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17/06/2020

KR'TNT ! 469 : PRETTY THINGS / DAVID ROBKAB / UNDERTONES / VOLUTES / FELIX PAPPALARDI + CREATION

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 469

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

18 / 06 / 20

 

PRETTY THINGS / DAVID ROBKAB

UNDERTONES / VOLUTES

FELIX PAPPALARDI + CREATION

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Oh You Pretty Things

- Part Seven

 

Sans même savoir que les choses allaient prendre une tournure tragique, les Pretties décidèrent le 13 décembre 2018 de tirer leur révérence à Londres, comme ils l’avaient fait deux mois auparavant à la Maroquiqui (concert infiniment mémorable du 19 octobre 2018 qui fit l’objet d’un Part Three ici-même sur KR'TNT). Attaqué de l’intérieur par un féroce emphysème, Phil May savait qu’il ne pouvait plus compter sur ses poumons et tenir une scène pendant quatre-vingt dix minutes. Le rock a ses limites. On finit par se faire avoir, même au bout d’un demi siècle de rage before the beauty.

Histoire d’accompagner leur dernière révérence, les Pretties ont eu l’idée de proposer à tous ceux qui n’ont pu assister au Final Bow londonien un Final Bow en forme de livre-disque pas trop cher, disons 60 euros, une somme qu’il faut bien sûr comparer à l’univers pour admettre que finalement ce n’est pas grand chose. Le book propose l’intégralité du Final Bow sur deux CD audio, plus la même intégralité sur deux DVD (dont un qui ne sert à rien, petite arnaque), et comme d’usage dans ces cas-là, une multitude de photos de scène qui sont là pour nous rappeler que même vieux, les Pretties avaient une sacrée prestance. Tout le monde rêve d’avoir eu un grand-père comme Dick Taylor, qui, faut-il encore le rappeler, est l’un des guitaristes les plus flamboyants d’Angleterre, mais vous ne le trouverez pas dans les fucking Tops 100 des guitar players que publient régulièrement nos amis des magazines.

Justement, Dick Taylor se fend d’un très beau texte dans le Final Bow book. Au long de deux grandes pages extrêmement passionnantes, il raconte dans son vieil anglais concassé l’histoire de sa vie de Pretty Thing, remontant jusqu’aux années cinquante pour nous faire revivre la naissance d’une scène qui allait changer le monde aussi radicalement que le firent celles de Memphis et de la Nouvelle Orleans à la même époque. Le vieux Dick a la chance de grandir dans une maison où on joue de la musique et il rappelle qu’ado, il haïssait cordialement la guerre et les militaires. Il découvre tout en même temps, la musique, l’art et les livres - J’avais 15 ans et je possédais une édition du Howl d’Alan (sic) Ginsberg, je me demandais ce que certains vers signifiaient et je me le demande encore aujourd’hui - Il découvre aussi un truc de base : ce n’est pas la technique qui importe en matière d’art, mais ce qu’on veut faire de cet art. Ça s’applique bien sûr à la musique. Il rappelle ce que tout le monde sait, qu’il fit un peu de musique avec Jagger dans le back room, chez ses parents, puis il commença à bricoler des trucs avec Phil à l’Art school. Phil et lui apprennent très vite l’autre principe de base des Pretties : remettre en question l’autorité et les conventions. Quand on leur dit à l’école d’aller se faire couper les cheveux, ils se les laissent pousser. Quand les magazines de l’époque essayent de les transformer en pop group, les Pretties montrent les dents. Dick et Phil songeaient essentiellement à préserver leur intégrité artistique - Which really sums up the whole ethos of the band right up to today (ça résume simplement l’histoire des Pretties jusqu’à aujourd’hui) - Avec cette fantastique humilité qui le caractérise si bien quand on a la chance de le rencontrer, Dick ajoute que s’il joue cette musique, c’est uniquement parce qu’il aime ça (I certainly only play because I love doing it). Dans le même esprit, Dick évoque les nombreux changements de line-up dans les Pretties, à commencer par son départ à la suite du flop de SF Sorrow. Il explique que les nouveaux embauchés étaient invités à contribuer. Les gens sont entrés dans le groupe et l’ont quitté sans rancœur, précise Dick. L’autre raison de la longévité des Pretties tient au fait qu’en dehors des tournées et des sessions d’enregistrement, chacun vivait dans son coin. Dick se dit éberlué de voir passer toute cette histoire en un éclair : «J’ai l’impression que ce long voyage entre notre tout premier concert et le dernier à l’O2 Indigo est passé comme un flash, mais pour rien au monde je ne voudrais l’échanger. J’ai passé la plus grande partie de ma vie à faire ce que j’aimais, alors voyons la suite.» Merveilleux esprit.

Phil May se tape lui aussi deux grandes pages. Il rappelle qu’en 1963, au Sidcup School of Art, l’idée était de se lancer dans un roller-coaster. On leur accordait deux ans d’existence maximum, mais le roller-coaster a duré 55 ans ! Phil raconte dans le détail ses souvenirs de l’Art school qui ne sont pas nécessairement des bons souvenirs. Le système est assez brutal et il apprend très vite à ne pas se retrouver tout seul à l’arrêt de bus. Il porte déjà des cheveux longs et les yobs locaux lui pètent la gueule. Lors de la deuxième année, il fait des rencontres déterminantes : Dick Taylor et Keith Richards. Il voit ces mecs un peu plus âgés que lui jammer dans une salle du Art school et finit par demander s’il peut chanter un truc ou deux avec eux. Alors Dick lui tend le carnet où Jagger écrit ses paroles de chansons - Écrites religieusement in a Pitman short hand note pad - Phil s’extasie sur sa propre transformation, de l’élève timide qu’il était en 1960, en arrogant and ballsy lead singer of the Pretty Things en 1963. Pour rester à la hauteur de cette réputation ballsy, Phil indique qu’il commence à prendre pas mal de dope - Tout au long de ma vie dans le groupe, j’ai gardé puis perdu le contrôle à cause de tous ces stimulants. Ils ont joué un rôle capital dans le process créatif du groupe, mais aussi un rôle destructeur - Chaque disque les Pretties lui rappelle des souvenirs précis. Il cite SF Sorrow comme l’un des principaux landmarks, an incandescent acid-induced mountain peak. L’autre moment clé de l’histoire fut l’arrivée de Peter Tolson dans le groupe, a real musical love affair - Ce groupe eut la chance d’avoir deux grands guitaristes, Dick Taylor et Peter Tolson - Il évoque la période Swan Song qui pourtant débuta bien avec two very good albums mais qui se termina en eau de boudin avec l’abus de coke - A Columbian marching powder standoff - Phil évoque la mutinerie et le supplice de la planche que lui ont fait subir les autres qui rêvaient de succès. Alors qu’ils sont au plus bas dans les années 80, Phil et Dick voient arriver dans leurs vies le fameux Mark St. John. Et comme le rappelle Phil, les dernières mesures de «Loniest Person» n’était pas la fin du livre, mais le commencement d’un nouveau chapitre. Oui, car on s’en souvient, Phil avait annoncé qu’il arrêtait la scène pour des raisons de santé, mais qu’il envisageait l’enregistrement d’un nouvel album des Pretties.

Soit on commence par voir le film, soit on commence par écouter les deux CD audio. Le mieux est de commencer par l’écoute, car dès «Honey I Need», Phil May nous plonge dans le chaudron des sorcières de Macbeth. Impossible d’en sortir. Tout le vieux power des Pretties est intact. Phil May allume son vieux Honey I wish you love comme s’il avait 15 ans, avec de l’Emotion dans chaque syllabe. Ils redeviennent les rois du beginning avec «Don’t Bring Me Down» et donnent libre cours à leur sauvagerie à coups de laying down the ground, d’incursions intestines en formes de killer solos et de coups d’harmo. Phil May claque le beignet de son Bring Me Down en bon dude demented. Les Pretties balayent tout sur leur passage, ils l’ont fait depuis leurs débuts, mais pour le Final Bow, ils dépassent les bornes. Ils Buzzent leur Jerk au double solotage. Rien de plus pretty que cette rengaine de Big Mouth Shut. Hey Mama ! Le vieux Dick se paye des beaux dérapages contrôlés. Ce qu’ils font porte un nom : classical mayhem. C’est l’Hey Mama du dark British Underground, I said shut ! Ils ressortent aussi le vieux «Get The Picture», morceau titre de leur deuxième album, puis passent à la psychedelia avec «The Same Sun». Phil May irradie dans le son du vieux Dick. Aw my Taylor is so rich, il joue à l’extrême de la pertinence psychédélique et part en petite vrille d’extravaganza demented, welcome back to London 67. Ils font aussi un monstrueux package «Alexander/Defecting Grey» saturé de beat turgescent et de gras double. C’est à la fois explosif et jouissif, fondu comme beurre en broche dans le laughing at me avec un Dick on the run. Tu ne peux pas lutter. Le poids affectif des Pretties va t’écraser la poitrine. Bienvenue au cœur du mythe avec «Midnight To Six Man», Ce démon de Phil May l’articule comme au temps des caves, tell me some more, fantastique bash boom de London Beat avec le vieux Dick en guise d’entrailles. Fin d’une époque, mais boy, quelle époque ! C’est là que s’achève le premier set de la soirée, qui en comprend trois.

Ils attaquent le SF Sorrow set avec l’ancienne équipe de Sorrow, Wally Waller, Jon Povey et Skip Allan, histoire de nous rappeler qu’à cette époque, ils étaient l’un des meilleurs groupes anglais. Le son ! Du gâteau pour Psycho Dick ! Il adore jouer «SF Sorrow Is Born». Wally Waller ramène une fantastique bassline. Bon d’accord, ils sont vieux, mais ce sont les Pretties. On entend ce démon de Dick courir comme un lièvre dans la campagne orangée d’un beautiful acid trip. Fantastique pulsion du poumon Sorrow. David Gilmour les rejoint sur scène pour «She Says Good Morning». Il vaut mieux voir le film pour savoir qui joue, car ils sont maintenant quatre guitaristes sur scène : Pépère Dick, Gilmour, Frank Holland et George Woosey qui gratte une acou, puisque Wally reste à la basse. Trop de monde, on perd un peu le côté Pretties. D’autant qu’on se fout de Gilmour comme de l’an quarante. Espérons que les gens ne sont pas venus pour lui. Les deux points forts du SF Sorrow set sont «Baron Saturday» et «Cries From the Midnight Circus». Mieux vaut voir le film car c’est pépère Dick qui chante «Baron Saturday», avec Wally en relais. Skip Allan et Jack Greenwood font le bazar aux deux batteries, mais c’est avec «Cries From The Midnight Circus» que les Pretties vont assurer la suprématie définitive de l’underbelly. Phil May saute à la gorge du cut et ça groove autour de lui, avec un fantastique drive de basse de Wally Waller : il dégringole sa bassline, can you hear me, et ça s’énerve fabuleusement. On se fout du solo car Dick n’y était pas, au moment de Parachute. Can you hear me ! Comme on a pu adorer ça ! Wally fout les chocottes avec son drive des cavernes. C’est tellement incendiaire qu’on s’agenouille devant Dieu pour le remercier de ce miracle. Midnight Circus est l’une des septièmes merveilles du monde et grâce au film, on voit que c’est Frank Holland qui prend le solo furibard. Fuck, les gars, c’est la dernière fois qu’ils jouent ce monster sur scène.

Avant de passer au End Set, l’idéal est de revoir tout le début à l’écran. Our favourite band !, clame Mark St John qui va revenir quatre ou cinq fois dans la soirée et qui va dire en gros à chaque fois la même chose. Mais on passe vite aux choses sérieuses avec l’image du vieux pépère Dick Taylor. Les caméras ont bien compris qu’il était l’âme du groupe. Cette façon qu’il a de jouer, trapu et sautillant avec sa grosse guitare orange de vieux pépère séculaire. Il s’applique et passe des killer solo flash à l’ancienne, fugitif et si vaillant au soir de sa vie. On le voit enrouler le British beat dans sa farine avec un évident plaisir de jouer. Les Pretties font le show, mais le fait de jouer dans une trop grande salle disperse un peu leur impact. Wow ! Vieux pépère trapu et ramassé sur son riff de Buzz the Jerk et hop, killer kill kill the Buzz, Dick jerks it out ! On le voit tartiner le plus wild des solos de fondu enchaîné dans «Mama Keep Your Big Mouth Shut». Personne ne bat les Pretties à la course, le vieux Dick trame ses complots délinquants dans l’ombre de la Picture, c’est encore plus évident à l’écran. En guise de départs en solo, il fait du pâté de dégoulinure insalubre, un véritable shoot d’épitome de chèvre du dérapage contrôlé, il joue à l’exemplarité des choses du gaRage before the beauty. À ce petit jeu, les Pretties sont imbattables, même vieux. Mais quand le vieux Dick et l’aussi vieux Frank Holland croisent leurs tartouillages de bas de manche, ça monte directement au cerveau. Dick & Phil Big Bossent leur British Beat comme des vieux crack boom hu-hus. C’est dingue le jus que peut amener ce vieux crabe derrière ses lunettes. Parfait enchaînement d’accords pour «Midnight To Six Man», killer solo à la clé et bassmatic lâché dans la nuit comme un loup garou. Ça doit leur arracher le cœur de jouer ça pour la dernière fois. Moloch va avaler cette magie, comme tout le reste, d’ailleurs. Par contre, quand Gilmour arrive sur scène en plein SF Sorrow Set, les caméras n’ont plus d’yeux que pour lui. Ça gâche un peu le plaisir.

Back to the End Set, mais l’ambiance est différente. Van Morrison vient chanter «Baby Please Don’t Go» est là, nous ne sommes plus du tout dans les Pretties. C’est George Woosey, le cadet, qui joue le crade du riff sur la guitare orange de pépère Dick. Si on ne voit pas le film, on ne le sait pas. Van the Man drive son vieux cut à sa façon, la version est bonne. Elle pourrait presque justifier à elle seule le rapatriement des volontaires. Disons qu’on a là le hard drive des Them mêlé à la sauvagerie des Pretties, ça joue dans le volcan de Vulcain, mon tio quinquin. The heartbeat ! George Woosey reprend sa basse pour accompagner Van The Man sur «I Can Tell», you know I don’t love you no more, mais il manque le sel de la terre. Troisième shoot de Van avec «You Can’t Judge A Book By It’s Cover». Même chose : pour une raison X, ça reste en surface. Le son des Pretties n’appartient qu’aux Pretties. Retour aux choses sérieuses avec «Come See Me». Là t’es baisé. Big Bash boom avec un pépère Dick qui gratte des accords vieux de 55 ans, baby I’m your man, les Pretties n’en finiront pas de resplendir sur la vieille Angleterre. Ce concert raconte l’histoire spirituelle de ce pays. Les chœurs sont faibles, mais Phil May lance son look out alors pépère Dick part en destroy flash oh boy avec une sacrée banane. Ils vont se diriger tranquillement vers la fin avec un autre hommage à Bo Didley («Mona»), puis le pack «LSD/Old Man Going» noyé dans la psychedelia et rappel avec «Rosalyn», l’apanage du kick down. Pépère Dick joue ça pour la dernière fois, mais il le joue gutsy, fuck yeah ! Dernière wild ride pour wild old Dick. Ces mecs auront su rester brillants jusqu’au bout du bout des boots.

Signé : Cazengler, Pity Thing

Pretty Things. The Final Bow. Madfish 2019

 

No come back for Roback

 

Soit on écoute Mazzy Star pour Hope Sandoval, soit on l’écoute pour David Roback. Bon, aujourd’hui on peut l’écouter pour David Roback, car voici le moment de saluer sa mémoire. Il vient en effet de casser sa pipe en bois, et on peut bien dire que ce mec avait du son et de la légende à revendre.

En fait c’est très compliqué de couper Mazzy Star en deux. L’un ne va pas sans l’autre, même si après la fin de Mazzy Star, Hope Sandoval a continué de faire des albums intéressants, notamment avec les Mary Chain ou les Warm Inventions. Il faut alors se contenter de saluer le génie sonique de David Roback et c’est vrai qu’à l’époque de She Hangs Brightly, le premier album de Mazzy Star, on dressait sacrément l’oreille. Ne serait-ce que parce qu’il y traînait des vieux relents du Velvet, notamment dans «Blue Flower». Rob jouait ça à la vieille arrache prométhéenne et sortait l’air de rien de vieux accords du Velvet. On retrouvait d’ailleurs cette influence du Velvet dans «Give You My Loving». Rob le grattait au petit arpège rampant, avec des notes dignes de celles de Lou Reed, un son à la «Pale Blue Eyes». Pur esprit. Sinon, l’ensemble des cuts est monté sur la voix d’Hope - Lynchian and nocturnal - On la voit s’amuser dans l’eau claire de «Ride On It» - Just like you used to do - Elle sait jouer avec l’arc-en-ciel de la beauté purpurine. S’ensuit un morceau titre visité par des vents de Rob plutôt jazzy, ses accords rôdent comme des fantômes dans le couloir glacé de la pochette. Le hit de l’album pourrait bien être «Taste Of Blood». Il faut cependant entrer dans leur jeu. Rob fait son cirque au gratté d’acou qu’il saupoudre de petits coups de slide en surface de re-re et cette chipie d’Hope en profite pour chanter dans un son que l’accordéon rend étrange. On note aussi sur cet album la présence indicible d’«I’m Sailin», un petit blues de cabane nubile, rien de transcendant, c’est juste du nubile de salle de bain, aussi typé que peut l’être «Be My Angel». Elle ramène un peu de gusto pour l’occasion dans une ambiance légèrement décadente. Les accords de «Ghost Highway» sont ceux de «You Really Got Me», c’est bon, violent et welcomed, bien balancé, en tous les cas. Rob joue sa carte en transfigurant la gueule du rock. Voilà de quoi cet homme est capable. Et voilà pourquoi il joue dans cette histoire un rôle si considérable.

Le charme de Rob ne s’arrête pas au son. Il plane autour de lui un joli parfum de mystère. Goeff Travis de Rough Trade disait de Rob et d’Hope qu’ils n’était pas des rock’n’roll people classiques et qu’ils vivaient dans un monde à part, plutôt éloigné du nôtre. Rob situe ses racines dans le Velvet et les Doors. Il affectionne aussi le son des Ricken et des Gretsch, et de fil en aiguille, il monte un premier groupe avec son frère Steven et trois autres cocos locaux : Rain Parade. En 1982, ils enregistrent Emergency Third Rail Power Trip. Cet album joliment titré figure parmi les classiques de la psychedelia californienne des années 80 qu’on a baptisé the Paisley Underground. Rob fut en quelque sorte le maître d’œuvre d’Emergency puisqu’il prit contact avec Bill Haines, le boss d’Enigma Records, et qu’il conçut la pochette à partir d’une image prise à Paris au début du XIXe et recoloriée. Rob avait en effet plusieurs cordes à son arc : guitare et beaux-arts. Le groupe répéta pendant un an et donna son premier concert en 1982 avec Green On Red. Emergency est un album qu’on peut écouter les yeux fermés, on ne risque rien. Mais attention, ce n’est pas non plus l’album du siècle, restons sérieux. «1 Hour 1/2 Ago» sonne comme un bon petit hit recouvert de très beaux layers de son. On finit par entrer dans cette forte teneur de musicalité. C’est un vrai cut de guitar dude. Rob savait déjà en boucher un coin. Avec «Saturday’s Asylum», les Rain Parade se prennent pour Pink Floyd, c’est assez marrant, mais assez beau en même temps et comme rattrapé au vol par un sens aigu du Calfornian hell à dominante pop. C’est servi sur un tapis d’arpèges acides et ils embarquent le client pour le pire et pour le meilleur. Joli coup de freakout. Ils terminent cet album relativement plaisant avec «Look Both Ways», un joli shake de garage californien. C’est joué dans les règles du lard local, ooh yeah, et ils se tapent une belle crise d’oh yeah yeah yeah yeah. Par contre, pas de quoi faire un plat avec le reste. Ils ont des cuts comme «This Can’t Be Today» qui sont encore plus psychés que le Roquefort. On les aime bien pour ça, pour cette manière de ne pas vouloir trop en dire tout en rajoutant du bon psychout pas psyché des vers. En fait, tout est joué à la grosse guitare acidulée, avec une disto sèche de mish-mash de mushroom. Il est certain que ça a dû plaire aux amateurs d’acidus cubitus. Emergency est un album qui sent bon la ricken. Steve Wynn qui les voyait sur scène à l’époque disait d’eux qu’ils étaient floating, gentle and trippy, comme Pink Floyd ou le Byrds. Et il ajoute : «Ça ne pouvait que plaire à tout le monde.» Après une première tournée à travers les États-Unis, Rob quitte le groupe qui décide de continuer sans lui. Pourquoi ce split ? Son frère Steven en parlait à mots couverts dans un vieux numéro d’Uncut, en 2010 : tension fatale entre les deux frères, comme souvent. Le guitariste Matt Piucci explique à sa façon que les choses tournent généralement assez mal quand on met 8 jeunes gens dans un van pour partir en tournée sans fric, mais avec de l’alcool et de gros egos.

Alors Rob monte un groupe nommé Clay Allison avec sa copine Kendra Smith qui joue aussi de la basse dans Dream Syndicate. Puis Clay Allison va devenir Opal. Il reste une trace d’Opal, et quelle trace : l’un des serpents du Loch Ness SST, le joliment titré Happy Nightmare Baby, paru en 1987. Un bel archétype de l’apanage robackien, serti d’une triplette de joyaux de la mad psychédélia, «Supernova», «Siamese Trap» et «Soul Giver». Trois cuts lestés de gratté de poux, joués dans les règles du lard de la matière, avec un beautiful big Rob on the run. Le plus bardé des trois est sans doute «Siamese Trap», car Rob le claque à la wah dévastatoire, son Trap dégueule d’inner view, Rob y voyage abondamment, il s’y enivre de gras double, il semble même réinventer la mad spychedelia, il joue dans le blur du blaire, il se faufile, il tisse des couches de wah féroce, il rebondit à chaque instant et lâche des hoquets conquérants. Petit conseil : en cas de manque, fais-toi un shoot d’Opal. Le «Soul Giver» de fin de parcours n’est pas en reste. C’est excellent, bien dosé, tapi dans l’ombre d’un barouf psyché bien tempérée, admirablement drivé dans le flesh du flush. Kendra Smith chante le vieux Giver, ils excellent tous les deux dans la décadence de la rue et Rob s’écoule tout seul. Le reste de l’album se laisse écouter. Rob gratte bien sa gratte dans «Rocket Machine», et ce «Magik Power» qui est joué à l’orgue têtu sonne comme de la mad psychedelia prévisible, même si un vieux relent tantrique rampe dans le son. On croit entendre officier un prêtre égyptien. Globalement, l’album est bourré de bon son. Rob fait le show. Il passe au heavy blues avec «Sue’s A Diamond», il ne s’embarrasse pas des protocoles et nous fait un peu le coup de l’album classique. Il excelle dans l’obsolescence psychotique déprogrammée

Steve Wynn se souvient aussi d’une gamine de 14 ans qui venait aux Dream Syndicate soundchecks en 1982 : Hope. Puis elle finit par rencontrer Rob qu’elle trouve timide et mystérieux. Ils sympathisent. Hope monte sur scène avec Opal. Elle prend le chant et participe à une tournée américaine des Mary Chain. Voilà la genèse de Mazzy Star, l’un des groupes les plus mystérieux qui soient, aussi bien par l’allure que par le son.

Le deuxième album de Mazzy Star, So Tonight That I Might See, est plus connu, notamment pour son morceau titre qui est encore un hommage sensible au Velvet. Car gratté au heavy riff avec du pur Velvet beat dans le background. Rien de plus velvetien que ce cut d’église qui va mal et qui va bien en même temps. Rob fait des merveilles dans «Wasted», qui sonne comme un heavy groove du Mississippi. Hope la nubile se perd dans l’ombre d’un big Rob occupé à fabriquer de l’onirisme sonique. «Wasted» est leur marque de fabrique. Rob s’en va se perdre dans des télescopages de son invention, il se fait à la fois rempart et falaise, puis on le voit ramer dans la vase jusqu’à l’épuisement. L’autre coup de Jarnac est une reprise de Love, qui est avec les Doors et le Velvet l’une des principales influences de Rob. «Five String Serenade» est la cover idéale, comme virginale à l’aube d’un jour très pur. Ces gens-là sont fascinés par Athur Lee, au moins autant que les Shack de Liverpool. «Blue Light» brille dans la nuit par sa fabuleuse présence latente. Le son devient palpable tellement il est épais. Rob plane derrière son mur du son comme un vampire. Il joue beaucoup de coups d’acou. Si on écoute «Fade Into You» à travers Rob, ça n’a plus rien à voir. On l’entend gratter sa rémona derrière la ouate d’Hope. Mais il existe une authentique osmose entre eux, au moins aussi évidente que celle de Ronnie & Phil Spector. Hope Sandoval nous filerait presque le mal de mer avec ses accents à la Vanessa Paradis. Cette valorisation du nubilisme fait partie des dérives du monde moderne. Heureusement Rob veille au grain pour sécuriser le fond de la culotte du rock. Il peut aussi balancer des huge power-chords comme le montre «Bells Ring». Hope se fond dans le psychout so far out que fabrique Rob sur fond d’accords. C’est l’un des rois du re-re, il navigue au même niveau que William Reid. Puis on voit Hope chanter «Mary Of Silence» dans l’abnégation d’une nappe d’orgue bloquée. Ça vaut bien les niconneries de Nico, non ?

En 1996 paraît Among My Swan, avec un beau cygne sur la pochette. L’influence des Mary Chain s’y fait plus criante, notamment dans «Cry Cry», fabuleuse rengaine de non-recevoir, hit caché et poisseux qui se voudrait hymne tenace et ténébreux. Hope chante aussi «Happy» dans le mur du son de Rob. Ah quelle belle association, la juvénile et le conquérant, sur fond de pur jus de moisissures velvetiennes. Avec «Umbilical», ils vont plus sur le Pink Floyd de Syd Barrett, elle rôde dans le son, timide et résignée et ça donne un fantastique shoot de dérive adventiste, bien heavy sous le boisseau, une vraie infection arrosée d’acide. Ah il faut aussi aller se frotter à «Roseblood». Pendant que Rob gratte comme un dératé, elle garde son calme, comme le fait Mathilda dans Léon. Ce Roseblood est une petite merveille décadente, terrifiante d’anti-conformisme, la nubilité coule comme une crème de sexe sur la gueule de la société bien pensante, Rob a du répondant, il gratte certaines notes en vrai terminator de la décadence. Superbe exercice de style. Encore des relents de Velvet dans le «Disappear» d’ouverture de bal. Joli beat de deep tambourine et de swagger robackien. C’est une petite merveille intrusive dont on ne se lasserait pas, bien au contraire, aw my God, comme elle est bonne, cette petite havresse de paix bien baveuse, ce joli pot de miel bien riquiqui. C’est extrêmement porteur d’espoir, car beau et dirigé vers le ciel. Elle sait mener sa petite barque à la surface du lagon d’argent. On s’enfonce encore dans la nubilité avec «Flowers In December». C’est très relax, très dérivé du Gulf Stream, avec un peu de violon, histoire de. On reste dans le laid-back avec «Rhymes Of An Hour». Pas d’échappatoire. Chez Rob, c’est la règle, tout le monde doit aller sous le boisseau. Pas d’exception. Ça reste assez Velvet dans l’esprit, bien totémique, rien ne bouge dans l’espace glacé. Il ne faut rien en attendre de plus que ce qu’on y trouve. What you see is what you get, comme on disait alors chez Apple, au temps du fameux wysiwyg. On bâille un peu aux corneilles dans «Take Everything», jusqu’au moment où William Reid entre dans la danse avec un solo dégueulasse. Il éclate la fin du Take au slow-burning, incapable de se contenir plus longtemps. Tout est ramené au même niveau, comme on le voit avec «All Your Sister». La voix d’Hope éclot comme une rose dans le fond du son. Globalement, c’est assez glauque et ennuyeux, mais on écoute avec une ardeur non feinte. S’ensuit un «I’ve Been Let Down» bien gratté du bedon. Ce démon de Rob adore gratter mollement son shook au still coming round.

Leur dernier album s’appelle Seasons Of Your Day et baisse d’un ton. Il paraît 17 ans après le précédent. Ça reste du heavy Mazzy Star avec la voix d’Hope qui traîne dans les limbes de l’ombilic. Elle chante «In The Kingdom» dans la chaleur de la nuit et se montre une fois encore très impliquée, pendant que dans le background, Rob twiste ses notes altières sans ciller. Le cut qu’on peut retenir s’appelle «Common Burn», joué aux arpèges doublés de notes grasses. Elle chante ce cut lumineux à la pointe du gland et on pense naturellement à «Pale Blue Eyes». Tout est en suspension là-dedans, même l’harmo. Tout aussi impressionnant, voici «I’ve Gotta Stop». Rob traîne dans le fond de cette déchirure, car s’est son destin, yo ! Le voici condamné à errer pour l’éternité dans le fond de la cour d’école. Si on y réfléchit bien, ce ne doit pas être marrant de jouer dans Mazzy Star : ce vieux Rob semble condamné à gratter sa gratte derrière cette pauvre âme en perdition qu’est l’Hope. On s’ennuie, on écrit des vers de la prose, on pense à tout à rien en attendant le jour qui vient, comme le disait si bien Aragon. C’est vrai qu’ils éprouvent parfois des difficultés à créer la sensation. Pas facile de vouloir jouer la carte du duo kill kill. Ils prennent des risques énormes avec «Sparrow». Ça sonne comme du heavy Nico de couli-coula, avec des tambourins et des coups d’acou, du coup on perd tout le Velvet. L’indie rock rit jaune. Dents pourries. Nombreux sont les cuts qui ne marchent pas sur cet album livré au désespoir le plus profond.

L’autre grande idole de Rob n’est autre que Bert Jansch. Geoff Travis présente Bert aux deux Mazzy Stars. Travis sait que Rob l’admire, aussi propose-t-il à Bert d’ouvrir pour Rob à Londres, fin des années 90. Bert et Rob deviennent amis. On entend Bert jouer sur deux des cuts d’un album qu’Hope enregistre sous le nom d’Hope Sandoval & The Warm Inventions. En échange, Hope apparaît sur l’Edge Of A Dream de Bert et Rob joue sur le dernier album de Bert, The Black Swan. Rob et Hope viennent aussi jouer à l’annive de Bert en 2003, au Queen Elizabeth Hall de Londres. L’ultime collaboration de Bert et Rob se trouve justement sur le dernier album de Mazzy Star, Seasons Of Your Day : ils s’enferment tous les deux dans «Spoon» et foutent le paquet avec du bottleneck de turtle neck, mais ça ne suffit pas à sauver un album en difficulté.

L’Uncut de 2010 nous apprenait aussi que Rob s’était installé en Norvège et qu’il avait fait une apparition dans un film de Nick Nolte, Clean, en 2004.

Signé : Cazengler, David Rosbeef

David Roback. Disparu le 25 février 2020

Rain Parade. Emergency Third Rail Power Trip. Enigma Records 1983

Opal. Happy Nightmare Baby. SST Records 1987

Mazzy Star. She Hangs Brightly. Rough Trade 1990

Mazzy Star. So Tonight That I Might See. Capitol Records 1993

Mazzy Star. Among My Swan. Capitol Records 1996

Mazzy Star. Seasons Of Your Day. Rhymes Of An Hour Records 2013

 

 

Les Undertones en font des tonnes

- Part Two

 

Le premier dans le rang d’oignons, c’est Michael Bradley, bassiste juvénile et auteur du book dont on va parler. Derrière lui, se trouve Billy Doherty, le batteur juvénile. Puis Feargal Sharkey, singer juvénile, Damian O’Neill guitariste et benjamin du groupe, et enfin son frère John O’Neill, l’aîné de la ribambelle, guitariste rythmique et principal auteur des undertonneries qui vont les rendre tous les cinq célèbres dans le monde entier. Avec les Pistols et les Damned, les Undertones sont les cakes de ce big bac à sable qu’on appelait voici quarante ans le punk anglais.

Aucun groupe n’aurait pu rivaliser de génie juvénile avec les Undertones. C’est ce que montre sans vouloir le montrer Michael Bradley dans Teenage Kicks My Life As An Undertone. Il raconte l’histoire du groupe sans vraiment la raconter, avec une façon très particulière de ne pas se poser de questions, ou plutôt si, il se les pose mais se fout des réponses. Les réponses ne l’intéressent pas, et elles n’intéressent pas non plus ses quatre petits potos. Dès qu’on leur parle un peu, ils tournent la tête ou ils s’en vont. Ils n’ont rien de spécial à raconter. Les troubles ? Ils laissent ça aux gros durs de Belfast. D’ailleurs, ils ont la trouille d’aller à Belfast. La vie est moins dangereuse, là-haut, à Londonderry qu’on appelle aussi Derry.

Ils se retrouvent tous les cinq chez les O’Neill, au 22 Beachwood Avenue. Le front-room des O’Neill, c’est leur quartier général. C’est là qu’ils regardent la télé tous ensemble, qu’ils écoutent leurs disques, c’est-à-dire les Doors et le White Album, les Flying Burrito Brothers, les Bluesbreakers et Steely Dan. John O’Neill lit le NME chaque semaine et écoute pieusement John Peel à la radio. Il cultive son taste. Puis un jour, il décide avec Billy de monter un groupe. Mais comme ils n’ont pas de blé, il faut acheter le matos à crédit. Ils savent qu’à Donegal, juste de l’autre côté de la frontière, un marchand d’instruments accepte les ‘Provident cheques’, un mode de paiement basé sur un taux d’usure à 150 %. En remboursant 10 £ par semaine, ils peuvent acheter 500 £ de matériel : une basse avec un ampli Selmer, un ampli guitare Shin-ei et une batterie. Chaque vendredi, Billy, Michael, John, Damian et Feargal donnent chacun 2 £ à Monsieur O’Neill pour qu’il puisse rembourser le Provident man. Au moins Billy a sa batterie. Il saura en faire bon usage.

Bon, maintenant, il faut apprendre à jouer. Alors ils apprennent dans le front-room des O’Neill. Jouer quoi ? Des reprises ? Comme Damian sait jouer les accords de Chuck Berry, il peut donc jouer ceux de Keith Richards. Comme ils adorent Get Yer Ya-Yas Out, ils reprennent tous les vieux coucous de la Stonesy, «Carol», «Sympathy For The Devil» et «Jumping Jack Flash». Et puis un jour, ils font la connaissance d’un certain Domnhall McDermott qui possède des disques pour le moins exotiques : le premier album des Ramones, le deuxième Dolls, le Funhouse des Stooges, Nuggets et le premier Doctor Feelgood. Alors John O’Neill décide de taper dans cette caverne d’Ali Baba et le groupe apprend à jouer «TV Eye» et «Loose» des Stooges, le «Dirty Water» des Standells, le «Blitzkrieg Pop» des Ramones et le «Puss’n’Boots» des Dolls. Le groupe n’a pas encore de nom. Le cousin Aidan Barrett dit qu’il a une idée.

— C’est quoi ?

— Monkey Fuck !

Personne ne répond. Et comme ils cassent un peu les oreilles des parents O’Neill avec leurs répètes dans le salon, ils cherchent un local à l’extérieur : Paddy Simms leur propose the Shed et c’est là qu’ils deviennent les Undertones. Puis John O’Neill décide de composer des chansons. Pourquoi ? Parce que c’est moins compliqué de jouer ses compos que d’apprendre celles des autres. Cette pirouette contient toute la philosophie des Undertones. Une philosophie que nourrit chaque semaine une bible qui s’appelle le NME et un maître à ne pas penser qui s’appelle John Peel. Quand John O’Neill arrive en répète avec une nouvelle chanson, par exemple «Teenage Kicks», les autres regardent où il met les doigts sur son manche et ils reproduisent les accords. John O’Neill : «Teenage Kicks, very simple, three chords, cliched lyrics.» Pas de bombes ni de violence dans leurs paroles, plutôt des filles et du chocolat.

Les filles ? Comme c’est la tradition en Irlande, ils seront tous mariés à vingt ans avec leurs girlfriends, sauf Damian qui opte pour le célibat. Pour l’instant, ils se concentrent sur la musique et les fringues. Ils ne portent pas des Levis mais des Wrangler. Et bien sûr des Dr Martens aux pieds. Pas question de porter les fringues de McLaren à Derry, c’est un coup à se faire péter la gueule, comme le rappelle Damian dans Mojo : «If you dressed weird on the street you got your head kicked in!»

Évidemment, chez les gens pauvres d’Irlande, il n’est pas question d’études. Tout le monde au boulot. Les familles O’Neill, Sharkey, Doherty et Bradley n’ont pas les moyens de payer des études à leurs gosses. Surtout chez les Bradley où il y a dix bouches à nourrir. Les Undertones finissent par jouer régulièrement dans un club de Derry, the Casbah, ce qui leur permet de tester sur scène les compos de John O’Neill. Puis ils arrivent à bricoler un accord avec Terri Hooley, le boss du record shop Good Vibrations à Belfast, pour enregistrer EP : quatre titres, dont «Teenage Kicks». C’est la première fois qu’ils vont à Belfast et sont assez contents car Terri Hooley ne s’occupe pas du tout de l’enregistrement. Il arrive juste le jour du mixage pour écouter le résultat. Bon, les Undertones ont réussi à enregistrer un disque, mais John O’Neill n’est pas sûr qu’il soit vraiment bon : «We didn’t think it sounded that great.»

Tout le monde connaît la suite de l’histoire : «Teenage Kicks» tombe dans les pattes de John Peel qui s’en éprend violemment et qui le passe deux fois de suite le premier soir, en prononçant ces paroles historiques : «I’ll tell you what, you know, I’ve not done this for ages but I think you ought to hear that again.» (Je vais vous dire une chose, je n’ai pas fait ça depuis longtemps, mais je crois vraiment que vous devriez réentendre ce truc-là). Alors évidemment, une fois que Peely a chanté les louanges des Undertones, le téléphone se met à sonner chez les O’Neill. Les requins arrivent ! Sire est le premier. Ça plaît beaucoup aux Undertones parce que c’est le label des Ramones. Peely et son producteur John Waters assistent au premier rendez-vous à Londres : ils conjurent les Undertones de ne pas signer le premier contrat qu’on leur soumet, alors qu’ils viennent précisément à Londres pour signer un contrat. Malgré les conjurations des deux Johns, Michael et Feargal vont chez Seymour Stein signer leur contrat. John, Billy et Damian ont déjà signé. Stein leur explique le principe des pourcentages. Avant que Michael et Feargal aient pu comprendre le principe des pourcentages, Stein aborde la question des options échelonnées sur la première, la deuxième et la troisième année. Michael n’y pige rien. Il sent qu’il n’est pas du tout à la hauteur de la situation. Stein :

— Il vous revient huit points, moins une déduction de 10 points pour le packaging, sur 90 % des ventes, avec 75 % sur la vente de cassettes aux USA et 60 % pour le reste du monde.

Michael fait le calcul : il déduit 10 % des 8 % indiqués et multiplie le résultat par 90 %, ce qui lui donne -18, mais Stein aborde déjà la question du publishing, c’est-à-dire les droits d’auteur. Pendant que Michael fait des efforts désespérés de calcul mental, Feargal observe le New York mogul à travers la fumée de sa cigarette. Feargal ne peut pas dire grand chose non plus. Il n’a aucune notion juridique. Comment peut-il distinguer un bon d’un mauvais contrat ? Feargal, nous dit Michael, se contente d’observer Stein à travers la fumée de sa cigarette en se donnant l’air d’un mec qu’il ne faut pas prendre pour un con. Une sorte de Clint Eastwood. Bon, alors ? Ils signent. Stein charge alors Michael d’appeler les autres qui sont à Derry pour leur annoncer la bonne nouvelle. Michael fait le numéro des O’Neill sur le téléphone de Stein :

— Ils nous offrent une avance de 8 000 £ et encore 10 000 une fois qu’on a fait le premier album !

C’est Billy qui a décroché. Il répond à Michael :

— Les Rich Kids ont eu 60 000 !

Alors Michael se tourne vers Stein et lance :

— Les Rich Kids ont eu 60 000 !

Il y a un blanc. Stein réussit à garder son calme. Il se contente d’augmenter un peu l’avance qui passe à 10 000. Puis les Undertones découvrent par la suite que l’avance n’est pas un cadeau : c’est une avance sur les royalties. Sire se rembourse l’avance en récupérant 10 000 £ de royalties. S’il n’y a pas assez de royalties, ça devient une dette. Quant au publishing, c’est encore une belle arnaque. Personne n’a rien signé, mais c’est Bleu Disque, la filiale publishing de Sire qui empoche les royalties. Même montage que Chess et les autres. C’est comme si on leur arrachait leur bonbon des mains. Pour se remonter le moral en sortant de la réunion, Michael et Feargal vont s’offrir un big mac avec des frites et un coca.

Il n’empêche que les voilà lancés dans le showbiz, avec un contrat discographique, un manager et des tournées à honorer. C’est encore l’époque où il faut tourner pour vendre des disques. Quand ils passent à Londres, ils vont voir leur père spirituel John Peel travailler à la BBC. Ils s’entassent tous les cinq avec lui dans le petit studio et le regardent passer des disques, faire son petit commentaire et ranger les disques un par un dans les bonnes pochettes. Peely emmène toujours les Undertones manger un morceau avec lui, pour s’assurer qu’ils sont correctement nourris.

Sire décide que Roger Bechirian va produire le premier album. Billy aurait bien voulu John Lennon, mais Sire dit que c’est Bechirian, un nom qu’on voit au dos des pochettes de Costello. Et pour la pochette ? Sire envoie Michael et Damian en délégation chez un graphiste nommé Bush. Michael et Damian savent exactement ce qu’ils veulent :

— Une photo en noir et blanc prise à Derry.

— En noir et blanc ?

— Oui, en noir et blanc, comme la pochette des Ramones !

Bush a l’air soucieux. Pour lui, mettre une photo plein pot, ce n’est pas du boulot.

— Mon job est de faire le design d’une pochette. Que diriez-vous si on vous demandait de chanter des berceuses plutôt que des chansons ?

Michael et Damian tournent la tête. Ils ne savent pas quoi répondre. Bush se gratte longuement la tête :

— Il faut que je trouve une idée. Il me faut un concept graphique...

Michael et Damian écrasent leur banane. Ils ne veulent surtout pas le vexer. Surtout qu’il a une belle coiffure : une grosse afro anglaise. Michael en déduit que Bush vient de l’afro. Bush réfléchit. Il faut attendre que ça vienne. Michael et Damian scrutent le parquet. Soudain Bush saute en l’air :

— Et si son déchirait le coin supérieur de l’image, qu’on la tournait ensuite de 45° et qu’on la laissait sur un fond blanc ?

— Wouahhh ! Génial !

— Et si on écrivait ‘The Undertones’ au dessus, dans une grosse typo verte outlined de noir ?

— Wouahhh ! Fantastique !

En relatant cet épisode cocasse, Michael semble se marrer, mais en fait rien n’est moins sûr. Peut-être prend-il les choses au premier degré, comme lorsqu’on prend la connerie des gens pour argent comptant. Mais il faut aussi essayer de se mettre dans la tête d’un Irlandais, et là ça devient un vrai casse-tête. Cette distanciation pourrait bien n’être qu’une forme naturelle d’auto-protection. La distanciation n’a rien à voir avec la dérision. Seuls les gens des races blanches dites supérieures pratiquent naturellement la dérision : ils s’appuient à la fois sur un fort sentiment de supériorité et une solide culture. Ce qu’on prend pour de l’auto-dérision dans certaines pages du récit de Michael Bradley n’est en fait qu’une fantastique aptitude naturelle à la distanciation : jamais de jugement de valeur en bien ou en mal, c’est plutôt une façon de voir les êtres et les situations pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des éléments microscopiques, soit au regard de l’univers, soit au regard de l’éternité. Le sentiment de n’être rien, une certaine forme de sagesse non intellectuelle.

La musique des Undertones est une parfaite illustration de cette hypothèse. S’il fallait définir l’ambiance de leur premier album, on pourrait parler de fraîcheur de ton. Il faut entendre Billy battre «Family Entertainment» et Fergal faire son Irish punk. On a l’impression d’être dans le front-room des O’Neill. Pas de salamalecs. C’est stupéfiant de non-prétention. On peut même parler d’anti-Clash. Ils sont terriblement carrés et bien en place. Ils ne lâchent pas leur petit os. «Teenage Kicks» ne figure pas sur ce premier album, mais d’autres hits font dresser l’oreille : «Jump Boys», «Here Comes The Summer» et surtout «Jimmy Jimmy», amené par une belle attaque au chant et monté sur un riff vainqueur. Si on chope la réédition Castle parue en l’an 2000, on y trouve «Teenage Kicks», le hit parfait, avec les clap-hands dans le gras de la couenne du son et le brillant wanna hold you tight de Feargal. Et dans les bonus traînent quelques bombes comme ce «True Confessions» assez wild et copieusement riffé. Leur «Emergency Cases» sent bon les Stooges. En matière de délinquance juvénile, on ne fera jamais mieux que «Mars Bars», battu comme plâtre par Billy sur sa batterie de Donegal. C’est avec ce fantastique «Mars Bars» que Feargal devient le seigneur des annales. «You’ve Got My Number» est sans doute l’un de leurs plus gros pétards, ils sonnent comme les Heartbreakers, you know my name, Billy on the beat, tout est bon chez les kids de Derry et cette série de bonus terrifiants se termine avec une version explosive de «Let’s Talk About Girls». Les voilà chez les Chocolate, Feargal sonne les cloches de ce vieux classique, ces kids y croient dur comme fer, ça s’entend, il faut voir cette section rythmique, do-dah-doo, ils jouent tout ce qu’ils peuvent jouer dans leur bac à sable.

Il faut aussi écouter leur deuxième album, Hypnotised, qui s’ouvre sur un gros clin d’œil, «More Songs About Chocolate & Girls». Ils sont très potache, ils n’en font pas exprès, chez eux c’est naturel. Il suffit de voir la pochette, Michael et Billy à table avec des serviettes à motifs homard autour du cou. On est vite rattrapé par l’allégresse du morceau titre, un cut plein d’allant et de reviens-y. Feargal semble jeter tout son teenage angst dans la balance. Ils parviennent même à imposer un son avec des compos mi-figue mi-raisin comme «The Way Girls Talk» ou un «Hard Luck» monté sur Billy beat impeccable. Pur jus d’Irish pop libre et frais. Boum ! «My Perfect Cousin» fait sauter la B.

L’autre illustration de l’hypothèse de distanciation est le récit que fait Michael Bradley de leur tournée américaine. On leur propose de jouer en première partie d’une vaste tournée américaine des Clash. Michael Bradley trouve les Clash très chaleureux, très bienveillants et surtout très bien habillés. Il dit même qu’ils semblent sortir d’un film de Marlon Brando. Strummer and co en foutent plein la vue aux Irlandais qui, en comparaison, semblent sous-alimentés et affreusement mal coiffés (bad haircuts). Pendant la tournée, les deux groupes n’échangent pas beaucoup. Les Undertones n’ont rien d’intéressant à raconter aux héros de la scène punk anglaise. Et puis, il faut bien dire que le cirque des tournées ne les intéresse pas beaucoup. Ils aimeraient bien pouvoir causer un peu avec David Johansen ou Bo Diddley qui sont programmés en sandwich entre les Undertones et les Clash, mais ils n’ont rien de spécial à leur raconter. D’ailleurs, l’idée d’avoir du succès en Amérique ne leur chauffe même pas la tête. Breaking America ? L’ultime ambition de tous les groupes anglais ? Ce n’est pas celle des Undertones, en tous les cas. Ils s’en foutent. Ils ont surtout le mal du pays. Ils ne pensent qu’à rentrer à Derry et à retrouver leurs petites copines. Michael Bradley dit même à un moment qu’il est extrêmement fier de son manque d’ambition. C’est une valeur qu’ils partagent tous les cinq. Pour lui, le manque d’ambition est le cœur de l’éthique punk. Il n’aime pas beaucoup les groupes ambitieux, et Thin Lizzy en particulier : les futes en cuir, les horribles guitares, les plans de carrière. Bertk ! Mais en même temps, il s’en excuse, comme il s’excuse de ne pas aimer Stiff Little Fingers.

Le désintérêt des Undertones va loin : lorsqu’ils entrent en réunion avec leur manager Andy Ferguson, il n’y en a que deux qui écoutent : John et Billy. Feargal cherche des idées, Michael balance des vannes et Damian s’endort au bout de dix minutes. Rien ne semble pouvoir les intéresser, ni les règles du showbiz, ni les tournées, ni l’alcool, ni les drogues. Et ils n’aiment pas beaucoup les gens des maisons de disques. C’est instinctif. Par contre tout ce qui les intéresse se trouve dans une vidéo filmée à Derry, au 22 Beechwood Avenue, là où sont installés les O’Neill, home of the Undertones : le foot, le bad dancing et tous leurs copains rassemblés dans le jardin. Leur univers, c’est Derry en 1980.

Et puis un jour, ils sont invités à jouer dans une émission de télé en même temps qu’un groupe de débutants, Duran Duran. Et Michael Bradley voit en Duran Duran l’avenir du rock, c’est-à-dire des gens prêts à tout pour réussir. Duran Duran, c’est l’antithèse des Undertones, ces petits branleurs d’Irlande du Nord qui ne s’intéressent à rien.

Le premier qui va en avoir marre, c’est Feargal. Il demande une réunion et annonce aux autres qu’il veut arrêter tout ce cirque. Soulagement général ! Damian est content que ça s’arrête. John ne dit rien. Consterné, Billy regarde les autres. Il ne s’y attendait pas. La conversation s’achève là, en même temps que le groupe. Pas de commentaires. Il n’y a rien de plus à dire. Ils font deux ou trois concerts d’adieu. Pas de discours, pas de larmes, pas de couronnes de fleurs. Les Undertones font leurs funérailles tout seuls, comme des grands.

En 1989, pour le cinquantième anniversaire de John Peel, on a demandé aux Undertones de se reformer en secret et de lui faire la surprise de venir jouer dans son salon. Pas de problème, mais Feargal est arrivé à la répète avec un gros mal de gorge, donc il n’a pas pu chanter. Et la veille de l’annive, Louis O’Neill, le père de John et Damian, a cassé sa pipe en bois. Ce fut la fin du projet.

Signé : Cazengler, Underpant

Undertones. ST. Sire 1979

Undertones. Hypnotised. Sire 1980

Michael Bradley. Teenage Kicks. Omnibus Press 2016

Lois Wilson : The Undertones Get Teenage Kicks. Mojo # 315 - February 2020

 

*

Rien de plus énervant que les volutes de fumée. Ne craignez rien je ne suis pas devenu écobobolo durant le confinement. Je n'éprouve aucun dégoût à l'encontre du fumet délicat d'une cigarette grésillante qui s'en vient chatouiller mes narines, j'irais jusqu'à dire que les bleuâtres nuages bleuâcres qui s'échappent à gros panaches d'un Coronado, ce délectable cigare des rois et des princes et des chefs, sont de la part des Dieux un don délicieux que dans leur grande magnanimité les Immortels nous ont octroyé pour nous consoler de la brièveté de nos existences.

Mais il est d'autres fumées bien plus nauséabondes à humer. Toutefois comme le choc des images pèse plus lourd que le poids deS mots, je vous invite à regarder le clip ci-dessous. L'est de Volutes, la semaine dernière nous avons zieuté leurs trois vidéo-intitulées : J'ai la rage...Tout un programme. Prenez place et n'en perdez pas une miette.

SYRIANA / VOLUTES

( Clip : 25 / 09 / 2019 )

Cela tombe bien, nos deux gaillards – le troisième doit être derrière la caméra - confortablement installés dans un splendide divan en cuir mauve de vachettes ( que les vegans n'ont pas réussi à sauver ) visionnent les informations. Quelle chaîne ? je l'appellerais l'envoi informatif de ses maîtres, je vous rassure, pour une fois tout va bien. Le résultat des opérations militaires tombe juste : tout est parfait. Les esprits sensibles feraient mieux de s'arrêter là. Pris d'une folie subite, voici nos deux amateurs de canapé qui s'emparent du poste et se mettent à le transporter dans les rues au rythme des vieux films tressautant de Charlot. Se dépêchent parce que le clip ne dure que deux minutes trente-trois secondes, qu'ils en ont déjà bouffé quinze et que le sujet qu'ils évoquent est des plus complexes. Sans doute est-ce pour cela qu'une mélodie orientale déferle brutalement sur vous et qu'ils vous fourguent les paroles à cent kilo-mot-mètres à l'heure.

Pour le décor, ils auraient pu faire un effort. La France ne manque pas de beaux paysages. Pins des Landes, rochers du Sidobre, glaciers altiers des Alpes, plages de sable méditerranéennes. Non, z'ont choisi a zone. La banlieue. Ses immeubles gris, ses tags bestialement colorés, ses ballasts glauques à rails monotones pour les bétaillères à travailleurs mal-payés, ses détritus de vies clandestines saccagées, et tout de suite – Balzac a théorisé cela en remarquant que la laideur des lieux influe négativement sur le caractère de leurs occupants - ils adoptent des manières de racaille. Ne pensent qu'à casser leur grand-écran, qu'ils projettent depuis le haut des ponts sur les voies de chemin de fer.

Du bon matos. Ce doit être du made in France. Pas de la camelote venue de Chine. Ça rebondit comme une balle de caoutchouc. Pas une éraflure. Pas une écorchure. Même que le poste continue à fonctionner. Aucun problème pour suivre la suite des infos. Ce ne sont pas les jeux idiots de deux zozos qui vont arrêter la marche du monde. C'est là que l'on retrouve les volutes de fumée que je n'apprécie guère. Non, ce n'est pas une émission sur les méfaits du tabac. Juste des images sur la situation en Syrie. Nous sommes en 2018. Bombardements tous azimuts. Explosions et boules de feu. Cumulus de fumée, flammes et poussières mêlées. Vous n'apprécierez guerre. Même si dans le commentaire introductif l'on vous a seriné que tout est parfait. Certes sur le clip ce n'est pas en continu, il y a des moments marrants avec ce poste de TV qui rebondit comme un ballon de basket.

Je pourrais arrêter sur cette image pas franchement idyllique mais souriante, or il y a un dernier problème. Ce sont les paroles du morceau. Faut s'accrocher et repasser le clip plusieurs fois. Le tube est tohu-bohuesque. C'est que Volutes, ils ne font pas dans la gentillette condamnation qui met tout le monde d'accord : ne disent pas que la guerre en Syrie ce n'est pas bien, qu'il faut l'arrêter tout de suite et qu'alors ce sera mieux.

Z'avez l'impression d'un truc à l'emporte-pièce, d'un micmac inqualifiable, c'est que voyez-vous, quand on essaie de comprendre et que l'on tente de sérier les éléments, l'on s'aperçoit des vertiges de la mondialisation. Tout est imbriqué. Et la dialectique n'est pas toujours capable de casser les briques. Politique, argent, clauses secrètes, convergences idéologiques et intérêts divergents, terrorisme, matières premières, religion... il n'y a pas de tout bons d'un côté et de gros méchants de l'autre, que du mauvais partout. Pas d'information, uniquement des manipulations. D'où cette télé à casser. D'où la banlieue. Car nous habitons la banlieue de la guerre mondiale. Notre monde est un mikado. Qu'un papillon financier fronce une aile à l'autre bout du monde et une tempête se lèvera à des milliers de kilomètres de là.

En deux minutes Volutes vous met les idées au clair : nous habitons une poudrière. Sur ce bonne soirée.

Damie Chad.

Le lecteur friand de l'aspect musical de Syriana se jettera sur la chro consacrée à la recension de leur disque. Voir livraison 427 du 29 / 08 / 2020.

Pour ceux qui veulent comprendre l'engrenage syrien la vision de Syriana film de Stephen Gaghan, paru en 2005, s'avèrera utile.

Pour ceux qui veulent plonger au cœur du cauchemar regardez Pour Sama ( 2019 ) de Waad al-Kateab. Ce n'est pas un film, uniquement des vidéos tournées in-situ. Attention les morts sont de vrais morts et le sang qui coule du vrai sang. Sans aucun voyeurisme. Sans adoucissant. Sans chiqué. Vous risquez d'en ressortir choqués.

 

FELIX PAPPALARDI

BLUES CREATION

&

CREATION

En ces temps d'après deuxième conflit mondial les jeunes japonais ne furent guère rancuniers. Douze années ne s'étaient pas écoulées depuis Hiroshima que Gene Vincent, fut reçu à bras ouverts. Au début des années soixante les Animals et les Rolling Stones imposèrent le goût du blues électrifié au pays du soleil levant. Par l'intermédiaire de ses bases militaires – appui logistique d'importance pour la guerre du Vietnam – the american rock'n'roll way of life fournit à une saine jeunesse avide de nouvelles connaissances tous les produits nécessaires à certaines expérimentations mentales...

Kazuo Takeda n'avait pas vingt ans qu'il participait déjà au nippon blues boom en tant que lead guitarist du groupe Blues Creation. Il avoue avec une trop grande modestie qu'il devait se concentrer un maximum sur ses cordes... leur premier album éponyme paru en 1969 était uniquement constitué de reprises de blues, Sonny '' Rice Miller '' Williamson, Willie Dixon, Muddy Waters... le deuxième fut enregistré avec la chanteuse folk Carmen Maki qui voulait tâter du rock, l'on y relève une version de Saint James Infirmary, dans cette même année 1971, ils enregistrèrent Demon and eleven children, peut-être le meilleur des albums du rock japonais de l'époque. en 72 le groupe splitta pour divergences musicales...

DEMON AND ELEVEN CHILDREN

Kazuo Takeda : guitare + compositions / Akiyoshi Higushi : batterie / Masashi Saeki : basse / Hiromi Osawa : vocals.

Atomic bomb away : pluie de bombes, guitares en piqués, rythmique lourde, la voix un peu maigrelette, mais l'orchestration s'y colle dessus et ne l'abandonne jamais même quand elle essaie de monter vers les nuages. Rempli de clichés mais de ceux qui font les bonnes photos. Partent du principe qu'il ne faut pas ennuyer l'auditeur, alors ils vous refilent sans arrêt de nouveaux plans. Une basse qui se souvient de Mountain, et un guitariste qui est un as du cha-no-yu sur table branlante. Missssippi mountain blues : un bon blues du piedmont avec harmonica, voix creuse et rythmique infatigable. Un peu trop attendu, la guitare qui se fait toute petite dans son coin même quand elle soloïse. Un blues qui ne vous invite pas au suicide est-il un bon blues ? Just I was born : c'est parti pour le galop du grand derby, la batterie répétitive et qui semble là pour assurer une présence discrète. C'est le vocal et la guitare qui portent le groupe. Ne jouent pas sur les coupes franches, z'avez l'impression que vous vous dirigez vers la fin du morceau mais la guitare embraye et le moulin à café tourne sans fin. Le client-roi retenu en captivité auditive doit en avoir pour son argent. Sorrow : essayent les vitesses une à une, à fond pour la guitare et tout doux lorsque la basse prend le relai. Vocal un peu gentillet, on ne peut pas leur en vouloir, ils ont du chagrin. Une guitare qui claptone un peu et qui prend son temps entrecoupée par des mélodies qui louchent du côté des Beatles. One summer day : le slow scorpionique, retirez les rideaux de vos fenêtres et pleurez à chaudes larmes votre amour perdu. Pourraient être un peu plus machos et partir du principe qu'une de perdue c'est dix riffs d'acier de gagnés. Brane baster : un minuscule soupçon d'acoustique, z'ensuite l'électrique joue au train qui s'éloigne à toute vitesse sur l'infini des rails. Dépasse difficilement les deux minutes, instrumental des plus agréables pour des oreilles rock. Sooner or later : moins hard, louchent un peu sur le british pop. Mélodie, écho souterrain dans la voix, cela n'a jamais tué personne, mais ça ne fait pas de mal non plus. Bonne partie de guitare finale. Demon & eleven children : le titre dure neuf minutes, ce qui est certain c'est qu'on ne s'ennuie pas en l'écoutant. Sont décidés à nous montrer tout ce qu'ils savent faire et ma foi ils peuvent vous réciter l'Encyclopédie Universalis à l'endroit et à l'envers. Si vous ne devez écouter qu'un unique morceau, ce sera celui-là. Une belle vitrine.

Précision utile sur ce démon et ces onze enfants. Ce n'est en rien un concept-album qui raconterait un sombre conte No, une espèce de Petit Poucet à la sauce nippone. Le titre a été rajouté au dernier moment par la maison de disques pour inciter les clients à acheter... L'ogre démoniaque du marketing nous dévorera tous.

Etrangement cet album de 1971 laisse présager ce que le suivant occulte totalement. Kazuo Takeda évoluera. Les mauvaises langues diront qu'il reniera sans état d'âme son passé de rocker et de hard rocker. Il se dirigera vers des musiques plus complexes, plus aventureuses, du prog à la la fusion pour finir par le jazz. Sachant cela, si vous écoutez cet album vous remarquerez que les structures des morceaux ne sont jamais fixes, que leur principal défaut, qui fonde aussi leur singulière qualité, est qu'elles reposent sciemment sur une instabilité généralisée.

 

En 72 le groupe splitta pour divergences musicales... Kazuo Takeda ne se découragea pas le quatuor Blues Creation était mort, il partit humer l'air chaudement musical de Londres et revint au pays pour créer le power trio Creation. En 1973, les voici recrutés pour assurer la première partie de la tournée de Mountain au Japon. Le courant ne passe pas avec Leslie West et Corky Laing, toutefois une franche camaraderie se crée avec le couple Felix et Gail Pappalardi...

En 1975 paraît le premier disque de Creation devenu quatuor :

CREATION

( 1975 )

Ne se sont pas foulés pour le titre de l'album. Par contre question pochette Hajime Sawatari frappa un grand coup. Je n pense que de nos jours un groupe ne se permettrait pas une telle couve. Sawatari est un photographe connu pour ses photos scandaleusement osées, peut-être a-t-il médité sur le poème de Baudelaire J'aime le souvenir de ces époques nues... Je n'ose pas dire que je vous laisse vous rincer l'œil.

Kazuo Flash Takeda : lead guitar, keyboards, lead vocals / Yoshiaki Iljima : guitar / Shigeru Matsumoto : bass / Masayuki Higuchi : drums.

You better find out / A magic lady / Lonely night / Tobacco road / Fairy tale / Pretty Sue / Got to get together / Watch 'n' chain / Feelin Blue / Blues from the yellow /

Rien à reprocher à ce disque, à part que tout le monde en a déjà entendu des centaines du même style. Le contenu ne vaut pas la couverture. Pour le deuxième opus de Creation, Kazuo Takeda qui a voulu remédier à la situation fait appel à Felix et Gail Pappalardi qui l'invitent chez eux à Nantucket pour l'écriture et le choix des morceaux. L'enregistrement aura lieu à New York.

FELIX PAPPALARDI & CREATION

( 1976 )

Shigeru "Sugar" Matsumoto : bass / Felix Pappalardi : Bass, keyboards, vocals / Masayuki "Thunder" Higuchi : drums / Kazuo "Flash" Takeda : lead guitar / Yoshiaki "Daybreak" Iijima : rhythm guitar / Producer : Felix Pappalardi, Gail Collins.

Prudemment A& M Records s'est chargé de la pochette !

She's got me : c'est terrible. Pour les mettre en confiance, les deux premiers morceaux du disques sont repris sur le premier album des Creation. Vous avez vite fait d'entendre la différence. La guitare de Takeda qui filait dans tous les sens, Felix vous l'a domestiquée, n'est pas là pour faire la belle mais pour construire le morceau. Une chose est sûre on n'est plus dans Creation mais l'on n'est pas dans Mountain, non plus. Takeda dira que Pappalardi lui a ouvert les yeux et les oreilles. N'y a pas que le hard rock dans la vie. L'important c'est d'être soi-même. Méfions-nous des montagnes, elles font de l'ombre. Un sorcier est aux manettes et la batterie d'Higuchi a pris de l'ampleur. Pas question non plus d'épaissir le son à devenir sourd, tout est dans la justesse, l'équilibre des forces. Voyez comment l'harmonica de Paul Butterfield se fond dans les guitares. Dreams, I dream of you : rien qu'au titre l'on comprend que l'on change de registre, on vous a montré comment on équilibre le rock, maintenant c'est le moment d'accompagner la roucoulade. Felix nostalgise au vocal, entre slow sixties et mélodie à la Sinatra. Pas du tout sinistre. Green rock road : et l'on passe de la variétoche à la ballade américaine, une guitare qui countryse et tout le mystère réside dans l'art de poser le timbre vocal sur l'enveloppe instrumentale, mine de rien, mine d'or. Preacher's daughter : le moment de balancer la voix, les guitares suivent et Pappalardi se fait plaisir, au Japon l'album est sorti sous le titre Creation et Felix Pappalardi, les acheteurs ont dû être surpris. Une petite merveille, mais ni le bruit ni la fureur créationiste. Listen to the music : Felix ''maître zen de sagesse'' Pappalardi au vibraphone laisse tomber des gouttes de pluie dans la limpidité d'une vasque au bord de laquelle s'élèvent trois roseaux solitaires. La sérénité du jardin japonais. Tout un art de grande subtilité. Secret power : un petit rappel sur une paroi de haute montagne, les guitares plantent les pitons, ça glisse un peu sur la glace, mais c'est juste une démonstration, Pappalardi jette les bases mais ne dévoile pas pas le sommet. Superbe. Summer days : les amerloques adorent l'été, à les écouter il est rarement brûlant, l'est mélancolique à pleurer, ces jours n'échappent pas à la règle intangible des rêves brisés. Pappalardi se gargarise du masochiste plaisir du désespoir. Dark eyed lady of the night : légèrement plus pimenté que le précédent, mais juste un arôme furtif. Une guitare narquoise, tout en finesse, rien à voir avec La mort viendra et elle aura tes yeux le dernier recueil de Pavese. Ballad od a sad cafe : le temps se met au gris, les nuages s'approchent, magnifique, grandiloquent, un dernier éclat de guitare et la symphonie s'achève.

Répétons-le les amateurs de Creation et de Mountain risquent d'être déçus. Pappalardi entertainment pousse la chansonnette. Avec tout autre que lui ce serait mièvre et insupportable. Les quatre ultimes américanades sont de véritables pièces de musique, des compositions au sens classique du terme, mais traitées en rock, rien à voir avec les orchestrations de Bernstein, mais l'on est dans cette veine, Gail et Felix ont créé un étrange mix qui louche autant vers la comédie musicale, que vers le country. Quelle idée baroque de se servir d'un groupe japonais pour embrasser en filigrane une bonne partie du spectre de la musique populaire américaine !

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TRAVELLIN' IN THE DARK

LIVE... DENVER '76

Reste que l'on est curieux de savoir comment le disque studio sera retranscrit live. Même si le titre de cet album public est un énorme clin d'œil à Mountain, c'est bien Pappalardi qui mène la cordée, et qui a décidé de poursuivre la voie qu'il a explorée sur Climbing ! avec des compositions comme Theme for an imaginary western.

Kazuo Flash Takeda : lead guitar, keyboards, lead vocals / Yoshiaki Iljima : guitar / Shigeru Matsumoto : bass / Masayuki Higuchi : drums.

Preacher's daughter : c'est ici que l'on comprend le choix de Creation comme groupe d'accompagnement. Et pour ce premier morceau il semble que c'est plutôt le son de Blues Creation qui de fait a été sélectionné. Notamment la fluide guitare de Takeda, et si les tambours de Higushi sont renforcés, les grosses poutres riffiennes du premier disque de Creation ont été transformées en copeaux pour alimenter un feu soutenu et continu mais sans sursauts de hautes flammes. Pappalardi s'est réservé la part du lion, le chant, et il ne s'en prive pas. L'est le croupier qui mène le jeu, ramasse les jetons, et fait tourner la roulette. Russe. Prend manifestement son pied. Big boss. En fin de partie c'est lui qui rafle la banque. Secret power : c'est le morceau le plus montagneux du disque studio, Pappalardi calme le jeu, l'est aidé par la basse de Matusumo mixée tout devant qui ralentit les escalades et veille aux dégringolades. Un petit éboulement de quelques milliers de tonnes ne nous aurait pas déplu, mais Pappalardi ouvre son gosier et domine la situation comme l'aigle du haut de son aire maîtrise tout ce qui rampe sous lui. Dreams, I dream of you : le Felix est heureux comme un cat apprivoisé qui ronronne sur son coussin de soie rose. Vous étale la marmelade à larges louches, vous vous pourléchez les doigts à l'idée de penser qu'il englue ses tartines rien que vous faire plaisir. Vous y mordez dedans à pleines dents et vous en avez jusqu'aux oreilles. Derrière les Creation violonisent. Sucre candy. Travellin' in the dark : le titre comme vous ne l'avez jamais entendu, sous forme de berceuse pour enfants sages pour qu'ils n'aient jamais peur de dormir dans le noir. Le pire c'est que ce n'est pas mal du tout. Tout le charme pastel des illustrations de Gail. Reason to believe : ne l'oublions pas Pappalardi a débuté en tant que producteur de la scène folk new yorkaise. Une reprise gentillette de Tim Hardin. Nous l'interprète en militant apaisé. Dark eyed lady of the night : une version montagnarde, le morceau idéal pour les musicos, que chacun ait son heure de gloire et les yeux de la lady s'éclairciront pendant que Felix chante son aubade. L'est sûr que les Creation ne sont pas des manchots déplumés sur un morceau de banquise fondante. As the year go passin' by : le sentiment du temps qui passe n'est pas joyeux et nous rappelle que la race humaine trépasse aussi, c'est parti pour une ballade bluesy grandiloquente à souhait, longue comme un jour de pluie, le scorpion de la mélancolie plante son dard dans votre cervelle métamorphosée en fromage blanc, un must pour les instrumentistes, un peu comme un livre de Delly que vous lisez pour la soixantième fois mais que vous n'avouerez jamais aimer. Nantucket Sleighride : Mountain revisité, en plus nuancé, en plus triste, en plus morbide, les musicos se font discrets, c'est la voix de Pappalardi qui tient le morceau et l'emporte dans son antre pour le dévorer. L'ivresse des hauts sommets a gagné l'équipage. Nous la communiquent. A écouter. N'y a pas que Leslie qui sait se servir d'une guitare. Takeda au taquet. Une version démesurée de plus de vingt-et-une minutes. Ébouriffant. Plus belle que celle de Twin Peaks. Brodée d'un satin scintillant d'écume folle. High heel sneakers : que mettre à la suite d'un tel prodige. Un bon vieux rock des familles ! Le vieux hit de Tommy Tucker que Jerry Lou s'est complu à dynamiter. Miracle, Creation se souvient qu'ils sont aussi un groupe de hard-rock et ça s'entend. Une intro tonitruante suivie d'une version méchamment blues mais hélas écourtée.

Pappalardi tel qu'en lui-même. Je pressens quelques déceptions pour les fans de Mountain, mais une fois qu'ils auront écouter le Nantucket ils auront la honte de leur vie à penser qu'ils ne l'ont pas dans leur collection.

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FELIX PAPPALARDI, CREATION

LIVE AT BUDOKAN 1976

Kazuo Flash Takeda : lead guitar, keyboards, lead vocals / Yoshiaki Iljima : guitar / Shigeru Matsumoto : bass / Masayuki Higuchi : drums.

Pretty sue : ce disque ne fait pas double emploi avec le précédent, beaucoup de titres sont issus du premier LP de Creation et ils y renouent avec leur gros son appuyé où ça fait mal, un beau ballet de basse de Matusumo qui imite Jack Bruce à la perfection. A moins que ce ne soit Felix, mais il ne faut pas prêter qu'aux riches. Lonely night – You better find out : certes le son n'est pas parfait mais sur ce medley règne un grand désordre bon enfant qui frise l'incohérence. Le public apprécie... A magic lady : Sur le moment il devait y avoir de l'ambiance, mais la magic lady n'est pas aussi magique que ses promesses. Tobacco road : débordement de batterie, guitares qui jouent aux marteaux-piqueurs. Chant à l'arrache. N'ai jamais vraiment apprécié ce morceau que j'ai toujours trouvé touffu. Mais là c'est la jungle, tellement serrée que vous ne pouvez y glisser le petit doigt du pied. Bourrinent à mort. Secret power : entrée de Felix Pappalardi, c'est incroyable comme un bon chanteur vous met de l'ordre dans la pétaudière, n'a qu'à ouvrir la bouche et le monde s'ordonne. Le Matusumo assume grave et l'on louche un peu vers Cream pour le son et vers Mountain pour les sous-bassements oedémiques lyriques. Dark eyed lady of the night : nettement plus en forme que sur le disque précédent. La donzelle a retrouvé son sex appeal, elle minaude et joue à la vierge effarouchée dans un poème d'André Chénier, les gars en sont tout émoustillés, font attention à ne pas commettre de grosses bavures avec leurs instruments. Ne s'agit pas de lui marcher sur les pieds. Quant à vous, vous êtes prêts à rester là toute la nuit à tenir la chandelle s'il le fallait. MC Blues : un bon blues n'a jamais tué personne, en voici un avec ses grappillons de guitares, sa chaloupe cadencée, et Felix qui vous propulse au cœur de la tristesse du monde par le glissement du timbre de sa voix. La guitare pleure, faudra un jour que l'on m'explique pourquoi ces marches funèbres vous filent un extraordinaire pêchon. En tout cas à celui-là il ne manque rien. Takeda au summum. Commando delta. Theme for an imaginary western : le cheval de bataille de Felix pour terminer le premier CD. L'on ne s'en lasse jamais, le côté verte prairie imaginaire qui défile sans fin. Les temps cruels de l'innocence perdue à jamais. Nantucket sleighride : l'on ne change pas une formule gagnante. Encore un must légendaire de Pappalardi. Une belle version qui ne vaut pas la précédente. Ne dure qu'une dizaine de minutes, la voix splendide, mais l'accompagnement un tantinet trop rapide au début, et plus tard trop lent, par rapport à la puissance déployée. Manque un peu de vent dans les voiles de Takeda qui n'est pas un oiseau ivre d'écume parmi les cieux... Preacher's daugther : le morceau bien envoyé au rebond de la balle. Le son trop souffreteux pour que l'on puisse apprécier à sa pleine mesure. Dommage ! Watch 'n' chain : un morceau de Creation, z'ont récaté le bazar du début, un quart d'heure quasi instrumental de montées graduelles, de grands feux de joie suivis de descentes en douceur, sur scène les spectateurs adorent ce genre de pattern, à froide écoute c'est moins exaltant. Tout ce qu'il faut servi sur un plateau, mais le manque d'originalité est flagrant. L'assistance panurgique ne manque pas de taper dans les mains. Longuet. MC : présentation des musiciens. Dreams, I dream of you : quatre minutes de rêve... Au bout desquelles on renoue avec les habitudes de Mountain, un solo de guitare de Takeda excellent, qui constitue l'ouverture de High heel sneakers en mode blues, à la suite duquel nous avons droit – tradition oblige - à un Roll over Beethoven qui nous rappelle de bien belles excursions en haute montagne. Soyons franc, Takeda n'est pas West, il se coule dans Chuck Berry mais ne se l'approprie pas.

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Creation est absent du disque suivant. L'on sait qu'en tant que producteur Felix Pappalardi n'a jamais hésité à mettre la main à la pâte, à se saisir d'un instrument, à écrire un morceau. L'on connaît sa participation à Mountain, beaucoup moins ses enregistrements avec Creation, mais Don't Worry, Ma est le seul record qu'il publia sous son propre nom. Sorti quelques années avant sa disparition, il se teinte d'une aura testamentaire qu'il n'avait pas évidemment lors de son enregistrement. Rappelons que Felix repose aux côtés de sa mère décédée en 1968.

DON'T WORRY, MA

( 1979 )

Nécessité de ne pas mythifier en écoutant, la liste des participants ( voir dessous ) nous en empêcherait. On ne peut pas dire qu'il était tout seul, une bonne trentaine de musiciens, presque un orchestre symphonique avec section de cuivres et pupitre de cordes. Ce n'est pas un disque de rock'n'roll. Pappalardi chante les morceaux qu'il aime. En point c'est tout. Oubliez le bassiste de Mountain.

Certes ce n'est pas une réunion de copains le soir au coin du feu mais parfois comme sur Railroad Angels ça y ressemble, l'on dirait que l'on a ménagé à tous ceux qui passaient par le studio une place dans la chanson. Tous un peu serrés mais heureux de se retrouver là. Une espèce de gospel à la bonne franquette où chacun s'en vient pousser la chansonnette. Deux traditionnels arrangés avec Gail, chacun symboliquement disposé en première piste des faces 1 et 2 : Bring it with you when you come et the Water is wide, qui vient de loin, d'Ecosse et du début du dix-septième siècle. Ce dernier morceau un peu engoncé dans une aura de respectabilité, traitée avec un tel maximum de précautions qu'il en devient fastidieux. De loin la version de Joan Baez, qui a travaillé avec Pappalardi, beaucoup plus simple s'avère mille fois plus belle. On attend le léopappardi au tournant pour Sunshine of your love, Felix ne change rien au traitement de la voix, par contre les guitares restent dans leurs étuis et une crème de cuivres se chargent de la participer à la partition. Pour vous donner une idée souvenez-vous du saxophone sur les dernières mesures de Walk on the wild side de Lou Reed, ben là c'est aussi beau, à part que ça dure un max et que vous en avez toute une section qui ne fait pas halte. Question cuivres étincelants jetez-vous sur White boy blues qui mériterait de s'appeler White boy rhythm'n'blues, assaisonné à la Memphis horns qui groovent la vie et un chœur de filles qui stuffent et staffent à mort. Le meilleur morceau à mon avis. Quoique à la réflexion Caught a fever vaut son pesant de bitcoins. Y a de tout là-dedans, au début vous parieriez votre fortune personnelle pour du pure blues, mais très vite chacun des participants désire apporter sa tonne et demie de gros sel iodé et vous ne savez plus ce que c'est. Pourtant c'est évident : c'est du Pappalardi qui vous emmène au paradis. Parce ce que si les trois dizaines de clampins amicaux qui l'entourent marnent à mort sur leurs instruments, le Felix il se contente de poser sa voix. Un maître organe. Doit se décider au dernier moment, tiens je pourrais le faire comme cela et dès qu'il ouvre la bouche une clarté apollinienne irradie le studio. Magnifique à chaque fois, ah ! sa version de As the tears passin' by – dans les deux disques précédents il vous la traitait en ballade aussi pompeuse et boursoufflée que les joues de Pompée défilant le jour de son triomphe sous la tribune des rostres - et ce coup-ci il la commence in blue, et puis toutes les couleurs de l'arc-en-ciel y passent et votre cœur se déchire en mille et un confetti. Vous reste encore High Heel sneakers et la Farmer's daughter pour vous remettre de vos émotions.

M'étonnerait qu'avec les royalties il ait pu s'acheter une Cadillac agrémentée de l'option pare-chocs en or massif. Un caprice de gentleman. Un homme qui détruit sa légende et sa réputation. ( Elles sont comme les têtes de l'Hydre de Lerne qui repoussent aussitôt coupées. ) En toute connaissance de cause. Avec ce je-m'en-foutisme absolu de celui qui n'en fait qu'à sa tête. Une énorme leçon de liberté et de savoir-faire. Le génie de la simplicité, peut-être même la simplicité du génie.

 

Felix Pappalardi :vocals / Bernard Purdie : drums, timpani, tambourine, producer / Eric Gale : guitar / Richard Tee : piano, organ / Chuck Rainey : bass / Pancho Morales : congas / Frank Wess : tenor saxophone, flute / David Tofani : tenor saxophone, flute / Edward Daniels : tenor saxophone, flute, clarinet / Wilmer Wise : tenor saxophone, clarinet / George Opalisky : alto saxophone, tenor saxophone, flute, soloist / Arthur Clark : flute, bass clarinet / Irvin Markowitz : trumpet, flugelhorn / Victor Paz : trumpet, flugelhorn / Burt Collins : trumpet / George Marge / oboe, piccolo / Peter Dimitriades : violin / Sanford Allen : violin / Kathryn Kienke : violin / Doreen Callender : violin / Norman Carr ; violin / Noel DaCosta : violin / Robert Tozek : violin / Gene Orloff : violin / Selwart Clarke : viola / Julien Barber : viola / Al Brown : viola / Kermit Moore : cello / Corky Hale : harp / Maeretha Stewart : backing vocals, leader / Hilda Harris : backing vocals / Ullanda McCullough : backing vocals / Horace Ott : arranger, conductor / Artwork : Gail Collins. On ne peut pas dire qu'elle se soit fatiguée. Le minimum syndical. Mais c'est le disque de Felix à lui tout seul. Les meilleurs cadeaux sont ceux que l'on s'offre soi-même.

Damie Chad.