17/11/2021
KR'TNT ! 530 : LUKE HAINES / BEAU BRUMMELS / SLIFT / MICKEY & SYLVIA / ENOLA / EUDAÏMON / ROCKAMBOLESQUES
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 530
A ROCKLIT PRODUCTION
SINCE 2009
FB : KR'TNT KR'TNT
18 / 11 / 2021
LUKE HAINES / BEAU BRUMMELS / SFLIT MICKEY & SYLVIA / ENOLA / EUDAÏMON ROCKAMBOLESQUES |
TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Luke la main froide - Part Two
L’une des clefs permettant d’entrer dans l’univers des luminaries est celle d’une liste de leurs disques préférés. On voit tout de suite s’il existe des affinités. Dans un vieux numéro de Flashback, Luke Haines évoquait douze de ses disques favoris, démarrant bien sûr avec un single de Gene Vincent, «Over The Rainbow» et indiquant qu’à ses yeux, Gene was the greatest of them all. Puis il passe aux Stones avec Between The Buttons, à l’Airplane avec After Bathing At Baxters et au 13th Floor avec Bull Of The Woods, l’album enregistré sans Roky ni Tommy Hall - What a mysterious and very creepy fucker this album is - Par contre il surprend en choisissant le Third de Soft Machine qui pour les fans de Soft fut une grosse déception. Luke la main froide parle de monolitic jazz destruction, monolitic rock destruction, iconic meditation and more destruction. Chacun entend ce qu’il veut bien dans ce qu’il entend. Et puis bien sûr le Velvet et Syd Barrett. Il écoutait le Live 1969 chaque jour lorsqu’il était au lycée. C’est une grosse déclaration d’amour - I really like the Velvet Underground - pareil pour Syd Barrett - Barrett is the ultimate mandies album. Oh Syd, you were just too far out - Il indique que de nos jours personne ne pourrait enregistrer un album aussi génialement barré que Barrett et il a raison.
Chaque mois, Luke la main froide donne une chronique d’une page à Record Collector, ce qui permet de voir à quel point il reste attaché à l’underground britannique. On l’a vu dresser des éloges de Steve Peregrin Took, de Robert Calvert, des Pink Fairies, et de temps en temps, il ramène dans le rond de l’actu des gens comme Kevin Junior ou les Swell Maps. Si on lit chaque mois sa chronique (et pas nécessairement celles des autres chroniqueurs, ils sont quatre en tout), c’est sans doute parce qu’elle a du caractère. Luke Haines est un écrivain, comme on va le voir tout à l’heure, et même un grand écrivain, de la race des féroces pugnacitaires. Il manie sa langue avec fermeté et la travaille dans la masse de sa mélasse délictueuse, comme les Anglais savent si bien le faire. Voilà comment il amène son hommage aux Swell Maps : «There once was a time when everyone was looking for a semi-obscure band to take on the mantle of the ‘New Velvet Underground’». Alors il décide d’appeler les Swell Maps the British Velvet Underground. En plus, ça tombe sous le sens. Il pousse l’analogie très loin, comparant respectivement Jowe Head, Nikki et Epic à Nico, Lou and Cale. Puis il salue bien bas le premier album solo de Nikki Sudden, Waiting On Egypt, the actual missing link between Dragnet and Electric Warrior, a full-on assault of ultra-primitive intellectual posturing and shape-throwing. It’s a magnificent album. Il implore de lecteur de ne pas se fier aux apparences, c’est-à-dire aux coiffures à mèches et aux écharpes de soie - Reader, I implore you. Fear not the feather-cuts and the scarves, or the wayward vocals. Throw yourself into all things Nikki Sudden - Il rappelle que Nikki a fait 30 albums - You’ll thank me, or hate me - Voilà le vrai Luke, l’infâme provocateur qui a les moyens de sa provocation. Personne n’irait jamais conseiller d’écouter les 30 albums de Nikki Sudden, sauf Luke la main froide. Puis il passe à Epic Sounstracks, le petit frère de Nikki, rappelant qu’il fut dans les années 80 le batteur de Crime & The City Solution, puis de Rowland S Howard dans These Immortal Souls avant d’enregistrer un album solo, Rise Above, que Luke la main froide qualifie froidement de Big Star’s Sister-Lovers style heartbreak classic, et ajoute-t-il un peu plus loin, a guenine successor to Epic’s songwriting heroine Carole King’s Trapestry. Quand on a retrouvé Epic mort chez lui à West Hampstead, Nikki a déclaré que son younger brother died of a broken heart. Nikki décampa pour Chicago et tenta de renaître avec l’album Red Brocade que Luke la main froide recommande : if you need an entry point to Nikki Sudden, go here. Et puis après un gig à New York au Knitting Factory en mars 2006, Nikki fit une crise cardiaque. Heart attack. Il termine sa chronique ainsi : «However, la vraie tragédie, c’est que vous n’entendrez jamais ni Nikki Sudden ni Epic Soundtracks à la radio, partout dans le monde. C’est dommage, car ils sont deux des plus grands songwriters in all of rock’n’roll.» Voilà ce qu’il faut bien appeler un hommage vibrant. Heartbreaking.
Dans un autre numéro, il titre sa page ainsi : We need to talk about Kevin Junior. Il situe l’Américain Kevin Junior comme the final part of the Nikki Sudden-Epic Soundtracks axis of burning talent and horrible early death. Kevin Junior tourna nous dit Luke avec Epic et enregistra avec lui l’album posthume, Good Things, un album enregistré chez Epic à West Hampstead sur un quatre pistes - There are still a few copies out there. Seek one and you will never be without - Luke la main froide rappelle froidement que personne ne connaissait Kevin Junior, sauf ceux qui examinaient dans le détail les pochettes des disques d’Epic ou de Nikki. Il appartenait à la scène indé de Chicago, sa ville d’adoption et fit paraître deux albums sous le nom de The Chamber Strings, Gospel Morning et Month Of Sundays, sur lesquels Luke se lâche - The culmination of its influences (Carole King, Alex Chilton, Brian Wilson, power pop, country, gospel, blue-eyed soul, the Go-Betweens) - Et comme les frangins Nikki et Epic, Kevin Junior casse sa pipe de bonne heure, à 46 balais. Heart problems. Décidément, on n’en sort plus. À la fin de sa chronique, Luke s’adresse aux labels : «Then please reissue his recordings. That goes for Epic Soundtracks too. Ne laissez pas ces fantastiques artistes disparaître, se faire effacer de l’histoire et tomber dans l’oubli.»
Il continue sa croisade avec un hommage à Vic Godard dans un autre numéro : Is Vic there? Yes he is. C’est assez drôle car Luke la main froide rappelle le contexte : les quatre Subway Sect voulaient monter un groupe, mais ils n’avaient pas d’instruments. Alors Vic qui étudiait Molière proposa aux autres de jouer des pièces de Molière sur scène. Vic indique que les K7 doivent toujours exister quelque part. Ce premier album doesn’t need to exist, nous dit Luke, it just needs to be mythical. Oui enfin c’est vite dit. On se souvient des Subway Sect en première partie des Clash, et c’était assez pénible, car il faisaient semblant de savoir jouer. En évoquant les singles de Subway Sect, la main froide parle de 86 billion-carat classics. Pour lui, Vic est the South-London answer to Jackie Wilson. C’est vrai qu’il existe de bien beaux albums du crooner Vic. Et puis bien sûr arrive sous la plume de la main froide l’excellent End Of The Surrey People et du fameux «Johnny Thunders». Quand la main froide demande s’il recherchait la gloire, Vic répond «Nah» et ajoute : «I wanted people to write about me in 200 years’ time», à quoi la main froide rajoute : «I think his place is assured.»
Et puis bien sûr, voici le chouchou définitif, Mark E. Smith, dans une chronique que la main froide intitule The unutterably great lesser-known Fall. Il y évoque les albums moins connus de The Fall, Middle Class Revolt, The Unutterable et le dernier, New Facts Emerge. Et pouf, il se fend d’un «Frenz, let us dig deep into the lesser known corners of Britain’s greatest avant-garde showband: The Mighty Fall Group.» Il évoque la période Brix Smith et avoue avec un soupir que ce fut un soulagement que de la voir quitter le groupe. La main froide insiste pour dire que les albums des années 90 posèrent un problème à leur sortie (Middle Class Revolt et Cerebral Caustic) mais avec le recul, ils sont devenus extrêmement pertinents. Mark E. Smith picolait de plus en plus et il atteignit en 1998 le climaxing en se battant sur scène à New York avec ses musiciens et en se faisant ensuite coffrer par les cops pour misdemeanour assault charge. La main froide dit qu’il n’a pas vu le show du Brownies, mais il se trouvait dans le même hôtel que The Fall ce soir-là, car il jouait à New York avec The Auteurs au Mercury Lounge. Avec la période finale des quatre albums Cherry Red, la voix de Mark E. Smith avait changé, nous dit la main froide (perhaps due to illness) - The Smith bark-ah of the past had been replaced by a feral Alzheimer’s growl; un-pretty but utterly compelling - Et là c’est l’hommage fatal, lesté de tout le poids de la véracité : «Écoutez ‘Couples Vs Jobless Mid 30s’ sur l’album final New Facts Emerge et vous serez émerveillé de voir comment un outsider poet accompagné par a bunch of avant-garde carriers peuvent réinventer la rock-music.» Oui, car c’est bien de cela dont il s’agit : de réinvention. The Fall n’a fait que ça en permanence, réinventer le rock. La chute est somptueuse : «Chaque année, The Fall me manque. On ne voit plus paraître the new Fall album chaque année, comme avant. Ces albums devenaient de plus en plus fabuleux. Il ne reste plus grand chose à se mettre sous la dent - There is little to look forward to now - Il faut juste espérer qu’un jour Steve Hanley sera décoré pour les services rendus.»
Comme indiqué plus haut, Luke Haines écrit aussi des livres, et pas des petits livres. Ne vous fiez pas aux apparences, ces livres de poche ressemblent à des romans de gare, mais il s’agit en réalité d’ouvrages extrêmement redoutables. Bad Vibes - Britpop And My Part In Its Downfall paraît en 2010, avec en couverture l’homme à la tête de chou. Luke la main froide bat Léon Bloy à plates coutures. Sa violence verbale ne connaît pas de limites. Il ne fait pas bon traîner sous ses coups de hache. Luke la main froide voit la scène Britpop des années 90 de la même façon que Léon Bloy voyait la scène littéraire de l’Avant-Siècle : comme un ramassis de gens occupés à fouiller du groin le fumier de leur médiocrité, ceux que Laurent Tailhade qualifiait d’Imbéciles et Gredins. Tiens un petit échantillon de coup de hache pour se mettre en bouche : «En réalité, dans les années 80, le NME n’était qu’un sous-Socialist Worker. Christ, des ‘star’ writers comme Paul Morley désignaient Kid Creole & The Coconuts comme le futur of ‘New Pop. New Pop. Hahahaha.» Puis il s’en prend au Melody Maker qui ose le mettre, lui, Luke la main froide en couverture, avec ses cheveux longs for full messianic effect - I look like Peter Frampton on the sleeve of Frampton Comes Alive. Not a good look - Plus loin il se moque de Guy Chadwick et de House Of Love qui ont le malheur de passer en première partie des Auteurs - I feel no pity towards him. He’s yesterday’s man - Prends ça, Guy ! Il s’en prend plus loin à deux attachés de presse qui représentent les fleurons de la Britpop : «Le jour du Jugement Dernier viendra et ces deux-là auront à répondre de leur implication dans les pires atrocités de cette époque. On les condamnera pour avoir osé imposer ces calamités que sont Powder, Marion, Menswear et Echobelly à une nation affaiblie et décadente.» Du pur Bloy. Et il ajoute dans un spasme que la modestie n’est pas son style. Il ne rate pas Sting non plus : «Un homme qui a taillé son chemin vers le sommet à la seule force de son ambition, bottant en touche toute notion d’esprit et d’intégrité. Comme il est arrivé au sommet, il peut se pencher vers moi et me faire profiter de sa magnanimité. Thank you, Sting.» Il croise aussi Russel Senior, le guitariste/violoniste de Pulp : «Russell est déguisé en fasciste italien. Bientôt, le grand songwriter écossais Momus va me traiter d’Adolf Hitler de la Britpop. Je pense que ce surnom irait mieux à Damon Albarn.» Prends ça, Damon ! Damon est sûrement son pire ennemi, il y revient plusieurs fois : «Frischman is a drag, une arriviste phénoménale, avec deux jolis trophées à sa ceinture : Brett Anderson et maintenant Damon Albarn. Je n’avais pas vraiment prêté attention à lui jusqu’alors, mais aujourd’hui, le fucker se répand partout dans la presse, en disant le plus grand mal de mon groupe ou de Suede. Ce mec est une peste. La première fois que j’ai vu Damon et Justine ensemble, ils remontaient Camden Hight Street, un couple impressionnant, ils cognaient dans les gamins qu’ils croisaient, dans les passants et dans tout ce qui pouvait faire obstacle à leur ascension vers le sommet.» Il n’existe pas de polémiqueur plus féroce en Angleterre que Luke la main froide. Tiens, encore un exemple terrifiant, sous forme de note de bas de page : «La première chasse aux sorcières d’Hopkins eut lieu en 1644, à Manningtree, un village situé près de Colchester. Dix-neuf ‘sorcières’ furent pendues et quatre moururent sous la torture. Hopkins travaillait ses victimes à la pointe du couteau. Il cherchait l’endroit insensible, the ‘witch’ point, qu’on appelle aussi la marque du Démon. Damon Albarn est originaire de Colchester.» Ce démon de Luke la main froide ne s’arrête pas en si bon chemin. Il erre dans la Britpop et règle ses comptes brutalement. Un jour, il se trouve embarqué pour une tournée américaine en première partie de Matt Johnson, qui demande à tous les participants de se présenter à lui sur scène pendant le premier soundcheck. C’est son discours de bienvenue et il rappelle à tous qu’il est le boss. La main froide vit mal, très mal cet épisode : «Le discours de Johnson était aussi rassurant qu’une invitation à aller prendre une douche pour se rafraîchir à Dachau.»
Comme celle de Léon Bloy, sa férocité déclenche souvent l’hilarité. Fatigué par toutes ces abominations, par tous ces comportements et par toutes cette médiocrité artistique, Luke la main froide songe à se retirer du showbiz, mais les gens de sa maison de disques insistent pour qu’il tente le coup du break-up aux États-Unis : «Crap new comedy band Oasis leur font signe, et ils tournent autour comme des mouches sur de la merde. C’est peut-être le moment d’aller aux États-Unis. Kurt Cobain n’est mort que depuis quelques mois. Il a de la chance. Pas de meilleur moment pour mourir.» Mais il se retrouve quand même dans l’avion avec Oasis («Derivative northern boors») et the Verve («Useless prog rockers»). Et dans une note de bas de page, il ajoute : «The Verve. Utterly hopeless. Mass appeal and stupidity are, sadly, intrinsically linked. See also Oasis, U2.» Il raconte un peu plus loin une rencontre dans Camden avec Noel Gallagher. Il essaye de l’éviter, mais Noel le voit et vient le féliciter pour la qualité de ses pop songs (You’ve got some pop tunes!). Et là Luke ajoute : «Oh dear, it’s so disappointing when one’s enemies don’t turn out to be complete cunts after all.»
Il arrive que l’hilarité prenne le pas sur la férocité et là il devient un vrai Monty Python à lui tout seul. L’épisode se déroule pendant la fameuse tournée américaine avec Oasis et The Verve. Au pied de l’hôtel se trouve une fontaine et la nuit, après le concert, les mecs d’Oasis et de The Verve complètement bourrés viennent y chanter «Two World Wars and one World Cup». Luke la main froide est excédé, surtout par le roadie Pete Wolf qui, dans le même état que les autres qui sont partis se coucher, continue de chanter à tue-tête : «Fucking cants fucking cants fucking cants». Luke sort le German flare gun (pistolet de détresse) qu’il a acheté dans une armurerie américaine, comme le font tous les touristes, et vise Pete Wolf’s stupid bonce, c’est-à-dire la stupide bobine de Pete Wolfe : «Jesus Christ, le vendeur ne m’avait pas menti, le gun a un sacré répondant, ça part dans tous les sens, on se croirait pendant les derniers jours de Saïgon, je m’attends même à entendre le Star Spangled Banner de Jimi. Bien sûr, je n’ai pas réussi à atteindre ce stupide roadie, mais comme il se croit victime d’une attaque mortelle, il a plongé dans la fontaine. L’éclair de la fusée est tellement aveuglant qu’il ne peut pas savoir d’où le coup est tiré. Évidemment, je suis triste d’avoir raté ma cible et de ne pas avoir tué ce con (kill the cunt), mais je décide d’aller me coucher avant l’arrivée des secours.»
Ce book qui est l’équivalent britannique du Désespéré de Léon Bloy évoque la scène anglaise des années 90 qu’on appelait Britpop, dont Luke la main froide fut l’une des figures de proue avec The Auteurs et un fantastique premier album, New Wave, évoqué dans un Part One. Dans une courte introduction, il déclare : «Quand je me suis assis pour écrire ce recueil de mémoires, je fus surpris de constater à quel point ces souvenirs ricochaient dans mon subconscient : la jeunesse, l’ambition, l’échec, la dépression, les excès, le dépit et la stupidité. Maintenant je crois que c’est fini. Je suis un egomaniaque en convalescence.» Puis il re-situe le contexte : «En 1986, la presse musicale britannique était occupée à baver sur les Sonic Youth qui se croyaient intelligents et qui ne l’étaient pas vraiment. Elle fait aussi semblant d’écouter les Butthole Surfers.» Puis il rencontre David Westlake, le mecs des Servants, avec lequel il s’entend bien. Pourquoi ? Parce qu’ils écoutent les mêmes choses : Modern Lovers, The Fall, le premier album des Only Ones, Adventure de Television, Wire et les Go-Betweens. Ailleurs, il rend hommage aux Modern Lovers, rappelant que John Cale produisit les sessions qui allaient devenir The Original Modern Lovers and this is the one you want, mais il faut aussi choper les sessions produites par Kim Fowley et notamment cette version de ‘Don’t Let Your Youth Go To Waste’. Il revient sur le Velvet pour dire que ses deux albums préférés du Velvet sont le third album et Loaded - «Heroin» sur le premier album est génial quand on l’écoute à 13 ans, mais c’est une chanson sombre, implacable et solipsiste, c’est-à-dire auto-centrée qui n’a pas les uh-uh-uh et le white-boy-hanging-with-the-pimps-in-Harlem sass d’«I’m Waiting For The Man». Quant à «Sister Ray», c’est idéal pour faire chier les voisins, mais il faut passer à autre chose car la vie est trop courte. Je préfère the sunny nihilistic resignation of ‘Oh Sweet Nothing’. Ce qu’avait aussi très bien compris Jonathan Richman. Ce Velvet nut a enlevé tout le côté dirty-needles-and-hepatitis des chansons de Lou Reed and just kept that beat.
Bien que n’ayant que 19 ans, Luke la main froide se considère comme appartenant à une petite caste : «Lawrence from Felt, Bobby Gillespie, Alan McGee, Grant McLeman, Robert Forster et David Westlake.» Surtout Lawrence - Lawrence , a rock star in is mind only, travels with a small entourage - C’est l’époque où il sort son neo-glam masterpiece Rock In Denim. Luke choisit de baptiser son groupe The Auteurs pour la simple beauté du nom. Rien à voir avec la Nouvelle Vague et le cinéma français - It’s one of the all-time great band names. Like the Supremes ou the Monkees. But for intellectual snobs - Puis il trouve un manager nommé Tony Beard qui tenta de relancer la carrière de Peter Perrett - This alone is enough for me - Luke et son groupe se retrouvent en tournée, en première partie de Suede - Suede ne sont plus les chouchous des critiques. Ils sont entrés dans les charts et sont à la pointe du teenage rampage - La tournée a lieu en septembre/octobre 1992 - Ils sont devenus énormes, supercharged, violent and commanding. Dans les années à venir, la populace gazée par les relents de Britpop aura oublié the guenine pop mayhem of the early Suede shows - Luke a raison, Suede fut en son temps l’un des groupes les plus balèzes de la scène anglaise et il ajoute qu’il était ravi, lui, la main froide, de se retrouver au centre de ce chaos et de voir jouer Suede sur scène tous les soirs - Il ajoute un peu plus loin : «The Auteurs sont européens, intenses et intellectuels. Suede are a quick fix, backed beans and sulphate.» Il ne supporte pas les Boo Radleys et leur ‘resident genius’, Martin Carr. Bizarre, car les Boos sont excellents.
Il parle très peu des drogues. Il dit prendre du speed car c’est le prefered narcotic de Lou Reed and Mark E. Smith then it was good enough for me. Il rend aussi hommage à Steve Albini, qu’il considère comme son égal - Une course de chars à la Cecil B de Milne (sic), un embrocheur de première qui n’hésite pas à monter à l’abordage, un oracle rock’n’roll avec le curseur tourné sur ‘Hautement Subjectif’. Il a même quasiment raison à 70% sur la moitié des conneries qu’il débite. J’adore ce mec. Il est l’un des plus grands ingés son de tous les temps. Ever.
Mais c’est en tant que styliste que Luke la main froide fait la différence. Il se rend dans une soirée et s’exprime comme Sommerset Maugham : «J’ai choisi de détourner le dress code en portant un chapeau Mac beige légèrement souillé. Je lance ce soir mon look de photographe d’avant-garde. It is the least I can do.» Il devient encore plus délirant sur le ferry qui le ramène en Angleterre : «Cet état de succès larvaire me donne carte blanche pour aller répandre mon effarante bonhomie parmi les membres de Pulp et siffler un early morning verre de vin rouge au bar du ferry, avant d’aller sur le pont me pavaner dans un trois-quart en velours beige outrageusement laid.» Plus loin, il évoque David Gray que tout le monde a oublié : «Gray croit ce qu’on raconte, que je suis un aristo hautain qui condescend à porter le regard sur lui. Il a raison aux deux tiers, mais au fond, c’est vrai, je ne cherche pas à fraterniser. Je pense qu’il n’existe rien de pire que Gray.» Luke joue à Paris et un promoteur gay le drague : «Naturally, I décline his amourous advances. ‘Vous cassez vous peu de poof’ (sic) I smile. Il répond : «Ha ha Fuck you, you English sheet», flashing a mouth full of blackening dentures.» On est dans les catacombes de la langue, là où rampe toute la violence existentielle. Il a aussi une façon très particulière d’analyser les réactions des critiques et du public : «Quand le premier album est sorti, j’étais parfois flatté par les critiques, mais jamais surpris ni soulagé. Cet album ne méritait pas moins. Maintenant, à ma grande surprise à mon immense soulagement, les critiques de Now I’m A Cowboy sont unanimement fucking great. Rien en dessous de quatre étoiles dans la presse. C’est une époque très bizarre. Vous savez que vous avez enregistré un album de qualité inférieure et tout le monde l’aime - une situation que ne manquera pas de s’inverser dans les années à venir.» Et il ajoute un peu plus loin : «Le fait que je sois dans le Top 20 est à la fois une surprise et un soulagement. Après les deux derniers singles, je redoutais le pire. (Rassurez-vous, le pire viendra bien assez tôt). Apparemment, mes succès et mes échecs sont dus à une espèce de phénomène cosmologique qui n’a rien à voir avec l’art et qui porte le nom de contexte.» Là Luke triche un peu, car il n’a pas encore le courage de reconnaître qu’il fait de mauvais albums. Il évoque aussi, à sa façon, les ravages commis par les drogues sur les cervelles étriquées : «Durant les années 90, la horde Britpop dévorait les drogues de classe A comme des paysans invités à un festin pour y manger à volonté. Et certains de ces Britpoppers furent Dequinceyed jusqu’aux branchies. Preuve, si besoin en était, que l’héroïne ne libère pas toujours the dark creative beast.» Et toujours ce regard désabusé qu’il porte sur lui-même, à l’anglaise : «Juin 1994, je me retrouve en plein cliché rock’n’roll. Ça ne m’a pris que 18 mois pour devenir une sorte de moi-même. Ça va s’aggraver avant que ça ne s’arrange. Et c’est exactement ce qui se passe.» Puis il revient à sa marotte - First rock star? Oh please. Marc-Antoine, Brutus, Wilde, Paganini... La liste est longue. On n’en finirait pas. La fixation sur l’iconographie nazie date de l’adolescence, profondément stupide et immature. Comme l’est globalement le grand rock’n’roll - Il se sait à part, alors il cite un exemple, celui d’un auteur génial pas très connu en France : «De la même façon que le Vorticiste Wyndham Lewis - un Lewis que haïssait le grand Bloomsburry group - je me construis la réputation d’un contradicteur.» Mais le désabusement finit par le ronger comme l’acide ronge le métal. La fin du book a un parfum de décomposition, mais fabuleusement littéraire : «1996 fut une année horrible (the kaleidoscope of shit that is 1996) - les indignes apparitions à la télé, les ventes déplorables, l’irrépressible ascension des groupes qui m’étaient inférieurs, la fin de mon groupe et son cadavre pourrissant que j’ai dû traîner une dernière fois en tournée - Je restais obsédé par une seule chose : achever l’enregistrement de l’album Baader Meinhof et essayer le plus possible de ne pas saccager les sessions.» Il nourrit une véritable fascination pour Baader et tous ces mecs qui ont fait la légende de la lutte armée : «Tu peux te garder ta pochette d’Absolutely Live et ton Jim Morrison en pantalon de cuir. Je préfère un mauvais photomaton de Carlos the Jackal. Immortality or inhumanity. Le rock’nroll peut seulement fournir une version séculaire de l’immortalité, alors que le terrorisme conduit aux deux en même temps. The Baader Meinhof album ne demande qu’une seule chose : être jugé sur sa pochette. Terrorisme chic. Vous devriez adorer ça.» À ce niveau d’excellence, la provocation porte le nom de cynisme, un art typiquement anglais. Et vers la fin, il se donne le coup de grâce : «Happy fucking Christmas. Je viens de faire deux albums difficiles et ma popularité en a pris un coup, but Jesus, tout cela devient extrêmement ridicule. Non seulement je suis devenu impopulaire, mais maintenant je fais tout ce qu’il faut pour devenir impopulaire.»
Deux ans plus tard, il fait paraître la suite de ses aventures au pays de la Britpop. Sur la couverture de Post Everything. Outsider Rock And Roll, il apparaît caricaturé dans son petit costard beige frippé et slightly soiled, comme il le disait de son chapeau Mac dans l’ouvrage précédent. Il s’adresse donc aux outsiders. Cette fois il rend des hommages pour le moins spectaculaires aux groupes qu’il admire, Sabbath, Mott, Doors, Motörhead, Lennon, Hawkwind, MC5 et Television, concentrant le gros de ses troupes dans un paragraphe final qu’il intitule Further listening. Et là, forcément, on le suit à la trace : «Les cinq premiers albums de Sabbath parus sur Vertigo commencent à peine à être compris par les rock-critics, même si cela n’a plus aucune importance. Le Midland death trip d’Ozzy culmine en 1975 avec l’album Sabotage qui depuis la pochette jusqu’au contenu est l’un des albums de rock les plus étranges jamais enregistrés. Les paroles sont pour la plupart signées by Brummie shaman Terry ‘Geezer’ Butler.» Il s’étend encore plus longuement sur Sabbath dans une note de bas de page : «Ozzy chante comme un homme qui serait à la recherche de la partie manquante de son cerveau.» Et il revient sur Sabotage, «the most psychologically damaged record (just look at the sleeve)». Mais qu’est-ce qu’on a pu adorer cet album à sa sortie, on parlait dans notre petit groupe du grondement des hauts-fourneaux de Birmingham. Luke la main froide n’en finit plus de porter Sab aux nues : «Without doubt some of the greatest rock’n’roll ever made. These records fucking swing, man.» Il fait exprès de s’exprimer vulgairement, pour mieux coller au terrain. Luke la main froide sait créer les conditions d’une fascination, un art réservé aux grandes plumes anglaises et à une seule et unique plume française, celle d’Yves Adrien, Outsider lui aussi. Mais comme chacun, sait, mieux vaut être outsider que rien du tout.
Avec ce paragraphe final, Luke la main froide enfonce de sacrés clous. Il salue Mott avec ce qu’il appelle the essential Mott the Hoople albums, Brain Capers, All The Young Dudes, Mott, The Hoople, quelques albums solo de Ian Hunter - All American Alien Boy is perhaps the under-appreciated jewel - Puis il passe aux Doors - Il y a les hommes et il y a les petits garçons. If you you don’t get the Morrison, I know which one you are. Si tu n’aimes pas les Doors, tu n’as rien à faire ici. Ici, on rend hommage à l’éclat de la mauvaise poésie d’un alcoolique, aux pantalons de cuir, et aux shamans priapiques. Ici, on parle de rock’n’roll. Pour entendre les Doors en tant que existentialist bar band (tel que défini par Jim), écoute Morrison Hotel - Plus loin, il en rajoute une petite couche : «Un panthéon rock’n’roll sans Jim Morrison ne serait pas un panthéon. Quand Jim a plongé dans sa baignoire, non seulement les Doors ont perdu leur chanteur, mais le rock a aussi perdu la possibilité d’entrer en communion avec des Indiens morts, et ça les amis, c’est une tragédie.» Il dit aussi sa fascination pour le Lennon post-Beatles - C’est intéressant de voir que much of Lennon’s infinitely superior post-Beatles output se réduit de façon caricaturale à «Imagine» - Puis Luke met les gaz pour Motörhead, vroaaaaaaar, on sent qu’il aime ça, les gaz - Il a fallu Overkill et Bomber pour peaufiner l’esthétique Motörhead. Ace Of Spades sonnait déjà comme une parodie, mais diable, le public achetait en masse. Quand Lemmy fut propulsé dans la stratosphère en 1980, son vieux groupe Hawkwind avait mangé son pain blanc. Tous leurs albums enregistrés sur United Artists sont essentiels, In Search Of Space, Doremi Fassol Latido, Space Ritual, promu comme un «90 minutes brain damage», et Hall Of The Mountain Grill sur lequel on trouve le proto-Pistols «Psychedelic Warlords». Quand le Space Poet Robert Calvert est devenu le chanteur du groupe, Hawkwind s’est métamorphosé pour devenir méconnaissable. Hawklords - 25 Years On pourrait bien être their finest half-hour - Et dans la foulée il se prosterne jusqu’à terre devant Captain Lockheed And The Starfighters. Il rend aussi hommage à Yoko Ono et au Plastic Ono Band, qui pour lui sonnaient comme le early Public Image Ltd. Avant-garde corporation - Plastic Ono Band is the real primal scream album - This is what the Beatles could have sounded like if they’d carried on after sad Mac hopped off - Il dit aussi le plus grand bien d’un album de Scritti Politti, Anomie And Bonhomie - This late expansive sounding production was never off my turntable. Big influence on The Oliver Twist Manifesto - Il salue aussi les premiers albums de Quo - Ma Kelly’s Greasy Spoon, Dog Of The Two Head, Piledriver and their 1976 masterpiece, Blue for You. C’est seulement après Whatever You Want que Quo fut considéré comme some kind of joke. Il aime bien l’Uncle Meat de Zappa, c’est d’ailleurs là-dessus que s’achève sa rétrospective de ce qu’il appelle les grands disques.
Dans le cours du récit, il rappelle aussi sa passion pour les Dolls et Lou Reed, qu’il partage avec John Moore, l’ex-Mary Chain avec lequel il monte Black Box Recorder. On retrouve la filiation Mary Chain dans l’hommage de bas de page qu’il rend à Earl Brutus, «a chaotic, raucous glam situationist mid-90s rock’n’roll groupe fronted by the late, great Nick Sanderson.» Il rappelle aussi que Sanderson avait joué dans le Gun Club et les Mary Chain. Luke dit avoir vu «Pop Music is wasted on the Youth» sur un T-shirt d’Earl Brutus, une formule qu’il adore et qu’il utilise. Il traite aussi les Go-Betweens de greatest pop group since the Monkees.
Plus loin, il rend un hommage retentissant à Sam Phillips qui, dit-il brancha son micro à valve dans un Ampex deux pistes en juillet 1954 pour enregistrer non seulement la voix d’Elvis, mais aussi son psyche - He was capturing sur une bande magnétique deux pistes l’odeur de la gamine de Tupelo dont Elvis avait caressé le vagin - Luke la main froide est très fort à ce petit jeu, il cite un autre exemple : «Quand James Williamson fout le trebble à fond sur sa Les Paul pour jouer le riff d’intro de «Search And Destroy», ce n’est pas le son d’une guitare branchée dans un ampli qu’on entend, mais on voit le jean argenté que porte Iggy, celui qu’on voit au dos de la pochette de Raw Power - Iggy’s idiot savant silver flares flappin’ in the breeze. Psycho - acoustics.» Alors bien sûr il fait la comparaison avec Pro Tools. Quand on clique sur ‘Record’, il manque tout ça, la sueur d’Evis, l’odeur de la petite chatte de Tupelo, le jean argenté d’Iggy. À la place, on a «the aural equivalent of budget-range fish fingers for twenty-century ears. Si Elvis avait été enregistré en mode digital, on l’aurait oublié avant même qu’il ne parte à l’armée.»
Il rend aussi un hommage de bas de page à Guy Debord et aux Situationnistes, un mouvement qui a bien fasciné les Anglais - A group of artists and writers who were against art - une mouvance à laquelle Luke rattache King Mob et the Angry Brigade et tout cela finira avec l’avènement des Pistols, bien que, précise-t-il, John Lydon n’ait jamais mentionné les Situ. Luke évoque aussi une conversation téléphonique avec Bowie qui le félicitait pour ses chansons et en retour, Luke a l’impudence de lui dire qu’il préfère ses albums des années 70, à quoi Bowie répond qu’il est d’accord. Hommage aussi à Television - Marquee Moon was sacrosanct, and its follow up, Adventure, nothing less than a noble failure - L’hommage le plus percutant de tous est sans doute celui rendu au MC5 et à leur wild ride across Amerikkka - Au moment où ils enregistrent Kick Out The Jams Motherfuckers, le MC5 et Sinclair sont harcelés par les flics. Au XXIe siècle, un groupe anglais devrait abattre un flic pour atteindre la notoriété qu’avait tragiquement acquise le MC5 en son temps. Oui, ce fut une tragédie. Après leur premier album, ils étaient foutus (fucked). Kick Out The Jams Motherfuckers était un documentaire incendiaire - Pour eux, la révolution était imminente. Luke préfère High Time, le troisième et dernier album du MC5 - an album of high-realisation inseparable from the era it was made in - Et il se paye une grosse déprime en évoquant l’inévitable reformation des surviving members et l’encore plus déprimante collaboration avec Primal Scream - In our age of no imagination, aucun groupe à succès ne va splitter au bout de six mois et Primal Scream ne splittera jamais, ils sauront toujours passer un bras autour des épaules d’une légende pourrissante et sauront toujours se livrer à une humiliante danse macabre. Just don’t get me started on the New York Dolls.
Question éthique, Luke garde la main froide : «Le rock’n’roll est une affaire de young men, tout au moins devrait-il l’être. Même quand j’avais 25 ans, au commencement des Auteurs, faire partie d’un groupe pop me semblait embarrassant. J’espère ne jamais finir comme Bobby Gillespie. Maintenant, à l’âge de 32 ans, je me sens complètement décrépit à l’idée de faire encore partie d’un groupe pop.» Il renoue aussi avec sa chère hilarité en racontant un épisode de beuverie avec John Moore : «John Moore et moi célébrons notre sortie du purgatoire de la manière la plus sensible que nous connaissons : en nous soûlant la gueule. La patronne du Spread Eagle nous dit gentiment qu’elle a déjà lavé les carreaux ce matin alors qu’elle est en train de tirer gentiment mais fermement John Moore qui est justement en train de lécher ces mêmes carreaux.» Évidemment, ça dégénère : «À l’apogée de notre soûlographie, John Moore ne trouve rien de mieux pour s’occuper que de se pencher par la fenêtre du pub et d’inviter les passants à entrer pour se battre avec lui.» C’est drôle comme une fois traduits ces petits passages retombent comme des soufflés, alors que dans leur forme originale, ils sont intrinsèquement délicieux.
On va finir avec quelques petits éclats de férocité et savourer une dernière fois l’aimable talent d’exécuteur public de Luke la main froide : «En 1997, la bulle Britpop avait explosé. Damon Albarn eut la sagesse de refuser la perche que lui tendait le gouvernement à venir. Mais les plus bêtes l’acceptèrent. Gallagher et McGhee burent goulûment au calice empoisonné. Qu’espéraient-ils ? Britpop politics ?». Autre épisode redoutable. Quand ils montent Black Box Recorder, ils ne sont que trois, Luke et sa guitare, John Moore et sa perceuse Black et Decker et une chanteuse, Sarah Nixey. Mais pour partir en tournée, leur label pense qu’il faut étoffer le line-up. Ils décident donc d’embaucher the oddest rhythm section in the world : Chris Wyles, l’ex drummer de Shaking Stevens et Punky Tones que leur prêtent les Buzzcocks. Luke et John Moore rencontrent Punky Tones pour la première fois dans un pub de Wardour Street, «accompagné de Glen Matlock, d’un book sur Badfinger, d’un sac contenant les albums de T. Rex, d’un aréopage de jurons et d’une forte odeur d’huile de patchouli». Bien sûr, Luke se moque, il prépare l’assaut final, la première répète : «Le mec est old school, il vient de l’époque du premier album de Motörhead et s’arrête au moment du split des Pistols. Punky Tone, champion olympique du juron et rocker olympique, vous ne voudriez pas l’avoir comme ennemi. ‘Me and you dahn the front!» Oh God c’est à moi qu’il parle ! ‘Fackin’ Piledriver!’ crie Punky Tone, jambes écartées, la tête penchée en avant, la basse si bas que je reconnais aussitôt la pochette de Piledriver. ‘Fackin’ come on!’ ordonne le commander of rock. Il ne plaisante pas. La bonne position dans l’orthodoxie du rock est tout pour un homme comme Punky Tone. Alors j’obéis avec enthousiasme et me mets à côté de lui, faisant de mon mieux pour refaire la pochette de Piledriver, l’album classique du Quo qui date de 1972, l’archétype de mindless shuffle rock. Nous brisons la glace. Sarah Nixey n’en revient pas d’assister à ce spectacle.»
Allez, un autre petit coup de hache pour la route, cette fois sur the music industry - Aucun de ces ex-music journo vieillissants n’a jamais vu un contrat de major label, n’est jamais monté dans le buisness end d’un tour bus, et n’a jamais mis les pieds dans un studio d’enregistrement. Who killed Bambi ? I’ll tell ya sucker, so listen good - Le pire est à venir avec la rencontre du batteur de Supergrass qui lui demande au bar s’il veut rencontrer Bono. Avant que Luke n’ait eu le temps de dire, ‘No, not really’, le drummer de Supergrass est parti chercher Bono et revient, «accompagné de l’extrêmement stupide chanteur de U2. Ce genre de situation ne donne jamais rien de bon. Les dés sont faussés dès le départ. On aura dit au chanteur de U2 que j’avais sollicité une audience de sa bienveillance, que je connais bien son œuvre et que je lui voue le plus grand respect. Bien sûr, je ne sais presque rien de ce minuscule fucker, je frissonne de dégoût au souvenir de «New Years’ Day» et ça s’arrête là. Comme chacun sait, le showbiz et le rock’n’roll sont un jeu de miroirs et le chanteur de U2 y joue un rôle de shaman messianique. Fuck that, buster. Son château de cartes ne repose que sur le plus stupide des principes : on vivrait dans un monde privé de nuances. Deux mots, chanteur de U2, comme l’aurait dit Tom Verlaine : ‘Massive twat!’» Ce qui n’est pas très flatteur. On traduirait ça ici par ‘gros connard’. Bon le chanteur de U2 arrive dans le petit groupe, «serre les mains en posant des questions, comme s’il était un fucking royalty. Arrive mon tour. Je ne tends pas la main mais je le ferai si nécessaire. J’ai des manières, mais je ne ressens pas le besoin de les montrer. Le chanteur de U2 me fixe à travers ses stupides lunettes à verres fumés, ricane et continue d’avancer, m’ignorant totalement. Peut-être qu’il sait lire dans les pensées. Le drummer de Supergrass semble embêté pour moi, mais il ne devrait pas, car rien n’est meilleur dans la vie que d’être snobbé par un imbécile.»
L’idéal serait bien sûr écouter son dernier album, Luke Haines On... Setting The Dogs On The Post Punk Postman. On y trouve un cut mythique, «Ivor On The Bus». Il s’agit bien sûr d’Ivor Cutler, qui est l’un des héros de John Peel et qui nous dit la main froide est aussi son voisin - Mr. Cutler used to be my neighbour, we would occasionally meet on the C11 bus (from Archway to Brent Cross) - C’est une pop anglaise assez convaincue d’avance et pour l’occasion, la main froide ramène un son superbe - Sing a song with Ivor on the bus - L’énormité de l’album s’appelle «Two Japanese Freaks Talking About Nixon & Mao». Il nous fait le coup des effets de chant et revient dans la vague comme un London silver surfer, ce mec est un démon du même acabit que Lawrence, il développe des tonnes de son et attaque son wall of sound à la wah. Il développe encore d’énormes quantités de chant dans «I Just Want To Be Buried», un chant qu’il entourloupe à coups de virevoltes de sonic trash. Ce monsieur se plaît à cultiver l’excellence. Il laisse pour ce faire traîner une guitare infectueuse dans son couplet chant, elle est là juste derrière. Fuck Luke n’écoute que des bons albums. Il est vieux mais il continue d’y croire sous son chapeau, il fait avec «Andrea Dworkin’s Knees» son vieil Auteur sénile, avec sa mauvaise haleine, il perpétue une tradition bouffée aux mites. D’ailleurs, dans l’«Ex Stasi Spy» d’ouverture de bal, il chante à l’intimisme des premiers temps, l’Auteur chante d’une voix de cancéreux, il développe son power balladif à l’étouffée de haricots verts, il excelle dans l’art du ridicule de vieux crabe qui se prend au sérieux, son ex stasi pue l’ecstasy, il est comique et anecdotique, mais en même il faut faire gaffe à ses coups de hache, c’est un sanguin. Il zèbre son «U-Boat Baby» d’éclairs de vieille serpillière énervée et vise chaque fois le chant de Concorde. Il joue de tous les instruments, accompagné de Tim Weller aux drums. Il travaille la pop de «Yes Mr Pumpkin» à la vacharde, avec une voix de faux-filet. Il termine cet album cocasse avec le morceau titre au cours duquel il appelle Epic Soundtracks !
Signé : Cazengler, lancelot du Luke
Luke Haines : Jukebox. Flashback # 5 - Summer 2014
Luke Haines : Is Vic there? Yes he is. Record Collector # 493 - June 2019
Luke Haines : A trip back to Marineville. Record Collector # 494 - July 2019
Luke Haines : We need to talk about Kevin Junior. Record Collector # 495 - August 2019
Luke Haines : The unutterably great lesser-known Fall. Record Collector # 511 - November 2020
Luke Haines. Bad Vibes. Britpop And My Part In Its Downfall. Windmill Books 2010
Luke Haines. Post Everything. Outsider Rock And Roll. Windmill Books 2012
Luke Haines On... Setting The Dogs On The Post Punk Postman. Cherry Red 2021
Tout nouveau tout Beau Brummels
À tout seigneur tout honneur : c’est à Alec Palao qu’échoit la mission de restaurer la grandeur des Beau Brummels dans Shinding!. Dès le chapô, Palao polit son panégyrique paléolithique : il traite des Brummels d’innovators qui préemptent les nascent themes of baroque-pop, Americana et country-rock. Comme on dit chez les goinfres, Palao n’y va pas avec le dos de la cuillère.
En fin limier, il amène son propos en cite l’exemple des groupes qui disparurent avant de devenir célèbres, et les deux exemples sont bien sûr ceux du Velvet et de Big Star. Pour lui, les Brummels ont connu le même destin. Il cite aussi l’exemple des Monkees qui n’ont été reconnus que longtemps après que les poètes aient disparu.
Originaires de San Francisco, les Brummels - comme d’ailleurs les Groovies - furent en quelque sorte négligés, car ils restaient en dehors de la scène psychédélique alors en odeur de sainteté. Ils ne prenaient pas d’acides avec les célébrités locales et s’attachaient à cultiver leur différence, ce qui bien sûr les marginalisait d’office. Tout se met en route sous l’impulsion du gros Tom Big Daddy Donahue et de son label Autumn Records. À l’époque, Donahue emploie un jeune ingé-son black nommé Sly Stewart, le futur Sly Stone. C’est là que les Brummels pondent leur premier hit, le fameux «Laugh Laugh».
En 1965, les Beau Brummels partent à la conquête du monde avec Introducing The Beau Brummels. Ils attaquent d’ailleurs avec leur petit hit languide, «Laugh Laugh», et son refrain gorgé de soleil et de tambourins. Grosso modo, on est dans la même ambiance que les Mamas & The Papas. On sent vite pointer chez eux le dard d’une fantastique énergie, leur «Still In Love With You Baby» vaut pour un vieux shoot de garage folky jingle-jangly. C’est excellent, sec et net et sans bavure. Ces beaux Brummels ont du son. On note au passage l’aisance du beat dans «Just Wait And See». Ils terminent leur bal d’A en beauté avec une reprise de Jimmy Reed, «Ain’t That Loving You Baby». Mais ce n’est pas une reprise classique. Elle est étrange et soignée et on verra par la suite qu’ils vont en faire l’une de leurs spécialités. Ils attaquent leur bal de B avec «Stick Like Glue», une belle compo de Ron Elliott, typical Brummel sound, up-tempo et belles harmonies vocales. Ils virent presque gaga avec «That’s If You Want Me To», bien cerclé du beat et fouillé du son, belle clairettes de die hard et de tambourine manne tombée du ciel. Nouveau choc esthétique avec «I Want More Loving», bien boppé dans l’admirabilité des choses et puis l’album s’en va coucher au panier.
Mais Sly se désintéresse des Brummels qui vont devoir se débrouiller tout seuls pour enregistrer leur deuxième album, Volume 2, qui paraît la même année, en 1965. Sur la pochette, ils ont une méchante dégaine, surtout Ron Meagher, avec son gros pantalon et une chemisette blanche passée par dessus un pull à col roulé noir, comme on en portait à l’époque. Le plus wild des quatre, c’est John Peterson, véritable rock’n’roll animal, une sorte de Brian Jones étiré sur la hauteur et tout vêtu de blanc. Dès «You Tell Me Why», ils sonnent comme les Byrds et roucoulent des harmonies vocales viscérales. Ils montent vite en neige avec «Doesn’t Matter», ils mettent parfois du temps à conquérir une ville, mais ils finissent toujours par l’avoir. Ils se montrent beaucoup plus hargneux avec «Can It Be», c’est la hargne de Frisco, beaucoup plus bohème que celle de Los Angeles. C’est en B qu’on trouve ce petit chef-d’œuvre de good time music qu’est «I’ve Never Known», joli cut atmosphérique fouillé au bassmatic. Tous leurs cuts sont excellents, car chargés de potentiel, même si ce ne sont pas forcément des hits. «Sad Little Girl» vaut pour une belle pop tentaculaire, chargée de pathos. Ils visent en permanence un idéal de beauté pure. Ce bel instro qu’est «Woman» sonne comme une révélation et «Don’t Talk To Strangers» comme un hit, alors que demande le peuple ?
Quand Autumn fait faillite, le gros Donahue confie les Brummels aux bons soins de Warner Brothers. Étrangement bel album que ce Beau Brummels 66. Les Beau portaient beau avec cet album de reprises, et plus spécialement avec le «Homeward Bound» de Paul Simon, fantastique balladif quasi-mythique, avec cette façon de descendre dans le mmmm et de remonter vers la lumière. Ils font aussi leur «Mr Tambourine Man» en l’amenant au tambourine et ça se met fan-tas-ti-que-ment en route au deuxième couplet. What a cover ! Cover toute aussi prodigieuse que celle de «Yesterday». Leurs attaques sont très raffinées. Ils portent si bien leur nom : raffinés sans la ramener, voilà l’une des définitions du dandysme. Ils ont un son d’une extrême pureté d’intention et d’une clairvoyance exceptionnelle. Ils font aussi un «Louie Louie» à la petite ramasse exotique de Frisco, ils le jouent à la bonne traînarde de gonna now, ils swinguent ça à leur manière et c’est tellement plein de son qu’on en reste comme deux ronds de flan. Joli clin d’œil à Lee Hazlewood avec «These Boots Are Made For Walking». Ils savent se mettre sur leur 31 : Paul Simon et Lee Hazlewood, c’est du très haut de gamme. Ils font de Boots une merveille intrigante. Le festin de son se poursuit en B avec «Bang Bang» chanté au mieux des possibilités. Sal Valentino de pardonne pas, il ramène du dandysme dans le chant, exactement comme le fait Chuck Prophet aujourd’hui. Il chante d’un accent fabuleusement élégant. Ils parviennent même à sauver cette pop-song insupportable qu’est «Hang On Sloopy», ils y injectent toute l’énergie du tambourinage et tu as cette voix qui revient comme une vague de chaleur. Superbe chanteur ! Il colle bien à l’esprit de cette pop endémique. Ils choisissent «Play With Fire» pour passer la Stonesy à la moulinette, mais en même temps, ils la voilent de mystère. Ils s’ingénient à créer chaque fois de la délicatesse, ce qui leur vaut notre reconnaissance éternelle. Ces mecs sont rompus à tous les délices. Ils terminent avec une reprise flamboyante de «Monday Monday». Ils approchent ce hit intouchable avec le tact des dandys, dans l’excellence de la finessence, à l’incroyable acuité du doigté et Sal Valentino donne au chant une insondable profondeur, ce qu’on appelle ici bas une approche mélancolique néphrétique. D’ailleurs, Palao l’explique bien : «Il y a les chanteurs et il y a les stylistes, et il y a ceux qui savent à la fois interpréter un texte et lui donner une qualité d’interprétation sans précédent. Sal Valentino est l’un de ces rares individus et sans sa façon captivante de chanter, les Beau Brummels ne seraient jamais sortis de l’ordinaire.»
Fatigués de tourner, Ron Elliott et Sal Valentino se réinstallent à Los Angeles. Les Brummels ne sont plus que deux et deviennent un groupe de studio. Ils commencent à bosser avec leur nouveau mentor, Lenny Waronker - Waronker’s belief in Sal and Ron was absolute - Waronker pense qu’ils sont beyond brillant.
Avec Triangle, on entre dans la courte série des albums considérés comme cultes. Palao évoque the baroque splendour of the Triangle album. C’est Lenny Waronker qui produit cette belle lampée de soft rock franciscain. On s’incline devant une telle musicalité. Avec son surlignage à l’accordéon, «Only Dreamin’ Now» renvoie à Scott Walker. On s’effare évidemment de ce foisonnement de qualités, qualité du son, du chant et de la compote. Sal Valentino injecte tout le jus du sunshine dans «The Keeper Of Time». C’est tellement grandiose et conquérant que ça frise la bénédiction. Encore une belle pop de fouette cocher pour boucler le bal d’A avec «Nine Pound Hammer». Les Brummels transfigurent à merveille la Fisco pop. Mais on s’ennuie un peu, même avec ce folk-rock de bonne instance qu’est le morceau titre, c’est très pourléché, on entend des cors et des hautbois, c’est une véritable équipée, comme d’ailleurs «The Wolf Of Velvet Fortune», qui se révèle très élégiaque, obsédant et ambitieux. Ils terminent cet album atypique avec «Old Kentucky Home», un violent shoot d’Americana. C’est là où ils excellent et ça banjotte sec derrière Sal.
Le deuxième album culte des Brummels est le fameux Bradley’s Barn enregistré en 1968 à Nashville, un album qu’on revend puis qu’on rachète, car comment peut-on résister à une telle pochette lorsqu’on la recroise dans un bac ? Cet album est réservé aux amateurs de country-rock. On perd complètement le côté californien, même si le son de Sal a des beaux restes. C’est avec la heavy psychedelia rampante de «Little Bird» et surtout le pathos de «Cherokee Girl» que Sal sauve son bal d’A : big, very atmospherix savamment orchestré. En B se niche une perle nommée «Love Can Fall A Long Way Down». Belle pop languide du grand Sal de la terre, il arc-boute l’arc de son cut, il chante à la traînasserie insistante comme Tim Buckley, mais avec quelque chose de plus fruité dans le ton.
Attention, il ne faut pas prendre à la légère ce Beau Brummels paru en 1975. Sal Valentino, Ron Elliott et John Petersen sont au rendez-vous et dès «Tell Me Why», ils sonnent comme des dieux, c’est-à-dire comme les Brummels des origines, avec une fantastique aisance dans le son. La légende a parfois du bon. On a tout ce qu’on peut attendre d’un groupe légendaire sur le retour : réelle présence musicologique, climat d’excellence et prod de Waronker. Ils font de la heavy psychedelia avec «Down To The Bottom» et un slow groove de rêve avec «Tennessee Walker» - She’s the queen of Kentucky - Sal chante ça au doux du doux avec une réelle profondeur de champ. Le «Singing Cowboy» qui ouvre le bal de la B n’est pas celui d’Arthur Lee, le Cowboy de Sal va plus sur Fred Neil et ça reste du très beau soft-rock de Frisco. On retrouve encore le Brummels sound avec «Goldrush», très lowdown, finement psyché, joué au tempo languide, sous le vent. Le grand Sal Valentino chante «The Lonely Side» à la gravitas. Ce mec n’en finit plus d’étendre son empire par delà les modes et les époques.
Singé : Cazengler, Brumell toi de tes oignons
Beau Brummels. Introducing The Beau Brummels. Autumn Records 1965
Beau Brummels. Volume 2. Autumn Records 1965
Beau Brummels. Beau Brummels 66. Warner Bros. Records 1966
Beau Brummels. Triangle. Warner Bros. Records 1967
Beau Brummels. Bradley’s Barn. Warner Bros. 1968
Beau Brummels. Beau Brummels. Warner Bros. Records 1975
L’avenir du rock
- Quels sont ces serpents qui Slift sur nos têtes ?
L’avenir du rock n’a jamais compris pourquoi les djihadistes l’avaient relâché après avoir menacé de le décapiter. Ils l’ont donc jeté comme un sac à l’arrière d’un pick-up Toyota et déposé au bord d’une piste en plein cœur du désert. Sans eau ni nourriture. Amelican déblouyer tout seul ! Ouais c’est ça, t’as raison, déblouyer tout seul. La piste ne semblait pas tellement fréquentée. Quand au bout de trois jours il comprit que personne ne passerait par là, il prit la décision de suivre la piste en direction du soleil couchant. Il s’enveloppa la tête de sa chemise, mais le soleil lui brûla le dos et les épaules. Il se mit à halluciner. Comme le Capitaine Haddock, il apercevait ces belles bouteilles de rhum noires aux panses rondes. Il avança tant qu’il put et finit par s’écrouler. Le jour suivant, il distingua vaguement un nuage de sable à l’horizon. Il vit se rapprocher un groupe d’hommes montés sur des dromadaires. Il parvint péniblement à lever le bras pour leur faire signe. À leur tête se trouvait un homme entièrement drapé de blanc. L’avenir de rock n’en croyait pas ses pauvres yeux brûlés par le soleil... Lawrence d’Arabie ! Son idole ! Enfin, l’une de ses idoles. Lawrence fit agenouiller son dromadaire et approcha de l’avenir du rock.
— Vous n’avez pas l’air frais, old chap. Je vais vous humecter les lips, si on peut encore appeler ça des lips. I’m Lawrence d’Arabie, et vous ?
— L’a...venir... du... rock...
— Que faites-vous par ici, c’est insensé ! Ce n’est pas votre place !
— Arrgglllll...
— Calmez-vous ! Je disais ça comme ça. Si chacun s’occupait de ses faces, nous n’en serions pas là !
— Grumblllll...
— Bon, vu votre look, vous n’êtes pas transportable. Il vous reste one heure, peut-être two à vivre. D’ailleurs, les buzzards sont déjà là. Saddle up a buzz-buzz ! Avez-vous un message à transmettre ?
— Schmimimibilimimi...
— What ?
— Slift...
Slift ? Oui, Slift. Choix mystérieux, choix séraphique, choix étrange, en qui tout est comme en un ange aussi subtil qu’harmonieux. Slift, power trio toulousain, Slift pas d’un abord facile, but modernity à tous les étages. Slift, power-proggers spécialistes de l’advienne que pourra et du va comme je te pousse dans les abîmes. Cette fois, l’abîme s’appelle Ummon. Tu y plonges à tes risques et périls, mais comme c’est bon, les risques et les périls ! Ummon va même plus loin, c’est un album qui t’aspire. On aspire tous à se faire aspirer, mais cette fois, c’est pour de vrai. Ummon aspire-moi ! Schloufffff ! C’est immédiat, dès l’ouverture de balda, ça chante tout de suite dans l’écho de temps, c’est balayé par ce que les spécialistes appellent des vents définitifs. Jamais les surdoués du genre que sont Cream ou Van Der Graaf Generator ne sont allés aussi loin dans la frénésie inconditionnelle. Trop de power ! Beaucoup trop de power ! Ça bascule dans un absolu qui échappe à toute forme compréhension, mais c’est fait pour. Alors, inutile de s’inquiéter. Ils manient un extrême pulsatif qui nous dépasse. Si on se laissait aller, on pourrait parler d’outlandish extravaganza.
Ils passent tout de suite à autre chose. C’est pour ça qu’ils échappent aux interviews, alors essayons de les suivre dans leur monde supérieur et émerveillons-nous de les voir gérer leur biz-biz. Ce sont des adeptes du power-trip, ils bataillent dans la foison du son et créent un univers sonique complètement inclassable, ils sont dans leur ailleurs, alors avis aux amateurs d’ailleurs et d’higher, comme dirait Eve Sweet Punk. Il leur arrive parfois d’ornementer leur ailleurs, alors on comprend que ça puisse plaire à des Anglais, notamment ceux de Shindig! qui sont les seuls à s’être prosternés devant Ummon. Plus on voyage dans Ummon et plus on s’émerveille, «Altitude Lake» étend son empire sans aucune parcimonie et ça wahte à tire-larigot, alors on décolle, tout se passe comme prévu. Puisse la quête être sans fin, prônent-ils at the gate of dawn. Parions que tous les réfractaires au prog vont succomber au charme toxique d’Ummon. Jean Fossat va percher ses notes au dessus de l’horizon boréal, c’est tellement puissant qu’on pourrait laisser tomber les mots, les climats se débrouillent tout seuls. Les paysages défilent. On entre dans le «Sonar» avec une joie non feinte. Ici règne une énergie tonifiante, ça reste très sculptural, plein de liberté de ton, ça donne des envies de réécoute, les charges sont toutes somptueuses, bien amenées, l’ensemble relève du désordre bien ordonné, ils vont où le vent les mène, ils ne suivent aucune règle, ils jouent un rock progressiste qui ne revendique rien et qui ne vit que pour lui-même. Il est d’une gratuité extrême, très spacieux, plein d’attaque, la guitare de Jean Fossat reste hyperactive, aussi agressive qu’un ptérodactyle, ils cavalent tous les trois comme des Slifters ivres de liberté à travers la pampa toulousaine. C’est assez inespéré d’entendre une telle expression de la liberté à tout crin. Et voilà qu’avec «Dark Was Space Cold Were The Stars» ils claironnent dans le soleil couchant de Waterloo, au dessus des événements de ce double album condamné à la gloire underground. Ils abattent du terrain, ils épousent les courbes, ils plument tous les fions, ils enfilent les enfilades, wow comme ce mec joue bien son gras double dans les corridors de la folie Méricourt, on se passionne pour ce trio aux pieds nickelés, ils dégagent bien le passage Démogé, ah il faut les voir repartir sans prévenir. Ces trois-là, c’est un vrai roman, pire encore, une saga. Ils profitent de la moindre occasion pour filer à la belle, ils jouent à la pure énergie rock, ils se cognent au coin du rock, ça pulse dans les artères du rock, ils claquent des accords comme on claque des pourliches. Tiens ! Voilà pour toi ! Font-ils halte avec le bien nommé «Aurore Aux Confins» ? Oh que non ! Ça rôde dans l’ombre des écuries d’Augias. Pas de hit bien sûr, mais du grandiose à tout bout de champ, de quoi effacer le souvenir du gaga-punk, comme si désormais la puissance devait passer par la beauté. On se sent fier de participer à leur voyage, fier d’être le bienvenu, fier de s’être fait aspirer. Oh Ummon, aspire-moi ! Non seulement ils t’aspirent mais ils t’accueillent. Ils créent les condition du meilleur accueil aspirant. Leur musique palpite bien, ils sont généreux, ils délivrent des tonnes d’entrain, leur véracité remonte certainement à des temps très anciens, mais quoi qu’il en soit, ces trois mecs sont visités par la grâce. Ils terminent avec une séquence d’une rare violence, «Lions Tigers & Bears», perforée dans l’intestin du groove. C’est sans remède, mieux vaut le savoir. Ils sont tellement ivres de colère qu’ils chantent comme des cons, mais ils développent une sorte de prestance de l’effarance. Quelle plongée en enfer ! Peu de groupes sont capables d’aller aussi loin.
Signé : Cazengler, Shit
Slift. Ummon. Vicious Circle 2020
Inside the goldmine
- Mickey Mousse et Sylvia y va
— Commenche à en avoir ras l’bol de cette conne de Minnie ! È’veut pas que j’l’encule !
Dingo posa la main sur l’épaule de Mickey :
— Tu t’prends vraiment la tête pour ‘rrren, mon poto. Fais comme bibi, prends un clébard et tu l’encules, r’garde, Pluto, il a pas l’air jouasse avé son p’tit calcul en chou-fleur ?
— Ah mais tu piges ‘rrren du tout, chaumier ! Tu mélanges tout, les tiques et la corpulation, j’te cause des zones aspiratrices et tu m’réponds des insanitaires. Chaque fois que j’te branche sur la métachimique, tu ramènes ton patin-couffin de ratacouille.
— Voulais pas te contraventionner, Mickey, c’était jusse comme ça, histoire de t’acomprégner dans tes zoubliettes...
— Marre de tes bondiments ! Supporte plus ta compression d’cur’ton. Des fois j’me dis que j’devrais t’enculer pour te ramette de l’orde dans ta tirelire !
— Çui qui va m’encularès l’est pas encore né, gros ! Fais gaffe !
Et Dingo sortit son cran d’arrêt. Schlakkk !
— Tu crois qu’tu m’fous les chapattes avec ton crin-crin, pauv’ pomme, j’vas t’éclater vite fait ta tronche de cake, tu vas voière !
Mickey bondit sur Dingo et les deux amis roulèrent en boule, dévalant les rues et quittant la ville. La boule de la bagarre roula jusqu’à l’horizon, semant des petites étoiles noires sur son passage, un horizon au fond duquel dansait un soleil couchant en forme de ballon crevé. Rendu fou par le chagrin d’avoir été abandonné, Pluto alla tapiner sur Sunset Boulevard. Il portait une petite couronne de carton doré et se faisait appeler Freddie Mercurette.
Mickey Baker et Mickey Mouse n’ont en commun que le prénom. D’un autre côté, Mickey & Sylvia n’ont jamais fait de dessins animés, et pourtant, ils ne crachaient pas sur le kitsch, avec leurs beaux atours et leurs cheveux pommadés. Il suffit de feuilleter le petit livret de la compile Bear parue en 1990, Love Is Strange, pour s’en faire une idée précise. Avec leurs guitares, ils battaient tous les records de glamour. Cette compile est surtout une vraie mine d’or. On y entend jouer l’un des plus grands guitaristes de tous les temps. Laisse tomber Jimmy Page. C’est Mickey Baker qu’il te faut. «Love Is Strange» date de 1956, c’est amené au fondu de voix et Mickey arrive avec sa guitare, il sonne comme le maître de l’univers, il gratte ses grappes de rêve au ciel étoilé. «Dearest» produit sensiblement le même effet, il claque ses notes à Hawaï, comme un guitar God exquisite. Il shake ça bien sur «Shake It Up», pas de problème, il sait shaker avec sa petite Les Paul. On sent bien qu’il s’amuse. Il fait encore des merveilles sur «Bewildered», il joue ça au feeling pur, I need your guiding hand. Côté duo, ils sont au point très tôt. Mickey se positionne très vite comme l’un des meilleurs guitaristes d’Amérique, avec James Burton. Il joue tout au déroulé de notes. Il faut le voir jouer le rockab sur «No Good», il casse littéralement la baraque, I’m on my way/ Goodbye ! Il joue comme un dieu ou comme un diable, c’est pareil. Mickey et Sylvia foutent le feu dans «Walkin’ In The Rain» et «In My Heart». Quand ils jivent à deux ça devient explosif, on croirait entendre Fats Domino dans «I’m Going Home». Mickey claque sa chique et le sax s’en mêle alors ça devient puissant. Il claque ses notes à l’ongle sec dans «Where Is My Honey», tout ce qu’il gratte est flashy, définitivement flashy, même quand il se tape un shoot de calypso. Il passe encore un solo killer dans «Let’s Have A Picnic», c’est d’une violence extrême, il shoote du punk dans la variette. Ils duettent comme des stars sur «Say The Word». Fabuleux artistes ! Mickey sonne le clairon dans l’intro de «Love Will Make You Fail In School», c’est de la petite pop, mais il claque quelques retours de manivelle, il bout d’impatience, il a besoin de se défouler. Il fait encore de la pop profonde des Amériques avec «I Gotta Be Home By Then» et cette fois c’est la basse qui nous régale. Les labels ont fini par museler Mickey. Alors il se fond dans le moule de Sylvia, mais comme c’est un punk, il joue fort pour secouer le moule. Il faut le voir rôder comme un requin dans «Love Is A Treasure». Ils font tous les deux une belle cover du «Gonna Work It Fine» d’Ike & Tina, et le festin se poursuit avec une version d’«I Hear You Knockin’» chantée à deux voix et savamment orchestrée. Mickey revient faire son wild rocker dans «No Good Lover». Il joue à la descente d’organes et elle rentre dans le lard du kitsch. On retombe vers la fin du disk 2 sur une nouvelle mouture de «Dearest» qui est le cut emblématique. Mickey forever ! Pur genius avec ses stabs de gratte dans le son et il barre en sucette one more time.
Dans les mid-fifties, Mickey Baker est le session-guitarist le plus demandé à New York. Il accompagne toutes les stars de l’époque, Little Willie John, Screamin’ Jay Hawkins, Joe Tex, Brownie McGhee, LaVern Baker, il bosse pour Atlantic et OKeh, il accompagne Chuck Willis, Wilbert Harrison, Big Maybelle et des quantités d’autres grands artistes de l’époque. Puis il flashe sur Les Paul et Mary Ford et se dit qu’il y a du blé à faire avec un duo. Il a juste besoin de trouver une petite nénette pour duetter avec lui. Il connaissait déjà Little Sylvia et pouf, leur biz démarre en 1956. Mickey est déjà un vétéran de toutes les guerres quand il rencontre Sylvia. Il lui montre des trucs à la guitare et elle apprend vite. En fait, «Love Is Strange» est une chanson de Bo Diddley qui s’appelait «Paradise». Sylvia entend Bo la fredonner et lui demande s’il l’a enregistrée. Bo dit non, they don’t like it at Chess et il la file à Mickey & Sylvia. Pourtant au début, Mickey n’aime pas ce cut, sounds like Uncle Tom shit, c’est Sylvia qui insiste, elle sent que c’est un hit - Love Is Strange became the biggest hit Bo Diddley never had - Il faut ajouter à ce gag que «Dearest» est aussi une chanson de Bo Diddley. Ils deviennent énormes, font des télés et des shows. Sylvia est alors the sexiest girl so far out. Leur show devient excitant, ils remplissent l’Apollo de Harlem.
Ils commencent par enregistrer «No Good Lover» qui ne marche pas, puis «Love Is Strange» qui explose. King Curtis est leur chef d’orchestre. Mais autant Sylvia adore la célébrité, autant Mickey ne la supporte pas, ce qui le conduira à arrêter les frais. Il va d’ailleurs se barrer à Paris avec sa femme Barbara. Il hait les États-Unis.
Mickey & Sylvia sont de retour en 1973, soir 15 ans après leur premier succès, avec Do It Again et forcément leur vieux «Love Is Strange», illuminé par le fabuleux solo en biseau de Mickey Baker, l’un des stylistes les plus purs de la stratosphère - Mickey tall & masculine, with a touch of mystery about him - Mickey & Sylvia duettent sur pas mal de cuts comme Ike & Tina sur «It’s Gonna Work Out Fine», notamment dans «Love Will Make You Fail In School». Mickey Baker y glisse de fantastiques guitar licks. Puis on les voit swinguer «There’ll Be No Backing Out» comme des démons. King Curtis vient passer un solo de sax. Big New York City Sound ! Ils bouclent leur bal d’A avec «Bewildered», un superbe coulé de guitar slinging. Mickey Baker est sans doute le plus grand guitariste de charme discret. Il claque de l’Hawaï dans l’éther. Attention au «No Good Lover» d’ouverture de bal de B : c’est joué à l’énergie du jump avec des licks de wild gaga. C’est quasiment le riff de Billy Harrison dans «Baby Please Don’t Go». Puis on retrouve l’excellent «Dearest» et l’Hawaï cosmic sound de Bo Diddley, fervent tropical, un vrai rêveur. On se régalera aussi du calypso flavor de «There Oughta Be A Law», bien chaloupé des hanches, avec un petit poil à gratter à la Baker.
Signé : Cazengler, Mickon Baker
Mickey & Sylvia. Do It Again. RCA Victor 1973
Mickey & Sylvia. Love Is Strange. Bear Family Records 1990
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J'avais décidé de les chroniquer avant même de les avoir écoutés, sans même avoir vu une couve de leurs disques, deux raisons, une mineure, leur nom apparaît, très bon signe, sur le catalogue de P.O.G.O. Records, une majeure : ils sont de Toulouse, ville où j'ai passé une bonne partie de ma jeunesse. Flair de rocker, queue de goupil, selon le proverbe médiéval serbo-croate. N'oubliez pas que les deux maîtres-d'œuvre de ce blog sont passés peu ou prou par Toulouse, le Cat Zengler et votre mauvais serviteur qui n'en fait qu'à sa tête.
ENOLA
N'étaient ni tombés de l'œuf ni de la dernière pluie lorsqu'ils ont formé Enola. Z'étaient sans doute habités par une idée platonicienne, mais noire. Déjà le nom n'est pas très gai, Enola Gay était sans doute une femme charmante, nous n'en doutons pas, elle a su élever son fils dans le respect de l'ordre et de la hiérarchie. En digne rejeton conscient de la valeur morale maternelle le fiston a baptisé son avion du nom de sa maman. Félicitez-le de son geste d'amour pour celle qui lui avait donné la vie. Z'ensuite l'est monté dans son bombardier pour jeter la ( première ) bombe atomique sur Hiroshima. Un bon américain, un pionnier de notre modernité.
THE LIGHT FRÖM BELOW
( Avril 2014 )
Jordi : drums / Stef : guitar / Arnaud : guitar / Thomas : vocal / Mitch : bass, vocal.
Pochette surprenante. Du siècle dernier. Essayez de savoir qui c'est. Docteur Freud ? Ce très curieux Jules Verne ? Le jeu n'a aucune importance. Ce qui compte ce n'est pas le visage de l'hypocrisie, mais ce qu'il y a dessous dans la tête, qui commande nos conduites, mais qui reste inabordable. Le supérieur inconnu qui nous commande. Matérialisé par cette espèce d'embryon de mille-pattes tentaculaire dégénéré collé sur sa face. Une sorte de matière visqueuse bacillique qui représente votre volonté. Il existe une deuxième version de cette couve que je préfère.
The light fröm below : une musique sourd de nulle part et s'adjuge une magnifique ampleur, une lave noire de volcan qui s'épanche lentement du cratère et descend sans se presser la pente abrupte, serait-elle consciente du désastre qu'elle emmène, veut-elle jouir des cris de terreur de la population qui hurle d'horreur, un film-catastrophe passé au ralenti. Une espèce d'oratorio metal totalement maîtrisé. A pilot : envol vers la catastrophe, sans se presser, une voix lointaine englobée dans la pâte sonore, niveau vocal c'est un peu Hiroshima mon désamour, Enola excelle en le metal peplum, pose une ambiance délétère lourde comme des stèles de granit, que vient abraser un vocal concasseur, une basse grondante, une batterie genre charge des cuirassiers, cris de haine, les hélices tournent à plein régime, les moteurs prennent feu, la carlingue n'en continue pas moins de foncer vers l'objectif, tout s'emballe et se précipite, apocalypse now, affolement général, plus de son après la dégringolade finale. Enola ne rabougrissent pas le banzaï en bonsaï. The door : pas tout à fait un havre de repos mais après les deux cataclysme précédents ça fait du bien de faire semblant d'y croire, cette guitare cliquette comme une sonnerie d'alarme, cette rythmique qui l'air de rien ne ménage point sa peine mais la fait cuire à l'étouffée cela ne présage rien de bon, boum ça démarre, chez Enola ce qui déclenche l'orage, c'est le vocal, cette fois-ci nous avons droit à un monsieur Loyal survolté qui bonimente pour ameuter la foule à entrer dans sa baraque foraine, sûrement une horreur à admirer à l'intérieur, lourdeur batracienne, la guitare revient, le chant de la baleine s'élève, très doux, gagne une ampleur démesurée, la rythmique appuie sur l'accélérateur et l'effroi surgit sous forme de roulements cannibales, encore une fois l'on bascule dans la folie. Tant pis pour vous vous n'aviez qu'à pas pousser la porte. Remarquez certains aiment ça. Moi aussi. Desolated landscape : pas de pitié le growl vous saute à la gorge, sont particulièrement énervés, une tuerie, des égosillements de gorets que l'on tue à la chaîne, et toujours ce Monsieur Loyal qui vous présente l'horreur absolue comme s'il commentait un match de catch à la radio en pleine nuit pour tenir les routiers éveillés à leur volant. Respirons, lentement suivons la basse, maintenant l'on dévoile l'inexprimable, la musique monte comme des œufs brontosaure battus à la nitroglycérine. Atterrissage en forêt vierge. Fog : démarrage symphonique en douceur, entre nous soit dit toute relative, ce n'est pas parce que l'on est parti pour onze minutes qu'Enola prend son temps, une petite éructation vocalique n'a jamais fait de mal à personne, nous touchons au principe énolique de base, ne jamais laisser l'auditeur s'ennuyer, lui réserver toujours un spécimen de l'île du Docteur Moreau pour combler la faim qu'il n'a pas encore ressentie, les hurlements défilent, les instruments voudraient-ils se lancer dans un solo, c'est permis, mais collectivement, le mieux c'est qu'ils marquent des points d'orgue par exemple imiter le pas lourd de ceux qui portent un cercueil sur leurs épaules, en contre-point une homélie qui refuse de donner l'absolution, et le vocal qui imite le chant du coq de la trahison, un truc à vous donner la chair de poule, et l'on s'enfonce dans un tunnel sans fin dont on ne ressortira pas vivant puisque l'on est déjà mort, roulements de tambours, torsions de guitare et cris de guerre, des peaux-rouges vous assaillent de tous côtés, frappent avec leur crosse sur votre cercueil, oui c'est vous qui êtes dedans, les séquences s'enchaînent rapidement, les images de votre cauchemar éclatent à la surface du monde comme les bulles des noyés qui rejoignent l'air libre. L'on souffle les bougies, la cérémonie est terminée. Pas encore, des coups de masse ébranlent l'occiput de votre squelette. Enola est aux petits soins. Votre personne ne le mérite pas. Mais ils sont généreux, ne savent pas quoi imaginer pour vous faire du mal.
Comme par hasard Jérémie Mazan était au commandement. ( Voir chronique ci-dessous consacrée à Eudaïmon ).
VOLUTES
( Décembre 2017 )
Jordi : drums / Stef : guitar / Arnaud : guitar / Thomas : vocal / Mitch : bass, vocal.
Difficile d'annoncer plus concrètement la couleur de cette couve, noir c'est noir, elle arbore l'étamine frappée de poudre noire des bateau pirates, nul besoin d'effigie crânienne pour semer la terreur ! Simplement le nom du brick, Enola vit sur sa réputation. Non usurpée.
Bis repetita, il existe une deuxième couve, à fond noir sur laquelle se détache la transparence l'opaque transparence de volutes occasionnées par la fumée d'une cigarette. En essayant d'exprimer de tels déploiements en équations le mathématicien René Thom a mis au point la théorie des catastrophes. Un mot qui ruins très bien avec Enola.
We need : mise au point de la fréquence, après quoi sursaturation de guitares, le vocal enlisé dans ce maelström sonore, par rapport au premier EP Enola à recherché la puissance et la compacticité, passage fréquentiel à gué, le vocal explose et prédomine et s'impose sur la masse musicale, derniers pointillés séquenciels. Holy pain : micmac de batterie et de vocal emmêlés tels les deux serpents du caducée qui culmine sur une explosion growlique du pire effet, durant quelques secondes les guitares se transforment en grincements industriels, le growl porté à fond de gorge tel un graal revient et l'on assiste à une étrange mutation, la batterie devient pilon, et les guitares ronflements de moteurs, mélange transsexuel de genre. le metal se frotte contre l'échine du noise, serait-ce un désir ou une hérésie, il semble qu'Enola hésite, retour au calme, l'on alanguit la bête, clignotements espacés, message de satellite perdu dans l'espace, levée de guitares, le chant qui vient de dessous, la batterie cogne de plus en plus, moins de peau, davantage de ferraille, hinterland, respirations répétées, mais il faut savoir qui vaincra, courage et détermination, cap sur la confrontation, gros grumeaux de growl, la voix aboie telle une meute de loups acharnés sur le mammouth instrumental qui barrit de toutes ses forces et plonge ses défenses d'ivoires dans les corps pantelants des assaillants, pas de vainqueur, chacune des deux forces s'éloigne, le son décroit. Ce n'est que partie remise. The long walk : arpentages mécanisés à grandes enjambées, le combat a repris, le mammouth pris au piège de l'attaque surprise a cédé du terrain, la frontière des deux territoires sera poreuse, les guitares d'Enola produisent le bruit de ces immenses foreuses qui s'en prennent à la croûte terrestre, la batterie imite ce battèlement particulier des excavatrices à tunnels autoroutiers, tintamarre partout, la meute du vocal pousse des hurlements d'extase, ils explorent de nouveaux territoires de chasse, la gueule pleine de sang, semblant d'apaisement les vieux de la tribu les ont rassemblés sous la lune ardente, pour leur rappeler la terre de leurs ancêtres, les jeunes n'en ont que faire, discussions à coups de crocs, la batterie bulldozer laboure le champ de bataille. Le nom des vainqueurs reste inconnu. Mais le souvenir de l'épopée hantera les oreilles de beaucoup. Empty shadow : entrée sur les chapeaux de roue, roulements de tambours sauvages, les guitares jouent à l'égoïne, le vocal n'est plus qu'une diarrhée infâme à laquelle nul n'ose s'opposer, un vacarme infernal, maintenant l'on sait que les jeunes ont gagné, une brise légère effleure les museaux, ils hurlent à la lune, le monde leur appartient ils sont les maître d'un empire invisible peuplé de fantômes, que personne ne saura leur reprendre. Ils sont les conquérants, ils n'ont lâché ni les proies, ni les ombres, final grandiose, le rideau se referme sur l'écran, dans l'oreille des spectateurs abasourdis résonnent les cris des agonisants.
Il existe sur YT un trailer de 60 secondes assez bien fait avec quelques images du groupe sur scène qui mettent l'eau à la bouche.
INNER RUINS
( P.o.g.o records / Octobre 2021 )
Jordi : drums / Stef : guitar / Arnaud : guitar / Thomas : vocal / Mitch : bass, vocal.
Les ruines intérieures s'affichent en couverture. Virginie Berdot Sénat créatrice de l'artwork nous a-t-elle tendu un test de Rorscharch ou a-t-elle tenté de dresser notre portrait de l'intérieur, sous la peau, encore plus profond que l'écorché où nous apparaissons telle une grossière face de clown ou d'épouvantail pitoyable et sadique. Bonjour Stephen King.
Inner ruins : harmonie vibrionnante de grosses cordes ( celles pour se pendre ) et doucement la machine se met en branle, le vocal noyé par le bruit du moteur qui prend avec régularité de l'ampleur, apparemment nous sommes dans les canons introductifs de tout metal qui se respecte, juste un hic, cela à la couleur du metal le plus policé mais il y a comme qui dirait un bruit de fond à tel point que l'appareillage déraille et se coince brutalement. The entity : vernis nous le sommes nous avons l'entité en quentité, un gros son brutal qui vous veut du mal, une batterie qui frappe de toutes ses forces comme si elle allait rater le dernier train pour une meilleure existence au pays des pétaudières, en voyage dans le traquenard le plus bruiteux que vous n'avez jamais entendu. Ça couine, ça grince, ça pince, ça poinçonne, ça cahine et ça cahate dans les descentes vertigineuses, la locomotive à vapeur du vocal s'époumone et s'essouffle dans les montées à crémaillères. Beaucoup de bruit, mais par pour rien. Juste pour le plaisir d'entrevoir l'id-entité spectrale de notre monde. August : barattons tous en chœur, facile hachez le vocal en lui ajoutant la matière grasse du vomi, tapons fort, sans arrêt, que la substantifique moelle de notre matière cervicale soit dument pilée pour goûter à ce qui s'en exhalera, une certaine extase à triturer ainsi nos méninges, un bombardier passe dans le lointain, métaphore de nos rêves les plus flous enfouis. Lich : ce qui s'appelle marcher sur un sentier miné, l'est si engageant avec sa rythmique pataude qui accompagne vos premiers pas, ensuite vous ne savez plus, un éboulis de fureur déboule sur vous, à peine si vous reconnaissez la crête rouge de l'étendard du vocal qui surpasse de cet amas informe qui vous englobe sans raison mais qui doit en avoir cent de très bonnes pour vous submerger et vous entraîner vous ne saurez jamais où. Même une fois arrivé. Black teeth : vont vous l'extraire cette dent ébénique qui a poussé au travers de vos neurones, corne de taureau qui pénètre dans le ventre du torero déjà la roulette ronronne de joie, le gars qui hurle sur le fauteuil voisin n'a pas l'air à la fête. Z'ont dû décider de la lui extraire en passant par le larynx, lui tapent dessus violemment pour qu'elle descende, c'est à ce ce moment que vous apercevez la monstrueuse canine qui marque la limite de l'univers, heureusement que la musique se fait plus douce et se teinte de chœurs berceurs, peine perdue, vous ne voyez rien, alors ils dansent une fricassée effrénée autour de votre trône de torture, et vous reconnaissez qu'ils y mettent une énergie folle. A link between us : c'est tout mignon un lien entre nous, la grande fraternisation humaine il n'y a pas mieux, vous sortent un glissandi de guitare à caresser votre chair, depuis le dessous de l'épiderme, Enola vous fait le coup du slow qui tue, erreur celui de la ballade du pendu, maintenant vous vous balancez accroché au gibet, sous les bourrasques de vents violents, l'homme est un loup pour l'homme, vous l'avez oublié à vos dépends, si vous n'êtes pas contents allez vous faire pendre ailleurs. Pas la peine une musique paradisiaque résonne à vos oreilles, c'est juste pour vous faire croire que vous serez bientôt sauvé, mais le disque s'enraye jute au moment où vous frappez à la porte. War torment sorrow : pas de regret idéaliste, la fraternité n'est que le nerf de la guerre, elle se déclare sans ambages, fond tel un aigle impérial, grondement apocalyptiques, l'on crie de tous les côtés, pas de pitié, pas de prisonniers, tuez les tous, peut-être qu'ils reconnaîtront dieu s'ils montent au ciel, pas de problème c'est le diable qui occupe le trône céleste, l'adore verser de l'huile bouillante sur les combats et le corps des suppliciés. Entendez la complainte finale des cimetières qui débordent. Poison : au cas où vous auriez survécu aux six morceaux précédents, ils vous offrent la coupe de réconciliation. Avec la mort. Ils n'avaient pas précisé. Gonflent la basse et adoucissent la cadence pour vous faire accroire que vous buvez l'ambroisie des Dieux, se gaussent de votre méprise, de votre bêtise et tout s'échevèle en un immense et joyeux capharnaüm... Whithout you : danse du sabre, votre absence n'a pas l'air de les attrister, une véritable orgie russe dans laquelle on boit le champagne dans les souliers de satin des catins, c'est cela l'amour, le désir et la fièvre chaude du sexe, une bacchanale infernale les emporte autour de la terre, reprennent un peu leur souffle, ils vous ont oublié, ils adorent jouer la grande comédie romantique, jouent à l'esseulé qui devient fou à lier. Cherchez l'erreur, ils sont en liberté. Cela s'entend. Miasma : généralement on évite les miasmes, pas Enola, ils ont décidé de hâter leur émanation putride hors des marais des turpitudes humaines, la maison Enola ne fait pas de cadeau, l'introspection grâce à la machine à décrypter les rêves et les pensées cachées de tout individu déroule vos ressentiments les plus secrets, vos désirs de vengeance les plus abjects et les projette au grand jour. Le plus terrible c'est que ceux qui se soumettront à l'expérience et qui oseront se pencher sur leur idiosyncrasie révélée, souriront, seront aux anges, tout compte fait ils sont moins cruels qu'ils ne le pensaient.
Trois disques. Trois sans fautes. En gradation ascendante. Avec ce premier album Enola joue dans la cour des grands.
Damie Chad.
RAUNCHY BUT FRENCHY ( 6 )
EUDAÏMON
Je me laisse souvent porter par la beauté des noms. Le nom du groupe et puis le groupe du nom pour parodier Proust. Sont de Toulouse, une raison suffisante mais pas nécessaire pour les chroniquer. Hélas, il n'était plus temps. Le dernier post daté du 06 / 06 / 2020 sur leur FB, signé de Pierre, Donovan, Vincent, Aurélien, Guillaume, est sans appel : '' Nous avons décidé de mettre un terme à l'aventure Eudaïmon. Même s'il n'a pas été facile de se l'avouer, nous avons réalisé que les envies et les motivations de chacun avaient évolué au fil du temps et qu'elles étaient maintenant trop éloignées pour nous permettre de faire grandir encore ce projet... '' . C'est ainsi que vivent les hommes et meurent les groupes... Pour la petite histoire, ils précisent dans le reste du texte que leur décision est totalement indépendante de la crise covidique...
THEN SHE COMES
( Avril 2012 )
On aime rêver sur cette couve attribuée à Lueur noire, cela ressemble un peu à l'observatoire du Pic du Midi, mais cette voûte stellaire jaune-orangé nous projette dans une nouvelle de Lovecraft, pas tous les jours que nous ayons la chance de visualiser La couleur tombée du ciel. Nous voici en pleine science-fiction, les paroles, moitié en français, moitié en anglais démentent cette vision. Le monde de ce premier EP est beaucoup plus terre à homme, tout se passe à l'intérieur, dans ce mal-être post-adolescent qui assaille les premières expériences déceptives de la prime jeunesse. Même si le teaser de 47 secondes de présentation de l'EP nous propulse dans une espèce d'explosion solaire dont les éclats retombent sur la terre, et se termine en image fixe sur l'apparition de la couve...
En cage : longue et surprenante intro sur un rythme qui fleure presque les Caraïbes surmonté d'une guitare plaintive et déchirante, dans un hurlement déboule la cavalerie lourde, aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années, certes mais là la voix est très jeune, l'on se demande si elle tiendra la route, ce qui est sûr c'est qu'au mixage Jérémie Mazan a réalisé des miracles, pour la poser en avant de telle façon qu'elle soit parfaitement audible, un peu au détriment du background musical, mais ce léger défaut est corrigé lorsque le morceau entre dans son dernier tiers, le chanteur growle ( pas encore un vieux grizzli revenu de tous les guerres ) mais il s'en tire bien et derrière lui le reste de la bande se montre imaginative. Reject me : le morceau commence là où le précédent se termine à croire qu'il en est la suite, ce coup-ci voix growlée et musique sont en parfait équilibre et l'on peut admirer le moutonnement des guitares qui se pressent en troupeau poursuivi par un incendie, beau travail à la batterie, une frappe originale, qui manque peut-être de puissance mais qui aère et voluminise l'ensemble, et là surprise, silence total avec reprise et variation sur l'intro d'En Cage, l'on ne sais plus trop où l'on en est, voici qu'un train lancé à toute allure se jette sur vous, un super-shuffle-haché qui passe sans se soucier de votre corps tronçonné entre les rails. Que d'idées dans ce titre, z'ont peaufiné avant de rentrer en studio. Encore verts, mais ô combien imaginatifs. Funambule : grognement bien balancé, normal pour un funambule, cette fois la voix trop blanche est mangée par la guitare, l'on ne s'en plaint pas, l'on suit la batterie qui batifole, se mélangent tous un peu les pédales mais le pendule imperturbable des guitares maintient le cap, les Eudaïmonistes excellent en l'achèvement les morceaux, gardent le meilleur pour la fin, une de leur marque de fabrique, il ne reste plus qu'une carte à jouer, ils en posent une dernière qui n'était pas prévue. Then she comes : guitare élastiques et tinteries de triangle, une basse qui fait le gros dos par dessous, savent aussi varier les intros, l'on attend l'explosion, l'on a droit à une espèce de chant à demi-étouffé, sur cet accompagnement de serpents de verre qui glissent et ne cassent pas, enfin les guitares envoient la marmelade, des grognements de bête préhistorique surprise dans sa caverne retentissent, une basse auto-tamponneuse bourrine à mort, rallume l'énergie, un dernier dégueulis de voix avant de légers tintements terminaux.
Il est deux sortes de jeunes groupes de metal, ceux qui mettent les pieds dans les traces des grands ancêtres, ceux qui essaient de prendre la tête de la course, un seul mot d'ordre : plus vite, plus fort. Eudaïmon essaient une troisième voie, travaillent la structure de leurs cuts, comptent sur leurs propres forces et leurs propres faiblesses, cultivent leurs particularités. Une démarche qui exige une auto-analyse de soi-même non négligeable à moins qu'un superviseur un tantinet sorcier ne soit aux manettes.
Vous trouverez sur You Tube une vidéo du dernier morceau enregistré live le 14 décembre 2013, à La dernière chance à Toulouse. Un jeune groupe pas vraiment à l'aise, confirme qu'ils ils ont dû être très bien pris en main et guidé en studio. Jérémie Mazan qui les a cornaqués n'est pas un inconnu sur Toulouse.
A ma connaissance la meilleure vidéo d'Eudaïmon est Catabase enregistrée dans une cave toulousaine. Toutefois elle n'est en rien exceptionnelle.
ABYSSES
( Janvier 2017 )
Plus de quatre ans entre les deux premiers opus. Belle pochette de P Neri. Elle ne rompt pas avec l'imagerie cosmique du premier EP. Le jaune brumeux est remplacé par des couleurs ternes et froides. Que raconte-t-elle au juste, la terre est-elle avalée par une planète désolée ou s'en arrache-t-elle ? Est-ce au contraire une note d'espoir signifiant que rien ne se perd et que le monde est capable de se régénérer sous une autre forme... Nous remarquons que deux cercles se retrouvent aussi sur le logo d'Eudaïmon, marquent-ils la fusion impossible entre les humains et les états de l'être ou l'intersection souhaitable et désirable...
Intro : encore une fois l'on ne sait pas où ils nous entraîneront, le soupir de basse relayé par une guitare triste nous indique que le son sera plus sombre, que le ton a changé. Ils ont grandi. Ce n'est pas mourir : une voix d'agonisant pour hurler que mourir n'est pas mourir, le message paraît optimiste, mais le texte macabre n'incline pas à sourire, ces racines d'arbres qui se saisissent des corps et les hissent sous forme de sève jusqu'à leur cime est saisissant ! Le chant alterne entre grêle de growl et intonation claire et creuse, tout est fait pour filer le frisson, la guitare s'écartèle et gémit, la batterie tambourine aux portes de l'enfer, se termine sur une lenteur d'adagio qui enterre vos derniers frissons. Superbe réussite, en cinquante mois Eudaïmon n'a pas perdu son originalité. Anxia : ne suffit pas de dire anxiété pour que l'auditeur ressente de l'anxiété, mais là c'est réussi, ce serrement du larynx et de la gorge théorisé par Heidegger vous le ressentez très fort grâce ( mot mal choisi ) à ce gargouillement d'étranglement du vocal, et ce tassement de guitares écrasées par la batterie, il ne faut pas que les couleuvres de vos souffrances que vous avez avalées ressortent de votre bouche. Angoissant. Abysses : une remontée, chacun possède ses propres abysses, le tout est d'en sortir, d'avoir la tête hors de l'eau, de refuser le vortex de ce soleil noir qui vous happe vers les profondeurs, ce titre est grandiose Eudaïmon parvient à établir une sorte d'équanimité sensorielle entre musique et vocal, chacun mord et mange l'autre pour aussitôt le revomir et le restituer dans sa puissance. Dans leur premier EP Eudaïmon tirait leur épingle du jeu, mais avec ce titre ils affichent une maturité étonnante. Ici rien ne dépasse et rien ne manque. Désorienté : l'on ne s'extirpe pas de l'abîme sans être cabossé, mais aussi sans avoir une énergie nouvelle de vainqueur, galop de guitares éclatant, course vers le haut, la musique s'emplit de cette envie de vivre, de dominer le monde, et peut-être même de se retrouver face aux abysses pour les franchir sans dommage, ou alors de se laisser porter par la furie des éléments. Insaisissable : cavalcade vers le bout du tunnel, duel de voix pour vaincre le mur du son et devenir maître de sa vie, la musique semble se détendre, pas relax, mais poussée dans le dos par l'espoir de la réussite, la ligne claire d'un chant de guitare s'élève au-dessus du tumulte. Sublimation : les abysses sont toujours là, à portée de mémoire, l'accompagnement devient plus lourd, la voix claire comme celle d'un enfant tuméfié par l'existence, le titre n'est pas mal choisi, car toute matière noire peut se sublimer en poudre de vie. Glapissements de souffrances et trépignements de pulsions musicales salmigondis de batterie folle de rage.
Un album qui n'a pas eu l'attention méritée. Eudaïmon prouve à l'envi que le metal peut être chanté en français. Le disque manque un peu d'unité entre ses morceaux. Il aurait mieux valu, d'après moi, continuer dans la veine du deuxième titre, si particulière, si originale, si à part. Les trois derniers titres sont musicalement trop près l'un de l'autre. Mais l'ensemble reste percutant. Il existe aussi une vidéo enregistrée à Bordeaux aux Runes sur laquelle Eudaïmon joue Abysses en entier. Le son n'est pas très bon, malgré cela une conviction s'impose : Eudaïmon est meilleur en studio qu'en live. Ce qui nous paraît inquiétant.
STEP INTO THE VOID
( Juin 2019 )
Dernier enregistrement de Eudaïmon. La pochette est signée de BlackBeard. Planétaire comme il se doit ! Une représentation géométrisée de la voûte stellaire, au premier abord se reflétant sur la Terre, dans un cadre de lichen bleu et rose. Ils ont le chic pour les couves énigmatiques.
Enjoy : le son n'a pas évolué depuis Abysses, hélas si ! le chant en anglais qui détonne, pourquoi n'avoir pas gardé le français qu'ils maniaient avec tant de dextérité, puis il y a ces lignes mélodiques qui n'apportent pas grand-chose. L'on a l'impression qu'après leur premier album passé inaperçu Eudaïmon se cherche, pas en lui-même, résultat : il a perdu en force et en originalité. C'est d'ailleurs le thème même du morceau qui nous enjoint de vivre selon nos désirs et non pas se laisser enterrer vivant dans l'anonymat. Fuckbook : dénonciation un peu trop convenue de FaceBook, le titre est sans surprise, le chant n'est guère entraînant et l'on attend en vain quelque nouveauté dans la trame musicale. Le groupe ne se renouvelle pas, il fait de l'Eudaïmon, comme d'habitude la fin arrache et sauve le morceau. This track is worth it : de quel vide s'agit-il au juste, en tout cas pas l'infini intersidéral, le vide est en nous et en notre société, l'on suit les modes, l'on se laisse porter par le courant parce que l'on n'a rien trouvé de mieux à faire, le problème c'est qu'Eudaïmon se répète, donne l'impression de s'adapter à produire un metal qui puisse plaire à un plus grand nombre. Ce qui est dommage, c'est souvent un choix qui ne mène pas loin. Awareness : d'ailleurs ils l'énoncent eux-mêmes dans leur dernier morceau, dénoncent cette folie collective qui mène à l'effondrement, terminent en beauté, davantage de rage et de feeling.
Ce dernier EP aide à comprendre pourquoi quelques mois plus tard Eudaïmon prend la décision de se séparer. Ils n'ont pas su évoluer selon leur base de départ. Après Abysses il fallait un nouvel album plus audacieux et pas cet Ep de rupture et de débandade.
Damie Chad.
ROCKAMBOLESQUES
LES DOSSIERS SECRETS DU SSR
( Services secrets du rock 'n' rOll )
UNE TENEBREUSE AFFAIRE
EPISODE 07
PETITS-FOURS ET GRANDE DECISION
Après la cérémonie publique Monsieur Le Préfet nous avait invités le Chef et moi-même sans oublier les cabots, qui il faut le dire ce soir-là se comportèrent fort impoliment, à la réception qui suivait, une soirée strictement privée, confidentielle, à laquelle n'était convié que l'état-major de crise. Nous dûmes attendre que la foule s'écoulât avant de prendre la Lambor, Françoise, Framboise et Noémie furent kidnappés par leurs parents qui nous couvrirent de remerciements pour avoir sauvé leurs filles. Joël un peu secoué par les événement rentra chez lui... Le Préfet grâce à son escorte de motards de la gendarmerie arriva bien avant nous avec sa vingtaine de conseillers spéciaux. Ils ne nous avaient pas attendus pour commencer la réunion de travail, debout sur une table le Préfet, effectuait des sauts de cabris, tandis que les conseillers comptaient à voix haute : un... deux... trois... quatre... cinq... lorsqu'ils atteignaient le chiffre 27, ils poussaient un hourra tonitruant à la suite duquel le Préfet se lançait en une gigue effrénée en psalmodiant sans fin '' 27 morts... 27 morts... 27 morts '' pendant ce temps les conseillers buvaient trois à quatre coupes de champagne et une fois ce devoir roboratif accompli ils se remettaient à compter : un... deux... trois... quatre... cinq... La scène se répéta une vingtaine de fois, mais nous apercevant le Préfet sauta de son estrade improvisée et courut vers nous, de la main il ordonna le silence, et se saisissant d'une coupe de champagne, il exprima sa volonté de porter un double toast en notre honneur. Puis il prit la parole :
_ Messieurs grâce à nos deux valeureux agents du Service Secret du Rock'n'roll, la préfecture de la Haute-Vienne est la seule à avoir eu la chance de déplorer vingt-sept morts, pas de vieux croulants dont tout le monde se moque, non des jeunes filles belles comme le jour, et des jeunes gens forts comme des Turcs, retournement complet de la situation, ce Charlie Watts est apparu, je peux maintenant vous le révéler, dans pratiquement toutes les préfectures de la France, mais c'est ici que grâce à l'action de nos deux agents secrets qu'il s'est livré au plus abominable des massacres, l'on a voulu à l'Elysée nous faire porter le chapeau, nous ridiculiser, nous transformer en chasseurs de fantômes, Limoges devait devenir la risée de la France entière, évidemment ce n'était pas notre ville qui était visée, même pas la Préfecture en tant qu'institution, mais moi-même, je vous demanderais de prêter une grande attention aux paroles qui vont suivre mais d'abord humectons de quelques larmes de ce nectar notre gosier, cette nuit est un grand jour !
Sur ce tout le monde se rua sur les coupes de champagne, le Préfet s'octroya une bouteille de Dom Pérignon qu'il but à même le goulot, les chiens se joignirent au joyeux charivari qui s'ensuivit, s'adjugèrent chacun une coupe, Molossito peu habitué à l'alcool faillit tourner de l'œil, je craignis un coma éthylique, mais non il se reprit, et titubant quelque peu il entreprit de lever la patte sur les quatre-cents coupes qui attendaient sur le buffet, faut croire qu'il avait une urine dompérignonesque car par la suite personne ne s'en aperçut. Molossa s'allongea carrément dans un plat de toasts au foie gras dont elle se goinfra, après quoi elle attaqua les canapés au caviar.
_ Messieurs après ce bref intermède, passons aux choses sérieuses. De toutes les préfectures de France me parviennent des messages de condoléances pour le drame de la nuit dernière, ô combien chacun aurait aimé que cela se déroulât chez eux, ils en crèvent tous de jalousie, c'est que, j'ose à peine le dire – il baissa la voix – un boulevard s'offre à nous tous, vous mes conseillers dont je ne doute pas une seconde de votre aide, sachez que vous êtes déjà tous sur l'organigramme du prochain gouvernement, oui messieurs la voie de l'Elysée nous est ouverte, grâce à ces vingt-sept jeunes imbéciles qui ont eu l'idée, entre nous soit dit stupide, de se faire tuer, mon nom court sur les antennes nationales, il s'étale en grosses manchettes dans tous les journaux, les réseaux sociaux ne parlent que de moi, un coup de pub inespéré, aussi moi Adolphe Rateau je vous réserve la primeur de ma décision, dès demain j'annonce ma candidature, non je ne doute pas une seconde que le peuple ne m'élise au poste de président de la République !
Applaudissements nourris, rire, cris de joie, furent bientôt remplacés par des Rateau Président ! exaltés. Pus personne ne faisait attention à nous, nous récupérâmes les cabots que nous dûmes porter, nous descendîmes l'escalier, une voix, celle de Rateau, résonna : '' Pour Charlie Watts !'' '' Hip, Hip, Hip, Hourrah ! '' lui répondit l'assemblée en liesse !
_ Ils ne croient pas si bien dire ! murmura le Chef avant d'allumer un Coronado.
UN PEU DE REPOS
Nous rentrions sur Paris, la Lambor tapait un modeste petit 230, lorsque le Chef brisa le silence qui s'était établi entre nous depuis Limoges :
_ Agent ne seriez-vous pas fatigué par hasard ?
_ Pas du tout Chef, mais Molossa et Molossito se sont livrés durant cette folle soirée à quelques facéties...
_ Qui pourraient leur donner quelques envies de vomir, Agent Chad vous pensez exactement comme moi, une bonne nuit réparatrice de sommeil dans un lit d'hôtel ne saurait leur faire de mal. Prenez la prochaine sortie qui se présentera...
Une demi-heure plus tard nous étions dans la dernière chambre à deux lits de la charmante bourgade de Vatan. Les chiens s'adjugèrent le premier sur lequel ils s'étalèrent de tout leur long, nous dûmes nous contenter du second. La tête sur l'oreiller nous ne parvenions pas à nous endormir. Le Chef fumait Coronado sur Coronado et moi je gardais les yeux fixés sur mon téléphone portable.
_ Agent Chad, il est trois heures du matin, je suppose que vous n'attendez pas un coup de fil d'une petite amie, voire de Framboise si j'en crois la bise toute tendre, quoique saliveuse, que vous avez échangée devant ses géniteurs.
_ Pas du tout Chef, la pauvre petite a vécu bien des émotions, laissons-la reposer auprès de ses parents. Non Chef, je ne voudrais pas avoir l'air de me prendre pour ce que je ne suis pas, toutefois je pense que quelqu'un de très important devrait me passer un coup de fil d'ici quelques instants.
_ Etrange agent Chad, je le subodore moi aussi, soyons raisonnables, je termine mon Coronado, posez votre appareil sur la table de nuit, et fermons les yeux, j'ai l'intuition que la nuit sera courte.
NOUVELLE PERIPETIE
Elle le fut en effet. Des coups redoublés furent frappés à la porte. Qui s'ouvrit brutalement. Le veilleur qui nous avait accueillis quelques heures plus tôt entra tout affolé.
_ Messieurs, la cliente de la chambre voisine se plaint, votre portable sonne sans s'arrêter depuis une demi-heure !
Le Chef était déjà debout Coronado allumé, son revolver à la main :
_ Chambre de droite ou de gauche, de ce pas je vais la rendormir d'une bastos bien ajoutée dans son cerveau ravagé par les termites à fromage ! J'en ai pour trente secondes.
Je m'extirpai péniblement du lit que le Chef revenait un large sourire aux dents !
_ Voilà, c'est réglé, plus rien ne la réveillera !
_ Très bien Monsieur, entre nous une emmerdeuse, mais ce n'est le problème, ce n'est pas pour cela que je viens, c'est la gendarmerie qui m'a passé un coup de fil ultra-urgent, vous devez immédiatement reprendre la route, on vous attend !
ON THE ROAD AGAIN
Réveiller les cabotos, ne fut pas facile. Nous dûmes nous résoudre à les porter à demi-comateux, l'œil vitreux, dans la Ghini, que je démarrai à fond de train :
_ Agent Chad, je suppose que je n'ai pas besoin de vous indiquer le but de cette promenade !
-
Pas du tout, je fonce tout droit à l'Elysée, par contre Chef comment ont-ils su que nous nous étions arrêtés à Vatan pour dormir ?
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Vous souvenez-vous, en le lieu sommital de notre précédente entrevue, de ce petit homme qui s'est assis et qui n'a pas desserré les dents une seule fois ?
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Cette espèce d'avorton, cette ignoble raclure de bidet, cet...
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Agent Chad, je le connais, c'est lui qui chapeaute tout les services qui s'occupent de la surveillance du territoire. Un homme redoutable, vous reprenez une portion de frites dans un restaurant de Triffoullis-les-Oies, un quart d'heure après un coursier entre dans son bureau et lui apporte une dépêche relatant que vous vous êtes resservi d'exactement l'équivalent de deux pommes de terre trois-quart de taille moyenne. retenez bien ceci, agent Chad, il est manifestement plus dangereux que le fantôme de Charlie Watts !
A suivre...
08:17 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : luke haines, beau brummel, sflit, mickey & sylvia, enola, eudaïmon, rockambolesques epi 7
21/04/2021
KR'TNT ! 507 : EDGAR JONES / LUKE HAINES / GORDON HASKELL / CRASHBIRDS / Mr PAUL ET LES SOLUTIONS / ORIGINAL ANIMALS/ ROCKAMBOLESQUES XXX
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 507
A ROCKLIT PRODUCTION
SINCE 2009
FB : KR'TNT KR'TNT
21 / 04 / 2021
EDGAR JONES / LUKE HAINES / GORDON HASKELL CRASHBIRDS / Mr PAUL ET LES SOLUTIONS THE ( ORIGINAL ) ANIMALS ROCKAMBOLESQUE 30 |
TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Gare à Edgar Jones
Liverpool 1986 : comme tous les gens bien nés, l’ado Edgar Jones écoute Captain Beefheart, Syd Barrett, Love et les Yardbirds. Puis il tombe sur des compiles qui vont sceller son destin : Nuggets et Pebbles. Il s’amourache de toute la bande des Seeds, des Standells et des Chocolate. Il a 16 ans lorsqu’il commence à composer des chansons. Il est tellement sûr de lui qu’il se prend pour Scott Walker. En 1990, Edgar et ses copains Gerald Ged Lynn et Paul Maguire montent les Stairs. Pour Paul Maguire, c’est facile : chez lui, on est batteur de père en fils. Pour Ged aussi : il n’a qu’une seule obsession : jouer de la guitare. C’est ça ou rien. Pour financer le projet, Edgar joue de la basse dans le touring band de Ian McCulloch.
Ged se montre très vite impressionné par les compos d’Edgar : «He’s a bit of a genius on the sly, that lad.» Les Stairs arrivent en Angleterre comme une bouffée d’air frais : ils dégagent une énergie peu commune et Edgar chante comme un dieu, avec ce gnarl and bite qui fait si cruellement défaut à la britpop de 1992. Le problème c’est que Ged doute de lui-même. Il devient vite ingérable. Il doute tellement de lui qu’il se barre à Frankfort au lieu d’entrer en studio le jour où démarrent les sessions d’enregistrement des Stairs. Il pense qu’Edgar joue mieux que lui - So I got myself out of the picture - Quand il revient, Edgar et Paul lui pardonnent. Les Stairs démarrent avec le mythique EP Weed Bus, un cut qu’on retrouve en ouverture de bal d’A sur le fameux Mexican R’n’B. «Weed Bus» ? Là, t’es en plein dedans. Les Stairs réinventent le British Beat yeah yeah yeah, la niaque en avant et les accords psyché en soutien, ça sonne à la liverpuldienne, Edgar ne se gare pas, il fonce dans le tas yeah yeah yeah au volant d’un weed bus digne du Magic Bus des Who, mais avec des chœurs de voyous. Mexican R’n’B figure parmi les grands classiques du rock anglais, ne serait-ce que par la présence de «Mary Joanna» : Edgar est en colère, il explose le pauvre garage au yeah yeah yeah. Il est encore plus violent que Van Morrison, comme si c’était possible. Il crache du feu et le solo ravage le camping, les accords pilonnent la plèbe, pas d’échappatoire, les Stairs sont en ville et battent tous les records de sauvagerie. Ils passent au psycho psyché avec «My Window Pane». Edgar y chante ses bas-fonds, ça tortille sec en bas de manche de basse et ils foutent une fois de plus la ville à sac. C’est du dirty garage psychotique, tout est claqué du beignet et accompagné d’awites d’une sauvagerie hallucinante. Edgar chante dans le fonds de commerce des Stairs, à la bonne éclate. Il n’en finit plus de croasser, sans doute en souvenir de François Villon. Quel fabuleux mélange de mix : punk + psyché sixties et c’est noyé d’écho à la con. Il chante la pop descendante de «Laughter In Their Eyes» avec le swagger d’un Droog d’Orange Mécanique. Il sublime la délinquance, il déchire sa chanson avec ses ongles. Ils tapent dans la Russie avec «Russian R’N’B», mais c’est avec «Right Back In Your Mind» qu’ils raflent la mise. C’est une stoogerie comme on en voit plus, c’est joué aux accords de «1969», voilà que les Stooges débarquent à Liverpool. Le truc des Stairs, c’est le dirty garage joué avec une ferveur dévastatrice. Ils vont loin dans le cloaque, wight in the back of yer meeend. Terrific ! C’est même les Stooges en pire, en plus gluant. Personne ne peut descendre aussi bas dans la déjection, même pas les déjecteurs. Edgar croasse sur son gibet et les redémarrages sont de la pure stoogerie. Autre bombe : «Woman Gone And Say Goodbye» : Edgar l’attaque à coups de dents de requin, yeah yeah yeah. Il y a du Proby et du Fog en lui. Il chante tout à l’excès.
Le petit conseil qu’on pourrait donner aux amateur de real deal serait de se procurer la red de Mexican R’n’B parue en 2019 sur Cherry Red. C’est un triple album qui rassemble TOUT ce qu’ont enregistré les Stairs, et notamment la fameux deuxième album jamais paru. À la suite de Mexican R’n’B s’entassent des bonus plus enragés les uns que les autres, comme ce «Flying Machine» assez teigneux, bardé de big guitars et d’appels du cor. Ils sont spectaculaires dans l’exercice du pouvoir. Edgar chante comme Roy Loney dans «When It All Goes Wrong» et il revient aux Them de 64 avec «You Don’t Love Me». Effusion maximaliste, you don’t care ! C’est violent et caverneux à la fois, ils explosent le concept du gaga à coups de descentes de bassmatic, il n’existe rien de plus hargneux qu’eux, sauf peut-être les Hammersmith Gorillas, mais là, Edgar Jones va encore plus loin. Il braille tout ce qu’il peut brailler. Voilà un «Russian Spy and I» cavalé ventre à erre, il exhorte l’ersatz à dégueuler l’excerpt. Ils tapent plus loin une reprise d’«I Can Only Give You Everything». Wow, quel bel hommage aux Them ! Full tempo, tout est là. La flamme et la hargne, il n’y a que ça de vrai. C’est l’une des meilleures covers jamais enregistrées, cause I try and I try, le solo brise les reins du cut et Edgar revient hurler dans la cave du beat, ô violence mère de tous les vices ! Il attaque encore «Fall Down The Rain» aux dents de la mer. Il est certainement le shouter le plus wild d’Angleterre. On ne trouve plus personne à ce niveau d’exaction, même pas les Shadows Of Knight, ni Roy Loney. Edgar Jones est un punk de Liverpool, un amateur de push push.
Le disk 2 s’ouvre sur «Last Time Around». Stupéfaction garantie. C’est du niveau des early Them avec quelque chose de Liverpool en plus. Il faut rappeler que ce hit des Del-Vetts fut popularisé par les Cynics. Quand on écoute «I Won’t Be Bad Again», on pense à un gang de sales branleurs qui préparent un coup fourré. Quelle délinquance dans le son ! Le pire c’est qu’Edgar n’en rajoute pas, il tape ça au swagger naturel. On trouve plus loin leur reprise du «No Escape» des Seeds. On retrouve aussi une démo de «Flying Machine». Edgar y écrase le champignon du punk system. Il chante à la pure expansion démographique, son refrain explose dans l’air humide, c’est un phénomène inconnu qui fait rêver tous les scientifiques, son punky strut éclate à la face d’un monde qui s’en fout royalement. Ils jouent «My Window Pane» à l’enfoncé du clou de beat fatal. C’est signé Paul Maguire. Power & beat, voilà les deux mamelles des Stairs. Ged cisaille à coups de guitare, les Stairs jouent à la vie à la mort. On le constate une fois encore avec «Right At The Back», il n’existe rien de plus stoogé du ciboulot que ce truc-là. Edgar fait son Iguane in the back of your mind sur les accords de «TV Eye», ça brûle tout seul, pas besoin d’aller craquer une allumette. Ils ramènent même un solo d’orgue dans la fournaise. Iggy n’aurait jamais imaginé un tel délire. C’est fulminant, ça se termine dans des tourbillons jusque là inconnus. Il faut aussi voir Edgar Jones ramener des descentes de gamme dans «Out In The Country». Il règne sur Liverpool - It’s alrite by me - On note aussi l’extraordinaire modernité de la pop d’«Happyland», bien incurvée par des poussées de bassmatic. Ils font un fin expiatoire. On croise ensuite une nouvelle version de «Weed Bus», monster on the loose éructé à l’ancienne, ils font carrément les Who à la mode de Liverpool. Voilà leur reprise du «Moonchild» de Captain Beefheart. Riff et harmo, une vraie imprimatur de British Beat. Ils sonnent encore mieux que les early Stones ! «Stop Messin’» vaut pour un heavy groove de Liverpool, mais avec Edgar, ça prend de drôles de proportions. Les Stairs ont le génie du power, c’est saturé de heavyness et chanté à gorge déployée. Ici tout est solide, extrêmement chanté et joué à outrance. Ils se fondent dans leur son comme d’autres se fondent dans l’ombre. Joli coup de freakout que ce «Snake Baker». C’est carillonné au sommet de l’art. Ils n’en finissent plus d’émerveiller la populace. Ils reviennent à deux reprises dans le flow du cut au diguili expérimental. Encore du power définitif avec «Custard Flys». Edgar Jones a décidé de nous en boucher en coin. On pense à tous les malheureux qui n’ont pu rapatrier ce coffret magique. Les Stairs sont trop puissants. On sort épuisé de ce disk 2, d’autant qu’ils bouclent avec un «Just A Little Sunshine» bien travaillé au corps. Les Stairs sont les spécialistes du wild ending.
Sur le disk 3 se niche le deuxième album inédit, celui que Viper a publié en 2008 sous le titre Who Is This Is. Pourquoi inédit ? Tout simplement parce que les Stairs n’intéressaient plus personne, pas même leur label de l’époque. Ça paraît difficile à croire et pourtant c’est la vérité. «Skin Up» ? Power & damnation ! Ils détiennent le pouvoir du rock antique, ils dégomment tout, y compris Blue Cheer et Motörhead. C’est le son des Stairs, battu à l’épisodique et chanté à la hargne du fauconnier. «It Was Alright» sonne comme une vieille crise de frappadingue. Ce démon d’Edgar Jones ne s’épargne aucune crise de transe. Il est aussi puissant qu’Eric Burdon. Il travaille son «Gotta Reason» au corps, il y a du shouter en lui et des enclaves mélodiques dans ses aspirations, il saigne son rock aux quatre veines, il taille à la serpe, il monte sa levure au levant, il manufacture à la liverpuldienne. Retour la heavyness avec ce «Stop Messin’» indescriptible de sauvagerie. C’est quasiment du Beefheart. On sent chez Egar Jones une profonde volonté d’annexion, il arrose sa heavyness de bassmatic et quand il descend dans les entrailles du son, ça devient apocalyptique. Tout chez eux est saturé de chant, de riffs, de bassmatic errant et de pompes dignes de la Rome antique. Ils n’en finissent plus de créer la sensation, comme le montre encore «Happyland». Ils défient l’entendement. Ils font toujours des cuts à rallonges émaillés de regains inespérés de violence sonique. Avec «Set Me Free», ils sonnent comme un ras-de-marée. Nouvelle merveille inexorable avec «Talking To You» et ils poussent la cavalcade insensée de «Teenage Head Cancer Blues» jusqu’à la nausée. Le guitar slinger joue en solo continu, Edgar bouffe son Cancer tout cru et après une fausse sortie, ils se remettent en route. Ils sont les grands spécialistes de la fausse sortie, ils reviennent juste pour démonter la gueule du cut. On entre avec «Cabbage Man» au royaume des bonus magiques. Edgar y monte sur ses grands chevaux et télescope une pop de wild beatlemania. Il la secoue de vagues psychotiques d’une rare violence. On a là un mélange terrible de hargne garage et de psychédélisme haletant, c’est blasté à l’Anglaise dans l’essence d’un spasme névrotique. Encore un final débilitant de génie fulminant. Ils basculent dans un enfer de mad psyché avec «Love Has Come Around And Gone Away». On peut même dire sans craindre la surenchère qu’ils expédient la mad psyché en enfer, droit dans la Rôtisserie de la Reine Pédauque. Comme l’indique son titre, «Driving Me Out Of My Mind» fait sauter tous les verrous. Edgar Jones connaît toutes les ficelles de caleçon du blast. Il nous plonge une fois de plus en pleine mad psyché d’excès mortel. Il n’existe rien de pire dans le genre. Il faut les voir sonner les cloches de la mad psyché. On n’avait encore jamais vu un truc pareil. Edgar refait son Burdon dans «I Saw Her Today». C’est dire s’il est bon. Il chante ça à la folie Méricourt. S’ensuit un «Do It To It» assez explosif, mais plus commun, même si rôdent dans le son les chœurs de Sympathy For The Devil. Comme il sait si bien le faire, Edgar allume le feu et crame toute la forêt. Ce psychopathe chante dans les flammes avec la voix d’une grenouille qu’on écrase lentement du talon. Fin de la rigolade avec «I’m Bored». Edgar Jones fait son cirque jusqu’au bout de la nuit des Bonus de cristal, il se meut dans un groove putride. Il est le roi du monde, mais personne ne le sait.
Paru sur Viper en 2006, Right In The Back Of Your Mind est une resucée de tout ce qui figure que le coffret magique pré-cité. Autant prévenir : cet album est encore une bombe. Ils sonnent comme les Beatles avec «Happyland», un énorme slab de pop orchestrée joué à ras des pâquerettes du Walrus, fabuleux retour sur investissement. On croise tous les cuts prédateurs, le stoogien «Right In The Back Of Your Mind» et «My Window Pane», chef-d’œuvre de punk psyché. Ils amènent «You Don’t Love Me» au pire garage de l’univers. Attention les gars, il s’agit des Stairs, avec ce boucher d’Edgar derrière le micro qui, en plus, descend ses gammes de basse. Il n’existe rien d’aussi sauvage en Angleterre. Ils battent tous les records, même ceux des Pretties. On comprend bien qu’avec «Fall Down The Rain», ils cherchent par tous les moyens à créer la sensation. Alors la voilà, la sensation, Edgar lui rentre dans le lard au punkish mood et un énorme solo psyché vient le conforter dans sa démarche. «It Was Alright» redore le blason du stomp de Liverpool. Et puis avec «Cabbage Man», ils plongent dans les Beatles avec une attitude de punksters. Ils se situent au-delà de tout ce qu’on sait du rock anglais. Ils shakent à outrance.
C’est en 2008 que Viper sortait le fameux deuxième album inédit des Stairs sous le titre Who Is This Is avec un chou en guise d’illustration pour la pochette, mais ce n’est pas l’Homme à la tête de chou. C’est l’occasion de revisiter toutes ces merveilles déjà évoquées, comme ce «Stop Messin’» où Edgar Jones fait son Beefheart. C’est dire s’il a du pouvoir. Et ça solote à la titube dans cette fabuleuse fuite en avant. Il fait son white niggah de Liverpool dans «When She Walks Down My Street». Qui saura dire la grandeur de sa négritude ? Il chante «Teenage Head Cancer Blues» à l’arrache de Wilson Pickett et «See Her Today» comme un punk qui serait dépassé par ses émotions, mais attention, il perd du crédit en voulant trop dégueuler.
Le dernier album des Stairs est une compile intitulée The Great Lemonade Machine In The Sky. Elle couvre la période 1987-1994. Edgar Jones y commente chaque cut et le petit conseil qu’on peut vous donner est de courir chez votre disquaire pour aller choper ce truc-là, rien que pour la version live de «Little Red Book», spectaculaire hommage au roi Arthur, joué avec tout le tranché du tranchant liverpuldien. Fantastique exaction que ce labour of Love. On trouve pas mal d’inédits, comme ce «Fall Down The Rain» prévu pour un EP et qui sonne comme une incroyable descente de garage liverpuldien. Ça dégomme sec dans la gomme arabique, Edgar chante à la big mouth de Northern swing. Ils font une reprise du «Moonsine» de Captain Beefheart, véritable leçon de ravalement de façade, ça frotte à qui s’y frotte s’y pique. C’est bardé d’harmo dévastatoire. Ils reviennent au pandenium des Sixties avec «Flying Machine» et une voix qui entre dans le cut à l’insistance du deep throat, mais avec quel power, you know what I mean. Et ces lignes de basse en forme de déploiement nucléaire ! Edgar ressort aussi une version abandonnée du «No Escape» des Seeds. Ils enregistrent «Do Dag Do» chez Liam Watson. Edgar parle de Barrettesque chord changes ans twists and turns & Daniel Kierney on guitar. Joli shoot de mad psyché ! Encore du mayem avec «Snake Baker» et sa jolie montée en vrille. Back to the Toe Rag sound avec «Custard Flys». Pure frenzy, parfaite giclée d’excellence liverpuldienne, c’est littéralement bardé de son. Ces mecs caressent le génie sonique dans le sens du poil. Edgar gueule avec le charisme d’un John Lennon éperdu de drogues et ça donne un stupéfiant miasme de miasma psychédélique. Edgar dit adorer cette horreur déconnante qu’est «Shit Town» et ça vire jazz avec «Good Lovin’». C’est une home démo enregistrée avec Carl Cook. Quelle classe ! C’est très évolué musicalement, et Edgar joue un jazz bass drive. Ils passent à la menace urbaine avec «I’m Bored». Sur «I Saw Her Today», Edgar sonne comme le Comte Orlock de Liverpool et ils finissent en beauté avec «Do It To It», un garage d’émulsion hybride à peine voilé et chauffé par un coup de wah en plein cœur du sun.
En 2005, Edgar Jones enregistre l’excellent Soothing Music For Stray Cats. On entre dans cet album via un groove de jazz saxé de frais. Bienvenue chez les géants de Liverpool. Les cuts sonnent comme des explorations d’archipels inconnus et l’Edgar crée soudain la surprise avec «Freedom». Il y bouffe sa Soul toute crue, comme un requin. Il passe au shuffle d’exception avec «Sittin’ On A Fence». On se croirait chez Graham Bond. Même esprit d’explosivité. L’Edgar a du génie mais peu de gens le savent, c’est dramatique. Il faut le voir jouer avec le vieux jump d’Angleterre dans «More Than You’ve Ever Had» et il se livre à un nouvel exercice de style avec «Stubborn Mule Blues». Sa voix craque dans l’air du temps, il ramène du groove ancestral. C’est effarant de passéisme. Il va au raw comme d’autres vont aux putes. Il revient au jump avec l’excellent «You Knew You Can Do It», mais il le fait jusqu’à l’os du genou, son jump est si humide qu’on le croit chanté par une femme. Pur génie interprétatif. Il ramène toute l’énergie du rockab dans «Catnip». C’est inespéré. Il va au-delà de toute expectative. Il mélange le drive de rockab avec une morve de fuzz. Il passe au New Orleans avec «Tenderly», eh oui, il se permet toutes les fantaisies. Voilà encore un cut bardé de son, avec des cuivres extraordinaires et du pouet à gogo. Il envoie ensuite un «Gonna Miss You When You’re Gone» groové à la stand-up. Il groove dans la chaleur de la nuit, comme Sidney Poitier. Le guitariste s’appelle Paul Molley et c’est un crack de Liverpool. Et voilà qu’il tape dans le gospel de Liverpool avec «Oh Man That’s Some Shit» avec une effarante facilité. Vous avez déjà entendu le gospel de Liverpool ? C’est très particulier car bien niaqué. Edgar Jones y fait du Little Richard. Il termine avec un shoot de funk intitulé «It’s My Bass». Il le fait pour de vrai, avec du bass drop de funk. Pas étonnant que cet album subjugue les Shindigers.
Comme le succès le boude, Edgar Jones passe son temps à remonter des groupes. En 2007, ils démarre une petite série d’albums avec une formation qu’il baptise Edgar Jones & The Joneses. Leur premier album s’appelle Gettin’ A Little Help... From The Joseneses et s’ouvre sur un «The Way It Is» magnifique de garagisme. Edgar Jones sonne comme Van Morrison. Il est sans doute le plus grand chanteur anglais vivant. Il sort des accents sublimes. Il fait son white nigger dans «We Should Get Together» et screame quand bon lui semble. On sent chez lui un goût prononcé pour Fats Domino («More Than You Ever Had») et il nous refait le coup du hit de juke avec «Need For Lovin’». Il peut aller aussi loin dans l’affirmation que Tom Jones. Il tape dans Gershwin avec «Summertyme» et se paye de luxe de chanter comme Nina Simone. Il redevient le fou masqué de Harlem pour «(Ain’t Gonna Be Your) Fool No More». C’est jazzy à en mourir, ce mec s’amuse et donne des leçons de swing ultimes. On se régale aussi de l’instro «About Time», juteux, énorme et passionnant.
Il existe aussi un EP trois titres d’Edgar Jones & The Joneses qui s’intitule The Way It Is. Ils sont en plein British Beat, entre les Animals et les Stones, c’est monté sur un Didley Beat avec une guitare fuzz dans le fond. Shuffle de rêve, c’mon, carnassier à souhait. Il s’en va ensuite swinguer «Nothin’ Doin’» comme un vieux Rolling Stone, before I really lose my mind. Il sait de quoi sont faites les choses de la vie. Beautiful artifact. Impossible de faire mieux que ça.
L’année suivante paraît Live We Should Get Together. Difficile de faire l’impasse sur un live pareil. Le morceau titre vaut tout l’or du monde. Edgar chante sa Soul, accompagné de violents coups d’acou. Il rend le plus beau des hommages à Big Dix avec «My Babe». Pas de plus belle excellence cathartique. Il est fabuleusement relayé par la wild guitar de Jamie Backhouse. Et puis Edgar se met à chanter le groove des jours heureux de Liverpool : «I Let A Song Get Out Of My Heart». Il le hatche à la gorge. C’est tellement énorme que ça devient irréel. Ils font une Soul de rêve et les chœurs sont du pur Motown. Ils passent par tous les stades du shuffle, ils le font à l’Américaine et c’est là où ils sont très forts. À la sortie d’un solo, Edgar pousse un yeah d’antho à Toto. Il sait aussi faire son Beefheart avec «Do Doh Doncha Doh». Il gère bien son haut de gamme inexorable. Il revient faire son black avec «More Than You’ve Ever Had», il fait du purisme absolutiste, personne ne peut battre Edgar Jones à ce petit jeu. Ils partent en mode Diddley beat dans «The Way it Is». Edgar, c’est Aretha, alors rien ne peut l’arrêter. Si on ne l’a pas compris, c’est qu’on a un problème. Un petit groove de basse amène «You Know You Can Do It». Ce fuckin’ Edgar sonne comme Louis Armstrong. Il jive son dub de round midnite. «We Should Get Together» sonne comme un shoot de yeah. Ce démon cavale dans les escaliers. Il chante au bouffe-tout, il est dans l’inexorabilité des choses et pour faire le show, il ressort les pom pom pom des Chambers Brothers. Real deal.
Avec The Masked Marauder, Edgar Jones & the Joneses vont encore passer inaperçus. Bon c’est vrai qu’on observe un retour au calme, après les excès des Stairs. Edgar va plus sur le groove, comme le montre «All The Things You Are», bel exemple de groove pépère. Mais c’est aussi le meilleur groove pépère qu’on ait entendu depuis des lustres. On sent chez eux une détermination à vouloir surprendre. En fait, c’est un nommé MM qui chante. Edgar Jones se contente du bassmatic. On reconnaît son style très vite. «Sunshine» sonne comme un vieux groove irrésistible assez parfait et bien swingué au sax par un nommé Austin Murphy qu’on salue bien bas. Et puis voilà le coup de génie de l’album : «It’s Great To Be Straight With One Another», un heavy blues handicapé de léthargie maximaliste, avec un Edgar qui chante au fond du studio. C’est d’une heavyness fluide incroyable ! L’album se termine avec un «Once There Was A Time» groové comme il se doit. Bassmatic irréprochable. Mais aucune info sur ce MM.
The Edgar Jones Free Peace Thing enregistre Stormy Weather en 2011. Au dos, on nous prévient : «What you have presently in your hands is one of the most incendiary albums you are likely to hear by a band on fire... Shake it loose !». Justement, ça démarre en trombe avec un «Shake It Loose» ex-plo-sé de son. Back to Liverpool, les gars ! Aw c’mon ! C’est de la folie de c’mon, pulsée au scream local. Ils sont trois, Edgar, Stu Gimblett on guitar et Nick Mimski on drums. Ce démon d’Edgar plombe sa descente aux enfers de notes de basse. Le morceau titre sonne plus funky et ils partent tous les trois en groove de jazz. C’est très impressionnant. Encore du funk de Liverpool avec «Statistical Knightmare». Ils fendent la bise tous les trois. C’est sans doute le Northern groove qu’auraient rêvé d’enregistrer les Beatles. S’ensuit un «I Don’t Need Your Roses» d’une grande densité compulsive. C’est très barré. On pense bien sûr à Jackie Lomax. «Big Fanny» sonne comme un retour de manivelle. Back to the heavy groove avec «Good Luvin’», c’est bien vu et bien envoyé, ce mec dispose d’une réalité vocale sans commune mesure et c’est mené au puissant swagger d’electric guitar de Liverpool. Wow, ça wahte à la désirade. Ils s’en vont ensuite groover «Hot Potatoes» par dessus les toits. Edgar et ses deux amis disposent d’une force de frappe peu commune. Trop de qualité peut dérouter les flux migratoires, mais qu’on se rassure, Edgar Jones peut faire son Steve Marriott quand ça lui chante, d’autant que la Patate chaude sonne comme du heavy Pie. Et c’est encore avec un clin d’œil appuyé à Humble Pie qu’ils finissent cet album : le cut s’appelle «Bones» et il porte bien son nom.
En 2012, Edgar doit comprendre qu’il est condamné à l’underground et donc il entreprend l’enregistrement d’une petite série d’albums sous le nom d’Edgar Sumertyme. Le premier s’appelle Sense Of Harmony. Comme les albums solo de Jack Yarber aux États-Unis ou de Steve Ellis en Angleterre, ceux d’Edgar Jones provoquent, une fois rapatriés, une sorte d’immense satisfaction. C’est parce qu’ils sont condamnés aux ténèbres de l’underground et donc mal distribués qu’ils prennent toute leur valeur car ils illustrent à merveille l’expression ‘démarche artistique’. Avec «On And On», Edgar fait de la heavy pop avec une aisance qui en impose. Son groove rappelle celui de Bobbie Gentry. C’est une belle pop explosive et sans prétention. Il prend résolument le parti de la pop underground avec «Bye And By». Les amateurs de psyché obscur vont s’y retrouver. Il faut dire que l’album est quand même un peu spécial. Très far-out. La face cachée du White Album. Edgar se demande dans «Sunfday Afternoon» ce qu’on peut faire un dimanche après-midi. Il devient carrément spectorien avec «It Can Only Be You». Ça se cogne un peu au mur du son et c’est tellement admirable d’overdrive que ça devient énorme. Il chante «I Would Do Anything» comme un dieu, ou plus exactement, il chante derrière le cut. «What Are You Gonna Do» est une sorte de régal, mais c’est uniquement parce qu’il s’agit d’Edgar Jones. Sinon, il est probable que ça passerait à la trappe de Père Ubu. Edgar shake son shook tout seul en Angleterre, ça sonne comme un hit de Phil Spector mais sans le Wall, avec une mélodie chant génialement sale. Ah il faut écouter ce mec-là. Il passe au petit pulsé avec «Beep Beep» qu’il fait bien and again and again and again et joué à l’espagnolade. Et puis on se régalera aussi du joli groove d’exotica en forme de vieux compromis de «Wishing Well», une pure merveille. On a envie de serrer la pince à Edgar Jones pour le remercier.
Edgar Sumertyme revient dans l’actu en 2013 avec un album mi-figue mi-raisin : Morphic Fields. Il y joue sa pop à la pointe du bassmatic, comme le montre «Sense Of Wonder», c’est excellent car doucement balancé, mais ça s’arrête là. Il fait un peu de glam à la T. Rex avec «Making Good Of Nothing» et un vieux renvoi de da loo da da da. Tout est très pop, ici, Edgar cherche sa chique dans la vieille pop de Liverpool. Dans «Revolutioning All Around You», il ramène une belle pop psyché qui nous renvoie tous aux Beatles de Revolver. Il tente sa chance à chaque cut. On le perd un peu avec «Long Dark Night Of The Soul» où il tente le coup de la house electro. Il retente une fois encore d’allumer son album en sonnant comme Dave Edmunds dans «Honey Bear», une sorte de boogie à l’Anglaise, mais tout le panache d’antan semble avoir disparu.
En 2017, Edgar Jones sort un nouvel album dans la plus parfaite indifférence. The Song Of Day And Night est un album pour le moins étrange, car coupé en deux : une A géniale et une B foireuse. Le seul cut sauvable de la B est celui qui ouvre la bal, «Don’t Break My Heart», car c’est monté sur le beat rebondi de «Lust For Life», alors ça marche à tous les coups. Mais si on cherche de la viande, il faut rester en A : tout y est excellent. Dès «Serendipity Doo», Edgar Jones joue la carte du doo-wop d’Angleterre. Ce mec va vers la black avec une facilité déconcertante. Avec «Wait», il se conduit en parfait white nigger. Il mouille sa syntaxe comme d’autres mouillent leur chemise. Il pratique le white-niggerisme à un très haut niveau. Encore une merveille avec «Keeps A Rollin’ Round In My Head». Il shake son groove comme un roi d’Angleterre. Les choses sont ici bien soupesées, comme dans les grands albums de Soul. Edgar joue sa carte du timbre groovy avec un brio exceptionnel. Il finit l’A avec «Thinkin’ Bout The Time». Back to the heavy psychout des stars. Ah comme ces mecs sont bons ! Encore un hit en puissance, Nina Jones chante avec lui et ça donne un duo effarant de tenue et fuzzé jusqu’à l’os du genou.
Signé : Cazengler, Edgar routière
The Stairs. Mexican R’n’B. Go! Disc 1992
The Stairs. Mexican R’n’B. Cherry Red 2019
Edgar Jones. Soothing Music For Stray Cats. Viper 2005
The Stairs. Right In The Back Of Your Mind. Viper 2006
Edgar Jones & the Joneses. The Way It Is. Viper 2006
Edgar Jones. Gettin’ A Little Help... From The Joseneses. Viper 2007
Edgar Jones & the Joneses. Live We Should Get Together. Viper 2008
Edgar Jones & the Joneses. The Masked Marauder. Viper 2008
The Stairs. Who Is This Is. Viper 2008
The Edgar Jones Free Peace Thing. Stormy Weather. Viper 2011
Edgar Sumertyme. Sense of Harmony. Viper 2012
Edgar Sumertyme. Morphic Fields. Viper 2013
The Stairs. The Great Lemonade Machine In The Sky. Viper 2015
Edgar Jones. The Song Of Day And Night. Skeleton Key Records 2017
Paul Ritchie : The World Shall Not Be Saved. Shindig # 88 -February 2019
Luke la main froide - Part One
Luke Haines est-il plus connu pour sa prose que pour ses disques ? Difficile à dire. Il fait des albums depuis trente ans, mais il écrit aussi des romans délectables et pond chaque mois une chronique dans Record Collector, qui est la première choses qu’on lit chaque mois. Vu l’énormité de l’œuvre qui au plan écrit n’a d’égale que son intensité, nous allons commencer par dire tout le bien qu’on pense de sa discographie et dans un Part Two, nous reviendrons sur l’écrivain. Et quel écrivain ! Luke la main froide pourrait bien être le Léon Bloy du XXe siècle.
Tout commence dans la joyeuse Angleterre des années 90, en pleine Brit-pop. Luke la main froide monte un groupe qui s’appelle les Auteurs et enregistre un premier album, l’excellent New Wave. On le voit chanter son «Show Girl» avec un certain allant et des accents à la Lennon. Il est donc assez balèze. Il retient bien l’attention, il propose un duveteux de chant appointé et connaît le secret des relances. Vas-y Luke, chauffe-nous la marmite. «Bailed Out» confirme que Luke est un chanteur racé. Il chante cet artefact de petite psyché à la langue fourchue. Et puis voilà un hit : «American Guitars». Il amène ça au heavy rock zébré d’éclairs beatlemaniaques. La brit pop de rêve est là, sur cet album. On assiste à une sorte de sacralisation de la psyché anglaise. Il revient en force avec «Don’t Twist The Stars» et l’éclate aux power-chords. Luke a le rock dans le sang, il joue à la grande envolée sanglée, le fouet claque et il reprend sa respiration. Il encercle plus loin son «Housebreaker» avec un certain talent - Your time is mine - Il profite de chaque cut pour lancer des échappées belles. On sent le mec parfaitement au point et il nous replonge avec «Valet Parking» dans un beau bain de jouvence. Cet album semble visité par la grâce. Encore de la heavy pop bien foutue avec «Idiot Brothers». Luke Haines chante ses couplets à la coule. Il dispose des deux mamelles de base : le son et la présence. Que peut-il espérer de plus ? A-t-on déjà vu un mec avec trois mamelles ? Non, évidemment. Sa heavy pop ne traîne pas en chemin. Quelle allure ! Globalement, cet album sonne comme une aventure extraordinaire. Les cuts se suivent et ne se ressemblent pas. Tiens, voilà «Early Years». Il en fait un petit rock blasté dans l’œuf du serpent, assez classique pour l’époque, avec les pattes qui s’écartent en dansant.
Alors après, les Auteurs, c’est vite vu. Luke la main froide s’imagine qu’il va conquérir le monde avec la petite pop pressée de Now I’m A Cowboy. Mauvais calcul. Dès «Lenny Valentino», on sent le côté typé de la rythmique. Avec «New French Girlfriend», il raconte l’histoire d’une poule française. Ça ne peut pas marcher, même s’il ramène des big power chords à l’inopinée. Il tente le coup du psyché de salon avec «The Upper Classes», mais Luke n’est pas Syd. Il doit rabattre sa superbe, même si le cut sort du lot. Il cherche la petite bête et ce faisant, il sait rester assez pur. On le voit ensuite torturer la pop au cello mais il tourne en rond. Ça sent l’album raté. Les années Brit pop grouillent d’albums inutiles de ce genre. Tout le monde enregistrait alors, sans rien avoir à dire. Luke joue la carte de la redite et finit par donner la nausée. Il tente à chaque cut de réveiller le dragon, en vain. Ça ronronne, jusqu’au dernier cut, «Daughter Of A Child». Le pauvre Luke est usé. On voit à travers.
Attention, After Murder Park demande un peu de temps : on y trouve un album entier de cuts perfidement intéressants, plus une rasade de bonus et en prime, un album live assez stupéfiant. Dès le cut d’ouverture de bal d’A, on sent un petite volonté de violence. «Light Aircraft On Fire» alterne le chant et les power chords douceâtres, mais mon pauvre Luke, ça ne fait pas un hit. Tu as encore beaucoup de choses à apprendre, toi qui te crois ce que tu crois. Well well, Luke, apprends à devenir modeste, c’est le seul conseil qu’on puisse donner au freakout freak que tu es, si féru de tout et de rien. Avec «The Child Brides», tu te fais porteur d’une parole underground estropiée. Ta pop sonne si faux, alors que sur ton premier album elle sonnait si juste. Ah quelle déconvenue ! Ta pop devient grotesque et inutile, prétentieuse et complaisante, méfie-toi. Mais on attendra que tu te reprennes, car on te sait capable de petits miracles. Puis avec «Land Lovers», ça dégénère. Ta pop est ridiculement mal foutue, comme empuantie et cousue de fil même pas blanc. On te prenait pour un mec bien. Puis, faute d’inspiration, tu te mets à enculer «New Brat In Town». Tout est gratté à l’avenant, c’est une catastrophe. Ce n’est pas parce que tu grattes tes cuts à marche forcée que tu vas sauver les meubles. Soudain, le ciel s’éclaire avec «Unsolved Child Murder». Luke va sur une pop enclavée de violons à la John Lennon. C’est très beatlemaniaque. Il enchaîne avec un «Married To A Lazy Lover» assez balèze, ça explose à coups de guitares destroy oh boy ! Luke réussit enfin à élever le niveau de la heavy pop à coups d’accords de guitare. Tout aussi énorme, voici «Buddha». Quel son ! Il ramène tout le son de la terre dans son happy birthday Buddha ! Stupéfiant ! Luke retrouve enfin la main froide. Il plonge encore dans le biz de la pop avec «Tombstone». Il y va, alors on l’écoute. Il est redevenu le maître du jeu. Comme Frank Black, il creuse le territoire aride de la pop pour créer ses palmeraies de pop baroque et il descend ensuite avec «Dead Sea Navigator» dans les tréfonds de la pop morbide. Au plan littéraire, c’est très solide, il chante toute l’horreur de la mésaventure, c’est noyé d’orgue et Luke se dresse comme un géant dans cette désolation. Il entame sa série de bonus avec un «Back With The Killer» qui ne marche pas. Il faut attendre «Former Fan» pour retrouver ces violentes tempêtes dont il s’est fait une spécialité. Il nous ressert une rasade de «Light Aircarft On Fire» bien bardée de son en suspension. Il n’en finit plus de remuer ciel et terre. On tombe plus loin sur la démo de «Buddha», c’est bien raw to the bone, il sonne presque comme Bowie dans «Space Oditty». Il a ce pouvoir. Il taille bien sa route dans le big fat sound d’«Everything You Say». C’est un Auteur, ne l’oublions pas. Il sait veiller au grain. Les albums qu’il propose sont des albums ardus. Il faut se bagarrer avec. Luke la main froide est un seigneur d’Angleterre. Il ramène aussi son cher «Tombstone», c’est du heavy Luke. Quand il va sur le heavy, il va sur le heavy. Il est brillant et seul dans la tourmente. Il fait une dernière pirouette avant de mourir. Il gagne du respect à chaque seconde. Il arrive chez John Peel avec «Kids Issue». Forcément, il en rajoute des caisses. C’est du Luke tout craché. De toute évidence, il cherche à séduire Peely. Luke est un caméléon, il va là où le vent le porte. Sur l’album live, il rend hommage à Kenneth Anger avec «Kenneth Anger Bad Dream» - This is a song about Kenneth Anger, the pornographer - Sur scène, deux cellos et trois violons l’accompagnent. Il revient à son cher Buddha et transforme «Married To A Lazy Lover» en petite merveille pop. On croit entendre les Beatles, tellement c’est bien foutu. Il ressort aussi son vieux «American Guitars» tiré du premier album. Big heavy sound ! Il fait claquer les American guitars, c’est énorme ! Encore un hit magique avec «Showgirl». Quelle fantastique chape de plomb !
Entre deux albums Haineux, Luke la main froide se prête au petit jeu pervers des side-projects. Il monte Baader Meinhof avec le batteur Del Hood. Évidemment, c’est de la pure provoc. Léon Haines a décidé de fracasser à la hache la morale de l’Occident purulent. Et pour ça, il choisit l’option d’un son electro qui va mal. Il n’essaye même pas de se rendre intéressant, il sort un son encore plus pathétique que celui des groupes qui essayent de ne pas l’être. Il crée les conditions parfaites du malaise. Il propose une espèce de terrorisme sonique de branleur. Il joue sa petite bille à coups d’electro mais avec un fond de Britpop et dans ce carnage, il ramène l’une des meilleurs guitares d’Angleterre. Léon Haines prête à confusion, mais sa guitare est sans pitié. Il veut vraiment nous faire croire qu’il navigue en eaux troubles, mais il n’est pas très doué pour naviguer, même s’il montre encore des vieux restes. Et puis soudain, alors qu’on ne s’y attend plus, il fait du glam avec «It’s A Moral Issue». Il se prend pour Bolan sans en avoir les cheveux. Tout y est, c’est sûr, sauf les cheveux. On ne comprend pas ce que le glam vient faire chez Baader. Et quand on écoute «Kill Ramirez», on admet qu’il est impossible de lui faire confiance. Il chante comme un con qui veut se faire passer pour un crack. Dommage, car encore une fois, il sort les belles guitares. Il achève l’album à coups d’acou, du coup ça devient un vrai coup, il touille son morceau titre au chant de taille et rend un étrange hommage à Baader. Il tente bien le diable et nous hante avec son refrain très politique, Baader Meinhof !
Il monte un autre side-project avec l’ex-Mary Chain John Moore et Sarah Nixey : Black Box Recorder. Trois album suffiront pour tenter de créer la sensation : England Made Me, The Facts Of Life et Passionoia. Le groupe a deux intérêts : Luke la main tendue s’entend bien avec John Moore et Sarah Nixey chante comme une reine évaporée. On reste bien sûr dans la provocation avec une pochette qui nous montre un glamster outrageous sur le carreau d’une mine, comme s’il s’agissait d’illustrer un choc de civilisations. Sarah Nixey crée une ambiance à la Mazzy Star dès l’ouverture de bal et on comprend pourquoi Luke la main verte l’a choisie. S’il en est un en Angleterre qui sait ce qu’il fait, c’est bien lui. Les cuts sont très composés et Sarah chante d’une voix douce et humide. Ce démon a réussi à trouver une chanteuse très anglaise. Elle chante à l’intimisme frelaté, le pire qui soit. Luke la main lourde vient fondre sa voix dans celle de Sarah quand ça lui chante et il faut attendre «Child Psychology» pour trouver un peu de viande. Les arpèges psychédéliques de Syd Barrett déroulent un heavy groove londonien et on sent nettement la poigne du songwriter. L’un des plus puissants du cheptel. Avec «Up Town Ranking», on passe au hip-hop sound, c’est-à-dire au heavy booming de bien-vu-Luke et elle chante comme une harpie tragique dressée sur le corps du roi. Fast and bulbous, comme dirait Captain Beefheart. Au final, on se retrouve avec un album plutôt excellent, très varié et très complet. C’est encore Sarah Nixey qui crée l’émoi avec «Swinging». Elle chante au rotten to the core, dans l’esprit aigre-doux de Mazzy Star. C’est elle qui boucle le bouclard en disant sa Haine du dimanche («Hated Sunday»). On sent la patte de Luke la Haine derrière. L’animal sait ce qu’il fait.
On les voit tous les trois sur la pochette de The Facts Of Life et Luke la main leste duette d’entrée de jeu avec Sarah la fatale dans «The Art Of Driving», ils font du Gainsbourg/Birkin avec du pushing on the brakes. Ils pompent le power de G. en montant chez Kate, Luke se la pète et se la pisse à tous les étages, c’est trop facile avec une juvénile comme Sarah, et puis il reprend le cold au chant, alors ça finit comme ça doit finir, en belle réussite. Ils récidivent avec «The English Motorway System». Sarah fait le show, elle vise l’émerveillement, elle vise le hit nubile extraordinaire, aidée par la mélodie parfaite de la Haines. Luke la main courante reprend «French Rock’n’Roll» à la volée, avec une Sahah en traîne de lassitude. Le cut francisé se dévoue, se courbe et offre sa fleur. Lucky Luke crée encore un petit climat intéressant avec «Straight Life». Il se montre très à cheval sur les tendances et ça finit par marcher. Nouveau petit hit bien hot avec «Gift House», hit de fille adossée à une compo magique, Sarah jouit d’une belle modernité, elle distille son chant dans un haze de daze à la Brian Wilson. Force est de reconnaître que Luke la main tendue est un atroce génie. Sarah bat Hope à la course dans «The Deverell Twins». Elle est capable d’élégance luminescente et le démon Luky veille sur elle. On se souviendra de lui pour cette ténébreuse faculté. Et ce bel album s’achève sur une dernière buée de kiss goodbye, «Goodnight Kiss», cette petite traînée de Sarah embrase encore quelques zones érogènes au passage, mais avec beaucoup de talent car elle se montre experte en goodbyisme.
Et puis voilà le dernier spasme du Black Box Recorder : Passionoia, l’album du bord de la piscine, ambiance années 80. On y trouve un hit faramineux : «I Ran All The Way Home». Cet enfoiré l’amène à coups d’acou et ça prend vite les proportions d’un hit inter-galactique. Ce mec a du génie. Sarah l’hyper-chante à l’hyperette de quartier, elle se jette à corps perdu dans les embruns de la nubilité pop et Luke la main de Dieu ramène tout le power de Zeus dans les couches de son. Irrésistible. Sarah fait aussi un carton avec «Girls Guide For The Modern Diva», beau shoot de pop un brin electro bien visité par des vents d’orgue. Le ton de l’album est quand même très electro. Ils font du beat turgescent avec «The School Boy» et comme Sarah aime la crème, alors c’est parfait. Elle doit certainement en faire exprès, elle cherche à choquer le bourgeois, car ce cut pue le sexe, même si Lucky Luke tente de tout ramener dans la cour d’école. De toute façon, quand tu écoutes un disk d’Haines, tu t’exposes au pire poil à gratter d’Angleterre. Mais son electro finit par tuer le charme. Avec «British Racing Green», il crée les conditions d’une petite féerie excentrique pervertie, mais il insiste trop sur le côté nubile insalubre. Il finit par devenir pompeux. Avec son beat electro à la mormoille, t’es baisé des deux côtés, par devant et par derrière. Et cette petite traînée de Sarah chante au sucre glacé, ce qui n’arrange rien. On est dans le sex de coke des années 80. Aw my God, quelle horreur ! Luke la main moite n’en finit plus d’envoyer la pauvre Sarah au front, mais elle fait souvent preuve de candeur est s’en sort comme elle peut. Tiens comme par exemple avec «When Britain Refused To Sing» chanté dans la ferveur de la culotte. Pas très glorieux, en fait.
Bon, Luke la main ferme ne désarme pas. Il reprend son chemin de croix solo et attaque How I Learned To Love The Bootboys avec un stupéfiant hommage aux Rubettes intitulé «The Rubettes». Il joue le kid qui a les moyens. Luke n’est jamais aussi bon que lorsqu’il rend hommage à ses petites amourettes d’adolescent. Oh surgarbaby ! Il pousse le bouchon à l’extrême, come on baby to the jukbox jive, eh oui, il ne faut jamais oublier que tout a commencé au pied d’un juke de la rue Saint-Jean. Hanky ton pant, Panky ! Terrific ! Luke crache son glam ! Dans «1967», il ne cite pas de noms de groupes, il ne parle que de record collection - Some people have died/ Some people have gone - Il revient au petit glam avec «Your Gang Our Gang», pas de texte, tout est dans l’intention du son. Back to the power avec «Some Changes». Il navigue dans les mêmes eaux que Lawrence d’Arabie. «Johnny & The Hurricanes» aurait pu devenir un cut énorme, car c’est battu à la vie à la mort, mais Luke choisit d’en faire un délire prog absurde. Puis il se croit autorisé à utiliser les concepts philosophiques des rednecks avec «The South Will Rise Again». Il se vautre dans un océan d’absurdité. Et la fin de l’album s’enfonce dans le néant. Luke n’a plus rien à dire. Il n’a simplement pas de chansons. Il finit de flinguer l’album avec «Future Generation» - This is the story of the band - Oui, c’est ça, cause toujours.
2001 voit paraître un autre album solo : Christie Malry’s Own Double Entry. Luke la mainmise va avancer au rythme d’un hit par album, ce qui est mieux que rien. Le hit de Christie s’appelle «I Love The Sound Of Breaking Glass». Il ressort sa grosse guitare électrique pour l’occasion et joue la carte du riff de distorse assez proto-Panky. On dénote chez Luke une forte disposition au big Sound. Il peut se montrer assez cérémonial, au sens Velvet de la chose, car on entend là une purée de disto étalée sur un beat de messe noire. Ce son de rêve rabote la face Nord. C’est un bel hommage aux Stooges et au Velvet. Sinon, on peut en pincer pour «Discomania», cut solide et bien ficelé. Il passe au balladif avec «How To Hate The Working Classes» gratté aux accords secrets d’un kid amoureux de la pop anglaise - I hate the working classes and everybody - Avec «Discomaniax», on le voit se prendre pour une star descendue du ciel en haletant pour semer la consternation parmi les fans de pop anglaise. Et il retrouve ses vieilles ornières avec «England Scotland And Wales».
Tiens, on retrouve «Discomania» sur The Oliver Twist Manifesto paru la même année. Il vire glam electro - They’re having sex/ To the kids in America - Bien chanté mais trop saturé de son. Il atteint les limites du discomania, mais ça reste intéressant. Luke la main moite cherche désespérément à convaincre. Pour la pochette, il s’est fait une tête de Droog, mais la mélodie de «Rock’n’Roll Communique N°1» nous fend la cœur - This is not entertainment ! - lance-t-il en guise d’avertissement. Avec «Oliver Twist», il passe au heavy groove de destruction massive. Il joue tellement dans les graves que le son chevrote. Luke mélange Oliver Twist avec les Droogs. Il essaye de s’approprier le mythe, mais ce n’est pas aussi simple. Comme il tente le coup du son, il passe à l’electro avec «Death Of Sarah Lucas». Il chante bien c’est sûr, mais il dit avoir dégommé Sarah Lucas. A-t-on envie de suivre ce mec ? Non. Il doit se débrouiller tout seul avec ses conneries. S’il veut asseoir sa crédibilité, il doit fournir des hits. Il revient à sa chère petite pop rampante avec «Mr & Mrs Solanas». Luke a vraiment la main verte. Mais il finit par nous fatiguer avec ses prétentions littéraires, telles qu’il les exprime dans «What Happens When We Die». Il se sert de la pop pour charger sa barque d’omniscience. Puis il s’agenouille aux pieds du Christ avec «Christ», mais manque tragiquement de crédibilité. Tout le monde n’est pas Alex Chilton. Il faut parfois fournir de grands efforts pour accorder à Luke du temps d’écoute. Il rend quand même hommage à la culture rock américaine avec «England Vs America». Il réécrit à sa façon l’histoire des British Isles et c’est assez sensible, il faut bien l’admettre.
Le hit de Das Capital s’appelle «Junk Shop Clothes». Luke la main devant s’enfonce dans les ténèbres du British songwriting avec beaucoup de courage. Il orchestre sa chanson à outrance et rafle toute la mise. Sinon, il reste dans son vieux registre pop, comme le montre «How Could I Be Wrong». Il ne cherche pas à aller ailleurs. Au lieu de se demander comment il pourrait avoir tort, il ferait mieux de se poser d’autres questions. Son «Showgirl» est aussi écœurant qu’un gâteau trop sucré. Et puis voilà la goutte d’eau qui fait déborder le vase : «Baader Meinhof». Cet imbécile de Luke parle de borderline dans son costume blanc, mais que sait-il de la délinquance ? Ça devient non seulement illégitime mais parfaitement insupportable. Ce mec sait aussi se faire détester, l’apanage des écrivains. Il bat bien la campagne avec son vieux «Lenny Valentino», et retrouve un peu de crédit après l’insultante passade de Baader. Quand on écoute «Satan Wants Me», on voit à quel point ce mec se croyait tout permis, à cette époque, même avec une absence complète de compos. Son Capital pue l’arnaque. «The Milford Sisters» sonne très anglais, c’est assez dépressif. Luke la main crochue joue avec les sentiments de l’auditeur. On le voit gratter «Future Generation» à la séduction maximaliste. Il ne sait plus à quel saint se vouer. Il nage dans ses habits blancs.
C’est sur la pochette d’Off My Rocker At The Art School Bop paru en 2006 que Luke la main de fer pose en aventurier des mers du Sud. Il démarre avec un morceau titre en forme de lichette de glam electro. C’est son truc - Can you feel the beat of my heart - Electro shit d’époque, il est dans son petit monde d’art school bop. Il chante sa purée du menton. Il attaque ensuite son «Leeds United» avec délicatesse, avant de basculer dans le stomp de mad craze, une manie typique des kids en mal de rock culture. Luke la main grasse sait créer des climats, c’est évident. Il ramène son vieux heavy riffing dans «The Heritage Rock Revolution» est c’est excellent - I live rock’n’roll/ I hope it never dies - Voilà le hit de Luke - Crosby Stills & Nash, the legacy of The Clash, I can’t make much more, Northen Soul and Stax - Côté références, il est toujours tiré à quatre épingles. Encore une énormité avec «The Walton Hop». Il y va à coups d’all the kids, comme Jimmy Pursey, want to get ! Il riffe ça à la folie avec de l’écho dans la riffalama - All the kids want to get backstage at the Walton Hop - Il faut avoir entendu ça. Puis il vire electro avec «Fighting In The City Tonight», dommage, même s’il chante à la perfection. Luke revient toujours par la bande dans ses cuts, c’est un fin renard du désert, un enfoiré au pelage argenté. Il sait aussi très bien générer de l’ennui, comme on le voit avec «Freddy Mills Is Dead» ou encore «Secret Yoga». Il aurait dû écouter Marty Wilde pour apprendre à développer du sustain. Puis il finit par nous fatiguer avec le mi-figue mi-raisin de «Bad Reputation». Sa chanson concerne Gary Glitter.
Faut-il considérer 21st Century Man/ Atchung Mutha comme un album dada ? Si on s’en tient à la photo de Jean Arp qui orne la devanture du digipack, on répondra par l’affirmative. Mais le son reste dans le giron glacial de Luke la main froide. Coup de tonnerre avec «Peter Hammill». C’est du heavy stuff, just like Peter Hammill. Puis il salue Klaus Kinsky dans «Klaus Kinski». Luke raconte que Kinski revint en Allemagne après la guerre. Avec «Wot A Rotter», il fait du Carter USM, c’est-à-dire du heavy glam de stade. Il sait très bien œuvrer dans l’intérêt de la patate glam, il recycle tous les vieux réflexes de la craze et du stomp olympique pour récréer ces illusions d’antan qui datent d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, eh oui, car Montmartre en ce temps-là accrochait ses lilas jusque sous nos fenêtres. Avec «Our Man In Buenos Aires», il se fait passer pour un espion - He’s the man in the shadows/ he’s the man on the run - Ambiance sérieuse garantie. Il cumule assez bien les fonctions du heavy riffeur («English Southern Men», «White Honky Afro») et du petit troubadour écarlate (le morceau titre). Il adore l’intimisme frelaté. Sur le disk 2 on conseille d’écouter «Ex-Teds». Une façon comme une autre d’entendre Luke la main froide nous raconter la suite de l’histoire de la scène anglaise. Il en profite d’ailleurs pour revenir à son cher glam. Mais on sent que ça finit par tourner en rond. Il va aussi chercher son milky way avec «Greenwich Observatory» qui est de toute évidence le hit du disk.
Belle arnaque que ce 9 1/2 Psychedelic Medications On British Wrestling of The 70s donné pour culte. Et mon culte, c’est du poulet ? Tiens prends une aile ! Luke la main torve fait toujours la même pop d’Auteur, il nous ressert le même intimisme frelaté et la même confidentialité de mauvaise haleine. Il n’y a rien, absolument rien de psychédélique dans cette resucée. Il se croit même permis de faire de l’opéra rock. Même si «Linda’s Head» sonne le glam, ça ne fait pas de 9 1/2 Psychedelic Medications un disk culte. On lui en veut un peu de nous faire miroiter monts et merveilles psychédéliques, alors qu’on ne trouve pas la moindre trace de psychédélisme. Il nous fatigue avec sa techno-pop de fuck-you-Luke. C’est là qu’apparaît son côté malsain. Et c’est là que vient l’envie d’insulter ce gros connard roukmoute qui sue dans son costard blanc tout fripé. On le hait. On hait l’Haines. Quand il chante à l’haleine chaude, ça pue. Il ne bande même plus. Ce mec est une horrible larve anglaise, une larve de la pire espèce, de celle qui martyrisait les nègres d’Afrique et les Indiens des Indes, il croit se faire des amis avec des pseudo-disks cultes, mais non. De toute évidence il fait tout pour qu’on le déteste. Comme Léon Bloy, il bascule dans l’extrême violence verbale. Il n’est plus dans l’artistique. Il n’est plus dans la représentation. Il triture encore un misérable «Haystacks In Heaven» avant de disparaître dans un cyclone de Haines.
Retournement de situation : avec Rock And Roll Animals, Luke rend hommage à trois rock’n’roll animals : Jimmy Pursey, Gene Vincent et Nick Lowe. C’est l’hommage à Pursey qui décroche la timbale : «From Hersham To Heaven» est tout simplement énorme - I’m just a human person/ At the bottom of the garden/ Digging for mushrooms woah/ Digging my hallucination woah woah - Il explose le concept de l’hommage - Steer the ship safely Jimmy/ From Hersham to heaven - L’autre merveille s’appelle «Rock’n’Roll Animals In Space» - The Stones without Brian Jones/ Were not righteous event though/ He was probably evil - Extrêmement puissant. Il joue «The Angel Of The North» à l’acou claire comme de l’eau de roche. Tout repose sur ce souffle intimiste qui date du temps des Auteurs. Vas-y Luke, réveille les vieux démons ridés de la pop. Mais sa pop peine à bander. Il propose ici une fable avec Jimmy the fox,, Gene the cat et Nick the badger - Rock’n’roll is a losers’ game/ Just accept it - Il tente de créer la sensation et y parvient presque en poussant le songwriting dans la littérature. Il chante aussi son «Magic Town» en mode confessionnal, comme Paddy. Il rend hommage en mode intimiste à Nick Lowe dans «A Badger Called Nick Lowe». Il crée une sorte de magie de souffle chaud pour évoquer les early days of Stiff, The Damned and Elvis Jake and Dave, come on Mr Badger. Signalons au passage que Badger veut dire blaireau. Dans Gene Vincent, il chante «Gene Vincent is a wise old cat.» C’est dingue la fascination qu’a pu exercer Gene sur les Anglais - Crashed his motorbike/ An epic cat/ A psychedelic cat/ Conceptual cat/ A maverick cat - Il joue ça à l’arpège triste. Catty cat cat.
New York In The 70s est sans doute le meilleur album de Luke la main froide. Comme Todd Rundgren et Lawrence d’Arabie, Luke joue de tous les instruments. Il démarre sur un bel hommage à Alan Vega avec «Alan Vega Says». C’est avec les hommages, au chant comme à l’écrit, qu’il atteint le sommet de son art. Il parvient à surpasser Suicide avec «Drone City». Il joue la carte du big orgasmic rampant. Fabuleux sens de l’overwhelming ! Il rend plus loin hommage à Jim Carroll avec «Jim Carroll», héros de l’underground new-yorkais tombé dans l’oubli. Luke la main leste le claque aux petits accords carrolliens. Puis il entre de plein fouet dans le cœur du mythe avec «Bill’s Bunker». L’écrivain revient à sa chère littérature, il prend un ton confidentiel alors on tend l’oreille - Talking to Bill/ About weapons and drugs/ Listen to Bill/ In Bill’s Bunker - Pure magie. C’est l’hommage d’un fan à William Burroughs - Injection & coins/ We are the drugs/ That flow through the veins/ Of Bill’s Bunker - Luke monte encore d’un cran avec «Dolls Forever», shalom shalom, il fait apparaître les six Dolls un par un, Sylvain Sylvaine ! - Who would want to be a Doll ? - New York Dolls forever, évidemment. Il passe ensuite naturellement à Lou Reed avec «Lou Reed Lou Reed» en mode electro-glam - Where’s the suicide blonde/ With the iron cross - Et une guitare à la Cold Turkey entre dans la danse. Comme Lawrence d’Arabie, ce petit Anglais féru de rock sait rendre hommage à ses héros. Il termine avec «NY Stars» - Dee Dee, Richard Hell, Johnny’s looking for a kiss - Pure magie - So rest in peace all my childhood freaks/ On imaginary rocket rides on 53rd and 3rd.
De la même manière que New York In The ‘70s peut être considéré comme son meilleur album, British Nuclear Bunkers peut être considéré comme le pire. Dès «This The BBC», on sent que c’est mal barré. Ou bien barré, ça dépend des cervelles. Ce pauvre Luke fait comme il peut. Le voilà dans les machines. Fucke Luke. Il l’aura bien cherché. Il se croit tout permis. Cut après cut, il s’enfonce dans une electro à la mormoille. On n’est pas là pour ça. Cette electro sauvage ne dégage rien. C’est atrocement con. Du big inept. Avec «Pussy Willow», il réussit l’exploit de ruiner sa carrière. Il tente encore de sauver son electro avec «New Pagan Sun», mais c’est aussi atroce que putassier. Il prend même sa meilleure voix de robot pour finir.
Luke la main froide sauve son Smash The System avec un bel hommage à Marc Bolan : «Marc Bolan Blues». Il retrouve le secret du son qui fit la grandeur de Bolan. C’est bien battu des cuisses, avec toute la niaque et toute la coule du glam. C’est un rêve devenu réalité. Ce diable de Luke sait tailler un glam pour la route. Il enchaîne ça avec un hommage à l’Incredible String Band, an unholly act. Il salue bien bas Mike et Robin. On imagine que «Cosmic Man» est un hommage à Donovan. Par contre, il se vautre avec «Ulrike Meinhof’s Brain Is Missing». Cette pop prétentieuse ne marche pas. Il se vautre encore plus avec «Black Bunny (I’m Not Vince Taylor)». Il affirme qu’il ne descend pas de la r’n’r station, mais son electro ne vaut pas tripette. Il sonne comme un vieux slip, avec ce son à la con. Comment ose-t-il faire référence à Vince Taylor dans le titre ? Son outrecuidance pourrait le couler définitivement. C’est d’autant plus horrible qu’il répète le nom de Vince Taylor. Il tente le Bowie strut avec «Power Of The Witch», mais il n’a pas les chops de Bowie. Alors il trace sa voie au crachat de chant, il balance sa verve dans le witch. Il revient à sa maudite electro dans «Bruce Lee Roman Polanski And Me», mais il se vautre encore une fois.
Brave petit album que cet I Sometimes Dream Of Glue paru en 2018. Pour trois raisons fondamentales. Le première, c’est «Oh Michael». Cette pop intimiste mal enregistrée frôle le hit, car ses awite oh yeah évoquent les Happy Days des Edwin Hawkins Singers. La deuxième s’appelle «Everybody’s Coming Together». Une chose est bien certaine : Luke la main froide envoie plus de jus que Bobby Gillespie. Il va sur un son plus underground et ça devient forcément intéressant. Il ramène une guitare killer dans «Fat Bird From The Woodcraft Folk» qui est la troisième raison. Ça change tout. Quelques killer secondes et Luke revient. Wow ! Il termine avec «We Could Do it», un cut de rêve à la Rev absolument dément de torpeur. Mais le reste de l’album est nettement moins convainquant. Luke se prend souvent pour une star de l’intimisme et chante trop dans son micro. Il revient un court instant à la Beatlemania avec «I Fell In Love With An OO Scale Wife», mais il n’arrivera jamais à la cheville des Beatles, même s’il les vénère. C’est très anglais, comme démarche. Le problème est qu’on attend de la belle pop comme au temps de New Wave, mais on va attendre longtemps. Il propose encore une fois une série de cuts inutiles. L’absence de reconnaissance doit tellement l’aigrir qu’il en arrive à proposer un truc comme «The Subbuteo Lads». Il s’enfonce dans l’incurie. Heureusement pour lui, des pauvres cloches achètent encore ses disques pour les écouter. Oui, Luke a raison, les solvants soignent l’ego des cons. Il chante à la petite confidence et regagne néanmoins quelques points dans les sondages. Il faut dire que ce n’est pas toujours facile quand on conduit son bateau en solitaire.
Luke la main tendue vient de s’acoquiner avec Peter Buck pour enregistrer un album, Beat Poetry For Survivalists. Pochette bien provocante, comme d’usage. Qui est Haines, qui est Buck ? Haines ne peut être que le fasciste à l’Italienne et Buck le King Kong pendu par un pied. Luke le bras long se prend pour une vieille star de l’indie pop et pousse dans «Jack Parsons» des soupirs d’anus fripé. Il se planque derrière son cut comme une araignée. Il est bien loti, avec l’autre, le Buck qui bouffe à tous râteliers. Ils ne sont même pas capables d’édifier les édifices. Nous n’aurons aucune pitié pour eux car Luke la Haines n’en a pour rien ni personne. D’ailleurs, le spectacle qu’il offre sur cet album devient vite affligeant : il ressort ses vieilles ficelles de caleçon et reprend son chemin de Damas en compagnie d’un Buck qui distille son jus MTV. Ils font du Bolan MTV, on aura tout vu. Le pire c’est qu’on attend encore des miracles d’une mec comme Unlucky Luke. On a envie de lui dire que son temps est passé. Il se retrouve une fois encore le cul entre deux chaises : l’indie pop et l’electro. Il tente de s’en sortir avec des effets. Il faut attendre «French Man Glam Gang» pour voir remonter à la surface les vieux clichés glam. En réalité, il jongle avec les stéréotypes. Il tente le coup de punk-blues avec «Ugly Dude Blues», il y va au yah yah yah et se prend pour le mogul du burgul de la destruction massive, il torture ses syllabes et écrase méchamment sa pédale de wah. Le style spongieux et mal intentionné lui va à ravir. Il est même assez vantard pour dire qu’il a écrit la chanson des Troggs que Reg Presley n’a pas osé écrire. Il est certain que ces mecs ont du son. Haines sort sa haine de sa braguette, la guitare de Buck est bien présente derrière le rideau de son, c’est très précis, très étudié, bâti sur un système de couches très élaboré. Mais une compo comme «Bobby’s Wild Years» ne sort pas de l’ordinaire. Luke la main courante replonge dans la fascination pour le mythe du rock’n’roll avec «Rock ‘N’ Roll Ambulance» et gratte quelques accords légitimes. Il fait son boop shoowah comme d’autres font leur bonne action, il n’a jamais quitté sa petite piaule d’adolescent haineux et impatient. S’il faut écouter cet album ? Oui, bien sûr, et plutôt deux fois qu’une, car Bad Luke campe sur sa position campy. Il n’en sortira plus. Never.
On dédie donc ce Part One à Iza qui programma héroïquement Baader Meinhof dans son émission et on retrouvera ce prodigieux écrivain qu’est Luke le bras long dans un Part Two incessamment sous peu.
Signé : Cazengler, lancelot du Luke
Auteurs. New Wave. Hut Recordings 1993
Auteurs. Now I’m A Cowboy. Hut Recordings 1993
Auteurs. After Murder Park. Hut Recordings 1996
Baader Meinhof. Hut Recordings 1996
Black Box Recorder. England Made Me. Chrysalis 1998
Auteurs. How I Learned To Love The Bootboys. Hut Recordings 1999
Black Box Recorder. The Facts of Life. Nyde Records 2000
Luke Haines. Christie Malry’s Own Double Entry. Hut Recordings 2001
Luke Haines. The Oliver Twist Manifesto. Hut Recordings 2001
Luke Haines & The Auteurs. Das Capital. Hut Recordings 2003
Black Box Recorder. Passionoia. One Little Indian 2003
Luke Haines. Off My Rocker At The Art School Bop. Degenerate Music 2006
Luke Haines. 21st Century Man/ Atchung Mutha. Fantastic Plastic 2009
Luke Haines. 9 1/2 Psychedelic Medications On British Wrestling of The 70s. Fantastic Plastic 2011
Luke Haines. Rock And Roll Animals. Cherry Red 2013
Luke Haines. New York In The 70s. Cherry Red 2013
Luke Haines. British Nuclear Bunkers. Cherry Red 2015
Luke Haines. Smash The System. Cherry Red 2016
Luke Haines. I Sometimes Dream Of Glue. Cherry Red 2018
Luke Haines & Peter Buck. Beat Poetry For Survivalists. Cherry Red 2020
La noblesse des Fleur de Lys
Le nom de Gordon Haskell ne vous dira sans doute pas grand chose. Il fut le bassman des Fleur de Lys, l’un des groupes phares de la scène freakbeat londonienne des mid-sixties. Comme Gordon Haskell a cassé sa pipe en bois l’automne dernier, KRTNT lui rend un dernier hommage avec un conte bien con tiré d’un Volume 2 à paraître.
Keith Guster et Gordon Haskell arrivent au 24, Cranley Gardens, dans South Kensington. Ils sonnent et Hilton Valentine leur ouvre la porte, avec un grand sourire :
— Entrez les gars ! Posez vos affaires et venez prendre un thé.
Keith et Gordon posent leurs sacs et leurs instruments dans l’entrée et suivent Hilton jusqu’au salon.
— Wow, quel appart ! Ça va nous changer du gourbi où on vivait...
— Bon, les gars, je vous le confie. Je pars en tournée aux USA avec les Animals. Faites pas trop de conneries, je ne suis que locataire. L’appart appartient à Ringo.
— Tu reviens quand, Hilton ?
— Dans trois mois, je pense...
Gordon et Keith se sentent provisoirement tirés d’affaire, mais ils n’ont pas de quoi se nourrir. Respectivement bassiste et batteur des Fleur de Lys, ils attendent, comme des milliers d’autres candidats au succès, que la chance leur fasse un beau sourire.
Le groupe vient du Sud de l’Angleterre, de Southampton. En vrais Mods, ils portaient des costumes en mohair, des boutons de manchette et des Beatles boots. Ils participèrent en 1964 au Mod Ball où l’on accueillait non seulement les Mods, mais aussi les Mids et les Rockers. Excellent cover-band, les Fleur de Lys reprenaient «Shop Around» des Miracles et «Watch Your Step» de Bobby Parker. Étant particulièrement doués pour ce genre de sport, ils cassaient bien la baraque. Ils finirent par gagner un concours dont le premier prix était une séance d’enregistrement avec Shel Talmy, un producteur américain installé à Londres depuis peu et dont la réputation commençait à grandir, puisqu’il venait de lancer les Kinks en produisant «You Really Got Me». Shel Talmy se disait bougrement intéressé par les jeunes prodiges, mais il se montra très gourmand en proposant un contrat où il s’octroyait la part du lion, c’est-à-dire 40 % des recettes. La réponse des Fleur de Lys ? Une magnifique moue de mépris aristocratique. N’étant pas homme à se formaliser, Shel Talmy lança les Who une semaine plus tard en produisant «Can’t Explain».
Il existait une très grosse communauté Mod à Southampton et les Fleur de Lys retrouvèrent leur public. Associé d’Andrew Loog Oldham, Tony Calder repéra le groupe et le signa sur Immediate. Les Fleur de Lys revinrent à Londres enregistrer deux titres produits par Jimmy Page. Calder les obligea à reprendre «Moondreams» de Buddy Holly, ce qui leur fit horreur. Ils proposèrent en B-side une compo à eux, «Wait For Me». Lorsque le single sortit dans le commerce, les Fleur de Lys furent profondément choqués. Leur amertume n’avait d’égale que leur dégoût : Jimmy Page avait remplacé «Wait For Me» par un instrumental crédité Page.
Un peu moins aristocratiques que les autres, Frank Smith et Danny Churchill quittèrent le groupe. C’est là que Gordon Haskell et l’enfant prodige Phil Sawyer entrèrent en scène pour les remplacer. Les Fleur de Lys repartirent à l’assaut des charts anglais avec une brillante cover du «Circles» des Who. Poussés par leurs démons, ils entraînèrent le «Circles» des Who dans l’œil du typhon et Phil Sawyer martyrisa son killer solo flash, révélant au passage un vilain penchant pour l’exacerbation. Keith Richards entendit à la radio ça et il téléphona aussitôt pour demander le nom du guitariste. Quant à Jeff Beck, il déclarait aux journalistes : «Il n’y a que trois guitaristes dignes de ce nom, à Londres : moi, Clapton et Phil Sawyer !»
Les Fleur de Lys s’étoffèrent en recrutant un pur Mod, Chris Andrew. Chris poppait des purple hearts et se vantait d’être descendu à Brighton participer aux combats Mods-Rockers. Il se montrait fier de sa Gretsch. L’instrument avait appartenu à George Harrison qui s’en était débarrassé en la donnant, car le manche était légèrement tordu.
On sonne à la porte. Keith Guster va ouvrir. Justement, voilà Phil Sawyer et Chris Andrew.
— Je vous en prie, entrez, mes amis. Je préfère vous prévenir. Nous n’avons rien à vous offrir, hormis du pain de mie...
— Don’t worry, Keith... Ça ira très bien.
Phil Sawyer et Chris Andrew s’installent dans le chesterfield et tout en papotant, commencent à grignoter des tranches de pain de mie. Keith Guster et Gordon Haskell ne disent rien. Deux heures s’écoulent.
— Bon, faut que j’y aille, lance Phil Sawyer. Mes parents m’attendent pour dîner !
— Moi aussi, ajoute Chris Andrew.
Gordon et Keith se retrouvent seuls dans le grand appartement. Ils observent l’emballage vide et les miettes de pain dispersées sur la table basse.
— Tu as faim, Gordon ?
— En vérité, je meurs de faim.
— Il nous reste deux ou trois pennies, mon pauvre ami. Tout ce qu’on peut s’offrir, c’est un paquet de smarties... Et on devra tenir trois jours avec.
— Great !
Frank Fenter arriva à Londres en 1958. Originaire d’Afrique du Sud, il entreprit une carrière d’acteur, puis devint organisateur de concerts. Opiniâtre et déterminé, il gravit les échelons du showbiz à la force du poignet et finit par devenir le représentant européen d’Atlantic Records. Au retour d’une tournée en Afrique du Sud, il ramena dans ses bagages une gamine de 19 ans, Sharon Tandy. Il l’épousa et entreprit de la lancer, car elle chantait bien. Il chercha un backing-band pour Sharon et recruta les Fleur de Lys. Fenter mit alors le turbo. Il leur décrocha la première partie du show de Sonny and Cher à l’Astoria. Le gratin du swinging London assista en direct au spectacle des exactions soniques de Phil Sawyer.
Keith Guster et Gordon Haskell passent leur temps à percer des trous dans le cuir de leurs ceintures. Ils craignent de perdre leur pantalon lorsqu’ils descendent dans la rue. On sonne à la porte. Keith va ouvrir.
— Ça alors, Chas, quelle bonne surprise. Tu es de retour à Londres ?
— J’me suis mis à mon compte et j’ramène un sacré poulain, mon gars ! C’est lui, là, derrière. L’est un brin timide, mais quel guitariste ! Son blaze c’est Jimi !
Un spectaculaire black freak se tient en effet derrière lui. Keith les fait entrer au salon.
— Chas, je suis désolé, mais nous n’avons que des smarties à vous offrir...
— T’inquéquète donc pas, mon tio quinquin ! J’vas aller acheter d’la saucisse et une bonne grosse boîte de faillots, dac ?
Chas Chandler repart, laissant Keith et Gordon seuls avec le black freak. On entend les mouches voler. Les deux Mods s’interrogent. Mais d’où sort cet étrange personnage ? Sa coiffure indique clairement qu’il ne connaît pas l’usage de peigne, quant à sa mise, c’est une véritable insulte aux règles de la bienséance, avec ce fatras de foulards et de colliers, cette tunique bariolée et ce pantalon de velours rouge qui moule si bien son érection. Chas revient avec les victuailles et file dans la cuisine faire chauffer la gamelle.
Tout le monde passe à table. Brandissant une énorme louche, Chas demande les assiettes pour servir.
— Dites voir, les gars, je cherche une section rythmique pour lancer mon poulain Jimi... Ça pourrait-y vous intéresser ?
— Désolé, Chas, mais nous sommes des Fleur de Lys...
— Ah, c’est ça... J’ai pigé ! Z’êtes de fidèles sujets de sa majesté...
— En quelque sorte, Chas... Disons que la bonne tenue n’est pas seulement une question de mise...
— Dommage... Car vous êtes bien balèzes tous les deux... Mais c’est pas grave, j’vais recruter deux aut’ gaillards vit’ fait. D’ici un mois, vous verrez l’nom de Jimi Hendrix à la une de tous les canards du coin-coin, vous pouvez m’faire confiance ! Allez, r’prenez un louche de faillots, ça vous fera du bien d’péter un coup... Vous êtes tout pâles...
Histoire de montrer de quel bois ils se chauffent, les Fleur de Lys entrent en studio pour enregistrer «So Come On» qui va sonner comme un hit préhistorique. Le morceau se révèle monstrueux, avec ses relents de r’n’b à la Spencer Davis Group. C’est du pur jus de juke, une véritable pépite freakbeat. Phil Sawyer l’achève avec l’une de ses bottes de Nevers : un solo horriblement désossé, teigneux et par essence irrévérencieux.
Nouveau coup de théâtre. Phil Sawyer quitte les Fleur de Lys pour remplacer Peter Green dans le Shotgun Express, un groupe en pleine ascension, emmené par Rod The Mod et Peter Bardens. Méprisant ce nouveau coup du sort, Chris Andrew, Keith Guster et Gordon Haskell recrutent un jeune loup nommé Bryn Haworth. Fenton leur décroche la première partie d’un concert de Cream au Saville Theater. Clapton n’en revient pas. Subjugué par le style sauvage du jeune loup, il déclare aux journalistes : «Il n’y a que trois guitaristes dignes de ce nom, à Londres : moi, Jeff Beck et Bryn Haworth !»
Un nommé Condor se rapproche des Fleur de Lys pour leur proposer d’enregistrer une chanson qui, affirme-t-il, va devenir un hit phénoménal : «Reflections Of Charlie Brown». En B-side, Bryn Haworth et Gordon Haskell imposent «Hold On», l’une de leurs compos. Au moment, où va paraître le single, «A Whiter Shade Of Pale» entre dans les charts. Horrifiés, les Fleur de Lys s’aperçoivent que Charlie Brown est un honteux plagiat du tube de Procol Harum et refusent que leur nom soit associé à cette magouille infâme. Le single sort sous le nom de Rupert’s People.
Plus décidés que jamais à en découdre, Sharon et les Fleur de Lys entrent en studio pour enregistrer une nouvelle version de «Hold On». C’est avec ce coup de maître que les Fleur de Lys entrent dans l’histoire du rock. Bryn Haworth joue comme un délinquant au bord de l’irréparable. Il prend un solo en forme de génocide sonique. Il fait sauter les notes, les fait griller, les tire, les étrangle, il donne de violents coups de médiator, comme s’il donnait des coups de hache à la bataille d’Hastings. Du coup, Sharon passe au second plan. «Hold On» est le tube absolu : groove, mélodie, puissance, chorus, tout y est. Jimi Hendrix est l’un de ceux qui crient au loup. Il saisit la première occasion qui se présente à lui pour monter sur scène faire le bœuf avec les Fleur de Lys.
«Hold On» arrive dans les bacs. Sur l’autre face, Sharon reprend une chanson de Lorraine Ellison, «Stay With Me Babe». Contrairement à toutes les attentes, le single n’atteint pas le sommet des charts. Mais à Honfleur, un kid écoute le single en boucle et restera toute sa vie obsédé par le solo de Bryn Haworth. Ce faramineux single devient une sorte de disque culte. Maigre consolation.
À Londres, les Fleur de Lys acquièrent une solide notoriété, mais ils ne parviennent toujours pas à se hisser parmi les géants qui embouteillent le sommet des charts. Fenton leur propose de devenir le house-band du studio Polydor. Ils accompagnent des tas d’artistes renommés, comme par exemple Isaac Hayes et Sam & Dave. Impressionné par le jeu de Keith Guster, Booker T le prend à part :
— J’ai une proposition sérieuse à te faire, petit...
— Je vous écoute...
— Viens avec moi aux États-Unis. Je t’offre la place de batteur dans mon groupe. Tu joueras avec tes idoles Steve Cropper et Donald Duck Dunn et tu rouleras en Cadillac !
— Navré de vous éconduire, monsieur, mais je suis une Fleur de Lys...
— Tu as du cran petit. Je ne connais personne qui puisse s’offrir le luxe de refuser une telle proposition...
— À la différence d’Ulysse, il n’est pas nécessaire qu’on me ligote au mât pour résister au chant des sirènes. En moi, l’honneur prévaut.
Un intermédiaire véreux se rapproche des Fleur de Lys et leur propose d’enregistrer «Judy In Disguise». Intrigués, Bryn et ses amis écoutent la maquette du cut. L’intermédiaire attend leur réponse. Les Fleur de Lys déclinent l’offre, en affichant une moue significative. Une semaine plus tard, la chanson atteint le sommet des charts, enregistrée par un groupe sorti de nulle part, John Fred and his Playboys.
Les Fleur de Lys préfèrent jammer la nuit entière avec le Vanilla Fudge, de passage à Londres. Les deux groupes disposent du studio Polydor. Ces baroudeurs expérimentés que sont Tim Bogert, Carmine Appice, Vinnie Martell et Mark Stein s’enflamment littéralement au contact des Fleur de Lys. En effet, les Anglais rivalisent d’audace et de brio avec les quatre New-yorkais. Le Fudge redouble d’intensité cathartique alors que Bryn pulvérise tous les records de sauvagerie sur sa Strato blanche. Lors d’une pause, Carmine Appice, dégoulinant de sueur, lance à Keith :
— Tu bats vraiment bien, petit. Tu devrais monter en première division, plutôt que de végéter dans ce studio !
— Oh, ce n’est pas vraiment la gloire qui nous intéresse, l’ami. Je ne sais pas si vous autres les Américains vous pouvez comprendre cela.
— Tu devrais y réfléchir, petit... Avec du blé, tu pourrais te payer un coupé sport et emmener des petites gonzesses en balade. Imagine un peu. Elles te suceraient la queue pendant que tu écraserais le champignon...
Les Fleur de Lys entrent en studio pour enregistrer «Tick Tock», une pop-song vaguement psyché - Tick tock, it’s five o’ clock - Les morceau flirte avec la médiocrité jusqu’au moment où Bryn entre en scène. Il part en trombe, triture des notes et achève le morceau dans un bain de distorse gluante. Il va en effarer quelques-uns, toujours les mêmes. Quand il entend ça, Jimmy Page déclare à la presse : «Il n’y a que trois guitaristes dignes de ce nom à Londres : moi, Jeff Beck et Bryn Haworth !»
Fenton roule en Rolls blanche. Pas les Fleur de Lys. Ils reçoivent 15 £ par semaine pour leur travail au studio. Gordon Haskell trouve ça louche. Il sait par oui-dire que les musiciens de studio sont plutôt bien payés. Jimmy Page et Big Jim Sullivan vivent très bien de leur travail de session-men. Gordon mène une petite enquête et cuisine l’attachée de presse de Fenton. Celle-ci finit par lâcher le morceau. Fenton reçoit de Polydor 350 £ par semaine et par musicien. Ne voulant pas croire une chose pareille, Gordon demande :
— Mais alors, où passent les 335 £ qui restent ?
— Tu veux que je te fasse un dessin ?
Gordon tombe des nues. Il ne pensait pas que les gens pouvaient se conduire ainsi. Il rapporte les faits à ses amis. Bryn et Keith encaissent le coup sans broncher. Ils savent seulement qu’il va leur être difficile de continuer comme si de rien n’était. Les Mods savent se conduire.
— Bon, mes amis, je quitte le groupe, lâche Gordon d’une voix grave. À mon sens, il s’agit plus d’un moyen de vous aider à évoluer vers autre chose que d’une façon de vous laisser tomber.
— Ne culpabilise pas, Gordon, reprend Keith. L’important est de tenir notre rang. Le nom des Fleur de Lys honorera le chapitre freakbeat des livres d’histoire. Que God vienne en aide à tous ceux qui ont vendu leur âme au diable pour quelques poignées de dollars. Franchement, je ne voudrais pas appartenir à cette catégorie de gens. Cela m’inspire une sorte de répugnance. Maintenant je vous propose d’ouvrir une bouteille de champagne pour fêter ce nouveau rebondissement.
— Excellente idée, Keith, lance Gordon, d’un ton qu’il veut joyeux.
Bryn ne dit rien.
— Tu m’as l’air bien sombre, mon ami, murmure Keith.
— Ne vous en formalisez pas, je vous en conjure. Je regrette simplement d’avoir à subir les conséquences d’une telle gabegie. Nous ne sommes pas de taille à nettoyer les écuries d’Augias, malgré toute notre détermination. Il n’est pas simple de nos jours de cultiver un art novateur et de vouloir l’imposer sans se compromettre. C’est à peu de choses près la seule conclusion que je puisse vous proposer, mes pauvres amis.
— Réfrène ton penchant pour l’amertume, Bryn. Toucher au but n’est pas une fin en soi, tu le sais bien.
Les Fleur de Lys trinquent et devisent gaiement sur le thème des opportunités.
Gordon envisage de rejoindre King Crimson. Keith s’indigne :
— Mais Gordon, tu manques totalement de discernement ! Tu as joué avec Jimi Hendrix, Donald Duck Dunn, Eddie Floyd, Steve Cropper, Sonny and Cher, Jeff Beck, Tim Bogert, Otis et Stephen Stills... Comment peux-tu envisager une chose pareille ?
— Mais tout simplement parce que je déteste ce groupe...
— Dans ce cas, je comprends mieux... Et toi Bryn, comment vois-tu l’avenir ?
— J’ai rencontré Leigh Stephens lors une party...
— Le guitariste de Blue Cheer ?
— Parfaitement exact.
— Tu ne te refuses rien, mon vieux...
— Oh, c’est une simple coïncidence... Leigh s’est installé à Londres pour une période indéterminée. J’apprécie énormément son style. J’aurais aimé qu’on nous laisse le temps d’évoluer vers un son plus puissant, comme celui que délivre Leigh sur Vincebus Eruptum. Je vais très probablement lui proposer de monter un groupe et d’aller entamer une nouvelle carrière aux États-Unis. Je préfère ne plus fréquenter l’atroce société des roturiers londoniens, ces parasites qui s’enrichissent impunément sur le dos des musiciens.
— Tu dois avoir raison, Bryn. Mais reste sur tes gardes. Tu vas certainement te retrouver confronté aux mêmes pratiques.
Gordon remplit la coupe de Keith et demande :
— Et toi, Keith, comment vois-tu les choses ?
— Une chose est sûre : je resterai un Mod tiré à quatre épingles. Pour les reste, soyez rassurés tous les deux, je ne nourris pas la moindre inquiétude. Je recruterai de nouveaux musiciens et veillerai ainsi à la postérité des Fleur de Lys, vous pouvez me faire confiance sur ce point.
L’éclatant sourire de Keith Guster réconforte ses amis.
— Bon ! Voici venu le moment de nous séparer, lâche Gordon d’un ton qu’il veut guilleret. Je vous remercie de tout cœur d’avoir su rester dignes dans cette tourmente. Toute l’affection que j’éprouve pour vous se double à présent d’une profonde admiration. Pardonnez-moi cet ultime épanchement.
Quelques jours plus tard, Keith et sa compagne reçoivent une invitation. Ils se rendent à la party, dansent et boivent la nuit entière. Le jour se lève lorsque leur hôte leur propose de les ramener dans leur quartier de banlieue. Personne n’est en état de conduire, mais rouler bourré est pratique courante, au cœur du swinging London. L’hôte démarre en trombe et écrase le champignon. Vrooom ! Il arrive un peu trop vite dans un virage et perd le contrôle du véhicule. L’auto percute le trottoir et fait quelques tonneaux. Bim bam boom.
Keith arrive plus mort que vif à l’hôpital.
Aux urgences, les médecins examinent les radios.
— Oh la la, c’est épouvantable... Jamais vu une chose pareille en quarante ans de pratique... Toutes les vertèbres cervicales sont brisées... Qu’en penses-tu, Malcolm ?
— Pauvre gosse. À mon avis, il ne s’en sortira pas... Et même s’il sort un jour du coma, il est foutu. Il vaut mieux prévenir les parents tout de suite...
Sur son lit d’hôpital, Keith reprend conscience. Il fait nuit, mais un plafonnier diffuse une lumière blanche. Il distingue soudain une silhouette au pied de son lit. Keith écarquille les yeux. Enveloppée dans une longue cape noire, la silhouette évoque ces femmes qu’on voit sortir des églises, en Espagne. Keith ne distingue pas son visage, noyé dans l’ombre de la cape. Par contre, il reconnaît l’engin que tient la silhouette : une faux. La lame luit faiblement à la lumière du plafonnier.
La silhouette fait un pas en avant et se penche vers Keith. D’une voix incroyablement caverneuse, elle murmure :
— Keith Guster, ton heure est venue... Tu vas devoir me suivre...
— Navré de vous décevoir, monsieur, mais c’est impossible.
— Ha ha ha ! Et quelle est la nature de cette impossibilité, petit morveux ?
— Sans vouloir vous offenser, monsieur, sachez que je suis une Fleur de Lys, et qu’en aucun cas je ne puis me défiler.
Signé : Cazengler, fleur de banlieue
Gordon Haskell. Disparu le 15 octobre 2020
PETIT RAPPEL HISTORIQUE
La terre est peuplée d'injustices, certains souffrent davantage que d'autres. Par exemple la municipalité de Bondy respire, elle a réussi à se débarrasser de ses nuisibles. Il lui a fallu du temps, plusieurs années, figurez-vous deux redoutables perruches ( les ornithologues ne sont pas tous d'accord sur cette classification ) noires ( surtout à ne pas confondre avec la perruche à croupion rouge ) s'étaient perchées sur un des ormes de la commune et apparemment s'y trouvaient bien. Au début ( les trois premiers jours ) ils sont passés inaperçus, à la fin de la semaine la population en son entier en est venue à regretter que les arbres de la place centrale n'aient pas été squattés comme dans certaines villes par une colonie de quelques millions d'étourneaux, bien sûr ça criaille et il pleut de la fiente sans discontinuer mais tout compte fait cela s'inscrit dans les programmes de préservation des espèces animales et file à la ville un cachet écologique non négligeable quant à son futur développement économique.
Mais si Bondy rit, la Bretagne pleure. De toutes ses larmes. Car ces psittaciformes noirâtres à bec jaune de malheur ont émigré et ont décidé de nidifier sur ces antiques terres chevaleresques. Le peuple breton s'est vaillamment défendu. Leurs élus ont enfilé leurs chapeaux ronds, que bizarrement ils appellent bonnets rouges, et ont fait pression sur le gouvernement, ils sont parvenus à faire interdire les concerts de rock sur toute la France. Nos indésirables volatiles n'en ont eu cure, ils ont continué à coasser sinistrement comme si de rien n'était, alors les plus grands savants bretons se sont réunis, dans leurs laboratoires secrets ils ont mis au point un microbe mirobolant ( nom de code : le variant breton ) censé venir à bout en un minimum de quatorze journée de ces hôtes redoutables. Cet espoir scientifique s'est vite révélé inopérant, l'on a eu beau en asperger cette triste engeance avienne, il s'est révélé qu'elle était naturellement immunisée, par contre l'espèce humaine moins résistante a connu les déboires de l'arroseur arrosé...
Nos cui-cui favoris s'en moquent, continuent leurs méfaits, un nouvel album, Unicorns, est en préparation, de temps en temps ils nous font part de l'avancement bruiteux de leur travaux, cette fois-ci ce n'est pas deux titres inédits sur Soundcloud ( les oiseaux aiment les nuages ), mais un clip, tout frais éclos, sur YT qui dévoile leur triste mentalité dévoyée...
MENTAL HOSPITAL
CRASHBIRDS
( Clip / Avril 2021 )
Un, deux, trois, c'est parti, excusez-moi je me suis laissé emporté par l'enthousiasme, je recommence au début, deux, trois, quatre, Rattila Pictures est là, des chirurgiens de l'image, vous leur fournissez un film tout simple, et vous les laissez faire, s'y jettent dessus telles des hyènes affamées sur un cadavre de chien purulent abandonné depuis quinze jours sur une aire d'autoroute, vous le découpent en morceaux, ce coup-ci une préférence pour les fines lamelles, et puis ils les vous recollent à leurs manières, puis ils passent leur temps à les ré-agencer selon une nouvelle donne, en plus cette fois-ci ils jouent avec les couleurs, enfin avec une, parce que sur le blanc-et-noir dominant, scintille par intermittence un magnifique jaune canari qui parfois s'engorge de nuances rouge-gorge ou bouvreuil-pivoine. Difficile d'expliquer pourquoi et comment mais ce traitement confère une étonnante rapidité et légèreté au montage, le clip défile devant vos pupilles étonnées et ravies.
On ne présente plus la distribution. La Dame à l'Unicorns n'est pas là pour faire tapisserie. Delphine Viane bosse. Debout. A la guitare. Au micro. A la percu. Contrairement à la courtoisie médiévale, le page Pierre Lehoulier reste assis, tapote un peu de sa jambe droite sa pantoufle sonique, du genre ma cocotte j'ai autre chose de plus important à faire qu'à m'occuper de toi, et joignant le geste à la parole des images dérobées nous le présentent les mains croisées dans son fauteuil à regarder par la fenêtre.
Les rockers ne s'arrêtent pas à l'apparence cosy, un feu de bois qui pétille dans l'âtre, les beaux arbres du jardin dont on entrevoit les troncs élancés au travers d'une large baie, les bibelots disposés avec goût, la bibliothèque remplie de livres – interdits - dont la fine et altière silhouette de Delphine s'obstine à nous empêcher de lire les titres, preuve que ces gens-là ne lisent pas que Les aventures de Fantômette.
Ce n'est qu'un détail, malheureusement souligné par la barbichette particulièrement méphistophélesque de Pierre, oubliez-le ( pour le moment ), concentrez-vous sur la plus belle, elle vous plaque une rythmique de diamant et elle chante merveilleusement bien, vous n'entendez qu'elle, vous ne voyez qu'elle, c'est là où vous tombez dans le piège tendu à dessein, vous croyiez voler jusqu'au paradis et plouf, tout se brise. Les portes du mental hospital se sont refermées sur vous. Déjà que votre cervelle rance dispensait une odeur d'infirmerie et que vos idées sentaient le médicament médiatique...
Sachez-le, avec leur mental hospital, ils vous entubent. Il est trop tard pour vous réveiller, cette chronique s'adresse donc à ceux qui ne se sont pas encore imprudemment aventurés dans le morceau. Je devance vos réactions '' Oh c'est super, c'est totalement Crashbirds avec un tout petit plus qui fait craquer, un je ne sais pas quoi, un truc super chouette, je le repasse ''. Malheureux vous avez mis l'oreille dans un engrenage fatal. C'est le moment de regarder Pierre, oui il joue de la guitare, Pierre joue toujours de la guitare, rien de nouveau sous la lune noire, toutefois soyez attentifs à son sourire, il est ailleurs et chaque fois que son médiator caresse sa corde la plus tendre, il vous distille le sortilège, pas besoin de tendre le tympan, cela s'infiltre en vous sans que vous vous en doutiez en douce sous le riff, comme le masque de la mort rouge dans la nouvelle de Poe, qu'est-ce au juste, un grignotement de souris, la petite sonate de Vinteuil dans La recherche du temps perdu, une petite fille perdue qui pleure, un couinement de blaireau dont on a enfumé le terrier, le pipeau du meneur de rats de la ville d'Hamelin, je ne saurais dire, mais c'est-là, indicible et irréversible, et les inflexions de Delphine par dessus cette scie à neurones vous aimantent, vous chavirent l'esprit, vous rendent fou... mais enfin laissez-moi, messieurs les infirmiers ne me touchez pas, non je ne vous suivrai pas dans cette ambulance, je...
Nous sommes dans l'incapacité momentanée de vous donner la fin de cette chronique de Damie Chad. Toutefois nous nous permettons de signaler qu'il n'est pas bon de dépasser la dose prescrite pour l'écoute de ce clip. Apparemment les Crasbirds ont encore frappé fort. Hautement contagieux.
La rédaction.
*
Fontainebleau jouit d'un passé prestigieux, François Premier transforma son modeste château médiéval en fastueuse résidence, Napoléon y fit ses adieux, Damie Chad y vint pour chroniquer quelques concerts de rock'n'roll, trois personnages incontournables mais qui relèvent de l'Histoire ancienne, voici que surgissent de nouveaux prétendants à cette gloire immémoriale, ils se sont regroupés sous une appellation un peu zarbi bizarre, MONSIEUR PAUL ET LES SOLUTIONS qui exige quelques éclaircissements. C'est que l'on n'échappe pas à ses origines, un groupe de rock sis ( même selon des circonstances hasardeuses ) dans une des cités les plus illustres de notre douce France, ne saurait être insensible à un patrimoine séculaire, que le lecteur ne soit pas surpris si nous sommes obligés de nous pencher sur d'anciennes strates géologiques du rock français pour expliciter leur démarche.
L'est sûr que pour trouver les solutions de Mr. Paul faut d'abord poser les problèmes. Ils sont parfaitement exposés par Eddy Mitchell dans Chronique pour l'an 2000. Si vous ne connaissez pas c'est que vous avez quelques années de retard. Faites le calcul par vous-même sachant que le disque de Schmoll sort au début de l'été 1966. Pour combler votre ignorance vous fouinerez aussi du côté de Chante de Ronnie Bird et de de Cheveux longs et idées courtes de Johnny Hallyday.
Les Problèmes sont le groupe – un bon son pour l'époque - qui accompagnera à partir de l'année 66 un jeune chanteur qui fait le buzz avec Les élucubrations d'Antoine, morceau dans lequel le dit Antoine aimerait voir Johnny Hallyday en cage à Médrano. Depuis ses tout premiers débuts les attaques n'ont jamais cessé contre Johnny, mais celle-ci ne provient pas des croulants habituels balayés par la vague yé-yé mais d'une jeune génération qui se prévaut d'une provenance beat-folk-dylanesque dissidente du rock'n'roll... Si le staff hallydéen saura faire rebondir la première idole la trajectoire d'Antoine restera sujette à caution... Le succès est venu trop vite, Antoine n'arrivera jamais à maîtriser son projet musical initial et finira par se ranger des voitures en s'achetant un bateau... Les Problèmes subiront un sort parallèle, finiront en Charlots spécialisés en gags de comiques troupiers... Beaucoup de gâchis... Tout cela ne serait pas bien grave si ces mésaventures ne rappelaient pas une avanie fondatrice qui présida à une première fausse-couche du rock'n'roll français, celle initiée par Boris Vian, Henri Salvador et Michel Legrand, qui tenta d'inscrire le rock 'n' roll dans la catégorie infamante de la gaudriole cocasse, une musique qui manque de sérieux.
C'est sûr qu'il existe dans le rock'n'roll français une lignée persistante qui louvoie entre nostalgie, parodie, dérision et je-m'en-foutisme. Elle provient de ce sentiment de libération joyeuse qui accompagna par chez nous l'apparition de cette musique entre 1959 et 1964. Jacques Dutronc fut le pionnier de cette veine, plus tard des groupes comme An bonheur des Dames, Albert et sa fanfare poliorcétique et les chacals de Béthune, les Wampas...
Mr PAUL ET LES SOLUTIONS
Monsieur Paul ( aka Billy Dorados ): chant, rythmique Don Electro 12 cordes, solo stratocaster, tambourin / Rick Solution : rythmique Vox Phamtom / Lulu Solution : basse / PJ Solution : batterie
Graphisme : Pauline Barbier
Plagier Dutronc : tout un programme, qui vous prend à rebrousse-poil, vous pensez par exemple à La fille du Père Noël et vous êtes victime d'un syndrome de caméléonisation vocale, ce n'est pas le timbre attendu et dument tamponné de Jacques Cacapoum que vomissent les enceintes, mais à s'y méprendre, la voix d'Antoine, telle qu'en elles-mêmes les chemises en fleurs l'habillaient, n'empêche que Paul et son gang de solutionistes persévèrent dans les paroles, pour avoir le son sixties faut plagier Dutronc, le problème, pardon la solution, c'est qu'ils n'ont pas le son french sixties original, ne les assimilez pas à des donneurs de leçons qu'ils ne suivraient pas eux-mêmes, style faite ce que je dis mais pas ce que je fais, c'est qu'ils ont beaucoup mieux à nous offrir, ces zèbres-là l'est indubitable qu'ils n'arpentent pas la savane depuis trois jours, savent se servir de leurs guitares sans suivre les tutos sur le Net, ils vous envoient la purée, le presse-purée et le champ de patates qui va avec en plein dans le minois - ne se cachent d'ailleurs pas de leur curriculum destroyer dans leur présentation – des garagistes patentés, vous passent le polish sur la carrosserie à plein tube, méfiez-vous si vous désirez participer à l'essai gratuit à côté des mécanos, gardez un œil sur le compteur, la mécanique ronronne doucement mais la pédale de l'accélérateur ils l'écrasent avec volupté, savent aussi s'arrêter brutalement, mais trois décharges de batterie et c'est reparti, comme un avion de chasse qui attaque en psyché. Waiting for true love : avec un tel titre vous vous attendez à un slow sixties, le coup du grand amour larmoyant et la collection de râteaux qui les accompagnaient, ah des true loves pour toute la vie qu'est-ce que l'on en a entendu, à mouiller des mouchoirs aussi grands que des draps de lit poisseux, chassez ces cauchemars fiévreux, ne gardez que la fièvre car Mr Paul et ses solutions miracles est là pour vous requinquer le moral, démarrent sec, sont des malins vous torpillent le sentiment avec une de ces rythmiques cahotiques dont Buddy Holly possédait le secret, un sprint grondant qui vous entrechoque les os du squelette et surtout ne faites pas confiance, ne retrouveront pas tous la même place à la fin du morceau, sûr que ce sont des rapides, de véritables lévriers de course, le vocal hilaro-parodique est débité à toute blinde au milieu d'un feu d'artifice sonique, avec ce maelström dans la tête vous pouvez attendre sans problème. Donc avec la solution ( nitro instable ) de Mr. Paul.
Damie Chad.
THE ANIMALS
En novembre 1976 War fait paraître Love is all the around regroupant des inédits enregistrés avec Eric Burdon durant son passage dans le groupe. En Avril 77 sort Survivor d'Eric Burdon Band, nous en parlerons dans notre prochaine livraison. Mais en août 77 paraît un nouveau disque des Animals ! Comme tous les fans naïfs je pense que Burdon utilise le nom fameux pour baptiser la énième mouture de son groupe d'Amérique, mais non, il s'agit bien du groupe anglais original, avec Alan Price que Burdon ne porte pas dans son cœur.
BEFORE WE WERE SO RUDELY INTERRUMPED
ANIMALS
( 1977 )
Pour le titre les Animais n'ont pas hésité à reprendre une phrase restée célèbre dans l'imaginaire collectif d'Angleterre : ''Comme j'étais en train de le dire avant que je ne sois si rudement interrompu c'est un art difficile de plaire tout le temps à tout le monde'' c'est par ces mots lors de la deuxième guerre mondiale que William Connor reprit son travail d'éditorialiste au Daily Mirror que suite à un article qui n'avait pas plu en haut lieu l'intervention de Winston Churchill avait brutalement suspendu... La couverture est une photographie de Terry O' Neil, il est crédité pour plus de deux cents couvertures d'albums, notamment Elton John, Tom Jones, Eric Clapton, surtout le haut du panier, ce qui m'induit à le considérer davantage comme un photographe de stars que de rock, d'ailleurs lorsque le rock aura perdu de sa force, il se consacrera à la musique classique. D'après moi un faiseur qui récupère des images déjà établies dans le mental du public à qui il sert la soupe habituelle. Pas un créateur, pas le grand bousculateur que l'on attend d'un artiste authentique. La couve de Before... fige le groupe dans son passé. Les Animals font un peu office de chevaux de Przewalski conservés dans les zoos pour empêcher l'extinction de la race...
Eric Burdon : vocals / Alan Price : keyboards / Hilton Valentine : guitar / Chas Chandler : bass / John Steel : drums.
Brother Bill ( The last clean shirt ) : le titre sonne comme un vieux blues mais il est relativement récent, fut écrit par Leiber et Stoller qui le sortirent sur leur label Red Bird en 1964 – le Cat Zengler nous a parlé de cette aventure discographique dans notre livraison 484 du 10 / 11 / 2020 – l'était chanté par the HoneyMan qui le cosigna sous le nom d'Otis. Alan Price a sorti son piano et nous sert une espèce de rag pas vraiment enragé mais qui nous ramène bien en avant dans le siècle précédent. Burdon est à l'unisson, les paroles ne sont pas joyeuses, le frérot abattu à qui l'on passe sa dernière chemise, mais Burdon se débrouille pour vous faire sentir le comique pratiquement désopilant de la mort, cette absurdité du gars qui a vécu pour qu'on l'enterre dans une chemise propre, une ironie mordante dans la façon de débiter le texte d'une voix égale et froide. Un petit chef d'œuvre d'humour noir. Les Animals égal à eux-mêmes, Hilton qui plaque son petit solo insurpassable de quinze secondes, et les autres qui jouent non pas avec leur instrument mais avec la sonorité de leurs binious. Art consommé. It's all over now, baby blue : apparemment l'amour est plus douloureux que la mort. Certes la version de Dylan n'est pas joyeuse, toutefois elle est traversée par un peu de hargne et d'ironie, mais celle des Animals est carrément funèbre, une musique mélodramatique et la voix de Burdon qui vous glace l'âme, Price appuie sur ses touches à croire que tous les douleurs du monde se sont pressés sur ses épaules, le Steel ne se départit pas de son rythme d'enterrement, la basse de Chas chasse le bonheur et Hilton est si malheureux qu'il en oublie de nous livrer son solo. Pour la petite histoire Dylan cite bien le Baby Blue de Gene Vincent comme une de ses sources d'inspiration. Fire on the sun : boogie qui remue, Price tape sur les touches une par une comme s'il plantait des asperges, le Burdon se rue sur le vocal à la manière d'un chacal qui se jette sur un os pourri, les autres lui emboîtent le pas, deux minutes qui ne sont pas impérissables mais qu'il faut avoir vécues. Je me demande comment Shakey Jake James Harry a posé son harmo sur l'original mais j'ai été incapable d'y mettre la main dessus. As the crow flies : tout est parfait dans ce blues, Burdon qui vous serre à la gorge, la rythmique blues de base dépourvu de toute fioriture, les notes de piano que Price éparpille de temps en temps, et ces voix qui s'élèvent au final, juste le temps que vous réalisiez que vous n'épuiserez jamais la tristesse humaine. Corbeau poisseux. Please send me someone to love : la ballade soul encore teintée de piano jazz mais déjà à côté, une belle section cuivrée et la voix plate de Curtis Mayfield, les Animals mettent les patins pour ne pas rayer le plancher, l'organe de Burdon se heurte un peu aux meubles cirés, mais l'essaie que ça ne s'entende pas, l'a un peu de mal à y croire, heureusement qu'Alan vous joue de l'orgue tantôt comme s'il était dans une église tantôt dans un night club à cinq heures du matin... ça se termine de justesse juste le temps d'évacuer le Burdon embourbonné, l'alcool lui monte à la glotte, l'allait hausser le ton à la Boris Goudounov. Many rivers to cross : l'on a changé de face mais les Animals tapent encore dans les reprises improbables. Quoique à la réflexion... surtout que le Burdon il ouvre son clapet moderato, à la hauteur de Jimmy, n'est pas là pour faire la course en altitude, c'est dans les passages plus bas qu'il sort sa voix bleu-sombre, l'Alan l'est comme chez lui avec son orgue, our favorite pets se passent même des chœurs féminins de Cliff, bien fait, mais n'apporte rien à Jimmy. Genre lycéen qui a fait un papier-collé de la bio de Baudelaire sur Wikipedia. Just a little beat : pas le premier titre que les Animals reprennent, oui mais sur l'original vous avez un ronflement de saxophone pour lequel vous vendrez votre âme au diable pour qu'il vous permette de le reproduire à l'identique. Les z'Animals z'ont pas de saxo, le Price vous sort toute la ménagerie de verre de son orgue, se la donne à fond mais ça manque de sexo... d'autant plus que le Burdon vous prend une petite voix flûtée de coupe de champagne, ça pétille, ça fait des bulles, mais l'on préfère quand il joue au cobra royal qui vous crache dans les amygdales. Riverside county : enfin, ils ont réussi à écrire un morceau tous ensemble, question paroles ce n'est pas le cinquième évangile mais peut-être que c'est mieux, une belle intro avec Hilton qui égrène quelques notes comme l'on jette des pièces d'or au fond du bocal aux poissons rouges, et le Burdon qui vous prend son timbre de petit garçon qui demande à sa petite sœur de baisser sa culotte pour jouer au docteur, hélas, ils éteignent la lumière et coupent le son juste au moment où ça commençait à devenir intéressant. Lonely avenue : pas besoin de lire le titre, tout le monde connaît ce balancement typique de l'intro de Ray Charles, l'Hilton vous offre une suite royale pour le prix d'un solo, le Burdon vous manie sa voix comme s'il filait des coups de pied dans des boîtes de conserve, les chœurs jouent à la pédale wah-wah et Price vous fait reluire les ors de son orgue comme s'il astiquait les tuyaux de celui de Notre-Dame. Sur ce écoutez la version en français et en live de Noël Deschamps enregistré au Jazz Club Le Méridien en 2018. The fool : on se quitte sur un petit cadeau un titre de Lee Hazelwood et Al Casey à la guitare ( le même qui joue sur Bird Doggin de Gene Vincent ), le chanteur Sanford Clark avait une de ces belles voix insipides pas du tout foolichonnes qui en 1956 plaisaient aux filles, c'est le moment de prendre une leçon de chant, le Burdon il vous le reprend à l'identique au début, l'on sent la différence – par contre Hilton ne fait pas mieux qu'Al Casey – puis il pose quelques intonations pas trop, mais c'est comme la citrouille de Cendrillon qui se change en carrosse.
Un peu décevant tout de même. L'ensemble manque d'unité et de direction. La play-list a dû être composée à la va-vite sur un bout de table. Genre de disque incompréhensible pour la hungry generation punk qui n'avait nul besoin de ces bibelots tirés de l'armoire aux souvenirs de leurs grand-pères. Z'étaient à la recherche de l'énergie brute perdue. Et ils n'avaient pas tort. Et ils l'ont trouvée.
Le disque se vendit peu et ne fut soutenu par aucune tournée, et hop un flop !
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Tout est étrange dans cet album. Certes ils ont besoin d'argent. Il sera suivi d'une tournée qui donnera lieu à un Live ( voir plus bas ). Il ressemble davantage à un album d'Eric Burdon qu'à un disque des Animals. Le deal conclu avec ses anciens collègues Burdon y rapatriera le matériel qu'il avait amassé en prévision de son prochain opus. Beaucoup de morceaux sont co-signés par Sterling. Un autre titre était prévu beaucoup moins mystérieux que Ark : Hard times with my favorite ennemy.
N'empêche que la pochette est sujette à intenses méditations. Ark sigifiant Arche – mot ô combien bibliquement connoté – j'en avais conclu à première vue que Burdon dernier passager de l'Arche démolie par le déluge, avait trouvé refuge sur un étroit radeau dont la voile rouge gonflée par un vent impétueux risquait à tous moments de le jeter dans les flots tumultueux... preuve que le Dieu très méchant s'était ravisé et avait décidé de radier de la surface du globe l'espèce humaine jusqu'à son dernier représentant. Mais non je me laissai aveuglé par mon idéologie anti-chrétienne. Regardons de plus près. Ce n'est pas un hunier gonflé par le souffle de la tempête mais la coque de l'arche elle-même. Entre nous soit dit, le vaisseau ressemble davantage au Nautilius de Jules Verne qu'à l'espèce de grossière péniche quadrilatérique décrite dans la Genèse. Après tout pourquoi pas, Dieu qui sait tout devait bien avoir dans un de ses tiroirs secrets les plans du sous-marin de l'auteur de Vingt Mille lieues sous les mers, n'est-il pas par définition le seul maître à bord devant le Capitaine. Cette deuxième approximation demande à être approfondie. De fait l'image ressemble à une case tirée d'une bande-dessinée, une lointaine, revisitation du combat contre les poulpes géants, l'arche est attaquée par une espèce d'hydre ultra-agressive surgie des abysses qui n'a pas l'air de se ressentir des balles traçantes de la mitraillette du héros qui l'affronte. Un Noé moderne, porte-cigarette au bec – déjà que la Bible il est décrit comme un vieil ivrogne - sanglé dans un uniforme de confédéré, un peu le look de Clark Gable dans Autant en emporte le vent, courageux, intrépide mais heureusement que le tigre assoiffé de sang qui dormait dans la soute se hâte de venir lui donner un coup de main, pardon de patte aux griffes acérées. L'artwork est de Paul ( S ) Power est-ce le même storyboarder que l'on retrouve dans les génériques de RoboCop et Predator et de nombreux autres films à grands-succès ?
ARK
ANIMALS
( 1983 )
Eric Burdon : vocals / Alan Price : keyboards / Hilton Valentine : guitar / Chas Chandler : bass / John Steel : drums. + Zoot Money : keyboards / Steve Grant : guitar, synthetiser, background vocals / Steve Gregory : saxophones / Nippy Noya : percussion.
Loose change : vous n'en croyez pas vos oreilles, les Animals ont bien changé, oubliez-les, ce n'est plus la même musique, elle sonne un peu passe-partout, trop entertaiment, heureusement que Burdon est en forme, sur un green vous auriez la balle qui rentre dans les dix-huit trous les uns après les autres au premier coup de club, grande jubilation cynique, l'argent ne fait pas le bonheur mais puisque j'en ai je ne crache pas dessus, musicalement sauvez les filles qui ont du chœur et le sax de Gregory qui fait très bien l'affaire. Love is for all time : soyons gentillet, un petit reggae pour se régaler, n'y a pas que l'argent dans la vie, y'a l'amour aussi, faut savoir se rattraper aux branches, certes l'amour c'est bien mais cet accompagnement est aussi nourrissant qu'un sandwich sans pain ni garniture, Chas à la basse tient le morceau sur ses épaules, sur lesquelles Burdon caracole en poussant la barcarolle. My favourite enemy : l'amour ce n'est pas toujours au top, ennemi prend un e au féminin, Burdon chuchote pour mieux piquer sa colère, perso ce qui me fout en rage c'est ce synthétiseur de malheur qui vous aseptise le rock'n'roll et vous le transforme en chansonnette, les Beatles avec leurs harmonies et leur invention seraient bien parvenus à en faire une omelette potable mais ils n'étaient pas dans le studio. Prisoner of the light : avec un autre accompagnement Burdon aurait pu tenir un hit, un superbe numéro vocal, pop anglaise dans toute sa splendeur, comment arrive-t-il à funambuliser si merveilleusement sur cette musiquette si bébête, parfois dans la vie les copains ne vous aident pas, et il vaut mieux être seul que mal accompagné. Being there : y a-t-il un pilote dans l'avion? Oui, il s'appelle Eric Burdon mais son appareil a les ailes cassées, alors il vous le posera en bout de piste et évitera la catastrophe, un prodige, mais l'on aurait préféré un crash landing ! Hard times : ouf ! Enfin cela ressemble à quelque chose, rythmique binaire, le minimum mais chacun y met du sien dans les chœurs, l'on retrouve nos animaux favoris, ceux qui viennent vous manger dans la main pour vous arracher les doigts, preuve par l'absurde que quand la vie vous veut du mal c'est pour votre bien. The night : des lyrics parfaits pour un blues, mais Burdon nous en donne une dramaturgie petite-bourgeoise avec orchestre de variétoche qui filoche à l'emphase, vivement que la nuit s'achève. Pataud. Vaudrait mieux ne pas faire une étude sociologique du public qui a plébiscité ce morceau, l'on serait déçu. Trying to get you : remarquons que la tarte à la guimauve précédente ils ont essayé de la cacher entre deux dolmens qui ressemblent un peu au rock'n'blues, celui-ci est adouci par les synthés et le sax mais l'ensemble possède une bonne tenue et Burdon en profite pour hausser la voix. L'avait intérêt s'il voulait se démarquer d'Elvis ! Just can't get enough : ballade soul balancée, Les sax déversent un baume salvateur sur votre âme asséchée. Ce n'est pas la vie éternelle, mais enfin cela vous donne l'espoir de survivre. Quelques ressemblances avec Depeche Mode... Melt down : encore un truc qui ressemble à ce que je notai précédemment, les Animals courent après la mode et l'air du temps, chien perdu cherche son collier, c'est mignon, gentillet, je ne vous en voudrais pas si vous ajoutez insipide. Gotta get back to you : coucou aux filles sur les chœurs au moins ça change et ça passe le temps, Burdon nous fait le coup du groove qui tue, mais le couteau est émoussé. Ne s'entête pas, écourte les frais. Nous le remercions de ne pas persévérer dans l'erreur. Crystal night : pas vraiment cristallin, le genre de morceau que l'on entonne dans un bar tous ensemble à trois heures du matin, ce qu'il y a de bien c'est que Burdon chante mieux que nous mais si l'on avait le droit de tirer sur le pianiste qui synthétise ce serait mieux. No John no : ( face B du single: The night ) : Price n'a pas signé tout seul uniquement The house of the rising sun, ce morceau ses copains l'avaient renvoyé en face B du single The nigth – il n'y a pas de petite vengeance – une chanson du quotidien tragique de John qui se suicide d'ultra-quotidienne-solitude, pas rancunier le Burdon, nous en sert une version d'autant plus émouvante que la facture de la chanson ressemble à Susanna chantée par The Art Company...
De tous les disques des Animals, c'est le plus décevant, trop éloigné de leur style si particulier. Et hop, flop pop !
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Une pochette de Carl Grasso qui avait manifestement partie liée avec IRS la maison de disque pour laquelle il a réalisé pas mal de couves. L'a travaillé avec beaucoup de groupes notamment les Cramps, pas de chance, de touts ces travaux c'est celui qui me laisse le plus dans l'expectative. Comme dirait Hegel j'ai dû mal à entrevoir le concept... Sans doute est-il contenu dans le sous-titre qui ferait de l'objet une sorte de calendrier de l'avent, ce qui me semble mal venu pour un dernier disque...
GREATEST HITS LIVE !
( RIP IT TO SHREDS )
ANIMALS
( 1984 )
Eric Burdon : vocals / Alan Price : keyboards / Hilton Valentine : guitar / Chas Chandler : bass / John Steel : drums. + Zoot Money : keyboards / Steve Grant : guitar, synthetiser, background vocals / Steve Gregory : saxophones / Nippy Noya : percussion.
It's too late : public enthousiaste, le son n'est pas parfait, vous avez un synthétiseur qui vient bourdonner dans vos oreilles tel un moustique qui vous empêche de jouir de votre nuit et vous ne pouvez pas l'écraser, la voix de Burdon n'est pas au mieux, une espèce de piano malade qui perd ses dents chaque fois qu'on enfonce une touche, dommage un morceau sur le délicat passage délicat à l'acte, du désir de la violence à la violence, on attend le drame wagnérien et l'on a droit à un allègre sautillement... House of the rising sun : sortent la grosse artillerie dès le début, pas besoin d'avoir un diplôme de troisième année de musicologie pour comprendre comment le disque fonctionne : une musique fluette et pointue et Burdon qui chante à faire exploser les micros, même le solo de Price est bien criard, Burdon se hâte de raccrocher les wagons, que voulez-vous il dépense sa vie dans un rock'n'roll band qui n'est pas au point. It's my life : surprise divine, sont parvenus à une épaisseur phonique équivalente à l'originelle animalière, filou le Burdon chaque fois que l'orchestre devient ruisselet il parle par-dessus, avec cette ruse de sioux le bateau ne coulera pas au fond de l'eau, ce que l'on appelle un passage en force par la porte de derrière. Don't bring me down : difficile de reconnaître le morceau sur l'intro, vous le descendent à la baïonnette non aiguisée. Quelle salade, n'importe quoi, reste le Burdon qui nage entre les gravats tel un aspic en colère qui n'a pas trouvé le sein de Cléopâtre pour y planter son dard mortel. Don't let me be misunderstood : un début qui rappelle les génériques des mauvais films espagnols, Burdon est en voix, force dessus pour que l'on oublie les synthés décintrés, entre la musique qui se casse la figure avec la grâce d'une mémé obèse qui descend les escaliers de la tour Eiffel sur son auguste postérieur et Burdon qui finit par crier comme un goret que l'on saigne il y a de quoi devenir schizophrène. I'm crying : un morceau de roi, le fleuron de la couronne, belle cavalcade derrière, pour une fois les chœurs tiennent la route, passage tambourin burdonien, mais l'on ne s'égare pas, l'on renvoie le riff et la messe est dite. Dieu n'était pas là mais Burdon nous a sauvés. Bring it on home to me : l'intro si inexistante que Burdon parle dessus pour que l'on ne l'entende pas, ensuite cela s'améliore, on peut au moins profiter de la splendeur vocale d'Eric, le sax l'accompagne telle une fleur vénéneuse de nénuphar éclose sur l'eau grisâtre d'un étang boueux, hurlement désespéré d'Eric au final. Oh lucky man : le quart d'heure de gloire d'Alan Price, c'est un peu comme si vous passiez au micro après la Callas, il y met du cœur, évacuez discrètement le cheveu noir dans la soupe au lait. Boom boom : me ferai jamais à ce son de keyboard aigrelet, aigrelaid, aigrelait qu'a mal tourné, toujours Zorro Burdon qui arrive à la fin pour couper les liens de la pauvre Suzie ficelée sur les rails, remarquez la loco qui survient est poussive même si le sax la pousse de toutes ses forces, sur le final vous aimeriez être Suzie pour embrasser le héros qui vous a sauvé de la mort. La fin du morceau est charivarisée dans une pétaudière incongrue, mais vous parvenez à y retrouver vos petits frissons. We 've gotta get out of this place : je perçus les percus et puis un bruit de ressort de carnet à spirale et le Burdon se lance dans une espèce d'impro rap de mauvais augure, la foule bat des mains, et vous de l'aile, enfin une guitare acceptable, Burdon a retrouvé sa voix, l'orchestre a perdu la voie du rock, vaut mieux qu'ils chantent les chœurs que de toucher à leurs instruments. Y a un mec qui tape sur une plaque de fer et il croit qu'il joue de la batterie. Le massacre dure près de huit minutes... When I was young : d'entrée une espèce de sirène de police asthmatique – vous avez envie de vous cotiser pour qu'ils puissent vous faire peur - heureusement que par la suite Burdon se charge de nous faire oublier le désastre, il y parvient, quant aux parties orientalisantes vos rêves de bayadères ont du mal à imaginer les houris qui vous attendent au paradis, elles ressemblent à des souricettes en tutu rose dans un dessin dévitalisé de Disney.
Vous conseille de trouver le DVD, le son est meilleur, en plus vous les voyez s'agiter sur scène. Ces deux derniers albums jurent un peu trop dans la discographie des Animals. Plusieurs reformations du groupe ont suivi mais Burdon n'étant pas là, nous ne nous y intéresserons pas. Nous disons : pop stop !
Damie Chad.
XXX
ROCKAMBOLESQUES
LES DOSSIERS SECRETS DU SSR
( Services secrets du rock 'n' rOll )
L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS
Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.
Lecteurs, ne posez pas de questions,
Voici quelques précisions
Cette livraison, nous nous la sommes procurée à prix d'or et grâce à quelques indiscrétions, c'est ce que dans les rédactions des grands magazines l'on appelle les bonnes pages d'un prochain livre à sortir, donc en avant-première nous offrons quelques extraits des Mémoires d'un GSH ( Génie Supérieur de l'Humanité ) de Damie Chad. Elles jettent un jour cru sur la terrible partie qui s'est jouée entre le SSR et les autorités défaillantes de notre pays. Nous alertons notre lectorat féminin qu'il pourrait être choqué par la violence de certaines scènes.
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Je m'amusais comme un fou. J'avais dérobé un énorme SUV muni de gros pare-chocs, je surgissais comme un madurle sur l'arrière d'innocentes voitures, mettant le clignoteur pour leur faire signe que j'allais les dépasser, et plouf ! à peine m'étais-je décalé sur la gauche que je me rabattais sur la droite et les envoyais bouler dans les décors, les filles criaient Olé ! Le Chef relâchait de son Coronado un énorme nuage de fumée noire en signe de deuil. Puis prenant une voix onctueuse de prélat à l'office des morts il déclarait : Nous ne sommes pas les gardiens de l'Humanité, nous sommes ici juste pour sauver le rock'n'roll !
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Hélas, ce jeu innocent se termina lorsque Vince m'indiqua de tourner sur une mince route départementale qui bientôt perdit son goudron et s'atrophia à tel point qu'elle devint un chemin vicinal de plus en plus étroit qui finit en cul de sac devant un mur de pierre.
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Nous ne sommes qu'à trois cents mètres de la Villa aux Ormeaux, et nous sommes exactement dans la Villa aux Ormeaux, voyant nos visages interrogatifs Vince se hâta d'expliquer, une petite dépendance, un pavillon de chasse, devant lequel se dresse le deuxième ormeau du domaine. C'était un peu la garçonnière de Ludovic, nous l'avons souvent utilisée quand nous étions jeunes. J'en ai toujours une clef sur moi, cela peut servir à l'occasion. A la nuit tombée nous irons délivrer Ludo.
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La nuit était tombée. Nous nous étions entassés dans la petite cuisine où nous nous étions restaurés. Ludo et Vince avaient pensé à tout, provisions a gogo et quelques armes. Au-dehors il faisait noir, les filles sursautèrent lorsqu'elle entendirent les hurlements des loups
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Ils viennent d'Italie nous renseigna Vince, n'ayez pas peur les filles nous n'avons pas besoin de sortir, nous allons emprunter un souterrain !
Déjà le Chef avait arrêté son plan d'action :
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Deux groupes, les hommes formeront le trio d'attaque, les filles nous suivront à trente mètres, nous prenons les pistolets et les revolvers, et le trio de soutien féminin les fusils à canon scié, pas besoin de savoir viser pour tirer, Agent Chad prenez la tête, Vince à trois mètres derrière vous, écoutez ses conseils il connaît les lieux, moi derrière un Coronado aux lèvres ! Action immédiate.
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Sous la table un tapis. Sous le tapis une trappe. Sous la trappe un escalier obscur dans lequel je m'engageai sans peur car un agent du SSR n'a jamais peur. Vince me suivait et m'éclairait d'une lampe torche. Le boyau n'était pas large mais n'offrait pas de difficulté. Il montait et descendait, des marches avaient été façonnées pour aider la marche. Au bout d'un quart d'heure je butai contre une porte.
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La porte donne dans une armoire, me souffla Vince qui s'était rapproché pour les dernières instructions, tu te retrouves derrière des casiers à bouteilles, tu les pousses sans problème et sans bruit ils sont montés sur des roulettes huilées, tu te retrouves dans la cave. Droit devant un escalier, la porte donne sur le fond du couloir qui sépare la maison en deux, trois pièces de chaque côté. A toi d'improviser.
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Ce fut facile. Le couloir était plongé das le noir, sous une porte filtrait un rai de lumière, des bruits de voix me parvenaient. Je regardais par le trou de la serrure. Ils étaient trois autour de Ludovic torse nu et les mains liées dans le dos. Se servaient de lui comme d'un punching ball qu'ils se renvoyaient de l'un à l'autre à coups de poing.
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Parle crapule, on veut tout savoir sur Vince et ses copains !
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Tu ne les connais pas, pim, pam, pum
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Et Vince non plus, pim pam,
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Juste un ami de maternelle ! l'avait du cran le Ludo, l'encaissait bien,
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Déjà, pim, pam, poum, tu vois, pim, pam, poum, tu choisissais mal tes amis, pim, pam, poum, un sale activiste qui inonde la côte d'azur de brochures rock'n'roll !
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Eh bien, pim, pam, poum, tu n'as pas de chance, celui qui ordonne déteste le rock'n'roll, et ces mecs on va les dessouder un par un, pim, pam, poum
D'un coup de pied j'ouvris la porte et tirai une bastos en plein dans la tête de celui qui paraissait le plus gros, de la cervelle avait giclé sur le mur, et de glauques filaments pendaient sur le lustre, les deux qui restaient étaient sidérés, il me fallait profiter de la surprise.
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Toi là, le plus maigre si tu tiens à la vie tu me donnes le nom de celui qui commande, ou tu vas subir le même sort que ton copain, je te laisse une demi-seconde pour répondre.
Le mec ne devait pas tenir beaucoup à la vie, il me toisa d'un sourire méprisant, peut-être qu'il avait la tête dure, mais pas tant que ça, quand le bastos lui brisa le crâne sa cervelle sauta en l'air fit trois fois le tour sur elle-même comme une crêpe le jour de la chandeleur, elle retomba avec un bruit mou sur le plancher.
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A toi le numéro trois, pareil que ton copain si tu ne donnes pas le nom du commandeur suprême !
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C'est... c'est... l'homme à deux mains... lui-même !
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Très bien je m'en doutais, et n'oublie pas que l'homme avec une ou deux mains est un loup pour l'homme, sur cette courte leçon de philosophie, je lui fis sauter le caisson, peu de cervelle coula, preuve qu'il n'en n'avait pas beaucoup.
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Parfait Agent Chad, la silhouette du Chef s'encadrait dans l'embrasure de la porte, Vince occupe-toi de Ludo et ramène-le au chalet, l'a besoin de soin et d'un coup de jack dans le gosier pour le remonter. Agent Chad avec moi dans la cuisine, sous la gazinière nous trouvâmes deux bouteilles de gaz butane dont nous nous emparâmes, les filles survinrent à point, Charlotte fenêtre de gauche de devant, Charlène fenêtre de droite, Brunette tu ouvriras la porte lorsque tu verras le feu d'artifice !
Le Chef et moi restâmes derrière la porte d'entrée, j'enlevais les petites capsules qui libérèrent le gaz, avec son Coronado le Chef l'enflamma, nous avions en main deux gros chalumeaux, Brunette ouvrit la porte, déjà les butagaz roulaient vers les estafettes de gendarmerie, ils n'eurent pas le temps de descendre, chacun de nous deux tira sur une des bouteilles qui toutes deux explosèrent et embrasèrent les véhicules.
Nous n'en avions pas fini, à droite et à gauche des phares balayèrent l'asphalte et deux cars de gendarmerie sortis d'on ne sait où pilèrent devant la villa. Z'étaient une quarantaine qui se ruaient vers la maison, n'allèrent pas loin, depuis les fenêtres les filles les arrosèrent méthodiquement, nous les aidâmes un peu de notre artillerie personnelle, cinq minutes plus tard, z'étaient tous morts...
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Repli stratégique, ordonna le Chef, Agent Chad, vous passerez en dernier, vous remettrez les casiers à bouteilles correctement, rejoignez-nous au plus vite, la piste sanglante ne fait que commencer...
A suivre...
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