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11/11/2021

KR'TNT ! 529 : MILF ( + KLIM ) / GARRY BUSHELL / BANG / DRUGDEALER / DELPHINE DORA / ROCKAMBOLESQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 529

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

11 / 11 / 2021

 

MILF / GARRY BUSHELL / BANG / DRUGDEALER

DELPHINE DORA / ROCKAMBOLESQUES

TEXTE + PHOTOS SUR : : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Milf cow blues

Le retour aux choses sérieuses se poursuit avec un concert des Milf dans un petit bar rock de Rouen, quelque part de l’autre côté du pont. Mais quand on arrive là-bas, on se croit à Londres, avec ce bar qui fait le coin de la rue et cet attroupement de gens autour. Le bar est minuscule. Comme dirait Arletty dans les Enfants du Paradis, ce bar est tout petit pour ceux qui, comme nous, s’aiment d’un aussi grand amour. Il est même trop petit pour un groupe aussi chargé de légende que les Milf. Les Milf ? On en parle à droite à gauche. Connais pas, qu’ils font. Et les Klim ? Ah bah non, jamais entendu parler. C’est extrêmement bizarre cette histoire, car les Klim furent en leur temps la meilleure chose qui soit jamais arrivée à la Normandie, en matière de rock à guitares. Puis les têtes pensantes des Klim - c’est-à-dire la chanteur José et le guitariste Gilles - sont devenus les Milf et se sont entourés d’une section rythmique aussi redoutable que celle du temps des Klim. Tous ceux qui connaissent les deux albums de Klim ne comprennent pas qu’un groupe de ce niveau soit tombé dans l’oubli - et pire - qu’il ait subi du temps de son existence une sorte d’indifférence. Les concerts des Klim étaient spectaculaires, ces mecs avaient tout ce qu’il faut pour devenir énormes : des compos, du son et un performer exceptionnel, ce démon de José qui en plus d’avoir une vraie voix - et là on ne rigole plus - est du genre à se rouler par terre avec son micro au moment où derrière, les compañeros font sauter la Sainte-Barbe. On ne voit ça que chez des groupes comme Gallon Drunk ou les Cramps. José est le parfait rock’n’roll animal. On avait déjà vu jouer les Milf un peu avant le bordel de pandemic, pour un set haut en couleurs et en température au Trois-Pièces, mais bizarrement, plus l’espace est réduit et plus le set est intense et l’autre soir, dans ce bar minuscule, les Milf ont foutu le souk dans la medina à coups de reprises fantastiques, de «Suffragette City» à «Slow Death» en passant par un «Psychotic Reaction» digne des grandes heures du Duc de Lux, et un José qui se roule par terre comme s’il avait fait ça toute sa vie, une crise de transe comme on n’en voit plus beaucoup. C’est là où le rock reprend son sens, t’es là à cinquante centimètres d’un mec qui se roule par terre avec son harmo, dans une ambiance surchargée d’électricité, section rythmique invincible avec ce batteur qui joue à l’économie et ce bassman présent et discret à la fois, et puis tu as tout le son que sort Gilles sur sa Les Paul. Autrefois, il jouait sur une Gretsch, mais il n’a rien perdu de sa niaque, au contraire. On sait pour avoir écouté ses albums qu’il est le meilleur guitariste du coin.

Deux albums et de somptueux concerts auraient dû faire des Klim des stars, pas ici bien sûr, mais en Angleterre. On n’avait encore jamais vu un groupe de ce niveau en Normandie. Leur premier album Elevenhobbysongs date de 2002. Il n’est même pas sur Discogs. C’est un album qui sort complètement du registre «rock français» pour aller rivaliser avec les stand-outs anglais et américains, les compos sont tout simplement énormes. Ils battent même pas mal de groupes anglais à la course et le plus troublant c’est que l’Anglais de José est impeccable, toujours juste, ce qui n’est hélas pas le cas chez la plupart des Français qui chantent en anglais. Le «Razor Blade» d’ouverture de bal donne le ton, c’est explosé dans la montée à la manières des Pixies. On pense tout de suite aux Pixies, c’est dire leur niveau. Tout sur cet album apparemment produit avec les moyens du bord est gorgé de son et de chant. «Full Of Rose» sonne comme un hit de power pop over the top, et c’est ravagé par des vagues de guitar slinging. C’est le genre de cut qui pourrait figurer sur le White Album. The voice + the sound + la compo = la clé de tout. Ils disposent de toutes les aisances inimaginables. Ils finissent leur «Bossboss» à la folie Méricourt, la plus pure des folies, celle dont on ne se lasse pas. Puis ils se payent un coup de jazz-rockab avec «Allright». José chante ça au deepy deep avec une classe indécente et sur sa Gretsch, Gilles tourne autour du pot avec une classe encore plus indécente. Ces deux-là mériteraient qu’on leur fasse un procès pour indécence. Ça sonne incroyablement juste et ce franc-tireur tombé du ciel part en solo jazz. Eh oui, c’est un luxe que les groupes normands n’ont jamais pu se payer. Sauf Klim. Solo jazz ! C’est avec «Allright» qu’ils assoient leur crédibilité. Ils reviennent à la heavy pop avec un «Miss Money Go Round» joué aux arpèges du diable et chanté à la voix de son maître. Ils rivalisent tout simplement de génie pop avec les très grands groupes anglais. Le festin se poursuit avec «Pressure Moves» chanté au sommet du lard fumé, ces mecs ont tout bon, le beat, les arpèges, le push du chant et ça tourne au demented are go. «Get Screwed» explose en plein ciel et on atteint une sorte d’apothéose avec «Sounds So Light». José chante comme un dieu inconnu des dictionnaires de mythologie, il prend les choses à bras le corps, il travaille sa mélodie et ça tourne à la magie. Présence fantastique ! C’est inespéré pour un groupe local, il fait le croon des Américains avec une classe surréaliste, soutenu par des arpèges tout aussi surréalistes, rien d’aussi pur ni rien d’aussi définitif dans le paysage du rock normand. Il est possible qu’on ait jamais vu des groupes d’un tel niveau en France. Il faudrait vérifier, mais bon, il est possible que ça ne serve à rien.

Un deuxième album de Klim paraît en 2006 : The Bite Of Dew-Dew. Le coup de génie s’appelle «So Blind». Dès l’attaque, José va chercher le chant des Anglais. On pense à des tas de gens, mais les Klim font du Klim. En fait, ce démon de José emmène tous ses cuts à la victoire, «Day To Day», «Hello Slave», une énormité quasi glam avec un chant qui se répand, ils ne sont capables que du meilleur et jamais du pire, ça chante sous le boisseau, avec un énorme ricochet de solo. Ils éclatent leur «Shooting High» dans un mur et avec «Smile Again», cette voix inespérée plonge dans la mélodie, filochée par un solo de guitare. Il faut aussi le voir se balader dans «Cry Overdue», belle tension, c’est amené au fier drumbeat et vite ravagé par un incendie. Avec «Destination Honey Moon», ils plantent leur drapeau non pas sur la lune mais sur la planète power pop, c’est du pur jus, laisse tomber les Plimsouls et toute la bande, José emmène ça au chant, comme un chef de meute. Leur truc, c’est le power.

Signé : Cazengler, Klim Kong

Milf. Rock’n’Bulles. Rouen (76). 23 octobre 2021

Klim. Elevenhobbysongs. 2002

Klim. The Bite Of Dew-Dew. 2006

 

In Mod We Trust - Bushell overcome

 

Le British Mod Revival est un gros morceau. Soit on l’attaque par le Bushell book, soit on l’attaque par la Millions Box, de toute façon, il faut bien commencer par un bout. Tiens on va jouer à pile ou face. Pile, Bushell, face la box.

Face !

La box s’appelle Millions Like Us. Cherry Red la fit paraître en 2014. «Millions Like Us» est un hit des Purple Hearts, l’un des groupes phares du Revival. Cette box propose pas mal de cuts déjà présents sur la Piller Box qui raconte elle aussi l’histoire du Revival, mais c’est John Reed qui se tape le book de la Millions Box. À la différence de Piller, Reed consacre à chacun des groupes un petit paragraphe bien documenté, ce qui rend l’écoute de la box moins vulnérable. On aime bien laisser la musique se débrouiller toute seule, mais l’écoute active peut aussi avoir ses avantages. On mémorise beaucoup plus facilement, par exemple quand on sait que les New Hearts qui ouvrent le bal du disk 1 vont devenir par la suite Secret Affair. En plus, avec leur «Just Another Teenage Anthem», les New Hearts y vont de si bon cœur qu’on les en félicite. Sur qui tombe-t-on plus loin à la Tombe Issoire ? Sur Secret Affair, of couse, avec l’inénarrable «Time For Action». Big Affair. Voilà que déboulent les seigneurs de la guerre. C’est radical, tu te prosternes devant cette évidence. Parmi les autres célébrités du Revival, voilà les Purple Hearts avec le «Millions Like Us» déjà cité. Ces mecs nous font les Who à bras raccourcis, ça flashe à qui mieux-mieux. On retrouve aussi les Chords, bien entendu, les tenants et des aboutissants du MODus operandi, avec «Now It’s Gone» qu’on chante dans son sommeil, tellement c’est entré dans l’inconscient. Parmi les groupes qui ont enregistré des albums sur Detour, voici les Donkeys et Speedball. Connus dans les parages de Manchester, les Donkeys allument le MODus vivendi avec «What I Want», claqué aux accords de clairette, mais c’est trop Mod pour être honnête, trop pur, trop spirited, trop monté en épingle, trop versé dans le whaking du wailing. Speedball vient du Southend, comme Dr Feelgood et Rob Beulo chante à l’arrache mélodique, c’est excellent et bien sûr ça donne envie d’aller écouter l’album paru sur Detour. Ces petits mecs savent tous se donner les moyens du MODernisme. Parmi les noms connus, on trouve aussi les groupes à deux roues : les Lambrettas et les Merton Parkas. Pourquoi Merton Parkas ? Parce qu’ils viennent de Merton Park. Le «Plastic Smile» des Merton n’est pas jojo, par contre le «Go Steady» des Lambretta file sous le vent, bien propulsé par le bassmatic. Connu aussi comme le loup blanc, Long Tall Shorty fait partie du voyage avec «1970s Boys» joué au beat des enfers. Tiens voilà Jolt avec «See Saw», petit brin de Mod pépère, guitares en clairette de do or die et chant chou-fleur en petite éclosion pantouflarde. Puis il reste les millions d’autres comme the Exits avec «The Fashion Plague», des South London Mods dont Reed recommande The Legendary Lost Exits Album sorti sur Rev-Ola. Conseil qu’on suivra à la lettre étant donné la qualité du Mod craze qu’affiche «The Fashion Plague». Quelle merveilleuse dégelée ! Autre belle révélation : Sema 4 avec «Sema 4 Messages», joué à la vieille niaque de British Mods. Ces mecs écrasent tout sur leur passage. Même chose avec les Cigarettes et «They’re Back Again Here They Come», ils ramènent du punk dans la chaudière Mod, c’est aussi explosif qu’un mégot qui tombe dans un baril de poudre malencontreusement resté ouvert. Le chanteur des Killermeters s’appelle Vic Vespa et ils ont nous dit Reed un cut titré «Twisted Wheels» qui rend hommage au legendary 60s club in Manchester. Detour les arrache eux aussi à l’oubli. Les plus brillants sont sans doute Back To Zero avec «Your Side Of Heaven», oui car voilà un violent chock de Mod rock, ils plongent dans le creuset des culbuteurs, c’est très excédé, ça sonne comme la messe des Mods, oups, pardon, the mess of Mods. Les Squire sont eux aussi à l’aise avec «Walking Down The Kings Road», pur jus de Mod walking. Par contre, les Crooks sonnent comme les Boys et Untamed Youth sonne trop clair, trop anglais, trop pur. Reed nous dit aussi que le «Strength Of The Nation» des Teenbeats illustrait le sommet du Mod Revival. Fabuleuse attaque, laisse tomber, tu ne peux pas suivre ces mecs-là. Ils jouent au power maximum, c’est un incendiary cut, l’excellence du Mod beat. Back To Zero et les Teenbeats sortent vraiment du lot. Bien sûr, ces deux groupes figurent sur la Piller Box. Mais ils n’ont enregistré que des singles. Avec ce disk 1, la partie est gagnée. Cette Box sera passionnante ou ne sera pas.

Sur le disk 2, les Chords sortent du lot avec l’explosif «Maybe Tomorrow». Tout est là, les Chords ont du son et de la souplesse. On retrouve aussi Secret Affair avec une grosse compo, «My World». Ils investissent des moyens considérables dans leur Mod pop. Retour aussi des Lambrettas avec «Daaaance» et de Squire avec «My Mind Goes Round In Circles». Les Lambrettas ont l’avantage du nom et un sens aigu de la trépidation. Fantastique énergie ! Quant à Squire, ils claquent des windmills à tous les coins de rue. Premier groupe Detour : Circles, avec «Opening Up», bien in the face, tapé au petit beat turgescent - I can feel the new sensation - Très beau spurge de sperme Mod, éclatant, vénéneux, pressé, pas tenable, pas beau mais on s’en fout. C’est du pur jus de résurgence, ça sort à jets continus. Ils tirent bien sûr leur nom d’un hit des Who. Autre gang sauvé des eaux par Detour : The Name avec le solide et ambitieux «Fuck Art Let’s Dance», doté d’un chant gorgeous et bien amené. Et puis arrive le bataillon des inconnus au bataillon, à commencer par The Most avec «Carefree», joué à la petite énergie de quartier et une belle basse. On se régale du «Wild About You» de The Same, sec comme un os, waiting for a bus, ils jouent sur la tension, leurs emballements sont superbes. On sent une belle détermination chez The Directions, leur «Three Bands Tonite» est superbe, plein d’esprit, le hit Mod par excellence. Encore de fabuleux shakers avec Sta-Prest et «School Days», fast and furious. Detour les a aussi arrachés à l’oubli en sortant Welcome To My World, l’album de reformation. On croise aussi deux groupes de Soul : Q-Tips avec «SYSLJFM» et Red Beans & Rice avec «That Driving Beat». Le chanteur des Q-Tips chante comme Wilson Pickett. Les Dead Beats font du punk-Mod avec «Choose You», ils bandent sec dans leurs pantalons trop serrés et du coup leur son s’exacerbe. Tout aussi doués, voici les Letters avec «Nobody Loves Me», ils caressent le Mod Sound dans le sens du poil. Pas d’infos sur The Scene et «I’ve Had Enough», dommage car ils jouent à l’énergie dévorante, avec cette niaque des bas-fonds de London town - Had enough ! - Ils ont tellement de suite dans les idées que ça devient puissant. Dans un genre différent, voici les DC10s, avec «I Can See Through The Walls» tapé aux arpèges de Ricken. Ils jouent bien leur carte de Mod freaks sharpy as hell. Et puis voilà le coup de génie : The Fixations avec «No Way Out». Ces mecs jouent leur va-tout et ça devient glorieux. Après un déluge de power-chords arrive un solo à la titille. Ils enchaînent déflagration sur déflagration, tout est porté à incandescence, ils élèvent le Mod Sound au rang d’art majeur, les guitares transpirent et ça bascule dans la magie.

Les rois du disk 3 sont les Purple Hearts avec «Plane Crash». Ces mecs-là ne rigolent pas, ils amènent leur crash au punk-Mod et c’est atrocement bon. Ils cumulent les fonctions du proto-punk et du Mod craze, il n’existe rien d’aussi demented en Angleterre, ils ramènent les accords des Who dans «My Generation», oui, wow, t’as les Who ! Rien de plus sauvagement whoish que ce truc-là, rien de plus riffé dans l’ace de l’ass, Fa Sol, bien matraqué, on a tout le tatapoum des silver sixties et toute l’agressivité du Purple Crash. Quelle attaque ! Reed : «Purple Hearts will forever be among the Mod Revival’s premier league.» On retrouve aussi Long Tall Shorty avec cette belle dégelée qu’est «Win Or Lose», et les mighty Prisoners avec «Hurricane» - A psychedelic garage band par excellence, dixit Reed - Un Reed euphorique qui ajoute : «For many, The Prisoners were the finest purveyors of 60s-styled garage/psychedelia.» Oh la violence du Hurricane ! Graham Day chante au raunch des Mods, c’est riffé dans l’axe de la mortaise, incendié dans l’œuf du serpent, priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! On passe ensuite aux groupes chouchoutés par Detour, à commencer par les brillants Onlookers avec «You And I», un véritable Small Faces breakout et un brin de décadence dans le chant. Pur jus de dandysme Mod. Detour leur a consacré une belle rétrospective, Blue And Green And Tangerine. Encore deux Small chouchoutés par Detour, Small Hours et Small World. Les Small Hours déboulent avec «The Kid», un vieux shoot de Mod rock claqué au clair de la lune Tele. Ces kids dégagent de la chaleur et leur cartilages délicats s’articulent merveilleusement. Le bassman des Small Hours n’est autre que Kym Bradshaw, l’ex bassman des Saints. Small World bat des records d’explosivité avec son «Love Is Dead». C’est cavalé ventre à terre au drive de basse et arrosé d’arpèges de Ricken. Quelle merveille ! Power & style, une fois de plus - Considered by some to be the finest-ever Mod Revival band, dixit Reed - Detour a rassemblé les miettes de Small World sur Slight Detour. Weekend et The Upset prennent le chemin de traverse du blue-beat et on revient à nos moutons avec The Amber Squad et «Can We Go Dancing?». Trop excité, trop d’amphètes, mais c’est bien. Tellement bien que Detour les a aussi compilés en 2004 sur Arewehavinganotherinorwhat?. Avec cette cover des Creation, «Red With Purple Flashes», The Times sont trop purs et durs, presque anecdotiques. The Times est le groupe d’Ed Ball, le bassman de Television Personalities. Mais en tant que Mod Ball, The Times est une institution. Signalons aussi l’excellente petite niaque des Heartbeats avec «Go». Petite voix, mais ils y vont, c’est bien monté au chant avec des guitares loin derrière. Montés sur les cendres des Exists, les Direct Hits cassent bien la baraque avec un «Modesty Blaise» éclaté aux bribes d’excellence. Les claqués d’accords sont ceux des Who, avec de belles descentes d’organes au chant. Tiens encore une belle trouvaille avec le «Confusion» de The Truth. Aw comme ces mecs sont bons dans l’ampleur de leur big pop de dance craze. Seule l’énergie du diable peut conduire un truc pareil jusqu’au Wigan Casino. Dee Walker est amenée en 1984 comme la Cilla Black du Mod Revival. Elle est fantastique et elle est blanche. Elle ramène sa petite fraise humide et sucrée dans la box, et c’est une bonne chose, d’autant qu’elle est aidée par Ed Ball et le mec des Jetset, Paul Bevoir. D’ailleurs, les Jetset piquent leur petite crise avec «Wednesday Girl». Bon le disk 3 se termine avec deux groupes américains, Manual Scan et Mod Fun, et forcément il y a un problème car les deux groupes sonnent faux. En plus l’album de Mod Fun trouvé dans un bac est une vraie catastrophe.

Le disk 4 recèle lui aussi son petit lot de merveilles, à commencer par l’«Here Is My Number» de Makin’ Time. Reed dit qu’avec Makin’ Time, Mod is culminating. C’est Eddie Piller qui les découvre et le groupe démarre sur Well Suspect Records, puis Makin’ Time arrive sur Countdown, l’autre label d’Eddie Piller. Reed parle d’un fresh new Mod sound allant plus sur Brian Auger & The Trinity. «Here Is My Number» sonne comme une giclée dans l’œil du cyclope, quelle ampleur ! On entend Fay Hallam dans les retours de manivelle. L’autre grosse poissecaille du disk 4 est le super-groupe Mod The Rage avec «Looking For You». On retrouve dans le groupe Buddy Ascott des Chords, Derwent Jaconelli et Steve Moran de Long Tall Shorty et Jeff Shadbolt des Purple Hearts. Le résultat ne se fait pas attendre, Jaconelli chante à la pointe de la glotte et derrière, les autres n’ont aucune retenue. Une vraie bombe ! Power & style, une fois de plus. All the Rage dirait Ian McLagan. Parmi les connus comme le loup blanc, voici le James Taylor Quartet avec «Blow Up» et les mighty Aardvarks avec «Arthur C. Clarke». Tout droit sortis de leur fascination pour le freakbeat anglais et les Small Faces, les Aardvarks délogent vite les dents du beat. Reed parle de magnificence et il raison, car la compile Cherry Red des Arrdvarks est un must inexpugnable. Avec «Worming», The Clique fait partie des groupes Detourés. Selon Reed they epitomize the best of a new breed of Mod bands playing 60s-centred R&B music in the 1990s. Eddie Piller les suit de près et Reed nous renvoie sur Self Preservation Society qui selon lui est resté un classic. Un autre classique devant l’éternel : «Something That You Said» by The Scene. C’est explosif, bien au-delà du common Mod craze, pah pah pah, emmené ventre à terre, chanté à la petite délinquance, au like you baby. S’ensuit un «Bend Don’t Break» des Australiens Stupidity, un Don’t Break lancé dans la nuit comme un scoot en folie, muté à l’orgue tournoyant et cuivré à la folie. Bien sûr, Eddie Piller les a repérés et collés dans la compile Countdownunder. Encore une belle trouvaille : The Moment avec «In This Town» et un beau bassmatic. Ça ferraille au paradis. Dans leurs parages on retrouve Ed Ball et Paul Bevoir, comme par hasard et Reed indique que le groupe s’est reformé avec Brett Ascott des Chords et Ben Addison de Corduroy à la prod, et qu’un album est attendu. Il est arrivé, Reed ! Il s’appelle The Only Truth Is Music. The Untouchables sont américains, mais on accueille leur «Free Yourself» à bras ouvert. Quelle belle escapade ! C’est une mixed-race band qui avale sa langue au chat ventre à terre. Ça vaut pour un shoot de fast stomp. C’est encore Eddie Piller et Terry Rawlings qui révèlent The Combine dans leur compile Countdown avec «Dreams Come True». Joli fracas d’accords. Tous ces groupes ont leur mot à dire. Il règne dans cette box une spectaculaire unité de ton. Non seulement The Combine fourbit le fracas, mais le groupe fourbit aussi la mélodie, alors t’as qu’à voir ! C’est tellement mélodique que ça fait tourner la tête du Mod craze. Reed indique que The Combine et Small World sont comme bonnet blanc et blanc bonnet, donc tout s’explique. Encore un Mod band Detouré : The Boss, avec «One Good reason», alerté tout du long par une fantastique énergie. Ils sont dans le bid Mod running down, the descending of it all. On retrouve Tara Milton dans le «Catcher In The Rye» de 5:30!, c’est-à-dire Five Thirty. C’est amené comme un hit des Who. Même énergie de windmill solaire, ça explose littéralement. On le sait depuis trente ans : Five Thirty est un groupe considérable. Oh encore une belle flambée de violence avec Solid State et «Train To London Town». C’est en plein dans les Who, no one gets out alive, avec une fin en folie. Le pire est que Solid State n’a même pas eu le temps d’enregistrer le moindre disque. Eddie Piller a aussi repéré The Kick avec «Julie London», un joli shoot de Mod pop avec des chœurs Whoish. Ils sont doux comme des agneaux, ils frisent l’«I’m A Boy». Tout dans cette box a de l’allure, c’est encore ce que montre l’«All I Want To Be» de The Reflection AOB. Tous ces groupes savent jouer et ce n’est pas du favoritisme que de dire ça. Même le plus petit cut accroche. The Reflection AOB ont des cuivres et une vraie voix. Reed qualifie The Studio 68 de wildcards of Mod. Il indique en outre qu’ils avaient un auto-destructive live set. C’est vrai que «Get Out Of My Hair» est du heavy stuff, du wild r’n’b à l’Anglaise, c’est noyé d’orgue et gorgé d’amphètes. Reed indique que Paul Moody est devenu journaliste et qu’il faut se mettre en chasse du lost album, PortobelloHello, sauvé des eaux par Detour, bien sûr.

Avec Reed et Eddie Piller, Garry Bushell est le troisième homme clé du Mod Revival. Du temps où il bossait pour Sounds, il fut le chantre du Mod Revival. Ses articles sont compilés dans un petit book qui vient de paraître : 79 the Mod Revival Time for Action: Essays from the Frontline. Bon, ce n’est pas de la littérature, mais Bush fait son boulot de journaliste, il est comme on dit chez les con-sultants «sur le terrain». Il voit les groupes sur scène et assiste aux bagarres qui éclatent entre les clans. Son book regorge d’épisodes violents qui rappellent l’ambiance du film sur les Cockney Rejects, East End Babylon. L’Angleterre fut à cette époque le théâtre de véritables batailles rangées entre ces ennemis héréditaires que sont les Mods et les rockies, sans oublier les punks puis les skins. Mais nous ne sommes pas là pour ça.

Les trois groupes vedettes du Mod Revival de 1979 sont les Chords, les Purple Hearts et Secret Affair, trois groupes sur lesquels Bush revient inlassablement, avec de l’éloge à gogo. Il rappelle que les Purple Hearts tirent leur nom du Dexamyl et que les Chords combinent the crashing power chords drive in a Jam/Jolt vein avec un sens aigu de la mélodie - Pop with guts ma babes (sic) and well structured stuff boot - Pour Bush, les Purple Hearts et les Chords sont les emblèmes de «the Mod on the street», alors que Secret Affair, prédit-il, va atteindre le mainstream (wider markets). Ian Page déclare : «We’re Mods without parkas», et Dave Cairns ajoute : «Our kids are into fashion, ils vont chaque semaine s’acheter des fringues and they’re into the go-go not pogo and that is what we’re about.» Bush ajoute que chaque fois qu’il voit Secret Affair sur scène, il trouve qu’ils sont simply the best, et il ajoute un peu plus loin : «Probably the best dance band in the country.» Ils combinent nous dit Bush old style Motown dance rhythms with Dave Cairn’s powerful biting rock guitar. Il rend aussi hommage à Long Tall Shorty. C’est Jimmy Pursey qui baptise ainsi le groupe, d’après une compo de Don Covay enregistrée par les early Kinks. Long Tall Shorty est le prototype du groupe brillant détruit par la poisse, mais qui se reforme en l’an 2000 autour de Tony Perfect. Ils jouent à trois, nous dit Bush, et qualifient leur son de «giffer punk». Bush évoque aussi The Rage, premier post ‘79 Mod supergroup qui se forme à la suite du split de Long Tall Shorty en 1974 : Derwent Jaconelli au chant, Steve Moran on guitar, Jeff des Purple Hearts on bass and a Chord Buddy Ascott on drums.

Mais la clé du Bush book, c’est la culture Mod, un phénomène typiquement britannique. «Ces pionniers, kids like Wayne Kirven, Steve Sparks and John Simon combinaient les influences - le jazz américain, la Nouvelle Vague française et l’Italian cool - to cook up something we see now as quintessentially English.» Il ajoute que dans son roman Absolute Beginners, Colin MacInnes taxe de ‘Modernist’ un jeune fan de jazz in sharp Italian clothes, un terme dérivé du Modern Jazz de Miles Davis et Charlie Mingus. Bush se fend de pages superbes pour nous dire à quel point Mod est anglais et surtout à quel point cette culture appartient aux kids. Au début, un tout petit noyau de «Jam fans as well as a lot of the older East End and Essex skinheads were talking about ‘going Mod’». Des mecs commencent à s’habiller et à se considérer comme des Mods. Le mouvement prend officiellement naissance lors d’un concert des Jam à Paris où se rendent cinquante London Mods, et pouf, les Purple Hearts jouent à Londres - Then Billy Hasset qu’on avait rencontré à Paris said why don’t we come and see his group, the Chords - Billy Hasset ajoute que Mod est une façon d’être, une attitude - Fun-loving and smart. On était des kids qui voulaient s’amuser, on voulait boire, danser, draguer des filles, aller aux concerts et être fiers de nous. Voilà ce que Mod signifiait à nos yeux. On voulait aussi s’en sortir, mieux que ne l’avaient fait nos parents - Bush en conclut que Mod se définissait en opposition aux ‘mug punters’ et aux dérives pseudo-politicardes du punk. C’est là que la scène Mod Revival a explosé, avec les Purple Hearts de Romford, Essex, les Chords de Deptford, South East London et Back To Zero from North London. La force de cette scène reposait sur sa capacité à prendre le meilleur du passé pour produire un son original - New Mod began to create a youth movement with vitality, direction and above all marvelous music - Et là Bush cite les hits : «Millions Like Us» des Purple Hearts et «Time For Action» de Secret Affair. En fait le Mod Revival est arrivé au bon moment, quand le punk n’avait plus rien dans le ventre - Mod was like a breath of fresh air to a tired circuit - Bush revient aussi longuement sur les scooter clubs et la scène Northern Soul du Wigan Casino et ses all nighters que les Mods vénéraient. Bush insiste pour dire que la culture Mod est née dans la rue et non dans les bureaux de la pop industry, une culture inventée par des kids déçus par le punk «but who kept its love of energy, sulphate, DIY ethics and three minute pop songs alive.»

Après la fin du Revival, Bush cite les Dexys en 1980 et le virage Soul de Paul Weller. Secret Affair va splitter avant de se reformer plus tard. De toute façon, la New Wave ravage tout et Mod replonge dans l’underground avant de refaire surface dans les années 90 avec Acid Jazz et Eddie Piller. Bush signale aussi l’émergence de la Britpop - more of a Mod baby - Mais au moins, pop was up-beat and axciting again. Bush dit que tous les tenants de la Britpop, Oasis, Blur, Pulp, Ocean Colour Scene, Supergrass devaient beaucoup aux groupes des sixties, aux Mods, au glam et au punk. En 1997 apparaissent enfin the New Untouchables de Rob Bailey - club nights, national and international weekenders, scooter runs, clothes and record markets - et bien sûr la série Le Beat Bespoké dont on va reparler. Bush achève son excellent trip nostalgique en signalant que Chris Pope des Chords est resté actif et qu’il continue d’enregistrer des albums de Mod-rock sur lesquels il va aussi falloir revenir.

Garry Bushell nous refait huit pages de Time for action dans un Vive Le Rock de l’an passé. Belle ouverture sur le scooter club, Secret Affair and Mod fans, c’est là qu’on apprécie le confort des magazines. Plein la vue. Mods anglais. La classe définitive. Bush reprend les grandes lignes de son book, Secret Affair, Long Tall Shorty, Chords, Purple Hearts et il rappelle que tout le mouvement était pur et spontané, à tel point que la sortie dans les salles du Quadrophenia movie plana comme une menace all over the beautiful fragile purity of it all. Le succès du film signifiait en effet l’arrivée des médias. Puis il y a l’épisode des fifty self-styled Mods descendus à Paris voir jouer Jam. Le chanteur des Purple Hearts Simon Stebbing rappelle l’autre caractéristique fondamentale du Mod Revival : «We stand for rebellion, but it’s not political. We’re not into politics.» Bush revient aussi sur les racines musicales de Secret Affair, «the big wheels of Motown, the greatest pop catalogue ever written (and like ska, the original soundtrack to Sixties Mod subculture). It was music you can dance to, agression served with melody and commitment.» Ian Page rappelle aussi à quel point il haïssait la récupération du mouvement punk par ceux qu’il qualifie de tinsel-and-tat merchants, inutile de faire un dessin : «Cette mafia qui a transformé le punk en produit et qui en a tué l’esprit. Pour moi, le punk était un message, l’idée qu’il fallait rejeter l’industrie, mais en dépit de ces belles paroles, ils ne l’ont pas fait. Les Clash ont signé sur CBS, nous aussi, d’ailleurs.» Bush rappelle aussi l’existence de Back To Zero, des Killermeters et des Merton Parkas dont le keyboardist s’appelait Mick Talbot. Il allait devenir célèbre en rejoignant Weller dans the Style Council. Il faut aussi se souvenir que le Mod Revival marchait de pair avec la scène 2 Tone, et c’est elle, avec les Specials, Madness et tous les autres qui allait décrocher le jackpot. Dave Cairns pense que la scène Ska avait un son plus facilement identifiable - The Mod Revival, unlike the Ska revivalists, didn’t have a similar musical style.» Cairns rappelle aussi que la presse anglaise s’est acharnée sur le Mod Revival - We got sticks from the music press, Sounds aside, for looking back to the sixties, but you couldn’t get more 60s than Prince Buster - Cairns ajoute que les Chords ont été coulés par leur label, Polydor, qui voulait préserver les intérêts de Jam. Les Chords étaient une menace, donc il fallait les annihiler. C’est ce qui est arrivé en France à Ronnie Bird. Puis le mouvement va s’écrouler, Simon Stebbing rappelle que les Dexy’s Midnight Runners et Madness faisaient au début leurs premières parties, puis ce sont les Purple Hearts qui se sont retrouvés en bas de l’échelle - down at the lower end of the chart. Sniff.

Signé : Cazengler, Garry Bouché

Millions Like Us. Box Cherry Red 2014

Garry Bushell. 79 the Mod Revival Time for Action: Essays from the Frontline. Red Planet Publishing Ltd 2019

Garry Bushell : Time for action. Vive Le Rock # 75 – 2020

 

Inside the goldmine - Big Bang

 

Naoh releva subitement la tête. Les oiseaux de nuit avaient arrêté de chanter. Un silence de plomb s’abattit sur les environs. Il sentit monter la peur en lui. Il s’empara de son pieu et se prépara au pire. Il posa une grande pierre plate au dessus des braises pour les protéger. Les autres membres de la tribu sentirent aussi le danger. Les femelles allèrent s’enterrer au fond de la caverne. Naoh entendit une brindille craquer à l’entrée de la caverne. Animal ou cannibale ? Il craignait surtout le tigre aux dents de sabre qui parlait d’une voix d’homme pour tromper la vigilance de ses victimes. Naoh tendait l’oreille. Il claquait des dents. Il redoutait plus que tout ces combats nocturnes. Lors de la dernière attaque de la caverne, un coup de massue tranchante lui avait arraché une jambe. Il dut se fabriquer une béquille sommaire. Son pauvre corps était couvert de cicatrices, la plus spectaculaire étant celle de l’avant-bras droit, un cannibale essayait de lui dévorer le bras pendant qu’il l’éventrait avec un gros silex. Les cannibales pouvaient se montrer plus féroces que les tigres. Ils mangeaient eux aussi leurs victimes vivantes. Puis il y eut des chuchotements. Naoh entendait battre son cœur. Soudain une silhouette surgit dans l’entrée éclairée par la lune. Cannibale ! Les hommes de la tribu se levèrent tous ensemble, terrorisés mais prêts à se battre. D’autres silhouettes se joignirent à la première. Les deux camps s’observaient, figés dans le silence. L’un des inconnus leva les bras au ciel et déclara :

— Ola les gnards ! On passait dans l’secteur, on a vu d’la lumière et on s’est dit p’t-être qu’y vont nous payer un scooop ?

Les hommes poussèrent un gros soupir de soulagement. Naoh déplaça la pierre plate, souffla sur les braises et lança un feu de bienvenue. Il leur fit signe de s’asseoir :

— Vous nous avez foutu les chabada, bande de troncs ! On a un coup d’ratafiac à vous ch’proposer, ça vous dit d’trincouiller ?

— Walhalla, chooper ! C’est quoi ton blazard, gros ?

— Je suis Naoh ! You-youh, Naoh-na-kunne-patte ! Et toi c’est comment ?

— Bang ! Lui, ché mon frangirac Bing et l’aut’ là, c’est Beng, des vrais corniflards !

 

Bang était peut-être l’ancêtre de Bang, un trio de surdoués de Philadelphie. Vu la gueule des trois Bang, c’est même fort probable. Il y a forcément des puces dans la crinière et la barbe de Frank Ferrara, le bassman/chanteur de Bang. Dans un petit book paru en 2018, Lawrence Knorr raconte leur histoire : The Bang Story - From the Basement to the Bright Lights. En fait, le pauvre Knorr n’a pas grand chose à raconter. Le seul intérêt du book est de nous rappeler que dans les early seventies, le circuit du rock américain grouillait littéralement de groupes. Une fois lancés par Capitol, les trois Bang, Frank Ferrara, Frankie Gilcken et Tony Diorio ont côtoyé toute la faune de l’époque, des Three Dog Night à Cactus en passant par Brownsville Station et tout ce que le rock américain comptait de prétendants au titre. Basés à Philly, les trois Bang durent quitter la ville qui était alors en plein boom de Philly Soul. Un groupe qui prétendait sonner comme Sabbath n’avait aucune chance de s’y faire connaître. Ils mirent le cap sur Miami et commencèrent à jouer dans les stades.

Ces mecs ont tout de même réussi à sortir six albums, ce qui n’est pas rien. Le plus connu est sans doute le fameux album sans titre paru en 1972. Cet album fait partie des chefs-d’œuvre des seventies. On le voit dès «Lions Christians», un cut amené au ouuh yeah typique de l’époque et au petit chant plein de hargne à la Ozzy, mais early Sab. Just perfect ! Voix colorée et bonne production. Ils passent au big heavy Sound System avec «The Queen». On note une persistance du chant ozzien et on se régale de l’onctuosité du solo de guitare. Il raconte son histoire de service. So Bizarre. Rien de laborieux, chez Bang, bien au contraire. Ils disposent d’une merveilleuse aisance. Ils dégagent même une sorte de grâce avec un «Come With Me» chargé de son éculé de basse fosse et bien explosé au cymbalum de satrape. Les décollages en solo sont superbes et inspirés, très tiguiliguili et sous tension, comme indisciplinés. La fête se poursuit en B avec «Our Home». Ça reste du prog anglais américanisé. Quel magnifique bouquet de son ! Bang joue un rock savoureux et peut se montrer diablement mélodique. Ils enchaînent avec «Future Shock», joué au riff sévère qui ne plaisante pas. On se repaît de cette belle mélasse hérissée d’électricité aussi râpeuse qu’une peau d’iguanodon. Leur heavyness est attachante, on voit qu’ils visent les sommets du genre. Ils en ont les moyens. Tout aussi superbe, voilà «Questions». Frank Ferrara chante comme un dieu des cavernes. Et ils terminent avec «Postman», beau slab de seventies rock. Pour l’amateur de rock seventies, c’est l’album idéal.

Leur premier album, Death Of A Country, n’est jamais sorti à l’époque. Il fut enregistré au Criteria de Miami par Ron et Howie Albert. Au moment où ils signent leur contrat avec Capitol, ils apprennent que leur premier album dont ils sont si fiers ne sortira pas. Pourquoi ? Capitol jugeait le son trop hard. Il n’est sorti qu’en 2011, sur un petit label spécialisé justement sur le son hard, Rise Above Records. Bon, il faut bien reconnaître que ce n’est pas l’album du siècle. Ils se veulent aventureux et tentent d’imposer un son, c’est plein d’iode et d’électricité, ils sont intègres, ils banguent du Bang. Ils sont marrants et très impliqués, mais leur son va plus sur le prog que sur le heavy rock. Ils partent en mode heavy Bang avec «Life On Ending», mais il n’y a vraiment pas de quoi en faire un fromage. Du son, c’est sûr, mais pas de compos. Ils restent coincés dans l’arrière boutique des seventies, d’où la décision des oies du Capitol.

Leur premier album officiel est donc le Mother/ Bow To The King paru en 1972 sur Capitol. Ils vivent pendant l’enregistrement un petit psychodrame : on demande à Tony Diorio de ne pas jouer et on colle à sa place un autre batteur. Du coup, Tony quitte le groupe et rentre au bercail, écœuré. Ils démarrent sur «Mother» et développent les beaux chevaux vapeur de 1972. Frank Gilcken amène du jeu et son départ en solo impressionne. En fait, Frank Ferrara sonne au chant comme l’early Ozzy, avec cette petite insistance de Birmingham. Ils ont tous les réflexes et connaissent toutes les ficelles de caleçon. Dans «Humble», Gilcken passe de beaux solos abrasifs. Ferrara refait son Ozzy dans «Idealist», il ne lâche pas l’affaire et c’est de bonne guerre, yeah yeah. De l’autre côté, «Feel The Hurt» flirte avec le heavy balladif, c’est même visité par la grâce, ils chargent bien la barcasse de la bangasse, ça joue les prolongations et ça regorge de power. Dans «Tomorrow», on entend les backing singers, elles swinguent ça au sexe pur, elles jivent leur Tomorrow à la black. On les entend encore dans «Bow To The King», elles chantent juste derrière, les filles sont folles, elles explosent la braguette du bow. Avec ce Bow, Bang aurait pu devenir big.

L’année suivante, Capitol leur demande de sonner plus pop. Plus pop ? On leur demande de sonner comme les Raspeberries, de faire de la power-pop. Ils ne sont pas du tout faits pour ça. Le résultat s’appelle Music. On sent un gros malaise dès «Windfair» : cette petite pop faiblarde et plan-plan tourne joliment en rond. Ils tentent de sonner comme les Beatles avec «Don’t Need Nobody» et se mettent à chanter comme des petits branleurs sur «Page Of My Life». Le malaise grandit. Il faut attendre «Exactly Who I Am» pour retrouver la terre ferme. Ils y sonnent exactement comme Badfinger. Leur pop légère et très anglaise impressionne. Les voilà devenus complètement anglophiles avec «Pearl And Her Ladies», une ode aux groupies et l’album devient passionnant avec «Little Boy Blue». C’est un son très confortable, avec du solo à la coule. Dans son book, Knorr raconte que Bang sonne ici comme Big Star - Everything will be ok in the end my friend - C’est excellent. Ils repartent en mode fast Bang avec «Brightness». Ce démon de Gilcken alimente à outrance, il joue même du solo trick au dessus de son track - And all the plans we plan to do - Gilcken joue au fast picking, c’est un sérieux client. Pourquoi diable ce groupe n’a-t-il pas explosé ? Mais l’album ne marche pas et Capitol coule le groupe. À dégager.

Ils se reforment en 1999 pour enregistrer RTZ. Return To Zero sur leur label, Bang Music. Devenus indépendants, ils ne risquent plus rien. Et là, attention, RTZ est un album extraordinaire. On a tout de suite du gros son, les trois Bang ne sont pas là pour rigoler. On les sent parfaitement à l’aise dans leur vieille heavyness pleine d’accents légers. C’est un album très instructif : on y apprend qu’on peut claquer des power chords et rester léger. Le morceau titre est excellent, ambiancier, ils tiennent bien la bavette, Frank Gilcken montre toujours des dispositions à éclairer la nuit avec ses solos. C’est dans «Should I» qu’il excelle par dessus tout. Il est terrific de présence - Good advice/ That’s a start - et il part en vadrouille d’arpèges. L’incroyable bonne santé du big Bang ! Gilcken se balade, il coiffe «Another Time» d’un jeu superbe, il est all over the place avec son jeu dévorant. Ils proposent encore une belle dégelée d’«Here I Go», une pop-rock de bonne encolure, Gilcken est dans tous les coups fourrés, il omniscie en mode kill kill. «Lil’ Joe» sonne comme un cut des Stray Cats, c’est du gros beat rabâcheur extrêmement bien soutenu au pulsatif et Gilcken s’y fourvoie à la note généreuse. Ces mecs tiennent leur son par la barbichette. Ils atteignent une sorte de plénitude. «Be The One» est encore de très haut niveau, chanté au dessus d’une palanquée de gros accords de concorde. Spectaculaire ! Gilcken reste imparable et même flamboyant. C’est incroyable comme leur son a bien évolué. Ils sont brillants au delà de toute expectitude. Dans «Middle Of The Night» - It’s been son long/ Since you been gone - Gilcken passe un solo effaré. Leur aisance les exonère non seulement de tout impôt, mais aussi de toute critique. On sent chez eux une facilité extraordinaire, une maîtrise du son qui dépasse les normes. Il faut les écouter car ils sont bons. Encore de la belle pop atmosphérique avec «Kissing Me», et un «True Love» chanté au sommet du lard fumant. Cet album est un chef-d’œuvre.

Leur dernier album date de 2004 et s’appelle The Maze. Il s’y niche un véritable coup de génie, la reprise de «Bow To The King 2». Gilcken est à la manœuvre pour sept minutes et ça monte vite en puissance, et comme le groupe s’appelle Bang, il est logique que ça explose. C’est blindé aux chœurs de gospel et ça goutte de jus. Ces mecs sont les rois de l’explosivité. Le morceau titre est un heavy blues bien senti, bien foutu, avec des relents mélodiques au coin du bois. Ils tapent leur «Momo Rock» au heavy revienzy. Gilcken veille bien au grain, ne t’inquiète pas. Il profite de «RTZ2» pour envoyer quelques torpilles et ils taillent bien la route avec l’atypique «Popcorn Dreams». Ils refont du Sabbath avec «413» et Frank Ferrara embarque «Eve Of The End» à l’anglaise. Ils renouent avec l’écroulement des falaises de marbre, avec les entractes d’espagnolades, ils disposent de moyens énormes. Ils finissent leur album dans les affres du meilleur power rock américain et gagnent encore en respectabilité.

Signé : Cazengler, Banc (public)

Bang. Mother/ Bow To The King. Capitol Records 1972

Bang. Bang. Capitol Records 1972

Bang. Music. Capitol Records 1973

Bang. RTZ. Return To Zero. Bang Music 2000

Bang. The Maze. Bang Music 2004

Bang. Death Of A Country. Rise Above Relics 2011

Lawrence Knorr. The Bang Story - From the Basement to the Bright Lights. Sunburry Press 2018

 

 

L’avenir du rock

- My soul belongs to the Drugdealer

 

À l’aéroport, l’avenir du rock présente son passeport. L’agent des douanes consulte son écran. Il semble y avoir un problème car il appelle son supérieur.

— Mettez-vous sur le côté en attendant, monsieur, lance l’agent d’un ton sec.

L’avenir du rock se met sur le côté. Le supérieur arrive et l’agent lui tend le passeport.

— Suivez-moi, fait le supérieur d’un ton sec.

L’avenir du rock suit le supérieur. Ils empruntent un couloir et le supérieur le fait entrer dans une pièce.

— Déshabillez-vous. Nous allons procéder à une fouille corporelle.

L’avenir du rock s’exécute. Il a l’habitude.

— Enlevez tout ! Tournez-vous, baissez-vous et toussez !

Au moment où le supérieur approche de l’anus pour l’examiner, l’avenir du rock lâche l’un de ces ignobles pets dont il a le secret.

— Arggghhh ! Espèce de dégueulasse ! Je vais vous coller une prune pour insulte à agent de la force publique dans l’exercice de ses fonctions, vous allez voir !

— Mais je ne vous ai pas insulté. J’ai simplement envie de chier. Dépêchons-nous car je vais chier dans votre bureau ! J’ai le bamboula qui tape au carreau !

Grâce au travail de sape des médias, l’avenir du rock et les drogues sont devenus indissociables. Pourtant, il ne prendrait jamais le risque d’en transporter, mais vous savez comment sont les représentants de l’autorité. Ça ne vole jamais bien haut. Au fond, ce qui amuse le plus l’avenir du rock, c’est l’énorme différence des poins de vue : contrairement aux représentants de l’autorité, il a très haute opinion du Drugdealer.

Aux yeux de Martin Ruddock, Drugdealer fait des vagues avec ses impeccable cinematic Laurel Canyon grooves. Les Shindigers ont vraiment le don des formules chatoyantes ! En fait, le cerveau de Drugdealer s’appelle Michael Collins. Drugdealer est en quelque sorte son Wrecking Crew. Le parallèle s’établit assez vite avec Brian Wilson, car Michael Collins est aussi songwriter et arrangeur. Il cite d’ailleurs comme influence le Sunflower des Beach Boys - I really like ‘Tears In The Morning’ - Quand il n’est pas en Californie, il est au Texas pour bosser avec un autre démon de midi, Tim Presley, le cerveau de White Fence. Pour Drugdealer, Collins s’entoure de sacrés luminaries : Ariel Pink et Natalie Mering of Weyes Blood fame. Il assemble son Wrecking Crew en fonction des cuts.

Une belle énormité se planque dans The End Of Comedy. C’est le morceau titre. Natalie Mering of Weyes Blood fame chante cette complainte pianotée. Elle allume autant que tout le Brill réuni. Elle est d’autant plus balèze que ça joue au piano sec. On imagine que Michael Collins chante la mer de rien de «Sea Of Nothing». Il se prélasse dans le son avec une autorité qui en dit long sur son amour pour les Beatles du White Album. Il va chercher un son out of nowhere et parfaitement séquencé sur les ondes du legendary strut. Cet album est visité par les esprits. «The Real World» sonne comme la pop-song parfaite. Michael Collins fait jouer les mecs habilités, c’est bien foutu, such a psychedelic place, ça vient siffler dans le groove d’air chaud à la Brian Wilson, parmi les magnolias en fleurs. On retrouve Weyes Blood dans «Suddenly». Elle règne sur l’album, elle se prête au jeu de flavor et sait rester à sa place. Et voilà Ariel Pink qui sort des limbes pour chanter «Easy To Forget». Il lalalalate tout ce qu’il peut, avec un son que la prod suit à la trace. Curieux effet. Michael Collins a engagé un flûtiste qui s’en donne à cœur joie dans «Were You Saying Something», mais ça tourne au gag.

Trois ans plus tard paraît un Raw Honey infiniment plus pertinent. On retombe en pleine beatlemania avec «Honey». Oui, Michael Collins est en plein dedans. C’est encore Weyes Blood qui chante cette merveille. Quelle belle présence psychédélique ! S’ensuit un admirable cut de pop lumineuse intitulé «Lonely». Un certain Harley Hill-Richmond chante ce cut pour le moins extraordinaire. On se croirait encore une fois chez Brian Wilson. On monte encore d’un bon cran avec «Lost My Dream». Michael Collins l’explose. Ce mec crée de la magie, le buzz est bien fondé, on est en plein cœur du mythe d’une sunshine pop jouée dans l’ersatz de l’apanage des Alpes, avec tout le son de l’âge d’or. On entend jouer une belle fanfare de poppy groove. Il faut voir comment c’est salué aux trompettes. Collins fait du pur jus de Steely Dan avec «Fools». Il tape dans les vieilles formules gagnantes, avec ce groove qui voyage sous la peau, le vieux groove des jours heureux. Michael Collins cristallise les vieux rêves. Il ne compose que des hits demented, comme le montre encore «If You Don’t Know You Never Will». Il se situe dans l’énergie des Beatles. On ne peut pas écouter un mec comme lui à la légère. Chez lui, tout est extrêmement soupesé dans la balance. Dans «Wild Motion», Michael Long prend un joli solo à la George Harrison. Encore de la pop digne des Beatles avec «London Nightmare», oui, une pop bien enveloppée et tenue au chaud, chantée d’une voix transie d’inspiration.

Signé : Cazengler, Crottedealer

Drugdealer. The End Of Comedy. Weird World 2016

Drugdealer. Raw Honey. Mexican Summer 2019

Martin Ruddock : A taste of honey. Shindig! # 92 - June 2019

 

 

DELPHINE DORA ( I )

Certains, les esprits étroits, pourraient s'étonner qu'après la présentation de ILS la semaine dernière, je m'intéresse cette fois-ci à Delphine Dora. Y aurait paraît-il comme de la dichotomie entre ces deux sortes de musiciens, les premiers provenant des tonnerres du hardcore, et la seconde plutôt, pour filer la métaphore, de La symphonie pastorale de Beethoven, dans ses passages les plus agréablement agrestes... pour employer un mot qui résonnera mal aux oreilles des purs rockers, nous emploierons celui du folk, mais d'un folk qui s'apparenterait pour rester dans les démarches de groupes que nous avons déjà présentés à Forêt Endormie qui n'a pas peur de zieuter du côté de Verlaine ou de Debussy, ou à Stüpor Mentis qui au travers d'un chant lyrique et d'une ambiance gothique, privilégie avant tout la transcription sonore de l'impact poétique de grands textes tel le Prometheus Unbound de Percy Bhisse Shelley.

Delphine Dora est pianiste, elle a une trentaine de disques ou d'enregistrement divers derrière elle, le genre d'Ovni ( objet vibrophonique neuf et inouï ), qui fonce dans l'inconnu, tantôt en solitaire ou à effectif réduit, tantôt en compagnie d'équipages de mutins hétéroclites, elle est exploratrice de contrées étranges et nouvelles, qui allient musique, poésie, peinture, non pas qu'elle soit en recherche d'un art total wagnérien, mais elle ose se lancer en des démarches borderline prêtes à toutes les dérives et à toutes les ambitions.

Nous nous intéressons pour cette première approche à deux de ses enregistrements. Tous deux effectués en 2018, paru cette même année pour le premier et deux ans plus tard pour le second.

EUDAIMON

( Three : Four Records / Avril 2018 )

Delphine Dora : piano, vocals, composition, recording, mixing / Katleen Raine : words

Artwork : Dovile Simonyte, lithuanienne née en 1991, un tour sur son Tumblr s'impose, elle ne possède pas le monde, c'est bien mieux, elle possède son monde à elle, à Elle. La pochette composée pour l'opus est prodigieuse, non pas par l'habileté du graphisme mais par le fait qu'elle est habitée par l'Idée de ce qu'elle a à exprimer. Nous expliquerons davantage dans l'analyse même de l'opus.

Petit cocorico : Delphine Dora est française, elle chante en français mais aussi en anglais et aussi en autre chose ( nous verrons dans la deuxième chronique que nous lui consacrerons ). Pour ce disque la langue de Keats s'impose puisque les paroles sont des poèmes de Katleen Raine poétesse anglaise née en 1908 et morte en 2003.

Delphine Dora : piano, vocals, composition, recording, mixing / Katleen Raine : words

HGA : en toutes lettres Holy Guardian Angel, ne connotez point cet ange gardien sacré avec une vision christique, vous risqueriez de mésinterpétrer le texte de Katleen Raine, cet ange n'écarte pas les dangers qui vous guettent, sa fonction n'est pas de vous maintenir en vie, elle est de vous permettre le passage vers la mort. Dora vous aide à comprendre, quelques touches claires de piano et sa voix joyeuse, doublée avec ce léger décalage qui lui donne cet air naïf et innocent de ritournelle virginale. Gospel allègre qui remercie Dieu, comprendre les Dieux, de lui offrir la mort éternelle. Toutefois Dora n'est pas Raine, elle rajoute quelques notes mélancoliques sur la fin. Who are we : mouvement plus ample, un des poèmes les plus célèbres de Raine, le premier morceau aurait pu laisser croire que Raine professait un nihilisme destructeur. Il n'en est rien. Rien à voir non plus avec les trois questions angoissées de Gauguin : D'où venons-nous, Qui sommes-nous, Où allons-nous ? Raine connaît les réponses, nous venons de la mort, nous sommes des vivants, nous allons vers la mort, rien de terrible, la vie vient de la mort et la mort provient de la vie, c'est un cycle, Platon parlerait de la transmigration des âmes, mais pour Raine, cette explication n'est qu'une image, Dora traduit cela, non pas par des touches noires, non pas par des touches blanches non plus, elle ne croit peut-être pas aux ivoirines qui lui semblent trop bien sonner pour être honnêtes et les touches nocturnes lui font sûrement un peu peur, alors elle se sert des touches grises. Faut être un sacré pianiste pour les trouver sur un clavier, mais c'est justement ce qu'elle est. Honesty : le chant s'élève et chantonne, superposition, l'une qui chante et la même qui parle comme si elle lisait, il y a toujours deux manières d'appréhender la réalité, il semblerait que celle du bas se hausse vers le haut, medley de douceur mais Parménide nous a prévenu, s'il y a deux chemins, l'un n'est que mensonge. The Pythoness : un jeu beaucoup plus lyrique, sont-ce les vapeurs qui montent des abysses ou un Dieu qui descend, des notes qui enjambent le clavier et la voix claire et voilée qui se termine en extase... il est temps de regarder la pochette, si une route monte et si une autre descend, peut-être les deux n'en forment-elles qu'une seule, qui se referme en cercle, mais le serpent ne se mord pas la queue, il s'infiltre autour du corps de la pythonisse, et la femme à son tour devient serpent, sa chevelure ondoie dans l'infini, elle est celle qui permet au cercle de se fermer et de s'ouvrir, est-elle le symbole du poëte, et n'est-elle pas aussi Dora Delphine qui par son piano revisite le mythe de l'omphalos de Delphes sis dans le temple d'Apollon pythien... Not in time : nous ne reviendrons pas dans ce temps puisque nous y reviendrons toujours, et si nous y revenons toujours nous y restons éternellement, Dora joue à l'institutrice, elle prononce lentement les mots, elle sait qu'ils sont difficiles à comprendre, ses doigts claquent sur l'ivoire, toujours cette seconde voix qui essaie de faire passer la difficulté, sans y parvenir vraiment, comment faire admettre que la partie contient le tout. Qu'un fragment de temps englobe l'éternité. No-where : une procession qui passe, la voix portée en avant tel le foc du voilier gonflé par l'alizé, des notes qui brillent comme si les étoiles avaient refusé de s'éteindre le jour venu, et puis le tout s'en va et disparaît, comment voulez-vous que cela reste, s'il n'y a plus de temps il n'y a plus d'espace, car celui-ci n'est qu'un point sur lequel il n'y a pas assez d'espace pour que l'on puisse s'arrêter. Retour à la transmigration platonicienne. The wilderness : le piano ronronne en majeur, mais la voix ne suit pas, elle reste en arrière, elle est comme écrasée par l'ampleur sauvage de la nature, l'on dirait qu'elle se parle à elle-même. De toutes les manières elle ne connaît pas les réponses. Âme perdue dans l'immensité du monde, Raine est entrée enfant en poésie grâce à son père qui était un amateur de Wordsworth, le poëte anglais de la nature panthéïque radieuse. Lorsque l'on grandit l'on a du mal à perpétuer l'enseignement de ses parents, l'on essaie de creuser par soi-même et au fond du trou on ne trouve pratiquement rien, un point qui dure une seconde. The sphere : une voix fragile mais sereine, des notes qui s'égouttent telle la rosée qui tombe de l'herbe, l'infiniment petit est aussi l'infiniment grand, tout est question de perspective, il faut savoir regarder et comprendre que tout instant est éternel, l'homme est une particule qui zigzague sans fin entre la mort et la vie. Eudaimon : le morceau charnière, sur la crête entre deux abîmes, un des plus courts, il est difficile de garder l'équilibre, la voix de Dora est emplie de sérénité, le chant est une ballerine à petits pas sur le fil tendu. Il est deux façon d'entendre le mot Eudaimon, est-ce un immortel heureux ou un homme heureux qu'un immortel fasse attention à lui, dans les deux cas, vue d'en bas l'homme côtoie les Dieux, vue depuis d'en haut l'immortel côtoie le mortel, pour bien comprendre il faut faire un pas, quitter l'exil de l'âme platonicienne qui après d'innombrables réincarnations, grâce à la transmigration, atteint enfin le royaume rayonnant et contemplatif des idées, ou alors prendre l'ascenseur ultra rapide plotinien qui permet à l'âme individuelle par une succession d'ascèses et d'extases de pénétrer dans la sphère du divin, le mortel se métamorphosant en immortel... Kathleen Raine a beaucoup étudié les néo-platoniciens, autrement dit elle a été une auto-initiée... Proclus, le dernier d'entre eux a ainsi sauvé l'historialité du paganisme interdit par le christianisme en le hissant dans la pointe ultime et diamantine de l'île des Bienheureux. D'où les Dieux préparent leur retour. On a deserted shore : si les dieux se sont retirés, le monde n'est plus qu'une rêve déserté, Raine symbolise cette absence par un chagrin amoureux, l'amant est inatteignable, le morceau est pratiquement parlé, car le chant se tait, chandelle de désespoir soufflée par un vent mauvais, et le piano lui-même éparpille ses notes dans le silence, mais la plainte reprend en mineur, la bougie de l'être est éteinte, mais se consume encore celle du non-être. Lament : la voix comme une brise qui se complaît dans sa solitude, piano cahin-caha, regardons autrement, toute complainte lamentable comporte sa beauté, encore une fois le chant s'arrête au milieu du gué, il se reprend sans rien demander au monde. Toute chose ne se suffit-elle pas à elle-même. La plus atroce, la plus cruelle, la plus insipide n'est-elle pas une parcelle d'absolu. Death's country : chant de victoire, rythme martial, le soleil se lève à l'orient de tout chagrin, finirait-il dans la mort, n'a-t-il pas atteint le pays de la renaissance. La mort n'est pas un terminus, juste un passage vers la vie. Fire : plénitude de la destruction, deux voix qui s'exhaussent, retour au mythe stoïcien de l'éternel retour, s'il n'a pas de fin il n'y aura pas de retour, sinon notre vie n'est qu'un ensemble de préceptes moraux. Moraline a dit Nietzsche. Pour que l'aurore brûle elle doit être ardente. Déflagration cosmique. The invisible kingdom : la voix et le piano comme un baume, un des poèmes les plus célèbres de Raine, le Royaume invisible n'est pas au bout de la route, il est lui-même la route, la mort est présente dans la vie, elle n'arrive jamais par hasard malheureux, ou par accident stupide, elle est constitutive de la vie, rien de plus facile que d'atteindre l'autre rive, sur n'importe lequel des rivages où vous vous trouvez. La différence n'est pas bien grande, elle est même infime, Rilke exprimera cela d'une façon bien plus percutante en disant que l'ange ne sait s'il passe parmi les morts ou les vivants. Lily of the valley : printanier et virginal, chant d'oiseau, une ronde enfantine de jeunes filles ces brins de muguet qui embaument si fort la vie, qui embaument si fort la mort. Words : le dit d'Hamlet, des mots, des mots, des mots, en tant que vanités humaines, mais aussi mots de démarches poétiques, mots de poésie, beaucoup d'angoisse et de douceur, la voix délaisse les mots et vocalise, les mots ne sont-ils que des passerelles trouées lancées au-dessus des abîmes entre les hommes et les humains, entre les mortels et les immortels. Des cercles de cellophane d'où peut surgir à tout moment le tigre de la réalité ou de la panthère de la poésie. The unloved : sans amour, sans forme à donner au monde, chuchotis de piano qui marque davantage les espaces de son silence, lecture à deux voix pour se donner courage, toutefois le chemin de solitude traverse le monde comme tous les autres chemins. Last things : les dernières choses sont aussi les premières, appui de clavier et la voix qui prend le devant de la scène, s'infléchit bientôt dans le jardin du monde, s'apaise et le piano ronronne comme la bouilloire sur le feu, incessantes mutations de climats, l'on change sans arrêt de sentiment, d'attitude, l'impression de se regarder dans une glace et de s'essayer à être soi en modifiant les rides du sourire de notre visage, n'est-ce pas illusoire, de vouloir se figer en soi-même, les dernières choses sont aussi les premières, aussi vaines, nous déambulons dans le monde comme en nous-mêmes, le paradis est notre pays, il est inutile de pleurer.

Une voix souvent doublée et décalée au mixage, des notes égrenées, qui tombent tels des petits pois écossés dans l'assiette, c'est tout. Pas d'éclats. La poésie de Katleen Raine en ressort mise à nue, dévêtue de sa prosodie classique, du folk si vous voulez mais dépourvu de ses facilités populaires, point de refrain, juste des sentiers qui se perdent un peu et se continuent on ne sait comment. Cet album est un miracle de grâce qui confine à la poésie la plus pure.

EUDAIMON II

( Three : Four Records / Octobre 2020 )

Delphine Dora : piano, vocals, composition, recording, mixing / Katleen Raine : words

Ce n'est pas une suite. Un vinyle ou un CD offrent des capacités limitées. Pour le disque précédent il a fallu faire un choix parmi les trente morceaux enregistrés, Maxime Guitton s'est chargé de cette tâche, l'on peut comprendre comment il l'a élaboré. La première partie d' Eudaimon regroupe des poèmes que l'on définira comme théoriques, contemplatifs et philosophiques, la deuxième partie délaisse un tantinet ces aperçus métaphysiques et se rapproche du vécu individuel du poëte, il n'est pas toujours aisé de faire coïncider sa vie avec ses idées, surtout lorsque celles-ci ne vous traversent pas la tête, mais s'apparentent à des formes immuables, extérieures à votre situation dans le monde.

La couverture de cet album est moins percutante que celle d' Eudaimon. Une photographie de Delphine Dora de pied, dans une forêt, prise de loin. Des sapins derrière elle, sur sa gauche s'élève un énorme tas de rondin, preuve que l'exploration forestière bat son plan. Nous refuserons l'interprétation écologique sur l'empreinte carbone. Nous préférons y voir cette proximité entre la vie et la mort qui est au fondement de la poésie de Katleen Raine. Une photo plus subtile qu'elle en a l'air. Doit en exister quelques millions de semblables par le monde. Oui, mais il faut savoir lire entre les arbres.

The traveller : quel est ce voyageur, si ce n'est un ange qui marche dans la forêt du monde, pour une fois Dora chante vraiment, une mélodie à pleine voix mais discrète, le piano quant à lui accompagne, il ne se permet aucun commentaire dissident, l'en est dissuadé par la ferveur du timbre, non pas une prière, mais un dialogue, peut-être mieux : une entente. The presence : plein-chant, discret certes mais présent, sans quoi comment être au plus près de cette présence, de cette autre rive, de ce pays où l'on arrive toujours, de ce royaume invisible qui ressemble tant au royaume près de la mer où repose Anabel Lee. La gravité du propos impose la sourdine au piano, le chant l'efface et l'annule. Azrael : piano funèbre, Azrael est l'ange de la mort, le morceau est arrangé comme un requiem, ici Delphine Dora se confronte à la vision de Katleen Raine, une reine trop froide selon elle, Delphine conquise et fascinée mais peu encline à souscrire à de telles vues. Elle jette un regard mélancolique sur la beauté du monde qui rebondit sur les touches de l'instrument. Night though : voix blanche et piano ralenti, Dora est entrée dans le corridor du monde, ce n'est pas le monde qui a changé mais elle qui perçoit sous son écorce chamarrée une couleur plus sombre intimement mêlée à l'apparence des choses, mais invisible, le rythme ralentit, n'est plus qu'une légère couche de neige froide sur laquelle il faudra bien s'aventurer, quoique le danger ne soit pas bien grand. Invocation : une certaine sérénité, car toute invocation repose sur un espoir, presque un chœur de demandantes, une voix se détache et la musique se brise, tout repart plus assuré, car l'on peut invoquer sans avoir une ferme volonté d'être exaucée, terrible solitude dans ce morceau malgré la surmultiplication des voix. The world : piano évanescent, au contraire de la voix qui affirme la vanité du monde, que rien ne reste, que tout bouge, tout tremble, tout change, qu'il est nécessaire d'en prendre son parti et mettre ses actes en accord avec sa vision tremblante du monde. Two invocations of death : la pièce la plus longue du disque, située à l'exact milieu, l'instant décisif, presque gaie dans sa première partie, l'on ne s'attend pas à ce chant folâtre, mais peu à peu la gravité du propos impose un certain trouble, l'hésitation est surmontée, le rythme est ralenti mais avance sûrement, une touche noire enfoncée, et les pas progressent toujours, rien n'arrêtera celle qui marche, elle entre dans la zone d'ombre éclairée par sa seule volonté, elle s'éloigne dans la nuit, est-elle celle qui marche ou est-ce un ange qui s'approche. Spell of sleep : notes cristallines et chant pointu, venus du plus profond, le tout accompagné d'une voix de récitante creuse et comme désincarnée, si l'on traverse les états du sommeil, l'on voyage aussi dans les degrés de l'être. Plus loin que le rêve. Spell against sorrow : hantise orphique qui descend sans fin sans espoir de retour, des notes de piano cassantes qui brisent les oreilles, est-ce le prix à payer pour atteindre l'autre rive, pour effacer tout ce que l'on laisse et connaître la Joy : chuchotements, elle n'est pas éclatante, elle claudique dans d'obscurs souterrains, de la voûte du piano tombent des notes qui s'écrasent avec des reflets d'eau lustrale. Isis wandered : Isis errante à la recherche si vous voulez du sexe d'Osiris mais pour Raine d'une plus grande compréhension du monde, sous toutes ses formes, de l'étrange acceptation des bêtes et de la tranquillité paisible des arbres, ceci pour une rive, et pour l'autre cet eudaimon incompréhensible qui nous pousse et nous devance sur l'autre rive, sur l'autre rêve d'un embrassement, d'un embrasement total, car si la nuit est égale au jour notre insatisfaction émerveillée est partout la même. Purify : nous sommes passés par des siècles de purification intense, l'écorce de notre chair a enfanté un autre cercle et puis s'est dégradée jusqu'à ce nous soyons ombre translucide dans le royaume invisible. Nocturne : un tel titre sied à un pianiste, mais Delphine Dora ne chopine pas, elle est partisane d'une musique qui se décharne, qui se déquasme, qui se tait. La nuit se fait. Silence.

Eudaimon II est très différent d'Eudaimon ( I ). L'on comprend les choix de Maxime Guitton. Il a privilégié pour le premier opus, les morceaux qui retraçaient et explicitaient l'itinéraire poétique de Katleen Raine. Mais si Delphine Dora a tenu à collecter ce deuxième volume, c'est parce qu'elle a compris que ce premier opus ne révélait que la face claire, acceptable pour un large public de la poëtesse, mais qu'il en existait une autre plus sombre, qui conte par bribes essaimées dans ses recueils, ce que selon Nerval l'on appelle la traversée de l'Achéron. Dans les deux sens. Cycle orphique que chantera Rilke. Reste encore à s'interroger sur cette notion de présence chère à William Butler Yeats, dont Katleen Raine fut une fervente admiratrice. Pour ceux qui suivent certaines de nos chroniques, Yeats fut membre et même Grand Maître ( entre 1901 et 1903 ) de La Golden Dawn qui compta parmi ses membres Aleister Crowley... Pour ma part je rajouterais que si vous écrivez Eudaimon, Eudaïmon, vous n'êtes euphoniquement pas très loin de L'Endymion de Keats. Ce sont les vers que Percy Bhysse Schelley composa pour la mort de Keats que lut Mick Jagger au concert de Hyde Park en adieu à Brian Jones. Le monde est plus petit que l'on ne pense, même si certaines de ses sentes sont obscures.

L'INATTINGIBLE

( Three : Four Records / Février 2020 )

L'Inattingible est une œuvre à part dans la discographie de Delphine Dora. Nous n'avons pu résister à l'intégrer à la présentation des deux précédentes...

Très beau titre, ce n'est pas l'intangible que l'on ne peut pas toucher, le mot enjambe la marque infamante de notre inaptitude, de notre incomplétude, il nous porte dans cette chose qui nous est inatteignable, nous transporte dans sa nature même, dans sa constituvité même, qui est justement d'être inattingible. Pochette : puits d'ombre encadré de blanc. Trois cercles concentriques, en cœur de cible Delphine Dora au piano, deux margelles exentriques, jeu de l'oie de photographies, cases d'affects et de symboles, séparées d'un mince trait blanc. Elle est de Marie-Douce St Jacques. Artiste canadienne multidisciplinaire. Une démarche formelle qui interroge la perfection à laquelle, selon différents médiums artistiques, elle peut atteindre, le pronom ''elle'' représentant autant elle-même, que la démarche elle-même, que la perfection elle-même. Plus abstraitement je dirais qu'elle cherche à transformer le signe qui ne peut-être entrevu que par certains en une forme que tout un chacun peut percevoir. Ce qui ne signifie pas comprendre.

Question instrumentation, ce n'est plus le piano dépouillé d'Eudaimon, l'orchestration oscille entre classique évanescent et noise discret.

L'horizon inconnu : entrée organique, bouquet de voix inaudibles, Dora est au piano, elle parle avec ce débit que l'on adopte pour avouer une faute, ou un état d'âme ou un désir d'absolu inavouable à la commune humanité, l'on saisit les mots plus qu'on ne les entend, arabesques de violons, un synthé joue à l'orgue de cathédrale, le morceau est si court qu'il paraît rapide, sensation augmentée par la richesse orchestrative, l'appel de l'horizon n'est pas une ligne qui se dérobe, mais une profusion englobante. Les sensations enfouies : vibrionnant, une montée en flèche aussi aigüe que la voix pointue qui monte, un son qui fuzze et bientôt le morceau se teint d'une splendeur tibétaine, chœurs de moines en prière, la recherche intérieure décroît et s'achève au crépuscule du soir. Songe : ( paroles extraites d'un poème de Pierre Jean Jouve ) bruit de porte qui se referme, suivi d'une espèce d'accompagnement qui imiterait un orgue de barbarie qui se détracte, qui se rétracte en un sifflement contigu, Dora récite un extrait de Noces de Pierre Jean Jouve, pas le poëte le plus joyeux de la poésie française, pour qui la seule ligne d'horizon de l'homme est la mort. L'avenir s'étend restreint :flûte agreste, comptine enfantine, aux paroles trop graves pour des enfants, soulignées par un bourdon incessant, qui se distend et vous a de ces soubresauts de reptile dont la colonne vertébrale est brisée. Ma voix vacille : une voix perdue dans la tourmente des éléments, si jeune, si pure, mais des accords graves de cuivres et de guivres aggravent le message, imaginez un jazz ( le titre le plus long du disque ) sous perfusion, qui essaie de retrouver la conscience par des éclats de clarinette, ce morceau ressemble à une procession pour une descente au tombeau, plainte amère étouffée par l'incommensurable. Vers l'impatience promesse : perles de pianos, magnifique drapé orchestral, en contrepoint Dora à la voix étouffée, mais tout se désagrège, la musique ne survit pas à la négativité de l'impatience, une face cachée de nos échecs. L'ombre de nos silences : bruit de sitar, clinquance indienne, échos de chœurs, Dora récapitule toutes ses déceptions, ce qui n'a pas tenu ses promesses, toutes nos compromissions. Rien ne sert de rejeter la faute sur les autres. L'ombre de nos silences parle pour nous. Loin : trop loin, et lent très lent, l'orgue déroule ses arpèges à la manière d'un tapis de pourpre, voix de clarté, lente et dogmatique, doucereuse et articulée, car toute vérité est bonne à dire, il ne s'agit plus de regarder à l'extérieur de soi mais de porter les yeux vers ce qui se cache, au fond des cieux et au fond de soi, s'il est loin l'Inattingible hulule, une chouette dans la nuit, que l'on ne voit pas, qui effraie, dont les yeux fermés fascinent. L'inexploré : quelques notes qui frottent et miaulent, le temps de la confession est venu, la musique gémit et se tord, les révélations de Dora n'apportent aucune quiétude, la pensée est impuissante à saisir le monde, une percussion tapote comme elle peut, la musique est à l'image de l'oiseau à l'aile brisée qui essaie de s'envoler, sans y réussir. Lumière aveugle II : pluie et ruissellement, ce n'est pas la lumière qui est aveugle, c'est ceux qui ne savent pas la voir, un violoncelle sonne le glas de nos impuissances. Pas de parole, le chant s'est tu, comment parler de ce que que l'on ne voit pas. Ivre et serpentée : serpentin de notes joyeuses, vent charmeur de serpents, retour non pas aux sensations mais aux sens, être la chair de soi-même, si le soi est soi, il devient l'autre, bouquet de fleurs du mal, le serpent entrelacé rampe sur la rampe. L'utopie du renouveau : froissements, tintanibulements, éclats d'orfèvres, morceau maelström, vertige de se perdre, tambour indiens d'Amérique, les mots s'égarent dans les ferveurs des découvertes, un accordéon au soufflet cassé, au centre du vortex dans lequel on s'est laissé couler, il n'y a rien qui ne soit inattingible. Lumière aveugle III : instrumental tamisé, un fleuve qui charrie les âmes des morts, une flûte s'essaie à un solo, mangé par les clameurs sourdes des souffrances emportées qui s'exaltent, roulent en cascade et disparaissent, faute de mieux. Dans la torpeur du lacunaire : piano, silence entre les notes comme interstices dans les pensées, du passé et de l'impuissance du présent à aller de l'avant, il ne reste plus qu'à s'en remettre au plaisir des corps d'avant, l'accompagnement se fait langoureux, pour finir par dérailler, s'étreindre et puis s'éteindre. Rien n'est parfait. Métamorphose déracinée : comprendre que ce qui précède n'était qu'une image du travail de l'esprit à vouloir penser l'inattingible, de cette difficulté à percer le mur, la mince cloison qui sépare et incite. Musique vermisseau qui se trémousse sur le plancher des illusions perdues. Lumière aveugle IV : voix comme des sanglots d'impuissance sur un tissu orchestral qui se déchire, lumière infranchissable pourriture affirmait Joe Bousquet, cris de répulsion. Mes rêves inondés : plongées de bassons mortuaire, Dora dresse le bilan de son existence, négatif, elle n'a jamais atteint ce sentiment de plénitude recherchée ou attendue, sa seule bouée de sauvetage reste la musique, une vie parallèle à la sienne. Elle se tait et la musique s'entasse sur elle-même, un ramassis de débris qui n'augurent rien de bon. Lumière aveugle I : une flûte un tantinet faunesque, l'on sait comment se termine le poème, le faune fatigué du réel se recouche pour revenir à son songe. Dans l'absence : Dora revit la situation mallarméenne, à l'envers, si le morceau précédent débutait comme Debussy et se terminait sur du Miles Davis celui-ci sonne beaucoup plus contemporain, quoi de plus concrète qu'une absence quand on y songe, un charmeur de serpent ne sait plus s'il est le charmeur ou le serpent. Devant l'inexplicable : musique tremblée, comme décollée d'elle même, comme le regret d'un sentiment perdu, nos échecs existentiels sont-ils entés sur notre blessure fondamentale de n'avoir jamais pu approcher cette perte terrifique qui nous renvoie à nous, car nous sommes le principal obstacle à la réalisation de nos désirs. La musique semble se noyer en elle-même. Tu me résistes à l'abandon : voix aérienne, complainte du tutoiement, amère, mélancolique, ironique, élégie éligible du retournement, de l'erreur acquise, l'inattingible n'est pas au loin, là-haut, inaccessible, il est à l'intérieur, tout aussi loin, tout aussi inaccessible, mais en nous, nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous, peut-être es-tu, comme moi, peut-être es-tu l'inattingible, qui ne peut s'atteindre lui-même. Musique de fête foraine. Deux manèges qui tournent ne se rencontrent jamais.

L'Inattingible est une œuvre cime dans la discographie de Delphine Dora. L'opus reste marqué par la poésie de Katleen Raine, il est à lire en tant que réponse doranienne à la vision poétique rainienne. Cela est davantage visible dans les morceaux du début, ce n'est qu'après que Dora développe ses propres vues. Ce n'est pas un hasard si Dora s'est chargée de l'écriture des textes... quant à la musique elle est l'aboutissement de tout un parcours créatif. Il est le fruit d'un long désir. C'est un chef-d'œuvre qui reste difficile d'accès. Dune richesse musicale extrême que nous n'avons qu'à peine évoquée dans notre chronique, nous contentant d'en définir un parcours idéographique. Qu'il soit clair que nous avons essayé d'en donner une sorte de transcription nôtre, qui ne vise à aucune objectivité critique, réservée à notre propre usage.

La composition et l'enregistrement, fragmentés sur une dizaine de pays, s'étalent sur une seule année, ils oscillent sans cesse entre improvisation et fixation, entre écriture solitaire et mise en forme collective. Elle risque de désarçonner les fans de rock purs et durs et d'intriguer les amateurs de jazz. Elle emprunte au classique, au noise et à l'électro. Ce n'est ni du rock, ni du jazz, mais elle possède à sa manière la virulence du premier et la subtilité du second. Quoi qu'il en soit pour voler un mot à Baudelaire, nous affirmons qu'il s'agit d'une œuvre phare.

Participants à l'aventure : Aby Wulliamy / Paulo Chagas / Valérie Leclerc / Adam Cadell / Gayle Brogan / Susan Matthews / Andrea-Jane Comell / Marie-Douce St Jacques / Caity Shaffer / Taralie Peterson / Sylvia Hallett / Laura Naukkarinem / Tom James Scott / Jackie McDowell. ( + instruments hétéroclites. )

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

UNE TENEBREUSE AFFAIRE

EPISODE 06

UNE NUIT EFFROYABLE ( Part 2 )

Un frisson parcourut les échines. Il y eut un silence, une voix tremblotante s'éleva :

_ Mais comment savez-vous cela ?

_ C'est une longue et étonnante histoire, nous avons encore un peu de temps, je laisse à l'agent Chad, le soin de vous la raconter, du moins le début, pendant ce temps je me permettrais de fumer un Coronado si personne n'y voit d'objection.

Tous les regards se tournaient vers moi, j'avoue qu'à la vue des yeux fiévreux de toutes ces jeunes filles fixés sur mes lèvres j'éprouvais une pointe jouissive de fierté, mais un agent du SSR surmonte facilement ses pulsions sexuelles, fussent-elles de celles que le commun des mortels décrivent comme irrésistibles. Je m'éclaircis la voix :

_ Sans doute avez vous lu d'Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires – il y eut un murmure d'approbation – les plus férus d'entre vous se seront jetés sur Vingt Ans Après, quelques oui s'élevèrent, les plus courageux auront continué par la fin de la trilogie Le vicomte de Bragelonne – silence absolu – je ne vous résumerai pas ces trois romans de cape et d'épée aux intrigues tourbillonnantes, là n'est pas la question, il y a quelques années de cela le Chef qui est un amateur d'Alexandre Dumas, farfouille dans un carton de documents non classés du fonds Dumas de la Bibliothèque Nationale. Mais avant que le Chef n'entame un nouveau Coronado, peut-être voudra-t-il nous conter lui-même son étrange découverte.

_ Certainement, agent Chad, toutefois je puis fumer un Coronado en vous faisant part de ma trouvaille – le Chef prit le temps d'inhaler une bouffée de fumée, je le soupçonne d'avoir voulu faire durer le plaisir - une vulgaire feuille de papier dans une enveloppe froissée que personne n'a eu la curiosité de lire, espérons-le, depuis plus d'un siècle, elle est d'Auguste Maquet, je rappelle qu'il fut un collaborateur de Dumas, certains lui attribuent la rédaction complète des Trois Mousquetaires, mais ceci n'est pas de notre ressort. La lettre est adressée à un certain Lemoyne, au ton employé par Maquet l'on devine un ami cher capable d'accueillir un épouvantable secret sans le divulguer. Le Chef prit le temps d'exhaler une dizaine de nuages de fumée aussi moutonneux qu'un cumulus nimbus.

Dans le silence attentif qui accompagna cette respiration peu écologique rejetant à elle seule plus de carbone qu'une centrale au charbon, éclata brusquement le terrible grondement de Molossa, immédiatement suivi de celui plus pointu de Molossito. Tout le monde sursauta, le groupe se disloqua quelque peu, il y eut des cris et des imprécations, Joël accompagnés de quatre garçons courut vers sa voiture, ils en revinrent les bras chargés d'une quarantaine de manches de pioches, tout le monde se munit sans rechigner d'un de ces joujoux contondants, sauf le Chef qui déclara que lorsque l'on avait en main un Coronado, l'on détenait l'arme absolue, son impassibilité raffermit le courage de toute la bande

_ Il n'est que minuit moins-le-quart, nous avons un quart d'heure avant que l'horreur ne se déchaîne, notez que les chiens ont senti quelque chose mais que maintenant ils se recouchés aux pieds de leur maître, j'ai juste le temps de terminer mon histoire. A son ami qui lui adresse ses compliments en insistant sur la complexité de l'intrigue qui tient le lecteur en haleine, Maquet le met en garde, les trois romans sont codés, l'histoire qu'ils racontent n'a rien à voir avec les règnes de Louis XIII et de Louis XIV, elle n'est que la transcription d'une antique conjuration dite de l'Ibis Rouge !

A peine avait-il prononcé ces derniers mots qu'une lueur d'un rouge purpural illumina le haut de la colline. Dans les secondes d'ahurissement et le silence médusé qui suivirent, l'on entendit le Chef murmurer :

_ Nous y sommes, en plein dans le cul de l'ibis !

LA NUIT DE L'IBIS ROUGE

En quelques instants la lueur purpurale avait pris la forme d'un immense ibis rouge, d'une quarantaine de mètres de hauteur, brutalement s'en détacha l'ombre de Charlie Watts, aussi haute qu'une maison de deux étages, elle se dirigeait vers nous à vive allure, malgré nos objurgations, notre troupe s'éparpilla, seuls Joël, Françoise et Framboise et une certaine Noémie restèrent près de nous, n'ayez pas peur nous ne craignons rien dit le Chef, pour les autres je n'en dirais pas autant.

A une dizaine de mètres l'ombre de Charlie s'arrêta, elle diminua jusqu'à reprendre la taille exacte de l'ancien batteur des Stones, toujours le même sourire désinvolte flottait sur ses lèvres, d'une de ses poches il tira une tête d'ibis rouge au long bec de métal effilé, tranchant comme un rasoir, qu'il emmancha sur sa tête, sur ses flancs poussèrent rapidement deux ailes de plumes qui lui permirent de voleter de ci de là. Par bonds successifs il se précipita sur les étudiants dispersés, sans pitié, méthodiquement il plantait son bec dans le corps des jeunes gens qu'il transperçait ou cisaillait cruellement sans regret. Lorsqu'il eut fini sa macabre besogne, il revint vers nous, les yeux illuminés d'une stridence rouge insoutenable, n'ayez pas peur, nous ne craignons rien répéta le Chef, il avait raison, Charlie se tenait à trois mètres de nous, mais il n'osait avancer, Molossa et Molossito étaient pendus à chacune des jambes de son pantalon et tiraient comme des diables sur le tissu qui commençait à se déchirer. Brusquement il se retourna et entreprit de remonter la colline. Son ombre s'effaça en quelques instants, ainsi que celle de l'ibis géant qui disparut.

_ Charlie a toujours été soigneux, un peu dandy, il n'a pas supporté que notre courageuse brigade canine s'en prenne à son costume, proposa Joël

_ Pas du tout répondit le Chef, il a eu peur de mourir.

EXTRAITS DE LA REPUBLIQUE DU CENTRE

plus de vingt mille personnes étaient massées devant la tribune que le personnel de la municipalité avait installé avec diligence. Le préfet se leva de son siège et lorsqu'il vint prendre place devant le micro, l'on sentit l'émotion sourdre de cette foule immobile et silencieuse. Ce fut une allocution digne et pathétique, les limougeois se souviendront jusqu'à la fin des temps, de ce discours qu'il faudra un jour graver en lettres de bronze sur un monument, nous recopions quelques passages, par exemple celui-ci où désignant du doigt les vingt-sept cercueils drapés du docteur national alignés en arc de cercle au bas de la tribune, il s'écria : '' Les voici nos vingt-sept enfants, filles et garçons fauchés dans l'âge d'or de leur jeunesse, des êtres à qui l'avenir souriait, ils étaient partis pour ramasser des champignons en compagnie de leur professeur et ils ont récolté la mort. Nous avons ce matin recueilli leurs corps sans vie, près du Bois du Pendu. Nous les pleurons, de tout notre cœur, nous joignons nos larmes à celle de leurs parents, de leurs proches, de leurs amis...'' à ce moment-là la police municipale dut intervenir pour empêcher une dizaine de mères de nos chères victimes de se se lamenter sur le cercueil de leurs enfants, il fallut utiliser les matraques et les gaz lacrymogènes pour dissuader ces malheureuses d'étreindre de leurs bras le bois des cercueils, mais il était temps que tous apprennent les circonstances exactes de cette tragédie '' ...que s'est-il passé au juste, les six rescapés de cette nuit de terreur nous l'ont raconté, ils étaient tous regroupés en train de discuter de littérature du dix-neuvième siècle, lorsque dans le noir de la nuit, sur un fond de nuages rouges sans doute dû au halo de la lune rousse surgit une ombre armée d'un long coutelas, un serial killer qui occit pas moins de nos vingt-sept enfants, ô nuit sanglante, ô nuit rouge de sang, ô nuit de meurtre, ô nuit de carnage, ceux qui prirent peur et s'éparpillèrent périrent, seules les trois plus sages, qui avaient su rester près de leur professeur et de ses deux accompagnateurs, ont survécu... je demande à nos trois éducateurs et à nos trois rescapées qui eurent la présence d'esprit d'écouter les sages recommandations des adultes de se lever... '' ce fut un moment grandiose, nos six héros se levèrent et au nom du Président du Sénat qui mène la barque de l'Etat en attendant les prochaines élections, notre Préfet, empli de la dignité de sa charge, leur octroya la Légion d'Honneur, l'émouvante et brève cérémonie terminée, la fanfare municipale joua la Marseillaise que la foule reprit en chœur, seule note discordante deux chiens vraisemblablement abandonnés qui s'étaient glissés on ne sait comment parmi les rangs officiels, se mirent à aboyer rageusement. Mais monsieur le Préfet n'y prit pas garde et reprit son homélie '' … ces vingt-sept crimes ne resteront pas impunis, nous connaissons le nom de l'assassin, un certain Charlie Watts, évidemment un étranger car un français n'aurait jamais pu commettre un pareil forfait, lâchement en fuite, mais un indice permettra à toutes les polices nationales bien aimées de l'arrêter rapidement, les bas de son pantalon sont déchirés... '' un frémissement parcourut l'assistance, chacun se penchait discrètement pour vérifier l'état des pantalons de son voisin ''... Limougeoises et Limougeois, mes chères et chers concitoyens, je vous en fais la promesse solennelle : aujourd'hui nous avons connu le crime, demain Charlie Watts connaîtra le châtiment ! Vive Limoges ! Vive le Département ! Vive la France !... '' La foule s'est dispersée lentement le cœur rasséréné par les paroles marquées du sceau de la vérité et l'intonation mâle et virile de notre Préfet.

Une bien belle cérémonie, toutefois nous regrettons que Monsieur le Préfet se soit brûlé en embrassant un des deux éducateurs, celui-ci visiblement émotionné et troublé avait oublié de retirer de sa bouche son cigare, un Coronado reconnaissable à sa bague d'or. A tel point que parfois dans le milieu des grands fumeurs de havanes, certains le surnomment El Coronador.

A suivre...