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17/06/2020

KR'TNT ! 469 : PRETTY THINGS / DAVID ROBKAB / UNDERTONES / VOLUTES / FELIX PAPPALARDI + CREATION

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 469

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

18 / 06 / 20

 

PRETTY THINGS / DAVID ROBKAB

UNDERTONES / VOLUTES

FELIX PAPPALARDI + CREATION

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Oh You Pretty Things

- Part Seven

 

Sans même savoir que les choses allaient prendre une tournure tragique, les Pretties décidèrent le 13 décembre 2018 de tirer leur révérence à Londres, comme ils l’avaient fait deux mois auparavant à la Maroquiqui (concert infiniment mémorable du 19 octobre 2018 qui fit l’objet d’un Part Three ici-même sur KR'TNT). Attaqué de l’intérieur par un féroce emphysème, Phil May savait qu’il ne pouvait plus compter sur ses poumons et tenir une scène pendant quatre-vingt dix minutes. Le rock a ses limites. On finit par se faire avoir, même au bout d’un demi siècle de rage before the beauty.

Histoire d’accompagner leur dernière révérence, les Pretties ont eu l’idée de proposer à tous ceux qui n’ont pu assister au Final Bow londonien un Final Bow en forme de livre-disque pas trop cher, disons 60 euros, une somme qu’il faut bien sûr comparer à l’univers pour admettre que finalement ce n’est pas grand chose. Le book propose l’intégralité du Final Bow sur deux CD audio, plus la même intégralité sur deux DVD (dont un qui ne sert à rien, petite arnaque), et comme d’usage dans ces cas-là, une multitude de photos de scène qui sont là pour nous rappeler que même vieux, les Pretties avaient une sacrée prestance. Tout le monde rêve d’avoir eu un grand-père comme Dick Taylor, qui, faut-il encore le rappeler, est l’un des guitaristes les plus flamboyants d’Angleterre, mais vous ne le trouverez pas dans les fucking Tops 100 des guitar players que publient régulièrement nos amis des magazines.

Justement, Dick Taylor se fend d’un très beau texte dans le Final Bow book. Au long de deux grandes pages extrêmement passionnantes, il raconte dans son vieil anglais concassé l’histoire de sa vie de Pretty Thing, remontant jusqu’aux années cinquante pour nous faire revivre la naissance d’une scène qui allait changer le monde aussi radicalement que le firent celles de Memphis et de la Nouvelle Orleans à la même époque. Le vieux Dick a la chance de grandir dans une maison où on joue de la musique et il rappelle qu’ado, il haïssait cordialement la guerre et les militaires. Il découvre tout en même temps, la musique, l’art et les livres - J’avais 15 ans et je possédais une édition du Howl d’Alan (sic) Ginsberg, je me demandais ce que certains vers signifiaient et je me le demande encore aujourd’hui - Il découvre aussi un truc de base : ce n’est pas la technique qui importe en matière d’art, mais ce qu’on veut faire de cet art. Ça s’applique bien sûr à la musique. Il rappelle ce que tout le monde sait, qu’il fit un peu de musique avec Jagger dans le back room, chez ses parents, puis il commença à bricoler des trucs avec Phil à l’Art school. Phil et lui apprennent très vite l’autre principe de base des Pretties : remettre en question l’autorité et les conventions. Quand on leur dit à l’école d’aller se faire couper les cheveux, ils se les laissent pousser. Quand les magazines de l’époque essayent de les transformer en pop group, les Pretties montrent les dents. Dick et Phil songeaient essentiellement à préserver leur intégrité artistique - Which really sums up the whole ethos of the band right up to today (ça résume simplement l’histoire des Pretties jusqu’à aujourd’hui) - Avec cette fantastique humilité qui le caractérise si bien quand on a la chance de le rencontrer, Dick ajoute que s’il joue cette musique, c’est uniquement parce qu’il aime ça (I certainly only play because I love doing it). Dans le même esprit, Dick évoque les nombreux changements de line-up dans les Pretties, à commencer par son départ à la suite du flop de SF Sorrow. Il explique que les nouveaux embauchés étaient invités à contribuer. Les gens sont entrés dans le groupe et l’ont quitté sans rancœur, précise Dick. L’autre raison de la longévité des Pretties tient au fait qu’en dehors des tournées et des sessions d’enregistrement, chacun vivait dans son coin. Dick se dit éberlué de voir passer toute cette histoire en un éclair : «J’ai l’impression que ce long voyage entre notre tout premier concert et le dernier à l’O2 Indigo est passé comme un flash, mais pour rien au monde je ne voudrais l’échanger. J’ai passé la plus grande partie de ma vie à faire ce que j’aimais, alors voyons la suite.» Merveilleux esprit.

Phil May se tape lui aussi deux grandes pages. Il rappelle qu’en 1963, au Sidcup School of Art, l’idée était de se lancer dans un roller-coaster. On leur accordait deux ans d’existence maximum, mais le roller-coaster a duré 55 ans ! Phil raconte dans le détail ses souvenirs de l’Art school qui ne sont pas nécessairement des bons souvenirs. Le système est assez brutal et il apprend très vite à ne pas se retrouver tout seul à l’arrêt de bus. Il porte déjà des cheveux longs et les yobs locaux lui pètent la gueule. Lors de la deuxième année, il fait des rencontres déterminantes : Dick Taylor et Keith Richards. Il voit ces mecs un peu plus âgés que lui jammer dans une salle du Art school et finit par demander s’il peut chanter un truc ou deux avec eux. Alors Dick lui tend le carnet où Jagger écrit ses paroles de chansons - Écrites religieusement in a Pitman short hand note pad - Phil s’extasie sur sa propre transformation, de l’élève timide qu’il était en 1960, en arrogant and ballsy lead singer of the Pretty Things en 1963. Pour rester à la hauteur de cette réputation ballsy, Phil indique qu’il commence à prendre pas mal de dope - Tout au long de ma vie dans le groupe, j’ai gardé puis perdu le contrôle à cause de tous ces stimulants. Ils ont joué un rôle capital dans le process créatif du groupe, mais aussi un rôle destructeur - Chaque disque les Pretties lui rappelle des souvenirs précis. Il cite SF Sorrow comme l’un des principaux landmarks, an incandescent acid-induced mountain peak. L’autre moment clé de l’histoire fut l’arrivée de Peter Tolson dans le groupe, a real musical love affair - Ce groupe eut la chance d’avoir deux grands guitaristes, Dick Taylor et Peter Tolson - Il évoque la période Swan Song qui pourtant débuta bien avec two very good albums mais qui se termina en eau de boudin avec l’abus de coke - A Columbian marching powder standoff - Phil évoque la mutinerie et le supplice de la planche que lui ont fait subir les autres qui rêvaient de succès. Alors qu’ils sont au plus bas dans les années 80, Phil et Dick voient arriver dans leurs vies le fameux Mark St. John. Et comme le rappelle Phil, les dernières mesures de «Loniest Person» n’était pas la fin du livre, mais le commencement d’un nouveau chapitre. Oui, car on s’en souvient, Phil avait annoncé qu’il arrêtait la scène pour des raisons de santé, mais qu’il envisageait l’enregistrement d’un nouvel album des Pretties.

Soit on commence par voir le film, soit on commence par écouter les deux CD audio. Le mieux est de commencer par l’écoute, car dès «Honey I Need», Phil May nous plonge dans le chaudron des sorcières de Macbeth. Impossible d’en sortir. Tout le vieux power des Pretties est intact. Phil May allume son vieux Honey I wish you love comme s’il avait 15 ans, avec de l’Emotion dans chaque syllabe. Ils redeviennent les rois du beginning avec «Don’t Bring Me Down» et donnent libre cours à leur sauvagerie à coups de laying down the ground, d’incursions intestines en formes de killer solos et de coups d’harmo. Phil May claque le beignet de son Bring Me Down en bon dude demented. Les Pretties balayent tout sur leur passage, ils l’ont fait depuis leurs débuts, mais pour le Final Bow, ils dépassent les bornes. Ils Buzzent leur Jerk au double solotage. Rien de plus pretty que cette rengaine de Big Mouth Shut. Hey Mama ! Le vieux Dick se paye des beaux dérapages contrôlés. Ce qu’ils font porte un nom : classical mayhem. C’est l’Hey Mama du dark British Underground, I said shut ! Ils ressortent aussi le vieux «Get The Picture», morceau titre de leur deuxième album, puis passent à la psychedelia avec «The Same Sun». Phil May irradie dans le son du vieux Dick. Aw my Taylor is so rich, il joue à l’extrême de la pertinence psychédélique et part en petite vrille d’extravaganza demented, welcome back to London 67. Ils font aussi un monstrueux package «Alexander/Defecting Grey» saturé de beat turgescent et de gras double. C’est à la fois explosif et jouissif, fondu comme beurre en broche dans le laughing at me avec un Dick on the run. Tu ne peux pas lutter. Le poids affectif des Pretties va t’écraser la poitrine. Bienvenue au cœur du mythe avec «Midnight To Six Man», Ce démon de Phil May l’articule comme au temps des caves, tell me some more, fantastique bash boom de London Beat avec le vieux Dick en guise d’entrailles. Fin d’une époque, mais boy, quelle époque ! C’est là que s’achève le premier set de la soirée, qui en comprend trois.

Ils attaquent le SF Sorrow set avec l’ancienne équipe de Sorrow, Wally Waller, Jon Povey et Skip Allan, histoire de nous rappeler qu’à cette époque, ils étaient l’un des meilleurs groupes anglais. Le son ! Du gâteau pour Psycho Dick ! Il adore jouer «SF Sorrow Is Born». Wally Waller ramène une fantastique bassline. Bon d’accord, ils sont vieux, mais ce sont les Pretties. On entend ce démon de Dick courir comme un lièvre dans la campagne orangée d’un beautiful acid trip. Fantastique pulsion du poumon Sorrow. David Gilmour les rejoint sur scène pour «She Says Good Morning». Il vaut mieux voir le film pour savoir qui joue, car ils sont maintenant quatre guitaristes sur scène : Pépère Dick, Gilmour, Frank Holland et George Woosey qui gratte une acou, puisque Wally reste à la basse. Trop de monde, on perd un peu le côté Pretties. D’autant qu’on se fout de Gilmour comme de l’an quarante. Espérons que les gens ne sont pas venus pour lui. Les deux points forts du SF Sorrow set sont «Baron Saturday» et «Cries From the Midnight Circus». Mieux vaut voir le film car c’est pépère Dick qui chante «Baron Saturday», avec Wally en relais. Skip Allan et Jack Greenwood font le bazar aux deux batteries, mais c’est avec «Cries From The Midnight Circus» que les Pretties vont assurer la suprématie définitive de l’underbelly. Phil May saute à la gorge du cut et ça groove autour de lui, avec un fantastique drive de basse de Wally Waller : il dégringole sa bassline, can you hear me, et ça s’énerve fabuleusement. On se fout du solo car Dick n’y était pas, au moment de Parachute. Can you hear me ! Comme on a pu adorer ça ! Wally fout les chocottes avec son drive des cavernes. C’est tellement incendiaire qu’on s’agenouille devant Dieu pour le remercier de ce miracle. Midnight Circus est l’une des septièmes merveilles du monde et grâce au film, on voit que c’est Frank Holland qui prend le solo furibard. Fuck, les gars, c’est la dernière fois qu’ils jouent ce monster sur scène.

Avant de passer au End Set, l’idéal est de revoir tout le début à l’écran. Our favourite band !, clame Mark St John qui va revenir quatre ou cinq fois dans la soirée et qui va dire en gros à chaque fois la même chose. Mais on passe vite aux choses sérieuses avec l’image du vieux pépère Dick Taylor. Les caméras ont bien compris qu’il était l’âme du groupe. Cette façon qu’il a de jouer, trapu et sautillant avec sa grosse guitare orange de vieux pépère séculaire. Il s’applique et passe des killer solo flash à l’ancienne, fugitif et si vaillant au soir de sa vie. On le voit enrouler le British beat dans sa farine avec un évident plaisir de jouer. Les Pretties font le show, mais le fait de jouer dans une trop grande salle disperse un peu leur impact. Wow ! Vieux pépère trapu et ramassé sur son riff de Buzz the Jerk et hop, killer kill kill the Buzz, Dick jerks it out ! On le voit tartiner le plus wild des solos de fondu enchaîné dans «Mama Keep Your Big Mouth Shut». Personne ne bat les Pretties à la course, le vieux Dick trame ses complots délinquants dans l’ombre de la Picture, c’est encore plus évident à l’écran. En guise de départs en solo, il fait du pâté de dégoulinure insalubre, un véritable shoot d’épitome de chèvre du dérapage contrôlé, il joue à l’exemplarité des choses du gaRage before the beauty. À ce petit jeu, les Pretties sont imbattables, même vieux. Mais quand le vieux Dick et l’aussi vieux Frank Holland croisent leurs tartouillages de bas de manche, ça monte directement au cerveau. Dick & Phil Big Bossent leur British Beat comme des vieux crack boom hu-hus. C’est dingue le jus que peut amener ce vieux crabe derrière ses lunettes. Parfait enchaînement d’accords pour «Midnight To Six Man», killer solo à la clé et bassmatic lâché dans la nuit comme un loup garou. Ça doit leur arracher le cœur de jouer ça pour la dernière fois. Moloch va avaler cette magie, comme tout le reste, d’ailleurs. Par contre, quand Gilmour arrive sur scène en plein SF Sorrow Set, les caméras n’ont plus d’yeux que pour lui. Ça gâche un peu le plaisir.

Back to the End Set, mais l’ambiance est différente. Van Morrison vient chanter «Baby Please Don’t Go» est là, nous ne sommes plus du tout dans les Pretties. C’est George Woosey, le cadet, qui joue le crade du riff sur la guitare orange de pépère Dick. Si on ne voit pas le film, on ne le sait pas. Van the Man drive son vieux cut à sa façon, la version est bonne. Elle pourrait presque justifier à elle seule le rapatriement des volontaires. Disons qu’on a là le hard drive des Them mêlé à la sauvagerie des Pretties, ça joue dans le volcan de Vulcain, mon tio quinquin. The heartbeat ! George Woosey reprend sa basse pour accompagner Van The Man sur «I Can Tell», you know I don’t love you no more, mais il manque le sel de la terre. Troisième shoot de Van avec «You Can’t Judge A Book By It’s Cover». Même chose : pour une raison X, ça reste en surface. Le son des Pretties n’appartient qu’aux Pretties. Retour aux choses sérieuses avec «Come See Me». Là t’es baisé. Big Bash boom avec un pépère Dick qui gratte des accords vieux de 55 ans, baby I’m your man, les Pretties n’en finiront pas de resplendir sur la vieille Angleterre. Ce concert raconte l’histoire spirituelle de ce pays. Les chœurs sont faibles, mais Phil May lance son look out alors pépère Dick part en destroy flash oh boy avec une sacrée banane. Ils vont se diriger tranquillement vers la fin avec un autre hommage à Bo Didley («Mona»), puis le pack «LSD/Old Man Going» noyé dans la psychedelia et rappel avec «Rosalyn», l’apanage du kick down. Pépère Dick joue ça pour la dernière fois, mais il le joue gutsy, fuck yeah ! Dernière wild ride pour wild old Dick. Ces mecs auront su rester brillants jusqu’au bout du bout des boots.

Signé : Cazengler, Pity Thing

Pretty Things. The Final Bow. Madfish 2019

 

No come back for Roback

 

Soit on écoute Mazzy Star pour Hope Sandoval, soit on l’écoute pour David Roback. Bon, aujourd’hui on peut l’écouter pour David Roback, car voici le moment de saluer sa mémoire. Il vient en effet de casser sa pipe en bois, et on peut bien dire que ce mec avait du son et de la légende à revendre.

En fait c’est très compliqué de couper Mazzy Star en deux. L’un ne va pas sans l’autre, même si après la fin de Mazzy Star, Hope Sandoval a continué de faire des albums intéressants, notamment avec les Mary Chain ou les Warm Inventions. Il faut alors se contenter de saluer le génie sonique de David Roback et c’est vrai qu’à l’époque de She Hangs Brightly, le premier album de Mazzy Star, on dressait sacrément l’oreille. Ne serait-ce que parce qu’il y traînait des vieux relents du Velvet, notamment dans «Blue Flower». Rob jouait ça à la vieille arrache prométhéenne et sortait l’air de rien de vieux accords du Velvet. On retrouvait d’ailleurs cette influence du Velvet dans «Give You My Loving». Rob le grattait au petit arpège rampant, avec des notes dignes de celles de Lou Reed, un son à la «Pale Blue Eyes». Pur esprit. Sinon, l’ensemble des cuts est monté sur la voix d’Hope - Lynchian and nocturnal - On la voit s’amuser dans l’eau claire de «Ride On It» - Just like you used to do - Elle sait jouer avec l’arc-en-ciel de la beauté purpurine. S’ensuit un morceau titre visité par des vents de Rob plutôt jazzy, ses accords rôdent comme des fantômes dans le couloir glacé de la pochette. Le hit de l’album pourrait bien être «Taste Of Blood». Il faut cependant entrer dans leur jeu. Rob fait son cirque au gratté d’acou qu’il saupoudre de petits coups de slide en surface de re-re et cette chipie d’Hope en profite pour chanter dans un son que l’accordéon rend étrange. On note aussi sur cet album la présence indicible d’«I’m Sailin», un petit blues de cabane nubile, rien de transcendant, c’est juste du nubile de salle de bain, aussi typé que peut l’être «Be My Angel». Elle ramène un peu de gusto pour l’occasion dans une ambiance légèrement décadente. Les accords de «Ghost Highway» sont ceux de «You Really Got Me», c’est bon, violent et welcomed, bien balancé, en tous les cas. Rob joue sa carte en transfigurant la gueule du rock. Voilà de quoi cet homme est capable. Et voilà pourquoi il joue dans cette histoire un rôle si considérable.

Le charme de Rob ne s’arrête pas au son. Il plane autour de lui un joli parfum de mystère. Goeff Travis de Rough Trade disait de Rob et d’Hope qu’ils n’était pas des rock’n’roll people classiques et qu’ils vivaient dans un monde à part, plutôt éloigné du nôtre. Rob situe ses racines dans le Velvet et les Doors. Il affectionne aussi le son des Ricken et des Gretsch, et de fil en aiguille, il monte un premier groupe avec son frère Steven et trois autres cocos locaux : Rain Parade. En 1982, ils enregistrent Emergency Third Rail Power Trip. Cet album joliment titré figure parmi les classiques de la psychedelia californienne des années 80 qu’on a baptisé the Paisley Underground. Rob fut en quelque sorte le maître d’œuvre d’Emergency puisqu’il prit contact avec Bill Haines, le boss d’Enigma Records, et qu’il conçut la pochette à partir d’une image prise à Paris au début du XIXe et recoloriée. Rob avait en effet plusieurs cordes à son arc : guitare et beaux-arts. Le groupe répéta pendant un an et donna son premier concert en 1982 avec Green On Red. Emergency est un album qu’on peut écouter les yeux fermés, on ne risque rien. Mais attention, ce n’est pas non plus l’album du siècle, restons sérieux. «1 Hour 1/2 Ago» sonne comme un bon petit hit recouvert de très beaux layers de son. On finit par entrer dans cette forte teneur de musicalité. C’est un vrai cut de guitar dude. Rob savait déjà en boucher un coin. Avec «Saturday’s Asylum», les Rain Parade se prennent pour Pink Floyd, c’est assez marrant, mais assez beau en même temps et comme rattrapé au vol par un sens aigu du Calfornian hell à dominante pop. C’est servi sur un tapis d’arpèges acides et ils embarquent le client pour le pire et pour le meilleur. Joli coup de freakout. Ils terminent cet album relativement plaisant avec «Look Both Ways», un joli shake de garage californien. C’est joué dans les règles du lard local, ooh yeah, et ils se tapent une belle crise d’oh yeah yeah yeah yeah. Par contre, pas de quoi faire un plat avec le reste. Ils ont des cuts comme «This Can’t Be Today» qui sont encore plus psychés que le Roquefort. On les aime bien pour ça, pour cette manière de ne pas vouloir trop en dire tout en rajoutant du bon psychout pas psyché des vers. En fait, tout est joué à la grosse guitare acidulée, avec une disto sèche de mish-mash de mushroom. Il est certain que ça a dû plaire aux amateurs d’acidus cubitus. Emergency est un album qui sent bon la ricken. Steve Wynn qui les voyait sur scène à l’époque disait d’eux qu’ils étaient floating, gentle and trippy, comme Pink Floyd ou le Byrds. Et il ajoute : «Ça ne pouvait que plaire à tout le monde.» Après une première tournée à travers les États-Unis, Rob quitte le groupe qui décide de continuer sans lui. Pourquoi ce split ? Son frère Steven en parlait à mots couverts dans un vieux numéro d’Uncut, en 2010 : tension fatale entre les deux frères, comme souvent. Le guitariste Matt Piucci explique à sa façon que les choses tournent généralement assez mal quand on met 8 jeunes gens dans un van pour partir en tournée sans fric, mais avec de l’alcool et de gros egos.

Alors Rob monte un groupe nommé Clay Allison avec sa copine Kendra Smith qui joue aussi de la basse dans Dream Syndicate. Puis Clay Allison va devenir Opal. Il reste une trace d’Opal, et quelle trace : l’un des serpents du Loch Ness SST, le joliment titré Happy Nightmare Baby, paru en 1987. Un bel archétype de l’apanage robackien, serti d’une triplette de joyaux de la mad psychédélia, «Supernova», «Siamese Trap» et «Soul Giver». Trois cuts lestés de gratté de poux, joués dans les règles du lard de la matière, avec un beautiful big Rob on the run. Le plus bardé des trois est sans doute «Siamese Trap», car Rob le claque à la wah dévastatoire, son Trap dégueule d’inner view, Rob y voyage abondamment, il s’y enivre de gras double, il semble même réinventer la mad spychedelia, il joue dans le blur du blaire, il se faufile, il tisse des couches de wah féroce, il rebondit à chaque instant et lâche des hoquets conquérants. Petit conseil : en cas de manque, fais-toi un shoot d’Opal. Le «Soul Giver» de fin de parcours n’est pas en reste. C’est excellent, bien dosé, tapi dans l’ombre d’un barouf psyché bien tempérée, admirablement drivé dans le flesh du flush. Kendra Smith chante le vieux Giver, ils excellent tous les deux dans la décadence de la rue et Rob s’écoule tout seul. Le reste de l’album se laisse écouter. Rob gratte bien sa gratte dans «Rocket Machine», et ce «Magik Power» qui est joué à l’orgue têtu sonne comme de la mad psychedelia prévisible, même si un vieux relent tantrique rampe dans le son. On croit entendre officier un prêtre égyptien. Globalement, l’album est bourré de bon son. Rob fait le show. Il passe au heavy blues avec «Sue’s A Diamond», il ne s’embarrasse pas des protocoles et nous fait un peu le coup de l’album classique. Il excelle dans l’obsolescence psychotique déprogrammée

Steve Wynn se souvient aussi d’une gamine de 14 ans qui venait aux Dream Syndicate soundchecks en 1982 : Hope. Puis elle finit par rencontrer Rob qu’elle trouve timide et mystérieux. Ils sympathisent. Hope monte sur scène avec Opal. Elle prend le chant et participe à une tournée américaine des Mary Chain. Voilà la genèse de Mazzy Star, l’un des groupes les plus mystérieux qui soient, aussi bien par l’allure que par le son.

Le deuxième album de Mazzy Star, So Tonight That I Might See, est plus connu, notamment pour son morceau titre qui est encore un hommage sensible au Velvet. Car gratté au heavy riff avec du pur Velvet beat dans le background. Rien de plus velvetien que ce cut d’église qui va mal et qui va bien en même temps. Rob fait des merveilles dans «Wasted», qui sonne comme un heavy groove du Mississippi. Hope la nubile se perd dans l’ombre d’un big Rob occupé à fabriquer de l’onirisme sonique. «Wasted» est leur marque de fabrique. Rob s’en va se perdre dans des télescopages de son invention, il se fait à la fois rempart et falaise, puis on le voit ramer dans la vase jusqu’à l’épuisement. L’autre coup de Jarnac est une reprise de Love, qui est avec les Doors et le Velvet l’une des principales influences de Rob. «Five String Serenade» est la cover idéale, comme virginale à l’aube d’un jour très pur. Ces gens-là sont fascinés par Athur Lee, au moins autant que les Shack de Liverpool. «Blue Light» brille dans la nuit par sa fabuleuse présence latente. Le son devient palpable tellement il est épais. Rob plane derrière son mur du son comme un vampire. Il joue beaucoup de coups d’acou. Si on écoute «Fade Into You» à travers Rob, ça n’a plus rien à voir. On l’entend gratter sa rémona derrière la ouate d’Hope. Mais il existe une authentique osmose entre eux, au moins aussi évidente que celle de Ronnie & Phil Spector. Hope Sandoval nous filerait presque le mal de mer avec ses accents à la Vanessa Paradis. Cette valorisation du nubilisme fait partie des dérives du monde moderne. Heureusement Rob veille au grain pour sécuriser le fond de la culotte du rock. Il peut aussi balancer des huge power-chords comme le montre «Bells Ring». Hope se fond dans le psychout so far out que fabrique Rob sur fond d’accords. C’est l’un des rois du re-re, il navigue au même niveau que William Reid. Puis on voit Hope chanter «Mary Of Silence» dans l’abnégation d’une nappe d’orgue bloquée. Ça vaut bien les niconneries de Nico, non ?

En 1996 paraît Among My Swan, avec un beau cygne sur la pochette. L’influence des Mary Chain s’y fait plus criante, notamment dans «Cry Cry», fabuleuse rengaine de non-recevoir, hit caché et poisseux qui se voudrait hymne tenace et ténébreux. Hope chante aussi «Happy» dans le mur du son de Rob. Ah quelle belle association, la juvénile et le conquérant, sur fond de pur jus de moisissures velvetiennes. Avec «Umbilical», ils vont plus sur le Pink Floyd de Syd Barrett, elle rôde dans le son, timide et résignée et ça donne un fantastique shoot de dérive adventiste, bien heavy sous le boisseau, une vraie infection arrosée d’acide. Ah il faut aussi aller se frotter à «Roseblood». Pendant que Rob gratte comme un dératé, elle garde son calme, comme le fait Mathilda dans Léon. Ce Roseblood est une petite merveille décadente, terrifiante d’anti-conformisme, la nubilité coule comme une crème de sexe sur la gueule de la société bien pensante, Rob a du répondant, il gratte certaines notes en vrai terminator de la décadence. Superbe exercice de style. Encore des relents de Velvet dans le «Disappear» d’ouverture de bal. Joli beat de deep tambourine et de swagger robackien. C’est une petite merveille intrusive dont on ne se lasserait pas, bien au contraire, aw my God, comme elle est bonne, cette petite havresse de paix bien baveuse, ce joli pot de miel bien riquiqui. C’est extrêmement porteur d’espoir, car beau et dirigé vers le ciel. Elle sait mener sa petite barque à la surface du lagon d’argent. On s’enfonce encore dans la nubilité avec «Flowers In December». C’est très relax, très dérivé du Gulf Stream, avec un peu de violon, histoire de. On reste dans le laid-back avec «Rhymes Of An Hour». Pas d’échappatoire. Chez Rob, c’est la règle, tout le monde doit aller sous le boisseau. Pas d’exception. Ça reste assez Velvet dans l’esprit, bien totémique, rien ne bouge dans l’espace glacé. Il ne faut rien en attendre de plus que ce qu’on y trouve. What you see is what you get, comme on disait alors chez Apple, au temps du fameux wysiwyg. On bâille un peu aux corneilles dans «Take Everything», jusqu’au moment où William Reid entre dans la danse avec un solo dégueulasse. Il éclate la fin du Take au slow-burning, incapable de se contenir plus longtemps. Tout est ramené au même niveau, comme on le voit avec «All Your Sister». La voix d’Hope éclot comme une rose dans le fond du son. Globalement, c’est assez glauque et ennuyeux, mais on écoute avec une ardeur non feinte. S’ensuit un «I’ve Been Let Down» bien gratté du bedon. Ce démon de Rob adore gratter mollement son shook au still coming round.

Leur dernier album s’appelle Seasons Of Your Day et baisse d’un ton. Il paraît 17 ans après le précédent. Ça reste du heavy Mazzy Star avec la voix d’Hope qui traîne dans les limbes de l’ombilic. Elle chante «In The Kingdom» dans la chaleur de la nuit et se montre une fois encore très impliquée, pendant que dans le background, Rob twiste ses notes altières sans ciller. Le cut qu’on peut retenir s’appelle «Common Burn», joué aux arpèges doublés de notes grasses. Elle chante ce cut lumineux à la pointe du gland et on pense naturellement à «Pale Blue Eyes». Tout est en suspension là-dedans, même l’harmo. Tout aussi impressionnant, voici «I’ve Gotta Stop». Rob traîne dans le fond de cette déchirure, car s’est son destin, yo ! Le voici condamné à errer pour l’éternité dans le fond de la cour d’école. Si on y réfléchit bien, ce ne doit pas être marrant de jouer dans Mazzy Star : ce vieux Rob semble condamné à gratter sa gratte derrière cette pauvre âme en perdition qu’est l’Hope. On s’ennuie, on écrit des vers de la prose, on pense à tout à rien en attendant le jour qui vient, comme le disait si bien Aragon. C’est vrai qu’ils éprouvent parfois des difficultés à créer la sensation. Pas facile de vouloir jouer la carte du duo kill kill. Ils prennent des risques énormes avec «Sparrow». Ça sonne comme du heavy Nico de couli-coula, avec des tambourins et des coups d’acou, du coup on perd tout le Velvet. L’indie rock rit jaune. Dents pourries. Nombreux sont les cuts qui ne marchent pas sur cet album livré au désespoir le plus profond.

L’autre grande idole de Rob n’est autre que Bert Jansch. Geoff Travis présente Bert aux deux Mazzy Stars. Travis sait que Rob l’admire, aussi propose-t-il à Bert d’ouvrir pour Rob à Londres, fin des années 90. Bert et Rob deviennent amis. On entend Bert jouer sur deux des cuts d’un album qu’Hope enregistre sous le nom d’Hope Sandoval & The Warm Inventions. En échange, Hope apparaît sur l’Edge Of A Dream de Bert et Rob joue sur le dernier album de Bert, The Black Swan. Rob et Hope viennent aussi jouer à l’annive de Bert en 2003, au Queen Elizabeth Hall de Londres. L’ultime collaboration de Bert et Rob se trouve justement sur le dernier album de Mazzy Star, Seasons Of Your Day : ils s’enferment tous les deux dans «Spoon» et foutent le paquet avec du bottleneck de turtle neck, mais ça ne suffit pas à sauver un album en difficulté.

L’Uncut de 2010 nous apprenait aussi que Rob s’était installé en Norvège et qu’il avait fait une apparition dans un film de Nick Nolte, Clean, en 2004.

Signé : Cazengler, David Rosbeef

David Roback. Disparu le 25 février 2020

Rain Parade. Emergency Third Rail Power Trip. Enigma Records 1983

Opal. Happy Nightmare Baby. SST Records 1987

Mazzy Star. She Hangs Brightly. Rough Trade 1990

Mazzy Star. So Tonight That I Might See. Capitol Records 1993

Mazzy Star. Among My Swan. Capitol Records 1996

Mazzy Star. Seasons Of Your Day. Rhymes Of An Hour Records 2013

 

 

Les Undertones en font des tonnes

- Part Two

 

Le premier dans le rang d’oignons, c’est Michael Bradley, bassiste juvénile et auteur du book dont on va parler. Derrière lui, se trouve Billy Doherty, le batteur juvénile. Puis Feargal Sharkey, singer juvénile, Damian O’Neill guitariste et benjamin du groupe, et enfin son frère John O’Neill, l’aîné de la ribambelle, guitariste rythmique et principal auteur des undertonneries qui vont les rendre tous les cinq célèbres dans le monde entier. Avec les Pistols et les Damned, les Undertones sont les cakes de ce big bac à sable qu’on appelait voici quarante ans le punk anglais.

Aucun groupe n’aurait pu rivaliser de génie juvénile avec les Undertones. C’est ce que montre sans vouloir le montrer Michael Bradley dans Teenage Kicks My Life As An Undertone. Il raconte l’histoire du groupe sans vraiment la raconter, avec une façon très particulière de ne pas se poser de questions, ou plutôt si, il se les pose mais se fout des réponses. Les réponses ne l’intéressent pas, et elles n’intéressent pas non plus ses quatre petits potos. Dès qu’on leur parle un peu, ils tournent la tête ou ils s’en vont. Ils n’ont rien de spécial à raconter. Les troubles ? Ils laissent ça aux gros durs de Belfast. D’ailleurs, ils ont la trouille d’aller à Belfast. La vie est moins dangereuse, là-haut, à Londonderry qu’on appelle aussi Derry.

Ils se retrouvent tous les cinq chez les O’Neill, au 22 Beachwood Avenue. Le front-room des O’Neill, c’est leur quartier général. C’est là qu’ils regardent la télé tous ensemble, qu’ils écoutent leurs disques, c’est-à-dire les Doors et le White Album, les Flying Burrito Brothers, les Bluesbreakers et Steely Dan. John O’Neill lit le NME chaque semaine et écoute pieusement John Peel à la radio. Il cultive son taste. Puis un jour, il décide avec Billy de monter un groupe. Mais comme ils n’ont pas de blé, il faut acheter le matos à crédit. Ils savent qu’à Donegal, juste de l’autre côté de la frontière, un marchand d’instruments accepte les ‘Provident cheques’, un mode de paiement basé sur un taux d’usure à 150 %. En remboursant 10 £ par semaine, ils peuvent acheter 500 £ de matériel : une basse avec un ampli Selmer, un ampli guitare Shin-ei et une batterie. Chaque vendredi, Billy, Michael, John, Damian et Feargal donnent chacun 2 £ à Monsieur O’Neill pour qu’il puisse rembourser le Provident man. Au moins Billy a sa batterie. Il saura en faire bon usage.

Bon, maintenant, il faut apprendre à jouer. Alors ils apprennent dans le front-room des O’Neill. Jouer quoi ? Des reprises ? Comme Damian sait jouer les accords de Chuck Berry, il peut donc jouer ceux de Keith Richards. Comme ils adorent Get Yer Ya-Yas Out, ils reprennent tous les vieux coucous de la Stonesy, «Carol», «Sympathy For The Devil» et «Jumping Jack Flash». Et puis un jour, ils font la connaissance d’un certain Domnhall McDermott qui possède des disques pour le moins exotiques : le premier album des Ramones, le deuxième Dolls, le Funhouse des Stooges, Nuggets et le premier Doctor Feelgood. Alors John O’Neill décide de taper dans cette caverne d’Ali Baba et le groupe apprend à jouer «TV Eye» et «Loose» des Stooges, le «Dirty Water» des Standells, le «Blitzkrieg Pop» des Ramones et le «Puss’n’Boots» des Dolls. Le groupe n’a pas encore de nom. Le cousin Aidan Barrett dit qu’il a une idée.

— C’est quoi ?

— Monkey Fuck !

Personne ne répond. Et comme ils cassent un peu les oreilles des parents O’Neill avec leurs répètes dans le salon, ils cherchent un local à l’extérieur : Paddy Simms leur propose the Shed et c’est là qu’ils deviennent les Undertones. Puis John O’Neill décide de composer des chansons. Pourquoi ? Parce que c’est moins compliqué de jouer ses compos que d’apprendre celles des autres. Cette pirouette contient toute la philosophie des Undertones. Une philosophie que nourrit chaque semaine une bible qui s’appelle le NME et un maître à ne pas penser qui s’appelle John Peel. Quand John O’Neill arrive en répète avec une nouvelle chanson, par exemple «Teenage Kicks», les autres regardent où il met les doigts sur son manche et ils reproduisent les accords. John O’Neill : «Teenage Kicks, very simple, three chords, cliched lyrics.» Pas de bombes ni de violence dans leurs paroles, plutôt des filles et du chocolat.

Les filles ? Comme c’est la tradition en Irlande, ils seront tous mariés à vingt ans avec leurs girlfriends, sauf Damian qui opte pour le célibat. Pour l’instant, ils se concentrent sur la musique et les fringues. Ils ne portent pas des Levis mais des Wrangler. Et bien sûr des Dr Martens aux pieds. Pas question de porter les fringues de McLaren à Derry, c’est un coup à se faire péter la gueule, comme le rappelle Damian dans Mojo : «If you dressed weird on the street you got your head kicked in!»

Évidemment, chez les gens pauvres d’Irlande, il n’est pas question d’études. Tout le monde au boulot. Les familles O’Neill, Sharkey, Doherty et Bradley n’ont pas les moyens de payer des études à leurs gosses. Surtout chez les Bradley où il y a dix bouches à nourrir. Les Undertones finissent par jouer régulièrement dans un club de Derry, the Casbah, ce qui leur permet de tester sur scène les compos de John O’Neill. Puis ils arrivent à bricoler un accord avec Terri Hooley, le boss du record shop Good Vibrations à Belfast, pour enregistrer EP : quatre titres, dont «Teenage Kicks». C’est la première fois qu’ils vont à Belfast et sont assez contents car Terri Hooley ne s’occupe pas du tout de l’enregistrement. Il arrive juste le jour du mixage pour écouter le résultat. Bon, les Undertones ont réussi à enregistrer un disque, mais John O’Neill n’est pas sûr qu’il soit vraiment bon : «We didn’t think it sounded that great.»

Tout le monde connaît la suite de l’histoire : «Teenage Kicks» tombe dans les pattes de John Peel qui s’en éprend violemment et qui le passe deux fois de suite le premier soir, en prononçant ces paroles historiques : «I’ll tell you what, you know, I’ve not done this for ages but I think you ought to hear that again.» (Je vais vous dire une chose, je n’ai pas fait ça depuis longtemps, mais je crois vraiment que vous devriez réentendre ce truc-là). Alors évidemment, une fois que Peely a chanté les louanges des Undertones, le téléphone se met à sonner chez les O’Neill. Les requins arrivent ! Sire est le premier. Ça plaît beaucoup aux Undertones parce que c’est le label des Ramones. Peely et son producteur John Waters assistent au premier rendez-vous à Londres : ils conjurent les Undertones de ne pas signer le premier contrat qu’on leur soumet, alors qu’ils viennent précisément à Londres pour signer un contrat. Malgré les conjurations des deux Johns, Michael et Feargal vont chez Seymour Stein signer leur contrat. John, Billy et Damian ont déjà signé. Stein leur explique le principe des pourcentages. Avant que Michael et Feargal aient pu comprendre le principe des pourcentages, Stein aborde la question des options échelonnées sur la première, la deuxième et la troisième année. Michael n’y pige rien. Il sent qu’il n’est pas du tout à la hauteur de la situation. Stein :

— Il vous revient huit points, moins une déduction de 10 points pour le packaging, sur 90 % des ventes, avec 75 % sur la vente de cassettes aux USA et 60 % pour le reste du monde.

Michael fait le calcul : il déduit 10 % des 8 % indiqués et multiplie le résultat par 90 %, ce qui lui donne -18, mais Stein aborde déjà la question du publishing, c’est-à-dire les droits d’auteur. Pendant que Michael fait des efforts désespérés de calcul mental, Feargal observe le New York mogul à travers la fumée de sa cigarette. Feargal ne peut pas dire grand chose non plus. Il n’a aucune notion juridique. Comment peut-il distinguer un bon d’un mauvais contrat ? Feargal, nous dit Michael, se contente d’observer Stein à travers la fumée de sa cigarette en se donnant l’air d’un mec qu’il ne faut pas prendre pour un con. Une sorte de Clint Eastwood. Bon, alors ? Ils signent. Stein charge alors Michael d’appeler les autres qui sont à Derry pour leur annoncer la bonne nouvelle. Michael fait le numéro des O’Neill sur le téléphone de Stein :

— Ils nous offrent une avance de 8 000 £ et encore 10 000 une fois qu’on a fait le premier album !

C’est Billy qui a décroché. Il répond à Michael :

— Les Rich Kids ont eu 60 000 !

Alors Michael se tourne vers Stein et lance :

— Les Rich Kids ont eu 60 000 !

Il y a un blanc. Stein réussit à garder son calme. Il se contente d’augmenter un peu l’avance qui passe à 10 000. Puis les Undertones découvrent par la suite que l’avance n’est pas un cadeau : c’est une avance sur les royalties. Sire se rembourse l’avance en récupérant 10 000 £ de royalties. S’il n’y a pas assez de royalties, ça devient une dette. Quant au publishing, c’est encore une belle arnaque. Personne n’a rien signé, mais c’est Bleu Disque, la filiale publishing de Sire qui empoche les royalties. Même montage que Chess et les autres. C’est comme si on leur arrachait leur bonbon des mains. Pour se remonter le moral en sortant de la réunion, Michael et Feargal vont s’offrir un big mac avec des frites et un coca.

Il n’empêche que les voilà lancés dans le showbiz, avec un contrat discographique, un manager et des tournées à honorer. C’est encore l’époque où il faut tourner pour vendre des disques. Quand ils passent à Londres, ils vont voir leur père spirituel John Peel travailler à la BBC. Ils s’entassent tous les cinq avec lui dans le petit studio et le regardent passer des disques, faire son petit commentaire et ranger les disques un par un dans les bonnes pochettes. Peely emmène toujours les Undertones manger un morceau avec lui, pour s’assurer qu’ils sont correctement nourris.

Sire décide que Roger Bechirian va produire le premier album. Billy aurait bien voulu John Lennon, mais Sire dit que c’est Bechirian, un nom qu’on voit au dos des pochettes de Costello. Et pour la pochette ? Sire envoie Michael et Damian en délégation chez un graphiste nommé Bush. Michael et Damian savent exactement ce qu’ils veulent :

— Une photo en noir et blanc prise à Derry.

— En noir et blanc ?

— Oui, en noir et blanc, comme la pochette des Ramones !

Bush a l’air soucieux. Pour lui, mettre une photo plein pot, ce n’est pas du boulot.

— Mon job est de faire le design d’une pochette. Que diriez-vous si on vous demandait de chanter des berceuses plutôt que des chansons ?

Michael et Damian tournent la tête. Ils ne savent pas quoi répondre. Bush se gratte longuement la tête :

— Il faut que je trouve une idée. Il me faut un concept graphique...

Michael et Damian écrasent leur banane. Ils ne veulent surtout pas le vexer. Surtout qu’il a une belle coiffure : une grosse afro anglaise. Michael en déduit que Bush vient de l’afro. Bush réfléchit. Il faut attendre que ça vienne. Michael et Damian scrutent le parquet. Soudain Bush saute en l’air :

— Et si son déchirait le coin supérieur de l’image, qu’on la tournait ensuite de 45° et qu’on la laissait sur un fond blanc ?

— Wouahhh ! Génial !

— Et si on écrivait ‘The Undertones’ au dessus, dans une grosse typo verte outlined de noir ?

— Wouahhh ! Fantastique !

En relatant cet épisode cocasse, Michael semble se marrer, mais en fait rien n’est moins sûr. Peut-être prend-il les choses au premier degré, comme lorsqu’on prend la connerie des gens pour argent comptant. Mais il faut aussi essayer de se mettre dans la tête d’un Irlandais, et là ça devient un vrai casse-tête. Cette distanciation pourrait bien n’être qu’une forme naturelle d’auto-protection. La distanciation n’a rien à voir avec la dérision. Seuls les gens des races blanches dites supérieures pratiquent naturellement la dérision : ils s’appuient à la fois sur un fort sentiment de supériorité et une solide culture. Ce qu’on prend pour de l’auto-dérision dans certaines pages du récit de Michael Bradley n’est en fait qu’une fantastique aptitude naturelle à la distanciation : jamais de jugement de valeur en bien ou en mal, c’est plutôt une façon de voir les êtres et les situations pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des éléments microscopiques, soit au regard de l’univers, soit au regard de l’éternité. Le sentiment de n’être rien, une certaine forme de sagesse non intellectuelle.

La musique des Undertones est une parfaite illustration de cette hypothèse. S’il fallait définir l’ambiance de leur premier album, on pourrait parler de fraîcheur de ton. Il faut entendre Billy battre «Family Entertainment» et Fergal faire son Irish punk. On a l’impression d’être dans le front-room des O’Neill. Pas de salamalecs. C’est stupéfiant de non-prétention. On peut même parler d’anti-Clash. Ils sont terriblement carrés et bien en place. Ils ne lâchent pas leur petit os. «Teenage Kicks» ne figure pas sur ce premier album, mais d’autres hits font dresser l’oreille : «Jump Boys», «Here Comes The Summer» et surtout «Jimmy Jimmy», amené par une belle attaque au chant et monté sur un riff vainqueur. Si on chope la réédition Castle parue en l’an 2000, on y trouve «Teenage Kicks», le hit parfait, avec les clap-hands dans le gras de la couenne du son et le brillant wanna hold you tight de Feargal. Et dans les bonus traînent quelques bombes comme ce «True Confessions» assez wild et copieusement riffé. Leur «Emergency Cases» sent bon les Stooges. En matière de délinquance juvénile, on ne fera jamais mieux que «Mars Bars», battu comme plâtre par Billy sur sa batterie de Donegal. C’est avec ce fantastique «Mars Bars» que Feargal devient le seigneur des annales. «You’ve Got My Number» est sans doute l’un de leurs plus gros pétards, ils sonnent comme les Heartbreakers, you know my name, Billy on the beat, tout est bon chez les kids de Derry et cette série de bonus terrifiants se termine avec une version explosive de «Let’s Talk About Girls». Les voilà chez les Chocolate, Feargal sonne les cloches de ce vieux classique, ces kids y croient dur comme fer, ça s’entend, il faut voir cette section rythmique, do-dah-doo, ils jouent tout ce qu’ils peuvent jouer dans leur bac à sable.

Il faut aussi écouter leur deuxième album, Hypnotised, qui s’ouvre sur un gros clin d’œil, «More Songs About Chocolate & Girls». Ils sont très potache, ils n’en font pas exprès, chez eux c’est naturel. Il suffit de voir la pochette, Michael et Billy à table avec des serviettes à motifs homard autour du cou. On est vite rattrapé par l’allégresse du morceau titre, un cut plein d’allant et de reviens-y. Feargal semble jeter tout son teenage angst dans la balance. Ils parviennent même à imposer un son avec des compos mi-figue mi-raisin comme «The Way Girls Talk» ou un «Hard Luck» monté sur Billy beat impeccable. Pur jus d’Irish pop libre et frais. Boum ! «My Perfect Cousin» fait sauter la B.

L’autre illustration de l’hypothèse de distanciation est le récit que fait Michael Bradley de leur tournée américaine. On leur propose de jouer en première partie d’une vaste tournée américaine des Clash. Michael Bradley trouve les Clash très chaleureux, très bienveillants et surtout très bien habillés. Il dit même qu’ils semblent sortir d’un film de Marlon Brando. Strummer and co en foutent plein la vue aux Irlandais qui, en comparaison, semblent sous-alimentés et affreusement mal coiffés (bad haircuts). Pendant la tournée, les deux groupes n’échangent pas beaucoup. Les Undertones n’ont rien d’intéressant à raconter aux héros de la scène punk anglaise. Et puis, il faut bien dire que le cirque des tournées ne les intéresse pas beaucoup. Ils aimeraient bien pouvoir causer un peu avec David Johansen ou Bo Diddley qui sont programmés en sandwich entre les Undertones et les Clash, mais ils n’ont rien de spécial à leur raconter. D’ailleurs, l’idée d’avoir du succès en Amérique ne leur chauffe même pas la tête. Breaking America ? L’ultime ambition de tous les groupes anglais ? Ce n’est pas celle des Undertones, en tous les cas. Ils s’en foutent. Ils ont surtout le mal du pays. Ils ne pensent qu’à rentrer à Derry et à retrouver leurs petites copines. Michael Bradley dit même à un moment qu’il est extrêmement fier de son manque d’ambition. C’est une valeur qu’ils partagent tous les cinq. Pour lui, le manque d’ambition est le cœur de l’éthique punk. Il n’aime pas beaucoup les groupes ambitieux, et Thin Lizzy en particulier : les futes en cuir, les horribles guitares, les plans de carrière. Bertk ! Mais en même temps, il s’en excuse, comme il s’excuse de ne pas aimer Stiff Little Fingers.

Le désintérêt des Undertones va loin : lorsqu’ils entrent en réunion avec leur manager Andy Ferguson, il n’y en a que deux qui écoutent : John et Billy. Feargal cherche des idées, Michael balance des vannes et Damian s’endort au bout de dix minutes. Rien ne semble pouvoir les intéresser, ni les règles du showbiz, ni les tournées, ni l’alcool, ni les drogues. Et ils n’aiment pas beaucoup les gens des maisons de disques. C’est instinctif. Par contre tout ce qui les intéresse se trouve dans une vidéo filmée à Derry, au 22 Beechwood Avenue, là où sont installés les O’Neill, home of the Undertones : le foot, le bad dancing et tous leurs copains rassemblés dans le jardin. Leur univers, c’est Derry en 1980.

Et puis un jour, ils sont invités à jouer dans une émission de télé en même temps qu’un groupe de débutants, Duran Duran. Et Michael Bradley voit en Duran Duran l’avenir du rock, c’est-à-dire des gens prêts à tout pour réussir. Duran Duran, c’est l’antithèse des Undertones, ces petits branleurs d’Irlande du Nord qui ne s’intéressent à rien.

Le premier qui va en avoir marre, c’est Feargal. Il demande une réunion et annonce aux autres qu’il veut arrêter tout ce cirque. Soulagement général ! Damian est content que ça s’arrête. John ne dit rien. Consterné, Billy regarde les autres. Il ne s’y attendait pas. La conversation s’achève là, en même temps que le groupe. Pas de commentaires. Il n’y a rien de plus à dire. Ils font deux ou trois concerts d’adieu. Pas de discours, pas de larmes, pas de couronnes de fleurs. Les Undertones font leurs funérailles tout seuls, comme des grands.

En 1989, pour le cinquantième anniversaire de John Peel, on a demandé aux Undertones de se reformer en secret et de lui faire la surprise de venir jouer dans son salon. Pas de problème, mais Feargal est arrivé à la répète avec un gros mal de gorge, donc il n’a pas pu chanter. Et la veille de l’annive, Louis O’Neill, le père de John et Damian, a cassé sa pipe en bois. Ce fut la fin du projet.

Signé : Cazengler, Underpant

Undertones. ST. Sire 1979

Undertones. Hypnotised. Sire 1980

Michael Bradley. Teenage Kicks. Omnibus Press 2016

Lois Wilson : The Undertones Get Teenage Kicks. Mojo # 315 - February 2020

 

*

Rien de plus énervant que les volutes de fumée. Ne craignez rien je ne suis pas devenu écobobolo durant le confinement. Je n'éprouve aucun dégoût à l'encontre du fumet délicat d'une cigarette grésillante qui s'en vient chatouiller mes narines, j'irais jusqu'à dire que les bleuâtres nuages bleuâcres qui s'échappent à gros panaches d'un Coronado, ce délectable cigare des rois et des princes et des chefs, sont de la part des Dieux un don délicieux que dans leur grande magnanimité les Immortels nous ont octroyé pour nous consoler de la brièveté de nos existences.

Mais il est d'autres fumées bien plus nauséabondes à humer. Toutefois comme le choc des images pèse plus lourd que le poids deS mots, je vous invite à regarder le clip ci-dessous. L'est de Volutes, la semaine dernière nous avons zieuté leurs trois vidéo-intitulées : J'ai la rage...Tout un programme. Prenez place et n'en perdez pas une miette.

SYRIANA / VOLUTES

( Clip : 25 / 09 / 2019 )

Cela tombe bien, nos deux gaillards – le troisième doit être derrière la caméra - confortablement installés dans un splendide divan en cuir mauve de vachettes ( que les vegans n'ont pas réussi à sauver ) visionnent les informations. Quelle chaîne ? je l'appellerais l'envoi informatif de ses maîtres, je vous rassure, pour une fois tout va bien. Le résultat des opérations militaires tombe juste : tout est parfait. Les esprits sensibles feraient mieux de s'arrêter là. Pris d'une folie subite, voici nos deux amateurs de canapé qui s'emparent du poste et se mettent à le transporter dans les rues au rythme des vieux films tressautant de Charlot. Se dépêchent parce que le clip ne dure que deux minutes trente-trois secondes, qu'ils en ont déjà bouffé quinze et que le sujet qu'ils évoquent est des plus complexes. Sans doute est-ce pour cela qu'une mélodie orientale déferle brutalement sur vous et qu'ils vous fourguent les paroles à cent kilo-mot-mètres à l'heure.

Pour le décor, ils auraient pu faire un effort. La France ne manque pas de beaux paysages. Pins des Landes, rochers du Sidobre, glaciers altiers des Alpes, plages de sable méditerranéennes. Non, z'ont choisi a zone. La banlieue. Ses immeubles gris, ses tags bestialement colorés, ses ballasts glauques à rails monotones pour les bétaillères à travailleurs mal-payés, ses détritus de vies clandestines saccagées, et tout de suite – Balzac a théorisé cela en remarquant que la laideur des lieux influe négativement sur le caractère de leurs occupants - ils adoptent des manières de racaille. Ne pensent qu'à casser leur grand-écran, qu'ils projettent depuis le haut des ponts sur les voies de chemin de fer.

Du bon matos. Ce doit être du made in France. Pas de la camelote venue de Chine. Ça rebondit comme une balle de caoutchouc. Pas une éraflure. Pas une écorchure. Même que le poste continue à fonctionner. Aucun problème pour suivre la suite des infos. Ce ne sont pas les jeux idiots de deux zozos qui vont arrêter la marche du monde. C'est là que l'on retrouve les volutes de fumée que je n'apprécie guère. Non, ce n'est pas une émission sur les méfaits du tabac. Juste des images sur la situation en Syrie. Nous sommes en 2018. Bombardements tous azimuts. Explosions et boules de feu. Cumulus de fumée, flammes et poussières mêlées. Vous n'apprécierez guerre. Même si dans le commentaire introductif l'on vous a seriné que tout est parfait. Certes sur le clip ce n'est pas en continu, il y a des moments marrants avec ce poste de TV qui rebondit comme un ballon de basket.

Je pourrais arrêter sur cette image pas franchement idyllique mais souriante, or il y a un dernier problème. Ce sont les paroles du morceau. Faut s'accrocher et repasser le clip plusieurs fois. Le tube est tohu-bohuesque. C'est que Volutes, ils ne font pas dans la gentillette condamnation qui met tout le monde d'accord : ne disent pas que la guerre en Syrie ce n'est pas bien, qu'il faut l'arrêter tout de suite et qu'alors ce sera mieux.

Z'avez l'impression d'un truc à l'emporte-pièce, d'un micmac inqualifiable, c'est que voyez-vous, quand on essaie de comprendre et que l'on tente de sérier les éléments, l'on s'aperçoit des vertiges de la mondialisation. Tout est imbriqué. Et la dialectique n'est pas toujours capable de casser les briques. Politique, argent, clauses secrètes, convergences idéologiques et intérêts divergents, terrorisme, matières premières, religion... il n'y a pas de tout bons d'un côté et de gros méchants de l'autre, que du mauvais partout. Pas d'information, uniquement des manipulations. D'où cette télé à casser. D'où la banlieue. Car nous habitons la banlieue de la guerre mondiale. Notre monde est un mikado. Qu'un papillon financier fronce une aile à l'autre bout du monde et une tempête se lèvera à des milliers de kilomètres de là.

En deux minutes Volutes vous met les idées au clair : nous habitons une poudrière. Sur ce bonne soirée.

Damie Chad.

Le lecteur friand de l'aspect musical de Syriana se jettera sur la chro consacrée à la recension de leur disque. Voir livraison 427 du 29 / 08 / 2020.

Pour ceux qui veulent comprendre l'engrenage syrien la vision de Syriana film de Stephen Gaghan, paru en 2005, s'avèrera utile.

Pour ceux qui veulent plonger au cœur du cauchemar regardez Pour Sama ( 2019 ) de Waad al-Kateab. Ce n'est pas un film, uniquement des vidéos tournées in-situ. Attention les morts sont de vrais morts et le sang qui coule du vrai sang. Sans aucun voyeurisme. Sans adoucissant. Sans chiqué. Vous risquez d'en ressortir choqués.

 

FELIX PAPPALARDI

BLUES CREATION

&

CREATION

En ces temps d'après deuxième conflit mondial les jeunes japonais ne furent guère rancuniers. Douze années ne s'étaient pas écoulées depuis Hiroshima que Gene Vincent, fut reçu à bras ouverts. Au début des années soixante les Animals et les Rolling Stones imposèrent le goût du blues électrifié au pays du soleil levant. Par l'intermédiaire de ses bases militaires – appui logistique d'importance pour la guerre du Vietnam – the american rock'n'roll way of life fournit à une saine jeunesse avide de nouvelles connaissances tous les produits nécessaires à certaines expérimentations mentales...

Kazuo Takeda n'avait pas vingt ans qu'il participait déjà au nippon blues boom en tant que lead guitarist du groupe Blues Creation. Il avoue avec une trop grande modestie qu'il devait se concentrer un maximum sur ses cordes... leur premier album éponyme paru en 1969 était uniquement constitué de reprises de blues, Sonny '' Rice Miller '' Williamson, Willie Dixon, Muddy Waters... le deuxième fut enregistré avec la chanteuse folk Carmen Maki qui voulait tâter du rock, l'on y relève une version de Saint James Infirmary, dans cette même année 1971, ils enregistrèrent Demon and eleven children, peut-être le meilleur des albums du rock japonais de l'époque. en 72 le groupe splitta pour divergences musicales...

DEMON AND ELEVEN CHILDREN

Kazuo Takeda : guitare + compositions / Akiyoshi Higushi : batterie / Masashi Saeki : basse / Hiromi Osawa : vocals.

Atomic bomb away : pluie de bombes, guitares en piqués, rythmique lourde, la voix un peu maigrelette, mais l'orchestration s'y colle dessus et ne l'abandonne jamais même quand elle essaie de monter vers les nuages. Rempli de clichés mais de ceux qui font les bonnes photos. Partent du principe qu'il ne faut pas ennuyer l'auditeur, alors ils vous refilent sans arrêt de nouveaux plans. Une basse qui se souvient de Mountain, et un guitariste qui est un as du cha-no-yu sur table branlante. Missssippi mountain blues : un bon blues du piedmont avec harmonica, voix creuse et rythmique infatigable. Un peu trop attendu, la guitare qui se fait toute petite dans son coin même quand elle soloïse. Un blues qui ne vous invite pas au suicide est-il un bon blues ? Just I was born : c'est parti pour le galop du grand derby, la batterie répétitive et qui semble là pour assurer une présence discrète. C'est le vocal et la guitare qui portent le groupe. Ne jouent pas sur les coupes franches, z'avez l'impression que vous vous dirigez vers la fin du morceau mais la guitare embraye et le moulin à café tourne sans fin. Le client-roi retenu en captivité auditive doit en avoir pour son argent. Sorrow : essayent les vitesses une à une, à fond pour la guitare et tout doux lorsque la basse prend le relai. Vocal un peu gentillet, on ne peut pas leur en vouloir, ils ont du chagrin. Une guitare qui claptone un peu et qui prend son temps entrecoupée par des mélodies qui louchent du côté des Beatles. One summer day : le slow scorpionique, retirez les rideaux de vos fenêtres et pleurez à chaudes larmes votre amour perdu. Pourraient être un peu plus machos et partir du principe qu'une de perdue c'est dix riffs d'acier de gagnés. Brane baster : un minuscule soupçon d'acoustique, z'ensuite l'électrique joue au train qui s'éloigne à toute vitesse sur l'infini des rails. Dépasse difficilement les deux minutes, instrumental des plus agréables pour des oreilles rock. Sooner or later : moins hard, louchent un peu sur le british pop. Mélodie, écho souterrain dans la voix, cela n'a jamais tué personne, mais ça ne fait pas de mal non plus. Bonne partie de guitare finale. Demon & eleven children : le titre dure neuf minutes, ce qui est certain c'est qu'on ne s'ennuie pas en l'écoutant. Sont décidés à nous montrer tout ce qu'ils savent faire et ma foi ils peuvent vous réciter l'Encyclopédie Universalis à l'endroit et à l'envers. Si vous ne devez écouter qu'un unique morceau, ce sera celui-là. Une belle vitrine.

Précision utile sur ce démon et ces onze enfants. Ce n'est en rien un concept-album qui raconterait un sombre conte No, une espèce de Petit Poucet à la sauce nippone. Le titre a été rajouté au dernier moment par la maison de disques pour inciter les clients à acheter... L'ogre démoniaque du marketing nous dévorera tous.

Etrangement cet album de 1971 laisse présager ce que le suivant occulte totalement. Kazuo Takeda évoluera. Les mauvaises langues diront qu'il reniera sans état d'âme son passé de rocker et de hard rocker. Il se dirigera vers des musiques plus complexes, plus aventureuses, du prog à la la fusion pour finir par le jazz. Sachant cela, si vous écoutez cet album vous remarquerez que les structures des morceaux ne sont jamais fixes, que leur principal défaut, qui fonde aussi leur singulière qualité, est qu'elles reposent sciemment sur une instabilité généralisée.

 

En 72 le groupe splitta pour divergences musicales... Kazuo Takeda ne se découragea pas le quatuor Blues Creation était mort, il partit humer l'air chaudement musical de Londres et revint au pays pour créer le power trio Creation. En 1973, les voici recrutés pour assurer la première partie de la tournée de Mountain au Japon. Le courant ne passe pas avec Leslie West et Corky Laing, toutefois une franche camaraderie se crée avec le couple Felix et Gail Pappalardi...

En 1975 paraît le premier disque de Creation devenu quatuor :

CREATION

( 1975 )

Ne se sont pas foulés pour le titre de l'album. Par contre question pochette Hajime Sawatari frappa un grand coup. Je n pense que de nos jours un groupe ne se permettrait pas une telle couve. Sawatari est un photographe connu pour ses photos scandaleusement osées, peut-être a-t-il médité sur le poème de Baudelaire J'aime le souvenir de ces époques nues... Je n'ose pas dire que je vous laisse vous rincer l'œil.

Kazuo Flash Takeda : lead guitar, keyboards, lead vocals / Yoshiaki Iljima : guitar / Shigeru Matsumoto : bass / Masayuki Higuchi : drums.

You better find out / A magic lady / Lonely night / Tobacco road / Fairy tale / Pretty Sue / Got to get together / Watch 'n' chain / Feelin Blue / Blues from the yellow /

Rien à reprocher à ce disque, à part que tout le monde en a déjà entendu des centaines du même style. Le contenu ne vaut pas la couverture. Pour le deuxième opus de Creation, Kazuo Takeda qui a voulu remédier à la situation fait appel à Felix et Gail Pappalardi qui l'invitent chez eux à Nantucket pour l'écriture et le choix des morceaux. L'enregistrement aura lieu à New York.

FELIX PAPPALARDI & CREATION

( 1976 )

Shigeru "Sugar" Matsumoto : bass / Felix Pappalardi : Bass, keyboards, vocals / Masayuki "Thunder" Higuchi : drums / Kazuo "Flash" Takeda : lead guitar / Yoshiaki "Daybreak" Iijima : rhythm guitar / Producer : Felix Pappalardi, Gail Collins.

Prudemment A& M Records s'est chargé de la pochette !

She's got me : c'est terrible. Pour les mettre en confiance, les deux premiers morceaux du disques sont repris sur le premier album des Creation. Vous avez vite fait d'entendre la différence. La guitare de Takeda qui filait dans tous les sens, Felix vous l'a domestiquée, n'est pas là pour faire la belle mais pour construire le morceau. Une chose est sûre on n'est plus dans Creation mais l'on n'est pas dans Mountain, non plus. Takeda dira que Pappalardi lui a ouvert les yeux et les oreilles. N'y a pas que le hard rock dans la vie. L'important c'est d'être soi-même. Méfions-nous des montagnes, elles font de l'ombre. Un sorcier est aux manettes et la batterie d'Higuchi a pris de l'ampleur. Pas question non plus d'épaissir le son à devenir sourd, tout est dans la justesse, l'équilibre des forces. Voyez comment l'harmonica de Paul Butterfield se fond dans les guitares. Dreams, I dream of you : rien qu'au titre l'on comprend que l'on change de registre, on vous a montré comment on équilibre le rock, maintenant c'est le moment d'accompagner la roucoulade. Felix nostalgise au vocal, entre slow sixties et mélodie à la Sinatra. Pas du tout sinistre. Green rock road : et l'on passe de la variétoche à la ballade américaine, une guitare qui countryse et tout le mystère réside dans l'art de poser le timbre vocal sur l'enveloppe instrumentale, mine de rien, mine d'or. Preacher's daughter : le moment de balancer la voix, les guitares suivent et Pappalardi se fait plaisir, au Japon l'album est sorti sous le titre Creation et Felix Pappalardi, les acheteurs ont dû être surpris. Une petite merveille, mais ni le bruit ni la fureur créationiste. Listen to the music : Felix ''maître zen de sagesse'' Pappalardi au vibraphone laisse tomber des gouttes de pluie dans la limpidité d'une vasque au bord de laquelle s'élèvent trois roseaux solitaires. La sérénité du jardin japonais. Tout un art de grande subtilité. Secret power : un petit rappel sur une paroi de haute montagne, les guitares plantent les pitons, ça glisse un peu sur la glace, mais c'est juste une démonstration, Pappalardi jette les bases mais ne dévoile pas pas le sommet. Superbe. Summer days : les amerloques adorent l'été, à les écouter il est rarement brûlant, l'est mélancolique à pleurer, ces jours n'échappent pas à la règle intangible des rêves brisés. Pappalardi se gargarise du masochiste plaisir du désespoir. Dark eyed lady of the night : légèrement plus pimenté que le précédent, mais juste un arôme furtif. Une guitare narquoise, tout en finesse, rien à voir avec La mort viendra et elle aura tes yeux le dernier recueil de Pavese. Ballad od a sad cafe : le temps se met au gris, les nuages s'approchent, magnifique, grandiloquent, un dernier éclat de guitare et la symphonie s'achève.

Répétons-le les amateurs de Creation et de Mountain risquent d'être déçus. Pappalardi entertainment pousse la chansonnette. Avec tout autre que lui ce serait mièvre et insupportable. Les quatre ultimes américanades sont de véritables pièces de musique, des compositions au sens classique du terme, mais traitées en rock, rien à voir avec les orchestrations de Bernstein, mais l'on est dans cette veine, Gail et Felix ont créé un étrange mix qui louche autant vers la comédie musicale, que vers le country. Quelle idée baroque de se servir d'un groupe japonais pour embrasser en filigrane une bonne partie du spectre de la musique populaire américaine !

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TRAVELLIN' IN THE DARK

LIVE... DENVER '76

Reste que l'on est curieux de savoir comment le disque studio sera retranscrit live. Même si le titre de cet album public est un énorme clin d'œil à Mountain, c'est bien Pappalardi qui mène la cordée, et qui a décidé de poursuivre la voie qu'il a explorée sur Climbing ! avec des compositions comme Theme for an imaginary western.

Kazuo Flash Takeda : lead guitar, keyboards, lead vocals / Yoshiaki Iljima : guitar / Shigeru Matsumoto : bass / Masayuki Higuchi : drums.

Preacher's daughter : c'est ici que l'on comprend le choix de Creation comme groupe d'accompagnement. Et pour ce premier morceau il semble que c'est plutôt le son de Blues Creation qui de fait a été sélectionné. Notamment la fluide guitare de Takeda, et si les tambours de Higushi sont renforcés, les grosses poutres riffiennes du premier disque de Creation ont été transformées en copeaux pour alimenter un feu soutenu et continu mais sans sursauts de hautes flammes. Pappalardi s'est réservé la part du lion, le chant, et il ne s'en prive pas. L'est le croupier qui mène le jeu, ramasse les jetons, et fait tourner la roulette. Russe. Prend manifestement son pied. Big boss. En fin de partie c'est lui qui rafle la banque. Secret power : c'est le morceau le plus montagneux du disque studio, Pappalardi calme le jeu, l'est aidé par la basse de Matusumo mixée tout devant qui ralentit les escalades et veille aux dégringolades. Un petit éboulement de quelques milliers de tonnes ne nous aurait pas déplu, mais Pappalardi ouvre son gosier et domine la situation comme l'aigle du haut de son aire maîtrise tout ce qui rampe sous lui. Dreams, I dream of you : le Felix est heureux comme un cat apprivoisé qui ronronne sur son coussin de soie rose. Vous étale la marmelade à larges louches, vous vous pourléchez les doigts à l'idée de penser qu'il englue ses tartines rien que vous faire plaisir. Vous y mordez dedans à pleines dents et vous en avez jusqu'aux oreilles. Derrière les Creation violonisent. Sucre candy. Travellin' in the dark : le titre comme vous ne l'avez jamais entendu, sous forme de berceuse pour enfants sages pour qu'ils n'aient jamais peur de dormir dans le noir. Le pire c'est que ce n'est pas mal du tout. Tout le charme pastel des illustrations de Gail. Reason to believe : ne l'oublions pas Pappalardi a débuté en tant que producteur de la scène folk new yorkaise. Une reprise gentillette de Tim Hardin. Nous l'interprète en militant apaisé. Dark eyed lady of the night : une version montagnarde, le morceau idéal pour les musicos, que chacun ait son heure de gloire et les yeux de la lady s'éclairciront pendant que Felix chante son aubade. L'est sûr que les Creation ne sont pas des manchots déplumés sur un morceau de banquise fondante. As the year go passin' by : le sentiment du temps qui passe n'est pas joyeux et nous rappelle que la race humaine trépasse aussi, c'est parti pour une ballade bluesy grandiloquente à souhait, longue comme un jour de pluie, le scorpion de la mélancolie plante son dard dans votre cervelle métamorphosée en fromage blanc, un must pour les instrumentistes, un peu comme un livre de Delly que vous lisez pour la soixantième fois mais que vous n'avouerez jamais aimer. Nantucket Sleighride : Mountain revisité, en plus nuancé, en plus triste, en plus morbide, les musicos se font discrets, c'est la voix de Pappalardi qui tient le morceau et l'emporte dans son antre pour le dévorer. L'ivresse des hauts sommets a gagné l'équipage. Nous la communiquent. A écouter. N'y a pas que Leslie qui sait se servir d'une guitare. Takeda au taquet. Une version démesurée de plus de vingt-et-une minutes. Ébouriffant. Plus belle que celle de Twin Peaks. Brodée d'un satin scintillant d'écume folle. High heel sneakers : que mettre à la suite d'un tel prodige. Un bon vieux rock des familles ! Le vieux hit de Tommy Tucker que Jerry Lou s'est complu à dynamiter. Miracle, Creation se souvient qu'ils sont aussi un groupe de hard-rock et ça s'entend. Une intro tonitruante suivie d'une version méchamment blues mais hélas écourtée.

Pappalardi tel qu'en lui-même. Je pressens quelques déceptions pour les fans de Mountain, mais une fois qu'ils auront écouter le Nantucket ils auront la honte de leur vie à penser qu'ils ne l'ont pas dans leur collection.

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FELIX PAPPALARDI, CREATION

LIVE AT BUDOKAN 1976

Kazuo Flash Takeda : lead guitar, keyboards, lead vocals / Yoshiaki Iljima : guitar / Shigeru Matsumoto : bass / Masayuki Higuchi : drums.

Pretty sue : ce disque ne fait pas double emploi avec le précédent, beaucoup de titres sont issus du premier LP de Creation et ils y renouent avec leur gros son appuyé où ça fait mal, un beau ballet de basse de Matusumo qui imite Jack Bruce à la perfection. A moins que ce ne soit Felix, mais il ne faut pas prêter qu'aux riches. Lonely night – You better find out : certes le son n'est pas parfait mais sur ce medley règne un grand désordre bon enfant qui frise l'incohérence. Le public apprécie... A magic lady : Sur le moment il devait y avoir de l'ambiance, mais la magic lady n'est pas aussi magique que ses promesses. Tobacco road : débordement de batterie, guitares qui jouent aux marteaux-piqueurs. Chant à l'arrache. N'ai jamais vraiment apprécié ce morceau que j'ai toujours trouvé touffu. Mais là c'est la jungle, tellement serrée que vous ne pouvez y glisser le petit doigt du pied. Bourrinent à mort. Secret power : entrée de Felix Pappalardi, c'est incroyable comme un bon chanteur vous met de l'ordre dans la pétaudière, n'a qu'à ouvrir la bouche et le monde s'ordonne. Le Matusumo assume grave et l'on louche un peu vers Cream pour le son et vers Mountain pour les sous-bassements oedémiques lyriques. Dark eyed lady of the night : nettement plus en forme que sur le disque précédent. La donzelle a retrouvé son sex appeal, elle minaude et joue à la vierge effarouchée dans un poème d'André Chénier, les gars en sont tout émoustillés, font attention à ne pas commettre de grosses bavures avec leurs instruments. Ne s'agit pas de lui marcher sur les pieds. Quant à vous, vous êtes prêts à rester là toute la nuit à tenir la chandelle s'il le fallait. MC Blues : un bon blues n'a jamais tué personne, en voici un avec ses grappillons de guitares, sa chaloupe cadencée, et Felix qui vous propulse au cœur de la tristesse du monde par le glissement du timbre de sa voix. La guitare pleure, faudra un jour que l'on m'explique pourquoi ces marches funèbres vous filent un extraordinaire pêchon. En tout cas à celui-là il ne manque rien. Takeda au summum. Commando delta. Theme for an imaginary western : le cheval de bataille de Felix pour terminer le premier CD. L'on ne s'en lasse jamais, le côté verte prairie imaginaire qui défile sans fin. Les temps cruels de l'innocence perdue à jamais. Nantucket sleighride : l'on ne change pas une formule gagnante. Encore un must légendaire de Pappalardi. Une belle version qui ne vaut pas la précédente. Ne dure qu'une dizaine de minutes, la voix splendide, mais l'accompagnement un tantinet trop rapide au début, et plus tard trop lent, par rapport à la puissance déployée. Manque un peu de vent dans les voiles de Takeda qui n'est pas un oiseau ivre d'écume parmi les cieux... Preacher's daugther : le morceau bien envoyé au rebond de la balle. Le son trop souffreteux pour que l'on puisse apprécier à sa pleine mesure. Dommage ! Watch 'n' chain : un morceau de Creation, z'ont récaté le bazar du début, un quart d'heure quasi instrumental de montées graduelles, de grands feux de joie suivis de descentes en douceur, sur scène les spectateurs adorent ce genre de pattern, à froide écoute c'est moins exaltant. Tout ce qu'il faut servi sur un plateau, mais le manque d'originalité est flagrant. L'assistance panurgique ne manque pas de taper dans les mains. Longuet. MC : présentation des musiciens. Dreams, I dream of you : quatre minutes de rêve... Au bout desquelles on renoue avec les habitudes de Mountain, un solo de guitare de Takeda excellent, qui constitue l'ouverture de High heel sneakers en mode blues, à la suite duquel nous avons droit – tradition oblige - à un Roll over Beethoven qui nous rappelle de bien belles excursions en haute montagne. Soyons franc, Takeda n'est pas West, il se coule dans Chuck Berry mais ne se l'approprie pas.

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Creation est absent du disque suivant. L'on sait qu'en tant que producteur Felix Pappalardi n'a jamais hésité à mettre la main à la pâte, à se saisir d'un instrument, à écrire un morceau. L'on connaît sa participation à Mountain, beaucoup moins ses enregistrements avec Creation, mais Don't Worry, Ma est le seul record qu'il publia sous son propre nom. Sorti quelques années avant sa disparition, il se teinte d'une aura testamentaire qu'il n'avait pas évidemment lors de son enregistrement. Rappelons que Felix repose aux côtés de sa mère décédée en 1968.

DON'T WORRY, MA

( 1979 )

Nécessité de ne pas mythifier en écoutant, la liste des participants ( voir dessous ) nous en empêcherait. On ne peut pas dire qu'il était tout seul, une bonne trentaine de musiciens, presque un orchestre symphonique avec section de cuivres et pupitre de cordes. Ce n'est pas un disque de rock'n'roll. Pappalardi chante les morceaux qu'il aime. En point c'est tout. Oubliez le bassiste de Mountain.

Certes ce n'est pas une réunion de copains le soir au coin du feu mais parfois comme sur Railroad Angels ça y ressemble, l'on dirait que l'on a ménagé à tous ceux qui passaient par le studio une place dans la chanson. Tous un peu serrés mais heureux de se retrouver là. Une espèce de gospel à la bonne franquette où chacun s'en vient pousser la chansonnette. Deux traditionnels arrangés avec Gail, chacun symboliquement disposé en première piste des faces 1 et 2 : Bring it with you when you come et the Water is wide, qui vient de loin, d'Ecosse et du début du dix-septième siècle. Ce dernier morceau un peu engoncé dans une aura de respectabilité, traitée avec un tel maximum de précautions qu'il en devient fastidieux. De loin la version de Joan Baez, qui a travaillé avec Pappalardi, beaucoup plus simple s'avère mille fois plus belle. On attend le léopappardi au tournant pour Sunshine of your love, Felix ne change rien au traitement de la voix, par contre les guitares restent dans leurs étuis et une crème de cuivres se chargent de la participer à la partition. Pour vous donner une idée souvenez-vous du saxophone sur les dernières mesures de Walk on the wild side de Lou Reed, ben là c'est aussi beau, à part que ça dure un max et que vous en avez toute une section qui ne fait pas halte. Question cuivres étincelants jetez-vous sur White boy blues qui mériterait de s'appeler White boy rhythm'n'blues, assaisonné à la Memphis horns qui groovent la vie et un chœur de filles qui stuffent et staffent à mort. Le meilleur morceau à mon avis. Quoique à la réflexion Caught a fever vaut son pesant de bitcoins. Y a de tout là-dedans, au début vous parieriez votre fortune personnelle pour du pure blues, mais très vite chacun des participants désire apporter sa tonne et demie de gros sel iodé et vous ne savez plus ce que c'est. Pourtant c'est évident : c'est du Pappalardi qui vous emmène au paradis. Parce ce que si les trois dizaines de clampins amicaux qui l'entourent marnent à mort sur leurs instruments, le Felix il se contente de poser sa voix. Un maître organe. Doit se décider au dernier moment, tiens je pourrais le faire comme cela et dès qu'il ouvre la bouche une clarté apollinienne irradie le studio. Magnifique à chaque fois, ah ! sa version de As the tears passin' by – dans les deux disques précédents il vous la traitait en ballade aussi pompeuse et boursoufflée que les joues de Pompée défilant le jour de son triomphe sous la tribune des rostres - et ce coup-ci il la commence in blue, et puis toutes les couleurs de l'arc-en-ciel y passent et votre cœur se déchire en mille et un confetti. Vous reste encore High Heel sneakers et la Farmer's daughter pour vous remettre de vos émotions.

M'étonnerait qu'avec les royalties il ait pu s'acheter une Cadillac agrémentée de l'option pare-chocs en or massif. Un caprice de gentleman. Un homme qui détruit sa légende et sa réputation. ( Elles sont comme les têtes de l'Hydre de Lerne qui repoussent aussitôt coupées. ) En toute connaissance de cause. Avec ce je-m'en-foutisme absolu de celui qui n'en fait qu'à sa tête. Une énorme leçon de liberté et de savoir-faire. Le génie de la simplicité, peut-être même la simplicité du génie.

 

Felix Pappalardi :vocals / Bernard Purdie : drums, timpani, tambourine, producer / Eric Gale : guitar / Richard Tee : piano, organ / Chuck Rainey : bass / Pancho Morales : congas / Frank Wess : tenor saxophone, flute / David Tofani : tenor saxophone, flute / Edward Daniels : tenor saxophone, flute, clarinet / Wilmer Wise : tenor saxophone, clarinet / George Opalisky : alto saxophone, tenor saxophone, flute, soloist / Arthur Clark : flute, bass clarinet / Irvin Markowitz : trumpet, flugelhorn / Victor Paz : trumpet, flugelhorn / Burt Collins : trumpet / George Marge / oboe, piccolo / Peter Dimitriades : violin / Sanford Allen : violin / Kathryn Kienke : violin / Doreen Callender : violin / Norman Carr ; violin / Noel DaCosta : violin / Robert Tozek : violin / Gene Orloff : violin / Selwart Clarke : viola / Julien Barber : viola / Al Brown : viola / Kermit Moore : cello / Corky Hale : harp / Maeretha Stewart : backing vocals, leader / Hilda Harris : backing vocals / Ullanda McCullough : backing vocals / Horace Ott : arranger, conductor / Artwork : Gail Collins. On ne peut pas dire qu'elle se soit fatiguée. Le minimum syndical. Mais c'est le disque de Felix à lui tout seul. Les meilleurs cadeaux sont ceux que l'on s'offre soi-même.

Damie Chad.

10/06/2020

KR'TNT ! 468 : BRIAN JONES / EL VEZ / VOLUTES / MOUNTAIN

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 468

A ROCKLIT PRODUCTION

FB KR'TNT KR'TNT

11 / 06 / 2020

 

BRIAN JAMES / EL VEZ / VOLUTES

MOUNTAIN

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Brillant James - Part Two

 

Après avoir chanté les louanges de Bryan Gregory et de Ron Asheton, John Wombat chante maintenant celles de Brian James. Il réussit à en faire un peu plus de 300 pages, alors qu’avec Bryan Gregory, il parvenait péniblement à en faire 70. Bon, ça part d’un bon sentiment : pas facile d’aller consacrer des livres à des artistes cultes, ceux qui par définition indiffèrent les masses populaires. Un constat qui pourrait expliquer le fait que l’auteur n’ait pas trouvé d’éditeur puisque ses livres paraissent à compte d’auteur. Comme c’est Amazon qui publie et qui commercialise, on doit commander l’ouvrage en ligne. Clic ! Il arrive directement dans la boîte aux lettres, dans un délai record et bien protégé dans son emballage en carton brun. Wow, quel bel objet, murmure-t-on en soupesant le book d’une main experte. L’instinct bibliophilique trompe rarement : l’équation format/poids/artiste culte est infaillible. On frétille comme une vieille pute. Quelles belles bonnes heures de lecture en perspective ! Comme on les aime, ces livres idéaux ! Quel objet infaillible ! On finit même par se dire qu’au fond la vie vaut bien d’être vécue. Parfois ça fait du bien d’être très con.

Il ne reste plus qu’à se livrer au rituel bibliophilique : on s’installe confortablement dans un fauteuil, on chausse sa vieille paire de lunettes et, au moment précis où les deux pouces déflorent l’ouvrage, on laisse monter dans la cervelle un doux sentiment d’extase.

C’est là que se présente le vieux dilemme : soit on feuillette pour faire rapidement le tour du propriétaire, soit on attaque bille en tête la lecture à la page 1. Comme il s’agit d’un livre richement illustré, on retient la première option. Chacun sait que Brian James est une rock star extrêmement photogénique. On vit jadis à Mont-de-Marsan ce grand brun aux yeux clairs illuminer le backstage de sa seule présence. On le revit quarante ans plus tard dans un bar rouennais et l’occasion fut trop belle de lui rappeler qu’il fut voici quarante ans the king of ze night in Mont-de-Marsan, ce qui eut le don de le faire rire de bon cœur. Aux yeux de ceux que le suivent à la trace depuis le début, il ne fait aucun doute que Brian James est une vraie British rock star, au même titre que Ronnie Lane, Jesse Hector, Peter Perrett, Pete Overend-Watts ou Mick Ronson. Du coup, on se repaît du festin d’images que propose Wombat dans son book. On passe en revue toutes les époques, les Damned, les Lords et bien sûr ces temps modernes que Brian James traverse dignement en soignant son statut de punk-rocker vieillissant, coiffé d’un petit galure de bookmaker à la Ben Gazzara et d’une chemise hawaïenne. Mais une fois le cœur réchauffé par toutes ces constatations, un léger malaise s’installe. Bon nombre de photos sont des doublons. Puis on s’aperçoit que la mise en page réduit le contenu à portion congrue : le bloc de pied de page remonte exagérément de cinq bons centimètres et les marges de tête, de droite et de gauche sont anormalement généreuses. C’est un procédé qu’utilisent certains ‘éditeurs’ pour forcer la pagination. 150 pages bien maquettées auraient sans doute largement suffi. Puis on découvre horrifié que l’auteur se glisse dans quatre photos alors que généralement une seule suffit. On est là pour Brian James, pas pour croiser la bobine du Wombat à tous les coins de rue.

Difficile d’attaquer la lecture dans un tel climat de suspicion. Et quand on a pris l’habitude de se frotter à des auteurs aussi consistants que David Ritz, Peter Guralnick ou Robert Gordon, c’est encore plus périlleux. Rien n’est pire que de perdre confiance. Surtout en un auteur. Le risque est d’aller lire en diagonale. Autant aller jeter le livre dans la gueule du loup des steppes.

Lira ? Lira pas ?

Lira, car c’est en lisant qu’on devient liseron. Et si on lit ça, c’est aussi parce que l’Asherton book laisse un bon souvenir. Le bric et le broc qui le constituaient en faisaient tout le charme. Alors va pour le bric et le broc. Que le grand bric nous broc, tonnerre de Brest ! Au point où on en est, on pourrait même décider de continuer d’élucubrer sans perdre du temps à vouloir lire ce simili-book amazonique. Mieux vaut parfois élucubrer que de vouloir roucouler plus haut que son cul. Mais ce serait s’éloigner encore plus du sujet. Grand bien nous prend parfois de revenir au sujet, car c’est là que se dresse le poteau rose. C’est d’autant plus vrai dans le cas de ce simili-book. Contre toute attente, il se révèle passionnant car un phénomène extraordinaire s’y déroule sous nos yeux ronds de stupeur : le sujet vole au secours de l’auteur !

Les amateurs éclairés de littérature - ou les amateurs de littérature éclairée, ce qui revient quasiment au même - vous diront que c’est un phénomène d’une grande banalité. Ils commenceront par vous sortir le fameux «Madame Bovary c’est moi !» de Gustave Flaubert. Puis vous entendrez sûrement parler de Leopold Bloom, du Docteur Destouches, du consul Geoffrey Firmin et de quelques autres, mais en quelques clics, vous apprendrez très vite que ces personnages de romans célèbres sont en fait des sujets autobiographiques, vous n’aurez même pas besoin de lire les ouvrages en question, vu qu’aujourd’hui on peut se passer de livres pour se cultiver durablement sur Internet. Et même devenir e-bibiliophile sur son téléphone portable. Par contre, le simili-book reste le seul accès au phénomène extraordinaire épinglé plus haut : on vit dans cette époque et il faut s’en accommoder. Vous recherchez des sensations fortes ? Jetez-vous sur les simili-books. On doit même pouvoir lire celui-là sur un écran. L’effet doit en être mille fois plus capiteux.

Si Brian James vole au secours de John Wombat, c’est pour une raison bien simple : l’ancien Damned est un homme profondément généreux. Ça s’entend au ton de sa voix. Brian James raconte ses souvenirs tranquillement, au fil des époques. Comme le fit Joel McIver dans son livre sur Lemmy et Motörhead (Overkill), Wombat a l’intelligence de laisser son sujet s’exprimer longuement. Et du coup, on se retrouve avec la vraie histoire des Damned et du proto-punk - une histoire du proto-punk qu’on peut d’ailleurs croiser avec celle des Hollywood Brats que raconte Andrew Matheson dans Sick On You.

Brian James naviguait en père peinard sur la grand-mare du proto-punk qui, souvenez-vous, trouve sa source dans le fameux Phun City Festival organisé par Mick Farren en 1970. Figuraient à l’affiche les Pink Fairies, les Pretty Things, le MC5 et Bastard, le groupe pré-Damned de Brian James. C’est là qu’il découvre les MC5, en tournée en Europe pour la première fois, et William Burroughs : «William Burroughs était là. Il avait l’air marrant (he was a funny looking guy). Il avait l’air d’appartenir aux SS ou à la Gestapo, avec son trench coat et son chapeau à larges bords. Il était flanqué de deux Hell’s Angels dont l’un portait un casque nazi. Burroughs se baladait dans le festival et s’exclamait : ‘Woa, this is fucking cool !’ Il avait vraiment une super allure, il portait des petites lunettes cerclées d’acier. On aurait dit qu’il sortait d’un film.»

Brian James s’était installé à Bruxelles pour essayer de lancer son groupe, Bastard. Mais ça ne marchait pas très bien. «Je suis rentré à Londres à Noël pour voir mes parents et manger un peu. On ne mangeait pas beaucoup à Bruxelles. Tu vois, on s’amusait bien mais on crevait la dalle. Alors j’ai vu une annonce dans le Melody Maker. À cette époque, les musiciens passaient des annonces quand ils cherchaient à jouer dans des groupes. Dans l’annonce, on citait le nom des Stooges qui étaient à l’époque l’un de mes groupes favoris. Alors je suis allé voir ces mecs, Mick (Jones) et Tony (James) et je leur ai dit : ‘Bon les gars, j’écoute les mêmes trucs que vous.’ Je leur ai fait écouter une cassette de Bastard. Ils ont bien aimé. Je leur ai dit que mon matos était encore à Bruxelles et que Bastard allait splitter, car les autres devaient se marier, tu vois, ce genre de truc. ‘Alors si vous pouvez attendre un peu, je rentre à Londres de toute façon. Si vous trouvez quelqu’un d’autre d’ici là, pas de problème.’ Quand je suis rentré à Londres, j’ai appelé Mick qui m’a dit qu’il m’attendait. On a commencé à auditionner des chanteurs et des batteurs. Mick jouait de la guitare et Tony de la basse.»

Ce qui nous conduit droit aux London SS, le Loch Ness du proto-punk londonien. Brian James s’empresse de préciser que les London SS ne furent jamais un groupe au sens où on l’entend généralement mais uniquement un rehearsal band, un groupe informel, avec des gens comme John Brown, Eunan Brady et Geir Waade qui sont ensuite allés jouer avec Wreckless Eric, ainsi que Roland Hot et Lucas Fox. Puis suite à une annonce voilà qu’est arrivé Christopher Millar vite rebaptisé Rat Scabies par Mick Jones. Oui, car le pauvre Christopher avait la gale et un rat avait traversé le basement de Paddington pendant l’audition. D’où ce Rat Scabies qu’on traduirait ici par ‘rat galeux’. Brian apprécie surtout le style de Rat : «Il est arrivé et je l’ai trouvé fantastique, grâce à lui, je me suis mis à jouer différemment, à la Pete Townshend, avec le côté plus électrique, the noise. Mick et Tony aimaient bien son jeu de batterie mais ils trouvaient qu’il n’était pas très rock’n’roll. Je leur répondais : ‘What the fuck does rock’n’roll look like ? Listen to his drumming ! He’s fucking great !’» Voilà donc la genèse des Damned. Tony et Mick trouvaient que Rat n’avait pas de look mais heureusement Brian James voyait en lui le batteur idéal : «Rat et moi on pensait que Mick et Tony n’étaient pas faits pour jouer avec nous. On s’entendait bien tous les deux. Alors on a quitté les London SS pour monter les Damned. Rat connaissait Captain Sensible qui s’appelait encore Ray (Burns) à l’époque. C’était son collègue de boulot, ils nettoyaient des toilettes publiques ensemble. C’est par Malcolm McLaren qu’on a fait la connaissance de Dave Vanian (David Letts). Malcolm essayait de monter un groupe autour de Chrissie Hynde. Il avait invité Rat. Pauvre Chrissie, elle ne voulait pas chanter, tout ce qu’elle voulait, c’était jouer de guitare dans un groupe. Un jeudi soir, on s’est retrouvés dans un pub qui s’appelait le Nashville. Le premier à se présenter pour le job de chanteur fut Sid (Vicious) qui s’appelait encore John (Ritchie). Je le connaissais parce qu’on prenait tous le deux le même bus. On habitait tous les deux à Kilburn. Puis un autre jour, j’ai vu arriver ce mec qui ressemblait à Dracula. J’ai dit à Rat : «Qui c’est ce mec-là ? L’est complètement gaga ce mec là.» C’était Dave. Rat le connaissait, Malcolm le lui avait présenté. On a loué ce local dans une église pour les auditions. Dave est venu, pas Sid. Dave aimait bien ce qu’on faisait et c’est ainsi que les choses se sont mises en place.»

C’est admirablement bien raconté. En une demi-page, Brian James relate la naissance de l’un des groupes anglais les plus attachants. Autre précision qui vaut son pesant d’or du temps : Brian James profita lui aussi de l’occasion pour se rebaptiser. «Après la formation des Damned, le gens me demandaient mon nom. Comme il y avait déjà un Brian Robertson qui jouait dans Thin Lizzy, j’ai pensé que mon nom allait créer une confusion. J’écoutais principalement Raw Power à l’époque, il y avait donc James Williamson et James Osterberg (Iggy Pop) et je trouvais que Brian James sonnait comme Brian Jones, alors j’ai pensé que c’était le bon choix.»

Et hop, «New Rose», et hop the British punk scene ! Les Damned sont les premiers à crever l’écran. Ils jouent partout en Angleterre et ils se constituent une solide fan base. Brian voit deux affairistes miser sur l’avenir en se partageant le marché : «Bernie Rhoses manageait les Clash et McLaren les Pistols. Ils étaient en affaires tous les deux, Bernie devait faire la compta de Malcolm, un truc dans le genre. Malcolm a monté les Pistols pour vendre ses fringues. Bernie sentait que les choses évoluaient très vite et il avait commencé à lorgner sur les London SS, raison pour laquelle je me suis tiré vite fait de ce guêpier. Je n’aimais pas ce mec-là, c'était juste un petit revendeur de drogues à deux balles.» Puis les événements s’enchaînent très vite : le scandale du Grundy show et le Anarchy Tour dans la foulée. Au programme : les Heartbreakers, les Clash, les Damned et les Pistols. Après un premier concert à Leeds, McLaren convoque les Damned en réunion. Brian : «McLaren était là avec deux gros durs, Steve English et un autre mec. Les gardes du corps des Pistols. Je connaissais bien Steve, on avait bu des coups ensemble, pas de problème. McLaren a démarré la réunion en annonçant que les Damned allaient jouer en premier, puis les Heartbreakers, puis les Clash et enfin les Pistols. J’ai dit à Mclaren : ‘Fuck you, il était convenu qu’on joue avant les Pistols, donc on joue avant les Pistols. C’est pas parce qu’il y a eu le fucking Grundy show que les choses vont changer !’ Ça a chauffé et j’allais lui mettre mon poing dans la gueule mais Steve English s’est avancé. Il a mis la main sur mon épaule et m’a dit qu’il bossait, alright ? Alors j’ai laissé tomber.» Pendant la tournée, les Damned voyageaient à part, dans leur van. Ils ne dormaient pas à l’hôtel comme les autres mais dans des bed & breakfast. «Les camps étaient très séparés. On s’entendait bien avec les autres groupes, le problème venait du management. McLaren était un trou du cul et je ne pouvais pas le supporter. Mais c’est vrai, nous sommes tous différents les uns des autres.» Quand les Damned acceptèrent d’auditionner devant la municipalité de Derby, McLaren cria au loup. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Les Damned durent quitter la tournée : «McLaren faisait croire que la tournée était d’esprit révolutionnaire, which was bollocks.»

Et hop le premier album, et hop Stiff met la pression pour un deuxième album. Brian les prévient qu’ils n’ont pas de chansons et qu’ils ne sont pas prêts : «It was rushed, very very rushed. Il y a pourtant des choses que j’aime bien sur le deuxième album. Ça aurait été plus facile de jouer comme sur le premier album, en plus punk. Mais la scène punk devenait une singerie. Les groupes de la deuxième vague singeaient ceux de la première. Tout le monde était habillé de la même façon et tout le côté intéressant de la rébellion avait disparu.» Brian ne voulait pas tomber dans la routine punk comme le faisaient les Ramones, avec des albums qui sonnaient tous pareil. «Nick Lowe avait produit notre premier album, mais il ne voulait en produire un autre, ce qui était tout à son honneur. Alors on a pensé à Syd Barrett, mais Peter Barnes nous disait que Syd n’était pas en état et que c’était trop risqué que de vouloir essayer. Alors il proposa d’en parler aux autres mecs du Floyd qu’il connaissait aussi. L’idée ne nous intéressait pas trop, mais il en toucha quand même un mot à ces mecs-là.» Quand Peter Barnes revint annoncer que Nick Mason était intéressé par le projet, le boss de Stiff exulta. Jake Riviera y voyait ‘un angle intéressant’. Brian : «Jake ne raisonnait qu’en termes d’angles, de concepts. C’était Stiff Records. Comme on n’avait pas d’autre proposition, on a accepté celle-là (...) Ce fut une expérience bizarre. On avait enregistré le premier album aux Pathways Studios, un endroit si exigu qu’il aurait pu tenir dans les toilettes de Britania Row, le studio du Floyd. Britania Row était beaucoup trop luxueux, avec plein de tapis à la con. L’endroit n’avait rien de rock’n’roll et Nick Mason l’était encore moins. C’était pourtant un mec gentil, mais il préférait nous parler de sa collection de Ferraris.»

Quand Rat quitta le navire, Brian engagea Jon Moss pour le remplacer. «C’était un bon batteur mais ce n’était pas Rat. Rat et moi on avait démarré les Damned et je n’aimais pas la tournure que prenaient les choses. Ça ne sonnait pas juste. En plus, la scène punk avait perdu tout son charme. Ça n’avait plus rien à voir avec celle de 1977. J’ai donc fait venir Captain et Dave pour leur dire : ‘Look, I want to break the band. J’ai formé le groupe avec Rat, il n’est pas là, donc pour moi c’est mort. Je veux passer à autre chose.’ Voilà, ça s’est terminé comme ça.» Puis il ajoute un peu plus loin : «Rat a monté les White Cats, Captain un groupe qui s’appelait King et Dave s’est associé avec Dick Strange et les Doctors of Madness. Chacun faisait son petit truc. Puis j’ai entendu dire que Rat, Captain et Dave s’étaient remis ensemble, avec Captain à la guitare. Ils ne m’ont même pas demandé si je voulais venir. Ils devaient savoir que j’aurais dit non, de toute façon. J’avais un nouveau groupe, Tanz Der Youth».

Tanz Der Youth ? Il expédie ça en deux temps trois mouvements : «J’essayais de faire des trucs nouveaux, avec un synthé, mais le côté nouveau n’a duré que dix minutes. Je ne m’entendais pas très bien avec le batteur et le bassiste (Alan Powell, ex-Hawkwind et Andy Colquhoun) et ça a commencé à se barrer en couille. On s’était mis d’accord avec Radar pour un single («I’m Sorry I’m Sorry/Delay»), on a fait quelques concerts et une tournée avec Black Sabbath. C’était assez cool. Mais au milieu de la tournée, ils nous ont jetés parce qu’ils nous trouvaient incompatibles.»

Il y a dans le ton de Brian James une certaine forme de désenchantement, mais jamais de persiflage. Ça ne marche pas ? Il passe à autre chose.

Au fil des pages, Brian évoque pas mal de gens intéressants, comme Johnny Thunders dont il fit la connaissance au moment de l’Anarchy Tour : «On a appris à se connaître, c’est sûr. Pendant des années, on se croisait à Londres. Je me souviens de l’avoir emmené voir les Pirates au Dingwalls. Il connaissait les Feelgood et je voulais le brancher sur Mick Green, le guitariste des Pirates : ‘Tu devrais apprécier ce mec, il joue comme Wilko.’ Comme on était tous les deux guitaristes, on avait des tas de choses en commun. Un soir, on parlait du MC5 et il me raconta qu’à l’époque où il était plus jeune, il allait en stop à Detroit voir jouer le MC5 et les Stooges.» Brian se souvient aussi de Marc Bolan. Quand les Damned sont partis en tournée avec lui, Brian apprit à l’apprécier : «Captain et Rat étaient des big fans de Marc Bolan, mais je n’aimais pas trop le glam ni T. Rex. Je préférais les débuts de Marc au temps de Tyrannosaurus Rex, avec Steve Took. Là oui !».

Plus loin dans le book, Brian raconte qu’avec sa femme Minna et son fils Charlie, ils sont allés à une époque s’installer à Arcachon : «J’ai toujours eu des affinités avec la France et les Français ont toujours été des amateurs de rock’n’roll. On s’est installés dans ce coin qui s’appelle Arcachon, pas loin de Bordeaux, et c’est là que j’ai commencé à boire du vin rouge. Mais en même temps, j’avais du mal à trouver des musiciens.» Il rentrera à Londres puis ira s’installer à Brighton, où Captain a un pied-à-terre. C’est une sorte de retour à la normalité après avoir frôlé le super-stardom au temps des Lords Of The New Church. Et pendant que ses anciens collègues Captain et Dave remplissent l’Élysée Montmartre avec la nouvelle mouture des Damned, Brian joue dans des bars de province pour vingt personnes. Ça s’appelle un destin. Balzac se serait régalé de cette histoire.

Signé : Cazengler, brillante gerbe

John Wombat. Bastard The Damned The Lords Of The New Church & More: The Authorized Biography Of Brian James. Amazon Italy 2019

 

Que Vez bien pouvoir dire ?

 

Avant de devenir le cultissime El Vez, Robert Lopez jouait de la guitare dans les Zeros, gang glam-punk californien des années de braise toujours en activité. De la même façon que Tav Falco, El Vez va pendant quarante ans travailler un look kitschy kitschy petit bikini et cultiver un don pour la provocation qui lui interdira l’accès au succès commercial, ce qui au fond est une bonne chose. El Vez et Tav Falco sont devenus les cult luminaries du plus ténébreux des underworlds et quelques poignées de gens ici et là dans le monde n’en finissent plus de chanter leurs louanges et de vénérer l’absolutisme de leur pureté d’intention.

Pour comprendre quelque chose au mythe El Vez, il suffit d’observer la pochette de son premier album, Not Hispanic, paru en 1992 : il y porte une cuirasse de conquistadore et regarde l’objectif d’un œil méchant. Sa très fine moustache assombrit encore l’impression que dégage le personnage. Lorsque les Aztèques virent débarquer de telles trognes, ils comprirent qu’ils allaient passer un sale quart d’heure, c’est évident. Si on ouvre le gatefold, on tombe sur une autre photo d’El Vez déguisé cette fois en latin lover couvert de bijoux : on croirait voir Tav Falco. Même look, même sourire, même coiffure, même classe ravageuse. Et puisque la pochette indique The Mexican Elvis, alors El Vez se met à hispaniser les classiques d’Elvis. C’est son fonds de commerce. Il démarre avec «That’s Alright Mama» qui devient «Esta Bien Mamacita». Wow, ça joue à l’accordéon de la frontière. Le son des rancheros surprend par sa solidité. Puis il roule «In The Ghetto» dans sa poudre de riz et ça devient «En El Barrio», mais il pousse encore plus loin le bouchon, car il mixe le hit d’Elvis avec «Mr Fantasy» de Traffic. Son guitariste Jim Avgeris est tout bonnement spectaculaire. Mais ce n’est pas fini. En B, il rend un hommage stupéfiant à Santana avec «Samba Para Elvis». Quel mélange ! Il chante la Samba de Carlos divinement. Il en a les moyens et ce fabuleux groove d’excellence se met à décoller, avec la montée du you you you sur un bassmatic bien connu. Eh oui, c’est le riff de «Walk On The Wild Side» et les filles font tip tilip tip tilip. Ce démon d’El Vez enchaîne avec un autre coup de Jarnac, le «Black Magic Woman» de Santana, qu’il joue au pur drive de rockab. Merveilleuse approche, savant mixage, une fois de plus. Ce album est ce qu’on appelle un carton considérable et c’est à cet instant précis qu’on prend la décision de ne plus jamais perdre de vue le divin El Vez.

Sur Fun In Espanol paru deux ans plus tard, on retrouve tous les coups de Jarnac d’El Vez : «Esta Bien Mamacita», «En El Barrio» et «Samba Para Elvis» qu’il finit en «Walk On The Wild Side». Il s’adonne à la ferveur rockab avec un «Mujer De Magia Negra» fabuleusement faussé dans le viseur. El Vez sait mener le bal du slap. Dans «Nunca Fui A Espana», il évoque la conquesta de Llos Aztecas - Yo soy chicano ! - Il revient à Santana avec «Samba Ti». El Vez adore le kitsch subliminal du grand Carlos et finit une fois encore sur le groove du Transformer de «Walk On The Wild Side». Décidément, c’est une manie.

Il est bon de savoir qu’en 1994, El Vez sort quatre albums sur Sympathy For The Record Industry : Fun In Espanol, Graciasland, Merry MeX-mas et How Great Thou Art. Earle Mankey produit l’excellentissime Graciasland. El Vez attaque en force avec un «La Negria» explosé au mariachi beat. C’est du Tex-Mex punk. Le pauvre Doug Sahm n’aurait jamais pu imaginer une chose pareille. Quel son ! Nouveau coup de génie avec un «Cinco De Mayo» riffé au maximum overdrive et pulsé au bassmatic. Un vrai festival, avec du son par dessus les toits. Il faut le voir pour le croire. Comme Elvis, El Vez fait des miracles. Il introduit son «Gypsy Queen» avec un riff de Santana, c’est battu à la diable et infesté de requins. Il démarre ensuite son «Trouble» sur les accords de «Jean Genie» et passe en mode Shadows Of Knight, avec des chœurs de folles. Attention, ce n’est pas fini, car voici «The Cuauhtemoc Walk» tapé au beat rockab. Infernal ! Ah la vache ! Il génère de la pure folie rockab au big bad slap, c’est le génie aztèque d’El Vez, ça pulse et ça déboule, garez-vous ! Cet album n’en finit plus de vomir ses trésors, tiens voilà «Mexican Radio», encore un cut furibard, El Vez tape dans le dur du DT across the USA - I’m on Mexican re/ Dio - C’est du Wall of Voodoo, il l’explose littéralement. El Vez le bouffe tout cru à coups de riffs garage - Re/ Dio ! Re/ Dio ! - Il charge sa barque comme une mule. Il repart dans un délire rockab avec «Safe (Baby Let’s Play Safe)» et le fait admirablement. Il faut compter El Vez parmi les grands Wild Cats des temps modernes. Il place ensuite les chœurs des Stones dans «Immigration Time» qui est en fait une reprise du «Suspicious Minds» de Mark James. Cover géniale, une fois de plus. El Vez s’étale comme une loutre sur l’ectoplasme de la légende, we can grow on together !

Earle Mankey reste à la prod de Merry MeX-mas. Ça démarre sur un «Feliz Navidad» joué avec l’énergie des Pistols. Les solos tombent comme des déluges de feu. Il tape plus loin un fabuleux «Sleigh Ride» au Surf power. Rappelons que le guitariste s’appelle Jim Avgeris et qu’il n’est pas né de la dernière pluie. Il faut le voir swinguer along the line. El Vez nous fait plus loin le coup du round midnite intimiste à la Chet Baker avec «Christmas Tree Is Here». On se croirait dans une cave de Saint-Germain des Prés. Quel caméléon ! Mais il fait tout comme il faut. La pochette de l’album est marrante, car El Vez ramène toutes ses photos de famille, on peut voir les réveillons de Noël enchantés de son enfance. Il fait donc de «Brown Christmas» un enchantement, une sorte de petite merveille consécutive. Il refait aussi son Elvis dans «Santa Claus Is Sometimes Brown». Wow, les big guitars ! C’est à tomber tellement ça pulse. On ne se lasse pas facilement d’un shouter comme El Vez. Nouvelle merveille délectable avec «Christmas Wish», selon les Farina. On entend un accident de bagnole, bing ! Ouille ! Il ne peut pas s’empêcher de faire le con. C’est plus fort que lui. Quel enfoiré ! En plus, le cut est vraiment bien joué.

On retrouve tous les coucous du premier album sur How Great Thou Art. Ça frise un peu l’arnaque mais comme on aime bien El Vez, on fait le canard. Long Gone John nous ressert donc «Esta Bien Mamacita» («That’s Alright Mama» espagnolisé), «En El Barrio» («In The Ghetto» mixé avec «Mister Fantasy») et «Samba Para Elvis» (Santana mixé avec «Walk On The Wild Side»). Nouvelle reprise d’Elvis avec «Maria’s The Name» qui est sa façon de voir «His Latest Flame». Il embarque ça au beat expéditif et rend un fantastique hommage au king. Avec «Never Been To Spain», il réaffirme son rejet du monde hispanique - Well I’ve never been to Spain/ So don’t call me hispanic - Il ne fait pas de cadeau à Colombus et à tout le shit des conquistadores - The Mayan culture, man, it thrived boy/ before Colombus had a teacher - On retrouve aussi les excellentes reprises de Santana, «Black Magic Woman» et «Samba Pa Ti». On est là dans une certaine magie du son, d’autant que ça joue à la régalade. On retiendra une chose des quatre albums d’El Vez parus en 1994 : une prodigieuse inventivité.

Paru sur Munster, El Vez Is Alive propose un concert enregistré au Danemark en 1991. The Mexican Elvis fait des étincelles avec «Esta Bien Mamacita» et «Maria’s The Name» où il roule des r et part en drive de wild ride. Fabuleuses dynamiques ! Avec «This Was The Story Of My Life», il va droit sur Led Zep - You need schooling ! - et transforme «Heartbreak Hotel» en «Into Quetzalcoatal». Vas-y El Vez ! On est tous avec toi ! Vas-y, défonce la gueule des mythes ! Nouveau coup de Trafalgar avec «Intro To East LA» qu’il fond dans l’«Heroin» du Velvet - But sometimes I don’t care - Il descend les marches de son palais en grande pompe avec une version ultra-dynamique d’«En El Barrio». C’est amené au heavy riffing de guitare, puis il chevauche le dragon avec «Trouble». Il reste dans l’immense pastiche avec son «Dixie Intro Immigration Time» joué à la fantastique énergie et transforme ensuite le vieux «See See Rider» en «I’m A Cowrider». Derrière, les filles deviennent folles. C’est du big El Vez de célébration aztèque. Il roule ses r comme un ara des forêts tropicales. En rappel, il revient exploser «Wolly Bully» au big shake de shook. Puis on annonce qu’El Vez has left the building !

Nouveau retentissement avec l’incroyable G.I. Ay Ay Blues paru en 1996. En plus d’Elvis, El Vez s’intéresse à Bowie et à James Brown. Eh oui ! Il attaque avec «Say It Loud I’m James Brown & I’m Proud», c’est une apologie qu’il endosse comme une sinécure et derrière les Elvettes gueulent comme des folles, say loud, El Vez et ses amis sont violemment bons. On entend aussi des sirènes de police. Tout est explosé dans l’œuf du serpent, El Vez a du génie à revendre, il mène sa sarabande au firmament avec toutes la crazyness qu’on peut espérer. Il revient au rockab avec une fantastique version de «Mystery Train». Il y roule des r et ramène toute l’énergie chicano. C’est tellement battu au slap que le son bourdonne comme un essaim. Il tape plus loin dans Lennon avec une version slappée de «Power To The People». Stupéfiant ! Ça sonne comme un hit rockab. Il rend ensuite un hommage fuzzy au grand Chavez dans «Cesar Chavez ‘96». Il faut voir El Vez se jeter dans la bataille. Il hurle ! El Vez brille en toutes circonstances, sachez-le bien, même quand il tape dans le kitsch de «Song In Poncho». Avec «El Groover», il passe au glam - Some call me El Vez/ Some call me cheeze - Il ramène le meilleur son d’Amérique dans le glam. Cet album est aussi un monstrueux pied de nez à l’Amérique, c’est en tous les cas ce que tendrait à prouver «Mexican American Trilogy» - Glory glory Hallelujah ! - Il termine avec «(Rock N Roll Suicide) If I Can Dream», fantastique hommage à Bowie. C’est l’un de ses plus gros coups. Il l’emmène dans son monde, comme il a emmené Elvis et Lou Reed. Il en fait un truc à lui, un truc effarant. Il le travaille au corps avec une énergie diabolique. Il l’explose, mais avec les manières d’un seigneur. Les folles sont de retour - Deep in my heart - Comme P.J. Proby avec sa version de «Heroes», El Vez outrepasse Bowie - Gimme your hands !

D’ailleurs, il se déguise en Ziggy sur la pochette de Son Of A Lad From Spain paru en 1999. Mais c’est une redite de G.I. Ay Ay Blues, puisqu’on y retrouve «Say It Loud I’m James Brown & I’m Proud» et «(Rock N Roll Suicide) If I Can Dream», qu’il mixe avec un vieux coup de Tell Me Why. On trouve cependant des choses en plus comme cette version live de «Lady Stardust» et un remix hypnotique de «Say It Loud». On retrouve aussi l’excellent «Si I’m A Cowrider» qui roule «See See Rider» dans la farine et «Chihuahua» qui est le «Hound Dog» d’El Vez.

Attention, NoElVezSi paru en l’an 2000 est le même album que Merry MeX-mas, avec trois beaux bonus : une version live du pistolien «Feliz Navidad» (le live est la preuve de sa puissance), une version diskö de «Mamacita Donde Esta Santa Claus» (fantastique diskö beat) et un vidéo clip d’«En El barrio».

En 2001, paraissait sur Sympathy l’excellent Boxing With God. Il continue de jouer les iconoclastes de haut vol avec «Orale» qui est «Oh Happy Day» en chicano. Il faut le voir monter sa sauce ! C’est un génie de la chicanerie ! - Into the USA/ Oh oh oralé ! - Ce démon chauffe les Edwin Hawkins Singers avec ses superbes copines par derrière. Il explose God et tout le Saint-Frusquin. Ce diable d’El Vez enfile les coups de Trafalger comme des perles. Il enchaîne avec un retake des Doors intitulé «And The Preacher Said» et passe en mode r’n’b avec «Rubbernecking». Il explose littéralement la gueule du r’n’b. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voilà «Quetzalcoatal» monté sur l’I could die d’«Heartbreak Hotel» - He was an Aztec baby/ He might have been Jesus/ He was an Aztec who could fly - Il a raison de réécrire l’histoire - He’s returning to play at legends/ On a raft of smokes he’ll sail - On retrouve les fantastiques Elvettes dans le groove de «Mexican Can». Les albums d’El Vez sont tous des aventures extraordinaires. Il revient au stomp de glam avec «La Vida Loca» et s’en va faire le con à la manière d’Aaron Neville dans «Ave Maria». Il adore scier la branche sur laquelle il s’assied et plonger son album dans d’insipides torpeurs. Il tape «Lily Of The Valley» aux clameurs de gospel et invente un genre nouveau : le gospel rockalama. Wouah ! Son «Lust For Christ» n’est autre qu’une resucée de «Lust For Life», et il y shoote tout le gospel batch dont il est capable. On a là la version la plus jouissive de «Lust For Life» - Jesus is just a modern guy/ With Christ you haven’t to fear no more - Il continue de créer la sensation avec «If He Ever Comes Now». Il fait du glam avec des idées subversives. Il est capable de renverser tous les pouvoirs - I want to be king - Il termine cet album effarant avec le fameux «Walk A Mile In My Shoes» de Joe South qu’il gère à la perfection.

Pour la pochette de Sno-way José, son dernier album paru en 2002, El Vez se déguise en Père Noël. Mais pas n’importe quel Père Noël. Il se fait glam blaster pour «Little Drummer Boy», il y va de bon cœur, pah la pah pah, il fait sa Nana Moukouri sur fond de heavy glam. Avec «En El Barrio», il transpose «Silent Night» in the Ghetto. C’est un spécialiste des alliages. Il sait forger une épée. Sa passion du mix le dévore. Il se barre dans les Kinks puis dans le heavy rock d’Oasis, fucking genius ! Il explose Oasis - One day you find in el barrio - Ce mec est ravagé par sa passion du rock. Et ça continue avec «Cool Yule», while the neon is bright, il drive sa Cadillac, a chevy, il l’explose de joie elvezienne, c’est un gazier en or, il ne le sait pas, mais ses fans l’adorent comme un dieu, et les filles enrobent son swing sous leurs robes. Bel hommage à Roy Wood avec «I Wish It Could Be Christmas Everyday». Ça se passe entre géants. Ils s’adressent des gros clins d’yeux. Nous voilà dans l’or du temps, dans le cœur battant du mythe. El Vez se prosterne aux pieds du roy Roy. De la part d’un mec comme El Vez, c’est forcément un geste mythique. Il transforme «Now I Want To Be Santa Claus» en stoogerie - Now I wanna be your Santa Claus - Ce démon est encore plus stooggé que les Stooges. C’est assez violent, faites attention, en vous approchez pas trop près. C’est tapé en pleine gueule, bam bam. Il finit avec un «Brown Christmas» à la Brian Wilson. Quelle maestria ! On tombe de sa chaise à tous les coups. El Vez est un rêve éternel.

L’idéal bien sûr est de voir ce phénomène qu’est El Vez sur scène. Si pour des raisons logistiques ça s’avère trop compliqué, alors recourez au DVD, ou pire encore, à YouTube. Munster fit non seulement paraître un Gospel Show In Madrid en 2008, mais il en confia en plus la présentation à Lindsay Hutton. Ce DVD entrait dans cette collection à bandeau rose devenue mythique, puisqu’on y trouvait les Demolition Doll Rods, les Zeros, les Nomads et toute la crème de la crème du gratin dauphinois de l’époque. Le concert filmé à Madrid permet de vérifier une chose capitale : El Vez dispose des moyens de son extravagance : look, prestance corporelle, voix, belle énergie. Il est plutôt bien accompagné sur scène à l’époque : Pierre Smith, lead guitar, et Lisa Florette as Elvette, auxquels il faut ajouter Bernard Yin (rhythm guitar), Slim Evans (drums) et Joel Reeder (bass). El Vez enfile ses classiques comme des perles, make a walk in my blue suede shoes, il fait aussi une fantastique version de «Lily In The Valley», très dansée, qui va servir de thème récurrent tout au long du gospel show. Il fait sa version aztèque de «Heartbreak Hotel» et se livre à des numéros éblouissants de changements de costume : il vire son costard blanc et devient roi aztèque. Il revient sur scène tout vêtu de rouge pour «Sympathy To The Devil» - Pliiize allowe me to intlodouce myselfe - Bien sûr, il en rajoute, il ne mégote pas sur le rococo. Puis il explique que le Mexique eut un problème d’immigration avec les conquistadores : il transforme «Suspicious Minds» en «Immigration Time», puis transmute «Oh Happy Day» en «Orale» - Into the USA ! - Film révélatoire, car il permet de mieux voir comment un petit Chicano réussit à bâtir un monde avec de l’énergie, du goût, de l’humour et un sens inné du spectacle. Et ça marche. Au-delà du cap de Bonne Espérance. Il fond même son Happy Day dans «Bridge Over Trouble Water». Et c’est toujours juste. Il est devenu le grand spécialiste mondial du fondu enchaîné. Il tape à la suite dans «Lust For Life» et revient plus loin en jump-suit blanc à la Elvis. Quand arrive la fin du set, l’un des musiciens annonce : «Ladies & gentlemen El Vez has left the cross !» Pour le rappel, il tape un «Ask The Angels» assez explosif. Le mot de la fin revient à Lindsay Hutton : «It’s an ill-divided world because I know who deserves to be selling out stadiums and who doesn’t. It’s all suvbjective of course but as Handsome Dick Manitoba might say, ‘I am right’.» (Le monde est mal foutu, parce que je sais qui mérite de remplir les stades et qui ne le mérite pas. Bon d’accord, c’est purement subjectif, mais comme le dit si bien Handsome Dick Manitoba : je sais que j’ai raison.)

Signé : Cazengler, El Vase

El Vez. Not Hispanic. Munster Records 1992

El Vez. Fun In Espanol. Sympathy For The Record Industry 1994

El Vez. Graciasland. Sympathy For The Record Industry 1994

El Vez. Merry MeX-mas. Sympathy For The Record Industry 1994

El Vez. How Great Thou Art. Sympathy For The Record Industry 1994

El Vez. El Vez Is Alive. Munster Records 1995

El Vez. G.I. Ay Ay Blues. Big Pop 1996

El Vez. Son Of A Lad From Spain. Sympathy For The Record Industry 1999

El Vez. NoElVezSi. Poptones 2000

El Vez. Boxing With God. Sympathy For The Record Industry 2001

El Vez. Sno-way José. Graciasland Records 2002

El Vez. Gospel Show In Madrid. DVD Munster Records 2008

 

J'AI LA RAGE ( I, II, III )

VOLUTES

( CLIPS )

'' Oh ! Baby, je craque / Quand tu me fais crac-crac / Dans ma Cadillac '', rassurez-vous je ne me lance pas dans la haute poésie ce matin, ce couplet impérissable juste pour attirer l'attention sur l'inanité de certaines paroles rock quand on y pense un peu. Just for fun, certes. Parfois nous vivons des temps difficiles dont il n'est pas toujours facile de rendre compte. Nous avons vu Volutes le 7 juillet 2019 à La Comedia en la cité-rock de Montreuil. Voir notre chronique in la 427° livraison de Kr'tnt du 29 / 08 / 2019. Nous avions bien aimé, leur CD, leur jeu de scène, leur humour, leur musique-électro, leurs paroles électriques. Leurs colères. Les trois membres de Volutes se sont en effet aperçus que notre monde va mal. Ils ne sont pas les seuls. Mais cela s'entend dans leurs lyrics.

Certains pourraient reprocher aux paroles de Volutes d'être politiques, ce qui n'est pas faux mais le fait d'employer cet argument est déjà en soi-même politique. Ne nous attardons point dans ce faux débat. Comme tout un chacun Volutes dit ce qu'il lui chante. Il est vrai qu'il est exaspérant et pathétique que les personnes inutiles à leur propre cause deviennent les idiots utiles de leurs ennemis. Pour ne prendre qu'un exemple au hasard objectif, ces milliers de gens qui chaque soir durant le confinement applaudissaient les soignants pour leur dévouement alors que depuis des années on ne les a jamais vus se joindre aux multiples manifestations menées par ces mêmes soignants pour défendre l'Hôpital Public menacé par des plans successifs de rationalisation financière...

Cette rage Claude Banian l'a écrite dans une tribune publiée le 24 mars 2020 dans Libération. Il sait de quoi il parle, il exerce la profession de psychologue à l'hôpital de Mulhouse. Tout le monde sait que le Grand-Est fut particulièrement touché par l'épidémie de Covid. Claude Banian est un pseudonyme, on n'est jamais trop prudent dans une société dont l'Etat a préféré assurer des réserves de grenades de désencerclements et autres babioles du même type que de renouveler les stocks de masques nécessaires pour protéger sa population de la pandémie.

Volutes a lu le texte et l'a mis en musique, sous forme de trois vidéos en accès libre sur You-tube. Julien Robert s'est chargé des images qui accompagnent le déroulement du texte. Si vous voulez en savoir plus sur l'ymagiériste, son blog, Julien et le champ du possible, vous attend. Vous n'êtes pas obligé de souscrire aux cookies proposées pour y accéder. Une démarche à laquelle les sites de beaucoup de médias d'information reconnus vous enjoignent de souscrire sans rémission. Perso, je boycotte systématiquement. Mais ceci est une autre histoire.

J' AI LA RAGE 1

C'est court deux minutes vingt-deux ( les flics ! ) Vous en prenez plein les mirettes dans vos yeux de chouettes. Les images se bousculent, sont issues de vidéos prises dans les manifs des derniers mois, un monde coloré de pancartes revendicatives que vous n'avez pas le temps de lire, idem pour les banderoles ironiques, les temps sont à l'urgence, tout un monde qui défile, qui proteste, qui revendique, tous ces gens qui nous ressemblent, et qui s'opposent au management politique libéral qui détruit toutes les conquêtes sociales, grignotées depuis des années. Parfois vous apercevez les trois membres de Volutes, si rapidement que vous n'aurez pas l'opportunité de leur demander un autographe, orchestration minimale, la voix très nette lit le texte, ne le scande pas, joue juste sur ses inflexions et son débit, mais derrière légèrement décalée, susurrée la voix de Célia Nocus G confère à la première diction une épaisseur, et une sourde colère qui résonne et se retient.

J' AI LA RAGE 2

Nous étions dehors, nous voici dedans. C'était le bon temps, l'on sentait que danger que l'on prévoyait ne tarderait pas à venir. Plus de gens habillés de couleurs vives dans les rues ouvertes. Nous voici dans le monde blanc. Les avertissements lancés aux pouvoirs publics se sont mués en réalité. Nous voici au cœur de l'infection. Le personnel hospitalier dans la tourmente. Les corps que l'on emmène, que l'on allonge sur les lits, les vies que l'on sauvera peut-être, et tout ce monde de soignants, habillés de blanc, qui s'empresse, qui bosse sans rechigner, images de films catastrophe, de science-fiction, mais l'on n'est pas au cinéma. Dans ce second clip, la voix est toujours là, plus discrète, car si elle la ramenait trop, les images la boufferaient. Un terrible constat. Honte aux élites dirigeantes qui ont planifié cette chronique d'un massacre annoncé.

J' AI LA RAGE 3

Trois minutes et le monde défile devant nous. Les petits. Ceux qui triment, ceux qui travaillent, ceux qui produisent la richesse. Et qui ont tenu le pays à bout de bras et d'efforts. Chez nous et ailleurs. Et puis les autres. Ceux qui paradent à la télévision. Qui décident. Qui ont organisé la gabegie. Qui se sont gavés. L'image nous les montre. Pour que nous ne les oubliions pas. Pour que nous nous souvenions de leurs belles paroles qui puaient la mort. De leur cynisme qui leur reviendra dessus tel un boomerang. La musique se densifie. Le pouls de la colère. Qui se réveille. Et qui promet qu'un jour ou l'autre il faudra apurer les comptes et mettre chacun en face de ses responsabilités. Le texte se finit sur deux mots lourds de conséquences. Nous arrivons.

Œuvre de militants. Un constat froid et sans concession. Il paraît que c'est ainsi que se mange le plat de la vengeance. Aucun appel à la violence, car la violence est de l'autre côté. Ce qui ne veut pas dire que l'on se contentera de tendre l'autre joue. Qui sème le vent, récolte la tempête.

Merci à Volutes.

Damie Chad.

MOUNTAIN AGAIN

 

GO FOR YOUR LIFE

( 1985 )

 

Dix ans que Mountain n'avait fait paraître un disque. Maintenant que Felix Pappalardi n'est plus là, sans doute Leslie et Corky retrouvent-ils l'entière propriété du nom. Le disque sort le 9 mars 1985, le trente avril 1985, Gail Collins est libérée de prison... Le chevauchement de ses dates ouvre la porte à toutes les rêveries.

Mountain sans Pappalardi est-il encore Mountain ? Le titre de l'album ''Sauve ta peau'' est vraisemblablement une première réponse. L'on peut s'interroger sur le possessif '' your'' très ambigu. La phrase est-elle à interpréter comme une injonction d'ordre général que l'on traduirait par l'adage Vis ta vie ! Que chacun modulera selon sa propre philosophie existentielle : Vis ta vie à fond, tu n'en as qu'une ! , Vis ta vie et fais pas chier !... Ionesco nous a appris que même mis au placard les morts savent se rappeler au souvenir des vivants...

Leslie a bien précisé que le dernier morceau du disque est une évocation de Felix Pappalardi. Nous y reviendrons. Mais si le titre de l'album s'adresse aussi à Pappalardi, il pourrait paraître étrange de souhaiter à un mort de vivre sa vie. D'autant plus que le commentaire de Leslie quant à la pochette en laissera beaucoup perplexes.

Qui dit pochette de Mountain évoque instantanément Gail Collins. West et Corky n'ayant pas vraiment éprouvé une grande sympathie pour l'épouse qu'ils jugeaient un peu trop strombolienne et dont ils sont persuadés qu'elle a tiré sur son mari avec l'intention de nuire, il eût été de mauvais goût ( et inconcevable ) qu'ils lui demandassent de participer à l'artwork. D'ailleurs Gail y aurait-elle tenu ?

N'empêche qu'une simple photo des protagonistes derrière leurs instruments aurait été mal venue. Proposer un banal chromo aurait été une faute de goût. Alors ils se sont creusés la tête. Jusqu'à la tombe de leur ami. West est formel : le paysage représenté en contre-plongée est celui que doit apercevoir un mort du fond de sa tombe...

Et que voit-il au juste ? Pour celui qui regarde le disque, au premier regard une montagne, c'est la moindre des choses pour un groupe qui se nomme Mountain. Le titre de l'album, il faut aller le chercher. L'ont caché tout en bas. Au fond du trou. En caractère de neige un tantinet fondue. Vous savez sur le granit funéraire, les inscriptions s'effacent... Donc c'est bien un défunt que l'on encourage à vivre sa vie. Ne t'en fais pas mon vieux c'est parti pour la vie éternelle ! A croire qu'une fois que l'on est passé de l'autre côté de '' ce peu profond profond ruisseau calomnié '' disait Mallarmé, il ne reste plus qu'à se repasser les meilleurs moments de son existence, la vie trépidante de New York, l'image des plus hauts sommets que l'on a gravis... L'illustration est de Barry Jackson, il a notamment illustré pas mal d'albums de ZZ Top, a-t-il été choisi pour sa pochette réalisée en 1984 pour East Coast Offering ?

Avant de nous pencher sur le contenu de l'album je me livrerai à une interférence mienne. Une image pratiquement subliminale qui s'est imposée à mon esprit et superposée à la pochette. Pas eu de mal à la retrouver, dans ma bibliothèque, Edgar Allan Poe étant un de ces auteurs phares que j'ai beaucoup pratiqué. Elle n'est pas de la main de l'auteur du Corbeau, mais elle orne l'édition des Histoires extraordinaires parues en 1968 au Livre de Poche ( N° : 604 / 605 ). Elle n'est pas créditée mais une enquête serrée m'a permis de remonter à Pierre Faucheux, qui réalisa plus de 400 couvertures pour cette maison d'éditions. Il n'était pas tout seul, il eut jusqu'à quatorze collaborateurs, parfois il se chargeait du travail personnellement, parfois il indiquait à un ou à plusieurs dessinateurs ce qu'il voulait. Rien ne sortait de son atelier sans son aval. Pierre Faucheux révolutionna après la deuxième guerre mondiale le graphisme français. Tout lecteur émérite qui regardera le catalogue de ses réalisations n'aura pas de difficulté à reconnaître des livres qu'il aura lus ou zieutés à la devanture des librairies... Sa spécialité c'était surtout le lettrage. Il adorait les grosses lettres qui vous bouffaient la couve de tous côté. Ce qui n'est pas du tout le cas cette fois. Je n'avais d'ailleurs aucun souvenir de la disposition du titre et du nom de l''auteur, ne conservant dans ma mémoire que l'importance du dessin étendant son emprise sur toute la surface et une tache bleu-de-ciel tout en haut. Toutefois pour la discrétion du lettrage, rappelons la pâleur du titre de l'album centré au bas de l'image à l'égal de l'inscription Histoires extraodinaires.

Dans ce qui suit je ne veux surtout pas dire que Barry Jackson se serait inspiré de Pierre Faucheux. D'abord je n'en sais fichtrement rien, sur le net les Jackson ( dessinateurs ou pas ) sont aussi nombreux que les étoiles dans le ciel... Surtout parce qu'en art il n'y a pas de hasart, seulement des similitudes et qu'il existe des zones de la psyché humaine qui se recouvrent et se recoupent. Il suffit d'emprunter les mêmes pistes ombreuses propices aux songeries les plus secrètes.

Certes à vue-de-nez tout sépare ces deux artefacts, le disque évoque une montagne et le livre la mer. Gardons-nous de juger trop hâtivement. Pour qui a lu le volume, le dessin ne peut qu'illustrer la septième des treize nouvelles assemblées par Poe, intitulée Une descente dans le Maelström. Qu'elle ait été judicieusement, mathématiquement et symboliquement placée au centre ombilical du livre par le poëte ne peut faire de doute. Le Maelström n'est que le point focal et abyssal de toute destinée humaine, le vortex imagé de la mort. Celle-ci entrevue non en sa statique monumentale finalité tombale mais en tant que désastre déclinatoire existentiel absolu. Nous nous plaisons à imaginer que ces deux œuvres, celles de Faucheux et de Jackson, communiquent entre elles comme les deux extrémités d'un siphon dont le fond serait le tourbillon mortuaire de l'existence. Mais il y a mieux : le dessin est d'autant plus explicite que regardé à la lumière du texte, le Maelström géographiquement situé sur la côte norvégienne, est entouré de parois rocheuses vertigineuses. Le mouvement du regard ascendant vers la plus haute cime de Barry Jakson est à l'opposé de celui abîmal de Pierre Faucheux qui du haut des crêtes rocheuses plonge dans le tourbillon d'écume.

Mais il est temps de revenir à l'aspect sonore de notre objet...

GO FOR YOUR LIFE

Leslie West : guitars, vocal / Corky Laing : drums / Mark Clarke : bass.

Hard times : c'est Mountain et ce n'est pas Mountain. Sûr le son a évolué et ce n'est pas non plus la continuité des deux derniers disques du great Fatsby. Corky n'a pas bougé, il assure et pousse la machine. Clarke à la basse ne vous fout pas la grande claque de votre vie, se contente de suivre et de soutenir. L'on sent que les temps ont changé, que les grandes dérives orgiaques doivent respecter les bandes blanches du musicalement acceptable. Le plus surprenant est Leslie, une voix plus creuse, et une guitare qui cherche et trouve. C'est bien lui le moteur essentiel. Le morceau démarre sur des pirouettes de patins sur glace, mais ensuite l'on rentre dans le grand cadencement, tout est en place, tout ce qu'on peut attendre d'un bon groupe de hard rock vous est jeté en pâture, mais vous êtes un peu comme la chèvre de Monsieur Seguin qui aimerait regarder le grand méchant loup dans les yeux. Spark : ce n'est pas sur cette étincelle que l'on assistera à un festin de quatre-vingt brebis égorgées, le morceau ne serait pas mauvais en soi, mais nous sommes dans les tristes eigthies alors l'on a poussé les clavier d'Eric Johnson tout devant. Imaginez que faute d'avoir pu réparer les grandes orgues de Notre-Dame on les ait remplacées par un synthétiseur à cent soixante-dix-neuf euros, il manquerait quelque chose à la messe. Même Dieu refuserait d'y aller. Remarquez que la guitare de Leslie le remplace avantageusement. She loves her rock ( and she loves it hard ) : ok, d'accord elle fait cela très bien, eux aussi d'ailleurs, ça balance terrible et Leslie tout joyeux chante comme un cachalot en pâmoison. Vous prenez votre pied et du bon temps, mais ça manque un peu de vagabondage et de bondage. Bardot damage : c'est dommage, mais vous ne vous retournerez jamais sur ce titre, y a bien un flamboiement de solo sur la fin, mais enfin tout le début est quelconque. Le titre le plus faible. Z'auraient pu faire un effort pour Brigitte. Shimmy on the footligths : un peu trop de clavier anémié, dommage qu'on ne l'ait pas caché sous les guitares qui ronronnent joliment, les cadences de Ian Hunter toujours aussi agréables, mais franchement moi je me contenterais du chant de Leslie, c'est comme le cuissot de biche, pas besoin d'une garniture aux cèpes autour puisque l'on préfèrerait des bolets de Satan. I love young girls : aujourd'hui une telle proclamation vous enverrait en prison, le morceau est magnifique, Leslie minaude et vous offre de la guimauve aux pétales de roses en bouton. De sa basse Clarke susurre une moelleuse succulence des plus perverses, et Corky qui a remisé sa cloche à vaches folles vous fait le coup de sa cymbale à génisses innocentes que l'on couronne de fleurs pour un sanglant sacrifice. Makin' it in car : l'on sent que Gail n'est plus là, les gars jouent les gros machos et roulent des mécaniques. Ça remue salement, et Miller Anderson profite de la situation pour un petit solo de slide particulièrement vicieux tandis que les boys ne se retiennent plus. Babe in the woods : ils ont arrêté la bagnole pour s'amuser dans les bois. Un morceau qui roule et tourneboule tout seul. Les guitares fusent comme des giclées de sperme. Tout va bien. Little bit of insanity : soyons franc, ce n'est pas le disque du siècle. Si ce n'était pas Leslie West écouteriez-vous ce disque ? Ben oui, mille fois. Durant dix mille ans parce qu'à la fin, alors que vous ne l'attendiez plus se niche une pépite de l'or le plus pur et le plus fin. Lorsque vous lisez les trois titres qui précèdent, vous vous dites, celui-ci sera dans la continuité. Un truc de lads qui se lâchent. Mais là, un des plus beaux morceaux de Mountain. Que pratiquement personne ne connaît. Trois fois rien. Une broutille. Un chef-d'œuvre absolu. L'adieu à Felix Pappalardi. A mots couverts. Tu as juste eu la vie que tu as voulue... Va pour ta vie, la mélodie aérienne et la voix sublime résonne comme un satisfecit, un constat sans amertume, un quitus nostalgique mais sans tristesse. La simple acquiescement à un destin. Qui n'appartient qu'à toi et qu'il convient de respecter. Même si tu t'es fait avoir, même si tu as été le dernier à comprendre l'ampleur du désastre. Pris à ton propre piège. Juste un bout de folie.

La vie de Felix Pappalardi fut joyau chatoyant. Une existence que les âmes pieuses qualifieront à voix basse de bâton de chaise. Nous préférons employer la métaphore du phosphore qui délivré du liquide amniotique des habitudes et des convenances sociétales s'enflamme de lui-même à l'air libre, ou du phénix impérieux qui ne renaît pas de ses cendres. Car trop fier pour se répéter. Il fut aussi le fils exemplaire de son époque qui se peut décliner en quelques mots. Producteur éclairé, excellent bassiste, doué d'une belle voix. Il n'est pas de ceux dont on dit qu'il a côtoyé les plus grands du rock'n'roll, car il était des plus grands. Il expérimenta, ainsi disait-on à l'époque, les anneaux de feu du sexe et le tapis ordalique de la drogue. Avec Gail il forma un couple libre, mais la notion de couple n'indique-t-elle pas que l'on est déjà pris au piège de ses propres désirs. Les paradis artificiels impulsent souvent des conduites davantage artificielles que paradisiaques. Celui qui descend volontairement dans l'arène de sa propre volonté, n'est pas certain de vaincre. Sans quoi le jeu n'en vaudrait pas la chandelle. Pappalardi aimait les armes. Quand il habitait près de Nantucket, il prenait sa voiture et s'en allait tirer sur les lampadaires. Un gamin. Un peu fou. Un peu givré. Sex, drugs and rock'n'roll. Il n'a jamais prétendu à autre chose.

Cela aurait pu être un merveilleux point final pour Mountain. Le plus difficile n'a jamais été de vivre mais de survivre. Mountain sans Pappalardi... mais comment ne pas revenir sur les moments les plus intenses de sa vie. Leslie mènera sa carrière solo, mais il rajoutera encore trois opus, trois points de suspension au conte merveilleux, un peu comme ces écrivains qui à la fin de leur ouvrage répugnent à clore définitivement le dernier chapitre, car ce serait admettre que la mort a remporté la partie, qu'il n'est pas de retour possible, qu'aucune survie n'est envisageable, ils laissent entendre grâce à ces trois minuscules gouttes d'encre que l'histoire terminée ne s'achève jamais. Dans leur tête ou celle de leurs lecteurs. Il est des tombes qui ont du mal à se refermer. Surtout pour ceux qui n'y sont pas confinés. Ou des blessures que l'on rouvre exprès, parce que se faire du mal c'est encore vivre intensément.

*

Dix ans s'écouleront avant la parution d'un nouvel album. Avant de ranimer la brûlure de la flamme.

Ce disque paraît alors que l'on attendait un trio de rêve. Sur le papier. Leslie à la guitare, Corky à la batterie et cadeau de Noël, Redding à la basse ! Une expérience qui ratera. West aurait-il un mauvais caractère ? Ne le répétez pas, les témoignages concordent, il semble que oui. Bref, il ne reste plus qu'à réembaucher Mark Clarke. Un témoin de la naissance du british boom à Liverpool qui se retrouvera à jouer de la basse avec Colosseum et puis avec Huriah Heep un groupe un peu oublié et que j'adore, et aussi avec Rainbow....

MAN'S WORLD

( 1996 )

Leslie West : guitars, vocal / Corky Laing : drums / Mark Clarke : bass.

Une belle pochette et un beau livret. Qu'exiger de plus ! Oui le sais, Gail Collins, s'il vous plaît ne demandez pas l'impossible.

In your face : la guitare de Leslie bourdonne comme un xylocope enivré de pollen, z'auriez presque envie de vous laisser bercer et de de vous endormir, funeste erreur d'appréciation, z'avez le vocal qui vous attaque, un véritable essaim de moustiques tigres qui ont décidé de vous darder de mille piqûres pour s'amuser de vos cris de douleurs, sur ce Corky fait du bruit pour que personne ne remarque le traitement qu'ils vous infligent et Mark vous enduit d'une couche d'ambre solaire empoisonnée. Nobody gonna steal my thunder : un homme averti en vaut deux, mais combien vous trouvez agaçante ce ton d'arrogance teintée d'ironie, surtout quand ils y vont la bouche en chœur. Ils ont la niaque et ils vous niquent en beauté. Vous vous consolez en vous disant qu'ils ne vous y reprendront pas deux fois. Mais sur ce coup ils vous ont bien eu. This is a man's world : c'est aussi beau que du James Brown, faut avoir un sacré culot pour s'attaquer à un tel monument, c'est un peu vouloir bâtir une deuxième tour Eiffel en face du joujou à Gustave, et vous réussissez à en construire une plus haute, c'est que voyez-vous j'ai toujours été déçu par la fin du morceau de Brown qui se retrouve trop brutalement écourté à la fin du sillon vinylique, vous êtes comme le chien à qui le maître retire de sa gueule son meilleur os à moelle, Mountain ils vous le terminent en pente douce, et avant vous avez de ces contreforts si massifs qu'il vous semble que l'on a réuni ensemble tous les orchestres qui se sont succédés à l'Apollo Theater depuis un demi-siècle. So fine : porte bien son titre, une espèce de country-rock de toute finesse, la guitare de Leslie qui se marche dessus, sa voix des plus expressives, qui mord pour aussitôt relâcher la pression, le genre de babiole que vous prenez pour du plastique mais qui se révèle être un bracelet en peau d'iguane incrustée de diamants taillés par Praxitèle. Hotel happiness : un petit blues pour revenir aux choses sérieuses, Corky vous refile de ses splashs à croire qu'il se prend pour le premier moutardier du pape, un piano s'en vient nous jouer sa rengaine assoiffée de malheur, la voix de Leslie surfe si maladivement que vous en oubliez d'écouter sa guitare ( lamentable erreur ) et Mark Clarke vous passe en douce des coupes d'hydromel ciselées pour que vous les remplissiez de vos larmes. I'm sorry : un truc habituel chez Mountain, après vous avoir filé les morpions du blues, ils vous rejouent la même tragédie, en plus dramatique, musique emphatique, voix désespérée de ténor italien qui menace de suicider à la fin de l'acte II. I look ( power mix ) : miraculeux, le son d'une vieille piste de Mountain, sans Pappalardi certes, mais Eddie Black le remplace au vocal, Leslie concentré presse le citron de sa guitare pour produire ces plissements hercyniens dignes de Nantucket Sleighride, de bons souvenirs pour Corky qui rejoue avec trente ans de moins dans les épaules, quant à Clarke il se croit dans West, Laing & surtout Bruce. Is that okay ? : après le prodige qu'ils viennent d'accomplir, se la jouent cool et léger. Tout gentil. Genre folk-rock pour séduire les jeunes filles, Clarke essaie de marcher sur la pointe des pieds mais l'on dirait un homme-grenouille qui fait claquer ses palmes un peu trop fort sur le goudron de l'auto-route. Crest of a slump : soyons sérieux quittons les basses plaine du far-west pour grimper les hauteurs encombrées de pumas affamés des montagnes rocheuses. Guitare grondante tout le bataclan qui va avec. Saint Heavy ayez pitié de nous ! You'll never walk alone : le ticket gagnant ! Peu original, mais ô combien efficace, West vous l'expédie à l'acoustique, c'est beau à pleurer, vous en mangeriez en pâte à dentifrice. I look ( hit mix ) : vous resservent une part du gâteau, vous n'êtes pas obligé de me croire mais la première est de loin supérieure. Celle-ci trop grand public. Le seul avantage l'on entend mieux Corky, crème chantilly régalienne !

*

Une éternité avant que ne paraisse le suivant. Mountain est un petit vendeur de disques, le groupe se rattrape sur les tournées. Il est désormais beaucoup plus apprécié par le public européen qu'américain.

MYSTIC FIRE

( 2002 )

Leslie West : guitars, vocal / Corky Laing : drums / Chuck Hearne : bass sur 1 et 9 / Ritchie Scarlet : bass /

Immortal : [ dans la série return to the sender le titre est repris à Clutch qui l'année précédente l'avait pompé à... Mountain ( Baby I'm down ) ] : ce qui est marrant c'est que Mountain sonne davantage metal que Cluth dont les parties de guitare baignent dans l'orthodoxie heavy la plus classique. Un titre pas vraiment immortel. Mystic Fire : beaucoup mieux. La basse de Chuck Hearne mène le bal des ardents. Mais l'ensemble promet plus qu'il ne donne. Bien en place, bien fait. Dans le même genre, fausse mystique de pacotille, Huriah Heep était plus crédible. Fever : l'interprétation de Peggy Lee nous a donné des montées de fièvre adolescentes, est-ce un manque d'imagination qui a poussé Leslie à reprendre ce classique. Qui colle mieux à une sensualité pro-jazz qu'à une sexualité rock. Une curiosité. Dont on pourrait se passer. The sea : Corky martèle l'intro au trot, et l'on part en balade pour une jolie ballade, le paysage est sympathique mais Mountain nous a habitués à des escarpements plus pentus. Certes l'on prend de la hauteur petit à petit. A coteaux tirés sur la fin, mais l'on s'arrête avant le premier sang. Mutant X : mutation des plus acceptables, entre Mountain fait du Mountain et Mountain essaie de se renouveler, la différence n'est pas bien grande. Corky et Leslie s'amusent comme des grands dans la cour de récréation, n'impressionnent que les plus petits sortis de l'œuf sans le casser. Better off with the blues : rien de tel qu'un blues pour reprendre pieds sur la terre ferme. Instruments en sourdine et la gorge de Leslie en bleu sombre. Après quoi on lâche le troupeau en liberté dans les alpages. Désolé de le constater, cela ressemble trop à une imitation de Led Zeppe. En moins choc. En moins chic. Mountain express ( oh boy ) : l'on tire un peu sur le chewing-gum. Manque d'imagination. Recyclage de tous les poncifs. M'étonnerait que beaucoup de monde se soit tranché la gorge de joie à l'écoute de ce morceau. Marble peach / rotten peach : le seul morceau du disque qui pour le moment nous satisfasse, Leslie gueule comme un poissard qui aurait douze pintes de trop dans sa bedaine, et les deux autres lui emboîtent la pas comme un régiment qui démarre au grand galop, Corky et Chuck mettent en marche la section rythmique, en avant toute, enfin un groupe qui joue pour le plaisir. Johnny comes marching home : petit air militaire mon général, absolutely un morceau de la Civil War pas particulièrement belliqueux puisque les paroles espéraient la fin des combats et que chacun regagnât son chez soi au plus vite. Instrumental, Corky a pris la direction des opérations. Nantucket sleighride ( redux) : reprise d'un des plus célèbres hits de Mountain, sans Pappalardi, mais Corky a imaginé une nouvelle orchestration, avec Richie Scarlet à la basse, Erik Wendelken à la contrebasse, Dacid Polan au violon, l'ensemble sonne bien sans oser donner dans l'avant-garde. Avec quarante pour cent de reprises sur l'album, l'on peut se poser la question de sa nécessité existentielle... Peu convaincant.

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Le dernier opus du groupe ne cherche plus à donner le change. Douze morceaux, douze reprises. Ne sont pas allés chercher la rareté, piquent dans le connu, mais l'on reste surpris du choix : Bob Dylan !

MASTER OF WARS

( 2007 )

Leslie West : production, guitar, vocals / Corky Laing : drums / Kenny AaransonRichie Scarlet : bass / Brian Mitchell : piano, orgue, accordéon / Todd Wolfe : Rhyihm guitar/

Masters of war : si vous avez la version de Dylan dans l'oreille vous sentirez la différence. Elle est sur Freewheelin' ( la pochette avec Suze Rotolo ), oubliez la sèche maigrelette et monotone, ici du gras humidifié aux 50 000 volts électriques. En plus c'est Ozzy Osbourne de Black Sabbath qui se charge du vocal. Pas photo entre l'uniformité grise du chant et la monotonie de la guitare du Zimerman et la superproduction couleur quadriphonique mise en scène par Mountain. La guerre avec Dylan c'est fusil à fléchettes quand Corky l'artilleur doome à mort sur batterie. Perso, je trouve les deux versions aussi ennuyantes l'une que l'autre. Serve somebody : dix-huit ans plus tard sur l'album Slow train coming, le Zim est passé à l'électrique depuis longtemps, tout de suite beaucoup plus écoutable pour nos chastes oreilles de rockers, un maximum d'ironie rehaussée par les chœurs féminins dans le phrasé de Bobby. Leslie se montre plus nettement accusateur, met les poings sur les I du vocal, à la guitare Warren Haynes le soutient manu militari. Blowin' in the wind : désolé mais Leslie au chant même à l'acoustique il arrache les poteaux électriques, rien à voir avec Hugues Aufray, surtout qu'après ils vous la font et vous la fondent metal colérique. Genre je remue mon demi-sucre dans mon thé au marteau pilon. Highway revisited comme dirait l'autre. Everything is broken : il y en a qui adorent tout casser et qui en plus se débrouillent pour faire un maximum de bruit. Je ne citerai pas de nom pour ne pas leur attirer des ennuis, la police n'aime pas les casseurs. En plus ils ont une excuse, je connais une version live de Dylan, la voix un peu rachitique certes, mais un guitariste qui joue à la Link Wray. C'est vai, je le jure. Highway 61 revisited : c'est le Dylan que l'on aime il chante comme il crache alors que les punks cracheront en oubliant de chanter. Vous avez la guitare de Leslie qui barrit comme un éléphant, pour le vocal, il ne crache pas, il hache sec, et derrière Corky vous réduit le steak tartare en poussière. Original. Pas significatif pour autant. This heart of mine : sur l'album Shot of love de 1981. Dylan le joli cœur se fait doubler sur sa droite ou sur sa gauche. ( Cette chanson n'est guère politique ). Faut le reconnaître sur ce titre Leslie enfonce Bobby, vous traite le balladif an mode bluesy, l'est irrésistible, vous prend par les sentiments. Réussit le tour de force d'être mille fois plus folk-country que Dylan. Subterrean homesick blues : une des plus belles et des plus mythiques de Zim, de l'album Bringing it all back home. Bobby aligne salement le vocal sans parler de cet harmonica qui ressemble à une crêpe que la poêle ne rattrapera jamais. Un beau challenge, y mettent toute leur hargne, en voiture pour le tohu-bohu, ces mecs là ils vous écraseraient un éléphant avec une mouche. Vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à écouter. The times are A-changing : le Dylan avec sa voix de teigne maladive qui tente de pénétrer dans votre cervelle et son harmonica qui vous arrache la peau des doigts. Plus folk, tu meurs. Alors Leslie vous la fait gospel, plus preacher que moi tu ne trouveras pas. Et il a raison. L'a rajouté un piano et une guitare ( Warren Haynes ) qui fait des glissandi d'harmonium. Frère Leslie touche notre âme et nous lui rendons grâce, nettement plus persuasif que le jeune homme en colère. Seven days : je découvre, chansonnette issue du Bootleg série 18 de 1991. Un petit country sans prétention joliment orchestré. Une belle occasion pour nos derniers mohicans d'envoyer la sauce. Trop de béchamel, toute rustique qu'elle soit la version de Dylan enregistrée en 1976, respecte mieux la saveur des aliments. Dommage qu'ils n'aient pas donné au début du morceau l'impulsion qu'ils lui octroient sur la fin. Mr tambourine man : oubliez la version des Byrds, Corky prend un malin plaisir à la concasser. Leslie vous vomit le vocal à pleins seaux. Finies les harmonies enchanteresses des petits oiseaux. La simplicité et la pureté de la version Dylan plane à cent mille coudées au-dessus de ce massacre. Like a rolling stone : sans pitié sans complexe, vous la font pratiquement en rap, Corky tout seul qui congaïse à mort à s'en mordre les doigts, le vocal à la Last Poet. En réécoutant Dylan me suis dit que l'orgue datait un peu, mais au moins il sonne d'époque, là c'est un peu le truc froidement calculé pour surprendre son monde. Arôme artificiel qui dégage davantage un goût de chimie qu'un fumet naturel à la fraise sauvage.

L'album n'est pas mauvais. Il y a même deux ou trois réussites splendides. Le problème c'est que ce genre d'entreprise n'apporte rien à personne. Ni à Dylan ( qui s'en fout royalement ) ni à Mountain qui pour son dernier album laisse les fans le bec dans l'eau.

*

L'on ne va pas se quitter comme cela. Un petit dernier pour la route : en public, en première partie de Deep Purple,

LIVE IN PARIS 1985

( DVD )

Leslie West : guitare / Corky Laing : drums . Marck Clarke : basse, synthétiseur.

Le son et l'image, concert parisien ( 08 / 07 / 1985 ) enregistré pour la télévision allemande. Nos trois gaillards seuls sur scène. Pas le grand barnum. Un rock spartiate qui tranche avec le spectaculaire déploiement des grands groupes qui font dans la surenchère visuelle, pas de feux d'artifice multicolores, pas de locomotive qui déboule dans la salle, réglée au millimètre près pour ne pas écraser un seul spectateur. Rock spartiate.

Why dontcha : noir total tandis que résonne l'intro dévastatrice, la caméra se fixe principalement sur Leslie, je n'ose pas dire qu'il a grossi, mais avec sa tignasse ébouriffée et ses rouflaquettes qui lui bouffent les pommettes, l'a un peu l'air du beauf du dimanche qui s'en va faire du bois pour passer le temps, Corky le temps d'un éclair et Clarke que l'on voir encore mal mais que l'on entend très bien dès qu'il plante ses doigts dans le cordier, le gars n'est manifestement pas venu pour arroser les fleurs en pot, on les sent tous les trois rentre-dedans, des piles bourrées d'énergie qui ne demandent qu'à se vider. Ce soir c'est rock'n'roll sous purple sunlights entrecoupés de flaques verdâtres. Des lumières qui ne flattent pas l'œil. West rugit dans le micro et se déplace sur scène avec cette placide désinvolture impavide d'un ruminant qui s'en va voir si trois mètres plus loin le touffe d'herbe n'est pas meilleure. Beau plan latéral qui permet de voir Corky au travail, fait partie de ses batteurs dont je dis qu'ils frappent avec leurs coudes mais avec cette particularité de prendre les choses de haut. Economie de moyens, redoutable. Avant d'écouter Leslie, admirez sa moustache qui fait tache et pistache à la fois, le même son que celui de Go four your life, plus compressé et davantage rase-moquette que celui des premiers Mountain, la modernité est passé par là diront les vieux grincheux qui s'accrochent à leurs rêves, parce qu'avant c'était mieux et que le présent dérange l'ordre établi du monde. Imposant le Leslie dans son espèce de fausse drape jacket qui doit sortir des invendus du marché aux Puces, tient sa guitare zigzaguante dans ses mains de géant comme un jouet de pacotille et vous donne l'illusion qu'il pourrait en jouer sans problème durant quarante-huit heures d'affilée sans y penser, comme un gône qui sort de l'école en mastiquant le malabar qu'il avait déjà en sa bouche au matin sous la douche. Never in my life : bonsoir Paris, et tout de suite la démonstration de tout ce que vous ne saurez jamais faire avec vos dix doigts, ce n'est même pas de l'aisance, une espèce de je-m'en-foutisme révoltant. Même pas besoin de fermer les yeux ou de tourner le tournebroche derrière sa nuque, voire de mordre le cordier, trop facile, Leslie ne connaît pas le mot frime. Il est comme vous qui caressez en mode automatique votre chat couché sur vos genoux. Pas comme Clarke qui joue de la basse, un véritable gaminos qui ne tient pas en place et mime sa mort trente fois de suite pour épater les copains. Attention l'instant spécial-fans, se tirent le mou tous les trois, et hop Corky se transforme en ballerine d'aquarium géant, lance à plusieurs reprises une baguette à l'orque West qui la rattrape au vol et la rejette au public. Theme for an imaginary western : quelques mots magiques '' rock'n'roll to-night'' et nos trois lascars déroulent la péloche d'un ancien western tourné il y a presque un demi-siècle. Clarke est passé derrière le synthé et c'est lui qui se charge du vocal, grandiloquence assurée, ce doit être un western écologique, la foule ondule, pas d'indiens cruels, pas de règlements de compte sanglants, pas de meurtres odieux, Corky se démène, ressemble à Furtwangler dirigeant la neuvième de Beethoven, c'est dire qu'il ne se repose pas, West de temps en temps prend un couplet et remonte son vibrator pour effiler ses notes afin d'instiller en votre âme percée de piqûres d'abeilles une mélancolie sans retour à tel point que Corky fait semblant de jouer du violon avec ses deux baguettes. Ruissellement terminal de notes. Spark : morceau tiré de Go for your life. Commence bien, bonne rasade de Leslie, et tout se déglingue lorsque Clarke n'en finit pas d'émailler le titre de la ferblanterie de son synthé pas du tout attiseur qui gâche tout. Sans ces carillonnages de camion de pompier ce serait bien, mais avec des si on mettrait un Live in Paris en bouteilles millésimées. A la limite, il vaut mieux couper le son et les regarder jouer... Belle intro de Leslie sur Nantucket sleighride : Clarke a repris sa basse ( ouf ! ), l'on aborde l'acmé du concert, pratiquement un solo d'entrée, et lorsque il chante le tout début des lyrics, Goodbye, little Robin Marie, Don't try following me immédiatement suivi d'un riff insane que l'on reconnaît entre tous, l'on sent West remué, remue d'ailleurs comme un ours qui arpente sa courte cage et qui inévitablement est arrêté par les barreaux, s'empare d'une cymbale qu'il jette sur Corky, reprend le chant comme si rien n'était And I know you are the last true love I'll ever meet, et là résonne à nouveau le riff de A little bit of insanity, n'ira pas très loin dans les paroles, Corky ricane dans son coin, intensités, frictions et passions, les fantômes de Felix et Gail ne font que passer, et le groupe s'envole dans un de ces longs passages instrumentaux qui firent la gloire de Mountain, éblouissance absolue. Mississippi Queen : les gosses s'amusent. Avec de vieux cartons ils ont traficoté une grosse cloche à vaches sur laquelle Corky s'amuse à faire semblant de cogner avec le bâton de Sganarelle, en vérité c'est Clarke qui frappe sur un véritable instrument, la mascarade carnavalesque a assez duré, Leslie renverse l'artefarce cowbellesque et tous trois regagnent leur place pour un final bien envoyé mais pas vraiment apocalyptique. Presque l'on aurait envie de leur sonner les cloches. A dinosaures. Mais que voulez-vous, la montagne est parfois aride. Le public exulte. Qui oserait mégoter sur cinquante minutes de brocknheur.

*

Avez-vous remarqué au dos de la pochette de Masters of wars, dans le coin gauche, le personnage féminin armé... N'allez pas en faire une montagne.

Damie Chad.

04/12/2019

KR'TNT ! 441 : MUDDY GURDY / CEDRIC BURNSIDE / JAKE CALYPSO + MYSTERY TRAIN +HOT CHICKENS / TOXXIC QUEEN / BURNING DEAD / WILD / VOLUTES / CRASHBIRDS / SO LUNE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 441

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

05 / 12 / 2019

 

MUDDY GURDY / CEDRIC BURNSIDE

JAKE CALYPSO + MYSTERY TRAIN + HOT CHICKENS

TOXXIC QUEEN / BURNING DEAD / WILD

VOLUTES / CRASHBIRDS / SO LUNE

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Cedric a la trique

- Part Three

 

Voilà ce qu’on appelle un plateau d’argent : Muddy Gurdy suivi de Cedric Burnside. Ils sont pourtant venus jouer en Normandie au début de l’année, mais si on revient les voir, c’est précisément parce qu’il faut revenir les voir. Dire combien ils sont bons n’est pas chose facile. Tia Muddy Gurdy et Cedric Boom Boom Burnside brûlent d’un feu sacré qui s’appelle le blues, the real one, celui de la région de Como, Mississippi, ce coin paumé où rôdent encore les esprits de Fred McDowell, de Junior Kimbrough et du grand-père de Cedric, Rural Burnside, comme l’appelait Tav Falco. Tia Muddy Gurdy vient d’Auvergne, mais elle est allée faire un stage là-bas, comme on l’a dit dans un Part One ou un Part Two, et avec ses deux collègues auvergnats, elle y a enregistré son fantastique album avec tous les descendants des légendes pré-citées, notamment Cedric Burnside, Shardé Thomas, petite fille d’Otha Turner, et Cameron Kimbrough, petit-fils de Junior Kimbrough. Ça fait du bien d’enfoncer les mêmes vieux clous, on a l’impression d’œuvrer pour une bonne cause, même si on sait au fond de soi que ça ne sert à rien. Il n’y avait pas vraiment foule au concert, Cedric Burnside et Tia Muddy Gurdy ne remplissent pas autant les salles que le font les petits artistes electro-pop à la mode. Le problème vient peut-être du fait que Cedric et Tia proposent un son destiné aux connaisseurs. L’aspect pour le moins primitif de ce son peut dérouter les gens. On en a vu deux à la sortie qui semblaient consternés, le plus petit des deux allant même jusqu’à dire : «Bah y font toujours la même chose !»

On ne doit pas avoir les mêmes oreilles, car dans les deux cas, Muddy Gurdy comme Cedric Burnside, la palette de sons est extrêmement riche et variée, même dans un contexte aussi primitif. Tia Gouttebel portait ce soir-là une petite robe noire et proposait sensiblement le même répertoire que celui du mois de février, un choix de cuts haut de gamme qu’on retrouve d’ailleurs sur son album : «She Wolf» de Jessie Mae Hemphill, «See My Jumper Hanging On The Line» de R.L. Burnside, le gospel batch de «Glory Glory Hallelujah» et puis cet exercice de haute voltige consistant à reprendre «Down In Mississippi» de JB Lenoir, l’un des fleurons de l’intouchabilité des choses. Tia en fait un truc à elle, mais elle perd au passage de charme chaud de la voix du grand JB. Ça reste néanmoins un plaisir que de voir Tia gratter sa gratte au picking demented, elle parvient à enrichir son jeu en grattant du pouce et des trois doigts, semant dans son sillage des nuées de ding-a-ling effervescents. Elle joue avec cette petite rage bien combinée, on sent qu’un feu la dévore, elle s’immerge complètement dans son son et rejoint par la bande l’esprit chamanique du North Mississipi Hill Country Blues. Chacune de ses notes est une preuve de purisme, elle nous emmène aux antipodes du Chicago Blues souvent basé sur le m’as-tu-vu et revient à ce que les Anglais appellent l’inherent, c’est-à-dire l’intrinsèque, l’esprit même du blues à peine débarqué d’Afrique, cet esprit hypnotique basé sur un mélange sacré, ou un sacré mélange, c’est comme tu préfères, la perte des racines et la connaissance instinctive des distances, celles des déserts et de la savane, la brousse n’est-elle pas la même au Sénégal que dans le Mississippi ? Les animaux sauvages n’y sont-ils pas les mêmes ? Bien sûr que si : le lion tue aussi sûrement que le blanc dégénéré. Tia Gouttebel re-connecte avec cette fusion des dimensions, elle développe dans son son cette intelligence sauvage qui te permet, si tu es noir, de jouer du blues quand ta vie est baisée. Elle renoue avec cette beauté venue du fond des âges via les bateaux négriers, toute cette culture de la contemplation transformée par le pire commerce qui ait jamais existé sur cette terre, la traite des nègres. Il est essentiel d’avoir tout ça bien présent à l’esprit quand on écoute Tia jouer ce type de blues, même si elle est blanche. Mais c’est peut-être parce qu’elle est blanche qu’elle passe comme une lettre à la poste, de la même façon que Mike Bloomfield ou Peter Green, ces gens atteignent des niveaux artistiques qui les autorisent à fondre les concepts dans un moule pour les transcender. Tia Gouttebel détient ce pouvoir, elle ne cherche pas à étendre son répertoire, elle se contente de sonner juste. Épouvantablement juste. En plus, elle dispose de l’atout fatal : la voix. Elle peut rendre hommage à cette reine de la nuit que fut Jessie Mae Hemphill, qui rappelle-t-elle, ne sortait jamais sans son petit chien et son flingue. On est à Cléon, à deux pas de l’usine Renault, mais Tia nous expédie dans une autre réalité, ou pour être plus précis, nous donne une toute petite idée de ce que serait cette autre réalité. Sachez par exemple que Jessie Mae Hemphill vivait à la fin de sa vie dans une caravane et si tu frappais à la porte, tu avais intérêt à ne pas rester devant, car elle tirait des coups de fusil à travers cette porte. Tav Falco savait où se trouvait la caravane et il prenait sa moto pour aller rendre visite à Jessie Mae qu’il vénérait. C’est tout simplement miraculeux qu’une personne en France ait l’idée de rendre hommage à une artiste aussi fondamentale que Jessie Mae Hemphill. Mais aussi à Otha Turner dont elle reprend le «Station Blues». Souvenons-nous que Jim Dickinson transforma le vieil Otha en Dionysos pour le célébrer. Dommage que Tia ne s’étende pas davantage sur JB Lenoir quand elle annonce «Down In Mississippi», car JB dit des choses assez graves sur le Mississippi, comme d’ailleurs Andre Williams dans «Mississippi & Joliet», c’est un endroit où les gens n’aiment pas beaucoup les nègres. Avec «Down In Mississippi», JB Lenoir revient sur le thème qui l’obsède : la chasse aux nègres - They had a huntin’ season on a rabbit/ If you shoot him you went to jail/ The season was always open on me/ Nobody needed no bail - Quand vous reverrez le Mississippi Burning d’Alan Parker, vous comprendrez ce que JB voulait dire par «chasse aux nègres». Il est essentiel de préciser que JB Lenoir fut l’un des militants noirs les plus engagés contre le racisme prédatoire du Deep South.

Cedric Burnside a de la veine d’avoir une gonzesse comme Tia en première partie. Quand il arrive sur scène, la salle est chauffée, l’ambiance bien palpable. Comme il le fit en début d’année, Cedric démarre son set assis. Il claque quat’ cuts à coups d’acou et s’il devient très vite spectaculaire, c’est parce qu’il fluidifie de plus en plus son jeu, accompagnant chaque note d’un mouvement de tête assez sec. Il joue un blues âpre et beau, très physique, très fascinant. Il joue comme Tia, au picking demented, avec une main droite posée en cloche au dessus du chevalet, cling clang tchak a-cling clong, il taille des passages rudimentaires dans l’infinitude des possibilités du blues d’accords ouverts, et finit toujours par retomber sur ses pattes en traficotant des figures de style extrêmement tintantes. Il fait claquer toutes ses notes comme s’il traquait la moindre résonance, il clic-claque comme un one-man magic band de Circumstances, mais comme si cela ne suffisait pas, il fait le show avec une ferveur qu’il tempère magistralement par des éclats de rire. Cedric Bursnide n’arrive même pas à se prendre au sérieux. Il faut voir ce cirque : chaque fois qu’il sort vainqueur d’une transition aventureuse, il se marre comme un bossu. C’est l’apanage négroïde, la candeur définitive. Il a bien compris qu’en France les gens ne comprenaient pas l’Anglais, aussi rationne-t-il ses histoires intermédiaires de manière drastique. Terminé les histoires drôles du grand-père qui l’envoie chercher une fiancée. L’animal se contente de well-well-weller comme son grand-père et de dire aux people qu’il est vraiment très content d’être là sur scène. Fantastique personnage, il donne des leçons de présence, il est d’une intensité qui pourrait servir de modèle à tous les artistes, surtout ceux qui ne savent pas communiquer avec un public. À la fin du set acou, il se lève, vire la chaise et branche l’une de ses deux guitares électriques. Un petit gros à la peau blanche le rejoint sur scène et se met à l’affût derrière les fûts. Alors Cedric entame son pèlerinage au pays du North Mississippi Hill Country blues, hard-pickening de plus belle sur sa gratte et s’il récupère quelques nouveaux disciples en route, il pourra, comme Jésus le fit sans doute jadis, se féliciter de n’avoir pas perdu son temps. Non pas que ce blues revête une dimension religieuse, n’exagérons tout de même pas, mais il apparaît pourtant assez clairement que le personnage de Cedric Burnside relève d’une réelle forme de spiritualité, ne serait-ce que par l’infaillibilité de son mode de transmission. Il s’inscrit dans une lignée, mais il ne s’inscrit pas seulement des mains et de la glotte, il s’inscrit de tout son corps. C’est sa façon d’être physique, il joue de toutes les forces de son corps de petit nègre et se sent porteur d’une tradition venue du fond des âges. Il arrive que certains artistes dépassent les espérances du Cap de Bonne Espérance, et Cedric Burnside en fait partie, mais en toute modestie. Il vit chaque instant de son blues, multipliant les mimiques, il est tour à tour le forçat du chain-gang avec le menton pointé vers l’avant, le pasteur aux yeux clos entré en osmose avec le cosmos de son église en bois, le black rigolard qui ne pense qu’à la rigolade et aux parties de dés, le blues shouter décidé à bouffer le cul d’une grosse salope blanche, mais dans son regard éclate parfois cette particule de rage qui évoque Nat Turner, le chef de la révolte sanglante de Southampton, en Virginie. Il est aussi le crack des culs de basse fosse et donne du souci aux garagistes quand il décide de casser la baraque avec «We Made It» ou encore «Typical Day», l’irrésistible occasion de sortir le plus gros beat du Mississippi pour défoncer la rondelle des annales, surtout celles d’Alan Lomax. Aw fuck, comme ce blues et vivant, ça n’a rien à faire avec les objets de musée que voulait en faire Lomax. Cedric Burnside est un arbre de vie symboliquement replanté sur un continent hostile et dramatiquement matérialiste, mais c’est un arbre de vie qui dégouline d’esprit séculaire et de sève, il suffit de voir ce mec et sa guitare pour le comprendre. Pour comprendre aussi que TOUT le rock vient de là et du gospel des Como Mamas qui comme par hasard viennent du même coin. Como, comme Commotion ! C’mon ! Cedric Burnside ressort aussi sa vieille débinade de no way out, «I’m Hurting», ça s’enrage tout seul, pas besoin de discours, tu prends ce beat en plein gueule, ça ronfle sous cette bayadère qui rime si richement avec débarcadère, vas-y secoue tes chaînes, Soul ta couenne, blues ton cul, il se marre à voir trembler les colonnes du temple des patrons blancs. On est tellement ravi de voir enfin un vrai géant. Il tient tête au monde, sans la moindre trace d’arrogance, par la seule force de son génie black. Il va ensuite plonger le museau de la Traverse dans un cloaque de heavyness avec un fan-tas-tique «Death Bell Blues» tiré de ce dernier album qu’on n’en finit plus de réécouter, Benton County Relic. Tiens, on donne cent albums de garage en échange d’un seul Benton ! Gimme the trique !

Signé : Cazengler, la burne

Muddy Gurdy/Cedric Burnside. La Traverse. Cléon (76). 9 novembre 2019

Pour mémoire :

Muddy Gurdy. Vizztone Label Group 2018

Cedric Burnside. Benton County Relic. Single Lock Records 2018

 

Hit the road Jake

- Part Two

Ce serait commettre une grave erreur que de faire l’impasse sur les vieux coucous de Jake, à commencer par les deux albums de Mystery Train.

Cheers Cheers Rock’n’Roll date de 1994 et tient rudement bien la toute. Jake nous fait le coup du big rumble de basse dès le morceau titre et nous pond un rockab cryptique sourd comme un pot. Tout sur cet album est gratté sec et slappé du beignet dans les règles de l’art. Ces Trains fous nous boppent «My Baby Runs Away» à la folie Méricourt, celle qui court toute seule - You tell me why/ Wouahhh - Ils savent allumer un brasero, Jake fait du wouahhh et ça vire sale rockab bon a rien qu’a jamais vu un peigne et qu’est méchant comme une teigne, let’s go cat rock, aooh ah ooh ! Wolf in the bag ! Avec «Hot Sexual Fret», Jake va plus sur les roots, il va même en devenir l’expert numéro un, certainement le meilleur en Europe. Il y va, on se croirait dans l’Arkansas, en 56. Ils savent créer cette magie. S’ensuit un bel hommage à Gégène avec un «Blue Jean Bop» rebondi à l’extrême et saqué au sec de caisse claire. On voit bien qu’ils le vénèrent pour le jouer aussi bien. On trouve aussi une cover de «Brand New Cadillac» assez gonflée. Jake va sur le Vince, soutenu par un bassmatic sourd et pénétrant. On a là l’admirable restitution d’un hit que Roger Armstrong d’Ace considère comme le plus grand hit jamais sorti en Angleterre. Back to the wild rockab avec «Love Me More». Slap devant toutes ! On se croirait chez Lew Williams et ce démon de Jake ramène sa fraise en plein slap-and-burn. Il n’existe rien d’aussi parfait que ce pulsatif rockab. Ils terminent avec une furieuse reprise du «Rock ‘n’ Roll» de Led Zep. Ils l’embarquent au wild beat et Jake devient fou. Les Stray Cats devraient écouter ça et prendre des notes. Jake montre non pas le chemin de Compostelle mais celui de la démesure.

L’année suivante paraît Crazy Young & Wild, et sa pochette motorbike. On voit Jake chevaucher une Norton, comme Tav Falco. Mais bon, on n’est pas là pour les motos, cet album est tellement bourré de merveilles qu’il faut absolument essayer de l’arracher à l’oubli. Ceci dit, l’album n’est pas facile à trouver, mais pour rester positif, disons qu’avec les outils dont on dispose aujourd’hui, c’est plus facile qu’avant. Premier coup de Jarnac avec «Little Rocker», embarqué au swing de pompe manouche. Pour les amateurs de jumping jive, c’est le paradis. Ils enchaînent avec un sacré clin d’œil à John Lee Hooker, «Everybody Rockin’ Blues». «In The Dark» boucle l’A et sonne très Stray Cats, avec le slap dans le collimateur du mix. On pourrait appeler ça une incroyable métamorphose. Retour au swing en B avec «Baby Mean». Ce sont les compos de Philippe Nowak qui swinguent. Il penche plus pour la pompe manouche. On tombe plus loin sur une excellente reprise de «Born To Be Wild». Jake et ses deux amis swinguent la couenne du vieux Steppenwolf. Le rumble de slap et les coups d’harmo touillent bien la fournaise. Ils filent à 100 à l’heure dans les «Dark Streets Of London», un cut d’allure très Stray Cats lui aussi. N’oublions pas de saluer bien bas le «Drives Up To The Moon» monté sur un joli drive de reins et bombardé aux ah ah ah et aux ouh-hii. Jake fournit tout le slap pendant le solo de bonne clairette. Ça pue l’enthousiasme à dix kilomètres à la ronde. Quant au morceau titre, disons qu’il s’inscrit dans la veine de Gene Vincent et du heavy jive de biker.

Retour aux Hot Chickens avec cet excellent Drunk Dirty & Damned paru en 2004. Et quand on dit excellent, on est encore à des centaines de kilomètres de la réalité. Jake dédie cet album à son poto Patrick Leblond. Au dos du digi, on peut voir Jake porter un T-shirt Motörhead sous son perfecto. Ça en dit long sur son ouverture d’esprit et la finesse de son bec fin. Ils attaquent avec un «Long Black Boots» assez punkoïde, taillé à la cisaille et qui déboule à fantastique allure. Les canards boiteux ont bien compris qu’il faut aller se planquer vite fait. Après quelques exercices de cavalcade insensée marinés de cocote sauvage et d’overblowing de blast («A Rocking Soldier» et «B-Side Baby»), ils s’offrent quelques minutes de répit avec «My Baby’s Hotter Than A Vindaloo». Le cut sonne comme un havre de paix, illuminé par un solo merveilleux de clairvoyance. Il se passe des choses extraordinaires sur cet album, il faut vraiment rester sur ses gardes. On ne s’y attend pas et soudain, «Cruel Lou» nous tombe sur la gueule. Pouf ! Jake stompe la couenne du cut avec la hargne d’un Captain Beefheart mal embouché. Avec deux fois rien, il parvient à bricoler un coup de génie. Il faut entendre le drive de basse traverser le riffing ! Avant eux, personne n’y a pensé, même pas les Anglais. Jake nous refait une entourloupe un peu plus loin avec «Long Black Hobo». Ils font le train tous les trois et ils le font bien. Ils explosent le concept du long black train. C’est la curée. Ils jouent ça à la bielle et à la vapeur, ils sonnent comme la loco de Gabin qui file vers le Havre, puissance des ténèbres, violence de la pertinence, rendez-vous compte, ces mecs avaient déjà du son pour dix en 2004 ! Attendez, ce n’est pas fini ! Jake explose ensuite son «Lovely Jean» à la Little Richard. Il ne recule devant aucun exploit, il en fait un pur hit de juke, il brûle du feu sacré et comme si ça ne suffisait pas, il fait son Charlie Feathers dans «Hang Up Baby». Il shake tout le cocotier du rockab sans fournir le moindre effort. Jusqu’à la fin de l’album, il n’en finit plus de créer la surprise, comme par exemple avec ce «Just A Little Bit Of You» sacrément ambitieux, pas loin de Feelgood, un peu étrange, quasi progressif, traversé par des drives de basse en goguette. Ce qui frappe le plus chez les Hot Chickens, c’est ce mélange d’énergie et d’entrain. «Big Blond Rooster» est certainement l’un des cuts les plus enjoués de l’histoire du rock, Jake bat la campagne avec une allégresse contagieuse. Il nous claque ensuite un «Ride Me Out Of Town» tout aussi inspiré, il y cale des coups de baryton à la Summertime Blues et Didier Bourbon y passe un solo superbe. Au point où ils en sont, ils ne prennent plus de gants. Ils balancent «She’s My Liza Liz» comme des paquets de mer, on les reçoit en pleine gueule, flouf ! flaf ! Jake chante comme Bunker Hill, il sait le faire, il sait sortir de ses gonds, bien asticoté par un solo en forme de congestion tétraplégique. Quelle dégelée ! Ils réussissent aussi l’exploit d’exploser «Miserlou». Tout ce qu’on peut espérer c’est que Dick Dale ait pu entendre cet hommage fulgurant. Oui, ils sont dessus, hey hey ! Au fond, si on y réfléchit un instant, cet album pourrait bien être un laboratoire de rock’n’roll. Le mad Professor Calypso tente toutes sortes d’expériences et ça marche. On irait même jusqu’à insinuer qu’il fabrique des disks vivants.

Dans la série des exploits olympiques, voici Rock Therapy (Tribute To Johnny Burnette), sorti sur Sfax Records comme d’ailleurs leurs tributes à Little Richard et à Gene Vincent (Speed King et Play Gene), et le premier album de Carl & The Rhythm All Stars. Comme on dit dans le bâtiment, Jake tape dans le dur avec son Rock Therapy. Premier punch-up avec «Rockabilly Boogie». On devrait plutôt parler de bombardement, Jake pilonne son rock billy boogie tonite, il démolit tout, il fait revivre le Memphis craze à sa façon qui est fumante. Cette entrée en matière donne le ton de l’album. Boom ! C’est parti pour 14 shots de Burnette burst-off. Jake réussit même à exploser même un mid-mish mash comme «Believe What You Say». Il bouffe le Believe avec une grosse voix d’ogre et amène ensuite «Sweet Love On My Lind» au pire beat rockab qui se puisse concevoir, il amène le swing des reins, et comme les Hot Chickens louvoient sous le meilleur boisseau du monde, alors Jake hiccuppe on my mind. Sans doute est-ce là l’une des meilleures versions jamais enregistrées. C’est littéralement bardé de bardage de frappadingue. Et cette façon qu’il a de lancer «Train Kept A Rollin’» ! Yah ! Fuck, les froggies sont dessus, c’est bien meilleur que Motörhead, Jake vise la véricacité profonde du beat, il chante au gut de l’undergut. S’il fait du rokab, il le fait pour de vrai. Ils font aussi la meilleure version de «Rock Therapy» - Don’t need a doctor/ Don’t need a pill - Il rugit à chaque retour de couplet et développe un sens aigu du heavy groove. Retour à la folie douce avec «Tear It Up». C’est l’épitome de chèvre chaud du rockab, les Hot Chickens l’embarquent à fond de train. Ils explosent encore la powerhouse avec «All By Myself». Jake le chante de haut et pousse des cris d’orfraie. Il fait du rockab de hot rod, il ramène du guttaral dans le riot du Mans, quelle explosion ! Quel shouter ! Il en redemande avec «Please Don’t Leave Me». Il entre dans le chou du lard avec une niaque qui fout la trouille, il baby-please-don’t-gotte à coups de reins, il recrée tous les excès du big time et ça finit par devenir hallucinant. Ce tribute sans foi ni loi se termine avec la paire fatale : «You’re Undecided» et «Honey Hush». Il tape le premier au guttural de cabane, il l’emmène à l’abattoir et devient plus royaliste que le roi Burnette. Fabuleux Jake, il fait le show. Alors retiens bien ceci : avec cette version de «You’re Undicided», tu as tout le Deep South. Et avec «Honey Hush» tu as le paradis, si tu es fan de rockab. C’est comme dirait Lanegan the unreachable paradigm. Toute l’énergie est là, yakety yah, il l’explose à coups de cris. Il fait du burning Burnette. Burn baby burn !

Signé : Cazengler, Hot shit

Mystery Train. Cheers Cheers Rock’n’Roll. Rockhouse 1994

Mystery Train. Crazy Young & Wild. Eagle Records 1995

Hot Chickens. Drunk Dirty & Damned. Not On Label 2004

Hot Chickens. Rock Therapy (Tribute To Johnny Burnette). Sfax Records 2008

MONTREUIL / 30 – 11 – 2019

LA COMEDIA

TOXXIC QUEEN / BURNING DEAD

WILD

Le mois des morts s'achève et nous sommes encore vivants, ne dites pas que nous avons eu de la chance, c'est que les rockers sont immortels. Aucune exagération en ces propos, être encore en vie après la soirée de ce trente novembre à la Comedia en est la preuve absolue. Jugez-en par vous-mêmes, nous avons survécu à trois dérèglements climatiques successifs, une pluie toxxique de filles déjantées, une fournaise zombiique sans précédent, et un cataclysme tempétueux particulièrement sauvage. Non à l'écologie, vive l'écrocklogie !

TOXXIC QUEEN

Tout est question de vocabulaire. Encore faut-il s'entendre sur le sens des mots. Par exemple le mot féminicide signifie-t-il que les victimes sont de type féminin – sens commun – ou que le crime est perpétré par un sujet féminin – sens obvié que les grammairiens patentés surnomment aussi sens toxique. Les raisonnements philologiques in abstracto se perdent bien souvent en débats stériles ou oiseuses discussions, rien ne vaut un bel exemple pratique. Justement en voici un précieux spécimen devant nous.

Quatre filles. La plus belle s'est mise au fond. Sûre d'elle, avec ses tresses d'une éclatante blondeur ukrainienne, elle captive tous les regards. Vous cherchez à détailler son visage, enfer, pandémonium et damnation, quelle est cette barbichette touffue et batailleuse, cette pilosité broussailleuse, cette touffe de chiendent entêtée qui pendouille lamentablement sous son menton, pas d'horreur possible nous avons affaire à... un gus, un gars, un guy, un geek, appelez-le comme vous voulez, en dernière extrémité vous devrez le désigner en son ignominie même : un homme ! Tromperie éhontée sur la marchandise, la pomme pourrie que le marchand glisse en douce au fond de son sac de papier !

Car devant voyez vous, vous avez les filles, trois brunettes mignonnettes. Ne vous y fiez pas. De véritables garces, des gerces, des gargouillettes comme l'on en fait trop. Pour les travaux les plus durs, elles s'en déchargent sur le premier innocent garçon qui passait par là, à lui de taper à coups redoublés sur la batterie, le boulot le plus hardu. Parce que quand on est une reine, l'on ne peut pas décemment s'occuper de l'intendance. Leur est dévolue, une tâche d'obédience royale, ne sont-elles pas les trois Parques de la suprême toxxicité à répandre sur le bas peuple, qu'elles méprisent et regardent du haut de leur perversité naturelle. Elles n'en font point trop, car elles ne sont pas là pour travailler, juste pour signifier au monde que les filles ont pris le pouvoir de leur liberté, que désormais il ne faut plus compter sur elles pour faire la vaisselle mais que par contre leur purulente attitude n'est pas prête de s'éteindre et n'en finira plus de gâcher grave votre existence.

Anna consent à tenir la guitare. D'un doigt fatigué, elle caresse une corde, elle semble plus préoccupée de vous cacher son minois derrière sa chevelure bouclée. Elle se prête à ce jeu, mais ne s'y donne pas. De toutes les manières vous ne méritez pas plus. A l'autre bout de la scène, Darcyphillis – appréciez ce prénom qui allie ce qu'il y a de plus sombre dans le rock, à la souvenance poétique des sur-sous-entendus libertins des madrigaux faussement innocents du Grand Siècle – arbore cet air timide de la jeune fille bien élevée qui se trouve-là par hasard et à qui l'on a demandé par surprise de faire un discours de bienvenue, elle est à la basse certes, mais bien décidée à na pas y perdre sa santé.

Ne vous exclamez pas que la musique n'est plus ce qu'elle était, elles n'ont jamais prétendu à la virtuosité de Jimi Hendrix ou de Jaco Pastorius, elles se débrouillent très bien sans cela, elles comptent sur la décadence auto-ironique de l'outrage qui ne croit plus en sa fonction destructrice, si notre monde n'a plus de sens, sinon d'asservir les êtres humains en leur rôle d'esclaves sociaux, autant en rire et s'en amuser. Si le reflet qu'elles vous tendent dans leur miroir vous choque, peut-être est-ce parce qu'il vous ressemble trop. Et puis, pourquoi la Femme Artiste ne serait-elle pas remplaçable par la technique – c'est tout le sujet de L'Eve Future de Villiers de L'isle-Adam qui avait dédié ses Contes Cruels aux rêveurs et aux railleurs – le groupe envoie du sonique, à gros bouillons d'électronique, à vous en faire péter les ouïes, du gros, du gras, du crade, du cassé, du salmigondis concassé de seconde classe, vous voulez du rock les amis, voici du brock 'n' broc. C'est sur cela que nos deux musiciennes brodent d'un air détaché, une corde à l'envers, une corde à l'endroit. Nos deux damoiselles à la licorne, cornent la lie et l'hallali du rock !

Aux drums ou à la balle drum-drum si vous préférez, Po n'a pas de pot, il bosse à mort, il est chargé d'humaniser à grands coups de ratonnades battériales le déluge sonore, des pétarades amplifiées, des matraquages qui vous ratiboisent la comprenette à tout jamais, même qu'à un moment il nous pète un solo excrémentiel, cet adjectif n'est pas gratuit, Durcyphillis se hâte de lui jeter des rouleaux de papier hygiénique, qui s'accrochent à ses baguettes, l'on se croirait à une compétition de GRS, avec maniement de foulards blancs ! Durcyphillis durcit le ton, elle nous bombarde maintenant de balles de ping-pong qui jouent aux pois sauteurs, encore un vol de confettis non identifiés, nos sommes en plein serpentins merdiques et crocktillons !

Je sais compter jusqu'à trois. J'ai dit trois brunettes. Vous n'en avez vu que deux. Ely Pew Pew se tient entre ses deux guitaristes. Une longue tresse qui tombe à l'endroit exact où se termine sa jupette ultra-courte, sur la tendre douceur pâle des cuisses, avec aussi cette espèce de mèche séparée, en branche de palmier-dattier, qui lui sape de trois-quart le visage, une espèce de loque d'oriflamme qui n'est pas sans évoquer la queue mitée et mutilée des chevaux des cavaliers d'Attila incapables de brouter l'herbe qui ne repoussait pas sous leurs sabots ardents. Mais dessous, ah ! dessous ! l'échancrure de son décolleté par lequel rayonnent ses épaules dénudées, aussi belles et souveraines que celles du portrait de Madame de Récamier peint par François Pascal Simon Gérard ( c'est exposé au Musée Carnavalet, bande de voyeurs ), dépourvues de ces bretelles utilitaires de soutien-gorge qui déparent la finesse des attaches claviculaires de trop de jeunes filles modernes. Ne nous égarons pas en ces vues couturières qui s'essaient à singer les chroniques de La Dernière Mode de Stéphane Mallarmé. Ely Pew Pew est avant tout chanteuse.

Toute seule avec son micro parmi le bruit brontosaurique, une partie déloyale s'exclame-t-on, croyez-vous que cela la gêne, pas du tout, elle domine le tohu-bohu avec une facilité déconcertante, certes l'on ne comprend pas toutes les paroles, mais les titres parlent d'eux-mêmes, Vénus Errante ( elle parle d'or et d'elles ) Army of Cloportes ( elle cause de vous, dur et d'airain ), Bouze de là ( très vache ), Evenucléation ( très phyllisophique ), l'on ne saisit pas tout, mais les bribes suffisent, ne fait rien pour attirer l'attention, pas de geste grandiloquent de comédienne professionnelle, pas de poses à l'égérie inspirée, juste une présence. L'est-là ancrée en elle-même, et ça marche, non ça court, l'assistance est sous le charme, l'ensemble de la prestation pourrait paraître hétéroclite, mais non grâce à Ely, tout cela fonctionne. A merveille. Elles seront obligées de refaire leur premier morceau en rappel.

Je vous ai présenté les belles. Il vous reste à entrevoir la bête. Non ce n'est pas Pot le garçon commis d'office à la caisse claire – pensez à sa souffrance quotidienne à supporter ces trois Aphrodite de notre modernité déglinguée – voici Ben. N'a rien dit, n'a rien fait. Ce n'est pas de sa faute. S'est sagement tenu en équilibre sur sa branche. L'aurait peut-être mieux aimé batifoler dans sa rivière natale, un rêve impossible, il n'est qu'un pauvre ragondin empaillé. Ne riez pas, quand vous serez mort, croyez-vous que trois filles se donneront le mal d'emmener, tel un émérite trophée de choix, votre cadavre ambulant naturalisé partout où elles se produiront en spectacle ?

Ah, Ben non alors !

BURNING DEAD

Des ratés à l'allumage. Tout s'explique. Le batteur esquinté qui a déclaré forfait. Leur a fallu quelques essais pour caler la bande enregistrée de la batterie, mais une fois qu'il y sont parvenus, z'ont mis le feu aux morts et aux vivants. A tout ce qui bouge, et tout ce qui ne bouge pas. Donc deux grands gars placides et une fille. A faire peur. Je ne vous souhaite jamais de rencontrer Drina Hex, dans une rue mal famée, du bas-Montreuil. Sans quoi vous êtes morts. Enterrés d'avance. Ne vous frappera pas. Ne vous tapera pas. Pas la peine. Rien qu'à la voir. Cela suffira. Toute de noir vêtue. Pas de rangs de collier de perles de nacre autour de son cou. Trois rangées de chaînes argentées de chaque côté de son pantalon. Avec ses cheveux ultra-courts qui dessinent en miniature l'épine dorsale d'un stegosaurus, toute de noir vêtue elle ressemble à elle toute seule à la réincarnation de toutes les bandes de blousons noirs les plus féroces des années soixante. Un être malfaisant sorti des brumes d'un passé légendaire qui s'en vient assouvir une terrible vengeance à l'encontre de tous ceux qui ont le malheur d'exister. Ne vous enfuyez pas, ce serait une erreur. Approchez-vous et elle sourira. Le plus beau sourire d'enfant jamais entrevu. Une espèce de naïveté opératoire à laquelle on se soumet naturellement. Cette fille rayonne de joie et de sérénité. Faut être drôlement équilibré dans sa tête pour offrir ce sourire radieux au monde qui nous entoure. C'est elle qui s'est occupée de la sono de Toxxic Queen et qui règle celle de Burning Dead. Ne quitte pas les manettes lorsque c'est à son tour de mettre sa voix en place, une main sur les tirettes et l'autre qui tient le micro dans lequel elle déverse une sorte de guturalité spasmodique qui ressemble aux grognements enragés d'une meutes de loups en chasse qui poursuit un malheureux caribou esseulé dans les étendues du grand nord canadien. Pour elle c'est clair, la perfection est son mode de vie. Cent fois elle demandera aux deux boys de se lancer dans un bout d'essai, cent fois fois elle les stoppera, et miracle, personne ne semble indisposé, émane de cette fille une espèce de calme autorité à laquelle tout le monde se plie sans même s'en apercevoir. A la Comedia, le public aime bien que ça urge entre deux sets, mais là aucune impatience, aucune manifestation d'hostilité.

Donc trois sur scène. Il est des signes révélateurs qui ne trompent pas. Notamment le griffe magmaïque sur le T-shirt noir d'Orco. Après le set il m'avouera qu'il en possède quatre exemplaires de différentes couleurs et qu'il a dû voir Magma une bonne quinzaine de fois. Cela transparaît dans son jeu de guitare. Qui n'a rien à voir avec le style des différentes moutures, parfois très éloignées les unes des autres, du groupe de Christian Vander. Rien mais cette attention portée à la nuance, à l'énergie. Pas d'erreur Burning Dead est bien un groupe de metal, chaud, brûlant, qui tricote sans s'attarder sur la biscotte, c'est droit devant dans un feu d'enfer. Seulement Orco lorsqu'il vous lâche une giclée de notes, c'est de l'or pur. De surcroît il vous la sort ciselée d'une infinité de motifs héraldiques, le son n'est jamais brut, il ondoie, il spiralise sur lui-même, il est vivant, une langue de serpent, un remuement d'ondin, un jeu de soleil sur la mouvance des vagues, l'est déjà sur une nouvelle note, mais la précédente, n'en finit pas d'agoniser, elle donne tout ce qu'elle a, elle exhale ses entrailles, elle saigne, elle meurt, elle survit, elle se transcende, dites-vous que chaque goutte d'eau renferme une mer profonde, inépuisable, un vivier de possibles enchevêtrés, que l'infiniment petit est aussi immense que l'infiniment grand. En tout cas Orco confère à Burning Dead, une épaisseur sonique, une densité exceptionnelle. L'on se prend à regretter l'absence de Sarakynack, l'on aurait aimé entendre le jeu d'échange, cette complicité agissante entre guitare et batterie.

De même pour Jean-Pierre, puisqu'il ne peut pas jouer à cache-trouve avec son batteur, la bande enregistrée ne donnant lieu à aucune opportunité hasardeuse, à aucune déviance aventureuse, il s'amuse à pierre qui roule amasse de la mousse avec Orco. Un jeu dangereux qui demande souplesse et dextérité. Et ce grand échalas de J. P. il a les lignes de basse aussi flexibles que le roseau de la fable. Orco est le chêne et J. P. la liane carnivore qui s'enchevêtre dans les branches maîtresses, ce n'est pas un duel à mort, mais un duo amical à coutelas tirés, ces ballets de guerriers indiens qui s'entraînaient à faire semblant de s'entretuer, une danse de scalp, un swing extraordinaire, une flamme vive sous le souffle du vent, J. P. amène la noirceur nécessaire à la rutilance des pierreries drapées qui tombent de la guitare d'Orco.

Nous n'avons pas oublié Drina Hex. Elle est là devant. Statue d'ébène immobile. Elle porte le micro à ses lèvres, et la morsure de sa voix grondante plante ses crocs dans votre chair pantelante. Son bras retombe, ses lèvres esquissent un sourire. Qui doit être responsable de la fonte de la banquise. Cependant même les ours blancs à la dérive sur leur iceberg ne doivent pas lui en vouloir. Mais ce n'est pas le pire. Derrière elle, le brasier des guitares et de l'intarissable batterie flamboient de mille feux, il semble que le monde entier va s'enflammer, et l''extraordinaire se produit, vous oubliez toute imminence, cette voix vous envoûte, vous n'êtes plus dans un concert de rock'n'roll, vous assistez à un étrange cérémonial, vous ignorez en l'honneur de quelle divinité ou de quel monstre, sa voix de prêtresse, ses silences, cette succession de répons à elle-même vous entraînent en un étrange rituel, l'assistance se fige à croire qu'un évènement miraculeux se passe-là, mais non, il n'y a que cette voix grommeleuse de jeune fille qui enfle, et qui semble renouer avec un lointain rugissement venu du fond de la nature, une espèce d'om majestueux saccadé qui doit être la résonance assourdie de tous les animaux libres et sauvages qui sont passés sur cette terre. Aux portes du mystère des origines. Tout s'arrête. Tout se tait. Alors avant que les applaudissements n'éclatent, Drina Hex sourit.

INTERMEDE GENRé

Peut-être en avez-vous assez des filles. Se débrouillent toujours pour mâtiner une extravagance qui attire l'attention sur leurs petites personnes. De fausses mijaurées. De redoutables séductrices. Les gars sont plus simples. Plus honnêtes. Plus francs, ne vous prennent pas par surprise. Un exemple au hasard Wild. Ce qui signifie sauvage en bonne et accorte langue françoise. Eh bien, ce sont de véritables sauvages qui vous dispensent de la musique sauvage. Rien à voir avec les panneaux marqués pelouse interdite. Vous pouvez batifoler à foison dessus. Jouer à saute-mouton ou courir lourdement sur l'herbe verte comme les Tromp-la-mort dans Les aventures potagères du Concombre Masqué de Mandryka, pas la moindre mine n'explosera sous vos pieds, même pas un obus de trois cent kilos oublié de la première guerre mondiale qui aurait attendu exprès votre passage. Donc si vous aimez la vie qui trépide il est urgent d'écouter Wild.

WILD

Déjà quand on a vu les cinq gaillards monter sur scène, l'on a été vite persuadé qu'ils n'avaient pas le projet de nous faire entendre la version unplugged de New York Mining disaster 1941 des Bee Gees. Z'allaient juste se contenter du désastre. Des balèzes, des solides. Malgré Tom à la batterie et Thom à la basse, l'on était sûrs qu'il n'y aurait pas de lézarde, que ce serait Tom-Thom sans Nana. Sur ses toms Tom a installé une ribambelle pléthorique de cymbales à vous faire croire qu'il allait piloter une escadrille de soucoupes volantes affichant de très mauvaises intentions envers notre planète.

C'était l'exacte vérité. Z'ont commencé fissa. La joie de la destruction est aussi la joie de la création a dit Bakounine. Ce sont des garçons, détenteurs d'une philosophie primaire mais efficace. Leur esthétique est simple, vous prenez toute la filmographie de Sam Peckinpah et une paire de ciseaux. Après d'impitoyables efforts d'élimination des scènes soit-disant lénifiantes vous parviendrez à fomenter une bobine d'une durée optimale d'une heure certes, mais un condensé d'une extraordinaire violence d'images choc qui vous vaudra la réprobation générale des majorités silencieusement muettes néanmoins fortement réprobatrices.

Un larsen à décoller la tapisserie des murs de tout un immeuble de vingt-cinq étages, ensuite une razzia démoniaque. Tant pis pour vos oreilles, subissent le même traitement que si vous étiez en un sous-marin en plongée immédiate sans respect des paliers de décompression obligatoires en eau profonde pour échapper aux grenades sous-marines qui pleuvent autour de la coque ébranlée par des secousses titanesques. L'on a l'impression qu'ils n'ont jamais eu la patience de composer un morceau en entier. Que des fragments. Mais uniquement les passages les plus violents. La montée progressive vers l'altitude paroxysmale ils ne connaissent pas. Débutent par l'orgasme. Arrêtent avant la catharsis. Death metal à donfe. Deaf metal à fond.

Le pire c'est que l'on y prend grand plaisir. Parce que c'est aussi beau et fascinant que le pelage d'amanite fauve du tigre royal du Bengale. Taché du sang de la proie qu'il vient d'occire. Fred et Mat sont aux guitares. De la déglinguée à vitesse astronomique, attention ne poussent pas la poussière sous le frigidaire, un jeu d'une puissance et d'une précision extraordinaire, quand ils commencent à forger les chaînons de votre servitude sonore, ils agissent en orfèvre, c'est alors que subitement vous entendez l'inaudible, une espèce d'écume sanglante qui couronne les monstrueuses vagues d'un océan tempétueux. C'est le cinquième élément. Jérôme. Aucun instrument entre ses mains, seule sa voix, j'ai vérifié l'incroyable à plusieurs reprises, l'espèce d'oratorio somptueux, cette clameur de chœurs resplendissante et symphonique qui s'ajoute aux instruments, s'y fond, s'y confond, mais finit par les soulever et les exalter, c'est bien lui.

Ils n'ont pas joué longtemps. Seulement une éternité. Quand vous êtes transporté et submergé en un ailleurs fabuleux, en un ouvert inconnu, le décompte des minutes et des heures n'a plus d'importance. Wild nous a permis d'atteindre au point de non-retour d'une grandeur surhumaine. Quand le set s'est achevé, nous nous sommes aperçus que nous n'étions plus les mêmes. Après ce que nous venions de connaître, rentrés dans nos corps, ceux-ci nous ont paru rétrécis et étriqués.

Est-ce vraiment un hasard si un des recueils de poésie de Jim Morrison se nomme Wilderness ?

Damie Chad.

 

CLIP ! CLIP ! CLIP ! HOURRAH !

Où sont les peaux laiteuses des dames du temps jadis s'interrogeait ce blouson noir de Villon voici une grosse pincée de siècles. L'aurait mieux fait de s'intéresser aux demoiselles de son temps, parfois la corde au cou est préférable à celle du pendu, n'empêche que son interrogation pose question et peut s'appliquer à KR'TNT ! Nous vous avons présenté au bas mot plus d'un bon millier de groupes, mais que deviennent-ils lorsque nous les quittons du regard ? Je vous rassure ils parviennent à survivre sans nous. Même que parfois ils se débrouillent au mieux. Prenons un cas au hasard télécommandé, Volutes, nous les avions vus à la Comedia le 07 / 07 / 2019, voir notre livraison 427, depuis ils nous ont alertés, leur dernier Clip frôle les 50 000 vues ( 49 623 exactement au moment de la rédaction de cette kronic ) sur You Tube, alors on est allé voir.

NERFS A VIF / VOLUTES

( Réalisation Chris Ruggi

+ Lauranne Beyer )

Il y en a qui font du noir et blanc, d'autres se contentent des couleurs, Chris Ruggi rugit en noir et couleurs. Quand il traite d'un sujet, ne se perd pas dans les coulisses du bavardage. L'a tout compris de Volutes. Mais à la manière des peintres de la Renaissance qui ne quittaient pas du pinceau le corps du Christ depuis l'Annonciation dans le ventre de sa sainte mère à sa mise dérélictoire au tombeau. Mais chez Volutes c'est la postulation de l'homme contemporain qui les préoccupe. L'on est loin du seizième siècle, et l'homo modernicus a les nerfs à vif. Je ne vous fais pas un dessin pour vous expliquer. Tout va mal. Merveilleusement mal. Vous avez beau chercher, vous ne trouvez pas pire. Normal que l'extrémisme musical du rock'n'roll se soit chargé depuis quelques décennies de traduire ce malaise existentiel. Mais avec quel art de l'image pourriez-vous refléter cette crise collapsique de l'être humain ? Où trouver la noise peinture qui vous klaxonne dans les yeux toutes vos déchirures. Le cinéma, la photographie, la bande dessinée, la publicité, pas mal, mais vous obtiendrez mieux en regardant plus près. De quoi ? De qui ? De vous-mêmes avec un peu de chance, sinon de vos voisins sûrement.

Cher lecteur, ne propose plus rien, t'as tout faux, tatoo vrai ! L'art du tatouage a envahi nos corps. Le moindre sous-chef de bureau exhibe l'horaire d'ouverture de l'entreprise sur sa fesse gauche pour rappeler à sa dactylo que la galipette ce n'est pas aussi sérieux que le travail. Passons sur ces dérives capitalistiques d'esclaves en mal de représentation. Non, il existe une explosion de couleurs vitupérantes sur les chairs des derniers révoltés. L'on exhibe, avec une fierté de sioux se préparant au combat insoumissif, ses peintures de guerre que l'on déclare au monde entier. Tous guerriers du rêve, toutes guerrières du songe. Ce qu'on ne peut pas exprimer avec la violence destructrice de nos actes réprimés par les polices des pensées et des rues on l'exalte par la rutilance graphique de nos membres, de notre torse.

Fond noir donc. Sur lequel Ruggi ne nous montre que des silhouettes, ou des fragments de corps hautement chamarrés. C'est le principe de base. Reste maintenant à aller jusqu'au fond des mots. Que l'image nous restitue l'étymologie de l'expression. Ne dites pas : il est énervé, il a les nerfs à vif. C'est d'une platitude absolue, ayez l'acidité de notre monde : il a les nerfs à vif, tout dessin est une dissection. Ce que l'homme a de plus profond c'est sa peau répétait Valéry après Mallarmé, tout dessin est une vivisection, tout acte sur le corps est une torture. Même si au delà de la souffrance l'on atteint à une mystérieuse sérénité jocondière. Les rouges saignent, les jaunes flamboient, les vert cru trucident et les bleus meurtrissent. Tous les grands maîtres du passé l'ont asséné. Sur le clip les corps se dessinent, une nef noire peuplée de fous qui ne font que passer, des pantins articulés de douleurs et de couleurs. Celles des tableaux les plus célèbres, lacérés et flashés, incrustés comme des pierreries chatoyantes que l'on aurait sertis à même les paupières de vos yeux énucléés. Chris Reggi et Lauranne Beyer vous donnent à voir les noirceurs accumulées des fièvres pigmentales. Sans voyeurisme. C'est là la force du clip, des corps, rien que des corps, mais pas de désir, la beauté de l'horreur à l'état froid. Le pèse-nerfs a écrit Artaud.

Magnifique réussite !

Damie Chad.

Nous ne nous étions pas remis de la commotion volutienne que des oiseaux vinrent se poser sur la même branche. Deux cui-cui qui eux aussi ouvrent grand leur bec pour faire clip-clip. Des espèces de vautours de la dernière heure qui ricanent un old-dirty-rock-blues de derrière les fagots allumés à la nitroglycérine, vous les connaissez, ils migrent souvent en rase-mottes sur nos chroniques, la mitraillette à la main, ne croassent pas Nevermore comme le plutonien corbeau maudit de Poe, mais No Mercy, ce qui entre nous n'est guère mieux.

NO MERCY / CRASHBIRDS

( Réalisation : Crashbirds

Novembre 2019 )

D'habitude c'est Pierre Lehoulier qui nous mijote un truc. Voir notre ancienne chronique sur Week-end Lobotomy par exemple. Un véritable film d'animation qui a dû demander des heures de minutieuse élaboration. Mais pour les clips, c'est comme pour l'alchimie, vous avez la voix humide – au minimum neuf mois de gestation – et la voie sèche, bien plus rapide mais beaucoup plus explosive. Il existe aussi un autre danger qui menace les groupes de rock. Le clip trop chiadé qui vous bouffe la voix. Pouvez envoyer le hit du siècle, si vous avez les oreilles scotchées à la beauté des images personne ne l'entendra. Maintenant une vidéo insipide vous détournera de l'envie de l'écouter jusqu'au bout, ne faut pas un juste milieu mais un double exact extrême. Bref l'allumette enflammée et le bâton de dynamite ne doivent en rien ressembler à la mèche mouillée d'un pétard de quatorze juillet pour enfant de moins de six ans.

Ecoutez le clip No Mercy et vos yeux ne se détachent point de l'écran, par contre vos oreilles ne quittent pas Delphine Viane non plus. Pas bête l'ami Pierrot, il lui aurait suffi de la filmer, et sa beauté et son talent auraient suffi, l'a carrément exilée, l'avait manifestement d'autres châssis à montrer. Les gars aiment rouler les mécaniques. Non, il n'a pas poussé la muflerie à se mettre au premier plan. Avec sa guitare grondante, il vous en aurait mis plein les yeux et plein les oreilles pour pas un euro dévalué par le prochain crack boursier. Exunt les Crashbirds, vous n'avez pas été sages, vous ne les verrez pas, d'ailleurs vous ne les méritez pas. Par contre vous avez votre gros lot de consolation, vous les entendez comme jamais vous ne les avez écoutés.

Ce n'est pas que l'image fasse la courte-échelle au son qui importe. Pas plus que le vice-versa. C'est que tous deux soient visibles et audibles à grande échelle. Alors nos deux Crashbirds ils ont dû intuiter longuement dans leurs petites cervelles de piafs déjantés. Nous ont concocté un fusil à deux coups mais à triple détente. Je vous explique le processus diabolique : 1° : pour l'image, sont allés chercher des courses de hot-rods à l'américaine, pas vraiment du crash spectaculaire, des séquences de pointes de vitesse et des parcours tout-terrain. 2° : pour le son, z'ont envoyé une bande tueuse de No Mercy, pas de pitié pour l'auditeur, tant pis s'il en crève de joie. 3 ° : vous n'avez rien compris.

En fait c'est comme une anamorphose musicale : d'un côté vous avez les courses de hot-rods, sans son évidemment, puisque c'est la guitare de Pierre Lehoulier qui pétarade à elle toute seule encore plus bruiteusement que toutes les voitures qui ont tourné sur le circuit d'Indianapolis entre 1955 et 1962, et de l'autre vous avez No Mercy qui défile, et comme votre cerveau prête la guitare de Pierre aux torpédos sauvages, vous n'entendez que la voix et la rythmique de Delphine qui vous cisaillent l'esprit et la chair. L'on n'est pas loin de la note unique de Monte Young tenue sans variation durant trois quarts d'heure, et de fait tous les rushs des mises en route tacotières et des accélérations foudroyantes sont comme régies par votre cervelle. Métaphoriquement parlant c'est vous qui imprimez les images sur une pellicule obstinément vierge.

Bref, pour résumer, les cuicui sont d'atroces manipulateurs, sous prétexte de vous offrir une vidéo, ils en profitent pour pervertir vos organes de perception. Vos yeux entendent, et vos esgourdes voient. Le plus terrible c'est que vous ne pouvez pas porter plainte pour emprise mentale, la voix de Delphine résonne si magnifiquement en vos tympans que vous avez l'impression d'être Ulysse attaché à son mât à qui la plus belle des Syrènes susurre une mélodie incandescente dans le creux de l'oreille. Ça rôde hot en vous.

Damie Chad.

TRAGIC SECRET / SO LUNE

( Réalisation : Sophiane Bell

Mai 2019 )

Nous les avions vus cet été, zieutez notre livraison 428 du 05 / 09 / 2019. Un garçon doué en électronique, sa sœur au chant et au violoncelle. Tragic Secret est un extrait de leur album Child Spirit. Le clip ne reprend que la première partie du morceau. Child Spirit est un des très rares concepts albums français réussis. Hormis La mort d'Orion de Gérard Manset, L'Interrogation de Dick Rivers, et le Melody Nelson de Serge Gainsbourg, l'on ne se bouscule guère au portillon.

Mots voilés et blessures intérieures. Child Spirit suggère davantage qu'il ne susurre. C'est à vous de vous en approcher. Pour ceux qui aiment lire peut-être en trouverez-vous une approche dans un recueil de contes comme Venin de rose de Jacques Astruc. Pas facile de mettre des images sur des mots qui ne sont pas dits. A chaque seconde toute représentation ne sera que fausse interprétation, que mensonge. C'est à cette impossible gageure que s'est affronté Sophiane Bell.

L'a compris qu'il était nécessaire de parier sur l'économie des moyens. Un visage, des doigts, une fille qui sprinte sur la plage, la mer mais celle qui s'en est allée on ne sait où dans le poème de Rimbaud. En fin de compte, le plus disert n'est-ce pas ces vermicelles de lumière qui clignotent à la manière de vers luisants alternatifs comme ces serpentins lumineux sur les images des premiers films du tout début du siècle précédent. Rien ne ressemble plus à un secret que des fugacités spermatozoïdales qui portent le mystère du possible qui n'aura pas  lieu. Est-ce le sommeil qui rêve en son puits d'anéantissement sans fond ou le rêve qui s'ensommeille en lui-même. La voix psalmodie les lyrics du tragique secret. Celui qui tue plus facilement que le venin du scorpion qui retourne son dard empoisonné sur sa carapace. Car l'on ne meurt que de soi. Le monde ne nous use pas. Ne nous érode pas. N'a aucune prise sur nous. Ce n'est qu'une illusion. Le vautour qui nous ronge le cœur n'est autre que nous-mêmes. Chacun porte en lui son propre assassin. Nous ne sommes que notre sale meurtrier. Mains noires sur face blanche. Elles se pressent autour de lèvres agoniques et balbutiantes mais l'amour ne sera jamais fait. Jamais délivré. Sempiternellement inaccompli. Des caresses comme des repousse-rêves pour nous empêcher de prendre la parole, les pernicieuses dentelles de nos cauchemars bien-aimés nous ordonnent de nous taire, de ne rien dire, de ne rien révéler. Cela est inutile, à tout instants nous foulons le sable de la vallée de la mort, nous courons devant un mur d'écume désagrégeante. Chacun se façonne ses cartes postales intérieures. Les couleurs ont beau se métamorphoser, jamais personne n'en comprendra la portée.

La musique n'est composée que de cliquetis lyriques Parfois des envolées, mais tout retombe, un oiseau migrateur abattu en plein vol. Le chant nous parle à l'oreille, les images sont autant de caches lancés comme les bâtonnets du Yi King dont la combinaison collectée restera imperturbablement indéchiffrable. La sibylle ne prophétisera pas l'indissoluble présence du passé. Peut-être que l'aspect le plus tragique du secret est justement de ne plus être secret s'il se veut révélation. Et ne plus être soi, c'est déjà mourir. Mieux vaut donc se recroqueviller sur soi-même comme une feuille d'automne qui n'aspire qu'à devenir l'humus de sa propre souffrance.

Clip funèbre. L'appel du non-être, car être serait ne plus être. Le serpent se mord, se mort, la queue, non pas pour renaître, mais pour s'engloutir.

Un clip qui ne montre rien, sinon la beauté interdite et sororale du chant de So Lune. Une parfaite réussite. Ciel de thrène.

Damie Chad.