Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/09/2021

KR'TNT ! 523 : SANFORD CLARK / PARLOR SNAKES / PETER STUART ( + HEADLESS HORSEMEN ) / KYLE CRAFT

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 523

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

30 / 09 / 2021

 

SANFORD CLARK / PARLOR SNAKES

PETER STUART ( + HEADLESS HORSEMEN )

KYLE CRAFT

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Walking in the Sanford, Clark

 

L’immensément peu connu Sanford Clark vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui rendre un petit hommage. Il ne laisse pas grand-chose, mais la postérité préfère parfois la qualité à la quantité. Toute sa réputation repose sur un hit composé par Lee Hazlewood, «The Fool» et enregistré dans le trou du cul des Amériques, à Phoenix, Arizona, là où Hazlewood officiait et là où Totor est venu apprendre le métier d’ingé-son.

À l’époque où Sanford Clark débarque dans le biz, Elvis règne sans partage. Sanford Clark est l’un des rares à ne pas vouloir faire du Elvis. Comme Tonton Leon, Dwight Twilley et Jimmy Webb, Sanford Clark est un Okie. Originaire de Tulsa, il veille à conserver sa personnalité. Son copain d’école s’appelle Al Casey. C’est Al qui branche Lee sur Sanford. Lee va le voir chanter dans un club et flashe. Clark quelle claque ! Le côté fascinant de cette histoire, c’est que Lee Hazlewood choisit Ramsey’s Recorders, un studio de Phoenix aussi rudimentaire que celui de Sam Phillips à Memphis : même intuition de la chambre d’écho, même qualité du slapback. Même après qu’il eut connu le succès à Los Angeles et s’être associé en 1957 avec Lester Sill, Lee a continué d’aller enregistrer chez Ramsey’s Recorders à Phoenix.

Il y eut nous dit-on 100 takes de «The Fool» avant que Lee ne soit satisfait. Avec ce hit, Sanford Clark se situait entre Elvis et Cash, avec un fort parfum Sun. Sur sa Gretsch Country Club, Al Casey reprenait un guitar lick d’Hubert Sumlin, celui de «Smokestack Lightning». Al l’avoue humblement, il aimait tellement ce riff qu’il ne pouvait s’empêcher de le pomper.

Puis comme les autres, Sanford est parti en tournée avec tous les cracks de l’époque - Gene Vincent was strange, he had a lot of problems : booze, women, pills. Jerry Lee was crazy. Carl was a nice guy... drunk all the time. We all stayed drunk all the time - Puis la vie a suivi son cours, Dot Records - Dot qui veut faire de Sanford Clark un nouveau Par Boone, mais Sanford ne veut pas - puis Jamie Records, puis Hollywood et d’autres choses : entre 1967 et 1969, Sanford enregistre sur le label de Lee, LHI, mais le big time espéré ne vient pas. Cash comme Elvis furent sans doute mieux drivés car ils goûtèrent en leur temps au big time. Dans les années 70, Sanford construisait des maisons pour vivre. Il savait tout faire, depuis les fondations jusqu’au toit. Il tenta un retour dans les années 80 avec Al et Lee, mais ça n’a pas marché. Alors il est parti s’installer en Louisiane, là où était née Marsha, sa femme.

On retrouve tous les cuts de They Call Me Country (paru en 1968) sur la petite compile Bear Shades qui d’ailleurs reprend la pochette de The Return Of The Fool dont on va causer à la suite. Pour tous les amateurs de son américain, Bear est la providence, un peu comme Ace en Angleterre. Bear pousse généralement le bouchon jusqu’à aller reconstituer des carrières entières avec des coffrets pour lesquels on n’hésite pas à se ruiner. Tu mets le nez là-dedans et t’es baisé. Les coffrets Jerry Lee, Sun Records, Carl Perkins, Johnny Burnette, Bob Luman, Fats Domino, Freddie King, Sleepy LaBeef, Ricky Nelson sont indispensables. Et d’autres encore. Parce qu’ils sont extraordinairement documentés et tout est remastérisé, c’est-à-dire qu’on est chaque fois au maximum des possibilités du son. Bear ajoute du jus au slap de Sun pourtant déjà parfait. Quand ils n’ont pas assez de matière, ils font des petites compiles, comme c’est le cas pour Sanford Clark. Shades démarre en mode pépère western rockab avec «Better Go Home» et ça monte vite en puissance avec un «Step Aside» bien slappé derrière les oreilles. Ces mecs avaient un sens aigu de l’art original, le slap. «Step Aside» est du rockab pur - Step aside/ You’re standing in my way - Sanford Clark chante à la normalité, mais le beat derrière, c’est du pur step aside. Puis il va chercher avec «(They Call Me) Country» le deep American sound, Sanford Clark pourrait bien être le chanteur définitif, down down down. Puis s’enchaînent deux merveilles inexorables, «Shades» et «The Fool». Il rentre dans le lard du rockab avec une élégance sidérante. L’accompagnement fout bien le souk. Même quand il vire country, Sanford Clark reste élégant. Il allie voix de rêve et présence, il chante tous ses cuts au deepy deep, on le voit encore prendre «It’s Nothing To Me» derrière le son, going to the bar, et il secoue le cocotier de la country avec «Calling All Hearts». Quand il ne roule pas au deepy deep, il roule au doux du doux, ce qui au fond revient au même. On donnerait son père et sa mère en échange d’une merveille comme «Streets Of San Francisco». On voit arriver un crin-crin sur des chefs-d’œuvre de country-rock comme «Oh Julie» et «Mother Texas». Il fait aussi une version du «Movin’ On» de Johnny Horton et ça se termine avec le «Nine Pound Hammer» de Merle Travis, pur jus de pulsatif rockab.

Il existe une autre compile Bear qu’on peut aussi acheter les yeux fermés : The Fool, parue en 1992. Trente-quatre cuts et pas le moindre déchet. Rien qu’avec la version originale de «The Fool», on est comblé, car voilà un solide rockab émaillé d’atermoiements de hand up coulés sur le velours de l’estomac et l’indicible Sanford Clark se balade sur l’haricot du lucky guy. Tout aussi savamment rockab, voici «Lonesome For A Letter» et «I Don’t Care». Sanford Clark caresse le rockab dans le sens du poil. Comme tous ses collègues, il va perdre le rockab pour passer au rock’n’roll et pouf sur qui on retombe ? Sur «Nine Pound Hammer», pas de stand-up mais du heavy rock que Blaine Cartwright a forcément écouté. Plutôt que de heavy rock, on pourrait parler du heavy génie de Sanford Clark. Retour au wild jive avec «Ooo Baby», mais sans stand-up. Chaque fois, Sanford Clark crée son monde, il chante ses cuts à lui tout seul, il amène «A Cheat» à la menace de Gene Vincent pour en faire une solide merveille - She was a cheat - Chaque fois, ça passe comme une lettre à la poste, même les cuts plus sirupeux. Ce démon de Sandord Clark teste tout. On assiste au retour du slap dans «Love Charms» et on entend l’infernal Al Casey gratter sa gratte sur «Modern Romance». Avec «The Man Who Made An Angel Cry», Sanford Clark fait de la country gothique, un filon que va exploiter Johnny Cash. C’est exactement le même son. Sanford Clark rentre toujours dans le chant par la voix, il est le singer absolutiste, il résonne profondément. Son «Swanee River Rock» est imbattable, il cumule en permanence la fantastique allure et la fabuleuse présence. Il faut s’habituer à cette idée. Il faut s’habituer à l’extrême classe de cet artiste. Il fait son Elvis avec «A Cheat», pas de problème, il fait ce qu’il veut de sa voix. «Sing ‘Em Some Blues» sonne comme un hit légendaire. Tout ce qu’il entreprend est beau, comme ce «Still As The Night» - Still as the night/ Cold as the wind - Il rentre dans le lard des cuts avec insolence, à la voix de charme, comme avec «I Can’t Help It», un groove élastique qui dépasse les bornes. Voix + swing, c’est gagné d’avance. Son «Bad Luck» se situe à la croisée de Bo Diddley et de Buddy Holly. Assez sauvage et extraordinairement bien foutu. Sanford Clark taille sa route, il remonte le courant comme un saumon royal. Al Casey reclaque un solo dans «New Kind Of Fool». Al ? C’est la bête !

Et puis les fans de Sanford Clark écouteront aussi The Return Of The Fool paru en 1968 sur le petit label de Lee, LHI Records. Bon alors attention c’est album de country, et si on n’aime pas trop la country, c’est mal barré, même si comme on l’a déjà dit ou laissé entendre, Sanford Clark chante comme un dieu. Rien de plus paisible que cet album, à l’image de la pochette, d’ailleurs, avec un Sanford en fondu sur un mur de bois, c’est très américain, ce truc-là. Il chante «The Black Widow Spider» au velours de l’estomac, avec ce démon d’Al Casey en filigrane. C’est d’ailleurs l’album des filigranes. Pochette comme son, le folky-folkah est en filigrane dans la country et la pop en filigrane dans le folky folkah. On entend des notes de basse bien rondes dans «Berthany Ann», mais Sanford Clark ne changera pas de cap. La country ne lui fait pas peur. En B, on échappe le temps d’une chanson à la country avec «A Woman’s Disgrace», un groove d’intérêt général bien foutu, avec un Al Casey derrière posté en franc-tireur.

Signé : Cazengler, Sandy Donc !

Sandford Clark. Disparu le 4 juillet 2021

Sanford Clark. The Fool. Bear Family Records 1992

Sanford Clark. Shades. Bear Family Records 1993

Sanford Clark. The Return Of The Fool. LHI Records 1968

 

Crawling King Snakes

 

Excellente surprise que ce set des Parlor Snakes au petit festival de la Friche Julien. Comme tout le monde, on les a déjà vus plusieurs fois en première partie de groupes anglais ou américains, mais comme on aime à le répéter, on vient rarement pour les premières parties, sauf s’il s’agit de King Khan & BBQ (Nuits de l’Alligator) ou des Demolition Doll Rods inexplicablement balancés en première partie des Black Keys dans un vieux concert évreutin à l’Abordage (le monde à l’envers !). Rien n’est pire pour un petit groupe que de devoir jouer en première partie. Souvent, devant un maigre public, avec des gens qui retournent au bar au bout de deux morceaux. Il faut avoir un moral d’acier. On ne souhaiterait ça à personne, pas même à son pire ennemi.

Cette fois les Parlor Snakes jouent en milieu d’affiche et c’est bien, après Mustang et avant Maxwell Farrington, bon positionnement, d’autant que leur réputation a continué de grandir et qu’ils ont déjà enregistré trois albums, ce qui comme on dit, leur donne de la bouteille. La petite chanteuse blonde a considérablement évolué, ce qui pouvait passer à une époque pour un manque de confiance en soi a complètement disparu au profit d’une fantastique présence. Même sa voix semble avoir gagné en puissance, elle danse énormément et c’est toujours bien, toujours dans le ton, elle tapote en plus sur un petit keyboard, et ça lui donne de la contenance. Elle peut se montrer assez spectaculaire, elle va chercher des effets, comme la chanteuse des Love-Me Nots ou encore Jake Caveliere des Lords Of Altamont, elle n’hésite pas à tomber à genoux et à secouer les cheveux. Elle est extrêmement bien entourée, section rythmique à toute éprouve, sobre mais bien badaboum quand il le faut et elle partage le Snake power avec un guitariste pour le moins excellent, Peter Krzynowek, un adepte de la virée sidérale, un fondu du fondant psyché, il a l’air de rien comme ça avec sa demi-caisse Gibson, mais quand il décide de partir en vrille, rien ne l’arrête. Il a une technique de jeu extrêmement dépouillée, ce n’est pas le genre de mec à tomber à genoux en faisant des grimaces, non, il reste bien campé sur ses deux pattes et veille au grain, car en fait tout le son repose sur lui, et du son, il en sort à la pelle. C’est très impressionnant, on les sent bien en place et prêts à remplir des salles. Pourvu qu’on leur laisse la tête d’affiche ! Ils ont fait leurs preuves et comme on dit dans le monde du travail, gravi les échelons, alors bon vent les Parlor Snakes !

Le truc qui frappe, c’est la qualité des échos. Tous les échos s’accordent à dire : «Parlor Snakes, ouais c’est vraiment bien !». Ce qui est parfaitement exact. Tout est en place, le son, le show, les climats, comme le montre leur troisième album paru en 2019, Disaster Serenades.

Dès l’ouverture de bal, ils tapent dans le big atmospherix avec un «Darkness Rises» bien monté en neige. C’est tellement bien foutu qu’on est un peu obligés de les prendre au sérieux, ce qui n’est pas toujours facile. Ce genre de chose doit se faire naturellement, ce qui est ici le cas, elle fond sur le chant comme l’aigle sur la musaraigne et c’est copieusement arrosé de power chords et enfoncé à coups de stomp. L’autre big hit est le «Frenquency» qui boucle à la fois l’album et le set. Tout le son est de sortie, ça joue à la disto fuzz de la fin du monde, elle flatte bien le beat et le guitar slinger fait des étincelles, superbe smurge de Snakes, c’est compressé dans l’expression du désir, elle revient par vagues, c’est extrêmement tendancieux, émaillé de coups du sort, quelle belle explosion ! Peter Krzynowek fait aussi des étincelles dans «Das Meer», un cut qui a un sacré goût de revienzy, ce mec fait le son des Snakes, il est très avancé dans les sciences soniques, son riffing est une horreur définitive, il croise bien le fer avec les descentes de basse au fond de la poudrière, ils jouent ça à deux, mais on voit bien se dessiner la silhouette du guitar hero dans la fumée. Le bassman vole le show dans «Marc Bolan’s 5th Dream» et avec le morceau titre, on voit Eugénie se battre contre vents et marées. Ce mélange de lady power et de trash power est stupéfiant, Peter Krzynowek ramonerait même les savoyards ! Il barde le cut de son jusqu’à l’ultraïque et tout est complètement overwhelmed. On voit aussi «End Of Love» monter en puissance, Eugénie monte au cœur du power. Ce groupe assure bien sa continuité.

L’album précédent vaut lui aussi son pesant d’écailles de serpent, notamment «The Ritual» qu’ils jouent aussi sur scène, dernier cut de l’album, quasi-glam. Eugénie monte sur la barricade et comme Gavroche, elle claque sa chique. Balèze car monté sur un stomp, Peter Krzynowek rapplique au note à note et elle repart sur le stomp, effet superbe, avec des chœurs de mecs d’outre-tombe. L’autre big hit de l’album s’appelle «Always You», ils repartent à fond la caisse, comme on dit sur les circuits de course automobile, elle est fameuse, elle balance bien sa chique, it’s always you ! D’ailleurs, dès le «We Are The Moon» d’ouverture de bal, elle se met en pétard. Peter Krzynowek embarque le cut en enfer, donc ça nous convient, on est là pour ça. D’ailleurs le cut suivant s’appelle «Here Comes The Hell», simple coïncidence ? Va-t-en savoir ! Si on attend des Snakes des choses sérieuses, les voilà. Le mec prend le pouvoir et passe au heavy gaga. Fière allure ! Eugénie rentre dans le chant à la suite et elle arrache tout ce qu’elle peut. Du coup, ça fait dresser l’oreille. Tout est bien énervé sur cet album et le son reste puissant, de bout en bout. Elle est assez héroïque car on la voit se balader dans le big atmosphérix avec un mélange de candeur et d’assurance qui doit être salué. C’est Peter Krzynowek qui calibre «Sure Shot», avec elle juste derrière. Les Snakes n’ont pas de mains, donc difficile de leur serrer la pince pour les remercier, mais l’intention est là. Long live the snakes !

Signé : Cazengler, Poubelle snake

Parlor Snakes. La Friche Lucien. Rouen (76). 12 septembre 2021

Parlor Snakes. Parlor Snakes. Double Legs Records 2015

Parlor Snakes. Disaster Serenades. Hold On Music 2019

 

Inside the goldmine

- La dynastie du Stuart

 

De toutes celles qui faisaient le tapin porte de Clichy, elle était la plus sexy. Petite, brune, un peu typée, elle portait toujours une robe assez courte. L’idéal pour les passes dans les bagnoles. Elle se pointait sur les Maréchaux vers minuit, l’heure d’affluence. Comme ses copines, elle assistait à l’interminable défilé de voitures en maraude. Tous ces hommes seuls roulaient au pas, et baissaient la vitre pour demander le tarif. Ils le connaissaient, bien sûr, mais c’était une façon d’entrer en contact et de dominer une certaine forme de timidité, car les putes peuvent parfois intimider. Surtout lorsqu’elles sont jolies ou qu’elles ouvrent leur manteau pour monter des seins extraordinaires. Des seins dont tous ces hommes n’osent même pas rêver dans leur pauvre vie sans éclat. La petite pute brune en voyait même certains repasser plusieurs fois, comme s’ils faisaient leur marché et qu’ils hésitaient. Pour la plupart, ils affichaient des trognes d’obsédés sexuels, beaucoup de chauves et de gros quadras, dans d’immondes bagnoles de banlieusards. Si les putes intimidaient, ces types-là par contre foutaient carrément la trouille, car ils puaient frustration sexuelle. C’était dans le regard. Des regards de tarés à la Crumb. En les voyant, elle se disait qu’il fallait quand même avoir le cœur bien accroché pour aller sucer ces sales porcs. Mais bon, un billet de cinquante, c’est un billet de cinquante. Une Twingo s’arrêta. Le mec n’avait pas l’air très clair. Il était passé deux ou trois fois. Il la fit monter. Elle lui indiqua un coin tranquille dans une rue avoisinante. «Là-bas, au fond de l’impasse...». Entre la pipe et l’amour, il avait cette fois-ci choisi l’amour, bien qu’il ne fût pas en état. Trop défoncé. Il coupa le contact et mit la main sur sa cuisse. Elle se laissa faire. Il remonta jusqu’en haut de la cuisse et fut surpris d’y trouver une petite bite en érection. Pour masquer son trouble, il lui demanda comment elle s’appelait et elle répondit Marie.

 

L’ancêtre de Peter Stuart s’appelait aussi Marie, mais elle connut un destin beaucoup plus tragique puisqu’elle fut décapitée. Pour des amateurs de gaga éclairé, Stuart est un nom familier puisqu’il fut dans les années 80 le bassman des Tryfles puis des Headless Horsemen.

Dans une trépidante introduction à l’histoire des Headless Horsemen, Jeff Cuyubamba rappelle que ce groupe jouait un rôle actif dans la scène gaga de Manhattan. Le haut lieu de cette scène s’appelait The Dive, un club où s’illustraient notamment les Fleshtones et les Vipers. L’origine des Headless est toute bête : en 1985, Elan Portnoy et Ira Elliott rentrent épuisés d’une tournée européenne avec les Fuzztones et ils décident de quitter le groupe. Ils contactent Peter Stuart qui à l’époque joue dans les Tryfles et lui proposent de monter les Headless Horsemen. Et voilà le travail.

On ne prend pas l’album sans titre des Tryfles à la légère. Pourquoi ? Parce que Peter Stuart y joue de la basse. Peter y roule pour nous. On le voit remonter le courant dans «In The End» et ramener son bassmatic au premier plan, alors ça devient excellent, la basse broute bien la motte du cut. Cette délicieuse impression se confirme avec «Yourself To Blame» et un «It’s All Wrong» très garage sixties, mais plus dans le riffing que dans le bassmatic. On tombe ensuite sur une énormité : «See No More», tapée au stomp. Bien sûr Peter nous pointe ce stomp au bassmatic. Des orages grondent sur son manche. C’est un bassman complètement génial. Alors évidemment, on saute sur la B et qu’y trouve-t-on ? «What A Way To Die»» joué une fois encore au grondé de basse avec cette incroyable profondeur que pouvait atteindre le garage new-yorkais. «When I See That Guy» sonne terriblement gaga, mais on parle ici d’un gaga de basse pure. Peter Stuart fait planer la menace sur le riffing urbain. S’ensuit un «Heads I Win» chanté sale à la Van Morrison et tellement inspiré ! Il faut aussi écouter ce fascinant «Lust» dévoré de l’intérieur par le bassmatic. Pourtant alerte et jumpy, le cut s’enroule comme un snake autour du tronc et s’en va vriller un solo de carcasse. Ils terminent avec un «Should’ve Done Me Wrong» digne des Byrds. Envoûtement garanti. N’ayons pas peur des mots et baptisons si vous le voulez bien Peter Stuart de bassman génial.

Il effectue son grand retour l’année suivante avec les Headless Horsemen et l’album Can’t Help But Shake. Il a recouvert sa basse Hofner d’une peau de guépard. Pas de problème : les Headless Horsemen jouent un gaga new-yorkais parfait. Ils ont un vrai son. On sent une énorme présence dès le morceau titre d’ouverture de bal. Stuart est là avec son bassmatic dévorant. C’est un bonheur que de voir Elan Portnoy partir en maraude de killer solo. Ça joue au picking dans «Bitter Heart». Fabuleuse énergie ! Ils tâtent du psyché avec «Her Only Friend», mais de façon straight et sensible. On salue la qualité de leur power-pop («Just Yesterday») et «I See The Truth» tape dans l’esprit 13th Floor, même ambiance, et soudain, Elan Portnoy part en vrille de fuzz. On se croirait dans «Rollercoaster» ! Ils restent dans l’élégance avec «It’s All Away» et la B va éclore au soleil avec un «Same Old Thing» bardé de jolies harmoniques intestines. Ils développent une extraordinaire vélocité dans «Not Today». Ça change tout et c’est bardé de coups d’harmo magique, comme au temps des early Yardbirds, même genre d’exubérance, avec en prime un chant un peu insalubre. «Any Port In A Storm» se montre encore une fois digne des Byrds. Tout est joué à la guitare véloce sur cette B inspirée et bénie des dieux. «She Knows Who» n’échappe pas à la règle. Vélocité et invention sont les deux mamelles des Horsemen. «She Knows Who» grouille de solos flash. Elan Portnoy bourre bien sa dinde. Ils finissent en mode brasier avec «Cellar Dwellar», un hit gaga new-yorkais qui s’inscrit dans la meilleure tradition. Peter Stuart y explose tout.

En fouinant dans ses archives, Peter Stuart a déterré des Demos et des Rarities des Headless Horsemen. L’album s’appelle Yesterday’s Numbers et franchement, il vaut le détour. On retrouve l’imparable bassmatic de Peter Stuart dès «Can’t Help But Shake». Il y joue la meilleure des sourdines panthère. Les Who furent certainement la plus grosse influence des Headless Horsemen, ce que confirme «Glow Girl», un inédit des Who qu’on trouve sur Odds & Sods. Les Headless le jouent avec toute la désirabilité de l’expectitude, en mode full bloom. Avec son côté psyché dévoyé, «Any Port In The Storm» sonne encore comme un hommage aux Who, d’autant que les harmonies vocales sont parfaitement délurées. Tiens, encore un cut des Who : «Armenia City In The Sky», tiré de The Who Sell Out, certainement l’un des cuts les moins accessibles des Who. Les Headless sont très forts : ils enchaînent trois Whoisheries coup sur coup. Tout y est, il ne manque rien, ni le power des chœurs, ni les clameurs grandioses, ni le heavy bass drive. Attention à leur version de «Leavin’ Here» ! Bon d’accord les Birds sont passés par là avant, mais les Headless font honneur à ce vieux coucou signé Holland Dozier Holland. Bassmatiqueur cannibale, Peter Stuart le dévore tout cru. En B, on va bien se régaler avec «See You Again», très psyché, bien situé dans la lignée des early Byrds, avec un son fabuleusement visité par les esprits. On entend le bassmatic de Peter Stuart cavaler dans la pampa. Mais attention, le coup de génie arrive. Il s’agit d’une reprise magistrale du «Bad Boy» de Larry Williams. Le bassmatic porte le destin du cut, en sourdine et en profondeur. Son de rêve. Peter Stuart joue là des gammes ardentes. Il atteint le sommet du genre. C’est un bonheur que de l’entendre croiser les solos envenimés d’Elan Portnoy. Stuart rôde partout sous la surface du son, il joue de millions de notes dévorantes, il crée une tension énorme. Ils font aussi un belle reprise du «Good Times» des Easybeats. C’est dire si ces New-Yorkais avaient le bec fin.

Signé : Cazengler, Piteux Stuart

Tryfles. The Tryfles. Midnight Records 1986

Headless Horsemen. Can’t Help But Shake. Resonance 1987

Headless Horsemen. Yesterday’s Numbers. Demos & Rarities. Dangerhouse Skylab 2018

 

L’avenir du rock

- Que le grand Craft me croque

 

Les mecs d’une radio locale ont la bonne idée d’inviter l’avenir du rock pour l’interviewer.

— Soyez le bienvenu dans notre émission, avenir du rock. Est-il vrai que vous n’avez jamais vu un médecin ?

— Jamais ! Pourquoi verrais-je un médecin, puisque je suis un concept ? Soyez gentil, posez-moi des questions intéressantes.

— On vous a vu cracher sur la tombe de Pandemic. Faut-il voir ce manque de respect comme l’expression de votre vraie nature ?

— Que voulez-vous dire par vraie nature ?

— L’anarchie, le rébellion...

— Ha ha ha, j’en étais sûr... Vous me faites marrer ! Toujours les mêmes clichés... J’ai craché sur la tombe de Pandemic parce qu’il était con et je ne supporte pas les cons. Celui-là a battu tous les records, c’est aussi la raison pour laquelle je ne le craignais pas...

— Alors qui craignez-vous, avenir du rock ?

— Ni Dieu ni le diable. Même pas le vieillissement des générations. Au contraire, celles qui vont disparaître vont laisser la place à d’autres, c’est un peu comme les forêts, elles existeront encore longtemps après que les poètes et les bûcherons aient disparu. Et cette idée me réjouit à un point que vous n’imaginez pas. Des tas de kids vont monter des groupes et enregistrer d’excellents disques.

— Voulez-vous citer un nom pour nos auditeurs ?

— Kyle Craft !

 

En effet, l’avenir du rock ne s’est pas fourré le doigt dans l’œil : ce Showboat Honey paru en 2019 est une drôle de révélation. Vive Le Rock fut le seul canard à signaler sa parution, et la kro fut tellement élogieuse qu’on lança aussitôt un grappin sur l’album pour monter à l’abordage. Il va falloir désormais compter avec Kyle Craft. Il est capable de grande présence et chante avec un sens aigu de la décadence, ce qui pour un Louisiana boy est un peu surprenant. Apparemment il serait réinstallé à Portland, Oregon. Un autre détail pique bien la curiosité : son look. Il trimbale un look à la Jeffrey Lee Pierce, ou à la Ty Segall, c’est comme on veut, mais what a look ! Il nous embarque dès le «Broken Mirror Pose» d’ouverture de bal et se montre l’héritier des grands hermaphrodites avec «O! Lucky Hand». C’est même complètement inespéré. Dans «2 Ugly 4 NY», des gros paquets d’accords l’envoient déraper dans les virages. Il déclenche une énorme pop craze, on entend en fond de trame les accords du «Should I Stay Or Should I Go» des Clash. Effet garanti, même quand on n’aime pas trop les Clash. Et voilà qu’il nous sort une pure pépite pop avec «Blackhole Joyride». Il fait du Bowie élégiaque, façon «Life On Mars». Il vise de toute évidence l’explosion du super-stardom, il en a les épaules et le power. Il tape dans le pathos du Rock’n’Roll Suicide pour «Deathwish Blue» et poursuit son festival d’excellence avec «Blood In The Water», mais il s’agit ici d’une excellence éhontée, bien sûr. Comme Scott Walker et Bowie, ce mec est dans la chanson. Il charge «Buzzkill Caterwaul» de toutes les audaces possibles, ce démon de Kyle crafte son craftmanship, ça vire au big drive de guitar God et là, on s’incline devant le whacking du solo de guitare. Tu suivrais Kyle Craft jusqu’en enfer, rien qu’avec «Sunday Driver». Il a tout, la voix et les chansons. Et le power destructeur. Ce mec nous accompagne jusqu’à la sortie avec «Johnny (Free & Easy)» qu’il chante au sucre de glam de la Louisiane, puis avec l’excellent «She’s Lily Riptide», rempli de son à ras-bord. Comme CC Adcock, Kyle Craft est doté du pouvoir suprême : une présence inexorable.

Kyle Craft apparaît en gros plan sur la pochette de son premier album paru en 2016, Dolls Of Highland. Ce portrait est d’ailleurs le seul document du digi. Pour le reste, débrouille-toi avec la musique. Le point fort de l’album est l’«Eye Of A Hurricane» d’ouverture de bal, un cut très early Bowie. Kyle Craft est dans l’ambition compositale, il déploie ses ailes, soutenu par une belle orchestration. Il dispose d’un soutien considérable. Mais le niveau de l’album est inférieur à celui de Showboat Honey. Les compos peinent à jouir, il faut attendre «Black Mary» pour voir Kyle Craft honorer sa pop, comme l’époux honore l’épouse, il la prend à la hussarde et Black Mary adore ça, elle adore le shagging de Kyle, oooh Kyle ! «Pentecost» sonne aussi comme un coup du sort et vire très vite à l’énormité. Il bourre le mou de son songwriting de pulsatif, on se croirait chez Ziggy. Justement, voici le morceau titre qui sonne assez glam - We used to dance/ All nite - Il entre dans le glam comme chez lui, il est d’une crédibilité à toute épreuve, il mélange même le glam à la country, c’est quasiment une exclusivité craftienne. Ce mec s’accommode bien de ses cuts, il sait se rendre indispensable, même si la teneur compositale manque de fer. Ce genre de carence ne pardonne généralement pas. Il compense en battant ses œufs en neige. Il se montre un brin dylanesque avec «Gloom Girl» et fait de l’Americana de la Nouvelle Orleans avec «Future Midcity Massacre».

Tout aussi passionnant, voilà Full Circle Nightmare, paru en 2018. On entre dans cet album comme on entre dans le salon de la pochette : des gens assis ou debout papotent, toute une faune interlope occupe l’espace et au milieu, assis face à une brune fatale se tient Kyle Craft en costard blanc. Il s’est teint les cheveux en brun. Il propose dix chansons extrêmement sophistiquées. C’est à la fois du rock et pas du rock, il vise une certaine forme de décadence mais avec du son et une vraie voix, comme le firent jadis des groupes comme Gay Dad ou les Everyothers, mais il lui arrive aussi de sonner comme Bowie. Il chante par exemple son «Fever Dream Girl» par dessus la jambe, accompagné par un riffing hargneux, un peu comme si Mott The Hoople s’émancipait avec un chant de traviole. Il fait un «Exile Rag» qui pourrait sortir tout droit d’Exile, avec ses coups de slide et son côté downhome de Nellcôte, l’occasion pour lui de tester le country rock décadent, notion d’une grande modernité. Il est certain que les Stones ne sont jamais allés aussi loin dans le ciel d’un cut. Kyle Craft sort toujours vainqueur, surtout quand il fait son Ziggy. Ce mec sent bon la rock star. Sur son morceau titre, il sonne comme Eno accompagné par les Wildhearts. Kyle Craft est un artiste complètement imprévisible. Il reprend la suite des grands décadents comme Jobriath, il monte bien l’ambiance d’«Heartbreak Junky» en neige, ça ne demande qu’à exploser, comme jadis chez les Everyothers. On se sent comme plongé dans un phénomène : Kyle Craft n’a pas de hits, il n’a que des chansons et un son énorme. Son «Belmont (One Trick Pony)» sent bon le glam des temps modernes, le solo prend feu et Craft revient dans la braise des chœurs au I can take you. L’album est véritablement à l’image de ce salon qu’on examine inlassablement, cet endroit mystérieux qu’on dirait conçu par David Lynch et peuplé de gens mystérieux, de jolies femmes et de zonards distingués. «Fake Magic Angel» monte vite en température, le fantôme de Ziggy se manifeste via la voix de Craft, un Craft qui ne cherche pas le hit mais le feel Stardust, le power glam extrêmement évolué. Il termine cet album envoûtant avec «Gold Calf Moan», un bouquet final à la Scott Walker qui va se coller au plafond comme une vieille carte de France.

Signé : Cazengler, Kyle Cra-Cra

Kyle Craft. Dolls Of Highland. Sub Pop 2016

Kyle Craft. Full Circle Nightmare. Sub Pop 2018

Kyle Craft. Showboat Honey. Sub Pop 2019

Les commentaires sont fermés.