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10/06/2015

KR'TNT ! ¤ 239. Mr AIRPLANE MAN / DRAIGH / JOE HILL / GUN CLUB / JALLIES / ONE DOLLAR QUARTET / ERVIN TRAVIS NEWS

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 239

A ROCK LIT PR ODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

11 / 06 / 2015

Mr AIRPLANE MAN / DRAIGH / JOE HILL

GUN CLUB / JALLIES / ONE DOLLAR QUARTET

ERVIN TRAVIS NEWS

 

ERVIN TRAVIS NEWS

 

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Toujours beaucoup de repos et un peu de soleil pour Ervin afin

que dans un premier temps son moral remonte petit à petit.
Il continue sur sa lancée, nous savons que ce sera très long,

avec des bas et quelques petits "hauts", rares pour le moment,

mais encourageants malgré tout pour poursuivre ce long parcours.
Examens à faire et prise de sang tous les 15 jours.
Voilà pour les nouvelles actuelles
Merci pour tout ...

( voir FB :Lyme-Solidarité Ervin Travis )

 

LE SON DU COR - 30 / 05 / 2015

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ROUEN( 76 )

Mr AIRPLANE MAN

Hey Mr Airplane Man,

play a son for me

À la fin des années quatre-vingt dix, la grande mode des groupes à deux battait son plein. On récupérait une guitare et un copain batteur, et pouf, on montait un groupe. Les Black Keys, Winnebago Deal, les Kills et les White Stripes se bousculaient au portillon. Mais le duo le plus intéressant de la meute, ce fut Mr Airplane Man. Margaret Garrett et Tara McManus avaient tout bon en choisissant un titre d’Howlin’ Wolf comme nom de groupe. La classe.

 

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Elles eurent aussi la chance de fréquenter Mark Sandman - leader de Morphine - et de rencontrer Don Howland - ex ‘68 Comeback et leader des Bassholes. Sandman leur donna un bon conseil : achetez une vieille Cadillac et partez en tournée avec. Ce qu’elles firent. Elles traversèrent les États-Unis depuis la côte Est jusqu’au Deep South. Elles se retrouvèrent un beau jour dans le salon de Monsieur Jeffrey Evans, à Memphis. On s’en doute, leur vie changea du tout au tout. C’est là que Don Howland leur conseilla d’écouter Jessie Mae Hemphill, Junior Kimbrough et RL Burnside, les cracks du North Mississippi Hill Country Blues.

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Avec ces bons conseils, Margaret et Tara étaient parées. Elles disposaient de tout le nécessaire pour cartonner : les influences et le son. Il ne leur manquait qu’une chose : le label. Long Gone John qui grenouillait déjà dans les parages de Monsieur Jeffrey Evans fit paraître leur premier album sur Sympathy For The Record Industry - un label aussi cher au cœur des amateurs éclairés que le sont Crypt, Estrus et In The Red.

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«Red Lite» parut à l’aube du siècle, en 2001. Margaret et Tara y dévoilaient leurs petites racines blues et Monsieur Jeffrey Evans qui les produisait veillait à ce qu’elles disposent du son le plus trash qui se put concevoir à l’époque. Nick Diablo donnait un petit coup de main aux filles en grattant sa guitare trash ici et là. Quand on écoutait «Johnny Johnny», on se régalait du son, avec ce dégueulis de distorse sur la moquette, mais le petit tatapoum idiot de Tara agaçait sérieusement. Elles lancinaient avec «Pretty Baby I’m In Love With You» et derrière, Tara tatapoumait toujours aussi bêtement. Heureusement, Margaret bavait dans son micro et le larsen oxydait les cordes. Elles passaient aux choses sérieuses avec une version hypnotique du «Wanna Be Your Dog» des Stooges. Margaret amenait ça comme un orgasme. Tripoter le caoutchouc des choses légendaires ? Pas de problème. Elles en sortaient une version linéaire battue très serrée, bien ravalée, incroyablement sexuée, imprégnée d’une féminité brûlante et hagarde. La face B était beaucoup plus solide, car plus ancrée dans le blues. «Hangin’ Round My Door» est typique d’une époque où on travaillait le son pour couler des bronzes de trash-blues. Elles trashaient le blues jusqu’à le faire dégorger comme un coquillage. Leur «House Of Bones» avait tout de la cabane qui menace de s’écrouler. Elles tapaient aussi dans le «Black Cat Bone» de Jessie Mae Hemphill, la reine des one-man bands d’antan, associée à la légende d’Otha Turner mais aussi à celle de Tav Falco. C’est dans le blues de l’hypnose que s’est joué le destin du rock. Margaret et Tara se retrouvaient à la croisée des chemins, celui du son grâce à Monsieur Jeffrey Evans et celui de l’hypnose, grâce à Jessie Mae. Elles sortaient une viande sonique unique au monde, un pur chef-d’œuvre de dévotion cabalistique. S’ensuivait «What A Number», une fantaisie digne des Seeds, un petit garage cool adossé contre un mur, typique de l’Amérique et de ce genre de précepte warholien consistant à dire que la puissance, c’est d’être au coin d’une rue et de n’attendre personne.

 

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«Moanin’» sortit un an plus tard, toujours sur le label de Long Gone John. C’est un très gros disque, un classique garage de l’époque, l’un de ceux qui vont résister à l’usure du temps, enregistré par Jim Diamond au Ghetto Recorders et supervisé par Greg Cartwright. Le résultat est là : deux filles douées bien entourées, ça ne peut que blaster dans les brancards. Ouverture avec «Like That», allez vas-y, du chord à la moutarde, avec cette voix de vierge effarouchée qui traîne comme une serpillère dans le jus du son, mais elle est sauvée par des marins et échappe à l’oubli atroce. «Like That» est le prototype du cut simple et bien tenu, petitement battu par Tara. Elles font leur fricot, pas de problème. Puis elles passent directement à Wolf avec une reprise de «Moanin’», reprise certifiée, Jim Diamond veille au grain des girls. La chose vire dirt-garage, elles sont dessus, elles en font une charpie inspirée, remontée du collet, sensuelle et Margaret coule des ouhhh dans l’ass du trash. On les sent parvenues au sommet de leur art. Avec Big Foot Chester, elles sont les seules à l’époque à saluer la mémoire de Wolf. Elles reviennent au beau boogie avec «Somebody’s Baby» qu’elles farcissent de belles montées en septième et d’éclats de tierces diminuées sur cordes claires. Elles campent dans le blues, pas de doute. Leur truc reste inspiré et tapé bien sec par Tara qui fait d’incroyables progrès, puisqu’elle commence à multiplier les figures de style. Ah Tara c’est une bonne ! Wow, et «Drive Me Out», baby ! Du pur stomp de Detroit. Elles y vont franco, voilà du garage tangible - just drive me out ! - elles font ça bien mieux que des tas d’autres groupes prétendument sauvages. Elles montent même en température - ouh-ouh - Margaret veut qu’on l’emmène et c’est magnifique de prestance trashy. On tombe ensuite sur «Uptight», une pure merveille, certainement le hit du disque. Elles savent cuisiner un cut. Elles envoient ça à la Hooker, c’est bien relayé et lourd de conséquences, et même monstrueux, parce que ça monte toujours. Avec rien, elles font tout ouh-ouh et ça menace de nous exploser à la figure. La fin du morceau est la huitième merveille du monde, elles ruissellent de génie, elles relancent deux fois, et on voit déferler deux vagues géantes de trash sublime. Difficile de survivre à un tel assaut. Les cinq morceaux suivants vont en baver. Elles reviennent à Wolf avec «Commit A Crime» et sortent le gros son, comme d’autres sortent l’artillerie. Elles le font bien et on entend une guitare entrer en putréfaction. Ça en impose. Elles nous font le coup du beau balladif avec «Very Bad Feeling» et on passe à une reprise du vieux Mississippi Fred McDowell à tête de crapaud, «Sun Sinkin’ Low» - qu’elles reprenaient déjà dans leur premier disque non officiel - et qu’elles traitent avec le plus grand respect.

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Évidemment, on attendait monts et merveilles de l’album suivant, «C’mon DJ», mais on dut se contenter d’un album légèrement moins bon, toujours sur Sympathy For The Record Industry et toujours produit par Greg Cartwright. Belle pochette : on les voit toutes les deux assises à côté d’un petit électrophone et de quelques 45 tours, dont un 45 tours des Oblivians. Elles démarrent l’album avec un gros garage d’apocalypse, «C’mon DJ», et on reste sur l’impression que tout va s’écrouler d’un instant à l’autre. On entend l’ami Greg slider. Elles retapent dans le garage avec «Wait For Your Love», une pièce censée émouvoir les foules, mais c’est trop plaintif et moins coriace que chez les Detroit Cobras, par exemple. Encore une belle touille de distorse dans «Fallen». On les sent toutes les deux déterminées à pulvériser les records du trash-blues, mais la voix de Margaret se perd dans le sable. On attend un sursaut. «Hang Up» ? Oui. Soutenu à l’orgue et furieusement tatapoumé, voilà un beau garage - why you be so mean - fuzzé à la Troggs avec des oh-oh-yeah. Margaret joue son riff bien pesant à la fuzzerie concomitante. Elles renouent enfin avec l’énormité en attaquant «Make You Mine», ce pulsatif monstrueux poundé par Tara la tarateuse. En plus elle est devant dans le mix de Greg, elle savate sa pédale de grosse caisse et ça part en vrille avec des ouh ouh ouh qui semblent hurlés par des Pawnees sur le sentier de la guerre. Le beat n’est rien d’autre qu’une pure violence sourde de pounding tribal. Elles génèrent une énormité de bas-étage avec les petits chœurs du Sympathy des Stones. Puis elles basculent dans la folie, et pour mettre un terme à cette histoire, le destin tire la chasse. Il reste encore à écouter le petit garage bien secoué de «Red Light». Elles nous stompent ça aux petits oignons. Elles ont réussi à construire un univers complet avec de la distorse, du Wolf, du tatapoum et des voix un peu traînantes. Elles finissent d’ailleurs avec un nouvel hommage cinglant à Wolf, «Asked For Water». Solide et rocky. Elles lui claquent le beignet et pètent les quintes à l’accord. Margaret laisse traîner sa voix comme il faut. Elle se veut imparable, sévère et dure. Alors, elle miaule à la lune.

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On vient de voir paraître sur vinyle le tout premier album de Mr Aiplane Man. En 1998, Margaret et Tara n’avaient pas de label, mais elles voulaient ab-so-lu-ment sortir un CD. Elles proposaient à l’époque une reprise de Wolf, «Moanin’ For My Baby». C’était vraiment gonflé de leur part. Mais si Wolf avait vu ça, il aurait été ravi et aurait encouragé les deux petites poules blanches à taper encore plus dans son répertoire. Le premier morceau de l’album s’appelle «Baby» et Margaret le prend au bottleneck. Elle ne cherche pas d’effets, elle se contente de clamer le blues. Elle reste enthousiaste et sait bien, à l’époque, qu’elle ne va pas réinventer le fil à couper le beurre. Elle tape aussi dans Mississippi Fred McDowell en reprenant «Sun Sinkin’ Low» - qu’on retrouvera plus tard sur «C’mon DJ». En plein milieu du morceau, Tara tente une relance sauvage au tambourin. Elles montraient déjà de très bonnes dispositions, mais on sentait qu’il leur manquait encore l’étincelle.

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Bonne surprise ! Les voilà à l’affiche d’un petit festival des rues organisé dans ce que les Rouennais appellent le vieux Rouen. Comme tout le monde, elles ont pris un petit coup de vieux et Tara ne se teint pas les cheveux. Les voilà toutes les deux grimpées sur une petite scène et lancées dans un répertoire d’hommages aux géants du blues qu’elles vénèrent depuis leur adolescence - beside the Stooges, comme le précise Tara. D’ailleurs, elles ont collé les photos des vieux nègres sur deux petits présentoirs posés au bord de la scène. Pendant une heure, elles recyclent leur vieux brouet. Margaret joue comme dix. On découvre à la voir jouer qu’elle est extrêmement brillante. On passe même par de purs moments d’envoûtement. Une chose est sûre, leur son claque bien. Toutes les appréhensions liées au fait qu’elles jouent en plein air s’envolent rapidement. Elles rendent hommage à Alan Lomax à deux reprises. Puis elles expliquent qu’elles viennent de reformer le groupe. Margaret est tellement hantée par le blues qu’elle en trépigne. On voit ses petites jambes frétiller dans ses bottes, alors qu’elle envoie d'extraordinaires passades d’accords gimmickés.

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À la fin du set elles vendaient un nouvel album intitulé «The Lost Tapes». Sur l’insert, Tara raconte l’histoire de la cassette perdue et retrouvée par Margaret dans sa cave. Cette cassette fut enregistrée à leurs débuts. Elles attaquent avec le fameux «Sun Sinkin’ Low» de Fred McDowell. On tombe ensuite sur l’inévitable «Commit A Crime» de Wolf. Le texte de Tara fait tout le charme de ce disque, car elle raconte les circonstances de leur rencontre avec Matthew Johnson, le boss de Fat Possum qui, le soir de leur arrivée, nettoyait son flingue dans son bureau. Elle raconte aussi une nuit agitée à la Nouvelle Orleans et la rencontre d’un trafiquant d’alcool qui leur vendit une bouteille d’absinthe. Elles font aussi une très belle version de «Love Of Ivy» du Gun Club. On voit qu’à cette époque, elles n’écoutaient que des bons disques. Sur cette version, Margaret s’en sort avec tous les honneurs, car elle cherche en permanence l’effet de bottleneck le plus rageur. Alors elle gratte comme une folle et fait trembler ses petites guiboles. La reprise de Wolf vaut son pesant d’or, car Margaret cherche des noises à la noise. Elle fait montre d’une sacrée hargne ! Mais la bombe se trouve en fin de face B : «Hanging On A Thread», du pur garage avec Bruce Watson aux maracas. C’est enregistré dans son trailer, comme le précise Tara, et dans des conditions extrêmes, puisqu’ils viennent de siffler la fameuse bouteille d’absinthe - C’mon C’mon ! - C’est solide et bardé de viande, ça ferraille dans la déglingue. Elles shootent dans leur boogie du diable tout l’hypnotisme du North Mississippi Hill Country Blues. Elles ont ce son dans les veines. Elles l’ont chopé comme on chope une maladie incurable. Bruce Watson joue le thème à l’orgue, jusqu’à la mort. Rien d’aussi dément.

 

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Franchement, tous leurs disques valent le détour. Margaret et Tara nous emmènent au royaume du blues, exactement de la façon dont Garance nous entraînait dans la cohue des Enfants du Paradis.

 

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Signé : Cazengler, Mr Planplan Man

Mr Airplane Man. Le Son Du Cor. Rouen (76). 30 mai 2015

Mr Airplane Man. Red Lite. Sympathy For The Record Industry. 2001

Mr Airplane Man. Moanin’. Sympathy For The Record Industry. 2002

Mr Airplane Man. C’mon DJ. Sympathy For The Record Industry. 2004

Mr Airplane Man. Mr Airplane Man. Moi J’Connais records 2013

Mr Airplane Man. The Lost Tapes. Moaning Records 2015

De gauche à droite dur l’illustration : Tara McManus et Margaret Garrett, il y a vingt ans.

FONTAINEBLEAU

LE GLASGOW04 / 06 / 15

DRAIGH

Parfois, c'est la surprise totale. Tu viens me chercher, ce soir à Fontainebleau. A vos ordres, mademoiselle. La teuf-teuf vole déjà. Pas fou, je ne m'incruste pas dans la rencontre avec la copine. Le papotage entre filles est par trop soporifiquement insupportable à mon goût. Préfère œuvrer en solitaire pour la grande cause du rapprochement des peuples, surtout que les serveuses du bouiboui asiatique où j'ai atterri sont des plus ravissantes. C'est décidé, dès demain matin je deviens membre attitré des Amitiés Franco-Chinoises. En attendant, direction le Glasgow, jeudi soir, forcément un groupe en soirée. Aucune idée des oiseaux. Incapable de trouver la programmation sur le net. Ecrit blanc sur noir sur l'ardoise à l'entrée du pub : Draigh. Inconnu au bataillon. Des chevelus baraqués déchargent le matos d'une camionnette, à voir les mines des gladiateurs et les amplis, je présuppose du gros rock qui tâche.

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Me suis pas trompé dans mes hypothèses. De vieux briscards tombés de la dernière plaie d'Egypte. Ce soir ce sont les Draigh, souvent c'est le Peter Alexander Band. Faut tromper l'ennemi, vous enlevez un musico et vous en rajoutez un autre et vous obtenez une tambouille tout aussi savoureuse. Mais pas tout à fait de la même marmite. L'on sen fout, l'essentiel c'est que la soupe soit bonne. Et dans le Peter Alexander Band, la maison est ouverte depuis les années 80. Vous font tout ce que voulez : du hard, du rock, du country, du celtique, avec ou sans harmonica et même option violon, c'est un peu à la surprise du chef ; mais gosiers sensibles abstenez-vous, les marmitons ont la main lourde. Certains prétendent qu'ils détestent les légumes et qu'en fait ils ne cuisinent que les épices. Pour les boissons d'accompagnement, les alcools ne descendent jamais au-dessous de soixante degrés. Z'ont toujours du monde, car ils vous servent des portions à gaver une meute de glavials. Sont de Ponthierry, ont déjà sorti une flopée de disques, ont ouvert pour des grosses pointures à la Lynyrd Skynyrd, organisent même un festival, le genre de groupe qui aromatise les hamburgers au gaz moutarde. Je pense qu'il est temps de passer à table. Mais ce soir les Draigh.

PREMIER PLAT

Cinq sur scène. Un batteur, un basse, une guitare, un chanteur et un orgue. Me méfie beaucoup des orgues. Sont souvent comme des orques qui font régner la terreur autour de leurs congénères. N'y en a que pour eux, les autres peuvent faire de leur mieux, recouvrent tout de leurs nappes chantilly. C'est brillant pendant deux minutes mais très vite c'est assourdissant comme un manteau de neige. Au bout du deuxième morceau l'on a compris, ce soir on n'a pas à faire à un de ces ogres qui mangent le gâteau en entier et condescendent à laisser quelques miettes aux copains. N'intervient qu'à bon escient. Juste le filet de mayonnaise pour relever le goût du homard. Ne se contente pas de jouer les utilités non plus, l'apporte la puissance sonore, sur un plateau. Discrètement. Mais sans lui, la soirée serait ratée.

 

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Le Roland a mangé le quart de l'espace, du coup l'on ne voit plus le batteur engoncé derrière sa batterie, on a juste aperçu son T-shirt Good Morning, Vietnam lorsqu'il s'est glissé derrière les fûts. Vu sa frappe, l'aurait plutôt dû choisir Full Metal Jacket, l'a la batterie qui aboie sans arrêt. Cerbère le chien à trois têtes qui vous entrouvre la fournaise des Enfers, les yeux injectés de sang et la bave qui coule de la gueule. Un petit arrêt sur image pour les âmes sensibles. Draigh joue du rock, alors faites comme mes voisins qui se fourrent des boules de silicone dans les oreilles. Les gens ont de ces drôles de manie ! Je me demande s'ils mettent des lunettes noires pour visiter une expo de peinture.

Guitare et basse nous le confirment. Draigh ne nous propose ni des cigarettes avec filtre, ni du verre sécurit. Pas de siège-auto pour les enfants non plus. Nous avertissent dès le début du set sont du côté des Noirs Corbeaux qui essaiment comme des nuages de folie sur les dernières toiles de Van Gogh, le rock entendu comme une opération alchimique qui nous mène de l'oeuvre au noir du désespoir aux illuminations incandescentes de l'oeuvre au rouge des serpents fous du désir exaltés.

Et puis ils ont un chanteur. Un vrai. Ne bénéficie pas d'un vaste espace. Au mieux une surface d'un demi-mètre carré à condition d'éviter de s'embrocher sur le manche du guitariste. Sinon, il peut aussi se coller sur le mur. Mais il transcende tout cela. Est ailleurs, dans son corps, dans sa voix, dans son chant. Habité par une force tellurique. C'est le rock and roll qui lui donne sa pêche et qui l'habite. L'est dans le rock comme d'autres pédalent dans la choucroute de la vie, mais lui refuse d'en sortir, s'y vautre dedans comme un alligator dans le marécage. Bien sûr les autres lui passent des barres d'acier brûlantes, mais c'est lui qui jongle avec et qui arrange le puzzle.

Ca rocke comme au bon vieux temps des Faces, pour la mise en place vous ne savez où donner de la tête, une éruption volcanique, un grabuge chaotique, une chatte n'y retrouverait pas ses petits mais tout retombe sur ses pattes avec une précision d'orfèvres. Ça fourmille de riffs et de claquements, de roulements et de fusées sonores qui explosent dans tous les sens, et tout rentre dans l'ordre dans les secondes qui suivent, une coulée de lave brûlante qui met tout le monde d'accord et c'est reparti pour une autre giclée de pierres. Les Faces ce ne fut qu'un petit – si j'ose dire - combo de rock, z'avaient la hargne et le délire, mais après eux sont venus des groupes qui ont apporté la puissance.

 

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Le blues survitaminé à la Bonamassa c'est bien, suffit de se laisser porter par la vague, certes ce n'est pas donné à tout le monde mais il est permis à chacun d'essayer, quelques harmoniques un peu rauques dans la voix et c'est parti. Et de cela Olivier – si j'ai bien saisi, c'est son prénom - en a à revendre. Et c'est à ce moment que l'on s'inquiète pour lui, ce rythme effréné c'est bien le chien noir de Led Zeppe qui s'en vient aboyer, un morceau royal, mais faut monter grave dans les aigus, s'agit pas de se planter en beauté. L'a dû se faire un nœud dans la trachée artère car notre chanteur assure. Doit s'éviscérer à l'intérieur avec la colonne d'air. Plus tard après un intermède australien avec Electry Mary et AC/ DC, il clôturera le set avec un Kashmir mirobolant. Assistance estabousiée, écrasée par tant d'énergie et de savoir faire.

DEUXIEME PLAT

L'on croyait qu'ils nous avaient d'abord servi le plat de résistance, c'étaient juste les hors- d'oeuvres. A première vue, c'est la même chose. Mais en mieux. Plus blues et davantage rock and roll. Un truc qui vous prend aux tripes et un autre qui vous emporte hors de vous même. Tout l'alphabet d'AC / DC de Beatin Around The Bush à Whole Lotta Rosie, Deep Purple avec Mistreated – avez-vous déjà entendu un blues maltraité de cette manière – et Highway Star – particulièrement dantesque – et le retour du dirigeable, Rock And Roll, un must, et l'apothéose finale, l'atterrissage en vent de folie avec Whole Lotta Love. Captain Plant aux commandes pour Tin Pan Valley.

 

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Durant la courte pause, Olivier a dû affûter sa voix, elle ne crie plus, elle crisse, elle blatère, elle piaule, elle barrit, elle baraque, elle se ondule sur les lignes de basse ou jerke sur les riffs. Spectacle total, le larynx qui clame et brame et les doigts du guitar-hero qui triture et friture ses cordes. Et puis ces longues immobilisations comme pour obliger une note à résonner éternellement. Des curieux rentrent dans la salle, écoutent trois secondes et retournent sur la terrasse en se bouchant les oreilles. Quant à nous nous ne laisserions pas notre place pour un empire. Nous sommes dans la cage dorée du rock and roll, prisonniers à jamais.

DESSERT

Z'ont dit au revoir et félicité le Glasgow, quand on va les saluer pour les remercier d'un tel concert, ils nous demandent d'attendre cinq minutes, le temps d'une gorgée de bière les revoici sur scène pour un ultime rappel, un medley des Who, Behind Blues Eyes et Young Man Blues... Led Zeppelin pour terminer bien sûr.

L'on sort de là tout vacillant, tout estomaqué. Pour une surprise ce fut une surprise. Du classic rock en toute modestie. Jamais entendu des reprises aussi bien foutues. Les Draigh portent bien leur nom. Levons nos verres à leur santé, haut et sec !

Damie Chad.

( Les photos prises sur le FB du Peter Alexander Band ne correspondent pas au concert. )

Local CNT / 33 rue des Vignoles / PARIS 20°

TRIBUTE TO JOE HILL

ANGELA ( Julie Colère ) / CARO ( Coin Locker, ex-Folk you )

CYRIL, DEE, CRASH ( Destroy Putas ) / FRANCOIS ( Talune )

CYRIL, DAVID ( ex-Action Directe ) / FRED ALPI ( The Angry Cats )

GERALDINE ( Cartouche, La Twal ) / LES CHANTEURS LIVREURS

GILLES FEGEANT, Jo, Jules ( ex-Action Directe ) / RENAUD ( La Rabia )

KROQUETTE ( ex-Necrofilles, Better of Dead )



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Début des activités annoncées à 19 heures. Point de précipitation, rien ne commencera avant vingt heures trente, l'est vrai que le poulet au curry embaume et qu'il serait dommage que los companeros se laissent mourir de faim devant des marmites remplies à ras-bord. Même pour Joe Hill. Il n'est pas question d'exagérer. Z'en profitons pour assister à la fin de la balance de Fred Alpi qui est venu sans ses Chats Colériques. Plein d'humour, en un tour de main, il expédie un couplet d'Eddie Cochran, d'Edith Piaf, de Claude François, et de Johnny Cash, si vous n'en trouvez pas un à votre goût, c'est que vous êtes difficile. C'est qu'il a une belle voix sonore le Fred, vous la monte comme un Alpiniste jusqu'au haut de la montagne. En plus il y a Gilles Fegeant qui vous sort de son étui une magnifique guitare à résonateur sur laquelle, si vous écoutiez vos instincts basiques, vous perpétreriez votre droit personnel de réappropriation collective. Ben, non vaut mieux qu'il la garde, c'est qu'il la chatouille si bien avec son petit doigt slidé que vous ne feriez pas mieux. 

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Tout le monde étant repu ( nous n'ajouterons pas blicain ) les festivités peuvent commencer. Le fameux général qui avait la double gaule dirait qu'avec ces gamins qui courent partout et qui se roulent par terre, nous sommes en pleine chienlit. Mais oui, tout se calme et la soirée débute par une présentation de la vie de Joe Hill. Pas un hasard si la CNT lui dédie une soirée. L'est mort en 1915, à la suite d'accusation mensongère de la police. Ne montez pas sur les grands chevaux de l'indignation. La police n'y est pour rien. Joe Hill l'avait bien cherché. S'était depuis cinq ans acoquiné avec les IWW ( Idustrial Workers of the World ) de très méchants militants ouvriers, de sombres empêcheurs d'exercer en toute impunité la démocratique liberté d'exploitation des prolétaires. De mauvaises têtes qui avaient la sale manie d'organiser les grèves de protestation contre les pitoyables salaires en vigueur en ces années vers lesquelles nous sommes en train de retourner... Des inconscients qui pratiquaient un syndicalisme offensif de combat dans lequel ils admettaient et regroupaient les plus démunis, les chômeurs, les femmes et ( jusqu'où ne sont-ils pas allés ! ) les afro-américains qu'en ces temps bienheureux l'on appelait les nègres.

 

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Bref Joe Hill était un agitateur. Faisait pas de grands discours, préférait composer des chansons et les chanter avec sa guitare. Attirait trop de monde dans les meetings et les rassemblements, lors des grèves. Ses chants se transformaient très vite en hymnes révolutionnaires... Qu'auriez-vous fait à la place de la justice et de la police ? On ne pouvait pas décemment lui mettre un scotch sur la bouche, ces bandes adhésives ont le défaut de se décoller un peu trop vite. Alors on l'a traîné devant un peloton d'exécution. Vite fait, bien fait. On croyait s'en être débarrassé pour toujours. Hélas, la mauvaise graine repousse toujours. Dans les années soixante, Woody Guthrie, Bob Dylan, Joan Baez, Pete Seeger, et plein d'autres, inscrivirent nombre de morceaux de Joe Hill à leur répertoire, les tirant de l'oubli relatif dans lesquels ils étaient tombés auprès du grand public.

 

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Les IWW subirent de fortes attaques de la part des autorités étatiques. A leur vision d'une lutte classe contre classe, ouvriers contre patrons, la machine idéologique libérale parvint à substituer à l'occasion de la première guerre mondiale la nécessité d'une collaboration de classe sur fond de nationalisme... Si vous percevez en ces manœuvres des relents de fascisme doucereux, vous n'aurez point tort... ( Si vous désirez en savoir plus, lisez notre kronic sur Wobblies & Hobos de Joyce Kornbluh publié aux éditions de L'Insomniaque dans KR'TNT ! N° 114 du 18 / 10 / 2012 ). Puisque l'on parle bouquin, rappelons que cette soirée est organisée pour fêter la réédition augmentée du livre Joe Hill, Bread, Roses and Songs de Franklin Rosemont, aux Editions CNT-RP, dont nous reparlerons dans une prochaine livraison. Etait dans le lot que je m'étais procuré il y a deux semaines à La Parole Errante ( voire KR'TNT ! 236 ), faut toujours avoir de la suite dans les idées. Noires.

 

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Fred Alpi et Gilles Fegeant sont déjà sur scène – petite et encombrée de matos, vont y défiler en une heure et demie une quinzaine d'artistes – mais il reste un cadeau à distribuer, un petit livret de vingt pages intitulé The Little Red And Black Song Book qui nous livre le texte en anglais des morceaux de Joe Hill qui seront interprétés ce soir, avec en prime la traduction française que les intervenants vont nous interpréter. A la demande générale Fred Alpi, explique qu'il connaît Joe Hill depuis toujours puisqu'il est né dans la même région... en Suède ! Pour notre édification morale, il rajoute qu'un tiers de la population de la Suède émigra à la fin du dix-neuvième siècle en Amérique pour fuir la misère. Et sur ce il enchaîne un ancien morceau personnel, Chanson pour Joe Hill, une ballade enlevée à la Johnny Cash, sur laquelle Gilles Fegean nous montre ce qu'il sait faire. Puis en langue américaine ( parce que les anarchistes aiment bien enfreindre leurs propres principes organisationnels ) les derniers vers de Joe Hill écrits dans la nuit qui précéda sa mort – l'aurait pu faire un effort le Joe, car c'est un peu court – et au grand regret de l'assistance il quitte la scène avec son compère pour laisser la place aux copains.

Beaucoup n'auront pas son aisance, mais là n'est pas l'essentiel, ce n'est pas un karaoké, chacun apporte ce qu'il peut, sa ferveur ou sa maladresse, l'essentiel est de rendre vie et hommage à Joe Hill, et dans l'ensemble tous s'en sont sortis haut la main, comme David et Joe qui nous offrent une version quasi slamée mais testostéronée à l'énergie punk de The Tramp ( remplie de gros mots leur reprochera une gamine de six ans ) qui soulève l'enthousiasme.

Caro chemise country et accordéon et Kroquette guitare électrique rouge et bourdonnante n'ont pas hésité à rapter un jeune collégien à qui elles ont confié une caisse claire. N'est pas intimidé par les grandes dames le Gus, à lui tout seul il leur a charpenté leurs deux titres, The Rebel Girl et The Preacher And The Slave, comme un requin de studio. Possède le sens du rythme et chose plus rare, l'idée de son orchestration.

L'on nous explique que beaucoup de textes de Joe Hill s'en prennent à la religion. L'avait l'habitude de bouffer du curé – de toutes les sauces, évangélistes, baptistes, pentecôtistes et toute la sainte famille des cul-bénis – pour combattre l'emprise du christianisme sur les consciences, les Eglises n'étant que les filles aînées du Capital... Chez les IWW, on ne donnait pas dans le consensus mou de la liberté de chacun à s'humilier devant des chimères incapacitantes...

Je terminerai par les Chanteurs Livreurs qui nous bissent le Testament et invitent tous les confrères – même ceux dont je n'ai pas parlé parce que ce soir ma mémoire imbibée de White Lightning est défaillante – à les rejoindre pour chanter en choeur, et de tout coeur Coffee An'. Et this is the end, comme disait Jim Morrison, de cette soirée festive et chaleureuse. Sur la scène désertée, chacun peut lire les derniers mots de la dernière lettre de Joe Hill :

DON'T MOURN, ORGANIZE !

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Ne vous lamentez pas, organisez-vous ! Je traduis pour ceux qui font semblant de ne pas comprendre. Que le temps nous est compté, et que bientôt il sera inutile de venir pleurnicher regrets et remords.

Damie Chad.

PS 1 : sur Fred Alpy and the Angry Cats voir KR'TNT ! N° 130 du 07 / 02 / 2013.

PS 2 : ne pas oublier que la Mairie de Paris insiste beaucoup ces derniers temps pour récupérer le 33 de la rue des Vignoles. L'on va finir par croire que cette municipalité de gauche fait tout ce qu'elle peut pour bâillonner systématiquement les lieux d'expression radicale.

GUN CLUB

HISTOIRES POUR

JEFFREY LEE PIERCE

Préface : CYPRESS Grove

( Camion Blanc / Mars 2015 )

JEAN-LUC MANET / OLIVIER MARTINELLI / HERVE SARD / ALAIN FREYDRI / THOMAS FLEITOUR / STANISLAS PETROSKY / DAVID BOIDIN / GIUGLETTA / FREDERIC PAULIN / STEPHANE LE CARRE / PATRICK FOULHOUX / KARINE MEDRANO / PATRICK CAZENGLER / JEAN-ERIC PERRIN / PIERRE DOMENGèS / STEPHANE PAJOT / HUGUES FLECHARD / OLIVIER KERAVAL / MERLE LEONCE BONE / MATHIAS MOREAU / PIERRE MIKAÏLOFF / MARION CHEMIN / JEAN-PIERRE JAFFRAIN / JEAN-NOËL LEVAVASSEUR.

Illustrations : OLIVIER BRUT / JEAN-CHRISTOPHE CHAUZY.

 

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Une série qui n'est pas prête de s'arrêter : le principe est simple, une figure iconique du rock and roll, groupe ou / et chanteur, une trentaine d'auteurs réunis qui écrivent de leur plus belle plume une courte nouvelle censée exprimer de près ou de loin l'univers de ce personnage symbolique. Nous avons déjà chroniqué les volumes dédiés à la story de Little Bob et aux chiens de Dominique Laboubée. Voici donc le dernier consacré au Gun Club de Jeffrey Lee Pierce. Les lecteurs de KR'TNT y retrouveront avec plaisir et fierté notre Cat Zengler national. Je l'affirme haut et fort : le jour où Patrick Cazengler deviendra amnésique – atroce cauchemar - le rock and roll perdra sa Bibliothèque d'Alexandrie.

 

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Gun Club, c'est du pain bénit pour les plumitifs, les chieurs d'encre comme se plaisait à les nommer Jean Lorrain. Du blues trituré sous toutes ses formes, un condensé de l'Amérique électrique. Passe même par Las Vegas comme Elvis. Et ça se termine aussi mal. Pour l'ambiance, c'est du sérieux, du noir, du glauque, du sordide. En plus, le Jeffrey Lee Pierce il n'a rien inventé. A emprunté sa blondeur à Blondie et sa grosseur finale d'hippopotame mal léché à Jim Morrison. N'a rien fait d'autre. Entre temps il s'est contenté d'être. Rares sont ceux qui y arrivent. La plupart de nos contemporains ne dépassent pas le stade premier ( anal dirait Tonton Freud ) de l'existence nécrophilique des morts-vivants. Quelques uns parviennent l'on ne sait trop comment à jouer un rôle de troisième couteau dans le film parodique qui leur sert d'existence. Seul des sept milliards d'individus qui peuplent notre planète Jeffrey Lee Pierce a réussi à devenir Jeffrey Lee Pierce. Il y en a plein d'autres qui ont essayé, et qui même essaient encore, mais c'est une cause perdue, sans espoir. S'est tout de même fait un peu aider par le destin. Comme beaucoup d'adolescents en mal d'émotions fortes, dans sa jeunesse Jeffrey a longtemps hanté les cimetières la nuit. Par bravade. Par une étrange fascination qui ne saurait avoir été innocente. L'on finit toujours par trouver ce que l'on cherche.

 

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Il l'ignorait totalement. C'est une ancienne technique vaudou. Faut de la patience et de l'endurance. S'agit de faire sortir l'âme d'un mort du trou où elle gît et d'en grignoter un morceau lorsqu'elle passe près de vous. Attention à ne pas vous faire bouffer. C'est ainsi que ça se termine dans les meilleurs des cas. De véritables carnassiers affamés ces ectoplasmes vaporeux. Sinon, si vous en détachez un morceau c'est doux comme de l'amadou et aussi savoureux qu'un champignon hallucinogène. Méfiez-vous des imitations et encore plus des effets pervers.

 

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L'on a jamais su si ce fut un hasard ou un coup de génie. Une fois qu'il se promenait dans un grand cimetière sous la lune – ce n'était pourtant pas en Espagne puisque les témoins affirment qu'il y avait des palmiers – matez la circonstance, ce serait un film, vous n'y croiriez pas, vous trouveriez la ficelle trop grosse – à sa grande surprise, le Jeffrey aperçut virevoltante dans les rayons de l'astre Astarté, sortie de nulle part, une âme cotonneuse – mais noire – qui s'en vint s'emberlificoter autour de sa main droite. Secoue un peu les doigts pour s'en dépêtrer, c'est un brin visqueux et pas si agréable que cela au touché. Manque de chance, si la substance se détache sans résistance, l'en reste tout de même une poignée collée à sa paume. Voudrait s'en débarrasser au plus vite, mais voilà que son rendez-vous se pointe. Pour une fois qu'une gerce est pile à l'heure, il ne peut pas la renvoyer. Elle va le prendre pour un pleutre. La veille l'avait draguée en se vantant de l'honorer toute nue ( en anglais ça se dit : baby, I want to fuck You ) on the lawn of a grave. L'avait répondu OK, boy ! Et l'a tenu parole, elle commence déjà à se désaper. Le bonheur c'est comme le malheur, ça ne vient jamais seul. Jeffrey se tourne discréto vers une pierre tombale dans l'espoir qu'en grattant le granit il arrivera à se dépêtrer de ce truc spongieux qui lui colle aux phalanges. Victoire anticipée, la matière noire se détache toute seule de sa main et s'en va voleter au loin. La fille s'est déjà couchée sur l'herbe grasse ( qui pour une fois n'est ni bleue ni du Kentucky ), son corps blanc rehaussée d'un frisotis pubien attendrissant, nous met le Jeffrey en appétit, une faim subite, dévorante, le submerge, n'a même plus l'idée de baisser son froc, se rue sur elle, la langue en avant pour un cunnilingus démentiel. Sous la lueur blafarde de la lune son corps blanc s'arque et gémit comme un concerto de Ravel ( en si bémol pour violon ). L'en faut davantage pour satisfaire un rocker, lui tond littéralement la pelouse, le Mont de Vénus se transforme en Mont Chauve... les voici tous les deux haletants, Jeffrey n'est pas peu fier de son exploit : Regarde chéri, j'ai aspiré tous tes poils ! Arrête de te vanter gros bêta, I just shave my pussy avant de venir ! N'en croit pas un mot le Jeffrey, mais comme il a été bien élevé par sa maman, il ne la contredit pas et déboutonnant son pantalon, il s'apprête à lui jouer I got my mojo workin' dans l'entrecuisse. Nous ne nous attarderons point sur ce déplorable spectacle qui ne pourrait que choquer la jeunesse studieuse qui, à quinze jours de passer son bac, lit stupidement nos chroniques. La fille rassasiée s'en va. Et Jeffrey tout heureux s'en retourne s'occuper du courrier du fan-club de Blondie... Ne sait pas encore que dans la série aujourd'hui on rase gratis il vient d'acheter pour zéro dollar une âme au diable.

 

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Vous l'avez deviné, n'y avait pas un seul cheveu dans la soupe au foutre, le papillon noir voletant innocemment à la brise s'était posée sur l'intime partie de la demoiselle sans qu'aucun des deux ne s'en aperçussent. L'avait ingurgité un morceau de l'âme d'un mort, par mégarde le futur chantre du Gun Club. Le cas n'est pas unique. Pline l'Ancien relate une semblable méprise dans ses Histoires Naturelles. Plus près de nous Pierre Louÿs évoque une affaire similaire dans une lettre qu'il n'envoya pas à André Gide. Deux inadvertances érotiques qui ne bouleversèrent pas le monde. Pour Jeffrey Lee Pierce et le reste de l'humanité, les conséquences furent beaucoup plus dramatiques. Nous n'avons pas encore fini d'en recracher le morceau. 

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N'avait pas avalé par mégarde une bouchée de vulgaire macchabée en goguette. C'était un fragment de l'âme de Robert Johnson qu'une sourde mélancolie de sexe et de stupre avait guidé vers ce providentiel bas-ventre complaisamment offert sur la pelouse funèbre de sa tombe. Imaginez la colère du dieu du blues aspiré par ce lourdaud de Jeffrey. L'a mis du temps à ressortir. Mais à partir de cette nuit-là, les jours de Jeffrey Lee Pierce étaient comptés. Tout le monde s'accorde pour dire que le chanteur était habité par une âme trop grande pour lui. Du profond de ses entrailles s'exhalait un chant incompressible. Une douleur vivante. Un cri d'agonie perpétuel. Que rien jamais ne parvenait à apaiser. Ni l'alcool. Ni l'héroïne. Ni toute autre saleté. Jeffrey s'était empoisonné au blues. Pire qu'un sida mental. Ça vous détruit le corps, et votre esprit ne connaîtra plus jamais de repos. Une satanée mixture, le poison des produits, le feu du sexe, la violence du rock. Dieu est mort. Le Diable est mort. Mais la vieille malédiction de l'Homme survivra à sa propre disparition. Ne me demandez pas pourquoi. Ni comment. J'ai juste essayé de vous expliquer que si vous aimez Robert Johnson, vous adorerez Jeffrey Lee Pierce.

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Damie Chad.

 

L'on termine en beauté avec les Jallies. Deux articles pour nous faire pardonner l'orthographe fantaisiste du prénom de Kross et le baptême de Céline en Nathalie ! Pour nous dédouanner de cette faute impardonnable, nous rappellerons que Marcel Proust use dans La Recherche du Temps Perdu d'un procédé subterfugique identique pour nous faire accroire à la mort d'Albertine. Deux kronics du Grand Phil qui a eu l'ignoble chance d'être témoin du triomphe de nos adorées jaillissantes au festival Confluences de Montereau.

LES JALLIES

FESTIVAL CONFLUENCE / MONTEREAU

06 / 06 / 2015

 

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Le soleil brille, les ombres de midi dansent tandis que la voiture piaffe, moderne mustang, lorsque des obstacles tentent de ralentir sa course. Montereau. Enfin ! Mais c’est déjà l’affluence des grands jours. On se fraye un chemin à grands coups de pare-chocs jusqu’à un petit recoin ombragé où nous pouvons laisser notre fidèle monture pour courir, voler vers l’entrée où les barrières peinent à contenir la foule.

 

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Un an après. Les organisateurs ont compris, compris qu’elles méritaient de descendre les marches et de se retrouver sur l’une des deux grandes scènes du festival, ce coup-ci la scène Lou Reed. Mais quelle idée folle leur est passée par la tête pour les programmer à midi et demi. Etait-ce pour que le disque solaire les auréole de mille éclats ? Impossible, elles rayonnent déjà de mille feux. 

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Qu’à cela ne tienne, malgré cet horaire si peu propice, la pelouse se remplit petit à petit, puis grand à grand. Et c’est parti pour une demi-heure de bonheur swinging rock’n’roll.

 

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On leur laisse si peu de temps que les morceaux s’enchaînent sans prendre le temps de respirer. Le spectateur ébloui bat tous les records d’apnée. Le jeu de Kross et de Tom laisse transparaître cette tension. Guitare et contrebasse nous poussent et nous retiennent au bord du précipice. C’est à un véritable numéro d’équilibriste qu’elles nous invitent pour donner un aperçu de l’immensité de la gamme en un minimum de temps.

 

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De Gene Vincent à Amy Winehouse en passant par Nancy Sinatra, elles n’oublient pas de rendre hommage à leurs aînés, mais la plus grande part de leur set réside dans leurs compositions, jusqu’à la toute dernière qui vient achever cette demi-heure en un feu d’artifice qui laisse un regret, un amer regret...

 

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Quel dommage que ce fût aussi court ! Tout le monde, vieux aficionados ou nouveaux admirateurs, voudrait repartir pour un tour, désirerait que les Jallies les emportent dans le tourbillon magique de leur manège enchanté. La preuve en est le nombre de disques qu’elles ont vendu : il ne leur en est plus resté un seul.

Heureusement un espoir naît de ce succès : qu’elles reviennent encore et plus longtemps sur la scène des Confluences.

These girls are made for singing !

Philippe Guérin

 

ONE DOLLAR QUARTET / JALLIES

LE GLASGOW / FONTAINEBLEAU

JEUDI 07 MAI 2015

 

Des mois, des semaines, des jours, des heures, des minutes, des secondes que je n’avais pu voir les Jallies. A l’annonce de leur concert au Glasgow, mon sang ne fit qu’un tour. Et quel tour ! Je peux l’affirmer à tous les physiciens du monde, il existe une vitesse plus grande que celle de la lumière : celle du sang d’un adminrateur des Jallies à l’annonce de leur concert.

Aussitôt dit, plus vite fait. La voiture file vers l’étoile bellifontaine qui nous guide jusqu’à une rue ensevelie sous la foule. Nos belles font encore et toujours déplacer les foules. 

 

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Tous les moyens sont bons à nos trois grâces pour se faire désirer. Elles ont choisi de laisser tout d’abord la scène à One Dollar Quartet. Mais notre vue se trouble, nos yeux nous jouent des tours : la moitié masculine des Jallies est déjà là. Ne leur ont-elles pas dit ? Mais non ! Tom et Kross font aussi partie de ce quatuor qui ne vaut pas qu’un qu’un sou, qu’un dollar. Et les morceaux de s’enchaîner. Poussés par la batterie d’Alex qui nous frappe aux tripes à coups redoublés. Soutenus par la contrebasse de Kross qui ne nous tient la tête hors de l’eau que pour mieux nous la replonger dans les déferlantes de la guitare de Tom. Le tout enrobé, emballé par la voix de Michael qui ne nous lâche pas d’une semelle, ne prend sa respiration que pour mieux nous la couper. Ces quatre garçons dans le coin du Glasgow nous embarquent tant et si bien qu’on en oublie presque celles pour qui l’on est venu. Mais bons et beaux joueurs, ils nous le rappellent avant de laisser la place.

 

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They are the Jallies. Encore et toujours. Premiers accords, premiers coups de balais. Elles embarquent le public qui se presse, qui pousse les murs. L’espace se transforme, s’agrandit, gravite autour de cette scène, ou plutôt de ce petit recoin d’où elles irradient. Le monde n’est plus le même qu’avant les Jallies. Solaires. Astrales. Un nouvel univers dont elles sont le point nodal. D’un I want to be like you à Goin’ up to the country, ells font swinguer toute l’assistance. Mais ce n’est pas encore assez. Plus on est de fou, plus on rock’n’roll. Voilà qu’elles appellent Vincent et son harmonica dont les accents, comme ceux du kazoo de Céline, nous transportent vers les hautes plaines. Et comme si ça ne suffisait pas, belles joueuses, elles rappellent Alex et Michael. Deux groupes sur scène. Décidément elles nous gâtent ce soir. Et c’est reparti pour un tour. Un effet bœuf. Le public rentre en transe, veut rester toute la nuit, mais les règlements, qui n’ont vraiment rien compris à la magie musicale, annoncent la fin. Sans, cependant, nous empêcher d’entendre un Be bop a lula d’anthologie, où Leslie et Michael se rendent coup pour coup et mettent KO un public ravi, qui ne parviendra que difficilement à quitter la rue du Coq gris, grisé de swing, rock, roll.

 

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They are The Jallies and One Dollar Quartet.

Philippe Guérin