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14/04/2021

KR'TNT ! 506 : ROCKABILLY GENERATION NEWS 14 / JACK NITZSCHE / TERRY STAMP / PESTICIDES / ERIC BURDON BAND / AALON / ROCKAMBOLESQUES XXIX

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 506

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

15 / 04 / 2021

 

ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 14 )

JACK NITZCHE / TERRY STAMP

PESTICIDES / STÜPOR MENTIS / NINETEEN

ERIC BURDON BAND / AALON

ROCKAMBOLESQUES 29

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Talking ‘Bout My Generation

- Part Four

 

Ah tiens, un article sur Carl Mann dans le dernier numéro de Rockabilly Generation. Heureuse initiative, car le pauvre Carl fait partie des laissés pour compte du système solaire. En fait, le vrai problème est qu’il est arrivé après la bataille. Craig Morrison indique dans Go Cat Go que le rockab avait rendu l’âme en 1959. Et Carl Mann se pointe chez Uncle Sam en 1960. Mais nous dit Morrison, il amène une nouvelle énergie. Morrison le compare à Charlie Rich, lui aussi arrivé sur le tard, quand Uncle Sam n’y croyait plus. Charlie et Carl même combat ? Oui, car ils jouent tous les deux du piano comme des cracks et se passionnent pour Nat King Cole. Comme l’indique Greg Cattez dans son article, «Mona Lisa» est un vieux hit de Cole modernisé par Carl. Cet excellent pianiste qu’est Carl va d’ailleurs jouer dans le backing band d’un autre Carl, le cat Perkins.

Uncle Sam crée une filiale de Sun qui s’appelle Phillips International Records et c’est sur ce label que Carl et Charlie sortent leurs hits en 1960, «Mona Lisa» et «Lonely Weekends». Mais il s’agit d’un autre son. Si on veut du rockab, il faut écouter «Love My Baby» d’Hayden Thompson, sorti au même moment sur le même label.

La bonne surprise de l’article pré-cité, c’est qu’on y trouve une interview de Carl menée par Craig Morrison en 2007. Carl raconte sa vie, et c’est passionnant, car ça grouille de détails qui comme les asticots font le charme capiteux d’un vieux claquos. Il fait bien sûr référence aux deux mamelles du rock’n’roll, l’église et le Grand Ole Opry. D’où cette country flavour qu’on retrouve chez Carl et qui passe plutôt bien. Alors qu’Elvis en pinçait pour les blackos, Carl en pince pour les whiteys, Webb Pierce, Hank Snow, Ernest Tubb et son idole Lefty Frizzel. Il y a toute la collection. Le seul blackos qu’il cite, c’est Brook Benton. Et bien sûr, ce gros veinard de Carl voit Elvis sur scène à Memphis avec Scotty Moore et Bill Black.

Alors on ressort de l’étagère les albums de Carl. Oh il n’y pas grand chose, Carl n’est pas aussi tentaculaire que Jerry Lee. Deux albums ont échappé aux purges : le Gonna Rock’n’Roll Tonight cité dans l’article et paru sur Charly/Rockhouse et un Super Saver paru sur Rockhouse Records qui fait un peu double emploi, car on y retrouve dix titres enregistrés en Hollande en 1978 et qui figurent déjà sur le Gonna Rock’n’Roll Tonight, mais on le garde rien que pour cette reprise d’«Ain’t Got No Home» dont parle Cattez, un hit de l’immense Clarence Frogman Henry, down in New Orleans baby ! Frogman et Fatsy même combat ? On y reviendra. En tous les cas, cette version d’«Ain’t Got No Home» et un modèle de swing du Tennessee. Carl rocke avec aisance, il propose un son enraciné dans la country, mais il ramène un tel swagger («Judy») qu’on oublie complètement de bâiller. Ce démon de Carl swingue son swagger avec un talent fou, mais il ne la ramène pas pour autant. On sent chez lui une sorte de réserve naturelle. Just sing, boy ! Son «Bull O The Woods» claque bien le beignet de la country et dans «It Couldn’t Happen With Me», il salue Jackie Wilson et Elvis en développant ce que Jean-Sébastien Bach appellerait un pulsatif bien tempéré. Et on finit par se faire baiser avec «Pretend», une sorte d’ancêtre flamboyant du country rock qui, soit dit en passant, pave le chemin de l’enfer de bonnes intentions. Carl est le roi de l’up-tempo, son «Gonna Drink A Little Beer» reste résolument country, mais avec un gros pétard dans le cul.

Sur Gonna Rock’n’Roll Tonight, Carl est accompagné par le Dave Travis Bad River Band. On est là en plein revival rockab des années 80 et Dave Travis accompagnait tous les vétérans du rockab qui débarquaient en Europe pour se refaire une jeunesse et émerveiller les fans. L’album est donc enregistré en Hollande et wow, quel punch ! On est vite subjugué par ce «Why Do I Keep Telling Lies To Me» bien enveloppé de son. Carl n’est pas avare d’élégance naturelle, telle qu’on la retrouve chez les grands artistes américains issus du cru. Il semble chanter «Till I Waltz Again With You» avec du coton dans la bouche, et ça explique en partie que sa voix puisse déconcerter. Globalement, Carl reste très classique, il ne s’éloigne jamais de son swagger et derrière lui, le Dave Travis Bad River Band sonne comme le backing-band de rêve. Ces Anglais connaissent toutes les ficelles. C’est vrai que de ce côté-là, on a aucun mauvais souvenir. Carl tape dans l’excellent «I’m Left You’re Right She’s Gone», un vieux hit signé Stan Kesler, d’abord enregistré sur Sun par Elvis, puis par Jerry Lee dans les année 70, pendant sa période Smash/Mercury. En B, Carl reprend un autre hit magnifié par Jerry Lee pendant la même période, l’excellent «You Win Again». Carl s’en sort avec les honneurs. Pas facile de passer après des géants comme Elvis et Jerry Lee. C’est la raison pour laquelle ce mec attache autant que le sparadrap du Capitaine Haddock. Carl pique sa petite crise d’exotica avec «South Of The Border» - Aïe, Aïe, Aïe - Il fait une mexicana à la Dario Moreno et ça tient debout. Quant au morceau titre, c’est un beau flash de rockab. Le Bad River Band soigne le pulsatif et Carl se met à bopper le blues. Cette belle aventure hollandaise s’achève bien sûr avec «Mona Lisa». Le Bad River Band joue dans la joie et la bonne humeur. On salue donc ce mélange réjouissant de swagger country et d’aisance vocale.

Ravi aussi de croiser dans l’interview de Gilles Vignal le nom de Jerry Dixie, impeccable rocker de banlieue. Dix ans de relations avec sa frangine. Merveilleuse époque !

Signé : Cazengler, dégénéré

Rockabilly Generation. N°17 - Avril Mai Juin 2021

Carl Mann. Gonna Rock’n’Roll Tonight. Charly Records 1975

Carl Mann. The Best Rockhouse Tracks. Rockhouse Records 1989

 

La philosophie de Nitzsche

 

L’histoire de Jack Nitzsche ? Inutile d’aller fouiner chez votre libraire, messieurs les philosophes, on la trouve chez Ace. Il suffit de joindre l’utile à l’agréable en rapatriant les trois tomes de The Jack Nitzsche Story. Les livrets dodus vous diront tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la philosophie de Nitzsche et les compiles vous garantiront pas mal d’allers et retours au paradis, dont l’accès est grandement facilité depuis que Dieu est mort. Car c’est bien de paradis dont il s’agit dès lors qu’on aborde la question nitzschéenne, n’en déplaise aux adeptes de la surhumanité que sont ces messieurs les vampires.

Passionnante histoire que celle du petit Jack avec sa tête de boche, mais de bon boche : ado il porte ces lunettes à grosses montures d’écaille rondes que portaient tous les militants communistes dans les années trente, Paul Nizan en premier. Comme son nom l’indique, la famille Nitzsche descend du célèbre métaphysicien, mais en émigrant aux États-Unis d’Amérique, ils décidèrent de virer l’e du nom pour brouiller les pistes, vu que l’ancêtre était plutôt mal vu au soit-disant pays de la liberté. Jack naît donc dans un état stoogien, le Michigan, mais il grandit dans une maison où on écoute de l’opéra. Jour et nuit, 365 jours sur 365. C’est une famille de fondus. Chez les Nitzsche, on ne vit que pour la musique. Jack apprend à jouer Chopin pendant que son grand-père pleure de joie à l’écoute de Figaro. Et puis un jour, le jeune Jack se pétrifie : il entend les Penguins à la radio. Puis les Moonglows et Chuck Berry. Alors le ciel s’ouvre au dessus de lui et il aperçoit non pas Dieu parce qu’il est mort, mais sa vocation qui est le rock’n’roll. En vertu de l’efficacité qui caractérise si bien l’esprit germanique, il décide de s’inscrire dans une école qui enseigne ce qu’il appelle the modern harmony, qui précise-t-il, n’a rien à voir avec the traditional harmony. Il n’en existe que deux écoles aux États-Unis d’Amérique : l’une se trouve à Boston et l’autre à Hollywood. Allez hop, direction Hollywood. Mais il ne reste pas longtemps à l’école de musique. En 1956, il commence à composer des chansons et fait du porte à porte pour les vendre. Drring ! Je vends des chansons ! Et comme chacun sait, le monde est petit puisqu’il débarque un jour chez Art Rupe. Il ne pouvait pas mieux tomber. Rupe qui est un homme civilisé le reçoit bien et lui donne du boulot. Jack entre au paradis puisqu’il bosse avec H.B. Barnum et Sonny Bono. C’est auprès d’H.B. que Jack apprend son métier d’arrangeur. Nous y voilà. Le Gai Savoir. L’arrangeur est l’un des personnages clés du processus métaphysique d’enregistrement - Stan Applebaum was my hero. Je pense qu’il était le plus grand arrangeur vivant. C’est lui qui a écrit tous les arrangements pour Leiber & Stoller, notamment pour les Drifters. C’est le premier arrangeur auquel je me sois intéressé. Leiber & Stoller furent les premiers à utiliser des grandes chorales, des sections de cuivres et de cordes sur les disques de rock’n’roll, les early Drifters records - Si Jack est devenu tellement légendaire, c’est grâce à Phil Spector qui le prit comme arrangeur.

C’est parti mon kiki. Jack rencontre tous ces mecs qui vont faire la légende du rock californien, Kim Fowley, Gary Paxton et il partage même un bureau avec Lee Hazlewood. C’est là dans ce petit bureau que Lester Sill lui présente Phil Spector. Jack dit que Phil avait tout compris au rock’n’roll et qu’il était bien plus en avance que la plupart des gens qui étaient dans le record business et qui n’auraient jamais dû y être, ajoute-t-il. Totor et Jack démarrent ensemble avec «He’s A Rebel». Comme les Crystals sont à New York et Totor à Los Angeles, il enregistre son Rebel avec Darlene Love et les Blossoms. Jack arrange le coup. Rebelote avec «Zip-A-Doo Doo Dah» de Bob B. Soxx & the Blue Jeans : c’est Darlene qui chante avec Bobby Sheen. On est en 1962, ces mecs ont déjà pris de l’avance. Jack commence aussi à bosser avec Jackie DeShannon et Terry Melcher. C’est à partir de là qu’on peut parler d’une philosophie de Nitzsche. Il multiplie les coups de Jarnac, il compose «Needles & Pins» avec Sonny Bono pour les Searchers et produit «When You Walk In The Room» pour Jackie DeShannon. Et plein d’autres trucs terribles qu’on retrouve dans Hearing Is Believing. The Jack Nitzsche Story Volume 1 - 1962-1979, comme par exemple la version de «Needles & Pins» que fit Jackie DeShannon, Jackie & Jack pour le pire et pour le meilleur, over the top, Spectorish en diabolo. On trouvera aussi son gigantic «Lonely Surfer», du surf qui n’est pas du surf. Partout beaucoup de son, même beaucoup trop de son, écouter les 26 titres de la compile d’une traite est impossible, ça monte trop massivement au cerveau. Il faut aussi entendre Doris Day, c’est-à-dire la mère de Terry Melcher, chanter «Move Over Darling» à la délectation du chant d’excellence. Doris Day, c’est la reine de Saba dans le dreamworld de Jack. Un Jack qui reprend aussi le «Rumble» de Link Wray mais qui l’écrase sous des tonnes d’orchestrations. Dans les pattes de Jack, Round Robin s’en sort mieux qu’avec P.F. Sloan, en tous les cas son «Kick That Little Foot Sally Ann» est une pure merveille. On reste dans le Spectorish avec l’«Always Wanted» des Paris Sisters. Pur génie productiviste. On trouve aussi Lesley Gore avec l’excellent «No Matter What You Do», elle est très impliquée dans sa démarche, elle rentre dans le lard du cut à coups de yeah et les filles derrière font yeah yeah yeah. Et puis voilà la rois de la romantica, les Righteous Brothers avec «Hung For You». Eux ne font pas de détails : ils explosent le firmament. Sans doute a-t-on là le pire génie vocal qui se puisse imaginer. On a ici un cut écrasé par les harmonies vocales et les violons, Jack te tartine ça à bras raccourcis, on est un pleine spectorisation des choses. Malheureusement, Jack est embauché comme directeur musical du TAMI Show et il ne peut pas travailleur avec Totor sur «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’» et Totor lui en voudra énormément. C’est aussi en 1964 que Jack rencontre les Stones qui l’invitent à jouer quelques coups de piano sur leur deuxième album. Le piano sur «Satisfaction», c’est aussi Jack Flash. C’est encore Jack qu’on entend pianoter dans «Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow». Jack nous raconte que les Stones furent les premiers à louer le Studio RCA pour deux semaines à plein temps. Ça ne s’était encore jamais fait à Hollywood. Pas de producteur, ils jouaient quand ils voulaient. Jack ira un peu plus tard à Londres diriger la chorale qu’on entend dans «You Can’t Always Get What You Want». Par contre, c’est avec les sessions de «River Deep Mountain High» que prend fin la relation Totor/Jack. Parmi les autres grands clients de Jack, voici Bob Lind avec «Cheryl’s Going Home», solide rasade de heavy country rock, ah quelle merveille ! Chaque cut est gorgé de vérité apostolique, même l’«I Could Be So Good To You» de Don & The Goodtimes nous renvoie tous aux gémonies des Beach Boys. Mais Jack vois-tu explose le concept Beach Boys pour faire du Don & The Goodtimes. Il leur fait ce cadeau royal. Avec Jack, on voit proliférer les artistes géniaux, tiens comme Judy Henske. Jack la fait sonner comme une reine de Saba avec «Road To Nowhere», même si elle a des accents à la mormoille. Elle gueule dans les cataractes que déverse l’orchestre de Jack, cette femme semble complètement exacerbée, alors avec elle, on explore les mystères de la création. Dans Shindig!, on parle d’emotionally-wracked delivery et d’une clattering production that suggests Nico & the Velvet Underground were listening. Encore un cut de magie pure avec «The Heat Of Juliet Jones» de Garry Bonner. Quand Jack traîne dans les parages, ça ne pardonne pas. Voilà encore un hit invraisemblable, avec tellement de profondeur de champ qu’on en chope le torticolis. C’est explosif ! Pour Jack, c’est le triomphe artistique de 1967. Il devient pote avec Neil Young et produit «Expecting To Fly» du Buffalo Springfield, qui pour une raison x n’est pas sur la compile - To this Days, Expecting To Fly is one of my favorite things - Il s’entend si bien avec Neil Young qu’il part en tournée avec Crazy Horse. Il va aussi bosser sur After The Gold Rush. On croise d’autres noms appétissants dans cette histoire : les Flamin’ Groovies (Supersnazz), Them et Lou Christie dont on peut entendre l’excellent «Wild Life In Season», ultra produit, sans concession, mais fascinant. Merci Ace ! C’est la force des compiles, elles nous embarquent sans discussion, surtout les compiles nitzschéennes. Tiens, voilà P.J. Proby avec «You Make Me Feel Someone». Big singer ! Au sommet du Nitzsche System, là haut, dans ces cimes qui furent si chères à son aïeul. Monté comme un âne, Proby explose la rondelle du Wall. Jack bosse aussi avec Tim Buckley, son «It Happens Everytime» est bardé de barda, c’est impensable de beauté et de voix de rêve, on assiste à la collision de tous les arts. Retour aux Stones avec «Sister Morphine», mais cette fois c’est Marianne qui chante. Jack lui offre sur un plateau d’argent les profondeurs de l’hospital bed. Il a tout compris, Jack se coule dans le mood de Marianne, dans l’excellence du mythe - Tell me sister Morphine, when you’re coming round again - Jack donne aussi de la profondeur de champ au James Gang sur l’album Rides Again et il opère un grand retour aux choses sérieuses avec sa seconde épouse Buffy Sainte-Marie, car il produit l’album She Used To Be A Ballerina et notamment l’excellent «Helpless» qui est un cut de Neil Young. C’est bien que Jack soit allé s’occuper de Buffy. Elle le mérite plus que les autres. Elle bouffe tout le ciel de l’Amérique, elle rayonne dans l’écho du son de Jack. Par contre, le «Mixed Up, Shook Up Girl» qu’il produit pour Mink DeVille est plus pop. Il bosse aussi avec David Blue et revient filer un coup de main à Neil Young sur Harvest. Jack fait aussi son album avec le London Symphonic Orchestra, le fameux St Giles Criplegate. C’est l’époque où il intègre Crazy Horse. Il s’est installé avec sa famille dans le ranch de Neil Young. Le groupe répète pour préparer la tournée et c’est pendant ces répétitions que Danny Whitten fait une overdose. Il produira aussi un album de Graham Parker (Squeezing Out Sparks), un deuxième Mink DeVille (Coup de Grace) et un Ricky Nelson (Playing To Win). Mais en arrivant dans les années 80, il se spécialise dans les bandes originales de films.

C’est d’ailleurs avec un extrait de BO que s’ouvre le bal d’Hard Workin’ Man - The Jack Nitzsche Story Volume 2, et pas n’importe extrait, puisqu’il s’agit du «Hard Working Man» de Captain Beefheart tiré de la BO de Blue Collar, un cult movie de Paul Shrader. Certainement l’un des cuts les plus heavy de tous les temps. Jack utilise le two-tons hammer et des musiciens de blues triés sur le volet, Ry Cooder, Jesse Ed Davis, Tim Drummond, Stan Szelest et Jim Keltner, t’as qu’à voir. Puis la foire à la saucisse se poursuit avec Karen Verros et «You Just Gotta Know My Mind», un freakbeat nugget qui démolirait n’importe quel juke. Karen fout le feu. Dans une interview, Terry Melcher explique que le grand secret de Jack est de savoir réunir les bons musiciens. Terry et Jack bossent pas mal ensemble entre 1962 et 1964, avec des gens fabuleux mais tombés dans l’oubli comme Emil O’Connor («Some of Your Lovin’», classic jive avec des filles terribles en backing). Tiens encore un coup de Jack Jarnac avec Tammy Grimes et «Nobody Needs Your Love More Than I Do», elle chante à l’explosif, elle est encore plus balèze qu’Esther Phillips, c’est inespéré de puissance mirobolante, Jack la spectorise jusqu’à la moelle. Et pouf sur qui tombe-t-on à la suite ? Sur Merry Clayton, une copine d’église d’Edna Wright, la sœur de Darlene Love. Edna Wright ? Mais oui bien sûr, Honey Cone ! Le monde est petit. On est en 1963, l’année la plus prolifique de Jack, et Merry Clayton enregistre «It’s In His Kiss». Merry s’entend bien avec Jack. On la retrouve d’ailleurs derrière Buffalo Springfield («Expecting To Fly»), Buffy Sainte-Marie et les Everly Brothers. Sans oublier les Stones, bien sûr. Avec «It’s In His Kiss», Merry est le clou du bec, elle épouse l’acceptance du génie nitzschéen, cette folle chante même par dessus les cimes. On reste dans la magie pure avec les Righteous Brothers qui avec «Just Once In My Life» démarrent en bas de l’échelle des grandeurs et montent aussi sec au big shoot, ça explose, Jack nous emmène au sommet du génie productiviste. C’est le cut insurpassable par excellence. Tous les adjectifs du monde n’y pourront rien. Pareil avec Timi Yuro qui claque son «Teardrops Till Dawn» dans la meilleure prod de l’époque. Ah la vache !, comme dirait Jacques Vachet. C’est Nick Venet qui met Jack sur ces coups-là, Timi Yuro, les Walker Brothers et les Paris Sisters. Jack soigne aussi le «Like Someone In Love» de Bobby Vee, encore une prod de rêve, une prod à se damner pour l’éternité. Jack fait sonner les Satisfactions («Baby I’m So Glad It’s Raining») comme Abba. La chanteuse du groupe n’est autre que Gracia Ann May, la première épouse de Jack. Elle chante sa pop jusqu’à l’extinction des feux de la rampe, my baby ! Et on apprend au passage qu’il existe un album inédit des Satisfactions, même chose pour Tammy Grimes, alors ça nous baver comme des grosses limaces dégueulasses. Humain trop humain, comme dirait Nitzsche. Dans The Gas Co, Greg Dempsey se prend pour Dylan, il attaque «Blow Your Mind» au nez pincé mais avec une pugnacité qui le rendrait presque sympathique. Nouvel exemple de génie productiviste avec Donna Loren et «Woman In Love (With You)», encore une blanche que Jack orchestre jusqu’à l’orgasme, et là on a un pur orgasme pop. Nouveau shoot de heavy prod avec l’«As Long As You’re Here» de Zalman Yanovsky, l’ex Lovin’ Spoonful. Jack en fait un festin imputrescible. Oui, on tombe dans les excès de langage avec des mecs comme Jack, tout avec lui devient tellement inexorable. Il propulse tous ses clients dans des dimensions magiques. Jack est donc un magicien. On tombe ensuite sur une version nitzschéenne de «Mr Soul» par les Everly Brothers. C’est hanté, joli et psyché, volontairement ralenti pour les besoins de la causalité. Et pouf tout ré-explose à nouveau avec les Turtles et «You Know What I Mean». C’est chanté aux bouquets de voix, et donc voilà la pop du paradis. Une pop digne de celle de Brian Wilson, d’une hauteur de vue imprenable, montée en cascades de bouquets d’harmonies. Il faut se souvenir qu’en 1965, les Turtles étaient l’un des meilleurs groupes de pop-folk-rock d’Amérique. Jack bosse aussi avec les Monkees dont voici «Porpoise Song», belle pop-song entreprenante dotée d’un soubassement beatlemaniaque et montée sur des couches de voix caviardées de violons. Signé Goffin/King, «Porpoise Song» est le cut d’ouverture de Head. Shindig! parle de luminescent waves of organ punctuated with chimes, bells ans the trance-like mantra of goodbye goodbye goodbye. Comme on l’a déjà rappelé, Jack intègre Crazy Horse et produit leur premier album, où se trouve cette merveille signée Danny Whitten et rendue célèbre par Rod The Mod, «I Don’t Want To Talk About It». Wow, l’excellence du Whit ! Voilà une nouvelle équation de base : Danny/Jack, c’est-à-dire singer + song + prod. Imparable. Voilà du Jack pur avec «I’m The Loniest Fool», tiré de son troisième album solo mystérieusement passé à l’as. Puissamment orchestré, il ne peut pas s’empêcher de mettre la gomme sur les orchestrations et il chante au beau milieu de tout son bordel de violonades. Pour les beaux yeux des Tubes, Jack recrée le wall of sound et Fee Waybill plonge dans la romance des Ronettes avec une fille pleine de soupirs. «Don’t Touch Me There» a la violence d’un pastiche miraculeux. Ils sont en plein dans le teen soap opera de bas étage, mais que de son, my son ! - I love your sweet sweet lips ! - Et puis Jack atteint le sommet de sa carrière en réunissant Taj Mahal, John Lee Hooker et Miles Davis pour la BO du Hot Spot de Dennis Hopper. Le cut qu’Ace propose s’appelle «Bank Robbery» et Hooky mène le bal des vampires, car c’est bien de cela dont il s’agit, baby, c’est sec et net, avec du Miles dans le groove, cut mythique par excellence, with Taj in tow and Miles on daggers. Puis quand Jack comprend que sa carrière est finie et qu’il faut tourner la page, il commence à rédiger ses mémoires. Mais il découvre CC Adcock, le fils du capitaine. Jack va hélas casser sa pipe en bois avant que ne sortent les précieux albums du fils du capitaine. On trouve à la fin du booklet un long témoignage de CC Adcock, ce kid de Louisiane qui eut le privilège de bosser avec Jack. Il donne pas mal de détails effarants qui nous reposent du discours habituel : «Oh Jack Nitzsche quel génie, blih blih blah blah», non Adcock nous parle d’un Jack parfois défoncé qui s’écroule la gueule dans son assiette, qui s’habille comme un toréador parce qu’il aime bien les belles fringues et qui quand il a quelques verres dans le pif envoie des couteaux dans la lune (throw knives at the moon), et puis il y a toute l’histoire de la connexion avec Willy DeVille et un peu de junk pour faire bonne figure. On ne fréquente pas des junkies notoires comme Danny Whitten ou Keith Richards sans finir par y goûter. Autant Totor aimait les guns, autant Jack aimait les knives. Il lui arrivait d’en sortir un dans un business meeting, ou alors, il demandait une somme faramineuse, mais, nous dit Adcock, c’était toujours hilarant.

Justement, c’est CC Adcock qui ouvre le bal du volume 3, Night Walker - The Jack Nitzsche Story Volume 3, avec l’excellent «Castin’ My Spell», reprise d’un grand hit des Pirates. Adcock nous raconte toute l’histoire de cet enregistrement. Ça donne un Spell assez raw, très spécial, pas loin de Moon Martin mais avec un son à casser la baraque. La guitare y fait la pluie et le beau temps. Même genre de rage mortifère que dans «Cold Turkey». Et puis voilà l’épisode Performance dont Jack a composé la BO. Rappelons que le réalisateur Donald Cammell se disait le filleul d’Aleister Crowley et pour s’imprégner d’occultisme, Jack est allé faire un stage chez un occultiste de Laurel Canyon. Californian hell, okay ? Pour Jack pas de problème, sa passion de l’occulte lui vient de sa mère qui en était très férue. On retrouve donc pas mal de clients de Jack dans la BO de Performance : Buffy Sainte-Marie, Ry Cooder et Merry Clayton. Merry est toujours la backing singer que Jack appelle en premier. On reste dans les big voices avec Darlene Love et «A Long Way To Be Happy». C’est elle la reine du Wall of Sound. Elle est l’une des meilleures incarnations de la pop. Nous voilà au cœur du mythe. Darlene rappelle que les Crystals qui chantent «He’s Rebel» sont en réalité elle et sa sœur Edna Wright, Fanita James et Gracia, la femme de Jack. On entend aussi deux cuts de Jack, «Night Walker» et «Lower California». Dans le premier Jack ramène une basse pouet pouet atroce dans sa soupe aux choux, avec des violons à gogo. Le deuxième est exceptionnel de légendarité. Jerry Cole fit partie du Wrecking Crew et donc le voilà avec «Every Window In The City». Ce mec est ce qu’on appelle un pléthorique, il a passé sa vie à enregistrer des instros dans tous les coins. Alors voilà les vraies Crystals avec «Little Boy». LaLa Brooks chante et fait le bonheur du Wall. Quelle chance il a ce frimeur de Willy DeVille d’avoir Jack derrière lui pour produire «Just Your Friends». Jack est très demandé en fait. Sa réputation se base sur la BO de Performance et le premier album de Crazy Horse. Et donc Jack va produire trois albums de Mink DeVille. Willy : «He was like my crazy uncle. I called him my mentor and my tormentor.» C’est au cours de l’enregistrement d’«Is This What I Get For Loving You» des Ronettes que Totor comprit qu’il atteignait la fin de son règne. L’esprit n’y était plus. Le Wall ne marchait plus. Il fallait passer à autre chose. Il cessa de produire les Ronettes et demanda à Jeff Barry de s’en charger. Voilà les Fleetwoods avec «Come Softly To Me» : encore un hit des silver sixties d’une implacabilité sans fin. Avec «June Is As Cold As December», les Everly Brothers passent à la psychedelia rampante. Quel merveilleux artefact ! Pour sa femme Gracia et ses Satisfactions, Jack sort son meilleur Wall : «Daddy You Just Gotta Let Him In» sent bon les sixties, les filles sont sucrées à souhait, voilà le power des girl groups. Énormes dynamiques de son : Jack = sucre + power. Jackie DeShannon bénéficie aussi du power de Jack dans «Try To Forget Him», elle ramène tout son sucre. Elle est assez balèze dans le genre. Elle descend dans la pop yéyé et brasse à gogo. Jackie explique qu’ils forment un couple à trois avec Jack et le producteur Dick Glasser - It was a wonderful musical mariage between the three of us - Le «What About You» de Ramona King date du temps où Jack bossait avec Lee Hazlewood. Shindig! précise toutefois que la pauvre Ramona fut parasitée by some hysterical backing vocals ricocheting of that wall od sound. C’est Lee Hazlewood qui présenta Jack à Phil Spector et ça l’amusait de taquiner Totor en lui disant : «Tu m’as piqué mon arrangeur», à quoi Totor répondait : «Tu n’as jamais rien fait pour lui, moi au moins j’en ai fait quelque chose (I turned him into something)», alors forcément, Lee ne pouvait qu’opiner. Dans le Wall, on retrouve aussi la Mama, Michelle Phillips avec «Victim Of Romance». C’est incroyable de la voir soloter. Elle est bonne en plus. Superbe poulette. Solo de sax et merci Jack ! On reste en plein dans le Wall avec l’un des cuts les plus mythiques de Jack : «Yes Sir That’s My Baby» par Hale & The Hushabyes qui sont en réalité Edna Wright (lead vocals), avec la crème de la crème en backing vocals : Sonny Bono, Cher, les Blossoms et Jackie DeShannon. Jack n’a jamais été aussi loin dans le productivisme. C’est Brian Wilson qui chante les high harmonies. Jack fit aussi cette chanson avec Emil O’Connor puis avec Gracia, pour l’album des Satisfactions qui sortira peut-être un jour. Back to Terry Melcher avec l’«Here I Stand» des Rip Cords. Ça bombarde ! Aw comme ces mecs savaient gérer leur barcasse !

Alors bien sûr, l’idéal est d’aller fouiner sous les jupes des albums de Jack. Son premier album solo s’appelle The Lonely Surfer et date de 1963. Comme on l’a dit, Jack orchestre, il ne chante pas. Le morceau titre, c’est du son pour du son et comme ça touche au surf, Jack balance du clong clong de basse dans les vagues. Il ramène des effets orchestraux spectorculaires, c’est du wow de base et de rigueur, car oui wow comme c’est beau ! Big instro pompeux comme Pompée, bien dressé vers l’horizon, pur jus de cinémascope, Jack fait sonner les rrrooo rrrooo des péplums. Il tape son «Stranger On The Shore» à la trompette mariachi pour un résultat quasi-fellinien. Tout est pesé comme chez Totor, peut-être même encore plus. La moindre note semble soupesée, étayée, façonnée, bichonnée. Jack adore les trompettes qui bavent. Le deal de Jack, c’est donc le big intro chauffé à la clameur, avec tous les moyens du bord, violonnades, espagnolades. Il faut attendre «Ebb Tide» pour sentir ses naseaux frémir. Comme Totor, Jack travaille la matière du rêve, il va chercher la profondeur, il développe le même genre de power, «Theme From Mondo Cane» en est la preuve : ils ont tous les deux le même sens de l’élévation congénitale.

Paru en 1972, ST. Giles Cripplegate est un album enregistré avec le London Symphony Orchestra. On peut l’écouter, mais il n’y a pas grand chose à en dire. Par contre, un album sans titre pas paru deux ans plus tard sous forme de test-pressing et réédité en 2020 requiert plus d’attention. Dans Shindig!, Grahame Bent chante les louanges de cet album resté coincé depuis 1974. Pourquoi coincé ? Bent dit que dans «Little Al», Jack chante : «Hey Mo where you gonna go with that rock in your back pocket?», une phrase qui n’aurait pas plu à Mo Austin, le boss du label qui du coup aurait envoyé l’album aux oubliettes dans un Warner Bros storage facility in North Hollywwod. Bent parle d’un album filmic, au sens où les cuts se fondent les uns dans les autres comme les scènes d’un film. D’ailleurs Jack l’enregistre avec le filmmaker Robert Downey, un peu dans l’esprit de ce que fait à la même époque Mike Nesmith avec Jack Nicholson et Bob Rafelson dans Head. Bent parle bien sûr de résonances de Brian Wilson, de Jimmy Webb et de Van Dyke Parks, et à ses yeux, c’est l’album qui illustre le mieux l’ampleur du Gai Savoir de Nitzsche. Ce mystérieux pas paru est apparu pour la première fois en 2001 sur une espèce de compile Rhino, Three Piece Suite - The Reprise Recordings 1971-1974. En plus de l’album pas paru et de ST. Giles Cripplegate, on y trouve quatre démos fantastiques. Et là attention, ça ne rigole plus car Jack chante. La première qui s’appelle «I’ll Bet She Knew It» est une pop à la George Harrison extrêmement bien foutue. Sur «We Have To Stay», Jack sonne comme un bienfaiteur de l’humanité. Il s’exprime à travers une voile de beauté purpurine et ça s’achève avec une nappe de violons sous le vent. S’ensuit un «Carly» dédié à Carly Simon - Carly did you hear me calling your name - Il n’en finit plus d’émerveiller. Quant à l’album pas paru, il grouille lui aussi de merveilles, à commencer par «Lower California», belle pop incertaine digne de celle des Beach Boys de Smile, groove à la ramasse de la rascasse. Jack chante et c’est plutôt bon. Il dote «Who Said That To Who» d’une fin orchestrée somptueuse et son «I’m The Loneliest Fool» est stupéfiant de grandeur. Jack va chercher la sensation au piano. Chaque cut sonne comme un exercice de style et on crie de nouveau au loup avec «Hanging Around», un fantastique balladif de fin de soirée avinée. Cette façon qu’il a de ramener des violons dans la mélodie est unique. Tiens encore une merveille avec «Marie», Jack descend dans la romantica, mais avec la puissance d’un fleuve.

Dans les early sixties, Lester Sill signe les Paris Sisters et il demande à Totor de les produire. Forcément, Jack est dans le coup. Avec ces trois blondes, on est au cœur du phénomène girl-groups que Totor va ensuite développer avec les Crystals et les Ronettes. L’idéal pour bien prendre leur mesure est de se plonger dans une antho des Paris Sisters et comme toujours, c’est Ace qui fait le nécessaire avec Always Heavenly. Grâce au Wall, elles sont capables de coups de génie, comme par exemple «Always Waitin’», produit par Mike Curb, chanté d’une voix de grosse pute, une vraie bénédiction. Le stomp est celui d’une armée de l’Antiquité en marche. On retrouve ces méchantes allumeuses dans «Why Do I Take From You», toujours produit par Mike Curb. Elles sucrent bien les fraises, on est pleine spectorisation des choses, au cœur de la prod d’extrême onction, une véritable explosion au sommet de l’art, elles grimpent là-haut sur la montagne. Totor ne produit que cinq cuts des Sisters, le plus connu étant «I Love How You Love Me», fabuleux deep chick pop, c’est d’un kitsch qui en bouche un coin. Mais Totor ne fait pas de miracles avec les autres cuts, «Be My Boy», «What Am I To Do» et «He Knows I Love Him Too Much». «Once Upon A While Ago» par contre groove bien, Totor renoue avec la pop magique. Jack produit quelques petites merveilles, comme par exemple «When I’m Alone With You», pure pop de Brill, mais composée par P.F. Sloan. Jack reste dans l’énergie du Brill avec «My Good Friend». Elles sont dans l’éclat de l’éclair avec tout le sucre du Brill, aw yes we’re still good friends, ah les garces comme elles chantent bien leur petit bout de gras. Jack orchestre «I’m Me» jusqu’à l’infini, c’est très tendu dans l’excellence des violons, on voit Jack là-bas au fond du ciel, avec son sourire énigmatique. Elles sont encore magnifiées dans «See That Boy», toujours en plein Brill, Jack orchestre à la racine du son. Il produit aussi une reprise de Burt, «Long After Tonight Is All Over» et puis «You», fabuleux cut car ramassé sous le boisseau, elles chantent comme des garces et collent au train du beat. C’est Jack et Jackie DeShannon qui composent «Baby That’s Me» et c’est Terry Melcher qui produit. Époque Columbia. On est content que Jack soit impliqué dans cette merveille inexorable, c’est du spectorish pur et dur. «Dream Lover» est un hit signé Bobby Darin et comme beaucoup de ceux qui précèdent, il est invincible. Les Sisters sont balèzes, elles chantent du haut de leur talent. Les amateurs de sex-pop se régaleront de «Lonely Girl», chanté dans la chaleur de la nui des cuisses, c’est chaud et humide, on y glisserait bien la langue. Les Sisters sont atroces de Brillitude et c’est noyé de violons. Elles font de la pop d’époque, mais l’amènent avec esprit. One of the earliest 60s girl-group, Albeth, Priscilla et Sherrell Paris auraient dû exploser. Diable, comme le destin peut être cruel. Album Columbia jamais sorti, projet Totorish avorté. Notez bien qu’en 1966, Jack produit Sing Everything Under The Sun, leur seul album paru sur Reprise.

Jack a produit une belle ribambelle de bandes originales, la plus connue étant certainement Performance - The Original Motion Picture Sound Track, parue en 1970, avec la tête du Jag sur la pochette. C’est lui le Jag qui ouvre le bal de la B avec l’excellent «Memo From Turner» : vrai son, prod de rêve, parfait enchevêtrement de la slide et de la basse, extrême tension du son et puis bien sûr the voice. Randy Newman ouvre le bal d’A avec «Gone Dead Train» co-écrit par Jack et Russ Titelman, un vieux boogie de pas-de-problème-ça-y-va-tout-seul. C’est Ry Cooder qui joue les coups de mercurial slide guitar et, nous dit Shindig!, indique la voie aux Stones pour la décade suivante. On entend Merry Clayton se plaindre dans le morceau titre et on croise pas mal de cuts dont il n’y a rien à dire. Buffy fait son cirque indien dans «Dyed Dead Red» et en B, les Last Poets font leur cirque urbain avec «Wake Up Niggers». Comme ce film n’est pas le chef d’œuvre du siècle, non seulement on peine à s’effarer, mais on peine aussi à resituer les cuts dans le déroulé du film. Jack donne de la profondeur à Merry pour «Poor White Hound Dog» et ça redevient superbe.

En 1970, Jack produit l’excellent Bad Rice de Ron Nagle, un album devenu quasiment culte. On y note de sacrées présences : Mickey Waller qui bat si bien le beurre, Ry Cooder qui gratte si bien sa gratte et Sal Valentino qui couine si bien les chœurs. Très vite, la qualité du son rafle la mise, alors merci Jack. Au dos de la pochette, Ron Nagle commente ses cuts et indique que le cry cry cry de «Frank’s Store» est celui d’un retarted guy with an identity crisis. Il fait aussi preuve d’une grande aisance compositale dans «That’s What Friends Are For» : c’est ce qu’on appelle communément une pop parfaite, written nous dit Ron for Jack and I, two manic depressives. Toujours de l’aisance en B avec «Dolores». La prod de Jack ne pardonne pas - A young guy falls in love with his baby sitter and she likes it - Ron sait aussi gérer les petites pétaudières californiennes, comme on le constate à l’écoute de «Capricorn Queen». Mickey Waller bat ça bien sec et net. Tout sur cet album se veut convaincu d’avance, même le country-rock de «Somethin’s Gotta Give Now». Ça reste léger et printanier, prod de rêve, la patte de Jack. Ron enchaîne avec la belle pop autobiographique de «Family Style», et aussitôt après l’album va coucher au panier.

Année prolifique puisque Jack produit aussi 12 Songs de Randy Newman et l’After The Gold Rush de Neil Young. On ne gardera pas un grand souvenir du Randy Newman, même s’il allonge cet «Have You Seen My Baby» repris par les Groovies. Newman est bon mais faible. Pas de rémona. Il chante son hold on à la voix blanche. En fait Jack ne produit qu’un seul cut sur 12 Songs : «Let’s Burn Down The Cornfield», une espèce de soft groove rural, mais pas de quoi se prosterner jusqu’à terre. Le reste de l’album n’est pas facile d’accès. Après tu as des mecs qui aiment ça. Chacun cherche son chat. Randy Newman est bien gentil, mais il manque de crédibilité. Il va parfois chercher des trucs rétro assez beaux comme «Underneath The Harlem Moon», mais on s’ennuie. Sur quoi se base sa réputation ? Va-t-en savoir. «Old Kentucky Home» est encore une preuve de l’inexistence de Dieu, ce qui serait logique, nous dirait Jack. But my God, comme on est loin du compte.

Par contre, l’After The Gold Rush va rester dans les mémoires, on le sent dans «Tell Me Why», même si c’est un parti-pris très folk-rock. De toute évidence, Neil Young en pince pour la chanson. Il se passe un truc énorme dans le son, un truc inespéré qui relève de la beauté pure. C’est vrai qu’à l’époque, la voix de Neil Young pouvait insupporter très vite, mais avec le recul, sa voix sonne vraiment très bien. Ce mec chante à l’amphitryon schtroumphique, à la pointe de la glotte de chèvre chaud avec une incroyable pureté d’intention. Il peut exploser n’importe quelle pop, il a du génie. C’est en tous les cas ce que montre «Only Love Can Break Your Heart». Il sait tout faire, même la pop de proximité («Till The Morning Comes»). Il sait remonter une pente de heavy glue dans l’axe du visuel («Oh Lonesome Me») et chanter d’une voix de fille-mère («Don’t Let It Bring You Down»). C’est une façon de chanter l’Americana très spéciale. Il chante sans même se rendre compte qu’il sonne bizarrement. Avec «Birds», il vise la Beautiful Song et il vise bien, il a le compas dans l’œil, il pianote dans la plaine et revient aux guitares électriques pour «When You Dance I Can Really Love». Il fait tout simplement de la psychedelia ravagée. Il finit avec une «Cripple Creek Ferry» bien foutu, hey hey. Comme Dylan, il prend sa carte au parti.

En 1971, Jack intègre Crazy Horse comme pianiste et produit leur premier album sans titre, Crazy Horse. On sent sa patte dès «Gone Dead Train», le boogie que chante Randy Newman sur la BO de Performance. Derrière, on a Talbot, Molina et Nils Lofgren. Il faut attendre «Look At All The Things» pour voir trente-six chandelles. Car c’est du heavy psycho-rock à la Danny Whitten. Il se pourrait très bien que Neil Young se soit inspiré du génie fantomatique de Danny Whitten. Car c’est lui l’âme du groupe. Il mène le bal et les autres ne sont rien. Son grand hit est bien sûr «I Don’t Want To Talk About It». C’est pour ça que Jack est là, il a vu le génie de Danny. Un Danny qui monte au sommet de sa maîtrise du chant. Jack le soigne, le génie mélodique se double d’un génie productiviste. «Downtown» est du pur Neil Young Sound, comme si Danny le pré-datait. C’est la même énergie de vieux hippie héroïnomane. Le dernier grand coup de Jack & Danny s’appelle «I’ll Get By». C’est merveilleusement emmené, comme joué dans l’envol, les fondus de voix sont une véritable bénédiction. Après, le Crazy Horse va continuer, mais sans Jack & Danny. Et ça n’a plus aucun intérêt.

Étonnant album que cet album solo de Michelle Phillips paru en 1971, Victim Of Romance. Jack ramène quelques amis en studio, parmi lesquels Tricia Johns et Ron Nagle. Et pouf, «Let The Music Begin» crée de l’enchantement. Here comes my baby, c’est de la belle pop de Jack. Et ça continue avec le morceau titre. Jack recrée les conditions du Wall et ça devient spectorculaire. Rien que pour ce bal d’A, on est comblé. Bon, il y a d’autres choses, mais ce n’est pas aussi brillant. Il faut aller piocher en B pour choper «Baby As You Turn Away», une compo signée des frères Gibb. Difficile d’espérer plus réjouissant. Michelle chante divinement, c’est un balladif éclatant de beauté. La mélodie est fidèle au poste et ce surhomme qu’est Jack l’orchestre fantastiquement. Il revient à sa vieille équation : the song + the voice + the sound = bingo. Michelle ma belle finit sa modeste contribution à la beauté du monde avec une chanson de Ron Nagle, «Where’s Mine», qui est une belle pop océanique, idéale pour Jack et cette superbe poulette.

La même année, Jack orchestre sa femme, Buffy Sainte-Marie, pour les besoins de She Used To Be A Ballerina, un album Vanguard difficile d’accès, malgré la présence de tous les copains de l’époque, Danny Whitten, Ry Cooder, Merry Clayton et Crazy Horse. Buffy tape dans le «Smack Water Jack» de Goffin & King, mais ça ne marche pas. Elle essaye pourtant de chanter à l’indienne, avec le secours des esprits, mais son élégiaque ne décolle pas. Elle finit son bal d’A avec «Helpless», un cut du vieux Young, mais ça plombe, même si on entend Merry Clayton dans les chœurs. La B est nettement plus politique car c’est là qu’elle reprend la chanson du Partisan, «Song For The French Partisan» - J’ai perdu femme & enfants/ J’ai changé 100 fois de nom/ Mais j’ai plein d’amis/ Sur la terre entière - Jack a raison de soutenir cette cause. S’il en est une qui est habilitée à chanter ça, c’est bien Buffy. Elle enchaîne avec l’encore plus politique «Soldier Blue». Elle revendique la terre de ses ancêtres, elle a raison, c’est la chanson de ce film atroce qui montre le massacre d’un campement indien par la cavalerie - This is my country - Elle demande aux soudards de voir les choses autrement. Mais le vrai coup de tonnerre s’appelle «Maratorium». Buffy est aussi balèze que Dylan, elle harangue avec le même aplomb et elle s’accompagne au piano. Elle est spectaculaire. Sacrée Buffy, que deviendrions-nous sans elle ?

En 1977, Jack attaque une série de trois albums avec l’un de ses chouchous, Willy DeVille. Voilà donc Cabretta qui paraît en pleine vague punk et qui bien sûr n’a rien à voir avec cette vague punk. C’est d’ailleurs le côté tragique de son histoire, Willy l’inopportun. Jack amène «Venus Of Avenue D» au petit groove. Quand on écoutait ça en 1997, on ne savait rien - ou peu de choses - ni de Jack ni de la Nouvelle Orleans. Il faut bien dire que Willy screame à la perfection. Il tape aussi dans les grosses compos comme «Little Girl» (Spector/Greenwich). Il nous refait le coup du girl-group du New Jersey avec toute la romantica qu’on peut bien imaginer. Quel album fantastique ! C’est chanté à gogo et plein de son. Que demande le peuple ? Il fait encore des siennes dans «One Way Street», cut de white Soul brûlante, derrière lui ça jive et Jack veille au grain. Willy DeVille allume comme Wilson Pickett, il chante à la voix blanche, il frise le génie en permanence. Puis il s’en va groover son «Mixed-Up Shook Up Girl» dans le sens du poil, alors oui, il peut se permettre de frimer. Il chaloupe bien sa Shook Up Girl. Il boucle son bal d’A avec «Gunslinger», une belle cocote de back-door New Orleans. Il chante son gut out. En fait, Willy et Jack font de la Southern Soul, il faudra attendre un bon bail avant de comprendre ce que ça signifie. Par contre, il se vautre en tapant dans le rock FM de Moon Martin. «Cadillac Walk», c’est un peu comme si Willy suçait Moon et c’est pas terrible. Par contre, on a du son avec «Spanish Stroll». C’est même du son de rêve, avec les castagnettes de Totor et les filles qui font ooh ooh. Willy fait son Lou Reed et il sonne juste. Joli mélange de Rosita et de Brother Johnny - Hey Mister Jim/ I can see the shape you’re in - Pure merveille. Il est de toute évidence sur les traces de «Walk On The Wild Side». Ça donne un mélange sidérant de Lou Reed et de chœurs de filles, de castagnettes et de Wall. Il fait son caballero, avec des guitare de flamenco en contrefort et ça frise le génie en permanence. Il termine avec «Party Girls» dans la romantica de juke. Vraie voix, grosse prod, big backings, quel album !

Paru l’année suivante, Return To Magenta est un peu moins bon. Par contre la prod de Jack reste irréprochable, comme le montre «Soul Twist». Méchante attaque ! Ces mecs ont du gusto. Quelle belle niaque de son ! Avec «Rolene», Willy propose un vieux rumble. S’il se fâche, ça peut devenir âpre. Encore un cut de Moon Martin. Jack leur taille un son sur-mesure. Il faut attendre «Just Your Friends» en B pour renouer avec la viande. C’est quasiment un coup de génie. Ils y vont de bon cœur avec les castagnettes. Le pauvre Jack ne fait que répliquer les recettes de Totor. Ils sont en plein Wall, au point que ça finit par sonner comme un hommage, ou un pastiche, si on veut faire sa mauvaise langue. Coups d’harmo superbes et tout est porté par des nappes de violons. À noter que Jack co-écrit cette merveille. Puis Willy fait du Dylan de Highway avec «Steady Drivin’ Man». On y entend un joli riff de déglingue. Mais la fin d’album est assez faiblarde.

Le troisième Mink DeVille que Jack produit s’appelle Coup De Grace et date de 1981. Il ne laissera pas de souvenirs impérissables. Willy attaque avec «Just Give Me One Good Reason», une belle Soul blanche bien produite, pas de problème de ce côté-là, des garçons font les chœurs, on est au maximum des possibilités du genre, avec un son sec et assez profond. Puis Willy tape dans Eddie Hinton avec «Help Me To Make It». Pareil, on reste dans la belle Soul blanche. Jack soigne cette voix parfaite. On se doute bien qu’il se régale derrière sa console. Il envoie un gros coup de sax dans le son de «Maybe Tomorrow» et Willy boucle son bal d’A avec une cover du fameux «You Beter Move On» d’Arthur Alexander. En B, Jack injecte de l’accordéon dans «Love & Emotion» est ça devient magique. Plus des cuivres en sortie de couplet, alors t’as qu’à voir ! Willy manie très bien les vieux hits de r’n’b comme «Love Me Like You Did Before». Et même très très bien. Voilà encore un album qui se termine dans l’excellence avec «End Of The Line». Jack ramène toutes ses vieilles recettes, la profondeur de champ, la mandoline, les cordes. Il ne manque que les castagnettes.

En 1978, Jack produit le premier album sans titre des Neville Brothers. Il va vite se régaler de la voix d’Aaron, notamment dans «Audience For My Pain». Pour un producteur, cette voix d’ange est une véritable aubaine. Du coup, Jack se demande si Dieu est vraiment mort. Si on écoute les Neville Brothers, c’est essentiellement pour entendre chanter l’ange de miséricorde. Jack y ramène tous les violons du monde. Par contre, quand Art chante, on passe à autre chose. The Neville Brothers est un album de belle pop nevillaise pleine d’énergie. Jack fait sonner les accessoires dans le son, quelques castagnettes et des cymbalums de pataphysique pendant que les frères Neville chantent à gorge déployée. Grâce à «Washable Ink», on ne coupe pas à la romantica chantée au clair de la lune blanche de la cité des morts, près de la tombe de Marie Lavaux. Aaron revient en B faire vibrer son timpani dans «If It Takes All Night», puis Jack donne du volume au diskö-funk d’«I’ll Take My Chances» et va fondre l’exotica de «Vieux Carré Rouge» dans le groove magique d’une gelée de carré louge.

Pour un producteur, Graham Parker est l’artiste parfait. Pourquoi ? Parce que voix de rêve. En pouf, en 1979, Jack produit Squeezing Out Sparks. En plus de la voix parfaite, on trouve Brinsley Schwartz et Marin Belmont aux guitares. Bon ça reste du Parker. Jack ou pas Jack, ça ne change pas grand chose. On se demande même ce qu’il vient faire dans cette histoire de surdoués. Il est aussi important de signaler que «Local Girls» est un hit. Disons qu’on l’a beaucoup entendu à la radio. Tout est foncièrement bien foutu sur cet album. Les guitares se fondent bien dans le gras. Il faut voir Parker trousser à la hussarde son «Saturday Nite Is Dead» en B, c’est un homme qui ne traîne pas en besogne et qui ne prend pas de gants. Jack charge au maximum le son de chant, de guitares et de piano. De toute évidence, il se régale. Voilà enfin le hit : «Waiting For The UFOs», un hit pop avec du raunch aux joues et une basse cavalante au fond du son. Tout est beau dans ce cut, les éclats de guitare et le chant. Surtout le chant. Sacré Parker.

En 1981, en plus du Mink, Jack produit un album de Rick Nelson, Playing To Win. Oh ce n’est pas l’album du siècle mais deux ou trois cuts font bien dresser l’oreille, tiens comme cet «Almost Saturday Night» d’ouverture de bal d’A. C’est du country-rock, mais quel swagger ! Jack l’orne d’une dentelle de guitare en doublure au long cours, belle basse et donc prod de rêve. Et Ricky devenu Rick chante divinement. L’autre coup de maître s’appelle «Don’t Look At Me» et se trouve en B. C’est visité par des vents mauvais de guitares. Rick peut sortir les crocs. Il est excellent dans son rôle de superstar en colère. Jack barde ça comme il faut avec des basses de rêve et de la profondeur de champ. On tombe aussi en A sur le «Believe What You Say» des Burnette Brothers. Jack en fait un country rock bien ronflant des ronflettes. Rick reprend aussi le «Back To Schooldays» de Graham Parker, il en fait un petit rock trépidant mais c’est très cousu de fil blanc. Pour le reste, il se contente de jouer un country-rock bon chic bon genre, c’est son apanage.

Jack croise aussi la route de Dwight Twilley, mais il ne produit qu’un seul titre, «Somebody To Love», qu’on peut trouver sur The Great Lost Twilley LP, une espèce de Loch Ness qui engraisse les spéculateurs. Comme on le sait, Twilley c’est du sérieux, ses deux premiers albums furent de sacrées bombes. «Somebody To Love» est une belle giclée de power pop, une fantastique flambée commitatoire. Jack est dessus, comme l’aigle sur la belette. Maintenant qu’on a rapatrié l’album, on peut écouter la suite. L’amateur de power-pop va adorer «Shaking In The Brown Grass», «Please Say Please» et «I Don’t Know My Name». C’est l’ambiance du premier album, avec un son extraordinaire. Dans «Please Say Please», il va chercher des accents terribles. Et «I Don’t Know My Name» rayonne littéralement, on entend même de l’harmo, c’est une véritable perfection. Vers la fin, on tombe sur la version originale d’«I’m On Fire», hit faramineux tiré du premier album. Et puis tu as aussi «Burning Sand» gratté au power de power-pop, avec la voix de Twilley en orbite. Que de power ! Twilley joue du piano sur «Sky Blue». C’est dire si ce mec est complet. Il va chercher sa pop. Comme Brian Wilson, il vend du rêve. Il redistribue. Il frôle le génie pop en permanence. Il ramène tout l’écho du monde dans «Firefly». Twilley garde son cap de manière spectaculaire. Phil Seymour traîne bien sûr dans les parages. Twilley revient au rockab de Ray Smith avec «Rock Yourself Son» et avec «I Can’t Get No», il sonne comme un géant du Brill. Il aurait pu ensorceler Totor, c’est évident. Twilley fait lui aussi du très grand art.

Sur l’album de C.C. Adcock paru en 2004, Lafayette Marquis, Jack ne produit qu’un seul cut, «Stealin’ All Day». C’est une prod à la Moon Martin. On perd l’agressivité du cut d’ouverture de bal, «Y’All’d Think She’d Be Good To Me», un heavy groove de Louisiane, joué au vrai gratté de boogie. Autre coup d’éclat : «Runaway Life», joué en mode cajun, monté sur une carcasse tradi qui a bon dos et ramoné au violon du Bayou. Ces mecs cherchent un son et le trouvent. On les sent influencés par Doctor John («All 4 The Betta») et l’exotica excédée («Blacksnak Bite»). Mais c’est avec «Loaded Gun» qu’il explosent la conjecture, car voilà un cut monté au slap central station, aw Lord have merci, le heavy slap bat comme un cœur. On entend rarement un slap aussi lourd de conséquences. L’ami Adcock a du son et c’est une révélation, il se situe dans l’excellence de la persistance et on comprend que Jack l’ait pris sous son aile. Ce mec est le champion des ambiances, l’atmospherix est son cup of tea, mais un atmospherix sombre et peu amène.

Un jour, Jack et Totor se trouvent tous les deux dans un avion qui les ramène à Los Angeles. Jack sent qu’une question lui brûle les lèvres. Il se penche vers Totor :

— J’ai entendu des histoires, Leonard Cohen, les Ramones et deux ou trois autres personnes. As-tu vraiment braqué un gun sur tous ces gens-là ?

— You know the problem Jack ? Aucune de toutes les personnes que tu mentionnes n’a le même sens de l’humour que le mien.

En fin de parcours, Jack était sur des coups fumants, notamment une collaboration avec Mercury Rev sur All Is Dream, restée lettre morte, et un coup foireux avec Totor : Linda Ronstadt. Jack qui était alors bien schtroumphé avait écrit des arrangements pour «My Goodbye Song» qui ne fonctionnaient pas et qui ont planté la session. En représailles, Totor lui demanda de prendre les coûts en change. Quand en 1998, Totor sollicita à nouveau Jack pour bosser sur le lancement d’Ashley Ballard que venait de découvrir Ahmet Ertegun, Jack déclina. Il conseilla à Toror de trouver un young kid fresh out of music school. Et puis, une semaine avant de casser sa pipe en bois, Jack proposa à LaLa Brooks de relancer sa carrière avec une chanson de Jackie DeShannon qui bien sûr avait donné son accord au téléphone.

Signé : Cazengler; Jack Niche (ouaf ouaf)

Hearing Is Believing. The Jack Nitzsche Story Volume 1 - 1962-1979. Ace Records 2005

Hard Workin’ Man. The Jack Nitzsche Story Volume 2. Ace Records 2006

Night Walker. The Jack Nitzsche Story Volume 3. Ace Records 2014

Jack Nitzsche. The Lonely Surfer. Reprise Records 1963

Jack Nitzsche. Three Piece Suite: The Reprise Recordings 1971-1974. Rhino Handmade 2001

Paris Sisters. Always Heavenly. Ace Records 2016

Performance. The Original Motion Picture Sound Track. Warner Bros. Records 1970

Ron Nagle. Bad Rice. Warner Bros. Records 1970

Neil Young. After The Gold Rush. Reprise Records 1970

Randy Newman. 12 Songs. Reprise Records 1970

Crazy Horse. Crazy Horse. Reprise Records 1971

Michelle Phillips. Victim Of Romance. A & M Records 1971

Buffy Sainte-Marie. She Used To Be A Ballerina. Vanguard 1971

Mink DeVille. Cabretta. Capitol Records 1977

Mink DeVille. Return To Magenta. Capitol Records 1978

Neville Brothers. The Neville Brothers. Capitol Records 1978

Graham Parker & The Rumour. Squeezing Out Sparks. Vertigo 1979

Rick Nelson. Playing To Win. Capitol Records 1981

Mink DeVille. Coup De Grace. Atlantic 1981

Dwight Twilley. The Great Lost Twilley LP. DCC 1993

C.C. Adcock. Lafayette Marquis. Yep Rock 2004

Cazy Rider. Shindig! # 107 - September 2020

 

Le stomp de Stamp - Part One

 

C’est une devinette : qui est l’homme le plus légendaire du London Underground ? Bon c’était facile. Terry Stamp, bien sûr. Tu aurais pu répondre Dave Kusworth, Larry Wallis ou Jesse Hector qui ont en commun le chic working-class et le no sell out viscéral, mais Terry Stamp est tout de même celui qui préfère aller couper de la canne à sucre pour Castro - Fidel ! Fidel ! Fildel ! - et prêcher la violence sur Stardom Road en grattant sa chopper guitar. L’Hammersmith Guerilla n’était pas une vue de l’esprit, Yobo. Les deux albums de Third World War ont fait dans les imaginaires plus de ravages que tous les albums de Stones, des Pretties et de Jerry Lee réunis. Et comme bien sûr Terry Stamp et son bras droit Jim Avery n’arrivaient pas à vivre de leur musique insurrectionnelle, ils devaient bosser pour manger. Alors Terry Stamp était camionneur.

En 1968, il écrivit des chansons qu’Helen Shapell enregistra pour Pye, mais cet album produit par Roger Cook n’est jamais sorti - At that time I was still driving trucks to make ends meet and was not of course the cleanest of individuals. Quand on demanda aux musiciens de la session Pye s’ils souhaitaient rencontrer l’auteur des chansons, quelques uns sortirent pour me voir et furent choqués de mon apparence - L’un d’eux s’exclama : «Comment un mec comme toi peut écrire de telles chansons ?» (Food for though on that one, ajoute Terry). Dans cette histoire, Roger Cook est un mec important : il croit au génie de Terry Stamp et rêve de faire un album avec lui.

Terry Stamp n’a pas encore pondu d’autobio, mais il raconte son histoire sur un site miraculeux, stardomroad.com. Il écrit comme il chante, à l’arrache working class et quand on connaît bien son growl de camionneur, ses récits prennent des allures de heavy talking-blues. Il raconte dans le détail l’histoire de cet album fascinant qu’est Fatsticks, enregistré après la fin de Third World War en 1974. Il rentre alors d’un voyage chez sa sœur dans le Milwaukee, aux États-Unis, avec une Gibson Melody Maker et un Pignose Amplifier achetés 100 $ dans un pawnshop - Try doing that today - dit-il et il entre en studio avec son vieux complice Jim Avery on bass. L’instigateur du projet n’est autre que Roger Cook qui ramène Tony Newman au beurre et propose Steve Marriott à la guitare. Steve qui n’est pas libre suggère Ollie Halsall. Alors voilà l’Ollie qui débarque avec sa SG blanche. Oui, l’Ollie de Kevin Ayers, le fabuleux tisseur de mésaventures métaboliques. Terry Stamp, Jim Avery, Tony Newman et Ollie répètent les cuts de Fatsticks pendant une semaine. Puis Cook les emmène enregistrer au studio Morgan, North London. On a tout le détail des sessions, sur le site. Quand Jim Avery jette l’éponge, c’est Herbie Flowers qui vient le remplacer, puis Alan Spenner, le bassman du Grease Band.

Pour des raisons que l’évidence endosse, Fatsticks est resté un album culte, une sorte d’inaccessible étoile du rock anglais. D’autant plus inaccessible qu’il faut aujourd’hui sortir un très gros billet pour s’offrir l’A&M paru en 1975. Gered Mankowitz signe le beau portrait de Terry Stamp qui orne la pochette. Ça démarre avec «Kid», un heavy funk du mighty London Underground. Stamp maintient son haut niveau de shoo-shoo-shooshine. Il a du beau monde derrière lui : Ollie on lead et Spenner on bass. Ils jouent le funk d’Hammersmith, pur génie, touch it ! Stamp garde cette voix qui sent le goudron. Il revient au Third World War boogie down avec «Black Bomber Waltz», le boogie le plus gluant d’Angleterre qu’il chante du fond du pantalon. Énorme boogie brit sous le boisseau d’Ollie, up a lucky lukyola. Il sort aussi un «Motorhead» capable de faire pâlir Lemmy. Stamp dispose déjà de tout le menu fretin, mais avec du piano. Il l’emmène à train d’enfer, go go little motor head ! On est en 1975, bien en avance sur tout le reste - Kick out on the road/ Right behind the wheel/ Four hot tyres/ half a ton of steel - Il préfigure Lemmy - I said you look pretty good/ With a boot full of lead - Terry Stamp est avant toute chose un fantastique lyricist. On entend Herbie Flowers jouer de la basse sur «Stage Of Fools», chef d’œuvre décadent échoué dans le backstage du rock anglais. Stamp is the real deal - The first time we played Britania/ She was wearing the dead man’s shoes I tell ya - Il chante ça à l’extrême retenue - The promoter tried to roll it and fly/ But Willy stuck an arrow in his eye - Il prend «Salvation Army» à la Stamp, loin derrière, dans la cour de l’usine, ça sonne comme un vieux heavy stomp d’Armée du Salut, ce mec pue la misère à plein nez. En Angleterre, il fut l’un des seuls à évoquer la misère des pauvres dans ses chansons. Avec son «Salvation Army» il va encore plus loin que Kaurismaki dans L’Homme Sans Visage. En B, il dégringole le boogie down de «Razor City», soutenu par des chœurs admirables. Ollie et Spenner jouent comme des dieux. Ils perpétuent le vieil art de Third World War - I said oo oo baby down to Alphaville - On entend encore la basse chevroter dans l’imparable «Town Drunk». Stamp chante son ass off, il est encore une fois au bord du dégueulis, oh me oh my. Nouveau coup de Jarnac avec «Dinah Low», une vraie purge de Stonesy - I asked her once if she was my baby/ And she said mister well maybe - Voilà très exactement le hit dont les Stones ont toujours rêvé. Mais c’est Stamp qui le pond, avec un riffing juste en dessous du chant. Il profite d’ailleurs de l’occasion pour exploser la Stonesy, il en a les moyens, vu qu’il est le meilleur groover d’Angleterre, oh oh Dina Low Dinah lay. On n’entend Jim Avery que sur «Motor Head» et le «Itchy Feet» de fin de B, une espèce de cut monstrueux typique d’Hammersmith - Oh mother I need a seat/ I got the itchy feet. Mais le cut le plus étonnant de cet album restera sans doute «Honky Honda», car c’est joué sur un groove de basse harmonique. Une véritable merveille. Stamp n’a plus qu’à s’y couler - You know I’d made a little speed/ Oh papa Honda oh yeah.

En 2004, Terry Stamp indiquait qu’avec Fatsticks, il avait renoncé à «faire carrière» dans le music biz et avait émigré avec sa femme et son fils aux États-Unis, d’abord dans le Massachusetts où il travaille dans une usine de fabrication de cercueils, puis à Los Angeles où il prend un job in Water & Sanitation. A&M lui envoie quelques exemplaires de Fatsticks qu’il distribue à droite et à gauche. Il apprend que l’album n’est sorti qu’en Angleterre, ce qui en fera une pièce de choix pour les spéculateurs. Il apprend aussi que les albums de Third World War sont réédités en CD et il se demande où est passé le blé. Certainement pas dans sa poche - Yer just have to wonder where the money goes, it certainly never dribbled down to Jim Avery or myself! - Toujours la même histoire.

Paru en 2004, Bootlace Johnny And The Ninety Times n’en finit plus d’amener de l’eau au moulin d’Alphonse Daudet : oui, Terry Stamp a du génie, il suffit d’entrer dans «Bootlace Johnnie» pour voir à quel point c’est criant de vérité - Just one of God’s factory fodder - C’est extravagant de classe balladive - Over that/ I’m over that now - et il termine avec ce quatrain fabuleusement autobiographique - He’s done pretty good for a West London boy/ Who’d had it stamped on his forehead - La voix de Stamp se fond dans la trompette, c’est d’une puissance incommensurable, qui peut égaler Stamp dans l’éclat de son désespoir ? Personne. Avec «Wastelanders», il joue sur les espaces - Ahead of the law/ There’s a wastelander’s score/ And hoooooo - Il compte sur l’échappée, c’est noyé d’harmo, il travaille ses fantastiques souvenirs de fouilles à Dover avec les chiens des stups, Stamp décrit ses mésaventures douanières avec une écrasante mélancolie hugolienne. Il laboure la pop de «Cruel Masseur» comme un laboureur de Millet, il creuse son sillon et passe au cajun avec «Tender Guillotine». Mais c’est avec le morceau titre qu’il va décoller - To hell with Shakespeare/ And to hell with Caesar - Il lance une fantastique poussée interne de boogie - Let’s climb up through the Hippodrome skylight - Il continue d’expurger des souvenirs de délinquance extraordinaires. Dans les bonus, on tombe aussi sur un autre coup de Jarnac, une démo intitulée «Down Pentonville Way». Elle vaut vraiment le détour. Il faut aussi saluer le «Christmas The Way I Like It» d’ouverture de bal, cut magnifique et d’humeur dylanesque. Stamp s’y montre éperdu de montagne, il chante à la magnificence de Mayence, il embolit les embolies, il se dresse tel un géant de panier de crabes with the red shoes on. Terry Stamp est l’artiste définitif.

Encore un album mirifique avec Howling For The Highway Home paru en 2007. On y entre comme on entre au paradis. Il faut cependant attendre «Voltaire Blues» pour commencer à frétiller. Il s’embourbe dans une espèce de blues intimiste et renoue avec l’intensité - Seventy-five volts/ Seventy-five - Il impose un heavy groove à base de rockabilly night avec un Louie qui kiss his Gretsch goodbye forever. Il enchaîne ça avec un «Immortals» très sombre, il s’enterre dans la déveine mais il CHANTE ! - Ummm God rest you immortals - Il impose une incroyable présence vocale, il pressure le son au maximum. L’écoute de cet album constitue une fantastique expérience. On reste dans l’intensif marmoréen avec «Christmas Eyes», une absolue merveille, une dégoulinade de Christmas eyes way down on my heart. Stamp a le power, comme Zeus, un éclair au poing. C’est embarqué au solo de sax, il chante jusqu’au bout de la nuit célinienne, génie pur, mate ultimate, il est moite et épais, il s’abat lourdement, I’m down on my heart tonite ! Renversant ! S’ensuit un «Standing With The Detaineees» absolument parfait. Stamp élève le balladif au rang d’art majeur. C’est poignant car profondément juste et il gratte ça à la vie à la mort. Il s’enfonce avec le morceau titre dans les bas-fonds de l’Americana et ça lui va comme un gant. Il passe au badass blues de la frontière avec «If You Owe You Will Pay», histoire de prévenir que ça va mal se terminer. Il devient là le dieu du heavy blues d’église en bois. Il développe une sorte de mystique, mais il veille à rester humble. Tiens, voilà «Fatsticks». Il chante chaque syllabe de son Fatsticks à l’extrême - Fat/ Sticks/ It’s just/ For a night/ On the town - Il termine cet album effarant avec «Ancient History Now» qu’il chante dans l’église. C’est puissant. Perdu. Maudit. Il largue tout son art. Balladif religieux et hanté qu’il vient encore orchestrer.

Et les deux albums de Third World War ? On coulera la barque une prochaine fois.

Signé : Cazengler, Third World Whore

Terry Stamp. Fatsticks. A&M Records 1975

Terry Stamp. Bootlace Johnny And The Ninety Times. Burning Shed 2004

Terry Stamp. Howling For The Highway Home. Burning Shed 2007

Satardomroad.com

RADIUM PESTICIDES

Je sais la vie est injuste. Plus de concert depuis un an. Plus moyen de voir les Pesticides. C'est ce que l'on appelle une double peine. Sont comme tous les autres me direz-vous logées à la même enseigne. Pas tout fait, n'ont pas été épargnées par les coups du sort. Z'étaient trois. Ne furent plus que deux. Les anges noirs ont rappelé Djipi, leur guitariste, jouait trop bien. Parti to the other side. De quoi tuer un groupe dans l'œuf. Des larmes, du chagrin, mais ne se sont pas apitoyées sur elles-mêmes. Désormais elles sont cinq. Elise, elle en vaut deux à elle toute seule, John à la basse, Maxime à la batterie et Sébastien à la gratte, évidemment on ne les a pas vus, mais l'on peut faire confiance aux filles pour ne pas avoir choisi des demi-portions à la pâte molle. On les imagine ces trois garçons plutôt Sitting Bull que Vache qui rit.

Donc pour survivre et diffuser leur musique elles ont imaginé ( comme tout le monde ) le Plan A. Soyons francs rien de nouveau sous le soleil qui refuse de briller, elles campent sur les réseaux, FB, Twitter, Spotify et tous les autres. Pas ce qu'il y a de plus original comme démarche. Alors elles ont enclenché le Plan B, celui-là est démoniaque, en ces temps de covid généralisé, elles ont pris modèle sur l'ennemi, elles ont décidé de s'attaquer au monde entier. Non, ce n'est pas une métaphore, et le plus fort c'est qu'elles sont en train de réussir leur pari. Les Pesticides sont partout. Leur poison s'infiltre bien au-delà de nos frontières, une traînée de poudre, une traînée de foudre. Attention masque inutile, le bacille s'infiltre en vous par les oreilles !

L'idée est simple. Puisque l'on ne peut pas les voir, on les entendra. Si tu es dans l'incapacité d'aller aux Pesticides, les Pesticides iront à toi. Un peu comme si les Twin Towers au lieu d'attendre sagement que les avions s'écrasassent sur leur carcasse étaient allées les décaniller dans le ciel à la manière de battes de base-ball envoyant bouler les balles hors champ. Sont comme cela nos tours jumelles pesticidiques. La meilleure défense c'est l'attaque tous azimuts.

N'essayez pas de les fuir. Elles vous rattraperont. Squattent les playlists des radios, en Allemagne, en Angleterre, aux USA, on Kaotic Radio par exemple, ou on Orange County California et sur Charlie Mason Radio à Norfolk ( ville natale de Gene Vincent ), plus des tas d'interviews, bref vous n'y échapperez pas, une pandémie jouissive !

Damie Chad.

Pour ceux qui veulent en croire leurs propres ( ou sales ) oreilles, passez par exemple par leur site, thepesticides.

 

FURIES

( Extrait de Prometheus Unbound )

STÜPOR MENTIS / MARKKU NYKÄNEN

Nous avons déjà présenté en nos livraisons 478 et 495 cinq maillons de Prometheus Unbound de Stüpor Mentis. En voici donc un sixième sous forme d'une vidéo visible sur You Tube. Il s'agit bien d'extraits en langue anglaise  de la pièce de théâtre Prométhée délivré de Percy Bysshe Shelley. Un texte écrit pour être lu et non représenté. L'anecdote visuelle d'acteurs s'agitant sur scène n'aiderait en rien à la compréhension du poème qui s'appréhende avant tout comme un objet mental, gardons la métaphore d'un oiseau cruel qui s'installe en vous pour déchirer vos idées d'être humain sans cesse renaissantes dans votre tête au fur et à mesure que vous poursuivez votre lecture.

L'on s'attendrait donc très logiquement à trouver par exemple la photographie du CD de Stüpor Mentis figé sur l'écran jusqu'à la fin du morceau tandis que défile la bande-son. Ou alors la retransmission d'un tour de chant, l'on trouve en effet sur la vidéothèque du duo nombre de séquences filmées issues des interventions scéniques de Stüpor Mentis et de sa chanteuse Erszebeth. Il n'en est rien, nous avons affaire à un véritable clip – ce mot sonne très futile quant on l'envisage selon le prospective publicitaire de notre modernité – réalisé par Markku Nykänen, nous n'avons glané que très peu d'informations sur ses réalisations, la langue finnoise nous étant une barrière infranchissable...

Une chose est sûre Markku Nykanën n'a cherché à traduire en images ni le texte de Shelley, ni l'interprétation d'Erzsebeth, ni le mouvement de la musique due à Fulcannelli sorcier des manettes. S'est simplement employé à offrir un équivalent poétique de la beauté dégagée, à des titres opératifs divers, par nos deux passeurs en abîme phonique prométhéen. Toutefois rien de moins abstrait que sa réalisation, il a fait avec ce qu'il avait sous la main et dans l'esprit, des paysages et des symboles.

Les Furies apparaissent au pied du rocher sur lequel Prométhée est enchaîné pour aviver ses souffrances. Elles ont beau promettre les maux les plus terribles et lui révéler l'horreur absolue de la faiblesse de l'Homme, il ne les hait point, il n'en attend pas plus ni moins, ni d'elles, ni des hommes ni des Dieux, il se bat pour un principe plus grand, dépitées elles s'enfuient....

Une flamme qui ondoie, une langue de feu, un bougie que le vent chavire, un paysage de neige, des traits incandescents comme autant d'épines rougeoyantes plantées dans les images à la manière des antiques pratiques de sorcellerie, la caméra se rapproche d'infimes détails, une feuille recroquevillée sous le gel, une main crispée, emmêlés d'immensité de paysage enfuie, le tout et le détail, il suffit de changer la focale du regard pour se perdre dans la vastitude du monde ou s'égarer dans la moindre petitesse de minuscules fragments pour percevoir l'infinitude de ses dimensions, la voix d'Erszebeth est devenue innombrable, nuées d'oiseaux qui emportent le temps dans leur vol, l'orchestration n'est plus qu'un battement d'ailes en action qui scandent et précipitent la durée du monde, imprécations sans fin entremêlées à des branches d'arbres, images et musique ne forment plus qu'un tourbillon mortel, un blizzard létal qui s'enroule à l'espace, apparition insistante, est-ce un masque ou le squelette d'une tête d'aigle mort, à moins que la mort ne soit qu'un masque de feu et de neige qui brûle et stérilise la vie qui n'est plus et se perpétue en sa propre absence, car l'être qu'il soit ou ne soit pas n'est que volonté d'être, nous voici perdus dans la tourmente des images et de la voix surmultipliée en une sombre lamentation, se détache une figure hiératique de pierre, ne serait-elle pas plutôt visage imprécatif, qui ne dit plus un mot, ou qui parle à une hauteur que vous ne pouvez atteindre, car tout se mélange, le son, le sens, la voix, la caméra, le verbe et le vertige des dieux rejetés.

Splendide réussite graphique, un oratorio de rouge, de blanc, de gris, qui vous coupe de la réalité tangible du monde et vous enferme dans le labyrinthe de votre finitude. Tout en vous laissant déchiffrer les runes des rêves qui vous hantent.

Damie Chad.

NINETEEN

( 1982 – 1988 )

ANTHOLOGIE D'UN FANZINE ROCK

ANTOINE MADRIGAL

( Vidéo : SF You Tube )

Ce n'est pas du neuf, cela date de quatre ans, une production de SuperFlux Le Toulousain Indispensable un webzine, l'épicentre radio-actif en est bien entendu la ville rose, mais les problématiques abordées sont loin d'être régionales, culture, livres, disques, films, présentations d'activistes de tous acabits, faites un tour chez eux vous y trouverez de quoi vous nourrir.

Nineteen a été la revue rock des années 80, en une décennie où Rock'n'Folk battait de l'aile, Kr'tnt l'a déjà présentée, Antoine Madrigal en a été le co-fondateur, la vidéo ne dure que treize minutes, pas le temps de décliner le sommaire de chaque livraison, juste d'exposer brièvement les quatre angles d'attaque du projet.

Le premier semble couler de source, causer de rock'n'roll, cela peut paraître la condition sine qua non, toutefois dans les eighties, changements de génération et de paradigme économique et politique obligent, le rock'n'roll était une cause perdue, l'on ne jurait plus que par les synthétiseurs, quant aux survivants punks ils s'enfermaient dans une espèce de nihilisme destructivo-radical qui menait à une impasse... Nineteen s'intéressera à des groupes comme les Cramps, Sonics, Gun Club, Dogs... N'oublions pas, à l'époque la Toile n'existait pas...

Le deuxième procède d'un principe ultra-simple, le DIY, faites-le vous-même, n'attendez pas des autres qu'ils obtempèrent à vos désirs... Nineteen en ses débuts sera un fanzine plus ou moins traficoté avec les bonnes volontés des amateurs, trouvera ses lecteurs, s'étoffera, grandira, grossira à tel point que nos aventuriers pensent pouvoir changer de statut, le fanzine amateur se métamorphosera en revue ayant pignon sur rue, un mensuel distribué par les MNPP ! Un rêve. Rapidement avorté. Faut avoir les reins financiers solides pour affronter la pieuvre... Nineteen ne survivra pas à l'expérience...

Troisième pilier de la sagesse : minimum de photos, maximum de textes. Nineteen ne sera pas remplie d'articulets de quinze lignes, l'on n'hésite pas à balancer des paquebots de dix pages sur un groupe, même s'il est inconnu, vous retrouvez dans KR'TNT , comme par hasard, ce parti-pris dans les articles de fond du Cat Zengler, plongez-vous dans les deux volumes que Les Fondeurs de Briques lui ont consacrés : Nineteen : Anthologie d'un fanzine rock ( 432 pp, Mars 2016 ) et Nineteen 2 : La scène française 1982 – 1988 ( 352 pp, Octobre 2017 ), lectures captivantes.

Mais il y a un point dans les propos d'Antoine Madrigal qui me plaît encore plus que les trois précédents, la nécessité selon lui d'asseoir le rock'n'roll en dehors du domaine musical strictement rock 'n' roll, de l'appréhender en tant que mouvement culturel dont les racines plongent loin et sont à revisiter, démarches artistiques rebelles de toutes formes, peinture, littérature, poésie, graphisme, cinéma, philosophie, théories et révoltes sociales...

Antoine Madrigal, parle debout campé dans son antre, une caverne d'Ali Baba qui regorge de trésors, L'Amardillo, boutique de disques rares et obscurs comme titre La Dépêche. De quoi illuminer votre vie. ( 32 rue Pharaon. Toulouse ).

Damie Chad.

 

ERIC BURDON BAND

 

STOP

ERIC BURDON BAND

1975

Sorti en 1975, donc après Sun Secrets paru en 1974 mais enregistré entre 1971 et 1973 avec les musiciens du groupe Tovarich rebaptisé en Eric Burdon Band après le retentissement de Sun Secrets mis en boîte avec en partie un personnel différent. Il est possible de trouver les deux opus dans le même emballage.

Eric Burdon : vocals / Kim KestersonRandy Rice : bass / John SterlingAalon Butler : guitar / Teddy Ryan : keyboards / Alvin Taylor : percussions, drums / George Suranovitch : drums / Moses Wheelock : percussions.

La pochette ressemble à ce que j'appelle une fausse bonne idée, marrante durant les deux premières secondes où elle vous traverse le ciboulot, affligeante dès que vous vous attachez à la mettre en œuvre, accablante lorsqu'elle est finalisée, encore certaines versions aux USA ont-elles été livrées sous la forme hexagonale du panneau de signalisation qui l'a inspirée... Par contre sur le gatefold une belle photo de Burdon clope au bec. Quand je pense que dans les manuels de philosophie, voici déjà dix ans, l'on a supprimé la cigarette que tenait entre ses doigts Albert Camus sur son cliché le plus célèbre, l'on voit la puritaine régression civilisationnelle...

City boy : stop à quoi ? A l'injustice et à la misère du monde, certes, mais aussi au blues. Le disque est méchamment option rock'n'roll avec guitares à foison. Même si Burdon pensait que le mixage n'était pas assez tonitruant. Le morceau est à écouter comme la la suite de We 've gotta get out of this place, ne s'agit plus de s'enfuir au plus vite, au contraire de revenir, le constat est accablant la situation ne s'est pas améliorée, et puisque le dernier morceau de Guilty ! était d'inspiration gospel, dans le premier du disque suivant Burdon s'adresse à Dieu directement, sûr qu'il pourrait être ailleurs dans un lieu paradisiaque, mais il est juste un city boy. L'on revient toujours sur les lieux des crimes que l'on n'a pas commis mais dont on se sent coupable. Gotta get it on : premières mesures bluesy mais l'on n'est pas sorti de l'auberge espagnole, Burdon nous a apporté une tortilla musicale, une guitare rock, un piano jazz, une rythmique funky, des chœurs soul, ne poussez pas il y en a pour tout le monde et pour tous les goûts, par contre ne vous attardez pas, le morceau est bien court pour un tel contenu, Burdon vous l'optimise de sa petite voix. The man : un morceau culte de Burdon, dans mon souvenir il était sur Sun Secret, mais non il est sur Stop, remarquez c'est plus logique, l'histoire d'un mec qui se fait arrêter par les flics, oui mais c'est filmé à l'américaine, course poursuite in the city, la voix des cops puants filtrée par la CB, sirène hurlantes, musique qui carambole et qui froisse la tôle de vos cauchemars, filles hystériques, des paroles qui font froid dans le dos, si vous en sortez vivant, vous pouvez écouter le morceau suivant, ce n'est pas moi qui le dis c'est la police. I'm looking up : c'est mignon tout plein, chœurs masculins en entrée, orgue qui vous déroule le tapis rouge, des paroles qui ont dû demander moins de temps que l'écriture de La Recherche du temps perdu, ça dure deux minutes, et encore une fois vous écoutez parce que le Burdon vous lui filez trois fois rien et il se débrouille pour faire du trapèze volant et vocal dessus. Rainbow : texte un peu con-con, si tout va bien rainbow, si tout va mal rainbow, heureusement que les guitares s'en moquent éperdument, ronronnent à la manière des tigres mangeurs d'hommes qui vous ont aperçu de l'autre côté de la rue, pas de panique la musique décolle à la manière d'une fusée supersonique, good trip, my brother. All I do : encore un spaghetti de deux minutes, belles guitares, beau vocal, Burdon prend le temps de vous dire qu'il n'a pas le temps de vous attendre, c'est bien mais s'il rallongeait cette super gazoline mazoutée l'on ne s'en plaindrait pas. Funky fever : si vous aimez les guitares qui miaulent comme des chats de gouttière amoureux, ce morceau est pour vous, les paroles sont idiotes mais une fois que vous avez la fièvre funky-rock vous vous en moquez. Une seule objection, on aimerait que le Burdon Band se défonçât dessus pendant au moins dix minutes. Be mine : enfin le blues qui tue, lentement mais on n'est pas pressé, agonie de huit minutes, guitare et orgue de feu en entrance, ensuite c'est du tout lent entrecoupé de quelques coups de hachoir sur les doigts avec dans les intervalles Burdon qui étire la mélodie pour ne pas réveiller les voisins qui dorment, vous excuserez de temps en temps les hurlements et aussi cette guitare qui tirebouchonne un solo long scandé par la batterie de Suranovitch qui rassure nos vies et nos vices. The way it should be : ça part en accordéon, des hauts et des bas qui se chevauchent comme si l'on avait accéléré les bandes, le vocal est dégobillé de la même façon, en une minute tout est expédié et c'est alors que la splendeur commence, un entortillement barbelé de guitares qui court comme un feu de brousse, le vocal survient encore plus azimutant et c'est terminé, vous n'avez rien compris au film, vous le remettez. Stop : un début de session hésitant, la marmelade ne tarde pas à survenir par grosses saccades, la voix est derrière comme si elle n'était qu'un instrument parmi le background général, c'est en ces moments que dans notre tête nous nous repassons le fil de l'album et que tous ses côtés énervants car jamais exploités à fond nous nous apercevons qu'ils ont un côté expérimental non affirmé, comme si le groupe semblait chercher des chemins de non-facilité qui ne le mènent pas directement dans un hard rock de base boogie qui se débite au kilomètre. Burdon veut bien aller au rock'n'roll mais pas comme tout le monde.

Lorsque paraît Sun SecretsStop n'arrivera que l'année suivante, Guilty ! n'ayant eu qu'une diffusion restreinte – l'on est content de retrouver Eric Burdon, une belle couve, un beau titre, une belle gueule sur la photo intérieure, n'en faut pas plus pour rallumer le brasier ( jamais éteint ) dans le cœur des fans, rien qu'à tenir la pochette l'on est sûr que l'on ne sera pas déçus, l'on a l'impression même si comme tous les précédents il est enregistré en Californie que Burdon est revenu parmi nous. Ces secrets du soleil on a d'autant plus hâte de les déchiffrer qu'une bonne partie de ces hiéroglyphes mystérieux proviennent des Animals et l'on se sent déjà chez soi sans l'avoir écouté.

SUN SECRETS

ERIC BURDON BAND

1974

Eric Burdon : vocals / Aalon Butler : guitar / Randy Rice : bass / Alvin Taylor : drums.

It's my life : sur le premier couplet pas grande différence avec la version animale mais à peine est-il terminé que l'on comprend que ce n'est pas la même musique, la guitare d'Aalon Butler vous boute le feu aux synapses, la batterie d'Alvin Taylor vous transbahute au sommet de l'Everest, le mec ne marque pas le rythme, il est partout à la fois, prend toute sa place et ne la lâche pas, ces deux enragés vous poussent Burdon au cul, il explose en plein vol tel un missile qui vient percuter votre maison. Ring of fire : idem pour l'anneau de feu, l'Alvin vous alevine la rythmique et les autres le suivent sans rechigner, imaginez le début du Boléro de Ravel, aussi lent mais plus fort, et là-dessus le Burdon vous psalmodie les versets secrets qui transforment le monde en un gigantesque incendie, alors ils s'y mettent tous à la manière des chevaliers de l'Apocalypse pris d'une frénésie destructrice non prévue au programme. When I was young / War child : une intro qui vient de loin parsemée de roulements sleipniriens d'Alvin, ambiance orientalisante, la musique se perd en de très brèves séquences qui semblent contenir l'infini, vocal burdonien d'une gravité absolue, parfois il meugle, parfois il s'écrase en hurlant du haut d'un minaret, messe basse de la basse de Randy, long passage qui correspond à ce que Rimbaud nommait le dérèglement de tous les sens, hurlements, aboiements, cris, toutes les bêtes de la création s'y joignent, aucune ne veut monter sur l'arche pour être sauvée, mieux vaut mourir jeune que vivre vieux, une splendide folie. The real me : un rock à tout berzingue droit devant et pas de prisonniers, voyage au bout de la folie, l'on croyait que l'on en avait fait le tour au morceau précédent, mais non Burdon est mort, celui qui chante est un être mythique venu de la nuit des temps, c'est lui et ce n'est plus lui, l'est l'Homme Eternel que nous n'atteindrons jamais. Inclinez-vous. Don't let me be misunderstood / Nina's school : la même optique, reprendre les morceaux sur un tempo plus lent, découper les syllabes et laissez la basse et la guitare occuper les espaces vides tandis que la batterie accélère en cachette tout en faisant semblant d'être en retard, brusquement tout bascule, le chagrin et le désespoir prennent les commandes, Burdon est devenu incontrôlable, Aalon joint les couinements hérissés de sa guitare à sa voix, le monde se confond avec une longue supplique à la Nina Simone, Burdon en plein délirium tremens, et l'on s'enfonce dans une nuit plus noire que l'enfer. Letter from the county farm : un vieux blues revisité par Burdon, spoken words, la basse de Rancy bourdonne telle une mouche épuisée derrière la vitre, Aalon moane et Alvin reste discret, Burdon donne le rythme, vous hisse sur les montagnes du désespoir, Aalon se déchire, Alvin calme le jeu, Burdon écrase la mouche mais la vitre est toujours là, même lorsqu'il travaille dans les champs du pénitencier, le morceau n'avance pas, tourne en rond comme la folie dans la tête du prisonnier, peut crier ou rêver il ne s'échappera jamais du rythme impitoyable marqué par Alvin, Aalon tire sur ses cordes comme s'il préparait une évasion, rien ne changera jamais... Ereintant, désespérant, ne rentrez pas dans ce titre, vous n'en sortirez nevermore. Sun secrets : que dire de plus, rien. Sun Secrets est un instrumental. Cadence lente et lourde comme tout ce qui précède mais la guitare d'Aalon se fait légère, plus claire, un rayon de soleil qui se glisse dans une pièce obscure...

L'on pourrait reprocher à cet album son manque de nouveauté, se dire que Burdon doit plus à ses musiciens qu'à lui-même, ce ne serait pas faux, mais l'on n'oubliera pas que le soleil de cet album d'une grande cohérence est aussi un soleil noir.

C'est bien Damie, tu es un honnête travailleur, me suis-je dit, tu as fini ta chronique, le Seigneur te remerciera malgré ce coupable penchant envers cette musique de nègres et de dévoyés blancs dégénérés, oui mais en fait je n'étais pas content, un truc me titillait, tout de même bizarre que John Sterling soit crédité sur la composition de tous les morceaux de Stop - normal en tant que guitariste qu' il ait emmené ses idées, d'ailleurs le nom d'Aalon Butler n'est-il pas aussi inscrit sur cinq des sept titres de Sun Secrets - z'oui mais le légendaire flair du rocker me tenaillait, alors j'ai fouiné et j'ai fini par trouver, Stop ( l'album ) a d'abord été enregistré à la suite de Guilty ! jusque-là pas de lézard, oui mais c'est John Sterling qui chantait, Burdon est venu après, en écoutant le disque attentivement m'étais dit que sur The Man il y avait vraisemblablement la voix supplémentaire d'un musicien mais cela s'inscrivait dans la logique du scénario, par contre sur le dernier titre Stop, la pensée m'a effleuré que ce n'était pas tout à fait le timbre de Burdon, fausse idée, prémonition, je n'en sais rien. Sterling accompagnera plus tard Burdon en tournée. C'est sur sur forum.stevehoffman.TV que j'ai aussi trouvé les photos des musiciens de Tovarich...

Quant à Aalon Butler doué comme il était étrange qu'il n'ait pas donné suite à sa carrière. Il le fit en publiant chez Arista un album soul Cream City avec le groupe Aalon qui n'obtint pas le succès espéré. Abandonna le métier quelques années plus tard pour s'occuper de son fils. Dut recevoir une excellente éducation le fiston puisque Jason Aalon Butler devint le leader du groupe hardcore Letlive...

Le nom d'Alvin Taylor se retrouve sur de nombreuses pochettes, il accompagna sur scène Little Richard et Jimi Hendrix, son nom est aussi associé à Ron Wood et George Harrison...

Damie Chad.

 

CREAM CITY

AALON

( Arista / 1977 )

Incroyable mais vrai, c'est le même individu, Thomas Warkentin, qui a dessiné la pochette de Stop et celle de Cream city. Comme quoi l'homme est un animal capable du pire comme du meilleur ! Quand on compare la pochette de Stop et celle de Deliver the word de War, de Warkentin aussi, l'on s'aperçoit qu'il suffit de peu de chose pour qu'une représentation banale s'auréole d'une touche qui confine à l'infinitude.

Soyons franc quand on voit la pochette et que l'on lit les titres l'on a envie de traduire Cream City par La Cité du Crime, ne cédons pas à nos instincts criminels, ne serait-ce pas plutôt un groupe de rock attendu par ses fans devant le dancing dans lequel ils vont donner un concert, panneau publicitaire faisant foi, le dos de couve nous le confirme, le style bande dessinée adopté par Warkentin arrache l'œil, si l'aventureuse idée baudelairienne de luxe et volupté vous vient à l'esprit pour le calme c'est raté, belles bagnoles, foule compacte, couleur vive, tout concourt à l'idée d'une vie trépidante et tapageuse.

Aalon Butler : vocals, guitar / Luis Cabaza : keyboards / Luther Rabb : bass / Ron Hammond : drums / Barbara Beeney, Freddie Pool, Paula Bellamy : backing vocals / + Al Roberts : bass / Alvin Taylor : drums /

Cream city : un album de soul sans cuivres ne serait-ce pas comme un repas sans fromage, le groove démarre à la première note, quant aux cuivres vous oubliez très vite que ces instruments ont existé autrefois dans le monde, peut-être avant l'extinction des dinosaures, mais vous avez beaucoup mieux, la crème de la soul, sont trois enchanteresses, le Butler l'est pas fou, ne moufte pas une demi-seconde de lyric, Barbara, Freddie et Paula, mêlent leurs voix, quelle légèreté, quel naturel, quel tact suprême, cet art de ne pas y toucher, un chant d'oiselles, faudrait demander ces fauvettes en mariage toutes les trois en même temps, je ne suis pas sûr qu'Ulysse eût résisté à l'enchantement de ces syrènes. Rock'n'roll gangster : Aalon se dépêche de faire sonner sa guitare, trop tard les divines vous envoûtent, vous vous moquez que le Butler buté essaye de nous la jouer à la Stevie Wonder, ambiance, musicalité, tout le bataclan frime soft qui marche avec est insupportable, vous avez mieux à faire dans votre vie, guetter les moments où les trois stars viennent fredonner la-la-la, faut hausser l'oreille, les ont mixées derrière, mais sans elles du jardin des délices vous passeriez à celui des supplices. Midnight man : z'ont enfermé les filles dans le placard, alors les gars doivent bosser un max, bye-bye Stevie, ce n'est pas non plus AC / DC, mais Aalon mouille les cordes vocales et la guitare, ça balance force trois, mais les filles ont fini par se radiner alors c'est mieux, même que Butler joue au guitar-héros avec un beau solo pour se faire pardonner. Summer love : encore un de ces mid-tempo groovés qui vous donnent envie d'ouvrir la fenêtre, d'abattre une douzaine de personnes rien que pour calmer votre crise de nerfs, et au moment où vous tirez sur l'espagnolette pour commettre votre horrible forfait, les trois fées surgissent et chantonnent tout doux, houhouhou, et votre colère tombe aussitôt, vous êtes heureux, sur trois coups intempestifs de batterie Buttler essaie de se faire passer pour un Wonder-man alors vous guettez sur le tapis d'orgue les précieux instants où on les entend fredonner dans le lointain. Steven Baine's electric train : un petit shuffle n'a jamais tué personne, ce qu' il y a de bien c'est que Buttler se souvient qu'il a aussi joué du rock 'n'roll, alors il nous chouchoute l'arrière-train, et l'on crie choo-choo comme si l'on servait une choucroute royale dans le wagon restaurant. C'est le meilleur morceau du disque et les trois grâces n'ont pas daigné quitter leur banquette. Lonely princess : entrée au clavier, faut être juste, le Cabaza il fait un merveilleux boulot sur tous les titres, l'a un touché miraculeux, a mi-morceau l'on se perd dans le groove et des chœurs masculins ( alors qu'ils ont beaucoup mieux dans le studio ) mais non Cabaza ne cabosse pas le dromadaire, il vous festonne un riff de rêve sur son piano électrique et vous réconcilie avec l'humanité masculine, même Buttler qui chante bien sur ce morceau se tait, signe qu'il a tout compris de la beauté chatoyante du monde. Magic night : plus de sept minutes, orgue et voix, Buttler risque gros sur ce morceau, tout de suite l'on pense à Marvin Gaye et à Stevie Wonder ( rien n'est parfait sur cette planète ), on y va sans se presser, il faut le dire sont tout de même de super-musicos, même si l'on s'ennuie un peu, en fait ça manque d'originalité et les filles qui entrent sur la pointe des pieds ne parviennent pas à insuffler l'énergie nécessaire à faire sauter la banque et la baraque. Jungle desire : rien qu'au titre l'on prévoit le groove fiévreux, et là ils ne loupent ni le coche ni l'accroche, sont en train de réussir le morceau qu'ils ont raté sur la piste précédente. Des surprises partout, une panthère noire ondule sur le clavier, le pas lourd de l'éléphant hante la basse, des galops de girafe parcourent la batterie, le Buttler se déchaîne, vous sort sa voix de post-romantique attardé, entrecoupée de cris d'animaux, et les trois démones viennent enfiévrer la nuit qui tombe, y a même un crocodile qui clapote dans le fleuve à la fin du morceau.

Le disque est agréable à écouter. Des trouvailles mais pas de trésor. Il est dommage qu'ils n'aient pas tiré les leçons de cet échec et qu'ils n'aient pas enregistré le deuxième album qui nous manquera jusqu'à la fin de notre existence.

Damie Chad.

 

XXIX

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

116

Cher Vince,

Ce n'est pas le traiteur, tu t'en doutes bien, qui s'adresse à toi de cette manière, mais l'ami, je tiens à te rapporter deux faits étranges :

1° ) Hier soir, dix minutes avant la fermeture, deux clients sont rentrés, plutôt jeunes, pendant que l'un est resté devant la vitrine aux gâteaux sa compagne a engagé la conversation, m'assurant que l'on en avait au moins jusqu'à minuit avant qu'il ne se décide, le ton était enjoué, ajoutons qu'elle avait une mine sympathique, voilà pourquoi j'ai continué la causette, de tout et de rien, au bout d'un moment me suis aperçu qu'elle aiguillait finement la conversation sur la clientèle du quartier, puis elle m'a demandé si je connaissais les propriétaire de la belle villa à trois rues d'ici et si elle était à vendre, j'ai répondu évasivement faisant semblant de ne pas comprendre de quelle maison elle parlait précisément, j'avais toutefois reconnu à sa description qu'elle parlait de ton domicile... sont repartis avec une trentaine d'éclairs au chocolat...

2° ) Ce matin juste après ton coup de téléphone, deux gars sont arrivés, se sont installés sur une des deux tables ont commandé un café et une corbeille de croissants, je suis sûr que c'étaient des flics en civil, tu sais comment je les renifle, je les ai observés du coin de l'œil, quand l'un a montré une photo à l'autre, me suis faufilé derrière lui pour voir, c'était la photo de ta maison ! Fais attention, t'es surveillé. Sont partis au bout de cinq minutes et quinze secondes plus tard un car de flics s'est stationné juste en face du magasin. Me suis douté que j'allais être suivi, voilà pourquoi tu lis cette lettre.

Si tu as besoin de quelque chose fais-moi signe ! En souvenir de notre vieille formule d'adolescence !

                                                                                                                                         Ludovic.

Il y eut un silence, Le Chef en profita pour allumer un Coronado :

    • Cela est bien mystérieux, peut-être pourrions-nous tout de même prendre notre petit déjeuner, je goûterai avec plaisir cette chocolatine au miel, nous avons besoin de sucre rapide afin de phosphorer après ces nouvelles !

C'était un conseil avisé aussi nous ruâmes-nous tous à table sauf Vince qui déclara qu'il devait vérifier ses mails. Pendant quelques minutes l'on n'entendit plus que le bruit de nos mandibules, une douce torpeur nous envahissait, nos ventres criaient famine et nous sustenter nous fit un bien terrible. Nous engloutissions les délices de Ludovic, à ma grande honte le brain trust projeté se réduisait à satisfaire nos instincts les plus primaires. Un cri subit interrompit le bien-être qui insidieusement nous gagnait...

    • Bordel !

    • Voyons Vince, nous avons des jeunes filles ici, veuillez emprunter un langage un tantinet châtié !

Mais Vince ne nous entendait pas, tout blanc les yeux exorbités d'une main tremblante il désignait sur l'écran la photographie d'un homme pris de trois-quart devant une vitrine remplie d'éclairs au chocolat ! Il lui fallut presque cinq minutes pour reprendre son souffle :

    • Notre formule d'adolescence... toujours avoir deux sorties à son terrier... sur les mails... Ludo a envoyé une photo prise par son apprentie pour son rapport de stage... mais le gars... c'est... c'est... Eddie crescendo !

Les filles poussèrent des cris de stupéfaction, les chiens aboyèrent, le Chef alluma un Coronado, quant à moi j'en profitai pour subtiliser le dernier croissant.

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    • Pas d'affolement déclara péremptoirement le Chef, si Crescendo est vivant il nous contactera, s'il est mort ce n'est pas lui, ou alors c'est son fantôme – les filles poussèrent des cris d'horreur – dans les deux derniers cas nous le retrouverons sur notre chemin tôt ou tard ! Par contre agent Chad, vous qui vous targuez d'être un GSH, une fois que vous aurez vidé votre bouche du dernier croissant dont vous vous êtes honteusement emparé à notre insu, j'aimerais entendre de votre part une réflexion sagace quant au contenu de cette lettre.

    • Vince, êtes-vous sûr de Ludovic ?

    • On se connaît depuis la maternelle, on a fait les 400 coups ensemble dans notre jeunesse ! Personne au-dessus de tout soupçon, je réponds de lui comme de moi !

    • Agent Chad, pourriez-vous préciser votre réflexion, votre angle d'attaque me convient !

    • Une remarque toute simple Chef, cela fait deux fois qu'un épisode de cette histoire embrouillée se déroule dans une pâtisserie !

    • Très bien Chad, pour vous prouver que je ne vous tiens pas rigueur de votre vol de croissant, j'offre une tournée d'éclairs au chocolat ! Vince conduis-nous !

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Ce matin-là Vince faillit devenir fou. Il nous emmena tout droit à la boutique de Ludovic. Un seul problème ! Il n'y avait plus de pâtisserie ! Il remonta la rue dans les deux sens, crut qu'il s'était trompé, mais non là où devait s'ouvrir une pâtisserie, l'emplacement était occupé par une étude notariale ! Nous ne nous attardâmes pas, la présence d'une camionnette de la gendarmerie nationale qui vint se ranger à quelques mètres de notre groupe nous dissuada fortement d'échanger nos impressions. Nous pressâmes le pas, notre marche fut ralentie par une jeune adolescente qui tenait par la main un garçonnet de sept à huit ans. Ils marchaient lentement, mais lorsque nous entreprîmes de la dépasser, sans nous regarder, elle laissa tomber d'une voix sourde :

    • Monsieur Vince c'est Ludovic qui m'envoie, je suis son apprentie il m'a fait sortir par derrière quand les flics sont arrivés, deux gros camions en dix minutes ils ont tout déménagé et changé la façade, ils étaient au moins trente ! Rendez-vous à la Villa des Ormeaux !

Nous les laissâmes derrière nous, le Chef m'intima de voler au plus vite une voiture.

119

Je ralentis à peine lorsque nous passâmes devant la villa des Ormeaux sise sur une crête désertée du Lubéron, à peine avions-nous entrevu l'orme gigantesque qui cachait pratiquement toute la bâtisse et les deux estafettes de gendarmerie qui bloquaient le portail. Ludovic était manifestement tenu au secret dans sa demeure familiale.

    • Parfait ! déclara Vince, Damie tu continues à toute vitesse, tu prends la direction de Nîmes, arrivé devant les arènes tu t'arrêtes, discrétos tu empruntes une nouvelle voiture, et l'on refile à la Villa des Ormeaux !

    • Tant de route pour revenir d'où l'on vient, persifla Brunette !

    • En plus avec la flicaille qui garde l'entrée l'on n'est pas prêt de délivrer Ludovic, déclara Charlotte !

Vince se contenta de sourire, attendit un long moment avant de laisser échapper :

    • Où va le monde si les jeunes générations ne savent pas compter jusqu'à deux !

( A suivre... )

 

07/04/2021

KR'TNT ! 505: DAVE CLARK FIVE / CHOCOLATE WATCHBAND/ GENE SCULATTI / ERIC BURDON AND WAR + JIMMY WITHERSPOON / ROCKAMBOLESQUES XXVIII

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 505

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

08 / 04 / 2021

 

DAVE CLARK FIVE / CHOCOLATE WATCHBAND

GENE SCULATTI

ERIC BURDON AND WAR + JIMMY WITHERSPOON

ROCKAMBOLESQUES 28

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Le full car flight du Dave Clark Five

 

Curieusement, le Dave Clark Five ne bénéficie jamais des largesses de la presse anglaise. Tous les autres British Invaders ont été célébrés en long en large et en travers, mais pas grand chose sur ce groupe que les feignants appellent le DC5. Tout ce qu’on peut espérer dénicher, c’est une page de temps en temps dans Record Collector. En 2019, Nick Dalton faisait le tour du propriétaire en 33 minutes d’un groupe qui vendit en son temps 100 millions de disques et qui apparut 18 fois dans l’Ed Sullivan Show, alors t’as qu’à voir. Quand Dalton demande à Dave Clark pourquoi son groupe est devenu tellement célèbre aux États-Unis, celui-ci lui répond sèchement, the Tottenham way - Everything is being at the right place at the right time - Oui, il faut être là au bon moment. Ed Sullivan était à Londres et quand il a vu le Dave Clark Five sur scène au London Palladium. Il leur a tout de suite offert 10 000 $ et des billets d’avion. Dave a dit a ses copains : «Faites vos valises les gars, on part tôt demain matin !». Ed Sullivan les voulait dans tous ses shows. En fait c’est lui, cette espèce de sosie de Nixon, qui a rendu célèbre le Dave Clark Five. Partout aux États-Unis, leurs concerts sont sold-out. Ils sont aussi célèbres que les Beatles. C’est Dave qui négocie avec les maisons de disques. Il demande à EMI la propriété des masters et l’obtient. Five years of mega-stardom, nous dit Dave, qui s’arrêtent aussi brutalement qu’elles ont commencé. Dave voulait arrêter le cirque au moment idéal, lorsqu’ils étaient au top - We wanted to stop at the top - Les gars de Tottenham ne rigolent pas. Ils ont un parcours exemplaire, sec et net, et attention, leurs albums grouillent de dynamite.

Dans un autre numéro de Record Collector, Alan Clayson célèbre à sa manière le Five’s power, comme il dit. Il commence par dire à Dave : «‘Anyway You Want It’ est l’un des most violent records I’ve heard!». Dave lui répond que c’est enregistré d’un seul bloc sur un 4 pistes. The Tottenham way. Il indique aussi que tout le Five’s Power est enregistré aux Lansdowne studios, à Holland Park, où travailla un temps Joe Meek. Dave monte soudain en température. Il sort sa théorie de la perfection : «Ce sont les imperfections qui font la perfection. Ça donne de la présence au cut.» Il dit aussi que ses gros hits sont inspirés du public who would stomp along to the drum breaks in the ballrooms. Voilà d’où vient ce stomp légendaire. Dans le feu de l’action, Dave rappelle sa passion pour les gros hits américains : ««Twist & Shout» des Isleys, «Do You Love Me» des Contours, «I Like It Like That» de Chris Kenney et «You Got What It Takes» de Marv Johnson. Toutes les influences sont américaines. Dave révèle que son premier disque fut le «Blueberry Hill» de Fatsy. Clayson qui est un vieux fan aborde la question des archives et oui, Dave l’avoue, il reste pas mal d’inédits à la cave du Vault d’or. Il a accepté d’en sortir un sur la compile The Hits, «Universal Love», dont tu trouveras l’éloge un peu plus bas. Il confirme aussi avoir reçu une offre mirobolante dans les années 90 pour reformer le DC5 avec Mike Smith. Un million de dollars ? Non dit Dave, far more than that. N’importe qui aurait accepté, mais pas Dave. Au téléphone, le ponte insiste, il rappelle en pleine nuit et double la mise. Dave dit no. Excédé, le ponte joue sa dernière carte : «Look Dave, everybody’s got their price. What’s yours ?», dis ton prix, et fouf Dave lui raccroche au nez. The Tottenham way. Grâce a Dave, nous n’aurons pas à subir la reformation du Dave Clark Five. Ouf !

Sois prudent si tu envisages de mettre le nez dans leur discographie, car elle est assez tentaculaire. On s’y perd comme jadis les vaisseaux se perdaient dans le triangle des Bermudes. L’idéal est de se limiter aux douze pressages Epic US et de démarrer avec l’excellent Try Too Hard paru en 1966. Que de son, my son ! Dès le morceau titre d’ouverture du bal d’A, ça te saute à la gueule. Hard pop in full car flight, Dave et ses potes sont heavy on the beat et ce qui frappe le plus, c’est l’éclat de leur énergie mirobolante. C’est encore autre chose que les Hollies, les Searchers ou les early Beatles. Tout l’album va se hisser au même niveau, à commencer par «I Never Will», véritable DC stomp, un modèle du genre. C’est même un beat de pop qui bat tous les records. Ils sont largement supérieurs à la moyenne de l’époque. Pour l’anecdote, cet album fut pioché durant les early seventies dans un bac de second-hand à Londres - sur la foi de la pochette - en même temps qu’un Best Of US de Paul Revere & The Raiders et quelle ne fut pas la stupéfaction du piocheur quand il découvrit à son retour au bercail que les deux groupes dégageaient le même genre de super power. Et si on reprend l’écoute, on tombe en bout d’A sur «Ever Since You’ve Been Away», une aveuglante giclée de fulgure. Ces mecs traitent la pop comme une reine. Alors, on devient leur copain. Et le cirque continue en B avec «Somebody Find A New Love». On souhaite vraiment à tous les popsters d’avoir ce son. Car outchy outchah, quelle patate chaude ! C’est carrément punché dans le menton du tabernacle. Ils ramènent la pire basse fuzz de tous les temps dans «I Really Love You», oh yeah, il faut l’entendre pouetter au coin du bois et ils continuent de dévaster leur B avec d’autres feel good killer cuts, finissant par tout battre à plates coutures. Les voilà bien avancés.

Les gros labels américains mirent du temps à mesurer l’impact de la British Invasion, mais une fois qu’ils eurent compris, ils passèrent en mode de production industrielle. Filiale de Columbia, Epic fit ses choux gras du Dave Clark Five dès 1964, en sortant trois albums dans la même année : American Tour, The Dave Clark Five Return et Glad All Over. Le message était clair : pesez le pour et le contre et courez chez votre disquaire, comme le disait si bien Paul Alessandrini dans un vieux numéro de R&F. Bon, pas vraiment de hit sur American Tour, mais de la patate chaude à la pelle. Les gars de Tottenham ont décidé d’en découdre et avec eux, ça ne traîne pas. On note aussi chez eux un sens aigu du tatapoum. Une belle basse monte au devant du mix dans «Move On». Ils ont tout compris. Cet instro est un fleuron du Swinging London. Quand ils font de la pop, ils ne la ménagent pas. C’est leur façon d’aimer. Le «Come On Over» qui ouvre le bal de la B avance au pas de charge, typical DC beat, belle détermination, le message est clair. Pas la moindre ambiguïté. C’mon over !

Les amateurs de big covers seront aux anges avec l’«On Brodway» qu’on trouve au bout de la B sur The Dave Clark Five Return. Il faut savoir que le chanteur du groupe n’est pas Dave Clark mais le keyboardist Mike Smith. C’est dingue comme ce mec chante bien et il faut être gonflé pour aller s’attaquer à un tel standard. Ils ont le son, la niaque et l’ampleur catégorielle, ce sont vraiment des cracks. L’autre merveille de l’album se trouve aussi B. Cette fois il s’agit d’une Beautiful Song, «Forever & A Day», chantée aux harmonies surnaturelles. L’autre particularité du groupe est sa façon de sonner comme les early Beatles. C’est flagrant avec «Zip A Dee Doo Dah». Smith chante comme John Lennon. Il nous fait le «Mister Moonlight» des Beatles. Et puis avec «I Need You I Love You», ils campent bien sur leurs positions. C’est beatlemaniaque au bon sens du terme. Big energy & Mersey beat ! Le gros défaut des pochettes américaines, c’est qu’elles sont pauvres en informations. Les membres du groupe sont présentés un par un comme ça se faisait à l’époque, mais on ne sait pas qui chante. Comme Dave Clark est leader/drummer, on croit que c’est le chanteur. Fatale erreur.

Il faut attendre la pochette de Glad All Over pour enfin apprendre que Smith chante. Le mix de l’album et donc du morceau titre est étrangement criard, presque trop aigu. C’est le early Beatles sound, ils mettent le paquet là-dessus, étant donné que ça marche aux États-Unis, car bien sûr le DC5 fait carrière aux États-Unis. Les gars de Tottenham ramènent tous leurs guts dans une version de «Do You Love Me», mais c’est en B que se joue le destin de l’album, avec une sacrée triplette de Belleville : «Bits & Pieces», «I Know You» et «No Time To Lose». Ils jouent leurs Bits au big stomp des origines du monde et on entend la basse entrer dans le lard du refrain. Elle gronde aussi dans «I Know You», quelle étonnante ampleur ! On pense au dragon de Merlin sous la surface de la terre. Il explosent leur «No Time To Lose» à la Twist & Shout, avec toute la folie combinée des Isleys et de Lennon. Ex-plo-sif !

Allez hop, quatre albums en 1965. Epic fait tourner ses rotatives. Ça commence avec Coast To Coast. Pochette typique de l’époque avec le Five détouré sur fond de carte des États-Unis. On retrouve leur énergie avec «Anyway You Want It», hey hey hey, qui les catapulte dans les hauteurs des charts. Ils campent bien sur leur position qui est celle d’une pop d’harmonies vocales très énergétique sans solos. Mais globalement l’album bande mou. Si on espère y trouver du wild gaga punk de British Invasion, c’est raté. Ils n’ont d’énergie que sur deux ou trois cuts, comme le «Say You Want Me» d’ouverture de bal de B. Réveil en sursaut un peu plus loin avec «Don’t You Know», véritable retour de manivelle, cut fluide, bien condensé, monté sur le big beat, très Lord have Mersey dans l’esprit, chanté à l’unisson du saucisson sec. Les morceaux lents sont de cuisants deceivers of the fashion. Dommage, car ces mecs sont capables de belles poussées de fièvre.

Having A Wild Week-End réserve une grosse surprise, tout au moins pour les fans des Cramps : on y trouve l’ancêtre de «Garbage Man», un instro qui s’appelle «On The Move». C’est le riff de Garbage. Ailleurs, on retrouve le cocktail habituel de grosse niaque et d’énergie beatlemaniaque. Ces mecs-là sont capables de tout, même de western swing, comme le montre «Dum Dee Dee Dum». «No Stopping» vaut aussi pour un instro de London craze et en B, «Catch Us If You Can» capte bien l’attention, avec ce cri qui lance le solo d’harmo. Et voilà qu’ils se prennent pour les Righteous Brothers avec «Don’t You Realize». Ça en bouche un coin. Comme on dit, l’occasion fait le larron. En tous les cas, bravo à Mike Smith.

Le troisième album soixante-cinquard s’appelle I Like It Like That. Ah c’mon ! Ils le prennent à la dure, le morceau titre, avec un raw à la Louis Armstrong, wow c’mon ! Guts a gogo. Simple mais si catchy, baby. Il faut les voir bosser leur pop, surtout des trucs comme «I Need Love» : ils parviennent à faire des choses savamment atmosphériques, pas loin de ce que font les Chambers Brothers à la même époque. La pop des DC5 est toujours captivante, chargée de climats et d’intériorité galvanique. La B est un peu faiblarde et il faut attendre «She’s A Loving Girl» pour retrouver un peu de viande. Ils terminent avec la pop parfaite de «You Know You’re Lying» chantée à plusieurs voix avec toute l’énergie de Tottenham. Au dos des pochettes Epic, les commentaires sont toujours aussi plan-plan. Peut-être n’y a-t-il rien à dire sur le DC5, finalement.

Ils finissent l’année 1965 avec Weekend In London et une pochette typique de l’époque : photo de scène, mais en studio, sûrement pour la télé. On trouve sur cet album une sacrée énormité, cet «I’m Thinking» descendu aux gros accords gaga. C’est l’un de leurs atouts, le super power. Ils repiquent une crise de Beatlemania avec «Hurting Inside» - Won’t you come on home and forgive me - et «I’ll Never Know». On croit tout le temps que ce sont des covers des Beatles, mais non, c’est Dave Clark qui compose, ou Smith dans le cas de «Til The Right One Comes Along». «You Turn To Cry» et «Mighty Good Loving» s’inspirent encore des Beatles. C’est exactement le même fil mélodique. On se croirait sur Revolver.

Un seul album paraît en 1966 sur Epic, l’aimable Satisfied With You. On y trouve une belle brochette de hits, notamment l’enchaînement de «Do You Still Love Me», «I Meant You» et «Look Before You Leap». Back on the big beat, ces mecs savant bombarder leur pop nucléaire. On retrouve l’intro d’Antoine à l’harmo dans «I Meant You», oh yeah, celle des Élucubrations. C’est une pop tendue vers l’avenir, power-poppy avant la lettre. Ils sont passés maîtres dans l’art du feeling pop et de la profondeur de champ, au long long time, et vont chercher les meilleures résonances au fond de l’écho du temps. Encore une fois, les mélopifs ruinent leurs efforts, mais l’espoir renaît quand sonne «It’ll Only Hurt For A Little While», car ils cassent la baraque avec un bassmatic de syncope. Voilà un cut idéal pour le twisted jukebox, big energy & dancing beat et ils relancent à la folie Méricourt. Et puis avec «Good Lovin’», ils explosent. Oui, c’est le hit des Young Rascals et le Dave Clark Five en fait de la charpie, avec une fuzz en maraude, c’est d’une puissance énergétique digne des grandes heures du Duc de Berry.

En 1967, ils ont assez de bouteille pour présenter au dos de 5 By 5 les 11 pochettes des albums précédents, histoire de faire baver les amateurs. Que de l’Epic, bien sûr. On les voit tous les cinq en recto de pochette avec bien sûr Dave Clark au centre. On retrouve le super power du DC5 dès «Nineteen Days». C’est bardé de booming ! Difficile de faire mieux dans le genre. Ils bouclent leur bal d’A avec un fantastique shuffle de bastringue intitulé «Sitting Here Baby» digne des géants du jump américain. Mike Smith chante au maximum des possibilités du raw. Comme d’usage, leur pop est bourrée à ras-bord d’harmonies vocales («Now Can I Tell You»), ce qui nous fait dire que ces mecs sont largement au dessus de la moyenne. On se laisse même charmer par «Pictures of You», une belle country pop de close my eyes/ And see pictures of you. Ils font du soft Cash chanté au doux du menton. Et avec «Small Talk», ils font carrément du Spencer Davis group, alors t’as qu’à voir.

Attention ! Avec You Got What It Takes, on entre dans le jardin pas magique des petites arnaques de maisons de disques. Comme tout le monde, on se fait baiser. La pochette de You Got What It Takes est la même que celle d’Everybody Knows, bien sûr pas l’Everybody Knows d’Epic qui a une autre pochette, mais l’Everybody Knows de Columbia, sachant qu’Epic est une filiale de Columbia. On se fait donc enfiler comme il faut quand on croise l’Everybody Knows de Columbia dans un bac, car on croit que c’est le You Got What It Takes d’Epic. Même en essayant d’expliquer l’arnaque, on s’y perd. C’est fait pour ça. Pour éviter de perdre du temps à essayer de comprendre, on ramasse tout et on fait le tri après. Bon bref, merci les maisons de disques pour ce mic mac qui montre assez clairement leur niveau de cupidité, à l’époque. Les groupes n’y étaient pour rien. Si les gens étaient assez cons pour acheter deux fois le même album, alors c’était bien fait pour leur gueule. C’est tout ce qu’on méritait. Alors revenons à nos moutons et à You Got What It Takes et sa pochette de verre brisé, avec bien sûr Dave Clark au centre. C’est un album plus r’n’b. Mike Smith chante comme Nino Ferrer et ça vaut pour un sacré compliment. Et les coups de sax rehaussent le morceau titre d’ouverture de bon bal d’A. Et ça repulse de plus belle avec «You’ve Got To Have A Reason». Ils sortent pour l’occasion un beat oblong et bien élastique, avec une réelle profondeur de champ. Le son frise, comme chez Curt Boettcher. Ah quelle belle claquemure de you’re rocking out on me ! «Thinking Of You Baby» sonne comme le British Beat des enfers. C’est assez explosif. Ces mecs n’ont plus rien à prouver, ils savent sonner les cloches d’un cut. Ils tapent «Let Me Be» au pur gaga anglais bien nappé d’orgue et wow, il faut voir ronfler le bassmatic ! Quelle niaque !

Belle pochette que celle du Everybody Knows d’Epic paru en 1968. Comme l’album précédent, ça reste orienté très r’n’b. Avec «A Little Bit Now» on croit entendre chanter Nino Ferrer accompagné par le Spencer Davis Group. Nino Smith revient casser la baraque en B avec «You Must Have Been A beautiful Baby» et forcément, il chante comme un dieu qui voudrait être noir. Et voilà le grand retour du Stomp DC avec «Good Love Is Hard To Find». Leur secret, c’est l’eau lourde. Bim bam boom ! Quelle trempe ! Ils terminent cet album énergétique avec «I’ll Do The Best I Can». Ils y piquent leur petite crise de Wall of Sound. Ils repompent tout le décorum de Totor et des Righteous Brothers.

Finalement, on est bien content de l’avoir récupéré l’Everybody Knows de Columbia avec sa pochette verre brisé de You Got What It Takes, car il fonctionne comme une sorte de Best Of assez indomptable. On y retrouve le raw r’n’b de «You Got What It Takes», et la spectorisation d’«I’ll Do The Best I Can». Bien sûr, aucune info sur la pochette, on ne sait même pas qui joue là-dessus et qui produit. On croise aussi cet excellent mélange de Coasters et de proto-punk qu’est «A Little Bit Strong» et le stomp d’harmo de «Good Love Is Hard To Find». Mike Smith casse la baraque avec sa version de «Blueberry Hill» et shoute «Beautiful Baby» comme un crack. Il est sans doute l’un des meilleurs shouters d’Angleterre mais personne n’est au courant. Il bat encore des records de raunch avec «Sitting Here Baby» et on se gave du big sound de «Got To Have A Reason». Leur sens du stomp les honore. Ils terminent avec l’excellente pop psyché d’«Inside And Out». Même ça, ils savent le faire, en tous les cas, c’est mille fois mieux que le Little Games des Yardbirds.

Alors, que vont faire les ceusses qui n’ont pas de place ? L’air de rien, douze albums ça prend de la place. La solution est simple, elle s’appelle The Hits, une solide compile supervisée par Dave Clark et parue en 2008 : double CD, 45 hits, de la dynamite à gogo. Bien sûr, on perd le charme des gros cartonnés US, mais bon, on a le son, et tout explose dès la triplette d’intro, «Do You Love Me»/«Glad All Over»/«Bits & Pieces». Un vrai festival de punk-pop, watch me now ! Mike Smith is hot, ça tape sur la tête du beat, ils stompent les fondations du rock anglais. «Bits & Pieces» est l’ancêtre de Slade. Ils inventent tout : le stomp, le drive et la pop craze. Le Tottenham beat est plus raw que celui de Liverpool, plus collar blue, comme si c’était possible. Nouvelle doublette fatale avec «Anyway You Want It» et «Wild Week-end», hey hey hey, niaque des dieux, ça gagate à gogo, Mike Smith est le crazee king du samedi soir, il rivalise de grandeur totémique avec Little Richard. Il bouffe le jerk tout cru et leur r’n’b prend feu («You Got What It Takes»). On croit entendre Nino Ferrer ! Personne ne peut échapper au fuzzy storm de «Try Too Hard», le DC5 jette tout son poids de ferraille dans la balance qui s’écroule. Et ça repart de plus belle sur le disk 2 avec «Look Before You Leap» et son rumble de basse, on se prosterne jusqu’à terre devant un instro comme «All Night Long», et on va se faire bronzer avec «Here Comes The Summer», ce gros clin d’œil de Tottenham aux Beach Boys, qui préfigure les Undertones. On trouve à la fin un inédit, l’awsome «Universal Love». Le DC5 joue l’excellence jusqu’au bout. Mike Smith chante à l’émotion pure et il sonne comme Lennon dans le refrain. Terrific. Sur lze tabernacle du boîtier, il est écrit en lettres d’or : «The DC5 sold over 100 millions records». L’eusses-tu cru ?

Signé : Cazengler, tête à clark

Dave Clark Five. American Tour. Epic 1964

Dave Clark Five. The Dave Clark Five Return. Epic 1964

Dave Clark Five. Glad All Over. Epic 1964

Dave Clark Five. Coast To Coast. Epic 1965

Dave Clark Five. Having A Wild Week-End. Epic 1965

Dave Clark Five. I Like It Like That. Epic 1965

Dave Clark Five. Weekend In London. Epic 1965

Dave Clark Five. Satisfied With You. Epic 1966

Dave Clark Five. Try Too Hard. Epic 1966

Dave Clark Five. 5 By 5. Epic 1967

Dave Clark Five. You Got What It Takes. Epic 1967

Dave Clark Five. Everybody Knows. Epic 1968

Dave Clark Five. Everybody Knows. Columbia 1967

Dave Clark Five. The Hits. Universal 2008

Nick Dalton : 33 1.3 minutes with Dave Clark. Record Collector # 500 - Christmas 2019

Alan Clayson : Glad all over again. Record Collector # 357 - Christmas 2008

 

Les Chocolate sont chocolat

 

En matière de chocolaterie, on ne fait pas mieux que le Chocolate Watchband. Dans la vie, il faut des baisés, et nul groupe n’est mieux placé que les Chocolate pour illustrer cette claironnante vérité. Richie Unterberger qui leur consacre un chapitre dans ses Unknown Legends Of Rock’n’Roll rappelle qu’avec leur funny name, on avait beaucoup de mal à les prendre au sérieux. Sans doute auraient-ils dû s’appeler les Wild Chocolate. Chez Tower Records, il y a même un ponte qui croyait que les Chocolate étaient des blacks. Mais le plus drôle, c’est que le mec qui chante leur cut le plus connu, «Let’s Talk About Girls», ne fait pas partie du groupe.

Et pourtant, les Chocolate disposaient de tout l’apanage du package : primitive psychedelia, raunchy guitars, le snarl de Jag, et un son qui pouvait relever à la fois de l’expérimental et de la sophistication. Plus le look. Pour Unterberger, ces Californiens de San Jose singeaient à la perfection les early Stones. Dave Aguilar, chanteur en titre des Chocolate, rappelle aussi qu’en Californie, des investisseurs montaient littéralement des groupes : Moby Grape et Jefferson Airplane sont les coups les plus connus. Par contre, les Chocolate n’ont pas eu cette chance. Ils durent se débrouiller tout seuls avec leurs petits bras et leurs petites jambes.

En 1966, le producteur Ed Cobb cherchait des groupes pour interpréter ses compos. On connaissait bien Cobb aux États-Unis, car il avait chanté dans un quatuor folk-pop à succès, les Four Preps. Il préféra ensuite se consacrer à la production et veilla sur les carrières de Brenda Holloway et de Gloria Jones, dont le «Tainted Love» (signé Cobb) sera repris dans les années 80 par Soft Cell avec le succès que l’on sait. Cobb veillait aussi au destin des Standells, ne l’oublions pas. «Dirty Water», c’est lui. En 1966, il louchait sur la scène de San Jose, dont les Count Five et le Syndicate Of Sound étaient les figures de proue. Il cherchait donc un groupe capable de jouer les hits de bronze qu’il coulait chaque matin. Aux yeux de Dave Aguilar, les Standells étaient le groupe idéal pour Cobb : très malléables et déterminés à devenir des stars, ce qui, nous dit Dave, n’était pas le cas des Chocolate. Mais alors pas du tout.

Cobb leur donne «Sweet Young Thing» pour leur premier single. Malgré son joli côté gaga-stonesy, le single floppe. Après un deuxième single, «Misty Lane» qui ne plaît pas à Dave, les Chocolate «enregistrent» leur premier album. Oui, il faut le dire vite, car la réalité bat tous les records d’incongruité. Considéré aujourd’hui comme un classique gaga, No Way Out est du faux Chocolate. Mais le fan de base installé dans la France profonde s’en bat l’œil, dès lors qu’on lui donne sa rasade de gaga vintage, et avec «Let’s Talk About Girls», il est gavé comme une oie blanche. C’est en effet l’archetypal gaga sixties, wow, les Chocolate savent réparer une caisse, ce sont d’authentiques garagistes, des vraies fleurs de fosse de vidange. L’amateur trouve forcément chaussure à son pied et personne ne s’étonne que cet album soit devenu aussi cultissime que ceux des Shadows Of Knight et des Standells. Le problème, c’est que Cobb vire la piste chant d’Aguilar et la refait avec un black du nom de Don Bennett. Et aucun Chocolate ne joue sur les deux instros de l’album, «Dark Side Of The Mushroom» et «Expo 2000». On trouve aussi une belle version de «Midnight Hour» sur l’album, ultra-jouée, ornée de légères nappes d’orgue en suspension et qui fourmille de petits solos vermisseaux sous le boisseau chocolaté. Mais après ça se gâte, avec une version de «Come On» un peu trop pop pour être honnête. Un jour, Ed Cobb dit aux Chocolate : «Vous allez enregistrer ça, les gars !». Il leur fait écouter «Hot Dusty Road», une compo de Stephen Stills. Les Chocolate font la gueule : «Non, c’est pas notre son. On ne veut pas enregistrer ça !». Pas de problème les gars. Cobb fait venir une autre équipe pour enregistrer ce cut qui clôt l’A. Il faut attendre «Are You Gonna Be There» en B pour renouer avec la fosse de vidange. C’est un gaga cracra d’une belle efficacité. Encore un modèle du genre. On assiste médusé à un très beau départ en solo. Quand reviendra-t-il ? On ne sait pas, mais en attendant, de fantastiques phrasés de guitare trouvent leur voie sous l’épaisse couche des chiffons gorgés d’huile.

Les Chocolate ne se doutaient de rien. Aguilar raconte qu’on les avait fait venir quatre jours en studio à Los Angeles et qu’ils n’avaient aucune expérience du studio. Tu fais ci, tu fais ça. Mais jamais ils n’auraient imaginé que Cobb allait trafiquer les pistes dans leur dos. Quelques mois plus tard, ils récupèrent l’album et commencent à l’écouter : «What the hell is this shit ?» L’horreur ! Mettez-vous à leur place. En représailles, ils font du tir au pigeon avec les exemplaires qu’on leur a livrés - We shot at them with a double-barred 12-gauge shotgun - Et sur scène, ils veillent scrupuleusement à éviter de jouer les compos d’Ed fucking Cobb. Dave Aguilar insiste bien pour dire à quel point il haïssait ces albums, mais s’il avait conservé ses deux cartons, il serait aujourd’hui assis sur un tas d’or.

Dave veut tout reprendre à zéro et repartir du bon pied, mais Mark Loomis veut aller sur un autre son, plus proche de celui des Byrds. Dave se met en pétard : «Tu ne te rends pas compte du potentiel qu’on a ! On doit enregistrer notre album !». Mais Loomis visiblement ne comprend pas. Il n’est plus dans le garage, mais dans la dope. Dave dit qu’il n’a pas quitté le groupe, c’est le groupe qui s’est quitté. Dommage car les Chocolate étaient excellents sur scène. Il faut savoir que Bill Graham avait voulu les manager, mais il était arrivé trop tard, car les Chocolate venaient de passer un accord avec le mec qui allait leur présenter Ed Cobb, qui avait ses entrées chez Capitol, via sa filiale Tower Records. C’est d’autant plus dommage que Bill Graham voulait les envoyer jouer sur la côte Est.

Pendant ce temps, Cobb continue ses conneries. Aucun Chocolate ne joue sur l’A de The Inner Mystique paru un an après. Le groupe qui joue sur l’A s’appelle les Yo-Yoz. Mais c’est bien Dave Aguilar qui chante «Ain’t No Miracle Worker», même s’il a quitté le groupe depuis quelques mois. L’album est vraiment destiné aux curieux. Ils y trouveront une belle mouture d’«It’s All Over Now Baby Blue», joli clin d’œil dylanesque avec de forts accents gaga, stompé et battu aux tambourins. Mais c’est vrai que l’A sonne comme la pire arnaque de tous les temps, notamment grâce à ce «Voyage Of The Trieste» lancé à la flûte antique. On se croirait dans Satyricon. Le fuck off continue avec une partie d’orientalisme inepte intitulée «In The Past». Plus aucune trace des clés à molettes ni des ongles sales. On appelle ça de l’orientalisme à la mormoille et ça empire encore avec le morceau titre. On y assiste médusé au retour de la flûte de Fellini. Ils tentent de sauver la mise en B avec une reprise du mighty «I’m Not Like Everybody Else» des Kinks, mais laisse ça aux Kinks, baby, même si c’est bien ramoné. «Medication» vaut pour un beau slab de gaga psyché, mais bon, vu l’ambiance, difficile d’aller se prosterner.

Aucune trace de Dave sur le troisième et dernier album Tower, One Step Beyond. On le savait à l’époque et donc, on veillait scrupuleusement à ne pas rapatrier cet album bidon. Mais le temps passe et la curiosité finit par l’emporter. Si tu surmontes ton aversion pour les tripatouillages d’Ed Cobb, tu feras une belle découverte : les faux Chocolate ont un certain charme. Disons pour rester courtois que One Step Beyond est l’album de Jerry Miller (Moby Grape incognito) qui remplace Mark Loomis, auteur des très psyché «Uncle Morris» et «And She’s Lonely» qui n’ont strictement aucun intérêt. C’est Danny Fay qu’on entend, le premier chanteur des Chocolate. Il chante «How Ya Been» avec de faux accents à la Steve Marriott. Pour «I Don’t Need No Doctor», le faux Chocolate sort sa meilleure niaque chocolatée. Dommage qu’ils n’aient pas annoncé la couleur à l’époque car Danny Fay est vraiment bon. C’est le batteur Gary Machin qui tire le mieux son épingle du jeu avec ses compos, notamment «Flowers», cut sur lequel Jerry Miller ultra-joue. Ces mecs finissant par sonner comme Love. Ils virent pop-rock d’Elektra. C’est aussi au batteur Gary Machin qu’on doit l’excellent «Devil’s Motorcycle». Danny Fay chante ça avec un trop plein de niaque chocolatée. Mais quelle fantastique partie de guitare, c’est une merveille d’aisance funambulique, bien amenée au grunge de groove et serti d’un solo californien ultra-joué, à cheval sur du brouté de basse. On peut aussi éventuellement se régaler de «Fireplace», un cut de rock seventies visité par un beau drive de basse, et allumé à coups de yeah yeah, joyeux et buzzy comme une cour de lycée. On les sent à l’avenant, très avancés, très tendus dans l’élan.

Pour la petite histoire, Dave Aguilar s’enticha ensuite d’astronomie et devint prof d’astronomie puis expert de l’industrie aérospatiale. C’est la parution de Nuggets en 1972 et d’Unknown Legends Of Rock’n’Roll qui réveilla les appétits pour le Chocolate. Mike Stax réussit à la fin des années 90 à réunir une mouture chocolatée avec trois des membres originaux, le batteur Gary Andrijasevich, le bassman Bill Flores et Dave Aguilar, plus Tim Abbot. Puis Alec Palao remplaça Bill Flores et c’est cette mouture qu’on vit à Paris dans une soirée Gloria, en mars 2005, avec Loon, le groupe de Mike Stax en première partie. Dave portait un pantalon à grosses rayures noires et rouge et shakait bien sa paire de maracas.

Après Unterberger et Mike Stax, Alec Palao est donc devenu le gardien du temple. Il a non seulement a concocté en 2005 Melts Your Brain Not Your Wrist, la compile idéale des Chocolate, mais on l’entend jouer de la basse dans le Chocolate du XXIe siècle.

La compile citée en référence vaut largement le détour. Compile d’autant plus idéale qu’on y entend Dave Aguilar chanter enfin ses vieux hits, «Let’s Talk About Girls» et «Medication». Oh oh yeah ! Dave tombe dans le chocolat de «Let’s Talk About Girls», c’est le vrai gaga-punk rampant, le ramping du rampage, il faut le voir le Dave monter sur ses grands chevaux ! Superbe et intraitable. On peut aussi se prosterner devant «Sweet Young Thing», le premier single des Chocolate. Quelle violence, Tang dang dong ! Take it easy man ! Qui dira la violence de l’attaque ? C’est dirty as fuck, voilà le rock qu’on adore, le gras du cracra, le percuté du son. Si on aime le gaga à gogo, c’est là que ça se passe, this is the real deal ! C’est encore plus claqué et crazy que les Pretties. Même la version de «Baby Blue» qui suit emporte la bouche, le chimmering des guitares bat tous les records de chimmering, et c’est chanté à l’extrême. Puis on les voit exploser «Blues Theme» en répète, ils attaquent au wild ride de wild gaga, voilà bien l’instro le plus dévastateur dont on puisse rêver. Encore un chef-d’œuvre avec «Don’t Need Your Lovin’», amené par une intro de basse et des maracas. Même jus que «Come See Me». Violent ! - Well I tryyyyyy - Gros calibre - I’m gonna try to tell/ Whaaat I’m gonna do - Voilà le punk de base, c’est screamé dans la meilleure tradition du génie gaga, personne ne peut surpasser les Chocolate en cet instant précis. C’est la raison pour laquelle Alec Palao et Ace rendent hommage à ce gang de Californiens. Ils tapent leur truc comme les Standells, avec du raw et du killer solo flash. Il ne veut plus d’elle, no no no ! Explosif ! Avec «Sitting Here Standing», ils font un énorme «Dust My Blues». On entend un solo fantastique dans «Are You Gonna Be There (At The Love In)» et Dave reprend enfin le micro pour chanter «In The Midnight Hour». Il y va de bon cœur. Ils se prennent pour les Stones dans «Come On», mais ils ne sont pas les Stones, est-il besoin de le rappeler ? Sacré coup de chapeau aux Kinks avec «I’m Not Like Everybody Else», c’est le wild side des Chocolate, même si l’original des Kinks reste inégalable. Dave crucifie pourtant sa version sur la porte de l’église et pulse ses coups de Kinks à coups de reins. Il reprend aussi ses droits dans «Medication», vieux classique de heavy psyché de Moby Grape. Ils font une fantastique cover de «Til The End Of The Day». Ils sont dessus et on applaudit des deux mains. Le disk 2 offre un panorama des trois albums et s’ouvre sur les versions de Don Bennett. Ce diable de Don chante bien, il faut le reconnaître. S’ensuivent les cuts des deux autres faux albums du Chocolate. On y retrouve les exploits de Jerry Miller dans «I Don’t Need No Doctor» et «Fireface». Ce disk 2 se termine avec les fameux cuts des Yo-Yoz et des Inmates, enfin crédités.

Au moins, avec Revolutions Reinvented, on a du vrai Chocolate. Ils sont quatre du groupe d’origine : Dave Aguilar, Bill Flores, Gary Andrijasevich et Tim Abott. Ils démarrent avec leur cieux coucou de Mathusalem, «Expo 2000». Pas mal, pour un groupe de revenants. Cette fois, on est sûr que Dave chante. En A, il tapent une belle psychedelia et font même du garage vintage de cinquante ans d’âge avec «Are You Gonna Be There». On dirait qu’ils recherchent une forme de sérénité. Ils nous flûtent une belle version de «It’s All Over Now Baby Blue». Le son est extrêmement travaillé au clairsemé de clairvoyance. Ils ne cherchent plus à passer en force, comme autrefois. On tombe en B sur l’inévitable «I Ain’t No Miracle Worker». On ne comprend toujours pas pourquoi ce cut si médiocre est devenu si culte. Il ne mérite que le rang de cut cucul. On se croit chez Blue Horizon avec «Sitting Here Standing» et ils reviennent à la raison avec «Sweet Young Thing», petit coup de gaga infecté, bien tartiné sous le boisseau et doté du plus élastique des sons de basse. Ils terminent en fanfare avec la triplette fatidique : «Don’t Need Your Loving», «I’m Not Like Everybody Else» et «Let’s Talk About Girls». C’est le grand retour des Chocolate, le gaga cro-magnon stompé dans l’œuf du serpent. Ah ils savent trousser une gueuse, ce diable de Dave s’en arrache même le gland de la glotte. La reprise des Kinks est bien foutue, assez lancinante. Ils remettent au goût du jour toutes leurs vieilles ficelles de caleçon. Et bien sûr, «Let’s Talk About Girls» sonne comme l’hymne des Chocolate. On le reconnaît aux premières lueurs, c’est imparable. On peut même parler de modèle impérissable de gaga sixties.

Paraît en 2019 le nouvel album des Chocolats, This Is My Voice. Autour de Dave Aguilar, Gary Andrijasevich et Tim Abott, on trouve Alec Palao (bass) et le guitariste Derek See. Les deux choses qu’on peut dire de ce groupe de survivors, c’est qu’ils ont un joli son et de la suite dans les idées. Ils démarrent avec «Secret Rendezvous» et optent aussitôt pour le statut gaga psyché. Dave pulse bien sa scansion de vétéran. Admirable car très dévastateur. Ils amènent le morceau titre comme un belle énormité, une décoction de cox rock dotée d’une magnifique ampleur de psyché psycho et montée sur un beat dévastateur. C’est d’autant plus convainquant qu’ils jouent ça en douceur et en profondeur. Ils rendent un bel hommage à Bo Diddley avec «Take A Ride». Vroarrrrrrrrrr de moto et Diddley beat vont bien ensemble. Il ne s’embête pas le Dave qui fait le nave, il tape dans les classiques, comme par exemple le «Talk Talk» de Sean Bonniwell - Get me a couple of pictures - Le gaga californien se gante de cuir noir. On entend même un solo de basse fuzz à la Entwistle. Ces mecs jouent la carte d’un vieux gaga de quartier qui refuse de mourir. Ils adorent les conneries orientalistes, comme le montrent «Judgment Day» et «Bombay Pipeline». Dave chante tout ce qu’il peut avant qu’il ne soit trop tard. Les intrusions de guitare restent superbes. Ces mecs sortent un son de rêve. Ils tapent aussi dans le célèbre «Trouble Everyday» de Zappa. Ça gratte à la cocotte, ils font leur Max la Menace. Alec Palao sort son meilleur bassmatic. Il semble que ces vieux renards jouent leur va-tout en permanence. Tout est beau sur cet album qui est visité par la grâce et la graisse. Les guitares fondent sur le Trouble comme des aigles. Quelle curée ! Ils tapent dans Bob Dylan («Desolation Row») et les Seeds («Can’t Stop To Make You Mine»), mais bon, on ne restera là.

Signé : Cazengler, chocolat fondu

Chocolate Watchband. No Way Out. Tower 1967

Chocolate Watchband. The Inner Mystique. Tower 1968

Chocolate Watchband. One Step Beyond. Tower 1969

Chocolate Watchband. Revolutions Reinvented. Twenty Stone Blatt Records 2012

Chocolate Watchband. This Is My Voice. Dirty Water Records 2019

Chocolate Watchband. Melts Your Brain Not Your Wrist. Big Beat Records 2005

Bill Kopp. Time for action. Record Collector #486 - December 2018

Richie Unterberger. Unknown Legends Of Rock’n’Roll. Miller Freeman Books 1998

 

Sculatti-là mon vieux, il est terrible

- Part Two

 

Quand un mec comme ce Sculatti-là fait des recommandations, il faut les prendre au pied de la lettre. Surtout s’il s’en va taper dans des trucs quasiment inconnus comme Tony Bruno ou Dick Campbell. Après coup, on se félicite d’avoir suivi ses conseils et si on se laissait aller, on irait même jusqu’à s’auto-serrer la main, comme le font ceux qui sont assez cons pour éprouver à leur propre égard une immense fierté.

Ce Sculatti-là nous sort Dick Campbell de l’ombilic des plombes. Le tour est vite fait : un seul album qui s’appelle Sings Where It’s At, paru sur Mercury en 1985. Pochette classique, avec un portrait du jeune Dick, un petit brun bien coiffé et d’allure introspective. Au dos, il commente ses cuts et dans les noms des musiciens qui l’accompagnent, on tombe sur ceux de Mike Bloomfield et de Paul Butterfield. Alors on n’est pas surpris d’entendre «The Blues Peddlers» sonner comme un hit dylanesque. Dick Campbell opte pour un son soft et fin, assez pur mais terriblement dylanesque. On a même les nappes d’orgue dans «You’ve Got To Be Kidding», pas celles d’Al Kooper mais celle de Mark Naftalin, ce qui revient au même. Les accents chantants et les envolées de refrains s’inspirent directement de «Like A Rolling Stone». Donc, on l’a compris, Dick Campbell est un fan de Dylan. Il attaque «The People Planners» comme s’il attaquait «Like A Rolling Stone», se livrant à un incroyable exercice de mimétisme concurrentiel. Dick Campbell met dans toutes ces chansons la force et l’insistance qui firent la grandeur de Bob Dylan. Avec «Approximately Four Mnutes Of Feeling Sorry For DC», il est encore plus dylanex que le roi. Pas seulement par le titre, mais aussi par la qualité du chant et du son. C’est une sorte de superbe prolongement du génie dylanesque. Il rentre une fois de plus dans la belle mouvance de «Like A Rolling Stone», avec du son all over the rainbow. C’est très puissant. Dans «Object Of Derision», on sent les gros guitar slingers derrière lui. Et Butter vient faire un carnage d’harp dans «Girls Named Misery». Cet album est une vraie merveille. Campbell boucle son bouclard avec «Don Juan Of The Western World», un sacré shoot de boogie dylanesque, c’mon Dick ! Bel animal, il swingue bien son boogie au nez pincé.

Tant qu’on y est, on peut en profiter pour écouter cette petite compile de Dick Campbell intitulée Blue Winds Only Know et parue sur Rev-Ola en 2003. Avec cette manie qu’il a de chanter à la glotte de perdition, cet Américain pourrait fort bien se réclamer du mouvement préraphaélite. Il est incroyablement pur, presque diaphane. «Share With Me» est un shoot de rêve. Il procède comme Brian Wilson, il plante sa graine dans ton cerveau et là t’es baisé. Il te sort de la beauté à l’état pur, une beauté qui comme chez Brian Wilson germe et se développe. Il fait du beau de non-retour, il monte au paramount, and you think you got to be ! Il devient une sorte de scenester légendaire. Il rivalise de finesse avec Curt Boettcher, il claque le même genre de miracle éblouissant. Il taille une nouvelle croupière à la pop avec «If I Don’t See You» et plus loin avec «Pretend It’s Me». Il continue de tailler sa route dans l’excellence avec «Sea Gull», God bless Dick, sa pop est belle et fabuleusement inspirée. Il y a un peu de Lennon en lui, comme le montre «Peace On Earth». On remerciera Joe Foster jusqu’à la fin des temps pour cette plongée en eau claire. Chez Rev-Ola, comme chez RPM, on déplie le booklet : d’un côté, Joe Foster rend hommage à Dick Campbell et de l’autre, Dick Campbell rend hommage à Gary Usher, son ami et mentor. On voit d’ailleurs une petite photo de ces deux génies du son que sont Dick Campbell & Gary Usher. Campbell dit avoir écrit une cinquantaine de chansons avec lui, mais peu ont vu le jour, la plus connue nous dit Dick était «Good Ole Rock & Roll Song» par les Cowsils. Il existe aussi un album de Gary Usher, Beyond A Shadow Of Doubt, mais nous dit Dick ce ne sont que les démos de l’album. Fin des années 70, ils se retirent tous les deux du music biz. Gary Usher ouvre un restau sur les San Juan Islands près de Seattle, mais il fait faillite. Dick Campbell se lance dans la production. En 1989, Gary Usher revient en Californie et annonce à Dick qu’il va crever. Cancer du poumon - We spent a lot of time together during his last year - Et il ajoute : «When he died in 1990 at age 51, I was inconsolable.»

Il a raison ce Sculatti-là d’insister sur Ron Nagle, car Bad Rice est un very big album même si on n’y trouve aucun hit. Il est important de noter que Jack Nitzsche le produit et que Mickey Waller bat le beurre. On note en outre la présence d’autres légendes à roulettes : Ry Cooder on guitar et Sal Valentino dans les backing vocals, donc n’en jetez plus, la cour est pleine. Du coup des cuts comme «Marijuana Hell» et «Frank’s Store» sont assez bien foutus. La qualité du son rafle réellement la mise. Dans ses commentaires au dos de la pochette, Ron indique que le cry cry cry de «Frank’s Store» est celui d’un retarted guy with an identity crisis. On sent aussi un grande aisance compositale dans «That’s What Friends Are For». On comprend parfaitement que ce Sculatti là se soit attaché à cette pop parfaite, written for Jack and I, two manic depressives, indique Ron, Jack étant bien sûr son poto Nitzsche. Toujours de l’aisance en B avec «Dolores». La prod de Jack ne pardonne pas - A young guy falls in love with his baby sitter and she likes it - Ron montre aussi qu’il sait gérer une petite pétaudière californienne, comme le montre «Capricorn Queen». Ah ce Mickey Waller, quel drummer ! Tout sur cet album se veut convaincu d’avance, même le country-rock de «Somethin’s Gotta Give Now». Ça reste léger et printanier, suprêmement bien produit. Il enchaîne avec la belle pop autobiographique de «Family Style», pas loin de ce que font les Beatles avec «Gideon’s Bible». C’est dire l’excellence du Ron dans l’eau.

Ce Sculatti-là a bien raison de saluer le Spring de Spring, car quel album ! Paru en 1972 et produit par Brian Wilson, il met en scène les deux sœurs Rovell, Diane et Marilyn, sachant que Marilyn est à l’époque la poule de Brian. Alors évidemment, on se doute bien que ça sonne très on the Beach et on compte effectivement pas moins de cinq titres qui pourraient figurer sur les meilleurs albums des Beach Boys, à commencer par «Thinkin’ Bout You Baby», fantastique shoot de bossa rumble. Bon, Marilyn est parfois un peu fausse sur ce coup-là, mais ça passe. Avec «Mama Said», elle va plus sur l’on the Beach, comme d’ailleurs avec «Sweet Mountain». On sent la patte productiviste du maître. C’est franchement digne de Smile. On entend même la voix de Carl Wilson à la fin. Et ça continue en B avec «Everybody», elles s’engagent dans un guêpier wilsonien et s’en sortent avec les honneurs. C’est excellent, très péri-urbain, avec la voix de Carl et des infra-basses. Elles épousent encore Brian de toutes leurs forces avec «The Whole World» et avec «Forever», l’album prend l’allure d’un album parfait. Cette pop sensible semble sortir tout droit de Surf’s Up, on a là une pop languide et inspirée par les trous de nez, visitée par les fantômes, dotée d’un cœur qui balance entre la dérive fatale et la déraison collatérale. Encore un fantastique éclat de pulsion Beachy avec «Good Time», épaulé par le puissant dee dee dee wha dee de «Dot It Again». D’autres cuts frappent l’imagination, même s’ils sont moins beachy, comme par exemple ce «Superstar» plus sombre. Marilyn y navigue à la lisière du juste et du faux, ce qui fait son charme, avec de petits accents de féminité éperdue dans le ruckus. Et «Now That Everything’s Been Said» nous fait dire que Spring est l’album rimbaldien par excellence, car il y siège un beau bouleversement de tous les sens.

Ah tiens, si ce Sculatti-là était dans les parages, on irait immédiatement lui claquer la bise pour le remercier. C’est grâce à lui qu’on découvre Tony Bruno, et croyez-le bien, c’est plus important que de découvrir l’Amérique. The Beauty Of Bruno, paru en 1967 sur Buddah, est un very big album, un de plus. Sur la pochette, Tony Bruno pose sous des chaussettes mises à sécher. Il porte de curieux tatouages sur les bras et physiquement il a des faux airs de Springsteen jeune. Mais la photo qui est au dos renvoie à un autre univers : on le voit fumer dans la pénombre et cette fois, il a un faux air de Ben Gazzara, ce qui est quand même beaucoup plus intéressant. Ce qui frappe quand on commence à écouter cet album tombé des nues, c’est la qualité de l’orchestration, puis la qualité de la voix. Ce mec peut aller chercher des accents à la Louis Armstrong, c’est dire s’il est balèze. Ce Sculatti-là a eu bien raison de flasher. Tony Bruno est un crooner extraordinaire et avec «Hard To Get A Thing Called Love», il monte le croon blanc à son sommet. Quelle présence ! Il frise le Scott Walker avec «The Grass Will Sing For You». La puissance de son croon est comme portée par le souffle orchestral, c’est très spectaculaire. Ce mec s’impose du fond de son incognito et convainc définitivement le con vaincu. «Helaina» enfonce encore le clou révélatoire. En B, il s’en va faire une reprise de «Yesterday». Irréprochable. Il s’impose par une sorte d’attaque fondamentale. Il se coule dans le mood de l’excellence. Dans «What’s Yesterday» il faut l’entendre swinguer «now the coffee is in the cup/ The toast is on the up». Puis dans «Slow Up», il demande à cette little girl de ne pas grandir top vite. Mais il le fait avec tellement de talent qu’il finirait bien par nous fendre le cœur. Ce mec sait monter là haut sur la montagne et chanter de toute son âme. Pour «Small Town Bring Me Down», il a presque des accents black dans la voix. C’est encore une fois ultra-orchestré, portée aux nues et ce chanteur homérique explose les limites du pur power purpurin.

Signé : Cazengler, sculotté

Dick Campbell. Sings Where It’s At. Mercury 1985

Dick Campbell. Blue Winds Only Know. Rev-Ola 2003

Ron Nagle. Bad Rice. Warner Bros. Records 1970

Spring. Spring. United Artists Records 1972

Tony Bruno. The Beauty Of Bruno. Buddah Records 1967

 

ERIC BURDON AND WAR

 

Eric Burdon va réaliser un de ses rêves, chanter, lui le petit blanc, dans un groupe de noirs ! C'est Jerry Goldstein manager d'Eric Burdon qui découvre ceux qui deviendront War en 1969, il emmène Eric Burdon en quête de musiciens pour remplacer les Animals assister à un de leur concert. Burdon les engage sur le champ. Ce ne sont pas des novices, le noyau s'est constitué en 1962, leur premier single, sous le nom de The Creators, intitulé Burn, burn, burn, s'avère très vite prémonitoire puisqu'il est enregistré en 1965 juste avant les émeutes de Watts, ils ont été rejoints par Papa Dee Allen qui travailla avec Dizzy Gillepsie, Burdon rajoutera un de ses amis Lee Oskar harmoniciste de son état et de nationalité danoise.

ERIC BURDON DECLARES WAR

( Avril 1970 )

Eric Burdon : lead vocal / Lee Oskar : harmonica, vocals / Charles Miller : saxophone, flûte / Howard Scott : guitar, vocal / Lonnie Jordan : organ, piano, vocal / B. B. Dickerson : bass, vocal / Harold Brown : drum / Papa Dee Allen : congas, percussion, vocal

N'ai jamais été emballé par la couve, j'avoue que je la trouve hideuse, je ne devrais pas le dire parce qu'elle procède d'une bonne intention, un bras blanc et un bras noir réunis mais dissociés de tout corps reposant sur une espèce de tabouret ( là je fais semblant de ne pas comprendre) une image tout ce qu'il y a de plus politiquement correct, anti-racisme, signe de la paix et tout le bataclan clinquant, perso cela m'évoque plutôt un fauteuil hype dérivé de l'esthétique Bauhaus conçu par un designer peu inspiré. Le concept aurait été proposé par Eric Burdon... Le dos de la pochette n'est pas non plus d'une beauté flamboyante, attardons-nous sur la déclaration de principe qu'elle est censée mettre en valeur : We the People, have declared War against the People, for the right to love each other étrange formule que ce Peuple qui déclare la guerre au Peuple pour le droit de s'aimer les uns et les autres. La guerre et l'amour ne font pas bon ménage, l'on sent le groupe sur le fil, s'appeler War, une idée de Goldstein, en pleine période des Black Panthers, risque de vous attirer des ennuis, la revendication de l'idéologie hippie de l'amour ( vieille lune christique ) vient contrebalancer cette déclaration de guerre que le FBI pourrait prendre au sérieux.

The vision of Rassan : Dedication / Roll on kirk: Rassan n'est pas un personnage mythologique, mais un musicien de jazz, l'introduction pianistique est d'ailleurs des plus jazzistiques la voix de Burdon s'empresse de se poser dessus telle une brise printanière qui s'enroule autour d'un buisson d'aubépine, des chœurs masculins ne tardent pas à souffler en sourdine dès que les lyrics font allusion à la traversée de l'Atlantique par les premiers esclaves noirs et peu à peu le jazz se transforme en rhythm 'n' blues, des perles de notes s'échappent du clavier telles des gouttes de sang d'une plaie que vient caresser une douce ouate consolatrice de cuivres tandis que Burdon bourdonne la grande geste libératoire des noirs, et le rythme s'accentue, est-on parti pour une virée funk de grand acabit, non fausse alerte, tout se calme, insensiblement la voix devient murmure et tout se tait. Kirk est un souffleur, un spagyriste du jazz, capable de jouer trois instruments à vent en même temps, il est l'héritier et le continuateur des noms prestigieux qui l'ont précédé de Jelly Roll Morton à John Coltrane, de cet effort, de cet essor, incessant d'un peuple à se s'extraire d'une catastrophe irrémédiable, sa technique du souffle continu qui lui permet de tenir la même note plus d'une heure est le symbole de cette lutte de libération infinie, hémiplégique il continuera à donner des concerts, sa musique n'hésitera pas à aborder le répertoire classique des blancs, avec Kirk le jazz devient sexe entreprenant, ce vibrant hommage de War à Kirk, est magnifique. Tobacco road : John D. Loudermilk a écrit des centaines de chansons, des paroles souvent insignifiantes ou attendues ( par exemple Sitti'n on the balcony reprise par Eddie Cochran, pas vraiment sa meilleure ) mais deux d'entre elles ont eu un destin exceptionnel Indian Reservation sera adoptée par les Indiens Cherokees en lutte pour leurs droits, quant à Tobacco road elle n'évoque en rien les misérables conditions des noirs, petit blanc Loudermilk y dramatise quelque peu son enfance dans un quartier pauvre de Durham, pour beaucoup elle se confond avec un blues traditionnel. Tobacco road : changement d'ambiance, Burdon se saisit des mots comme des épines de cactus qu'il arracherait de son épiderme, c'est la première fois que Burdon donne vraiment l'impression de ne pas être un blanc qu'il chante comme un noir, sa voix est naturellement noire, l'est porté par cette introduction géniale durant laquelle le saxophone de Charles Miller vous a de ces glissades qui touchent à l'illimité, et puis tout change, les congas de Papa Dee Allen font le ménage, les cuivres déroulent le tapis rouge de sang et Burdon improvise sur I have a dream la voix s'accélère, coups de hachoirs, crie ses rêves, demande de l'aide, peur et incompréhension, surmontées, n'est plus seul, tout un peuple le charge d'une terrible mission, celle de porter la révolte, de ne pas craindre les coups du sort, aller de l'avant jusqu'au sacrifice suprême, murmure de mort, Tobacco road : mais se réveiller de sa léthargie et reprendre la route, retour vers les siens, le changement est à portée de main, ah, ces cuivres par derrière, si doux mais si percutants – valent la section de Muscle Shoals Studio – Burdon susurre, le chant devient une incantation secrète vaudou, le sort est lancé, silence. ( fin face 1 ). Spill the wine : superbe morceau qui a un peu éclipsé les autres merveilles de l'opus. Rêverie burdonnienne et hymne païen dionysiaque, broderie rythmique, volètements d'oiseau de la flûte de Charles Miller, un peu parlé, un ton persifleur et auto-ironique, lointaine voix féminine, un refrain bien appuyé comme Burdon les affectionne depuis Sky Pilot, l'ensemble se précipite tout en respectant ce tempo moderato du meilleur effet et culmine en une libation à la vie, à la jouissance, à la joie, une espèce de jubilation gidienne à la puissance mille de nouvelles nourritures terrestres et mentales. Blues for Memphis Slim : le morceau est bâti autour de Mother Earth un des premiers titres écrits et enregistrés par Memphis Slim en 1951. Fatigué par le racisme ambiant de l'Amérique comme beaucoup de musiciens de blues et jazz et d'écrivains noirs Memphis Slim s'est installé en France, il est l'auteur de l'emblématique Every day I have the blues. Birth : un orgue de Lonnie Jordan qui n'est sans rappeler le son original des Animals, normal l'on rentre dans le blues, qui s'interrompt bientôt pour laisser parler Burdon, l'aurait pu prendre un ton moins dramatique car le texte regorge de vertu comique, la naissance par le petit trou de la femme par lequel on entrevoit le jour, trou de souris que plus tard l'homme ne cesse de rechercher pour y rentrer le petit bout de sa lorgnette... un peu graveleux réprimanderont les mouvements féministes actuels, mais l'on ne s'attarde guère Jordan fait sonner son clavier comme jamais les Doors n'ont réussi à le faire, soyons juste l'est aidé par un nappé de cuivres prodigieux comme vous n'en n'avez jamais entendu et l'on verse dans Mother Earth : une lenteur funèbre sur laquelle Burdon pose un vocal désespérément aussi profond que le trou dans lequel vous finirez par atterrir, pas d'inquiétude votre tour de trou viendra, le genre de pensée désagréable qui vous met mal à l'âme, le frisson de saxophone qui suit n'est pas là pour vous filer la pêche melba, c'est Mr Charlie Miller qui s'y colle, un instrumental qui vous file la sale impression que votre peau se desquame toute seule, un instrumental qui se révèle être une incitation à foutre à bas le moral de la race humaine entière, blancs, jaunes, rouges, noirs, depuis l'a dû être interdit par la Convention de Genève pour cruauté mentale, non vous n'êtes pas encore sorti du tunnel, un convoi mortuaire peut en cacher un autre, que serait le blues sans les gémissements d'un harmonica, une gâterie danoise empoisonnée une Danish Pastry qui renforce le malaise, sur la fin Oskar ( c'est Lee le coupable ) souffle si fort que vous voyez le moribond enterré un peu trop tôt qui bande toutes ses forces depuis l'intérieur de son cercueil pour arracher les clous du couvercle enchâssés dans le bois de sapin, je vous rassure il n'y arrive pas, du coup Burdon et les copains rajoutent une deuxième couche de Mother Earth pour vaincre toutes les résistances les paroles Memphis Slim ne vous laissent aucune échappatoire, riche ou pauvre, fille ou garçon, vous subirez le lot commun, Burdon vous pétrit la glaise maternelle autour du corps sans regret, de temps en temps les autres appuient de tous leurs poids pour que la poisse vous colle davantage à la peau. Brrr ! You 're no stranger : vous venez de perdre votre âme, ne vous reste plus qu'à vous raccrocher à votre petite amie, une entrée fracassante de gong qui gondole les oreilles et vent qui souffle, vous pensez être emporté dans une symphonie, tout faux, une très courte ballade, une espèce de soul aux yeux bleus délavés qui n'apportent aucune lumière, l'unique point faible du disque. Dommage car le reste est un bestissimo. Ce Burdon Declares War est la véritable suite que l'on attendait digne d' Every One of Us...

THE BLACK-MAN' S BURDON

ERIC BURDON AND WAR

( Décembre 1970 )

Eric Burdon : lead vocal / Lee Oskar : harmonica, vocals / Charles Miller : saxophone, flûte / Howard Scott : guitar, vocal / Lonnie Jordan : organ, piano, vocal / B. B. Dickerson : bass, vocal / Harold Brown : drum / Papa Dee Allen : congas, percussion, vocal.

Deuxième disque, un double. Bo Diddley vous a prévenu you can't judge a book   by the  cover, agissez de même avec la couve de cet album, aussi mauvaise que la précédente décrèterez vous en voyant ce corps d'homme torse nu saisi en contre-plongée avec le soleil dans le dos, si dans la nuit tous les chants sont gris, à contre-soleil cet individu est-il noir ou blanc ? Donc vous ne jugez pas un homme sur la couleur de sa peau. CQFD ! C'est quand vous retournez la pochette que Burdon ne met pas le doigt mais la tête juste à l'endroit qui fâche... entre les cuisses d'une femme noire, vous aimeriez être à sa place, vous êtes sur un sujet glissant. Mais le Burdon quand il a une idée derrière la tête il la tourne et la retourne de tous les côtés, le résultat conséquentiel de ses cogitations se trouve à l'intérieur, ouvrez le gatefold, deux jeunes femmes blondes et entièrement nues s'offrent avec plaisir aux regards d'un groupe de nègres, c'est le mot qu'emploient les suprématistes blancs, voici cinquante ans cette photo a dû faire jaser dans le Sud profond du pays, c'était il y a un demi-siècle, un véritable acte de courage à l'époque...

Le titre repose sur un jeu de mots, entre Burdon et Burden qui signifie fardeau. Le fardeau de l'homme noir est à l'origine le titre d'un livre d'Edmund Dene Morel publié en 1920 qui dénonce les effets du colonialisme en Afrique et notamment au Congo. Morel avait ainsi intitulé son livre afin de se démarquer de l'idéologie politique de The White Men's Burden poème de Rudyard Kipling. Chantre de l'impérialisme britannique Kipling y justifie la colonisation tout en entrevoyant les effets néfastes.

Paini it black : morceau de bravoure d'Eric Burdon qu'il reprendra quasi systématiquement tout le long de sa carrière tant sur disque qu'en public : Black on black in black : une belle intro musicale qui permet d'admirer la virtuosité de l'orchestre à enchâsser les séquences instrumentales les unes dans les autres et Paint it Black I : déboule dans une galopade de congas, c'est parti l'on n'est pas près d'arriver, pour le sitar c'est trop tard, l'on est plus près des Pipes of Pan at Joujouka de Brian Jones – ainsi on ne sort pas des Stones – pour le vocal Burdon avec sa grosse voix ne se détache pas trop de la leçon jaggerrienne du moins au début car ensuite il se permet des espèces de bégaiements ultra rapides et Charles Miller s'envole sur sa flûte, sans interruption l'on repart sur Laurel & Hardy : un duel de percussions, bien fait mais qui ne casse pas des briques, le maximum syndical attendu qui ne débouche pas sur une insurrection mais sur Pintelo negro II : reprise du Paint it Black l'oiseau doit être un rossignol anglais de toutes les couleurs qui nous donne une version caribéenne en espagnol, en palabra dicha, cette espagnolade à relents funky trop faibles est bien pesante et bien longue... P. C. 3 : sur la même rythmique Burdon raconte ses déboires avec la police et le Black bird passe inaperçu car l'on est déjà dans le dernier retour de Paint it black III et là franchement on s'ennuie, l'on baille, l'on se paye des cuivres pesants, Burdon sauve un peu le morceau sur la fin... l'ensemble est décevant, trop disparate, trop d'influences, s'il y a une breloque diamantée à sauver dans ce coffre à toc c'est la piste époustouflante de la flûte de Miller qui se révèle transcendante. Spirit : comme quoi la chair ne suffit pas, qu'elle soit noire ou blanche, s'il lui manque l'esprit, Burdon a dû s'en rendre compte car il décide de le faire souffler durant plus de huit minutes, part du plus bas, une corde de guitare et un simple phrasé blues destiné à s'alourdir de tonnes d'orge de l'orgue rehaussé de chœurs virils, il tient bon la syncope sur laquelle Oskar tire à balles réelles d' harmonica, l'esprit est là – entre nous soit dit ce n'est pas le Grand Manitou des Indiens des plaines – se repose un peu trop sur un mid-tempo arrosé d'une langue de saxophone juteuse, l'est évident que Miller il est difficile de l'arrêter et personne ne s'en plaint, s'élèvent des chœurs sacrés, n'exagérons rien, plutôt de sacrés chœurs, Burdon mène le bal, il a gardé le meilleur pour la fin, lui et l'orgue tout seul, un régal. ( fin face A ) Beautiful new born child : Jerry Goldstein a emmené son grain de sel ( parfumé au piment de Cayenne) pour les lyrics, le gars sait être méchant l'air de rien, l'a dû percuter des esprits conservateurs avec son ironie, méfiez-vous, ça commence tout doucement, une mauvaise troupe qui fait claquer exprès ses croquenots de canards bâtards sur le bitume, et le Burdon vous invective comme s'il avait envie de passer l'autre moitié de l'humanité à la broche, égosillement final général, z'ont dû s'amuser dans le studio, que voulez-vous c'est cela être funky, en résumé le divin enfant qui est né n'est pas très beau et vous pouvez l'adopter, puisqu'il vous ressemble. Nights in white satin : on se calme, nous on n'a rien fait fait, rien dit, juste en train de copuler dans des draps de satin blanc, ils le reprennent un peu à l'identique, on aurait imaginé que le Burdon il vous aurait entortillé les couvertures pour s'évader et mettre le feu aux quatre coins du monde, mais non sont sages comme des images, B. B. Dickerson vous berce de sa basse et Miller fait bien attention à ne réveiller personne avec son saxophone, puisqu'ils sont là tous les deux The bird and the squirrel : ils en profitent pour se livrer à un duo d'anthologie, lignes de basse bousculantes et trilles étrillées de flûte, l'oiseau et l'écureuil se poursuivent dans les branches et aucun des deux ne résiste à nous faire entendre son plus beau ramage, que ne ferait-on pas pour une noisette et un grain de folie, Nuts, seeds & life : agrémenté de percussions éclatantes, l'on se tait, on évite de faire du bruit pour ne pas les déranger. Out of nowwhere : c'était trop beau, c'était trop bon, Burdon surgit pour nous mettre la cervelle à l'envers, l'est comme fou, totalement allumé, il crie, il hurle, il accapare votre attention et il clame sa réclame comme un dément, quand il se calme l'est méchamment persifleur, existe un monde entre lui et vous, n'est pas un enfant triste et moche lui, l'habite ailleurs, vient d'ailleurs, ira ailleurs, c'est facile à trouver c'est là où vous n'êtes pas, faites attention, les choses vont changer, les autres se contentent d'assurer le background, ce à quoi s'appliquaient les Doors pour Jimbo, est-ce un hasard si ce morceau rappelle les Doors... Nights in white satin : parfois il vaut mieux s'endormir que s'affronter à la laideur du monde, mais le Burdon doit être un peu réveillé, n'arrive pas à dormir, on l'imagine un peu titillé à l'entrejambe si l'on en croit la vigueur avec laquelle il déclare son amour, et les autres l'encouragent de toutes leurs ardeurs avec leurs chœurs de satyres en manque, il se calme un peu, ronronne, miaulote, un dernier coup de rein vocal et c'est terminé. ( fin face B ) Sun / Moon : ni lune noire ni lune blanche, on y va tout doux, basse au boulot, strideries d'orgue, parfois il faut dépasser ses déchirements, panser les plaies, surmonter la problématique, un blues si lent que l'on a l'impression qu'il comporte trois mille mesures, un saxophone qui pleurniche dans un coin, Burdon baratine molto dolce à l'oreille d'une fille, joue le mec qui ne sait pas, qui ne sait plus, qui est perdu, qui commence à comprendre que toute clarté provient d'un soleil, qu'il n'y a pas à préférer, que la lumière éclaire toutes les pénombres surtout celles qui persistent dans votre tête, un beau slow pour se frotter l'un contre l'autre le samedi soir à la fête du village, musicalement pas très génial. Pretty Colors : la même marmelade en un peu plus rythmée sur une cadence semi-latino, beaux coups de poignets sur le piano, le gars a retrouvé le moral, un peu plus de tonus, moins de sentimentalité, se suffit à lui-même, toutes les couleurs sont dans sa tête, l'en est tout fier, l'ensemble jerke et balance, mais comme dans le titre précédent l'on n'est pas surpris, une fin festive certes, mais il serait peut-être temps de faire parler la poudre. Justement sur la piste suivante l'on sort le Gun : rythmique guillerette, pas besoin de fusils, War et Burdon sont des pacifiques, nous demandent de jeter nos carabines et tout le reste, tout ce qui nous sépare des autres, vous n'êtes pas obligé de suivre le conseil, par contre il est indéniable que c'est enfin le morceau réussi de cette face que l'on espérait sans trop y croire, une drôle de soupe, tout est mélangé et subtilement mis en place, jeux de voix, questions et réponses qui se marchent dessus, rythme lascif avec de temps en temps des renversements de temps qui ont un parfum de reggae, délicieux car pas systématique, la gousse de vanille qui apporte sa pointe inimitable, et Burdon se charge du vocal, une sérénité olympienne, l'on se dit, ça va s'arrêter mais non ils en rajoutent et ils klaxonnent vraiment fort mais l'on est passé en fondu enchaîné sur Jimbo : finesse d'harmonica, dérive lente, until the end, la flamme perd de son intensité, quand la musique s'achève, she 's gone dit Burdon and she 's over disait Jimbo... ( fin face C ). Bare back ride : chevauchée peau-rouge dans la grande prairie, ne comptez pas sur Eric pour rallumer les guerres indiennes, l'a des ambitions plus modestes, l'emmènerait bien une jeune cavalière dans son teepee, la tribu des musiciens est d'accord lui fournit tout ce dont il a besoin pour son affaire, même Oscar nous sort son harmonica de cowboy pour la couleur locale, avec les cuivres qui poussent à mort vous traversez les collines sacrées sans problème, beau western dans lequel l'on tire son coup et l'on chevauche sa monture durant la nuit. Home cookin' : une chanson d'immigrant, le gamin qui s'engage et fait le tour du monde mais qui aimerait bien rentrer chez lui, avec des filles dans les chœurs féminins pour lui rappeler qu'elles étaient jolies les filles de son pays, Burdon vous raconte cela la rage au ventre, mais le morceau bien enlevé n'arrive pas à l'intensité émotionnelle que l'on trouve sur Every one of us. They can't take away our music : générique de fin, la chanson destinée à réchauffer l'âme, le shall overcome des nègres, se voudrait un hymne de victoire mais est surtout un chant de survie à résonance et chœurs gospel.

L'on en ressort l'esprit mitigé. Rien de franchement mauvais, rien qui ne vous procure l'orgasme auditif non plus. Un seul disque aurait suffi. Un peu la même mésaventure que Love is... des Animals après Every one of us.

*

Le groupe ne tardera pas à se séparer. Burdon + War c'est un peu une forme de néo-colonialisme, Burdon est un merveilleux chanteur, les musicos ont du talent mais la tête d'affiche reste Burdon... encore une fois les noirs servent le blanc... La cassure se concrétisera lors de la tournée européenne du groupe, Burdon qui reçoit un accueil plus généreux que son groupe vu son ancienne célébrité animalière supporte mal les récriminations de ses collègues de travail, sa dépendance à l'alcool n'arrange pas les choses, la mort de Jimmy qui la veille de son trépas est venu jammer avec le groupe sur scène précipitera le clash, il abandonnera War en pleine représentation. War assurera la fin de la tournée.

Ce n'est pas tout à fait la fin. On se fâche mais on se quitte plus ou moins bons amis. Entre juillet et septembre 1971 Burdon enregistre un nouveau disque qui sortira en décembre. Des musiciens de War sont présents sur certaines pistes ce qui explique pourquoi nous le chroniquons.

GUILTY

ERIC BURDON / JIMMY WITHERSPOON

From WAR : Papa Dee Allen : congas / Lee Oskar : harmonica / Lonnie Jordan : piano, orgue / Jerry Miller : saxophone.

From TOVARICH : George Suranovitch : drums / John Sterling : guitar / Kim Kesterson : bass / Terry Ryan : keyboards. ( avec eux Burdon donnera un concert à Los Angeles en octobre 1971 au Whisky A Gogo. Nous les retrouverons bientôt. )

Harold Brown : drums / Howard Scott : guitar / Bob Mercereau : guitar /

Les dimensions de la pochette sur le blogue la rendent énigmatique, disons qu'elle représente la bonne conscience ( triomphante et cravatée ) de la grande Amérique qui cache l'envers de la médaille, les dizaines de milliers d'incarcérés pour avoir fumé un joint, pour quelques grammes au fond d'une poche et tous les révoltés du système, parmi ces trois catégories l'on trouve, par le plus grand des hasards, de nombreux noirs...

L'aventure War se terminant plus abruptement que prévu Burdon prend quelques semaines de repos, que faire ? Quand on s'appelle Burdon la réponse coule de source : retour au blues. Jimmy Witherspoon est né en 1920, trop tard pour être en 1970 auréolé de l'appellation phaaronique de vieux bluesman. Quoique répertorié comme blues shouter il ne s'est jamais cantonné à un seul style, sans cesse oscillant entre jazz an blues. En 1970 il gagne sa vie en tant que disc-jockey à Los Angeles. C'est-là où il rencontre Burdon. L'enregistrement de Guilty lui procure une heureuse diversion et permet aujourd'hui à son souvenir de survivre dans le public rock. Les jazz fans se remémoreront ses disques avec Ben Webster. Il meurt en 1997, atteint d'un cancer à la gorge depuis le début des eighties, il n'en continuera pas moins de donner des concerts, til the end, beautiful friend...

I 've been drifting / Once upon a time : parfois l'on croit écouter le silence mais c'est un piano qui joue, le blues est-là, on ne sait par quel miracle, une seule chose est sûre, Burdon a trouvé son maître, le Jimmy n'a qu'à ouvrir la bouche pour imposer le timbre de sa voix sur le monde entier, du coup Burdon ne rivalise pas, prend un ton au-dessous, essaie de vous raconter la triste histoire à sa manière, mais c'est du pareil au même, sont dans le classique, la solitude du gars qui a perdu sa gerce, mais l'on est au-delà de ces communes misères, les musiciens se font discrets, ce qui importe c'est cette impuissance de vivre qui vous tombe dessus... Steam roller : l'on goûtera l'ironie pertinente de la reprise de ce titre de James Taylor sorti en 1970 pour se moquer des blancs qui chantent le blues avec la subtilité d'un rouleau compresseur... Jimmy n'y va pas avec le dos de la cuillère, vous assène le premier couplet comme s'il tuait un taureau d'un seul coup de poing sur la tête, piano et harmonica sont à la fête, rejoints par la guitare qui moane par dessous, chacun donne le meilleur, se charge aussi du deuxième couplet, cette fois-ci il vous jette les mots comme de grosses pelletées de charbons dans le foyer ardent d'une locomotive, ça roule tout seul, le Burdon se fait tout petit dans son coin, parfois dans la vie l'on sent que l'on n'a pas besoin de vous... The laws must change : à l'origine sur le live The Turning point de John Mayal, paru en 1969, le kr'tntreader aura fait de lui-même la relation avec le titre et la pochette de l'album, s'y mettent à deux pour allumer la mèche, z'ensuite Jimmy se charge d'enfoncer les points sur les I, et Burdon de laisser éclater sa colère d'une voix altérée par la rage, alors que Jimmy vous énonce les choses clairement le Burdon s'en étrangle de fureur. Les musicos ont haussé le diapason, l'on sent que nos screamers ne s'inquiètent pas pour eux, ne sont pas des bleus du blues, savent ce qu'il faut faire et les rafales de notes giclent de partout comme les balles aux grands jours de la prohibition. Have mercy judge : nos lascars ont de la suite dans les idées, après la loi, les juges, de Chuck Berry, une des idoles de Burdon, le morceau est sur Back Home sorti en 1970, Burdon suit l'actualité de près... là où Chuck y va subtil, glissant de corde en mot et de mot en corde, Jimmy et Eric vous rentrent dans le morceau comme des soudards assoiffés de la guerre de cent ans dans une taverne, vous vocifèrent dans les oreilles à vous les arracher, heureusement que les musicos veillent au grain, la guitare met la pédale douce et le piano espace le silence, oh, les gars on est dans du Chuck, prenez les patins, ne ramenez pas vos fraises à l'écarlate, mettent le bémol, mais l'on sent que ça les démange, si ça ne tenait qu'à eux il y aurait longtemps que le juge serait déjà dans l'autre monde, alors le guitariste flamboie ( son nom je vous le livre : Sterling ) pour qu'on n'entende pas trop nos deux galapiats, au milieu du morceau si l'on se coule du béton dans les esgourdes ce sera bon, mais sur la fin, ne s'adressent plus au juge mais à Dieu, et là ils sont obligés de hurler. Going down slow : vous savez où le juge finira par vous envoyer, en prison. Justement nous y sommes, et pas dans n'importe laquelle à San Quentin, Johnny Cash y a chanté en 1969, nos deux mauvais sujets y passent en mai 71, ils sont accompagnés par Ike White et le San Quentin Prison Band, le morceau est de Jimmy Oden né en 1905 qui l'enregistra en 1948, elle raconte la vie d'un flambeur qui au moment de mourir ne regrette rien de ses excès patachoniques. Applaudissements, notes grêles du blues, la prise de son n'est pas parfaite, l'on sent que dans l'assistance ça remue, une ambiance à la Regal, dommage qu'elle n'ait pas bénéficié d'un enregistrement digne de ce nom, Jimmy shoute et Burdon crie – entendez la différence – Ike au premier plan, sur la fin Jimmy et Eric tirent la bourre du blues ensemble, crazy brothers. Soledad : il est bon de s rappeler l'affaire des Soledad Brothers, ( en relation avec la prison de San Quentin ) qui défraya la chronique et qui se solda en août 1970 par la mort d'un juge pris en otage par des prisonniers noirs, FBI, Angela Davis, Black Panther Party, pour ceux qui veulent se documenter... Burdon déclara qu'il n'était pas au courant de cette affaire, il devait être le seul dans ce cas dans tous les USA... un blues tout ce qu'il y a de plus classique mais précipité à l'extrême, l'émotion étreint nos deux flibustiers, Burdon raconte que roulant – bien perché – devant la prison, la révélation lui tombe dessus que derrière les murs certains crèvent de désespoir pour pas grand chose, Jimmy et Eric dégueulent de la même colère à la pensée de la vie inhumaine que leurs frères réduits à la condition d'animaux en cage mènent... un blues direct, brutal, le vocal expédié sous forme d'une pluie d'uppercuts de révolte et de haine contre le système, contre la société américaine, sans concession. Home dream : piano maigre mais profond, ricochets de notes squelettiques qui n'en finissent pas de courir sur la lourdeur du blues, Burdon et Jimmy à pleine voix dans l'élément primal, ce rêve ressemble un peu à un mauvais trip, à une descente d'escalier sur le cul des mauvais jours, un sax qui vous vrille la tête à la manière des réveille-matins qui vous envoient au turbin, un rythme de congas vous concasse les synapses, la mouche à merde verte d'un saxophone tourne dans votre tête, Burdon reprend le contrôle, à pleins poumons, décharge sa gourme de cauchemar pour se délester de son malaise. Retour à la maison souhaitable. Wicked, wicked man : ( ne se trouve pas sur les rééditions suivantes ) dommage le plus beau morceau du disque avec un orgue prodigieux et une guitare incendiaire, Burdon au meilleur de sa forme, on l'écoute cinquante fois de suite et l'on est surpris à chaque nouvelle fournée. Heading for home : harmonica qui miaule, musique musclé, presque rock, Burdon hurle son mal-être, sa solitude, le titre vous résume cela à la perfection, Jimmy rajoute une couche, d'humour noir, n'est pas si malheureux que cela dans ce monde hypocrite d'argent et de sexe, même que les flics te sourient si tu leur files la billet assure Burdon, tombent tous deux d'accord pour quitter cet endroit de faux-semblant et de faux-sentiments, l'on sent l'énergie qu'ils déploient pour foutre les voiles de cet enfer souriant. The time has come : le temps est venu, certes mais le temps de quoi se demande-t-on, ne voudrions pas jouer à l'incroyant notoire, mais l'on ne s'est pas aperçu du changement, après les fureurs du blues, retour à la tranquillité du début, mais ce n'est pas tout à fait le déblues, douceur d'harmonium, odeur d'hymne gospel et chœurs féminins Du Reverend James Cleveland qui ondulent comme champs de blé au soleil, parfois partir en ballade ça me soul. Cette inscription christique nous déçoit quelque peu...

L'album ressortira en 1976 sous le titre Black & White Blues et une pochette beaucoup plus politiquement correcte.

*

De retour aux States, War collectionnera les hits, plusieurs de ses disques atteindront le million d'exemplaires... Durant toutes les années soixante-dix le succès restera au rendez-vous, en 1976 paraît un album de vieilles bandes enregistrées avec Eric Burdon. Ce n'est pas un best of, tous les morceaux sont inédits sauf un, soit enregistrés en studio ou en public.

LOVE IS ALL AROUND

WAR FEATURING ERIC BURDON

( 1976 )

Love is all around : passons sur les vocaux à l'eau de rose, concentrons-nous sur cette clochette de vache gentillette qui broute l'herbe grasse de la basse parmi les alpages de l'orgue, et puis cette voix du berger Burdon inimitable qui mène le troupeau sans désemparer, n'arrête pas une seconde, quand ça stoppe sans préavis vous meuglez de désespoir, jamais vous n'avez enfourné dans votre panse de foin si odorant. Tobacco road : alternate take, plus courte et mieux équilibrée, débute par l'harmonica de Lee ( qui mérite au moins un Oskar ) qui s'insinue en vous comme l'anguille sous la roche, la machine se met en marche et funkise sans trop exagérer, le Burdon en profite pour aligner les lyrics comme l'on frappait les aureus d'or dans l'empire romain, et les backing vocals derrière vous abattent sans rémissions les maillets sur le métal brûlant, cette version plus brute est préférable à celle de The black-man's burdon qui se perd en bavardages. Home dream : morceau repris de Guilty ! Magic mountain : l'on a été au plus bas, l'on remonte, pied après pied, cadence lente, tout le groupe escalade la montagne magique et chante on chœur pour soutenir son effort, Burdon donne le la (-haut ), y a même un moment où il presse le pas et se met à courir, mais non reprend le rythme initial, c'est la batterie qui scande  en pachyderme loud and slowly. Pour l'ivresse du sommet atteint nous n'y aurons pas droit. ( Fin de la face A ) A day in a life : une version que je trouve supérieure à celle des Beatles ( peuple, haïssez-moi ! ) et qui étrangement sonne dans son déploiement harmonique plus scarabée que les Fab Four, et quand après l'intro sous forme d'oratorio Burdon se met à chanter il n'y a pas photo avec la voix sans timbre de Lennon, pour le pont n'y vont pas masqués, sans se presser chacun à son tour vient faire son petit tour sur le champ d'orgue tranquillou, ne se prennent pas la tête à inverser les bandes, et Burdon vous talonne le vocal au trot, sur quoi ils déploient les chœurs comme les tentures cramoisies au Camp du Drap d'or, alors Burdon part en ballade, sans se presser, pour le final ils poussent la charrette tous ensemble, un bel effort, et le tombereau descend la pente selon la loi de la gravité. Paint it black : qui dit Beatles dit Rolling Stones, le pot de miel contre le pot de fer, une version live enregistrée le 8 septembre 1969, avec les applaudissements, congas pour agacer les oreilles et la cavalerie s'ébranle, trot rapide et après une mise en bouche question-réponse Burdon lance les hostilités, l'accompagnement derrière n'est pas à la hauteur, se contente de tenir le rythme et tout repose sur les épaules del cantaor qui s'efface pour permettre l'exhibition solistique des percus et de la batterie, ensuite l'on donne la primeur à tous les rayons de l'épicerie instrumentale, un peu facile, mais beaucoup remplissage, du genre regardez comme on est beau et comme on joue bien, c'est sûr qu'il fallait être dans l'ambiance, quand on écoute cela vous a un petit côté document d'époque, consolons-nous Burdon reprend le refrain et nous emmène au bout du monde, même si à la fin il se permet des facilités... Au total un album pas essentiel mais pas superfétatoire non plus.

Damie Chad.

 

XXVIII

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

113

Nous n'étions pas au bout de nos surprises, dès que nous eûmes dépassé le cadavre de la mère d'Eddie Crescendo – Molossa et Molossito s'épargnèrent la visite du reste de la maison trop occupés à lécher consciencieusement la large flaque de sang dans lequel la vieille dame baignait – nous nous arrêtâmes devant le spectacle qui s'offrit à nos yeux, le sol de toutes les pièces était recouvert d'une épaisseur de quatre à cinq centimètres de neige. Non ce n'était pas un de ces effets dévastateurs du dérèglement climatique dont nous abreuvent les écologistes, simplement des milliers de morceaux de sucre ! La collection de la vieille dame avait été soigneusement fouillée, dans la salle-à-manger étaient entassés des monticules de boîtes à sucre en fer-blanc, c'est dans la cuisine que les paquets de sucre avaient été dépouillés de leurs empaquetage de carton, ils avaient été soigneusement empilés sur les meubles, l'on retrouva quatre seaux en plastique servant à faire le ménage débordant de sucres, sans doute avaient-ils servi à une mission d'épandage méthodique sur l'ensemble du plancher de la maison. Le Chef alluma un Coronado et médita quelques secondes :

    • Nous sommes arrivés trop tard, une seule consolation ils n'ont pas trouvé ce qu'ils cherchaient, il ne reste pas une seule boîte non-ouverte, nous ne ferons pas mieux qu'eux, repartons !

114

Nous dûmes arracher les chiens à leur festin, nous n'avions pas atteint la grille du jardin, qu'un faisceau lumineux balaya la rue. Une voiture à cette heure ! Non, une estafette de gendarmerie s'arrêtait devant la maison ! Les portières claquèrent, et aussitôt nous fûmes pris dans la lumière d'une lampe torche :

    • Ah ! Ah ! On vous y prend, ces messieurs demoiselles s'apprêtaient à une virée au bord de la mer, au lieu de respecter le couvre-feu, et sans masque par-dessus le marché !

    • Et par-dessus la foire aux bestiaux, Brigadier, il y en a un qui fume un Coronado, ce fameux cigare qui a été soupçonné de propager le virus, il y a deux jours on aurait pu le mettre en prison !

    • Non pas le, les, tous au bloc en bloc, mais le Président ne le veut plus !

    • Il serait peut-être temps que ces messieurs dames nous présentent leurs papiers !

Sur cette affaire-là, j'avoue que je sus improviser avec un certain talent, avec un certain génie ajouterais-je même si je n'étais pas si modeste !

    • Brigadier, nous avons même plus intéressant à vous montrer que nos papiers, la preuve de notre innocence, non nous ne projetions pas un bain de minuit sur la Promenade des Anglais, nous sortions simplement les chiens dans le jardin pour leur promenade hygiénique !

    • Ouah ! Ouah ! Affirma Molossito !

    • Grr ! Grr ! Grrrogna Molossa !

    • Affirmatif Brigadier, je vois deux chiens, l'un plus petit que l'autre, tous deux d'une étrange couleur rouge d'ailleurs !

    • Pas du tout rouge Brigadier, repris-je, c'est du sang, et plus exactement si vous aviez la bonté de nous suivre, c'est celui de la voisine, encore quelques pas et voici son cadavre !

    • Brigadier, elle est bien morte, au premier coup d'œil, sept ou huit coups de hache, ah les vaches !

    • Exactement Brigadier, nous avons été, hélas, obligés de l'achever...

    • Attention jeune homme, vous portez à votre encontre des accusations très graves, tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous !

    • Je vous explique Brigadier, ce ne sera pas long, nous dormions paisiblement lorsque cette vieille folle est venue nous réveiller, elle ne voulait pas dormir, elle voulait pour chasser ses insomnies que nous entamions une partie de tarot !

    • Une branlante chabraque , s'exclama le Brigadier, et bien sûr le coronado-virus l'a épargné alors que ma pauvre mère y est passé !

    • Je suis désolé Brigadier, veuillez recevoir nos condoléances les plus sincères, mais vous ne savez pas le plus horrible, cette partie de tarot nous l'aurions faite avec plaisir, ce sont nos aînés qui ont construit la France, et leur procurer un plaisir si minime soit-il est un devoir sacré, mais...

    • Attention Brigadier il cherche à nous entortiller !

    • Mais – j'ignorai cette grossière interruption - nous sommes six, vous pouvez vous en rendre compte,

    • Affirmatif Brigadier, ils sont six je les ai comptés !

    • Avec elle cela faisait sept, dois-je vous rappeler Brigadier la loi, au-dessus de sept toute espèce de réunion est proscrite et interdite ! Elle n'a rien voulu entendre, elle s'est énervée, bref je vous passe les détails pénibles, pour ne pas enfreindre la règle instituée par notre président, nous avons dû la supprimer !

    • Vous avez eu raison, la nation se doit d'être sans pitié avec les contrevenants, cette vioque n'était vraisemblablement qu'une graine de terroriste, nous allons alerter la voirie pour qu'elle vienne vous en débarrasser, portez-là sur le trottoir, nous avons notre tournée d'inspection à continuer. Au revoir, salut.

En moins d'une minute le Brigadier et ses deux pandores s'éloignaient dans leur estafette.

115

Je n'étais pas peu fier lorsque nous eûmes rejoint l'appartement de Vince qui téléphona à son traiteur pour un petit déjeuner roboratif , mais le Chef n'était pas de mon avis :

    • Inutile de vous rengorger, Agent Chad, ces messieurs étaient en mission commandée, prêts à tout gober pour que nous mettions les voiles au plus vite, pourquoi d'après vous nous ont-ils demandé de transporter le cadavre de la croulante définitivement écroulée sur le trottoir, pour le récupérer au plus vite dès que nous aurions mis les voiles, ils n'avaient pas prévu que nous serions-là...

L'on sonna, '' ici Brioche Dorée '' grésilla l'interphone, Vince ouvrit la porte :

    • Ah, c'est toi ! Entre !

    • Excuse-moi Vince, j'ai du retard, je file, je vous recommande ma super chocolatine au miel, ma dernière spécialité, à la prochaine collègue.

Et le gars tourna les talons à toute vitesse !

    • D'habitude l'est moins pressé !

Vince paraissait vexé, mais subitement il vida à toute vitesse le panier d'osier pour en extraire un plateau de carton sur lequel reposait une énorme chocolatine d'un bon demi-mètre de long ( et autant de large ), puis se saisissant d'un couteau il se mit à la découper en tranches à toute vitesse. La lame ne tarda pas à rencontrer un obstacle, c'était un tube d'aspirine en matière plastique que Molossa et Molossito eurent tôt fait de débarrasser de sa gangue de miel, d'ailleurs s'apercevant de notre peu d'intérêt pour le reste de la friandise, ils s'adjugèrent le droit de l'engloutir au plus vite. Vince fit sauter le bouchon d'un coup de pouce et en sortit une feuille de papier pliée en quatre qu'il entreprit de nous lire au plus vite :

'' Vince, mon ami

( A suivre... )

 

31/03/2021

KR'TNT ! 504: FRANCOISE CACTUS / BOB DYLAN / CHESTERFIELD KINGS / ROCKABILLY GENERATION NEWS 17 / ERIC BURDON AND THE ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXVI

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 504

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

01 / 04 / 2021

 

FRANCOISE CACTUS + STEREO TOTAL

BOB DYLAN / CHESTERFIELD KINGS

ROCKABILLY GENERATION NEWS 17

ERIC BURDON AND THE ANIMALS

ROCKAMBOLESQUES 26

TEXTE + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

À crédit et en Stereo Total - Part Two

 

En découvrant d’un œil oblique le piano mécanique, la batterie rachitique et la guitare parallélépipédique posée au sol, on redoutait le pire. Puis rappliqua un grand échalas squelettique qui s’appliquait à imiter la saucisse de Strasbourg apoplectique, suivi à deux pas d’une silhouette féminine énigmatique au visage orné de lunettes académiques. Ils allaient ensemble orchestrer la musique automatique. Elle allait fredonner des couplets drolatiques pendant que lui allait produire le trash épileptique en plaquant sur sa guitare géométrique des accords d’une puissance biblique. Selon un principe purement mécanique, Françoise Cactus et Brezel Göring interprétèrent d’une manière pragmatique le plus bel échantillon d’electro-trash dadaïstique qui se pût imaginer ici bas, foi d’amateur boulimique. Passèrent à la moulinette christopho-avertyque une «Nationale 7» et un «Comme d’Habitude» vitriolés à grands jets spasmodiques de distorsion météorique et pulsés sur un tempo frénétique jamais démenti. Lors de cette soirée de mars mythique (2002), la Mutualité cajola son public avec cette bonté de paume pharaonique qui rend les souvenirs tellement poétiques.

Comme Françoise Cactus vient de casser sa pipe en céramique, nous ressortons de Pictures Of Lili, petit book symbolique tiré en 2002 à deux exemplaires, ce court texte symptomatique pour lui rendre un ultime hommage emblématique.

Signé : Cazengler, Zéro Total

Françoise Cactus. Disparue le 17 février 2021

 

Dylan en dit long - Part Three

 

Avec seulement une poignée d’albums, Bob Dylan fit en six ans autant de dégâts en Occident qu’en fit la révolution d’Octobre quarante ans auparavant. Il est encore difficile de mesurer la portée réelle de la révolution dylanesque. Avec du recul, les historiens sauront le faire. La principale caractéristique de cette révolution est qu’elle fut pacifique. Ni Armée Rouge ni armée blanche, seulement une acou et un harmo. Mais ça n’est pas tout. Dylan fut l’un des premiers à amener du contenu dans un univers considéré à juste titre comme superficiel. Alors que le rock américain divertissait, Dylan dénonçait. Il aurait pu se contenter de dénoncer comme le faisait déjà Woody Guthrie, mais il comprit que pour atteindre un public plus large, il devait aussi poétiser et créer de la magie. Nous fumes des millions à tomber sous son charme. Les sept albums qu’il enregistra entre 1965 et 1970 sont les grands albums magiques américains, au même titre que les sept albums de Jim Morrison.

Il faut le voir, le jeune Bob, sur la pochette de Highway 61 Revisited, premier album de la trilogie qui va asseoir son aura dans l’inconscient collectif : il semble déjà rockstarisé sans l’être, il dégage un truc, mais il ne s’agit là que de grâce naturelle. Comme chez Elvis et Jimbo, sa grâce est ailleurs, dans l’expression de son art qui tout au long de l’album n’en finit plus de jouer avec le feu du génie, et ce dès l’overwhelming «Like A Rolling Stone», un cut qu’on adorait jadis à la folie. Diable comme ces paroles ont pu nous hanter, au moins autant que le suicide de Jacques Rigaut, like a complete unknown, ça marque à vie, un truc pareil, you say you’ll never compromise/ With the mystery trend et c’est exactement ce qu’on a fait, we’ve never compromised. En 1966, chaque matin au réveil on chantait «Tombstone Blues» - Mom is the the factory/ She ain’t no shoes/ Dad is in the alley/ he’s looking for food/ I’m in the kitchen with the Tombstone blues awite - Bob est un punk et il a fait de nous des punks avant l’heure. En même temps, il invente le dandysme de l’Americana, Dylan c’est Rimbaud avec une guitare électrique. «It Takes A Lot To Laugh It Takes A Train To Cry» donne une vision du heavy blues dylanesque. Il tire sur ses syllabes à outrance. Là on comprend qu’on est baisé, qu’on ne pourra plus jamais se détacher de lui. Dylan folk ? Tu rigoles ? Il est le plus magnifique rocker d’Amérique. Cinglant sans être cinglé. Pour les ceusses qui ne l’auraient pas compris, l’élégance est la principale vertu de ce vice qu’on appelle le rock. «From A Buick Six» sonne comme un violent shoot de toxic brass. Dylan le respire dans ses rimes, il taille sa dentelle de Calais - She don’t/ Talk too much - Il casse son rock pour le plaisir et gueule comme s’il vendait des harengs. Et il finit ce bal d’A historique avec la fameuse chanson offerte à Sloan, «Ballad Of A Thin Man», encore une fois fabuleusement contrebalancée - Something’s happening here/ But you don’t know what it is/ Do you/ Mr Jones ? - On voudrait que ces chansons ne s’arrêtent jamais. Avec Jimbo, Dylan est le seul artiste auquel on accorde un pouvoir divin. Tout ici est fabuleusement prophétique. Bien sûr, les thèmes politiques dont il traite en 1965 ne sont plus d’actualité, mais la beauté des chansons le reste. «Queen Jane Approximately» est un classic Dylan swagger nappé d’orgue - Won’t you come see me Queen Jane - et dans le morceau titre, Bloomy est en plein bloom, jouant ventre à terre. Back to the big heavy blues avec «Just Like Tom Thumb’s Blues», Dylan s’y montre fascinant d’aisance et de too soooon et cet album mirifique s’achève avec Cinderella sleeping on/ Desolation row. Ce chef-d’œuvre crépusculaire décrit bien la chute de la maison Usher, and the good Samaritan/ he’s getting dressed, car il s’en va ce soir sur Desolation Row. C’est un conte moral sur-dimentionné, un poème fleuve du même calibre qu’«Il n’Y A Plus Rien», Dylan et Léo même combat - And nobody has to think much about Desolation Row - Dylan stigmatise l’indifférence qui tue plus sûrement que le serpent mamba de Tarentino.

Sur la pochette de Bringing It All Back Home, Dylan tient un chat gris dans ses bras. Il porte un costard sombre et une chemise blanche rayée de bleu avec de gros boutons de manchettes. L’image déclencha en son temps pas mal de vocations de dandys. Paru dans la foulée de Highway, Bringing grouille de coups de génie, notamment l’enchaînement de trois cuts, «Outlaw Blues», «On The Road Again» et «Bob Dylan’s 115th Dream». Le premier est monté sur une structure de boogie blues râpée à vif dans le son - She’s a brown skin woman/ But I just love her the same - Et les deux autres demandent beaucoup plus d’attention car Dylan évoque des tas de personnages. Dans les 11 couplets du 115th Dream, il croise le capitaine Achab. Pur genius. Mais si on ne chope pas l’anglais, on est baisé. Bringing rocke moins qu’Highway, mais un cut comme «Subterranean Homesick Blues» casse bien la baraque car quel fantastique talking blues ! Dylan y va à coups d’harmo et d’énergie. Tout Antoine vient de là. Il est aussi capable comme on l’a dit de coups de magie et «She Belongs To Me» va rester pour beaucoup l’une des chansons parfaites des Silver Sixties. «Maggie’s Farm» ne prend pas une ride, I ain’t gonna work on Maggie’s farm no more, nous non plus, c’est du punk rural, Dylan claque sa revoyure de la gadouille. Puis il nous chope avec l’infinie mélancolie de «Love Minus Zero/No Limit» - My love she’s like some raven/ At my window with a broken wing - Il termine cet album si dense avec «It’s All Over Now Baby Blue» qu’il s’en va chanter au sommet de son art - The carpet too/ Is moving under you/ And it’s all over now/ Baby blue.

Pour beaucoup de fans, Blonde On Blonde illustre le sommet le l’âge d’or dylanesque. C’est un double album qu’on réécoutait à longueur de journée, souvent pour continuer de déchiffrer les passages qu’on ne comprenait pas. Cet album démarrait avec l’hymne préféré des druggies, «Rainy Day Woman». Chaque fois que l’oppression/répression se manifestait, on chantait «Everyboy must get stoned !». L’un des grands heartbreaking blues d’Amérique restera «Pledging My Time» - I’m peldging my time/ To youuuu - «Visions Of Johanna» fout des frissons dès les premières nappes d’orgue. C’est aussi mélodiquement pur que «Like A Rolling Stone» - And these visions of Johanna/ they kept me up/ Past the dawn - En fait on se demandait comment Dylan pouvait mémoriser des textes aussi densément longs. On s’était posé la même question le soir où on vit Leo Ferré chanter seul les yeux au ciel «Il n’Y A Plus Rien», un poème fleuve qui occupe une face entière sur l’album du même nom, comme d’ailleurs «Sad Eyed Lady Of The Lowlands» en D. Il n’y a qu’une seule réponse : seules les intelligences supérieures peuvent fournir cet effort de mémoire. L’autre exemple est celui de Philippe Caubère qui dans sa série de one-man shows au Théâtre des Champs Élysées parlait trois heures d’affilée sans guide. Dylan, Ferré et Caubère évoluent dans une autre dimension, celle du texte pur. On vit aussi Jean-Louis Trintignant se livrer à cet exercice funambulaire avec une lecture d’environ deux heures des Lettres À Lou d’Apollinaire. «Visions Of Johanna» échappe définitivement au rock pour aller vers un univers de vision pure, car de toute évidence Dylan décrit ce qu’il voit - The harmonicas play the skeleton keys/ And the rain/ And these visions of Johanna/ Are now all that remain - Mais ce n’est pas fini car voici l’un des all time favorites, «One Of Us Must Know». Porté par le souffle des nappes, Dylan monte au sommet du sooner or later, c’est l’une des plus grandes odes à la beauté de tous les temps, ou plutôt une ode à l’incommunicabilité des choses telle qu’elle se manifeste parfois entre un homme et une femme - Sooner or later/ One of us must know/ That I really did try to/ Get close to you - Dylan en fait tout simplement une mystique hugolienne et devient l’un des plus grands artistes de l’histoire du genre humain. Nous n’en pouvions mesurer la portée à l’époque. En C, on tombe encore sur des choses spectaculaires comme «Absolutely Sweet Marie», un soft-rock flamboyant, fabuleusement chargé d’or fin et couronné par une élocution magique, joliment cavalé et illuminé aux licks de Tele. Dylan nous faisait plus rêver que les Rolling Stones, il faut bien l’avouer. Son sentimalisme était celui dans lequel on se retrouvait le mieux. Cheveux bouclés, écharpe à carreaux et copine d’enfance qui dans le bois de Boulogne te jure un amour éternel. Early in the morning ! Voilà comment il attaque «Obviously 5 Believers», à la punkitude céleste de Nashville. Aw comme ces mecs jouent sec et net, et Dylan pousse bien à la roue son I’m callin’ you to/ I’m callin’ you to/ Please, come home.

Album surprenant que ce John Wesley Harding. Paru en 1967, l’album brouille bien les pistes. La pochette nous fait croire que c’est un délire de folkeux mais dès le morceau titre, on ravale sa bave, car voilà un fabuleux shoot d’Americana. Charles McCoy swingue son gros bassmatic rural et Bob souffle dans son harmo en fer blanc, alors c’est du pur jus, bien battu par Kenny Buttrey. On tombe plus loin sur le stupéfiant «All Along The Watchtower» - There must be some kind of way out of there/ Said the joker to the thief/ There’s too much confusion/ I can’t get no relief - Version stripped down, mais quelle belle attaque, Dylan nous décrit un vrai horizon, et ça tourne à la magie, avec cet élan surréaliste que reprendra un peu plus tard Jimi Hendrix - Outside in the distance/ Two riders were approaching - Ça se corse merveilleusement et Bob lâche l’extrême onction - And the wind began to howl - «All Along The Watchtower» reste l’un des plus beaux hits de tous les temps. On s’émerveille aussi d’«I Dreamed I Saw Saint-Augustine» qui est un fait la même chose que la chanson de Joe Hill que chante Joan Baez à Woodstock - I dreamed I saw/ Joe Hill last night/ Alive as you and me - C’est encore de la pure magie dylanesque - So go on your way accordingly/ But know you’re not alone - D’ailleurs, à la fin du cut, il pleure. Il termine son bal d’A avec le fantastique shuffle de «Difter’s Escape». La fête se poursuit en B avec «I’m A Lonesome Hobo», pur jus de groove rampant. Il règne sur cet album une fantastique ambiance de sous-bois. Des Indiens accompagnent Bob et ça sent bon la wild Americana. Oh et ce groove de basse rurale ! Oh et ce Bob qui chante à l’excellence de la lancinance ! Que peut-on espérer de mieux ? Restons dans le groove d’Americana sauvage avec «Tke Wicked Messenger». Il n’y a plus aucune trace d’électricité, tu es paumé dans l’empire des bois.

On croyait Dylan éteint avec Nashville Skyline paru en 1969. Sans doute à cause de l’acou qu’on voit sur la pochette. Mais c’est au contraire un big album. C’est là-dessus qu’on trouve «Girl From The North Country», l’un des balladifs qui font l’histoire du rock. Cash prend le deuxième couplet. C’est en gros le même plan mélodique que celui de «Lay Lady Lay» qui figure en ouverture du bal de B. Avec le morceau titre, Dylan revient à la country. C’est donc la fin de l’electric ride. On le voit faire un numéro de haute voltige vocale dans «To Be Alone With You» et «I Throw It All Away» signe le retour des grandes nappes d’orgue. Le génie dylanesque s’exprime alors à nouveau, et à l’état le plus pur. Cut après cut, Dylan se livre à une sorte de reconquête. En fait, il fallait surtout éviter de lire les critiques à l’époque et faire confiance à l’artiste. On se régale encore de quelques bricoles en B, notamment de «One More Night» car c’est bourré de son et de shuffle. On a là un sacrément bel album. Nouveau coup de semonce avec «Country Pie», tapé au wild guitar slinging de Nashville. Dylan veille bien au grain de l’excellence. Il termine avec l’imparable «Tonight I’ll Be Staying Home With You». Ce big Dylan d’all your love chante par dessus la skyline. Il est encore à cette époque le Dylan de rêve, le Dylan limpide, il donne au rock américain ses lettres de noblesse, il sait ouvrir un horizon, no more out of the window, tout est imprégné d’inspiration.

Les deux albums parus en 1970, New Morning et Self Portrait, sont très différents. Sur la pochette de New Morning, Dylan apparaît comme un mec normal, mais bon, c’est Dylan. Il attaque cet album du renouveau avec «If Not For You» et retrouve la voix du jeune Dylan. George Harrison en fera une cover sur All Things Must Pass. Charlie Daniels et Harvey Brooks l’accompagnent, c’est du soft swing, avec une batterie légère. Un sorte de retour en grâce. Dylan fait le choix du soft rock bien rythmé, mais il n’exclut pas la nonchalance. Il pianote pour aller voir la diseuse de bonne aventure de «Went To See The Gypsy» et renoue avec le power de la harangue. On est content de retrouver le Dylan de la harangue. Dans le morceau titre qui ouvre le bal de la B, on assiste à un beau festival de guitares. Certainement David Bromberg, avec Brooks derrière. La photo qui est au dos date de 1962 : debout à côté de Victoria Spivey, Dylan tient la beat up guitar de Big Joe Williams montée avec 9 cordes. Cette photo n’est pas là par hasard.

En réalité, le double album Self Portrait est paru quelques mois avant New Morning et fut mal accueilli. Chaque fois que Dylan a opté pour de brusques changements d’orientation, ça a provoqué des remous. Dans le gatefold, on voit quelques photos de Dylan à la campagne mais aussi deux shoots en studio avec une ribambelle de lascars. Ce double album est bien sûr nettement moins dense que Blonde On Blonde, mais il ne faut pas regretter ni de l’avoir acheté ni de l’avoir écouté, car même si Dylan change, il reste captivant. Il reprend l’«Early Morning Rain» de Gordon Lightfoot et en fait un cut charmant, une véritable merveille de good time music. Il retrouve ses aises de Jo le hareng de la harangue avec «Days Of 49» et nous place un joli slow blues avec «Alberta #1», monté sur une bassline bien grasse - Alberta don’t you treat me unkind - En B, il repend le «Let It Be Me» de Gilbert Bécaud et sort le grand jeu pour «Belle Isle» : nappes de violons, espagnolades, un enchantement. Plus loin en C, Dylan tâte de l’Americana avec «Gotta Travel On». Bob Johnson signe une prod très âpre. Si on aime la basse rustique, alors on se régale. Nouvelle cover avec «The Boxer» de Paul Simon, suivie d’un retour aux sources avec «The Mighty Queen (Quinn The Eskimo)». C’est en D que se planque la perle : «It Hurts Me Too», un blues classique que Dylan prend en mode round midnite avec une stand-up derrière et c’est superbe. On trouve aussi une version live de «She Belongs To Me» tiré de Bringing et tout ce bazar s’achève avec «Alberta #2», vieux boogie de deep Americana joué dans une superbe ambiance et cette belle basse n’en finit plus de rôder comme le furet.

Signé : Cazengler, Bob Divan

Bob Dylan. Highway 61 Revisited. Columbia 1965

Bob Dylan. Bringing It All Back Home. Columbia 1965

Bob Dylan. Blonde On Blonde. Columbia 1966

Bob Dylan. John Wesley Harding. Columbia 1967

Bob Dylan. Nashville Skyline. Columbia 1969

Bob Dylan. New Morning. Columbia 1970

Bob Dylan. Self Portrait. Columbia 1970

 

Chesterfield Kings road

Difficile de croire que Greg Prevost approche des 65 ans. C’est pourtant ce qu’affirme Jon Mojo Mills dans le chapô d’interview au long cours que Prevost accorda au mois de juin à Shindig. Pour la double d’ouverture, Mills ne s’est pas trop cassé la tête, il a repris le visuel de Mississippi Murderer, le premier album solo de Prevost : on le voit assis sous un casque de mèches dressées à la Keef et rehaussé de coulées multicolores de type Wizard A True Star, vêtu d’un haut de fille jaune qui dénude entièrement l’épaule, d’un skinny legs troué aux genoux et grattant un antique dobro du Mississippi. Bien sûr, il est assis dans un cimetière.

Tous les amateurs de garage connaissent les Chesterfield Kings, une institution que Greg Prevost a fondée en 1982. Mais ce n’était pas son premier groupe. Dix ans auparavant, il avait monté Mr Electro & The Psychedelic Burnouts - Inspiration was the Stones, Stooges, Yardbirds, 13th Floor Elevators, Amon Düül II, John Cage, Sun Ra, MC5 - et voilà, c’est parti pour la valse des influences. Comme tous les mecs un peu dégourdis de cette époque, Prevost s’arrange pour échapper au draft (le mortel équivalent américain du service militaire en France), pour travailler dans un magasin de guitares et pour bricoler un fanzine. Il est en contact avec Greg Shaw et quand paraît Nuggets, il connaît déjà tous les groupes qui y figurent, car il écoute la radio, comme le font tous les mecs dégourdis de cette époque. Il est encore plus dégourdi qu’on ne pense car il va au CBGB en 1976, mais pour lui, ce qu’on appelle le punk en 76 n’a rien à voir avec le punk sixties, celui des Shadows Of Knight, des Blues Magoos et de Music Machine. Bon, Prevost travaille at the House Of Guitars dont le boss n’est autre qu’Armand Schaubroek. C’est une relation qui va durer 35 ans. Quand Mills le branche sur son rapprochement avec le Chocolate Watchband en 1978, Prevost répond sèchement que c’est une longue histoire qu’on pourra lire dans son autobio à paraître. La température chute brutalement. Mills n’ose plus trop poser de questions indiscrètes.

Alors, il branche Prevost sur le premier album. Cassant, Prevost répond qu’il n’a rien de spécial à en dire, sinon qu’il a fait ce qu’il avait en tête à cette époque - which is what I had in mind in the first place - En 1982, les Chesterfield Kings voulaient encore ressembler aux Stones de 1965, mais ils le firent à l’Américaine : sur la pochette d’Here Are The Chesterfield Kings, il y a trois Brian Jones au lieu d’un. Les Américains ont souvent la main lourde. Andy Babiuk, Doug Meech et Orest Guran ont tous les trois les franges de cheveux blonds comme les blés. Du coup, Greg Prevost assis au premier rang passe inaperçu et Rick Cona a l’air de sortir d’un ranch du Montana, avec son gilet en peau de vache et son gros pantalon à rayures bleues. Ils n’ont pas vraiment de son distinctif, mais ils parviennent tout de même à faire de la Stonesy avec un «Our Side Chance» monté un beau beat rebondi et «I’m Going Home» qui sonne comme le «Flight 505», yeah yeah. On les sent investis d’une mission extrêmement divine. Ils sont même en plein «Goin’ Home». On trouve encore une petite giclée de Stonesy en A avec «Little White Lies». Ils ont tous les réflexes du bon son. En B, il rendent hommage aux Chocolate avec l’excellent «No Way Out» d’Ed Cobb. Ils jouent ça bien psyché avec la belle basse dévorante d’Andy Babiuk. Côté garage, ils se montrent à la hauteur avec «Come With Me», joli cut convaincu d’avance, sautillé à l’orgue, monté sur une rythmique impeccable, doté d’un bel allant et du petit panache de Rochester. L’autre pièce de choix de ce premier album est une reprise du «99th Floor» des Moving Sidewalk. Ils la jouent à la cocote gaga très épurée avec un son clairvoyant - We won’t stop till we get to the nine nine floor - Pour faire bonne mesure, Rick Cona passe un petit solo à la Billy Gibbons.

Mills fait remarquer à Prevost que trois ans séparent Stop du premier album. Prévost répond qu’il a ramé pour trouver un label. Il ajoute qu’il n’est pas très content de cet album. Il dit que c’est l’ANTI-80 album - I fucking hate the 80s as most people know - and everything after it. I fucking hate EVERYTHING after 1974 with few exceptions - Au moins comme ça les choses sont claires.

Les trois Brian Jones sont encore plus stoniens sur la pochette de Stop. Andy Babiuk porte même un pantalon rouge. Cette fois, ils se diversifient au plan musical. Les deux fins de faces sont des merveilles de gaga cra-cra, dans l’esprit des Pretties, mais en mode snarl américain. Prevost chante «Say You’re Mine» à la morve verte, il fait sa petite gouape des bas-fonds. Il finit la B de la même manière avec «Bad Woman» : belle démonstration de force, joli shoot de gaga punk sixties américain, sans la moindre trace de sale petite concession. Avec son joli solo d’orgue, «It’s Alright» pourrait figurer sur n’importe quelle compile de revival gaga. Rick Cona se paye un joli départ en solo dans les règle du lard fumé. On les voit aussi aller sur des trucs plus byrdsiens comme «I Cannot Find Her» et sortir des harmonies vocales typiques de l’âge d’or des anciennes civilisations. Mais c’est aussi le défaut de l’album : ils font trop d’exercices de style, comme s’ils voulaient exhiber leur pedigree. Leur gaga finit par devenir gentil, comme s’ils l’avaient peint en rose. Ils sont aussi capables de sortir une belle pop saturée de guitares flamboyantes, comme le montre «I Don’t Know Why». Ils excellent dans ce monde intermédiaire où excellaient jadis les Byrds et les Hollies. «She’s Got No Time» finit aussi par séduire, avec ses fins de refrains bien rebondies et ses coups d’harmo.

Prevost aime à répéter qu’il vit dans le passé - My whole image is a combinaison of 10 years : 1964 to 74 - Quand Mills l’amène sur le terrain du troisième album, Don’t Open Til Doomsday, Prevost fait une grimace épouvantable. Le groupe allait mal et allait se séparer, sauvé in extremis par Dee Dee Ramone qui leur file même un cut, «Baby Doll». Prevost évoque ensuite la tournée européenne de 63 dates sur 3 mois - Nearly physically killed me. I fucking hated everybody in the band and quit when I got home - Doomsday porte bien son nom. C’est avec cet album que Prevost commence à se coiffer avec un pétard. Une grosse mèche jaillit sur le côté gauche de son crâne. Le seul à respecter les vieilles règles de la Stonesy, c’est Andy Babiuk, qu’on appelle aussi le fidèle, en Palestine. Disons-le franchement, l’album peine tragiquement à convaincre. On s’ennuie comme un rat mort pendant toute l’A, jusqu’à «Someday Girl». Voilà enfin du gaga un peu wild orné de clameurs d’Oh. C’est en B que se joue le destin du Doomsday, avec ce fantastique «Social End Product» en forme de grand saut dans le vide. Rick Cona passe un killer solo flash dans «No Mind No Soul». C’est lui qui vole le show, ici, toutes ses interventions nous gavent comme des oies. Voilà «Look Around» dévoré par un bassmatic d’Andy Babiuk. Ça joue sous un sacré boisseau. Ils terminent l’album en beauté avec «Doin’ Me Wrong». Ils savent rendre la pop nerveuse et hausser le ton quand il le faut et Rick Cona illumine le cut d’un autre killer solo flash.

Le mec qui remplace Rick Cona dans le groupe parvient à convaincre Prevost de revenir. Alors il revient en bougonnant. Comme le son du groupe change, Prevost songe à changer le nom du groupe, mais ils restent les Chester - Too stupid to do that - On leur reproche un son trop hard dans The Berlin Wall Of Sound. Prevost rétorque : «It was the band at the time, a state of mind. We lost fans, gained others.» Mais bon, quand on tombe sur «Richard Speck», on est bien content, car quelle beigne ! Prevost chante son ultra gaga punk au summum de la voyoucratie avec derrière lui un Rocco en alerte rouge. On ne peut que crier au génie sous un tel déluge d’animalité. Dommage que tout l’album ne soit pas du même niveau. Il faut attendre la fin du bal d’A pour renouer avec la dégelée. Ils roulent ma poule avec «(I’m So) Sick And Tired Of You», ça file droit chez les Chester et Rocco multiplie les prodiges télescopés. Le son berlinois lui va à ravir : énorme écho sur la batterie et voix bien en avant. Joli solo de Rocco et ses frères dans «Branded On My Heart» et les lignes de basse du Babiuk sont toujours aussi dévorantes, comme le montre «Teenage Thunder». Ils repiquent une belle crise de Stonesy en fin de B avec «Who’s To Blame», une crise disons d’era Exile, c’est noyé de slide donc ça ne pardonne pas. Et toujours cette belle basse bourdonnante.

Par contre, ils se vautrent un peu avec Drunk On Muddy Water. Ils démarrent avec un gag nommé «Pick A Bale Of Cotton» : on croit entendre des Indiens qui cueillent du coton. Et le gag continue avec une mouture de «Bright Lights Big City» pas piquée des vers. Prevost chante comme un vieux nègre alcoolique qui va dégueuler. On assiste à une faillite totale de sa crédibilité. En forçant son guttural, Prevost se ridiculise. Il fait du guttural de train fantôme. L’album se transforme assez vite en farce atroce. Prevost chante au dégueulis de cabane en carton-pâte. C’est l’un des meilleurs gags de l’histoire du rock. Il invente le dégueu du delta. Ah quelle rigolade ! Il bat tous les records de kitscherie avec «Little Red Rooster». Encore jamais entendu un clown pareil. Comme s’il se raclait la glotte à la toile émeri. L’album finit par devenir insalubre. Il se prend pour un fils d’esclave dans «Walkin’ Blues». C’est incompréhensible qu’il puisse chanter si connement. Pour sa version de «Rollin’ Stone», il chante comme Popeye. Le pire c’est qu’il en fait une version bien allumée. Avec «I’m In The Mood», Il plonge dans l’écume des jours et restitue l’imparabilité du heavy blues. C’est excellent. Dommage qu’il ait flingué tout le début de l’album avec son exacerbation glottale. Il termine avec un «I’m Your Hoochie Coochie Man» qu’il massacre à coups de cris d’orfraie. Dommage car il y a une belle énergie derrière.

Prevost adore son album live avec le Paisley Zipper Band, Long Ago Far Away, paru en 1990. C’est un album de reprises solides dont trois de Bo, «Pretty Girl», «Roadrunner» et l’excellent «Diddy Wah Diddy» joué à la patate chaude. Prevost met tout le chien de sa chienne dans Bo et bat tous les records de punkerie à la big bad Bo. Mine de rien, sa version vaudrait presque celle de Captain Beefheart. Hommage aux Stones aussi avec un «Jumpin’ Jack Flash» just perfect, awite ! On sent que Prevost adore ça. Quel carnassier ! Ils font aussi un «Midnight Rambler» qui n’a rien à voir avec «Midnight Rambler» puisque c’est «Love In Vain», avec le fameux suitcase in my hand. Bel hommage à Wolf aussi avec «Smokestack Lightning». Ce sacré Prevost ne lâche jamais sa rampe, c’est un tenace, un féroce contender. Par contre ils se vautrent avec un «Great Balls Of Fire» bien bourrin joué comme une charge, mais ce n’est pas la Charge de la Brigade Légère. Encore un clin d’œil aux Stones avec le morceau titre bâti sur le riff magique de Keef dans «Monkey Man». Ces éclairs de lumière remontent au temps béni de Let It Bleed. Prevost y pique sa crise, comme Jag à l’époque.

Mills prend des risques en évoquant le projet d’album avec Johnny Thunders. Prevost ne prend pas de gants pour répondre : «Ça ne pouvait pas déboucher. He was too fucked up on drugs. Nice guy, mais impossible de finir une seule chanson.» Alors, pour éviter que ça ne dégénère, Mills embraye sur Let’s Go Get Stoned. Prevost révèle qu’à l’époque il était enragé. Il parle de raw energy - The raw energy was a state of mind - On connaissait de grands exemples de mimétisme réussi : Union Carbide Productions pour les Stooges et les Subsonics pour le Velvet. Avec Let’s Go Get Stoned, les Chesterfield Kings sont encore plus stoniens que les Stones. C’est même l’un des plus grands hommages jamais rendus aux Stones. Et pourtant, ils brouillent un peu les pistes avec «Johnny Volume» qui fut le premier pseudo choisi par Johnny Thunders. Mais avec la cover de «Street Fighting Man», tout devient évident. Ils optent pour un énorme son de basse, mais ils ne vont pas jusqu’à imiter le minikit de Charlie Watts. C’est un nommé Paul Rocco qui se tape le beau solo vipérin et la basse d’Andy Babiuk gronde délicieusement dans l’épaisseur du son. Tous les morceaux de l’album sont prétexte à exercices de Stonesy style : «Drunkhouse» vaut pour un honky tonk blues de cabane, «Sing Me Back Home» de Merle Haggard se transforme en une sorte de «Dead Flowers», «One Foot In The Graveyard» vaut pour un bon swagger digne d’Exile, très typé, avec de la slide. Kim Simmons de Savoy Brown vient faire son Mick Taylor sur «It’s Getting Harder All The Time», mais son toucher de note est beaucoup trop délicat pour la Stonesy. Encore une belle leçon de swagger avec «I’d Rather Be Dead». Ils font une cover d’un cut des Stones pas très connu, «Can’t Believe It» et en profitent pour défoncer la rondelle des annales. En B, on trouve un «Rock’n’Roll Murder» co-écrit avec Kim Fowley. On parlait de Mick Taylor, ah bah tiens le voilà dans «I’m Not Talking», un cut bien énervé signé Mose Allison et que Prevost chante comme une petite gouape. On finit par tomber sur un vrai coup de génie : «Long Ago Far Away» qu’ils démarrent avec les ah-ouh de «Sympathy For The Devil» et qui roule ensuite sur les accords magiques de Keef dans «I’m A Monkey». Avec leur incroyable perspicacité, les Chesterfield Kings s’installent au panthéon de la Stonesy.

Prevost attaque la période suivante en s’acoquinant avec Sundazed, puis Wicked Cool, le label de Little Steven. Mais ce n’est pas une période facile pour lui, car il y a du turn over dans le groupe. Il se retrouve avec des mecs beaucoup plus jeune que lui, 15 ou 16 ans d’écart, et donc, il s’oriente sur ce qu’il appelle des «projets» de type Surfin’ Rampage et Where The Action Is - Which are novelty records, more or less - mais boy, quels novelty records !

Joli novelty record que ce Surfin’ Rampage paru en 1997 : existe-t-il plus bel hommage rendu à Brian Wilson et à Gary Usher ? Non. Prévost et Babiuk se sont même arrangé les cheveux pour ressembler à des surfeurs. Comme son titre l’indique, tout sur cet album est on the beach, à commencer par sa longueur : 32 cuts, dont certains très connus comme «Little Honda», vrai shoot de BiBi craze. It’s alright ! Ou encore «Our Car Club», ils y ramonent la BiBi craze férocement, ils jouent à la heavyness méphistophélique. Ils tapent aussi dans le «Summer Means Fun» de PF Sloan. Cet album effare par la qualité du son et par son énergie. Ils le font pour de vrai. C’est un hommage aux Beach Boys mais avec un son plus gaga. Ils font du pastiche énergétique et ça sonne juste. Autant leur Drunk On Muddy Water sonne comme un gag, autant leur Surfin’ Rampage sonne comme un petit chef-d’œuvre pastichier. Leur ferveur impressionne. Dans «Farmer’s Daughter», Prevost chante comme Brian Wilson, il pulse son chat perché, tout est juste, le punch, les harmonies vocales et le soleil. En plus c’est signé Gary Usher. Ils vont vite en besogne, les voilà déjà partis à fond de train avec «Draggin’ Deuce». Ils reproduisent tous les éclairs du génie BiBi et se régalent du délire des machines («Shelby GT 356»). En fait, ils réinventent l’énergie perpétuelle du never ending summer. Encore une jolie BiBi craze avec «Black Denim», Prevost claque sa chique du coin de la bouche, ce mec est un démon. Encore du big bouzin de moulin avec ce «RPM» dédié à Gary Usher et Brian Wilson. «Double Red High» sonne comme un classic BiBi craze avec les harmonies à nœud-nœud et des chœurs de rêve. En fait, les solos de Ted Okolowicz sont du pur gaga. Gary Usher est partout sur la plage, le voici encore avec «My Little Bike» et ça donne un killer surf craze. Check my custom machine, miaule Prevost dans «Custom Machine». Fantastique obsession ! Prevost est un géant qui explore les mystères de la plage. S’il est un groupe qui peut se vanter de savoir jouer le surf gaga, c’est bien les Chester ! Tout est hyper joué dans les règles du lard. Ils visent l’impeccabilité des choses. Encore du Sloan avec «Tell ‘Em I’m Surfin». On frise l’overdose, mais c’est le but du jeu. Ils n’en finissent plus de revenir sautiller sur la plage.

Nouvel exercice de style avec Where The Action Is, l’album de reprises. Bienvenue au club des spécialistes ! Prevost ne tape pas dans les Gypsy Kings, mais dans les Gypsy Trips avec «Ain’t It Hard», un vieux retour de titille sixties joué dans l’écho du temps, mais avec un certain génie. Prevost lui allume bien la gueule, the beat goes on, pas de meilleure restitution possible. Avec cet album ils ressuscitent l’esprit du gaga sixties et Prevost en rajoute, il en fait même un peu trop dans «Wrong From Right» avec ses uh. Avec le «Five Years Ahead Of My Time» du Third Rail, ils tapent dans l’un des fleurons du gaga sixties. On entend de belles guitares psyché. Quel régal ! Et c’est là que Mark Lindsay duette avec Prevost sur «Where Do You Go From Here». Avec «I Walk In Darkness», Prevost bat Van the Man à la course. C’est une OPA sur «Gloria» chanté à la sale petite délinquance. Tout y est, l’I walk/ in/ darkness, le wouaahh de dommages collatéraux, les rebondissements d’harmo et les screams dans la cave. Bel hommage aux Standells avec «Sometimes Good Guys Don’t Wear White». À ce petit jeu, les Chester sont aussi bons que les Nomads. Prevost fait bien son Dick Dodd, il racle bien son tell your moma and your popa, il connaît toutes les ficelles du caleçon et revient inlassablement à son moma et son popa. Ils reprennent aussi le «Don’t Blow Your Mind» des Spiders, juste avant Alice Cooper. Prevost le chante à la colère noire. Il n’est pas homme à se calmer, au contraire. Ted Okolowicz passe un killer solo flash dans le «1-2-5» des Haunted. Prevost revient faire sa petite gouape des bas fonds et souffle dans l’harmo des Problèmes. Belle cover du «Little Girl» des Syndicate Of Sound, puis Babiuk bassmatique le «You Rub Me The Wrong Way» des Beatles et la farandole s’achève avec le «Happenings Ten Years Ago» des Yardbirds. Ted Okolowicz se prend pour Jeff Beck. C’est pas mal, mais il a encore du boulot.

Au début du XXIe siècle, les Chester sont passés de mode et n’ont plus d’audience aux États-Unis. Le groupe bat de l’aile puis redémarre en 2002 avec l’arrivée de Paul Morabito. Les Chester renaissent de leurs cendres avec trois fantastiques albums, The Mindbinding Sounds Of…, Psychedelic Sunrise et Live Onstage If You Want It.

Autant appeler un chat un chat : The Mindbinding Sounds Of… est une bombe. Tous les titres de l’album sont bons, sans exception, tiens comme cet «Endless Circles» que redore le blason du gaga psyché. Ou encore ce «No Entity» où ils se prennent pour les Yardbirds. Et ça marche. Ils sont encore plus royalistes que le roi. Ils rendent un bel hommage aux Stones avec «Flashback», watch out ! Ça pue le Jack Flash à plein nez. Ils jouent le cut qu’ont toujours rêvé de jouer les Stones. C’est à ce moment précis qu’ont réalise que les Chester ont du génie, car il en faut pour savoir rendre des hommages aussi superbes. Autrement, ils font beaucoup de gaga punk, à commencer par «I Don’t Understand». Ils se situent dans le mood des meilleurs exemples, avec le son des guitares, les chœurs d’artichauts et ce mec qui chante à l’avenant. Heavy power psychédélique. Un hit de rêve. Celui dont rêvent tous les jukes. Ils restent dans heavy gaga psyché avec «Runing Through My Nightmares». Ils ont le pouvoir et sortent un son violemment pur. Prevost chante à la force du nez, ils vont même trop loin car le cut leur échappe. Ils font aussi du gaga de Stonesy avec «Somewhere Nowhere». Tout ce qui les intéresse dans la vie, c’est de charger leur chaudière. Tout ici n’est que heavy psychedelia. «Transparent Life» sonne comme un shoot de psyché cavalé ventre à terre. Prevost fonce à la folie Méricourt. C’est pour ça qu’on l’admire. Il n’est pas du genre à ralentir ou à baisser les bras. Ils rendent un bel hommage à Bo Diddley avec «Death Is The Only Real Thing». Merci Bo, car ce riff est le plus distinctif de tous. N’allez surtout pas prendre les Chester pour des brêles, ce serait leur manquer de respect en manquant de clairvoyance. On l’a déjà dit, mais on le redit : tout est bon sur cet album qu’il faut considérer comme un album classique.

Avec le temps, les Chesterfield Kings gagnent en crédibilité sonique et graphique. Il suffit de voir la pochette de Psychedelic Sunrise et d’écouter ces énormités que sont «Streaks & Flashes» et cet «Elevator Ride» bardé du meilleur son qu’on puisse espérer. Ça sonne comme des hits de pop anglaise. On se croirait sur Between The Satanic Buttons Request. Le son éclate. C’est un album qui grouille de surprises, dès «Sunrise», shoot de heavy punk psychédélique. Ils cherchent l’au-delà du commun des mortels avec un son arrosé de giclées mirobolantes. À ce petit jeu, ils sont imbattables. Avec «Rise And Fall», ils basculent dans la heavy psychedelia de la pire espèce et Prevost chante comme un crevard, avec toute la hargne du monde. Il chante à la victoire certaine. Il ne sait faire que ça, peaufiner sa chique. Voilà encore un cut chargé de son, bien languide et culminé. Un beau killer solo illumine «Up & Down». «Inside Looking Out» nous ramène dans les sixties, back in the past, comme dirait Prevost. Il chante à la force de sa voix de nez, avec un petit côté Johnny Thunders, et c’est entrecoupé par un fier solo d’incartade. Bienvenue dans le big business. Trois merveilles se disputent le trône en B : «Spanish Sun» (monté sur le thème de «Paint It Black»), «Outtasite» (pur garage hell avec le gros riff de fuzz à la «I Could Only Give You Everything», écrasant de power, avec une fuzz qui s’étrangle en plein course, c’est du golden casquette de gaga, les Kings sont bien des Kings) et «Stayed Too Long» (on se croirait une fois de plus sur Exile, c’est exactement le même son, mais là les élèves dépassent les maîtres, Prevost est encore pire que Jag). Et il n’existe pas de meilleurs «Yesterdays Sorrows» que ceux des Chester. Ils sont sur une niche, ni trop gaga, ni trop Stonesy, ni trop psyché, disons un astucieux mix des trois. Les fans du groupe ont bien sûr écouté le CD qui va avec l’album, car on y trouve des bonus diaboliques. À commencer par «The Wrong Place To Hide», stupéfiant d’allant, radical, on se croirait dans un Back From The Grave, beautiful sixties gaga punk flavour, l’art suprême de la gelée royale. Ils sont magnifiques de mimétisme tentaculaire. Et ça continue avec «Stop! Hey! Take A Look Around», plus pop et entraînant, fantastique de look around, ils arquent aux guitares des Byrds et brament non pas à la lune mais au miraculeux matin d’été 65 quand tu es jeune et que tu as encore tes 32 dents bien blanches, hey look around ! Ils finissent en removant «Thre’s A Time» à la heavy fuzz. Ils ne reculent devant aucun sacrifice et il faut les saluer pour ça. Ils descendent très profondément dans le son, c’est leur mantra.

Live Onstage If You Want It permet de confirmer tout le bien qu’on pense des Chester. Sur scène, leurs hommages aux Stones prennent une ampleur considérable. Ils annoncent la couleur dès «Up & Down» et jettent toute leur ferveur dans la balance. C’est un vrai sludge, l’apanage de la heavy Stonesy. Ils la fracassent, le pauvre Jag peut aller se rhabiller. Prevost démolit tout, backed par la pire équipe de killers outta here. Ils sonnent comme les Stones en 63, mais à la puissance 1000. S’ensuit le cash out de «Sunrise», ils sont les rois de la maintenance du feu sacré, ça sent le garage brûlé et ça repart en mode Stonesy avec «Transparent Life», le fameux clin d’œil à «Paint It Black». Ils dégoulinent d’une classe beaucoup trop pure. «Non Entity» les porte au sommet du rave up. Ces sales voyous sodomisent le gaga punk à coups d’I can’t come back, wow comme ça claque ! Prevost fait le job et marche dans la colique d’un solo liquide. Wouah ! On note qu’Andy Babiuk joue sur une basse Vox Teardrop. Fantastique version du «Flashback» monté sur l’intro de Jack Flash, Prevost sort toute l’arrogance de Rochester pour réactiver le mythe de Jack Flash. On voit le fantôme de Brian Jones danser dans le doom. Prevost chante aussi son «Dawn» à la racine des dents, à chaque fois, il semble mener un assaut. Nouvelle crise aiguë de Stonesy avec «Stayed Too Long» et Prevost s’assoit sur ses lauriers. Un «Stayed Too Long» qu’on croirait sorti d’Exile, véritable boogie down de Nellcôte, exactement le même, cos’ I try so hard. Ils font un détour par les flammes de Raw Power pour «Johnny Volume» et replongent dans leur gaga chéri avec «Outasite». Prevost y place des awites fermes et définitifs. Le festival se poursuit avec un hommage aux Them, «I Walk In The Darkness», I look at my windoye, ah quel sale punk, il a du son derrière lui, alors il en profite. Pur jus de Them frenzy, right down on the floor, fantastique giclée d’I walk in the graveyard. Oui ça pue le graveyard et le jus de chaussette et cette façon qu’il a de relancer le darkness ! Call my name ! Wow ! Ils tapent aussi dans le «Rock’n’Roll Murder» co-écrit avec Kim Fowley et optent une fois encore pour la stoogerie. Prevost se prend pour un Iggy de Rochester. Ils n’en finissent plus de jouer au sommet de leur art. Peu de gens sont capables de passer de la Stonesy à la stoogerie sans coup férir. On se prosterne donc jusqu’à terre.

Avec le CD, Wicked Cool nous offre le DVD du set. Doc extrêmement intéressant. On voit tout de suite que Prevost a pompé toute la gestuelle de Rod the Mod. Exactement la même allure, mais avec le power américain. Les autres passent très bien eux aussi : Mark Boise énorme au beurre, Babiuk sur Teardrop et Paul Morabito pépère sur Tele. Ce qui frappe le plus, c’est de voir Prevost revenir en 1972 : il joue beaucoup avec son pied de micro et s’approche souvent de la caméra. Il a une grosse mèche dressée sur le sommet du crâne et deux ou trois autres colorées. Il joue énormément son personnage et tombe à genoux facilement. Il peut même ramper au sol avec son micro. Physiquement il est très complet. Même trop complet. Il est même si léger que dans «Dawn», il tombe à genoux et se relève d’un petit bond, sans s’aider des mains. Ils font toute une série de cuts en acou («I Don’t Understand», «Gone», «Sing Me Back Home» et «Drunkhouse»). Cadré serré, Prevost n’a pas l’air aimable. Babiuk se prend encore plus pour Brian Jones avec son acou. Et pour jouer les deux cuts dollsy («Stayed Too Long» et «Johnny Volume»), Morabito change de guitare et joue sur une Les Paul Junior, comme Johnny Thunders, et forcément le son est là tout de suite. Quand Prevost se roule par terre, il réussit l’exploit de rester coiffé. Tout cela impressionne au plus haut point.

Et voilà, Mills aborde le sujet qui fâche : la fin des Chester. Prevost : «It was like a firecracker that fizzled out. We ran our course basically and people lost interest in us.» (Ça s’est terminé comme ça devait se terminer. On avait fait le tour et le public était passé à autre chose). Il ajoute que c’est le destin de tous les groupes qui durent 30 ans, unless you are the Stones or Aerosmith. Prevost indique qu’il a quitté le groupe qu’il avait fondé et dont il était à la fin le seul membre original - I was tired. Totally burnt out - Il se sentait devenu un has-been cult band singer - I became a parody of myself. As simple as that - Et pour lui remonter le moral, Mills lui demande quels sont ses meilleurs souvenirs collaboratifs. Il dit avoir adoré travailler avec Mark Lindsay des Raiders et Sal Valentino des Beau Brummels. Par contre, la collaboration avec Johnny Thunders fut la plus problématique.

En 2012, Greg Prevost décide d’enregistrer un album solo, Mississippi Murderer. On le voit dans le bac de Born Bad et on se dit oh la la, quelle merde ça doit être. Mais on le ramasse quand même. C’est vrai que la pochette n’inspire pas confiance : assis au bord d’un chemin, Prevost gratte un dobro. On s’attend donc à des mauvaises reprises de Robert Johnson. Eh bien pas du tout. Prevost en bouche même un coin avec son heavy boogie inspiré. «Death Rides With The Morning Sun» annonce bien la couleur. Big bass & drums, et hop c’est parti pour un voyage au pays du dark & muddy boogie. Au fil des cuts, Prevost maintient le cap sur un boogie dévastateur et sournois. Il fait du blues de punk avec une sacrée emphase. Bel hommage à Skip James avec «Hard Times Killing Floor Blues» et retour au heavy blues-punk de junk avec «Stoned To Death». Il dépasse toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. Il termine son bal d’A avec une version hargneuse de «Hey Gyp», aussi hargneuse que celle d’Eric Burdon, c’est dire si. Il y va franco de port avec le bah you a Cadillac. Du coup on est conquis lorsqu’on entre en B. Avec «Ain’t Nothing Here To Change My Mind», il retrouve les accents de Jag dans «Midnight Rambler». Et dans «Downstate New Yawk Booze», il gouleye bien son goh too Niew Awk, c’est du mâché de papier mâché punkoïde. Tiens on parlait de Robert Johnson, justement le voilà avec «Ramblin’ On My Mind». Bien vu, Prevost, coups d’harmo à la clé. Ce mec connaît toutes les ficelles de caleçon, ça le rend précieux. Dans «Never Trust The Devil», il dit : «I should have left there a long time ago.» Eh oui, mon vieux, il faut toujours partir avant qu’il ne soit trop tard. Il termine cet album surprenant avec le «John The Revelator» de Blind Willie Johnson, qui est un classique du gospel blues monté sur les questions réponses Who said that/John the Revelator said. Prevost le tape au big heavy boogie down chanté de l’intérieur du menton, John the Revelator said ! Il fait les questions et les réponses tout seul. Fantastique artiste !

Du coup, on s’est jeté sur son deuxième album solo, Universal Vagrant. Même principe : Prevost pose sur la pochette avec sa coiffure de mèches multicolores à la Todd et une Telecaster. Il ramène aussi la fine équipe du premier album solo, Alex Patrick on bass et Zachary Koch on drums. Il ressort son swagger à la Jag dès «Moanin’ The Blues». On se croirait une fois encore sur Exile. Cet incroyable putschiste prend le pouvoir avec «Gin-Soaked Time Warp» et se montre encore plus royaliste que le roi de la Stonesy. De toute évidence, il a appris son métier de shouter en écoutant l’early Jag. Il montre les même tendances à la voyoucratie. Il passe ensuite à un autre roi, le roi Arthur, avec une stupéfiante reprise de «Signed DC». Dès le premier accord, on sait qu’on entre chez Arthur Lee. Ce démon de Prevost en fait une mouture bien lugubre. Il se tape même le solo d’harmo. Il revient au heavy gospel blues avec «Evil On My Mind» et rend hommage à Muddy avec «Mean Red Spider». Il restitue le power de Muddy de toutes ses forces. La B est hélas un peu plus faible. Prevost la sauve avec «Hayseed Riot», un boogie-rock de type seventies bardé de hargne et de below the belt. Il termine avec le vieux classique de Buffy, «Codine» que prisait aussi Jim Dickinson.

La bonne nouvelle c’est qu’il annonce à Mills avoir enregistré un troisième album solo avec Mick Patrick. Ça sortira quand ça sortira, une fois dit-il que la poussière sera retombée sur la terre.

Signé : Cazengler, Greg Pré-Veau

Chesterfield Kings. Here Are The Chesterfield Kings. Mirror Records Inc. 1982

Chesterfield Kings. Stop! Mirror Records Inc. 1985

Chesterfield Kings. Don’t Open Til Doomsday. Mirror Records Inc. 1987

Chesterfield Kings. The Berlin Wall Of Sound. Mirror Records Inc. 1990

Chesterfield Kings. Drunk On Muddy Water. Mirror Records Inc. 1990

Paisley Zipper Band. Long Ago Far Away. Trident 1990

Chesterfield Kings. Let’s Go Get Stoned. Mirror Records Inc. 1994

Chesterfield Kings. Surfin’ Rampage. Mirror Records Inc. 1997

Chesterfield Kings. Where The Action Is. Sundazed Records 1999

Chesterfield Kings. The Mindbinding Sounds Of… Sundazed Records 2003

Chesterfield Kings. Psychedelic Sunrise. Wicked Cool Records 2007

Chesterfield Kings. Live Onstage If You Want It. Wicked Cool Records 2009

Greg Prevost. Mississippi Murderer. Mean Disposition 2012

Greg Prevost. Universal Vagrant. Mean Disposition 2016

Jon Mojo Mills : In the past. Shindig # 104 - June 2020

 

ROCKABILLY GENERATION n° 17

AVRIL / MAI / JUIN 2021

 

Imperturbable ! Plus de concert depuis un an, trois confinements coup sur coup, et Rockabilly Generation News tient le coup ! Rien de plus opiniâtre que des rockers qui ont le rockab chevillé au corps. Le lectorat se développe, non Nicolas le rockab n'est pas mort. D'ailleurs on plonge illicrock page 8, ils sont beaux et ils sont jeunes, ils s'appellent The Evil Teds, ils n'ont pas pas dépassé la vingtaine et sont en train de concrockter un album. Les photos de Sergio Kash sont superbes ( comme toujours ) ce qui ne l'empêche pas de poser la question qui inquiète. Quel futur pour le rockabilly. N'ont-ils pas l'impression d'être différents de leur génération, si bien sûr, disent-ils mais ils assument, revendiquent ce qu'ils sont, des Teds porteurs d'une culture dont les racines ont pris naissance voici près de quatre-vingts ans dans le tuf fertile des USA, même si le britannique Crazy Cavan est pour beaucoup dans le déclenchement de leur passion rockabillyenne.

Deux figures historiques du rockabilly au sommaire du numéro, la première Carl Mann liée à sa disparition à la toute fin de l'année 2020, la deuxième était prévue, cette dix-septième parution devait être un hommage à l'un des tous derniers survivants des Pionniers, Gene Summers, dans la rédaction de Rockabilly News l'on était heureux de savoir que Gene en personne pourrait tenir entre ses mains ce magazine en grande partie consacré à son parcours, la camarde ne l'a pas voulu, voici à peine plus d'un mois Gene est passé de l'autre côté... Parfois comme disait Milosz, il se fait tard dans le jour du monde.

Gene Summers fit partie de ces pionniers que la vague européenne rockabilly a sorti de l'oubli, poussons notre crockcorico, les fan-clubs français regroupés autour de confidentielles revues et le label Big Beat Records cornaqué par Jacky Records ne sont pas étrangers à cette renaissance. Jacky l'accompagna sur scène et nous livre ici une interview inédite datant de 2020, de même que dans les propos recueillis par son fils Shawn, Gene se montre tel qu'il était, un homme simple qui a consacré une grande partie de sa vie à cette musique qu'il a aidée à naître et à conserver vivante. Un homme jette un regard sur sa vie et l'on sent qu'il en éprouve sans aucune ostentation une grande et tranquille fierté. Lui qui était un lointain cousin d'Elvis a beaucoup côtoyé Carl Perkins. Difficile de trouver mieux parmi une liste de connaissances. Il a fait le job, comme aiment à dire les ricains.

Le dernier fils du soleil nous a quittés. L'expression ne désigne pas un ultime guerrier apache, mais Carl Mann, le dernier des pionniers enregistré par Sam Phillips sur le mythique label Sun. Greg Cattez nous présente le personnage avec brio, m'a même donné envie d'aller le réécouter, moi qui n'ai jamais supporté ( je dois être le seul dans ce cas ) le timbre de sa voix ! Lire en parallèle les carrières de Carl Mann et de Gene Summers est instructif, deux hommes de la même génération qui découvrent la musique de la même manière, grâce à la radio et la célèbre émission Le Grand Ole Opry, cela donne l'impression que tous les adolescents de l'époque qui restaient accrochés aux retransmissions en direct sont par la suite devenus chanteurs... Et puis l'influence d'Elvis alors qu'il n'est encore qu'une vedette régionale... enfin j'ai retrouvé un point commun avec ma modeste personne, tous deux sont des fans de Lefty Frizzel ! Carl Mann qui a raccroché la guitare sera redécouvert lui aussi grâce à l'Europe...

Déjà vous êtes heureux, les yeux remplis de documents photographiques rares, cette belle légende racontée à plusieurs voix, vous êtes repus, vous ne demandez plus rien, il vous reste encore le meilleur à lire, Gilles Vignal, cet homme a un CV rock long comme quatre cous de girafes, un activiste rock, il a accompagné Gene Vincent lors de sa tournée française en 1967 – notons que l'on ne se battait guère à l'époque pour cet honneur - c'est donc son groupe le Rock'n'roll Gang qui se chargera de cette mission insigne. Le Rock 'n' Roll Gang reprendra du service au début des années 80, la renaissance rockabilly obligeant... les amateurs de rock 'n' roll doivent une fière chandelle à Gilles Vignal, un chercheur infatigable, un passeur de mémoire vive, toujours présent, Gilles n'a jamais arrêté de jouer, de chanter, d'écrire, de rédiger des revues, de tenir des blogues, toujours prêt à prêter main-forte... Total respect pour cet homme serein et modeste qui pense avoir été seulement le jouet de chanceuses circonstances hasardeuses alors que la foudre méritoire du rock'n'roll ne tombe pas sur n'importe qui.

Damie Chad.

 

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,70 Euros + 3,88 de frais de port soit 9,20 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 36, 08 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

 

ERIC BURDON AND THE ANIMALS / 1968 ( II )

 

Les temps ont changé. Pas de beaucoup, juste quelques mois. Pas dans le sens souhaité. Le rêve hippie s'est volatilisé. L'ère de la désillusion commence. Eric Burdon n'abandonne pas la lutte, il effectue un repli stratégique sur sa terre d'élection, le blues. Et l'autre, celle de son origine sociale. Ne prêche pas la nécessité de la révolution armée mais n'oublie pas d'où il sort, simple question de conscience de classe. Il vient d'Angleterre, il n'a jamais été dupe, mais maintenant il est en Amérique, son amour du blues de petit gars de Newcastle Upon-Tyne a pris une grande baffe dans la gueule, de l'idéal, du virtuel, de la sympathie sentimentale qu'il a éprouvés envers le peuple du blues, instinctivement subjugué par l'énergie vitale de ses disques d'adolescent, il est confronté à la réalité de ce qui se cache derrière des mots si simples, Every day I have the blues, rien à voir avec le spleen poétique de Baudelaire, ni avec les fumeuses rêveries des enfants gâtés de la petite-bourgeoisie blanche... Chanter le blues pour eux reviendrait à donner de la confiture aux petits cochons roses. Every one of us, chacun de nous, n'est pas un titre à portée universaliste, nous ne sommes pas tous frères, il y a les uns, et il y a les autres. La pochette est sans appel, nos Animals avec leurs casquettes de prolo sur la tête ou leurs gueules d'intellectuels anarcho-marxistes revendiquent leur camp.

EVERY ONE OF US

ERIC BURDON AND THE ANIMALS

Eric Burdon : vocal / John Weider : guitar, violin, celesta / Vic Briggs : guitar / Danny McCulloch : bass, vocal, 12 string-guitar / Barry Jenkins : drums / Zoot Money : org hammond, vocal, piano .

White houses : musique douce, paroles amères, rythme de menuet – Steppenwolf adoptera une même stratégie sur Monster – ici on ne tue pas les indiens, on laisse crever les déshérités dans les bouges - l'on croit lire l'enquête de Jack London sur les slums londoniens, de temps en temps Burdon agite le scalp d'un vocal viscéral, les guitares perforent plus fort un solo de colère rentrée puis tout se calme dans l'engluement de la misère... Un des titres les plus forts des Animals qui passera par chez nous à peu près inaperçu, le disque étant réservé au marché américain. Une espèce de ballade country blues psyché, avec des paroles que l'on ne rencontre jamais aussi crûment, aussi politiques dans le blues des origines. Uppers and downers : vingt-quatre secondes, difficile de faire plus court, l'on frôle l'insignifiance, surtout si l'on écoute les paroles, l'on est en plein nursery rhyme, les anglais raffolent de ces comptines enfantines qui flirtent avec le non-sens, de parfaits exemples de cet esprit britannique cher à Lewis Carroll, ne soyez pas sévères avec ces enfantillages, Stéphane Mallarmé les adorait, il a été retrouvé dans les papiers du poëte un manuscrit de ses propres traductions prêt à être imprimé... Les paroles sont d'une évidence qui flirte avec l'idiotie, l'idée de base est très simple : si vous êtes en haut de la colline vous êtes en haut, si vous êtes en bas vous êtes en bas, si vous êtes au milieu de la pente, vous n'êtes ni en bas ni en haut. Pour énoncer de telles lapalissades pourquoi Burdon prend-il sa grosse voix de baryton d'opéra et pourquoi derrière lui les musiciens font-ils monter la soupe crescendo à la vitesse du lait sur le feu qui déborde. Facile de trouver le sens symbolique si vous l'écoutez à la lumière de ce qui précède ( c'est suffisant ) et de ce qui suit ( confirmation absolue ), vous occupez une place dans la société vous êtes condamnés à y rester, que vous soyez tout en haut ou tout en bas. Dans ce dernier cas, n'espérez aucune amélioration, les pauvres restent pauvres et les puissants sont toujours installés au sommet... Déterminisme social... Serenade to a sweet lady : que voulez-vous dire de plus après les deux bilans précédents, le premier poignant, le deuxième empruntant au grotesque ? Rien à rajouter. Ce troisième morceau sera donc strictement instrumental. L'on ne s'y attend pas mais nous changeons de continent musical, nous voici au Brésil en pleine bossa nova, Weider a composé le morceau, Danny McCulloch vous tire de ces lignes de basse à faire agoniser de désespoir un cachalot, nous sommes loin de l'exubérance du carnaval de Rio Janeiro, plus près de la tristesse des favelas, l'on ne sait pas où cet album va nous mener, l'on comprend que le chemin que nous empruntons s'infléchit étrangement et pas une seconde nous vient à l'idée de rebrousser chemin. Quant à la sweet lady, z'aurez besoin d'une imagination débordante pour l'apercevoir, les rêves ne meurent jamais mais ne se laissent pas attraper. The immigrant lad : l'on était à l'autre bout du monde, retour à la case départ, Newcastle upon-Tyne, une ballade dans le style de celles qui ont traversé l'Atlantique et ont servi de moule pour les premiers blues au siècle précédent, douze cordes dans la série qu'elle était verte ma vallée, comment quitter ce pays noir qui grouille de houille, rivière infranchissable, la vraie vie de l'autre côté, la jolie fille aussi, cris de mouettes, silence, plus de musique, bruits de tasses et de verres, le jeune immigrant n'a pas traversé l'Océan, son rêve n'était pas si éloigné, du boulot pour un peu d'argent sur les quais de Londres, conversation dans une taverne, ce n'est pas pour s'embarquer pour l'île au trésor, un jeune cockney ne lui cache pas qu'il est difficile de vivre pour un déraciné dans la capitale... surprise, davantage que du spoken words, quasi un documentaire pris sur le vif dont aurait coupé l'image, la véritable musique du prolétariat n'est-ce pas dans la voix des déshérités qu'elle se fait entendre... on est en Angleterre mais aussi un peu dans un livre de Steinbeck ou de Dos Passos, ou un film d'Elia Kazan... la voix de Burdon sourde et chargée de nostalgie est fabuleuse. Year of the guru : carrément électrique, Burdon débite ses couplets à la manière d'un rappeur, c'est ce qui s'appelle avoir de l'avance sur l'évolution, un rythme implacable, un pauvre gars, un gros naïf malmené par son chef, l'adjudant se joue de lui, finira dans un asile de fous – n'est pas le seul à le devenir, le piano de Zoot Money ricane comme un onagre pris dans une nuit d'orage, les guitares enflent et débordent en rivières en rut, dans son délire le fou est devenu le maître du monde, il a tout compris, tout lu, tout vécu, le rythme se précipite, la voix de Burdon se transforme, s'emplit de résonances africaines, devient habitée par une transe, une possession shamanique de quelque chose de primordial, de primal, qui vient du plus profond des âges premiers, une communication avec la terre noire mère des hommes. L'on ne peut s'empêcher de penser au rappeur Keith Elam qui changera son nom en Guru acronyme de Gifted Unlimited Rhymes Universal... La négritude travaille ce chanteur blanc de blues qu'est Eric Burdon. Morceau diabolique, morceau vaudou, morceau totémique... St James Infirmary : retour au blues en ouverture de la face B, et pas n'importe lequel, en quelque sorte le frère jumeau quant à son historiographie et sa célébrité à The House of the Rising Sun. Mais ici Alan Price ne bouche pas le paysage avec la grandiloquence de son orgue, Eric Burdon et ses Animaux n'ont pas choisi le pachyderme qui encombre l'écran, ont préféré la silhouette spartiate de la panthère noire qui se déplace sans se faire remarquer. Sombre, très sombre, lourd très lourd, nudité assumée, simplement rehaussée de courts appels à Dieu dans la pure tradition des chœurs interjectifs et funèbres du gospel, n'a pas choisi les paroles les plus directes le plus souvent employées, ce n'est pas le conteur qui raconte le terrible récit mais son ami le vieux Joe, ce qui introduit un effet de distanciation des plus glaçants, et permet en un deuxième temps l'explosion d'un paroxysme passionnel, ces hurlements de douleurs tellement insupportables, qu'ils sont suivis d'un court balancement jazzy du genre vaut mieux passer l'éponge sur le drame... version sublimissime. New-York 1963 – America 1968 : le grand-œuvre, l'aboutissement de l'album, mille chemins ouverts, tous les thèmes abordés précédemment sont repris en un long opéra de près de vingt minutes. Un rythme lent et lourd en accord avec la tonalité de l'album, les flots majestueux du Mississippi, je sais il ne coule pas à New York mais la big Aple est colonisée par son delta, l'immigrant y rencontre l'âme et la chair du peuple noir, il tombe en admiration de cette manière d'accaparer l'aisance d'être et de se poser dans la beauté du monde, des chœurs tout de suite en entrée, pas les fanfares ironiquement éclatantes de Sky Pilot, mais des bribes de ferveur contenues qui s'harmonisent avec le lent déroulement du serpent vocal burdonien qui déroule ses anneaux et rampe sans se presser sur le sol, Burdon chante – l'on aurait envie d'écrire parle mais la ligne mélodique nous l'interdit – il y a de tout dans ces paroles, l'émerveillement enthousiaste qu'exhalent Les feuillets d'herbes de Walt Whitman et des bouts de réalités américaines inquiétantes sur lesquelles on ferme les yeux. Mais pas les oreilles. Scènes de la vie quotidienne des noirs. L'on a changé de registre, la musique a disparu, conversations enregistrées, la vie des noirs sans cesse rejetés, qui ne peuvent vivre et s'entraider en paix, que l'on laisse crever au bord de la route, et personne qui ne veut voir, il faudra bien un jour que ça change, deuxième mouvement de l'opéra de quat' cents, on a enlevé la musique pour que vous compreniez mieux, plus de trois minutes, les noirs prennent la parole pour la garder, nous sommes en plein mouvements civiques, le chant reprend, une supplique basse murmurée à la terre, toute simple, vouloir être libre et le tambour de Jenkins prend de l'ampleur, des voix se confondent, ceux qui ont l'espoir et ceux qui n'y croient pas, la rage prend le dessus, peu à peu, elle devient incoercible, l'on verse dans une espèce de spoken gospel, et la rythmique commence à charrier les eaux boueuses de la colère, le funk s'insinue et presse le mouvement, ondées et vrilles d'orgue de Zoot Money, cris dans le lointain qui se confondent avec des sirènes de voitures de polices, salmigondis sonores, surnage le mot de revendication primaire hurlé maintenant à pleine voix, freedom, la belle chose, la bonne chose, la chose droite, si tu ne te bats pas tu ne seras jamais libre.

C'est en mai 1968 que The Last Poets font leur première apparition publique pour commémorer la mort de Malcolm X, Every one of us est enregistré en juin, Eric Burdon est emporté par un mouvement de révolte collective beaucoup plus grande que sa petite personne, parfois l'Histoire se saisit de vous, et vous incorpore en son tourbillon, Every one of us paraît en août, Briggs et McCulloch ont déserté la mâture en juillet, c'est le chant du cygne noir des Animals, il reste encore un disque à paraître en décembre, voir ci-dessous, mais Every One of Us est à écouter comme une étape importante du blues, il clôt un cycle commencé dans le Delta, un enregistrement prodigieux qui interroge et surprend. Ce que les Doors n'ont jamais réussi à concrétiser avec l'enregistrement non retenu de The Rock is dead, parce que le sujet à cette époque ce n'était pas le rock mais le blues, ce que Steppenwolf n'a pas su magnifier car déjà engagé dans un des nouveaux avatars du blues : le hard rock.

 

LOVE IS...

ERIC BURDON AND THE ANIMALS

Eric Burdon : vocal / Zoot Money : bass, backing vocals, spoken words, organ, piano / Andy Summers : guitar, backing vocals / John Weider : guitar, violin, backing vocals / Barry Jenkins : drums, percussion, backing vocals / Robert Wyatt : backing vocals.

Quel titre ! Après Every One of Us l'on s'attendait à tous sauf à une titulature turlututu si cucul la praline ! Quelle régression conceptuelle ! Mais surtout quelle horrible pochette, la couve la plus kitch de toutes les sixties. Devait être sous je ne sais quel produit le Burdon pour avoir laissé passer cette ignominie, ou alors devait s'en foutre ! Pour les Animals les haricots rose bonbon étaient cuits depuis longtemps. Un double album de reprise qui sent le remplissage à plein nez, rien qu'à ouvrir le gatefold vous sentez que ça se gâte, quel mauvais goût surtout ne transmettez pas mes félicitations à l'auteur de cette horreur un certain Mitchel Brisker, à notre connaissance il n'a réalisé que quatre couvertures de disques, sans une once d'originalité, mais le sort s'acharne sur nous, celle-ci est de très loin la pire...

River deep, mountain high : Burdon n'a peur de rien, n'a-t-il pas osé voici à peine deux ans porter la main dans le saint des saint du rock'n'roll, touché à l'intouchable, et produire une cover au Paint It Black ( horreur et sacrilège ! ) des Rolling Stones, offrant une relecture du morceau qui équivalait à une re-création. Pour ouvrir Love is... il tape encore plus haut, ni plus ni moins que le wall of sound, le fameux mur du son de Phil Spector, et pire que tout rivaliser avec Tina Turner – les Stones apprirent d'elle tout ce qu'ils avaient cru comprendre du rhythm 'n' blues - c'est-là le genre de défi que le petit blanc de Newcastle aimait à se donner... impossible de rivaliser avec le torrent de Tina Turner qui déboule sur vous avec la force sauvage des flots de Poseidon emportant comme des fétus de paille les épais remparts de la mythique cité d'Atlantis, donc le Burdon et ses Animals font exactement le contraire, n'abattent pas les murailles, les construisent brique par brique, évidemment ça prend plus de temps, doublent le timing, et ils s'y mettent tous, décomposent les mouvements, chacun aura droit à son petit quart d'heure de gloire, même qu'au beau milieu le solo de Zoot à l'orgue un tantinet trop trop long nous fait dire zut, oui mais ça reprend du genre le sprinter aux JO qui s'arrête pour fumer sa clope, et qui repart pour passer en premier la ligne d'arrivée, mettent du cœur à l'ouvrage et le Burdon il vous écrase et crisse sa voix encore pire que Tina, du coup l'on a droit à des chœurs féminins qui surgissent là-dedans comme les commissaires de police venaient vérifier les adultères au début du siècle précédent, et tout le monde se met à miauler car il faut bien faire quelque chose et ils le font bien, bilan, loin d'être ridicules ont même rendu hommage à Tina au milieu du capharnaüm, certes ils n'ont pas le mur, mais ils ont le son, total z'ont élevé une tour phonique qui bouche l'horizon. I'm an animal : si le titre précédent était en quelque sorte un pari incontournable pour Eric Burdon le choix de celui-ci est lourd de signifiance quant à la suite de la carrière du très bientôt futur ancien chanteur des Animals, le titre est de Sylvester Stewart beaucoup plus connu par le diminutif de son prénom Sly auquel il faut ajouter le reste de la famille and The Stone Family... Sly and the Stone Family premier groupe d'envergure nationale muti-racial, précisons ( blancs et noirs ) genre de mélange qui n'était pas très apprécié aux States de l'époque... I'm an Animal est un extrait de Life le troisième album du groupe sorti en juillet 1968, sans doute vaut-il mieux s'attarder sur le titre du premier sorti en 1967 The whole new thing, cette totale nouvelle chose désigne certes une exigence de révolution ( a minima des mentalités ) à venir mais est aussi à comprendre en tant que volonté musicale de s'ancrer dans la musique noire – la New Thing est aussi l'autre nom du Free Jazz – dans l'idée d'un renouvellement, d'une fusion qui engloberait blues, jazz, rhythm 'n' blues et rock 'n'roll, le blanc et le noir, non pour tout égaliser en un gris uniformisateur mais de déboucher dans un éclatement de couleurs funkadéliques... Bon la petite Rosie de la famille Stone, une véritable petite chatte qui joue avec ses chatons sur le canapé, c'est mignon tout plein, vous auriez envie de la cajoler, mais le Burdon, question animal il en connaît un animax, faut pas le lui refaire, garde la bande son à l'identique, mais c'est vraiment le matou sauvage et vicieux qui compte aider à la multiplication de l'espèce féline, saute sur la chatoune et vous l'enfourne sans ménagement. Lui enfile au moins douze bâtards dans le pertuis. Dommage que question musique ils se soient contentés de recopier l'arrangement initial. I'm dying ( Or am I !?) : de Burdon, nous fait part de ses états d'âme, ce n'est pas le To be or not to be de Shakespeare, monologue un peu encombré par des chœurs – une fois féminin, une fois masculin – l'on ne sait pas trop où en est, une espèce de ballade country psyché ( ou psychosée ? ), grands effets de manches vocaux, un orgue qui vous marche sur les pieds, pas vraiment le pied. Qui trop étreint mal embrasse. Vous passez vite à la suivante. Ce qu'il y a de meilleur dans ce morceau c'est le titre. ( Fin de la face A ). Ring of fire : choking l'on quitte le blues pour le country le plus pur, le morceau fut créé  en 1962 par Anita Carter la fille de Mother Maybelle Carter, sans surprise puisqu'il était co-signé par sa sœur June Carter destinée à devenir l'épouse de Johnny Cash qui lui-même l'enregistra peu après la même année. Le deuxième co-auteur de Ring of fire n'est autre qu'un cousin éloigné de June – les dynasties country sont un tout-petit monde – Merle Kilgore, une sommité officielle de la country music, qui à quatorze ans côtoyait déjà Hank Williams. L'on peut s'amuser à traduire Ring of fire par les feux de l'amour, mais pour Merle Kilgore, l'expression ring of fire désignait très précisément la sensation que lui procurait la pénétration d'un sexe féminin. Faites un tour autour de la petite Anita, sa version n'est pas mauvaise, même si l'interprétation de Johnny Cash l'a éclipsée, le Burdon c'est un malin, il vous accentue le ralenti que Cash avait imposé, l'a jeté les trompettes et les mariachis, vise sur l'authenticité, vous prend une voix d'agonisant, et les chœurs imitent les grandes orgues de votre messe d'enterrement, la guitare s'étire lentement comme si on lui tirait les tripes centimètre par centimètre hors de sa caisse. Le Burdon, il vous fait la totale grand spectacle, l'anneau, le feu et les cendres. Que voulez-vous de plus ? Rien, alors vous le remettez, dans l'urne vous votez pour Burdon. Coloured rain : Burdon l'a trouvé sur l'album de Mister Fantasy de Traffic paru en décembre 1967, l'on comprend ce qui l'a attiré dans cette gentillette déclaration d'amourette, la prédominance de l'orgue, la dérive psyché qui ressemble ( en moins beaucoup moins fort ) à certains titres de Winds of change, le Burdon vous bouffe le morceau et tous les autres ne se privent pas pour l'imiter, à plein gosier, à pleines cordes, à pleines touches, la version Traffic ne fait pas le poids, une estafette de hippies qui n'osent pas conduire trop vite parce qu'ils se sont partagés un pétard à douze, le Burdon conduit un trucker chargé de quatre-vingt vaches destinées à l'abattoir, l'a avalé à lui tout seul douze boites d'amphétamines et il fonce sur la highway en dessinant des courbes sur la chaussée. ( Fin de la face B ).To love somebody : le Cat Zengler va lever les yeux au ciel de commisération, tiens je ne me souvenais pas que les Animals avaient repris Somebody to love du Jefferson Airplane, comme ce n'était pas l'air j'ai relu avec mes lunettes, ah non, c'est le To love somebody des Bee Gees, ce n'est peut-être pas mieux, sur la vidéo, ils ont vraiment l'air nunuche les frères Gibbs, des épouvantails déguisés en hippie, le Burdon il vous prend le vocal à la pince à épiler, heureusement qu'il fronce les cordes vocales sur les refrains, mais dès qu'une voix féminine vient le soutenir, il se fait tout doux comme un agneau qui vient d'apercevoir la Sainte Vierge ( l'autre nom de l'enceinte vierge ), certes c'est bien enlevé vous avez envie de faire le joli chœur à ses côtés, rien d'essentiel. As the years go passing by : incroyable mais vrai, retour au blues, un standard créé par Fenton Robinson, voix feutrée et guitare un peu à la J. J. Cale, Zoot Money au piano, même tempo, Burdon commence en spoken words, dès qu'il chante Weider poinçonne sa guitare, et c'est parti pour dix minutes de dérive, le piano qui insiste en sourdine, la guitare qui crie, Burdon qui hausse le ton et puis qui laisse la bride aux instruments, Burdon prend le mors au dent, et tout se calme comme s'il était en train de mourir... ( Fin de la face C ). Gemini + The Madman : l'on est à mi-chemin entre Animals et Dantalian's Chariot l'ancien groupe dissous de Zoot Money et Andy Summers, groupe psychédélic qui sonne très british, et la réunion des deux ressemble à un délayage des Beatles, Burdon prenant soin de ne pas écraser la voix de Zoot Money, un long passage d'effets psychédéliques dû à l'orgue de Zoot Money, un peu daté aujourd'hui, sur lequel vient se brancher un peu de spoken words qui se transforme en duo Money / Burdon qui met du temps à démarrer retardé par l'orgue qui imite le décollage d'une fusée interplanétaire, gémini parce que le yin et le yang ne forment qu'un... et l'on bascule sans préavis sur The Madman qui est en train de courir dans les champs, on suppose tout nu et sous acide... la musique sautille allègrement, nous un peu moins. Sonorité diverses finales. Pas très convaincant.

Cet album est une impasse, ce n'est pas qu'il soit mauvais, trop disparate, tire sur la corde des morceaux, mais Burdon fait du Burdon, il tourne en rond, trois disques en une année vous empêchent de vous renouveler. Le groupe se sépare. Ne pleurons pas, il n'avait plus grand chose à dire. Et puis Burdon a encore pas mal de colère à sortir de son gosier.

Damie Chad.

 

XXVII

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

109

Après les émotions de l'après-midi, Vince nous avait invités chez lui pour nous restaurer. Molossa et Molossito avaient chacun eu droit à un énorme os à moelle auxquels ils s'attaquèrent sans rémission. Trois heures plus tard il n'en restait plus trace et les chiens repus dormaient sous la table. De notre côté nous avions fait honneur au repas concocté par un traiteur, le meilleur de Nice avait déclaré Vince en décrochant son téléphone, nous avions été particulièrement bien soignés mais à peine la dernière bouchée les filles débarrassèrent avec une promptitude inaccoutumées assiettes sales et couverts, pressées par la déclaration du Chef devant le hangar aiguillonné.

    • Servons-nous le café ? interrogea Brunette

    • Bien sûr, mais nous le boirons sans sucre !

Ce qui aurait pu passer pour un observateur entré par hasard dans la pièce pour la déclaration d'un simple préférence gustative électrisa l'ambiance. Tout le monde avait compris, ce coup-ci nous nous apprêtions à porter l'assaut au cœur même de la citadelle du mystère, nous nous apprêtions à résoudre l'énigme la plus noire.

110

    • Vous m'excuserez damoiselles, le Chef examina longuement du regard Charlotte, Charlène et Brunette, si j'allume un Coronado c'est uniquement pour marquer la solennité de cet instant et vous permettre durant les trente secondes que durera cette opération de monopoliser toutes vos facultés intellectuelles, nous avons en effet besoin de toute la sagacité féminine qui nous manque à nous pauvres hommes de main davantage rompus au maniement des armes qu'aux subtilités mathématiques. ( Il est indéniable que le Chef savait parler à la gent femelle ). Vince auriez-vous par hasard dans un buffet une de ces boîtes à sucre en fer blanc dont s'honore la meilleure part des familles de France.

Lorsque Vince la déposa brutalement sur la table, la tension était si forte que tout le monde sursauta. Molossa eut la réaction la plus vive, elle aboya vivement, sauta sur mes genoux et renifla vivement l'objet, mais apercevant le dessin des deux jolis chatons tout mignons qui décoraient le couvercle, elle poussa un hautain soupir de commisération et retourna se coucher près de Molossito.

    • Agent Chad, nous feriez-vous le plaisir de recommencer votre démonstration.

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Je m'exécutai aussitôt, j'ouvris la boîte que je repoussai sur le côté et commençai mon boniment dès que j'eus extrait le paquet de sucre et déchiré le haut de l'emballage qui lui servait de couvercle :

    • Comme vous pouvez le constater, voici quatre rangées supérieures, chacune est constituée de

    • Quatorze sucres, me coupa Charlène

    • Ce qui fait pour ces quatre rangées cinquante-six sucres, ajouta Charlotte

    • Or il y a trois étages, nous avons donc

    • cent soixante-huit sucres, annonça fièrement Brunette

    • Justement c'est-là où le mystère se corse comme l'on dit à Ajaccio, voici le cent-soixante neuvième sucre, je le sortis de ma poche, nous l'avons trouvé dans la fameuse villa des Réplicants, ils ne l'avaient certainement pas laissé là au hasard, pourquoi ce cent-soixante neuvième élément quand la boîte ne peut en contenir que cent soixante huit !

A notre grande surprise les filles pouffèrent de rire :

    • Quoi c'est tout ce qui vous pose problème !

    • C'est enfantin !

    • C'est évident !

    • Je vais vous expliquer !

    • Non, pas toi, moi !

Elles se chamaillèrent un moment, comme elle ne pouvaient se départager elles décidèrent de plouffer. Le Chef profita des tricheries et des récrimination qui s'ensuivirent pour venir à bout de deux Coronado. Après d'intenses pourparlers le sort désigna Brunette.

    • Très simple, le cent soixante neuvième sucre n'est pas un sucre – nous devions faire des mines ahuries, notre surprise déclencha un fou-rire général – je vous rassure c'est un sucre mais il désigne tous les autres sucres, en fait il est-là pour symboliser l'emballage !

    • Nous sommes allés chez la mère d'Eddie Crescendo, nous avons passé en revue sa collection de plusieurs centaines de boites à sucres et je peux affirmer que nous n'avons rien vu d'étonnant, ces boîtes à sucre sont parfaitement innocentes s'écria Vince !

    • Comme les hommes sont idiots - s'exclamèrent-elles toutes les trois à l'unisson – nous ne parlons pas des boîtes en fer mais des emballages en carton ! C'est-là qu'il faut chercher !

Nous étions stupéfaits, le Chef fut le premier à réagir :

    • Agent Chad, réveillez les cabots et sortez la voiture du garage, nous partons chez la mère d'Eddie Crescendo !

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Nous nous garâmes dans une rue adjacente. La nuit était tombée. Aux alentours toutes les contrevents étaient fermés. Vince menait la marche. Il s'apprêtait à tourner à droite pour emprunter une mince ruelle mais Molossa se campa devant lui et grogna. Je la caressai mais à ses mimiques je compris qu'elle ne voulait pas que nous empruntions ce chemin.

    • Pas grave, murmura Vince, on revient sur nos pas, et on prend la prochaine à droite, c'est à peu près du pareil au même !

    • Pas d'accord lui répondit le Chef, il est pratiquement deux heures du matin, mettons-nous à la place de la mère d'Eddie Cresendo, six individus qui débarquent chez elle, c'est beaucoup, les filles elle vous ouvrira plus facilement, la première à droite, ensuite c'est au numéro 67. Quant à nous nous allons emprunter cette sente que Molossa nous interdit, les filles emmenez Molossa avec nous, j'ai récupéré quelques pétoires dans le vide-poche de la voiture, Vince est toujours prudent ! Exécution immédiate !

    • Ouah ! Ouah !

C'était un minuscule jappement, Molossito ne tenait pas à compter pour du beurre, d'un signe de main je lui fis signe de nous précéder. Il entra dans la ruelle tout guilleret la queue dressée toute droite comme un paratonnerre. Il fila tout droit sans nous attendre. Apparemment il n'était pas du même avis que Molossa. Je le rappelais à voix basse, mais il ne revint pas, il se contenta de s'arrêter brusquement, le nez à terre. Nous le rejoignîmes, il ne bougea pas, je me penchais, sa truffe était collée sur un minuscule objet blanc. Je le ramassais. Un morceau de sucre !

Déjà Molossito repartait en courant, une quinzaine de mètres plus loin il posa son museau sur un deuxième morceau de sucre, nous suivîmes la piste sucrière à toute allure, Molossito dénicha à intervalles irréguliers une trentaine de sucres, nous atteignîmes la maison de la mère de Crescendo en même temps que les filles. La porte d'entrée était grand-ouverte, nous n'eûmes pas besoin de pousser nos investigations bien loin, dans l'entrée la mère de Crescendo gisait à même le sol dans une mare de sang.

( A suivre... )