. Avec cet album, les Dogs sont pleins de son, plein d’accords et de chœurs. L’étendard du rock anglais claque au vent. Encore une pure merveille avec «Johnny Silvers» (hommage à Johnny Thunders) et ses brassées d’accords à l’accolade. Tyla et Darrell jouent la carte du ramdam maximaliste et grattent comme des sauvages. Tous les morceaux de l’album sont inspirés jusqu’au trognon du croupion. La meilleure énergie y bouillonne. C’est noyé de slide et d’écho. Le pire c’est qu’à l’époque, cet album est passé à l’as. Encore plus spectaculaire : «Cath», une véritable énormité traversière. Quand on a un disque comme celui-là dans les pattes, on devient dingue. Une bassline démente entre en contradiction avec le thème musical du cut. Nous voilà plongés au cœur de la bienséance britannique. La bassline de Steve James broute la motte du cut. «Scared Of Dying» n’est rien d’autre qu’une jolie pièce de heavy push de clock-rock angloïde. On croyait que la power-pop était réservée aux groupes américains. Voilà l’éclatante preuve du contraire ! Encore plus allumé : «CDR Barfly», claqué au beignet de l’excellence, complètement ravagé par les démences d’une certaine latence. Avec Darrell dans le groupe, les Dogs d’Amour explosent. Steve James balance encore une fois une bassline de rêve et les intrusions de guitare sont dignes de celles qu’on entend dans «Parachute» des Pretties. Et ils bouclent cette infernale équipée avec «Put It In Her Arm», une nouvelle énormité qui explose les lieux communs et que vrille un solo d’antho à Toto.

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L’année suivante, Darrell accompagne Tyla sur «The Life & Times Of A Ballad Monger», l’un de ses innombrables albums solo. On le voit enrichir les gros balladifs cousus de fil blanc du grand Tyla. On reste avec cet album dans l’ambiance romantico de rockers chevelus et bandanatés à la sauce londonienne. Derrière Tyla, Darrell tricote comme un beau diable. On se régale de balladifs ensorcelés comme «Bloody Mary» ou «Where Were You», précieux et comme ciselés dans le son, terribles car si présents. Tyla n’en finit plus de chanter tous ces balladifs, il en remplit des dizaines et des dizaines d’albums qui se font rares comme les cheveux sur la tête à Mathieu. On se doute bien que Tyla fonctionne comme un écrivain. Il remplit méthodiquement des albums d’histoires qu’il met en musique. C’est un productif et même un prolifique assez doué. En attendant, Darrell se montre très courageux, car il continue d’accompagner Tyla sur ces innombrables cuts qui se ressemblent tous comme des gouttes d’eau. Tyla chante «Daddie’s Dead» d’une voix de pirate qui a la gueule de bois, mais le problème c’est que Keith Richards est déjà passé par là avec «You Got The Silver». Et puis on se demande pourquoi dans son poème de fin, «King Of The Street», Tyla évoque Beverly Hills alors qu’il vit à Londres, une ville infiniment plus captivante.

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En 1995, Darrell, Casino Steel et Honest John Pain montent un coup fumant avec Glen Matlock : ils invitent Ian Hunter à venir chanter quelques morceaux à Abbey Road - «A right bunch of unsavory characters», comme le dit si bien Ian Hunter - On retrouve ces morceaux sur «Dirty Laundry», un album bom-bas-tic. Dès le premier cut, on sent le souffle, comme dirait le Nougaro le Nougaman. «Dancing On The Moon» est une barbarie à la Chuck Berry. On note au passage l’incroyable élégance de la bassline du grand Glen Matlock. Puis ça se met à chauffer pour de bon avec «Another Fine Mess», et on retrouve tout ce qu’on aime dans le rock anglais : l’énergie, la mise en place et le son qui tue les mouches. C’est une structure boogie, mais pas n’importe quel boogie, celui du diable. «Never Trust A Blonde» est une compo de Darrell qui nous plonge une fois de plus le museau dans une pavane de son, car le groupe sonne comme les Faces, rien de moins. Ian Hunter avoue dans le booklet qu’il a adoré cette session et ça s’entend dans «My Revolution» qu’il dit être un update de «Saturday Gigs». Il renoue avec la grande époque de Mott. Hunter chante avec une classe incomparable. Pour les Boys, derrière, c’est une bénédiction que d’accompagner un chanteur pareil. «Everyone’s A Fool» est une autre compo de Darrell et on sent une fois de plus la belle empreinte de la Stonesy. Franchement, cet album est une merveille, car on y retrouve le son des Faces, celui des Boys et celui de Mott The Hoople. Quoi de plus enviable ?

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Darrell retrouve son copain Honest John Plain en studio pour enregistrer le fantastique «Honest John Plain & Friends». On atteint là les sommets de la pop anglaise, notamment avec «That’s Not Love», un cut digne de la grande époque de Phil Spector. Matt Dangerfield - co-fondateur des Boys avec Honest John Plain - chante cette petite merveille. On sent revenir la grandeur des Boys. Darrell chante un «Vaya Con Dios» complètement déjanté. Ils sortent un son plein, comme au temps des Faces. Puis Honest John Plain revient à sa pop géniale avec «Messed Up». Quel délire ! Darrell et lui deviennent extraordinaires de connivence et de pis-aller. Ces gens-là y croient comme ce n’est pas permis d’y croire. En fait, Honest John Plain ne rassemble ses amis que pour rigoler et jouer des belles énormités. Encore de la sacrée pop anglaise avec «Thin Ice» - Don’t you ever leave me catch it with my girl - C’est d’un niveau nettement supérieur, stupéfiant de classe et de montée au créneau. Ginger vient jouer de la basse dans «Marlene» et Honest John Plain chante «Horrible Woman» en cockney. Plus loin, Darrell chante «Tune Up The Violins». Il est dessus. À sa façon. Fantastique ambiance à la Mungo Jerry et ça frise même le Slim Chance.

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Ian Hunter refait appel à Darrell pour l’enregistrement de «The Artful Dodger» en 1997. Mais les copains de Dirty Laundry ne jouent que sur un ou deux cuts. Ian Hunter passe au balladif océanique à la Richard Hawley avec «Now is The Time». Et sur «Ressurrection Mary», il se prend carrément pour Dylan. En fait, il revient au deal que lui proposa Guy Stevens au moment de la formation de Mott The Hoople : Stevens voulait un groupe qui sonne à la fois comme les Stones et comme Dylan. Alors Hunter s’embarque dans une sombre histoire de rencontre avec Marie on a wild Chicago night with the wind howlin’ white, puis il dit adieu à Ressurrection Mary. Honest John Plain radine sa fraise sur «Walk On Water» et ça prend aussitôt des proportions considérables. Retour en force du grand rock anglais - The grace of God go ! - Pareil sur «23A Swan Hill», Honest et Darrell cocotent comme deux larrons en foire. Ils font des chœurs extraordinaires. Le pauvre Ian Hunter paraît bien fade en comparaison de ces deux géants du good time rock. Le morceau titre sonne comme le meilleur Mott. Une fois encore, Darrell et Honest s’amusent comme des petits fous. Ils allument littéralement le cut - I say yeah yeah yeah - Et ils font un véritable festival. Franchement, si on apprécie la veine Faces/Mott du rock anglais, il faut suivre ces deux-là à la trace.

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Et on passe tout naturellement aux Crybabys dont les trois albums sont chaudement recommandés. Leur premier album «Where Have All The Good Girls Gone» paraît en 1993. Marc Duncan des Boys y joue de la basse. Les Crybabys reprennent le flambeau de Mott et claquent leurs cuts aux accords rock’n’roll. «You Don’t Have To Wear Boots To Be A Cowboy» patauge dans le bon classicisme. Ça frise même le Exile on Main Street. Même chose pour «This Is What We Want». Ils ne quittent pas le pré carré Mott/Exile. Puis ça vire au Ronnie Lane avec «Remember To Forget». Même fil mélodique que «Debris». Retour au Mott sound avec «Lovin’ What’s Left». Honest John Plain chante exactement comme Ian Hunter. On sent la dévotion. Ils offrent une belle suite au mythe Mott. Puis Honest revient aux Boys avec «Money». C’est son truc. Comme Knox, il tape dans le rock classique avec une niaque réelle, dure comme de l’acier. Encore une grosse compo d’Honest avec «European Girls». Il fait dans le trépidant et Darrell balance un «Too Hot To Last» de rêve. Voilà un gaillard qui sait tournebouler ses accords.

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Quand on ouvre la pochette de «Rock On Sessions» paru en l’an 2000, on lit : «Probably the best rock’n’roll band in the world». Évidemment, car dès «All The Way To Hell And Back», on retrouve tout l’éclat et tout le panache du rock anglais bardé d’accords. Voilà un cut spectaculaire et jouissif. Ils prennent «Some Do» à la Marc Bolan. C’est à ne pas croire. Ils font jaillir dans le cœur du glam des brassées d’éclairs jaunes et d’éclats de platform boots. Ils enchaînent avec «The One That Got Away», un balladif paradisiaque sans équivalent sur le marché des équivalences. On tombe plus loin sur «Sha La La La Good Good Times», foutrement bon et juteux, bourré de dynamiques mystérieuses et de vieux relents de Stonesy, c’est fouillé et aristocratiquement produit. Retour au son des Faces avec «Rocking Myself To Sleep». Ces mecs sont atrocement doués et superbes d’élan. Leur album est bien meilleur que les albums des Faces, c’est dur à avaler, mais c’est pourtant vrai. Chez les Crybabys, tout est bien foutu, serré, farfouilleux, plein d’élan, avec des redémarrages en côte. S’il existe un supersonic rocketship en Angleterre, c’est bien les Crybabys. Avec «Baby Mystery», on a de la power pop éclatante d’entrée de bord. Du pur Darrell Bath.

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«Daily Misery» paraît deux ans plus tard. Ils reviennent inlassablement au son des Boys. Tout est drivé aux guitares. Dans «Back Street Girl», ils lâchent des aw aw à la Bowie. C’est chanté avec une classe insondable. Quelle foison ! Ils tapent une reprise somptueuse d’«I Want You», l’immense classique de Bob Dylan. On les sent aussi fascinés par le Dylan électrique que le fut Mick Farren lors du mythique concert de l’Albert Hall. Darrell et Honest embarquent cette tranche de mythe à la folie. «Sad Sad Girl» ? On ne peut pas rêver plus belle pièce de pop sixties. Ils reviennent au boogah de Mott avec «Staggerin’ Lengths» et terminent avec un morceau titre cocoté à l’ancienne. On sent chez eux des envies d’évoluer vers des mondes meilleurs. Ils farcissent leur son de guitare acoustique, ça chante perché et ça vire cockney. Que demande le peuple ?

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Et comme le Crybabys viennent tout juste de se reformer, les voilà en France pour une mini-tournée à cheval sur le Disquaire Day. Miracle, le soleil brille sur Rouen ce jour là et les Crybabys peuvent jouer dans la rue. Darrell et Honest John Plain s’installent sur des tabourets en plastique et se mettent à gratter leurs guitares sèches devant un minuscule attroupement composé de gens prévenus et de badauds.

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Ils font leur petit festival, gratouillenent quelques brillants classiques dont un «Tell Me» des Stones et saluent la compagnie. Ils ne traînent pas, car le soir-même ils doivent jouer à la Méca en compagnie des Derellas. Impossible d’aller les voir, car la Twingo est toujours dans le coma et bien sûr ça n’intéresse personne de se taper le trajet jusqu’à Paris pour aller voir un groupe qui n’attire que quinze personnes dans un showcase gratuit.

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Revenons à 2000. Darrell lance un nouveau projet : Sabre Jet. L’album s’appelle «Same Old Brand New». Il est passé à l’as, évidemment. Là-dessus, Darrell sonne le plus souvent comme Ronnie Lane, avec un brin de décadence. Il revient à la Stonesy dans «Never Trust A Blonde» et s’offre une grosse intro à la Free dans «That’s Not Really What Love’s All About», puisqu’on se croirait dans «All Right Now». Awite ! Il chante «Just Be True» en cockney et cocote bien son riffage. On touche au but avec «Something I Can’t Give Away», un énorme slowy slowah visité par une guitare spatiale à la Nikki Sudden. Darrell fait claquer ses arpèges dans «Pawn Shop» et il passe au pur bomabastic avec «E26», doté de la plus coriace des rythmiques.

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On le retrouve aussi sur «Punk Mania», le dernier album des Vibrators. Plus ça va et meilleurs sont les albums des Vibrators. C’est simple : tout est bon sur ce disque. Knox prend «Retard» d’une voix de menton et le beat sautille, comme au bon vieux temps. Cette vitalité n’existe que chez les Vibrators. Inutile de la chercher ailleurs. Knox et Aretha ont un gros point commun : l’incapacité de faire un mauvais disque. Darrell prend «Love Like Diamonds» au chant et balance l’un de ces cuts denses et bien ficelés qu’on revient écouter en cachette. Puis Knox saute dans le railroad train pour «No Sweat». Fan-tas-tique ! Knox possède le don de bricoler les rocks les plus terribles. Encore pire : «Bleed To Death» que nous cocote Darrell le mercenaire. Les Vibrators enregistrent les meilleurs disques de rock de notre époque mais peu de gens sont au courant. Eh oui, il faut commencer à s’habituer à cette idée : Knox est un génie du rock anglais. Puis ils explosent «The Ohio» aux guitares. Pas de pitié pour les oreilles boiteuses. Knox retrouve sa veine glam avec «She’s A Girl». Il adore exploser la rondelle de la pop - aw ouh ouh - Il l’expédie ensuite en enfer. Puis Darrell revient au chant pour «Rats» et il s’en sort avec les honneurs. Le petit Darrell se retrouve en effet au cœur de la pire fournaise d’Angleterre, celle des Vibrators et ça tourne à l’extravagance. C’est violenté aux guitares - Pussy cat ! Just a big fat rat - On a là tout ce qu’on aime, le rock anglais bien gras et écœurant de classicisme. Tout le monde s’amuse avec pussy cat et les too many rats. Comme Knox ne s’arrête jamais, il repart aussi sec avec «Turn The Radio On» pour piquer sa petite crise de power-pop infectueuse. On a là un cut terrible secoué aux clap-hands et gorgé de classe. Darrell ressort ensuite son «Just Be True» et shoote un vieux coup de Faces dans le cul flappi du mythe Vibrators. Il chante en cockney et rien que pour ça, il mériterait de finir au Panthéon, juste à côté de Jean Jaurès. Darrell fait le lien entre deux vagues majeures du rock anglais, celle des Faces et celle des Vibrators, deux phares dans la nuit qui s’envoient des signaux. Non seulement c’est un véritable exploit, mais en plus ça dégouline d’inspiration. On revient ensuite au son sec des Vibrators des origines avec «The Other Foot». Knox y va de bon cœur. Il file tout droit, le visage balayé par des vents de guitares. Encore plus saqué : «I Wish I Had A Gun». On retrouve ce mélange de beat seco-serré et de grosses envolées de chorus paradisiaques. Ça tourne comme d’habitude à l’énormité cavaleuse. On croit qu’on va s’y habituer, mais non, c’est impossible. En fin de disque, ils tapent dans le «Slow Death» des Groovies. Le souffle de la basse emporte les arbustes desséchés - Call the doctor - Ils jouent ça épais - I call the preacher - Ils tapent à coups redoublés dans la gadouille de ce vieux mythe puis ils enchaînent avec une extraordinaire chanson à boire, «Get Me A Beer». Franchement, Knox exagère : il est complètement pété et il envoie sa copine chercher un verre ! A-t-on déjà vu chose pareille ? Et pour corser l’affaire, Darrell vérole le cut à la guitare pendant qu’une soif d’absolu s’introduit sournoisement dans le refrain.

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Signé : Cazengler, Bathifoleur

 

Darrell Bath. Le Trois Pièces. Rouen (76). 14 février 2015

 

Crybabys. Rue Cauchoise. Rouen (76). 14 avril 2015

 

Darrell Bath. Love And Hurt. Angel Air 2010

 

Darrell Bath. Madame Zodiac EP. Sunthunder Records 2014

 

UK Subs. Japan Today. Fall Out 1987

 

UK Subs. Europe Calling. Released Emotions 1989

 

UK Subs. Mad Cow Fever. Fallout 1990

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Crybabys. Where Have All The Good Girls Gone. Receiver 1991

 

Dogs d’Amour. More Unchartered Heights Of Disgrace. China 1993

 

Tyla. The Life & Times Of A Ballad Monger. Polydor 1994

 

Ian Hunter. Dirty Laundry. Cleveland International 1995

 

Honest John Plain & Friends. ST. Feedback 1996

 

Ian Hunter. The Artful Dodger. Citadel 1997

 

Crybabys. Rock On Sessions. Action Records 2000

 

Sabre Jet. Same Old Brand New. Delicious Records 2000

 

Crybabys. Daily Misery. Angel Air 2002

 

Vibrators. Punk Mania. Cleopatra Records 2014

 

LE GLASGOWFONTAINEBLEAU

 

07 / 05 / 2015

 

ONE DOLLAR QUARTET / JALLIES

 

L'on croyait être tranquilles, le Grand Phil et moi. Une soirée en douce, à Fontainebleau. Seuls en compagnie des divines Jallies. Total, l'a fallu prendre deux voitures. Parce que les copines jalouses comme des teignes ont rameuté tout un féminin escadron de sauvegarde. Nous vivons vraiment dans une société de surveillance accélérée. Pas de remords, c'était râpé d'avance. Apparemment l'on n'était pas les seuls à avoir eu la même idée. L'on a regretté de ne pas avoir pris nos machettes pour nous frayer un passage jusqu'à l'entrée du bar. A croire que la jeunesse bellifontaine habite en permanence dans la Rue du Coq Gris. Sans compter un détachement des Loners de Lagny et même Billy et Isabelle de Troyes. Les Jallies possèdent désormais un contingent de supporters fidèles et enthousiastes. Et plunk ! Dans la foule entassée l'on tombe sur un Ange – pas le genre de truc à nous effrayer – accompagné de la sémillante Lola. Vous ne connaissez pas Lola. Nous depuis qu'elle était toute petite, et maintenant qu'elle a grandi elle vient écouter pour la première fois les Jallies et est toute étonnée d'apprendre que depuis plusieurs années... ah ! Cette jeunesse qui croit découvrir l'Amérique après Christophe Colomb !

 

Oui mais en attendant, les trois colombelles ne sont pas sur la balancelle. N'y a que Cross et Tom sur la scène, et horreur horrible ils sont rejoints par deux individus de sexe tristement mâle. L'on attendait les trois Grâces et l'on a droit aux quatre mousquetaires. En plus ils sont fauchés comme les blés, et le proclament bien haut. Voici le One Dollar Quartet. Du rock non côté en bourse. Mais couillu.

 

ONE DOLLAR QUARTET

 

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Démarrent au quart de tour pile à l'heure par Rock Around The Clock. Un titre qui annonce le programme. Des reprises de classiques du rock. Rip it Up et Blue Suede Shoes, vous avez une idée du profilage. Du tellement entendu qu'il vaut mieux ne pas se vautrer. Cross à la contrebasse, Tom à la guitare, Axel à la batterie - caisse claire améliorée, surtout une grosse bertha qui vous cogne à l'estomac, ce qui est idéal pour parfaire les abdominaux. C'est à Mykeul que revient la redoutable tâche de mettre le bébé au monde. Va très bien s'en tirer, belle voix qui une fois chauffée s'ornera par moments – notamment sur Shake Rattle And Rock - de reflets elvisiens du meilleur effet. Un chanteur qui ne fait pas semblant de s'encombrer d'une guitare sèche pour se donner une contenance. Son corps, sa voix et un micro. N'a besoin de rien d'autre.

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Sur le fil. Ce n'est pas facile, si vous êtes trop près des originaux l'on vous taxera de ringards sans personnalité, si vous vous en écartez trop l'on vous reprochera vos criminelles fantaisies attentatoires. C'est Tom qui sauve la situation, guitare hyper fluide qui envole le groupe sans jamais oublier le groove. Ils ont compris le piège. Y échappent en colorant de noir leur répertoire, nombreux morceaux de Little Richard et de Chuck Berry, le blues qui colle et le rythm and blues qui décolle, entre les deux un espace où se glisser et surfer pour déployer l'énergeia aristotélitienne des petits blancs en colère.

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En cinq morceaux, l'unanimité se fait en leur faveur, la salle s'est remplie à ne pas y ajouter la moitié d'un pois cassé. Ça s'agglutine comme de la colle sur une rustine, et le One Dollar Quartet prenant conscience qu'ils ont créé une complicité avec le public repart à l'attaque à chaque morceau. Tom qui fusèle les riffs comme ces minces bandes d'aluminium que jadis les chasseurs rejetaient pour brouiller les radars ennemis en diffractant et dispersant en mille azimuts les échos mortels, Cross qui rôde autour de sa basse tel l'assassin à la recherche de son crime et ne pouvant s'empêcher de hurler à plein poumon afin de libérer le trop plein d'énergie qui le survolte et Axel qui pousse au rythme à croire qu'il désire vous précipiter sans rémission du haut d'une falaise.

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Mykeul ne s'en laisse pas compter par les trois ostrogoths qui ne le lâchent pas d'une semelle. Sont derrière lui comme la meute aux trousses du cerf, mais il tient la course en tête, ne se laisse jamais dépasser. Si la guitare de Tom passe devant, c'est lorsqu'il a fini son couplet. Ne se laisse pas voler sa part, c'est après que Tom rapplique et alors il ne ménage pas sa peine. Plus la section rythmique qui baratte le beurre du rock and roll à la dynamite.

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Un Long Tall Sally à décoiffer les baobabs et un Thirty Days que l'on aurait rallongé jusqu'à la fin du calendrier, et c'est la fin. Le One Dollar Quartet nous en a donné pour notre argent. Du bon son, bien mis en place, z'ont remporté la caisse et fait sauter la banque. Du coup tout le monde a une frite d'enfer, comme si l'on avait sucé des barres d'uranium enrichi toute la soirée.

 

JALLIES

 

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Sont-là, à quinze centimètres toute souriantes. Devant elle un exemple frappant de surpopulation terrestre démentielle, et il en reste quatre fois plus dans la rue qui ne pourront pas rentrer. Logiquement vu la coagulation exponentielle du public personne ne devrait parvenir à agiter le moindre petit doigt. N'ont pas entamé We are The Jallies depuis trente secondes que la salle entière chaloupe sur elle-même atteinte par une soudaine épidémie de tremblante du mouton. Ensuite elles nous avertissent, These Boots are Made for Walkin', oui maîtresses, tout de suite et chacun reprend le refrain en choeur aussi fort que les esclaves de Nabucco.

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Une pensée émue pour Tom et Cross qui repartent pour un tour. Pas vraiment fatigués, la guitare de Tom se faufile sous les soubassements embroussaillés de la Big Mama de Cross, tous deux s'amusent à un étrange jeu de go, la noirceur fureteuse de la up-right bass et les strates lumineuses de la Fender de Tom, jouent à la souris blanche qui poursuit le gros chat noir, et lorsqu'ils arrivent face au mur, ils repartent dans l'autre sens la proie devenant prédateur et vice-versa à l'autre bout de la cloison. Rien n'est laissé au hasard, l'on a affaire à des joueurs subtils, retournent à tour de rôle les cases du damier, un plan en perpétuelle évolution mais concertée, la rapidité rythmique de la partie touche à la tactique du retournement non-aléatoire de la pensée philosophique. Mais la vie est injuste. Ils sont les profondeurs mugissantes de l'océan et nous ne regardons que l'écume pétillante qui virevolte sur la crête du tsunami.

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Jaillissent les Jallies, ronde entrelacée du swing et du charme. Ensorcelantes. Plus swing que d'habitude et moins rockabilly pour ce début de concert. Ce qui ne dérange personne. Envoûtantes. L'enthousiasme de Céline, le sourire malicieux de Vaness, la fausse candeur de Leslie, vous agitez et vous répartissez les attributs en un autre ordre, de toutes les manières quelle que soit la combinaison, c'est le tiercé gagnant à chaque coup. Explosives. Trois piles atomiques de joie souveraine. Vous emportent en un tourbillon de dessin animé. Trois coups de caisse claire et votre vie de citrouille se transforme en rutilant carrosse capitonné. Carpe Diem. Avant qu'il ne soit trop tard. Avant que la fête ne s'éteigne. Avant que les Jaillies ne disparaissent comme s'évanouissent les lutins des sables.

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L'on n'en est pas encore-là. Le set se termine, sur Goin' Up To The Country lorsque Vincent du public est prié de rejoindre la scène avec son harmonica. Mais ce n'est pas fini, Mykeul et Alex de One Dollar Quartet sont rappelés illico presto pour un boeuf géant des herbes bleues du Kentucky. C'est le grand huit sur scène, un Shakin' Goin' On à vous fendre les rotules, un Be Bop A Lula très sixty de Mister Gene Vincent, et un éblouissant Mojo qui va worker très dur durant un long moment. L'harmo du dénommé Vincent qui nous dégringole au fin fond du dernier des cercles des enfers de Dante et Mykeul qui mène et attise le bal des pompiers pyromanes.

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Définitivement fini. Les vêtements trempés de sueur c'est la ruée dans la fraîcheur de la nuit. Autour de nous que des visages heureux. Miracle des Jallies. Notre escadron volant nous assaille de questions intéressées : quand est-ce qu'elles repassent ? Vous nous direz la prochaine date ? Quelles voix ! Quel allant ! Quel entrain ! Comment vous les avez connues ? D'où sortent-elles ? Avec le grand Phil nous échangeons des regards navrés, si les filles s'y mettent aussi, c'est foutu pour nous, elles vont monter un fan-club si on les laisse faire !

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Damie Chad.

 

( Les photos prises sur le FB des Jallies sont de leur dernière escapade au bord de la mer )

 

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UNE ENNUYEUSE AFFAIRE

 

FAUX-DEPART

 

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Fidèle à sa promesse ( voir KR'TNT 234 de la semaine précédente ) en ce samedi neuf mai, baigné par un beau soleil noir, puisqu'il s'agissait du Festival de la C. N. T, la Teuf-Teuf m'a aimablement déposé près de La Parole Errante – beau lieu de culture populaire que la municipalité de Montreuil aimerait rayer de la carte afin de le remplacer par un projet locatif beaucoup plus lucratif. Des chiens qui courent, des enfants qui s'amusent, des conférences, des discussions, des militants exaltés, des militantes exaltantes, des tables de livres rebelles et même deux éventaires de disques bruyants , z'y avions retrouvé par exemple du Angry Cats et du Midnight Rovers déjà chroniqués dans votre rock blog préféré, et bien entendu j'ai fait main basse sur quelques ouvrages musicaux dont je vous reparlerai dans de prochaines livraisons. Bref, une journée passionnante et conviviale. J'aimerais...

 

Ma probité de chroniqueur m'interdit de continuer. De fait ma journée ne s'est pas du tout déroulée ainsi. Voici donc un descriptif beaucoup plus proche de la triste réalité.

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DEPOSITION

 

Par les interstices des volets, il y avait comme des lumières qui clignotaient dans la rue. Mais il ne faut pas trop en demander à un rocker de très bon matin. C'est si près de l'heure où cette déplorable engeance a l'habitude de se coucher. C'est lorsque l'on a commencé à tambouriner très violemment à la porte que j'ai ouvert un œil. Paresseusement le gauche, pour ceux qui sont friands des petits détails qui accumulés forment la Grande Histoire, celle que l'on raconte à nos innocentes têtes blondes à l'école. Puis abruptement le droit, lorsque un aboiement rogue de doberman en colère a retenti : «  Ouvrez, Police ! ». Pas un plaisantin, n'ai même pas eu le temps de bouger l'auriculaire qu'une rafale de fusil-mitrailleur a eu raison de ma serrure. Non, je n'aurais pas dû... ai-je pensé mais c'était déjà trop tard, deux espèces de baraques en béton armé se sont ruées sur moi, m'ont en un tour de main passé les bracelets et trois minutes plus tard, dans mon pyjama à rayures bleues – celui que m'a offert ma maman pour mon anniversaire – j'étais trimballé à fond de train vers le comico ( rien de comique ) central pour interrogatoire poussé.

 

Les deux armoires à glace n'en pouvaient plus. Avant même d'entrer le bureau ils n'ont pas pu s'empêcher de hurler : «  Chef ! On le tient ! C'est signé, il y a même des traces de sang sur son pantalon, le labo est formel, correspond à celui de la victime ! ». Et splaff, ils m'ont assis sur une chaise en face du bureau vide. Le chef n'était pas là. D'ailleurs de loin on a entendu sa voix : «  C'est bien les gars, posez les clefs des menottes sur mon sous-main, laissez-le seul, j'arrive, ne vous inquiétez pas, je finis de faire pipi et je m'occupe de lui. Vous avez fait du beau boulot, rentrez chez vous, vous le méritez. »

 

Sont sortis, et le Chef est entré. M'a direct envoyé deux grands coups de pieds sur le dossier de la chaise et une grande claque amicale sur l'épaule. « Alors Damie, on ne reconnaît plus les copains ! ». Non de Zeus, bien sûr, j'étais sauvé !

 

( … cher lecteur si tu ne comprends pas la scène précédente c'est que tu as oublié de lire la fabuleuse aventure du Café de la Poste relatée dans notre 177 ° livraison du 20 / 02 / 14 … )

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«  Avoue que j'ai super ficelé la mise en scène – s'est exclamé le Commissaire – j'espère que tu n'as pas oublié, ce soir concert de Les Ennuis Commencent, je tiens mes promesses la voiture de fonction avec le gyrophare est prête. J'ai même deux motards pour nous ouvrir la route, c'est quand même beaucoup plus classe ! On passe d'abord à la maison pour l'apéro ! »

 

( à suivre )

 

 

LA FELINE / PARIS / 09 – 05 – 15

 

LES ENNUIS COMMENCENT

 

( LOST ROCKABILLY )

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Vingt heures. Une dizaine de personnes zonent devant La Féline. Par la porte entrouverte je zieute à l'intérieur. La scène tout au fond avec le matos du groupe prêt à l'emploi, le bar à droite, une étagère à gauche, trois posters, des murs peints en noir, tout est parfait. Sauf ce gars collé contre la vitre de la porte. A peine le regardai-je que je le reconnus : KLX le guitar héros du grand Sud-Ouest, et l'autre là-bas contre la vitrine c'est Atomic Ben qui m'accueille dans ses bras. Tout va bien. Selon une stricte logique surréaliste. Je vous avertis Les Ennuis Commencent.

 

La nuit aussi. A tomber. Vingt et une heures trente. La Féline est pleine. Des jeunes en masse. Discute avec l'un d'eux qui arbore un T-shirt des Spunyboys. Comme l'année dernière au Café de la Poste, fidèles au poste voici Jezebel Rock, venus saluer les pirates surgis du Sud natal pour leur raid parisien annuel.

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Sont sur scène. Je vous les présente : contrairement aux légions romaines qui exposaient les jeunes recrues au premier rang dès le début des engagements, ils ont placé le dernier-né tout au fond et pour qu'il ne s'ennuie pas ils lui ont donné un kit de batterie. Mille fois mieux qu'un poste de télévision, le gamin ne quitte pas son joujou ( qui fait crac boum ) d'un quart de seconde, s'applique et se défonce, ne prend même pas le temps de lever les yeux pour nous regarder, totalement obnubilé, Hugo le Kid est son nom, et Pat Garret risque de perdre son duel avec ce rejeton à la frappe mortelle.

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Les trois aînés sont devant. Sur notre gauche, à la contrebasse, Gus Tattoo, porte bien son nom le gars, aussi tatoué qu'un guerrier maori dont Gauguin aurait colorié tout le corps. Le mec pas causant. N'en moufte pas une. Motus et bouche cousue, sous sa banane étrangement relevée en avant aussi tranchante qu'un aileron de requin. Pas un mot, pas un sourire. C'est simple comparé à lui, Keith Richards dans son plus mauvais jour est plus volubile que votre belle-mère. Le monde peut s'écrouler autour de lui, lui il joue de la contrebasse et ne s'en apercevra même pas. L'aggrave même son cas, car on le sent heureux d'être-là, à des milliers de kilomètres de nous dans un rêve intérieur qui ne s'achèvera qu'avec le set. Lui il arbore la rutilance de son plumage, pour le ramage l'a sous-traité à son instrument qui vrombit comme le vol d'hélicoptères qui ouvre Apocalypse Now !

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Sur notre droite, légèrement en retrait, c'est Arno KLX. Encore un silencieux. Ne manquerait plus qu'il se mette à parler. Sa guitare le fait pour lui. Et de belle façon. Lui, l'a l'air d'être perdu, rongé par le doute métaphysique, un peu aux abonnés absents, l'angoisse du guitariste au moment du riff, et clang ! Il vous en lâche un qui vous démantibule le vestibule, et un autre qui vous ramone la cheminée et la kyrielle qui suit vous agenouille comme un plat de nouilles. C'est ce qu'on appelle un guitariste d'intervention rapide. J'arrive, je riffe, je repars. Et je reviens vous en planter un autre comme une banderille dans le dos du taureau. J'agis en traître, mais je vous ai avertis.

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The last but not the least, Atomic Ben. Avec lui, ce n'est jamais peut-être ben oui, peut-être ben non, c'est franchement et sans détours cent pour cent rock and roll. Chant et guitare. Je n'ai pas dit chant et rythmique. Les Ennuis commencent ont deux solistes, Ben qui ouvre les portes à la grenade et KLX qui sulfate dans les embrasures. Donc il joue de la guitare et il chante. L'a plein d'autres défauts – comme moi, comme vous – mais en plus il parle. Entre les morceaux. Faut démêler le vrai du faux. Fait-il preuve d'innocence perverse ou de perversité innocente ? et Personne n'a jamais su répondre, mais tout le monde en redemande. Manie l'auto dérision et les déclarations à l'emporte-pièce multi-directionnel. Selon lui Elvis est encore vivant, et il n'envisage pas de sauver la dernière Vals pour Manuel. Humour noir en zone rouge. Vous êtes priés de regagner le vaisseau du rock and roll au plus vite, avant qu'il ne décolle.

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Jouent du rock and roll. Uniquement du rock and roll. Du vrai, du gros qui tache et qui tue. Ca sonne comme les Stones à leur meilleure époque mais ils ont Hank Marvin à la guitare. Nous refont Come On et Apache. Pour le dernier morceau z'y mettent tellement de hargne que c'en en devient Fureur Apache. Sachez apprécier la différence. Ils envoient du Elvis comme on jette les nourrissons par la fenêtre du douzième étage, All Shook Up une version que les puristes trouveront choquantes, en plus ils attaquent le mythe fondateur – ah ! Les méchants iconoclastes – « le morceau qui prouve que nous ne sommes pas un groupe de rockabilly » proclame Ben urbi et orbi, et hop on s'enquille The Letter des Box Tops dans la boîte à lettres de notre cerveau. Peut-être pas un rockabilly man orthodoxe Alex Chilton, mais un parfait rocker, une Big Star méconnue. Sur ce une petite réglisse mentholée au cyanure, La Belle Saison des Dogs et pour faire exploser la planète ils nous lancent quelques Great Balls Of Fire de Jerry Lou à ne plus savoir dans quelle galaxie vous habitez.

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Ne font pas que des reprises, loin de là, nous jouent en avant première un morceau de leur prochain disque qu'ils sont en train d'enregistrer, me souviens plus du titre mais je peux certifier que c'est plus que prometteur. Et puis ils distribuent leurs petites merveilles à eux, - faites attention, n'y aventurez pas les doigts c'est brûlant et coupant – comme cet incroyable Soviet Secret Bomb ou cet In Space stratosphérique, et plein d'autres morceaux que vous trouverez sur Superfriends – leur presque précédent CD - que vous avez intérêt à vous procurer pour ne pas mourir idiots. Enfin c'est vous qui choisissez, mais essayez de ne pas décevoir vos amis. Ici à l'intérieur ça transpire méchant, les Ennuis Commencent sont aussi teigneux que Doctor Feelgood et aussi délire que les Cramps. En fait je n'aime guère ces comparaisons. Inspiration ne signifie pas copie. En plus ils poussent le vice jusqu'à ne ressembler à aucun autre groupe français, ni étranger. Un spécimen unique. Une couleur à eux, entre folie et explosion. Plus une note espagnole – mambo-fandango-mexicano-rocko and rollo au sang rubescent de taureau sauvage. Finissent sous un déluge d'acclamations et de cris de regrets. Dans la rue sont accaparés par deux centaines de spectateurs qui tiennent à les féliciter. Ben me présentent 3 Headed Dog  qu'il faudra se débrouiller pour aller voir en concert... Les Ennuis Commencent sont des passeurs... Ne transportent qu'une seule marchandise. Du rock and roll. Et du meilleur.

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UNE ENNUYEUSE AFFAIRE ( suite )

 

Quand on est sortis de La Féline avec le commissaire on était un peu survoltés. Presque rien. Pas de notre faute. Juste un peu le sang monté en graine à cause de l'adrénaline du rock'n'roll. On a mis le feu à quelques poubelles, cassé les rétros de vingt-cinq bagnoles, crevé quelques dizaines de pneus au cran d'arrêt, provoqué des bagarres dans trois cafés, juste pour nous amuser, des broutilles. C'est la Bac qui nous a arrêtés alors que nous joui(ssi)ons à la voiture-bélier sur la vitrine d'une banque. «  Heureusement - m'a soufflé le commissaire - que tu as troqué ton pantalon de pyjama avec un de mes slips panthères ! Avec les collègues on va filer doux, ça finira bien par s'arranger. Ne sont pas eux non plus tout blancs comme la neige. Que veux-tu, dès que tu vis avec un minimum d'intensité les ennuis commencent ! ».

 

Damie Chad.

 

( Photos prises sur le fb des artistes ne correspondent pas au concert )

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