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17/11/2021

KR'TNT ! 530 : LUKE HAINES / BEAU BRUMMELS / SLIFT / MICKEY & SYLVIA / ENOLA / EUDAÏMON / ROCKAMBOLESQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 530

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

18 / 11 / 2021

 

LUKE HAINES / BEAU BRUMMELS / SFLIT

MICKEY & SYLVIA / ENOLA / EUDAÏMON

ROCKAMBOLESQUES

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Luke la main froide - Part Two

 

L’une des clefs permettant d’entrer dans l’univers des luminaries est celle d’une liste de leurs disques préférés. On voit tout de suite s’il existe des affinités. Dans un vieux numéro de Flashback, Luke Haines évoquait douze de ses disques favoris, démarrant bien sûr avec un single de Gene Vincent, «Over The Rainbow» et indiquant qu’à ses yeux, Gene was the greatest of them all. Puis il passe aux Stones avec Between The Buttons, à l’Airplane avec After Bathing At Baxters et au 13th Floor avec Bull Of The Woods, l’album enregistré sans Roky ni Tommy Hall - What a mysterious and very creepy fucker this album is - Par contre il surprend en choisissant le Third de Soft Machine qui pour les fans de Soft fut une grosse déception. Luke la main froide parle de monolitic jazz destruction, monolitic rock destruction, iconic meditation and more destruction. Chacun entend ce qu’il veut bien dans ce qu’il entend. Et puis bien sûr le Velvet et Syd Barrett. Il écoutait le Live 1969 chaque jour lorsqu’il était au lycée. C’est une grosse déclaration d’amour - I really like the Velvet Underground - pareil pour Syd Barrett - Barrett is the ultimate mandies album. Oh Syd, you were just too far out - Il indique que de nos jours personne ne pourrait enregistrer un album aussi génialement barré que Barrett et il a raison.

Chaque mois, Luke la main froide donne une chronique d’une page à Record Collector, ce qui permet de voir à quel point il reste attaché à l’underground britannique. On l’a vu dresser des éloges de Steve Peregrin Took, de Robert Calvert, des Pink Fairies, et de temps en temps, il ramène dans le rond de l’actu des gens comme Kevin Junior ou les Swell Maps. Si on lit chaque mois sa chronique (et pas nécessairement celles des autres chroniqueurs, ils sont quatre en tout), c’est sans doute parce qu’elle a du caractère. Luke Haines est un écrivain, comme on va le voir tout à l’heure, et même un grand écrivain, de la race des féroces pugnacitaires. Il manie sa langue avec fermeté et la travaille dans la masse de sa mélasse délictueuse, comme les Anglais savent si bien le faire. Voilà comment il amène son hommage aux Swell Maps : «There once was a time when everyone was looking for a semi-obscure band to take on the mantle of the ‘New Velvet Underground’». Alors il décide d’appeler les Swell Maps the British Velvet Underground. En plus, ça tombe sous le sens. Il pousse l’analogie très loin, comparant respectivement Jowe Head, Nikki et Epic à Nico, Lou and Cale. Puis il salue bien bas le premier album solo de Nikki Sudden, Waiting On Egypt, the actual missing link between Dragnet and Electric Warrior, a full-on assault of ultra-primitive intellectual posturing and shape-throwing. It’s a magnificent album. Il implore de lecteur de ne pas se fier aux apparences, c’est-à-dire aux coiffures à mèches et aux écharpes de soie - Reader, I implore you. Fear not the feather-cuts and the scarves, or the wayward vocals. Throw yourself into all things Nikki Sudden - Il rappelle que Nikki a fait 30 albums - You’ll thank me, or hate me - Voilà le vrai Luke, l’infâme provocateur qui a les moyens de sa provocation. Personne n’irait jamais conseiller d’écouter les 30 albums de Nikki Sudden, sauf Luke la main froide. Puis il passe à Epic Sounstracks, le petit frère de Nikki, rappelant qu’il fut dans les années 80 le batteur de Crime & The City Solution, puis de Rowland S Howard dans These Immortal Souls avant d’enregistrer un album solo, Rise Above, que Luke la main froide qualifie froidement de Big Star’s Sister-Lovers style heartbreak classic, et ajoute-t-il un peu plus loin, a guenine successor to Epic’s songwriting heroine Carole King’s Trapestry. Quand on a retrouvé Epic mort chez lui à West Hampstead, Nikki a déclaré que son younger brother died of a broken heart. Nikki décampa pour Chicago et tenta de renaître avec l’album Red Brocade que Luke la main froide recommande : if you need an entry point to Nikki Sudden, go here. Et puis après un gig à New York au Knitting Factory en mars 2006, Nikki fit une crise cardiaque. Heart attack. Il termine sa chronique ainsi : «However, la vraie tragédie, c’est que vous n’entendrez jamais ni Nikki Sudden ni Epic Soundtracks à la radio, partout dans le monde. C’est dommage, car ils sont deux des plus grands songwriters in all of rock’n’roll.» Voilà ce qu’il faut bien appeler un hommage vibrant. Heartbreaking.

Dans un autre numéro, il titre sa page ainsi : We need to talk about Kevin Junior. Il situe l’Américain Kevin Junior comme the final part of the Nikki Sudden-Epic Soundtracks axis of burning talent and horrible early death. Kevin Junior tourna nous dit Luke avec Epic et enregistra avec lui l’album posthume, Good Things, un album enregistré chez Epic à West Hampstead sur un quatre pistes - There are still a few copies out there. Seek one and you will never be without - Luke la main froide rappelle froidement que personne ne connaissait Kevin Junior, sauf ceux qui examinaient dans le détail les pochettes des disques d’Epic ou de Nikki. Il appartenait à la scène indé de Chicago, sa ville d’adoption et fit paraître deux albums sous le nom de The Chamber Strings, Gospel Morning et Month Of Sundays, sur lesquels Luke se lâche - The culmination of its influences (Carole King, Alex Chilton, Brian Wilson, power pop, country, gospel, blue-eyed soul, the Go-Betweens) - Et comme les frangins Nikki et Epic, Kevin Junior casse sa pipe de bonne heure, à 46 balais. Heart problems. Décidément, on n’en sort plus. À la fin de sa chronique, Luke s’adresse aux labels : «Then please reissue his recordings. That goes for Epic Soundtracks too. Ne laissez pas ces fantastiques artistes disparaître, se faire effacer de l’histoire et tomber dans l’oubli.»

Il continue sa croisade avec un hommage à Vic Godard dans un autre numéro : Is Vic there? Yes he is. C’est assez drôle car Luke la main froide rappelle le contexte : les quatre Subway Sect voulaient monter un groupe, mais ils n’avaient pas d’instruments. Alors Vic qui étudiait Molière proposa aux autres de jouer des pièces de Molière sur scène. Vic indique que les K7 doivent toujours exister quelque part. Ce premier album doesn’t need to exist, nous dit Luke, it just needs to be mythical. Oui enfin c’est vite dit. On se souvient des Subway Sect en première partie des Clash, et c’était assez pénible, car il faisaient semblant de savoir jouer. En évoquant les singles de Subway Sect, la main froide parle de 86 billion-carat classics. Pour lui, Vic est the South-London answer to Jackie Wilson. C’est vrai qu’il existe de bien beaux albums du crooner Vic. Et puis bien sûr arrive sous la plume de la main froide l’excellent End Of The Surrey People et du fameux «Johnny Thunders». Quand la main froide demande s’il recherchait la gloire, Vic répond «Nah» et ajoute : «I wanted people to write about me in 200 years’ time», à quoi la main froide rajoute : «I think his place is assured.»

Et puis bien sûr, voici le chouchou définitif, Mark E. Smith, dans une chronique que la main froide intitule The unutterably great lesser-known Fall. Il y évoque les albums moins connus de The Fall, Middle Class Revolt, The Unutterable et le dernier, New Facts Emerge. Et pouf, il se fend d’un «Frenz, let us dig deep into the lesser known corners of Britain’s greatest avant-garde showband: The Mighty Fall Group.» Il évoque la période Brix Smith et avoue avec un soupir que ce fut un soulagement que de la voir quitter le groupe. La main froide insiste pour dire que les albums des années 90 posèrent un problème à leur sortie (Middle Class Revolt et Cerebral Caustic) mais avec le recul, ils sont devenus extrêmement pertinents. Mark E. Smith picolait de plus en plus et il atteignit en 1998 le climaxing en se battant sur scène à New York avec ses musiciens et en se faisant ensuite coffrer par les cops pour misdemeanour assault charge. La main froide dit qu’il n’a pas vu le show du Brownies, mais il se trouvait dans le même hôtel que The Fall ce soir-là, car il jouait à New York avec The Auteurs au Mercury Lounge. Avec la période finale des quatre albums Cherry Red, la voix de Mark E. Smith avait changé, nous dit la main froide (perhaps due to illness) - The Smith bark-ah of the past had been replaced by a feral Alzheimer’s growl; un-pretty but utterly compelling - Et là c’est l’hommage fatal, lesté de tout le poids de la véracité : «Écoutez ‘Couples Vs Jobless Mid 30s’ sur l’album final New Facts Emerge et vous serez émerveillé de voir comment un outsider poet accompagné par a bunch of avant-garde carriers peuvent réinventer la rock-music.» Oui, car c’est bien de cela dont il s’agit : de réinvention. The Fall n’a fait que ça en permanence, réinventer le rock. La chute est somptueuse : «Chaque année, The Fall me manque. On ne voit plus paraître the new Fall album chaque année, comme avant. Ces albums devenaient de plus en plus fabuleux. Il ne reste plus grand chose à se mettre sous la dent - There is little to look forward to now - Il faut juste espérer qu’un jour Steve Hanley sera décoré pour les services rendus.»

Comme indiqué plus haut, Luke Haines écrit aussi des livres, et pas des petits livres. Ne vous fiez pas aux apparences, ces livres de poche ressemblent à des romans de gare, mais il s’agit en réalité d’ouvrages extrêmement redoutables. Bad Vibes - Britpop And My Part In Its Downfall paraît en 2010, avec en couverture l’homme à la tête de chou. Luke la main froide bat Léon Bloy à plates coutures. Sa violence verbale ne connaît pas de limites. Il ne fait pas bon traîner sous ses coups de hache. Luke la main froide voit la scène Britpop des années 90 de la même façon que Léon Bloy voyait la scène littéraire de l’Avant-Siècle : comme un ramassis de gens occupés à fouiller du groin le fumier de leur médiocrité, ceux que Laurent Tailhade qualifiait d’Imbéciles et Gredins. Tiens un petit échantillon de coup de hache pour se mettre en bouche : «En réalité, dans les années 80, le NME n’était qu’un sous-Socialist Worker. Christ, des ‘star’ writers comme Paul Morley désignaient Kid Creole & The Coconuts comme le futur of ‘New Pop. New Pop. Hahahaha.» Puis il s’en prend au Melody Maker qui ose le mettre, lui, Luke la main froide en couverture, avec ses cheveux longs for full messianic effect - I look like Peter Frampton on the sleeve of Frampton Comes Alive. Not a good look - Plus loin il se moque de Guy Chadwick et de House Of Love qui ont le malheur de passer en première partie des Auteurs - I feel no pity towards him. He’s yesterday’s man - Prends ça, Guy ! Il s’en prend plus loin à deux attachés de presse qui représentent les fleurons de la Britpop : «Le jour du Jugement Dernier viendra et ces deux-là auront à répondre de leur implication dans les pires atrocités de cette époque. On les condamnera pour avoir osé imposer ces calamités que sont Powder, Marion, Menswear et Echobelly à une nation affaiblie et décadente.» Du pur Bloy. Et il ajoute dans un spasme que la modestie n’est pas son style. Il ne rate pas Sting non plus : «Un homme qui a taillé son chemin vers le sommet à la seule force de son ambition, bottant en touche toute notion d’esprit et d’intégrité. Comme il est arrivé au sommet, il peut se pencher vers moi et me faire profiter de sa magnanimité. Thank you, Sting.» Il croise aussi Russel Senior, le guitariste/violoniste de Pulp : «Russell est déguisé en fasciste italien. Bientôt, le grand songwriter écossais Momus va me traiter d’Adolf Hitler de la Britpop. Je pense que ce surnom irait mieux à Damon Albarn.» Prends ça, Damon ! Damon est sûrement son pire ennemi, il y revient plusieurs fois : «Frischman is a drag, une arriviste phénoménale, avec deux jolis trophées à sa ceinture : Brett Anderson et maintenant Damon Albarn. Je n’avais pas vraiment prêté attention à lui jusqu’alors, mais aujourd’hui, le fucker se répand partout dans la presse, en disant le plus grand mal de mon groupe ou de Suede. Ce mec est une peste. La première fois que j’ai vu Damon et Justine ensemble, ils remontaient Camden Hight Street, un couple impressionnant, ils cognaient dans les gamins qu’ils croisaient, dans les passants et dans tout ce qui pouvait faire obstacle à leur ascension vers le sommet.» Il n’existe pas de polémiqueur plus féroce en Angleterre que Luke la main froide. Tiens, encore un exemple terrifiant, sous forme de note de bas de page : «La première chasse aux sorcières d’Hopkins eut lieu en 1644, à Manningtree, un village situé près de Colchester. Dix-neuf ‘sorcières’ furent pendues et quatre moururent sous la torture. Hopkins travaillait ses victimes à la pointe du couteau. Il cherchait l’endroit insensible, the ‘witch’ point, qu’on appelle aussi la marque du Démon. Damon Albarn est originaire de Colchester.» Ce démon de Luke la main froide ne s’arrête pas en si bon chemin. Il erre dans la Britpop et règle ses comptes brutalement. Un jour, il se trouve embarqué pour une tournée américaine en première partie de Matt Johnson, qui demande à tous les participants de se présenter à lui sur scène pendant le premier soundcheck. C’est son discours de bienvenue et il rappelle à tous qu’il est le boss. La main froide vit mal, très mal cet épisode : «Le discours de Johnson était aussi rassurant qu’une invitation à aller prendre une douche pour se rafraîchir à Dachau.»

Comme celle de Léon Bloy, sa férocité déclenche souvent l’hilarité. Fatigué par toutes ces abominations, par tous ces comportements et par toutes cette médiocrité artistique, Luke la main froide songe à se retirer du showbiz, mais les gens de sa maison de disques insistent pour qu’il tente le coup du break-up aux États-Unis : «Crap new comedy band Oasis leur font signe, et ils tournent autour comme des mouches sur de la merde. C’est peut-être le moment d’aller aux États-Unis. Kurt Cobain n’est mort que depuis quelques mois. Il a de la chance. Pas de meilleur moment pour mourir.» Mais il se retrouve quand même dans l’avion avec Oasis («Derivative northern boors») et the Verve («Useless prog rockers»). Et dans une note de bas de page, il ajoute : «The Verve. Utterly hopeless. Mass appeal and stupidity are, sadly, intrinsically linked. See also Oasis, U2.» Il raconte un peu plus loin une rencontre dans Camden avec Noel Gallagher. Il essaye de l’éviter, mais Noel le voit et vient le féliciter pour la qualité de ses pop songs (You’ve got some pop tunes!). Et là Luke ajoute : «Oh dear, it’s so disappointing when one’s enemies don’t turn out to be complete cunts after all.»

Il arrive que l’hilarité prenne le pas sur la férocité et là il devient un vrai Monty Python à lui tout seul. L’épisode se déroule pendant la fameuse tournée américaine avec Oasis et The Verve. Au pied de l’hôtel se trouve une fontaine et la nuit, après le concert, les mecs d’Oasis et de The Verve complètement bourrés viennent y chanter «Two World Wars and one World Cup». Luke la main froide est excédé, surtout par le roadie Pete Wolf qui, dans le même état que les autres qui sont partis se coucher, continue de chanter à tue-tête : «Fucking cants fucking cants fucking cants». Luke sort le German flare gun (pistolet de détresse) qu’il a acheté dans une armurerie américaine, comme le font tous les touristes, et vise Pete Wolf’s stupid bonce, c’est-à-dire la stupide bobine de Pete Wolfe : «Jesus Christ, le vendeur ne m’avait pas menti, le gun a un sacré répondant, ça part dans tous les sens, on se croirait pendant les derniers jours de Saïgon, je m’attends même à entendre le Star Spangled Banner de Jimi. Bien sûr, je n’ai pas réussi à atteindre ce stupide roadie, mais comme il se croit victime d’une attaque mortelle, il a plongé dans la fontaine. L’éclair de la fusée est tellement aveuglant qu’il ne peut pas savoir d’où le coup est tiré. Évidemment, je suis triste d’avoir raté ma cible et de ne pas avoir tué ce con (kill the cunt), mais je décide d’aller me coucher avant l’arrivée des secours.»

Ce book qui est l’équivalent britannique du Désespéré de Léon Bloy évoque la scène anglaise des années 90 qu’on appelait Britpop, dont Luke la main froide fut l’une des figures de proue avec The Auteurs et un fantastique premier album, New Wave, évoqué dans un Part One. Dans une courte introduction, il déclare : «Quand je me suis assis pour écrire ce recueil de mémoires, je fus surpris de constater à quel point ces souvenirs ricochaient dans mon subconscient : la jeunesse, l’ambition, l’échec, la dépression, les excès, le dépit et la stupidité. Maintenant je crois que c’est fini. Je suis un egomaniaque en convalescence.» Puis il re-situe le contexte : «En 1986, la presse musicale britannique était occupée à baver sur les Sonic Youth qui se croyaient intelligents et qui ne l’étaient pas vraiment. Elle fait aussi semblant d’écouter les Butthole Surfers.» Puis il rencontre David Westlake, le mecs des Servants, avec lequel il s’entend bien. Pourquoi ? Parce qu’ils écoutent les mêmes choses : Modern Lovers, The Fall, le premier album des Only Ones, Adventure de Television, Wire et les Go-Betweens. Ailleurs, il rend hommage aux Modern Lovers, rappelant que John Cale produisit les sessions qui allaient devenir The Original Modern Lovers and this is the one you want, mais il faut aussi choper les sessions produites par Kim Fowley et notamment cette version de ‘Don’t Let Your Youth Go To Waste’. Il revient sur le Velvet pour dire que ses deux albums préférés du Velvet sont le third album et Loaded - «Heroin» sur le premier album est génial quand on l’écoute à 13 ans, mais c’est une chanson sombre, implacable et solipsiste, c’est-à-dire auto-centrée qui n’a pas les uh-uh-uh et le white-boy-hanging-with-the-pimps-in-Harlem sass d’«I’m Waiting For The Man». Quant à «Sister Ray», c’est idéal pour faire chier les voisins, mais il faut passer à autre chose car la vie est trop courte. Je préfère the sunny nihilistic resignation of ‘Oh Sweet Nothing’. Ce qu’avait aussi très bien compris Jonathan Richman. Ce Velvet nut a enlevé tout le côté dirty-needles-and-hepatitis des chansons de Lou Reed and just kept that beat.

Bien que n’ayant que 19 ans, Luke la main froide se considère comme appartenant à une petite caste : «Lawrence from Felt, Bobby Gillespie, Alan McGee, Grant McLeman, Robert Forster et David Westlake.» Surtout Lawrence - Lawrence , a rock star in is mind only, travels with a small entourage - C’est l’époque où il sort son neo-glam masterpiece Rock In Denim. Luke choisit de baptiser son groupe The Auteurs pour la simple beauté du nom. Rien à voir avec la Nouvelle Vague et le cinéma français - It’s one of the all-time great band names. Like the Supremes ou the Monkees. But for intellectual snobs - Puis il trouve un manager nommé Tony Beard qui tenta de relancer la carrière de Peter Perrett - This alone is enough for me - Luke et son groupe se retrouvent en tournée, en première partie de Suede - Suede ne sont plus les chouchous des critiques. Ils sont entrés dans les charts et sont à la pointe du teenage rampage - La tournée a lieu en septembre/octobre 1992 - Ils sont devenus énormes, supercharged, violent and commanding. Dans les années à venir, la populace gazée par les relents de Britpop aura oublié the guenine pop mayhem of the early Suede shows - Luke a raison, Suede fut en son temps l’un des groupes les plus balèzes de la scène anglaise et il ajoute qu’il était ravi, lui, la main froide, de se retrouver au centre de ce chaos et de voir jouer Suede sur scène tous les soirs - Il ajoute un peu plus loin : «The Auteurs sont européens, intenses et intellectuels. Suede are a quick fix, backed beans and sulphate.» Il ne supporte pas les Boo Radleys et leur ‘resident genius’, Martin Carr. Bizarre, car les Boos sont excellents.

Il parle très peu des drogues. Il dit prendre du speed car c’est le prefered narcotic de Lou Reed and Mark E. Smith then it was good enough for me. Il rend aussi hommage à Steve Albini, qu’il considère comme son égal - Une course de chars à la Cecil B de Milne (sic), un embrocheur de première qui n’hésite pas à monter à l’abordage, un oracle rock’n’roll avec le curseur tourné sur ‘Hautement Subjectif’. Il a même quasiment raison à 70% sur la moitié des conneries qu’il débite. J’adore ce mec. Il est l’un des plus grands ingés son de tous les temps. Ever.

Mais c’est en tant que styliste que Luke la main froide fait la différence. Il se rend dans une soirée et s’exprime comme Sommerset Maugham : «J’ai choisi de détourner le dress code en portant un chapeau Mac beige légèrement souillé. Je lance ce soir mon look de photographe d’avant-garde. It is the least I can do.» Il devient encore plus délirant sur le ferry qui le ramène en Angleterre : «Cet état de succès larvaire me donne carte blanche pour aller répandre mon effarante bonhomie parmi les membres de Pulp et siffler un early morning verre de vin rouge au bar du ferry, avant d’aller sur le pont me pavaner dans un trois-quart en velours beige outrageusement laid.» Plus loin, il évoque David Gray que tout le monde a oublié : «Gray croit ce qu’on raconte, que je suis un aristo hautain qui condescend à porter le regard sur lui. Il a raison aux deux tiers, mais au fond, c’est vrai, je ne cherche pas à fraterniser. Je pense qu’il n’existe rien de pire que Gray.» Luke joue à Paris et un promoteur gay le drague : «Naturally, I décline his amourous advances. ‘Vous cassez vous peu de poof’ (sic) I smile. Il répond : «Ha ha Fuck you, you English sheet», flashing a mouth full of blackening dentures.» On est dans les catacombes de la langue, là où rampe toute la violence existentielle. Il a aussi une façon très particulière d’analyser les réactions des critiques et du public : «Quand le premier album est sorti, j’étais parfois flatté par les critiques, mais jamais surpris ni soulagé. Cet album ne méritait pas moins. Maintenant, à ma grande surprise à mon immense soulagement, les critiques de Now I’m A Cowboy sont unanimement fucking great. Rien en dessous de quatre étoiles dans la presse. C’est une époque très bizarre. Vous savez que vous avez enregistré un album de qualité inférieure et tout le monde l’aime - une situation que ne manquera pas de s’inverser dans les années à venir.» Et il ajoute un peu plus loin : «Le fait que je sois dans le Top 20 est à la fois une surprise et un soulagement. Après les deux derniers singles, je redoutais le pire. (Rassurez-vous, le pire viendra bien assez tôt). Apparemment, mes succès et mes échecs sont dus à une espèce de phénomène cosmologique qui n’a rien à voir avec l’art et qui porte le nom de contexte.» Là Luke triche un peu, car il n’a pas encore le courage de reconnaître qu’il fait de mauvais albums. Il évoque aussi, à sa façon, les ravages commis par les drogues sur les cervelles étriquées : «Durant les années 90, la horde Britpop dévorait les drogues de classe A comme des paysans invités à un festin pour y manger à volonté. Et certains de ces Britpoppers furent Dequinceyed jusqu’aux branchies. Preuve, si besoin en était, que l’héroïne ne libère pas toujours the dark creative beast.» Et toujours ce regard désabusé qu’il porte sur lui-même, à l’anglaise : «Juin 1994, je me retrouve en plein cliché rock’n’roll. Ça ne m’a pris que 18 mois pour devenir une sorte de moi-même. Ça va s’aggraver avant que ça ne s’arrange. Et c’est exactement ce qui se passe.» Puis il revient à sa marotte - First rock star? Oh please. Marc-Antoine, Brutus, Wilde, Paganini... La liste est longue. On n’en finirait pas. La fixation sur l’iconographie nazie date de l’adolescence, profondément stupide et immature. Comme l’est globalement le grand rock’n’roll - Il se sait à part, alors il cite un exemple, celui d’un auteur génial pas très connu en France : «De la même façon que le Vorticiste Wyndham Lewis - un Lewis que haïssait le grand Bloomsburry group - je me construis la réputation d’un contradicteur.» Mais le désabusement finit par le ronger comme l’acide ronge le métal. La fin du book a un parfum de décomposition, mais fabuleusement littéraire : «1996 fut une année horrible (the kaleidoscope of shit that is 1996) - les indignes apparitions à la télé, les ventes déplorables, l’irrépressible ascension des groupes qui m’étaient inférieurs, la fin de mon groupe et son cadavre pourrissant que j’ai dû traîner une dernière fois en tournée - Je restais obsédé par une seule chose : achever l’enregistrement de l’album Baader Meinhof et essayer le plus possible de ne pas saccager les sessions.» Il nourrit une véritable fascination pour Baader et tous ces mecs qui ont fait la légende de la lutte armée : «Tu peux te garder ta pochette d’Absolutely Live et ton Jim Morrison en pantalon de cuir. Je préfère un mauvais photomaton de Carlos the Jackal. Immortality or inhumanity. Le rock’nroll peut seulement fournir une version séculaire de l’immortalité, alors que le terrorisme conduit aux deux en même temps. The Baader Meinhof album ne demande qu’une seule chose : être jugé sur sa pochette. Terrorisme chic. Vous devriez adorer ça.» À ce niveau d’excellence, la provocation porte le nom de cynisme, un art typiquement anglais. Et vers la fin, il se donne le coup de grâce : «Happy fucking Christmas. Je viens de faire deux albums difficiles et ma popularité en a pris un coup, but Jesus, tout cela devient extrêmement ridicule. Non seulement je suis devenu impopulaire, mais maintenant je fais tout ce qu’il faut pour devenir impopulaire.»

Deux ans plus tard, il fait paraître la suite de ses aventures au pays de la Britpop. Sur la couverture de Post Everything. Outsider Rock And Roll, il apparaît caricaturé dans son petit costard beige frippé et slightly soiled, comme il le disait de son chapeau Mac dans l’ouvrage précédent. Il s’adresse donc aux outsiders. Cette fois il rend des hommages pour le moins spectaculaires aux groupes qu’il admire, Sabbath, Mott, Doors, Motörhead, Lennon, Hawkwind, MC5 et Television, concentrant le gros de ses troupes dans un paragraphe final qu’il intitule Further listening. Et là, forcément, on le suit à la trace : «Les cinq premiers albums de Sabbath parus sur Vertigo commencent à peine à être compris par les rock-critics, même si cela n’a plus aucune importance. Le Midland death trip d’Ozzy culmine en 1975 avec l’album Sabotage qui depuis la pochette jusqu’au contenu est l’un des albums de rock les plus étranges jamais enregistrés. Les paroles sont pour la plupart signées by Brummie shaman Terry ‘Geezer’ Butler.» Il s’étend encore plus longuement sur Sabbath dans une note de bas de page : «Ozzy chante comme un homme qui serait à la recherche de la partie manquante de son cerveau.» Et il revient sur Sabotage, «the most psychologically damaged record (just look at the sleeve)». Mais qu’est-ce qu’on a pu adorer cet album à sa sortie, on parlait dans notre petit groupe du grondement des hauts-fourneaux de Birmingham. Luke la main froide n’en finit plus de porter Sab aux nues : «Without doubt some of the greatest rock’n’roll ever made. These records fucking swing, man.» Il fait exprès de s’exprimer vulgairement, pour mieux coller au terrain. Luke la main froide sait créer les conditions d’une fascination, un art réservé aux grandes plumes anglaises et à une seule et unique plume française, celle d’Yves Adrien, Outsider lui aussi. Mais comme chacun, sait, mieux vaut être outsider que rien du tout.

Avec ce paragraphe final, Luke la main froide enfonce de sacrés clous. Il salue Mott avec ce qu’il appelle the essential Mott the Hoople albums, Brain Capers, All The Young Dudes, Mott, The Hoople, quelques albums solo de Ian Hunter - All American Alien Boy is perhaps the under-appreciated jewel - Puis il passe aux Doors - Il y a les hommes et il y a les petits garçons. If you you don’t get the Morrison, I know which one you are. Si tu n’aimes pas les Doors, tu n’as rien à faire ici. Ici, on rend hommage à l’éclat de la mauvaise poésie d’un alcoolique, aux pantalons de cuir, et aux shamans priapiques. Ici, on parle de rock’n’roll. Pour entendre les Doors en tant que existentialist bar band (tel que défini par Jim), écoute Morrison Hotel - Plus loin, il en rajoute une petite couche : «Un panthéon rock’n’roll sans Jim Morrison ne serait pas un panthéon. Quand Jim a plongé dans sa baignoire, non seulement les Doors ont perdu leur chanteur, mais le rock a aussi perdu la possibilité d’entrer en communion avec des Indiens morts, et ça les amis, c’est une tragédie.» Il dit aussi sa fascination pour le Lennon post-Beatles - C’est intéressant de voir que much of Lennon’s infinitely superior post-Beatles output se réduit de façon caricaturale à «Imagine» - Puis Luke met les gaz pour Motörhead, vroaaaaaaar, on sent qu’il aime ça, les gaz - Il a fallu Overkill et Bomber pour peaufiner l’esthétique Motörhead. Ace Of Spades sonnait déjà comme une parodie, mais diable, le public achetait en masse. Quand Lemmy fut propulsé dans la stratosphère en 1980, son vieux groupe Hawkwind avait mangé son pain blanc. Tous leurs albums enregistrés sur United Artists sont essentiels, In Search Of Space, Doremi Fassol Latido, Space Ritual, promu comme un «90 minutes brain damage», et Hall Of The Mountain Grill sur lequel on trouve le proto-Pistols «Psychedelic Warlords». Quand le Space Poet Robert Calvert est devenu le chanteur du groupe, Hawkwind s’est métamorphosé pour devenir méconnaissable. Hawklords - 25 Years On pourrait bien être their finest half-hour - Et dans la foulée il se prosterne jusqu’à terre devant Captain Lockheed And The Starfighters. Il rend aussi hommage à Yoko Ono et au Plastic Ono Band, qui pour lui sonnaient comme le early Public Image Ltd. Avant-garde corporation - Plastic Ono Band is the real primal scream album - This is what the Beatles could have sounded like if they’d carried on after sad Mac hopped off - Il dit aussi le plus grand bien d’un album de Scritti Politti, Anomie And Bonhomie - This late expansive sounding production was never off my turntable. Big influence on The Oliver Twist Manifesto - Il salue aussi les premiers albums de Quo - Ma Kelly’s Greasy Spoon, Dog Of The Two Head, Piledriver and their 1976 masterpiece, Blue for You. C’est seulement après Whatever You Want que Quo fut considéré comme some kind of joke. Il aime bien l’Uncle Meat de Zappa, c’est d’ailleurs là-dessus que s’achève sa rétrospective de ce qu’il appelle les grands disques.

Dans le cours du récit, il rappelle aussi sa passion pour les Dolls et Lou Reed, qu’il partage avec John Moore, l’ex-Mary Chain avec lequel il monte Black Box Recorder. On retrouve la filiation Mary Chain dans l’hommage de bas de page qu’il rend à Earl Brutus, «a chaotic, raucous glam situationist mid-90s rock’n’roll groupe fronted by the late, great Nick Sanderson.» Il rappelle aussi que Sanderson avait joué dans le Gun Club et les Mary Chain. Luke dit avoir vu «Pop Music is wasted on the Youth» sur un T-shirt d’Earl Brutus, une formule qu’il adore et qu’il utilise. Il traite aussi les Go-Betweens de greatest pop group since the Monkees.

Plus loin, il rend un hommage retentissant à Sam Phillips qui, dit-il brancha son micro à valve dans un Ampex deux pistes en juillet 1954 pour enregistrer non seulement la voix d’Elvis, mais aussi son psyche - He was capturing sur une bande magnétique deux pistes l’odeur de la gamine de Tupelo dont Elvis avait caressé le vagin - Luke la main froide est très fort à ce petit jeu, il cite un autre exemple : «Quand James Williamson fout le trebble à fond sur sa Les Paul pour jouer le riff d’intro de «Search And Destroy», ce n’est pas le son d’une guitare branchée dans un ampli qu’on entend, mais on voit le jean argenté que porte Iggy, celui qu’on voit au dos de la pochette de Raw Power - Iggy’s idiot savant silver flares flappin’ in the breeze. Psycho - acoustics.» Alors bien sûr il fait la comparaison avec Pro Tools. Quand on clique sur ‘Record’, il manque tout ça, la sueur d’Evis, l’odeur de la petite chatte de Tupelo, le jean argenté d’Iggy. À la place, on a «the aural equivalent of budget-range fish fingers for twenty-century ears. Si Elvis avait été enregistré en mode digital, on l’aurait oublié avant même qu’il ne parte à l’armée.»

Il rend aussi un hommage de bas de page à Guy Debord et aux Situationnistes, un mouvement qui a bien fasciné les Anglais - A group of artists and writers who were against art - une mouvance à laquelle Luke rattache King Mob et the Angry Brigade et tout cela finira avec l’avènement des Pistols, bien que, précise-t-il, John Lydon n’ait jamais mentionné les Situ. Luke évoque aussi une conversation téléphonique avec Bowie qui le félicitait pour ses chansons et en retour, Luke a l’impudence de lui dire qu’il préfère ses albums des années 70, à quoi Bowie répond qu’il est d’accord. Hommage aussi à Television - Marquee Moon was sacrosanct, and its follow up, Adventure, nothing less than a noble failure - L’hommage le plus percutant de tous est sans doute celui rendu au MC5 et à leur wild ride across Amerikkka - Au moment où ils enregistrent Kick Out The Jams Motherfuckers, le MC5 et Sinclair sont harcelés par les flics. Au XXIe siècle, un groupe anglais devrait abattre un flic pour atteindre la notoriété qu’avait tragiquement acquise le MC5 en son temps. Oui, ce fut une tragédie. Après leur premier album, ils étaient foutus (fucked). Kick Out The Jams Motherfuckers était un documentaire incendiaire - Pour eux, la révolution était imminente. Luke préfère High Time, le troisième et dernier album du MC5 - an album of high-realisation inseparable from the era it was made in - Et il se paye une grosse déprime en évoquant l’inévitable reformation des surviving members et l’encore plus déprimante collaboration avec Primal Scream - In our age of no imagination, aucun groupe à succès ne va splitter au bout de six mois et Primal Scream ne splittera jamais, ils sauront toujours passer un bras autour des épaules d’une légende pourrissante et sauront toujours se livrer à une humiliante danse macabre. Just don’t get me started on the New York Dolls.

Question éthique, Luke garde la main froide : «Le rock’n’roll est une affaire de young men, tout au moins devrait-il l’être. Même quand j’avais 25 ans, au commencement des Auteurs, faire partie d’un groupe pop me semblait embarrassant. J’espère ne jamais finir comme Bobby Gillespie. Maintenant, à l’âge de 32 ans, je me sens complètement décrépit à l’idée de faire encore partie d’un groupe pop.» Il renoue aussi avec sa chère hilarité en racontant un épisode de beuverie avec John Moore : «John Moore et moi célébrons notre sortie du purgatoire de la manière la plus sensible que nous connaissons : en nous soûlant la gueule. La patronne du Spread Eagle nous dit gentiment qu’elle a déjà lavé les carreaux ce matin alors qu’elle est en train de tirer gentiment mais fermement John Moore qui est justement en train de lécher ces mêmes carreaux.» Évidemment, ça dégénère : «À l’apogée de notre soûlographie, John Moore ne trouve rien de mieux pour s’occuper que de se pencher par la fenêtre du pub et d’inviter les passants à entrer pour se battre avec lui.» C’est drôle comme une fois traduits ces petits passages retombent comme des soufflés, alors que dans leur forme originale, ils sont intrinsèquement délicieux.

On va finir avec quelques petits éclats de férocité et savourer une dernière fois l’aimable talent d’exécuteur public de Luke la main froide : «En 1997, la bulle Britpop avait explosé. Damon Albarn eut la sagesse de refuser la perche que lui tendait le gouvernement à venir. Mais les plus bêtes l’acceptèrent. Gallagher et McGhee burent goulûment au calice empoisonné. Qu’espéraient-ils ? Britpop politics ?». Autre épisode redoutable. Quand ils montent Black Box Recorder, ils ne sont que trois, Luke et sa guitare, John Moore et sa perceuse Black et Decker et une chanteuse, Sarah Nixey. Mais pour partir en tournée, leur label pense qu’il faut étoffer le line-up. Ils décident donc d’embaucher the oddest rhythm section in the world : Chris Wyles, l’ex drummer de Shaking Stevens et Punky Tones que leur prêtent les Buzzcocks. Luke et John Moore rencontrent Punky Tones pour la première fois dans un pub de Wardour Street, «accompagné de Glen Matlock, d’un book sur Badfinger, d’un sac contenant les albums de T. Rex, d’un aréopage de jurons et d’une forte odeur d’huile de patchouli». Bien sûr, Luke se moque, il prépare l’assaut final, la première répète : «Le mec est old school, il vient de l’époque du premier album de Motörhead et s’arrête au moment du split des Pistols. Punky Tone, champion olympique du juron et rocker olympique, vous ne voudriez pas l’avoir comme ennemi. ‘Me and you dahn the front!» Oh God c’est à moi qu’il parle ! ‘Fackin’ Piledriver!’ crie Punky Tone, jambes écartées, la tête penchée en avant, la basse si bas que je reconnais aussitôt la pochette de Piledriver. ‘Fackin’ come on!’ ordonne le commander of rock. Il ne plaisante pas. La bonne position dans l’orthodoxie du rock est tout pour un homme comme Punky Tone. Alors j’obéis avec enthousiasme et me mets à côté de lui, faisant de mon mieux pour refaire la pochette de Piledriver, l’album classique du Quo qui date de 1972, l’archétype de mindless shuffle rock. Nous brisons la glace. Sarah Nixey n’en revient pas d’assister à ce spectacle.»

Allez, un autre petit coup de hache pour la route, cette fois sur the music industry - Aucun de ces ex-music journo vieillissants n’a jamais vu un contrat de major label, n’est jamais monté dans le buisness end d’un tour bus, et n’a jamais mis les pieds dans un studio d’enregistrement. Who killed Bambi ? I’ll tell ya sucker, so listen good - Le pire est à venir avec la rencontre du batteur de Supergrass qui lui demande au bar s’il veut rencontrer Bono. Avant que Luke n’ait eu le temps de dire, ‘No, not really’, le drummer de Supergrass est parti chercher Bono et revient, «accompagné de l’extrêmement stupide chanteur de U2. Ce genre de situation ne donne jamais rien de bon. Les dés sont faussés dès le départ. On aura dit au chanteur de U2 que j’avais sollicité une audience de sa bienveillance, que je connais bien son œuvre et que je lui voue le plus grand respect. Bien sûr, je ne sais presque rien de ce minuscule fucker, je frissonne de dégoût au souvenir de «New Years’ Day» et ça s’arrête là. Comme chacun sait, le showbiz et le rock’n’roll sont un jeu de miroirs et le chanteur de U2 y joue un rôle de shaman messianique. Fuck that, buster. Son château de cartes ne repose que sur le plus stupide des principes : on vivrait dans un monde privé de nuances. Deux mots, chanteur de U2, comme l’aurait dit Tom Verlaine : ‘Massive twat!’» Ce qui n’est pas très flatteur. On traduirait ça ici par ‘gros connard’. Bon le chanteur de U2 arrive dans le petit groupe, «serre les mains en posant des questions, comme s’il était un fucking royalty. Arrive mon tour. Je ne tends pas la main mais je le ferai si nécessaire. J’ai des manières, mais je ne ressens pas le besoin de les montrer. Le chanteur de U2 me fixe à travers ses stupides lunettes à verres fumés, ricane et continue d’avancer, m’ignorant totalement. Peut-être qu’il sait lire dans les pensées. Le drummer de Supergrass semble embêté pour moi, mais il ne devrait pas, car rien n’est meilleur dans la vie que d’être snobbé par un imbécile.»

L’idéal serait bien sûr écouter son dernier album, Luke Haines On... Setting The Dogs On The Post Punk Postman. On y trouve un cut mythique, «Ivor On The Bus». Il s’agit bien sûr d’Ivor Cutler, qui est l’un des héros de John Peel et qui nous dit la main froide est aussi son voisin - Mr. Cutler used to be my neighbour, we would occasionally meet on the C11 bus (from Archway to Brent Cross) - C’est une pop anglaise assez convaincue d’avance et pour l’occasion, la main froide ramène un son superbe - Sing a song with Ivor on the bus - L’énormité de l’album s’appelle «Two Japanese Freaks Talking About Nixon & Mao». Il nous fait le coup des effets de chant et revient dans la vague comme un London silver surfer, ce mec est un démon du même acabit que Lawrence, il développe des tonnes de son et attaque son wall of sound à la wah. Il développe encore d’énormes quantités de chant dans «I Just Want To Be Buried», un chant qu’il entourloupe à coups de virevoltes de sonic trash. Ce monsieur se plaît à cultiver l’excellence. Il laisse pour ce faire traîner une guitare infectueuse dans son couplet chant, elle est là juste derrière. Fuck Luke n’écoute que des bons albums. Il est vieux mais il continue d’y croire sous son chapeau, il fait avec «Andrea Dworkin’s Knees» son vieil Auteur sénile, avec sa mauvaise haleine, il perpétue une tradition bouffée aux mites. D’ailleurs, dans l’«Ex Stasi Spy» d’ouverture de bal, il chante à l’intimisme des premiers temps, l’Auteur chante d’une voix de cancéreux, il développe son power balladif à l’étouffée de haricots verts, il excelle dans l’art du ridicule de vieux crabe qui se prend au sérieux, son ex stasi pue l’ecstasy, il est comique et anecdotique, mais en même il faut faire gaffe à ses coups de hache, c’est un sanguin. Il zèbre son «U-Boat Baby» d’éclairs de vieille serpillière énervée et vise chaque fois le chant de Concorde. Il joue de tous les instruments, accompagné de Tim Weller aux drums. Il travaille la pop de «Yes Mr Pumpkin» à la vacharde, avec une voix de faux-filet. Il termine cet album cocasse avec le morceau titre au cours duquel il appelle Epic Soundtracks !

Signé : Cazengler, lancelot du Luke

Luke Haines : Jukebox. Flashback # 5 - Summer 2014

Luke Haines : Is Vic there? Yes he is. Record Collector # 493 - June 2019

Luke Haines : A trip back to Marineville. Record Collector # 494 - July 2019

Luke Haines : We need to talk about Kevin Junior. Record Collector # 495 - August 2019

Luke Haines : The unutterably great lesser-known Fall. Record Collector # 511 - November 2020

Luke Haines. Bad Vibes. Britpop And My Part In Its Downfall. Windmill Books 2010

Luke Haines. Post Everything. Outsider Rock And Roll. Windmill Books 2012

Luke Haines On... Setting The Dogs On The Post Punk Postman. Cherry Red 2021

 

Tout nouveau tout Beau Brummels

 

À tout seigneur tout honneur : c’est à Alec Palao qu’échoit la mission de restaurer la grandeur des Beau Brummels dans Shinding!. Dès le chapô, Palao polit son panégyrique paléolithique : il traite des Brummels d’innovators qui préemptent les nascent themes of baroque-pop, Americana et country-rock. Comme on dit chez les goinfres, Palao n’y va pas avec le dos de la cuillère.

En fin limier, il amène son propos en cite l’exemple des groupes qui disparurent avant de devenir célèbres, et les deux exemples sont bien sûr ceux du Velvet et de Big Star. Pour lui, les Brummels ont connu le même destin. Il cite aussi l’exemple des Monkees qui n’ont été reconnus que longtemps après que les poètes aient disparu.

Originaires de San Francisco, les Brummels - comme d’ailleurs les Groovies - furent en quelque sorte négligés, car ils restaient en dehors de la scène psychédélique alors en odeur de sainteté. Ils ne prenaient pas d’acides avec les célébrités locales et s’attachaient à cultiver leur différence, ce qui bien sûr les marginalisait d’office. Tout se met en route sous l’impulsion du gros Tom Big Daddy Donahue et de son label Autumn Records. À l’époque, Donahue emploie un jeune ingé-son black nommé Sly Stewart, le futur Sly Stone. C’est là que les Brummels pondent leur premier hit, le fameux «Laugh Laugh».

En 1965, les Beau Brummels partent à la conquête du monde avec Introducing The Beau Brummels. Ils attaquent d’ailleurs avec leur petit hit languide, «Laugh Laugh», et son refrain gorgé de soleil et de tambourins. Grosso modo, on est dans la même ambiance que les Mamas & The Papas. On sent vite pointer chez eux le dard d’une fantastique énergie, leur «Still In Love With You Baby» vaut pour un vieux shoot de garage folky jingle-jangly. C’est excellent, sec et net et sans bavure. Ces beaux Brummels ont du son. On note au passage l’aisance du beat dans «Just Wait And See». Ils terminent leur bal d’A en beauté avec une reprise de Jimmy Reed, «Ain’t That Loving You Baby». Mais ce n’est pas une reprise classique. Elle est étrange et soignée et on verra par la suite qu’ils vont en faire l’une de leurs spécialités. Ils attaquent leur bal de B avec «Stick Like Glue», une belle compo de Ron Elliott, typical Brummel sound, up-tempo et belles harmonies vocales. Ils virent presque gaga avec «That’s If You Want Me To», bien cerclé du beat et fouillé du son, belle clairettes de die hard et de tambourine manne tombée du ciel. Nouveau choc esthétique avec «I Want More Loving», bien boppé dans l’admirabilité des choses et puis l’album s’en va coucher au panier.

Mais Sly se désintéresse des Brummels qui vont devoir se débrouiller tout seuls pour enregistrer leur deuxième album, Volume 2, qui paraît la même année, en 1965. Sur la pochette, ils ont une méchante dégaine, surtout Ron Meagher, avec son gros pantalon et une chemisette blanche passée par dessus un pull à col roulé noir, comme on en portait à l’époque. Le plus wild des quatre, c’est John Peterson, véritable rock’n’roll animal, une sorte de Brian Jones étiré sur la hauteur et tout vêtu de blanc. Dès «You Tell Me Why», ils sonnent comme les Byrds et roucoulent des harmonies vocales viscérales. Ils montent vite en neige avec «Doesn’t Matter», ils mettent parfois du temps à conquérir une ville, mais ils finissent toujours par l’avoir. Ils se montrent beaucoup plus hargneux avec «Can It Be», c’est la hargne de Frisco, beaucoup plus bohème que celle de Los Angeles. C’est en B qu’on trouve ce petit chef-d’œuvre de good time music qu’est «I’ve Never Known», joli cut atmosphérique fouillé au bassmatic. Tous leurs cuts sont excellents, car chargés de potentiel, même si ce ne sont pas forcément des hits. «Sad Little Girl» vaut pour une belle pop tentaculaire, chargée de pathos. Ils visent en permanence un idéal de beauté pure. Ce bel instro qu’est «Woman» sonne comme une révélation et «Don’t Talk To Strangers» comme un hit, alors que demande le peuple ?

Quand Autumn fait faillite, le gros Donahue confie les Brummels aux bons soins de Warner Brothers. Étrangement bel album que ce Beau Brummels 66. Les Beau portaient beau avec cet album de reprises, et plus spécialement avec le «Homeward Bound» de Paul Simon, fantastique balladif quasi-mythique, avec cette façon de descendre dans le mmmm et de remonter vers la lumière. Ils font aussi leur «Mr Tambourine Man» en l’amenant au tambourine et ça se met fan-tas-ti-que-ment en route au deuxième couplet. What a cover ! Cover toute aussi prodigieuse que celle de «Yesterday». Leurs attaques sont très raffinées. Ils portent si bien leur nom : raffinés sans la ramener, voilà l’une des définitions du dandysme. Ils ont un son d’une extrême pureté d’intention et d’une clairvoyance exceptionnelle. Ils font aussi un «Louie Louie» à la petite ramasse exotique de Frisco, ils le jouent à la bonne traînarde de gonna now, ils swinguent ça à leur manière et c’est tellement plein de son qu’on en reste comme deux ronds de flan. Joli clin d’œil à Lee Hazlewood avec «These Boots Are Made For Walking». Ils savent se mettre sur leur 31 : Paul Simon et Lee Hazlewood, c’est du très haut de gamme. Ils font de Boots une merveille intrigante. Le festin de son se poursuit en B avec «Bang Bang» chanté au mieux des possibilités. Sal Valentino de pardonne pas, il ramène du dandysme dans le chant, exactement comme le fait Chuck Prophet aujourd’hui. Il chante d’un accent fabuleusement élégant. Ils parviennent même à sauver cette pop-song insupportable qu’est «Hang On Sloopy», ils y injectent toute l’énergie du tambourinage et tu as cette voix qui revient comme une vague de chaleur. Superbe chanteur ! Il colle bien à l’esprit de cette pop endémique. Ils choisissent «Play With Fire» pour passer la Stonesy à la moulinette, mais en même temps, ils la voilent de mystère. Ils s’ingénient à créer chaque fois de la délicatesse, ce qui leur vaut notre reconnaissance éternelle. Ces mecs sont rompus à tous les délices. Ils terminent avec une reprise flamboyante de «Monday Monday». Ils approchent ce hit intouchable avec le tact des dandys, dans l’excellence de la finessence, à l’incroyable acuité du doigté et Sal Valentino donne au chant une insondable profondeur, ce qu’on appelle ici bas une approche mélancolique néphrétique. D’ailleurs, Palao l’explique bien : «Il y a les chanteurs et il y a les stylistes, et il y a ceux qui savent à la fois interpréter un texte et lui donner une qualité d’interprétation sans précédent. Sal Valentino est l’un de ces rares individus et sans sa façon captivante de chanter, les Beau Brummels ne seraient jamais sortis de l’ordinaire.»

Fatigués de tourner, Ron Elliott et Sal Valentino se réinstallent à Los Angeles. Les Brummels ne sont plus que deux et deviennent un groupe de studio. Ils commencent à bosser avec leur nouveau mentor, Lenny Waronker - Waronker’s belief in Sal and Ron was absolute - Waronker pense qu’ils sont beyond brillant.

Avec Triangle, on entre dans la courte série des albums considérés comme cultes. Palao évoque the baroque splendour of the Triangle album. C’est Lenny Waronker qui produit cette belle lampée de soft rock franciscain. On s’incline devant une telle musicalité. Avec son surlignage à l’accordéon, «Only Dreamin’ Now» renvoie à Scott Walker. On s’effare évidemment de ce foisonnement de qualités, qualité du son, du chant et de la compote. Sal Valentino injecte tout le jus du sunshine dans «The Keeper Of Time». C’est tellement grandiose et conquérant que ça frise la bénédiction. Encore une belle pop de fouette cocher pour boucler le bal d’A avec «Nine Pound Hammer». Les Brummels transfigurent à merveille la Fisco pop. Mais on s’ennuie un peu, même avec ce folk-rock de bonne instance qu’est le morceau titre, c’est très pourléché, on entend des cors et des hautbois, c’est une véritable équipée, comme d’ailleurs «The Wolf Of Velvet Fortune», qui se révèle très élégiaque, obsédant et ambitieux. Ils terminent cet album atypique avec «Old Kentucky Home», un violent shoot d’Americana. C’est là où ils excellent et ça banjotte sec derrière Sal.

Le deuxième album culte des Brummels est le fameux Bradley’s Barn enregistré en 1968 à Nashville, un album qu’on revend puis qu’on rachète, car comment peut-on résister à une telle pochette lorsqu’on la recroise dans un bac ? Cet album est réservé aux amateurs de country-rock. On perd complètement le côté californien, même si le son de Sal a des beaux restes. C’est avec la heavy psychedelia rampante de «Little Bird» et surtout le pathos de «Cherokee Girl» que Sal sauve son bal d’A : big, very atmospherix savamment orchestré. En B se niche une perle nommée «Love Can Fall A Long Way Down». Belle pop languide du grand Sal de la terre, il arc-boute l’arc de son cut, il chante à la traînasserie insistante comme Tim Buckley, mais avec quelque chose de plus fruité dans le ton.

Attention, il ne faut pas prendre à la légère ce Beau Brummels paru en 1975. Sal Valentino, Ron Elliott et John Petersen sont au rendez-vous et dès «Tell Me Why», ils sonnent comme des dieux, c’est-à-dire comme les Brummels des origines, avec une fantastique aisance dans le son. La légende a parfois du bon. On a tout ce qu’on peut attendre d’un groupe légendaire sur le retour : réelle présence musicologique, climat d’excellence et prod de Waronker. Ils font de la heavy psychedelia avec «Down To The Bottom» et un slow groove de rêve avec «Tennessee Walker» - She’s the queen of Kentucky - Sal chante ça au doux du doux avec une réelle profondeur de champ. Le «Singing Cowboy» qui ouvre le bal de la B n’est pas celui d’Arthur Lee, le Cowboy de Sal va plus sur Fred Neil et ça reste du très beau soft-rock de Frisco. On retrouve encore le Brummels sound avec «Goldrush», très lowdown, finement psyché, joué au tempo languide, sous le vent. Le grand Sal Valentino chante «The Lonely Side» à la gravitas. Ce mec n’en finit plus d’étendre son empire par delà les modes et les époques.

Singé : Cazengler, Brumell toi de tes oignons

Beau Brummels. Introducing The Beau Brummels. Autumn Records 1965

Beau Brummels. Volume 2. Autumn Records 1965

Beau Brummels. Beau Brummels 66. Warner Bros. Records 1966

Beau Brummels. Triangle. Warner Bros. Records 1967

Beau Brummels. Bradley’s Barn. Warner Bros. 1968

Beau Brummels. Beau Brummels. Warner Bros. Records 1975

 

 

L’avenir du rock

- Quels sont ces serpents qui Slift sur nos têtes ?

 

L’avenir du rock n’a jamais compris pourquoi les djihadistes l’avaient relâché après avoir menacé de le décapiter. Ils l’ont donc jeté comme un sac à l’arrière d’un pick-up Toyota et déposé au bord d’une piste en plein cœur du désert. Sans eau ni nourriture. Amelican déblouyer tout seul ! Ouais c’est ça, t’as raison, déblouyer tout seul. La piste ne semblait pas tellement fréquentée. Quand au bout de trois jours il comprit que personne ne passerait par là, il prit la décision de suivre la piste en direction du soleil couchant. Il s’enveloppa la tête de sa chemise, mais le soleil lui brûla le dos et les épaules. Il se mit à halluciner. Comme le Capitaine Haddock, il apercevait ces belles bouteilles de rhum noires aux panses rondes. Il avança tant qu’il put et finit par s’écrouler. Le jour suivant, il distingua vaguement un nuage de sable à l’horizon. Il vit se rapprocher un groupe d’hommes montés sur des dromadaires. Il parvint péniblement à lever le bras pour leur faire signe. À leur tête se trouvait un homme entièrement drapé de blanc. L’avenir de rock n’en croyait pas ses pauvres yeux brûlés par le soleil... Lawrence d’Arabie ! Son idole ! Enfin, l’une de ses idoles. Lawrence fit agenouiller son dromadaire et approcha de l’avenir du rock.

— Vous n’avez pas l’air frais, old chap. Je vais vous humecter les lips, si on peut encore appeler ça des lips. I’m Lawrence d’Arabie, et vous ?

— L’a...venir... du... rock...

— Que faites-vous par ici, c’est insensé ! Ce n’est pas votre place !

— Arrgglllll...

— Calmez-vous ! Je disais ça comme ça. Si chacun s’occupait de ses faces, nous n’en serions pas là !

— Grumblllll...

— Bon, vu votre look, vous n’êtes pas transportable. Il vous reste one heure, peut-être two à vivre. D’ailleurs, les buzzards sont déjà là. Saddle up a buzz-buzz ! Avez-vous un message à transmettre ?

— Schmimimibilimimi...

— What ?

— Slift...

 

Slift ? Oui, Slift. Choix mystérieux, choix séraphique, choix étrange, en qui tout est comme en un ange aussi subtil qu’harmonieux. Slift, power trio toulousain, Slift pas d’un abord facile, but modernity à tous les étages. Slift, power-proggers spécialistes de l’advienne que pourra et du va comme je te pousse dans les abîmes. Cette fois, l’abîme s’appelle Ummon. Tu y plonges à tes risques et périls, mais comme c’est bon, les risques et les périls ! Ummon va même plus loin, c’est un album qui t’aspire. On aspire tous à se faire aspirer, mais cette fois, c’est pour de vrai. Ummon aspire-moi ! Schloufffff ! C’est immédiat, dès l’ouverture de balda, ça chante tout de suite dans l’écho de temps, c’est balayé par ce que les spécialistes appellent des vents définitifs. Jamais les surdoués du genre que sont Cream ou Van Der Graaf Generator ne sont allés aussi loin dans la frénésie inconditionnelle. Trop de power ! Beaucoup trop de power ! Ça bascule dans un absolu qui échappe à toute forme compréhension, mais c’est fait pour. Alors, inutile de s’inquiéter. Ils manient un extrême pulsatif qui nous dépasse. Si on se laissait aller, on pourrait parler d’outlandish extravaganza.

Ils passent tout de suite à autre chose. C’est pour ça qu’ils échappent aux interviews, alors essayons de les suivre dans leur monde supérieur et émerveillons-nous de les voir gérer leur biz-biz. Ce sont des adeptes du power-trip, ils bataillent dans la foison du son et créent un univers sonique complètement inclassable, ils sont dans leur ailleurs, alors avis aux amateurs d’ailleurs et d’higher, comme dirait Eve Sweet Punk. Il leur arrive parfois d’ornementer leur ailleurs, alors on comprend que ça puisse plaire à des Anglais, notamment ceux de Shindig! qui sont les seuls à s’être prosternés devant Ummon. Plus on voyage dans Ummon et plus on s’émerveille, «Altitude Lake» étend son empire sans aucune parcimonie et ça wahte à tire-larigot, alors on décolle, tout se passe comme prévu. Puisse la quête être sans fin, prônent-ils at the gate of dawn. Parions que tous les réfractaires au prog vont succomber au charme toxique d’Ummon. Jean Fossat va percher ses notes au dessus de l’horizon boréal, c’est tellement puissant qu’on pourrait laisser tomber les mots, les climats se débrouillent tout seuls. Les paysages défilent. On entre dans le «Sonar» avec une joie non feinte. Ici règne une énergie tonifiante, ça reste très sculptural, plein de liberté de ton, ça donne des envies de réécoute, les charges sont toutes somptueuses, bien amenées, l’ensemble relève du désordre bien ordonné, ils vont où le vent les mène, ils ne suivent aucune règle, ils jouent un rock progressiste qui ne revendique rien et qui ne vit que pour lui-même. Il est d’une gratuité extrême, très spacieux, plein d’attaque, la guitare de Jean Fossat reste hyperactive, aussi agressive qu’un ptérodactyle, ils cavalent tous les trois comme des Slifters ivres de liberté à travers la pampa toulousaine. C’est assez inespéré d’entendre une telle expression de la liberté à tout crin. Et voilà qu’avec «Dark Was Space Cold Were The Stars» ils claironnent dans le soleil couchant de Waterloo, au dessus des événements de ce double album condamné à la gloire underground. Ils abattent du terrain, ils épousent les courbes, ils plument tous les fions, ils enfilent les enfilades, wow comme ce mec joue bien son gras double dans les corridors de la folie Méricourt, on se passionne pour ce trio aux pieds nickelés, ils dégagent bien le passage Démogé, ah il faut les voir repartir sans prévenir. Ces trois-là, c’est un vrai roman, pire encore, une saga. Ils profitent de la moindre occasion pour filer à la belle, ils jouent à la pure énergie rock, ils se cognent au coin du rock, ça pulse dans les artères du rock, ils claquent des accords comme on claque des pourliches. Tiens ! Voilà pour toi ! Font-ils halte avec le bien nommé «Aurore Aux Confins» ? Oh que non ! Ça rôde dans l’ombre des écuries d’Augias. Pas de hit bien sûr, mais du grandiose à tout bout de champ, de quoi effacer le souvenir du gaga-punk, comme si désormais la puissance devait passer par la beauté. On se sent fier de participer à leur voyage, fier d’être le bienvenu, fier de s’être fait aspirer. Oh Ummon, aspire-moi ! Non seulement ils t’aspirent mais ils t’accueillent. Ils créent les condition du meilleur accueil aspirant. Leur musique palpite bien, ils sont généreux, ils délivrent des tonnes d’entrain, leur véracité remonte certainement à des temps très anciens, mais quoi qu’il en soit, ces trois mecs sont visités par la grâce. Ils terminent avec une séquence d’une rare violence, «Lions Tigers & Bears», perforée dans l’intestin du groove. C’est sans remède, mieux vaut le savoir. Ils sont tellement ivres de colère qu’ils chantent comme des cons, mais ils développent une sorte de prestance de l’effarance. Quelle plongée en enfer ! Peu de groupes sont capables d’aller aussi loin.

Signé : Cazengler, Shit

Slift. Ummon. Vicious Circle 2020

 

Inside the goldmine

- Mickey Mousse et Sylvia y va

 

— Commenche à en avoir ras l’bol de cette conne de Minnie ! È’veut pas que j’l’encule !

Dingo posa la main sur l’épaule de Mickey :

— Tu t’prends vraiment la tête pour ‘rrren, mon poto. Fais comme bibi, prends un clébard et tu l’encules, r’garde, Pluto, il a pas l’air jouasse avé son p’tit calcul en chou-fleur ?

— Ah mais tu piges ‘rrren du tout, chaumier ! Tu mélanges tout, les tiques et la corpulation, j’te cause des zones aspiratrices et tu m’réponds des insanitaires. Chaque fois que j’te branche sur la métachimique, tu ramènes ton patin-couffin de ratacouille.

— Voulais pas te contraventionner, Mickey, c’était jusse comme ça, histoire de t’acomprégner dans tes zoubliettes...

— Marre de tes bondiments ! Supporte plus ta compression d’cur’ton. Des fois j’me dis que j’devrais t’enculer pour te ramette de l’orde dans ta tirelire !

— Çui qui va m’encularès l’est pas encore né, gros ! Fais gaffe !

Et Dingo sortit son cran d’arrêt. Schlakkk !

— Tu crois qu’tu m’fous les chapattes avec ton crin-crin, pauv’ pomme, j’vas t’éclater vite fait ta tronche de cake, tu vas voière !

Mickey bondit sur Dingo et les deux amis roulèrent en boule, dévalant les rues et quittant la ville. La boule de la bagarre roula jusqu’à l’horizon, semant des petites étoiles noires sur son passage, un horizon au fond duquel dansait un soleil couchant en forme de ballon crevé. Rendu fou par le chagrin d’avoir été abandonné, Pluto alla tapiner sur Sunset Boulevard. Il portait une petite couronne de carton doré et se faisait appeler Freddie Mercurette.

 

Mickey Baker et Mickey Mouse n’ont en commun que le prénom. D’un autre côté, Mickey & Sylvia n’ont jamais fait de dessins animés, et pourtant, ils ne crachaient pas sur le kitsch, avec leurs beaux atours et leurs cheveux pommadés. Il suffit de feuilleter le petit livret de la compile Bear parue en 1990, Love Is Strange, pour s’en faire une idée précise. Avec leurs guitares, ils battaient tous les records de glamour. Cette compile est surtout une vraie mine d’or. On y entend jouer l’un des plus grands guitaristes de tous les temps. Laisse tomber Jimmy Page. C’est Mickey Baker qu’il te faut. «Love Is Strange» date de 1956, c’est amené au fondu de voix et Mickey arrive avec sa guitare, il sonne comme le maître de l’univers, il gratte ses grappes de rêve au ciel étoilé. «Dearest» produit sensiblement le même effet, il claque ses notes à Hawaï, comme un guitar God exquisite. Il shake ça bien sur «Shake It Up», pas de problème, il sait shaker avec sa petite Les Paul. On sent bien qu’il s’amuse. Il fait encore des merveilles sur «Bewildered», il joue ça au feeling pur, I need your guiding hand. Côté duo, ils sont au point très tôt. Mickey se positionne très vite comme l’un des meilleurs guitaristes d’Amérique, avec James Burton. Il joue tout au déroulé de notes. Il faut le voir jouer le rockab sur «No Good», il casse littéralement la baraque, I’m on my way/ Goodbye ! Il joue comme un dieu ou comme un diable, c’est pareil. Mickey et Sylvia foutent le feu dans «Walkin’ In The Rain» et «In My Heart». Quand ils jivent à deux ça devient explosif, on croirait entendre Fats Domino dans «I’m Going Home». Mickey claque sa chique et le sax s’en mêle alors ça devient puissant. Il claque ses notes à l’ongle sec dans «Where Is My Honey», tout ce qu’il gratte est flashy, définitivement flashy, même quand il se tape un shoot de calypso. Il passe encore un solo killer dans «Let’s Have A Picnic», c’est d’une violence extrême, il shoote du punk dans la variette. Ils duettent comme des stars sur «Say The Word». Fabuleux artistes ! Mickey sonne le clairon dans l’intro de «Love Will Make You Fail In School», c’est de la petite pop, mais il claque quelques retours de manivelle, il bout d’impatience, il a besoin de se défouler. Il fait encore de la pop profonde des Amériques avec «I Gotta Be Home By Then» et cette fois c’est la basse qui nous régale. Les labels ont fini par museler Mickey. Alors il se fond dans le moule de Sylvia, mais comme c’est un punk, il joue fort pour secouer le moule. Il faut le voir rôder comme un requin dans «Love Is A Treasure». Ils font tous les deux une belle cover du «Gonna Work It Fine» d’Ike & Tina, et le festin se poursuit avec une version d’«I Hear You Knockin’» chantée à deux voix et savamment orchestrée. Mickey revient faire son wild rocker dans «No Good Lover». Il joue à la descente d’organes et elle rentre dans le lard du kitsch. On retombe vers la fin du disk 2 sur une nouvelle mouture de «Dearest» qui est le cut emblématique. Mickey forever ! Pur genius avec ses stabs de gratte dans le son et il barre en sucette one more time.

Dans les mid-fifties, Mickey Baker est le session-guitarist le plus demandé à New York. Il accompagne toutes les stars de l’époque, Little Willie John, Screamin’ Jay Hawkins, Joe Tex, Brownie McGhee, LaVern Baker, il bosse pour Atlantic et OKeh, il accompagne Chuck Willis, Wilbert Harrison, Big Maybelle et des quantités d’autres grands artistes de l’époque. Puis il flashe sur Les Paul et Mary Ford et se dit qu’il y a du blé à faire avec un duo. Il a juste besoin de trouver une petite nénette pour duetter avec lui. Il connaissait déjà Little Sylvia et pouf, leur biz démarre en 1956. Mickey est déjà un vétéran de toutes les guerres quand il rencontre Sylvia. Il lui montre des trucs à la guitare et elle apprend vite. En fait, «Love Is Strange» est une chanson de Bo Diddley qui s’appelait «Paradise». Sylvia entend Bo la fredonner et lui demande s’il l’a enregistrée. Bo dit non, they don’t like it at Chess et il la file à Mickey & Sylvia. Pourtant au début, Mickey n’aime pas ce cut, sounds like Uncle Tom shit, c’est Sylvia qui insiste, elle sent que c’est un hit - Love Is Strange became the biggest hit Bo Diddley never had - Il faut ajouter à ce gag que «Dearest» est aussi une chanson de Bo Diddley. Ils deviennent énormes, font des télés et des shows. Sylvia est alors the sexiest girl so far out. Leur show devient excitant, ils remplissent l’Apollo de Harlem.

Ils commencent par enregistrer «No Good Lover» qui ne marche pas, puis «Love Is Strange» qui explose. King Curtis est leur chef d’orchestre. Mais autant Sylvia adore la célébrité, autant Mickey ne la supporte pas, ce qui le conduira à arrêter les frais. Il va d’ailleurs se barrer à Paris avec sa femme Barbara. Il hait les États-Unis.

Mickey & Sylvia sont de retour en 1973, soir 15 ans après leur premier succès, avec Do It Again et forcément leur vieux «Love Is Strange», illuminé par le fabuleux solo en biseau de Mickey Baker, l’un des stylistes les plus purs de la stratosphère - Mickey tall & masculine, with a touch of mystery about him - Mickey & Sylvia duettent sur pas mal de cuts comme Ike & Tina sur «It’s Gonna Work Out Fine», notamment dans «Love Will Make You Fail In School». Mickey Baker y glisse de fantastiques guitar licks. Puis on les voit swinguer «There’ll Be No Backing Out» comme des démons. King Curtis vient passer un solo de sax. Big New York City Sound ! Ils bouclent leur bal d’A avec «Bewildered», un superbe coulé de guitar slinging. Mickey Baker est sans doute le plus grand guitariste de charme discret. Il claque de l’Hawaï dans l’éther. Attention au «No Good Lover» d’ouverture de bal de B : c’est joué à l’énergie du jump avec des licks de wild gaga. C’est quasiment le riff de Billy Harrison dans «Baby Please Don’t Go». Puis on retrouve l’excellent «Dearest» et l’Hawaï cosmic sound de Bo Diddley, fervent tropical, un vrai rêveur. On se régalera aussi du calypso flavor de «There Oughta Be A Law», bien chaloupé des hanches, avec un petit poil à gratter à la Baker.

Signé : Cazengler, Mickon Baker

Mickey & Sylvia. Do It Again. RCA Victor 1973

Mickey & Sylvia. Love Is Strange. Bear Family Records 1990

 

*

J'avais décidé de les chroniquer avant même de les avoir écoutés, sans même avoir vu une couve de leurs disques, deux raisons, une mineure, leur nom apparaît, très bon signe, sur le catalogue de P.O.G.O. Records, une majeure : ils sont de Toulouse, ville où j'ai passé une bonne partie de ma jeunesse. Flair de rocker, queue de goupil, selon le proverbe médiéval serbo-croate. N'oubliez pas que les deux maîtres-d'œuvre de ce blog sont passés peu ou prou par Toulouse, le Cat Zengler et votre mauvais serviteur qui n'en fait qu'à sa tête.

ENOLA

N'étaient ni tombés de l'œuf ni de la dernière pluie lorsqu'ils ont formé Enola. Z'étaient sans doute habités par une idée platonicienne, mais noire. Déjà le nom n'est pas très gai, Enola Gay était sans doute une femme charmante, nous n'en doutons pas, elle a su élever son fils dans le respect de l'ordre et de la hiérarchie. En digne rejeton conscient de la valeur morale maternelle le fiston a baptisé son avion du nom de sa maman. Félicitez-le de son geste d'amour pour celle qui lui avait donné la vie. Z'ensuite l'est monté dans son bombardier pour jeter la ( première ) bombe atomique sur Hiroshima. Un bon américain, un pionnier de notre modernité.

THE LIGHT FRÖM BELOW

( Avril 2014 )

Jordi : drums / Stef : guitar / Arnaud : guitar / Thomas : vocal / Mitch : bass, vocal.

Pochette surprenante. Du siècle dernier. Essayez de savoir qui c'est. Docteur Freud ? Ce très curieux Jules Verne ? Le jeu n'a aucune importance. Ce qui compte ce n'est pas le visage de l'hypocrisie, mais ce qu'il y a dessous dans la tête, qui commande nos conduites, mais qui reste inabordable. Le supérieur inconnu qui nous commande. Matérialisé par cette espèce d'embryon de mille-pattes tentaculaire dégénéré collé sur sa face. Une sorte de matière visqueuse bacillique qui représente votre volonté. Il existe une deuxième version de cette couve que je préfère.

The light fröm below : une musique sourd de nulle part et s'adjuge une magnifique ampleur, une lave noire de volcan qui s'épanche lentement du cratère et descend sans se presser la pente abrupte, serait-elle consciente du désastre qu'elle emmène, veut-elle jouir des cris de terreur de la population qui hurle d'horreur, un film-catastrophe passé au ralenti. Une espèce d'oratorio metal totalement maîtrisé. A pilot : envol vers la catastrophe, sans se presser, une voix lointaine englobée dans la pâte sonore, niveau vocal c'est un peu Hiroshima mon désamour, Enola excelle en le metal peplum, pose une ambiance délétère lourde comme des stèles de granit, que vient abraser un vocal concasseur, une basse grondante, une batterie genre charge des cuirassiers, cris de haine, les hélices tournent à plein régime, les moteurs prennent feu, la carlingue n'en continue pas moins de foncer vers l'objectif, tout s'emballe et se précipite, apocalypse now, affolement général, plus de son après la dégringolade finale. Enola ne rabougrissent pas le banzaï en bonsaï. The door : pas tout à fait un havre de repos mais après les deux cataclysme précédents ça fait du bien de faire semblant d'y croire, cette guitare cliquette comme une sonnerie d'alarme, cette rythmique qui l'air de rien ne ménage point sa peine mais la fait cuire à l'étouffée cela ne présage rien de bon, boum ça démarre, chez Enola ce qui déclenche l'orage, c'est le vocal, cette fois-ci nous avons droit à un monsieur Loyal survolté qui bonimente pour ameuter la foule à entrer dans sa baraque foraine, sûrement une horreur à admirer à l'intérieur, lourdeur batracienne, la guitare revient, le chant de la baleine s'élève, très doux, gagne une ampleur démesurée, la rythmique appuie sur l'accélérateur et l'effroi surgit sous forme de roulements cannibales, encore une fois l'on bascule dans la folie. Tant pis pour vous vous n'aviez qu'à pas pousser la porte. Remarquez certains aiment ça. Moi aussi. Desolated landscape : pas de pitié le growl vous saute à la gorge, sont particulièrement énervés, une tuerie, des égosillements de gorets que l'on tue à la chaîne, et toujours ce Monsieur Loyal qui vous présente l'horreur absolue comme s'il commentait un match de catch à la radio en pleine nuit pour tenir les routiers éveillés à leur volant. Respirons, lentement suivons la basse, maintenant l'on dévoile l'inexprimable, la musique monte comme des œufs brontosaure battus à la nitroglycérine. Atterrissage en forêt vierge. Fog : démarrage symphonique en douceur, entre nous soit dit toute relative, ce n'est pas parce que l'on est parti pour onze minutes qu'Enola prend son temps, une petite éructation vocalique n'a jamais fait de mal à personne, nous touchons au principe énolique de base, ne jamais laisser l'auditeur s'ennuyer, lui réserver toujours un spécimen de l'île du Docteur Moreau pour combler la faim qu'il n'a pas encore ressentie, les hurlements défilent, les instruments voudraient-ils se lancer dans un solo, c'est permis, mais collectivement, le mieux c'est qu'ils marquent des points d'orgue par exemple imiter le pas lourd de ceux qui portent un cercueil sur leurs épaules, en contre-point une homélie qui refuse de donner l'absolution, et le vocal qui imite le chant du coq de la trahison, un truc à vous donner la chair de poule, et l'on s'enfonce dans un tunnel sans fin dont on ne ressortira pas vivant puisque l'on est déjà mort, roulements de tambours, torsions de guitare et cris de guerre, des peaux-rouges vous assaillent de tous côtés, frappent avec leur crosse sur votre cercueil, oui c'est vous qui êtes dedans, les séquences s'enchaînent rapidement, les images de votre cauchemar éclatent à la surface du monde comme les bulles des noyés qui rejoignent l'air libre. L'on souffle les bougies, la cérémonie est terminée. Pas encore, des coups de masse ébranlent l'occiput de votre squelette. Enola est aux petits soins. Votre personne ne le mérite pas. Mais ils sont généreux, ne savent pas quoi imaginer pour vous faire du mal.

Comme par hasard Jérémie Mazan était au commandement. ( Voir chronique ci-dessous consacrée à Eudaïmon ).

VOLUTES

( Décembre 2017 )

Jordi : drums / Stef : guitar / Arnaud : guitar / Thomas : vocal / Mitch : bass, vocal.

Difficile d'annoncer plus concrètement la couleur de cette couve, noir c'est noir, elle arbore l'étamine frappée de poudre noire des bateau pirates, nul besoin d'effigie crânienne pour semer la terreur ! Simplement le nom du brick, Enola vit sur sa réputation. Non usurpée.

Bis repetita, il existe une deuxième couve, à fond noir sur laquelle se détache la transparence l'opaque transparence de volutes occasionnées par la fumée d'une cigarette. En essayant d'exprimer de tels déploiements en équations le mathématicien René Thom a mis au point la théorie des catastrophes. Un mot qui ruins très bien avec Enola.

We need : mise au point de la fréquence, après quoi sursaturation de guitares, le vocal enlisé dans ce maelström sonore, par rapport au premier EP Enola à recherché la puissance et la compacticité, passage fréquentiel à gué, le vocal explose et prédomine et s'impose sur la masse musicale, derniers pointillés séquenciels. Holy pain : micmac de batterie et de vocal emmêlés tels les deux serpents du caducée qui culmine sur une explosion growlique du pire effet, durant quelques secondes les guitares se transforment en grincements industriels, le growl porté à fond de gorge tel un graal revient et l'on assiste à une étrange mutation, la batterie devient pilon, et les guitares ronflements de moteurs, mélange transsexuel de genre. le metal se frotte contre l'échine du noise, serait-ce un désir ou une hérésie, il semble qu'Enola hésite, retour au calme, l'on alanguit la bête, clignotements espacés, message de satellite perdu dans l'espace, levée de guitares, le chant qui vient de dessous, la batterie cogne de plus en plus, moins de peau, davantage de ferraille, hinterland, respirations répétées, mais il faut savoir qui vaincra, courage et détermination, cap sur la confrontation, gros grumeaux de growl, la voix aboie telle une meute de loups acharnés sur le mammouth instrumental qui barrit de toutes ses forces et plonge ses défenses d'ivoires dans les corps pantelants des assaillants, pas de vainqueur, chacune des deux forces s'éloigne, le son décroit. Ce n'est que partie remise. The long walk : arpentages mécanisés à grandes enjambées, le combat a repris, le mammouth pris au piège de l'attaque surprise a cédé du terrain, la frontière des deux territoires sera poreuse, les guitares d'Enola produisent le bruit de ces immenses foreuses qui s'en prennent à la croûte terrestre, la batterie imite ce battèlement particulier des excavatrices à tunnels autoroutiers, tintamarre partout, la meute du vocal pousse des hurlements d'extase, ils explorent de nouveaux territoires de chasse, la gueule pleine de sang, semblant d'apaisement les vieux de la tribu les ont rassemblés sous la lune ardente, pour leur rappeler la terre de leurs ancêtres, les jeunes n'en ont que faire, discussions à coups de crocs, la batterie bulldozer laboure le champ de bataille. Le nom des vainqueurs reste inconnu. Mais le souvenir de l'épopée hantera les oreilles de beaucoup. Empty shadow : entrée sur les chapeaux de roue, roulements de tambours sauvages, les guitares jouent à l'égoïne, le vocal n'est plus qu'une diarrhée infâme à laquelle nul n'ose s'opposer, un vacarme infernal, maintenant l'on sait que les jeunes ont gagné, une brise légère effleure les museaux, ils hurlent à la lune, le monde leur appartient ils sont les maître d'un empire invisible peuplé de fantômes, que personne ne saura leur reprendre. Ils sont les conquérants, ils n'ont lâché ni les proies, ni les ombres, final grandiose, le rideau se referme sur l'écran, dans l'oreille des spectateurs abasourdis résonnent les cris des agonisants.

Il existe sur YT un trailer de 60 secondes assez bien fait avec quelques images du groupe sur scène qui mettent l'eau à la bouche.

INNER RUINS

( P.o.g.o records / Octobre 2021 )

Jordi : drums / Stef : guitar / Arnaud : guitar / Thomas : vocal / Mitch : bass, vocal.

Les ruines intérieures s'affichent en couverture. Virginie Berdot Sénat créatrice de l'artwork nous a-t-elle tendu un test de Rorscharch ou a-t-elle tenté de dresser notre portrait de l'intérieur, sous la peau, encore plus profond que l'écorché où nous apparaissons telle une grossière face de clown ou d'épouvantail pitoyable et sadique. Bonjour Stephen King.

Inner ruins : harmonie vibrionnante de grosses cordes ( celles pour se pendre ) et doucement la machine se met en branle, le vocal noyé par le bruit du moteur qui prend avec régularité de l'ampleur, apparemment nous sommes dans les canons introductifs de tout metal qui se respecte, juste un hic, cela à la couleur du metal le plus policé mais il y a comme qui dirait un bruit de fond à tel point que l'appareillage déraille et se coince brutalement. The entity : vernis nous le sommes nous avons l'entité en quentité, un gros son brutal qui vous veut du mal, une batterie qui frappe de toutes ses forces comme si elle allait rater le dernier train pour une meilleure existence au pays des pétaudières, en voyage dans le traquenard le plus bruiteux que vous n'avez jamais entendu. Ça couine, ça grince, ça pince, ça poinçonne, ça cahine et ça cahate dans les descentes vertigineuses, la locomotive à vapeur du vocal s'époumone et s'essouffle dans les montées à crémaillères. Beaucoup de bruit, mais par pour rien. Juste pour le plaisir d'entrevoir l'id-entité spectrale de notre monde. August : barattons tous en chœur, facile hachez le vocal en lui ajoutant la matière grasse du vomi, tapons fort, sans arrêt, que la substantifique moelle de notre matière cervicale soit dument pilée pour goûter à ce qui s'en exhalera, une certaine extase à triturer ainsi nos méninges, un bombardier passe dans le lointain, métaphore de nos rêves les plus flous enfouis. Lich : ce qui s'appelle marcher sur un sentier miné, l'est si engageant avec sa rythmique pataude qui accompagne vos premiers pas, ensuite vous ne savez plus, un éboulis de fureur déboule sur vous, à peine si vous reconnaissez la crête rouge de l'étendard du vocal qui surpasse de cet amas informe qui vous englobe sans raison mais qui doit en avoir cent de très bonnes pour vous submerger et vous entraîner vous ne saurez jamais où. Même une fois arrivé. Black teeth : vont vous l'extraire cette dent ébénique qui a poussé au travers de vos neurones, corne de taureau qui pénètre dans le ventre du torero déjà la roulette ronronne de joie, le gars qui hurle sur le fauteuil voisin n'a pas l'air à la fête. Z'ont dû décider de la lui extraire en passant par le larynx, lui tapent dessus violemment pour qu'elle descende, c'est à ce ce moment que vous apercevez la monstrueuse canine qui marque la limite de l'univers, heureusement que la musique se fait plus douce et se teinte de chœurs berceurs, peine perdue, vous ne voyez rien, alors ils dansent une fricassée effrénée autour de votre trône de torture, et vous reconnaissez qu'ils y mettent une énergie folle. A link between us : c'est tout mignon un lien entre nous, la grande fraternisation humaine il n'y a pas mieux, vous sortent un glissandi de guitare à caresser votre chair, depuis le dessous de l'épiderme, Enola vous fait le coup du slow qui tue, erreur celui de la ballade du pendu, maintenant vous vous balancez accroché au gibet, sous les bourrasques de vents violents, l'homme est un loup pour l'homme, vous l'avez oublié à vos dépends, si vous n'êtes pas contents allez vous faire pendre ailleurs. Pas la peine une musique paradisiaque résonne à vos oreilles, c'est juste pour vous faire croire que vous serez bientôt sauvé, mais le disque s'enraye jute au moment où vous frappez à la porte. War torment sorrow : pas de regret idéaliste, la fraternité n'est que le nerf de la guerre, elle se déclare sans ambages, fond tel un aigle impérial, grondement apocalyptiques, l'on crie de tous les côtés, pas de pitié, pas de prisonniers, tuez les tous, peut-être qu'ils reconnaîtront dieu s'ils montent au ciel, pas de problème c'est le diable qui occupe le trône céleste, l'adore verser de l'huile bouillante sur les combats et le corps des suppliciés. Entendez la complainte finale des cimetières qui débordent. Poison : au cas où vous auriez survécu aux six morceaux précédents, ils vous offrent la coupe de réconciliation. Avec la mort. Ils n'avaient pas précisé. Gonflent la basse et adoucissent la cadence pour vous faire accroire que vous buvez l'ambroisie des Dieux, se gaussent de votre méprise, de votre bêtise et tout s'échevèle en un immense et joyeux capharnaüm... Whithout you : danse du sabre, votre absence n'a pas l'air de les attrister, une véritable orgie russe dans laquelle on boit le champagne dans les souliers de satin des catins, c'est cela l'amour, le désir et la fièvre chaude du sexe, une bacchanale infernale les emporte autour de la terre, reprennent un peu leur souffle, ils vous ont oublié, ils adorent jouer la grande comédie romantique, jouent à l'esseulé qui devient fou à lier. Cherchez l'erreur, ils sont en liberté. Cela s'entend. Miasma : généralement on évite les miasmes, pas Enola, ils ont décidé de hâter leur émanation putride hors des marais des turpitudes humaines, la maison Enola ne fait pas de cadeau, l'introspection grâce à la machine à décrypter les rêves et les pensées cachées de tout individu déroule vos ressentiments les plus secrets, vos désirs de vengeance les plus abjects et les projette au grand jour. Le plus terrible c'est que ceux qui se soumettront à l'expérience et qui oseront se pencher sur leur idiosyncrasie révélée, souriront, seront aux anges, tout compte fait ils sont moins cruels qu'ils ne le pensaient.

Trois disques. Trois sans fautes. En gradation ascendante. Avec ce premier album Enola joue dans la cour des grands.

Damie Chad.

 

RAUNCHY BUT FRENCHY ( 6 )

EUDAÏMON

Je me laisse souvent porter par la beauté des noms. Le nom du groupe et puis le groupe du nom pour parodier Proust. Sont de Toulouse, une raison suffisante mais pas nécessaire pour les chroniquer. Hélas, il n'était plus temps. Le dernier post daté du 06 / 06 / 2020 sur leur FB, signé de Pierre, Donovan, Vincent, Aurélien, Guillaume, est sans appel : '' Nous avons décidé de mettre un terme à l'aventure Eudaïmon. Même s'il n'a pas été facile de se l'avouer, nous avons réalisé que les envies et les motivations de chacun avaient évolué au fil du temps et qu'elles étaient maintenant trop éloignées pour nous permettre de faire grandir encore ce projet... '' . C'est ainsi que vivent les hommes et meurent les groupes... Pour la petite histoire, ils précisent dans le reste du texte que leur décision est totalement indépendante de la crise covidique...

THEN SHE COMES

( Avril 2012 )

On aime rêver sur cette couve attribuée à Lueur noire, cela ressemble un peu à l'observatoire du Pic du Midi, mais cette voûte stellaire jaune-orangé nous projette dans une nouvelle de Lovecraft, pas tous les jours que nous ayons la chance de visualiser La couleur tombée du ciel. Nous voici en pleine science-fiction, les paroles, moitié en français, moitié en anglais démentent cette vision. Le monde de ce premier EP est beaucoup plus terre à homme, tout se passe à l'intérieur, dans ce mal-être post-adolescent qui assaille les premières expériences déceptives de la prime jeunesse. Même si le teaser de 47 secondes de présentation de l'EP nous propulse dans une espèce d'explosion solaire dont les éclats retombent sur la terre, et se termine en image fixe sur l'apparition de la couve...

En cage : longue et surprenante intro sur un rythme qui fleure presque les Caraïbes surmonté d'une guitare plaintive et déchirante, dans un hurlement déboule la cavalerie lourde, aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années, certes mais là la voix est très jeune, l'on se demande si elle tiendra la route, ce qui est sûr c'est qu'au mixage Jérémie Mazan a réalisé des miracles, pour la poser en avant de telle façon qu'elle soit parfaitement audible, un peu au détriment du background musical, mais ce léger défaut est corrigé lorsque le morceau entre dans son dernier tiers, le chanteur growle ( pas encore un vieux grizzli revenu de tous les guerres ) mais il s'en tire bien et derrière lui le reste de la bande se montre imaginative. Reject me : le morceau commence là où le précédent se termine à croire qu'il en est la suite, ce coup-ci voix growlée et musique sont en parfait équilibre et l'on peut admirer le moutonnement des guitares qui se pressent en troupeau poursuivi par un incendie, beau travail à la batterie, une frappe originale, qui manque peut-être de puissance mais qui aère et voluminise l'ensemble, et là surprise, silence total avec reprise et variation sur l'intro d'En Cage, l'on ne sais plus trop où l'on en est, voici qu'un train lancé à toute allure se jette sur vous, un super-shuffle-haché qui passe sans se soucier de votre corps tronçonné entre les rails. Que d'idées dans ce titre, z'ont peaufiné avant de rentrer en studio. Encore verts, mais ô combien imaginatifs. Funambule : grognement bien balancé, normal pour un funambule, cette fois la voix trop blanche est mangée par la guitare, l'on ne s'en plaint pas, l'on suit la batterie qui batifole, se mélangent tous un peu les pédales mais le pendule imperturbable des guitares maintient le cap, les Eudaïmonistes excellent en l'achèvement les morceaux, gardent le meilleur pour la fin, une de leur marque de fabrique, il ne reste plus qu'une carte à jouer, ils en posent une dernière qui n'était pas prévue. Then she comes : guitare élastiques et tinteries de triangle, une basse qui fait le gros dos par dessous, savent aussi varier les intros, l'on attend l'explosion, l'on a droit à une espèce de chant à demi-étouffé, sur cet accompagnement de serpents de verre qui glissent et ne cassent pas, enfin les guitares envoient la marmelade, des grognements de bête préhistorique surprise dans sa caverne retentissent, une basse auto-tamponneuse bourrine à mort, rallume l'énergie, un dernier dégueulis de voix avant de légers tintements terminaux.

Il est deux sortes de jeunes groupes de metal, ceux qui mettent les pieds dans les traces des grands ancêtres, ceux qui essaient de prendre la tête de la course, un seul mot d'ordre : plus vite, plus fort. Eudaïmon essaient une troisième voie, travaillent la structure de leurs cuts, comptent sur leurs propres forces et leurs propres faiblesses, cultivent leurs particularités. Une démarche qui exige une auto-analyse de soi-même non négligeable à moins qu'un superviseur un tantinet sorcier ne soit aux manettes.

Vous trouverez sur You Tube une vidéo du dernier morceau enregistré live le 14 décembre 2013, à La dernière chance à Toulouse. Un jeune groupe pas vraiment à l'aise, confirme qu'ils ils ont dû être très bien pris en main et guidé en studio. Jérémie Mazan qui les a cornaqués n'est pas un inconnu sur Toulouse.

A ma connaissance la meilleure vidéo d'Eudaïmon est Catabase enregistrée dans une cave toulousaine. Toutefois elle n'est en rien exceptionnelle.

ABYSSES

( Janvier 2017 )

Plus de quatre ans entre les deux premiers opus. Belle pochette de P Neri. Elle ne rompt pas avec l'imagerie cosmique du premier EP. Le jaune brumeux est remplacé par des couleurs ternes et froides. Que raconte-t-elle au juste, la terre est-elle avalée par une planète désolée ou s'en arrache-t-elle ? Est-ce au contraire une note d'espoir signifiant que rien ne se perd et que le monde est capable de se régénérer sous une autre forme... Nous remarquons que deux cercles se retrouvent aussi sur le logo d'Eudaïmon, marquent-ils la fusion impossible entre les humains et les états de l'être ou l'intersection souhaitable et désirable...

Intro : encore une fois l'on ne sait pas où ils nous entraîneront, le soupir de basse relayé par une guitare triste nous indique que le son sera plus sombre, que le ton a changé. Ils ont grandi. Ce n'est pas mourir : une voix d'agonisant pour hurler que mourir n'est pas mourir, le message paraît optimiste, mais le texte macabre n'incline pas à sourire, ces racines d'arbres qui se saisissent des corps et les hissent sous forme de sève jusqu'à leur cime est saisissant ! Le chant alterne entre grêle de growl et intonation claire et creuse, tout est fait pour filer le frisson, la guitare s'écartèle et gémit, la batterie tambourine aux portes de l'enfer, se termine sur une lenteur d'adagio qui enterre vos derniers frissons. Superbe réussite, en cinquante mois Eudaïmon n'a pas perdu son originalité. Anxia : ne suffit pas de dire anxiété pour que l'auditeur ressente de l'anxiété, mais là c'est réussi, ce serrement du larynx et de la gorge théorisé par Heidegger vous le ressentez très fort grâce ( mot mal choisi ) à ce gargouillement d'étranglement du vocal, et ce tassement de guitares écrasées par la batterie, il ne faut pas que les couleuvres de vos souffrances que vous avez avalées ressortent de votre bouche. Angoissant. Abysses : une remontée, chacun possède ses propres abysses, le tout est d'en sortir, d'avoir la tête hors de l'eau, de refuser le vortex de ce soleil noir qui vous happe vers les profondeurs, ce titre est grandiose Eudaïmon parvient à établir une sorte d'équanimité sensorielle entre musique et vocal, chacun mord et mange l'autre pour aussitôt le revomir et le restituer dans sa puissance. Dans leur premier EP Eudaïmon tirait leur épingle du jeu, mais avec ce titre ils affichent une maturité étonnante. Ici rien ne dépasse et rien ne manque. Désorienté : l'on ne s'extirpe pas de l'abîme sans être cabossé, mais aussi sans avoir une énergie nouvelle de vainqueur, galop de guitares éclatant, course vers le haut, la musique s'emplit de cette envie de vivre, de dominer le monde, et peut-être même de se retrouver face aux abysses pour les franchir sans dommage, ou alors de se laisser porter par la furie des éléments. Insaisissable : cavalcade vers le bout du tunnel, duel de voix pour vaincre le mur du son et devenir maître de sa vie, la musique semble se détendre, pas relax, mais poussée dans le dos par l'espoir de la réussite, la ligne claire d'un chant de guitare s'élève au-dessus du tumulte. Sublimation : les abysses sont toujours là, à portée de mémoire, l'accompagnement devient plus lourd, la voix claire comme celle d'un enfant tuméfié par l'existence, le titre n'est pas mal choisi, car toute matière noire peut se sublimer en poudre de vie. Glapissements de souffrances et trépignements de pulsions musicales salmigondis de batterie folle de rage.

Un album qui n'a pas eu l'attention méritée. Eudaïmon prouve à l'envi que le metal peut être chanté en français. Le disque manque un peu d'unité entre ses morceaux. Il aurait mieux valu, d'après moi, continuer dans la veine du deuxième titre, si particulière, si originale, si à part. Les trois derniers titres sont musicalement trop près l'un de l'autre. Mais l'ensemble reste percutant. Il existe aussi une vidéo enregistrée à Bordeaux aux Runes sur laquelle Eudaïmon joue Abysses en entier. Le son n'est pas très bon, malgré cela une conviction s'impose : Eudaïmon est meilleur en studio qu'en live. Ce qui nous paraît inquiétant.

STEP INTO THE VOID

( Juin 2019 )

Dernier enregistrement de Eudaïmon. La pochette est signée de BlackBeard. Planétaire comme il se doit ! Une représentation géométrisée de la voûte stellaire, au premier abord se reflétant sur la Terre, dans un cadre de lichen bleu et rose. Ils ont le chic pour les couves énigmatiques.

Enjoy : le son n'a pas évolué depuis Abysses, hélas si ! le chant en anglais qui détonne, pourquoi n'avoir pas gardé le français qu'ils maniaient avec tant de dextérité, puis il y a ces lignes mélodiques qui n'apportent pas grand-chose. L'on a l'impression qu'après leur premier album passé inaperçu Eudaïmon se cherche, pas en lui-même, résultat : il a perdu en force et en originalité. C'est d'ailleurs le thème même du morceau qui nous enjoint de vivre selon nos désirs et non pas se laisser enterrer vivant dans l'anonymat. Fuckbook : dénonciation un peu trop convenue de FaceBook, le titre est sans surprise, le chant n'est guère entraînant et l'on attend en vain quelque nouveauté dans la trame musicale. Le groupe ne se renouvelle pas, il fait de l'Eudaïmon, comme d'habitude la fin arrache et sauve le morceau. This track is worth it : de quel vide s'agit-il au juste, en tout cas pas l'infini intersidéral, le vide est en nous et en notre société, l'on suit les modes, l'on se laisse porter par le courant parce que l'on n'a rien trouvé de mieux à faire, le problème c'est qu'Eudaïmon se répète, donne l'impression de s'adapter à produire un metal qui puisse plaire à un plus grand nombre. Ce qui est dommage, c'est souvent un choix qui ne mène pas loin. Awareness : d'ailleurs ils l'énoncent eux-mêmes dans leur dernier morceau, dénoncent cette folie collective qui mène à l'effondrement, terminent en beauté, davantage de rage et de feeling.

Ce dernier EP aide à comprendre pourquoi quelques mois plus tard Eudaïmon prend la décision de se séparer. Ils n'ont pas su évoluer selon leur base de départ. Après Abysses il fallait un nouvel album plus audacieux et pas cet Ep de rupture et de débandade.

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

UNE TENEBREUSE AFFAIRE

EPISODE 07

 

PETITS-FOURS ET GRANDE DECISION

Après la cérémonie publique Monsieur Le Préfet nous avait invités le Chef et moi-même sans oublier les cabots, qui il faut le dire ce soir-là se comportèrent fort impoliment, à la réception qui suivait, une soirée strictement privée, confidentielle, à laquelle n'était convié que l'état-major de crise. Nous dûmes attendre que la foule s'écoulât avant de prendre la Lambor, Françoise, Framboise et Noémie furent kidnappés par leurs parents qui nous couvrirent de remerciements pour avoir sauvé leurs filles. Joël un peu secoué par les événement rentra chez lui... Le Préfet grâce à son escorte de motards de la gendarmerie arriva bien avant nous avec sa vingtaine de conseillers spéciaux. Ils ne nous avaient pas attendus pour commencer la réunion de travail, debout sur une table le Préfet, effectuait des sauts de cabris, tandis que les conseillers comptaient à voix haute : un... deux... trois... quatre... cinq... lorsqu'ils atteignaient le chiffre 27, ils poussaient un hourra tonitruant à la suite duquel le Préfet se lançait en une gigue effrénée en psalmodiant sans fin '' 27 morts... 27 morts... 27 morts '' pendant ce temps les conseillers buvaient trois à quatre coupes de champagne et une fois ce devoir roboratif accompli ils se remettaient à compter : un... deux... trois... quatre... cinq... La scène se répéta une vingtaine de fois, mais nous apercevant le Préfet sauta de son estrade improvisée et courut vers nous, de la main il ordonna le silence, et se saisissant d'une coupe de champagne, il exprima sa volonté de porter un double toast en notre honneur. Puis il prit la parole :

_ Messieurs grâce à nos deux valeureux agents du Service Secret du Rock'n'roll, la préfecture de la Haute-Vienne est la seule à avoir eu la chance de déplorer vingt-sept morts, pas de vieux croulants dont tout le monde se moque, non des jeunes filles belles comme le jour, et des jeunes gens forts comme des Turcs, retournement complet de la situation, ce Charlie Watts est apparu, je peux maintenant vous le révéler, dans pratiquement toutes les préfectures de la France, mais c'est ici que grâce à l'action de nos deux agents secrets qu'il s'est livré au plus abominable des massacres, l'on a voulu à l'Elysée nous faire porter le chapeau, nous ridiculiser, nous transformer en chasseurs de fantômes, Limoges devait devenir la risée de la France entière, évidemment ce n'était pas notre ville qui était visée, même pas la Préfecture en tant qu'institution, mais moi-même, je vous demanderais de prêter une grande attention aux paroles qui vont suivre mais d'abord humectons de quelques larmes de ce nectar notre gosier, cette nuit est un grand jour !

Sur ce tout le monde se rua sur les coupes de champagne, le Préfet s'octroya une bouteille de Dom Pérignon qu'il but à même le goulot, les chiens se joignirent au joyeux charivari qui s'ensuivit, s'adjugèrent chacun une coupe, Molossito peu habitué à l'alcool faillit tourner de l'œil, je craignis un coma éthylique, mais non il se reprit, et titubant quelque peu il entreprit de lever la patte sur les quatre-cents coupes qui attendaient sur le buffet, faut croire qu'il avait une urine dompérignonesque car par la suite personne ne s'en aperçut. Molossa s'allongea carrément dans un plat de toasts au foie gras dont elle se goinfra, après quoi elle attaqua les canapés au caviar.

_ Messieurs après ce bref intermède, passons aux choses sérieuses. De toutes les préfectures de France me parviennent des messages de condoléances pour le drame de la nuit dernière, ô combien chacun aurait aimé que cela se déroulât chez eux, ils en crèvent tous de jalousie, c'est que, j'ose à peine le dire – il baissa la voix – un boulevard s'offre à nous tous, vous mes conseillers dont je ne doute pas une seconde de votre aide, sachez que vous êtes déjà tous sur l'organigramme du prochain gouvernement, oui messieurs la voie de l'Elysée nous est ouverte, grâce à ces vingt-sept jeunes imbéciles qui ont eu l'idée, entre nous soit dit stupide, de se faire tuer, mon nom court sur les antennes nationales, il s'étale en grosses manchettes dans tous les journaux, les réseaux sociaux ne parlent que de moi, un coup de pub inespéré, aussi moi Adolphe Rateau je vous réserve la primeur de ma décision, dès demain j'annonce ma candidature, non je ne doute pas une seconde que le peuple ne m'élise au poste de président de la République !

Applaudissements nourris, rire, cris de joie, furent bientôt remplacés par des Rateau Président ! exaltés. Pus personne ne faisait attention à nous, nous récupérâmes les cabots que nous dûmes porter, nous descendîmes l'escalier, une voix, celle de Rateau, résonna : '' Pour Charlie Watts !'' '' Hip, Hip, Hip, Hourrah ! '' lui répondit l'assemblée en liesse !

_ Ils ne croient pas si bien dire ! murmura le Chef avant d'allumer un Coronado.

UN PEU DE REPOS

Nous rentrions sur Paris, la Lambor tapait un modeste petit 230, lorsque le Chef brisa le silence qui s'était établi entre nous depuis Limoges :

_ Agent ne seriez-vous pas fatigué par hasard ?

_ Pas du tout Chef, mais Molossa et Molossito se sont livrés durant cette folle soirée à quelques facéties...

_ Qui pourraient leur donner quelques envies de vomir, Agent Chad vous pensez exactement comme moi, une bonne nuit réparatrice de sommeil dans un lit d'hôtel ne saurait leur faire de mal. Prenez la prochaine sortie qui se présentera...

Une demi-heure plus tard nous étions dans la dernière chambre à deux lits de la charmante bourgade de Vatan. Les chiens s'adjugèrent le premier sur lequel ils s'étalèrent de tout leur long, nous dûmes nous contenter du second. La tête sur l'oreiller nous ne parvenions pas à nous endormir. Le Chef fumait Coronado sur Coronado et moi je gardais les yeux fixés sur mon téléphone portable.

_ Agent Chad, il est trois heures du matin, je suppose que vous n'attendez pas un coup de fil d'une petite amie, voire de Framboise si j'en crois la bise toute tendre, quoique saliveuse, que vous avez échangée devant ses géniteurs.

_ Pas du tout Chef, la pauvre petite a vécu bien des émotions, laissons-la reposer auprès de ses parents. Non Chef, je ne voudrais pas avoir l'air de me prendre pour ce que je ne suis pas, toutefois je pense que quelqu'un de très important devrait me passer un coup de fil d'ici quelques instants.

_ Etrange agent Chad, je le subodore moi aussi, soyons raisonnables, je termine mon Coronado, posez votre appareil sur la table de nuit, et fermons les yeux, j'ai l'intuition que la nuit sera courte.

NOUVELLE PERIPETIE

Elle le fut en effet. Des coups redoublés furent frappés à la porte. Qui s'ouvrit brutalement. Le veilleur qui nous avait accueillis quelques heures plus tôt entra tout affolé.

_ Messieurs, la cliente de la chambre voisine se plaint, votre portable sonne sans s'arrêter depuis une demi-heure !

Le Chef était déjà debout Coronado allumé, son revolver à la main :

_ Chambre de droite ou de gauche, de ce pas je vais la rendormir d'une bastos bien ajoutée dans son cerveau ravagé par les termites à fromage ! J'en ai pour trente secondes.

Je m'extirpai péniblement du lit que le Chef revenait un large sourire aux dents !

_ Voilà, c'est réglé, plus rien ne la réveillera !

_ Très bien Monsieur, entre nous une emmerdeuse, mais ce n'est le problème, ce n'est pas pour cela que je viens, c'est la gendarmerie qui m'a passé un coup de fil ultra-urgent, vous devez immédiatement reprendre la route, on vous attend !

ON THE ROAD AGAIN

Réveiller les cabotos, ne fut pas facile. Nous dûmes nous résoudre à les porter à demi-comateux, l'œil vitreux, dans la Ghini, que je démarrai à fond de train :

_ Agent Chad, je suppose que je n'ai pas besoin de vous indiquer le but de cette promenade !

    • Pas du tout, je fonce tout droit à l'Elysée, par contre Chef comment ont-ils su que nous nous étions arrêtés à Vatan pour dormir ?

    • Vous souvenez-vous, en le lieu sommital de notre précédente entrevue, de ce petit homme qui s'est assis et qui n'a pas desserré les dents une seule fois ?

    • Cette espèce d'avorton, cette ignoble raclure de bidet, cet...

    • Agent Chad, je le connais, c'est lui qui chapeaute tout les services qui s'occupent de la surveillance du territoire. Un homme redoutable, vous reprenez une portion de frites dans un restaurant de Triffoullis-les-Oies, un quart d'heure après un coursier entre dans son bureau et lui apporte une dépêche relatant que vous vous êtes resservi d'exactement l'équivalent de deux pommes de terre trois-quart de taille moyenne. retenez bien ceci, agent Chad, il est manifestement plus dangereux que le fantôme de Charlie Watts !

A suivre...

 

11/11/2021

KR'TNT ! 529 : MILF ( + KLIM ) / GARRY BUSHELL / BANG / DRUGDEALER / DELPHINE DORA / ROCKAMBOLESQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 529

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

11 / 11 / 2021

 

MILF / GARRY BUSHELL / BANG / DRUGDEALER

DELPHINE DORA / ROCKAMBOLESQUES

TEXTE + PHOTOS SUR : : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Milf cow blues

Le retour aux choses sérieuses se poursuit avec un concert des Milf dans un petit bar rock de Rouen, quelque part de l’autre côté du pont. Mais quand on arrive là-bas, on se croit à Londres, avec ce bar qui fait le coin de la rue et cet attroupement de gens autour. Le bar est minuscule. Comme dirait Arletty dans les Enfants du Paradis, ce bar est tout petit pour ceux qui, comme nous, s’aiment d’un aussi grand amour. Il est même trop petit pour un groupe aussi chargé de légende que les Milf. Les Milf ? On en parle à droite à gauche. Connais pas, qu’ils font. Et les Klim ? Ah bah non, jamais entendu parler. C’est extrêmement bizarre cette histoire, car les Klim furent en leur temps la meilleure chose qui soit jamais arrivée à la Normandie, en matière de rock à guitares. Puis les têtes pensantes des Klim - c’est-à-dire la chanteur José et le guitariste Gilles - sont devenus les Milf et se sont entourés d’une section rythmique aussi redoutable que celle du temps des Klim. Tous ceux qui connaissent les deux albums de Klim ne comprennent pas qu’un groupe de ce niveau soit tombé dans l’oubli - et pire - qu’il ait subi du temps de son existence une sorte d’indifférence. Les concerts des Klim étaient spectaculaires, ces mecs avaient tout ce qu’il faut pour devenir énormes : des compos, du son et un performer exceptionnel, ce démon de José qui en plus d’avoir une vraie voix - et là on ne rigole plus - est du genre à se rouler par terre avec son micro au moment où derrière, les compañeros font sauter la Sainte-Barbe. On ne voit ça que chez des groupes comme Gallon Drunk ou les Cramps. José est le parfait rock’n’roll animal. On avait déjà vu jouer les Milf un peu avant le bordel de pandemic, pour un set haut en couleurs et en température au Trois-Pièces, mais bizarrement, plus l’espace est réduit et plus le set est intense et l’autre soir, dans ce bar minuscule, les Milf ont foutu le souk dans la medina à coups de reprises fantastiques, de «Suffragette City» à «Slow Death» en passant par un «Psychotic Reaction» digne des grandes heures du Duc de Lux, et un José qui se roule par terre comme s’il avait fait ça toute sa vie, une crise de transe comme on n’en voit plus beaucoup. C’est là où le rock reprend son sens, t’es là à cinquante centimètres d’un mec qui se roule par terre avec son harmo, dans une ambiance surchargée d’électricité, section rythmique invincible avec ce batteur qui joue à l’économie et ce bassman présent et discret à la fois, et puis tu as tout le son que sort Gilles sur sa Les Paul. Autrefois, il jouait sur une Gretsch, mais il n’a rien perdu de sa niaque, au contraire. On sait pour avoir écouté ses albums qu’il est le meilleur guitariste du coin.

Deux albums et de somptueux concerts auraient dû faire des Klim des stars, pas ici bien sûr, mais en Angleterre. On n’avait encore jamais vu un groupe de ce niveau en Normandie. Leur premier album Elevenhobbysongs date de 2002. Il n’est même pas sur Discogs. C’est un album qui sort complètement du registre «rock français» pour aller rivaliser avec les stand-outs anglais et américains, les compos sont tout simplement énormes. Ils battent même pas mal de groupes anglais à la course et le plus troublant c’est que l’Anglais de José est impeccable, toujours juste, ce qui n’est hélas pas le cas chez la plupart des Français qui chantent en anglais. Le «Razor Blade» d’ouverture de bal donne le ton, c’est explosé dans la montée à la manières des Pixies. On pense tout de suite aux Pixies, c’est dire leur niveau. Tout sur cet album apparemment produit avec les moyens du bord est gorgé de son et de chant. «Full Of Rose» sonne comme un hit de power pop over the top, et c’est ravagé par des vagues de guitar slinging. C’est le genre de cut qui pourrait figurer sur le White Album. The voice + the sound + la compo = la clé de tout. Ils disposent de toutes les aisances inimaginables. Ils finissent leur «Bossboss» à la folie Méricourt, la plus pure des folies, celle dont on ne se lasse pas. Puis ils se payent un coup de jazz-rockab avec «Allright». José chante ça au deepy deep avec une classe indécente et sur sa Gretsch, Gilles tourne autour du pot avec une classe encore plus indécente. Ces deux-là mériteraient qu’on leur fasse un procès pour indécence. Ça sonne incroyablement juste et ce franc-tireur tombé du ciel part en solo jazz. Eh oui, c’est un luxe que les groupes normands n’ont jamais pu se payer. Sauf Klim. Solo jazz ! C’est avec «Allright» qu’ils assoient leur crédibilité. Ils reviennent à la heavy pop avec un «Miss Money Go Round» joué aux arpèges du diable et chanté à la voix de son maître. Ils rivalisent tout simplement de génie pop avec les très grands groupes anglais. Le festin se poursuit avec «Pressure Moves» chanté au sommet du lard fumé, ces mecs ont tout bon, le beat, les arpèges, le push du chant et ça tourne au demented are go. «Get Screwed» explose en plein ciel et on atteint une sorte d’apothéose avec «Sounds So Light». José chante comme un dieu inconnu des dictionnaires de mythologie, il prend les choses à bras le corps, il travaille sa mélodie et ça tourne à la magie. Présence fantastique ! C’est inespéré pour un groupe local, il fait le croon des Américains avec une classe surréaliste, soutenu par des arpèges tout aussi surréalistes, rien d’aussi pur ni rien d’aussi définitif dans le paysage du rock normand. Il est possible qu’on ait jamais vu des groupes d’un tel niveau en France. Il faudrait vérifier, mais bon, il est possible que ça ne serve à rien.

Un deuxième album de Klim paraît en 2006 : The Bite Of Dew-Dew. Le coup de génie s’appelle «So Blind». Dès l’attaque, José va chercher le chant des Anglais. On pense à des tas de gens, mais les Klim font du Klim. En fait, ce démon de José emmène tous ses cuts à la victoire, «Day To Day», «Hello Slave», une énormité quasi glam avec un chant qui se répand, ils ne sont capables que du meilleur et jamais du pire, ça chante sous le boisseau, avec un énorme ricochet de solo. Ils éclatent leur «Shooting High» dans un mur et avec «Smile Again», cette voix inespérée plonge dans la mélodie, filochée par un solo de guitare. Il faut aussi le voir se balader dans «Cry Overdue», belle tension, c’est amené au fier drumbeat et vite ravagé par un incendie. Avec «Destination Honey Moon», ils plantent leur drapeau non pas sur la lune mais sur la planète power pop, c’est du pur jus, laisse tomber les Plimsouls et toute la bande, José emmène ça au chant, comme un chef de meute. Leur truc, c’est le power.

Signé : Cazengler, Klim Kong

Milf. Rock’n’Bulles. Rouen (76). 23 octobre 2021

Klim. Elevenhobbysongs. 2002

Klim. The Bite Of Dew-Dew. 2006

 

In Mod We Trust - Bushell overcome

 

Le British Mod Revival est un gros morceau. Soit on l’attaque par le Bushell book, soit on l’attaque par la Millions Box, de toute façon, il faut bien commencer par un bout. Tiens on va jouer à pile ou face. Pile, Bushell, face la box.

Face !

La box s’appelle Millions Like Us. Cherry Red la fit paraître en 2014. «Millions Like Us» est un hit des Purple Hearts, l’un des groupes phares du Revival. Cette box propose pas mal de cuts déjà présents sur la Piller Box qui raconte elle aussi l’histoire du Revival, mais c’est John Reed qui se tape le book de la Millions Box. À la différence de Piller, Reed consacre à chacun des groupes un petit paragraphe bien documenté, ce qui rend l’écoute de la box moins vulnérable. On aime bien laisser la musique se débrouiller toute seule, mais l’écoute active peut aussi avoir ses avantages. On mémorise beaucoup plus facilement, par exemple quand on sait que les New Hearts qui ouvrent le bal du disk 1 vont devenir par la suite Secret Affair. En plus, avec leur «Just Another Teenage Anthem», les New Hearts y vont de si bon cœur qu’on les en félicite. Sur qui tombe-t-on plus loin à la Tombe Issoire ? Sur Secret Affair, of couse, avec l’inénarrable «Time For Action». Big Affair. Voilà que déboulent les seigneurs de la guerre. C’est radical, tu te prosternes devant cette évidence. Parmi les autres célébrités du Revival, voilà les Purple Hearts avec le «Millions Like Us» déjà cité. Ces mecs nous font les Who à bras raccourcis, ça flashe à qui mieux-mieux. On retrouve aussi les Chords, bien entendu, les tenants et des aboutissants du MODus operandi, avec «Now It’s Gone» qu’on chante dans son sommeil, tellement c’est entré dans l’inconscient. Parmi les groupes qui ont enregistré des albums sur Detour, voici les Donkeys et Speedball. Connus dans les parages de Manchester, les Donkeys allument le MODus vivendi avec «What I Want», claqué aux accords de clairette, mais c’est trop Mod pour être honnête, trop pur, trop spirited, trop monté en épingle, trop versé dans le whaking du wailing. Speedball vient du Southend, comme Dr Feelgood et Rob Beulo chante à l’arrache mélodique, c’est excellent et bien sûr ça donne envie d’aller écouter l’album paru sur Detour. Ces petits mecs savent tous se donner les moyens du MODernisme. Parmi les noms connus, on trouve aussi les groupes à deux roues : les Lambrettas et les Merton Parkas. Pourquoi Merton Parkas ? Parce qu’ils viennent de Merton Park. Le «Plastic Smile» des Merton n’est pas jojo, par contre le «Go Steady» des Lambretta file sous le vent, bien propulsé par le bassmatic. Connu aussi comme le loup blanc, Long Tall Shorty fait partie du voyage avec «1970s Boys» joué au beat des enfers. Tiens voilà Jolt avec «See Saw», petit brin de Mod pépère, guitares en clairette de do or die et chant chou-fleur en petite éclosion pantouflarde. Puis il reste les millions d’autres comme the Exits avec «The Fashion Plague», des South London Mods dont Reed recommande The Legendary Lost Exits Album sorti sur Rev-Ola. Conseil qu’on suivra à la lettre étant donné la qualité du Mod craze qu’affiche «The Fashion Plague». Quelle merveilleuse dégelée ! Autre belle révélation : Sema 4 avec «Sema 4 Messages», joué à la vieille niaque de British Mods. Ces mecs écrasent tout sur leur passage. Même chose avec les Cigarettes et «They’re Back Again Here They Come», ils ramènent du punk dans la chaudière Mod, c’est aussi explosif qu’un mégot qui tombe dans un baril de poudre malencontreusement resté ouvert. Le chanteur des Killermeters s’appelle Vic Vespa et ils ont nous dit Reed un cut titré «Twisted Wheels» qui rend hommage au legendary 60s club in Manchester. Detour les arrache eux aussi à l’oubli. Les plus brillants sont sans doute Back To Zero avec «Your Side Of Heaven», oui car voilà un violent chock de Mod rock, ils plongent dans le creuset des culbuteurs, c’est très excédé, ça sonne comme la messe des Mods, oups, pardon, the mess of Mods. Les Squire sont eux aussi à l’aise avec «Walking Down The Kings Road», pur jus de Mod walking. Par contre, les Crooks sonnent comme les Boys et Untamed Youth sonne trop clair, trop anglais, trop pur. Reed nous dit aussi que le «Strength Of The Nation» des Teenbeats illustrait le sommet du Mod Revival. Fabuleuse attaque, laisse tomber, tu ne peux pas suivre ces mecs-là. Ils jouent au power maximum, c’est un incendiary cut, l’excellence du Mod beat. Back To Zero et les Teenbeats sortent vraiment du lot. Bien sûr, ces deux groupes figurent sur la Piller Box. Mais ils n’ont enregistré que des singles. Avec ce disk 1, la partie est gagnée. Cette Box sera passionnante ou ne sera pas.

Sur le disk 2, les Chords sortent du lot avec l’explosif «Maybe Tomorrow». Tout est là, les Chords ont du son et de la souplesse. On retrouve aussi Secret Affair avec une grosse compo, «My World». Ils investissent des moyens considérables dans leur Mod pop. Retour aussi des Lambrettas avec «Daaaance» et de Squire avec «My Mind Goes Round In Circles». Les Lambrettas ont l’avantage du nom et un sens aigu de la trépidation. Fantastique énergie ! Quant à Squire, ils claquent des windmills à tous les coins de rue. Premier groupe Detour : Circles, avec «Opening Up», bien in the face, tapé au petit beat turgescent - I can feel the new sensation - Très beau spurge de sperme Mod, éclatant, vénéneux, pressé, pas tenable, pas beau mais on s’en fout. C’est du pur jus de résurgence, ça sort à jets continus. Ils tirent bien sûr leur nom d’un hit des Who. Autre gang sauvé des eaux par Detour : The Name avec le solide et ambitieux «Fuck Art Let’s Dance», doté d’un chant gorgeous et bien amené. Et puis arrive le bataillon des inconnus au bataillon, à commencer par The Most avec «Carefree», joué à la petite énergie de quartier et une belle basse. On se régale du «Wild About You» de The Same, sec comme un os, waiting for a bus, ils jouent sur la tension, leurs emballements sont superbes. On sent une belle détermination chez The Directions, leur «Three Bands Tonite» est superbe, plein d’esprit, le hit Mod par excellence. Encore de fabuleux shakers avec Sta-Prest et «School Days», fast and furious. Detour les a aussi arrachés à l’oubli en sortant Welcome To My World, l’album de reformation. On croise aussi deux groupes de Soul : Q-Tips avec «SYSLJFM» et Red Beans & Rice avec «That Driving Beat». Le chanteur des Q-Tips chante comme Wilson Pickett. Les Dead Beats font du punk-Mod avec «Choose You», ils bandent sec dans leurs pantalons trop serrés et du coup leur son s’exacerbe. Tout aussi doués, voici les Letters avec «Nobody Loves Me», ils caressent le Mod Sound dans le sens du poil. Pas d’infos sur The Scene et «I’ve Had Enough», dommage car ils jouent à l’énergie dévorante, avec cette niaque des bas-fonds de London town - Had enough ! - Ils ont tellement de suite dans les idées que ça devient puissant. Dans un genre différent, voici les DC10s, avec «I Can See Through The Walls» tapé aux arpèges de Ricken. Ils jouent bien leur carte de Mod freaks sharpy as hell. Et puis voilà le coup de génie : The Fixations avec «No Way Out». Ces mecs jouent leur va-tout et ça devient glorieux. Après un déluge de power-chords arrive un solo à la titille. Ils enchaînent déflagration sur déflagration, tout est porté à incandescence, ils élèvent le Mod Sound au rang d’art majeur, les guitares transpirent et ça bascule dans la magie.

Les rois du disk 3 sont les Purple Hearts avec «Plane Crash». Ces mecs-là ne rigolent pas, ils amènent leur crash au punk-Mod et c’est atrocement bon. Ils cumulent les fonctions du proto-punk et du Mod craze, il n’existe rien d’aussi demented en Angleterre, ils ramènent les accords des Who dans «My Generation», oui, wow, t’as les Who ! Rien de plus sauvagement whoish que ce truc-là, rien de plus riffé dans l’ace de l’ass, Fa Sol, bien matraqué, on a tout le tatapoum des silver sixties et toute l’agressivité du Purple Crash. Quelle attaque ! Reed : «Purple Hearts will forever be among the Mod Revival’s premier league.» On retrouve aussi Long Tall Shorty avec cette belle dégelée qu’est «Win Or Lose», et les mighty Prisoners avec «Hurricane» - A psychedelic garage band par excellence, dixit Reed - Un Reed euphorique qui ajoute : «For many, The Prisoners were the finest purveyors of 60s-styled garage/psychedelia.» Oh la violence du Hurricane ! Graham Day chante au raunch des Mods, c’est riffé dans l’axe de la mortaise, incendié dans l’œuf du serpent, priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! On passe ensuite aux groupes chouchoutés par Detour, à commencer par les brillants Onlookers avec «You And I», un véritable Small Faces breakout et un brin de décadence dans le chant. Pur jus de dandysme Mod. Detour leur a consacré une belle rétrospective, Blue And Green And Tangerine. Encore deux Small chouchoutés par Detour, Small Hours et Small World. Les Small Hours déboulent avec «The Kid», un vieux shoot de Mod rock claqué au clair de la lune Tele. Ces kids dégagent de la chaleur et leur cartilages délicats s’articulent merveilleusement. Le bassman des Small Hours n’est autre que Kym Bradshaw, l’ex bassman des Saints. Small World bat des records d’explosivité avec son «Love Is Dead». C’est cavalé ventre à terre au drive de basse et arrosé d’arpèges de Ricken. Quelle merveille ! Power & style, une fois de plus - Considered by some to be the finest-ever Mod Revival band, dixit Reed - Detour a rassemblé les miettes de Small World sur Slight Detour. Weekend et The Upset prennent le chemin de traverse du blue-beat et on revient à nos moutons avec The Amber Squad et «Can We Go Dancing?». Trop excité, trop d’amphètes, mais c’est bien. Tellement bien que Detour les a aussi compilés en 2004 sur Arewehavinganotherinorwhat?. Avec cette cover des Creation, «Red With Purple Flashes», The Times sont trop purs et durs, presque anecdotiques. The Times est le groupe d’Ed Ball, le bassman de Television Personalities. Mais en tant que Mod Ball, The Times est une institution. Signalons aussi l’excellente petite niaque des Heartbeats avec «Go». Petite voix, mais ils y vont, c’est bien monté au chant avec des guitares loin derrière. Montés sur les cendres des Exists, les Direct Hits cassent bien la baraque avec un «Modesty Blaise» éclaté aux bribes d’excellence. Les claqués d’accords sont ceux des Who, avec de belles descentes d’organes au chant. Tiens encore une belle trouvaille avec le «Confusion» de The Truth. Aw comme ces mecs sont bons dans l’ampleur de leur big pop de dance craze. Seule l’énergie du diable peut conduire un truc pareil jusqu’au Wigan Casino. Dee Walker est amenée en 1984 comme la Cilla Black du Mod Revival. Elle est fantastique et elle est blanche. Elle ramène sa petite fraise humide et sucrée dans la box, et c’est une bonne chose, d’autant qu’elle est aidée par Ed Ball et le mec des Jetset, Paul Bevoir. D’ailleurs, les Jetset piquent leur petite crise avec «Wednesday Girl». Bon le disk 3 se termine avec deux groupes américains, Manual Scan et Mod Fun, et forcément il y a un problème car les deux groupes sonnent faux. En plus l’album de Mod Fun trouvé dans un bac est une vraie catastrophe.

Le disk 4 recèle lui aussi son petit lot de merveilles, à commencer par l’«Here Is My Number» de Makin’ Time. Reed dit qu’avec Makin’ Time, Mod is culminating. C’est Eddie Piller qui les découvre et le groupe démarre sur Well Suspect Records, puis Makin’ Time arrive sur Countdown, l’autre label d’Eddie Piller. Reed parle d’un fresh new Mod sound allant plus sur Brian Auger & The Trinity. «Here Is My Number» sonne comme une giclée dans l’œil du cyclope, quelle ampleur ! On entend Fay Hallam dans les retours de manivelle. L’autre grosse poissecaille du disk 4 est le super-groupe Mod The Rage avec «Looking For You». On retrouve dans le groupe Buddy Ascott des Chords, Derwent Jaconelli et Steve Moran de Long Tall Shorty et Jeff Shadbolt des Purple Hearts. Le résultat ne se fait pas attendre, Jaconelli chante à la pointe de la glotte et derrière, les autres n’ont aucune retenue. Une vraie bombe ! Power & style, une fois de plus. All the Rage dirait Ian McLagan. Parmi les connus comme le loup blanc, voici le James Taylor Quartet avec «Blow Up» et les mighty Aardvarks avec «Arthur C. Clarke». Tout droit sortis de leur fascination pour le freakbeat anglais et les Small Faces, les Aardvarks délogent vite les dents du beat. Reed parle de magnificence et il raison, car la compile Cherry Red des Arrdvarks est un must inexpugnable. Avec «Worming», The Clique fait partie des groupes Detourés. Selon Reed they epitomize the best of a new breed of Mod bands playing 60s-centred R&B music in the 1990s. Eddie Piller les suit de près et Reed nous renvoie sur Self Preservation Society qui selon lui est resté un classic. Un autre classique devant l’éternel : «Something That You Said» by The Scene. C’est explosif, bien au-delà du common Mod craze, pah pah pah, emmené ventre à terre, chanté à la petite délinquance, au like you baby. S’ensuit un «Bend Don’t Break» des Australiens Stupidity, un Don’t Break lancé dans la nuit comme un scoot en folie, muté à l’orgue tournoyant et cuivré à la folie. Bien sûr, Eddie Piller les a repérés et collés dans la compile Countdownunder. Encore une belle trouvaille : The Moment avec «In This Town» et un beau bassmatic. Ça ferraille au paradis. Dans leurs parages on retrouve Ed Ball et Paul Bevoir, comme par hasard et Reed indique que le groupe s’est reformé avec Brett Ascott des Chords et Ben Addison de Corduroy à la prod, et qu’un album est attendu. Il est arrivé, Reed ! Il s’appelle The Only Truth Is Music. The Untouchables sont américains, mais on accueille leur «Free Yourself» à bras ouvert. Quelle belle escapade ! C’est une mixed-race band qui avale sa langue au chat ventre à terre. Ça vaut pour un shoot de fast stomp. C’est encore Eddie Piller et Terry Rawlings qui révèlent The Combine dans leur compile Countdown avec «Dreams Come True». Joli fracas d’accords. Tous ces groupes ont leur mot à dire. Il règne dans cette box une spectaculaire unité de ton. Non seulement The Combine fourbit le fracas, mais le groupe fourbit aussi la mélodie, alors t’as qu’à voir ! C’est tellement mélodique que ça fait tourner la tête du Mod craze. Reed indique que The Combine et Small World sont comme bonnet blanc et blanc bonnet, donc tout s’explique. Encore un Mod band Detouré : The Boss, avec «One Good reason», alerté tout du long par une fantastique énergie. Ils sont dans le bid Mod running down, the descending of it all. On retrouve Tara Milton dans le «Catcher In The Rye» de 5:30!, c’est-à-dire Five Thirty. C’est amené comme un hit des Who. Même énergie de windmill solaire, ça explose littéralement. On le sait depuis trente ans : Five Thirty est un groupe considérable. Oh encore une belle flambée de violence avec Solid State et «Train To London Town». C’est en plein dans les Who, no one gets out alive, avec une fin en folie. Le pire est que Solid State n’a même pas eu le temps d’enregistrer le moindre disque. Eddie Piller a aussi repéré The Kick avec «Julie London», un joli shoot de Mod pop avec des chœurs Whoish. Ils sont doux comme des agneaux, ils frisent l’«I’m A Boy». Tout dans cette box a de l’allure, c’est encore ce que montre l’«All I Want To Be» de The Reflection AOB. Tous ces groupes savent jouer et ce n’est pas du favoritisme que de dire ça. Même le plus petit cut accroche. The Reflection AOB ont des cuivres et une vraie voix. Reed qualifie The Studio 68 de wildcards of Mod. Il indique en outre qu’ils avaient un auto-destructive live set. C’est vrai que «Get Out Of My Hair» est du heavy stuff, du wild r’n’b à l’Anglaise, c’est noyé d’orgue et gorgé d’amphètes. Reed indique que Paul Moody est devenu journaliste et qu’il faut se mettre en chasse du lost album, PortobelloHello, sauvé des eaux par Detour, bien sûr.

Avec Reed et Eddie Piller, Garry Bushell est le troisième homme clé du Mod Revival. Du temps où il bossait pour Sounds, il fut le chantre du Mod Revival. Ses articles sont compilés dans un petit book qui vient de paraître : 79 the Mod Revival Time for Action: Essays from the Frontline. Bon, ce n’est pas de la littérature, mais Bush fait son boulot de journaliste, il est comme on dit chez les con-sultants «sur le terrain». Il voit les groupes sur scène et assiste aux bagarres qui éclatent entre les clans. Son book regorge d’épisodes violents qui rappellent l’ambiance du film sur les Cockney Rejects, East End Babylon. L’Angleterre fut à cette époque le théâtre de véritables batailles rangées entre ces ennemis héréditaires que sont les Mods et les rockies, sans oublier les punks puis les skins. Mais nous ne sommes pas là pour ça.

Les trois groupes vedettes du Mod Revival de 1979 sont les Chords, les Purple Hearts et Secret Affair, trois groupes sur lesquels Bush revient inlassablement, avec de l’éloge à gogo. Il rappelle que les Purple Hearts tirent leur nom du Dexamyl et que les Chords combinent the crashing power chords drive in a Jam/Jolt vein avec un sens aigu de la mélodie - Pop with guts ma babes (sic) and well structured stuff boot - Pour Bush, les Purple Hearts et les Chords sont les emblèmes de «the Mod on the street», alors que Secret Affair, prédit-il, va atteindre le mainstream (wider markets). Ian Page déclare : «We’re Mods without parkas», et Dave Cairns ajoute : «Our kids are into fashion, ils vont chaque semaine s’acheter des fringues and they’re into the go-go not pogo and that is what we’re about.» Bush ajoute que chaque fois qu’il voit Secret Affair sur scène, il trouve qu’ils sont simply the best, et il ajoute un peu plus loin : «Probably the best dance band in the country.» Ils combinent nous dit Bush old style Motown dance rhythms with Dave Cairn’s powerful biting rock guitar. Il rend aussi hommage à Long Tall Shorty. C’est Jimmy Pursey qui baptise ainsi le groupe, d’après une compo de Don Covay enregistrée par les early Kinks. Long Tall Shorty est le prototype du groupe brillant détruit par la poisse, mais qui se reforme en l’an 2000 autour de Tony Perfect. Ils jouent à trois, nous dit Bush, et qualifient leur son de «giffer punk». Bush évoque aussi The Rage, premier post ‘79 Mod supergroup qui se forme à la suite du split de Long Tall Shorty en 1974 : Derwent Jaconelli au chant, Steve Moran on guitar, Jeff des Purple Hearts on bass and a Chord Buddy Ascott on drums.

Mais la clé du Bush book, c’est la culture Mod, un phénomène typiquement britannique. «Ces pionniers, kids like Wayne Kirven, Steve Sparks and John Simon combinaient les influences - le jazz américain, la Nouvelle Vague française et l’Italian cool - to cook up something we see now as quintessentially English.» Il ajoute que dans son roman Absolute Beginners, Colin MacInnes taxe de ‘Modernist’ un jeune fan de jazz in sharp Italian clothes, un terme dérivé du Modern Jazz de Miles Davis et Charlie Mingus. Bush se fend de pages superbes pour nous dire à quel point Mod est anglais et surtout à quel point cette culture appartient aux kids. Au début, un tout petit noyau de «Jam fans as well as a lot of the older East End and Essex skinheads were talking about ‘going Mod’». Des mecs commencent à s’habiller et à se considérer comme des Mods. Le mouvement prend officiellement naissance lors d’un concert des Jam à Paris où se rendent cinquante London Mods, et pouf, les Purple Hearts jouent à Londres - Then Billy Hasset qu’on avait rencontré à Paris said why don’t we come and see his group, the Chords - Billy Hasset ajoute que Mod est une façon d’être, une attitude - Fun-loving and smart. On était des kids qui voulaient s’amuser, on voulait boire, danser, draguer des filles, aller aux concerts et être fiers de nous. Voilà ce que Mod signifiait à nos yeux. On voulait aussi s’en sortir, mieux que ne l’avaient fait nos parents - Bush en conclut que Mod se définissait en opposition aux ‘mug punters’ et aux dérives pseudo-politicardes du punk. C’est là que la scène Mod Revival a explosé, avec les Purple Hearts de Romford, Essex, les Chords de Deptford, South East London et Back To Zero from North London. La force de cette scène reposait sur sa capacité à prendre le meilleur du passé pour produire un son original - New Mod began to create a youth movement with vitality, direction and above all marvelous music - Et là Bush cite les hits : «Millions Like Us» des Purple Hearts et «Time For Action» de Secret Affair. En fait le Mod Revival est arrivé au bon moment, quand le punk n’avait plus rien dans le ventre - Mod was like a breath of fresh air to a tired circuit - Bush revient aussi longuement sur les scooter clubs et la scène Northern Soul du Wigan Casino et ses all nighters que les Mods vénéraient. Bush insiste pour dire que la culture Mod est née dans la rue et non dans les bureaux de la pop industry, une culture inventée par des kids déçus par le punk «but who kept its love of energy, sulphate, DIY ethics and three minute pop songs alive.»

Après la fin du Revival, Bush cite les Dexys en 1980 et le virage Soul de Paul Weller. Secret Affair va splitter avant de se reformer plus tard. De toute façon, la New Wave ravage tout et Mod replonge dans l’underground avant de refaire surface dans les années 90 avec Acid Jazz et Eddie Piller. Bush signale aussi l’émergence de la Britpop - more of a Mod baby - Mais au moins, pop was up-beat and axciting again. Bush dit que tous les tenants de la Britpop, Oasis, Blur, Pulp, Ocean Colour Scene, Supergrass devaient beaucoup aux groupes des sixties, aux Mods, au glam et au punk. En 1997 apparaissent enfin the New Untouchables de Rob Bailey - club nights, national and international weekenders, scooter runs, clothes and record markets - et bien sûr la série Le Beat Bespoké dont on va reparler. Bush achève son excellent trip nostalgique en signalant que Chris Pope des Chords est resté actif et qu’il continue d’enregistrer des albums de Mod-rock sur lesquels il va aussi falloir revenir.

Garry Bushell nous refait huit pages de Time for action dans un Vive Le Rock de l’an passé. Belle ouverture sur le scooter club, Secret Affair and Mod fans, c’est là qu’on apprécie le confort des magazines. Plein la vue. Mods anglais. La classe définitive. Bush reprend les grandes lignes de son book, Secret Affair, Long Tall Shorty, Chords, Purple Hearts et il rappelle que tout le mouvement était pur et spontané, à tel point que la sortie dans les salles du Quadrophenia movie plana comme une menace all over the beautiful fragile purity of it all. Le succès du film signifiait en effet l’arrivée des médias. Puis il y a l’épisode des fifty self-styled Mods descendus à Paris voir jouer Jam. Le chanteur des Purple Hearts Simon Stebbing rappelle l’autre caractéristique fondamentale du Mod Revival : «We stand for rebellion, but it’s not political. We’re not into politics.» Bush revient aussi sur les racines musicales de Secret Affair, «the big wheels of Motown, the greatest pop catalogue ever written (and like ska, the original soundtrack to Sixties Mod subculture). It was music you can dance to, agression served with melody and commitment.» Ian Page rappelle aussi à quel point il haïssait la récupération du mouvement punk par ceux qu’il qualifie de tinsel-and-tat merchants, inutile de faire un dessin : «Cette mafia qui a transformé le punk en produit et qui en a tué l’esprit. Pour moi, le punk était un message, l’idée qu’il fallait rejeter l’industrie, mais en dépit de ces belles paroles, ils ne l’ont pas fait. Les Clash ont signé sur CBS, nous aussi, d’ailleurs.» Bush rappelle aussi l’existence de Back To Zero, des Killermeters et des Merton Parkas dont le keyboardist s’appelait Mick Talbot. Il allait devenir célèbre en rejoignant Weller dans the Style Council. Il faut aussi se souvenir que le Mod Revival marchait de pair avec la scène 2 Tone, et c’est elle, avec les Specials, Madness et tous les autres qui allait décrocher le jackpot. Dave Cairns pense que la scène Ska avait un son plus facilement identifiable - The Mod Revival, unlike the Ska revivalists, didn’t have a similar musical style.» Cairns rappelle aussi que la presse anglaise s’est acharnée sur le Mod Revival - We got sticks from the music press, Sounds aside, for looking back to the sixties, but you couldn’t get more 60s than Prince Buster - Cairns ajoute que les Chords ont été coulés par leur label, Polydor, qui voulait préserver les intérêts de Jam. Les Chords étaient une menace, donc il fallait les annihiler. C’est ce qui est arrivé en France à Ronnie Bird. Puis le mouvement va s’écrouler, Simon Stebbing rappelle que les Dexy’s Midnight Runners et Madness faisaient au début leurs premières parties, puis ce sont les Purple Hearts qui se sont retrouvés en bas de l’échelle - down at the lower end of the chart. Sniff.

Signé : Cazengler, Garry Bouché

Millions Like Us. Box Cherry Red 2014

Garry Bushell. 79 the Mod Revival Time for Action: Essays from the Frontline. Red Planet Publishing Ltd 2019

Garry Bushell : Time for action. Vive Le Rock # 75 – 2020

 

Inside the goldmine - Big Bang

 

Naoh releva subitement la tête. Les oiseaux de nuit avaient arrêté de chanter. Un silence de plomb s’abattit sur les environs. Il sentit monter la peur en lui. Il s’empara de son pieu et se prépara au pire. Il posa une grande pierre plate au dessus des braises pour les protéger. Les autres membres de la tribu sentirent aussi le danger. Les femelles allèrent s’enterrer au fond de la caverne. Naoh entendit une brindille craquer à l’entrée de la caverne. Animal ou cannibale ? Il craignait surtout le tigre aux dents de sabre qui parlait d’une voix d’homme pour tromper la vigilance de ses victimes. Naoh tendait l’oreille. Il claquait des dents. Il redoutait plus que tout ces combats nocturnes. Lors de la dernière attaque de la caverne, un coup de massue tranchante lui avait arraché une jambe. Il dut se fabriquer une béquille sommaire. Son pauvre corps était couvert de cicatrices, la plus spectaculaire étant celle de l’avant-bras droit, un cannibale essayait de lui dévorer le bras pendant qu’il l’éventrait avec un gros silex. Les cannibales pouvaient se montrer plus féroces que les tigres. Ils mangeaient eux aussi leurs victimes vivantes. Puis il y eut des chuchotements. Naoh entendait battre son cœur. Soudain une silhouette surgit dans l’entrée éclairée par la lune. Cannibale ! Les hommes de la tribu se levèrent tous ensemble, terrorisés mais prêts à se battre. D’autres silhouettes se joignirent à la première. Les deux camps s’observaient, figés dans le silence. L’un des inconnus leva les bras au ciel et déclara :

— Ola les gnards ! On passait dans l’secteur, on a vu d’la lumière et on s’est dit p’t-être qu’y vont nous payer un scooop ?

Les hommes poussèrent un gros soupir de soulagement. Naoh déplaça la pierre plate, souffla sur les braises et lança un feu de bienvenue. Il leur fit signe de s’asseoir :

— Vous nous avez foutu les chabada, bande de troncs ! On a un coup d’ratafiac à vous ch’proposer, ça vous dit d’trincouiller ?

— Walhalla, chooper ! C’est quoi ton blazard, gros ?

— Je suis Naoh ! You-youh, Naoh-na-kunne-patte ! Et toi c’est comment ?

— Bang ! Lui, ché mon frangirac Bing et l’aut’ là, c’est Beng, des vrais corniflards !

 

Bang était peut-être l’ancêtre de Bang, un trio de surdoués de Philadelphie. Vu la gueule des trois Bang, c’est même fort probable. Il y a forcément des puces dans la crinière et la barbe de Frank Ferrara, le bassman/chanteur de Bang. Dans un petit book paru en 2018, Lawrence Knorr raconte leur histoire : The Bang Story - From the Basement to the Bright Lights. En fait, le pauvre Knorr n’a pas grand chose à raconter. Le seul intérêt du book est de nous rappeler que dans les early seventies, le circuit du rock américain grouillait littéralement de groupes. Une fois lancés par Capitol, les trois Bang, Frank Ferrara, Frankie Gilcken et Tony Diorio ont côtoyé toute la faune de l’époque, des Three Dog Night à Cactus en passant par Brownsville Station et tout ce que le rock américain comptait de prétendants au titre. Basés à Philly, les trois Bang durent quitter la ville qui était alors en plein boom de Philly Soul. Un groupe qui prétendait sonner comme Sabbath n’avait aucune chance de s’y faire connaître. Ils mirent le cap sur Miami et commencèrent à jouer dans les stades.

Ces mecs ont tout de même réussi à sortir six albums, ce qui n’est pas rien. Le plus connu est sans doute le fameux album sans titre paru en 1972. Cet album fait partie des chefs-d’œuvre des seventies. On le voit dès «Lions Christians», un cut amené au ouuh yeah typique de l’époque et au petit chant plein de hargne à la Ozzy, mais early Sab. Just perfect ! Voix colorée et bonne production. Ils passent au big heavy Sound System avec «The Queen». On note une persistance du chant ozzien et on se régale de l’onctuosité du solo de guitare. Il raconte son histoire de service. So Bizarre. Rien de laborieux, chez Bang, bien au contraire. Ils disposent d’une merveilleuse aisance. Ils dégagent même une sorte de grâce avec un «Come With Me» chargé de son éculé de basse fosse et bien explosé au cymbalum de satrape. Les décollages en solo sont superbes et inspirés, très tiguiliguili et sous tension, comme indisciplinés. La fête se poursuit en B avec «Our Home». Ça reste du prog anglais américanisé. Quel magnifique bouquet de son ! Bang joue un rock savoureux et peut se montrer diablement mélodique. Ils enchaînent avec «Future Shock», joué au riff sévère qui ne plaisante pas. On se repaît de cette belle mélasse hérissée d’électricité aussi râpeuse qu’une peau d’iguanodon. Leur heavyness est attachante, on voit qu’ils visent les sommets du genre. Ils en ont les moyens. Tout aussi superbe, voilà «Questions». Frank Ferrara chante comme un dieu des cavernes. Et ils terminent avec «Postman», beau slab de seventies rock. Pour l’amateur de rock seventies, c’est l’album idéal.

Leur premier album, Death Of A Country, n’est jamais sorti à l’époque. Il fut enregistré au Criteria de Miami par Ron et Howie Albert. Au moment où ils signent leur contrat avec Capitol, ils apprennent que leur premier album dont ils sont si fiers ne sortira pas. Pourquoi ? Capitol jugeait le son trop hard. Il n’est sorti qu’en 2011, sur un petit label spécialisé justement sur le son hard, Rise Above Records. Bon, il faut bien reconnaître que ce n’est pas l’album du siècle. Ils se veulent aventureux et tentent d’imposer un son, c’est plein d’iode et d’électricité, ils sont intègres, ils banguent du Bang. Ils sont marrants et très impliqués, mais leur son va plus sur le prog que sur le heavy rock. Ils partent en mode heavy Bang avec «Life On Ending», mais il n’y a vraiment pas de quoi en faire un fromage. Du son, c’est sûr, mais pas de compos. Ils restent coincés dans l’arrière boutique des seventies, d’où la décision des oies du Capitol.

Leur premier album officiel est donc le Mother/ Bow To The King paru en 1972 sur Capitol. Ils vivent pendant l’enregistrement un petit psychodrame : on demande à Tony Diorio de ne pas jouer et on colle à sa place un autre batteur. Du coup, Tony quitte le groupe et rentre au bercail, écœuré. Ils démarrent sur «Mother» et développent les beaux chevaux vapeur de 1972. Frank Gilcken amène du jeu et son départ en solo impressionne. En fait, Frank Ferrara sonne au chant comme l’early Ozzy, avec cette petite insistance de Birmingham. Ils ont tous les réflexes et connaissent toutes les ficelles de caleçon. Dans «Humble», Gilcken passe de beaux solos abrasifs. Ferrara refait son Ozzy dans «Idealist», il ne lâche pas l’affaire et c’est de bonne guerre, yeah yeah. De l’autre côté, «Feel The Hurt» flirte avec le heavy balladif, c’est même visité par la grâce, ils chargent bien la barcasse de la bangasse, ça joue les prolongations et ça regorge de power. Dans «Tomorrow», on entend les backing singers, elles swinguent ça au sexe pur, elles jivent leur Tomorrow à la black. On les entend encore dans «Bow To The King», elles chantent juste derrière, les filles sont folles, elles explosent la braguette du bow. Avec ce Bow, Bang aurait pu devenir big.

L’année suivante, Capitol leur demande de sonner plus pop. Plus pop ? On leur demande de sonner comme les Raspeberries, de faire de la power-pop. Ils ne sont pas du tout faits pour ça. Le résultat s’appelle Music. On sent un gros malaise dès «Windfair» : cette petite pop faiblarde et plan-plan tourne joliment en rond. Ils tentent de sonner comme les Beatles avec «Don’t Need Nobody» et se mettent à chanter comme des petits branleurs sur «Page Of My Life». Le malaise grandit. Il faut attendre «Exactly Who I Am» pour retrouver la terre ferme. Ils y sonnent exactement comme Badfinger. Leur pop légère et très anglaise impressionne. Les voilà devenus complètement anglophiles avec «Pearl And Her Ladies», une ode aux groupies et l’album devient passionnant avec «Little Boy Blue». C’est un son très confortable, avec du solo à la coule. Dans son book, Knorr raconte que Bang sonne ici comme Big Star - Everything will be ok in the end my friend - C’est excellent. Ils repartent en mode fast Bang avec «Brightness». Ce démon de Gilcken alimente à outrance, il joue même du solo trick au dessus de son track - And all the plans we plan to do - Gilcken joue au fast picking, c’est un sérieux client. Pourquoi diable ce groupe n’a-t-il pas explosé ? Mais l’album ne marche pas et Capitol coule le groupe. À dégager.

Ils se reforment en 1999 pour enregistrer RTZ. Return To Zero sur leur label, Bang Music. Devenus indépendants, ils ne risquent plus rien. Et là, attention, RTZ est un album extraordinaire. On a tout de suite du gros son, les trois Bang ne sont pas là pour rigoler. On les sent parfaitement à l’aise dans leur vieille heavyness pleine d’accents légers. C’est un album très instructif : on y apprend qu’on peut claquer des power chords et rester léger. Le morceau titre est excellent, ambiancier, ils tiennent bien la bavette, Frank Gilcken montre toujours des dispositions à éclairer la nuit avec ses solos. C’est dans «Should I» qu’il excelle par dessus tout. Il est terrific de présence - Good advice/ That’s a start - et il part en vadrouille d’arpèges. L’incroyable bonne santé du big Bang ! Gilcken se balade, il coiffe «Another Time» d’un jeu superbe, il est all over the place avec son jeu dévorant. Ils proposent encore une belle dégelée d’«Here I Go», une pop-rock de bonne encolure, Gilcken est dans tous les coups fourrés, il omniscie en mode kill kill. «Lil’ Joe» sonne comme un cut des Stray Cats, c’est du gros beat rabâcheur extrêmement bien soutenu au pulsatif et Gilcken s’y fourvoie à la note généreuse. Ces mecs tiennent leur son par la barbichette. Ils atteignent une sorte de plénitude. «Be The One» est encore de très haut niveau, chanté au dessus d’une palanquée de gros accords de concorde. Spectaculaire ! Gilcken reste imparable et même flamboyant. C’est incroyable comme leur son a bien évolué. Ils sont brillants au delà de toute expectitude. Dans «Middle Of The Night» - It’s been son long/ Since you been gone - Gilcken passe un solo effaré. Leur aisance les exonère non seulement de tout impôt, mais aussi de toute critique. On sent chez eux une facilité extraordinaire, une maîtrise du son qui dépasse les normes. Il faut les écouter car ils sont bons. Encore de la belle pop atmosphérique avec «Kissing Me», et un «True Love» chanté au sommet du lard fumant. Cet album est un chef-d’œuvre.

Leur dernier album date de 2004 et s’appelle The Maze. Il s’y niche un véritable coup de génie, la reprise de «Bow To The King 2». Gilcken est à la manœuvre pour sept minutes et ça monte vite en puissance, et comme le groupe s’appelle Bang, il est logique que ça explose. C’est blindé aux chœurs de gospel et ça goutte de jus. Ces mecs sont les rois de l’explosivité. Le morceau titre est un heavy blues bien senti, bien foutu, avec des relents mélodiques au coin du bois. Ils tapent leur «Momo Rock» au heavy revienzy. Gilcken veille bien au grain, ne t’inquiète pas. Il profite de «RTZ2» pour envoyer quelques torpilles et ils taillent bien la route avec l’atypique «Popcorn Dreams». Ils refont du Sabbath avec «413» et Frank Ferrara embarque «Eve Of The End» à l’anglaise. Ils renouent avec l’écroulement des falaises de marbre, avec les entractes d’espagnolades, ils disposent de moyens énormes. Ils finissent leur album dans les affres du meilleur power rock américain et gagnent encore en respectabilité.

Signé : Cazengler, Banc (public)

Bang. Mother/ Bow To The King. Capitol Records 1972

Bang. Bang. Capitol Records 1972

Bang. Music. Capitol Records 1973

Bang. RTZ. Return To Zero. Bang Music 2000

Bang. The Maze. Bang Music 2004

Bang. Death Of A Country. Rise Above Relics 2011

Lawrence Knorr. The Bang Story - From the Basement to the Bright Lights. Sunburry Press 2018

 

 

L’avenir du rock

- My soul belongs to the Drugdealer

 

À l’aéroport, l’avenir du rock présente son passeport. L’agent des douanes consulte son écran. Il semble y avoir un problème car il appelle son supérieur.

— Mettez-vous sur le côté en attendant, monsieur, lance l’agent d’un ton sec.

L’avenir du rock se met sur le côté. Le supérieur arrive et l’agent lui tend le passeport.

— Suivez-moi, fait le supérieur d’un ton sec.

L’avenir du rock suit le supérieur. Ils empruntent un couloir et le supérieur le fait entrer dans une pièce.

— Déshabillez-vous. Nous allons procéder à une fouille corporelle.

L’avenir du rock s’exécute. Il a l’habitude.

— Enlevez tout ! Tournez-vous, baissez-vous et toussez !

Au moment où le supérieur approche de l’anus pour l’examiner, l’avenir du rock lâche l’un de ces ignobles pets dont il a le secret.

— Arggghhh ! Espèce de dégueulasse ! Je vais vous coller une prune pour insulte à agent de la force publique dans l’exercice de ses fonctions, vous allez voir !

— Mais je ne vous ai pas insulté. J’ai simplement envie de chier. Dépêchons-nous car je vais chier dans votre bureau ! J’ai le bamboula qui tape au carreau !

Grâce au travail de sape des médias, l’avenir du rock et les drogues sont devenus indissociables. Pourtant, il ne prendrait jamais le risque d’en transporter, mais vous savez comment sont les représentants de l’autorité. Ça ne vole jamais bien haut. Au fond, ce qui amuse le plus l’avenir du rock, c’est l’énorme différence des poins de vue : contrairement aux représentants de l’autorité, il a très haute opinion du Drugdealer.

Aux yeux de Martin Ruddock, Drugdealer fait des vagues avec ses impeccable cinematic Laurel Canyon grooves. Les Shindigers ont vraiment le don des formules chatoyantes ! En fait, le cerveau de Drugdealer s’appelle Michael Collins. Drugdealer est en quelque sorte son Wrecking Crew. Le parallèle s’établit assez vite avec Brian Wilson, car Michael Collins est aussi songwriter et arrangeur. Il cite d’ailleurs comme influence le Sunflower des Beach Boys - I really like ‘Tears In The Morning’ - Quand il n’est pas en Californie, il est au Texas pour bosser avec un autre démon de midi, Tim Presley, le cerveau de White Fence. Pour Drugdealer, Collins s’entoure de sacrés luminaries : Ariel Pink et Natalie Mering of Weyes Blood fame. Il assemble son Wrecking Crew en fonction des cuts.

Une belle énormité se planque dans The End Of Comedy. C’est le morceau titre. Natalie Mering of Weyes Blood fame chante cette complainte pianotée. Elle allume autant que tout le Brill réuni. Elle est d’autant plus balèze que ça joue au piano sec. On imagine que Michael Collins chante la mer de rien de «Sea Of Nothing». Il se prélasse dans le son avec une autorité qui en dit long sur son amour pour les Beatles du White Album. Il va chercher un son out of nowhere et parfaitement séquencé sur les ondes du legendary strut. Cet album est visité par les esprits. «The Real World» sonne comme la pop-song parfaite. Michael Collins fait jouer les mecs habilités, c’est bien foutu, such a psychedelic place, ça vient siffler dans le groove d’air chaud à la Brian Wilson, parmi les magnolias en fleurs. On retrouve Weyes Blood dans «Suddenly». Elle règne sur l’album, elle se prête au jeu de flavor et sait rester à sa place. Et voilà Ariel Pink qui sort des limbes pour chanter «Easy To Forget». Il lalalalate tout ce qu’il peut, avec un son que la prod suit à la trace. Curieux effet. Michael Collins a engagé un flûtiste qui s’en donne à cœur joie dans «Were You Saying Something», mais ça tourne au gag.

Trois ans plus tard paraît un Raw Honey infiniment plus pertinent. On retombe en pleine beatlemania avec «Honey». Oui, Michael Collins est en plein dedans. C’est encore Weyes Blood qui chante cette merveille. Quelle belle présence psychédélique ! S’ensuit un admirable cut de pop lumineuse intitulé «Lonely». Un certain Harley Hill-Richmond chante ce cut pour le moins extraordinaire. On se croirait encore une fois chez Brian Wilson. On monte encore d’un bon cran avec «Lost My Dream». Michael Collins l’explose. Ce mec crée de la magie, le buzz est bien fondé, on est en plein cœur du mythe d’une sunshine pop jouée dans l’ersatz de l’apanage des Alpes, avec tout le son de l’âge d’or. On entend jouer une belle fanfare de poppy groove. Il faut voir comment c’est salué aux trompettes. Collins fait du pur jus de Steely Dan avec «Fools». Il tape dans les vieilles formules gagnantes, avec ce groove qui voyage sous la peau, le vieux groove des jours heureux. Michael Collins cristallise les vieux rêves. Il ne compose que des hits demented, comme le montre encore «If You Don’t Know You Never Will». Il se situe dans l’énergie des Beatles. On ne peut pas écouter un mec comme lui à la légère. Chez lui, tout est extrêmement soupesé dans la balance. Dans «Wild Motion», Michael Long prend un joli solo à la George Harrison. Encore de la pop digne des Beatles avec «London Nightmare», oui, une pop bien enveloppée et tenue au chaud, chantée d’une voix transie d’inspiration.

Signé : Cazengler, Crottedealer

Drugdealer. The End Of Comedy. Weird World 2016

Drugdealer. Raw Honey. Mexican Summer 2019

Martin Ruddock : A taste of honey. Shindig! # 92 - June 2019

 

 

DELPHINE DORA ( I )

Certains, les esprits étroits, pourraient s'étonner qu'après la présentation de ILS la semaine dernière, je m'intéresse cette fois-ci à Delphine Dora. Y aurait paraît-il comme de la dichotomie entre ces deux sortes de musiciens, les premiers provenant des tonnerres du hardcore, et la seconde plutôt, pour filer la métaphore, de La symphonie pastorale de Beethoven, dans ses passages les plus agréablement agrestes... pour employer un mot qui résonnera mal aux oreilles des purs rockers, nous emploierons celui du folk, mais d'un folk qui s'apparenterait pour rester dans les démarches de groupes que nous avons déjà présentés à Forêt Endormie qui n'a pas peur de zieuter du côté de Verlaine ou de Debussy, ou à Stüpor Mentis qui au travers d'un chant lyrique et d'une ambiance gothique, privilégie avant tout la transcription sonore de l'impact poétique de grands textes tel le Prometheus Unbound de Percy Bhisse Shelley.

Delphine Dora est pianiste, elle a une trentaine de disques ou d'enregistrement divers derrière elle, le genre d'Ovni ( objet vibrophonique neuf et inouï ), qui fonce dans l'inconnu, tantôt en solitaire ou à effectif réduit, tantôt en compagnie d'équipages de mutins hétéroclites, elle est exploratrice de contrées étranges et nouvelles, qui allient musique, poésie, peinture, non pas qu'elle soit en recherche d'un art total wagnérien, mais elle ose se lancer en des démarches borderline prêtes à toutes les dérives et à toutes les ambitions.

Nous nous intéressons pour cette première approche à deux de ses enregistrements. Tous deux effectués en 2018, paru cette même année pour le premier et deux ans plus tard pour le second.

EUDAIMON

( Three : Four Records / Avril 2018 )

Delphine Dora : piano, vocals, composition, recording, mixing / Katleen Raine : words

Artwork : Dovile Simonyte, lithuanienne née en 1991, un tour sur son Tumblr s'impose, elle ne possède pas le monde, c'est bien mieux, elle possède son monde à elle, à Elle. La pochette composée pour l'opus est prodigieuse, non pas par l'habileté du graphisme mais par le fait qu'elle est habitée par l'Idée de ce qu'elle a à exprimer. Nous expliquerons davantage dans l'analyse même de l'opus.

Petit cocorico : Delphine Dora est française, elle chante en français mais aussi en anglais et aussi en autre chose ( nous verrons dans la deuxième chronique que nous lui consacrerons ). Pour ce disque la langue de Keats s'impose puisque les paroles sont des poèmes de Katleen Raine poétesse anglaise née en 1908 et morte en 2003.

Delphine Dora : piano, vocals, composition, recording, mixing / Katleen Raine : words

HGA : en toutes lettres Holy Guardian Angel, ne connotez point cet ange gardien sacré avec une vision christique, vous risqueriez de mésinterpétrer le texte de Katleen Raine, cet ange n'écarte pas les dangers qui vous guettent, sa fonction n'est pas de vous maintenir en vie, elle est de vous permettre le passage vers la mort. Dora vous aide à comprendre, quelques touches claires de piano et sa voix joyeuse, doublée avec ce léger décalage qui lui donne cet air naïf et innocent de ritournelle virginale. Gospel allègre qui remercie Dieu, comprendre les Dieux, de lui offrir la mort éternelle. Toutefois Dora n'est pas Raine, elle rajoute quelques notes mélancoliques sur la fin. Who are we : mouvement plus ample, un des poèmes les plus célèbres de Raine, le premier morceau aurait pu laisser croire que Raine professait un nihilisme destructeur. Il n'en est rien. Rien à voir non plus avec les trois questions angoissées de Gauguin : D'où venons-nous, Qui sommes-nous, Où allons-nous ? Raine connaît les réponses, nous venons de la mort, nous sommes des vivants, nous allons vers la mort, rien de terrible, la vie vient de la mort et la mort provient de la vie, c'est un cycle, Platon parlerait de la transmigration des âmes, mais pour Raine, cette explication n'est qu'une image, Dora traduit cela, non pas par des touches noires, non pas par des touches blanches non plus, elle ne croit peut-être pas aux ivoirines qui lui semblent trop bien sonner pour être honnêtes et les touches nocturnes lui font sûrement un peu peur, alors elle se sert des touches grises. Faut être un sacré pianiste pour les trouver sur un clavier, mais c'est justement ce qu'elle est. Honesty : le chant s'élève et chantonne, superposition, l'une qui chante et la même qui parle comme si elle lisait, il y a toujours deux manières d'appréhender la réalité, il semblerait que celle du bas se hausse vers le haut, medley de douceur mais Parménide nous a prévenu, s'il y a deux chemins, l'un n'est que mensonge. The Pythoness : un jeu beaucoup plus lyrique, sont-ce les vapeurs qui montent des abysses ou un Dieu qui descend, des notes qui enjambent le clavier et la voix claire et voilée qui se termine en extase... il est temps de regarder la pochette, si une route monte et si une autre descend, peut-être les deux n'en forment-elles qu'une seule, qui se referme en cercle, mais le serpent ne se mord pas la queue, il s'infiltre autour du corps de la pythonisse, et la femme à son tour devient serpent, sa chevelure ondoie dans l'infini, elle est celle qui permet au cercle de se fermer et de s'ouvrir, est-elle le symbole du poëte, et n'est-elle pas aussi Dora Delphine qui par son piano revisite le mythe de l'omphalos de Delphes sis dans le temple d'Apollon pythien... Not in time : nous ne reviendrons pas dans ce temps puisque nous y reviendrons toujours, et si nous y revenons toujours nous y restons éternellement, Dora joue à l'institutrice, elle prononce lentement les mots, elle sait qu'ils sont difficiles à comprendre, ses doigts claquent sur l'ivoire, toujours cette seconde voix qui essaie de faire passer la difficulté, sans y parvenir vraiment, comment faire admettre que la partie contient le tout. Qu'un fragment de temps englobe l'éternité. No-where : une procession qui passe, la voix portée en avant tel le foc du voilier gonflé par l'alizé, des notes qui brillent comme si les étoiles avaient refusé de s'éteindre le jour venu, et puis le tout s'en va et disparaît, comment voulez-vous que cela reste, s'il n'y a plus de temps il n'y a plus d'espace, car celui-ci n'est qu'un point sur lequel il n'y a pas assez d'espace pour que l'on puisse s'arrêter. Retour à la transmigration platonicienne. The wilderness : le piano ronronne en majeur, mais la voix ne suit pas, elle reste en arrière, elle est comme écrasée par l'ampleur sauvage de la nature, l'on dirait qu'elle se parle à elle-même. De toutes les manières elle ne connaît pas les réponses. Âme perdue dans l'immensité du monde, Raine est entrée enfant en poésie grâce à son père qui était un amateur de Wordsworth, le poëte anglais de la nature panthéïque radieuse. Lorsque l'on grandit l'on a du mal à perpétuer l'enseignement de ses parents, l'on essaie de creuser par soi-même et au fond du trou on ne trouve pratiquement rien, un point qui dure une seconde. The sphere : une voix fragile mais sereine, des notes qui s'égouttent telle la rosée qui tombe de l'herbe, l'infiniment petit est aussi l'infiniment grand, tout est question de perspective, il faut savoir regarder et comprendre que tout instant est éternel, l'homme est une particule qui zigzague sans fin entre la mort et la vie. Eudaimon : le morceau charnière, sur la crête entre deux abîmes, un des plus courts, il est difficile de garder l'équilibre, la voix de Dora est emplie de sérénité, le chant est une ballerine à petits pas sur le fil tendu. Il est deux façon d'entendre le mot Eudaimon, est-ce un immortel heureux ou un homme heureux qu'un immortel fasse attention à lui, dans les deux cas, vue d'en bas l'homme côtoie les Dieux, vue depuis d'en haut l'immortel côtoie le mortel, pour bien comprendre il faut faire un pas, quitter l'exil de l'âme platonicienne qui après d'innombrables réincarnations, grâce à la transmigration, atteint enfin le royaume rayonnant et contemplatif des idées, ou alors prendre l'ascenseur ultra rapide plotinien qui permet à l'âme individuelle par une succession d'ascèses et d'extases de pénétrer dans la sphère du divin, le mortel se métamorphosant en immortel... Kathleen Raine a beaucoup étudié les néo-platoniciens, autrement dit elle a été une auto-initiée... Proclus, le dernier d'entre eux a ainsi sauvé l'historialité du paganisme interdit par le christianisme en le hissant dans la pointe ultime et diamantine de l'île des Bienheureux. D'où les Dieux préparent leur retour. On a deserted shore : si les dieux se sont retirés, le monde n'est plus qu'une rêve déserté, Raine symbolise cette absence par un chagrin amoureux, l'amant est inatteignable, le morceau est pratiquement parlé, car le chant se tait, chandelle de désespoir soufflée par un vent mauvais, et le piano lui-même éparpille ses notes dans le silence, mais la plainte reprend en mineur, la bougie de l'être est éteinte, mais se consume encore celle du non-être. Lament : la voix comme une brise qui se complaît dans sa solitude, piano cahin-caha, regardons autrement, toute complainte lamentable comporte sa beauté, encore une fois le chant s'arrête au milieu du gué, il se reprend sans rien demander au monde. Toute chose ne se suffit-elle pas à elle-même. La plus atroce, la plus cruelle, la plus insipide n'est-elle pas une parcelle d'absolu. Death's country : chant de victoire, rythme martial, le soleil se lève à l'orient de tout chagrin, finirait-il dans la mort, n'a-t-il pas atteint le pays de la renaissance. La mort n'est pas un terminus, juste un passage vers la vie. Fire : plénitude de la destruction, deux voix qui s'exhaussent, retour au mythe stoïcien de l'éternel retour, s'il n'a pas de fin il n'y aura pas de retour, sinon notre vie n'est qu'un ensemble de préceptes moraux. Moraline a dit Nietzsche. Pour que l'aurore brûle elle doit être ardente. Déflagration cosmique. The invisible kingdom : la voix et le piano comme un baume, un des poèmes les plus célèbres de Raine, le Royaume invisible n'est pas au bout de la route, il est lui-même la route, la mort est présente dans la vie, elle n'arrive jamais par hasard malheureux, ou par accident stupide, elle est constitutive de la vie, rien de plus facile que d'atteindre l'autre rive, sur n'importe lequel des rivages où vous vous trouvez. La différence n'est pas bien grande, elle est même infime, Rilke exprimera cela d'une façon bien plus percutante en disant que l'ange ne sait s'il passe parmi les morts ou les vivants. Lily of the valley : printanier et virginal, chant d'oiseau, une ronde enfantine de jeunes filles ces brins de muguet qui embaument si fort la vie, qui embaument si fort la mort. Words : le dit d'Hamlet, des mots, des mots, des mots, en tant que vanités humaines, mais aussi mots de démarches poétiques, mots de poésie, beaucoup d'angoisse et de douceur, la voix délaisse les mots et vocalise, les mots ne sont-ils que des passerelles trouées lancées au-dessus des abîmes entre les hommes et les humains, entre les mortels et les immortels. Des cercles de cellophane d'où peut surgir à tout moment le tigre de la réalité ou de la panthère de la poésie. The unloved : sans amour, sans forme à donner au monde, chuchotis de piano qui marque davantage les espaces de son silence, lecture à deux voix pour se donner courage, toutefois le chemin de solitude traverse le monde comme tous les autres chemins. Last things : les dernières choses sont aussi les premières, appui de clavier et la voix qui prend le devant de la scène, s'infléchit bientôt dans le jardin du monde, s'apaise et le piano ronronne comme la bouilloire sur le feu, incessantes mutations de climats, l'on change sans arrêt de sentiment, d'attitude, l'impression de se regarder dans une glace et de s'essayer à être soi en modifiant les rides du sourire de notre visage, n'est-ce pas illusoire, de vouloir se figer en soi-même, les dernières choses sont aussi les premières, aussi vaines, nous déambulons dans le monde comme en nous-mêmes, le paradis est notre pays, il est inutile de pleurer.

Une voix souvent doublée et décalée au mixage, des notes égrenées, qui tombent tels des petits pois écossés dans l'assiette, c'est tout. Pas d'éclats. La poésie de Katleen Raine en ressort mise à nue, dévêtue de sa prosodie classique, du folk si vous voulez mais dépourvu de ses facilités populaires, point de refrain, juste des sentiers qui se perdent un peu et se continuent on ne sait comment. Cet album est un miracle de grâce qui confine à la poésie la plus pure.

EUDAIMON II

( Three : Four Records / Octobre 2020 )

Delphine Dora : piano, vocals, composition, recording, mixing / Katleen Raine : words

Ce n'est pas une suite. Un vinyle ou un CD offrent des capacités limitées. Pour le disque précédent il a fallu faire un choix parmi les trente morceaux enregistrés, Maxime Guitton s'est chargé de cette tâche, l'on peut comprendre comment il l'a élaboré. La première partie d' Eudaimon regroupe des poèmes que l'on définira comme théoriques, contemplatifs et philosophiques, la deuxième partie délaisse un tantinet ces aperçus métaphysiques et se rapproche du vécu individuel du poëte, il n'est pas toujours aisé de faire coïncider sa vie avec ses idées, surtout lorsque celles-ci ne vous traversent pas la tête, mais s'apparentent à des formes immuables, extérieures à votre situation dans le monde.

La couverture de cet album est moins percutante que celle d' Eudaimon. Une photographie de Delphine Dora de pied, dans une forêt, prise de loin. Des sapins derrière elle, sur sa gauche s'élève un énorme tas de rondin, preuve que l'exploration forestière bat son plan. Nous refuserons l'interprétation écologique sur l'empreinte carbone. Nous préférons y voir cette proximité entre la vie et la mort qui est au fondement de la poésie de Katleen Raine. Une photo plus subtile qu'elle en a l'air. Doit en exister quelques millions de semblables par le monde. Oui, mais il faut savoir lire entre les arbres.

The traveller : quel est ce voyageur, si ce n'est un ange qui marche dans la forêt du monde, pour une fois Dora chante vraiment, une mélodie à pleine voix mais discrète, le piano quant à lui accompagne, il ne se permet aucun commentaire dissident, l'en est dissuadé par la ferveur du timbre, non pas une prière, mais un dialogue, peut-être mieux : une entente. The presence : plein-chant, discret certes mais présent, sans quoi comment être au plus près de cette présence, de cette autre rive, de ce pays où l'on arrive toujours, de ce royaume invisible qui ressemble tant au royaume près de la mer où repose Anabel Lee. La gravité du propos impose la sourdine au piano, le chant l'efface et l'annule. Azrael : piano funèbre, Azrael est l'ange de la mort, le morceau est arrangé comme un requiem, ici Delphine Dora se confronte à la vision de Katleen Raine, une reine trop froide selon elle, Delphine conquise et fascinée mais peu encline à souscrire à de telles vues. Elle jette un regard mélancolique sur la beauté du monde qui rebondit sur les touches de l'instrument. Night though : voix blanche et piano ralenti, Dora est entrée dans le corridor du monde, ce n'est pas le monde qui a changé mais elle qui perçoit sous son écorce chamarrée une couleur plus sombre intimement mêlée à l'apparence des choses, mais invisible, le rythme ralentit, n'est plus qu'une légère couche de neige froide sur laquelle il faudra bien s'aventurer, quoique le danger ne soit pas bien grand. Invocation : une certaine sérénité, car toute invocation repose sur un espoir, presque un chœur de demandantes, une voix se détache et la musique se brise, tout repart plus assuré, car l'on peut invoquer sans avoir une ferme volonté d'être exaucée, terrible solitude dans ce morceau malgré la surmultiplication des voix. The world : piano évanescent, au contraire de la voix qui affirme la vanité du monde, que rien ne reste, que tout bouge, tout tremble, tout change, qu'il est nécessaire d'en prendre son parti et mettre ses actes en accord avec sa vision tremblante du monde. Two invocations of death : la pièce la plus longue du disque, située à l'exact milieu, l'instant décisif, presque gaie dans sa première partie, l'on ne s'attend pas à ce chant folâtre, mais peu à peu la gravité du propos impose un certain trouble, l'hésitation est surmontée, le rythme est ralenti mais avance sûrement, une touche noire enfoncée, et les pas progressent toujours, rien n'arrêtera celle qui marche, elle entre dans la zone d'ombre éclairée par sa seule volonté, elle s'éloigne dans la nuit, est-elle celle qui marche ou est-ce un ange qui s'approche. Spell of sleep : notes cristallines et chant pointu, venus du plus profond, le tout accompagné d'une voix de récitante creuse et comme désincarnée, si l'on traverse les états du sommeil, l'on voyage aussi dans les degrés de l'être. Plus loin que le rêve. Spell against sorrow : hantise orphique qui descend sans fin sans espoir de retour, des notes de piano cassantes qui brisent les oreilles, est-ce le prix à payer pour atteindre l'autre rive, pour effacer tout ce que l'on laisse et connaître la Joy : chuchotements, elle n'est pas éclatante, elle claudique dans d'obscurs souterrains, de la voûte du piano tombent des notes qui s'écrasent avec des reflets d'eau lustrale. Isis wandered : Isis errante à la recherche si vous voulez du sexe d'Osiris mais pour Raine d'une plus grande compréhension du monde, sous toutes ses formes, de l'étrange acceptation des bêtes et de la tranquillité paisible des arbres, ceci pour une rive, et pour l'autre cet eudaimon incompréhensible qui nous pousse et nous devance sur l'autre rive, sur l'autre rêve d'un embrassement, d'un embrasement total, car si la nuit est égale au jour notre insatisfaction émerveillée est partout la même. Purify : nous sommes passés par des siècles de purification intense, l'écorce de notre chair a enfanté un autre cercle et puis s'est dégradée jusqu'à ce nous soyons ombre translucide dans le royaume invisible. Nocturne : un tel titre sied à un pianiste, mais Delphine Dora ne chopine pas, elle est partisane d'une musique qui se décharne, qui se déquasme, qui se tait. La nuit se fait. Silence.

Eudaimon II est très différent d'Eudaimon ( I ). L'on comprend les choix de Maxime Guitton. Il a privilégié pour le premier opus, les morceaux qui retraçaient et explicitaient l'itinéraire poétique de Katleen Raine. Mais si Delphine Dora a tenu à collecter ce deuxième volume, c'est parce qu'elle a compris que ce premier opus ne révélait que la face claire, acceptable pour un large public de la poëtesse, mais qu'il en existait une autre plus sombre, qui conte par bribes essaimées dans ses recueils, ce que selon Nerval l'on appelle la traversée de l'Achéron. Dans les deux sens. Cycle orphique que chantera Rilke. Reste encore à s'interroger sur cette notion de présence chère à William Butler Yeats, dont Katleen Raine fut une fervente admiratrice. Pour ceux qui suivent certaines de nos chroniques, Yeats fut membre et même Grand Maître ( entre 1901 et 1903 ) de La Golden Dawn qui compta parmi ses membres Aleister Crowley... Pour ma part je rajouterais que si vous écrivez Eudaimon, Eudaïmon, vous n'êtes euphoniquement pas très loin de L'Endymion de Keats. Ce sont les vers que Percy Bhysse Schelley composa pour la mort de Keats que lut Mick Jagger au concert de Hyde Park en adieu à Brian Jones. Le monde est plus petit que l'on ne pense, même si certaines de ses sentes sont obscures.

L'INATTINGIBLE

( Three : Four Records / Février 2020 )

L'Inattingible est une œuvre à part dans la discographie de Delphine Dora. Nous n'avons pu résister à l'intégrer à la présentation des deux précédentes...

Très beau titre, ce n'est pas l'intangible que l'on ne peut pas toucher, le mot enjambe la marque infamante de notre inaptitude, de notre incomplétude, il nous porte dans cette chose qui nous est inatteignable, nous transporte dans sa nature même, dans sa constituvité même, qui est justement d'être inattingible. Pochette : puits d'ombre encadré de blanc. Trois cercles concentriques, en cœur de cible Delphine Dora au piano, deux margelles exentriques, jeu de l'oie de photographies, cases d'affects et de symboles, séparées d'un mince trait blanc. Elle est de Marie-Douce St Jacques. Artiste canadienne multidisciplinaire. Une démarche formelle qui interroge la perfection à laquelle, selon différents médiums artistiques, elle peut atteindre, le pronom ''elle'' représentant autant elle-même, que la démarche elle-même, que la perfection elle-même. Plus abstraitement je dirais qu'elle cherche à transformer le signe qui ne peut-être entrevu que par certains en une forme que tout un chacun peut percevoir. Ce qui ne signifie pas comprendre.

Question instrumentation, ce n'est plus le piano dépouillé d'Eudaimon, l'orchestration oscille entre classique évanescent et noise discret.

L'horizon inconnu : entrée organique, bouquet de voix inaudibles, Dora est au piano, elle parle avec ce débit que l'on adopte pour avouer une faute, ou un état d'âme ou un désir d'absolu inavouable à la commune humanité, l'on saisit les mots plus qu'on ne les entend, arabesques de violons, un synthé joue à l'orgue de cathédrale, le morceau est si court qu'il paraît rapide, sensation augmentée par la richesse orchestrative, l'appel de l'horizon n'est pas une ligne qui se dérobe, mais une profusion englobante. Les sensations enfouies : vibrionnant, une montée en flèche aussi aigüe que la voix pointue qui monte, un son qui fuzze et bientôt le morceau se teint d'une splendeur tibétaine, chœurs de moines en prière, la recherche intérieure décroît et s'achève au crépuscule du soir. Songe : ( paroles extraites d'un poème de Pierre Jean Jouve ) bruit de porte qui se referme, suivi d'une espèce d'accompagnement qui imiterait un orgue de barbarie qui se détracte, qui se rétracte en un sifflement contigu, Dora récite un extrait de Noces de Pierre Jean Jouve, pas le poëte le plus joyeux de la poésie française, pour qui la seule ligne d'horizon de l'homme est la mort. L'avenir s'étend restreint :flûte agreste, comptine enfantine, aux paroles trop graves pour des enfants, soulignées par un bourdon incessant, qui se distend et vous a de ces soubresauts de reptile dont la colonne vertébrale est brisée. Ma voix vacille : une voix perdue dans la tourmente des éléments, si jeune, si pure, mais des accords graves de cuivres et de guivres aggravent le message, imaginez un jazz ( le titre le plus long du disque ) sous perfusion, qui essaie de retrouver la conscience par des éclats de clarinette, ce morceau ressemble à une procession pour une descente au tombeau, plainte amère étouffée par l'incommensurable. Vers l'impatience promesse : perles de pianos, magnifique drapé orchestral, en contrepoint Dora à la voix étouffée, mais tout se désagrège, la musique ne survit pas à la négativité de l'impatience, une face cachée de nos échecs. L'ombre de nos silences : bruit de sitar, clinquance indienne, échos de chœurs, Dora récapitule toutes ses déceptions, ce qui n'a pas tenu ses promesses, toutes nos compromissions. Rien ne sert de rejeter la faute sur les autres. L'ombre de nos silences parle pour nous. Loin : trop loin, et lent très lent, l'orgue déroule ses arpèges à la manière d'un tapis de pourpre, voix de clarté, lente et dogmatique, doucereuse et articulée, car toute vérité est bonne à dire, il ne s'agit plus de regarder à l'extérieur de soi mais de porter les yeux vers ce qui se cache, au fond des cieux et au fond de soi, s'il est loin l'Inattingible hulule, une chouette dans la nuit, que l'on ne voit pas, qui effraie, dont les yeux fermés fascinent. L'inexploré : quelques notes qui frottent et miaulent, le temps de la confession est venu, la musique gémit et se tord, les révélations de Dora n'apportent aucune quiétude, la pensée est impuissante à saisir le monde, une percussion tapote comme elle peut, la musique est à l'image de l'oiseau à l'aile brisée qui essaie de s'envoler, sans y réussir. Lumière aveugle II : pluie et ruissellement, ce n'est pas la lumière qui est aveugle, c'est ceux qui ne savent pas la voir, un violoncelle sonne le glas de nos impuissances. Pas de parole, le chant s'est tu, comment parler de ce que que l'on ne voit pas. Ivre et serpentée : serpentin de notes joyeuses, vent charmeur de serpents, retour non pas aux sensations mais aux sens, être la chair de soi-même, si le soi est soi, il devient l'autre, bouquet de fleurs du mal, le serpent entrelacé rampe sur la rampe. L'utopie du renouveau : froissements, tintanibulements, éclats d'orfèvres, morceau maelström, vertige de se perdre, tambour indiens d'Amérique, les mots s'égarent dans les ferveurs des découvertes, un accordéon au soufflet cassé, au centre du vortex dans lequel on s'est laissé couler, il n'y a rien qui ne soit inattingible. Lumière aveugle III : instrumental tamisé, un fleuve qui charrie les âmes des morts, une flûte s'essaie à un solo, mangé par les clameurs sourdes des souffrances emportées qui s'exaltent, roulent en cascade et disparaissent, faute de mieux. Dans la torpeur du lacunaire : piano, silence entre les notes comme interstices dans les pensées, du passé et de l'impuissance du présent à aller de l'avant, il ne reste plus qu'à s'en remettre au plaisir des corps d'avant, l'accompagnement se fait langoureux, pour finir par dérailler, s'étreindre et puis s'éteindre. Rien n'est parfait. Métamorphose déracinée : comprendre que ce qui précède n'était qu'une image du travail de l'esprit à vouloir penser l'inattingible, de cette difficulté à percer le mur, la mince cloison qui sépare et incite. Musique vermisseau qui se trémousse sur le plancher des illusions perdues. Lumière aveugle IV : voix comme des sanglots d'impuissance sur un tissu orchestral qui se déchire, lumière infranchissable pourriture affirmait Joe Bousquet, cris de répulsion. Mes rêves inondés : plongées de bassons mortuaire, Dora dresse le bilan de son existence, négatif, elle n'a jamais atteint ce sentiment de plénitude recherchée ou attendue, sa seule bouée de sauvetage reste la musique, une vie parallèle à la sienne. Elle se tait et la musique s'entasse sur elle-même, un ramassis de débris qui n'augurent rien de bon. Lumière aveugle I : une flûte un tantinet faunesque, l'on sait comment se termine le poème, le faune fatigué du réel se recouche pour revenir à son songe. Dans l'absence : Dora revit la situation mallarméenne, à l'envers, si le morceau précédent débutait comme Debussy et se terminait sur du Miles Davis celui-ci sonne beaucoup plus contemporain, quoi de plus concrète qu'une absence quand on y songe, un charmeur de serpent ne sait plus s'il est le charmeur ou le serpent. Devant l'inexplicable : musique tremblée, comme décollée d'elle même, comme le regret d'un sentiment perdu, nos échecs existentiels sont-ils entés sur notre blessure fondamentale de n'avoir jamais pu approcher cette perte terrifique qui nous renvoie à nous, car nous sommes le principal obstacle à la réalisation de nos désirs. La musique semble se noyer en elle-même. Tu me résistes à l'abandon : voix aérienne, complainte du tutoiement, amère, mélancolique, ironique, élégie éligible du retournement, de l'erreur acquise, l'inattingible n'est pas au loin, là-haut, inaccessible, il est à l'intérieur, tout aussi loin, tout aussi inaccessible, mais en nous, nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous, peut-être es-tu, comme moi, peut-être es-tu l'inattingible, qui ne peut s'atteindre lui-même. Musique de fête foraine. Deux manèges qui tournent ne se rencontrent jamais.

L'Inattingible est une œuvre cime dans la discographie de Delphine Dora. L'opus reste marqué par la poésie de Katleen Raine, il est à lire en tant que réponse doranienne à la vision poétique rainienne. Cela est davantage visible dans les morceaux du début, ce n'est qu'après que Dora développe ses propres vues. Ce n'est pas un hasard si Dora s'est chargée de l'écriture des textes... quant à la musique elle est l'aboutissement de tout un parcours créatif. Il est le fruit d'un long désir. C'est un chef-d'œuvre qui reste difficile d'accès. Dune richesse musicale extrême que nous n'avons qu'à peine évoquée dans notre chronique, nous contentant d'en définir un parcours idéographique. Qu'il soit clair que nous avons essayé d'en donner une sorte de transcription nôtre, qui ne vise à aucune objectivité critique, réservée à notre propre usage.

La composition et l'enregistrement, fragmentés sur une dizaine de pays, s'étalent sur une seule année, ils oscillent sans cesse entre improvisation et fixation, entre écriture solitaire et mise en forme collective. Elle risque de désarçonner les fans de rock purs et durs et d'intriguer les amateurs de jazz. Elle emprunte au classique, au noise et à l'électro. Ce n'est ni du rock, ni du jazz, mais elle possède à sa manière la virulence du premier et la subtilité du second. Quoi qu'il en soit pour voler un mot à Baudelaire, nous affirmons qu'il s'agit d'une œuvre phare.

Participants à l'aventure : Aby Wulliamy / Paulo Chagas / Valérie Leclerc / Adam Cadell / Gayle Brogan / Susan Matthews / Andrea-Jane Comell / Marie-Douce St Jacques / Caity Shaffer / Taralie Peterson / Sylvia Hallett / Laura Naukkarinem / Tom James Scott / Jackie McDowell. ( + instruments hétéroclites. )

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

UNE TENEBREUSE AFFAIRE

EPISODE 06

UNE NUIT EFFROYABLE ( Part 2 )

Un frisson parcourut les échines. Il y eut un silence, une voix tremblotante s'éleva :

_ Mais comment savez-vous cela ?

_ C'est une longue et étonnante histoire, nous avons encore un peu de temps, je laisse à l'agent Chad, le soin de vous la raconter, du moins le début, pendant ce temps je me permettrais de fumer un Coronado si personne n'y voit d'objection.

Tous les regards se tournaient vers moi, j'avoue qu'à la vue des yeux fiévreux de toutes ces jeunes filles fixés sur mes lèvres j'éprouvais une pointe jouissive de fierté, mais un agent du SSR surmonte facilement ses pulsions sexuelles, fussent-elles de celles que le commun des mortels décrivent comme irrésistibles. Je m'éclaircis la voix :

_ Sans doute avez vous lu d'Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires – il y eut un murmure d'approbation – les plus férus d'entre vous se seront jetés sur Vingt Ans Après, quelques oui s'élevèrent, les plus courageux auront continué par la fin de la trilogie Le vicomte de Bragelonne – silence absolu – je ne vous résumerai pas ces trois romans de cape et d'épée aux intrigues tourbillonnantes, là n'est pas la question, il y a quelques années de cela le Chef qui est un amateur d'Alexandre Dumas, farfouille dans un carton de documents non classés du fonds Dumas de la Bibliothèque Nationale. Mais avant que le Chef n'entame un nouveau Coronado, peut-être voudra-t-il nous conter lui-même son étrange découverte.

_ Certainement, agent Chad, toutefois je puis fumer un Coronado en vous faisant part de ma trouvaille – le Chef prit le temps d'inhaler une bouffée de fumée, je le soupçonne d'avoir voulu faire durer le plaisir - une vulgaire feuille de papier dans une enveloppe froissée que personne n'a eu la curiosité de lire, espérons-le, depuis plus d'un siècle, elle est d'Auguste Maquet, je rappelle qu'il fut un collaborateur de Dumas, certains lui attribuent la rédaction complète des Trois Mousquetaires, mais ceci n'est pas de notre ressort. La lettre est adressée à un certain Lemoyne, au ton employé par Maquet l'on devine un ami cher capable d'accueillir un épouvantable secret sans le divulguer. Le Chef prit le temps d'exhaler une dizaine de nuages de fumée aussi moutonneux qu'un cumulus nimbus.

Dans le silence attentif qui accompagna cette respiration peu écologique rejetant à elle seule plus de carbone qu'une centrale au charbon, éclata brusquement le terrible grondement de Molossa, immédiatement suivi de celui plus pointu de Molossito. Tout le monde sursauta, le groupe se disloqua quelque peu, il y eut des cris et des imprécations, Joël accompagnés de quatre garçons courut vers sa voiture, ils en revinrent les bras chargés d'une quarantaine de manches de pioches, tout le monde se munit sans rechigner d'un de ces joujoux contondants, sauf le Chef qui déclara que lorsque l'on avait en main un Coronado, l'on détenait l'arme absolue, son impassibilité raffermit le courage de toute la bande

_ Il n'est que minuit moins-le-quart, nous avons un quart d'heure avant que l'horreur ne se déchaîne, notez que les chiens ont senti quelque chose mais que maintenant ils se recouchés aux pieds de leur maître, j'ai juste le temps de terminer mon histoire. A son ami qui lui adresse ses compliments en insistant sur la complexité de l'intrigue qui tient le lecteur en haleine, Maquet le met en garde, les trois romans sont codés, l'histoire qu'ils racontent n'a rien à voir avec les règnes de Louis XIII et de Louis XIV, elle n'est que la transcription d'une antique conjuration dite de l'Ibis Rouge !

A peine avait-il prononcé ces derniers mots qu'une lueur d'un rouge purpural illumina le haut de la colline. Dans les secondes d'ahurissement et le silence médusé qui suivirent, l'on entendit le Chef murmurer :

_ Nous y sommes, en plein dans le cul de l'ibis !

LA NUIT DE L'IBIS ROUGE

En quelques instants la lueur purpurale avait pris la forme d'un immense ibis rouge, d'une quarantaine de mètres de hauteur, brutalement s'en détacha l'ombre de Charlie Watts, aussi haute qu'une maison de deux étages, elle se dirigeait vers nous à vive allure, malgré nos objurgations, notre troupe s'éparpilla, seuls Joël, Françoise et Framboise et une certaine Noémie restèrent près de nous, n'ayez pas peur nous ne craignons rien dit le Chef, pour les autres je n'en dirais pas autant.

A une dizaine de mètres l'ombre de Charlie s'arrêta, elle diminua jusqu'à reprendre la taille exacte de l'ancien batteur des Stones, toujours le même sourire désinvolte flottait sur ses lèvres, d'une de ses poches il tira une tête d'ibis rouge au long bec de métal effilé, tranchant comme un rasoir, qu'il emmancha sur sa tête, sur ses flancs poussèrent rapidement deux ailes de plumes qui lui permirent de voleter de ci de là. Par bonds successifs il se précipita sur les étudiants dispersés, sans pitié, méthodiquement il plantait son bec dans le corps des jeunes gens qu'il transperçait ou cisaillait cruellement sans regret. Lorsqu'il eut fini sa macabre besogne, il revint vers nous, les yeux illuminés d'une stridence rouge insoutenable, n'ayez pas peur, nous ne craignons rien répéta le Chef, il avait raison, Charlie se tenait à trois mètres de nous, mais il n'osait avancer, Molossa et Molossito étaient pendus à chacune des jambes de son pantalon et tiraient comme des diables sur le tissu qui commençait à se déchirer. Brusquement il se retourna et entreprit de remonter la colline. Son ombre s'effaça en quelques instants, ainsi que celle de l'ibis géant qui disparut.

_ Charlie a toujours été soigneux, un peu dandy, il n'a pas supporté que notre courageuse brigade canine s'en prenne à son costume, proposa Joël

_ Pas du tout répondit le Chef, il a eu peur de mourir.

EXTRAITS DE LA REPUBLIQUE DU CENTRE

plus de vingt mille personnes étaient massées devant la tribune que le personnel de la municipalité avait installé avec diligence. Le préfet se leva de son siège et lorsqu'il vint prendre place devant le micro, l'on sentit l'émotion sourdre de cette foule immobile et silencieuse. Ce fut une allocution digne et pathétique, les limougeois se souviendront jusqu'à la fin des temps, de ce discours qu'il faudra un jour graver en lettres de bronze sur un monument, nous recopions quelques passages, par exemple celui-ci où désignant du doigt les vingt-sept cercueils drapés du docteur national alignés en arc de cercle au bas de la tribune, il s'écria : '' Les voici nos vingt-sept enfants, filles et garçons fauchés dans l'âge d'or de leur jeunesse, des êtres à qui l'avenir souriait, ils étaient partis pour ramasser des champignons en compagnie de leur professeur et ils ont récolté la mort. Nous avons ce matin recueilli leurs corps sans vie, près du Bois du Pendu. Nous les pleurons, de tout notre cœur, nous joignons nos larmes à celle de leurs parents, de leurs proches, de leurs amis...'' à ce moment-là la police municipale dut intervenir pour empêcher une dizaine de mères de nos chères victimes de se se lamenter sur le cercueil de leurs enfants, il fallut utiliser les matraques et les gaz lacrymogènes pour dissuader ces malheureuses d'étreindre de leurs bras le bois des cercueils, mais il était temps que tous apprennent les circonstances exactes de cette tragédie '' ...que s'est-il passé au juste, les six rescapés de cette nuit de terreur nous l'ont raconté, ils étaient tous regroupés en train de discuter de littérature du dix-neuvième siècle, lorsque dans le noir de la nuit, sur un fond de nuages rouges sans doute dû au halo de la lune rousse surgit une ombre armée d'un long coutelas, un serial killer qui occit pas moins de nos vingt-sept enfants, ô nuit sanglante, ô nuit rouge de sang, ô nuit de meurtre, ô nuit de carnage, ceux qui prirent peur et s'éparpillèrent périrent, seules les trois plus sages, qui avaient su rester près de leur professeur et de ses deux accompagnateurs, ont survécu... je demande à nos trois éducateurs et à nos trois rescapées qui eurent la présence d'esprit d'écouter les sages recommandations des adultes de se lever... '' ce fut un moment grandiose, nos six héros se levèrent et au nom du Président du Sénat qui mène la barque de l'Etat en attendant les prochaines élections, notre Préfet, empli de la dignité de sa charge, leur octroya la Légion d'Honneur, l'émouvante et brève cérémonie terminée, la fanfare municipale joua la Marseillaise que la foule reprit en chœur, seule note discordante deux chiens vraisemblablement abandonnés qui s'étaient glissés on ne sait comment parmi les rangs officiels, se mirent à aboyer rageusement. Mais monsieur le Préfet n'y prit pas garde et reprit son homélie '' … ces vingt-sept crimes ne resteront pas impunis, nous connaissons le nom de l'assassin, un certain Charlie Watts, évidemment un étranger car un français n'aurait jamais pu commettre un pareil forfait, lâchement en fuite, mais un indice permettra à toutes les polices nationales bien aimées de l'arrêter rapidement, les bas de son pantalon sont déchirés... '' un frémissement parcourut l'assistance, chacun se penchait discrètement pour vérifier l'état des pantalons de son voisin ''... Limougeoises et Limougeois, mes chères et chers concitoyens, je vous en fais la promesse solennelle : aujourd'hui nous avons connu le crime, demain Charlie Watts connaîtra le châtiment ! Vive Limoges ! Vive le Département ! Vive la France !... '' La foule s'est dispersée lentement le cœur rasséréné par les paroles marquées du sceau de la vérité et l'intonation mâle et virile de notre Préfet.

Une bien belle cérémonie, toutefois nous regrettons que Monsieur le Préfet se soit brûlé en embrassant un des deux éducateurs, celui-ci visiblement émotionné et troublé avait oublié de retirer de sa bouche son cigare, un Coronado reconnaissable à sa bague d'or. A tel point que parfois dans le milieu des grands fumeurs de havanes, certains le surnomment El Coronador.

A suivre...

03/11/2021

KR'TNT ! 528 : ROD STEWART / ROCK HARDI / GRYS-GRYS / ALICE CLARK / ILS / ROLLING STONES / CRIUM DELIRIUM / ROCKAMBOLESQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 528

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

04 / 11 / 2021

 

ROD STEWART / ROCK HARDI / GRYS-GRYS

ALICE CLARK / ILS / ROLLING STONES

CRIUM DELIRIUM / ROCKAMBOLESQUES

TEXTES+ PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Hot Rod - Part One

Tous les gens qui ont vécu les sixties et les seventies aux premières loges ont dans leur cœur une petite place pour Rod Stewart. Son passage dans le Jeff Beck Group fit pas mal d’étincelles. Il amena ensuite les Faces au tout premier rang de l’aristocratie du rock britannique et enregistra en parallèle une série d’albums solo - the Mercury albums - qui ont marqué certaines mémoires au fer rouge. Bon alors après, ça se gâte terriblement, puisqu’il s’en va faire fortune aux États-Unis, perdant au passage toute sa crédibilité de British rocker. C’est dingue comme ses fans lui en voulaient à l’époque, même John Peel lui en voulait, alors t’as qu’à voir. Mais ça n’empêchait pas les plus fidèles d’entre-nous de laisser traîner une oreille, car quand même, Rod The Mod avait ce qu’on appelle une voix, et on espérait secrètement son retour aux affaires, mais pas celles de l’immonde période diskö, non, celles de l’amateur de grosses compos. En gros, il a connu le même destin qu’Elvis : un gâchis extraordinaire de talent à des fins d’enrichissement personnel. Mais si on lit son autobio, l’animal s’avoue volontiers convaincu d’avoir eu raison de vendre son âme. D’ailleurs, chaque fois qu’il est confronté à une situation compromettante, il s’arrange pour la retourner à son avantage, et c’est chaque fois un peu limite. Mais bon, c’est Rod. Il a tous les droits, même celui de nous prendre pour des cons.

Prenons un exemple : tout le monde lui a craché dessus durant l’époque diskö-pants de «Da Ya Think I’m Sexy». Pour se justifier de ce désastre, il cite les ventes, des millions d’exemplaires vendus à travers le monde, les plus grosses ventes de sa ‘carrière’. Voilà le travail. Il en déduit que si ça plaît à des millions de gens, ça veut dire que c’est pas si mal after all. Il pratique cet art dialectique typiquement anglais qu’on appelle le cynisme. Ah tu m’accuses de ceci ou de cela, eh bien je vais te dire gentiment pourquoi tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude, my friend. Il est même un grand spécialiste de cette tournure d’esprit, car évidemment, il ne supporte pas la moindre critique, surtout depuis que la reine l’a décoré. L’autre épisode puant dont il tente de se justifier est bien sûr celui de la fin des Faces. Plonk Lane l’avait flairé depuis longtemps, il voyait bien que ce pingre de Rod gardait pour lui ses meilleures compos - the Mercury albums - et comme Plonk n’avait pas digéré la trahison de Steve Marriott, il se méfiait de Rod comme de la peste. Au point de finir par quitter les Faces. Mais Rod est la réincarnation d’un renard, car il rejette la faute sur Woody, sans l’accuser directement, mais bon, vous savez, Woody jouait déjà avec les Stones, et ça n’est un secret pour personne, oui, oui, Woody était fait pour jouer dans les Stones, alors vous comprenez, sans Woody, les Faces n’avaient plus de sens, et donc voilà, direction Hollywood after all. Et puis vous savez, le climat là-bas, c’est pas pareil, vous avez le soleil. L’épisode le plus glauque est celui du old fart, c’est-à-dire le vieux pet. C’est ainsi que Johnny Rotten le surnommait dans une émission en 1977 - En 1977, Johnny Rotten called me an old fart. Not to my face, mais dans une émission de British télévision. J’avais 32 ans, donc je n’étais pas si vieux que ça. Et je n’étais pas non plus un pet, si vous voulez mon avis, et vous pouvez vérifier quand vous voulez - Il faut dire que Rod avait provoqué les punks en déclarant dans le NME : «There are no fucking safety pins falling of me.» Ce qui, ajoute-t-il, était provoquant, et c’était l’intention. Il se sort de cette histoire déplorable avec deux pirouettes : la première en rappelant qu’il était numéro 1 dans les charts anglais avec «I Don’t Want To Talk About It», juste devant «God Save The Queen». Le problème c’est que tout le monde se rappelle de God Save et pas de ton single, Rod. Deuxième pirouette : il rend hommage au mouvement punk : «Je ne dis pas que le punk m’a appris des choses, musicalement. Très peu, en fait. J’aimais l’attitude, le côté ‘vas-y et joue’. D’une certaine façon, c’était dans l’esprit des Faces. Mais pas la musique. La musique que j’aimais était la Soul, le rythm’n’blues, le folk, avec un peu de rock’n’roll pour faire bonne mesure. En même temps, le punk ramenait aux réalités. Il y avait tout à coup une poche de résistance. Il y avait un défi, un vrai public, un public très bruyant.»

Sacré Rod, il faut voir comme il embobine le lecteur. Comme il embobinait toutes ses gonzesses, car en gros, il a passé sa vie à draguer des grandes blondes, à les épouser et à les tromper aussitôt, et chaque fois, il trouve la bonne excuse pour se justifier, un truc du genre ‘oh la la je ne suis vraiment pas fait pour le mariage’. Tout ça pour dire que la deuxième partie de son autobio est un vrai calvaire, car Rod ne parle quasiment plus de musique, seulement de ses mariages et de ses divorces à répétition, le tout mélangé à des piscines et à des voitures de sport. Autant dire que ça pue, mais il est important de savoir que ça existe. Toujours la même histoire. Tant qu’on ne sait pas tout, on ne sait rien. Et l’histoire d’un mec comme Rod est une histoire importante qui encore une fois, jette un éclairage sur un destin comparable à celui d’Elvis. Disons pour simplifier qu’il s’agit à la fois d’un suicide artistique doublé d’une fantastique réussite commerciale. On vit dans ce monde, il est grand temps d’en prendre conscience.

L’autobio est entrelardée de courts paragraphes qu’il appelle Digressions. Les thèmes en sont ses passions, comme par exemple les trains électriques, l’art de se coiffer ou encore les voitures de sport. On a chaque fois tout le détail. Il est un peu l’inventeur avec Ginger Baker de cette imagerie de la rock star roulant dans Londres en Lamborghini. Dès qu’il a des sous, Rod craque. Il va s’acheter un bolide. Quand il signe son solo deal avec Mercury, il récupère 1.300 £, le prix d’une brand-new yellow twin-seater Marcos sports car. En 1964, il avait économisé sou à sou pour s’acheter une MG Midget (£430, précise-t-il), mais son père lui avait chipé ses sous pour payer une facture. Puis en 1968, il fit ce qu’il appelle le grand bond en avant avec a white Triumph Spitfire. Après la Marcos jaune du solo deal, il passe à une autre Marcos : a 2500 Ford V6 in silver grey - They were all the go in those days - Et en 1971, alors que l’argent coule à flots avec son solo deal, il se paye sa première Lamborghini : a Muria S - This Muria was a considerable investment: £6,500. Pensez qu’une maison comme celle que j’ai achetée à Muswell Hill valait à cette époque £5,000. My car valait donc plus cher que my house - Peu de temps après, il se paye une white Rolls-Royce, just for the heck of it. Quand en 1971, après le succès de «Maggie May», il s’installe à Windsor, il se paye une Lamborghini Espada. Après, ajoute-t-il, il y a eu deux ou trois autres Murias - Jeff Beck ricanait à propos de mes Lambos et de mes Ferraris. Il préférait les hot rods qu’il montait lui-même. Je les trouvais assez laids, avec ces gros pneus stupides à l’arrière et des gros pots d’échappement. Give me a Lambo, any day - Puis il part s’installer aux États-Unis et après avoir hésité pour une Corvette, il opte pour a Shelby Cobra. Il a aussi roulé en Porsche, mais au fond de son cœur, il préférait les Italian cars, for the beauty of them. En 2002, il sa paye une Enzo Ferrari pour rouler en Angleterre. Il adore rouler dans Londres en Ferrari. Il se paye ensuite une Ferrari Testarossa, une red Lamborghini Diablo et en 2009 a pale-blue Murciélago. Il précise un peu plus loin que sa passion était contagieuse, car lorsque les Faces ont signé avec Warner Bros., ils ont tous acheté des sports cars : «Ronnie bought a silver Mercedes 190SL, Kenny an MGA, Woody a red Jaguar and Mac a Triumph TR6.» Voilà, comme ça on sait tout.

Globalement, Rod suit la chronologie de sa mythologie. Il flashe sur Dylan en 1962 - Which is when I got to hear Bob Dylan’s first album. Now that really did move the earth - Il ajoute que cet album ne lui a pas seulement ouvert un horizon, il lui a dessiné son horizon - No other album has worked on me this way since - On comprend mieux pourquoi Rod a passé sa vie à truffer ses albums de reprises de Dylan. Puis il flashe sur Long John Baldry - un grand blond avec une voix énorme, un homme terriblement séduisant. Il avait du charisme à revendre et une énorme présence scénique. Il avait 23 ans quand je l’ai rencontré, juste cinq ans de plus que moi. Il s’exprimait à la perfection et il était toujours très bien habillé, il portait souvent a silver sharkskin three button suit with high-heeled boots - Comme des rumeurs circulent sur sa relation avec Baldry, Rod s’en sort avec une nouvelle pirouette : «C’était aussi un prodigieux buveur de vodka et un pratiquant invétéré de ce qu’il appelait the madness, ce qui était le nom de code pour des actes stupides in the name of fun. Il était aussi gay, et il m’a fallu du temps pour comprendre ce que ça voulait dire.» Il raconte ensuite qu’il s’est souvent retrouvé seul avec Baldry qui sortait de la douche avec une serviette nouée autour des reins, ou même parfois rien du tout - And this didn’t even register to me to my naiveté, as a signal - Plus loin, il se tire encore d’un mauvais pas avec Elton John : une photo les montre tous les deux à poil, mais dans des baignoires séparées, pas dans la même baignoire, il ne faut pas déconner. Baldry, c’est donc l’époque Hoochie Coochie Men, puis The Steampacket the first British Supergroup, un coup monté par Giorgio Gomelski autour de Long John Baldry, avec Brian Auger, Julie Driscoll et un Rod the Mod encore débutant. Julie Driscoll nous dit Rod travaillait alors pour Giorgio : elle ouvrait le fan mail des Yardbirds. Elle avait 18 ans et se disait passionnée de Motown. L’album de Steampacket est sorti sur le label du gros Giorgio en 1970, soit cinq ans après la bataille. Il présente un intérêt purement anecdotique et bien sûr les fans de Long John Baldry l’ont harponné au passage, pour l’entendre shouter sa fantastique version de «Cry Me A River». C’est Brian Auger qui ouvre le bal d’A avec «Back At The Chicken Shack», un big shuffle typique de l’early Trinity. Ricky Brown et Mickey Waller composent la section rythmique, mais c’est Vic Briggs à la guitare jazz qui vole le show. On l’entend encore faire des siennes dans le «The Inn-Crowd» qui suit et Rod the Mod vient duetter avec Jools dans «Baby Take Me». Il monte ensuite au créneau pour une version bien soulful de «Can I Get A Witness». Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire.

Rod profite de l’épisode Steampacket pour évoquer Sam Cooke : «Sam Cooke était devenu le real deal pour moi à cette époque, notamment deux albums, Night Beat (1963) et Sam Cooke At The Copa (1964).» Le groupe a duré un an - And we looked great, dressed to the nines, a complete fashion parade, on imagine le travail. Quand il est viré du groupe au terme d’un séjour à Saint-Trop, Rod monte Shotgun Express avec Peter Bardens et Beryl Mardsen, a gutsy singer from Liverpool. Il précise aussi que le guitariste s’appelait Peter Green et le batteur Mick Fleetwood.

Il touche enfin la terre ferme avec Jeff Beck. Enfin presque ferme, car les choses ne sont pas aussi simples qu’il y paraît - On a dit que je haïssais Jeff Beck, mais ce n’est pas vrai, ni pendant les deux ans et demi du Jeff Beck Group, ni depuis. Il y eut c’est vrai des périodes pendant lesquelles on devait faire des efforts pour se supporter. Le Jeff Beck que j’avais rencontré au Cromwellian était un type sérieux, très self-conscious et parfois assez brutal. Il pouvait être distant, mais à cette époque, il était déjà une rock star, ce que je comprenais. Nous allions former un groupe ensemble, son groupe, mais il y avait deux front-men, aussi existait-t-il une petite rivalité. On se respectait, c’est sûr, moi pour son jeu de guitare et lui pour ma voix et on savait qu’ensemble we could produce music that was pretty extraordinary - Pretty extraordinary ? C’est une évidence. Encore une fois, le Jeff Beck Group de Truth et de Beck-Ola est l’un des meilleurs groupes qui ait jamais vu le jour en Angleterre. Led Zep n’a jamais pu se hisser à leur niveau. Puis Rod entre dans le détail de la genèse et ce sont les pages les plus fascinantes de son autobio. Il rappelle que Jeff Beck voulait Jet Harris et Viv Prince comme section rythmique - Harris looked great, he had a big peroxyde hairdo, mais il était encore en convalescence après un accident de voiture, et il avait quelques problèmes avec l’alcool. Le jeu de batterie de Viv Prince faisait passer Keith Moon pour un conservateur. Jeff disait vouloir un hooligan à la batterie et Prince collait parfaitement, peut-être même un peu trop, d’ailleurs. On répétait dans une pièce au dessus du pub Prince of Wales on Warren Street et après une demi-heure de jam en mode twelve-bat blues, Jeff décida que ça n’allait pas et il les vira tous les deux - Rod finit par ramener son vieux copain Mickey Waller qui jouait avec lui dans Steampacket. Truth nous dit Rod fut enregistré en mai 68 à Abbey Road, en deux sessions de deux jours. Rod avoue que le Jeff Beck Group aurait pu devenir aussi énorme que Led Zep, qui, précise-t-il bénéficiait d’un gros avantage : des compos originales. Le Jeff Beck Group a tourné cinq fois aux États-Unis, où ils avaient bâti leur réputation, sur les traces des Yardbirds. Mais l’argent se fait rare. Mickie Most et Peter Grant managent Jeff Beck et donc le Jeff Beck Group. Un comptable nommé Derek Nibb verse des salaires de misère à Rod et Woody. Quand ils viennent voir Nibb le matin pour empocher leur salaire, Nibb les fait parfois poireauter jusque dans l’après-midi. Et puis en 69, Jeff Beck vire Woody, sous prétexte qu’il passe son temps à se plaindre et c’est la fin des haricots.

Grâce à cette expérience, Rod avait réussi à trouver son équilibre artistique, à avoir confiance dans sa voix, à s’approprier les chansons, une confiance qui avait grandi au cours de la période Long John Baldry et qui s’était cristallisée avec le Jeff Beck Group. Il savait alors qu’il avait un style à part, ce qu’il appelle distinctiveness.

Il entre ensuite dans la période des Mercury albums. À cette époque, Mickey Waller joue dans Steamhammer et quand Rod les voit sur scène, il flashe sur les deux guitaristes, Martin Pugh et Martin Quittenton. Ce sont eux qu’on entend sur les Mercury albums. Ils enregistrent le premier album en un peu plus d’une semaine. Il ressort «Man Of Constant Sorrow» du premier album de Bob Dylan et flashe sur l’«Handbags & Gladrags» que Mike d’Abo a promis à Chris Farlowe. Mais Rod insiste tellement qu’il finit par l’obtenir. Puis c’est Gasoline Alley et Every Picture Tells A Story, qui sera délogé de la tête des charts par l’Imagine de John Lennon. Côté ventes, Bridge Over Troubled Waters sera le seul album à surpasser Every Picture Tells A Story. Et bien sûr, Rod indique que «Maggie May» grimpe tout de suite en tête des charts, avant d’être délogé par «My Sweet Lord». Il est assez fier du niveau de ces mises en concurrence.

En parallèle démarre le wild ride des Faces avec Woody et les trois rescapés des Small Faces. Rod commence par raconter la fin, chacun voyage séparément et séjourne dans des hôtels différents, et chaque fois qu’ils s’adressent la parole, ça explose - But while it worked - God it was brillant! - Rod règle ses comptes avec Jag à qui il pose la question un jour de 1974 dans une party - Me: «Are you going to nick Woody from us?», Mick: «I would never do that.» - Mais les dés étaient jetés. Et quand Ronnie Lane quitte les Faces, Woody et Rod ont concluent qu’ils ont perdu le moteur du groupe. Avec Mac, Rod n’est jamais à l’aise. Il pense que des trois rescapés des Small Faces, Mac est le plus traumatisé, et il n’accorde pas sa confiance à Rod, the bloody singer. Mais bon le groupe fait comme dit Rod du good-time rock’n’roll. C’est leur slopiness qui les rend vulnérables et d’une certaine façon, entertaining. Rod avoue que les Faces utilisaient les fringues et l’alcool pour masquer leur manque d’assurance. Comme ils ne répétaient pas assez, ils préféraient monter bourrés sur scène, comme ça au moins, il n’y avait pas de problème. Rod rappelle aussi qu’au temps des Faces, le prog se répandait en Angleterre et il voyait les Faces comme l’antidote à ce poison de synthés et de mock-symphonies.

Pour l’illustration sonore de l’épisode Faces, on peut s’écouter un Rod Stewart & The Faces Live In London paru en 2007. Les Faces y font feu de tout bois, ils sonnent comme une grosse bécane, sans doute la plus grosse bécane de l’histoire du rock anglais. Avec «Take A Look At The Guy» on est en terrain connu. Seuls les Faces peuvent claquer des boogies aussi ravageurs. Ils chauffent leur «Sweet Little Rock’n’Roller» à blanc. On ne peut pas imaginer plus blanc que ce blanc-là. Rod the Mod adore aussi se vautrer dans le Rather Go Blind, et les Faces redoublent de facéties. On le sait, les Faces sont des facétieux. Ils sortent une monstrueuse version d’«Angel». Woody en fait trop, c’est dommage. Quand on a un chanteur comme Rod à côté, on le laisse chanter. Et le stade chante avec lui. Avec «I Can Feel The Time», on sent l’énergie d’un groupe in full flight. Puis ils font tout sauter avec «You Wear It Well». Ce fantastique shouter rentre dans le lard du Wear it well et l’apothéose s’ensuit avec «Maggie May», le hit anglais par excellence, en ce temps-là. La foule connaît les paroles de Maggie, alors c’est elle qui chante le premier couplet - It’s late september/ And I should be back at school - Version mythique - I know I keep you amused but I feel I’m being used/ Oh Maggie I couldn’t have tried any more - On avait tous ces paroles en mémoire à l’époque, avec celles de «Jumping Jack Flash» et d’«All Along The Watchtower». Dommage que cet abruti de Woody la ramène, il brise le charme. Quant aux quatre albums officiels des Faces, ils sont épluchés dans l’hommage à Woody mis en ligne en janvier dernier sur KRTNT.

Côté dope, Rod ne rentre pas trop dans le détail. Ce n’est pas Johnny Thunders. Allez, un peu de coke au temps des Faces. Il en prend parce que bien sûr elle est gratuite. Par contre, Rod ne fume pas, il a peur d’esquinter sa voix - Cocaine was best of all - Quand avec Woody ils s’aperçoivent qu’ils ont des trous dans la paroi nasale, il se fabriquent des suppositoires de coke - Bingo, on a découvert que ça fonctionnait très bien - Il nous suffisait d’aller dans la salle de bains and insert the required medication French-style, via the Harris - Puis quand il se marie avec Dee, il devient un peu parano et interdit la dope à la maison, à cause des descentes de police qui devenaient de plus en plus fréquentes to poor old Keith Richards. Mais globalement, Rod veille toujours à garder le contrôle. Il ne veut pas se retrouver legless or face down and comatose. Vers la fin du book, il avoue qu’il n’a jamais acheté un seul gramme de coke. On le savait radin, mais pas à ce point. Même quand il veut payer un verre, c’est impossible, car il y a toujours quelqu’un qui veut lui en payer un.

C’est pendant qu’il vit avec Dee, de 1971 à 1975, qu’il change de mode de vie : «Maggie May» fait de lui une superstar. Il se retrouve au centre de l’attention, comme il dit. Il relate aussi un épisode bizarre qui se déroule au Tramp en 1977 : il relève un défi adressé par Keith Moon : booze and coke all nite long - Moon was always dangerous - Mais bien sûr Rod ne tient pas. Moon l’entraîne ensuite chez Woody, puis dans une party où ils ne sont pas invités et enfin chez lui à Chertsey et là Rod dit stop, ce qui fout Moony en pétard : «You fucking ponce, Stewart. Come back here and finish what you started.»

Rod s’arrête parfois devant son miroir pour faire le point : «God, j’adorais mon job à cette époque, et je l’adore toujours. Qui n’aimerait pas être une rock star ? Surtout dans les années 70. J’avais fait mon apprentissage dans les sixties et j’ai connu la consécration dans les seventies, une époque où tout était entièrement nouveau et surprenant. Personne n’avait vécu ça avant nous.» Rod s’installe aux États-Unis et redémarre avec Atlantic Crossing. Tom Dowd trouve que les Faces ne sont pas assez bons pour jouer sur les cuts que veut enregistrer Rod et propose les MGs à la place. C’est là qu’il entame sa période d’américanisation. Il perd tout son cachet de rocker anglais. Il perd aussi tous ses fans anglais. Il le sait puisqu’il en parle. Il évoque aussi tous les albums pourris qu’il enregistre à la suite, avec des chansons que lui impose la maison de disques - I was beginning to think of myself as entirely a voice to hire - Jusqu’au moment où il réussit à redresser la barre grâce à Clive Davis qui est le seul à trouver intéressante l’idée du Great American Songbook, à une condition : ramener le son des grandes orchestrations. Rod va en faire cinq volumes, sur lesquels on reviendra dans un Part Two. Car ces cinq volumes sont d’une certaine façon la cerise sur le gâtö.

Avec simplement deux boxes et si on manque de place, on peut faire le tour du propriétaire : Rod Stewart - Reasons To Believe: The Complete Mercury Studio Recordings et surtout The Rod Stewart Sessions 1971-1998 qui date de 2009. La deuxième box propose carrément quatre CDs de versions inédites des grands classiques du hot Rod. Ça commence par une early version de «Maggie May». Il se carapate vite fait dans la couenne de sa mélodie. Ce hit n’a rien perdu de sa grandeur totémique, surtout pour les adolescents qui montaient à Londres en stop et qui entendaient Maggie May dans les bagnoles. Tiré des sessions de Never A Dull Moment, voilà une early version d’«Italian Girls», co-écrit avec Woody. C’est le full blown des Faces, à l’âge d’or du rock anglais. C’est déjà très ouvragé, à tous les niveaux. On retrouve l’énergie du chant dans une alternate de «Lost Paraguayos», Quittenton gratte sa gratte et la basse entre dans la danse. Tiré de la même session, voilà «I’d Rather Go Blind» chanté au sommet du lard suprême. La beauté du chant n’en finit plus de subjuguer. S’ensuit une version fantastique d’«Angel», avec Woody in tow. Hendrix toi-même ! Dès qu’il ouvre le bec, Rod te fend le cœur. Il installe le rock anglais dans la lumière mythologique d’un espace préraphaélite. Les cuts tirés des sessions semblent toujours sonner mieux que ceux des albums, ils sont plus raw, moins lisses. Tiré des sessions de Smiler, voilà «Farewell» monté sur le modèle de Maggie May. Puis Rod the Mod rend hommage à Dylan avec «Girl From The North Country». Pas de meilleur hommage sur le marché. C’est écrasant de verdeur fanatique. Il est chaque fois au mieux de l’interprétation, comme le montre encore sa reprise du «You Make Me Feel Like A Natural Man» composé par Goffin & King pour Aretha. Il est fabuleusement juste. Immense artiste. Trop facile d’aller le critiquer. Il faut l’écouter chanter. Puis on entre dans la période Atlantic Crossing. Il enregistre une partie des cuts à Miami et l’autre à Muscle Shoals. Il chante avec un feeling écœurant. Le big cut est bien sûr «Tonight’s The Night», le hit absolu. Avec le disk II, on entre dans la période résolument américaine et Rod va y perdre des plumes. «Rosie» est enregistré à Los Angeles avec, entre autres, Steve Cropper et Carmine Appice. C’est autre chose. Rod fait le show tout seul. Il essaye de recycler son factory wall en Amérique, mais ça ne marche pas. Derrière lui, on sent la grosse équipe. Trop grosse. On perd la finesse de Mickey Waller. Rod continue de vouloir faire du boogie («Hot Legs»), mais c’est du boogie en plastique. C’est un peu comme si les musiciens américains tournaient le boogie des Faces en dérision. Rod redevient un chanteur d’exception lorsqu’il chante seul en s’accompagnant à l’acou : «You’re In My Heart». Il reprend de l’altitude avec «I Was Only Joking» - I’m not different alfter all - Hot Rod is back. Encore une merveille avec «Scarred & Scared», il dispose du même pouvoir que Dylan pour pousser une mélodie vers le firmament. Il se montre encore déchirant d’insistance avec cette reprise de Frankie Miller, «When I’m Away From You». Heureusement, tout n’est pas bon dans cette période d’américanisation. Quand il n’a plus de bonne chanson à se mettre sous la dent, il peut devenir pénible. Sa version du «Maybe Baby» de Buddy Holly est de toute évidence l’une des plus belles. Dans les pattes de Rod, ça devient énorme. Retour fracassant au vieux boogie avec «I Guess I’ll Always Love You». Il démarre son disk III avec un «Thunderbird» tiré des sessions de Tonight I’m Yours. Il se croit tout permis, même de faire du gospel. Le pire, c’est que c’est excellent, yeah yeah. Puis il s’enfonce dans le raunch de Los Angeles. Aucun des musiciens n’est connu. Terminé le temps de Jeff Beck et de Woody. Rod joue avec des pros de studio et ça s’entend, même si la voix est toujours là - Dancing alone - Mais quel chanteur ! Les pros de studio essayent de sonner comme des Anglais. Rod chante «Sweet Surrender» comme un dieu, il faut bien se rendre à l’évidence. Tout est superbe dans cette box, dès qu’il ouvre le bec, Rod est magnifique. Comment un mec peut-il être aussi doué ? Il fait le show, quoi qu’il arrive, il chante tout à l’arrache subliminale. Dans «Heaven», il ne reste plus que la voix. On n’écoute même plus ce que font les autres, derrière. Sur le disk IV, on trouve deux hommages à Bob Dylan : «The Groom’s Still Waiting At The Altar» et «This Wheels On Fire». Il enrichit sa fascination pour en faire du heavy dylanex. Cette box est de la dynamite. Le Wheels on Fire est tellement puissant qu’il donne la chair de poule. Rod le tape au heavy grrove. On tombe aussi sur le vieux hit de Python Lee Jackson, «In A Broken Dream», mais dans une version réactualisée. Seul un mec comme Rod peut allumer ça, alors il l’allume au power pur, comme il allume Dylan - Everyday I spend my time/ Feeling fine/ Drinking wine - Voilà le génie de Rod The Mod, il en rajoute, il lève ses petites tempêtes, il sort là une version dévastatrice. Il charge tous ses balladifs à l’extrême, comme le montre encore «Kiss Her For Me». Ça finit toujours par devenir extraordinaire. On tombe plus loin sur un «On And On» assez puissant, Rod prend feu. Il reprend aussi le «Rocking Chair» de Noel Gallagher et un cut de Paul Weller qui s’appelle «The Changing Man». Quel mélange ! Rod fout le feu partout.

L’autre box permet de faire le tour de l’époque Mercury qui est sans doute la plus intéressante après celle du Jeff Beck Group. Rod Stewart - Reasons To Believe: The Complete Mercury Studio Recordings regroupe sur trois CDs les cinq albums avec lesquels Rod The Mod a démarré sa carrière solo, en parallèle avec sa carrière dans les Faces. Vu d’avion, on est bien obligé de parler de carrière, mais en 1969, Rod The Mod se contentait encore de chanter et il fallait le voir taper dans la Stonesy avec «Street Fighting Man», il le cramait d’entrée, il le prenait à la Rod, droit dans l’œil, le sol vibrait, les Stones rêvaient sans doute de swinguer aussi bien, ça jouait derrière aux accords déconstruits, mais Rod chantait ça dans l’os du jambon, shhhh, il envoyait la Stonesy rôtir en enfer, il tournait Jag, Keef et le rock’n’roll band à la broche, il faisait de «Street Fighting Man» une sorte de version définitive. Voilà pourquoi on le prenait au sérieux. Oh cette façon qu’il avait d’attaquer ses vieux cuts, avec «Blind Prayer» il incendiait la nuit. Il était le brasero du rock anglais, ce que confirmait encore cette version somptueuse de «Handbags & Gladrags» qui rivalisait de power surnaturel avec celle de Chris Farlowe. Il pouvait aussi taper le boogie à l’anglaise («An Old Raincoat Will Never Let You Down»), puisqu’il avait Woody on bass et Mickey Waller au beurre. Ils restaient dans la foulée de Truth et de Beck Ola qui font partie des joyaux de la couronne d’Angleterre. Il fallait aussi le voir enflammer le lament de «Cindy’s Lament», un vrai killer, et ça repartait de plus belle avec Gasoline Alley, un album tout aussi impressionnant, avec cette version d’«It’s All Over Now» amenée à la déboulade de platform boots et chantée d’une voix de roi du rock, c’était tout simplement imparable d’I used to love her/ But it’s all over now. Rod The Mod était déjà devenu un artiste extraordinaire. Il rendait hommage aux Small Faces avec sa vision de «My Way Of Giving», pur jus de British Mythology. Il rendait un peu plus loin un autre hommage, cette fois à Eddie Cochran, avec «Cut Across Shorty», il lui rentrait dans le lard et le Shorty prenait feu aussitôt. Comme Jerry Lee, Rod The Mod travaillait toutes ses chansons au corps pour se les approprier. Et puis on arrivait à une sorte de sommet de l’art avec Every Picture Tells A Story, il devenait à la fois roi du rock et roi d’Angleterre, il fracassait des slowahs comme «Seems Like A Long Time» ou «Amazing Grace» et on glissait doucement jusqu’à «Maggie May», le hit de non-retour, le hit broyeur de cœur, l’overdose de nostalgie, l’Angleterre éternelle de notre adolescence, le plus puissant de tous les hits, le wake up magique du late september, fantastique swagger du rock de Rod, il le balançait au Rod island de Maggie, et ça montait encore d’un cran avec «Mandoline Wind» d’une pureté sans égale, il lançait ses mandolines et les frissons ravageaient tout, mais ça allait encore monter d’un cran avec l’«(I Know) I’m Losing You» des Tempts, il tapait cette fois dans le gros lard, il retrouvait les climats cataclysmiques de Beck Ola, il explosait son losing you et en livrait une mouture insurpassable. Avec Never A Dull Moment, il donnait l’impression de se calmer, mais «Lost Paraguayos» intriguait par son aisance instrumentale, ces guitares espagnoles donnaient le vertige, il semblait que tout, jusqu’à la moindre note, était hissé au sommet de l’art. Qui mieux que Rod the Mod pouvait cultiver l’insoutenable légèreté de l’être ? Il roulait son «Italian Girls» dans une farine de Stonesy, il chantait ça à la volée de bois vert et attaquait son hommage hendrixien («Angel») au raunch pur. Il semblait être en quête d’éternité, ce qui est la clé de la métaphysique de l’art. Avec «I’d Rather Go Blind», il fabriquait l’archétype du heavy blues de Soul, jamais aucun blanc n’avait chanté comme ça. Il attaquait Smiler avec un gros clin d’œil à Chuck, «Sweet Little Rock’n’Roller», c’est là qu’on entendait aboyer Zak, le chien de Mickey Waller et la machine infernale se mettait en route, par de meilleur shoot de down home boogie down, on avait là le boogie anglais dans toute sa magnificence, hyper-chanté, hyper-joué, Rod et ses amis battaient bien sûr les Stones à plates coutures, il bouclait toutes ses phrases au ollah, comme un matador. Il retrouvait son aura de boss absolu avec «Sailor», il explosait aussi Sam Cooke avec «Bring It On Home To Me», non seulement il l’explosait, mais il le magnifiait, il se marrait en plein couplet, bring out your sweet lovin’, il avait tous les pouvoirs, en plus du pouvoir royal, il disposait des pouvoirs du mage. Et puis comme dans toutes les boxes, il y a quelques bonus pour lesquels on se damnerait, du genre «You Put Something Better Inside Me» ou encore «Every Time We Say Goodbye».

Voici quelques temps paraissait dans Uncut une interview assez pointue de celui que Michael Bonner appelle the rock’s most celebrated playboy. Rod y rappelle qu’il a beaucoup aimé l’argent et la célébrité - Who wouldn’t? - Il répond ça à chaque fois, comme si au fond il avait un peu honte d’avoir tellement frimé. Mais bon, il n’est pas le dernier à rappeler qu’il a les moyens de sa frime. Et comme il aime bien rappeler qu’il n’est en fait qu’un fils de North London plumber parvenu au sommet, Bonner s’en émeut. Rod n’aurait donc que peu d’estime de lui-même ? Allons allons, calme-toi, Bonner. Un Bonner qui poursuit sur sa lancée et qui a sans doute lu l’autobio, car il révèle que Rod est construit sur deux valeurs, la famille et le foot. Il oublie le blé. On voit bien qu’il tente d’assainir la réputation de Rod. Il va lui falloir douze pages pour ça, et ce n’est pas gagné. Après la famille et le foot, arrive Dylan. Oui, on le sait, un Bonner n’arrive jamais seul. Le problème c’est que Bonner amène Dylan comme une caution intellectuelle. Rod évoque le first Dylan album qu’il écoutait night and day, mais il avoue s’être ennuyé quand il a vu Dylan sur scène. Il met d’ailleurs dans le même sac Van Morrison, qui passe deux heures sur scène sans lever la tête. Rod va même jusqu’à avouer que ses filles auxquelles il avait payé des places pour voir Van étaient sur leurs portables au bout de deux cuts. Et il nous refait le coup de la pirouette : «But he is great, so is Bob.» Comme il n’a pas fait d’études, Rod avoue avoir appris l’art d’écrire des chansons en écoutant du folk. Bonner le branche sur le Jeff Beck Group et les tournées américaines, et là ce frimeur de Rod raconte qu’il étaient meilleurs que Sly & The Family Stone - gave them a run for their money - et il ajoute : «We blew the Grateful Dead way off the stage.» Bonner tend ensuite une perche grosse comme une poutre à Rod à propos de Led Zep qui leur a volé leur thunder. Et Rod avoue que c’est vrai, Jeff Beck le vivait mal, Jimmy Page, John Paul Jones et Robert Plant venaient les voir jouer sur scène et prenaient des notes. Pour Rod l’explication est simple : «We had the same manager, Peter Grant. Prick he was.» Ce gros malin de Bonner branche Rod sur l’album que Robert Plant et Alisson Krauss ont enregistré ensemble, Raising Sand. Alors, oui Rod aimerait trouver la girl pour duetter sur du stripped down comme ça - Bonnie Raitt would be great - Il y pense. Chaque chose en son temps, mon bon Bonner. Rod rappelle dans la foulée qu’il a vendu 27 millions de Great American Songbook, alors t’as qu’à voir ! Quand Bonner prend l’exemple de Ronnie Lane qui a fini sa vie dans une caravane, Rod dit que oui, la caravane ça plaisait à Ronnie, mais lui il préfère avoir ses quatre baraques : une à Hollywood, une en Floride, une à Londres et une autre dans le Sud de la France. C’est tout Rod. Il ajoute que tout ça est destiné à ses gosses et qu’il a bâti cette fortune uniquement avec sa voix. Et il n’en finit plus dit-il de trouver ça amazing.

Signé : Cazengler, Rote tout court

Rod Stewart. Reasons To Believe: The Complete Mercury Studio Recordings. Mercury 2002

The Rod Stewart Sessions 1971-1998. Warner Bros. Records 2009

Rod Stewart & The Faces Live In London. Immortal 2007

Rock Generation Vol. 6. The Steampacket. BYG Records 1970

Michael Bonner : Never A Dull Moment. Uncut # 250 - September 2018

Rod. The Autobiography. Century 2013

 

Rock Hardi moussaillon ! - Part Two

Fanzine libre et autonome, Rock Hardi continue son petit bonhomme de chemin, va de ferme en château, chante pour du pain, chante pour de l’eau, Rock Hardi est heureux et libre enfin.

Le point d’orgue du 58 est sans aucun doute l’interview d’Alain Feydri qui ne nous apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà de sa modestie, de son refus du piédestal, de cette façon qu’il a rejeter les lauriers sur les autres, de son horreur des compromissions et de sa sainte constance contestataire, avec tout le décorum qu’il faut, surtout lorsqu’il évoque le Figaro et les rockers sombrés dans la beaufitude. On profite pleinement de ces six pages et de cette faconde périgourdine pas si éloignée du long fleuve tranquille de sa prose, une prose qui ne veut pas dire son nom et qui fait bien entendu le charme discret de son Bourgeois Blues. Lorsqu’il évoque ses anciennes admirations, il ressort les noms d’Alain Dister, de Jean-Noël Coghe, de Jocelyne Boursier, des noms avalés par l’oubli, et puis bien sûr Garnier, mais ça s’arrête là, il veille à ne pas faire trop étalage de sa culture littéraire qu’on devine planquée derrière le rideau de pourpre de sa bonhomie. Curieusement, ces six pages prennent tout leur sens, puisqu’il s’agit de l’interview d’un vétéran du fanzinat par un fanzinard, et c’est d’autant plus remarquable qu’il s’agit d’un propos qui se tient. On ne passe pas à travers, comme c’est hélas souvent le cas. Quand on avait retrouvé Gildas à Binic en 2019, dans la maison qu’il louait avec ce qu’il appelait «l’ambassade toulousaine», l’Azerty Blues d’Alain Feydri trônait sur le buffet. On tourne la page et sur qui qu’on tombe ? Gino & The Goons, un groupe que Gildas passait régulièrement dans le Dig It! Radio Show. Et quand il passait régulièrement un groupe, ça voulait dire ce que ça voulait dire. Le chapô a raison de dire que ce groupe reste confidentiel. Gino & The Goons sont basés en Floride et Tim Warren leur donne un coup de main au mastering. Gino dit aimer les Stones, Dead Moon, Link Wray et des tas d’autres gros trucs, il en a la bouche pleine. Ah ces Américains ! Ils ne savent pas s’arrêter. Par contre Dan Sartain sait s’arrêter, il fait preuve d’une étonnante modestie. Il a sans doute cassé sa pipe très peu de temps après cette interview. On y apprend qu’il travaillait à une époque dans une pizzeria et qu’il est ensuite devenu propriétaire d’un salon de coiffure (barber shop). L’homme paraît incroyablement désintéressé. Il rend un hommage furtif à John Reis, via Swami Records. C’est avec lui qu’il a enregistré deux de ses meilleurs albums (Dan Sartain Vs The Serpientes et Join Dan Sartain). On apprend plus loin que le film sur les Country Teasers - This Film Should Not Exist - n’est pas de Nicolas Drolc mais de Massimo Scocca et Gisella Albertini, qui avaient suivi la tournée Crypt en 1995. Ils avaient filmé en super 8. Mais comme ils ne savaient pas monter, c’est resté à l’état de rushes. Alors Drolc leur a proposé de «reprendre» le projet. C’est vrai que le résultat est surprenant, c’est un vrai film rock avec toutes les qualités de ses défauts. On en a parlé ici en novembre 2020. Drolc reconnaît que c’était «intelligemment filmé». Là où Drolc devient bon, c’est quand il explique qu’il n’a pas de retours presse pour la promo de ce film - mis à part les fanzines - parce que dit-il, «toute la presse musicale branchouille parisienne se fout éperdument des Country Teasers depuis 25 ans.» Bien vu. L’underground reste l’underground et c’est sans doute ce qui le sauvera. L’autre morceau de résistance du 58, c’est bien sûr l’interview de Little Bob que les Havrais appellent ‘Ti Bob. On peut même parler d’une interview fleuve. Chaque fois qu’il prend la parole dans la presse, Bob raconte des histoires rocambolesques, il entre dans les détails et on sent nettement le vécu. Il revient sur les deux Mont-de-Marsan (76 et 77) pour balancer quelques anecdotes croustillantes, on se croirait dans la cour du lycée, puis il attaque sur les tournées en Angleterre à l’époque où les punks anglais crachaient sur les musiciens : il nous sort l’histoire hilarante des 500 crachats sur Téléphone, en première partie des Ramones à l’Hammersmith. Il n’est pas très charitable pour Marc Zermati qui de son côté ne l’était pas non plus pour lui, mais ça c’est leurs histoires. Bob est tellement en verve que Rock Hardi doit lui couper la chique, il a déjà douze pages, donc il faut réduire la cadence. Alors Bob fait un crochet au Havre pour saluer les François Premiers, puis il raconte son concert à Matignon pour l’ancien maire du Havre qui était alors Premier Ministre. Tout cela nous replonge bien sûr dans des vieux souvenirs de concerts, notamment un set à la salle Sainte-Croix-des-Pelletiers, early seventies, où entre deux morceaux Bob demandait au public : «Est-ce que vous m’aimez ?», il faisait son Johnny et ce n’était pas du meilleur goût. Et puis un autre souvenir, plus tard, à la Villette, un copain appelle pour dire qu’il y a les Pretties sur scène, ah bon ? Alors on y va, mais c’est un set des Blues Bastards et effectivement Phil May apparaît pour faire les chœurs pendant les rappels. Épisode très bizarre, une sorte de monde à l’envers. Sur le CD du 58, on trouve deux cuts de Bob. Mais Gino & The Goons raflent la mise avec leur heavy Dig It! stuff. «Do The Get Around» est bien explosé, ces mecs sont des gros dingues de trash gaga-punk, c’est vite plié des gaules, Gildas ne s’était pas fourré le doigt dans l’œil, on a tout là-dedans, la dégueulante et les guitares qui saturent, pas de pire équipe sur cette pauvre terre ! L’autre grosse surprise, ce sont les deux cuts des Needs d’Aix qui ont aussi leur interview. Ils sont bons, ils jouent au bord de la perte d’équilibre, c’est noyé de son et ce mec épelle ses lettres dans le chaos, D, O, R, A. Encore mieux : leur «Dead Fish» est digne des Heartbreakers. Chapeau bas.

On reste dans les ténèbres de l’underground avec le 59 et El’Blaszczyk. Pour se rappeler comment ça s’écrit, il faut juste mémoriser le sz-cz, après ça revient tout seul. Là, on entre non pas sur les terres du Comte Zaroff mais sur celles de Mono-Tone, le label underground par excellence. Et comme le chapô parle de Dada, c’est dans la poche. Et en plus, El’Blaszczyk se réclame de «Vian, Yanne, Averty et Mocky». Il a tout bon. D’où sa nostalgie. Nostalgie d’une époque qu’il aurait voulu vivre. Passion pour les apéros démodés et pour les apéros atomiques du futur. Puis dans le feu de l’action, il cite des héros du temps passé : Boby Lapointe, Pierre Vassiliu et Ricet Barrier, Hector et Henri Salvador, Ginette Garcin et Arletty, et puis Fernandel pour «sa diction hyper-articulée». Ça fait des bulles dans Rock Hardi ! On trouve d’ailleurs deux cuts d’El’Blaszczyk sur le CD du 59, «Pop Scoteka» et «To Jest Drogo». C’est du rococo aquatique, pour y entrer, il faut chausser des palmes et ne pas oublier le tuba. Plus loin, Alain Feydri interviewe les Toulousains de Don Joe Rodeo Combo, qui disent vouloir marier Link Wray à Baudelaire et qui en sont à leur troisième album. Démarche intéressante et références intéressantes (MC5, Gainsbourg, Count Five). Alors on écoute «Rien Dans le Cœur» pour se faire une idée. Joli coup, c’est bien foutu, bien monté, bien introduit dans la vulve du son.

Puis Rock Hardi salue bien bas le nouvel album des Demolition Doll Rods, qui arrive quatorze ans après la bataille. On sait tout de la reformation et bien sûr Larry Hardy fait paraître l’album sur son label. On y reviendra, c’est sûr. Quant à Paul Roland, il n’évoque pas Fernandel ni Boby Lapointe, mais Bram Stoker et MR James. Il rappelle qu’il fut dans les années 80 sur New Rose et Bam Caruso, ce qui fait de lui un artiste culte, un de plus. Comme on ne le connaît que de nom, on profite des deux cuts que propose le CD : dark folk capiteux, ce mec cherche la petite bête dans les dark shades. C’est un autre monde, loin là-bas, comme dirait Huysmans, mais avec un étrange goût de revienzy. Oh ! Voilà les Psychotic Youth, reformés à la demande de Kurt Baker, un autre chouchou de Gildas. Comme le monde est petit. Les Psychotic Youth furent à une époque les rois de la power-pop. Attention, cette équipe de popsters suédois compte parmi les plus puissantes du monde. La compile Bamboozle parue en 1994 offre un joli panorama des Psychotic possibilities. Bien bombardée au bassmatic, leur reprise du mythique «When You Walk In The Room» de Jackie DeShannon pourrait bien te faire tomber de ta chaise, on t’aura prévenu. Par contre, «Summer Is On» sonne trop pop, trop sunshine, à force de bonne humeur et de dents blanches. Disons qu’ils passent leurs Nerves. «MTV» ne manque pas de power et «Mercy» confirme l’excellence de la globalité. Si on en pince pour les Nerves, Psychotic Youth est une bonne adresse. On sent même une certaine virtuosité poppy dans «Elevator Girl». Ils évoluent à un très haut niveau frénétique, c’est sûr. Ils finissent l’A avec l’excellent «Hang Around», pur jus de juke. Ils reviennent en B niaquer «How Long Will It Take». C’est une compo de Peter Case, ce qui ne surprendra personne. Ils passent au blasting pop-punk avec «Hot Red Girl», très joué, très rythmé, très sain. «Speak The Same Language» sonne aussi comme un hit et ils stompent «The Girl’s Alright» à l’exaction psychotique, ce qui paraît logique pour des Psychotic Youth. Le conseil qu’on pourrait donner serait de ne pas les perdre de vue. Ce que fait très bien Rock Hardi, qui en plus balance dans le CD un joli shoot de «Take You Down». Avec ça, ils sont tout de suite au power-top de la power-pop, avec du son, des chœurs et de la wah qui giclent dans tous les coins. Et juste avant eux Johnny Jetson casse bien la baraque avec un «Love Me For My Car» bourré de ferraille et de swagger, il fait un glam de dépouille et c’est excellent. Il récidive aussitôt après avec «Knocked Out», il ramone le créneau de la cheminée, c’est-à-dire qu’il joue avec le feu du power gaga-punk. Et puis Rock Hardi tend son micro à Nicolas Moog dont le big Underground fait actuellement la une de l’actualité bédéto-éditoriale. Tout le monde en parle, une expo est même prévue au 106, avec un concert du groupe de Moog, Thee Verduns. Moog parle d’un ton très direct, sans fioritures, il n’aime ni les patrons, ni les banquiers et dessine dit-il pour survivre.

Un peu plus loin figure la chronique d’une compile intitulée Sous Le Soleil Du Midi. Belle coïncidence, puisqu’on en a rencontré l’instigateur voici deux semaines chez Parallèles, aux Halles. L’homme est très attachant et très féru, et la moindre des choses est d’écouter cette compile qu’il n’hésite pas un seul instant à offrir. Elle raconte l’histoire «du temps où Montpellier rockait», le temps du «french punk rock» des années 80, et l’époque où Raph a monté son studio, La voix de son chien. Dans le petit texte de présentation, il rend hommage à OTH et aux TV Killers qui sont dit-il les parrains du projet, et qui ont chacun deux cuts sur la track-list. Trois choses. Un, à l’écoute de l’ensemble, on sent pointer un réel enthousiasme. Comme la scène toulousaine, celle de Montpellier devait être joyeuse et bourrée de cette énergie festive qu’on appelle aussi l’énergie de l’apéro. Here we go ! On va voir jouer des groupes pour s’amuser. Deux, on trouve pas moins de six hommages à Johnny Thunders, tous bien calibrés, à commencer «You Can’t Get Your Arms Around A Memory» repris par le Général Alcazar, oui oui, celui de l’Oreille Cassée. On trouve un peu plus loin une solide version de «Pipeline» signée Jeff Dahl, aussi solide peut-on dire que celle qui ouvre le bal de So Alone. The Electric Buttocks trashent l’«All By Myself» des Heartbreakers, on ne sait pas si c’est délibéré, mais ça passe comme une lettre à la poste, comme quoi il faut parfois savoir se montrer inonoclastic. Puis la Deconnection tape le «Treat Her Right» qui se trouve sur Copy Cats, ils sont bien dans l’énergie de l’hommage, quelle belle avoine ! Les Mystery Boys s’éreintent à vouloir jouer l’un des cuts les plus difficiles à jouer, «Personality Crisis», et ça se termine avec Chris Waldo et un «In Cold Blood» gratté dans l’aléa. On aimait bien Johnny Thunders à Montpellier, c’est la deuxième bonne nouvelle de la compile. Trois, on a droit à une petite révélation. C’est la raison pour laquelle on écoute les compiles. Cette fois, la révélation s’appelle Splurge. Comme OTH et les TV Killers, ils ont deux titres, dont un «Watch Out» qui ouvre le bal. Après une intro de basse incertaine, le Watch Out est vite rattrapé par les requins, c’est-à-dire la guitare disto et le chant qui veut bien. On dresse l’oreille car le mec chante bien. Splurge est heavy on the sludge. Ils sortent une véritable purée à l’anglaise. Ce que va confirmer «You». Le mec chante à l’héroïque, comme Johnny Rotten. Fantastique qualité du chant doublée d’une fantastique qualité du jeu de guitare. Sinon Raph jouait avec son groupe les Rabbit Stoïks un heavy punk de la nuit tombée qui tenait bien la route. On entend aussi les Circlips ferrailler leur «Bill Gates» et il faut attribuer une mention spéciale au batteur des Brain Sneakers car il bat «Bad Girl» à la diable vauverty. On entend rarement des mecs battre aussi sec et sick. On l’entend moins dans «Crazy Hospital» car ce brûlot est couvert par les guitares. On ne peut pas tout avoir.

Signé : Cazengler, Rock Hardu

Rock Hardi # 58. Fanzine libre et autonome.

Rock Hardi # 59. Fanzine libre et autonome.

Sous Le Soleil Du Midi. La Voix de Son Chien 2021

 

L’avenir du rock

- La nuit tous les chats sont Grys-Grys

 

En quête d’exotisme, l’avenir du rock se paye un voyage en Jordanie. Petit, il a lu et relu Coke En Stock et il s’est juré qu’il irait visiter Pétra, la cité sculptée dans la roche, quand il serait grand, et qu’il ferait ça à cheval, comme Tintin et le capitaine Haddock. Il arrive à Amman, pose son sac à l’hôtel et se rend au marché pour acheter un cheval. Mais ce n’est plus la saison. On lui propose un dromadaire. Bon d’accord. Le lendemain à l’aube, il part en direction de Pétra avec un équipement léger et sa boussole. Bon, la boussole, c’est de la frime, il n’a jamais su s’en servir. Il faut savoir que l’avenir du rock a ses petites manies, comme tout le monde.

À la sortie de la ville, un paysan lui indique la direction.

— Wallah wallah, sahib !

Il fait route pendant tout le jour, dodelinant au sommet de son dromadaire comme Lawrence d’Arabie. De temps en temps, il sort sa boussole, mais il ne comprend rien. Le soleil se couche et il se retrouve en plein désert. Comme il a la trouille des serpents et des araignées, il reste perché sur son dromadaire pour somnoler. Bien sûr, il se casse la gueule. Il ordonne au dromadaire de s’agenouiller pour pouvoir remonter.

— Yallah !

Il remonte en selle.

— Yalloh !

Le dromadaire se redresse.

Pendant trois jours, l’avenir du rock erre dans le désert. Il ne se doute même pas qu’il est arrivé en Syrie. Et pouf, pas de pot, il tombe sur une patrouille de l’État Islamique qui l’accuse d’être un espion américain.

— Amelican ! Amelican !

Ils le ramènent au camp pour le décapiter. L’avenir du rock n’a pas besoin de comprendre l’arabe pour savoir ce qui lui pend au nez. On le jette dans une cabane après l’avoir roué de coups.

Pas de remords. Se planter, ça arrive à tout le monde, même à l’avenir du rock. Pour dédramatiser, il sort sa phrase favorite : La nuit tous les chats sont Grys-Grys... Après tout, finir comme Danton et Robespierre, c’est quand même plus classe que de finir dans un Ehpad à la mormoille.

 

En 2019 paraissait le premier album sans titre des Grys-Grys, l’album du phare, comme on dit chez les Bretons, puisqu’on les voit photographiés au sommet d’un phare. Ils sont toujours dans le british Beat, mais avec un parfum psyché extrêmement capiteux. «The Day» n’est pas très loin des Sorrows. Sous la peau du beat, ça gronde d’excellence, notamment dans «Brother Tobio». Ils se livrent à de sacrées remontées d’intérêt général. Mais ça commence vraiment à chauffer en fin d’A, avec «Got Love», qui est lancé comme Boom Boom, avec un rentre-dedans de revienzy à l’anglaise. Et ça continue avec «Satisfy The Lord Of Anarchy», un exercice de style digne du raunch des early Stones. Pas de problème, les Grys-Grys savent couler un bronze. C’est même un sacré coup de génie. Le festin se poursuit en B avec l’effarant «In A Loop». Ils rentrent dans le lard de la mad psyché et les ponts sont dignes non pas de la rivière Kwaï, mais de la rivière Who, alors t’as qu’à voir. Ah mais ce n’est pas fini ! Voilà qu’arrive au galop «She Just Left» un solide boogie blast embarqué à coups d’harmo, bien râblé et joué dans la chaleur de la nuit. Quelle violence, c’mon ! Ils sont en plein essor avec «Daylight Robbery», un boogie rock à la sauce sixty-five, leur son tient du meilleur teenbeat anglais, all the rage, ils naviguent au même niveau que les Downliners, les Pretties et les early Stones. Encore une horreur d’exaction parégorique avec «It Ain’t Right». Ils labourent les côtes du lard et alimentent la polémique. Rien de ce qui est excellent ne leur est étranger.

Leur deuxième album paraît sur Norton cette année et s’appelle To Fall Down. Pochette fantastique, l’image rivalise de grandeur tutélaire avec celle de la pochette du deuxième MC5, photo noir et blanc de backstage fumant, wow wow wow, back in the USA ? On se frotte les mains, miam miam, on lance l’A et on tombe sur un «I’m Going Back» assez classique qui peine à gicler, même s’il sonne bien les cloches. Comprenez qu’on attend des miracles de ces mecs-là. Pas facile de vouloir créer la sensation en permanence, ce n’est pas automatique et ce n’est pas non plus un métier. Il faut être béni des dieux pour ça. Ça devient poppy avec un «Tell Me» qui ne fonctionne pas et «Watching My Idols Die» renvoie sur l’Heart Of Stone des early Stones. L’A retrouve enfin des couleurs avec un «See Me Frown» plus psyché, chauffé à coups d’harmo, un Frown qui renoue avec les sixties et l’évangélisation de la jeunesse américaine par les tenants et les aboutissants de la vieille Angleterre. Tu cherches la viande ? Elle est là, en B, avec «Milk Cow Blues», amené au Downliners stomp, en fourbasse, par en dessous. C’est là qu’ils sont bons, dans le raw de l’heavy British beat, dans l’aube claire du rock anglais, ils sont dans le Don Craine et le Phil May de l’origine de tout. L’autre hit de l’album est le morceau titre qui referme la marche. Belle cavalcade, ils restent dans la fière allure avec une basse bien sous-jacente et un killer solo flash salement envenimé. Ils adorent le son bien ferme sous la peau du beat, avec des guitares dans le coin de l’oreille, comme celles des Groovies et des descentes de chant dignes de celles de Roy Loney.

Ce serait bête de faire l’impasse sur les premiers singles des Grys-Grys qui étaient certainement les plus explosifs. Bon exemple avec «Left Unseen/It’s Mighty Crazy», joli slab de fuzz punk rave up, ultime purge de surge, digne des géants du genre, surtout le Mighty Crazy de Lightning Slim que les Grys-Grys font sauter à la dynamite.

Les Grys-Grys auraient splitté. L’avenir de rock a raison, la nuit tous les chats son Grys-Grys.

Signé : Cazengler, gras-gras

Grys-Grys. Les Grys-Grys. Groovie Records 2019

Grys-Grys. To Fall Down. Norton Records 2021

Grys-Grys. Left Unseen. Dirty Water Records 2015

 

Inside the goldmine

- Alice au pays des merveilles

Allongé sur la plage, il scrutait l’immensité du ciel. Il réalisa soudainement qu’il n’était pas grand chose, comparé à cette immensité et ce sentiment lui plut énormément. Par contre, sa bite en érection le ramenait aux réalités terrestres. Il avait tellement la trique qu’il voyait le gland pointer sous l’élastique du maillot de bain. Il faisait déjà chaud sur la plage, il sortait de l’eau. Il venait de passer sa première nuit dans les bras d’une gonzesse. Son esprit et son corps d’adolescent étaient encore en chantier. Elle s’appelait Alice et elle l’avait invité dans sa tente au camping. Elle venait de Cherbourg et sa mère tapinait sur le port. Alice avait des seins extraordinaires et il ne comprenait toujours pas pourquoi elle avait opté pour lui, et pas pour l’un de ces beaux mecs un peu plus vieux, comme Mao et Philou qui avaient du poil sur la poitrine et des grosses rouflaquettes. Ces mecs se baladaient sur la plage avec leurs paquets de clopes glissés dans l’élastique du maillot de bain. Ils venaient des banlieues et portaient des tatouages dans le dos et sur les bras. Ça nous faisait tous rêver. Il se remémorait toutes les secondes de cette première nuit, il se revit se glisser dans le duvet qu’elle avait ouvert, puis il la revit défaire son soutif et tout le bataclan à la suite, la motte, la main, laisse-moi faire, et puis la voix de sa mère dans la tente voisine, fermez-vos gueules, on voudrait bien dormir. Il sentait que sa bite allait exploser. Alors pour calmer le jeu, il retourna à l’eau et nagea un peu. Puis il revint s’étendre sur le sable mouillé, et se mit à chanter un truc qu’il aimait bien et qui passait à la radio cet été-là - J’avais dessiné sur le sable/ Son doux visage qui me souriait/ Puis il a plu sur cette plage/ Dans cet orage, elle a disparuuuu - Il ne comprenait rien à ce sentiment nouveau fait d’attirance sentimentale et de désir animal, alors il se mit à hurler : «Et j’ai crié/ Crié/ Aliiiiiice/ Pour qu’elle revienne/ Et j’ai bandé/ Bandé/ Oh j’avais trop la triiiiiique !».

 

Évidemment, Alice Clark n’a rien à voir avec l’Alice de la plage abandonnée. Alice Clark est une petite black que Lewis Carroll aurait pu choisir s’il avait bien sûr possédé un tourne-disque. Pour ceux qui la connaissent, Alice Clark c’est Alice au Pays des Merveilles. Il n’existe qu’un seul album d’Alice paru en 1972, un album sans titre. Et puis Ace qui fait toujours bien les choses a sorti en 2010 The Complete Studio Recordings 1968-1972, sur lequel on s’est tous jetés.

Attention, Alice Clark est un peu à part. Le mec qui la présente pour Ace, Dean Rudland, parle d’acid jazz et de modern soul scene et bien sûr ce sont les Anglais qui l’ont redécouverte dans les années 90, ce qui a fait flamber le prix de l’album paru en 1972. L’album original vaut aujourd’hui 500 euros. Par chance, il a été réédité. En tout, elle n’a enregistré que quinze cuts, dont dix figurent sur son unique album. Comme les Crystals, avec lesquelles elle partageait d’ailleurs le même manager, Alice venait de Brooklyn. Elle tenta de percer pendant trois/quatre ans, puis nous dit Rudland, elle s’est retirée du biz pour s’occuper de ses enfants. Rudland a fini par retrouver sa trace via l’un de ses sept petits-enfants, Ace Clark, qui explique qu’Alice a cassé sa pipe en bois assez jeune, en 2004 et qu’elle n’a jamais su qu’elle était l’une des reines des dance-floors britanniques. Reine tout court serait-on tenté d’ajouter.

Oui, rien qu’à la voir, que ce soit sur la pochette de son album ou sur celle de la compile Ace : elle a le port d’une reine de Nubie et des seins extraordinaires, comme l’autre Alice, justement, celle de Cherbourg. Dès l’«I Keep It Hid» de Jimmy Webb, on assiste à un stupéfiant concassage du rythme, le son s’étale dans l’éclat d’un matin magique, elle transforme la Soul en mer étale, avec une fabuleuse dynamique d’acid jazz - Maybe someday - C’est l’un des sommets de l’art. L’autre coup de génie s’appelle «It Takes Too Long To Live Alone». Elle attaque son groove de jazz de front, elle se swingue à la vraie vie, elle est dans cette puissante certitude, dans les tréfonds du sensible, elle chante à l’intelligence pure du son, elle ne module que des pulsions et des émotions, elle en jette partout, elle rayonne d’espoir, elle devient une merveille inexorable, elle poussent des ahhh qui atteignent les zones érogènes. Avec l’«Hey Girl» d’Earl de Rouen (qui est le percussionniste de Donny Hathaway), elle entre dans le lard de la Soul par le jazz, c’est stupéfiant d’audace, elle va droit sur Sarah Vaughan. Et le solo de sax vaut bien ceux de Charlie Parker.

L’autre info essentielle, c’est que l’album est sorti sur le label de Bob Shad, Mainstream. Shad était un amateur de jazz qui se mit à sortir des albums de rock quand il a vu que ça se vendait, notamment le premier album de Big Brother, puis il est passé à la Soul avant de revenir à ses premières amours, le jazz. Et Alice. On trouve aussi trois cuts de Bobby Hebb sur l’album, notamment l’excellent «Hard Hard Promises» qu’Alice chante par dessus les toits, elle pousse son bouchon tant qu’elle peut. Hebb signe aussi l’excellent «Don’t You Care», embarquement pour Cythère immédiat, elle swingue sa Soul comme une reine de Java, elle grimpe au sommet des bouquets de cuivres, elle fonctionne au vif argent, elle court dans le son comme le furet, elle brille de mille feux, elle règne sans partage sur l’acid jazz, don’t you care ! Elle tape un autre hit d’Hebb, «Charms Of The Arms Of Love», plus groovy, elle s’y faufile néanmoins comme une déesse, et là on arrive une fois encore au paradis. Et puis voilà les inédits, «You Got A Deal» de Billy Vera, on se croirait sur un album d’Aretha, c’est exactement le même son, elle monte bien sur ses grands chevaux. Autre merveille arrachée à l’oubli : «You Hit Me (Right Where It Hurt Me)», qui est en fait son premier single, paru en 1968. Elle déroule bien sa Soul sur l’horizon, avec une belle basse voyageuse dans les parages. Comme Aretha, elle va chercher sa viande de Soul, c’est très au dessus de la moyenne. Sur la B-side de ce premier single se trouve «Heaven’s Will (Must Be Obeyed)», une heavy Soul visitée par la grâce. On comprend que les Anglais aient craqué. «Never Did I Stop Loving You» figure un single Acid Jazz paru en 2004 : elle entre dans le lagon du groove comme Marvin, et derrière elle ça joue au jouissif définitif, avec des échelles de cuivres et une basse qui fait le grand écart, alors elle s’abandonne aux montées de fièvre et coule Broadway dans l’éclat de la Soul, un mec derrière bat le beurre du diable à la cymbale, elle claque son loving you à l’Aretha, avec les coups de reins de Nina Simone et l’exubérance en plus. Never ! Cette femme sait se fondre dans l’or du Rhin. Avec «Say You’ll Never (Never Leave Me)», elle se lance dans une Soul aventureuse, elle occupe tout l’espace, elle module au fil du chant une Soul qui ne demande qu’à éclore, elle réussit même l’exploit de chanter comme une jeune prodige, à l’accent innocent.

Signé : Cazengler, tête à clarks

Alice Clark. Alice Clark. Mainstream Records 1972

Alice Clark. The Complete Studio Recordings 1968-1972. BGP Records 2010

 

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Diable un groupe américain qui portent un nom français, Forêt Endormie ferait-il des émules ! En plus une pochette pleine nature ! Quoique si on zieute d'un peu plus près, d'accord pour les arbres et le ciel bleu, mais cette espèce de brume quasi-invisible avec cette drôle ( pas du tout rigolote ) ambiance, hum-hum serais-je sur une fausse piste, d'autant plus que ça ne colle pas avec le label P. O. G. O. Records, les accointances du rock avec le mystère Symboliste et les climats à la Debussy, ce n'est pas tout à fait le rayon de Pour des Oreilles Grandes Ouvertes, tape en règle générale plutôt dans la tonitruance, d'autant plus que Curse ne se traduit pas par course forestière et encore moins par promenade champêtre, mais par malédiction. Ce qui change la donne. De surcroît, ces derniers temps ILS a fait beaucoup de bruit dans le Noise. Esgourdes fragiles abstenez-vous de cette chronique. Inutile de me chercher noise, car vous trouverez. Tant que l'on est dans les traductions, sachez que le nom du groupe ne se traduit pas, l'est nécessaire d'effectuer une translation, chacun la sienne, moi je propose le mot FILS ( pas celui ou ceux du papa, ceux de la couturière ) euphoniquement, orthographiquement il s'en rapproche, et puis les fils se faufilent là où ils en ont envie, et s'ils ne sont pas d'accord avec un de leurs points d'arrivée, il ne leur reste plus qu'à couper un fil pour recouvrer leur liberté pleine et entière. De fil en aiguille et d'aiguille en anguille ( EELS en anglais ) on ne perd pas le fil...

ILS n'est pas un groupe de débutants, z'ont déjà jeté leur gourme dans plusieurs formations, apparemment il leur en restait, n'avaient pas épuisé les stocks de la prime jeunesse. Les Etats-Unis regorgent de groupes hardcore, dépliez la carte, ILS provient de l'Oregon tout en haut, à gauche, comme par hasard au-dessus de la Californie – sacré nid de frelons – séparé du Canada par l'Etat de Washington. Port d'attache : Portland, cité verte et populeuse, cherchez l'erreur, sise au confluent de la Columbia et de la Willamette, de l'eau et des arbres, tout pour calmer les esprits, apparemment pas en assez grande quantité pour apaiser notre quatuor infernal. Comme quoi les mêmes causes ne produisent pas obligatoirement les mêmes effets. Relisons Aristote.

Revenons à cette constatation de nuées de groupes de rock, c'est idem dans de nombreuses expressions artistiques, littérature, peinture, cinéma, graphiste, etc... sans doute en fut-il de même dans les siècles précédents, au prorata de la population préciserons-nous, à part que de nos jours avec la surmultiplication des moyens techniques et de communication, les artistes creusent souvent dans une même direction, leur pré carré est cerné de près par une foultitude de concurrents, l'on n'est pas loin des concessions de quelques mètres carrés attribuées aux mineurs lors de la ruée vers l'or. Rares sont les pépites de dix mille carats... la poudre d'or de la notoriété s'avère rare et volatile... Conséquence le public se retrouve confronté à un vaste choix qui l'emmène à explorer et à s'enfermer en un style qui lui agrée particulièrement. L'état de la création rock ressemble à ces marchés de producteurs locaux dont les étals finissent par s'uniformiser. Il est si difficile de leur établir une identité propre que l'on en vient à définir les groupes, non pas selon leur apport intrinsèque différentiel, mais en citant les noms de formations desquelles ils se rapprochent, ou dont ils se sont inspirés... Les générations rock se renouvellent vite, à tel point que les différents styles se talonnent de près et s'emmêlent les guiboles, ce pointillisme stylistique trahit la richesse et l'impasse du genre Metal... Ceci n'est pas une critique, aujourd'hui peinture et graphisme, pour ne prendre qu'un seul exemple, connaissent la même extravagante dilution... Pourquoi présenter tel groupe et pas un autre... Ne nous cachons pas derrière l'arbre qui cache la forêt de nos incertitudes en répondant que justement la prochaine fois nous en évoquerons un autre... Ce qui nous intéresse dans ILS ce n'est pas leur musique, mais leurs musiques en leur unicité, se servent à volonté de tout ce qui a précédé, hard, heavy, metal, punk, hardore, et poussent le tout vers le point de non-retour du noise, celui-ci entendu non pas comme rupture bruitiste du début du siècle précédent, mais comme un ressourcement de et dans l'agonique pâmoison finale de la musique classique européenne, celle-ci se complaisant à délaisser la mélodie pour ne garder que les dissonances extraverties du rythme. Le metal suit une courbe parabolique parallèle à l'aventure jazz... A la recherche de son point oméga. Chardinique, en quelque sorte, mais dépouillé de toute connotation christologique, réduit à sa plus simple expression conceptuelle.

PAIN DON'T HURT

ILS

( P. O. G. O. Records / 02 / 01 / 2019 )

La couve est sans appel. Sont prêts à engloutir la pomme du monde. Une faim si dévorante que le dentier aux lèvres en ailerons de requin s'est évadé de sa gangue de chair humaine qui l'abritait. Poursuit son chemin tout seul, n'a peur de rien,

Vocal : Tom Glose / Guitar : Nate Abner / Drums : Tim Steiner / Bass : Chritopher Frey )

No luck : grabuge à l'horizon, pas de chance vous êtes juste sous la ligne d'horizon, à l'endroit exact où la voûte stellaire et la croûte terrestre entament un duel à mort. La musique dégouline sur vous comme une vomissure visqueuse qui glisse et se renouvelle sans cesse, un torrent de déglutition dégoûtante, que vous aimeriez retenir dans vos deux mains afin de boire à cette diarrhée kaotique, et là-dessus surnage le cadavre pustuleux d'un chat écorché encore vivant, c'est la voix de Tom Glose qui vous emporte où vous voulez plus profond que l'enfer, plus haut que le paradis, il crie comme le tigre griffe et entaille, au loin résonne l'éperon triomphant d'une guitare. It's no lard, but it's just a cyst : j'essaie de vous rassurer par ces quelques mots explicatifs, souvent ILS accole aux trois lettres de son nom trois autres, PDX, qui comme chacun sait sont le sigle qui en aéronautique désigne l'aéroport de Portland, dans le même ordre d'idée ILS désignent aussi un système d'atterrissage sans visibilité... maintenant elles ont aussi une autre signification, médicale, biologique, elles désignent le processus qui consiste à instiller dans le corps d'une souris de laboratoire une bouture d'un cancer humain, pas de panique ce n'est pas du saindoux, c'est juste un kyste ! Douze secondes d'un coureur de Formule Un qui appuie un peu sur son accélérateur ( peu écologique ) en attendant que le signal du départ soit donné, en fait tout irait bien, le moteur BDG ( Bass, Drums, Guitar, mémorisez je ne répèterai pas ) ronronne à fond, une régularité exemplaire, hélas, ils vous en veulent, z'ont prévu de ne pas vous laisser vous assoupir, alors Tom Glose se surpasse, l'a la glossolalie ultra rapide et puissante, à lui tout seul il empêche un arrondissement de Paris de dormir en toute quiétude, les mecs tirés de leur sommeil se croient enfermés dans un cauchemar, se jettent par la fenêtre pour y échapper. Une chance pour vous, les morceaux ne sont pas longs, vous éviterez le grand plongeon. Northstar : tout le monde le sait mais je le rappelle, l'étoile polaire est le signe scintillant de l'axe invisible qui a permis aux extraterrestres de descendre sur terre pour apporter la civilisation aux brutes préhistoriques que nous étions, tendez l'oreille vous entendrez le frou-frou furtif de leurs entité frôlant l'axe du monde, hélas ils ne descendent pas, ils remontent, dégoûtés de notre humanité, le Gloseur de service tente de nous l'expliquer calmement ( tout est relatif ), mais la population de la planète ne l'écoute pas, alors sa voix se charge d'acrimonie indigeste, il hurle, il prophétise tous les malheurs qui roulent en avalanche sur nous. Sûr qu'à l'entendre dégoiser si abruptement l'on perd et le nord et l'étoile, chamboule notre comprenette, ne nous reste plus qu'à nous cacher sous le lit comme les chiens qui ont peur de l'orage. Curse : un malheur n'arrive jamais seul, la malédiction est prononcée, elle est scandée et martelée très fort au début, mais la batterie roule les galets de la mer sur vos pieds et un océan de guitares déferle et emporte tout sur son passage, ne reste plus rien qu'un brouillamini de stridences qui finissent par s'éteindre. For the shame I bring : imaginez que dans un cimetière un million de mammouths congelés dans le permafrost sibérien se réveillent et entreprennent de marcher sur les riches pâturages de l'Europe occidentale, le Gloseur est sur l'échine du plus vieux pachyderme, la basse imite le grondement de cette armada, et la batterie lance la horde au triple galop. Nous en veulent en mort, l'on ne sait pas pourquoi, ils renversent les immeubles et ravinent les autoroutes, non contents de notre sort nous commençons à avoir honte de nos propres faiblesses. Ouf, ils sont déjà passés, arpentent l'Atlantique, laissons-les à leur œuvre de colossale destruction. Il ne nous reste plus qu'une seule solution après ce cataclysme sonore, il nous faut tenter de survivre ! Guère facile.

CURSE

ILS

( P. O. G. O. Records 147 / Vicious Circle / Juillet 2020 )

Vocal : Tom Glose / Guitar : Nate Abner / Drums : Tim Steiner / Bass : Adam Pike )

Les petits futés l'auront remarqué de leur œil de lynx, sur dix titres cinq étaient déjà sur le premier opus. Fallait ouvrir les deux globules, le bassiste a changé, ils ont réenregistré le club des cinq, à leur manière, quand ils repeignent leur cuisine, ne se servent pas du pinceau, usent du bulldozer.

Bad parts : d'après moi, ils font un concours à celui qui fera le plus de bruit, à la batterie Steiner ne se retient plus, à la guitare Nate Abner compresse les riffs, et la basse Adam Pike tire le cordon funèbre pour arrêter les convois funéraires qui passent au triple galop dans la rue, un jeu comme un autre, quant à Tom il vous envoie le vocal à la figure, il doit confondre avec un nid de vipères, n'empêche qu'ils font des efforts, z'ont réussi à tenir une rythmique sans que le train ne déraille. Curse : la Malédiction 2, ce coup-ci Tom vous découpe les mots au chalumeau, derrière ils se font tout petit, jouent en pointillés, pas trop fort, pas vite du tout, n'ayez crainte les mauvais côtés de leurs individualités délétères reprennent vite le dessus et l'on sombre corps et bien dans un immonde charivari, la guitare a attrapé la tremblante du mouton enragé, Steiner doit avoir quelques comptes à régler avec l'Humanité, ce doit être ce que nous conte Tom dans sa bouillie de grumeaux de gros mots irradiés. Don't hurt me : miracle un vrai riff introductif, c'est vrai qu'ils sont sages sur ce morceau, bien sûr il ne faut pas faire attention à ce type bloqué dans un embouteillage depuis trois heures et qui klaxonne comme un madurle, les bonnes vieilles habitudes se radinent au bout de trente secondes, ne peuvent pas tenir un morceau jusqu'au bout, c'est plus fort qu'eux, il faut qu'ils le salopègent, qu'ils le transforment en un truc inécoutable, le genre de vacarme dont on se sert pour réveiller les zombies dans leur cercueil. Quand vous serez six pieds sous terre, cela vous semblera délectable. No luck : pas de chance pour l'auditeur moyen, ils remettent leur titre fétiche en jeu. Inutile de gloser sans fin sur Tom, le roi des screamers, le gars s'est fait greffer des cordes vocales en tungstène, puissance et célérité, les mambas noirs lui sortent de la bouche pour venir siffler dans vos oreilles, bonjour les acouphènes, vous n'avez pas de chance. Petites natures ! Noose : le mec on lui passé un nœud coulant autour du cou pour le faire taire une bonne fois pour toute, gigote sans fin comme le balancier de la pendule de votre arrière grand-mère qui vous hypnotisait quand vous étiez petit, n'en borborygme pas moins à croire qu'il fait la causette dans le salon de Madame de Récamier, doit un peu choquer la maîtresse de maison avec son organe vocal turgescent qui gueule aussi fort que les douze têtes de l'hydre de Lerne, les trois copains essaient de faire un boucan de tous les diables pour couvrir sa voix écrabouillée de stentor asthmatique, en vain. White meat : si vous n'avez jamais été invité à une soirée d'anthropophages sur l'île de Pâque, vous en avez au moins un aperçu sonore, plus un mec qui hurle à la manière d'un cowboy qui crâne devant un millier d'indiens qui bandent. Leur arc sur lui. Tant pis pour lui il a mérité toute cette haine. Des catastrophes comme cela vous n'en entendrez pas souvent dans votre vie. Dixième fois que vous repassez le titre, au suivant s'il vous plaît, par pitié, on veut tout entendre au moins une fois avant de mourir. Northstar : ces troublions vous leur payez un voyage en première classe sur Alpha Ursae Minoris , vous croyez en être débarrassés, plus ils s'éloignent dans leur fusée interplanétaire plus vous les entendez. Le Gloseur ébranle le zodiaque et le BDG par derrière attise sa vindicte. Nom de code : conjuration de l'Etolie Polaire. Casket race : les cinglés cinglent vers l'île au trésor, des pirates au sabre dégoulinant de sang, le capitaine Abner a changé d'avis au dernier moment, il ordonne de virer de cap, l'a décidé de trancher à la guitare électrique la baleine blanche, Adam Pique martèle les coutelas, Tim Steiner crève ses peaux à coups de harpons, sur la dunette la voix du bosco domine le tumulte de la tempête. It's not lard, but it's just a cyst : guitare d'Abner en apnée, elle hoquete gravissimo, manque d'oxygène, Pike a beau pomper sur sa basse rien n'y fait, l'opéré vous pousse de ses râles de mourant à déterrer les morts, c'est la fin, l'abreuve d'injures le chirurgien, pour l'endormir définitivement Tim le bourre d'horions. La scène tragique se termine brutalement. On n'entend plus rien. Qui a succombé ? For the shame I bring : encore un effort, c'est le dernier titre, the last but not the least. Ne veulent pas qu'on les oublie, n'ont rien à craindre. On se croirait dans un film de guerre. Finissent en beauté. Poussent les cris et les instrus comme Attila lançaient ses huns sur l'empire romain. Hélas il n'y aura personne pour les arrêter. Débauche sonore totale.

MY LOW

ILS

( Août 2020 / Bandcamp )

My low : un morceau à part, pour Milo le fils de Chris Dunn, qui a quitté cette vallée de larmes. La pochette le représente. De quoi récolter dix mille dollars au profit de son gamin orphelin... La tonalité est grave, mais Chris était un véritable rocker, aussi Adam Pike et Tom Glose qui ont écrit le morceau, n'hésitent pas à balancer la sauce. Evoquent le temps passé ensemble, n'était-ce qu'un rêve. Parfois il est bon d'exorciser son incompréhension en hurlant... Bel hommage caritatif. Sans mièvrerie.

P. S. : Les sommes recueillies par la chanson sont intégralement reversées à la cagnotte, le lien est sur Bandcamp.

NO LUCK

ILS

( Vidéo YT : 2020 )

Vous les avez entendus, vous aimeriez les voir. Deux minutes et une poignée de secondes suffisent. Une vidéo, manifestement ce n'est pas David Lynch qui s'est chargé du cadrage. Un téléphone portable y a supplée largement. L'image remue un peu, sont dans une petite pièce, ce qui limite les décrochages, première surprise, Tom Glose a une gueule d'intellectuel, ses lunettes de travers lui donnent l'air d'avoir un grind de folie. Vous vous demandiez comment Tim Steiner frappe si fort, quand vous voyez le gabarit, style convoi exceptionnel dont la largeur bloque les trois voies de l'autoroute à lui tout seul, la réponse est évidente. D'Adam Pike vous n'apercevez que sa basse, un peu plus de chance pour Nate Abner sous son bonnet. A moins que ça ne soit le contraire. N'en font pas trop, vous vous attendez à une scène d'Apocalypse Now, et ce n'est qu'un groupe qui répète dans son coin. Oui mais quel groupe ! Fulminant.

Damie Chad.

Voir : interview sur New Noise Magazine.

 

ROLLING STONES

Etrange phénomène dû au dérèglement climatique ? Pourquoi les pierres deviennent-elles moins dures ? Pas toutes, uniquement celles qui roulent. Pas n'importe où, pour le moment cet étrange phénomène ne touche que l'Angleterre, et des deux grands édifices pierreux de la Grande-Bretagne, un seul en est victime. Stonehenge est épargné, mais le deuxième amoncellement rocheux du pays, célèbre sur toute la planète paye un lourd tribut. Certes depuis longtemps l'on a remarqué que le massif stonien était victime d'un effritement ravageur, Brian Jones, Mick Taylor, Bill Wyman et dernièrement Charlie Watts se sont au fil des années détachés de la montagne des chauds cailloux. Toutefois pour rassurer nos lecteurs les analyses scientifiques sont formelles le climat n'est aucunement responsable de cette dégradation.

Pour le dire clairement les Stones m'ont déçu. Les esprits acariâtres en rajouteront, belle lurette que les Stones ne sont plus les Stones, depuis... vous complétez avec le titre du dernier album après lequel d'après vous ils sont entrés dans l'ère du déclin. N'ont pas tout à fait tort. Mais si l'on a aimé les Stones, certes c'est leur musique mais aussi leur cynisme, leur manière à eux d'être Stones, d'être un groupe qui n'a pas respecté l'espèce d'idéologie rock qui voudrait que l'on soit moralement irréprochable, que l'on soit en rupture avec le Système, jamais de son côté... Un rêve d'une extrême naïveté si l'on pense une demi-seconde aux intérêts colossaux financiers en jeu. Les Stones l'ont assumé, les tournées apporte-monnaie qui se chiffrent en dizaine et centaines de millions de dollars, ils n'ont pas craché dessus. Une conduite amorale, les fans de la première heure renâclent mais le troupeau en son entier finit par emboîter le pas.

Une déclaration a mis le feu aux poudres. Z'ont rayé un morceau de leur set-list, non pas parce qu'il serait musicalement dépassé ( impossible ! ), non pas parce qu'il ne leur plairait plus ( raison acceptable ). Non, pour des raisons morales ! Pourrait choquer les âmes de certains citoyens. Pas le riff, les paroles. Que voulez-vous Brown Sugar serait un peu ambigu, cause de la drogue ( pas grave ), des marchés d'esclave de la New Orleans, et de sévices corporels infligés à jeune femme noire par ses maîtres blancs. Evocation d'un passé carrément condamnable. Ne l'exaltent pas, ne le cachent pas.

Oui mais voilà les USA vivent une époque étrange, suite au mouvement Black Lives Matter, suite à la présidence de Donald Trump qui a révélé les soubassements arriérés de la mentalité raciste d'une partie de la population blanche, s'est installée dans les universités du pays, une espèce de bien pensance de gauche, entée sur les principes de l'anti-racisme et d'un féminisme virulent, ce que l'on a pris l'habitude de désigner sous le terme de Woke culture, une espèce de maccarthysme intellectuel, une police de pensée qui dénonce, pétitionne et interdit toute attitude, tout écrit, toute évocation qui mentionneraient des faits historiques ou des idées philosophiques qui pourraient blesser ou attenter à la dignité de certaines personnes... Ses partisans se déchaînent sur les réseaux sociaux ( ici en l'occurrence le site d'abonnement IORR It's Only Rock'n'roll ) en les inondant de virulents messages... L'on n'est pas loin des caricatures du prophète... La liberté de pensée est un luxe qui se paye cher.

Donc exit Brown Sugar. C'est vrai qu'une plainte portée contre l'interprétation du morceau lors de la tournée américaine pourrait coûter quelques millions de dollars. Mais la déception des fans n'est pas à négliger, Jagger s'est lancé dans les excuses vaseuses du consensus mou, puisque certains peuvent être choqués, nous supprimons le sucre dans le café noir du récital, ce n'est pas nous, c'est de la faute à eux. Puis s'est embourbé dans un pieux mensonge, nous sommes fatigués de la jouer depuis cinquante ans à tous les concerts, enfin s'apercevant que Satisfaction et Jumpin' Jack Flash devraient logiquement suivre le même sort, le Jag s'est résolu à prendre une pose qui correspond davantage à l'image Rolling Stones, dont le logo tire une langue impertinente au monde entier. Il n'est pas exclu qu'on la rejoue un de ces soirs si l'occasion se présente... C'est bien beau, pour ne pas dire c'est bien beauf, mais sur ce coup-là les Stones ne sont pas à la hauteur .

Damie Chad.

P. S. : la woke culture commence à étendre ses méfaits dans l'université française. Mais là les Stones n'y sont pour rien.

 

RAUNCHY BUT FRENCHY ( 5 )

Un souvenir inoubliable. Toute une époque. Ça n'a pas duré longtemps, entre mai 68 et l'élection de Giscard D'estaing. Six ans de folie. La jeunesse en éruption. Une mosaïque de révoltes. Le pouvoir a su se reprendre, prétextant l'augmentation du prix du pétrole le Capital nous a servi ce qu'il fallait pour faire peur, la Crise, plus tard ce fut la couche d'ozone, puis le chômage, le dérèglement climatique, le terrorisme, les méfaits du carbone, le Covid, ces gens ont de l'imagination et des media aux ordres, le citoyen lambda a la trouille, il serre les fesses, encaisse et n'ose plus l'ouvrir, essaie de s'insérer tant bien que mal dans le Système qui ne veut que votre bien. Que vos biens, votre fric, vous réduire à la misère, vous transformer en esclave consentant...

Quittons le cauchemar actuel, retournons au rêve post-soixante-huit, un seul mot le résume, galvaudé au plus haut point, la fête, et ce fut vraiment une fête, les corps se libérèrent, les esprits s'ouvrirent et se radicalisèrent, s'il y eut une époque qui réponde au mot d'ordre sex, drugs and rock'n'roll, ce fut bien celle-là.

Crium Delirium est un des groupes français qui fut une des figures de proue de ce mouvement. L'on occupait la faculté de lettres de Toulouse, à l'époque implantée au centre ville. L'après-midi festive avait commencé sur les treize heures, cour centrale, un gratteux a entamé San Francisco de Maxime Leforestier, repris en chœur par une partie de l'assistance, pas vraiment le pied... Crium Delirium a débarqué, l'était attendu, ont déchargé le matos et commencé à l'installer, et ont lancé la zique sans préavis, si mes souvenirs sont bons – la scène se passait en 1972 – z'étaient quatre, pas de chanteur, z'ont pondu ( guitares-batterie ) un magma qui s'apparentait au jazz, un truc qui n'éclatait jamais mais qui augmentait votre pression intérieure. Deux heures plus tard, se sont arrêtés de jouer sans esbroufe, s'est alors déroulé un étrange mouvement de masse, près de six cents personnes, sans concertation, sans meneurs, ont pris d'assaut le grand amphithéâtre, la foule s'est assise et les vociférations ont débuté, pleine gorge, plein poumon, trois quarts-d'heure ininterrompus de folie stridente, quelques pupitres et bancs de bois en ont fait les frais. Défoulement général... et puis l'on est ressortis tout contents, tout heureux... It's was the good time !

LIVE CONCERTS 1972 - 1975

CRIUM DELIRIUM

( Legend Music / 1994 )

Lionel Magal est avec son frère Thierry à l'origine de la formation. Mais celle-ci n'est que la pointe de l'iceberg, Foxx le lion fut un activiste de ce que l'on appelait la contre-culture que l'on désignait aussi par le terme d'Underground, on en avait plein la bouche pour pas un rond... Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il a vécu intensément, il raconte tout cela dans un livre de collages paru en 2012, le Psykedelic Toad Book, paru en 2012. L'était important à l'époque de faire la route de visiter le monde, et surtout d'arpenter l'intérieur de soi. Une démarche qui recoupe celle d'un Rimbaud et de l'antique alchimie. Le microcosme de votre cervelle se doit être en inter-action avec le macrocosme de l'univers. Depuis Hendrix, l'expérience était un mot magique. Notre foxxy-man débuta par le théâtre-action, une espèce de happening qui demande la participation du public, car il est bon de briser les barrières qui séparent les professionnels des individus... l'est sur scène au Centre Américain de Paris lorsque débarque plus fous que lui, la Hop Farm, communauté hallucinatoire hippie, dont il invitera la quarantaine de membres à venir dormir chez lui. C'est parti pour une croisière au long cours qui les mènera jusqu'en Afghanistan, puis en Inde. Ce n'était que la reprise du fameux voyage en Orient cher aux romantiques de Lamartine à Nerval, mais là on poussait un peu plus loin...

Retour d'Inde Lionel et Thierry remettent en route leur groupe Crium Delirium, avec lequel depuis 1968 ils visitaient les caves parisiennes. Ce coup-ci c'est le grand départ, le groupe joue partout où on l'accueille et même là où on ne l'a pas demandé, rencontres musicales tous azimuts, de Nico à Steve Hillage, de Captain Beefheart à Miles Davis... des concerts qui regroupent tous les freaks du coin - profitez de l'occasion pour vérifier votre orthographe, ne confondez pas chichiteux avec shishiteux – le groupe ne s'appelle pas Delirium par hasard... En 1970 Maître Renard participe à la création d'Actuel et en 1981 à celle de Radio Nova, par la suite on le retrouve un peu partout, sur Canal + et aux quatre coins du globe...

Crium Delirium, vivra aussi en communauté, lorsque le groupe cessera ses activités il peut être fier de ne pas avoir collaboré avec le système marchand que leur idéologie réprouvait. N'auront enregistré aucun disque. Ce n'est qu'en 1994 que sortira chez Legend l'album Power to the carottes, Live concerts 1972 - 1975, réédité en 2012 sous le titre de Live Concerts Psykedelick. Le groupe reformé remontera sur scène au Cirque Electrique en 2011 et 2012 pour leur quarantième anniversaire...

Guitare : Thierry Magal / Drums : Lionel Magal / Bass : Daniel Léonard / Synthétiseur : Loy Ehrlich / Percussions : Victor Angel / Saxophone, flûte : Patrice Quentin

Aventures chez l'om : au mieux cela correspond aux notes graves de l'entrée de la Tétralogie de Wagner ( la version de Furtwangler s'impose ) et pas du tout l'entrée tonitruante d'Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, non c'est l'om initial pas très catholique si je puis me permettre à moins que ce ne soit le dernier des hOMmes, bref un truc malingre, torsadé et fuselé, Crium ( prononcez criom, crihomme si vous êtes du midi ) mugit comme il peut pour se mettre au diapasOM de l'illusiOM cosmique. N'oubliez pas que nous sOMmes en plein deliriOM cosmique et que les carottes sont cuites. Ouverture lutins : guitare allègre, les lutins sont là et batifolent dans l'herbe folle, une voix vocalise ( que pourrait-elle faire d'autre ) laissez vous emporter sur les ailes du rêve, de temps en temps la guitare miaule et la voix l'imite, peut-être pour coller à la réalité du monde, rien n'est moins sûr. Shilum baba : si vous croyez planer durant huit minutes... le début est abrupt, ça se calme un peu, et vous voici embarqué dans une fuite jazz au pas accéléré, les cymbales en apesanteur qui s'écrasent à terre, la guitare qui couine, preuve que le matou d'Alice s'est coincé la queue dans l'entrebâillement de la porte, tapis volant avec adjonction de moteur, font semblant de camer pardon de calmer le mouvement mais les moustaches du greffier frisent un max, z'avaient manifestement le shit peu somnolent, la guitare sonne comme une trompette dans laquelle une souris serait rentrée par erreur, elle qui pensait s'introduire dans une trompe d'éléphant pour vous ronger le cerveau. Peut-être est-ce pour cela que vous entendez des bruits bizarres. Montlery guitare : un peu moins de jazz, un peu plus de rock, en roue libre, puis on ralentit pour négocier une courbe et plein pot par la suite, des pneus de guitare crissent pas de chance d'impressionner nos preux cyclomotoristes, tiens en plus ils ont posé le chat sur le porte- bagage, l'a la frousse mugit comme une baleine, à perdre haleine. Menuet / Paris ORTF : z'ont dû arriver à la cour du Roi Soleil, Louis XIV esquissant quelques pas devant le grand bassin, scène idyllique... '' Villes champignons'' : ( Bass : Thierry Robert / synthétiseur : Jean-Paul Demarque ) : ...qui ne dure pas longtemps, changement de programme, c'est maintenant qu'ils nous refilent leur intro de Also sprach Zaratoustra, à leur manière, apparemment le héros nietzschéen a grignoté des champignOMs hallucinogènes, car leur jazz boursoufflé a de l'hélium dans l'aile, délire grave, éructe des bruits étranges et marche lourdement, se reprend, volète parmi les pâquerettes, sont tous heureux du résultat, allégresse générale, l'un d'entre eux, ce doit être Lionel se met à chanter, l'appuie un peu fort sur ses baguettes, je comprends pourquoi à Toulouse ils étaient restés cois, la voix est quelconque, gâte un peu la musique. Quand vient le soir : ( voix + écriture : Joe Corbeau ) : moment japonais, la flûte décrit la courbe du lac et du croissant de lune, la voix en apesanteur passe mieux, Un vol de corbeaux disparaît dans la nuit. Roanne gig : synthé qui imite le piano, z'ont changé de style, c'est du tout doux, à l'ambiance romantico-sentimentale, la basse apporte le noir nécessaire, cris d'oiseaux dans les arbres, chacun pousse son instrument tour à tour, une espèce d'impro pour que chacun puisse démocratiquement s'exprimer, le matou s'en donne à cœur joie, s'en vient roucouler sur le croissant, Lionel énervé essaie de le faire taire à coups de mailloches mais il s'obstine, il se retire dans ses appartements en prenant son temps, il pousse de tendres gémissements mais non ses maîtres possèdent un muscle cardiaque de silex tranchant. Peanuts butter : l'on reste dans la même ambiance, des sons, des bruits, des tintements, un vocal intermittent, peu à peu se mettent d'accord pour lancer un riff à peu près potable, presque une digression musicale, doit y avoir une vache qui a quitté son pâturage et qui s'en est venu goûter aux honneurs de la scène, elle agite sa cloche parfois en dehors du rythme parfois en plein dedans, cela ressemble aux longueurs qui encombraient les plages de bien des albums de l'époque... quand ça se termine Marguerite a dû être contente de retrouver son étable. Nous aussi. Les '' Road managers'' : tiens un rythme de rock, l'on croirait entendre les Beatles sur Back in the URSS, un petit côté humoristique qui se veut désopilant, question chant, c'est un peu le niveau zéro, tout le monde ne peut pas être Au bonheur des dames. Stone à rouler : on a eu peur qu'ils se prennent pour les Stones, mais non, tapent dans le free, mais plutôt ordonné, en fait cela ressemble à des chutes de studio des Fab Four, tout se calme après un gros éclat de voix superfétatoire dont on n'aime pas le suppositoire, et l'on repart dans une de ces improvisations qui se mord la queue, z'ont dû avoir l'idée en regardant le chaton, nous on s'ennuie un peu. enchaînent sur une ritournelle aigrelette de Boîte à musique : qui fomente et fermente dans le grave qu'une mouche vient troubler de son vrombissement agaçant, le synthé fait des vagues, patchwork, cut up musical, l'on verse tout ce qui passe dans l'esprit dans le chaudron et l'on sert chaud. Gros pets terminaux. Antibes : une espèce de symphonie à la Jethro Tull rehaussé de mouvements de menuets joués à la trompette. L'on s'approche de Dada mais l'on ne galope pas assez vite. Radium : qui n'irradie pas, quand on n'a plus rien à dire l'on laisse parler les autres, l'on s'amuse à pousser le curseur et l'on surfe sur les stations radio. Asks Freeco sax wah wah : un sax qui jappe, puis finit par miauler, serait-ce le matou déguisé. Night in Tabarka : La nuit tombe sur Tabarka et l'ennui finit par s'appesantir sur nous.

La dérision est un art d'un maniement aussi dangereux que le sabre d'abordage, parfois c'est elle qui vous découpe en rondelles et vous rend dérisoire. Les sept derniers titres sont pesants. Donnent l'impression que Crium Delirium n'avait plus rien à dire. Je ressors de ce disque déçu. Le groupe s'est-il fourvoyé dans une impasse qui l'a mené à l'échec ? J'aurais dû m'en douter, si vous ramassez un papillon mort et que vous rouvrez les ailes pour retrouver la fragrance de son vol, elles se déchirent, et les lambeaux colorés sont emportés par le vent...

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

UNE TENEBREUSE AFFAIRE

EPISODE 05

LE CERCLE

C'était hallucinant. Dans le noir de la nuit, l'ombre de Charlie Watts se chargea d'une opacité encore plus ténébreuse, à tel point qu'elle se détacha si distinctement sur le fond du ciel nocturne que celui-ci par un contraste saisissant sembla plus pâle. Plus tard nous en convînmes tous, nous y voyions comme en plein jour. Lorsqu'il passa devant moi, les chiens grognèrent, leur poil se hérissa, mais ils n'aboyèrent pas. Je posai la main sur l'échine de Molossito, il tremblait de peur et Molossa n'en menait pas plus large. De la gent humaine personne n'osa bouger, plus tard le Chef m'avoua qu'il n'avait même pas songé à allumer un Coronado. Charlie marchait sans se presser, il descendit la pente jusqu'au niveau du Chef devant lequel il effectua un demi-tour et entreprit de remonter la côte. Que voulait-il ? A quel jeu se livrait-il ? J'étais sûr qu'une fois qu'il m'aurait dépassé il disparaîtrait, mais non, il effectua un demi-tour et recommença son manège. Quarante-sept fois. Nous avions l'impression que parfois il s'approchait de nous à nous frôler de ses pieds, pour nous dévisager. Ou alors il s'éloignait de quelques pas sur le côté, comme l'on prend du recul pour mieux ajuster son regard. Il amorçait son quarante-huitième passage, ce fut Joël qui rompit le charme, il se leva et cria : '' On l'entoure tous en rond, en formant une ronde'' . Charlie s'arrêta indécis, nous eûmes tôt fait de l'entourer, '' On le touche, on le touche !'' hurla le Chef, et chacun s'avança les bras tendus, nous ne touchâmes que nos propres mains, réunies en faisceau, nous ne saisîmes que du vide, Charlie Watts avait disparu.

Les exclamations fusèrent, il y eut des cris de déception ( les garçons ) et d'effroi ( les filles ), mais aussi des rires ( là, je ne sais pas ). C'était incroyable, l'on en discutait encore à l'heure où blanchit la campagne. Le soleil se levait, nous explorâmes les buissons, le bois, la prairie, rien, aucun indice, aucune trace. Bizarrement, l'échec avait soudé l'équipe. Personne ne songeait à renoncer. L'énigme était trop intrigante. L'on convint de se retrouver le soir même à vingt heures tapantes. Pas question de rester inactifs entre temps, l'on se partagea les tâches qui écouteraient l'intégralité de la discographie des Stones, qui farfouilleraient dans les livres consacrés à leurs musiques et à leurs augustes personnes, qui se renseigneraient sur les apparitions de fantômes, qui chercheraient dans l'ensemble de la presse régionale... Quant à nous, le Chef déclara qu'il avait à se livrer à Paris une expérience du plus grand intérêt, ayant un rapport certain avec le fantôme de Charlie Watts, et qu'il était sûr de ramener du nouveau. Des regards envieux nous suivirent lorsque nous montâmes dans la Lambor.

L'EXPERIENCE

Je brûlais d'impatience, à quelle mystérieuse expérience le Chef se livrerait-il. Durant tout le trajet il n'en souffla mot, il se contenta d'allumer Coronado sur Coronado. Je pensais qu'il se mettait en condition. Aussi fus-je très surpris une fois la Ghini stationnée pas très loin de notre repaire quand il m'annonça que j'étais le sujet de l'expérience. Lui se contenterait de garder les chiens dans la voiture. Ma tâche n'était pas très compliquée, elle n'exigeait aucune force physique ni aucune intelligence particulière. Je n'ai pas aimé son intonation lorsqu'il souligna ces deux derniers mots d'un sourire ironique.

    • Je vous octroie dix minutes, au bout desquelles les cabotos et moi vous rejoindrons. Ouvrez la grille et vos deux yeux. Ce n'est pas très difficile. Juste un peu d'observation. Inutile de pénétrer dans la baraque en planches, ou dans l'abri atomique. Exécution immédiate, agent Chad je compte sur vous.

Je m'exécutais. Il n'y avait rien à voir de spécial, le jardin d'une quarantaine de mètres de côté s'étendait devant moi. De l'herbe, quelques arbustes, un fourré de ronces, du lierre rampait sur terre, quelques fleurs, quinze ans qu'il n'avait pas été travaillé, rien de surprenant dans ce qui s'offrait à ma vue. Dans mon dos j'entendis le ricanement du Chef, Molossa sur ses talons, Molossito se débattait entre ses bras.

    • Alors agent Chad, l'on fait chou blanc dans le potager ! Par bonheur Molossito est plus intelligent que nous, c'est en le regardant batifoler lors de notre précédente visite qu'il a découvert ce que je m'interdis de nommer le pot aux roses, voici donc la deuxième séquence de notre expérience !

Le Chef posa Molissito à terre qui fila droit dans un des quatre coins pour arroser le pied d'un gros buisson, puis il traversa l'espace ventre à terre pour relâcher un jet d'urine sur les restes d'un parterre plutôt mal en point, après quoi très consciencieusement il aspergea de quelque gouttes de pipi la végétation plutôt maigrelettes des deux angles restants.

    • Chef, c'est terrible !

    • Le mot est faible, agent Chad, nous sommes embarqués dans une drôle d'histoire, nous ne sommes pas au bout de nos peines !

    • Oui Chef, ça va mal !

    • Vous pouvez le dire agent Chad, ça va malvaceae !

    • Chef vous pensez que...

    • Nous n'avons plus le temps de penser Agent Chad, sifflez les cabots, l'on repart à toute blinde sur Limoges !

UNE NUIT EFFROYABLE ( Part 1 )

Nous devions nous retrouver à vingt heures, mais à dix huit heures tous les étudiants étaient déjà présents. Ça caquetait dur en ingurgitant force fournées de chips. Joël distribuait des sandwichs :

    • Au minimum trois chacun, prenez des forces, j'ai l'intuition que la nuit sera mouvementée !

    • Au-delà de toutes nos espérances cher Joël - la voix grave du Chef résonna d'une manière si lugubre que les conversations cessèrent aussitôt – mes amis les résultats de la terrible expérience à laquelle nous nous sommes livrés, l'Agent Chad et moi-même, cette après-midi à Paris sont sans appel, nous n'avons pas le temps de tout vous expliquer, nous devons avant tout vous devez vous préparer à l'épreuve la plus terrible de votre existence. Je ne retiens personne, ceux qui veulent rentrer chez eux, qu'ils le fassent, sans honte et sans regret, je vous laisse trois minutes pour vous décider, après ce très court laps de temps, il sera trop tard.

Il y eut un silence de mort. Personne ne bougea. Pas une seule défection, nous avions affaire à des garçons et des filles courageux. Le Chef reprit la parole :

    • Nous nous sommes séparés ce matin, vous vous étiez organisés en groupe de travail, auriez-vous trouvé quelque chose d'intéressant ?

Seules deux mains se levèrent, deux filles qui se présentèrent :

    • Françoise et moi Framboise, avons cherché du côté de Sympathy for the devil, et en farfouillant nous sommes tombés sur le personnage d'Aleister Crowley et cette anecdote étrange où il devient invisible, peut-être cela a-t-il quelques relations avec les apparitions et les disparitions subites de Charlie Watts ?

Le groupe fut agité d'un étrange remous, peut-être certains pensaient-ils qu'ils auraient mieux fait de rentrer à la maison pour regarder la télévision entre Papa et Maman, mais le ton ferme du Chef leur permit de comprendre que ce rêve était désormais inaccessible :

    • Une bonne piste, mais ce n'est pas la bonne, pour Crowley il ne s'agissait pas de se transformer en homme invisible, mais d'interférer avec la conscience des passants qu'il croisait et de leur ordonner de ne pas le voir. Une simple question d'autosuggestion ! Non ce soir, vous vous en apercevrez, vous intimerez à Charlie Watts les ordres que vous voudrez, il restera insensible à vos désidérata. Je puis déjà vous révéler ce qui va se passer. Hier soir nous avons guetté Charlie Watts et tenté de l'arrêter, mais ce soir c'est Charlie Watts qui tentera de nous attraper !

A suivre...