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26/09/2018

KR'TNT ! 386 : MrAIRPLANE MAN / THEE HYPNOTICS / JOHNNY THUNDERS / SANDRO / ROCKAMBOLESQUES ( 1 )

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 386

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

27 / 09 / 2018

 

Mr AIRPLANE MAN / HYPNOTICS

JOHNNY THUNDERS / SANDRO

ROCKAMBOLESQUES ( 1 )

 TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Hey Mr Airplane Man play a song for me - Part Three

 

Mr Airplane Man, ça commence déjà à ressembler à une vieille histoire. Pas seulement parce qu’il s’agit du Part Three de l’accompagnement chronico-K-R-T-N-terrien, mais aussi parce que leur premier album Red Lite date de 2001. Faites le compte. Cela veut dire en clair une multitude de concerts en France et une série de six albums irréprochables. Irréprochables, oui, à condition bien sûr d’aimer ce blues-rock nourri au nec-plus-ultra, c’est-à-dire Wolf, Monsieur Jeffrey Evans, Junior Kimbrough, Don Howland et quelques autres. Elles sont en quelque sorte devenues les porteuses du flambeau de ce son, puisque les Bassholes, le ‘68 Comeback, RL Burnisde, Junior Kimbrough, T Model Ford, les Immortal Lee County Killers de Cheetah Weise, DM Bob & the Deficits ou encore Cedell Davis ont soit cassé leur pipe en bois, soit cessé toute activité. Oh bien sûr, parmi les autres porteurs du flambeau de ce son, on peut citer Left Lane Cruiser, The North Mississippi Allstars, Little Victor et les mighty Excellos, artistes et formations brillants, enferrés jusqu’au cou dans leur passion pour le blues vitupérant, celui qui va loin au-delà des clichés. Ici pas de crossroad at midnight à la con ni de moonshine à trois croix, mais plutôt du Wolf de big foot Chester et du hardware de cordes rouillées. Et là où les deux oies blanches de Mr Airplane Man font la différence, c’est avec cette énorme dose d’extrême délicatesse qui semble vouloir distinguer leur strong blend de blues. On a même l’impression qu’elles s’améliorent à chaque concert. Sans doute l’ambiance iodée de Binic favorise-t-elle ce genre de délire contemplatif, toujours est-il qu’elles rockent the beach avec infiniment plus d’impact que la plupart des autres groupes, souvent de féroces garage-bands déterminés à grimper sur le trône de l’underground binicais.

Aw so good to be in Binic et pouf Margaret envoie ses accords sixties, oh baby, so good, comme le fit Van the man jadis, «Red Light», pas de problème, ça rocke dans l’aw my God et elles basculent comme deux atroces couleuvres dans l’aouuh de Wolf, she gave me gazo/ line, pas sympa la copine de Wolf, Margaret rattrape toute la souffrance de Big Foot au vol, aohhhh. Tara ne tarit pas car elle joue un riff d’orgue d’une main et tatapoume de l’autre, voilà «Hang Out», ça lancine dans l’air breton. S’ensuit un «Not Living At All» assez hypnotique. Elles rockent et quand Tara place ses chœurs, elle shoote au cul du cut une violente dose de féminité, et ça mon gars, ça vaut tout l’or du monde, car à cet instant précis, Tara devient Ellie Greenwich, elle swingue son chœur dégingandé et chaloupe des épaules, avec un sens du feel ahurissant. Et Margaret joue le jeu, avec une aisance épouvantable, elle accompagne ses montées de fièvre en ployant les genoux, c’est d’une efficacité redoutable, elle chante son trash-blues à la vie à la mort et elle capte toutes les ondes d’un public conquis, pareille à ce fameux trou noir qui engloutit des myriades étoiles. Version endiablée d’«Up In Her Room». Margaret et Tara tapent leur set avec une fantastique économie de moyens et une maîtrise des relances qu’il faut bien qualifier d’ahurissante. Par les temps qui courent, le zéro frime a quelque chose de rassurant. C’est peut-être cet aspect-là qui forge les admirations. On les sent toutes les deux vouées à leur blues-art, comme deux Carmélites du XVIIIe siècle. Leur blues-art sent bon l’éthique passionnelle. Elles semblent même parfois appartenir à une autre époque. Le temps n’est malheureusement plus aux puristes, l’épidémie de m’as-tu-vu gagne à chaque seconde des centimètres et finira par tout dévorer, sauf Mr Airplane Man et quelques autres artistes intouchables. Elles sont au blues-art ce que Marcel Duchamp fut à l’art, peut-être pas des Jansénistes assainies assez ascétiques, mais des refuseuses de compromission, uniquement préoccupées de blues, comme Duchamp l’était de modernité. Et comme chacun sait, la raison d’être de la modernité est d’échapper à l’art. Elles n’iront pas comme Duchamp jusqu’à démanteler le sens pour parvenir à leurs fins, mais on détecte parfois chez elles quelques petites velléités de déconstructivisme latent. Bref, tout ce pompeux parallèle n’a d’autre but que d’affirmer l’ineffable modernité de Mr Airplane Man. Oui, le blues est l’âme de la modernité. Leadbelly vous en donnera la preuve. Les gens auraient tendance à considérer le blues et le rockab comme des genres périmés, des espèces de vieux trucs poussiéreux, mais non, c’est un malentendu. Pourquoi ? Eh bien parce qu’il y a plus d’énergie et de classe dans le blues, Horatio, que n’en rêve ta pauvre philosophie.

Leur nouvel album s’appelle Jacaranda Blue et dès «I’m In Love», le souffle du shuffle vient nous caresser la nuque. Il vaut mieux que ça soit la nuque plutôt qu’autre chose, n’est-ce pas ? Dans la vie, il faut toujours essayer de rester correct. Elles savent rendre un boogie-blues fantômatique et sans doute est-ce là ce qui fait tout leur charme discret, comme dirait Buñuel. Elles se coulent dans le mood du groove et nous avec. On sent l’inaliénable emprise. Elles jouent toutes les deux dans les règles du grand art et montent leurs cuts sur des petits riffs à la fois classiques et aventureux. Tara bat toujours bien large, pour créer l’espace nécessaire à sa copine. Les deux font bien la paire. Elles écrèment la crème de la crème, avec une pugnacité qui les honore (chacun sait qu’il vaut mieux être honoré que déshonoré). Margaret claque «Deep Blue» à la revoyure. Elles sont toutes les deux immensément douées, il faut voir l’entrain de ce son. Margaret hyper-joue, comme d’autres hyper-ventilent, elle le fait avec de l’esprit en veux-tu en voilà. Elle chante «Sweet Like A» sous un certain boisseau d’intérêt limité et la vie reprend tout son sens avec «Blue As I Can Be». Elles reviennent enfin dans le giron de Junior Kimbrough et roulent leur bosse dans le North Mississippi Hill Country Blues. C’est pompé, oui bien sûr, mais en hommage, ça va de soi. Elles nous y tartinent une vieille couche de transe hypno de sweet baby. Avec «Good Time», elles reviennent au rocky road avec un son plus claqué. On note la présence d’un gros shoot de bassmatic. Tara chante «Believe» et ce n’est plus la même chose. Les voilà dans le barrellhouse de cabane branlante, ça donne du cachet, c’est bombardé de cartes de France et de coups d’ahoowaah ! La baraque finit par s’écrouler dans la mare aux canards. C’est atrocement génial et explosé de son. Elles montent à la suite «You Do Something» sur un riff des Yardbirds. Elles tapent ça au suspense anglais. Elles redoublent encore d’à-propos avec «Never Break», espèce de garage d’Airplane, fusillé à la slide. Margaret y va à coups de bottleneck et à la pulsion extrême. Elles terminent ce brillant album avec «No Place To Go», tapé au riff de heavy blues, comme si elles voulaient rendre hommage à Wolf. Une marée superbe emporte Margaret dans le néant.

Signé : Cazengler, Mr. planplan man

Mr Airplane Man. Binic Folk Blues Festival (22). 29 juillet 2018

Mr Airplane Man. Jacaranda Blue. Beast Records 2018.

Hip hip hip notics ! - Part Two

 

Les voies de l’underground sont parfois impénétrables. On pourrait aussi dire que toutes les voies mènent aux Hypnotics, surtout celles qui sont impénétrables. Tout compte fait, on est bien content de se retrouver un soir de septembre dans un petit club orléaniste face à ce phénomène totalement inespéré qu’est le come-back des Hypnotics sur scène. Ce qui fut underground à une autre époque l’est sans doute mille fois plus aujourd’hui. On croise des milliers d’étudiants dans les rues de cette petite ville jadis chère à Jeanne d’Arc, mais ces milliers d’étudiants ne descendront pas au club pourtant situé à deux pas pour voir le concert d’un groupe dont ils n’ont jamais entendu parler. Le problème n’est pas de savoir si les Hypnotics et tous les groupes de cette génération sont des has-been et d’en conclure que leur temps est révolu. Non, il faut raisonner complètement à l’envers et savoir apprécier la chance qu’on a de revoir jouer un groupe aussi brillant. Et du coup, ce groupe qui à l’époque avait une dimension réelle l’a aujourd’hui mille fois plus, car s’ils jouent comme ils jouent, c’est qu’ils savent - deep in their hearts - qu’ils sont bons. Qu’ils restent d’une brûlante actualité. Et même doublement brûlante. Leur son n’a jamais été aussi tentaculaire, ils développent à quatre une espèce d’immense pieuvre stoogyco-psychédélique longue d’une heure et batailleuse, enveloppeuse, invulnérable, agitée de spasmes terribles, c’est une musique dont on sent la fibre et la chaleur, et la pieuvre ne te lâchera plus jusqu’à la fin. Pour corser l’affaire, la pieuvre est bicéphale : Ray Hanson et Jim Jones se partagent le rond du projecteur. Ils sont au rock anglais ce qu’Iggy et Ron Asheton étaient au rock américain, les artisans d’un chaos salvateur, les sonneurs de tocsin, les réinventeurs de l’apothéose, ils sont dans la même énergie, dans la même croyance en des jours meilleurs, dans une quête insensée du Graal sonique, mais à la différence des pauvres chevaliers de la Table Ronde, ces mecs-là trouvent leur Graal. Oh, il ne dure qu’une heure, mais quel Graal ! Les Hypnotics groovent, et ça fait toute la différence. Comme le rappelait Don Was à propos des Stooges et du MC5, le groove et le feeling sont les deux éléments déterminants. S’il en manque un des deux, c’est cuit. Mais si les deux président aux destinées du son, alors ça peut devenir légendaire. Comme dans le cas des Hypnotics. Ray Hanson est une sorte de groover supérieur. Il joue sur une SG qui sent bon le vieux vécu. L’homme est de petite corpulence, tout vêtu de noir, il porte quelques bijoux, un rideau de cheveux bruns filtre le réel autour de lui, et ses snakeskin boots sont aussi explosées que celles de Keith Richards, dans la fameuse scène filmée à Muscle Shoals. Oui, Ray Hanson est un hot condensé de rock star à l’Anglaise, il perpétue brillamment la tradition, il ne pourrait en être autrement, on sent chez lui la vocation qui remonte au plus jeune âge. Qu’aurait-il pu faire d’autre que de jouer de la guitare dans un groupe de rock ? Et comme lors de leur premier come-back à Trouville, en juillet dernier, ils attaquent avec un flamboyant «Soul Trader», histoire d’indiquer la voie impénétrable, celle qui nous intéresse. Le rock des Hypnotics reste un rock classique, mais joué avec le feu sacré, une sorte de pulsion organique, quelque chose de viscéral. Jim Jones tisonne et hante son son, il en harcèle l’avant-garde et l’arrière-garde, il cultive l’art du relentless et on assiste à une sorte de belle montée de fièvre, c’est très palpable, très contagieux, admirablement bien orchestré. Ils enchaînent avec ce stormer patenté qu’est l’«Heavy Liquid» tiré de leur dernier album, The Very Cristal Speed Machine, groové jusqu’à l’os de la mortadelle, imparable, quasi-cosmicoïdal, ça puzzle dans le kaléidoscope paraplégique, ils vont loin dans le haze de la daze et ça retombe dans l’inconnu avec «Nine Times», un cut qui ne figure même pas sur les albums, c’est un obscur b-side comme seuls savent les bricoler les Hypnotics. La pieuvre flotte dans l’air et comme toujours dans ces cas-là, on échappe au temps. Comme si les Hypnotics reprenaient la main sur le sentiment de vivre. Comme s’ils déroulaient un nouveau mode de fonctionnement. «Come Down Heavy» est le morceau titre de leur deuxième album et comme l’indique le titre, on descend avec eux très bas dans les ténèbres d’une heroic-fantasy hypnotique, sans doute-est-ce là qu’ils veulent le plus stooger leur bigorneau, comme le montrait à l’époque la pochette de l’album, une sorte de fac-similé de Funhouse, bien dans les tons orangés et les mines de merlans frits. On trouvait même à l’époque qu’ils en faisaient trop, mais en y réfléchissant bien, en fait-on jamais assez ? Bien sûr que non. Ce qui semble trop n’est jamais trop, et si on raisonne à l’inverse, le pas assez n’en finit plus de n’être pas assez. En général, le pas assez s’épuise le premier. Alors que le trop semble vouloir résister plus longtemps. Toujours est-il que Ray Hanson change de guitare pour jouer «All Nite Long». Il récupère sa Mosrite bleue et n’en finit plus de bâtir des architectures soniques d’une rare complexité, mais il veille à rester dans le heavy groove qui caractérise si bien le son des Hypnotics. D’ailleurs, il est utile de préciser qu’en Angleterre, ils étaient les seuls à sonner ainsi. Mis à part les Primal Scream de Robert Young et les early Damned, les groupes anglais n’ont jamais raffolé de stoogeries. Sans doute était-ce un son trop américain pour les Anglais. Puis nous verrons défiler ces vieux standards efflanqués que sont «Coast To Coast», «Shakedown» et «Justice In Freedom», nous verrons Jim Jones et Ray Hanson se jeter à quatre pattes pour se livrer à un numéro d’incantation voodoo et puis après un rappel bien sonneur de cloches, ce sera la fin d’un set forcément trop court, tu sais, le genre de moment plaisant qu’on ne voudrait jamais voir s’arrêter.

 

PS. Un canard rock anglais signalait récemment la parution d’un docu consacré aux Hypnotics. Heureuse coïncidence, le DVD trônait tout seul sur la petite table du mersh (le reste était sold-out). Il s’intitule Soul Trading et le réalisateur n’est autre que Phil Smith, le batteur du groupe. Le docu raconte l’histoire d’un groupe aussi poissard que les Dolls : un accident de la route qui flingue une tournée américaine alors que le groupe tourne à plein régime, et qui laisse Phil Smith avec les hanches broyées, puis la mort de Craig Pike, le bassman, des suites d’une overdose à Londres. Forcément, le docu tire sur le sombre. Jim Jones, Ray Hanson et Phil Smith racontent leur histoire. On note aussi la présence de prestigieux invités, notamment Tav Falco qui fait l’intro du docu à sa façon : il rappelle que les Hypnotics ont joué pour la première fois au Dingwalls en première partie des Panther Burns. Il les voyait comme des stepping razors et les qualifie de shambolic, destructive & soulful. Rat Scabies rend lui aussi un sacré hommage à ce groupe dans lequel il a joué quand Phil Smith était en convalescence - Ray plays the guitar from the sensation of volume - On trouve à la suite du docu les vidéos officielles du groupe, et voilà le travail.

Signé : Cazengler, l’hypno à nœud-nœud

Thee Hypnotics. The Blue Devils. Orléans (45). 20 septembre 2018

Phil Smith. Thee Hypnotics. Soul Trading. DVD 2018

 

24 / 09 / 2018 – LA COMEDIA

SANDRO / FISURA

Soutien aux peintres qui ont réalisé les fresques – façade coin de rue et intérieure – de la Comedia. Par la même occasion soutien à la Comedia. Pas mal de monde. Beaucoup d'hispanophones. Logique, les géniteurs de cette explosion picturale sont d'origine chiliennes. Vous en reparlerai plus longuement dans une prochaine kronic. Ici m'intéresserai à la partie musicale de la soirée. M'attendais à un groupe punk, erreur fatale, sont sympathiques, au début sont cinq sur scène, guitares, électrique et sèche – contrebasse, cajon, percussions, puis au fur et à mesure tout un escadron de guitaristes et de chanteurs qui s'agglutinent, morceaux longs, mid-tempo, très loin de la feria gitana y del cante jondo, pas tout à fait ma tasse de jack, m'éclipse dans la cour fumoir, dans lequel se retrouvent les amateurs d'agitation musicale plus musclée... Partirai d'un commun accord avec le copain avant la fin de la soirée tandis que retentit Commandante Che Guevara...

SANDRO

Débute la soirée. L'est tout seul avec son ordi, ses percus et ses saxophones. Se livre à un genre dangereux : musique expérimentale live. S'en sort bien. Joue du soprano sur un sampler, écorchures de cuivre et ruissellement sonique, l'a du souffle et de l'imagination, l'on est près du jazz mais d'un jazz totalement libéré de ses patterns, juste le plaisir de produire du son, quitte à poser l'embouchure sur le dessus d'une boite de conserve, façon de tordre le cou à la musique à la manière de Tribulat Bonhomet de Villiers de l'Isle Adam qui noyait les cygnes dans les bassins pour jouir de leur dernier chant. Cherche un rythme sur ses tablas, l'enregistre pour au morceau suivant soloïser dessus, l'art imite la nature, rien ne perd tout se recycle. Le plus beau moment de la soirée. Artiste solitaire. N'a besoin de personne pour exister. Souffle continu. Se suffit à lui-même. Peu y parviennent. Rares ceux qui l'envient. Cela demande trop d'exigence, vis-à-vis de soi-même.

Damie Chad.

 

LA FRANCE &

JOHNNY THUNDERS

DANS L'OMBRE DE LA CROIX

THIERRY SALTET

( Julie Editions / Septembre 2008 )

Les Julie Editions méritent le détour, trois books ( hélas épuisés ) sur les Kinks, les Cramps et les Flamin Groovies d'Alain Feydri, plus le grand format de Thierry Saltet : Punk Rock Festival Mont-de-Marsan 1976 et 1977. Le massacre des bébés skaï, chroniqué in KR'TNT ! 177 du 20 / 02 / 2014, et maintenant ce seul livre, rédigé en français, entièrement consacré à Johnny Thunders, à se procurer d'urgence par exemple à julieprod@worldonline.fr

 

Certains se gaussent de la France. Certes comparée à la grande Amérique et à la perfide Albion, elle n'a produit que très peu de rockers, mais elle sut accueillir et recueillir quelques unes des légendes les plus noires du rock'n'roll, Gene Vincent, Vince Taylor, Johnny Thunders, pour ne citer que les plus emblématiques. Notre pays a peut-être plus que tout autre aimé et mythifié le rock, sous forme de minuscules chapelles ardentes, mais d'une flamme obstinée. Le livre se termine d'ailleurs sur cette sombre méditation, la mèche ne serait-elle pas prête à s'éteindre faute d'huile. Tout cela ne serait-il pas un simple phénomène générationnel qui bientôt sera enfoui avec les corps morts des protagonistes dans la glaise des cimetières, ou envolé dans les fumées des crématoriums... Sombres perspectives, à laquelle il n'est qu'une échappatoire : le retour aux origines.

Le livre raconte la vie de Johnny Thunders, du début à la fin, la relation est sans arrêt coupée par l'insertion d'extraits d'interviews, de témoignages ou de réflexions des principaux protagonistes qui de près ou de loin ont participé aux coups successifs de notre tonnerre préféré et aux orages avortés que fut l'existence de Johnny Thunders. Les racines françaises et américaines sont les mêmes, l'insatisfaction des kids devant le piètre état du rock'n'roll au début des seventies. Le rock triomphe, le roll est mort. L'est devenu une musique adipeuse, une éponge à virtuosité, de la clinquance boursoufflée, bref on s'ennuie. L'on n'attend plus que les gars qui donneront du pied dans la fourmilière. La tsunami se produira à New York. Normal, c'est aux USA qu'est né le rock'n'roll, il est logique qu'il y refleurisse une deuxième fois. Ne fallait pas attendre grand-chose des mangeurs de grenouilles, le bouquin s'ouvre sur nos Variations – notre premier grand groupe électrique de la deuxième génération - le public les soutiendra mais faute d'intérêt de la part des médias et des maisons de disques ils finiront par immigrer aux States. Nul n'est prophète en son pays ! Marc Zermati propose une analyse sociologique non dénuée d'intérêt, la première vague française des groupes des années soixante comportaient en leur sein un pourcentage non négligeable de jeunes pieds-noirs beaucoup moins inféodés aux idéologiques courants anti-américains qui sévissaient dans la plus grande partie de la population métropolitaine, de surcroît il voit dans les origines italiennes de Johnny Thunders une explication à l'acclimatation de Johnny Thunders en la France de culture latine. S'il est un destin – nous employons ce terme dans son sens heideggerien - lié aux individus, le fait que Johnny Thunders soit mort à la Nouvelle Orleans peut être porté à l'actif de ce genre d'argumentaire. Jeux complexes des hasards du vécu et des nécessités symboliques.

 

JOHNNY THUNDERS AVANT JOHNNY THUNDERS ALONE

Johnny Thunders fut le guitariste fulgurant des New York Dolls. L'histoire débute à New York – méfions-nous le ver est souvent dans les grosses pommes - cinq jeunes kids qui décident de former un groupe de rock, ce seront les New York Dolls. Une idée toute simple, revenir à un rock'n'roll de haute énergie. Ils ne sont pas les seuls à l'époque, tout près d'eux Kiss et Aerosmith sont agités d'un même désir. Mais chez nos poupées de New York, c'est un peu différent. Ce n'est pas qu'ils soient les meilleurs du monde, la fougue supplée souvent à une véritable maîtrise instrumentale, même s'ils ne sont pas manchots, même s'ils délivrent des sets qui enthousiasment leur public. Les Poupées foncent droit devant, ont l'insolence de porter ce rêve fou de devenir les Rolling Stones américains. Faudrait pour cela un plan de campagne mûrement préparé et une major décidée à mettre le paquet ( de dollars ). Ils ne l'auront pas. Foncent droit devant, surfent sur l'écume du scandale, s'habillent en filles – étonnamment les partisans des théories du genre qui aujourd'hui font florès dans nos universités ne citent guère nos héros comme signes avant-coureurs de leurs analyses, il est vrai qu'entre les hégémoniques théorisations abstraites et le désordre existentiels des actes transgressifs il existe une différence essentielle. Celle qui sépare la fureur de vivre de la momification universitaire.

Rock'n'roll dévastateur, phantasmatasie sexuelle, les Poupées ne manqueront pas d'oublier le troisième terme de la trilogie. La dope sera présente dès le premier jour. Mais il est des serpents qui sont plus difficiles que d'autres à amadouer. Suffit qu'ils vous piquent pour que vous deveniez leurs esclaves. L'héroïne se révèlera incapacitante... Jusqu'aux Poupées le schéma de la réussite rock était simple : primo, vous étiez anglais et votre groupe perçait à un niveau national, deuxio vous cherchiez et trouviez la consécration aux USA. Les Poupées feront le chemin inverse. Ils partiront d'Amérique, dans laquelle ils n'ont obtenu qu'un relatif succès d'estime que les ventes de disques ne confirmeront pas, pour apporter la bonne parole en Angleterre. Y perdront leurs batteurs, Billy Murcia mort d'overdose, mais il y a pire, ils rateront leurs apparitions censées enthousiasmer les foules... Autant dire que la mort du groupe est désormais programmée. La déplorable tentative de Malcolm McLaren venu d'Angleterre pour prendre en mains les destinées de nos poupons n'y changera rien.

En 1975, Johnny Thunders et Jerry Nolan qui ont démissionné des Dolls forment the Heartbreakers. Ils recruteront notamment Richard Hell qui ne restera pas, plus tard il sera le leader de Television. Hell est une figure essentielle du mouvement punk new yorkais, mais l'osmose ne se fera pas, l'est trop intello pour Johnny et Jerry qui vivent le rock en quelque sorte à l'arrache sauvage. Les portes se referment devant le combo avec une telle régularité – la réputation dollique s'avère toxique – que le départ in the great-britain devient obligatoire. Le parallèle avec Gene Vincent et Eddie Cochran quittant quinze ans plus tôt l'Amérique pour l'Angleterre est des plus instructifs. Sur le sol britannique les Heartbreakers menés par Johnny Thunders font la différence. Les concerts de nos ricains apportent la preuve de leur supériorité rock'n'rollique. La route vers la gloire semble toute tracée. L'enregistrement de leur album LAMF en 1977 précipitera leur chute. Une malédiction absolue. Un chef-d'œuvre à placer tout en haut à côté de Fun House des Stooges et du Kick Out The Jams du MC5, un des grands albums du rock'n'roll, dont les géniteurs sont les premiers à être mécontents, le mixage ne les satisfait pas, il n'est pas à la hauteur de l'énergie que dégage le groupe, à tel point qu'il en existe de nos jours trois mixages différents – sur la préférence desquels les fans se disputent encore... pour la petite histoire la même mésaventure est arrivée au Raw Power des Stooges... Le mieux est parfois l'ennemi du bien... Les Heartbreakers se séparent en 1978... Non sans être passé d'abord par Paris. Nous retrouvons dans leur sillage une figure bien connue chez KR'TNT ! Patrick Renassia, actuellement patron de la boutique de disques et du label Rock Paradise. Lorsque le lézard du rock'n'roll vous a mordu, soyez sûr que le venin ne se dissipe pas de sitôt.

 

JOHNNY THUNDERS ET LA FRANCE

C'est ici que commence non pas le livre mais le sujet du livre. Ne surtout pas croire que Johnny Thunders soit un inconnu par chez nous. La vie et la dissolution des Dolls et des Heartbreakers ne se sont pas passées en pays lointains et en terres inconnues. Toute une partie de la jeunesse a suivi leurs chaotiques aventures depuis le commencement. Une minorité certes, mais active. De celles qui ont l'intuition de remettre les pendules du panthéon rock à l'heure. A la seconde près. Leurs disques ont été achetés, écoutés des milliers de foi, l'on connaît leurs faits et leurs gestes, et même dans les plus profondes provinces sont parvenues les échos des fastueuses parties qui ont suivi les concerts des New York Dolls à Paris. Un traumatisme. Durant une petite semaine la sensation que le phénix brûlant du rock'n'roll avait enfin daigné se poser de par chez nous. De la légende en train de se tisser sous nos yeux. Emerveillante car ce n'est pas un phénomène isolé, l'incendie du punk qui éclate en Angleterre avec les Sex Pistols cornaqués par Malcolm ''Coucou Me Revoilà'' McLaren, les brûlots qui proviennent des USA, tout le monde est conscient que l'on est en train de vivre des temps historiques. ( En plus l'Histoire nous donnera raison. ). Johnny Thunders bénéficiera jusqu'à la fin de cette aura. Quoi qu'il fasse, il restera pour beaucoup un héros. Malgré tous ses errements lui seront collés à jamais l'image et le rôle du survivant, et de l'initiateur de cette apocalypse heureuse et triomphale dont il aura été un des chevaliers blancs ( lisez un des démons les plus noirs ) essentiels.

Beaucoup trop de dope, pour Johnny. Où qu'il aille dans n'importe quel coin du Royaume-Uni les dealers l'attendent – voire le précèdent – chères tentations dont il ne peut se déprendre. Paris apparaît comme une terre d'asile qui lui procurera quelques mois de répit. Mais la loi du commerce est d'airain, le besoin appelle l'offre, et quand c'est la dépendance qui devient nécessité, les épiceries vous sont toujours ouvertes. Les courtiers sont à votre service. Vos désirs sont des ordres. Attention le crédit n'est pas illimité. Mais à Paris, question métier, Johnny trouve l'impossible que l'Angleterre refusait. Un noyau de fans et d'activistes qui lui resteront fidèles jusqu'au bout. Nous n'en nommerons que quelques uns. Marc Zermati, on ne présente plus le tenancier émérite d'Open Market et le créateur fou du label Skydog, qui eut pour premiers faits d'armes le courage de publier par exemple le Metallic KO de Iggy & The Stooges sur lequel personne n'aurait misé une demi-moitié de caramel mou avarié. Pour faire vite disons que Zermati à lui tout seul, grâce à son flair, ses connaissances, son esprit d'entreprise, et sa loyauté, c'est la moitié du rock'n'roll français. Sans compter toutes les mains tendues aux perdants magnifiques du rock américain... Avoir une maison de disques à ses côtés c'est bien, en avoir deux c'est mieux. La deuxième fleur du bouquet se nomme New Rose, de Patrick Mahé qui réussira le prodige d'éditer plus d'un millier de disques, alternatifs français et groupes cultes d'outre-Manche et d'outre-Atlantique, les Cramps et les Gories pour n'en citer que deux dument chroniqués par notre Cat Zenler kr'tntique... La vie eût été beaucoup plus difficile pour Johnny Thunders si les frères Taïeb ne lui avaient ouvert très régulièrement les portes du Gibus. Une affaire gagnant-gagnant, Thunders possède un public d'inconditionnels qui remplit la salle, et pour Thunders c'est la certitude d'une espèce de salaire fixe quasi mensuel, qu'il s'empresse de dilapider, sous forme de poudre blanche.

Johnny est accro, le public des tournées ( France, Pays-bas, Suède... ) le sait, et petit à petit s'instaure un jeu pervers et morbide, l'on ne vient plus écouter le guitariste prestigieux, mais l'artiste talentueux qui perd les pédales, qui est incapable de finir un morceau, qui se barre au bout de vingt minutes. Tout juste si vous ne demandez pas à être remboursé si vous avez droit à un Johnny en pleine forme. Johnny n'est pas un abruti. Des proches peuvent en témoigner, dix minutes avant de monter sur scène Johnny est clair comme de l'eau de roche, et sur les tréteaux il n'est plus qu'un canasson qui ne se rappelle plus de quel côté part la course. Vous voulez un camé, le voici. En parfait entertainer ( n'est pas américain pour rien ) Johnny endosse le rôle qu'on aime lui voir tenir... Un pro.

Ce n'est pas toujours le cas. Souvent il est vraiment parti pour de bon et parfois il le paiera très cher, son épouse lassée le quittera et lui interdira de voir ses enfants... L'on peut tout de même entrevoir au cours de ces treize années chaotiques se dessiner une tendance à se préserver. Il délaissera l'héroïne ce qui éloignera les dealers pour un traitement médical à la méthadone, et vers la fin il acceptera enfin un sevrage total. Nous sommes en 1990, ses amis sourient, Johnny est plein de projets, son prochain disque sera enregistré à la Nouvelle Orléans. Un étrange phénomène se passe, il va mieux mais son aspect physique se délabre, il a replongé mais ce n'est plus la poudre qui est responsable de ce teint cadavérique, blanchâtre, verdâtre, depuis combien de temps se trimballe-t-il cet empoisonnement du sang et pour appeler un chat un cat, cette leucémie... Il part seul, débarque à la Nouvelle Orléans, prend une chambre d'hôtel, dépose ses affaires, ressort, rentre tard dans la nuit en compagnie d'on ne sait qui. Font un beau potin. Et puis plus rien, le lendemain on le retrouve mort, sa guitare en morceaux... on n'en saura jamais plus. Le dernier gumbo.

Reste le guitariste. Johnny Thunders n'est pas un virtuose, n'est pas Hendrix qui veut, d'ailleurs il ne veut pas. Son style ce n'est pas l'éparpillement de milliers de notes, reste modeste, joue sur le pré carré de deux ou trois accords, son style évoluera d'ailleurs vers le blues, certes il sait jouer rapide, faire crépiter l'électricité, mais il sait aussi composer des ballades, et est aussi bon à l'acoustique. Son génie, réside en son toucher, l'a son son, reconnaissable entre tous, une façon de sortir son âme, quel que soit l'instrument sur lequel il joue, il le retrouve, immédiatement, sans effort ce qui exige une gymnastique mentale extraordinaire. Celui qui n'a jamais entendu écoutera d'abord So Alone ( électrique 1978 ) et Hurt Me ( acoustique 1984 ), et puis Que Sera Sera ( 1987 ) pour avoir une idée des voies divergentes que Thunders entreprit d'explorer.

En cette brève chronique, le projecteur n'a pas quitté Johnny. C'est profondément injuste. Thierry Saltet – l'écrit bien l'animal, l'a des passages qui sont de véritables poèmes en prose - évoque ( et donne la parole ) à de multiples personnages, notamment les musiciens d'ici qui l'ont accompagné. Les témoignages concordent, nous présentent un être attentif aux autres, aussi écorché vif que ses licks de Gibson, mais qui a construit ses propres murailles de défense. Orgueil, solitude et roublardise. Un artiste culte - au dix-neuvième siècle l'on parlait de poëtes maudits – un euphémisme pour dire que le succès n'était pas au rendez-vous. L'a pourtant tutoyé par deux fois. Mais son inconséquence ne lui a pas permis de le garder. Dans son dos, l'on ne se gênera pas pour le traiter de l'infamante expression d'hasbeen. Il ne s'est pas épargné lui-même, mais on ne l'a pas épargné non plus. Qu'importe, il reste un héros mythique du rock'n'roll au même titre que Gene Vincent, que Vince Taylor, un chemin de ronces et d'épines, l'a choisi de porter sa croix sans rechigner, sans jamais exiger de quelqu'un d'autre qu'il l'aide à porter son fardeau.

Le livre possède une autre qualité, en filigrane on peut y lire une histoire du rock'n'roll français, ce n'est pas le sujet mais le contexte s'y prête. Thierry Saltet ne mâche pas ses mots, dresse la liste des trahisons, des renoncements, des fausses excuses, ceux qui remisent le rêve dans leur poche et rajoutent un mouchoir par dessus pour qu'il ne s'échappe pas, une attitude peu rock'n'roll en totale contradiction avec la trajectoire de Johnny Thunders.

Nous terminerons sur le témoignage d'un fan, pas n'importe lequel, l'a déjà écrit dans Kr'tnt !, l'est une haute figure du tout Paris rock'n'roll, me disait avant-hier qu'il n'avait raté que deux concerts de Johnny au Gibus, Hubert Bonnard, qui raconte sa rencontre avec le roi Thunders lors du tournage de Mona et Moi de Patrick Grandperret sorti en 1989. Un instant de cocasserie émouvante, le pire c'est que cela ne nous est jamais arrivé. Ne nous arrivera jamais. Qu'emporterons-nous donc avec nous lorsque notre tombe sera creusée !

Damie Chad.

ROCKAMBOLESQUES

FEUILLETON HEBDOMADAIRE

( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

en butte à de sombres menaces... )

EPISODE 1 : LA CHASSE AU RENARD

( Vivace Mysterioso )

CONSEIL DE GUERRE

Pendant que le Chef réfléchissait et que Cruchette soulevait des tonnes de poussière dignes des Dust Bowls de l'Oklaoma, ne sachant trop que faire je saisis l'occasion de ce moment de repos pour commencer à réaliser un de mes vieux projets qui m'obsède depuis pratiquement le premier jour de ma naissance : laisser à l'Humanité un ouvrage destiné à traverser les siècles futurs afin que le souvenir impérissable de ma modeste personne ne soit jamais effacé de la mémoire des Hommes, c'est pourquoi en cette fin d'après-midi automnale j'entrepris la rédaction de mes Mémoires. Hélas, je n'en avais pas terminé la première ligne que le Chef convoqua toute affaire cessante une réunion de travail.

    • Mes amis, l'heure est grave – sur le champ Molossa cessa de mordiller son os, s'assit sur son séant et dressa ses oreilles – je résume la situation : le SSR se trouve en une position périlleuse, reconstitué par la volonté expresse du président de la République, il n'a étrangement reçu aucune directive, aucune lettre de cadrage. Situation étonnante qui nous indique que c'est à nous de mettre au point notre propre stratégie.

    • Chef, nous ne connaissons même pas l'ennemi que nous avons à combattre !

    • Agent Chad, ne soyez pas si impétueusement dérouté. Pendant que vous gribouilliez je ne sais quoi sur votre cahier d'écolier, j'ai élaboré, le plan d'attaque qui nous permettra de le débusquer. Désormais nous le désignerons sous son nom de code La Chasse au Renard, autant dire que nous allons jouer serré.

    • Superbe j'adore les jeux de société ! Tous les soirs avec Papa nous jouions aux petits chevaux !

    • Un jeu d'une pertinence infinie, Cruchette, voici les règles de celui-ci. Elles sont simples. Deux équipes : la A formée de l'agent Chad et de Molossa, tous les deux nous constituerons l'équipe B. Mais maintenant écoutez attentivement : voici le déroulement de la partie : le but du jeu consiste à faire sortir le renard de son terrier afin que puissions l'identifier et le neutraliser. L'équipe A sert d'appât. Voici pourquoi dans deux jours, mercredi matin à 6 heures exactement, l'agent Chad monte dans sa voiture et se rend chez Popol prendre son petit déjeuner. Celui-ci achevé, il reprend son véhicule et s'en va par monts et par vaux, se fiant à sa fantaisie et à son caprice. Il n'est pas seul, vous et moi, Cruchette, nous l'attendions à proximité de chez Popol, nous le suivons de loin, une filature discrète. Si mes déductions sont justes, le Renard viendra s'intercaler entre nos deux véhicules. Le repérer et le mettre hors-jeu ne devrait pas être très difficile. La partie sera gagnée !

LA CHASSE AU RENARD

Top chrono. Six heures pile. Molossa et moi nous nous engouffrons dans la teuf-teuf. Mon bol de Jack m'attend et Molossa salive en pensant à son steak tartare amoureusement préparé par Popol. A quoi tient la vie. L'impondérable évènementiel s'en vient parfois bousculer les plans les plus machiavéliques. Mais qu'est-ce que cette gerce, faut qu'elle traverse juste au moment où je brûle le seul feu rouge de Provins, je freine à mort, la teuf-teuf en crabe au milieu du passage-piéton, et la nana pas gênée qui ouvre la portière, qui s'empare du siège, déplie ses longues jambes et s'installe comme si elle partait en croisière. N'ai pas le temps d'ouvrir la bouche qu'elle se met à jacter :

    • C'est gentil de vous être arrêté, vous tombez bien, je suis pressée. Pouah quelle horreur, ça sent le rat musqué, ah oui je vois un chien pouilleux qui ronfle sur la banquette arrière, et vous par Sainte Suzanne, un rocker, qui se croit beau parce qu'il porte un vieux Perfecto dont je ne voudrais pas pour essuyer le pot d'échappement de ma voiture en panne. Démarrez donc espèce d'abruti, et tournez immédiatement à droite !

    • Désolé, pour moi c'est à gauche. Mon dèje m'attend chez Popol !

    • Ah ! Parce que vous fréquentez cet antre de dévoyés, ce nid de rebuts de la société, cela ne m'étonne pas de vous, en plus j'aimerais bien savoir quel autre établissement permettrait à la carpette qui pète placidement derrière nous de rentrer dans ses murs !

Elle commence à m'énerver salement la damoiselle. Elle a déjà de la chance que Molossa, d'habitude très susceptible, ne l'ait pas égorgée, je sens que je vais la virer illico de l'habitacle. Je la regarde une dernière fois avant de l'éjecter, mais diantre, elle a du style, grande, mince effilée, une moue de bourgette aguichante, une brunette à cheveux courts, genre intellectuelle dédaigneuse, un charme fou, pas mal du tout, et lorsqu'elle s'exclame d'une voix stridente, espèce de dégénéré, vous vous dépêchez de tourner à droite, je ne sais pourquoi je m'exécute sans tergiverser.

    • Direction Paris. On va à Saint-Malo, arrêtez tout de suite cette musique de sauvage, j'ai besoin de méditer moi si vous savez ce que verbe signifie, surtout ne m'adressez la parole qu'en cas d'urgence absolue.

Me suis concentré sur ma conduite. Derrière Molossa ne bougeait pas. De temps en temps je jetai un regard sur ma voisine. Mais elle s'était recroquevillée pour mieux me tourner le dos et faisait semblant de dormir. Ce n'est qu'une fois que nous filions sur l'autoroute de Normandie que je m'aperçus qu'en fait elle avait adopté cette position pour regarder dans le rétroviseur. Quarante minutes plus tard elle se tourna vers moi :

    • Cher rocker de pacotille, je me permets de vous annoncer que depuis une demi-heure nous sommes suivis de loin par une grosse voiture noire beaucoup plus rapide que votre tacot brinqueballant, évidemment, vous ne vous en étiez pas aperçu, que me proposez-vous ?

Je ne répondis pas. Elle n'avait même pas remarqué qu'une identique grosse limousine noire nous précédait depuis un bon moment. Nous étions en vue d'une bretelle de sortie, j'accélérai comme un fou, Molossa émit un bref aboiement approbateur, la teuf-teuf pulvérisa la barrière de paiement, trois cents mètres d'avance sur la grosse noire, c'était jouable, mais elle s'accrochait, au premier carrefour j'empruntai une petite route que mon instinct subodora sinueuse, des montées, des descentes, des tournants incessants, tout ce qu'il me fallait, je ne ratais pas l'occasion, un sentier caillouteux qui s'offrit à la sortie d'un double virage, invisible aux yeux de mes poursuivants, rétablissement à quatre-vingt dix degrés, moteur arrêté sur son élan la teuf-teuf emportée par son élan glissa sur la légère pente caillouteuse qui nous mena sous un bosquet d'arbres aux branches tombantes. Par la lunette arrière j'aperçus en une seconde la grosse limousine noire qui poursuivait imperturbablement sa route.

SUR LA ROUTE DE SAINT-MALO

Pas de temps à perdre, je braquais mon Glock sur la tempe de ma passagère :

    • Il serait temps de dévoiler tes batteries, d'abord ton nom, ensuite je veux tout savoir, pourquoi Saint-Malo, je t'avertis que quand Molossa a faim, elle fait disparaître un cadavre en moins de deux heures, ne laisse même pas les vêtements

    • Wouaf ! approuva Molossa en se léchant les babines.

    • Je m'appelle Marie-Odile de Saint-Mirs – sa voix ne tremblait pas et je reconnus le nom d'une honorable famille de la Cité Provinoise - mais enlevez ce joujou, vous risquez de vous faire mal. Je suis une artiste. C'est aujourd'hui le dernier jour où les concurrents qui participent à la Biennale des Arts Conceptuels de Saint-Malo, peuvent déposer leur œuvre. Le jury se prononce demain. Le premier prix est d'un million de dollars. Je suis sûre que la voiture qui nous suivait était celle d'un concurrent qui voulait m'éliminer. La compétition est féroce. Cette nuit l'on a crevé les quatre pneus de ma voiture. Voilà pourquoi je vous ai demandé si gentiment de m'emmener à Saint-Malo.

    • Mon nom à moi c'est Damie, mais arrête tes salades Marie-Odile, je ne vois aucun paquet susceptible de contenir ton projet artistique auprès de toi !

    • Damie, vous êtes pire que Saint Thomas qui ne croyait qu'à ce qu'il pouvait toucher. Si vous voulez-voir mon chef d'œuvre vous n'avez qu'à glisser votre main dans ma culotte.

Genre d'invitation que je ne me fais pas répéter deux fois ! Et hop je fourrai ma menotte droite dans son jean. Guili-guili en passant sur le nombril avec mon petit doigt et descente en plongée vertigineuse vers les portes du paradis. C'est à ce moment-là que mon index heurta une masse cylindrique, une belle barre, triple Jack ! ma passagère était donc un travesti brésilien...

    • Oui vous y êtes, saisissez-le, tirez doucement et remontez-le à la surface, lentement pas comme une brute de rocker.

Me suis retrouvé avec une espèce d'étui à lunette que Marie-Odile m'incita à ouvrir précautionneusement, avec délicatesse. A vue d'œil un parallélépipède en verre sur le fond bleu duquel étaient collées deux petites feuilles d'arbre effilées.

    • Evidemment, obtus comme vous l'êtes vous ne pouvez pas comprendre, Vikings est le thème du concours. Le bleu représente la mer infinie, et les feuilles la fragilité des esquifs de ces hardis marins qui n'hésitèrent pas à traverser l'océan sur ces coquilles de noix. Mais nous avons perdu trop de temps, reprenons la route.

A cinq heures moins dix, la teuf-teuf s'arrêtait devant le Centre d'Art de Saint-Malo. Une Marie-Odile radieuse en descendit alors qu'une meute de photographes se précipitaient vers elle :

    • Vous pouvez dégager Damie, je n'ai plus besoin de vous, et elle claqua la portière.

    • Je descends à l'hôtel des Dockers, là au bout de la rue, au cas où vous auriez besoin de moi ! à peine ai-je eu la présence d'esprit de lui crier par la vitre abaissée.

NUIT MALOUINE

Suis parti m'incliner sur la tombe de Chateaubriand – le plus grand des mémorialistes français – et suis monté dans ma chambre à l'Hôtel des Dockers. Molossa s'allongea au milieu du lit, et moi continuai à rédiger mes Mémoires. A deux heures du matin la porte s'ouvrit brutalement :

    • Vous ai enfin trouvé, quel boui-boui infâme, mais tous les autres hôtels sont bondés, je vous fais l'aumône de squatter votre niche.

Et Marie-Odile s'allongea toute habillée à côté de Molossa.

    • Ne faites pas ses yeux en ronds de frite Damie, il reste encore une place, sur le flanc gauche de votre bâtarde. Eteignez la lumière, et bonne nuit. Que sainte Ursule protège notre sommeil.

La nuit fut paisible certes. Je dormis comme un enfant de chœur, mais lorsque à neuf heures je m'éveillai, Marie-Odile avait disparu, c'était Cruchette qui dormait profondément à sa place.

A suivre

21/02/2018

KR'TNT 362 : Mr AIRPLANE MAN / THE GOON MAN & LORD BENARDO / THE ATOMICS / THE FOUR ACES / AMHELL & THE CRACK-UPS / JALLIES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 362

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

22 / 02 / 2018

Mr AIRPLANE MAN / THE GOON MAT & LORD BENARDO

VELLOCET / THE ATOMICS / THE FOUR ACES /

AMHELL & THE CRACK-UPS / JALLIES

TEXTE + PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Hey Mr Airplane Man play a song for me - Part Two

 

Rien qu’avec un nom de groupe comme celui-là, la partie est gagnée d’avance : Mr Airplane Man, en l’honneur de Wolf. D’ailleurs, dès qu’on prononce le nom de Wolf, Margaret jette les bras au ciel et fait Ahhh ! Margeret et Tara ont eu le bon goût ce choisir le bon nom, comme le fit jadis Brian Jones pour les Rolling Stones, en hommage à l’autre géant du coin, Muddy. Et la partie est encore plus gagnée d’avance dès lors qu’elles tapent quasiment en début de set dans The Unapproachable Pathos Burns d’«Asked For Water». Elles féminisent l’inféminisable, elles brassent le brut, elles oum-kalsoument le loup, elles rawent dans les brancards, elles rallument d’antiques brasiers, elles jouent avec le feu, oui, c’est exactement ça, elles fuckent le fake, elles charment le souvenir du vieux dieu noir et l’ancrent dans notre pauvre actualité deux-mille-dix-huitarde, elles shootent le blues dans le cul d’un temps qui n’en finit plus de rendre gorge, Margaret le chante de tout l’interior de son Luxe de fan, elle l’ondule du genou, elle le fouette en demi-teintes de demi-caisse, elle le plaint et le geint à la bonne mesure, elle ahoooooote sans la ramener, elle fâche deux ou trois accents, mais se prélasse dans le groove d’un blues magique et Tara le bat si soft, si mesuré, si juste qu’on s’en effare à chaque mesure, il faut la voir compter le temps du blues avec les épaules, elle offre un spectacle fascinant à elle toute seule, elle tient le beat de Wolf en laisse, elle chaloupe plus qu’elle ne bat, elle incarne le cœur du blues comme seuls des cracks de la trempe de Sam Lay ou Ted Harvey savaient le faire, et quand Margaret se rapproche de Tara pour communier, alors elles mangent le corps du blues. Elles transmutent le plomb de la Gasoline en galantine d’organdi. Et lorsqu’elles tapent dans un registre plus architectural, elles poppisent l’ambiance, «Not Living At All» relève d’une certaine admirabilité des choses, Margaret le chauffe d’une voix chargée de sortilèges, elle pose son regard clair sur le monde et gratte doucement sa grosse guitare noire. Elle s’échappe par des petites pointes d’aho-ahooo, et Tara la soutient dans les affres de la plus fine complicité. Et comme si réveiller le fantôme de Wolf ne suffisait pas, voilà qu’elles réveillent celui d’Hooky avec «Up In Her Room», aw yeah, Margaret ramène la transe du deep ole niggah dans le champ des blancs, une vibe qui remonte à la nuit des temps et que l’électricité modernise à outrance, c’est le son le plus rock qui se puisse imaginer, un seul accord et des petits riffs insalubres, pas la peine d’aller chercher midi à quatorze heures, tout est là, et cette diablesse de Margaret envoie quelques giclées de bottleneck, histoire de rouler le raw dans la farine, shake it to the one, elle chante à pleine voix et sa langue chuinte dans la croyance primitive. Elles n’en finissent plus d’y croire dur comme fer. Elles hantent si bien leur «Let It Go» qu’on se croirait dans une cabane du bayou encerclée par les alligators au yeux fluorescents. Ou pour aller chercher une image un peu moins tintinesque, on pourrait dire qu’on se croirait dans le juke-joint de Junior Kimbrough, car c’est exactement la même lancinance, celle qui monte au cerveau et qui retourne les yeux au fil de la transe. Elles ressortent le vieux «Black Cat Bone» histoire d’envoyer une nouvelle giclée de jus dans l’œil du cyclone. Bienvenue dans l’enfer du paradis de la slide impavide, Margaret y va de bon cœur, elle n’est pas avare comme le sont les Cauchois, elle rajoute des tournées de sliding à gogo et comme Cochise elle décoche dans la caucherie tout le chaud des champs, cette violence qui date d’un temps où on forçait les nègres à travailler de l’aube jusqu’à la nuit. Alors, sors ton black cat bone, niggah, et maudis le patron blanc. Quand on écoute ça, on comprend que la colère, la seule qui compte et qui consiste à s’élever contre l’injustice, a enfanté des merveilles : le blues d’un côté et l’Internationale de l’autre. Personne ne peut rester insensible au charme des deux, pas même un porc. Elles repartent en mode North Mississippi Hill Country Blues avec «I’m In Love» monté sur un beau riff enroulé et Margaret l’emmène directement au firmament de la rockalama de Rocamadour, ça ne fait pas un pli, Tara nous bat ça des épaules, avec cette espèce de puissance contrôlée qui fait d’elle une batteuse de rêve. C’est si bon que Margaret glousse, on patauge dans l’excellence, hank you so much, elles n’en finissent plus de remercier le public, il règne dans la salle une stupéfiante ambiance de connivence et elles terminent leur set avec un «Travelin’» signé Greg Cartwright, the Memphis connection, histoire de boucler la boucle. Tara bat ça au tambourin, Margaret l’harangue à la volée, ça balance à la java, elles jivent le contexte du travlin’, muent leurs voix en une seule feinte, tous les beats du monde sont dans l’air, Margaret et Tara atteignent à l’universalité.

Comme le nouvel album tarde à paraître, on doit se contenter de l’existant, mais quel existant, baby ! Tiens, par exemple The Lost Tapes, un album mis en circulation voici trois ans et qui propose une cassette perdue et retrouvée par Margaret dans sa cave. Cette cassette remonte à leurs débuts. En vraies fans de blues, elles tapent dans le vieux Fred McDowell avec «Sun Sinkin’ Low». Elles enchaînent avec Wolf et «Commit A Crime» qu’on retrouvera sur l’album Moanin’ paru en 2002. Le texte de Tara fait tout le charme de ce disque, car elle raconte les circonstances de leur rencontre avec Matthew Johnson, le boss de Fat Possum : le soir de leur arrivée, il leur fit un petit plan hitchcockien. Il les fit asseoir devant son bureau et il se mit à nettoyer son flingue devant elles. Tara raconte aussi une nuit d’aventures à la Nouvelle Orleans et la rencontre d’un trafiquant d’alcool qui leur vendit une bouteille d’absinthe. Sur cet album, elles tapent aussi dans le Gun Club avec «Love Of Ivy». Margaret s’en sort avec les honneurs, car elle cherche en permanence l’effet de bottleneck enragé. Alors elle gratte comme une folle et secoue ses genoux, comme si elle twistait à Saint-Tropez. La bombe se trouve en fin de B : «Hanging On A Thread», du pur garage avec Bruce Watson aux maracas. C’est enregistré dans son trailer, comme le précise Tara, et dans des conditions extrêmes, puisqu’ils viennent de siffler la fameuse bouteille d’absinthe - C’mon C’mon ! - C’est solide et bardé de viande, ça ferraille dans la déglingue. Elles shootent dans leur boogie du diable toute l’hypno de bastringue du North Mississippi Hill Country Blues, sans doute la meilleur du monde avec celui des Soufis du Riff marocain. Elles ont ça dans la peau. Bruce Watson joue le thème à l’orgue, à la vie à la mort. Rien d’aussi demented.

L’autre petite merveille disponible se trouve sur le bandcamp des filles. Cadeau du Professor. Ça s’appelle Bits And Pieces, une collection d’outakes de leurs albums parus sur Sympathy. Dès «Foxtrot», on sent le souffle, celui du riff de notes binaires. Margaret joue ses vagues de trash, mais à volonté. Même principe qu’un buffet de restaurant chinois. On pourrait appeler ça un instro Salvadeur de Salvador. Allende, bien sûr ! Elles tapent dans le vieux «Lil’ Red Riding Hood» de Sam The Sham, idole considérable chez les connaisseurs d’Amérique et elles en font du gluant de petite vertu, un vrai régurgitage de mini-jupe. Et paf, voilà «Over That Hill», tiré d’une session avec Greg Cartwright, un heavy blues explosif chanté à l’ingénue libertine, complètement dyslexé au trash de distorse, on vendrait son père et sa mère pour un son pareil. Rien d’aussi énorme sur cette pauvre terre. Elles tapent ensuite dans le «Blue Lite» de Mazzy Star, Margaret fait sa Hope et ça sandovale à gogo, mais c’est «Back To The Room» qui emporte la bouche et tous les suffrages, oui, car voilà le boogie du raw to the bone, clair à en pleurer, impérissable et magistral. Terminus avec «Slippering», un heavy blues de rock démentoïde. Margaret chante à peine au dessus du bordel, c’est tellement plein de son que le spectacle devient visuel. Le cut se noie dans le trash, help ! et une voix répond Yeah ah ooow, ça paraît con, écrit comme ça, mais c’est exactement ce qui se passe sous nos yeux globuleux. Margaret y va tant qu’elle peut, comme si elle jouait son ultime va-tout, son raout de la fin des haricots, burn baby burn alors oui, elle burn.

Signé : Cazengler, Mr Planplan Man

Mr. Airplane Man. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 8 février 2018

Mr Airplane Man. The Lost Tapes. Moaning Records 2015

Mr Airplane Man. Bits & Pieces. Bandcamp delights

 

Goon Mat the Hoople

 

Aussitôt après le set, the Goon Mat installait son mersch. Comme il parlait français, ça fluidifiait les échanges.

— On vous a entendu à la radio !

— Ah bon ?

— Au Dig It Radio Show !

Il ne connaissait pas.

— Le morceau s’appelait «Little Girl», je crois...

— Non, c’est pas «Little Girl», c’est «Lil’ Girl»

La conversation prenait une tournure bizarre.

— D’où venez-vous ?

— De Liège, en Belgique.

Le savoir belge, ça détendit aussitôt l’atmosphère.

Sur scène, ce mec jouait le blues comme un dieu. Le privilège de l’âge renforçait encore son imposante stature, comme si le fait de porter une belle barbe blanche conférait une sorte d’autorité divine. Comme son mentor Beat-Man, ce vétéran de toutes les guerres jouait de la guitare assis derrière un bass-drum. Il dégageait tellement d’énergie qu’il aurait pu chauffer tout un immeuble. Il jouait ses riffs sur des guitares vintage, réunissait toutes les conditions du régularisme gras et swinguait le beat des deux jambes. Ce blues-rock dude sortait tout droit d’un monde magique, celui du North Mississippi Hill Country Blues. Il avait ce qu’on met parfois une vie à chercher : un son. Cet authentique fan de blues voyageait de ville en ville pour porter la bonne parole, comme jadis les troubadours. Et diable, comme cette parole pouvait se révéler vitale, en ces temps de peste et de médiocrité rampante. Il ne forçait jamais, le blues hypnotique de Rural Burnside et de John Lee Hooker coulait de lui comme de source.

— Tu le vends combien l’album ?

— Vingt !

— Oh, il est sur Voudou Rythme !

— Oui, on est sur Voodoo Ryzem !

S’ensuivit un interminable hommage à tous les géants ressuscités par Fat Possum, T-Model Ford, Rural Burnside, puis the Goon Mat indiqua que Beat-Man l’avait dirigé sur Jim Diamond, d’où le son de l’album, et quel album !

Il s’appelle Take Off Your Clothes. Attention, ça mord dès «Because Of You» : sens du beat parfait, voix nichée dans le meilleur écho du temps, ce mec a tout bon. Lord Benardo chevauche side by side, il accumule toutes les virulences, à la meilleure mode d’alerte rouge, il nous refait la pétaudière à Walter Daniels qui refaisait déjà la pétaudière du grand Little Walter Jacobs. On sent le son de la meilleure désaille et dans un genre aussi difficile, ça devient un véritable exploit.

C’est exactement ce qui se passait sur scène : Lord Benardo instillait des crises de demented harp dans l’hypno tentaculaire du Goon Mat. Quel ballet ! Lord Benardo se transformait en une sorte de tempête à deux pattes pendant que the Goon Mat se dressait comme un phare dans la nuit. Extraordinaire complémentarité. Un ying et un yang d’électrons libres. Tout le bien qu’on peut vous souhaiter est de pouvoir choper ces deux mecs sur scène.

The Goon Mat cite The Legendary Tiger Man parmi ses chouchous, mais curieusement, il ne connaît pas Chicken Diamond.

— Pourtant, il a trois albums sur Beast !

— ...

— Mais si, un mec de Thionville !

— ...

C’est en lisant la track-list au dos de la pochette que la lumière se fit : le cut entendu à la radio s’appelle «Lille Girl» et non «Lil’ Girl». Ce n’est tout de même pas la même chose. On a là une véritable pépite de trash-punk blues pulsée de l’intérieur du menton et activée à coups de yeah avec une magnanime relance de beat au deuxième couplet. Ce mec a un talent fou. Il sonne si juste qu’on peine à le croire blanc. S’ensuit un «Babe» joué à l’heavyness prévalente. The Goon Mat harangue le petit peuple pendant que Lord Benardo aligne de savantes tortillettes d’harp no more. C’est absolument troublant de justesse.

The Goon Mat indique qu’il va évoluer sur un son plus «actuel», avec des samples. C’est d’ailleurs ce qu’avait réussi à faire Rural Burnside en son temps, il avait réussi à ramener des machines dans son groove d’hypno pur jus et ça marchait. Au fond, chacun sait que la vraie modernité vient de gens comme Fred McDowell et Rural Burnside, comme elle vient de Miles Davis, de Monk et de Coltrane.

Toute l’A de Take Off Your Clothes est somptueuse. Avec «Get Down With You», ils restent au niveau d’alerte symptomatique, c’est-à-dire éminent et incendiaire, avec une parfaite aisance et un choix d’angle parafait. De cut en cut, l’album devient passionnant. C’est tellement rare qu’il faut le dire quand ça arrive. Ils se livrent à une petite confession bon enfant avec «Conception Of The Blues». The Goon Mat monte ça sur un vieux riff d’Hooky et le chante à l’accent roulant des festifs liégeois - Oh the bluez - On assiste à de jolies montées en température, bien vibrillonnées par ce diable de Benardo. Comme Sisyphe, ils montent leurs bluez jusqu’en haut de la montagne. Heureusement certains cuts sont un peu moins intenses, ce qui permet au lapin blanc de reprendre son souffle dans la lande.

Sur scène, the Goon Mat relança son grand beat à deux jambes pour embarquer le morceau titre de l’album au paradis. Il sonnait comme un big band de harp blues à lui tout seul, tout en affichant une sorte de calme olympien. Pas de rivière de smokin’ sweat comme chez Beat-Man, tout l’art du Goon Mat reposait sur un contrôle subtil des éléments. Chacun de ses départs de beat n’en finissait plus d’épater, on le voyait tenir le cap du beat droit sur l’horizon et filer les nœuds comme le plus léger des brigantins.

D’autres merveilles guettent l’amateur de blues en B, notamment «Dance With Me», bien hypno, un honey dance witte me en hommage à Rural Burnside, d’une justesse de ton imparable. Ces deux mecs ont repris le flambeau, avec une sorte de classe qui en dit long sur leur passion. Avec Cedric Burnside, Left Lane Cruiser, the North Mississippi Allstars et les deux Liégeois, la relève est assurée.

Signé : Cazengler, the good mite

The Goon Mat & Lord Benardo. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 31 janvier 2018

The Goon Mat & Lord Benardo. Take Off Your Clothes. Voodoo Rhythm 2018

BEHIND THE BLACK DOOR

A ROCK'N'ROLL SESSION

VELLOCET

Le rock'n'roll tel qu'en lui-même. Réduit à l'essentiel. Quatre gars, un groupe : Eric Colère ( chant ), Christian Verrechia ( basse ), Hervé Gusmini ( batterie ), Bruno Labbe ( guitare ). Enregistré et mixé en deux jours à la maison. Pas encore artefacté, seulement disponible sur plate-formes, demandez le lien à emarechal9@yahoo.com. Au final un album splendide. Envoûtant. Une musique qui se colle à vous et dont vous ne pouvez vous défaire. Noire et brillante. Sans effet particulier. Si ce n'est cette éblouissance qu'apporte une formation qui joue ensemble, chacun se fondant dans le son collectivisé. Pas d'esbroufe, mais une présence instrumentale indéniable. J'ai écouté trois fois le ''disque'' rien que pour la frappe goûteuse Gusmini sur ses cymbales, des éclats de soleil noir qui trouent la nuit, et ce travail de basse de Verrechia, une menace sourde omni-présente, à vous faire regarder sous le lit et entre les draps le soir avant de vous coucher. Fleur du mal empoisonnée. Quant à Labbe l'a la guitare ensorcelante, pas véritablement de riffs, une longue phrase d'une flexibilité étonnante, faites gaffe, du genre à vous passer le nœud du coulant autour du coup sans que vous vous en aperceviez. Colère, en anglais et en français. Timbre expressif. Vous fout le coup de tampon nécessaire à l'envol des morceaux. Vol de corbeaux sur les toiles de Gauguin. Indispensable.

La haine : un serpent noir glisse sur le plancher, ayez peur, l'est-là pour vous, se love sur vos genoux, vous apporte le plus merveilleux des cadeaux celui qui exclut tous les autres : la mort. Un des titres les plus vénéneux du rock français. Rythmique lourde, guitare ensorcelante, vous emmène jusqu'au bout du tunnel. La voix métaphysique d'Eric pose la question essentielle, celle de la finitude humaine. N'oubliez pas qu'il est des interrogations qui sont des réponses. Musique noire, visqueuse, tâche de cambouis excédentaire, marée noire sur votre âme. Cette lèpre insidieuse rigidifie votre cadavre. Vous n'auriez jamais dû passer le seuil de cette porte. Loosing you : vous croyiez avoir traversé l'épreuve suprême, ce qui vous attend est encore plus inquiétant. Cette guitare vous démantibule morceau par morceau. Délitement. Pire que la mort qui est une totalité, le manque, la perte de l'intégrité essentielle, une batterie aussi lourde et solennelle que le Crépuscule des Dieux à elle toute seule, et ce que je n'avais jamais entendu encore, la voix d'Eric qui grogne s'enroule sur elle-même et vous tient le rôle du solo de guitare, les autres autour comme les flammes de l'enfer qui jouent aux papillotes avec la douleur du corps qui se tord sur le bûcher de la souffrance intérieure. Des caillots de basse comme une procession funéraire, et ces coups de cymbales qui vous tailladent la chair sans rémission. Au nom de Dieu : seule la colère, la rage et la révolte permettent de vivre. Vellocet à fond la caisse. Un trait de feu. L'homme ne sera libre qu'une fois qu'il aura égorgé les dieux. Ouragan revendicataire, tout emporter, tout bazarder, bélier de bronze contre les contraintes carcérales des croyances. Coup de pied dans la fourmilière des idées fausses. Vellocet nettoie votre cerveau. Karcher monstrueux dans vos synapses. Si vous l'avez oublié, Vellocet vous le rappelle : le rock'n'roll est une musique violente. Alerte noire : Zone Dangereuse. Au-delà de cette tornade, vous serez livré à vous-même. Monday morning blues : blues vicieusement vitaminé, ça tangue comme une mer qui furieuse précipite la coquille de noix de votre individualité sur les récifs, pas le temps de réfléchir, le mouvement s'accélère, guitare tranchante, basse de fond, batterie implacable, le vocal d'Eric clame la catastrophe annoncée, l'est comme l'écume blanche qui indique le lieu du naufrage. Bloody Monday. Mona Lisa : une basse qui sonne comme les ondes du désir fou qui court sous la peau des hommes. Une batterie qui hache la chair, la guitare klaxonne pour vous avertir du danger. La beauté tue plus sûrement qu'une balle qui vous traverse la tête. Faut entendre Eric répéter le nom de Mona Lisa, l'on dirait qu'il mâche le chewing gum du rut. Le morceau se termine par un rugissement collectif de fureur. Femme, ultime épreuve. De satiété. Sex and rock'n'roll valent autant qu'amour et poésie. Shotgun House : le combo rebondit comme une balle de squash sur le mur des prisons internes. Sept balles dans votre cœur de cible. Un morceau sans pitié. Deux minutes vingt sept secondes de malheur. Et de foudre. Aurions-nous supporter une seconde de plus ? Sniper définitif. Macho : le reptile du mentir-vrai s'insinue vers elle, Vellocet plus visqueux que jamais, sédition de la séduction, Vellocet déroule des anneaux de promesse de stupre paradisiaque, consentement et contentement sont chacun d'un côté de la barrière des relations humaines, la musique s'alourdit et s'arrondit, elle épouse les courbes de la perfide tentation de la voix du Serpent qui tendit la pomme à Eve. Refus ou acceptation. Inutile de se plaindre après. Laisse-moi : plénitude du rêve et sentiment de déperdition. Homme partagé. Blues et idéal aurait dit Baudelaire. Déchirements intimes. La musique de Vellocet embrase la douceur majestueuse des fleuves qui roulent des flots d'une puissance extraordinaire.

 

Un chef d'œuvre absolu.

Damie Chad.

17 / 02 / 18TOURNAN-EN-BRIE

LE 101 . FERME DU PLATEAU

RIP IT UP / Party 3

THE FOUR ACES / AMHELL & THE CRACK-UPS

THE ATOMICS

Préfère ne pas compter les années depuis que je n'ai pas mis les pieds à la Ferme du Plateau. Ce doit être depuis le Rip It Up. Party 2. Ne suis pas le seul à entendre les exclamations qui fusent «  Ah, oui, je reconnais la salle ! » … L'on retrouve les murs et bien mieux encore des têtes que l'on n'avait pas vues depuis longtemps. Accueil sympathique, coiffeur spécialisé es-bananes, et disc-jockey pour les amateurs de danse. Pas mon cas.

THE FOUR ACES

Les quatre as. Le grand jeu. A tous les coups vous êtes sûrs de remporter la mise. Le rockab, tel que vous en rêvez la nuit. Le jour aussi. Entre chiens et loups, encore plus. La foi, le feu, la foudre. C'est juste du rock'n'roll, combien tristes ceux qui n'aiment pas ça ! Honey Bun pour commencer la partie. The party. Un régal. Faut voir Laurent. Droit dans sa veste. Guitare en travers. Jeu d'épaule à la Cochran et c'est parti pour cueillir les marguerites au vibromasseur. Le jeu du fou, le sourire du renard, la hargne du chacal qui s'acharne sur les vieux os brisés et inusables du rock'n'roll. Numérotez vos abattis, Thierry Gazel est à la basse bourdonnante. L'a fait japper tant qu'elle peut, n'arrêtera pas de tout le set, se pend à vos frasques et ne lâche plus le morceau. Carlos est au drumin'. D'une seule main. Temps, contre-temps et tout le tintouin, fin sourire aux lèvres et maracas mexicaine dans sa dextre. Vous donne la mesure exacte, celle qui vous permet de comprendre le sentiment de démesure que porte en lui le rockabilly. Marco est à la lead et à la chemise tahitienne. Vous plante les banderilles à l'instant fatal. C'est cela le rockab, l'art fugace de l'instant, vous avez dix secondes de célébrité dans un morceau mais c'est amplement suffisant pour sortir vos griffes. Si vous ne le croyez pas, rentrez dans la cage aux tigres du rockab, et revenez nous donner vos impressions.

Laurent est à la fête. Vous sort les mimiques et les simagrées du rockab. Un art plus difficile que le trapèze. Un clin d'œil trop appuyé, un sourire trop épanoui, c'est raté. Totalement râpé. Un art du mime qui ne s'apprend pas. Cela s'acquiert d'instinct, même pas besoin de voir une vidéo ou des photos. La musique seule vous dicte les attitudes. Et Laurent excelle en cette pantomime. Faut aussi la voix. Sans laquelle vous passez par la case sortie de route. Un timbre et des intonations. Et puis se laisser guider, savoir saisir cet instant magique où l'on cesse d'être en représentation pour se laisser aller, se laisser porter et emporter par cette graine de folie qui pousse dans l'herbe folle du rockab.

Laurent et sa gueule de corsaire. Verbe haut qui contient toutes les balafres, toutes les gerçures de la vie, et cette fureur joyeuse de vivre malgré tout envers et contre tout. Les titres défilent, I'm Crazy About You, When You're Gone, Baby Take Me Back, I'm Commin' Home, drames, comédies et tragédies. Les mettre en scène, de la voix, du geste, d'un mouvement brusque du corps, d'un regard ombrageux ou complice, ne s'agit pas de chanter, mais de créer l'émotion foudroyante à partir de lyrics d'une écriture assez simple, d'atteindre à l'universel des situations existentielles archétypales. Le rockab n'a qu'une cible, le cœur.

Et ce soir The Four Aces ont été impériaux. Pas un gramme de graisse en trop. Les nerfs et les tendons tendus à l'extrême. Et pourtant c'était leur dernière danse. Leur dernière prestation. La dernière date. Le dernier rencart avec leur public. Le dernier baiser de feu. Et pas une once de tristesse. Pas une once de nostalgie. Pas de pleurs. Pas de trémolos. La joie pure. Only rockabilly.

Merci, les Four Aces !

AMHELL & THE CRACK- UPS

Pour une fois je commencerai par la fin. Après le set. Deux écoles se font face. Celle qui n'a entendu qu'Amhell Barefoot, celle qui n'a vu que Pascal Hammann. Pour le batteur, David Giudicci, pas de problème, tout le monde est d'accord. Faut le dire. A part deux ou trois initiés, personne ne connaissait le groupe. Je ne compte pas les tricheurs qui sont allés glanés sur le net. Dans ces cas-là on craint le pire. L'on a eu le meilleur. Un groupe qui sort du lot. Pas tout à fait comme les autres. Des franco-suisses. Pas spécialement pur rockab mais pleinement dedans. Les deux mecs sont spécialement énervants. Réglons son cas à David. Indubitablement vient du jazz. L'est assis modestement devant ses caisses. Pas le genre de gars qui voue la joue à l'épate, aucune fanfaronnade, entre deux battements il donne l'impression de s'ennuyer, de n'avoir plus rien à faire, vous aimeriez l'engueuler, lui dire de se mettre au boulot fissa, mais non, l'a fait son job, l'air de rien, l'a même balayé et passé la serpillère. Irréprochable. Et sa manie de glisser ses bras comme des serpents nonchalants qui ne sont pas pressés de se mettre à l'ombre, un coup d'œil vers Pascal, ça c'est pour toi, une œillade vers Amhell, ne t'inquiète pas, pas de retard dans la livraison, voici ton dû. Pour lui, rien, David accompagne, déroule le tapis pour les copains, l'aplatit et arrange les franges au mieux pour les deux autres, c'est son trip, vous voulez un batteur, en voici un, attention je ne suis pas un bateleur. Bosse pour vous, mais pour ma promo personnelle, je fais confiance à la qualité de mes prestations, pub inutile, et il vous sourit et vient vers vous dans son costume impeccable ( même pas élimé aux manches ).

Au début j'ai zieuté Amhell – rocker et Amhell sont des mots qui vont très bien ensemble – mais au quatrième morceau, m'a forcé à m'occuper de son cas. Avec sa guitare jazzy aussi épaisse qu'un dictionnaire je l'avais un peu snobé, mais au cinquième titre j'ai dû dire amen à Ammann. Le mec irritant. Enervant. C'est simple, il peut tout faire. Tout. L'a les doigts clef à molettes, vous accroche les cordes à l'endroit idoinement exact et leur fait rendre la note parfaite. Celle dont vous avez besoin. Celle-là et pas une autre. N'imaginez pas un quart de ton au-dessus ou au-dessous, ou un accord davantage ceci et un peu moins que cela. Une facilité déconcertante. Le mec qui court un marathon sans une goutte de sueur, sans un grain de poussière, sans un cheveu déplacé. Le gars qui survole son sujet. Pouvez passer commande, du jazz ; en voici du pas naze, du country : celui-ci n'est pas contrit, du blues : vous offre le choix du roi, du rhythm'n'blues : en rythme et de toutes les couleurs, pour le rock : c'est choc, pour le hillbilly : c'est pas riquiqui, pour le rockab, toujours du rab. Quand il a sorti un solo à la Sonny Cedrone, j'ai déclaré forfait, trop c'est trop. Trop fort.

M'en suis allé pleurer dans les jupes de maman Amhell. Bien trop jeune pour être ma mère, mais elle m'a consolé. De sa voix. Je vous épargne les distinguos des copains, ceux qui affirmaient qu'elle avait une attaque plus forte que Wanda Jackson et ceux qui reconnaissaient des réminiscences de Janis Martin. D'abord elle se distingue de ces deux reines car si elle chante, c'est en se jouant de sa contrebasse. Big Mama et True Fine Mama côte à côte, la première en justaucorps de bois vernis et la deuxième dans sa robe blanche ornée de grosses clefs de sol, une magnifique rose tatouée sur son mollet, d'autres qui dépassent un peu partout, vous aimeriez bien cueillir le bouquet entier, mais non les rockers ne sont pas des sagouins. Tout le monde écoute sagement un sourire béat sur les lèvres. L'a la voix ronde comme les notes qu'elle tire de son instrument, perles que les deux guys enchâssent d'un tapis de percale. C'est le trio des facilités. Elle chante comme l'oiseau sur la branche, avec une aisance naturelle, qui vous rend malade de jalousie. Rire roucoulant et chant de gorge comme gouttes de pluie ruisselante. Ondée bienfaisante. Âme plutôt édénique qu'infernale !

Grosse impression sur le public qui acclame et applaudit à tout rompre.

THE ATOMICS

Flegmatiques, tous les trois. Un, deux, trois, c'est parti ! Le rockab dans sa nudité électrique. Renaud à la contrebasse, Pascal à la batterie, Raph au chant et à la guitare. Raph à la guitare. Une démonstration éblouissante. Nous avons déjà eu le premier de la classe. Mais là, l'on change de catégorie, l'on passe dans la hors-classe. Jusqu'au bout du rock'n'roll. Eblouissant. Fulgurant. Seuls sont les indomptés. Un mur de glace vertigineux, à escalader à mains nues. Six cordes et dix doigts. Derrière, ça suit. Renaud, le grand Renaud, taciturne, légèrement voûté sur sa contrebasse, sourira à peine lorsque Raph signalera que tel ou tel morceau ont été composés par lui. Pascal, au fond, en pointe inversée du triangle, attentif, pas une seule fois pris au dépourvu par les raccourcis chromatiques de Raph. Appelez Renaud et Pascal, une section rythmique si vous le désirez, moi me font l'effet de cette digue jetée dans la mer par les soldats d'Alexandre pour parvenir à prendre pied sur les remparts de Tyr. Une espèce de rouleau compresseur monstrueux qui s'avance sur vous pour vous apporter la mort et pire encore, ce sentiment de la défaite annoncée, ce goût d'amertume de savoir que l'ennemi vous est infiniment supérieur. Un serpent de feu dont rien n'arrêtera l'avancée. Si évident qu'il faut parfois leur prêter une oreille plus qu'attentive pour saisir cette pulsation continue qu'ils insufflent sans cesse, un speedground infini, une trajectoire idéale, droit devant, sans arrêt, sans reprise, sans étape.

Un Raph survolté. Rien qu'à sa manière d'entonner les premiers vocaux, vous comprenez qu'il est venu pour cracher toute la hargne du rock'n'roll. Et cette guitare. Une folie. Une tuerie. Aucune recherche d'effets, ne gambade pas, ne batifole pas après les belles sonorités avenantes qui vous sourient, pour les égards et les jeux de séduction, ce sera la grande déception. Raph joue de la guitare, il refuse de s'abaisser aux courbettes et aux politesses démonstratives. La ligne droite est le plus court chemin du rock'n'roll. Ce n'est pas qu'il joue vite, c'est qu'il a éliminé toutes les courbes qui vous éloignent du sujet, même si c'est pour mieux y revenir, directly in the fire, au cœur du brasier, au centre de la fournaise, l'a trouvé la formule algébrique qui fait que les cordes parallèles d'une guitare se rencontrent toujours selon les points les plus chauds de l'incendie intérieur qui embrasent votre pulsion de vie. Le rock'n'roll n'est pas une musique. Mais un art de vivre plus intensément.

Les Atomics ne font pas de quartier. Combo hot-rod. Tout et tout de suite. Dans la salle l'on passe de la jouissance pure à la sidération. Jusqu'où iront-ils ? Comment s'arrêteront-ils ? L'aiguille est dans le rouge. Nous avons dépassé le stade de l'extase et un brouhaha de folie s'amplifie, l'on n'arrête pas une fusée comme l'on descend d'une bicyclette, le set est terminé, mais c'est une fausse nouvelle, un fake, une intox, ne parlez même pas de rappel, une exigence partagée par le groupe et le public, les Atomics galvanisés continuent sur leur lancée, poursuivent leur chemin jusqu'au bout du rock'n'roll. Une prestation hallucinante. Le genre d'expérience dont on ne sort pas intact. Un de ces moments-limite qui permet de prendre conscience que nous sommes constitués de la même semence de feu que les étoiles et les Dieux.

Les Atomics ont tout donné. On a tout pris.

Damie Chad.

L'EXTRAORDINAIRE AVENTURE

( featuring the Jallies )

Parfois l'Histoire de l'Humanité se précipite. En quelques heures la science effectue de considérables sauts épistémologiques. Au moment où l'on s'y attend le moins. D'improbables conjonctions aléatoires d'évènements sans relations causales produisent dans les cerveaux des plus grands chercheurs des déclics de compréhension foudroyants qui révolutionnent le monde et hâtent la marche du progrès.

L'on ne voyait que lui. Un géant. Deux mètres quarante. Cent quatre-vingt kilos. Avec sa tignasse rousse il attirait tous les regards. N'empêche qu'il ne la ramenait pas. L'avait un escadron de quinze flics, pistolets aux poings qui le talonnaient. Plus une quarantaine d'autres qui l'attendaient au bout du trottoir. L'était pris au piège. La souricière se refermait sur lui. Vous connaissez les rockers, toujours prêts à aider la veuve et l'orphelin. Je passais par hasard au volant de la teuf-teuf, j'ai pilé, monte ai-je crié, pas eu besoin de le répéter, s'est engouffré par la porte arrière, et j'ai foncé comme un malade sur le macadam.

Ogeid a passé deux jours chez moi. Le temps que ses acolytes de la Mafia russe viennent le récupérer. Un mec très sympa. A part qu'il a sifflé en quelques heures ma provision annuelle de Jack. M'a serré sur son cœur lorsque l'on s'est quittés. «  Toi Damie sauver moi. Ogeid oublie jamais ami. Envoyer de Russie, cadeau qui te fera grand plaisir ! ».

Les mois ont passé. Je n'y pensais plus lorsque voici huit jours le facteur sonne à la porte. Monsieur Damie, un colis pour vous, je récupèrerais avec plaisir les timbres pour la collection de ma petite-fille, ceux qui arrivent de Russie sont rares. Les lui ai refilés et j'ai ouvert le paquet. Douze bouteille de vodka, avec un papier scotché dessus : De la bonne ! Un stick de sucre en poudre marqué de l'inscription QUVIR ! en grosses lettres majuscules tracées d'une main énergique au feutre rouge, et un tube de mayonnaise que j'ai séance tenante enfourné dans le frigo, sans prêter attention à la feuille de papier dont il était entouré. Et ma vie a suivi son cours.

C'est que j'avais mieux à faire. Mon cerveau roulait de vastes pensées. J'avais beau relire le tome 38 de L'Encyclopédie de la Reproduction Naturelle du Lézard, et le Frankeinstein de Mary Shelley, je savais que je brûlais, mais il me manquait encore l'intuition fulgurante qui permet d'unifier les données du savoir théorique avec l'expérience conclusive de la preuve indubitable. Des nuits et des nuits de travail, ardu, fastidieux, passionnant... Il devait être six heures du soir lorsque le téléphone sonna.

  • Allo Damie, c'est moi Giroflée, tu as oublié la date !

  • Pas du tout, Giroflette, vendredi seize février 2018, ce soir concert des JALLIES, au Younell's Pub à MONTEREAU !

  • Pas celle d'aujourd'hui ! Celle d'avant hier ! Le 14 ! La Saint Valentin, j'attendais un bouquet de fleurs et une invitation au restaurant, mais non rien, alors ce soir j'ai décidé de forcer le destin, dans une demi-heure, je suis chez toi décidé à t'offrir le plus merveilleux des cadeaux.

  • Excuse-moi, Giroflette, mais je travaille, j'en ai encore pour deux heures et après je file au concert, auquel d'ailleurs, je te le rappelle, je ne t'ai pas invitée.

  • Damie, tu n'as pas besoin de t'excuser, je t'aime et ce soir notre amour va se concrétiser d'une manière exceptionnelle ! J'arrive, prépare-nous un festin d'amoureux !

La porte s'est ouverte, et Giroflée est entrée. Une petite moue de dépit est apparue sur son visage quand elle a aperçu le paquet de chips entamé et les deux saucisses de Strasbourg dans l'assiette pas très propre. C'est tout Damie semblait-elle dire. Ah ! oui ai-je pensé, le tube de mayonnaise russe. Me l'a arraché des mains, l'a examiné scrupuleusement, déchiffré longuement la feuille de papier qui l'enveloppait et alors que je m'attendais à une bordée d'insultes, m'a adressé un sourire radieux, m'a vivement posé deux bises sur les joues et s'est exclamée :

    • Damie tu es un véritable gentleman, je passe dans la salle de bain, je reviens dans dix minutes...

J'ai récupéré le papelard dactylographié qu'elle avait abandonné sur la table et j'ai lu.

'' Le lézard de Sibérie résiste à des conditions extrêmes, se promène en toute quiétude sur les lacs gelés par moins de soixante degrés centigrades. C'est l'animal le plus résistant de la planète. Les populations autochtones n'ont pas manqué depuis des siècles d'admirer l'extraordinaire vitalité de ce saurien d'une si belle couleur verte. Le soir de leur mariage, les jeunes filles ont coutume de s'enduire le corps d'une crème de sperme de Lézardus Septentrionus, l'on dit que cette onction irise leur peau de reflets verts qui s'accorde à merveille avec leur blonde chevelure. Mais cette crème lézardienne décuple aussi leur vigueur sexuelle et les rend irrésistibles. Jamais l'amant qui aura connu un tel bonheur ne sera infidèle à sa bien-aimée, assure la légende.

Pour une Saint Valentine réussie

Rien ne vaut le lézard de Sibérie !

Se conserve au frigidaire. Ne pas dépasser la dose prescrite. Mise en tube par la société Lezardov. Yakoust. Made in République de Sakha''

Logiquement, devrait s'ensuivre une graveleuse partie de jambes en l'air. Je préviens le lecteur. Un incident apparemment insignifiant modifia la prévisibilité du futur, la petite culotte que Giroflée lança par la porte entrouverte de la salle de bain traversa la pièce pour retomber à mes pieds. Sur le moment je n'y fis pas cas, j'entendais Giroflée chantonner, je ne m'y attendais pas, mais en toute modestie je dois le reconnaître, ce linge intime déposé sur le carrelage devant mes innocentes santiags occasionna en moi le même effet que la pomme qui se détacha de l'arbre sur le cerveau de Newton... Comment n'y avais-je pas pensé plus tôt, je possédais tous les éléments pour faire faire à la science moderne un grand pas en avant ! Une véritable révolution copernicienne, digne d'Einstein. Fallait jouer serré. L'occasion ne se représenterait peut-être pas de sitôt.

    • Chérie, prends ton temps, je te prépare un petit cocktail, pour que tu sois en pleine forme.

    • Comme c'est gentil Damie, passe-le-moi par la porte, mais ne regarde pas, je veux te faire une surprise.

    • Promis chérie, je ne suis pas un poète voyeur comme Arthur Rimbaud, moi.

    • Hmmm ! C'est bon, mais c'est fort, accorde-moi deux minutes que je le sirote, c'est ultra sucré, c'est savoureux, c'est quoi ?

    • De la vodka avec du quvir !

    • Je ne sais pas ce que c'est, mais c'est délicieux !

    • Ah oui, ils ne le disent pas sur la notice, mais si tu introduis de la mayonnaise dans ton vagin, c'est un parfait lubrifiant.

    • Mon intuition féminine y a déjà pensé, ne t'inquiète pas,

Ogeid m'avait expliqué la nature du quvir. Mis au point dans les laboratoires secrets de l'armée russe. Un APP, un simple accélérateur de particules physiologiques, aux propriétés énergétiques sans précédent. La mafia le revend sous le nom de Drogue des Ecoliers. Donnez-en à un gamin de dix ans qui a du mal à apprendre sa table de multiplication par trois, en quelques minutes il devient capable de faire un cours de science quantique à des étudiants en master 2. Ogeid m'avait prévenu, c'est du quvir pur que je t'enverrai, pour les gamins on y va mollo, on divise la prise par mille, édulcoration totale qui permet de réussir son interro écrite de math sans ouvrir son bouquin à la maison, mais pour toi cadeau, non coupé. AGPPP, Accélérateur Gigantesque de Particules Physiologiques Pur !

Une tornade m'a subitement submergé, le corps nu de Giroflée s'est collée à moi, je l'entendais gémir Damie, Oh Damie, ses lèvres me dévoraient le visage mais toute mon attention se focalisa sur son ventre qui me semblait se gonfler d'une proéminence excessive, j'y posais la main, foutredieu, elle était enceinte, dans sa démence sensuelle elle ne s'en apercevait pas jusqu'au moment où elle porta ses doigts au bas de son sexe , oh ! J'ai mal, et quelque chose de la taille d'un bébé humain tomba sur le plancher. Elle le ramassa vivement,

    • Oh Damie, c'est super, l'on a déjà un beau bébé !

Beau peut-être mais d'une couleur un tantinet verdâtre. D'une apparence un peu bizarre, moitié-homme, moitié-lézard. Se mit à vagir d'une façon désagréable,

    • Regarde, le pauvre il a faim, il veut téter, et elle lui tendit son sein.

Ogeid n'avait pas menti, un terrible accélérateur physiologique. Le bébé glouton assécha les deux mamelles en deux minutes, il me semblait avoir grandi, sauta des bras de sa génitrice, engouffra les deux saucisses de Strasbourg et se mit à ronger la table ! Mesurait déjà deux mètres, il pleurait et hurlait en renversant les meubles, commençait à nous regarder d'un œil vorace, et sa langue n'arrêtait pas d'entrer et de sortir de sa gueule dévoilant une énorme denture de caïman. Je saisis Girofllée par la main et nous dévalâmes l'escalier en courant. Girofllée regimba quelque peu, mais Damie, je suis toute nue ! Nous parvînmes à monter dans la teuf-teuf et à nous enfuir. La bestiole nous courut après. De temps à temps elle remontait à notre hauteur et tambourinait de ses bras sur le toit de la voiture. J'accélérais comme un fou... L'aiguille frôlait les deux cents kilomètres-heure et le monstre suivait sans faiblir.

 

    • Plus vite Damie, il mesure au moins cinq mètres de haut maintenant ! Il y a des clignotants jaunes et bleus derrière lui !

    • Sans doute la police et les pompiers, accroche-toi on entre dans Montereau, ça va tanguer !

 

La teuf-teuf déboula sur la place du Marché Au Blé, à peine étais-je passé qu'un cordon de tireurs d'élite de la police nationale occupa la chaussée et commença à tirer. Droit au cœur, la bête s'arrêta, elle resta debout un long, très long moment, immobile... J'avais garé la teuf-teuf, nous nous sommes approchés, le monstre qui mesurait maintenant près de huit mètres, vacilla, des larmes coulaient de ses yeux. Plus tard plusieurs témoins affirmèrent qu'ils l'avaient entendu distinctement crier Maman en tendant les bras vers Giroflée. Il y eut une seconde rafale, et l'animal s'effondra inanimé sur le goudron. Une scène très émouvante se produisit, la télé n'en perdit pas une miette et diffusa les images en direct. Je tenais Giroflée par la main, mais brusquement elle fendit la foule et se jeta sur le cadavre de la bête en hurlant : Mon Bébé ! Mon Bébé ! Un cri si déchirant que la France entière en fut émue. Un policier compatissant, jeta une couverture sur sa nudité, et deux infirmiers l'entraînèrent vers une ambulance. Au micro de BFM, un expert-psychiatre expliquait : Nous la conduisons à l'asile, un choc terrible, la peur, la panique, un trauma exceptionnel, je peux déjà dire qu'elle y restera toute sa vie.

 

Peuh ! Pas de quoi faire rater un concert des Jallies à un rocker, et d'un pas décidé je pénétrai dans le Younell's Pub.

MONTEREAU / 16 – 02 – 2018

YOUNELL'S PUB

THE JALLIES

 

Beau bar. Ceci n'est pas un bobard. Comptoir tout au fond, espace Dj dans un coin, bel espace scénique carré pour les groupes, visible de tout le monde, un assemblage hétéroclite et néanmoins harmonieux de sièges et de tables de toutes formes et de toutes dimensions, jusqu'à une grosse barrique, malgré poufs et fauteuils le patron est obligé de sortir les chaises de sa réserve pour juguler l'afflux des clients. Connaissances, bises et exclamations de tous côtés, les Jallies grignotent placidement une pizza, interrompus à chaque bouchée par de nouveaux arrivants qui viennent les saluer... Sont ici dans leur fief.

JALLIES

Sont toutes belles, les tourterelles juchées sur leurs talons hauts, jacassent comme des pies voleuses – ce sont nos âmes qu'elles vont ravir – verres de rouge à leurs pieds, les boys frôlent d'un doigt patient leurs cordages, attendant que les oiselles soient prêtes. Et c'est l'envol subit, sans préavis. Phénix au zénith. Sont-ce là nos Jallies habituelles ? Pas possible, on nous les a changées ! Même caisse claire, même acoustique, même tambourin, même contrebasse, même guitare électrique, mêmes gosiers, mais un son nouveau. A n'y rien comprendre. Z'ont bouleversé l'ordre du répertoire, mais c'est une fausse incidence, faut entendre cette ampleur sonore, qui vous fond dessus telles des bolas de gauchos argentins qui s'enroulent autour des pattes des autruches et vous les renversent à terre sans rémission. Sûr que derrière, les oisons ne sont pas oisifs. Kross sort le grand jeu, virevolte sa grande big mama dans tous les sens, la tourne à toute vitesse sur elle-même, z'avez l'impression de la robe de soirée de la Grande-Duchesse qui tournoyait enivrée de valse folle au grand bal de l'Empereur d'Autriche, mais ce n'est rien, parfois il vous la bloque sec, la ploie en arrière comme une danseuse de tango, l'est penché sur elle, le visage à hauteur du sexe fendu des ouïes et là vous entendez ce vous n'avez jamais ouï dans un groupe de rockabilly, le slap. L'a éliminé toute rondeur, toute vibration, toute harmonique, ne reste que le bruit de la corde raide tendue comme le corps d'un pendu qui rebondit sur la hampe. Un cliquettement phénoménal, un tic-a-tac monstrueux, deux morceaux de bois cognés l'un contre l'autre, la musique réduite au bruit primordial originel, les écailles de deux varans qui s'entremêlent dans la tempête cadencée de l'accouplement, Kross acclamé à chacune de ses interventions. Tom n'a jamais été en reste pour faire vrombir sa six-cordes, une Gitane Testi, vous la pilote à la texane, agrémentée d'une quadruple rangée de mégaphones, à réveiller les morts dans les cimetières, les soirs de pleine lune, mais cela c'est de l'histoire ancienne, l'a remplacée par la machinerie d'un trépan à cônes de quinze tonnes qui s'attaque à de la roche dure. Un bruit d'enfer, une espèce d'obus sonore qui a décidé de pulvériser le magma terrestre afin d'éclater le noyau solide interne et faire exploser la planète, une bonne fois pour toute. Deux galopins qui ont décidé de jouer du tambour jusqu'à quatre heures du matin pour le plaisir d'embêter les voisines du dessus.

Si vous croyez que ça les dérange... au contraire, nos trois hirondelles ont décidé de caqueter bien plus fort que ces deux coqs de basse-cour de bas étage. Sûr que leur ramage se rapporte à la beauté de leur plumage, elles passent au-dessus de ce brouhaha garçonniers avec le mépris souverain du condor qui d'un seul coup d'aile franchit les neigeux entassements escarpés des Andes, Céline, Vanessa, Leslie, le chœur ensorceleur des anges de l'enfer que Satan nous a envoyés exprès pour nous perdre définitivement. Sans rémission. Pas le temps de respirer. Plus vite et plus fort. Elles ont rockabyllisé leur morceaux à dominante swing et métamorphosé leurs rocks en blessures outrancières, plaies purulentes de plaisir, et hémorragie magiques d'extases, n'ont qu'à ouvrir la bouche pour qu'il vous semble boire l'eau moultement tumultueuse de la fontaine de Barenton. Leslie, sourire canaille et voix de rêve évasif nous envoûte avec son Funnel of Love – et ce vicieux de Tom qui vous prolonge les notes en dards monstrueux d'abeilles qui s'enfoncent sans fin dans les parties les plus secrètes de votre corps – Vanessa met tant d'allant sur la caisse claire qu'elle sème à tous vents les soies de son balai de sorcière, éclate de rire comme Scarbo, le gnome diabolique des poèmes d'Alosyus Bertrand, répandait les louis d'or sur les badauds éblouis, alors pour se venger elle nous éparpille tout azimut un petit Gene Vincent de derrière les fagots en feu. Vous ici, je vous croyais au kazoo psalmodie Céline, et c'est parti pour un Touka au bazooka à ensorceler les toucans dans les volières de la ménagerie du Diable.

Souvent, elles mêlent leur voix, à deux, à trois, – même que Kross leur prête une ou deux fois son plein-chant funèbre pour les vocalises d'appui et de répulsion – et c'est parti pour des feux d'artifices d'éclaboussures de swing et des copeaux de rock. La salle trépigne, s'hippopotamise d'applaudissements et rhinocérise de joie. C'est la grande exultation. L'énorme tribulation du vendredi soir.

Hélas, deux sets. Les édiles municipaux ont décidé qu'après minuit-dix le carrosse de nos trois cendrillons se transformait en citrouille silencieuse. Féérie pour une autre fois. Disait Céline.

Damie Chad.

Quand je suis ressorti, il était près de minuit, et des camions-grues se hâtaient d'enlever au plus vite le bébé mort-né de Giroflée. Je ne lui ai même pas jeté un regard. J'avais mieux à faire. J'avais enfin réussi à créer un hybride mi-humain, mi-lézard, je connaissais le processus et étais prêt à le dupliquer de façon industrielle. J'étais le maître du monde. Bientôt avec mes légions d'hommes-lézards je dominerai la planète entière. Peut-être même à leur tête envahirais-je les étoiles lointaines...

Moi Damie Chad, Empereur Suprême.

10/06/2015

KR'TNT ! ¤ 239. Mr AIRPLANE MAN / DRAIGH / JOE HILL / GUN CLUB / JALLIES / ONE DOLLAR QUARTET / ERVIN TRAVIS NEWS

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 239

A ROCK LIT PR ODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

11 / 06 / 2015

Mr AIRPLANE MAN / DRAIGH / JOE HILL

GUN CLUB / JALLIES / ONE DOLLAR QUARTET

ERVIN TRAVIS NEWS

 

ERVIN TRAVIS NEWS

 

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Toujours beaucoup de repos et un peu de soleil pour Ervin afin

que dans un premier temps son moral remonte petit à petit.
Il continue sur sa lancée, nous savons que ce sera très long,

avec des bas et quelques petits "hauts", rares pour le moment,

mais encourageants malgré tout pour poursuivre ce long parcours.
Examens à faire et prise de sang tous les 15 jours.
Voilà pour les nouvelles actuelles
Merci pour tout ...

( voir FB :Lyme-Solidarité Ervin Travis )

 

LE SON DU COR - 30 / 05 / 2015

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ROUEN( 76 )

Mr AIRPLANE MAN

Hey Mr Airplane Man,

play a son for me

À la fin des années quatre-vingt dix, la grande mode des groupes à deux battait son plein. On récupérait une guitare et un copain batteur, et pouf, on montait un groupe. Les Black Keys, Winnebago Deal, les Kills et les White Stripes se bousculaient au portillon. Mais le duo le plus intéressant de la meute, ce fut Mr Airplane Man. Margaret Garrett et Tara McManus avaient tout bon en choisissant un titre d’Howlin’ Wolf comme nom de groupe. La classe.

 

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Elles eurent aussi la chance de fréquenter Mark Sandman - leader de Morphine - et de rencontrer Don Howland - ex ‘68 Comeback et leader des Bassholes. Sandman leur donna un bon conseil : achetez une vieille Cadillac et partez en tournée avec. Ce qu’elles firent. Elles traversèrent les États-Unis depuis la côte Est jusqu’au Deep South. Elles se retrouvèrent un beau jour dans le salon de Monsieur Jeffrey Evans, à Memphis. On s’en doute, leur vie changea du tout au tout. C’est là que Don Howland leur conseilla d’écouter Jessie Mae Hemphill, Junior Kimbrough et RL Burnside, les cracks du North Mississippi Hill Country Blues.

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Avec ces bons conseils, Margaret et Tara étaient parées. Elles disposaient de tout le nécessaire pour cartonner : les influences et le son. Il ne leur manquait qu’une chose : le label. Long Gone John qui grenouillait déjà dans les parages de Monsieur Jeffrey Evans fit paraître leur premier album sur Sympathy For The Record Industry - un label aussi cher au cœur des amateurs éclairés que le sont Crypt, Estrus et In The Red.

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«Red Lite» parut à l’aube du siècle, en 2001. Margaret et Tara y dévoilaient leurs petites racines blues et Monsieur Jeffrey Evans qui les produisait veillait à ce qu’elles disposent du son le plus trash qui se put concevoir à l’époque. Nick Diablo donnait un petit coup de main aux filles en grattant sa guitare trash ici et là. Quand on écoutait «Johnny Johnny», on se régalait du son, avec ce dégueulis de distorse sur la moquette, mais le petit tatapoum idiot de Tara agaçait sérieusement. Elles lancinaient avec «Pretty Baby I’m In Love With You» et derrière, Tara tatapoumait toujours aussi bêtement. Heureusement, Margaret bavait dans son micro et le larsen oxydait les cordes. Elles passaient aux choses sérieuses avec une version hypnotique du «Wanna Be Your Dog» des Stooges. Margaret amenait ça comme un orgasme. Tripoter le caoutchouc des choses légendaires ? Pas de problème. Elles en sortaient une version linéaire battue très serrée, bien ravalée, incroyablement sexuée, imprégnée d’une féminité brûlante et hagarde. La face B était beaucoup plus solide, car plus ancrée dans le blues. «Hangin’ Round My Door» est typique d’une époque où on travaillait le son pour couler des bronzes de trash-blues. Elles trashaient le blues jusqu’à le faire dégorger comme un coquillage. Leur «House Of Bones» avait tout de la cabane qui menace de s’écrouler. Elles tapaient aussi dans le «Black Cat Bone» de Jessie Mae Hemphill, la reine des one-man bands d’antan, associée à la légende d’Otha Turner mais aussi à celle de Tav Falco. C’est dans le blues de l’hypnose que s’est joué le destin du rock. Margaret et Tara se retrouvaient à la croisée des chemins, celui du son grâce à Monsieur Jeffrey Evans et celui de l’hypnose, grâce à Jessie Mae. Elles sortaient une viande sonique unique au monde, un pur chef-d’œuvre de dévotion cabalistique. S’ensuivait «What A Number», une fantaisie digne des Seeds, un petit garage cool adossé contre un mur, typique de l’Amérique et de ce genre de précepte warholien consistant à dire que la puissance, c’est d’être au coin d’une rue et de n’attendre personne.

 

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«Moanin’» sortit un an plus tard, toujours sur le label de Long Gone John. C’est un très gros disque, un classique garage de l’époque, l’un de ceux qui vont résister à l’usure du temps, enregistré par Jim Diamond au Ghetto Recorders et supervisé par Greg Cartwright. Le résultat est là : deux filles douées bien entourées, ça ne peut que blaster dans les brancards. Ouverture avec «Like That», allez vas-y, du chord à la moutarde, avec cette voix de vierge effarouchée qui traîne comme une serpillère dans le jus du son, mais elle est sauvée par des marins et échappe à l’oubli atroce. «Like That» est le prototype du cut simple et bien tenu, petitement battu par Tara. Elles font leur fricot, pas de problème. Puis elles passent directement à Wolf avec une reprise de «Moanin’», reprise certifiée, Jim Diamond veille au grain des girls. La chose vire dirt-garage, elles sont dessus, elles en font une charpie inspirée, remontée du collet, sensuelle et Margaret coule des ouhhh dans l’ass du trash. On les sent parvenues au sommet de leur art. Avec Big Foot Chester, elles sont les seules à l’époque à saluer la mémoire de Wolf. Elles reviennent au beau boogie avec «Somebody’s Baby» qu’elles farcissent de belles montées en septième et d’éclats de tierces diminuées sur cordes claires. Elles campent dans le blues, pas de doute. Leur truc reste inspiré et tapé bien sec par Tara qui fait d’incroyables progrès, puisqu’elle commence à multiplier les figures de style. Ah Tara c’est une bonne ! Wow, et «Drive Me Out», baby ! Du pur stomp de Detroit. Elles y vont franco, voilà du garage tangible - just drive me out ! - elles font ça bien mieux que des tas d’autres groupes prétendument sauvages. Elles montent même en température - ouh-ouh - Margaret veut qu’on l’emmène et c’est magnifique de prestance trashy. On tombe ensuite sur «Uptight», une pure merveille, certainement le hit du disque. Elles savent cuisiner un cut. Elles envoient ça à la Hooker, c’est bien relayé et lourd de conséquences, et même monstrueux, parce que ça monte toujours. Avec rien, elles font tout ouh-ouh et ça menace de nous exploser à la figure. La fin du morceau est la huitième merveille du monde, elles ruissellent de génie, elles relancent deux fois, et on voit déferler deux vagues géantes de trash sublime. Difficile de survivre à un tel assaut. Les cinq morceaux suivants vont en baver. Elles reviennent à Wolf avec «Commit A Crime» et sortent le gros son, comme d’autres sortent l’artillerie. Elles le font bien et on entend une guitare entrer en putréfaction. Ça en impose. Elles nous font le coup du beau balladif avec «Very Bad Feeling» et on passe à une reprise du vieux Mississippi Fred McDowell à tête de crapaud, «Sun Sinkin’ Low» - qu’elles reprenaient déjà dans leur premier disque non officiel - et qu’elles traitent avec le plus grand respect.

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Évidemment, on attendait monts et merveilles de l’album suivant, «C’mon DJ», mais on dut se contenter d’un album légèrement moins bon, toujours sur Sympathy For The Record Industry et toujours produit par Greg Cartwright. Belle pochette : on les voit toutes les deux assises à côté d’un petit électrophone et de quelques 45 tours, dont un 45 tours des Oblivians. Elles démarrent l’album avec un gros garage d’apocalypse, «C’mon DJ», et on reste sur l’impression que tout va s’écrouler d’un instant à l’autre. On entend l’ami Greg slider. Elles retapent dans le garage avec «Wait For Your Love», une pièce censée émouvoir les foules, mais c’est trop plaintif et moins coriace que chez les Detroit Cobras, par exemple. Encore une belle touille de distorse dans «Fallen». On les sent toutes les deux déterminées à pulvériser les records du trash-blues, mais la voix de Margaret se perd dans le sable. On attend un sursaut. «Hang Up» ? Oui. Soutenu à l’orgue et furieusement tatapoumé, voilà un beau garage - why you be so mean - fuzzé à la Troggs avec des oh-oh-yeah. Margaret joue son riff bien pesant à la fuzzerie concomitante. Elles renouent enfin avec l’énormité en attaquant «Make You Mine», ce pulsatif monstrueux poundé par Tara la tarateuse. En plus elle est devant dans le mix de Greg, elle savate sa pédale de grosse caisse et ça part en vrille avec des ouh ouh ouh qui semblent hurlés par des Pawnees sur le sentier de la guerre. Le beat n’est rien d’autre qu’une pure violence sourde de pounding tribal. Elles génèrent une énormité de bas-étage avec les petits chœurs du Sympathy des Stones. Puis elles basculent dans la folie, et pour mettre un terme à cette histoire, le destin tire la chasse. Il reste encore à écouter le petit garage bien secoué de «Red Light». Elles nous stompent ça aux petits oignons. Elles ont réussi à construire un univers complet avec de la distorse, du Wolf, du tatapoum et des voix un peu traînantes. Elles finissent d’ailleurs avec un nouvel hommage cinglant à Wolf, «Asked For Water». Solide et rocky. Elles lui claquent le beignet et pètent les quintes à l’accord. Margaret laisse traîner sa voix comme il faut. Elle se veut imparable, sévère et dure. Alors, elle miaule à la lune.

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On vient de voir paraître sur vinyle le tout premier album de Mr Aiplane Man. En 1998, Margaret et Tara n’avaient pas de label, mais elles voulaient ab-so-lu-ment sortir un CD. Elles proposaient à l’époque une reprise de Wolf, «Moanin’ For My Baby». C’était vraiment gonflé de leur part. Mais si Wolf avait vu ça, il aurait été ravi et aurait encouragé les deux petites poules blanches à taper encore plus dans son répertoire. Le premier morceau de l’album s’appelle «Baby» et Margaret le prend au bottleneck. Elle ne cherche pas d’effets, elle se contente de clamer le blues. Elle reste enthousiaste et sait bien, à l’époque, qu’elle ne va pas réinventer le fil à couper le beurre. Elle tape aussi dans Mississippi Fred McDowell en reprenant «Sun Sinkin’ Low» - qu’on retrouvera plus tard sur «C’mon DJ». En plein milieu du morceau, Tara tente une relance sauvage au tambourin. Elles montraient déjà de très bonnes dispositions, mais on sentait qu’il leur manquait encore l’étincelle.

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Bonne surprise ! Les voilà à l’affiche d’un petit festival des rues organisé dans ce que les Rouennais appellent le vieux Rouen. Comme tout le monde, elles ont pris un petit coup de vieux et Tara ne se teint pas les cheveux. Les voilà toutes les deux grimpées sur une petite scène et lancées dans un répertoire d’hommages aux géants du blues qu’elles vénèrent depuis leur adolescence - beside the Stooges, comme le précise Tara. D’ailleurs, elles ont collé les photos des vieux nègres sur deux petits présentoirs posés au bord de la scène. Pendant une heure, elles recyclent leur vieux brouet. Margaret joue comme dix. On découvre à la voir jouer qu’elle est extrêmement brillante. On passe même par de purs moments d’envoûtement. Une chose est sûre, leur son claque bien. Toutes les appréhensions liées au fait qu’elles jouent en plein air s’envolent rapidement. Elles rendent hommage à Alan Lomax à deux reprises. Puis elles expliquent qu’elles viennent de reformer le groupe. Margaret est tellement hantée par le blues qu’elle en trépigne. On voit ses petites jambes frétiller dans ses bottes, alors qu’elle envoie d'extraordinaires passades d’accords gimmickés.

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À la fin du set elles vendaient un nouvel album intitulé «The Lost Tapes». Sur l’insert, Tara raconte l’histoire de la cassette perdue et retrouvée par Margaret dans sa cave. Cette cassette fut enregistrée à leurs débuts. Elles attaquent avec le fameux «Sun Sinkin’ Low» de Fred McDowell. On tombe ensuite sur l’inévitable «Commit A Crime» de Wolf. Le texte de Tara fait tout le charme de ce disque, car elle raconte les circonstances de leur rencontre avec Matthew Johnson, le boss de Fat Possum qui, le soir de leur arrivée, nettoyait son flingue dans son bureau. Elle raconte aussi une nuit agitée à la Nouvelle Orleans et la rencontre d’un trafiquant d’alcool qui leur vendit une bouteille d’absinthe. Elles font aussi une très belle version de «Love Of Ivy» du Gun Club. On voit qu’à cette époque, elles n’écoutaient que des bons disques. Sur cette version, Margaret s’en sort avec tous les honneurs, car elle cherche en permanence l’effet de bottleneck le plus rageur. Alors elle gratte comme une folle et fait trembler ses petites guiboles. La reprise de Wolf vaut son pesant d’or, car Margaret cherche des noises à la noise. Elle fait montre d’une sacrée hargne ! Mais la bombe se trouve en fin de face B : «Hanging On A Thread», du pur garage avec Bruce Watson aux maracas. C’est enregistré dans son trailer, comme le précise Tara, et dans des conditions extrêmes, puisqu’ils viennent de siffler la fameuse bouteille d’absinthe - C’mon C’mon ! - C’est solide et bardé de viande, ça ferraille dans la déglingue. Elles shootent dans leur boogie du diable tout l’hypnotisme du North Mississippi Hill Country Blues. Elles ont ce son dans les veines. Elles l’ont chopé comme on chope une maladie incurable. Bruce Watson joue le thème à l’orgue, jusqu’à la mort. Rien d’aussi dément.

 

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Franchement, tous leurs disques valent le détour. Margaret et Tara nous emmènent au royaume du blues, exactement de la façon dont Garance nous entraînait dans la cohue des Enfants du Paradis.

 

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Signé : Cazengler, Mr Planplan Man

Mr Airplane Man. Le Son Du Cor. Rouen (76). 30 mai 2015

Mr Airplane Man. Red Lite. Sympathy For The Record Industry. 2001

Mr Airplane Man. Moanin’. Sympathy For The Record Industry. 2002

Mr Airplane Man. C’mon DJ. Sympathy For The Record Industry. 2004

Mr Airplane Man. Mr Airplane Man. Moi J’Connais records 2013

Mr Airplane Man. The Lost Tapes. Moaning Records 2015

De gauche à droite dur l’illustration : Tara McManus et Margaret Garrett, il y a vingt ans.

FONTAINEBLEAU

LE GLASGOW04 / 06 / 15

DRAIGH

Parfois, c'est la surprise totale. Tu viens me chercher, ce soir à Fontainebleau. A vos ordres, mademoiselle. La teuf-teuf vole déjà. Pas fou, je ne m'incruste pas dans la rencontre avec la copine. Le papotage entre filles est par trop soporifiquement insupportable à mon goût. Préfère œuvrer en solitaire pour la grande cause du rapprochement des peuples, surtout que les serveuses du bouiboui asiatique où j'ai atterri sont des plus ravissantes. C'est décidé, dès demain matin je deviens membre attitré des Amitiés Franco-Chinoises. En attendant, direction le Glasgow, jeudi soir, forcément un groupe en soirée. Aucune idée des oiseaux. Incapable de trouver la programmation sur le net. Ecrit blanc sur noir sur l'ardoise à l'entrée du pub : Draigh. Inconnu au bataillon. Des chevelus baraqués déchargent le matos d'une camionnette, à voir les mines des gladiateurs et les amplis, je présuppose du gros rock qui tâche.

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Me suis pas trompé dans mes hypothèses. De vieux briscards tombés de la dernière plaie d'Egypte. Ce soir ce sont les Draigh, souvent c'est le Peter Alexander Band. Faut tromper l'ennemi, vous enlevez un musico et vous en rajoutez un autre et vous obtenez une tambouille tout aussi savoureuse. Mais pas tout à fait de la même marmite. L'on sen fout, l'essentiel c'est que la soupe soit bonne. Et dans le Peter Alexander Band, la maison est ouverte depuis les années 80. Vous font tout ce que voulez : du hard, du rock, du country, du celtique, avec ou sans harmonica et même option violon, c'est un peu à la surprise du chef ; mais gosiers sensibles abstenez-vous, les marmitons ont la main lourde. Certains prétendent qu'ils détestent les légumes et qu'en fait ils ne cuisinent que les épices. Pour les boissons d'accompagnement, les alcools ne descendent jamais au-dessous de soixante degrés. Z'ont toujours du monde, car ils vous servent des portions à gaver une meute de glavials. Sont de Ponthierry, ont déjà sorti une flopée de disques, ont ouvert pour des grosses pointures à la Lynyrd Skynyrd, organisent même un festival, le genre de groupe qui aromatise les hamburgers au gaz moutarde. Je pense qu'il est temps de passer à table. Mais ce soir les Draigh.

PREMIER PLAT

Cinq sur scène. Un batteur, un basse, une guitare, un chanteur et un orgue. Me méfie beaucoup des orgues. Sont souvent comme des orques qui font régner la terreur autour de leurs congénères. N'y en a que pour eux, les autres peuvent faire de leur mieux, recouvrent tout de leurs nappes chantilly. C'est brillant pendant deux minutes mais très vite c'est assourdissant comme un manteau de neige. Au bout du deuxième morceau l'on a compris, ce soir on n'a pas à faire à un de ces ogres qui mangent le gâteau en entier et condescendent à laisser quelques miettes aux copains. N'intervient qu'à bon escient. Juste le filet de mayonnaise pour relever le goût du homard. Ne se contente pas de jouer les utilités non plus, l'apporte la puissance sonore, sur un plateau. Discrètement. Mais sans lui, la soirée serait ratée.

 

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Le Roland a mangé le quart de l'espace, du coup l'on ne voit plus le batteur engoncé derrière sa batterie, on a juste aperçu son T-shirt Good Morning, Vietnam lorsqu'il s'est glissé derrière les fûts. Vu sa frappe, l'aurait plutôt dû choisir Full Metal Jacket, l'a la batterie qui aboie sans arrêt. Cerbère le chien à trois têtes qui vous entrouvre la fournaise des Enfers, les yeux injectés de sang et la bave qui coule de la gueule. Un petit arrêt sur image pour les âmes sensibles. Draigh joue du rock, alors faites comme mes voisins qui se fourrent des boules de silicone dans les oreilles. Les gens ont de ces drôles de manie ! Je me demande s'ils mettent des lunettes noires pour visiter une expo de peinture.

Guitare et basse nous le confirment. Draigh ne nous propose ni des cigarettes avec filtre, ni du verre sécurit. Pas de siège-auto pour les enfants non plus. Nous avertissent dès le début du set sont du côté des Noirs Corbeaux qui essaiment comme des nuages de folie sur les dernières toiles de Van Gogh, le rock entendu comme une opération alchimique qui nous mène de l'oeuvre au noir du désespoir aux illuminations incandescentes de l'oeuvre au rouge des serpents fous du désir exaltés.

Et puis ils ont un chanteur. Un vrai. Ne bénéficie pas d'un vaste espace. Au mieux une surface d'un demi-mètre carré à condition d'éviter de s'embrocher sur le manche du guitariste. Sinon, il peut aussi se coller sur le mur. Mais il transcende tout cela. Est ailleurs, dans son corps, dans sa voix, dans son chant. Habité par une force tellurique. C'est le rock and roll qui lui donne sa pêche et qui l'habite. L'est dans le rock comme d'autres pédalent dans la choucroute de la vie, mais lui refuse d'en sortir, s'y vautre dedans comme un alligator dans le marécage. Bien sûr les autres lui passent des barres d'acier brûlantes, mais c'est lui qui jongle avec et qui arrange le puzzle.

Ca rocke comme au bon vieux temps des Faces, pour la mise en place vous ne savez où donner de la tête, une éruption volcanique, un grabuge chaotique, une chatte n'y retrouverait pas ses petits mais tout retombe sur ses pattes avec une précision d'orfèvres. Ça fourmille de riffs et de claquements, de roulements et de fusées sonores qui explosent dans tous les sens, et tout rentre dans l'ordre dans les secondes qui suivent, une coulée de lave brûlante qui met tout le monde d'accord et c'est reparti pour une autre giclée de pierres. Les Faces ce ne fut qu'un petit – si j'ose dire - combo de rock, z'avaient la hargne et le délire, mais après eux sont venus des groupes qui ont apporté la puissance.

 

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Le blues survitaminé à la Bonamassa c'est bien, suffit de se laisser porter par la vague, certes ce n'est pas donné à tout le monde mais il est permis à chacun d'essayer, quelques harmoniques un peu rauques dans la voix et c'est parti. Et de cela Olivier – si j'ai bien saisi, c'est son prénom - en a à revendre. Et c'est à ce moment que l'on s'inquiète pour lui, ce rythme effréné c'est bien le chien noir de Led Zeppe qui s'en vient aboyer, un morceau royal, mais faut monter grave dans les aigus, s'agit pas de se planter en beauté. L'a dû se faire un nœud dans la trachée artère car notre chanteur assure. Doit s'éviscérer à l'intérieur avec la colonne d'air. Plus tard après un intermède australien avec Electry Mary et AC/ DC, il clôturera le set avec un Kashmir mirobolant. Assistance estabousiée, écrasée par tant d'énergie et de savoir faire.

DEUXIEME PLAT

L'on croyait qu'ils nous avaient d'abord servi le plat de résistance, c'étaient juste les hors- d'oeuvres. A première vue, c'est la même chose. Mais en mieux. Plus blues et davantage rock and roll. Un truc qui vous prend aux tripes et un autre qui vous emporte hors de vous même. Tout l'alphabet d'AC / DC de Beatin Around The Bush à Whole Lotta Rosie, Deep Purple avec Mistreated – avez-vous déjà entendu un blues maltraité de cette manière – et Highway Star – particulièrement dantesque – et le retour du dirigeable, Rock And Roll, un must, et l'apothéose finale, l'atterrissage en vent de folie avec Whole Lotta Love. Captain Plant aux commandes pour Tin Pan Valley.

 

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Durant la courte pause, Olivier a dû affûter sa voix, elle ne crie plus, elle crisse, elle blatère, elle piaule, elle barrit, elle baraque, elle se ondule sur les lignes de basse ou jerke sur les riffs. Spectacle total, le larynx qui clame et brame et les doigts du guitar-hero qui triture et friture ses cordes. Et puis ces longues immobilisations comme pour obliger une note à résonner éternellement. Des curieux rentrent dans la salle, écoutent trois secondes et retournent sur la terrasse en se bouchant les oreilles. Quant à nous nous ne laisserions pas notre place pour un empire. Nous sommes dans la cage dorée du rock and roll, prisonniers à jamais.

DESSERT

Z'ont dit au revoir et félicité le Glasgow, quand on va les saluer pour les remercier d'un tel concert, ils nous demandent d'attendre cinq minutes, le temps d'une gorgée de bière les revoici sur scène pour un ultime rappel, un medley des Who, Behind Blues Eyes et Young Man Blues... Led Zeppelin pour terminer bien sûr.

L'on sort de là tout vacillant, tout estomaqué. Pour une surprise ce fut une surprise. Du classic rock en toute modestie. Jamais entendu des reprises aussi bien foutues. Les Draigh portent bien leur nom. Levons nos verres à leur santé, haut et sec !

Damie Chad.

( Les photos prises sur le FB du Peter Alexander Band ne correspondent pas au concert. )

Local CNT / 33 rue des Vignoles / PARIS 20°

TRIBUTE TO JOE HILL

ANGELA ( Julie Colère ) / CARO ( Coin Locker, ex-Folk you )

CYRIL, DEE, CRASH ( Destroy Putas ) / FRANCOIS ( Talune )

CYRIL, DAVID ( ex-Action Directe ) / FRED ALPI ( The Angry Cats )

GERALDINE ( Cartouche, La Twal ) / LES CHANTEURS LIVREURS

GILLES FEGEANT, Jo, Jules ( ex-Action Directe ) / RENAUD ( La Rabia )

KROQUETTE ( ex-Necrofilles, Better of Dead )



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Début des activités annoncées à 19 heures. Point de précipitation, rien ne commencera avant vingt heures trente, l'est vrai que le poulet au curry embaume et qu'il serait dommage que los companeros se laissent mourir de faim devant des marmites remplies à ras-bord. Même pour Joe Hill. Il n'est pas question d'exagérer. Z'en profitons pour assister à la fin de la balance de Fred Alpi qui est venu sans ses Chats Colériques. Plein d'humour, en un tour de main, il expédie un couplet d'Eddie Cochran, d'Edith Piaf, de Claude François, et de Johnny Cash, si vous n'en trouvez pas un à votre goût, c'est que vous êtes difficile. C'est qu'il a une belle voix sonore le Fred, vous la monte comme un Alpiniste jusqu'au haut de la montagne. En plus il y a Gilles Fegeant qui vous sort de son étui une magnifique guitare à résonateur sur laquelle, si vous écoutiez vos instincts basiques, vous perpétreriez votre droit personnel de réappropriation collective. Ben, non vaut mieux qu'il la garde, c'est qu'il la chatouille si bien avec son petit doigt slidé que vous ne feriez pas mieux. 

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Tout le monde étant repu ( nous n'ajouterons pas blicain ) les festivités peuvent commencer. Le fameux général qui avait la double gaule dirait qu'avec ces gamins qui courent partout et qui se roulent par terre, nous sommes en pleine chienlit. Mais oui, tout se calme et la soirée débute par une présentation de la vie de Joe Hill. Pas un hasard si la CNT lui dédie une soirée. L'est mort en 1915, à la suite d'accusation mensongère de la police. Ne montez pas sur les grands chevaux de l'indignation. La police n'y est pour rien. Joe Hill l'avait bien cherché. S'était depuis cinq ans acoquiné avec les IWW ( Idustrial Workers of the World ) de très méchants militants ouvriers, de sombres empêcheurs d'exercer en toute impunité la démocratique liberté d'exploitation des prolétaires. De mauvaises têtes qui avaient la sale manie d'organiser les grèves de protestation contre les pitoyables salaires en vigueur en ces années vers lesquelles nous sommes en train de retourner... Des inconscients qui pratiquaient un syndicalisme offensif de combat dans lequel ils admettaient et regroupaient les plus démunis, les chômeurs, les femmes et ( jusqu'où ne sont-ils pas allés ! ) les afro-américains qu'en ces temps bienheureux l'on appelait les nègres.

 

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Bref Joe Hill était un agitateur. Faisait pas de grands discours, préférait composer des chansons et les chanter avec sa guitare. Attirait trop de monde dans les meetings et les rassemblements, lors des grèves. Ses chants se transformaient très vite en hymnes révolutionnaires... Qu'auriez-vous fait à la place de la justice et de la police ? On ne pouvait pas décemment lui mettre un scotch sur la bouche, ces bandes adhésives ont le défaut de se décoller un peu trop vite. Alors on l'a traîné devant un peloton d'exécution. Vite fait, bien fait. On croyait s'en être débarrassé pour toujours. Hélas, la mauvaise graine repousse toujours. Dans les années soixante, Woody Guthrie, Bob Dylan, Joan Baez, Pete Seeger, et plein d'autres, inscrivirent nombre de morceaux de Joe Hill à leur répertoire, les tirant de l'oubli relatif dans lesquels ils étaient tombés auprès du grand public.

 

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Les IWW subirent de fortes attaques de la part des autorités étatiques. A leur vision d'une lutte classe contre classe, ouvriers contre patrons, la machine idéologique libérale parvint à substituer à l'occasion de la première guerre mondiale la nécessité d'une collaboration de classe sur fond de nationalisme... Si vous percevez en ces manœuvres des relents de fascisme doucereux, vous n'aurez point tort... ( Si vous désirez en savoir plus, lisez notre kronic sur Wobblies & Hobos de Joyce Kornbluh publié aux éditions de L'Insomniaque dans KR'TNT ! N° 114 du 18 / 10 / 2012 ). Puisque l'on parle bouquin, rappelons que cette soirée est organisée pour fêter la réédition augmentée du livre Joe Hill, Bread, Roses and Songs de Franklin Rosemont, aux Editions CNT-RP, dont nous reparlerons dans une prochaine livraison. Etait dans le lot que je m'étais procuré il y a deux semaines à La Parole Errante ( voire KR'TNT ! 236 ), faut toujours avoir de la suite dans les idées. Noires.

 

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Fred Alpi et Gilles Fegeant sont déjà sur scène – petite et encombrée de matos, vont y défiler en une heure et demie une quinzaine d'artistes – mais il reste un cadeau à distribuer, un petit livret de vingt pages intitulé The Little Red And Black Song Book qui nous livre le texte en anglais des morceaux de Joe Hill qui seront interprétés ce soir, avec en prime la traduction française que les intervenants vont nous interpréter. A la demande générale Fred Alpi, explique qu'il connaît Joe Hill depuis toujours puisqu'il est né dans la même région... en Suède ! Pour notre édification morale, il rajoute qu'un tiers de la population de la Suède émigra à la fin du dix-neuvième siècle en Amérique pour fuir la misère. Et sur ce il enchaîne un ancien morceau personnel, Chanson pour Joe Hill, une ballade enlevée à la Johnny Cash, sur laquelle Gilles Fegean nous montre ce qu'il sait faire. Puis en langue américaine ( parce que les anarchistes aiment bien enfreindre leurs propres principes organisationnels ) les derniers vers de Joe Hill écrits dans la nuit qui précéda sa mort – l'aurait pu faire un effort le Joe, car c'est un peu court – et au grand regret de l'assistance il quitte la scène avec son compère pour laisser la place aux copains.

Beaucoup n'auront pas son aisance, mais là n'est pas l'essentiel, ce n'est pas un karaoké, chacun apporte ce qu'il peut, sa ferveur ou sa maladresse, l'essentiel est de rendre vie et hommage à Joe Hill, et dans l'ensemble tous s'en sont sortis haut la main, comme David et Joe qui nous offrent une version quasi slamée mais testostéronée à l'énergie punk de The Tramp ( remplie de gros mots leur reprochera une gamine de six ans ) qui soulève l'enthousiasme.

Caro chemise country et accordéon et Kroquette guitare électrique rouge et bourdonnante n'ont pas hésité à rapter un jeune collégien à qui elles ont confié une caisse claire. N'est pas intimidé par les grandes dames le Gus, à lui tout seul il leur a charpenté leurs deux titres, The Rebel Girl et The Preacher And The Slave, comme un requin de studio. Possède le sens du rythme et chose plus rare, l'idée de son orchestration.

L'on nous explique que beaucoup de textes de Joe Hill s'en prennent à la religion. L'avait l'habitude de bouffer du curé – de toutes les sauces, évangélistes, baptistes, pentecôtistes et toute la sainte famille des cul-bénis – pour combattre l'emprise du christianisme sur les consciences, les Eglises n'étant que les filles aînées du Capital... Chez les IWW, on ne donnait pas dans le consensus mou de la liberté de chacun à s'humilier devant des chimères incapacitantes...

Je terminerai par les Chanteurs Livreurs qui nous bissent le Testament et invitent tous les confrères – même ceux dont je n'ai pas parlé parce que ce soir ma mémoire imbibée de White Lightning est défaillante – à les rejoindre pour chanter en choeur, et de tout coeur Coffee An'. Et this is the end, comme disait Jim Morrison, de cette soirée festive et chaleureuse. Sur la scène désertée, chacun peut lire les derniers mots de la dernière lettre de Joe Hill :

DON'T MOURN, ORGANIZE !

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Ne vous lamentez pas, organisez-vous ! Je traduis pour ceux qui font semblant de ne pas comprendre. Que le temps nous est compté, et que bientôt il sera inutile de venir pleurnicher regrets et remords.

Damie Chad.

PS 1 : sur Fred Alpy and the Angry Cats voir KR'TNT ! N° 130 du 07 / 02 / 2013.

PS 2 : ne pas oublier que la Mairie de Paris insiste beaucoup ces derniers temps pour récupérer le 33 de la rue des Vignoles. L'on va finir par croire que cette municipalité de gauche fait tout ce qu'elle peut pour bâillonner systématiquement les lieux d'expression radicale.

GUN CLUB

HISTOIRES POUR

JEFFREY LEE PIERCE

Préface : CYPRESS Grove

( Camion Blanc / Mars 2015 )

JEAN-LUC MANET / OLIVIER MARTINELLI / HERVE SARD / ALAIN FREYDRI / THOMAS FLEITOUR / STANISLAS PETROSKY / DAVID BOIDIN / GIUGLETTA / FREDERIC PAULIN / STEPHANE LE CARRE / PATRICK FOULHOUX / KARINE MEDRANO / PATRICK CAZENGLER / JEAN-ERIC PERRIN / PIERRE DOMENGèS / STEPHANE PAJOT / HUGUES FLECHARD / OLIVIER KERAVAL / MERLE LEONCE BONE / MATHIAS MOREAU / PIERRE MIKAÏLOFF / MARION CHEMIN / JEAN-PIERRE JAFFRAIN / JEAN-NOËL LEVAVASSEUR.

Illustrations : OLIVIER BRUT / JEAN-CHRISTOPHE CHAUZY.

 

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Une série qui n'est pas prête de s'arrêter : le principe est simple, une figure iconique du rock and roll, groupe ou / et chanteur, une trentaine d'auteurs réunis qui écrivent de leur plus belle plume une courte nouvelle censée exprimer de près ou de loin l'univers de ce personnage symbolique. Nous avons déjà chroniqué les volumes dédiés à la story de Little Bob et aux chiens de Dominique Laboubée. Voici donc le dernier consacré au Gun Club de Jeffrey Lee Pierce. Les lecteurs de KR'TNT y retrouveront avec plaisir et fierté notre Cat Zengler national. Je l'affirme haut et fort : le jour où Patrick Cazengler deviendra amnésique – atroce cauchemar - le rock and roll perdra sa Bibliothèque d'Alexandrie.

 

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Gun Club, c'est du pain bénit pour les plumitifs, les chieurs d'encre comme se plaisait à les nommer Jean Lorrain. Du blues trituré sous toutes ses formes, un condensé de l'Amérique électrique. Passe même par Las Vegas comme Elvis. Et ça se termine aussi mal. Pour l'ambiance, c'est du sérieux, du noir, du glauque, du sordide. En plus, le Jeffrey Lee Pierce il n'a rien inventé. A emprunté sa blondeur à Blondie et sa grosseur finale d'hippopotame mal léché à Jim Morrison. N'a rien fait d'autre. Entre temps il s'est contenté d'être. Rares sont ceux qui y arrivent. La plupart de nos contemporains ne dépassent pas le stade premier ( anal dirait Tonton Freud ) de l'existence nécrophilique des morts-vivants. Quelques uns parviennent l'on ne sait trop comment à jouer un rôle de troisième couteau dans le film parodique qui leur sert d'existence. Seul des sept milliards d'individus qui peuplent notre planète Jeffrey Lee Pierce a réussi à devenir Jeffrey Lee Pierce. Il y en a plein d'autres qui ont essayé, et qui même essaient encore, mais c'est une cause perdue, sans espoir. S'est tout de même fait un peu aider par le destin. Comme beaucoup d'adolescents en mal d'émotions fortes, dans sa jeunesse Jeffrey a longtemps hanté les cimetières la nuit. Par bravade. Par une étrange fascination qui ne saurait avoir été innocente. L'on finit toujours par trouver ce que l'on cherche.

 

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Il l'ignorait totalement. C'est une ancienne technique vaudou. Faut de la patience et de l'endurance. S'agit de faire sortir l'âme d'un mort du trou où elle gît et d'en grignoter un morceau lorsqu'elle passe près de vous. Attention à ne pas vous faire bouffer. C'est ainsi que ça se termine dans les meilleurs des cas. De véritables carnassiers affamés ces ectoplasmes vaporeux. Sinon, si vous en détachez un morceau c'est doux comme de l'amadou et aussi savoureux qu'un champignon hallucinogène. Méfiez-vous des imitations et encore plus des effets pervers.

 

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L'on a jamais su si ce fut un hasard ou un coup de génie. Une fois qu'il se promenait dans un grand cimetière sous la lune – ce n'était pourtant pas en Espagne puisque les témoins affirment qu'il y avait des palmiers – matez la circonstance, ce serait un film, vous n'y croiriez pas, vous trouveriez la ficelle trop grosse – à sa grande surprise, le Jeffrey aperçut virevoltante dans les rayons de l'astre Astarté, sortie de nulle part, une âme cotonneuse – mais noire – qui s'en vint s'emberlificoter autour de sa main droite. Secoue un peu les doigts pour s'en dépêtrer, c'est un brin visqueux et pas si agréable que cela au touché. Manque de chance, si la substance se détache sans résistance, l'en reste tout de même une poignée collée à sa paume. Voudrait s'en débarrasser au plus vite, mais voilà que son rendez-vous se pointe. Pour une fois qu'une gerce est pile à l'heure, il ne peut pas la renvoyer. Elle va le prendre pour un pleutre. La veille l'avait draguée en se vantant de l'honorer toute nue ( en anglais ça se dit : baby, I want to fuck You ) on the lawn of a grave. L'avait répondu OK, boy ! Et l'a tenu parole, elle commence déjà à se désaper. Le bonheur c'est comme le malheur, ça ne vient jamais seul. Jeffrey se tourne discréto vers une pierre tombale dans l'espoir qu'en grattant le granit il arrivera à se dépêtrer de ce truc spongieux qui lui colle aux phalanges. Victoire anticipée, la matière noire se détache toute seule de sa main et s'en va voleter au loin. La fille s'est déjà couchée sur l'herbe grasse ( qui pour une fois n'est ni bleue ni du Kentucky ), son corps blanc rehaussée d'un frisotis pubien attendrissant, nous met le Jeffrey en appétit, une faim subite, dévorante, le submerge, n'a même plus l'idée de baisser son froc, se rue sur elle, la langue en avant pour un cunnilingus démentiel. Sous la lueur blafarde de la lune son corps blanc s'arque et gémit comme un concerto de Ravel ( en si bémol pour violon ). L'en faut davantage pour satisfaire un rocker, lui tond littéralement la pelouse, le Mont de Vénus se transforme en Mont Chauve... les voici tous les deux haletants, Jeffrey n'est pas peu fier de son exploit : Regarde chéri, j'ai aspiré tous tes poils ! Arrête de te vanter gros bêta, I just shave my pussy avant de venir ! N'en croit pas un mot le Jeffrey, mais comme il a été bien élevé par sa maman, il ne la contredit pas et déboutonnant son pantalon, il s'apprête à lui jouer I got my mojo workin' dans l'entrecuisse. Nous ne nous attarderons point sur ce déplorable spectacle qui ne pourrait que choquer la jeunesse studieuse qui, à quinze jours de passer son bac, lit stupidement nos chroniques. La fille rassasiée s'en va. Et Jeffrey tout heureux s'en retourne s'occuper du courrier du fan-club de Blondie... Ne sait pas encore que dans la série aujourd'hui on rase gratis il vient d'acheter pour zéro dollar une âme au diable.

 

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Vous l'avez deviné, n'y avait pas un seul cheveu dans la soupe au foutre, le papillon noir voletant innocemment à la brise s'était posée sur l'intime partie de la demoiselle sans qu'aucun des deux ne s'en aperçussent. L'avait ingurgité un morceau de l'âme d'un mort, par mégarde le futur chantre du Gun Club. Le cas n'est pas unique. Pline l'Ancien relate une semblable méprise dans ses Histoires Naturelles. Plus près de nous Pierre Louÿs évoque une affaire similaire dans une lettre qu'il n'envoya pas à André Gide. Deux inadvertances érotiques qui ne bouleversèrent pas le monde. Pour Jeffrey Lee Pierce et le reste de l'humanité, les conséquences furent beaucoup plus dramatiques. Nous n'avons pas encore fini d'en recracher le morceau. 

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N'avait pas avalé par mégarde une bouchée de vulgaire macchabée en goguette. C'était un fragment de l'âme de Robert Johnson qu'une sourde mélancolie de sexe et de stupre avait guidé vers ce providentiel bas-ventre complaisamment offert sur la pelouse funèbre de sa tombe. Imaginez la colère du dieu du blues aspiré par ce lourdaud de Jeffrey. L'a mis du temps à ressortir. Mais à partir de cette nuit-là, les jours de Jeffrey Lee Pierce étaient comptés. Tout le monde s'accorde pour dire que le chanteur était habité par une âme trop grande pour lui. Du profond de ses entrailles s'exhalait un chant incompressible. Une douleur vivante. Un cri d'agonie perpétuel. Que rien jamais ne parvenait à apaiser. Ni l'alcool. Ni l'héroïne. Ni toute autre saleté. Jeffrey s'était empoisonné au blues. Pire qu'un sida mental. Ça vous détruit le corps, et votre esprit ne connaîtra plus jamais de repos. Une satanée mixture, le poison des produits, le feu du sexe, la violence du rock. Dieu est mort. Le Diable est mort. Mais la vieille malédiction de l'Homme survivra à sa propre disparition. Ne me demandez pas pourquoi. Ni comment. J'ai juste essayé de vous expliquer que si vous aimez Robert Johnson, vous adorerez Jeffrey Lee Pierce.

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Damie Chad.

 

L'on termine en beauté avec les Jallies. Deux articles pour nous faire pardonner l'orthographe fantaisiste du prénom de Kross et le baptême de Céline en Nathalie ! Pour nous dédouanner de cette faute impardonnable, nous rappellerons que Marcel Proust use dans La Recherche du Temps Perdu d'un procédé subterfugique identique pour nous faire accroire à la mort d'Albertine. Deux kronics du Grand Phil qui a eu l'ignoble chance d'être témoin du triomphe de nos adorées jaillissantes au festival Confluences de Montereau.

LES JALLIES

FESTIVAL CONFLUENCE / MONTEREAU

06 / 06 / 2015

 

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Le soleil brille, les ombres de midi dansent tandis que la voiture piaffe, moderne mustang, lorsque des obstacles tentent de ralentir sa course. Montereau. Enfin ! Mais c’est déjà l’affluence des grands jours. On se fraye un chemin à grands coups de pare-chocs jusqu’à un petit recoin ombragé où nous pouvons laisser notre fidèle monture pour courir, voler vers l’entrée où les barrières peinent à contenir la foule.

 

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Un an après. Les organisateurs ont compris, compris qu’elles méritaient de descendre les marches et de se retrouver sur l’une des deux grandes scènes du festival, ce coup-ci la scène Lou Reed. Mais quelle idée folle leur est passée par la tête pour les programmer à midi et demi. Etait-ce pour que le disque solaire les auréole de mille éclats ? Impossible, elles rayonnent déjà de mille feux. 

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Qu’à cela ne tienne, malgré cet horaire si peu propice, la pelouse se remplit petit à petit, puis grand à grand. Et c’est parti pour une demi-heure de bonheur swinging rock’n’roll.

 

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On leur laisse si peu de temps que les morceaux s’enchaînent sans prendre le temps de respirer. Le spectateur ébloui bat tous les records d’apnée. Le jeu de Kross et de Tom laisse transparaître cette tension. Guitare et contrebasse nous poussent et nous retiennent au bord du précipice. C’est à un véritable numéro d’équilibriste qu’elles nous invitent pour donner un aperçu de l’immensité de la gamme en un minimum de temps.

 

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De Gene Vincent à Amy Winehouse en passant par Nancy Sinatra, elles n’oublient pas de rendre hommage à leurs aînés, mais la plus grande part de leur set réside dans leurs compositions, jusqu’à la toute dernière qui vient achever cette demi-heure en un feu d’artifice qui laisse un regret, un amer regret...

 

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Quel dommage que ce fût aussi court ! Tout le monde, vieux aficionados ou nouveaux admirateurs, voudrait repartir pour un tour, désirerait que les Jallies les emportent dans le tourbillon magique de leur manège enchanté. La preuve en est le nombre de disques qu’elles ont vendu : il ne leur en est plus resté un seul.

Heureusement un espoir naît de ce succès : qu’elles reviennent encore et plus longtemps sur la scène des Confluences.

These girls are made for singing !

Philippe Guérin

 

ONE DOLLAR QUARTET / JALLIES

LE GLASGOW / FONTAINEBLEAU

JEUDI 07 MAI 2015

 

Des mois, des semaines, des jours, des heures, des minutes, des secondes que je n’avais pu voir les Jallies. A l’annonce de leur concert au Glasgow, mon sang ne fit qu’un tour. Et quel tour ! Je peux l’affirmer à tous les physiciens du monde, il existe une vitesse plus grande que celle de la lumière : celle du sang d’un adminrateur des Jallies à l’annonce de leur concert.

Aussitôt dit, plus vite fait. La voiture file vers l’étoile bellifontaine qui nous guide jusqu’à une rue ensevelie sous la foule. Nos belles font encore et toujours déplacer les foules. 

 

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Tous les moyens sont bons à nos trois grâces pour se faire désirer. Elles ont choisi de laisser tout d’abord la scène à One Dollar Quartet. Mais notre vue se trouble, nos yeux nous jouent des tours : la moitié masculine des Jallies est déjà là. Ne leur ont-elles pas dit ? Mais non ! Tom et Kross font aussi partie de ce quatuor qui ne vaut pas qu’un qu’un sou, qu’un dollar. Et les morceaux de s’enchaîner. Poussés par la batterie d’Alex qui nous frappe aux tripes à coups redoublés. Soutenus par la contrebasse de Kross qui ne nous tient la tête hors de l’eau que pour mieux nous la replonger dans les déferlantes de la guitare de Tom. Le tout enrobé, emballé par la voix de Michael qui ne nous lâche pas d’une semelle, ne prend sa respiration que pour mieux nous la couper. Ces quatre garçons dans le coin du Glasgow nous embarquent tant et si bien qu’on en oublie presque celles pour qui l’on est venu. Mais bons et beaux joueurs, ils nous le rappellent avant de laisser la place.

 

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They are the Jallies. Encore et toujours. Premiers accords, premiers coups de balais. Elles embarquent le public qui se presse, qui pousse les murs. L’espace se transforme, s’agrandit, gravite autour de cette scène, ou plutôt de ce petit recoin d’où elles irradient. Le monde n’est plus le même qu’avant les Jallies. Solaires. Astrales. Un nouvel univers dont elles sont le point nodal. D’un I want to be like you à Goin’ up to the country, ells font swinguer toute l’assistance. Mais ce n’est pas encore assez. Plus on est de fou, plus on rock’n’roll. Voilà qu’elles appellent Vincent et son harmonica dont les accents, comme ceux du kazoo de Céline, nous transportent vers les hautes plaines. Et comme si ça ne suffisait pas, belles joueuses, elles rappellent Alex et Michael. Deux groupes sur scène. Décidément elles nous gâtent ce soir. Et c’est reparti pour un tour. Un effet bœuf. Le public rentre en transe, veut rester toute la nuit, mais les règlements, qui n’ont vraiment rien compris à la magie musicale, annoncent la fin. Sans, cependant, nous empêcher d’entendre un Be bop a lula d’anthologie, où Leslie et Michael se rendent coup pour coup et mettent KO un public ravi, qui ne parviendra que difficilement à quitter la rue du Coq gris, grisé de swing, rock, roll.

 

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They are The Jallies and One Dollar Quartet.

Philippe Guérin