Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/10/2021

KR'TNT ! 524 : TIM BOGERT / FRANCOIS PREMIERS / SOUNDCARRIERS / LEOPARDS / CARL McVOY / EKULU / DICK RIVERS / ROCKAMBOLESQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 524

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

07 / 10 / 2021

 

TIM BOGERT / FRANCOIS PREMIERS

SOUNDCARRIERS / LEOPARDS

CARL McVOY / EKULU / DICK RIVERS

ROCKAMBOLESQUES

TEXTES +PHOTOS SUR  : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Bogert back (to where you once belonged)

  • Part Three

     

Redevenu libre, Tim Bogert s’est lancé dans une multitude de projets polymorphiques. Timmy c’est l’incarnation de la joie de vivre, il peut jouer n’importe quoi avec n’importe qui. Dans le milieu, on l’aurait appelé Jo le Caméléon. Sa carrière solo est un véritable capharnaüm.

En 1977, on le retrouve sur Absolutely, le deuxième album de Boxer, une espèce de super-groupe monté par Mike Patto, Ollie Halsall et Tony Newman. Adrian Fisher remplace Ollie sur Absolutely. On les voit tous les cinq au dos. Chris Stainton et Fisher portent des peignoirs. On se demande ce qu’un géant comme Timmy vient faire là-dedans. Il se contente de bombarder ses triplettes de Belleville dans un petit rock concassé. Paru en 1977, cet album n’a effectivement aucune chance. Il faut bien dire que le rock américain un peu musclé de la fin des seventies vieillit très mal. En plus, ils n’ont pas de chansons. Ça complique tout. Patto peut créer du climat, ça ne sert à rien. En B, on voit Timmy se noyer dans la masse d’«I Can’t Stand What You Do». On sent son énergie, mais le cut ne décolle pas. Les Boxer font un rock qu’on ne réécoute pas, bon d’accord, c’est très ambitieux, très harmonique, un brin proggy mais ça nous passe par dessus la tête. On entend Timmy voyager dans le boogie d’«Hand On Your Heart», c’est très impressionnant, mais c’est vraiment tout ce qu’on peut en dire.

Deux ans plus tard, il se retrouve embarqué dans un autre projet, Pipedream. Le guitariste s’appelle Ben Schultz, un surdoué originaire de Floride avec lequel Timmy jouera encore plus tard. Pour compléter cette fine équipe, on trouve un ex-Iron Butterfly (Jan Uvena) et un ex-Captain Beyond (Willie Daffern). C’est donc un super-groupe. Ils n’enregistrent qu’un seul album : Pipedream. Bon alors attention, ce n’est pas l’album du siècle. Timmy chante en lead, épaulé par Ben Schultz au gras double. Ils ont du son à la pelle, c’est le moins qu’on puisse dire. Il faut attendre la fin du bal d’A pour voir palpiter ses narines : Ben Schultz joue la carte du gras double dans «Feel Free». La morale de cette histoire, c’est que Timmy finit toujours par s’associer avec d’excellents guitaristes. Ils font du Cream, ni plus ni moins. L’autre bonne surprise du bal d’A, c’est «Heather», un funky strut idéal pour le roi du bassmatic. Ils s’amusent à jouer dans des styles différents, c’est l’apanage des surdoués des alpages. La B peine à jouir malgré d’indéniables qualités de sur-jeu et il faut attendre «Lires» pour voir ses narines repalpiter, oui, car voilà une belle petite dégelée de big sound avec du chant à deux voix par dessus les toits. Ce Ben Schultz est vraiment très présent, quelle excellente clameur ! Et tout ce que fait Timmy est bon, ce «Lies» est même un modèle du genre, alors t’as qu’à voir. On assiste à un duel Schultz/Timmy en groove de train spectaculaire. C’est ce qu’on appelle généralement un duo d’enfer.

Fatigué des super-groupes, Tim Bogert entame en 1981 une carrière solo avec un bel album raté, Progressions. Carmine n’est même pas là. L’avantage, c’est qu’on entend Timmy chanter, il est bon, comme on l’a vu avec Pipedream, mais les compos calent en côte : cette pop ambitieuse arrosée de synthés s’éloigne à grands pas de Cactus. Timmy vise le rock symphonique. Ouille ouille ouille. Il cultive des ambitions démesurées. Écouter ce genre d’album permet de voir à quel point un mec doué peut se vautrer. «Make No Mistake» est une pop énergétique bien orchestrée mais saturée d’effets. Le guitariste s’appelle Jay Williams. Timmy tente peut-être de revenir aux sources du Vanilla Fudge qui visait aussi un idéal de pop orchestrale, mais ce qu’il propose ici est infiniment plus putassier. La B n’apporte pas d’eau au moulin d’Alphonse Daudet, alors on fait la gueule, on est triste pour Timmy, triste de voir le roi du bassmatic se vautrer. Il tente de sauver les meubles avec un «Caught In Her Flame» plus musclé et bien amené, mais on passe trop au travers de cette pop qui finalement ne veut pas dire son nom. American prog ? Ce pauvre album ne laissera pas de trace.

Deux ans plus tard, Timmy se déguise en sorcière pour apparaître sur la pochette de Master’s Brew. Cette fois, il ramène des pointures : Carmine Appice, Rick Derringer et Mark Stein. Il démarre avec «Let Him Know», une belle pop de Brill que Carmine bat comme un sourd. Il n’y a que deux cuts en A et «Devotion» sonne comme un rock atmospherix pas très catholique. Mais on remarque que Timmy peut aller chanter très haut dans le ciel. La B retombe elle aussi comme un soufflé. Voilà un «Don’t Leave Me This Way» très pompeux et très symphonique. Dave Platshon vole au secours de «Slow Dancin’» qu’il bat à marche forcée, et dans l’équipe, on retrouve Mark Stein et Brian Auger, excusez du peu. Timmy y joue un peu de basse funk, ça fait drôle de l’entendre pondre du klonk. Bon, cette histoire bizarre s’achève avec un «Trouble» plein d’allant et d’allure que Timmy chante vraiment bien. Mais bon, inutile de courir chez votre disquaire. Il semble que cet album raté n’ait jamais été réédité.

On retrouve Timmy dans le Ben Schultz Band et l’album Tri Ally qui sort en 1992. Il a toujours côtoyé de bons guitaristes, et après Jim McCarty, Jeff Beck et Vinnie Martell, voici Ben Schultz, un mec pas très connu mais un vrai fan de Jimi Hendrix, si on en juge par «You’ve Got Me Floating». Schultz ne recule devant aucun obstacle, il joue dans la mélasse funk hendrixienne et renoue bien avec l’esprit voodoo. Sur cet album, tout est déterminé et forgé à l’enclume. Timmy ne joue pas sur tous les cuts. Il faut attendre «Ready For Love» pour l’entendre. Avec Ben, ils sont dans quelque chose de grandiose. Timmy gère le background au bassmatic comme il sait si bien le faire. Schultz fait des cuts tout seul («2 Good 2 Be 4 Gotten») et des power-intros («Cabo Real»), il n’a aucun problème, le son est là. Étonnant guitariste. Pas étonnant que Timmy se soit maqué avec lui. On reste dans la puissance avec «In The Light Of You» et ils passent au heavy blues avec «Lestat». C’est l’occasion pour Timmy de renouer avec le heavy dirty bassmatic. Schultz est bon, il gratte son gras double. Il sait aussi faire des exercices de style comme Jimmy Page («Intermission») et Timmy s’en va brouter dans le pré carré de «Jazz Whizz». Schultz ressort le riff de «Locomotive Breath» pour «The Knife» et ça se termine avec un mini-opéra, «The Philosopher» en trois parties, où l’on voit ce Schultz jouer des tourbillons et entraîner toute la population dans son délire. Il faut bien se souvenir de ce nom, c’est un guitariste furibard capable d’exactions monumentales, ses descentes aux enfers sont spectaculaires, c’est bardé de son mais voué aux oubliettes. On se souviendra néanmoins de cette explosion finale. Schultz, Ben Schultz !

Timmy se spécialise dans le montage de projets biscornus. En 1993, sort l’album d’un consortium nommé Jon Bare, Tim Bogert & Chet McCracken. L’album s’appelle Killer Whales. C’est l’occasion de découvrir cet excellent chanteur/guitariste qu’est Jon Bare. Ils démarrent sur un «Be Young» explosif. On se croirait chez Cactus. Une certaine Sally Loloya chante sur «Be Young», mais après, Jon Bare reprend la barre. Quant à Chet McCracken, il bat le beurre. Ils sont donc en mode power trio. Sally Loloya reviendra néanmoins chanter sur «I’ll Give Ou More» qui est le hit de l’album. Et quel album ! Il semble qu’il ait échappé à tous les radars. Jon Bare met la pression sur la beauté pure, alors Sally enjolive à la perfe. Ça tourne au miracle d’élégance et d’équilibre. On est heureux de voir Timmy associé à des gens aussi brillants. Sally gère bien les ponts, ceux qui précèdent les éjaculations. Jon Bare monte tout simplement l’ensemble au cran supérieur. Non seulement ça tourne au miracle, mais ça se réécoute aussitôt. Avec «Who Do I Have (To Sleep With)», ils reviennent à leur Cactus trip avec du heavy riffing. Ils sont dans le son tous les trois. Tout ce que touche Timmy est visité par la graisse, à condition bien sûr qu’il trouve les bons associés. Ça joue encore gras dans «Spacey». Timmy s’entoure généralement de guitaristes qui jouent le gras à volonté. Il faut entendre le ramdam que fait Timmy derrière Jon bare dans «Mama Don’t Allow». C’est un spécialiste de l’anarchie bassmatique, il ne pense qu’à foutre le souk dans la médina. Et comme le montre le morceau titre, Jon Bare est un merveilleux guitariste, aussi vivifiant qu’une baleine, aussi juteux qu’un Carlos Santana de l’hémisphère Nord, il développe une profondeur de jeu purement absolutiste. Ils passent au heavy slowah d’orgue avec «Don’t Let The Sun Pass You By». Timmy rôde dans la mélasse et Jon Bare fait tout le boulot, il joue à n’en plus finir, il développe une mélodie spectaculaire. Bare est un bon. Bare c’est de l’or en barre. Ils terminent ce brillant album avec «Revenge Of The Killer Whales», un big instro. Pour Timmy, pas de problème, il bourlingue dans le son et Jon Bare surfe sur les vagues.

Dans la série des super-groupes, voici Derringer Bogert Appice, avec un album paru en 2001 : Doin’ Business As… Ils redorent le blason du power-triotisme dès «Blood From A Stone». Ils sont tous les trois de parfaits rockers américains. Pas de pire triplette que celle-ci. Derringer ne s’est jamais remis de son séjour dans le gang de Johnny Winter, alors il chante à la menace. C’est puissant, battu par le pire pourvoyeur de beat des Amériques, Carmine. Derringer titille du bas de manche et Timmy reste perché sur son bassmatic marmoréen. C’est tellement imparable que ça semble incongru. Ces trois surdoués sont capables d’étrangler le qu’en-dira-t-on. Ils sont encore un plein boom avec «Bye Bye Baby». Derringer se laisse aller et Carmine prend le chant, a long long time ago. Power absolu + balladif cogné sec + gras double = postérité assurée. Autre exemple de quintessence du power-trio : «Rhapsody In Red». Véritable jive de prog avec un Derringer qui part à la volée. On reste dans l’excellence avec «Turn On The Light». Bon, Derringer n’est pas un grand chanteur, il fait ce qu’il peut sur ce monster froti-frotah. Mais il a derrière lui la moitié du Vanilla Fudge. Un balladif comme celui-là n’aurait aucune chance ailleurs mais avec Timmy et Carmine, ça change tout. Ils ne font pas que jouer, ils défoncent toutes les rondelles qui traînent dans le coin, ils débordent de power, ils chargent la chaudière à outrance. Carmine prend le chant sur «Boys Night Out». Il est rompu aux jukes, il sait faire sonner un c’mon baby/ It’s so crazy, et forcément on s’incline devant une telle prestance. C’est encore lui qui chante «Everybody’s Coming», ce mec sait driver son affaire et Derringer passe le joli killer solo flash. Mais c’est avec «Telling Me Lies» que tout finit par exploser. Dès l’intro, avec Timmy au chant. Ce drive monstrueux bascule dans l’excellence marmoréenne alors Derringer entre dans la dynamique des géants. Brillant album. Un de plus.

Nouveau consortium en 2009. Il s’appelle The Onesko Bogert Ceo Project, et l’album porte le doux nom de Big Electric Cream Jam. Au moins comme ça on est prévenu. Mais ça ne t’empêchera pas de tomber de ta chaise, car le consortium fait du Cream à la puissance 1000. Dès «Crossroads», ils explosent le concept de Cream. Ça joue à la folie. Timmy joue dans tous les coins du Onesko, c’est monstrueux. On ne croise pas un bordel pareil tous les jours. Timmy devient fou, il multiplie les descentes d’organes bassmatiques et remonte dans le son comme un wild torpédo. Cream en rêvait, Timmy et Onesko l’ont fait. Ils vont ensuite taper dans tous les classiques de Cream, tiens comme «Politician», encore plus heavy qu’on ne l’aurait cru. Timmy fait barrage et Onesko chante à merveille. Ça joue à volonté. Onesko ramène sa science, Timmy veille au grain de l’ivresse, il mobilise le thème et l’explose en plein vol alors qu’Onesko est barré dans un délire de wah incontrôlable. Ces mecs sont des cracks demented, Timmy gratte la croûte du thème, c’est terrifiant, hey now baby. Autant Cream s’était vautré avec sa version de «Sitting On Top Of The World», autant le consortium l’élève. Onesko braille tout ce qu’il peut. Timmy se régale de jouer avec Onesko, c’est plein de vie et Onesko n’hésite pas à aller chercher l’Hendrixité des choses et à se fondre dans le son. Ils amènent «Outside Woman Blues» au riff bulldozer. Ils rejouent tout le concept, mais à l’Américaine. Timmy se fond dans la riffalama fa fa fa et il faut voir cet Onesko plonger dans le tumulte de la folie Méricourt. Ils tapent bien sûr dans le mythique «Tales Of Brave Ulysses». Onesko n’a pas la voix de Jack Bruce, mais il compense avec le power américain. Tout dégringole avec un Timmy qui arrondit les angles. C’est littéralement bouffé par la basse. Power absolu ! Modèle du genre ! Onesko fait un festival de wah avec un Timmy en maraude. Et pouf, voilà qu’ils tapent dans «I’m So Glad» qui fut aussi massacré sur l’album live de Cream. Ils feraient baver Jack Bruce, si Jack Bruce était encore en vie. Ils gavent I’m so glad d’énormité, Timmy joue des atonalités ballistiques et part en dérapage contrôlé percuter de plein fouet des vagues géantes de wah. Ils ont tout le power du monde. Ils explosent ensuite le pauvre vieux «Spoonful» que massacra Cream sur Fresh Cream. Timmy le Hun y passe un solo de basse. Onesko joue sur une Les Paul noire, comme le montre la petite photo du booklet. Ils enchaînent avec un version survoltée de «Toad». Impossible d’imaginer un son plus crémeux. Ils osent ensuite taper dans «We’re Going Wrong». C’est un territoire sacré, le cœur du London beat de Jack Bruce et de Pete Brown. Onesko s’en tire pas trop mal au chant. Ils terminent cette série de cartons en explosant «Sunshine Of Your Love». Sunshine sort de cet album sur les genoux et nous aussi.

Comme au temps béni du Vanilla Fudge, Javier Vargas, Tim Bogert, Carmine Appice s’acoquinent en 2011 pour enregistrer un album de reprises :VBA. Boom ! Ils tapent dans le vieux «You Keep Me Hanging On» et ramènent pour l’occasion toute la heavyness du monde. Timmy y voyage abondamment, si abondamment ! Carmine et lui nous resservent leur vieille surenchère. L’autre cover de choc est celle du «Surrender» de Cheap Trick - Pa is alrite/ Ma is alrite - Ils l’explosent et ils ont raison. The power station is back on the track, Jack, Carmine bat comme mille diables, il est plus puissant que le Thor du Valhalla. Il frappe si fort que le son rebondit. Pas de pire power que celui-là. Ils reprennent aussi le «Lady» qu’ils jouaient jadis avec Jeff Beck. La bavard à la guitare s’appelle Javier Vargas et le chanteur Paul Shortino. Timmy a les cheveux blancs, mais il bourdonne toujours aussi bien dans le son. Par contre Carmine reste brun, un vrai vampire de Little Italy. Que de son, my son ! Fantastique version, Timmy et Carmine y font la pluie et le beau temps, surtout la pluie. Un vrai déluge. Ils tapent aussi dans le vieux «Black Night» qui fut leur dernier grand single de Deep Purple. Hélas, le glou-glou n’est pas aussi beau que celui de Blackmore. La surprise de l’album est cette version de «Tonight’s The Night» de Rod The Mod. Ils sont gonflés de taper là-dedans sans la voix. Paul Shortino fait tout ce qu’il peut avec ses petits bras et ses petites jambes pour sonner comme Rod mais il a encore du boulot. Même s’il parvient à se fendre l’abricot au coin du couplet. Sur la photo qui est à l’intérieur du booklet, on les voit tous les quatre : Carmine la vampire aussi brun qu’en 1964, Timmy avec ses cheveux blancs et qui n’en a plus rien à foutre. Avec ses lunettes, il fait vieux pépère. Mais my Gawd il est avec James Jamerson le plus grand bassman de l’histoire du rock américain.

Signé : Cazengler, Tim Boberk

Boxer. Absolutely. Epic 1977

Pipedream. Pipedream. ABC Records 1979

Tim Bogert. Progressions. Town House 1981

Tim Bogert. Master’s Brew. Takoma 1983

Ben Schultz Band. Tri Ally. TVT Records 1992

Jon Bare, Tim Bogert & Chet McCracken. Killer Whales. Mega Truth Records 1993

Javier Vargas, Tim Bogert, Camine Appice. VBA. Roadrunner Records 2011

Derringer Bogert Appice. Doin’ Business As… Steamhammer 2001

Onesko Bogert Ceo Project. Big Electric Cream Jam. Grooveyard Records 2009

 

1515 ? François Premiers !

 

Bravo ! 1515 est à peu près la seule date d’histoire de France dont on se souvient tous. Et celle de mai 1981, bien sûr, l’élection de François Mitterrand. Un autre François. C’est vrai que le set des François Premiers a aussi quelque chose d’historique. On sent bien que si ces mecs-là montent sur scène, c’est pour gagner, pas pour perdre. Ils sont moins cons que Napoléon. À cause de lui et de Waterloo, les Anglais se moquent encore des poor froggies. Le pire, c’est l’épisode de la vieille garde qui refuse de se rendre. Ça rend les Anglais hilares de voir l’épisode des grognards dégommés à coups de canons, comme au chamboule-tout.

Pas de danger qu’une telle mésaventure arrive aux François Premiers. Ils sont les têtes d’affiche du petit festival de la Friche Marignan et ils ne craignent pas la mort, surtout le joueur de mandoline Cyril Doche qui n’en finit plus de faire des galipettes et des sauts périlleux arrière au risque de se rompre le cou. Ces mecs sont définitivement enracinés dans le gaga-rock tel qu’on le joue en Normandie depuis quarante ans, ça Telecaste aux jambes écartées, ça beugle tout ce qu’il faut dans les micros, ça charge comme la brigade légère, ça chante à deux voix par dessus les toits, ça déboule sans prévenir, ça tagadate au voilà-les-Dalton, ça blow the roof en toile, ça prend d’assaut le camp du Drap d’Or, ça rase en Campagne Première, ça réchauffe les cœurs flétris, ça redonne du boom au baume, ça cocote sous le feu roulant, ça joue la carte de l’insubmersibilité des choses, ces mecs sont là pour nous dire qu’ils ont décidé de continuer, de perpétuer, d’entériner, d’enfoncer leur clou, de rester fidèles à leurs racines, quarante ans ont passé, mais bon, le blast reste le blast et les deux François en connaissent un rayon en matière de blast, ils savent envoyer une volée de bois verts dans les discours alarmistes, ils Telecastent leur pâté de foi comme d’autres prient dans des couvents, ils sont bénis des dieux du rock et s’il n’en reste qu’un alors ça sera celui là, François Premier et François Premier. Ce qui frappe le plus chez eux, c’est le pas d’âge. On sait qu’ils ont toujours été là, mais sur scène, c’est un peu comme au premier jour, avec le power en plus. Il faut voir Frandol passer ses killer solo flash, il a cette façon de tordre les doigts sur le manche qui ne trompe pas, ça sent le vétéran de toutes les guerres, le soudard rompu à tous les saccages, l’habitué des assauts et des petites salles. Quant à l’autre François, il plaque de façon extrêmement mécanique, ouvre la main et la referme aussi sec sur chaque accord, il semble serrer son manche comme s’il voulait l’étrangler. Quel spectacle ! Il joue en plus autant du corps que des mains, comme il est resté léger, il peut sauter un peu et c’est toujours juste. De toute façon, on l’a toujours vu juste. Le gaga demande une espèce d’implication de toutes les secondes et une pompe en bon état, celle qui envoie les rushes d’adrénaline au cerveau. Le gaga est pourtant un genre qui vieillit assez mal sur disque, sauf des cas exceptionnels comme les Chrome Cranks, le ‘68 Comeback ou les Gories. C’est un genre plutôt fait pour la scène. On ne retrouve jamais le feu d’un set sur un album de gaga, aussi bien foutu soit-il. Retrouver l’éclat de la victoire des François Premiers à la Friche Marignan, c’est impossible. Par contre, le spectacle va rester gravé dans la mémoire des veinards qui étaient là. Car oui, quel blastingage ! Trop court. On ne se lasse pas de ce genre de spectacle.

Parmi les reprises, on reconnaît le fameux «The Way You Touch My Hand» des Revelons, un hit gaga des années 80 repris et popularisé par les Nomads, qui étaient assez friands de ce genre de perle gaga-psycho-psyché. Les François Premiers n’en font qu’une bouchée, ils ont tout ce qu’il faut, les chœurs d’artichauts, le gratté de grattes et surtout un excellent batteur, un mec capable de power et d’économie à la fois. Ils tapent aussi dans le vieux «Don’t Put Me On» des Groovies, période Sire, que certains préfèrent à la période Roy Loney. Ils en font une bonne mouture, bien tartinée aux deux Teles, et ce n’est pas le hit le plus évident des Groovies, on sentait que Cyril Jordan et Chris Wilson peinaient à se renouveler. Pas facile de récidiver après un hit aussi parfait que «Shake Some Action».

Puis ils nous font le coup du lapin avec une reprise qu’il faut bien qualifier de géniale du «Let Me In» des Sorrows, l’un des hits les plus fumants de l’ère freakbeat anglaise, même chose, il n’en font qu’une bouchée, crunch, c’est vite expédié en enfer et on est tous ravis d’aller y rôtir avec eux. Terminer par une cover des Sorrows, ça veut bien dire ce que ça veut dire : coup de Trafalgar, remise au carré des élégances et hommage à l’un des groupes les plus intéressants d’Angleterre. Une certaine façon d’entrer en osmose avec la psychose.

Dans le trio de tête du set, on retrouve deux des cuts sortis sur des singles chez Poseur, un label dont le logo se dessine comme celui de Closer. Tu es au Havre, baby. Ils démarrent avec «Renaissance Man», une compo de Frandol bien énervée, mais il y met tellement tout, le répondant du renvienzy et la profondeur de champ, qu’il rafle la mise. Frandol ramone bien sa cheminée, il chante sa pop-rock sur-vitaminée à l’ass off, on peut dire sans risquer de se tromper qu’il a du génie. Ils jouent aussi «Franciscopolis» qu’on retrouve sur un autre single, un groove extrêmement inspiré et shooté aux intraveineuses lumineuses, ces mecs injectent de longs jets fantasmagoriques dans leur deepy groove, du coup ça sonne très californien et le killer solo flash se coule dans l’oreille comme un serpent. C’est en B-side de ce single qu’on retrouve la version studio du «Don’t Put Me On» des Groovies de Sire et elle sonne mille fois mieux sur single que sur scène. Ils chargent aux Teles avec une belle attaque de basse comme dans «Shake Some Action», ils répercutent bien l’éclat de légendarité avec des arrivées d’accords tonitruants et des fondus de voix au crépuscule de San Franciscopolis. Une fois de plus, le solo coule comme une rivière de miel entre tes cuisses, un solo short dans sa plénitude persistante, ces mecs accompagnent le souvenir des Groovies avec toutes les finesses dont ils sont capables. Ah les Groovies, t’en souvient-il ? En B-side on trouve le «Glamorize Me» qui fait partie du rappel, et cette fois c’est l’autre François qui le claque au chant, de manière plus caverneuse, plus gaga-swamp, il sonne comme un amateur d’ombres et de tombes, son groove coule comme une lettre à la poste, c’est un heavy boogaloo qui donne le frisson et qui fait rêver, tellement il est bien foutu et bien orchestré. François Premier colle bien à ses syllabes, il les tortille jusqu’à la moelle et ça se déroule dans des descentes d’accords aussi humides que les marches d’une crypte de vampire. Ils sont les rois du big atmospherix. La bassline qu’on entend résonne en écho à celle de Noel Redding dans «Hey Joe». Pour un peu, on deviendrait royaliste.

Signé : Cazengler, Fantoche Premier

François Premiers. La Friche Lucien. Rouen (76). 12 septembre 2021

François Premiers. Renaissance Man. Poseur 2020

François Premiers. Franciscopolis. Poseur 2020

 

L’avenir du rock

- La carrière des Soundcarriers

 

L’avenir du rock se réveille à l’hôpital. Plantés à son chevet, un médecin et une infirmière l’observent.

— Alors, avenir du rock, vous sentez-vous mieux ?

— J’aimerais bien si vous le permettez récupérer mes vêtements et rentrer chez moi !

— Allons allons ! On se calme. Nous allons vous garder quelques jours en observation. Vous avez perdu connaissance dans la rue et les radios ne sont pas jojo. Vous avez une fracture du crâne, mais nous devons faire d’autres examens pour expliquer l’origine de votre malaise.

— Il n’y a pas de malaise, j’ai juste glissé sur une peau de banane...

— Ah oui, une peau de banane ?

— Oui, je suivais un gorille.

— Ah oui, un gorille ? Comme ça dans la rue ?

— Oui, il marchait vite et je l’entendais faire honk honk, comme Lux Interior dans Goo Goo Muck...

— Ah oui, honk honk...

— Et puis il avait des disques sous le bras.

— Ah oui, des disques ? De quel genre de disques parlez-vous ?

— De vinyles, bien sûr !

— Ah tiens, c’est intéressant, un gorille avec des vinyles ! Peut-être vous souvenez-vous d’un titre ?

— Oui, j’ai reconnu la pochette psychédélique du premier album des Soundcarriers.

Le médecin se tourne vers l’infirmière :

— Isabelle, vous allez mettre l’avenir du rock sous morphine !

— Quelle dose ?

— Six grammes ! Vous augmenterez si besoin.

L’avenir du rock est habitué à ce qu’on ne le croie pas. L’essentiel est qu’un gorille se balade avec l’album des Soundcarriers sous le bras.

 

Retro-futurists de Nottingham, les Soundcarriers sont devenus les grands chouchous des Shindigers. Ils sont même aux yeux de Christopher Budd one of Shindig! most treasured modern-day acts, avec leur subtil mélange de ‘60s film jazz, krautrock grooves, acid-folk fragility and analogue authenticity. Un vrai catalogue ! Pas étonnant que les Shindigers craquent. Budd ajoute qu’ils font aussi de la baroque psychedelia. En gros, la musique des Soundcarriers est une invitation au voyage à travers various shades of pulsating motorik, electronica and acid-folk. Ils existent tels qu’ils sont depuis 2008. On les a comparés à Stereolab et Broadcast. Ils disent aussi adorer Free Design, mais aussi du broader than ever : early Kraftwerk et de l’esoteric sound, c’est-à-dire Moondog et Silver Apples. Leur problème est de pouvoir dépasser leurs limites qui sont des limites de temps, d’équipement ou de compétences musicales. Aussi n’hésitent-ils pas à explorer des pistes en studio et de recourir à leur imagination, ce que, nous disent-ils, beaucoup de groupes ne font plus.

La parution d’Harmonium en 2009 fut saluée comme il se doit et c’est vrai que ce groupe sonne comme une aventure fantastique : elle commence avec ce groove épileptique qu’est «Time Will Come», hanté par la voix d’Ophélie qui s’appelle en réalité Leonore Wheatley. Sacré son, de toute évidence, porté au groovus maximalus. Paul Isherwood signe le toxic bassmatic. En fait, Isherwood est l’âme du groupe. C’est lui qui signe le big bass boom de «Calling Me Reprise». Il a le swagger du bassmatic des enfers. Retour en force de Leonore dans «Without Sound». Le groove l’embarque pour Cythère. Ces gens-là taillent leur route dans un groove de psyché anglais judicieux qui ne veut pas dire son nom. Retour d’Isherwood et de son bassmatic dans «Without Sound Part II». Il reprend simplement le thème à la basse. Avec «Glide», ils basculent dans la mad psychedelia. Ils amènent ça au drumbeat explosif de psyché anglais d’allégeance suprême. Rien d’aussi psyché que ce Glide inespéré. Isherwood l’enroule dans un riff de basse dément. Ils restent dans le psychout so far out avec un «On That Line» absolument renversant. Il faut voir Isherwood relancer au drive de basse. Le son des Soundcarriers enveloppe facilement. Ils ont un côté flux toxique qui capte l’oreille de manière irrémédiable, c’est encore ce que révèle «Falling For You». Leonore chante «Uncertainty» à s’en arracher les ovaires. Disons qu’il s’agit d’un rock épique bien porté par la clameur. On note aussi la présence d’un bel angle de rock anglais dans «Caught By The Sun». C’est chanté au coin d’une harmonie vocale à la big energy. On les sent possédés par leur truc. Le «Calling Me» qui suit reste assez entreprenant, on peut même parler de hit de good time music. Ils opèrent une belle glissade dans le monde océanique avec «Been Out To Sea». Ils visent clairement l’échappée belle. Ils ont une facilité pour ça. Et du coup, ça devient the real deal, c’est-à-dire le vrai truc. Le heavy groove shindigois est vraiment leur domaine, comme le montre «Cannonball», un petit chef-d’œuvre psyché à la Barrett. Terriblement persuasif. Fantastique présence !

Alors du coup, on jette un œil sur les albums suivants, histoire de voir si la révélation tient bien la route. Celeste date de 2010. Cet album est nettement moins effervescent que le précédent. Ils embarquent «Last Broadcast» au drive de Canterbury. On sent le prog-rock des maîtres de l’ancien temps. Oh oui, ils reviennent parmi nous, les Caravan et les Hatfield, via l’organe délicat de Leonore. Les Soundcarriers ultra-jouent leur crise de prog, mais le côté marbré du chant plombe le pauvre cut. Bon, c’est leur monde. Libre à toi d’y entrer ou pas. Ce diable d’Isherwood revient faire des ravages dans «Step Outside». C’est un mélange jusque là inconnu. La basse est remarquablement bien mixée dans le beat carriériste. Ce mec joue comme Jack Bruce, à la folie douce. Si on cherche les hits, il faut aller jusqu’à «Rolling On». Leonore monte devant, comme Laurie Anderson, en atonie d’unisson du saucisson. Elle vise le dévolu et ça devient énorme. C’est un hit de petite vertu, du all the time de cosmic boogie. Paul Isherwood embarque l’autre hit, l’infortuné «Signals». Voilà encore un cut assez révélateur de leur capacité à rebondir dans le monde des affaires. Sur cet album, tout est monté au haze de girl voice et de bass drive. Isherwood entre dans la lard du «Morning Haze» avec un sens aigu du devoir psychédélique. Comme c’est étonnant de trouver cette basse au cœur du mix. Bon, on ne va tout de même pas en faire les génies du siècle, comme le voudraient les Shindigers, mais il vrai qu’un cut comme «Broken Sleep» capte bien l’attention et va même flatter les bas instincts. Tous les cuts ne sont pas d’un accès direct, c’est parfois compliqué, il faut savoir se montrer patient. La voix de Leonore perdue dans le fog de prog brouille parfois les pistes. Avec «Rise And Fall», ils restent dans leur modèle de groove longitudinal et tapent dans la clameur de la chandeleur. Paul Isherwood y mène le bal. Il referme la marche avec un «Hideaway» gratté à la basse sourde, puis avec le morceau titre joué au heavy bassmatic. Il joue tout seul, et comme il en a envie. Ce mec est doué et une flûte vient lui chatouiller les castagnettes.

C’est donc la curiosité qui pousse à écouter un troisième album des Soundcarriers, le bien nommé Entropicalla, paru en 2014. On y dénichera deux jolis slabs de mad psychedelia, «Boiling Point» et «Somewhere To Land». C’est même une mad psychedelia d’influence faramineuse, comme incendiée d’orient, ravagée de pestes cistériennes, enjolivée d’ardeurs marmoréennes, gonflée de vents gazeux d’andronénisme caractériel. On sent les carriéristes motivés, profondément axés sur le vertige et salement incisifs. Ils adorent cette flûte qui vient de la nuit des temps, on la retrouve aussi dans «This Is Normal». La flûte rôde dans le son comme un chacal. Ils touillent un groove qui ne peut plaire qu’aux Shindigers. Il faut écouter «So Beguiled» sans s’écouter parler et savoir s’effacer devant les cuts qui s’effacent. Avec ce troisième album, ils deviennent encore plus difficiles d’accès. Tout le monde n’est pas admis dans «Low Light». Il jouent un psyché qui s’en va à vau-l’eau, bien nappé d’orgue. Avec les carriéristes, il vaut mieux se lever de bonne heure. Ils se montrent assez pragmatiques avec le morceau titre et tapent une fois encore dans une sorte de mad psyché, mais bon.

Signé : Cazengler, Soundcarie dentaire

Soundcarriers. Harmonium. Melodic 2009

Soundcarriers. Celeste. Melodic 2010

Soundcarriers. Entropicalla. Ghost Box 2014

Christopher Budd : A certain future. Shindig! # 39 - May 2014

 

Inside the goldmine

- Les douze Leopards

 

Recroquevillé au fond de la tranchée et transi de froid, Guillaume Apollinaire se préparait à rédiger une réponse au pamphlet que lui avait adressé la Société des Poètes Parcimonieux. Il prévoyait d’écrire sa réponse sur la page garde du recueil du Mercure de France qu’il avait reçu le matin même au courrier et de glisser la page arrachée dans une enveloppe de récupération. On ne trouvait plus guère de papier en première ligne, même pour se torcher le cul. Il suçait son bout de crayon gras en observant pensivement cette grosse lune ronde qui éclaboussait de sa lumière blafarde la zone calcaire dans laquelle la troupe avait creusé la tranchée. Il pensa titrer sa réponse ainsi : Messieurs les douze salopards, puis cibler ensuite sur la lâcheté des ‘planqués de l’arrière’, comme on disait au front, sachant qu’il s’attirerait automatiquement la sympathie du lectorat. D’un naturel grincheux, la Société des Poètes Parcimonieux s’en prenait à lui pour la raison bête qu’il avait oublié le léopard dans l’inventaire de son Bestiaire, et ces gens qui ne transigeaient pas y voyaient une faute impardonnable, un impair indigne d’un poète publié, le déshonneur de la patrie. Eut-il songé au léopard, Apollinaire ne doutait pas qu’on l’eût accusé d’avoir oublié la loutre ou bien encore la limace. Chez ces redoutables cloportes tout était prétexte à chicanerie, il le savait. Ravi d’avoir à relever le défi d’un duel, il allait pouvoir se montrer d’une rare férocité, et y prendre un plaisir immodéré, comme lorsqu’il fessait Marie Laurencin qui d’ailleurs ne cherchait pas à se défiler, bien au contraire. Il commença à écrire, Messieurs les douze... quand soudain un obus explosa à quelques mètres de lui. Blarghhhh ! Un éclat vola en sifflant, bzzzzzzzzzz, et enfonça son casque, boiiiing ! Le choc l’envoya rebondir contre la paroi. Il s’écroula, tira la langue et roula des yeux. Sa main se mit à tracer des lettres comme si elle était devenue un automate. L’alerte passée, le colonel Dax vint lui-même faire le tri dans les étripés. Il se pencha sur Apollinaire. Comme sa main écrivait, Dax en déduisit qu’il vivait encore.

— Brancardiers, embarquez-moi ça à l’arrière !

La main écrivait, elle écrivait encore. Messieurs les douze léopards. Messieurs les douze léopards. Messieurs les douze léopards. Messieurs les douze léopards.

 

Rassure-toi, Apollinaire va survivre, grâce à une lobotomie pratiquée non pas à l’hôpital de campagne, mais plus loin à l’arrière, dans une clinique parisienne. Quant aux salopards devenus des léopards, ils ne sont pas douze mais quatre. C’est déjà pas si mal.

Si on t’avait dit qu’il existait des Kinks à Kansas City, l’eusse-tu cru ? Et pourtant c’est vrai. Il te suffit d’écouter Kansas City Slikers. Cet album des Leopards paru en 1977 est la preuve formelle qu’il existait bien des Kinks à Kansas City.

Le Ray Davies de Kansas City s’appelle Dennis Pash et dès «Road To Jamaica», il impose un son gracile et lumineux qui évoque vaguement les TV Personalities, mais surtout le kinky konk des early Kinks. Le «Mind Of My Own» qui suit sonne aussi très anglais. Ce gentle puppy à l’anglaise ravira les amateurs de petit biz. Puis on assiste à un curieux phénomène : Dennis Pash s’illumine de plus en plus. «Dancing In The Snow» sonne comme un hit sixties. Faramineux ! «Bugle Boy» est directement inspiré par les Kinks, mais avec goût certain. Ils s’enfoncent toujours plus profondément dans la kinkologie. Paf, Pash finit l’A avec un «I Wonder If I’ll Ever See You Again» d’une finesse et d’une légèreté qui sèment le trouble dans la cervelle. Pash se rapproche toujours plus de Ray du cul, avec une réelle douceur mélancolique. Paf, Pash revient en B avec un joli brin de mersey beat («Recess») et une subtile pincée de kinky Sound («It Must Be Love»). On irait bien jusqu’à insinuer que son kinky Sound surpasse celui du maître, mais on risquerait des ennuis. Il n’empêche que ce bougre de Pash n’hésite pas à bafouer l’autorité morale de Ray Davies. On est bien obligé de le constater, mais en même temps, personne ne nous oblige à écouter cet album. Et pouf, Pash revient se lover dans le giron kinky avec un «I’m On My Way» délicat, jouissif, coloré, gracieux et inespéré. C’est du pur Village Green Preservation Society. Rien de plus kinky que ce truc-là. Il se pourrait bien que Dennis Pash soit avec Fred Neil le seul chanteur blanc délicat d’Amérique. Il termine cet album étrangement sublime avec un gros clin d’œil aux Beach Boys : «Summer’s Gone».

Bon ça ne marche pas. Dix ans passent et pouf, Pash revient avec un nouvel album, Magic Still Exists. Pash passe à un son plus musclé. Il est désormais sur Voxx, le label de Greg Shaw qui n’a jamais caché son anglophilie. «Black Party» pourrait bien l’un des emblèmes de la passion que nourrissent les Californiens pour la pop. C’est une sorte de gaga-pop bien drivée au gimmick infectueux. Bien sûr, Pash revient à son cher kinky sound avec «Back On The Track», «Empty People» et «Last Night». Il y excelle, puis il va s’éparpiller. Comme il a les mains balladeuses, il va tâter différents styles. Il va y perdre l’unité de ton qui fait le charme de son premier album. Dommage. Il faudra attendre «Harlean’s House» pour crier au génie. Waouhhhh ! Voilà un artefact pop fascinant de qualité et corseté de kinky motion. Fier comme un pape, Pash boucle l’A avec un «Psychedelic Boy» plus poppy et donc moins éclatant. Disons que ça reste très anglais, même si ça frise le comedy act de type Winchester Cathedral. Pash revient à sa chère kinky motion en B avec «Famous Herbal Cure Show». Il se tape aussi un vieux coup de Diddley beat avec «I’m Drowning». Admirable, fruité, marrant et intéressant. On a là un vrai hit Voxx. On l’a bien compris, Pash est un mec intéressant qu’il ne faut pas prendre pour une bille. Il enchaîne avec «Waiting», nouveau slab de pop-rock solide et captivant. Il termine cet excellent album avec un ultime hommage à Ray Davies intitulé «Maggie Lane». On se croirait sur Dead End Street, ce n’est pas rien. Les Leopards n’étaient pas loin de tenir du miracle. Ah quel dommage qu’ils aient disparu sans laisser de traces.

Signé : Cazengler, le haut part (en couille)

Leopards. Kansas City Slikers. Moon Records 1977

Leopards. Magic Still Exists. Voxx Records 1987

 

 

CARL McVOY( 1 )

J'avais totalement oublié le cousin. Pas le mien. Celui d'un gars beaucoup plus prestigieux. C'est peu dire, le cousin de Jerry Lee Lewis. Du côté de sa mère. Le nom m'est revenu en écoutant – un petit plaisir égoïste, la Rock'n'Roll Stories consacrée à Jerry Lee Lewis. C'est sur You Tube, décliner la vie de Jerry Lou en une demi-heure est une gageure, Franco ne se perd pas en anecdotes fabuleuses, tient bon le cap, celui de la discographie, l'émerveillement squatte l'éblouissance de vos yeux, toutes ces pochettes originales, un régal, singles, EPs, LPs, 25 cm, CDs, défilent à toutes vitesse, vous aimeriez vous accrocher à votre rêve, mais non, les galettes mythiques se succèdent sans fin ! Ah, Jerry Lou !

Mais le cousin d'abord. De droit d'aînesse. Jerry Lee est né en 1935 ( tout comme Elvis et Gene Vincent, très bon millésime ). Carl McVoy en 1931. Jusque-là tout va bien. C'est après que le diable s'en mêle. Carl est passionné de piano. Notamment de boogie woogie, un modèle pour le jeune Jerry, à tel point que notre satané Jerry Lou qui a appris le piano tout seul en un mois, rendra à son cousin quelques visites décisives, vient chercher tout ce qu'il pressent ne savoir pas encore, et le cousin Carl qui est généreux lui dévoile tous ses meilleurs plans comme les plus infects, plus tard il déclarera sans ostentation ni jalousie que Jerry a développé les bases de ce qu'il lui avait transmis.

L'histoire de Carl pourrait s'arrêter là. En bon américain pragmatique soucieux de gagner de l'argent il embauche dans une entreprise de construction. Manque de chance il bosse à côté de Ray Harris qui ne pense qu'à fonder une compagnie de disques. Le rêve se concrétisera, Harris, Bill Cantrel, Quinton Claunch et Joe Cuoghi qui, élément décisif, possède une boutique de disques, fondent le label Hi. Carl ira à Nashville afin d'enregistrer pour Hi You are my sunshine et Tootsie, le premier décembre 1957. L'amateur averti ne manquera pas de remarquer la présence de Chet Atkins dans le studio. En 1958, Hi fera paraître un deuxième single de cette même session. Mais Hi n'a pas les reins solides, le contrat sera revendu a Sun en avril 1958.

Les faits ne sont pas très clairs, il se pourrait que Carl ait déjà, dès l'année 1957 commis deux sessions chez Sun, quoi qu'il en soit, et malgré de nouvelles séances chez Sun, Sam Phillips ne commercialisera rien de Carl McVoy. Les titres sortiront plus tard, en compilation chez Charly, Bear Family, et Sun racheté par Shelby Singleton.

Carl McVoy n'a pas la grosse tête. Dès 1959 il retrouve son job dans le bâtiment ce qui ne l'empêche pas de rejoindre une formation dont le patron était déjà célèbre pour avoir tenu la contrebasse derrière Elvis, le Bill Black Combo's. Etrange de voir la proximité de Carl avec deux des plus grands pionniers du rock, Elvis et Jerry Lou !

Nous nous intéresserons dans cette première partie aux titres de Carl McVoy parus en compilation chez Sun. Carl garda toujours un lien avec la musique, son job et puis sa propre entreprise lui permirent de prendre des parts dans Hi, ce qui n'était peut-être pas un placement mirobolant... Il nous a quitté en 1992. Une vie bien remplie.

Born to loose : une voix de velours, un piano qui coule, un fond de mélancolie, une rythmique qui ne se prend pas la tête, l'on est plus près de Bing Crosby que des hoquets désespérés du rockabilly, une belle facture, vous le rangerez dans la série des chef-d'œuvres oubliables. It's make no difference now : un peu moins de velours, et voix magique, le piano roucoule mais McVoy arrache les mots d'une belle manière, ce n'est pas du rock, mais l'on y est presque, la chaudière est sous-pression, ne reste plus qu'à relâcher la vapeur. There's be no teardrops tonight : avec un tel titre on redoutait une roucoulade, mais non le piano est pointu, un sax saligaud essuie ses godasses boueuses sur le paillasson, l'ensemble ressemble à une parodie de chanteur de jazz avec grand orchestre. You are my sunshine : A : les amerloques ont une manière qui n'appartient qu'à eux d'imiter l'accent américain, savait chanter le Mc, peut-être trop bien, capable d'épouser tous les styles, un peu jazzy, un peu rhythm'n'blues, chœurs sixty féminins, et entertainment à la Broadway, un petit côté très professionnel. You are my sunshine : B : prise pas fondamentalement différente, un peu moins jazzy, plus près de Pat Boone si l'on veut être méchant, plus proche de Ricky Nelson parce que l'on est gentil. Tootsie : B : un piano qui pumpine dans les bémols, un sax qui impulse l'énergie, une voix parfaitement ajustée à la rythmique. Un peu plus enlevé que les précédents toutefois un peu gentillet. En réfléchissant l'on en vient à se dire que le Pelvis enfonçait toute sa génération. Pas de photo. Tootsie : A : une voix plus friponne, cette version est vraiment supérieure à la précédente, en plus cette manière de mettre la pression si forte sur le vocal, il semble que Carl a des mots en trop qu'il se dépêche de caser pour tomber pile à la rime. Si je m'appelais Tootsie, j'aurais été séduite. You are my sunshine : encore un peu moins jazz et nettement plus rock, surtout au début car ensuite il se perd un peu, mais sur la fin il sort sa grosse voix qui ne vous laisse pas sur votre faim. ( Suivi de la version B de Tootsie pour reprendre le single sorti chez Phillips International. ) Be honest with me : enfonce les touches du piano comme s'il voulait bouffer le clavier, la voix rentre-dedans qui arrache la tapisserie sur les murs et par dessous un sax qui a oublié d'être asthmatique. Oh Yeah : l'on sent que l'on est passé aux choses sérieuses, tout est dans la façon de de poser les mots, l'air de rien, comme s'il était en train de consulter l'annuaire du téléphone en même temps, les instrus aiguisés au maximum mettent le feu, le secret du rockab dévoilé, c'est le vocal qui emporte la nappe à sa suite et qui fout le feu à l'appartement. Lonely heart : un slow à la Presley, la musique qui tangue et vous file envie de vomir, mais vous ne quitterez pas votre cavalière pour un empire. Même si vous lui dégueulez dans le corsage. Quand on tient le bon bout, on ne le lâche pas. Little girl : l'en fait trop, lui crie dans les oreilles, un truc à rendre la poupée électrique, devaient être survoltés lors de cette prise de speed , le rock comme on l'aime qui vous écrase de ses pompes bleues les chaussons de satin rose. A woman'love ( Thrill of your love ) : cela vous a un air de ballade à la Gene Vincent, à part que le Mc il vous a oublié son timbre de velours, vous meugle telle une vache perdue au fond de son pré. Le mec a trop picolé et il vient crier son amour sous la fenêtre. Pas la meilleure façon de se faire admettre par les parents. Ses copains l'encouragent. Little John's gone : l'était déchaîné, en plus le mec au sax, à chaque fois qu'il envoie son souffle on dirait qu'il débouche un magnum de champagne, la petite frappe à la batterie écrase tout ce qui bouge et même ce qui reste immobile. Le Carl impérial, toréador qui attrape le taureau par la queue et le tue en lui fracassant la tête contre les palissades. Acclamation des aficionados. You're my only star in my blue heaven : l'on devrait voir les anges roses traverser le ciel, c'est raté, avez-vous déjà entendu un garçon vacher vociférer un slow, le guy vante si fort les qualités de la génisse qu'il emmène à l'abattoir qu'il vous tarde qu'on vous la serve sous forme de steak tartare. I'll be satisfied : l'est tout content, ne se retient plus, le piano sautille et son vocal s'adjuge la première place. N'est pas pour rien le cousin de Jerry Lou !

Montée progressive vers le plaisir. Sur la première moitié le Carl McVoy se retient aux rideaux au cas où ils lui tomberaient dessus, dans la seconde – mais que s'est-il passé entre temps, docteur Freud ? - il s'est débarrassé de toutes ses inhibitions, il crie, il stentorise, il s'époumone, cherche-t-il à imiter Jerry Lou, je ne sais pas, mais là il emporte la cerise et le gâteau à la crème qui est dessous. Bon sang ne saurait mentir !

Damie Chad.

 

EKULU

UNSCREW MY HEAD

( Cash Only Records / Juillet 2021 )

 

Comme souvent la pochette m'a attiré en premier. Trois jeunes femmes enlacées assises sur deux bancs de pierre qui se font face, rien de charnel, leurs silhouettes bleutées induit une idée de sérénité – n'est-ce pas ainsi que l'on pourrait traduire le nom du groupe – tout serait parfait, s'il n'y avait ces bougies allumées, disposées en un carré brisé ou inachevé, tels des luminaires d'appel d'un rituel en cours d'exécution. Cette première impression est vite confortée par la vision du sorcier noir au masque grimaçant. Un ricanement de guingois de très mauvais augure. Quelles mystérieuses passes maléfiques effectue-t-il de ses longs bras étendus au-dessus de celles qu'il faut bien se résoudre à nommer ses trois victimes envoûtées ? Ekulu nous délivre un message simple, notre monde n'est pas aussi serein que l'on voudrait nous le faire accroire. Méfions-nous des manipulations mentales que nous subissons alors qu'en toute inconscience nous nous sentons bien.

Souvenons-nous que le mot Ekulu signifie ''Grand'' en langue kwa parlé par le peuple Igbo qui réside au sud-est du Nigéria, près du fleuve Ekulu. Sans doute faut-il interpréter le mot ''grand'' en tant qu'expression d'une force incommensurable, un courant d'impavide puissance, auquel rien ne saurait résister. Pour mieux comprendre le sens de ce vocable, il suffit de penser à la racine latine ''rumen'' que l'on retrouve dans les termes familiers à nos oreilles d'européens de Rome, Rhin, Rhône, les noms de certains lieux signifient souvent beaucoup plus qu'ils ne disent.

Quittons nos errances philologiques. Ekulu est un groupe new yorkais. Pas particulièrement novateur qui s'inscrit dans cette mouvance de formations qui au début des eighties ont voulu se démarquer – plus vite, plus fort, plus violent – de Metallica qui offrait à cette époque une synthèse harmonieuse, équilibrée mais bourrée d'énergie des différents courants musicaux du hard, du heavy et du metal. Ces groupes comme Cro-Mags ou Leevay ou Agnostic Front ajoutèrent à l'alliage réalisé par Metallica de nouveaux ingrédients, punk hardcore, trash, créant un nouvel orichalque surnommé Crossover Trash... depuis dans les marmites de fonte de ce metal éruptif, les combos ont pris l'habitude de doser tous ces ingrédients selon leurs envies...

Les membres d'Ekulu proviennent de ce chaudron de sorcière, ont tous participé ( et continuent encore ) à d'autres groupes, Glory, Illusion, Funeral Youth... Formés en 2018, ils ont déjà trois commis trois monstruosités mais l'on peut dire qu'avec Unskrew my head ils ont atteint une maturité indéniable qui les classe pour les amateurs de musique violente parmi les valeurs sures de cette année.

Becoming / New Life jam : ti-tiou ! c'est quoi ce truc, une guitare qui sonne en catimini comme une sirène d'incendie, une batterie au pas de l'oie cadencé, et derrière cette espèce d'oratorio cordique qui miaule tel un chat devant une boîte de sardines à l'huile irrémédiablement fermée. Proven wrong : vous ont pris par surprise, ouf ça s'assagit, façon de parler, disons que ça balance du riff sur les murs mais sans ostentation, ça se gâte vite lorsque Wilson se pose au vocal, un véritable accélérateur de particules et tout le bataclan derrière qui file le train, doivent se croire dans un synchrotron, il y a une guitare qui prend la tête et qui franchit la ligne d'arrivée en vainqueur, elle gémit et hennit d'une belle manière, je suis sûr que le manche est gonflé à l'hélium. Half alive : toujours cette batterie qui tasse les petits pois dans la boîte, ricanement obsolète, un avion à réaction à fond passe au fond du studio, un train siffle et c'est parti pour la poursuite infernale, le type devant ne s'en sortira pas, n'a aucune chance avec la locomotive qui le talonne de fer, si je comprends bien le titre il doit se traduire par à moitié mort, en tout cas le singer il s'époumone le chasse-buffle collé au cul, le batteur accélère le rythme, il cogne sur les bielles à la manière d'un dératé, z'avez un cliquetis de guitares qui ondule salement, l'histoire se termine mal, on s'y attendait, un grand cri et puis plus rien. Les meilleures boucheries sont celles où l'on vous abat le plus promptement. Pick your fight : sont sympathiques, vous laissent choisir l'arme du crime, c'est vous la victime, le chanteur s'égosille comme s'il était pressé de vous planter sa botte de Nevers dans le trou du cul, s'arrache la gorge et postillonne dans tous les sens, les copains sont avec lui et martèlent la rythmique de toutes leurs forces, maintenant tous ensemble ils jouent au vibra(méga)phone avec votre corps. Le pire c'est que si vous avez le temps de faire le point, vous êtes obligé de reconnaître que ce sont de sacrés musiciens,ne se marchent jamais sur les pinceaux du copain, d'une précision absolue. Who's incontrol : riff d'entrée vicieux, de la bonne pâte à dentifrice pour haleine fraîche, dès que vous l'avez dans la bouche, le verre pilé des guitares vous déchire les gencives et les baguettes de Mike Ralstor sont agrémentées de lames de rasoir qui vous lacèrent la langue, évidemment le hurleur de service se met à vociférer, à croire qu'il ne sait pas faire autre chose dans sa vie, alors ses potes le soutiennent de la voix, la grâce d'un chœur de mêlée de rugby de seconde division, autant l'avouer au fur et à mesure que le morceau se déroule, la situation s'aggrave, incontrôlés, oui s'ils le veulent, mais ces lascars maîtrisent leurs instruments à la perfection. Unscrew my head : Ralstor abat ses cartes sur ses toms, Wilson n'est plus qu'une explosion nucléaire vocale, les guitares seraient parfaites pour remplacer des pleureuses corses de vos obsèques, ce que l'on voit à l'intérieur de sa tête tétanise tout le monde, Ralstor se lance dans un solo désespéré, le morceau n'ira pas plus loin. Nous oui, ce pèlerinage aux portes de la folie s'avère aussi intéressant que de descendre les chutes du Niagara à la nage. Crossed : définitivement barrés de l'autre côté, c'est pour cela qu'ils affectent un faux calme majestueux qui ne durera que vingt secondes, Wilson se lance dans l'abîme sans parachute, la descente est vertigineuse, hurlements, coups de semonce et flèches de sang qui vous transpercent la conscience de vous-même que vous n'avez plus depuis longtemps. Wake up : l'est vraisemblablement temps de reprendre ses esprits, fissa, fissa, boutent le train, foncent tout droit dans le labyrinthe, mettent les bouchées doubles, cavalent à fond de tender, et la galopade continue sur l'intro de World of uncertainty ( Sandman's theme ) : charge finale dans le monde de l'incertitude, les hommes de sable retournent-il à la poussière ou se concrétisent-ils en conglomérats aussi durs et solides que les roses de vent des déserts, quelque part entre la victoire du rêve et les désastres des Waterloo intimes, la ferblanctique horde ekuléique passe devant nous et s'éloigne en un dernier grondement.

Hormis cet album sur Bandcamp sont facilement accessibles les premiers titres du groupe qui ont éveillé l'intérêt des connaisseurs ( The ruminator / Melt the ice / S.O.D. / Half alive ) vous les retrouvez aussi sur leur disque live enregistré à London intitulé Live in the graveyard. Pour ceux qui aiment les groupes en chair et en os, nous signalons sur You Tube la vidéo :

EKULU

UNSCREW MY HEAD RECORD RELEASE

/ FULL SET / BROOKLIN, NY, 9 / 3 / 21

FIST FIRST PRODUCTION

Bien entendu en différé. Filmé le 3 septembre de cette année. L'occasion idéale de faire le point sur la formation. Première constatation, le Gold Sounds n'est pas immense, la modeste et chaleureuse affluence de la foule ne rendra pas les fans de rock français jaloux... N'est-ce pas une des meilleures chances du rock'n'roll de redevenir une musique de franges, de meutes, de petits groupes passionnés... Disons-le tout de suite, l'on ne retrouve pas sur le live cette glissade continue que constitue l'enregistrement le disque dû à Arthur Pisk. La musique s'avère non pas plus violente mais davantage fragmentée et rugueuse. Le public est à l'image du groupe, de grands gaillards baraqués. Restent calmes, même si le jeu consiste à monter sur scène pour en redescendre le plus vite possible de façon plus ou moins singulière. Le lecteur qui comparera avec les vidéos que ce dernier printemps nous avions présentées des groupes similaires ( Sunami par exemple ) de la côte ouest sera frappé par la différence, à NY l'ambiance est nettement plus détendue, moins virile même si elle est son immense majorité d'hommes ( blancs ) jeunes. L'on ressentait beaucoup plus la présence de sang mexicain dans l'assistance californienne. C'était notre quart d'heure sociologique. Un dernier conseil, play loud. Very loud.

Damie Chad.

 

RAUNCHY BUT FRENCHY ( 1 )

 

Chez KR'TNT ! L'on ne recule devant aucun sacrifice, si le Cat Zengler vous présente chaque semaine L'avenir du Rock, l'agent Chad exhumera des sables heideggeriens de l'oubli de l'oubli de l'Être du rock 'n' roll français quelques prestigieuses rondelles issues de décennies prodigieuses, hélas révolues, qui figurent parmi les plus étranges fleurons de notre legs culturel national.

Le lecteur attentif jugera avec raison le style de notre paragraphe de présentation quelque peu ampoulé, mais nous avons tenu à nous élever à la hauteur du texte introductif par lequel débute le double-vinyle de Dick Rivers présente Linda Lu Baker. Rappelons que les années 80 furent mitterandiennes, il est donc normal que la poétique évocation de la vie de Linda Lu Baker soit lue par Frédéric Mitterrand neveu du Président, ne l'aurions-nous pas cité que vous auriez reconnu le grain ( et la paille ) de cette voix inimitablement lyrique.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas par cœur la discographie de Dick Rivers, nous dirons que ce double trente-trois tours s'inscrit dans la lignée de L' ? ( L'Interrogation ), entre concept-album et comédie musicale, produit en 1969, nous vous en reparlerons une autre fois. Rivers applique la même méthode, qui lui allait si bien mais qui n'a pas toujours séduit les vastes foules, je fais ce que je veux, comme je le sens. Qui m'aime me suive, que les autres se débrouillent selon leur bon vouloir. Une morale un tantinet aristocratique.

 

DICK RIVERS PRESENTE

LINDA LU BAKER

( Mouche Records / 1989 )

Paroles et / ou musique : Jean-Gilles Guzik / Michel Héron / Bernard Droguet / Jean-Claude Collo / Jean-Charles Laurent / Alain Labacci / Didier Lord / Claude Moine / Claude Samard / Félix Gray / Christian Gulluni /

A chacun son rêve américain. Linda Lu Baker c'est une Marilyn Monroe qui n'a pas réussi. La faute à pas de chance. Inutile de sortir votre mouchoir et d'accuser l'injuste et implacable dureté du destin. Que Linda ne s'en prenne qu'à elle-même. Sa triste et désopilante existence n'est qu'un prétexte pour Dick ( et sa bande de joyeux drilles qui l'accompagnent dans cette aventure ) pour s'amuser et rendre hommage à la musique américaine qu'il aimait par dessus tout.

Bonjour : donc la voix nasillarde si particulière de Frédéric Mitterrand, les grincheux de service fronceront les sourcils et se demanderont ce que vient faire ce chroniqueur des émissions télévisées consacrées aux grandes familles et belles demeures royales européennes dans un disque de rock, ce n'est pas si mal vu que cela quand l'on pense que son timbre traînant n'est pas tant éloigné que cela de l'accent choucrouteusement voilé des petits fermiers blancs des Appalaches... Serait-ce un message politique qui tenterait de révéler une jonction secrète entre les ploucs prolétaires américains et les noblesses décadentes des anciennes dynasties décaties du vieux continent ? Je vous laisse à vos réflexions métapolitiques. Oh ma rose d'amour : un seul repère la voix de Dick, roule les R comme un ténor vieillissant, mais où est-on au juste, ou plutôt on est quand, à quelle époque, ce n'est pas du rock, ne manque que l'accordéon pour les froufrous de cette valse populaire et chaloupée dans laquelle plane un fumet de Mon amant de Saint-Jean d'Edith Piaf ! Quel rythme : l'on retrouve enfin notre Dick de toujours, un bon rock qui swingue bien, santiags, Elvis, tout le décorum est-là, repoussons la nostalgie, prêtons l'oreille, le rythme part un peu dans tous les sens, un vrai capharnaüm musical, les paroles le confirment, nous trouverons dans cet opus tous les styles, les plus et les moins orthodoxes, un patchwork variétique dissolu dans la lignée programmatique de L'?, un son différent pour chaque morceau, tu veux du rock coco, ben t'auras aussi du caca ! Sale mambo : oubliez 1956, reculez le curseur vers les années trente, un mambo aussi verdâtre qu'un mamba frétille des hanches, Dick a le tempo dans la peau, nous le fait à l'espagnolade, sa voix de satin glisse sur les congas, reconstitution musicale historiale à l'identique, clin d'œil appuyé, une réussite, ceux qui n'aiment pas les trémoussements d'hidalgos caribéens s'abstiendront. Pas d'pitié pour le crooner : retour aux années soixante, le slow qui tue, garanti d'époque, avec les chœurs qui vous brisent le cœur, une bluette rose, attention le crooner ne drague pas les pré-nubiles, ce n'est plus de son âge, s'adresse surtout aux dames mariées qui courent après leur passé qui ne reviendra plus... Chansonnette perfide qui remue le couteau dans la plaie des jours et des jeunesses perdus. Tais-toi et chante : surfin' song, l'hymne des perdants pathétiques qui ont l'idée de génie du siècle, les pantoufles ringardes c'est comme la confiture de la déconfiture qui dégouline sur les doigts et empègue les boutons de manchette de la chemise propre. Ça glisse comme un rêve. Dans la poubelle. Rythme léger. Chanson triste. Ainsi soit-elle : hymne à la femme, pas à la sainte-vierge, un gospel frénétique, du monde sur le pont – jusqu'au Golden Gate Quartet - des chœurs féminins à la recherche de l'extase, un joyeux bordel généralisé, du fait-main, du cousu d'or, drôlement bien foutu, tant pour les paroles que pour le chant. Servi chaud, avec tant de zèle que l'on n'y croit guère, Dick met dans sa voix ce petit sourire en coin, qui nous avertit que ce n'est que du toc, que dans ce disque il est à la recherche d'un rêve perdu qui s'est échappé de ses mains, un jour sans qu'il s'en aperçoive... Comme le loup de Tex Avery : quand tout fout le camp, l'on se raccroche aux vieilles images des dessins animés qui bougent encore, l'on s'attendrait à une rythmique échevelée, non c'est le retour au sixties-slow, plus vrai que nature, un morceau figé du temps, une carte-postale retrouvée dans un vieux tiroir, Dick en fait des tonnes, un peu le chanteur abandonné qui donne tout ce qu'il a dans le ventre... pour la petite histoire, c'est la première fois depuis le début que le nom de Linda Lu Baker est prononcé. Elle veut tout : petit rock bien propret et sautillant comme l'on en fabriquait tant aux Amériques une fois que le rock sauvage fut amadoué et mis en cage. Attention, un genre en soi à part entière. Dick y excelle et s'amuse comme un fou. A part moi ça va : la ballade country est au slow ce que la symphonie est à la chansonnette, sûr que ce n'est pas folichon, rien de tel pour vous refiler le blues, la pedal steel guitar pleure, et Dick essaie de survivre à son chagrin. C'est comme dans les films ces scènes larmoyantes qui vous serrent la gorge, pour ne pas vous engluer dans l'émotion, vous vous dites, que ce n'est pas vrai, ce n'est que du cinéma. Goodbye amigo : un titre de western italien, la sombre guitare à la Johnny Cash nous ramène aux Amériques dans une bobine de Raoul Walsh, une belle ambiance de départ que le refrain pompier en uniforme hélas saccage à tel point que l'on est content quand on arrive à la fin. Des larmes des larmes : le slow grand public qui met tout le monde d'accord, la guerre ce n'est pas bien, l'on ouvre les vannes et l'on pleure tous ensemble, Rivers nous fait son Live Aid à lui tout seul. A fond les trémolos. Le truc gonflant. Baudruche. Baby relax : ouf ! On respire, un peu de sexe n'a jamais fait de mal à personne, le rock enlevé qui s'adonne à la bagatelle, un saxophone qui klaxonne dans les coins, que voulez-vous de plus ? Sûr que sur ce morceau Dick n'invente pas la poudre. Mais il sait la manier. Lunettes noires : les montures noires ne cachent pas le moine, c'est Schmoll qui a écrit les paroles, d'ailleurs le titre ressemble un peu avec sa cuivrerie enlevée aux morceaux que l'on trouve sur beaucoup de disques de Mitchell, ( tendez l'oreille vous entendrez Eddy prononcer trois mots ) ça pulse et c'est enlevé, une bouffée d'air pur qui chasse les miasmes de la mélancolie. Elle m'a fait mal : l'a repris du peps Dickie, chante bien le Dick, sa voix rebondit sur la batterie, telle une balle de ping-pong, y a de la vie là-dedans, c'est d'autant plus voyant qu'il nous conte une rupture abîmale, mais l'on s'en fout, ça froufroute comme un cabri qui batifole de rocher en rocher. Si je tenais la mort : rien de funèbre dans ce qui n'est pas une ballade mais un rock bien carré qui roule à tombeau ouvert, un solo de guitare vermifuge de cheval qui revigorerait un mort, la piste la plus vivante de tout le disque. Elle dort chez les anges : un doux feulement de saxophone, c'est parti pour un slow-jazz aux yeux bleu-pâle, on avait oublié de vous le dire mais Linda Lu est morte, et Dick se retrouve tout seul, tout triste, avec son rêve de Linda (petit lu) Lu croqué jusqu'au trognon. Linda house Baker : Surprise, soirée funk and house, pas question que l'on ressorte le cadavre de sa housse, l'époque de Linda Lu s'éloigne, place à la jeunesse, l'on mixe à tout va, l'on raconte n'importe quoi, quoi de plus terrible que cette lourde chape de ciment recyclabe que la modernité coule sur le temps passé pour être sûre qu'il ne ressortira pas de sa tombe.

Au final, agréable à écouter, mais loin d'être le meilleur opus de Dick Rivers. La mélancolie chez Rivers est toujours aussi pure que la méthadone, un produit de substitution, du rock de second degré, mais authentique.

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

 

UNE TENEBREUSE AFFAIRE

EPISODE 01

 

RECAPITULATIF N° 1

Nous n'étions plus en odeur de sainteté, apparemment le président du Sénat qui avait selon les lois de la Constitution endossé le rôle du Président de la République décédé – ce tragique événement est dument relaté dans le dossier L'affaire du Coronado Virus, cote KRTNT 477 – 512 - n'aimait pas le rock'n'roll. A sa décharge, l'avait d'autres chats à fouetter, notamment à préparer les prochaines élections présidentielles.

Un beau matin, nous trouvâmes la porte du service condamné. Ce n'était pas grave, nous nous en doutions, nous le pressentions, la veille au soir le Chef avait emporté sa réserve de Coronado, pour ma part j'avais eu la présence d'esprit de sauvegarder le manuscrit de mon journal intime, sobrement intitulé Mémoires d'un GSH.

Note 1 : tout Coronado étant unique, ce nom royal ne prend jamais de S. ( Signé : le Chef )

Note 2 : en toute simplicité les initiales GSH signifient Génie Supérieur de l'Humanité. ( Signé : Agent Chad ).

INTERLUDE

C'était l'heure des grandes décisions. Le Chef alluma un Coronado :

  • Agent Chad, la situation est grave, je compte sur vous et vos deux fins limiers pour nous récupérer un repaire indétectable, un antre indécelable, dans lequel nous serons aussi à l'aise que deux piranhas en eaux troubles. Pour ma part je rentre à la maison, ce monde ensauvagé a besoin de calme et de méditation.

Un agent du SSR chargé d'une mission difficile n'a pas une seconde à perdre. J'avisai presto subito une terrasse de café et après avoir commandé une bouteille de bourbon j'entrepris de motiver la piétaille :

    • Les chiens vous avez entendu ce que désire le Chef, mettez-vous en piste tout de suite, dans deux heures, je vous veux au rapport ici même, action !

    • Ouah ! Ouah ! Molossito piaffait d'impatience !

    • Ouah ! Molossa connaissait la vie, elle se contenta d'un oui approbatif sans emphase, elle huma l'air par trois fois, posa sa truffe au sol et démarra, Molossito la contemplait avec admiration, il hissa sa queue en panache tel un oriflamme et suivit sa mère adoptive en toute confiance.

 

PETIT DIALOGUE PSEUDO-PLATONICIEN

Même attablé à la terrasse d'un troquet, un agent du SSR est sans cesse à l'affut, par expérience il sait que si vous ne courez pas après les problèmes, ils arrivent tout seuls sans qu'on ait besoin de les appeler. Le gars avait une tête sympa, genre un peu bobo-hippie, tandis qu'il traversait la rue je remarquai que la pâleur de son teint seyait à merveille à ses tatouages sur ses avant-bras. Arborait un T-shirt Neil Young. L'avait sûrement terminé un gros pétard depuis pas très longtemps car il se contrôlait pour ne pas trop zigzaguer sur la chaussée. Se laissa tomber – plutôt qu'il ne s'assit - lourdement sur une des chaises de ma table.

    • B'jour ! Scuse-moi ! Et sans rien demander il enfila mon verre de bourbon, illico il s'en resservit un deuxième qu'il se versa dans l'œsophage aussi sec !

    • Ah ! Ah ! Je vois que vous êtes un amateur de bourbon !

    • Non pas du tout, avec ma copine l'on boit surtout du thé au jasmin, mais là j'avais besoin d'un remontant, et hop il en avala un troisième sans transiger.

    • Je comprends, votre copine s'est tirée avec le voisin !

    • Pas du tout, elle n'y est pour rien, c'est la faute de Charlie Watts !

    • C'était votre batteur préféré, une triste nouvelle oui, il est mort et enterré depuis huit jours, que voulez-vous ce sont les meilleurs qui partent les premiers !

    • Non !

    • Philosophiquement vous n'êtes pas d'accord, vous supputez que les imbéciles peuvent mourir avant les autres. Vous n'avez certainement pas tout à fait tort, votre point de vue est défendable quoique si l'on suit les enseignements de Berkeley l'on puisse toutefois en déduire que chacun juge du réel selon sa seule approche...

    • Non !

    • Vous n'êtes donc pas un adepte de Berkeley, logiquement vous pensez qu'il existe une réalité, somme toute objective, indépendante de notre Moi, je dois donc vous classer parmi les matérialistes brevetés !

    • Non !

    • Là, franchement je suis dans l'impasse – commençait à m'agacer l'espèce de Neil Young de pacotille – si je vous suis...

    • Non !

    • Non quoi ! Expliquez-vous !

    • Il n'est pas mort !

    • Berkeley, si en 1754 !

    • Non ! Foutez-moi la paix avec votre Berkeley, je parle de Charlie Watts ! C'est lui qui n'est pas mort !

    • Vous savez, on disait la même chose d'Elvis !

    • Oui je sais, mais Charlie Watts, il n'est pas mort...

    • Pas mort, pas mort... me coupait la chique cet abruti !

    • Non pas mort, je viens de le croiser dans la rue !

    • Impossible, un sosie, un fan qui s'est habillé à l'identique, en hommage...

    • Non puisque je vous répète qu'il n'est pas mort ! Oh puis vous m'agacez, vous êtes un esprit obtus, et hop il termina la bouteille au goulot, se leva en titubant et repartit d'une démarche saccadée !

    • L'est pas frais votre zèbre, l'a dû charger la mule toute la nuit, c'était le garçon diligent qui de sa propre initiative se hâtait de m'apporter une deuxième bouteille.

    • En plus il prétendait qu'il venait de voir Charlie Wats ! Attention vous avez failli laisser tomber votre plateau ! Un fou, ou alors il a inventé cette blague pour boire gratos !

    • Ça alors ! ( J'ai cru qu'il allait me faire une crise cardiaque et tomber raide mort sur mon guéridon ) Vous n'allez pas me croire, monsieur, mais aux infos sur France- Inter ils ont signalé un cas similaire en Auvergne !

Mon portable sonna. C'était le Chef :

    • Impossible de fumer un Coronado tranquille dans ce pays. Je sors de l'Elysée, on m'a appelé d'urgence, z'étaient tout gentils, m'ont ouvert une ligne de crédit longue comme un TGV, une drôle d'affaire sur le paletot.

    • Je vois Chef, un truc qui brille à la manière d'un million de watts !

    • Exactement Agent Chad, à force de me fréquenter vous parvenez à émettre des hypothèses qui tiennent la route ! Je suppose que vous n'êtes pas allé plus loin que le premier café, et que vous attendez les chiens, j'arrive dans une demi-heure le temps de voler une Lamborghini.

    • Bien Chef, je vous attends !

Les chiens survinrent à fond de train alors que le Chef arrêtait la Lamborghini devant la terrasse, à leurs yeux pétillants je compris qu'ils avaient déniché la perle rare, mais le Chef ne voulut rien savoir.

    • On vérifiera plus tard, zou, les cabots sur la banquette arrière en vitesse – ils ne se firent pas prier – agent Chad, prenez le volant !

    • Oui Chef, où allons-nous au juste ?

    • En Auvergne !

( A suivre... )

 

29/09/2021

KR'TNT ! 523 : SANFORD CLARK / PARLOR SNAKES / PETER STUART ( + HEADLESS HORSEMEN ) / KYLE CRAFT

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 523

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

30 / 09 / 2021

 

SANFORD CLARK / PARLOR SNAKES

PETER STUART ( + HEADLESS HORSEMEN )

KYLE CRAFT

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Walking in the Sanford, Clark

 

L’immensément peu connu Sanford Clark vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui rendre un petit hommage. Il ne laisse pas grand-chose, mais la postérité préfère parfois la qualité à la quantité. Toute sa réputation repose sur un hit composé par Lee Hazlewood, «The Fool» et enregistré dans le trou du cul des Amériques, à Phoenix, Arizona, là où Hazlewood officiait et là où Totor est venu apprendre le métier d’ingé-son.

À l’époque où Sanford Clark débarque dans le biz, Elvis règne sans partage. Sanford Clark est l’un des rares à ne pas vouloir faire du Elvis. Comme Tonton Leon, Dwight Twilley et Jimmy Webb, Sanford Clark est un Okie. Originaire de Tulsa, il veille à conserver sa personnalité. Son copain d’école s’appelle Al Casey. C’est Al qui branche Lee sur Sanford. Lee va le voir chanter dans un club et flashe. Clark quelle claque ! Le côté fascinant de cette histoire, c’est que Lee Hazlewood choisit Ramsey’s Recorders, un studio de Phoenix aussi rudimentaire que celui de Sam Phillips à Memphis : même intuition de la chambre d’écho, même qualité du slapback. Même après qu’il eut connu le succès à Los Angeles et s’être associé en 1957 avec Lester Sill, Lee a continué d’aller enregistrer chez Ramsey’s Recorders à Phoenix.

Il y eut nous dit-on 100 takes de «The Fool» avant que Lee ne soit satisfait. Avec ce hit, Sanford Clark se situait entre Elvis et Cash, avec un fort parfum Sun. Sur sa Gretsch Country Club, Al Casey reprenait un guitar lick d’Hubert Sumlin, celui de «Smokestack Lightning». Al l’avoue humblement, il aimait tellement ce riff qu’il ne pouvait s’empêcher de le pomper.

Puis comme les autres, Sanford est parti en tournée avec tous les cracks de l’époque - Gene Vincent was strange, he had a lot of problems : booze, women, pills. Jerry Lee was crazy. Carl was a nice guy... drunk all the time. We all stayed drunk all the time - Puis la vie a suivi son cours, Dot Records - Dot qui veut faire de Sanford Clark un nouveau Par Boone, mais Sanford ne veut pas - puis Jamie Records, puis Hollywood et d’autres choses : entre 1967 et 1969, Sanford enregistre sur le label de Lee, LHI, mais le big time espéré ne vient pas. Cash comme Elvis furent sans doute mieux drivés car ils goûtèrent en leur temps au big time. Dans les années 70, Sanford construisait des maisons pour vivre. Il savait tout faire, depuis les fondations jusqu’au toit. Il tenta un retour dans les années 80 avec Al et Lee, mais ça n’a pas marché. Alors il est parti s’installer en Louisiane, là où était née Marsha, sa femme.

On retrouve tous les cuts de They Call Me Country (paru en 1968) sur la petite compile Bear Shades qui d’ailleurs reprend la pochette de The Return Of The Fool dont on va causer à la suite. Pour tous les amateurs de son américain, Bear est la providence, un peu comme Ace en Angleterre. Bear pousse généralement le bouchon jusqu’à aller reconstituer des carrières entières avec des coffrets pour lesquels on n’hésite pas à se ruiner. Tu mets le nez là-dedans et t’es baisé. Les coffrets Jerry Lee, Sun Records, Carl Perkins, Johnny Burnette, Bob Luman, Fats Domino, Freddie King, Sleepy LaBeef, Ricky Nelson sont indispensables. Et d’autres encore. Parce qu’ils sont extraordinairement documentés et tout est remastérisé, c’est-à-dire qu’on est chaque fois au maximum des possibilités du son. Bear ajoute du jus au slap de Sun pourtant déjà parfait. Quand ils n’ont pas assez de matière, ils font des petites compiles, comme c’est le cas pour Sanford Clark. Shades démarre en mode pépère western rockab avec «Better Go Home» et ça monte vite en puissance avec un «Step Aside» bien slappé derrière les oreilles. Ces mecs avaient un sens aigu de l’art original, le slap. «Step Aside» est du rockab pur - Step aside/ You’re standing in my way - Sanford Clark chante à la normalité, mais le beat derrière, c’est du pur step aside. Puis il va chercher avec «(They Call Me) Country» le deep American sound, Sanford Clark pourrait bien être le chanteur définitif, down down down. Puis s’enchaînent deux merveilles inexorables, «Shades» et «The Fool». Il rentre dans le lard du rockab avec une élégance sidérante. L’accompagnement fout bien le souk. Même quand il vire country, Sanford Clark reste élégant. Il allie voix de rêve et présence, il chante tous ses cuts au deepy deep, on le voit encore prendre «It’s Nothing To Me» derrière le son, going to the bar, et il secoue le cocotier de la country avec «Calling All Hearts». Quand il ne roule pas au deepy deep, il roule au doux du doux, ce qui au fond revient au même. On donnerait son père et sa mère en échange d’une merveille comme «Streets Of San Francisco». On voit arriver un crin-crin sur des chefs-d’œuvre de country-rock comme «Oh Julie» et «Mother Texas». Il fait aussi une version du «Movin’ On» de Johnny Horton et ça se termine avec le «Nine Pound Hammer» de Merle Travis, pur jus de pulsatif rockab.

Il existe une autre compile Bear qu’on peut aussi acheter les yeux fermés : The Fool, parue en 1992. Trente-quatre cuts et pas le moindre déchet. Rien qu’avec la version originale de «The Fool», on est comblé, car voilà un solide rockab émaillé d’atermoiements de hand up coulés sur le velours de l’estomac et l’indicible Sanford Clark se balade sur l’haricot du lucky guy. Tout aussi savamment rockab, voici «Lonesome For A Letter» et «I Don’t Care». Sanford Clark caresse le rockab dans le sens du poil. Comme tous ses collègues, il va perdre le rockab pour passer au rock’n’roll et pouf sur qui on retombe ? Sur «Nine Pound Hammer», pas de stand-up mais du heavy rock que Blaine Cartwright a forcément écouté. Plutôt que de heavy rock, on pourrait parler du heavy génie de Sanford Clark. Retour au wild jive avec «Ooo Baby», mais sans stand-up. Chaque fois, Sanford Clark crée son monde, il chante ses cuts à lui tout seul, il amène «A Cheat» à la menace de Gene Vincent pour en faire une solide merveille - She was a cheat - Chaque fois, ça passe comme une lettre à la poste, même les cuts plus sirupeux. Ce démon de Sandord Clark teste tout. On assiste au retour du slap dans «Love Charms» et on entend l’infernal Al Casey gratter sa gratte sur «Modern Romance». Avec «The Man Who Made An Angel Cry», Sanford Clark fait de la country gothique, un filon que va exploiter Johnny Cash. C’est exactement le même son. Sanford Clark rentre toujours dans le chant par la voix, il est le singer absolutiste, il résonne profondément. Son «Swanee River Rock» est imbattable, il cumule en permanence la fantastique allure et la fabuleuse présence. Il faut s’habituer à cette idée. Il faut s’habituer à l’extrême classe de cet artiste. Il fait son Elvis avec «A Cheat», pas de problème, il fait ce qu’il veut de sa voix. «Sing ‘Em Some Blues» sonne comme un hit légendaire. Tout ce qu’il entreprend est beau, comme ce «Still As The Night» - Still as the night/ Cold as the wind - Il rentre dans le lard des cuts avec insolence, à la voix de charme, comme avec «I Can’t Help It», un groove élastique qui dépasse les bornes. Voix + swing, c’est gagné d’avance. Son «Bad Luck» se situe à la croisée de Bo Diddley et de Buddy Holly. Assez sauvage et extraordinairement bien foutu. Sanford Clark taille sa route, il remonte le courant comme un saumon royal. Al Casey reclaque un solo dans «New Kind Of Fool». Al ? C’est la bête !

Et puis les fans de Sanford Clark écouteront aussi The Return Of The Fool paru en 1968 sur le petit label de Lee, LHI Records. Bon alors attention c’est album de country, et si on n’aime pas trop la country, c’est mal barré, même si comme on l’a déjà dit ou laissé entendre, Sanford Clark chante comme un dieu. Rien de plus paisible que cet album, à l’image de la pochette, d’ailleurs, avec un Sanford en fondu sur un mur de bois, c’est très américain, ce truc-là. Il chante «The Black Widow Spider» au velours de l’estomac, avec ce démon d’Al Casey en filigrane. C’est d’ailleurs l’album des filigranes. Pochette comme son, le folky-folkah est en filigrane dans la country et la pop en filigrane dans le folky folkah. On entend des notes de basse bien rondes dans «Berthany Ann», mais Sanford Clark ne changera pas de cap. La country ne lui fait pas peur. En B, on échappe le temps d’une chanson à la country avec «A Woman’s Disgrace», un groove d’intérêt général bien foutu, avec un Al Casey derrière posté en franc-tireur.

Signé : Cazengler, Sandy Donc !

Sandford Clark. Disparu le 4 juillet 2021

Sanford Clark. The Fool. Bear Family Records 1992

Sanford Clark. Shades. Bear Family Records 1993

Sanford Clark. The Return Of The Fool. LHI Records 1968

 

Crawling King Snakes

 

Excellente surprise que ce set des Parlor Snakes au petit festival de la Friche Julien. Comme tout le monde, on les a déjà vus plusieurs fois en première partie de groupes anglais ou américains, mais comme on aime à le répéter, on vient rarement pour les premières parties, sauf s’il s’agit de King Khan & BBQ (Nuits de l’Alligator) ou des Demolition Doll Rods inexplicablement balancés en première partie des Black Keys dans un vieux concert évreutin à l’Abordage (le monde à l’envers !). Rien n’est pire pour un petit groupe que de devoir jouer en première partie. Souvent, devant un maigre public, avec des gens qui retournent au bar au bout de deux morceaux. Il faut avoir un moral d’acier. On ne souhaiterait ça à personne, pas même à son pire ennemi.

Cette fois les Parlor Snakes jouent en milieu d’affiche et c’est bien, après Mustang et avant Maxwell Farrington, bon positionnement, d’autant que leur réputation a continué de grandir et qu’ils ont déjà enregistré trois albums, ce qui comme on dit, leur donne de la bouteille. La petite chanteuse blonde a considérablement évolué, ce qui pouvait passer à une époque pour un manque de confiance en soi a complètement disparu au profit d’une fantastique présence. Même sa voix semble avoir gagné en puissance, elle danse énormément et c’est toujours bien, toujours dans le ton, elle tapote en plus sur un petit keyboard, et ça lui donne de la contenance. Elle peut se montrer assez spectaculaire, elle va chercher des effets, comme la chanteuse des Love-Me Nots ou encore Jake Caveliere des Lords Of Altamont, elle n’hésite pas à tomber à genoux et à secouer les cheveux. Elle est extrêmement bien entourée, section rythmique à toute éprouve, sobre mais bien badaboum quand il le faut et elle partage le Snake power avec un guitariste pour le moins excellent, Peter Krzynowek, un adepte de la virée sidérale, un fondu du fondant psyché, il a l’air de rien comme ça avec sa demi-caisse Gibson, mais quand il décide de partir en vrille, rien ne l’arrête. Il a une technique de jeu extrêmement dépouillée, ce n’est pas le genre de mec à tomber à genoux en faisant des grimaces, non, il reste bien campé sur ses deux pattes et veille au grain, car en fait tout le son repose sur lui, et du son, il en sort à la pelle. C’est très impressionnant, on les sent bien en place et prêts à remplir des salles. Pourvu qu’on leur laisse la tête d’affiche ! Ils ont fait leurs preuves et comme on dit dans le monde du travail, gravi les échelons, alors bon vent les Parlor Snakes !

Le truc qui frappe, c’est la qualité des échos. Tous les échos s’accordent à dire : «Parlor Snakes, ouais c’est vraiment bien !». Ce qui est parfaitement exact. Tout est en place, le son, le show, les climats, comme le montre leur troisième album paru en 2019, Disaster Serenades.

Dès l’ouverture de bal, ils tapent dans le big atmospherix avec un «Darkness Rises» bien monté en neige. C’est tellement bien foutu qu’on est un peu obligés de les prendre au sérieux, ce qui n’est pas toujours facile. Ce genre de chose doit se faire naturellement, ce qui est ici le cas, elle fond sur le chant comme l’aigle sur la musaraigne et c’est copieusement arrosé de power chords et enfoncé à coups de stomp. L’autre big hit est le «Frenquency» qui boucle à la fois l’album et le set. Tout le son est de sortie, ça joue à la disto fuzz de la fin du monde, elle flatte bien le beat et le guitar slinger fait des étincelles, superbe smurge de Snakes, c’est compressé dans l’expression du désir, elle revient par vagues, c’est extrêmement tendancieux, émaillé de coups du sort, quelle belle explosion ! Peter Krzynowek fait aussi des étincelles dans «Das Meer», un cut qui a un sacré goût de revienzy, ce mec fait le son des Snakes, il est très avancé dans les sciences soniques, son riffing est une horreur définitive, il croise bien le fer avec les descentes de basse au fond de la poudrière, ils jouent ça à deux, mais on voit bien se dessiner la silhouette du guitar hero dans la fumée. Le bassman vole le show dans «Marc Bolan’s 5th Dream» et avec le morceau titre, on voit Eugénie se battre contre vents et marées. Ce mélange de lady power et de trash power est stupéfiant, Peter Krzynowek ramonerait même les savoyards ! Il barde le cut de son jusqu’à l’ultraïque et tout est complètement overwhelmed. On voit aussi «End Of Love» monter en puissance, Eugénie monte au cœur du power. Ce groupe assure bien sa continuité.

L’album précédent vaut lui aussi son pesant d’écailles de serpent, notamment «The Ritual» qu’ils jouent aussi sur scène, dernier cut de l’album, quasi-glam. Eugénie monte sur la barricade et comme Gavroche, elle claque sa chique. Balèze car monté sur un stomp, Peter Krzynowek rapplique au note à note et elle repart sur le stomp, effet superbe, avec des chœurs de mecs d’outre-tombe. L’autre big hit de l’album s’appelle «Always You», ils repartent à fond la caisse, comme on dit sur les circuits de course automobile, elle est fameuse, elle balance bien sa chique, it’s always you ! D’ailleurs, dès le «We Are The Moon» d’ouverture de bal, elle se met en pétard. Peter Krzynowek embarque le cut en enfer, donc ça nous convient, on est là pour ça. D’ailleurs le cut suivant s’appelle «Here Comes The Hell», simple coïncidence ? Va-t-en savoir ! Si on attend des Snakes des choses sérieuses, les voilà. Le mec prend le pouvoir et passe au heavy gaga. Fière allure ! Eugénie rentre dans le chant à la suite et elle arrache tout ce qu’elle peut. Du coup, ça fait dresser l’oreille. Tout est bien énervé sur cet album et le son reste puissant, de bout en bout. Elle est assez héroïque car on la voit se balader dans le big atmosphérix avec un mélange de candeur et d’assurance qui doit être salué. C’est Peter Krzynowek qui calibre «Sure Shot», avec elle juste derrière. Les Snakes n’ont pas de mains, donc difficile de leur serrer la pince pour les remercier, mais l’intention est là. Long live the snakes !

Signé : Cazengler, Poubelle snake

Parlor Snakes. La Friche Lucien. Rouen (76). 12 septembre 2021

Parlor Snakes. Parlor Snakes. Double Legs Records 2015

Parlor Snakes. Disaster Serenades. Hold On Music 2019

 

Inside the goldmine

- La dynastie du Stuart

 

De toutes celles qui faisaient le tapin porte de Clichy, elle était la plus sexy. Petite, brune, un peu typée, elle portait toujours une robe assez courte. L’idéal pour les passes dans les bagnoles. Elle se pointait sur les Maréchaux vers minuit, l’heure d’affluence. Comme ses copines, elle assistait à l’interminable défilé de voitures en maraude. Tous ces hommes seuls roulaient au pas, et baissaient la vitre pour demander le tarif. Ils le connaissaient, bien sûr, mais c’était une façon d’entrer en contact et de dominer une certaine forme de timidité, car les putes peuvent parfois intimider. Surtout lorsqu’elles sont jolies ou qu’elles ouvrent leur manteau pour monter des seins extraordinaires. Des seins dont tous ces hommes n’osent même pas rêver dans leur pauvre vie sans éclat. La petite pute brune en voyait même certains repasser plusieurs fois, comme s’ils faisaient leur marché et qu’ils hésitaient. Pour la plupart, ils affichaient des trognes d’obsédés sexuels, beaucoup de chauves et de gros quadras, dans d’immondes bagnoles de banlieusards. Si les putes intimidaient, ces types-là par contre foutaient carrément la trouille, car ils puaient frustration sexuelle. C’était dans le regard. Des regards de tarés à la Crumb. En les voyant, elle se disait qu’il fallait quand même avoir le cœur bien accroché pour aller sucer ces sales porcs. Mais bon, un billet de cinquante, c’est un billet de cinquante. Une Twingo s’arrêta. Le mec n’avait pas l’air très clair. Il était passé deux ou trois fois. Il la fit monter. Elle lui indiqua un coin tranquille dans une rue avoisinante. «Là-bas, au fond de l’impasse...». Entre la pipe et l’amour, il avait cette fois-ci choisi l’amour, bien qu’il ne fût pas en état. Trop défoncé. Il coupa le contact et mit la main sur sa cuisse. Elle se laissa faire. Il remonta jusqu’en haut de la cuisse et fut surpris d’y trouver une petite bite en érection. Pour masquer son trouble, il lui demanda comment elle s’appelait et elle répondit Marie.

 

L’ancêtre de Peter Stuart s’appelait aussi Marie, mais elle connut un destin beaucoup plus tragique puisqu’elle fut décapitée. Pour des amateurs de gaga éclairé, Stuart est un nom familier puisqu’il fut dans les années 80 le bassman des Tryfles puis des Headless Horsemen.

Dans une trépidante introduction à l’histoire des Headless Horsemen, Jeff Cuyubamba rappelle que ce groupe jouait un rôle actif dans la scène gaga de Manhattan. Le haut lieu de cette scène s’appelait The Dive, un club où s’illustraient notamment les Fleshtones et les Vipers. L’origine des Headless est toute bête : en 1985, Elan Portnoy et Ira Elliott rentrent épuisés d’une tournée européenne avec les Fuzztones et ils décident de quitter le groupe. Ils contactent Peter Stuart qui à l’époque joue dans les Tryfles et lui proposent de monter les Headless Horsemen. Et voilà le travail.

On ne prend pas l’album sans titre des Tryfles à la légère. Pourquoi ? Parce que Peter Stuart y joue de la basse. Peter y roule pour nous. On le voit remonter le courant dans «In The End» et ramener son bassmatic au premier plan, alors ça devient excellent, la basse broute bien la motte du cut. Cette délicieuse impression se confirme avec «Yourself To Blame» et un «It’s All Wrong» très garage sixties, mais plus dans le riffing que dans le bassmatic. On tombe ensuite sur une énormité : «See No More», tapée au stomp. Bien sûr Peter nous pointe ce stomp au bassmatic. Des orages grondent sur son manche. C’est un bassman complètement génial. Alors évidemment, on saute sur la B et qu’y trouve-t-on ? «What A Way To Die»» joué une fois encore au grondé de basse avec cette incroyable profondeur que pouvait atteindre le garage new-yorkais. «When I See That Guy» sonne terriblement gaga, mais on parle ici d’un gaga de basse pure. Peter Stuart fait planer la menace sur le riffing urbain. S’ensuit un «Heads I Win» chanté sale à la Van Morrison et tellement inspiré ! Il faut aussi écouter ce fascinant «Lust» dévoré de l’intérieur par le bassmatic. Pourtant alerte et jumpy, le cut s’enroule comme un snake autour du tronc et s’en va vriller un solo de carcasse. Ils terminent avec un «Should’ve Done Me Wrong» digne des Byrds. Envoûtement garanti. N’ayons pas peur des mots et baptisons si vous le voulez bien Peter Stuart de bassman génial.

Il effectue son grand retour l’année suivante avec les Headless Horsemen et l’album Can’t Help But Shake. Il a recouvert sa basse Hofner d’une peau de guépard. Pas de problème : les Headless Horsemen jouent un gaga new-yorkais parfait. Ils ont un vrai son. On sent une énorme présence dès le morceau titre d’ouverture de bal. Stuart est là avec son bassmatic dévorant. C’est un bonheur que de voir Elan Portnoy partir en maraude de killer solo. Ça joue au picking dans «Bitter Heart». Fabuleuse énergie ! Ils tâtent du psyché avec «Her Only Friend», mais de façon straight et sensible. On salue la qualité de leur power-pop («Just Yesterday») et «I See The Truth» tape dans l’esprit 13th Floor, même ambiance, et soudain, Elan Portnoy part en vrille de fuzz. On se croirait dans «Rollercoaster» ! Ils restent dans l’élégance avec «It’s All Away» et la B va éclore au soleil avec un «Same Old Thing» bardé de jolies harmoniques intestines. Ils développent une extraordinaire vélocité dans «Not Today». Ça change tout et c’est bardé de coups d’harmo magique, comme au temps des early Yardbirds, même genre d’exubérance, avec en prime un chant un peu insalubre. «Any Port In A Storm» se montre encore une fois digne des Byrds. Tout est joué à la guitare véloce sur cette B inspirée et bénie des dieux. «She Knows Who» n’échappe pas à la règle. Vélocité et invention sont les deux mamelles des Horsemen. «She Knows Who» grouille de solos flash. Elan Portnoy bourre bien sa dinde. Ils finissent en mode brasier avec «Cellar Dwellar», un hit gaga new-yorkais qui s’inscrit dans la meilleure tradition. Peter Stuart y explose tout.

En fouinant dans ses archives, Peter Stuart a déterré des Demos et des Rarities des Headless Horsemen. L’album s’appelle Yesterday’s Numbers et franchement, il vaut le détour. On retrouve l’imparable bassmatic de Peter Stuart dès «Can’t Help But Shake». Il y joue la meilleure des sourdines panthère. Les Who furent certainement la plus grosse influence des Headless Horsemen, ce que confirme «Glow Girl», un inédit des Who qu’on trouve sur Odds & Sods. Les Headless le jouent avec toute la désirabilité de l’expectitude, en mode full bloom. Avec son côté psyché dévoyé, «Any Port In The Storm» sonne encore comme un hommage aux Who, d’autant que les harmonies vocales sont parfaitement délurées. Tiens, encore un cut des Who : «Armenia City In The Sky», tiré de The Who Sell Out, certainement l’un des cuts les moins accessibles des Who. Les Headless sont très forts : ils enchaînent trois Whoisheries coup sur coup. Tout y est, il ne manque rien, ni le power des chœurs, ni les clameurs grandioses, ni le heavy bass drive. Attention à leur version de «Leavin’ Here» ! Bon d’accord les Birds sont passés par là avant, mais les Headless font honneur à ce vieux coucou signé Holland Dozier Holland. Bassmatiqueur cannibale, Peter Stuart le dévore tout cru. En B, on va bien se régaler avec «See You Again», très psyché, bien situé dans la lignée des early Byrds, avec un son fabuleusement visité par les esprits. On entend le bassmatic de Peter Stuart cavaler dans la pampa. Mais attention, le coup de génie arrive. Il s’agit d’une reprise magistrale du «Bad Boy» de Larry Williams. Le bassmatic porte le destin du cut, en sourdine et en profondeur. Son de rêve. Peter Stuart joue là des gammes ardentes. Il atteint le sommet du genre. C’est un bonheur que de l’entendre croiser les solos envenimés d’Elan Portnoy. Stuart rôde partout sous la surface du son, il joue de millions de notes dévorantes, il crée une tension énorme. Ils font aussi un belle reprise du «Good Times» des Easybeats. C’est dire si ces New-Yorkais avaient le bec fin.

Signé : Cazengler, Piteux Stuart

Tryfles. The Tryfles. Midnight Records 1986

Headless Horsemen. Can’t Help But Shake. Resonance 1987

Headless Horsemen. Yesterday’s Numbers. Demos & Rarities. Dangerhouse Skylab 2018

 

L’avenir du rock

- Que le grand Craft me croque

 

Les mecs d’une radio locale ont la bonne idée d’inviter l’avenir du rock pour l’interviewer.

— Soyez le bienvenu dans notre émission, avenir du rock. Est-il vrai que vous n’avez jamais vu un médecin ?

— Jamais ! Pourquoi verrais-je un médecin, puisque je suis un concept ? Soyez gentil, posez-moi des questions intéressantes.

— On vous a vu cracher sur la tombe de Pandemic. Faut-il voir ce manque de respect comme l’expression de votre vraie nature ?

— Que voulez-vous dire par vraie nature ?

— L’anarchie, le rébellion...

— Ha ha ha, j’en étais sûr... Vous me faites marrer ! Toujours les mêmes clichés... J’ai craché sur la tombe de Pandemic parce qu’il était con et je ne supporte pas les cons. Celui-là a battu tous les records, c’est aussi la raison pour laquelle je ne le craignais pas...

— Alors qui craignez-vous, avenir du rock ?

— Ni Dieu ni le diable. Même pas le vieillissement des générations. Au contraire, celles qui vont disparaître vont laisser la place à d’autres, c’est un peu comme les forêts, elles existeront encore longtemps après que les poètes et les bûcherons aient disparu. Et cette idée me réjouit à un point que vous n’imaginez pas. Des tas de kids vont monter des groupes et enregistrer d’excellents disques.

— Voulez-vous citer un nom pour nos auditeurs ?

— Kyle Craft !

 

En effet, l’avenir du rock ne s’est pas fourré le doigt dans l’œil : ce Showboat Honey paru en 2019 est une drôle de révélation. Vive Le Rock fut le seul canard à signaler sa parution, et la kro fut tellement élogieuse qu’on lança aussitôt un grappin sur l’album pour monter à l’abordage. Il va falloir désormais compter avec Kyle Craft. Il est capable de grande présence et chante avec un sens aigu de la décadence, ce qui pour un Louisiana boy est un peu surprenant. Apparemment il serait réinstallé à Portland, Oregon. Un autre détail pique bien la curiosité : son look. Il trimbale un look à la Jeffrey Lee Pierce, ou à la Ty Segall, c’est comme on veut, mais what a look ! Il nous embarque dès le «Broken Mirror Pose» d’ouverture de bal et se montre l’héritier des grands hermaphrodites avec «O! Lucky Hand». C’est même complètement inespéré. Dans «2 Ugly 4 NY», des gros paquets d’accords l’envoient déraper dans les virages. Il déclenche une énorme pop craze, on entend en fond de trame les accords du «Should I Stay Or Should I Go» des Clash. Effet garanti, même quand on n’aime pas trop les Clash. Et voilà qu’il nous sort une pure pépite pop avec «Blackhole Joyride». Il fait du Bowie élégiaque, façon «Life On Mars». Il vise de toute évidence l’explosion du super-stardom, il en a les épaules et le power. Il tape dans le pathos du Rock’n’Roll Suicide pour «Deathwish Blue» et poursuit son festival d’excellence avec «Blood In The Water», mais il s’agit ici d’une excellence éhontée, bien sûr. Comme Scott Walker et Bowie, ce mec est dans la chanson. Il charge «Buzzkill Caterwaul» de toutes les audaces possibles, ce démon de Kyle crafte son craftmanship, ça vire au big drive de guitar God et là, on s’incline devant le whacking du solo de guitare. Tu suivrais Kyle Craft jusqu’en enfer, rien qu’avec «Sunday Driver». Il a tout, la voix et les chansons. Et le power destructeur. Ce mec nous accompagne jusqu’à la sortie avec «Johnny (Free & Easy)» qu’il chante au sucre de glam de la Louisiane, puis avec l’excellent «She’s Lily Riptide», rempli de son à ras-bord. Comme CC Adcock, Kyle Craft est doté du pouvoir suprême : une présence inexorable.

Kyle Craft apparaît en gros plan sur la pochette de son premier album paru en 2016, Dolls Of Highland. Ce portrait est d’ailleurs le seul document du digi. Pour le reste, débrouille-toi avec la musique. Le point fort de l’album est l’«Eye Of A Hurricane» d’ouverture de bal, un cut très early Bowie. Kyle Craft est dans l’ambition compositale, il déploie ses ailes, soutenu par une belle orchestration. Il dispose d’un soutien considérable. Mais le niveau de l’album est inférieur à celui de Showboat Honey. Les compos peinent à jouir, il faut attendre «Black Mary» pour voir Kyle Craft honorer sa pop, comme l’époux honore l’épouse, il la prend à la hussarde et Black Mary adore ça, elle adore le shagging de Kyle, oooh Kyle ! «Pentecost» sonne aussi comme un coup du sort et vire très vite à l’énormité. Il bourre le mou de son songwriting de pulsatif, on se croirait chez Ziggy. Justement, voici le morceau titre qui sonne assez glam - We used to dance/ All nite - Il entre dans le glam comme chez lui, il est d’une crédibilité à toute épreuve, il mélange même le glam à la country, c’est quasiment une exclusivité craftienne. Ce mec s’accommode bien de ses cuts, il sait se rendre indispensable, même si la teneur compositale manque de fer. Ce genre de carence ne pardonne généralement pas. Il compense en battant ses œufs en neige. Il se montre un brin dylanesque avec «Gloom Girl» et fait de l’Americana de la Nouvelle Orleans avec «Future Midcity Massacre».

Tout aussi passionnant, voilà Full Circle Nightmare, paru en 2018. On entre dans cet album comme on entre dans le salon de la pochette : des gens assis ou debout papotent, toute une faune interlope occupe l’espace et au milieu, assis face à une brune fatale se tient Kyle Craft en costard blanc. Il s’est teint les cheveux en brun. Il propose dix chansons extrêmement sophistiquées. C’est à la fois du rock et pas du rock, il vise une certaine forme de décadence mais avec du son et une vraie voix, comme le firent jadis des groupes comme Gay Dad ou les Everyothers, mais il lui arrive aussi de sonner comme Bowie. Il chante par exemple son «Fever Dream Girl» par dessus la jambe, accompagné par un riffing hargneux, un peu comme si Mott The Hoople s’émancipait avec un chant de traviole. Il fait un «Exile Rag» qui pourrait sortir tout droit d’Exile, avec ses coups de slide et son côté downhome de Nellcôte, l’occasion pour lui de tester le country rock décadent, notion d’une grande modernité. Il est certain que les Stones ne sont jamais allés aussi loin dans le ciel d’un cut. Kyle Craft sort toujours vainqueur, surtout quand il fait son Ziggy. Ce mec sent bon la rock star. Sur son morceau titre, il sonne comme Eno accompagné par les Wildhearts. Kyle Craft est un artiste complètement imprévisible. Il reprend la suite des grands décadents comme Jobriath, il monte bien l’ambiance d’«Heartbreak Junky» en neige, ça ne demande qu’à exploser, comme jadis chez les Everyothers. On se sent comme plongé dans un phénomène : Kyle Craft n’a pas de hits, il n’a que des chansons et un son énorme. Son «Belmont (One Trick Pony)» sent bon le glam des temps modernes, le solo prend feu et Craft revient dans la braise des chœurs au I can take you. L’album est véritablement à l’image de ce salon qu’on examine inlassablement, cet endroit mystérieux qu’on dirait conçu par David Lynch et peuplé de gens mystérieux, de jolies femmes et de zonards distingués. «Fake Magic Angel» monte vite en température, le fantôme de Ziggy se manifeste via la voix de Craft, un Craft qui ne cherche pas le hit mais le feel Stardust, le power glam extrêmement évolué. Il termine cet album envoûtant avec «Gold Calf Moan», un bouquet final à la Scott Walker qui va se coller au plafond comme une vieille carte de France.

Signé : Cazengler, Kyle Cra-Cra

Kyle Craft. Dolls Of Highland. Sub Pop 2016

Kyle Craft. Full Circle Nightmare. Sub Pop 2018

Kyle Craft. Showboat Honey. Sub Pop 2019

18/09/2021

KR'TNT ! 522 : BUDDY HOLLY / MAXWELL FARRINGTON / TABLE SCRAPS / ELDRIDGE HOLMES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 522

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

23 / 09 / 2021

 

BUDDY HOLLY / MAXWELL FARRINGTON

TABLE SCRAPS / ELDRIDGE HOLMES

HI CATS !

CETTE LIVRAISON 522 PARAÎT AVEC 4 JOURS D'AVANCE !

N'OUBLIEZ PAS DE LIRE LA 521 !

LA 523 VIENDRA A SON HEURE LE MERCREDI 29 SEPTEMBRE !

 

TEXTES + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Buddy Building

 

Voilà que Budy Holly revient dans le rond de l’actu via un big book signé Alain Feydri, un auteur qu’on suit pas seulement parce que Digger de Dig It!, et donc de l’ex-confrérie, mais aussi parce que bec fin, et même bec super-fin, car il s’intéresse à des groupes qui nous intéressent, Cramps, Kinks, Groovies, allant même jusqu’à leur consacrer des books bien documentés. Tout tout tout, vous saurez tout non pas sur le zizi, mais sur Buddy, s’il vous vient l’idée de rapatrier Listen To Me - Un Portrait De Buddy Holly, paru cette année. Attention, ce big book n’est pas une amusette, il ne se destine pas aux lecteurs à la petite semaine, il faut s’y installer, persévérer et trouver son rythme, comme lorsqu’on grimpe un col, car l’ouvrage met les densitomètres à rude épreuve. Les 375 pages sont remplies à ras bord, c’est un paradis pour l’amateur de détails, car il ne manque rien ni personne. Comme il le fit pour les Cramps, l’auteur dépense sans compter et plonge avec ivresse dans les vies parallèles : ça donne des pages délirantes qui s’avalent d’un trait sur Fred Neil, Waylon Jennings, Bobby Darin, Dion, et combien d’autres ? Ce sont de violentes accélérations qui ont le double avantage de sacraliser le contexte (Wow, Buddy ne fréquentait que du beau linge !) et de pousser le lecteur à ressortir quelques disques de l’étagère, car évidemment, ces vies parallèles éclairent l’art d’un homme qu’on prenait peut-être un peu trop à la légère.

Eh oui, dans nos têtes d’ados, nous avions des chouchous, des hiérarchies, des rois et des reines. Buddy, on l’appelait le binoclard, ce qui n’est pas très flatteur. Il faut dire qu’à cette époque, le look prenait vite le pas sur le reste. T’es moche, t’es cuit. La dimension nietzschéenne du rock’n’roll. Si en plus d’être beau, t’es sauvage, alors là, c’est gagné d’avance. Elvis et Little Richard, beaux et sauvages. Vince Taylor, inexpugnable. Buddy pas beau et pas sauvage. Expugnable. Et pourtant il y a un truc. Il est là, dans le coin, avec ses deux copains qui ont aussi des têtes à claques. Un peu excité le Buddy, mais pas trop. Presque poppy, Peggy Sue, ouais c’est ça, Peggy Sue. Alors on regarde encore un peu sa bobine, pfff, on tourne la page de Shake et on tombe sur Vince Taylor. Cuir noir. L’image. On n’oublie pourtant pas Buddy. Les passions adolescentes, c’est comme les lainages, ça se tricote et ça se détricote. Et puis un jour, chez Buis, le mec sort un EP du bac et passe «Reminiscing». Baby-Oooh baby, le soft swing de Buddy fut certainement l’une des premières grandes leçons d’élégance, You know I’m thinkin’ of... Vendu ! Pochette fabuleuse, première notion de ce qu’on appelle le bleu électrique, wow, la classe du binoclard ! Du coup il devient le dandy dont on s’amourache, juste avant Brian Jones et Syd Barrett. Et le mec de Buis dit, attends, tu vas voir ! Il retourne l’EP et pouf, «Rock-A-Bye-Rock», les murs se mettent à danser et le sol aussi, un sens du swing et l’oh rock qui te coule dans le dos comme une fucking rivière de miel, un oh-rock d’une simplicité enfantine. Le souvenir de cette leçon de swing est cuisant, et chaque fois qu’on ressort l’EP pour vérifier, ça marche, ça recuit, c’est du soft rockab, mais quelle prodigieuse élégance ! En deux temps trois mouvements, Buddy est devenu un géant binoclard. Respect définitif. Comme pour Jerry Lee. Comme pour le «Bird Doggin’» de Gene Vincent. Comme pour le «Brand New Cadillac» de Vince Taylor. Comme pour l’«Hey-Hey-Hey-Hey/Ooh My Soul» de Little Richard. Comme pour l’«One Hand Loose» de Charlie Feathers.

Du coup, comme Buddy revient dans le rond de l’actu, on ressort de l’étagère le film de Steve Rash, The Buddy Holly Story, dont on gardait un souvenir disons mitigé. L’acteur qui joue Buddy s’appelle Gary Busey et il s’en sort plutôt bien, notamment grâce à une espèce de rictus carnassier. Mais le vrai problème que pose cette histoire, c’est qu’il n’y en a pas, ou quasiment pas. La vie publique de Buddy est à la fois très lisse et horriblement courte. Buddy c’est pas Jerry Lee, c’est autre chose. Alors Steve Rash s’en sort grâce à trois scènes musicales extrêmement bien foutues : la première à la patinoire, où Buddy tape une version bien vivace de «That’ll Be The Day», la deuxième à l’Apollo de Harlem où il fait danser les blackos avec «Oh Boy», c’est une merveille, on voit le public se lever pour danser le rock’n’roll, un peu dans l’esprit de ce que raconte Mick Farren à propos d’un concert de Gene Vincent en Angleterre, toute la salle debout dans les allées en train de danser, okay ? Puis la troisième scène de choc se déroule à Clear Lake, c’est assez explosif et en même temps tragique, car il s’agit bien sûr du dernier concert, avec Richie Valens qu’on ne voit pas dans le film et the Big Bopper qu’on voit faire un coup de «Chantilly Lace». Steve Rash reste discret sur l’accident d’avion survenu dans la foulée. Il nous épargne les commentaires de croque-mitaine. On ne lui en sera jamais assez reconnaissant. Car on s’en fout de l’accident. Ce qui compte, c’est la lumière de cet homme. Et Gary Busey fait de son mieux, il en rajoute même un peu sur scène, car il a un jeu de jambes extravagant, ce que ne montrent pas les plans filmés de Buddy pour l’Ed Sullivan Show. Buddy est assez statique, alors que Busey voit ça plus wild, jambes écartées, presque punk. Le film fait l’impasse sur pas mal de choses, comme s’il voulait aller à l’essentiel, notamment Maria Elena. Pas facile de faire un film sur une histoire de vie aussi lisse. Mais c’est probablement encore plus difficile d’écrire un livre.

En creusant des galeries dans les pages du Buddy book, on tombe sur des indices fabuleux. Eh oui, Buddy a des éclairs de génie. Oh pas grand chose, mais ça nous suffit. Comme par exemple l’épisode des motos. Buddy et ses deux compères achètent cash trois Triumph, on a même le nom des modèles dans le book (Ariel Cyclone, Thunderbird et Trophy), et quand on voit le docu que McCartney consacre à Buddy, The Real Buddy Holly Story, on les voit tous les trois à un moment faire les cons avec les motos. Mieux encore, il portent des casquettes de bikers, comme s’ils appartenaient au gang de Sonny Barger, et Buddy porte des lunettes noires. Ça change tout ! Ça lui donne un côté pré-Velvet. On trouve aussi ces photos fabuleuses de Buddy le biker dans le book de cette box éditée en Angleterre, The Complete Buddy Holly. Eh oui, ces mecs bien propres sur eux roulaient en moto. Comme Skip Spence ou Tav Falco, Phil Spector et Gerry Goffin. Autre détail important : quand il s’installe à New York, Buddy prend un appart à Greenwich Village, il est donc déjà au cœur du mythe. Et là il fait ce que va faire Jimi Hendrix un peu plus tard : ouvrir son horizon. Il écoute du flamenco (Andrès Segovia) et Miles Davis, il fouine et prépare l’avenir, de la même façon que Jimi Hendrix allait lui aussi le préparer en fréquentant Miles Davis, The Last Poets, Arthur Lee ou encore Juma Sultan. Buddy veut même créer un label et lancer la carrière de Waylon Jennings. Bon d’accord, ce n’est pas grand chose, mais ça fait travailler l’imagination. On aime à penser que ce mec se destinait à des choses plus intéressantes, comme Brian Jones ou Jimi Hendrix, des gens qui comme Buddy avaient fait leurs preuves et qui cherchaient à voler de leurs propres ailes. Dans le tas, on pourrait aussi ajouter Jimbo qu’on imagine être devenu un grand écrivain une fois débarrassé de ses soit-disant copains qui n’étaient en fait que des tiroirs-caisses à deux pattes. La nature humaine est ainsi faite. Pour simplifier, on aurait d’un côté les artistes et de l’autre les pas artistes.

Une fois qu’on est entré dans le Buddy book, il ne nous lâche plus. C’est le syndrome du sparadrap du Capitaine Haddock, pas loin d’un autre syndrome, celui de Stendhal. On se demande comment l’auteur a pu remonter à la surface autant d’informations. Ça fourmille et on s’éponge le front, presque soulagé que cette épopée n’ait duré que deux ans. Ce book fonctionne à l’énergie, avec des phrases qui se dévorent les unes les autres, tellement le style est vorace. Un style glouton qui ne craint pas l’overdose. Qui ne laisse aucun répit. Qui pousse à la roue. Qui va chercher le détail sous le détail. Pour le fan de Buddy, c’est un festin royal. Il s’en fait péter la panse. L’auteur prend souvent position. Il ferre ses avis comme on ferre des carpes, d’un solide coup de poignet. Le rock, c’est un peu ça au fond, on aime on n’aime pas et on dit pourquoi. Rien n’est pire que de ne pas savoir dire pourquoi. Alors il faut fondre sur l’avis comme l’aigle sur la belette, ce que fait très bien l’auteur. Couac fait la belette. Ça donne du caractère. Ça enfonce des clous. Ça passe à travers, mais bon, le bois tiendra. Tiens encore un coup de marteau sur les stars vieillissantes. Bing ! Histoire de montrer que ça peut être un avantage que de casser sa pipe en bois à 27 ans. Pas de rides, pas de bide, pas de double menton. Luxe suprême, l’auteur en profite pour s’injecter un petit shoot d’auto-dérision - Car on ne le sait que trop, tout est destiné à ficher le camp. Pour laisser place ensuite aux légendes et aux belles histoires. Généralement racontées par ceux qui n’étaient pas là. Ce que ces quelques pages illustrent parfaitement ! - L’homme est en verve, jamais ne faiblit. C’est dru, c’est pas feint, il regarnit son buste à pleines poignées d’argile, et schplouf, ça prend des formes insoupçonnées, l’auteur fait son Rodin, il fait corps avec sa matière, rien ne l’épuise, la nuit, comme Camille Claudel, il arrache encore des profondeurs de la terre des valises entières d’informations gluantes et pleines de vie dont il va plâtrer dès les premiers rayons du soleil son Buddy buste pour le rendre encore plus vivant que nature, car décidément, ce côté trop lisse ne lui convient pas, il faut des poignées de chapitres, des paires de parallèles, des pelletées de digressions, des brouettes de raccourcis et des développements à gogo, il faut amener du relief, encore du relief, schplouf, ça lui vit sous les doigts, il rajoute des anecdotes, des péripéties périphériques, des échos de cocos, il disserte à l’alerte, il tétanise comme un titan, d’ailleurs, c’est exactement ça, un travail de titan, il compte 34 chapitres comme autant d’apôtres de Saint-Buddy, il y a même des accidents d’avion, des mariages, des combines, des trafics, des coups de froid, des voyages en Angleterre, ça finit par devenir célinien cette affaire-là. On sait tout de Clovis, pas celui qu’on croit, le vase, non, celui d’un Norman Petty qui a de l’appétty, mon petit, le manager/producteur de Buddy qui comme tous les autres à l’époque rajoute son nom dans les crédits, et qui comme tous les autres à l’époque tape dans la caisse et qui comme tous les autres à l’époque taille un son sur mesure pour Buddy. D’ailleurs, Vi, la veuve Petty, nous fait visiter le studio dans The Real Buddy Holly Story. Tous ces mecs là, les frères Chess, Norman Petty, Sam Phillips, Berry Gordy, ont eu raison de taper dans la caisse et de tailler des sons sur mesure, c’est l’histoire du rock, avec ses grandeurs et ses misères, parfaitement à l’image de la condition humaine. Un rock trop propre de gens vertueux serait d’un ennui mortel. Rien que d’y penser, on bâille à s’en décrocher la mâchoire. Fuck la vertu.

L’un des plats de résistance du Buddy book est bien sûr le récit des fameux package tours qui envoyaient rouler sur les routes d’Amérique des autobus remplis de mini-stars en devenir. Ces épisodes nous valent des pages cocasses sur Jerry Lee - pourtant impossible à résumer, déjà qu’il ne rentre ni dans le Tosches book, ni dans le White book, encore moins dans le Bonobo book - et sur tout le restant de la pléthore, avec des affiches qui font baver, même la dernière, tragique, avec Dion, Big Bopper et Richie Valens. Cette affiche aussi avec Little Anthony & The Imperials, les Coasters, Bobby Darin et tiens tiens tiens, Jack Scott, une occasion pour l’auteur de saluer les Crampologues du monde entier. Puis il y a les rencontres new-yorkaises qui tiennent le lecteur encore plus en haleine, car Buddy va bouffer au resto avec Fred Neil et Bobby Darin, alors on ne vous dit pas la longueur du filet de bave, celui du lecteur. On imagine que Dylan, fan de Buddy depuis Duluth, n’est pas loin, lui qui va, comme il le raconte dans Chronicles, accompagner Fred Neil sur scène au Cafe Wha?. Toutes ces interconnexions sont palpitantes. On croyait Dylan à l’aube de la modernité, mais juste avant lui, il y a Buddy. Car pour casser la croûte avec un prince de l’underground new-yorkais comme Fred Neil, il faut être sacrément affûté. On profite d’ailleurs de l’occasion pour ressortir de l’étagère cet album fabuleux qu’est Bleeker & McDonald. Tiens ? L’est pas là ? Déjà parti sur l’île déserte !

Musicalement, le parcours de Buddy se limite à deux albums, une poignée de singles et l’«invention» de la pop-music. Il arrive sur Coral qui est aussi le label du Johnny Burnette trio. Autant la pochette du Reminscing EP est belle, autant celle du Buddy LP paru sur Coral est laide. Mais l’album est extrêmement musical, bien dans le ton d’une vie entièrement vouée à la musique. Même son mariage est musical, car il rencontre Maria Elena au Brill Building. Troublante coïncidence : Steve Rash filme semble-t-il la nuit d’amour du Buddy et Maria Elena dans le même appart aux murs de verre qu’a utilisé Oliver Stone pour filmer la cérémonie de mariage païen unissant Jimbo à Patricia la prêtresse.

Puis vient le temps des héritiers, mais ici on s’arrête brusquement, car la liste est longue, aussi longue qu’un jour sans rhum. The legacy comme disent les Anglais est l’une des plus fournies de l’histoire du rock. L’auteur insiste beaucoup sur la modernité de Buddy, il voit dans «Tell Me How» l’acte de naissance de la power pop.

Tout fan de Buddy se doit de posséder The Complete Buddy Holly, un coffret paru en 1979 et qui présente l’avantage de rassembler TOUT ce que Buddy a enregistré, même les démos enregistrées dans sa piaule de Greenwich Village, des démos que Norman Petty a complétées par la suite, comme les font les mecs qui bossent sur Dead Hendrix. Bel objet que ce coffret, rien qu’à le voir, on craque, avec cette photo sirupeuse de Buddy sur le dessus, sûrement retravaillée à l’aérographe. Avec ce fond bleu, c’est d’un kitsch ! La (courte) vie de Buddy rock est découpée en six rondelles et la plus explosive est la deuxième, Nashville Tennessee, Changing All Thoses Changes. Oui, car c’est l’époque Don Guess, le slappeur fou, l’époque wild rockab qui balaye tout ce qui va suivre. Buddy fout le souk dès «I’m Gonna Set My Foot Down», il y va à coups d’upside down avec ce démon de Don Guess derrière. Merveilleuse énergie du Texas rockab, souviens-toi de Johnny Carroll et aussi de Bob Luman, à l’époque où James Burton jouait avec lui. Cet album de Buddy qui n’existe pas dans le commerce est l’un des plus grands albums de l’histoire du rockab. Et ça continue avec «Baby Won’t You Come Out Tonight», Buddy a le diable au corps, il navigue au sommet du lard fumant. Puis on s’effare de «Changing All Those Changes» et de son pulsatif de rêve. The Texas beat ! Ces mecs jouent comme des dieux. On reste dans la classe suprême avec l’incontournable «Rock-A-Bye-Rock» - Oh rock - et plus loin, avec «Love Me». C’est tout de même incroyable que ces mecs aient réussi à sonner comme ça à Nashville. Buddy pop ? Tu rigoles ? Écoute «Don’t Come Back Knocking» ! Buddy est un wild Texas cat. Don Guess fait des ravages. Buddy démarre sa B avec l’infernal «Rock Around With Ollie Vee», il rocke son shit au slap, c’mon, un hit monumental ! C’est bien sûr le Buddy qu’il faut écouter, de la même façon qu’il faut écouter l’Elvis enregistré par Sam Phillips avec Bill Black et Scotty Moore : on a là l’apanage de l’artefact rockab. Encore du heavy slap dans «Ting-A-Ling», Buddy Bud jives it off, wow, ça swingue au Bradley’s Barn !

Le premier album de la box est aussi assez sauvage. Il s’intitule Lubbock Texas, Western & Bop, et correspond en fait à la période Bob Montgomery. C’est là qu’on trouve l’ancestral «Down The Line», une merveille de swing texan. On y trouve aussi deux covers de très haut niveau : «Brown Eyed Handsome Man» - Buddy fait son Chuck au nasal, c’est très blanchi mais très sérieux, belle cover de Clovis - et l’«Ain’t Got No Home» du grand Clarence Frogman Henry. Buddy fout la gomme, c’est là où il devient exubérant, il prend le deuxième couplet au chat chuper perché. Quant au reste de l’album, c’est sans surprise : western bop et Texas country. Ils sont déjà dans leur son, un son très blanc. L’excellent Sonny Curtis qu’on voit dans le docu jouer du bluegrass fait partie de l’équipe. C’est lui qui amène le Texas swing. Ils font une version bien propre de «Good Rocking Tonight». Bon alors après on passe au Buddy que tout le monde connaît, celui des hits, avec le troisième album, Clovis New Mexico, Buddy Holly & The Crickets. Ça démarre avec «That’ll Be The Day», forcément excellent, mais on perd le slap. Le son devient poli, trop poli pour être honnête. «Maybe Baby» sonne comme de la pop de juke, c’est assez imparable. Mais c’est la fin du rockab. Buddy cherche sa voie impénétrable, même si sa pop, celle de «Peggy Sue», reste unique en son genre. Très sucre candy. Il tortille bien son I love you et hoquette à gogo. Il devient poppy comme pas deux. Il pousse des cris de fauve dans sa version de «Ready Teddy». Il a l’intelligence de ne pas vouloir rivaliser avec Little Richard. Son «Oh Boy» est plus fuselé, bien joué Buddy, avec tes chœurs de cowboys ! Il poppyse aussi son vieux «Maybe Baby» et il part en mode Tex-Mex pour «Take Your Time». Et puis voilà «Rave On», joli shoot de Texas rock.

Le quatrième album s’appelle Clovis New Mexico, And On To New-York, et là on le voit s’enfoncer dans la variette. Ah la la, «An Empty Cup» ! Cette compo signée Petty/Orbison est un vrai désastre. Ça devient horriblement putassier. Buddy relève le niveau avec un «Think It Over» bien balancé, épaulé par des chœurs masculins et un piano de barrelhouse. Avec «Early In The Morning», on entre dans la période des fameux enregistrements au Pythian Temple, Buddy passe carrément au gospel, avec des chœurs de femmes plantureuses, The Helen Way Singers. La bonne surprise de cet album est la présence de Tommy Allsup qu’on entend se balader dans le son («Lonesome Tears»). C’est vrai que Buddy a un don pour les hits pop : «Well All Right» préfigure tout le bataclan. Tommy Allsup joue à l’infectuous dans «Love’s Made A Fool Of You». Il joue au clair de clairette avec des airs de punk, c’est un vrai fauve, un sang-mêlé. Bob Luman avait son Burton, Buddy a son Allsup. Et voilà «Reminiscing» enregistré à Clovis avec King Curtis. Cut de King. La meilleure chose qui soit arrivée à Buddy après Don Guess. Puis on voit Buddy s’enfoncer dans une pop over-orchestrated («Moondreams»). Il passe complètement à autre chose.

Le cinquième album s’appelle New York, Planning For The Future. Ça démarre avec les démos enregistrées dans sa piaule : «Peggy Sur Got Married», bien poppy, Texas sugar, charme fou, tululu. On le voit ensuite s’enfoncer dans la bluette. Il est sans doute en panne d’inspiration, il tartine des balladifs country et chante à la mormoille. Il met bien la pédale douce. Il rocke encore un peu avec «Wait ‘Til The Sun Shines Nellie» et rend un bel hommage à Leiber & Stoller avec «Smokey Joe’s Cafe». Belle leçon d’élégance. Puis réveil en sursaut avec une cover de «Slippin’ And Slidin’». C’est là qu’il excelle, et il sort en plus le beat de Canned Heat, alors t’as qu’à voir ! Il rend aussi hommage en B à Mickey Baker avec une cover de «Love Is Strange», et c’est là où Norman Petty entre dans la danse des charognards : il rajoute des orchestrations sur les démos. Il a même la main lourde. Il trafique aussi une mouture ralentie de «Slippin’ & Slidin’», du coup on croit entendre Desmond Dekker. Commet Petty a-t-il osé ? Toute la B est tripatouillée par Petty, donc difficile à écouter. Et pourtant les cuts sont bons : «Peggy Sue Gor Married», «That’s What They Say» (la classe, dès qu’il a du son, ça claque), «Dearest» (nouvel hommage à Mickey Mouse, magique dès l’abord) et «You’re The One», extraordinaire modernité de cette pop. Dommage que tout ça soit posthume. Le sixième album s’appelle The Collectors. On y retrouve grosso-modo les cuts du cinquième album, les Mickey, Slippin’, un «Real Wild Child» enregistré à Clovis avec les Crickets et deux cuts avec Waylon Jennings au chant, dont l’excellent «Jole Blon», un groove cajun, et pour finir, un «Stay Close To Me» avec Lou Giordano au chant et Phil Everly à la gratte, ce qui laissait présager des choses intéressantes. Cette box est donc le moyen d’accompagner Buddy au long de sa courte épopée et de le voir évoluer. C’est assez fascinant. On comprend qu’il ait pu marquer les esprits. On voit aussi le parallèle avec Bob Luman : le coffret Luman paru chez Bear montre comment Bob est passé du statut de wild cat à celui de chanteur de ritournelles.

Le meilleur tribute à Buddy est sans le moindre doute Fool’s Paradise des Hot Chickens, Comme il l’a fait précédemment avec Gene Vincent et Little Richard, Jake Calypso rentre dans le chou de Buddy. On l’attend au virage avec «Reminiscing» : il le tape à sa manière, dans l’excellence, mais sans sax. Il n’a pas les moyens de se payer King Curtis. En plus il a cassé sa pipe en bois depuis belle lurette. Jake claque l’I’m lonely au retour de l’accord et son thinking of sonne incroyablement juste. Il attaque «Tell Me How» en frontal, Jake n’est pas là pour rigoler. Attention, voilà les coups de génie, à commencer par «Whishing». Il travaille son Buddy au corps. Il chante à la déchirade, il fouille le mythe, il bourre sa dinde. Pour chanter comme ça, il faut vraiment adorer Buddy ! C’est là où le mot fan prend tout son sens. Jake ne fait pas semblant. Plus loin, il bouffe tout cru «It’s So Easy». C’est pas beau à voir. Crouch crouch ! Un vrai carnage ! Et un tourbillon de guitare couronne la scène. Les Hot Chickens donnent le tournis. Troisième coup de génie avec «Maybe Baby». Jake l’allume au chant, bien épaulé par le riffing de Christophe Gillet. Quel son ! C’est inespéré. Du son à gogo qui rend gaga. Avec «Lonely Tears», il boit les larmes de Buddy à la source. Nouvel hommage stupéfiant au génie du binoclard. Il lui shake bien le shook. Jake fout la gomme en permanence. Encore du pur jus de Buddy craze avec «Love’s Made A Fool Of You». En plein dans le mille une fois de plus, avec un son destroy, oh boy ! Jake cherche à rallumer la gueule du cut en permanence. L’une des covers les plus fines est certainement «What To Do» et puis ça rebascule dans la folie douce avec «Rave On». Il tape en plein dans l’envergure astronomique de Buddy Holly. Il le chante comme s’il avait été son pote pendant vingt ans. Encore une fois, Jake joue avec le feu, car sa version challenge assez violemment la version originale. Par sa justesse de ton, cet album n’en finit plus d’effarer.

Nouvelle occasion de serrer la pince à Big Beat pour cette compile parue en 2007 : Now Hear This! Garage & Beat From The Norman Petty Vaults. Qu’on aime ou pas Norman Petty, ce n’est plus le problème, car on est vite overwhelmed par les groupes venus enregistrer chez lui, à Clovis. Tiens, rien qu’avec le cut des Crickets en ouverture de bal, on est ravi : «Now Hear This». Infernal ! Ces mecs jouent à la folie, avec Tommy Allsup au wild shake et Jerry Allison au beat. Mais ensuite, on va voir grouiller les coups de génie, tiens par exemple les Trolls avec «I Don’t Recall», wild Texas psycho, ça explose dans l’œuf de Clovis, là tu décarres du decal d’I don’t recall, c’est complètement dragged out - Why should I fall when I don’t recall - On est dans l’excellence du far-out breton. Oh et puis voilà The Chances, l’un des groupes de Sandy Salisbury, avec «Get Out Of My Life», c’est violent, ces mecs claquent un son jusque là inconnu, ça pulse au Clovis wild drive, jamais personne n’a joué comme ça en Angleterre, et c’est la basse qui allume. On retrouve les Chances plus loin sur la compile avec «It’s Only Time», un shoot de country psyché à la belle étoile. Que de son, my son ! Un peu plus tard, Sandy Salisbury va refaire surface dans the Ballroom et le cercle rapproché de Curt Boettcher. Encore du bien monté en neige avec l’«Hate» des Perils. Joli shoot d’I don’t need you girl, c’est le gaga de tes rêves inavouables, allez-y les Perils, stay away from me now, ils insistent - Stay away from me right now ! Hate ! - On croise pas mal de cuts des Cinders sur cette compile, à commencer par l’excellent «Three Minutes Time», une vraie bénédiction, «Good Lovin’s Hard To Find» itou, ils sont encore plus vénéneux avec «Ma’am» et cette basse qui claque, pareil tu es à Clovis et les basses claquent comme des serpents, elles doivent sonner. Ils tapent aussi dans le hit suprême, «Gloria», ils se laissent couler dans le she comes around et dans le she makes me feel soo good, Lord, awite. Norman Petty fondait de gros espoirs dans ce trio d’Amarillo, avec JD Souther au beurre. Il faut voir comment les Teardrops font sonner leur «Sweet Street Sadie» ! On est à Clovis, au paradis des riffs vicelards. Ça rocke comme nulle part ailleurs. Ça rocke dans le saint des saints du hey hey hey des profondeurs. Nouveau coup de génie avec The Cords et «Too Late To Kiss You Now», attaqué au riff mortel de Texas ranger, the wild guitar sound. Là tu entres dans la mythologie, le riffeur fait ici le génie de la pop. S’ensuit une autre bombe avec Barry Allen with Wes Dakus Rebels et «And My Baby’s Gone». C’est énorme, gorgé de Soul, my baby’s gone ! Une vraie foire à la saucisse, tout bascule dans l’extrême, sur cette compile. On retrouve cette équipe de fous dangereux plus loin avec «Danger Zone», vieux shoot de r’n’b, avec une guitare ultra saturée dans le move, c’est du Cropper/Wilson Pickett avec de la fuzz, alors imagine le travail. C’est un rare mélange de white r’n’b avec du psyché. Les Wes Dakus Rebels reviennent plus loin avec une version explosive de «Shotgun». Ces mecs sont des diables. Aller s’attaquer à «Shotgun», il faut être complètement cinglé. Ils le font ! Il l’aplatissent au stomp. Ces mecs ont du génie. Parmi les violents de la terre, on trouve Stu Mitchell & Doug Roberts. Leur «Say I Am (What I Am)» bat bien des records. Ils jouent dans la caverne. C’est atrocement bon, ils claquent des accords atomiques. Une vraie charcuterie de Say I am. Ce cut frôle le mythe. Sur cette compile, tous les groupes ont du son, on ne sait plus où donner de la tête. The Three Of A Kind sonnent exactement comme les Beatles avec «Only TimeWill Tell». C’est troublant. Et puis il y a les Monocles originaires du Colorado avec «Let Your Lovin’ Grow» et Waylon Jennings à la basse. Ça rumble dans les brancards, surtout le drive de basse. Tout est beau là dedans, le chant, le solos sec, wild gaga génial ! Merci Clovis, roi des Francs. Mais on va devoir y revenir, car pas mal de choses se baladent dans la nature, Norman Petty a produit des tas de groupes fascinants. Même plan que Huey P. Meaux.

Signé : Cazengler, Bidon Holly

Alain Feydri. Listen To Me - Un Portrait De Buddy Holly. Du Layeur 2021

Buddy Holly. The Complete Buddy Holly. Box MCA 1979

Now Hear This! Garage & Beat From The Norman Petty Vaults. Big Beat Records 2007

Steve Rash. The Buddy Holly Story. DVD 2006

 

Farrington en fait des tonnes

 

Retour aux choses sérieuses en Normandie avec ce qu’il faut bien appeler un festival de rock. Bon, ce n’est pas Woodstock ni l’Île de Wight, mais il y a un peu de monde. Pas trop, mais un peu quand même. Les gens commencent à ressortir des abris. Il faudra du temps pour retrouver les affluences d’antan. Et surtout les enthousiasmes d’antan. Bien sûr, les purs et durs sont là, même les fantômes. Principalement les fantômes. Senti en permanence la présence du vieux compagnon de route, Laurent. Surtout au merch. Pour un premier festival post-atomique, c’est une réussite. C’est même une sorte de top départ à forte portés symbolique, comme si la vie reprenait enfin son cours. Avec une affiche éclectique, Julius (hip hop), Double Cheese (gaga), Mustang (pop), puis ça monte en température avec les Parlor Snakes sur lesquels on reviendra et la tête d’affiche, les François Premiers sur lesquels on reviendra itou. Et juste avant la tête d’affiche, Maxwell Farrington, une sorte de révélation.

Révélation ? Un bien grand mot, diront certains. Peut-être faut-il avoir la chance de le voir chanter sur scène. Farrington est le genre de mec qui n’a besoin de personne en Harley Davidson, c’est vrai qu’il est bien accompagné, les mecs autour sont fins, mais lui, quel showman ! Ou plutôt quel anti-showman. On est tout de suite frappé par sa mise : il est fringué comme l’as de pique, c’est le genre de mec qui n’en n’a rien à cirer, il porte une grosse vareuse de couleur indéfinissable boutonnée jusqu’au cou, une chemise à carreaux dépasse devant et derrière, et il porte des boots comme celles qu’on te donne à l’Armée du Salut, rien à cirer, donc admirable, l’anti-frime à deux pattes, et puis il faut le voir danser, il fait sa sylphide pittoresque, sa Goulue périphérique, on pense au numéro qu’avait donné Aretha à New-York lorsqu’en Tutu de ballerine, elle avait esquissé quelques pas de danse éléphantesque devant un public frappé de stupeur. Bon, d’accord, Farrington n’est pas en Tutu et il ne pèse pas non plus 150 kg, mais ses pas de danse, c’est quelque chose ! On serait tenté de rigoler s’il ne chantait pas aussi merveilleusement bien. Ce fabuleux mélange de grâce vocale et d’incertitude chorégraphique bat tous les records. On pense aussi au bassman du Villejuif Underground qui sur scène imitait la danse des ours du Magic Band. Et là on a un truc complètement original, un mélange assez toxique d’incongruité et de grâce, on voudrait que ce spectacle ne s’arrête jamais, tellement c’est hors normes. On voit à un moment Farrington plaisanter avec le public, il est en plus extrêmement drôle, il adore vanner, et soudain, il se rappelle qu’il doit reprendre le set, alors il jette un coups d’œil à la set-list et dans l’instant, dans la fraction de seconde, il est sur la mélodie, au ton juste, arrimé des deux mains à son micro, suivi dès la première mesure par les musiciens. C’est de la très haute voltige. Ce mec crée des climats envoûtants, il module à l’infini, avec des accents graves dans une voix assez chaude, il prend la mélodie à sa façon, avec un étrange mélange de désinvolture et d’aisance, et chaque fois, c’est en plein dans le mille. Bien sûr, pour choper la pulpe d’un mec aussi doué, il faut le voir sur scène. Il n’est pas certain que ces chansons soient convaincantes à la radio, ou pire encore sur un smartphone. Il propose une pop très ambitieuse, quasi-américaine, très Jimmy Webb dans l’esprit, mais on ne peut le comparer à personne. Pas même à Stuart Staples. Ni à Lanegan, ni à Scott Walker qu’il cite comme influence, ni à Lee Hazlewood qu’il cite aussi comme influence. Il sonne comme Farrington. Ce mec est épouvantablement bon. Il ne fait qu’une reprise, «The Train» de Frank Sinatra, qu’il n’annonce pas comme «The Train» mais comme «Hey Jude», histoire de déconner encore un coup, et pouf, il s’embarque dans un soft groove d’une élégance supérieure, on pense à Fred Neil, Farrington colle au soft et au groove et plonge le petit auditoire dans une sorte d’état de grâce. Il manque bien sûr les orchestrations, mais derrière, les mecs du Superhomard jouent la carte du primitivisme pop, et ça tient la route.

Sinon, c’est lui qui compose toutes ses chansons. Le parallèle avec Jimmy Webb n’en apparaît que plus flagrant. Il attaque son set avec «North Pole» qu’on retrouve sur l’album tout juste paru, Once. Il sonne un peu comme Scott Walker, il se paye le luxe d’une plongée dans un climax, c’est une merveille de retenue mélodique, il monte, son drifting arrache le cœur, il pousse très loin la corde du sensible pour remonter enfin vers le dead so far away. C’est ce qu’on appelle un démarrage en force. Peu après, il tape dans le «We Us The Pharaohs» qui ouvre la bal de l’album. Il tranche direct au ton, il chante au contre-coup du petit beat orchestré, il part à l’aventure, comme tous les grands chanteurs, l’écho de sa voix enchante le petit beat pressé. Il chante à l’envergure. Le «Free Again» n’est pas celui d’Alex Chilton, c’est le sien. Il sonne comme une super star, avec cette aisance qui déconcerte. Il se coule dans le cool, il pèse sur tout ce qui compte dans l’art vocal, il tartine la surface d’un groove de Soul blanche, il fuite entre les vagues, free again, il dote cette merveille de petites accélérations qui ressemblent à des tenants et à des aboutissants et il revient se couler dans le lit de l’excellence. Il sonne comme un général à épaulettes, il montre du courage et module une matière vocale qui ressemble à de la magie. Avec «Hips», il rejoint Stuart Staples au paradis des dérives congénitales, même sens du mood de groove, il chante des hanches et chaloupe au vent. Max fait le max, pas de doute. Il duette sur «Big Ben», et dans «Tonight», il revient à l’envers dans le groove, comme s’il prenait les atonalités par surprise. Il utilise sa voix comme un instrument. Après la reprise de Sinatra (qui n’est malheureusement pas sur l’album), il conclut avec un coup de génie nommé «Good Start». Il chante à la puissance pure, mais une puissance ouverte sur l’horizon, il pousse sa voix vers l’extérieur, c’est complètement dément, don’t want to be alone today. Génie pur.

Causer avec lui est un luxe qu’on ne pourra peut-être plus s’offrir très longtemps, tellement on sent qu’il va devenir énorme. Il semble redescendre de son statut de star en devenir pour se fondre parmi les gens normaux. Il parle couramment le Français et plante ses petits yeux perçants dans les tiens. Il a un visage très frais, presque rose. Il est incroyablement sympathique. Il dit venir de Brisbane et ne connaître Chris Bailey que de nom. On ne croise pas tous les jours des personnages aussi édifiants.

Signé : Cazengler, Maxweird Far breton

Maxwell Farrington & le Superhomard. La Friche Lucien. Rouen (76). 12 septembre 2021

Maxwell Farrington & le Superhomard. Once. Talitres Records 2021

 

L’avenir du rock - À Table, Scraps !

 

Le dimanche, l’avenir du rock va au Blanc-Mesnil jouer au scrabble avec sa tante Annie-Jeanne. Une troisième personne joue avec eux, mais elle est transparente. C’est le fantôme de Bernard, le mari de sa tante et ancien retraité des usines Rateau de la Courneuve. La partie dure depuis deux heures. L’avenir du rock s’impatiente. Déjà qu’il n’aime pas beaucoup les jeux de société...

— Tata, magne-toi la chatte, c’est à toi d’jouer !

— Fais pas chier... Laisse-moi réfléchir une minute, bordel ! J’crois qu’j’ai un mot.

Elle place ses sept lettres entre un E et un S pour former le mot Encularès. Elle commence à compter :

— Scrabble ! Ça me fait 50 points. Plus lettre compte triple, plus mot compte double, alors ça me fait...

— Mais Tata, t’es complètement conne ou quoi ? C’est pas un mot !

— Ben si c’est un mot ! T’arrête pas d’le dire quand tu conduis !

— Bon d’accord, on va pas discuter, avec toi ça sert à que dalle. Zyva Tata, marque tes points. À toi d’jouer, Tonton !

La température refroidit subitement et les lettres de Bernard se mettent à gigoter. Puis une voix d’outre-tombe s’élève :

— Beloooootte et re-belooooootte et diiiiiiix de deeeeeeeeer !

— Mais Tonton, tu débloques ! On joue au Scrabble, pas aux cartes !

La table se met à vibrer, comme chez Victor Hugo, Place des Vosges. Un sinistre hululement s’élève :

— Guillauuume qu’es-tuuuuh devenuuuuuh ! Uuuuuuuh ! Uuuuuuuh !

— Voilà, il est contrarié, alors il nous fait sa reprise d’Apollinaire par Howling Wolf ! Ah vous commencez à m’courir sur l’haricot, tous les deux ! Bon tu joues ou tu joues pas ?

La température redevient glaciale et les lettres gigotent frénétiquement.

— Fataaalitââââââââs ! Quinte Fluuuuuuush par les dââââââââmes !

— Tata, ton mec y tournait déjà pas rond d’son vivant, mais là ça craint pour de bon. Y va nous r’faire une attaque ! Bon j’vais jouer pour lui, parce que sinon demain on yeah encore !

L’avenir du rock tourne vers lui le chevalet de son oncle et compose un mot vite fait.

— Voilà... Tata, tu peux lui compter deux points. Maint’nant, c’est mon tour !

Il place quatre lettres à la suite du S d’Encularès pour former le mot Scraps. La tante se met à beugler comme un veau :

— Tu m’prends pour la reine des pommes de terre ou quoi ? C’est quoi ça, Scraps ? Ça n’existe pas ! Non seulement t’es con comme un manche mais tu triches ! Retire ça tout de suite ou j’t’en colle une dans ta sale gueule !

— Oh putain Tata, c’est pas d’la triche, c’est Table Scraps ! Tout le monde en parle, même Vive Le Rock !

 

Il a raison d’insister, l’avenir du rock. Il met en outre un point d’honneur à parler de Table Scraps à une table de Scrabble.

Quelqu’un dans la presse s’empresse de qualifier Table Scraps de fast running Brummie gaga trio. Bien vu, machin ! Ce fast running trio se compose du chanteur guitariste Scott Vincent Abbott, de la moissonneuse-batteuse Poppy Twist (& shout) et du bassman TJ. C’est Vive Le Rock qui nous a révélé leur existence. Alors on serre la pince de Vive Le Rock avec effusion.

— Merci Vive Le Rock, mille fois merci !

— Oh ce n’est pas grand chose...

Quelle modestie ! Ça rend ce modeste canard encore plus attachant. Découvrir des groupes aussi importants - mais qui n’ont aucune chance - et dire que ce n’est pas grand chose, quelle belle leçon d’humilité ! Comme Edgard Morin, Vive Le Rock réussirait presque à nous réconcilier avec le genre humain.

Leur premier album s’appelle More Time For Strangers et date de 2015. Un véritable coup de génie se planque en B : «Big». Comme ils sont dans des idées de son, ils ramènent du ooouuuhhh-ooouuuhhh par dessous et là, oui, ça devient monstrueux. Attention au «Electricity» d’ouverture de bal d’A. Tu ne te méfies pas et là juste derrière le beat, tu as la purée. Scott Vincent Abbott n’est pas là pour s’amuser. Il gratte derrière son growl et Poppy Frost tape comme une sourde. Ils peuvent aussi se révéler spectaculaires de darkisme, comme le montre «Foot Of The Stairs», ils te plombent un ciel vite fait. Encore un doom atrocement pertinent avec «Bad Feeling», bad bad feeling, c’est un peu comme si Black Sabbath se faufilait dans ta culotte, que tu aimes ça ou pas, c’est pareil, ils ne te demandent pas ton avis. C’est vrai que dans l’esprit, ils ne sont pas loin de Monster Magnet, «Sinking Ship» est là pour le prouver - I wanna find a way to get out/ Of that sinking ship - Et puis voilà justement le fameux «Motorcycle (Straight To Hell)» que reprend Monster Magnet sur son dernier album, big one, embarqué au tototo de basse et visité par des spoutniks. Scott Vincent Abbott repend sa voix tendancieuse pour «Children Of The Sky» et nous plonge dans l’enfer d’un break de doom. Ils chantent «What You Don’t Allow» à deux sur un beat bien rebondi. Quelle vitalité ! Ah elle y va la petite Poppy.

Leur deuxième album paru en 2017 s’appelle Autonomy. Les Scraps se spécialisent dans le gaga hypno et ça file droit dès «Sick Of Me». Ils sont parfaits, absolument parfaits. On croit entendre chanter une femme, mais non, il semblerait que ce soit Scott Vincent Abbott qui mène le bal et qui file les chocottes avec un solo d’aigrefin. Vu comme il se présente, c’est le genre d’album dont on va attendre monts et merveilles. Tout aussi balèzoïde, voici «I’m A Failure», très spécial et bien goulu. Scott Vincent Abbott chante à gorge déployée. Ces gens-là ont une réelle identité gaga. Ils sont même capables de glam («Takin’ Out The Trash»), ils adorent les ambiances d’éclectisme éclatant, ils trinquent à la gloire du glam, battus par des vents de Dersou Ouzala. Ils cultivent tous les excès de l’excellence underground, aucun espoir d’allégeance, ils n’en pensent pas moins, ils font leur truc envers et contre tout et ça redonne du baume au cœur de l’avenir du rock. N’en fut-il pas toujours ainsi, since the beginning of it all ? «My Obsessions» sonne comme une vieille remontée d’égouts de gaga abrasif, Scott Vincent Abbott traite ça en mode hypno gaga pur, ils sont en plein dedans. Ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson, leur truc c’est d’aller bon train, de ne pas traîner en chemin et diable comme Poppy Twist bat ça bien. Il faut l’entendre jouer le beat élastique sur «Frankenstein». Dans «Treat Me Like Shit», Scott Vincent Abbott demande qu’on le traite comme de la merde et pour appuyer sa demande, il envoie des spoutniks, une façon comme une autre d’envoyer un gros clin d’œil aux Spacemen 3. Les Scraps continuent de naviguer dans leurs magnifiques eaux troubles avec «More Than You Need Me». Ils restent désespérément underground, comme l’était le Velvet au beginning to see the light, les Scraps brillent comme un soleil de Satan, ils brillent comme la perle noire dans l’écrin rouge de nos nuits blanches et Scott Vincent Abbott envoie planer le fantôme d’un solo vampire dans le fond du son. Ils laissent loin derrière eux tous les prétendants au titre et nous saluent avec l’élégant «Do It All Over Again», une belle fin de non-recevoir en forme de giclée de gaga-rock brummmie in the flesh du flush cosmique. Une façon comme une autre de tirer la chasse.

Signé : Cazengler, Table scrotte

Table Scraps. More Time For Strangers. Hell Teeth 2015

Table Scraps. Autonomy. Zen Ten 2017

 

Inside the goldmine

- Eldridge over troubled water

 

À la tombée de la nuit, ils sortirent du Grand Hôtel. Ils zigzaguèrent à travers la médina qu’ils commençaient à bien connaître et arrivèrent bientôt en vue d’une corniche. Nous arrivons chez Brion dit Port à Kit qui répondit qui ? Ben Gysin ! Ah Gaïsinne, fit Kit. La maison donnait sur la baie de Tanger. Vue imprenable. Parmi les convives se trouvaient d’autres Américains. Tiens voici Paul ! Qui ?, fit Kit ? Ben Bowles ! Ah Balls ! Et lui c’est qui ? Ben lui, c’est Bill ! Bile ? Oui Bill Burroughs ! Ah Beuwrôks. Kit accepta de tirer une longue taffe mélancolique sur la cigarette que Gaïsinne lui proposait. Elle sentit tout de suite le kif kicker. Port vit qu’elle kickait cash. Ça kiffe, Kit ? Oh oui, ça transe, Port ! Il eut un petit éclat de rire hystérique et sniffa le rail qu’un jeune marocain nu comme un ver lui présentait sur un plateau d’argent. Kit vit Beuwrôcks retrousser sa manche et se piquer avec une très grosse seringue. Tous ces gens la fascinaient. Elle aperçut un peu loin deux beaux mecs en caleçons blancs. C’est qui ? Ben lui c’est Jack et lui c’est Peter ! Peter Paul & Mary ?, fit Kit en rigolant bizarrement. Ben non, fit Port, lui c’est Kerouac et lui c’est Orlovsky ! Ah Orlove-ma-bite-en-ski !, et elle éclata d’un rire cristallin qui déclencha un fou rire général. Gaïsinne lança un disque. C’était l’heure de danser. Working In The Coal Mine, Goin’ down down down. Beuwrôcks s’approcha de Kit, lui mit la main au cul et lui demanda si elle désirait un shoot dans la chatte. Elle eut du mal à comprendre ce qu’il voulait dire et tira une longue taffe décadente sur la cigarette qu’Orlove-ma-bite-en-ski lui proposait. Poussi ?, fit-elle. Ben oui, fit Beuwrôcks qui se mit soudain à danser le jerk des squelettes de la Nouvelle Orleans. Working In The Coal Mine, Oops about to slip down. Mue par un réflexe qu’elle ne se connaissait pas, Kit se joignit à cette fantastique orgie de jerk. Elle approcha l’oreille de Beuwrôcks et fit c’est qui ? Holmes !, fit Bile. Ah Sherlock ? Ben non, fit Bawrôcks interlocked, Elridge ! El qui ?

 

C’est vrai que le nom d’Eldridge Holmes est difficile à mémoriser. Mais en faisant un peu attention, on y arrive. Allen Toussaint croyait tellement en Eldridge Holmes qu’il lui consacra son temps, ses compos et son talent de producteur. L’équipe Toussaint/Holmes, c’est exactement du même niveau que l’équipe Burt/Dionne la lionne, ou encore Spector/Righteous Bothers, ou encore George Martin/Cilla Black, ou encore Ragovoy/Tate, et si on veut rester à la Nouvelle Orleans, on peut alors citer l’intime team Fatsy/Bartholomew.

On trouvera sans peine une poignée de coups de génie sur Deep Southern Soul. À commencer par «Humpback», terrifiant shout de r’n’b à la Wilson Pickett, d’une incroyable violence, avec un truc en plume en plus. Eldridge ravage les contrées, Heyyyy, il laisse planer la menace sur ses Everybody. Quel shaker de r’n’b ! Franchement énorme et bien raw to the bone, suivi à l’insistance définitive. On imagine qu’Allen Toussaint fait le con avec ses potards, pendant que les chœurs font ‘Humpback’. Ou encore «The Book», fantastique heavy groove elridgien. C’est là que se joue son destin. S’il fallait situer Eldridge Holmes sur la carte des genres, on pourrait parler de r’n’b dévastateur. S’il y va, c’est à coups de reins. Han han ! On le voit à sa physionomie. Son «Where Is Love» d’ouverture de bal est diaboliquement bon. Cut après cut, Eldridge impose un son d’une invraisemblable puissance. Il porte tout le poids du r’n’b sur ses épaules. Et quand il fait du sirop de sirupe avec «Love Problem», pas de problème, il entre dans l’humidité du thème avec une force dressée et même intentionnelle. Il commence alors à limer les problèmes. Il parle d’endless love mais c’est vrai, parfois ça peut devenir compliqué, l’endless love. Il tape dans Kid Chocolate avec une belle version de «Working In A Coal Mine». Bassmatic devant toute ! Ça sonne comme une bénédiction, comme d’ailleurs l’ensemble de cette compile - I’m a hard workin’ man/ Workin’ hard every day now - Puis il monte ce beau slowah qu’est «Now That I’ve Lost You» en neige pour atteindre à l’apothéose selon Saint-François. Encore un hit avec «Beverly», une énormité cavalante parée de chœurs déments. Eldridge ramone bien les cheminées, il livre là un r’n’b puissant, d’une rare ampleur, il explose carrément les contours du contexte. Il semble même prendre un malin plaisir à pulvériser les lieux communs du r’n’b. Il est comme Léon Bloy, il ne peut s’empêcher d’en faire l’exégèse. Quant à son «No Substitute», il paraît tout simplement violent et pas commode. Cette excellente randonnée s’achève avec un «Wait For Me Baby» dévastateur, et les filles font ah-ah. Il s’agit certainement de l’un des meilleurs shouts de r’n’b qu’on puisse entendre ici bas. Eldridge navigue au même niveau que Wilson Pickett. C’est dire la grandeur du buzz. Ajoutons qu’Allen Toussaint avait, en matière de talents, la main verte. Il les flairait à bonne distance.

Il existe une autre compile d’Eldridge Holmes intitulée Now That I’ve Lost You, avec en sous-titre The Allen Toussaint Sessions. On y retrouve bien sûr tous les hits débusqués sur Deep Southern Soul, «Humpback», «Working In A Coal Mine», «Beverly» et «Now That I’ve Lost You». On retrouve aussi «Gone Gone Gone», mené à la poigne de fer. C’est incroyablement bien balancé. On a là un véritable chef-d’œuvre productiviste. On est aussi frappé par l’incroyable modernité du son. Bizarrement, «Pop Popcorn Children» ne figure pas sur l’autre compile. Cette fois, Eldridge part en mode funk à la James Brown, all nite long ! Allen et lui fabriquent le meilleur popcorn funk de la Nouvelle Orleans. Voilà encore un cut dément, bombardé au bassmatic qui dégringole dans des gammes de barbe à papa. Ça démolit tout l’immeuble, ça creuse des tunnels sous l’Himalaya, ça pulse au bas du manche, pur jus de demented are go ! On retrouve aussi l’énorme «Cheatin’ Woman», groové à la dévastation, presque joué à l’Anglaise, côté guitare. C’est une fois encore puissant des reins et embarqué au pénultième d’exaction pathologique, avec des retours de manivelles de gammes. Cette collection de hits s’achève avec «What’s Your Name» (pas celui des Clash, mais celui du déclin de l’Empire romain, hit rampant qui se glisse mollement dans des ténèbres humides) et «Selfish Woman» (extraordinaire explosion de shuffle d’Allen qu’Eldridge drive à la poigne de fer pendant que derrière les filles gueulent comme des baleines en rut).

Signé : Cazengler, Elrigolo

Eldridge Holmes. Deep Southern Soul. AIM 2006

Eldridge Holmes. Now That I’ve Lost You. Fuel 2000 2014