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07/04/2021

KR'TNT ! 505: DAVE CLARK FIVE / CHOCOLATE WATCHBAND/ GENE SCULATTI / ERIC BURDON AND WAR + JIMMY WITHERSPOON / ROCKAMBOLESQUES XXVIII

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 505

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

08 / 04 / 2021

 

DAVE CLARK FIVE / CHOCOLATE WATCHBAND

GENE SCULATTI

ERIC BURDON AND WAR + JIMMY WITHERSPOON

ROCKAMBOLESQUES 28

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Le full car flight du Dave Clark Five

 

Curieusement, le Dave Clark Five ne bénéficie jamais des largesses de la presse anglaise. Tous les autres British Invaders ont été célébrés en long en large et en travers, mais pas grand chose sur ce groupe que les feignants appellent le DC5. Tout ce qu’on peut espérer dénicher, c’est une page de temps en temps dans Record Collector. En 2019, Nick Dalton faisait le tour du propriétaire en 33 minutes d’un groupe qui vendit en son temps 100 millions de disques et qui apparut 18 fois dans l’Ed Sullivan Show, alors t’as qu’à voir. Quand Dalton demande à Dave Clark pourquoi son groupe est devenu tellement célèbre aux États-Unis, celui-ci lui répond sèchement, the Tottenham way - Everything is being at the right place at the right time - Oui, il faut être là au bon moment. Ed Sullivan était à Londres et quand il a vu le Dave Clark Five sur scène au London Palladium. Il leur a tout de suite offert 10 000 $ et des billets d’avion. Dave a dit a ses copains : «Faites vos valises les gars, on part tôt demain matin !». Ed Sullivan les voulait dans tous ses shows. En fait c’est lui, cette espèce de sosie de Nixon, qui a rendu célèbre le Dave Clark Five. Partout aux États-Unis, leurs concerts sont sold-out. Ils sont aussi célèbres que les Beatles. C’est Dave qui négocie avec les maisons de disques. Il demande à EMI la propriété des masters et l’obtient. Five years of mega-stardom, nous dit Dave, qui s’arrêtent aussi brutalement qu’elles ont commencé. Dave voulait arrêter le cirque au moment idéal, lorsqu’ils étaient au top - We wanted to stop at the top - Les gars de Tottenham ne rigolent pas. Ils ont un parcours exemplaire, sec et net, et attention, leurs albums grouillent de dynamite.

Dans un autre numéro de Record Collector, Alan Clayson célèbre à sa manière le Five’s power, comme il dit. Il commence par dire à Dave : «‘Anyway You Want It’ est l’un des most violent records I’ve heard!». Dave lui répond que c’est enregistré d’un seul bloc sur un 4 pistes. The Tottenham way. Il indique aussi que tout le Five’s Power est enregistré aux Lansdowne studios, à Holland Park, où travailla un temps Joe Meek. Dave monte soudain en température. Il sort sa théorie de la perfection : «Ce sont les imperfections qui font la perfection. Ça donne de la présence au cut.» Il dit aussi que ses gros hits sont inspirés du public who would stomp along to the drum breaks in the ballrooms. Voilà d’où vient ce stomp légendaire. Dans le feu de l’action, Dave rappelle sa passion pour les gros hits américains : ««Twist & Shout» des Isleys, «Do You Love Me» des Contours, «I Like It Like That» de Chris Kenney et «You Got What It Takes» de Marv Johnson. Toutes les influences sont américaines. Dave révèle que son premier disque fut le «Blueberry Hill» de Fatsy. Clayson qui est un vieux fan aborde la question des archives et oui, Dave l’avoue, il reste pas mal d’inédits à la cave du Vault d’or. Il a accepté d’en sortir un sur la compile The Hits, «Universal Love», dont tu trouveras l’éloge un peu plus bas. Il confirme aussi avoir reçu une offre mirobolante dans les années 90 pour reformer le DC5 avec Mike Smith. Un million de dollars ? Non dit Dave, far more than that. N’importe qui aurait accepté, mais pas Dave. Au téléphone, le ponte insiste, il rappelle en pleine nuit et double la mise. Dave dit no. Excédé, le ponte joue sa dernière carte : «Look Dave, everybody’s got their price. What’s yours ?», dis ton prix, et fouf Dave lui raccroche au nez. The Tottenham way. Grâce a Dave, nous n’aurons pas à subir la reformation du Dave Clark Five. Ouf !

Sois prudent si tu envisages de mettre le nez dans leur discographie, car elle est assez tentaculaire. On s’y perd comme jadis les vaisseaux se perdaient dans le triangle des Bermudes. L’idéal est de se limiter aux douze pressages Epic US et de démarrer avec l’excellent Try Too Hard paru en 1966. Que de son, my son ! Dès le morceau titre d’ouverture du bal d’A, ça te saute à la gueule. Hard pop in full car flight, Dave et ses potes sont heavy on the beat et ce qui frappe le plus, c’est l’éclat de leur énergie mirobolante. C’est encore autre chose que les Hollies, les Searchers ou les early Beatles. Tout l’album va se hisser au même niveau, à commencer par «I Never Will», véritable DC stomp, un modèle du genre. C’est même un beat de pop qui bat tous les records. Ils sont largement supérieurs à la moyenne de l’époque. Pour l’anecdote, cet album fut pioché durant les early seventies dans un bac de second-hand à Londres - sur la foi de la pochette - en même temps qu’un Best Of US de Paul Revere & The Raiders et quelle ne fut pas la stupéfaction du piocheur quand il découvrit à son retour au bercail que les deux groupes dégageaient le même genre de super power. Et si on reprend l’écoute, on tombe en bout d’A sur «Ever Since You’ve Been Away», une aveuglante giclée de fulgure. Ces mecs traitent la pop comme une reine. Alors, on devient leur copain. Et le cirque continue en B avec «Somebody Find A New Love». On souhaite vraiment à tous les popsters d’avoir ce son. Car outchy outchah, quelle patate chaude ! C’est carrément punché dans le menton du tabernacle. Ils ramènent la pire basse fuzz de tous les temps dans «I Really Love You», oh yeah, il faut l’entendre pouetter au coin du bois et ils continuent de dévaster leur B avec d’autres feel good killer cuts, finissant par tout battre à plates coutures. Les voilà bien avancés.

Les gros labels américains mirent du temps à mesurer l’impact de la British Invasion, mais une fois qu’ils eurent compris, ils passèrent en mode de production industrielle. Filiale de Columbia, Epic fit ses choux gras du Dave Clark Five dès 1964, en sortant trois albums dans la même année : American Tour, The Dave Clark Five Return et Glad All Over. Le message était clair : pesez le pour et le contre et courez chez votre disquaire, comme le disait si bien Paul Alessandrini dans un vieux numéro de R&F. Bon, pas vraiment de hit sur American Tour, mais de la patate chaude à la pelle. Les gars de Tottenham ont décidé d’en découdre et avec eux, ça ne traîne pas. On note aussi chez eux un sens aigu du tatapoum. Une belle basse monte au devant du mix dans «Move On». Ils ont tout compris. Cet instro est un fleuron du Swinging London. Quand ils font de la pop, ils ne la ménagent pas. C’est leur façon d’aimer. Le «Come On Over» qui ouvre le bal de la B avance au pas de charge, typical DC beat, belle détermination, le message est clair. Pas la moindre ambiguïté. C’mon over !

Les amateurs de big covers seront aux anges avec l’«On Brodway» qu’on trouve au bout de la B sur The Dave Clark Five Return. Il faut savoir que le chanteur du groupe n’est pas Dave Clark mais le keyboardist Mike Smith. C’est dingue comme ce mec chante bien et il faut être gonflé pour aller s’attaquer à un tel standard. Ils ont le son, la niaque et l’ampleur catégorielle, ce sont vraiment des cracks. L’autre merveille de l’album se trouve aussi B. Cette fois il s’agit d’une Beautiful Song, «Forever & A Day», chantée aux harmonies surnaturelles. L’autre particularité du groupe est sa façon de sonner comme les early Beatles. C’est flagrant avec «Zip A Dee Doo Dah». Smith chante comme John Lennon. Il nous fait le «Mister Moonlight» des Beatles. Et puis avec «I Need You I Love You», ils campent bien sur leurs positions. C’est beatlemaniaque au bon sens du terme. Big energy & Mersey beat ! Le gros défaut des pochettes américaines, c’est qu’elles sont pauvres en informations. Les membres du groupe sont présentés un par un comme ça se faisait à l’époque, mais on ne sait pas qui chante. Comme Dave Clark est leader/drummer, on croit que c’est le chanteur. Fatale erreur.

Il faut attendre la pochette de Glad All Over pour enfin apprendre que Smith chante. Le mix de l’album et donc du morceau titre est étrangement criard, presque trop aigu. C’est le early Beatles sound, ils mettent le paquet là-dessus, étant donné que ça marche aux États-Unis, car bien sûr le DC5 fait carrière aux États-Unis. Les gars de Tottenham ramènent tous leurs guts dans une version de «Do You Love Me», mais c’est en B que se joue le destin de l’album, avec une sacrée triplette de Belleville : «Bits & Pieces», «I Know You» et «No Time To Lose». Ils jouent leurs Bits au big stomp des origines du monde et on entend la basse entrer dans le lard du refrain. Elle gronde aussi dans «I Know You», quelle étonnante ampleur ! On pense au dragon de Merlin sous la surface de la terre. Il explosent leur «No Time To Lose» à la Twist & Shout, avec toute la folie combinée des Isleys et de Lennon. Ex-plo-sif !

Allez hop, quatre albums en 1965. Epic fait tourner ses rotatives. Ça commence avec Coast To Coast. Pochette typique de l’époque avec le Five détouré sur fond de carte des États-Unis. On retrouve leur énergie avec «Anyway You Want It», hey hey hey, qui les catapulte dans les hauteurs des charts. Ils campent bien sur leur position qui est celle d’une pop d’harmonies vocales très énergétique sans solos. Mais globalement l’album bande mou. Si on espère y trouver du wild gaga punk de British Invasion, c’est raté. Ils n’ont d’énergie que sur deux ou trois cuts, comme le «Say You Want Me» d’ouverture de bal de B. Réveil en sursaut un peu plus loin avec «Don’t You Know», véritable retour de manivelle, cut fluide, bien condensé, monté sur le big beat, très Lord have Mersey dans l’esprit, chanté à l’unisson du saucisson sec. Les morceaux lents sont de cuisants deceivers of the fashion. Dommage, car ces mecs sont capables de belles poussées de fièvre.

Having A Wild Week-End réserve une grosse surprise, tout au moins pour les fans des Cramps : on y trouve l’ancêtre de «Garbage Man», un instro qui s’appelle «On The Move». C’est le riff de Garbage. Ailleurs, on retrouve le cocktail habituel de grosse niaque et d’énergie beatlemaniaque. Ces mecs-là sont capables de tout, même de western swing, comme le montre «Dum Dee Dee Dum». «No Stopping» vaut aussi pour un instro de London craze et en B, «Catch Us If You Can» capte bien l’attention, avec ce cri qui lance le solo d’harmo. Et voilà qu’ils se prennent pour les Righteous Brothers avec «Don’t You Realize». Ça en bouche un coin. Comme on dit, l’occasion fait le larron. En tous les cas, bravo à Mike Smith.

Le troisième album soixante-cinquard s’appelle I Like It Like That. Ah c’mon ! Ils le prennent à la dure, le morceau titre, avec un raw à la Louis Armstrong, wow c’mon ! Guts a gogo. Simple mais si catchy, baby. Il faut les voir bosser leur pop, surtout des trucs comme «I Need Love» : ils parviennent à faire des choses savamment atmosphériques, pas loin de ce que font les Chambers Brothers à la même époque. La pop des DC5 est toujours captivante, chargée de climats et d’intériorité galvanique. La B est un peu faiblarde et il faut attendre «She’s A Loving Girl» pour retrouver un peu de viande. Ils terminent avec la pop parfaite de «You Know You’re Lying» chantée à plusieurs voix avec toute l’énergie de Tottenham. Au dos des pochettes Epic, les commentaires sont toujours aussi plan-plan. Peut-être n’y a-t-il rien à dire sur le DC5, finalement.

Ils finissent l’année 1965 avec Weekend In London et une pochette typique de l’époque : photo de scène, mais en studio, sûrement pour la télé. On trouve sur cet album une sacrée énormité, cet «I’m Thinking» descendu aux gros accords gaga. C’est l’un de leurs atouts, le super power. Ils repiquent une crise de Beatlemania avec «Hurting Inside» - Won’t you come on home and forgive me - et «I’ll Never Know». On croit tout le temps que ce sont des covers des Beatles, mais non, c’est Dave Clark qui compose, ou Smith dans le cas de «Til The Right One Comes Along». «You Turn To Cry» et «Mighty Good Loving» s’inspirent encore des Beatles. C’est exactement le même fil mélodique. On se croirait sur Revolver.

Un seul album paraît en 1966 sur Epic, l’aimable Satisfied With You. On y trouve une belle brochette de hits, notamment l’enchaînement de «Do You Still Love Me», «I Meant You» et «Look Before You Leap». Back on the big beat, ces mecs savant bombarder leur pop nucléaire. On retrouve l’intro d’Antoine à l’harmo dans «I Meant You», oh yeah, celle des Élucubrations. C’est une pop tendue vers l’avenir, power-poppy avant la lettre. Ils sont passés maîtres dans l’art du feeling pop et de la profondeur de champ, au long long time, et vont chercher les meilleures résonances au fond de l’écho du temps. Encore une fois, les mélopifs ruinent leurs efforts, mais l’espoir renaît quand sonne «It’ll Only Hurt For A Little While», car ils cassent la baraque avec un bassmatic de syncope. Voilà un cut idéal pour le twisted jukebox, big energy & dancing beat et ils relancent à la folie Méricourt. Et puis avec «Good Lovin’», ils explosent. Oui, c’est le hit des Young Rascals et le Dave Clark Five en fait de la charpie, avec une fuzz en maraude, c’est d’une puissance énergétique digne des grandes heures du Duc de Berry.

En 1967, ils ont assez de bouteille pour présenter au dos de 5 By 5 les 11 pochettes des albums précédents, histoire de faire baver les amateurs. Que de l’Epic, bien sûr. On les voit tous les cinq en recto de pochette avec bien sûr Dave Clark au centre. On retrouve le super power du DC5 dès «Nineteen Days». C’est bardé de booming ! Difficile de faire mieux dans le genre. Ils bouclent leur bal d’A avec un fantastique shuffle de bastringue intitulé «Sitting Here Baby» digne des géants du jump américain. Mike Smith chante au maximum des possibilités du raw. Comme d’usage, leur pop est bourrée à ras-bord d’harmonies vocales («Now Can I Tell You»), ce qui nous fait dire que ces mecs sont largement au dessus de la moyenne. On se laisse même charmer par «Pictures of You», une belle country pop de close my eyes/ And see pictures of you. Ils font du soft Cash chanté au doux du menton. Et avec «Small Talk», ils font carrément du Spencer Davis group, alors t’as qu’à voir.

Attention ! Avec You Got What It Takes, on entre dans le jardin pas magique des petites arnaques de maisons de disques. Comme tout le monde, on se fait baiser. La pochette de You Got What It Takes est la même que celle d’Everybody Knows, bien sûr pas l’Everybody Knows d’Epic qui a une autre pochette, mais l’Everybody Knows de Columbia, sachant qu’Epic est une filiale de Columbia. On se fait donc enfiler comme il faut quand on croise l’Everybody Knows de Columbia dans un bac, car on croit que c’est le You Got What It Takes d’Epic. Même en essayant d’expliquer l’arnaque, on s’y perd. C’est fait pour ça. Pour éviter de perdre du temps à essayer de comprendre, on ramasse tout et on fait le tri après. Bon bref, merci les maisons de disques pour ce mic mac qui montre assez clairement leur niveau de cupidité, à l’époque. Les groupes n’y étaient pour rien. Si les gens étaient assez cons pour acheter deux fois le même album, alors c’était bien fait pour leur gueule. C’est tout ce qu’on méritait. Alors revenons à nos moutons et à You Got What It Takes et sa pochette de verre brisé, avec bien sûr Dave Clark au centre. C’est un album plus r’n’b. Mike Smith chante comme Nino Ferrer et ça vaut pour un sacré compliment. Et les coups de sax rehaussent le morceau titre d’ouverture de bon bal d’A. Et ça repulse de plus belle avec «You’ve Got To Have A Reason». Ils sortent pour l’occasion un beat oblong et bien élastique, avec une réelle profondeur de champ. Le son frise, comme chez Curt Boettcher. Ah quelle belle claquemure de you’re rocking out on me ! «Thinking Of You Baby» sonne comme le British Beat des enfers. C’est assez explosif. Ces mecs n’ont plus rien à prouver, ils savent sonner les cloches d’un cut. Ils tapent «Let Me Be» au pur gaga anglais bien nappé d’orgue et wow, il faut voir ronfler le bassmatic ! Quelle niaque !

Belle pochette que celle du Everybody Knows d’Epic paru en 1968. Comme l’album précédent, ça reste orienté très r’n’b. Avec «A Little Bit Now» on croit entendre chanter Nino Ferrer accompagné par le Spencer Davis Group. Nino Smith revient casser la baraque en B avec «You Must Have Been A beautiful Baby» et forcément, il chante comme un dieu qui voudrait être noir. Et voilà le grand retour du Stomp DC avec «Good Love Is Hard To Find». Leur secret, c’est l’eau lourde. Bim bam boom ! Quelle trempe ! Ils terminent cet album énergétique avec «I’ll Do The Best I Can». Ils y piquent leur petite crise de Wall of Sound. Ils repompent tout le décorum de Totor et des Righteous Brothers.

Finalement, on est bien content de l’avoir récupéré l’Everybody Knows de Columbia avec sa pochette verre brisé de You Got What It Takes, car il fonctionne comme une sorte de Best Of assez indomptable. On y retrouve le raw r’n’b de «You Got What It Takes», et la spectorisation d’«I’ll Do The Best I Can». Bien sûr, aucune info sur la pochette, on ne sait même pas qui joue là-dessus et qui produit. On croise aussi cet excellent mélange de Coasters et de proto-punk qu’est «A Little Bit Strong» et le stomp d’harmo de «Good Love Is Hard To Find». Mike Smith casse la baraque avec sa version de «Blueberry Hill» et shoute «Beautiful Baby» comme un crack. Il est sans doute l’un des meilleurs shouters d’Angleterre mais personne n’est au courant. Il bat encore des records de raunch avec «Sitting Here Baby» et on se gave du big sound de «Got To Have A Reason». Leur sens du stomp les honore. Ils terminent avec l’excellente pop psyché d’«Inside And Out». Même ça, ils savent le faire, en tous les cas, c’est mille fois mieux que le Little Games des Yardbirds.

Alors, que vont faire les ceusses qui n’ont pas de place ? L’air de rien, douze albums ça prend de la place. La solution est simple, elle s’appelle The Hits, une solide compile supervisée par Dave Clark et parue en 2008 : double CD, 45 hits, de la dynamite à gogo. Bien sûr, on perd le charme des gros cartonnés US, mais bon, on a le son, et tout explose dès la triplette d’intro, «Do You Love Me»/«Glad All Over»/«Bits & Pieces». Un vrai festival de punk-pop, watch me now ! Mike Smith is hot, ça tape sur la tête du beat, ils stompent les fondations du rock anglais. «Bits & Pieces» est l’ancêtre de Slade. Ils inventent tout : le stomp, le drive et la pop craze. Le Tottenham beat est plus raw que celui de Liverpool, plus collar blue, comme si c’était possible. Nouvelle doublette fatale avec «Anyway You Want It» et «Wild Week-end», hey hey hey, niaque des dieux, ça gagate à gogo, Mike Smith est le crazee king du samedi soir, il rivalise de grandeur totémique avec Little Richard. Il bouffe le jerk tout cru et leur r’n’b prend feu («You Got What It Takes»). On croit entendre Nino Ferrer ! Personne ne peut échapper au fuzzy storm de «Try Too Hard», le DC5 jette tout son poids de ferraille dans la balance qui s’écroule. Et ça repart de plus belle sur le disk 2 avec «Look Before You Leap» et son rumble de basse, on se prosterne jusqu’à terre devant un instro comme «All Night Long», et on va se faire bronzer avec «Here Comes The Summer», ce gros clin d’œil de Tottenham aux Beach Boys, qui préfigure les Undertones. On trouve à la fin un inédit, l’awsome «Universal Love». Le DC5 joue l’excellence jusqu’au bout. Mike Smith chante à l’émotion pure et il sonne comme Lennon dans le refrain. Terrific. Sur lze tabernacle du boîtier, il est écrit en lettres d’or : «The DC5 sold over 100 millions records». L’eusses-tu cru ?

Signé : Cazengler, tête à clark

Dave Clark Five. American Tour. Epic 1964

Dave Clark Five. The Dave Clark Five Return. Epic 1964

Dave Clark Five. Glad All Over. Epic 1964

Dave Clark Five. Coast To Coast. Epic 1965

Dave Clark Five. Having A Wild Week-End. Epic 1965

Dave Clark Five. I Like It Like That. Epic 1965

Dave Clark Five. Weekend In London. Epic 1965

Dave Clark Five. Satisfied With You. Epic 1966

Dave Clark Five. Try Too Hard. Epic 1966

Dave Clark Five. 5 By 5. Epic 1967

Dave Clark Five. You Got What It Takes. Epic 1967

Dave Clark Five. Everybody Knows. Epic 1968

Dave Clark Five. Everybody Knows. Columbia 1967

Dave Clark Five. The Hits. Universal 2008

Nick Dalton : 33 1.3 minutes with Dave Clark. Record Collector # 500 - Christmas 2019

Alan Clayson : Glad all over again. Record Collector # 357 - Christmas 2008

 

Les Chocolate sont chocolat

 

En matière de chocolaterie, on ne fait pas mieux que le Chocolate Watchband. Dans la vie, il faut des baisés, et nul groupe n’est mieux placé que les Chocolate pour illustrer cette claironnante vérité. Richie Unterberger qui leur consacre un chapitre dans ses Unknown Legends Of Rock’n’Roll rappelle qu’avec leur funny name, on avait beaucoup de mal à les prendre au sérieux. Sans doute auraient-ils dû s’appeler les Wild Chocolate. Chez Tower Records, il y a même un ponte qui croyait que les Chocolate étaient des blacks. Mais le plus drôle, c’est que le mec qui chante leur cut le plus connu, «Let’s Talk About Girls», ne fait pas partie du groupe.

Et pourtant, les Chocolate disposaient de tout l’apanage du package : primitive psychedelia, raunchy guitars, le snarl de Jag, et un son qui pouvait relever à la fois de l’expérimental et de la sophistication. Plus le look. Pour Unterberger, ces Californiens de San Jose singeaient à la perfection les early Stones. Dave Aguilar, chanteur en titre des Chocolate, rappelle aussi qu’en Californie, des investisseurs montaient littéralement des groupes : Moby Grape et Jefferson Airplane sont les coups les plus connus. Par contre, les Chocolate n’ont pas eu cette chance. Ils durent se débrouiller tout seuls avec leurs petits bras et leurs petites jambes.

En 1966, le producteur Ed Cobb cherchait des groupes pour interpréter ses compos. On connaissait bien Cobb aux États-Unis, car il avait chanté dans un quatuor folk-pop à succès, les Four Preps. Il préféra ensuite se consacrer à la production et veilla sur les carrières de Brenda Holloway et de Gloria Jones, dont le «Tainted Love» (signé Cobb) sera repris dans les années 80 par Soft Cell avec le succès que l’on sait. Cobb veillait aussi au destin des Standells, ne l’oublions pas. «Dirty Water», c’est lui. En 1966, il louchait sur la scène de San Jose, dont les Count Five et le Syndicate Of Sound étaient les figures de proue. Il cherchait donc un groupe capable de jouer les hits de bronze qu’il coulait chaque matin. Aux yeux de Dave Aguilar, les Standells étaient le groupe idéal pour Cobb : très malléables et déterminés à devenir des stars, ce qui, nous dit Dave, n’était pas le cas des Chocolate. Mais alors pas du tout.

Cobb leur donne «Sweet Young Thing» pour leur premier single. Malgré son joli côté gaga-stonesy, le single floppe. Après un deuxième single, «Misty Lane» qui ne plaît pas à Dave, les Chocolate «enregistrent» leur premier album. Oui, il faut le dire vite, car la réalité bat tous les records d’incongruité. Considéré aujourd’hui comme un classique gaga, No Way Out est du faux Chocolate. Mais le fan de base installé dans la France profonde s’en bat l’œil, dès lors qu’on lui donne sa rasade de gaga vintage, et avec «Let’s Talk About Girls», il est gavé comme une oie blanche. C’est en effet l’archetypal gaga sixties, wow, les Chocolate savent réparer une caisse, ce sont d’authentiques garagistes, des vraies fleurs de fosse de vidange. L’amateur trouve forcément chaussure à son pied et personne ne s’étonne que cet album soit devenu aussi cultissime que ceux des Shadows Of Knight et des Standells. Le problème, c’est que Cobb vire la piste chant d’Aguilar et la refait avec un black du nom de Don Bennett. Et aucun Chocolate ne joue sur les deux instros de l’album, «Dark Side Of The Mushroom» et «Expo 2000». On trouve aussi une belle version de «Midnight Hour» sur l’album, ultra-jouée, ornée de légères nappes d’orgue en suspension et qui fourmille de petits solos vermisseaux sous le boisseau chocolaté. Mais après ça se gâte, avec une version de «Come On» un peu trop pop pour être honnête. Un jour, Ed Cobb dit aux Chocolate : «Vous allez enregistrer ça, les gars !». Il leur fait écouter «Hot Dusty Road», une compo de Stephen Stills. Les Chocolate font la gueule : «Non, c’est pas notre son. On ne veut pas enregistrer ça !». Pas de problème les gars. Cobb fait venir une autre équipe pour enregistrer ce cut qui clôt l’A. Il faut attendre «Are You Gonna Be There» en B pour renouer avec la fosse de vidange. C’est un gaga cracra d’une belle efficacité. Encore un modèle du genre. On assiste médusé à un très beau départ en solo. Quand reviendra-t-il ? On ne sait pas, mais en attendant, de fantastiques phrasés de guitare trouvent leur voie sous l’épaisse couche des chiffons gorgés d’huile.

Les Chocolate ne se doutaient de rien. Aguilar raconte qu’on les avait fait venir quatre jours en studio à Los Angeles et qu’ils n’avaient aucune expérience du studio. Tu fais ci, tu fais ça. Mais jamais ils n’auraient imaginé que Cobb allait trafiquer les pistes dans leur dos. Quelques mois plus tard, ils récupèrent l’album et commencent à l’écouter : «What the hell is this shit ?» L’horreur ! Mettez-vous à leur place. En représailles, ils font du tir au pigeon avec les exemplaires qu’on leur a livrés - We shot at them with a double-barred 12-gauge shotgun - Et sur scène, ils veillent scrupuleusement à éviter de jouer les compos d’Ed fucking Cobb. Dave Aguilar insiste bien pour dire à quel point il haïssait ces albums, mais s’il avait conservé ses deux cartons, il serait aujourd’hui assis sur un tas d’or.

Dave veut tout reprendre à zéro et repartir du bon pied, mais Mark Loomis veut aller sur un autre son, plus proche de celui des Byrds. Dave se met en pétard : «Tu ne te rends pas compte du potentiel qu’on a ! On doit enregistrer notre album !». Mais Loomis visiblement ne comprend pas. Il n’est plus dans le garage, mais dans la dope. Dave dit qu’il n’a pas quitté le groupe, c’est le groupe qui s’est quitté. Dommage car les Chocolate étaient excellents sur scène. Il faut savoir que Bill Graham avait voulu les manager, mais il était arrivé trop tard, car les Chocolate venaient de passer un accord avec le mec qui allait leur présenter Ed Cobb, qui avait ses entrées chez Capitol, via sa filiale Tower Records. C’est d’autant plus dommage que Bill Graham voulait les envoyer jouer sur la côte Est.

Pendant ce temps, Cobb continue ses conneries. Aucun Chocolate ne joue sur l’A de The Inner Mystique paru un an après. Le groupe qui joue sur l’A s’appelle les Yo-Yoz. Mais c’est bien Dave Aguilar qui chante «Ain’t No Miracle Worker», même s’il a quitté le groupe depuis quelques mois. L’album est vraiment destiné aux curieux. Ils y trouveront une belle mouture d’«It’s All Over Now Baby Blue», joli clin d’œil dylanesque avec de forts accents gaga, stompé et battu aux tambourins. Mais c’est vrai que l’A sonne comme la pire arnaque de tous les temps, notamment grâce à ce «Voyage Of The Trieste» lancé à la flûte antique. On se croirait dans Satyricon. Le fuck off continue avec une partie d’orientalisme inepte intitulée «In The Past». Plus aucune trace des clés à molettes ni des ongles sales. On appelle ça de l’orientalisme à la mormoille et ça empire encore avec le morceau titre. On y assiste médusé au retour de la flûte de Fellini. Ils tentent de sauver la mise en B avec une reprise du mighty «I’m Not Like Everybody Else» des Kinks, mais laisse ça aux Kinks, baby, même si c’est bien ramoné. «Medication» vaut pour un beau slab de gaga psyché, mais bon, vu l’ambiance, difficile d’aller se prosterner.

Aucune trace de Dave sur le troisième et dernier album Tower, One Step Beyond. On le savait à l’époque et donc, on veillait scrupuleusement à ne pas rapatrier cet album bidon. Mais le temps passe et la curiosité finit par l’emporter. Si tu surmontes ton aversion pour les tripatouillages d’Ed Cobb, tu feras une belle découverte : les faux Chocolate ont un certain charme. Disons pour rester courtois que One Step Beyond est l’album de Jerry Miller (Moby Grape incognito) qui remplace Mark Loomis, auteur des très psyché «Uncle Morris» et «And She’s Lonely» qui n’ont strictement aucun intérêt. C’est Danny Fay qu’on entend, le premier chanteur des Chocolate. Il chante «How Ya Been» avec de faux accents à la Steve Marriott. Pour «I Don’t Need No Doctor», le faux Chocolate sort sa meilleure niaque chocolatée. Dommage qu’ils n’aient pas annoncé la couleur à l’époque car Danny Fay est vraiment bon. C’est le batteur Gary Machin qui tire le mieux son épingle du jeu avec ses compos, notamment «Flowers», cut sur lequel Jerry Miller ultra-joue. Ces mecs finissant par sonner comme Love. Ils virent pop-rock d’Elektra. C’est aussi au batteur Gary Machin qu’on doit l’excellent «Devil’s Motorcycle». Danny Fay chante ça avec un trop plein de niaque chocolatée. Mais quelle fantastique partie de guitare, c’est une merveille d’aisance funambulique, bien amenée au grunge de groove et serti d’un solo californien ultra-joué, à cheval sur du brouté de basse. On peut aussi éventuellement se régaler de «Fireplace», un cut de rock seventies visité par un beau drive de basse, et allumé à coups de yeah yeah, joyeux et buzzy comme une cour de lycée. On les sent à l’avenant, très avancés, très tendus dans l’élan.

Pour la petite histoire, Dave Aguilar s’enticha ensuite d’astronomie et devint prof d’astronomie puis expert de l’industrie aérospatiale. C’est la parution de Nuggets en 1972 et d’Unknown Legends Of Rock’n’Roll qui réveilla les appétits pour le Chocolate. Mike Stax réussit à la fin des années 90 à réunir une mouture chocolatée avec trois des membres originaux, le batteur Gary Andrijasevich, le bassman Bill Flores et Dave Aguilar, plus Tim Abbot. Puis Alec Palao remplaça Bill Flores et c’est cette mouture qu’on vit à Paris dans une soirée Gloria, en mars 2005, avec Loon, le groupe de Mike Stax en première partie. Dave portait un pantalon à grosses rayures noires et rouge et shakait bien sa paire de maracas.

Après Unterberger et Mike Stax, Alec Palao est donc devenu le gardien du temple. Il a non seulement a concocté en 2005 Melts Your Brain Not Your Wrist, la compile idéale des Chocolate, mais on l’entend jouer de la basse dans le Chocolate du XXIe siècle.

La compile citée en référence vaut largement le détour. Compile d’autant plus idéale qu’on y entend Dave Aguilar chanter enfin ses vieux hits, «Let’s Talk About Girls» et «Medication». Oh oh yeah ! Dave tombe dans le chocolat de «Let’s Talk About Girls», c’est le vrai gaga-punk rampant, le ramping du rampage, il faut le voir le Dave monter sur ses grands chevaux ! Superbe et intraitable. On peut aussi se prosterner devant «Sweet Young Thing», le premier single des Chocolate. Quelle violence, Tang dang dong ! Take it easy man ! Qui dira la violence de l’attaque ? C’est dirty as fuck, voilà le rock qu’on adore, le gras du cracra, le percuté du son. Si on aime le gaga à gogo, c’est là que ça se passe, this is the real deal ! C’est encore plus claqué et crazy que les Pretties. Même la version de «Baby Blue» qui suit emporte la bouche, le chimmering des guitares bat tous les records de chimmering, et c’est chanté à l’extrême. Puis on les voit exploser «Blues Theme» en répète, ils attaquent au wild ride de wild gaga, voilà bien l’instro le plus dévastateur dont on puisse rêver. Encore un chef-d’œuvre avec «Don’t Need Your Lovin’», amené par une intro de basse et des maracas. Même jus que «Come See Me». Violent ! - Well I tryyyyyy - Gros calibre - I’m gonna try to tell/ Whaaat I’m gonna do - Voilà le punk de base, c’est screamé dans la meilleure tradition du génie gaga, personne ne peut surpasser les Chocolate en cet instant précis. C’est la raison pour laquelle Alec Palao et Ace rendent hommage à ce gang de Californiens. Ils tapent leur truc comme les Standells, avec du raw et du killer solo flash. Il ne veut plus d’elle, no no no ! Explosif ! Avec «Sitting Here Standing», ils font un énorme «Dust My Blues». On entend un solo fantastique dans «Are You Gonna Be There (At The Love In)» et Dave reprend enfin le micro pour chanter «In The Midnight Hour». Il y va de bon cœur. Ils se prennent pour les Stones dans «Come On», mais ils ne sont pas les Stones, est-il besoin de le rappeler ? Sacré coup de chapeau aux Kinks avec «I’m Not Like Everybody Else», c’est le wild side des Chocolate, même si l’original des Kinks reste inégalable. Dave crucifie pourtant sa version sur la porte de l’église et pulse ses coups de Kinks à coups de reins. Il reprend aussi ses droits dans «Medication», vieux classique de heavy psyché de Moby Grape. Ils font une fantastique cover de «Til The End Of The Day». Ils sont dessus et on applaudit des deux mains. Le disk 2 offre un panorama des trois albums et s’ouvre sur les versions de Don Bennett. Ce diable de Don chante bien, il faut le reconnaître. S’ensuivent les cuts des deux autres faux albums du Chocolate. On y retrouve les exploits de Jerry Miller dans «I Don’t Need No Doctor» et «Fireface». Ce disk 2 se termine avec les fameux cuts des Yo-Yoz et des Inmates, enfin crédités.

Au moins, avec Revolutions Reinvented, on a du vrai Chocolate. Ils sont quatre du groupe d’origine : Dave Aguilar, Bill Flores, Gary Andrijasevich et Tim Abott. Ils démarrent avec leur cieux coucou de Mathusalem, «Expo 2000». Pas mal, pour un groupe de revenants. Cette fois, on est sûr que Dave chante. En A, il tapent une belle psychedelia et font même du garage vintage de cinquante ans d’âge avec «Are You Gonna Be There». On dirait qu’ils recherchent une forme de sérénité. Ils nous flûtent une belle version de «It’s All Over Now Baby Blue». Le son est extrêmement travaillé au clairsemé de clairvoyance. Ils ne cherchent plus à passer en force, comme autrefois. On tombe en B sur l’inévitable «I Ain’t No Miracle Worker». On ne comprend toujours pas pourquoi ce cut si médiocre est devenu si culte. Il ne mérite que le rang de cut cucul. On se croit chez Blue Horizon avec «Sitting Here Standing» et ils reviennent à la raison avec «Sweet Young Thing», petit coup de gaga infecté, bien tartiné sous le boisseau et doté du plus élastique des sons de basse. Ils terminent en fanfare avec la triplette fatidique : «Don’t Need Your Loving», «I’m Not Like Everybody Else» et «Let’s Talk About Girls». C’est le grand retour des Chocolate, le gaga cro-magnon stompé dans l’œuf du serpent. Ah ils savent trousser une gueuse, ce diable de Dave s’en arrache même le gland de la glotte. La reprise des Kinks est bien foutue, assez lancinante. Ils remettent au goût du jour toutes leurs vieilles ficelles de caleçon. Et bien sûr, «Let’s Talk About Girls» sonne comme l’hymne des Chocolate. On le reconnaît aux premières lueurs, c’est imparable. On peut même parler de modèle impérissable de gaga sixties.

Paraît en 2019 le nouvel album des Chocolats, This Is My Voice. Autour de Dave Aguilar, Gary Andrijasevich et Tim Abott, on trouve Alec Palao (bass) et le guitariste Derek See. Les deux choses qu’on peut dire de ce groupe de survivors, c’est qu’ils ont un joli son et de la suite dans les idées. Ils démarrent avec «Secret Rendezvous» et optent aussitôt pour le statut gaga psyché. Dave pulse bien sa scansion de vétéran. Admirable car très dévastateur. Ils amènent le morceau titre comme un belle énormité, une décoction de cox rock dotée d’une magnifique ampleur de psyché psycho et montée sur un beat dévastateur. C’est d’autant plus convainquant qu’ils jouent ça en douceur et en profondeur. Ils rendent un bel hommage à Bo Diddley avec «Take A Ride». Vroarrrrrrrrrr de moto et Diddley beat vont bien ensemble. Il ne s’embête pas le Dave qui fait le nave, il tape dans les classiques, comme par exemple le «Talk Talk» de Sean Bonniwell - Get me a couple of pictures - Le gaga californien se gante de cuir noir. On entend même un solo de basse fuzz à la Entwistle. Ces mecs jouent la carte d’un vieux gaga de quartier qui refuse de mourir. Ils adorent les conneries orientalistes, comme le montrent «Judgment Day» et «Bombay Pipeline». Dave chante tout ce qu’il peut avant qu’il ne soit trop tard. Les intrusions de guitare restent superbes. Ces mecs sortent un son de rêve. Ils tapent aussi dans le célèbre «Trouble Everyday» de Zappa. Ça gratte à la cocotte, ils font leur Max la Menace. Alec Palao sort son meilleur bassmatic. Il semble que ces vieux renards jouent leur va-tout en permanence. Tout est beau sur cet album qui est visité par la grâce et la graisse. Les guitares fondent sur le Trouble comme des aigles. Quelle curée ! Ils tapent dans Bob Dylan («Desolation Row») et les Seeds («Can’t Stop To Make You Mine»), mais bon, on ne restera là.

Signé : Cazengler, chocolat fondu

Chocolate Watchband. No Way Out. Tower 1967

Chocolate Watchband. The Inner Mystique. Tower 1968

Chocolate Watchband. One Step Beyond. Tower 1969

Chocolate Watchband. Revolutions Reinvented. Twenty Stone Blatt Records 2012

Chocolate Watchband. This Is My Voice. Dirty Water Records 2019

Chocolate Watchband. Melts Your Brain Not Your Wrist. Big Beat Records 2005

Bill Kopp. Time for action. Record Collector #486 - December 2018

Richie Unterberger. Unknown Legends Of Rock’n’Roll. Miller Freeman Books 1998

 

Sculatti-là mon vieux, il est terrible

- Part Two

 

Quand un mec comme ce Sculatti-là fait des recommandations, il faut les prendre au pied de la lettre. Surtout s’il s’en va taper dans des trucs quasiment inconnus comme Tony Bruno ou Dick Campbell. Après coup, on se félicite d’avoir suivi ses conseils et si on se laissait aller, on irait même jusqu’à s’auto-serrer la main, comme le font ceux qui sont assez cons pour éprouver à leur propre égard une immense fierté.

Ce Sculatti-là nous sort Dick Campbell de l’ombilic des plombes. Le tour est vite fait : un seul album qui s’appelle Sings Where It’s At, paru sur Mercury en 1985. Pochette classique, avec un portrait du jeune Dick, un petit brun bien coiffé et d’allure introspective. Au dos, il commente ses cuts et dans les noms des musiciens qui l’accompagnent, on tombe sur ceux de Mike Bloomfield et de Paul Butterfield. Alors on n’est pas surpris d’entendre «The Blues Peddlers» sonner comme un hit dylanesque. Dick Campbell opte pour un son soft et fin, assez pur mais terriblement dylanesque. On a même les nappes d’orgue dans «You’ve Got To Be Kidding», pas celles d’Al Kooper mais celle de Mark Naftalin, ce qui revient au même. Les accents chantants et les envolées de refrains s’inspirent directement de «Like A Rolling Stone». Donc, on l’a compris, Dick Campbell est un fan de Dylan. Il attaque «The People Planners» comme s’il attaquait «Like A Rolling Stone», se livrant à un incroyable exercice de mimétisme concurrentiel. Dick Campbell met dans toutes ces chansons la force et l’insistance qui firent la grandeur de Bob Dylan. Avec «Approximately Four Mnutes Of Feeling Sorry For DC», il est encore plus dylanex que le roi. Pas seulement par le titre, mais aussi par la qualité du chant et du son. C’est une sorte de superbe prolongement du génie dylanesque. Il rentre une fois de plus dans la belle mouvance de «Like A Rolling Stone», avec du son all over the rainbow. C’est très puissant. Dans «Object Of Derision», on sent les gros guitar slingers derrière lui. Et Butter vient faire un carnage d’harp dans «Girls Named Misery». Cet album est une vraie merveille. Campbell boucle son bouclard avec «Don Juan Of The Western World», un sacré shoot de boogie dylanesque, c’mon Dick ! Bel animal, il swingue bien son boogie au nez pincé.

Tant qu’on y est, on peut en profiter pour écouter cette petite compile de Dick Campbell intitulée Blue Winds Only Know et parue sur Rev-Ola en 2003. Avec cette manie qu’il a de chanter à la glotte de perdition, cet Américain pourrait fort bien se réclamer du mouvement préraphaélite. Il est incroyablement pur, presque diaphane. «Share With Me» est un shoot de rêve. Il procède comme Brian Wilson, il plante sa graine dans ton cerveau et là t’es baisé. Il te sort de la beauté à l’état pur, une beauté qui comme chez Brian Wilson germe et se développe. Il fait du beau de non-retour, il monte au paramount, and you think you got to be ! Il devient une sorte de scenester légendaire. Il rivalise de finesse avec Curt Boettcher, il claque le même genre de miracle éblouissant. Il taille une nouvelle croupière à la pop avec «If I Don’t See You» et plus loin avec «Pretend It’s Me». Il continue de tailler sa route dans l’excellence avec «Sea Gull», God bless Dick, sa pop est belle et fabuleusement inspirée. Il y a un peu de Lennon en lui, comme le montre «Peace On Earth». On remerciera Joe Foster jusqu’à la fin des temps pour cette plongée en eau claire. Chez Rev-Ola, comme chez RPM, on déplie le booklet : d’un côté, Joe Foster rend hommage à Dick Campbell et de l’autre, Dick Campbell rend hommage à Gary Usher, son ami et mentor. On voit d’ailleurs une petite photo de ces deux génies du son que sont Dick Campbell & Gary Usher. Campbell dit avoir écrit une cinquantaine de chansons avec lui, mais peu ont vu le jour, la plus connue nous dit Dick était «Good Ole Rock & Roll Song» par les Cowsils. Il existe aussi un album de Gary Usher, Beyond A Shadow Of Doubt, mais nous dit Dick ce ne sont que les démos de l’album. Fin des années 70, ils se retirent tous les deux du music biz. Gary Usher ouvre un restau sur les San Juan Islands près de Seattle, mais il fait faillite. Dick Campbell se lance dans la production. En 1989, Gary Usher revient en Californie et annonce à Dick qu’il va crever. Cancer du poumon - We spent a lot of time together during his last year - Et il ajoute : «When he died in 1990 at age 51, I was inconsolable.»

Il a raison ce Sculatti-là d’insister sur Ron Nagle, car Bad Rice est un very big album même si on n’y trouve aucun hit. Il est important de noter que Jack Nitzsche le produit et que Mickey Waller bat le beurre. On note en outre la présence d’autres légendes à roulettes : Ry Cooder on guitar et Sal Valentino dans les backing vocals, donc n’en jetez plus, la cour est pleine. Du coup des cuts comme «Marijuana Hell» et «Frank’s Store» sont assez bien foutus. La qualité du son rafle réellement la mise. Dans ses commentaires au dos de la pochette, Ron indique que le cry cry cry de «Frank’s Store» est celui d’un retarted guy with an identity crisis. On sent aussi un grande aisance compositale dans «That’s What Friends Are For». On comprend parfaitement que ce Sculatti là se soit attaché à cette pop parfaite, written for Jack and I, two manic depressives, indique Ron, Jack étant bien sûr son poto Nitzsche. Toujours de l’aisance en B avec «Dolores». La prod de Jack ne pardonne pas - A young guy falls in love with his baby sitter and she likes it - Ron montre aussi qu’il sait gérer une petite pétaudière californienne, comme le montre «Capricorn Queen». Ah ce Mickey Waller, quel drummer ! Tout sur cet album se veut convaincu d’avance, même le country-rock de «Somethin’s Gotta Give Now». Ça reste léger et printanier, suprêmement bien produit. Il enchaîne avec la belle pop autobiographique de «Family Style», pas loin de ce que font les Beatles avec «Gideon’s Bible». C’est dire l’excellence du Ron dans l’eau.

Ce Sculatti-là a bien raison de saluer le Spring de Spring, car quel album ! Paru en 1972 et produit par Brian Wilson, il met en scène les deux sœurs Rovell, Diane et Marilyn, sachant que Marilyn est à l’époque la poule de Brian. Alors évidemment, on se doute bien que ça sonne très on the Beach et on compte effectivement pas moins de cinq titres qui pourraient figurer sur les meilleurs albums des Beach Boys, à commencer par «Thinkin’ Bout You Baby», fantastique shoot de bossa rumble. Bon, Marilyn est parfois un peu fausse sur ce coup-là, mais ça passe. Avec «Mama Said», elle va plus sur l’on the Beach, comme d’ailleurs avec «Sweet Mountain». On sent la patte productiviste du maître. C’est franchement digne de Smile. On entend même la voix de Carl Wilson à la fin. Et ça continue en B avec «Everybody», elles s’engagent dans un guêpier wilsonien et s’en sortent avec les honneurs. C’est excellent, très péri-urbain, avec la voix de Carl et des infra-basses. Elles épousent encore Brian de toutes leurs forces avec «The Whole World» et avec «Forever», l’album prend l’allure d’un album parfait. Cette pop sensible semble sortir tout droit de Surf’s Up, on a là une pop languide et inspirée par les trous de nez, visitée par les fantômes, dotée d’un cœur qui balance entre la dérive fatale et la déraison collatérale. Encore un fantastique éclat de pulsion Beachy avec «Good Time», épaulé par le puissant dee dee dee wha dee de «Dot It Again». D’autres cuts frappent l’imagination, même s’ils sont moins beachy, comme par exemple ce «Superstar» plus sombre. Marilyn y navigue à la lisière du juste et du faux, ce qui fait son charme, avec de petits accents de féminité éperdue dans le ruckus. Et «Now That Everything’s Been Said» nous fait dire que Spring est l’album rimbaldien par excellence, car il y siège un beau bouleversement de tous les sens.

Ah tiens, si ce Sculatti-là était dans les parages, on irait immédiatement lui claquer la bise pour le remercier. C’est grâce à lui qu’on découvre Tony Bruno, et croyez-le bien, c’est plus important que de découvrir l’Amérique. The Beauty Of Bruno, paru en 1967 sur Buddah, est un very big album, un de plus. Sur la pochette, Tony Bruno pose sous des chaussettes mises à sécher. Il porte de curieux tatouages sur les bras et physiquement il a des faux airs de Springsteen jeune. Mais la photo qui est au dos renvoie à un autre univers : on le voit fumer dans la pénombre et cette fois, il a un faux air de Ben Gazzara, ce qui est quand même beaucoup plus intéressant. Ce qui frappe quand on commence à écouter cet album tombé des nues, c’est la qualité de l’orchestration, puis la qualité de la voix. Ce mec peut aller chercher des accents à la Louis Armstrong, c’est dire s’il est balèze. Ce Sculatti-là a eu bien raison de flasher. Tony Bruno est un crooner extraordinaire et avec «Hard To Get A Thing Called Love», il monte le croon blanc à son sommet. Quelle présence ! Il frise le Scott Walker avec «The Grass Will Sing For You». La puissance de son croon est comme portée par le souffle orchestral, c’est très spectaculaire. Ce mec s’impose du fond de son incognito et convainc définitivement le con vaincu. «Helaina» enfonce encore le clou révélatoire. En B, il s’en va faire une reprise de «Yesterday». Irréprochable. Il s’impose par une sorte d’attaque fondamentale. Il se coule dans le mood de l’excellence. Dans «What’s Yesterday» il faut l’entendre swinguer «now the coffee is in the cup/ The toast is on the up». Puis dans «Slow Up», il demande à cette little girl de ne pas grandir top vite. Mais il le fait avec tellement de talent qu’il finirait bien par nous fendre le cœur. Ce mec sait monter là haut sur la montagne et chanter de toute son âme. Pour «Small Town Bring Me Down», il a presque des accents black dans la voix. C’est encore une fois ultra-orchestré, portée aux nues et ce chanteur homérique explose les limites du pur power purpurin.

Signé : Cazengler, sculotté

Dick Campbell. Sings Where It’s At. Mercury 1985

Dick Campbell. Blue Winds Only Know. Rev-Ola 2003

Ron Nagle. Bad Rice. Warner Bros. Records 1970

Spring. Spring. United Artists Records 1972

Tony Bruno. The Beauty Of Bruno. Buddah Records 1967

 

ERIC BURDON AND WAR

 

Eric Burdon va réaliser un de ses rêves, chanter, lui le petit blanc, dans un groupe de noirs ! C'est Jerry Goldstein manager d'Eric Burdon qui découvre ceux qui deviendront War en 1969, il emmène Eric Burdon en quête de musiciens pour remplacer les Animals assister à un de leur concert. Burdon les engage sur le champ. Ce ne sont pas des novices, le noyau s'est constitué en 1962, leur premier single, sous le nom de The Creators, intitulé Burn, burn, burn, s'avère très vite prémonitoire puisqu'il est enregistré en 1965 juste avant les émeutes de Watts, ils ont été rejoints par Papa Dee Allen qui travailla avec Dizzy Gillepsie, Burdon rajoutera un de ses amis Lee Oskar harmoniciste de son état et de nationalité danoise.

ERIC BURDON DECLARES WAR

( Avril 1970 )

Eric Burdon : lead vocal / Lee Oskar : harmonica, vocals / Charles Miller : saxophone, flûte / Howard Scott : guitar, vocal / Lonnie Jordan : organ, piano, vocal / B. B. Dickerson : bass, vocal / Harold Brown : drum / Papa Dee Allen : congas, percussion, vocal

N'ai jamais été emballé par la couve, j'avoue que je la trouve hideuse, je ne devrais pas le dire parce qu'elle procède d'une bonne intention, un bras blanc et un bras noir réunis mais dissociés de tout corps reposant sur une espèce de tabouret ( là je fais semblant de ne pas comprendre) une image tout ce qu'il y a de plus politiquement correct, anti-racisme, signe de la paix et tout le bataclan clinquant, perso cela m'évoque plutôt un fauteuil hype dérivé de l'esthétique Bauhaus conçu par un designer peu inspiré. Le concept aurait été proposé par Eric Burdon... Le dos de la pochette n'est pas non plus d'une beauté flamboyante, attardons-nous sur la déclaration de principe qu'elle est censée mettre en valeur : We the People, have declared War against the People, for the right to love each other étrange formule que ce Peuple qui déclare la guerre au Peuple pour le droit de s'aimer les uns et les autres. La guerre et l'amour ne font pas bon ménage, l'on sent le groupe sur le fil, s'appeler War, une idée de Goldstein, en pleine période des Black Panthers, risque de vous attirer des ennuis, la revendication de l'idéologie hippie de l'amour ( vieille lune christique ) vient contrebalancer cette déclaration de guerre que le FBI pourrait prendre au sérieux.

The vision of Rassan : Dedication / Roll on kirk: Rassan n'est pas un personnage mythologique, mais un musicien de jazz, l'introduction pianistique est d'ailleurs des plus jazzistiques la voix de Burdon s'empresse de se poser dessus telle une brise printanière qui s'enroule autour d'un buisson d'aubépine, des chœurs masculins ne tardent pas à souffler en sourdine dès que les lyrics font allusion à la traversée de l'Atlantique par les premiers esclaves noirs et peu à peu le jazz se transforme en rhythm 'n' blues, des perles de notes s'échappent du clavier telles des gouttes de sang d'une plaie que vient caresser une douce ouate consolatrice de cuivres tandis que Burdon bourdonne la grande geste libératoire des noirs, et le rythme s'accentue, est-on parti pour une virée funk de grand acabit, non fausse alerte, tout se calme, insensiblement la voix devient murmure et tout se tait. Kirk est un souffleur, un spagyriste du jazz, capable de jouer trois instruments à vent en même temps, il est l'héritier et le continuateur des noms prestigieux qui l'ont précédé de Jelly Roll Morton à John Coltrane, de cet effort, de cet essor, incessant d'un peuple à se s'extraire d'une catastrophe irrémédiable, sa technique du souffle continu qui lui permet de tenir la même note plus d'une heure est le symbole de cette lutte de libération infinie, hémiplégique il continuera à donner des concerts, sa musique n'hésitera pas à aborder le répertoire classique des blancs, avec Kirk le jazz devient sexe entreprenant, ce vibrant hommage de War à Kirk, est magnifique. Tobacco road : John D. Loudermilk a écrit des centaines de chansons, des paroles souvent insignifiantes ou attendues ( par exemple Sitti'n on the balcony reprise par Eddie Cochran, pas vraiment sa meilleure ) mais deux d'entre elles ont eu un destin exceptionnel Indian Reservation sera adoptée par les Indiens Cherokees en lutte pour leurs droits, quant à Tobacco road elle n'évoque en rien les misérables conditions des noirs, petit blanc Loudermilk y dramatise quelque peu son enfance dans un quartier pauvre de Durham, pour beaucoup elle se confond avec un blues traditionnel. Tobacco road : changement d'ambiance, Burdon se saisit des mots comme des épines de cactus qu'il arracherait de son épiderme, c'est la première fois que Burdon donne vraiment l'impression de ne pas être un blanc qu'il chante comme un noir, sa voix est naturellement noire, l'est porté par cette introduction géniale durant laquelle le saxophone de Charles Miller vous a de ces glissades qui touchent à l'illimité, et puis tout change, les congas de Papa Dee Allen font le ménage, les cuivres déroulent le tapis rouge de sang et Burdon improvise sur I have a dream la voix s'accélère, coups de hachoirs, crie ses rêves, demande de l'aide, peur et incompréhension, surmontées, n'est plus seul, tout un peuple le charge d'une terrible mission, celle de porter la révolte, de ne pas craindre les coups du sort, aller de l'avant jusqu'au sacrifice suprême, murmure de mort, Tobacco road : mais se réveiller de sa léthargie et reprendre la route, retour vers les siens, le changement est à portée de main, ah, ces cuivres par derrière, si doux mais si percutants – valent la section de Muscle Shoals Studio – Burdon susurre, le chant devient une incantation secrète vaudou, le sort est lancé, silence. ( fin face 1 ). Spill the wine : superbe morceau qui a un peu éclipsé les autres merveilles de l'opus. Rêverie burdonnienne et hymne païen dionysiaque, broderie rythmique, volètements d'oiseau de la flûte de Charles Miller, un peu parlé, un ton persifleur et auto-ironique, lointaine voix féminine, un refrain bien appuyé comme Burdon les affectionne depuis Sky Pilot, l'ensemble se précipite tout en respectant ce tempo moderato du meilleur effet et culmine en une libation à la vie, à la jouissance, à la joie, une espèce de jubilation gidienne à la puissance mille de nouvelles nourritures terrestres et mentales. Blues for Memphis Slim : le morceau est bâti autour de Mother Earth un des premiers titres écrits et enregistrés par Memphis Slim en 1951. Fatigué par le racisme ambiant de l'Amérique comme beaucoup de musiciens de blues et jazz et d'écrivains noirs Memphis Slim s'est installé en France, il est l'auteur de l'emblématique Every day I have the blues. Birth : un orgue de Lonnie Jordan qui n'est sans rappeler le son original des Animals, normal l'on rentre dans le blues, qui s'interrompt bientôt pour laisser parler Burdon, l'aurait pu prendre un ton moins dramatique car le texte regorge de vertu comique, la naissance par le petit trou de la femme par lequel on entrevoit le jour, trou de souris que plus tard l'homme ne cesse de rechercher pour y rentrer le petit bout de sa lorgnette... un peu graveleux réprimanderont les mouvements féministes actuels, mais l'on ne s'attarde guère Jordan fait sonner son clavier comme jamais les Doors n'ont réussi à le faire, soyons juste l'est aidé par un nappé de cuivres prodigieux comme vous n'en n'avez jamais entendu et l'on verse dans Mother Earth : une lenteur funèbre sur laquelle Burdon pose un vocal désespérément aussi profond que le trou dans lequel vous finirez par atterrir, pas d'inquiétude votre tour de trou viendra, le genre de pensée désagréable qui vous met mal à l'âme, le frisson de saxophone qui suit n'est pas là pour vous filer la pêche melba, c'est Mr Charlie Miller qui s'y colle, un instrumental qui vous file la sale impression que votre peau se desquame toute seule, un instrumental qui se révèle être une incitation à foutre à bas le moral de la race humaine entière, blancs, jaunes, rouges, noirs, depuis l'a dû être interdit par la Convention de Genève pour cruauté mentale, non vous n'êtes pas encore sorti du tunnel, un convoi mortuaire peut en cacher un autre, que serait le blues sans les gémissements d'un harmonica, une gâterie danoise empoisonnée une Danish Pastry qui renforce le malaise, sur la fin Oskar ( c'est Lee le coupable ) souffle si fort que vous voyez le moribond enterré un peu trop tôt qui bande toutes ses forces depuis l'intérieur de son cercueil pour arracher les clous du couvercle enchâssés dans le bois de sapin, je vous rassure il n'y arrive pas, du coup Burdon et les copains rajoutent une deuxième couche de Mother Earth pour vaincre toutes les résistances les paroles Memphis Slim ne vous laissent aucune échappatoire, riche ou pauvre, fille ou garçon, vous subirez le lot commun, Burdon vous pétrit la glaise maternelle autour du corps sans regret, de temps en temps les autres appuient de tous leurs poids pour que la poisse vous colle davantage à la peau. Brrr ! You 're no stranger : vous venez de perdre votre âme, ne vous reste plus qu'à vous raccrocher à votre petite amie, une entrée fracassante de gong qui gondole les oreilles et vent qui souffle, vous pensez être emporté dans une symphonie, tout faux, une très courte ballade, une espèce de soul aux yeux bleus délavés qui n'apportent aucune lumière, l'unique point faible du disque. Dommage car le reste est un bestissimo. Ce Burdon Declares War est la véritable suite que l'on attendait digne d' Every One of Us...

THE BLACK-MAN' S BURDON

ERIC BURDON AND WAR

( Décembre 1970 )

Eric Burdon : lead vocal / Lee Oskar : harmonica, vocals / Charles Miller : saxophone, flûte / Howard Scott : guitar, vocal / Lonnie Jordan : organ, piano, vocal / B. B. Dickerson : bass, vocal / Harold Brown : drum / Papa Dee Allen : congas, percussion, vocal.

Deuxième disque, un double. Bo Diddley vous a prévenu you can't judge a book   by the  cover, agissez de même avec la couve de cet album, aussi mauvaise que la précédente décrèterez vous en voyant ce corps d'homme torse nu saisi en contre-plongée avec le soleil dans le dos, si dans la nuit tous les chants sont gris, à contre-soleil cet individu est-il noir ou blanc ? Donc vous ne jugez pas un homme sur la couleur de sa peau. CQFD ! C'est quand vous retournez la pochette que Burdon ne met pas le doigt mais la tête juste à l'endroit qui fâche... entre les cuisses d'une femme noire, vous aimeriez être à sa place, vous êtes sur un sujet glissant. Mais le Burdon quand il a une idée derrière la tête il la tourne et la retourne de tous les côtés, le résultat conséquentiel de ses cogitations se trouve à l'intérieur, ouvrez le gatefold, deux jeunes femmes blondes et entièrement nues s'offrent avec plaisir aux regards d'un groupe de nègres, c'est le mot qu'emploient les suprématistes blancs, voici cinquante ans cette photo a dû faire jaser dans le Sud profond du pays, c'était il y a un demi-siècle, un véritable acte de courage à l'époque...

Le titre repose sur un jeu de mots, entre Burdon et Burden qui signifie fardeau. Le fardeau de l'homme noir est à l'origine le titre d'un livre d'Edmund Dene Morel publié en 1920 qui dénonce les effets du colonialisme en Afrique et notamment au Congo. Morel avait ainsi intitulé son livre afin de se démarquer de l'idéologie politique de The White Men's Burden poème de Rudyard Kipling. Chantre de l'impérialisme britannique Kipling y justifie la colonisation tout en entrevoyant les effets néfastes.

Paini it black : morceau de bravoure d'Eric Burdon qu'il reprendra quasi systématiquement tout le long de sa carrière tant sur disque qu'en public : Black on black in black : une belle intro musicale qui permet d'admirer la virtuosité de l'orchestre à enchâsser les séquences instrumentales les unes dans les autres et Paint it Black I : déboule dans une galopade de congas, c'est parti l'on n'est pas près d'arriver, pour le sitar c'est trop tard, l'on est plus près des Pipes of Pan at Joujouka de Brian Jones – ainsi on ne sort pas des Stones – pour le vocal Burdon avec sa grosse voix ne se détache pas trop de la leçon jaggerrienne du moins au début car ensuite il se permet des espèces de bégaiements ultra rapides et Charles Miller s'envole sur sa flûte, sans interruption l'on repart sur Laurel & Hardy : un duel de percussions, bien fait mais qui ne casse pas des briques, le maximum syndical attendu qui ne débouche pas sur une insurrection mais sur Pintelo negro II : reprise du Paint it Black l'oiseau doit être un rossignol anglais de toutes les couleurs qui nous donne une version caribéenne en espagnol, en palabra dicha, cette espagnolade à relents funky trop faibles est bien pesante et bien longue... P. C. 3 : sur la même rythmique Burdon raconte ses déboires avec la police et le Black bird passe inaperçu car l'on est déjà dans le dernier retour de Paint it black III et là franchement on s'ennuie, l'on baille, l'on se paye des cuivres pesants, Burdon sauve un peu le morceau sur la fin... l'ensemble est décevant, trop disparate, trop d'influences, s'il y a une breloque diamantée à sauver dans ce coffre à toc c'est la piste époustouflante de la flûte de Miller qui se révèle transcendante. Spirit : comme quoi la chair ne suffit pas, qu'elle soit noire ou blanche, s'il lui manque l'esprit, Burdon a dû s'en rendre compte car il décide de le faire souffler durant plus de huit minutes, part du plus bas, une corde de guitare et un simple phrasé blues destiné à s'alourdir de tonnes d'orge de l'orgue rehaussé de chœurs virils, il tient bon la syncope sur laquelle Oskar tire à balles réelles d' harmonica, l'esprit est là – entre nous soit dit ce n'est pas le Grand Manitou des Indiens des plaines – se repose un peu trop sur un mid-tempo arrosé d'une langue de saxophone juteuse, l'est évident que Miller il est difficile de l'arrêter et personne ne s'en plaint, s'élèvent des chœurs sacrés, n'exagérons rien, plutôt de sacrés chœurs, Burdon mène le bal, il a gardé le meilleur pour la fin, lui et l'orgue tout seul, un régal. ( fin face A ) Beautiful new born child : Jerry Goldstein a emmené son grain de sel ( parfumé au piment de Cayenne) pour les lyrics, le gars sait être méchant l'air de rien, l'a dû percuter des esprits conservateurs avec son ironie, méfiez-vous, ça commence tout doucement, une mauvaise troupe qui fait claquer exprès ses croquenots de canards bâtards sur le bitume, et le Burdon vous invective comme s'il avait envie de passer l'autre moitié de l'humanité à la broche, égosillement final général, z'ont dû s'amuser dans le studio, que voulez-vous c'est cela être funky, en résumé le divin enfant qui est né n'est pas très beau et vous pouvez l'adopter, puisqu'il vous ressemble. Nights in white satin : on se calme, nous on n'a rien fait fait, rien dit, juste en train de copuler dans des draps de satin blanc, ils le reprennent un peu à l'identique, on aurait imaginé que le Burdon il vous aurait entortillé les couvertures pour s'évader et mettre le feu aux quatre coins du monde, mais non sont sages comme des images, B. B. Dickerson vous berce de sa basse et Miller fait bien attention à ne réveiller personne avec son saxophone, puisqu'ils sont là tous les deux The bird and the squirrel : ils en profitent pour se livrer à un duo d'anthologie, lignes de basse bousculantes et trilles étrillées de flûte, l'oiseau et l'écureuil se poursuivent dans les branches et aucun des deux ne résiste à nous faire entendre son plus beau ramage, que ne ferait-on pas pour une noisette et un grain de folie, Nuts, seeds & life : agrémenté de percussions éclatantes, l'on se tait, on évite de faire du bruit pour ne pas les déranger. Out of nowwhere : c'était trop beau, c'était trop bon, Burdon surgit pour nous mettre la cervelle à l'envers, l'est comme fou, totalement allumé, il crie, il hurle, il accapare votre attention et il clame sa réclame comme un dément, quand il se calme l'est méchamment persifleur, existe un monde entre lui et vous, n'est pas un enfant triste et moche lui, l'habite ailleurs, vient d'ailleurs, ira ailleurs, c'est facile à trouver c'est là où vous n'êtes pas, faites attention, les choses vont changer, les autres se contentent d'assurer le background, ce à quoi s'appliquaient les Doors pour Jimbo, est-ce un hasard si ce morceau rappelle les Doors... Nights in white satin : parfois il vaut mieux s'endormir que s'affronter à la laideur du monde, mais le Burdon doit être un peu réveillé, n'arrive pas à dormir, on l'imagine un peu titillé à l'entrejambe si l'on en croit la vigueur avec laquelle il déclare son amour, et les autres l'encouragent de toutes leurs ardeurs avec leurs chœurs de satyres en manque, il se calme un peu, ronronne, miaulote, un dernier coup de rein vocal et c'est terminé. ( fin face B ) Sun / Moon : ni lune noire ni lune blanche, on y va tout doux, basse au boulot, strideries d'orgue, parfois il faut dépasser ses déchirements, panser les plaies, surmonter la problématique, un blues si lent que l'on a l'impression qu'il comporte trois mille mesures, un saxophone qui pleurniche dans un coin, Burdon baratine molto dolce à l'oreille d'une fille, joue le mec qui ne sait pas, qui ne sait plus, qui est perdu, qui commence à comprendre que toute clarté provient d'un soleil, qu'il n'y a pas à préférer, que la lumière éclaire toutes les pénombres surtout celles qui persistent dans votre tête, un beau slow pour se frotter l'un contre l'autre le samedi soir à la fête du village, musicalement pas très génial. Pretty Colors : la même marmelade en un peu plus rythmée sur une cadence semi-latino, beaux coups de poignets sur le piano, le gars a retrouvé le moral, un peu plus de tonus, moins de sentimentalité, se suffit à lui-même, toutes les couleurs sont dans sa tête, l'en est tout fier, l'ensemble jerke et balance, mais comme dans le titre précédent l'on n'est pas surpris, une fin festive certes, mais il serait peut-être temps de faire parler la poudre. Justement sur la piste suivante l'on sort le Gun : rythmique guillerette, pas besoin de fusils, War et Burdon sont des pacifiques, nous demandent de jeter nos carabines et tout le reste, tout ce qui nous sépare des autres, vous n'êtes pas obligé de suivre le conseil, par contre il est indéniable que c'est enfin le morceau réussi de cette face que l'on espérait sans trop y croire, une drôle de soupe, tout est mélangé et subtilement mis en place, jeux de voix, questions et réponses qui se marchent dessus, rythme lascif avec de temps en temps des renversements de temps qui ont un parfum de reggae, délicieux car pas systématique, la gousse de vanille qui apporte sa pointe inimitable, et Burdon se charge du vocal, une sérénité olympienne, l'on se dit, ça va s'arrêter mais non ils en rajoutent et ils klaxonnent vraiment fort mais l'on est passé en fondu enchaîné sur Jimbo : finesse d'harmonica, dérive lente, until the end, la flamme perd de son intensité, quand la musique s'achève, she 's gone dit Burdon and she 's over disait Jimbo... ( fin face C ). Bare back ride : chevauchée peau-rouge dans la grande prairie, ne comptez pas sur Eric pour rallumer les guerres indiennes, l'a des ambitions plus modestes, l'emmènerait bien une jeune cavalière dans son teepee, la tribu des musiciens est d'accord lui fournit tout ce dont il a besoin pour son affaire, même Oscar nous sort son harmonica de cowboy pour la couleur locale, avec les cuivres qui poussent à mort vous traversez les collines sacrées sans problème, beau western dans lequel l'on tire son coup et l'on chevauche sa monture durant la nuit. Home cookin' : une chanson d'immigrant, le gamin qui s'engage et fait le tour du monde mais qui aimerait bien rentrer chez lui, avec des filles dans les chœurs féminins pour lui rappeler qu'elles étaient jolies les filles de son pays, Burdon vous raconte cela la rage au ventre, mais le morceau bien enlevé n'arrive pas à l'intensité émotionnelle que l'on trouve sur Every one of us. They can't take away our music : générique de fin, la chanson destinée à réchauffer l'âme, le shall overcome des nègres, se voudrait un hymne de victoire mais est surtout un chant de survie à résonance et chœurs gospel.

L'on en ressort l'esprit mitigé. Rien de franchement mauvais, rien qui ne vous procure l'orgasme auditif non plus. Un seul disque aurait suffi. Un peu la même mésaventure que Love is... des Animals après Every one of us.

*

Le groupe ne tardera pas à se séparer. Burdon + War c'est un peu une forme de néo-colonialisme, Burdon est un merveilleux chanteur, les musicos ont du talent mais la tête d'affiche reste Burdon... encore une fois les noirs servent le blanc... La cassure se concrétisera lors de la tournée européenne du groupe, Burdon qui reçoit un accueil plus généreux que son groupe vu son ancienne célébrité animalière supporte mal les récriminations de ses collègues de travail, sa dépendance à l'alcool n'arrange pas les choses, la mort de Jimmy qui la veille de son trépas est venu jammer avec le groupe sur scène précipitera le clash, il abandonnera War en pleine représentation. War assurera la fin de la tournée.

Ce n'est pas tout à fait la fin. On se fâche mais on se quitte plus ou moins bons amis. Entre juillet et septembre 1971 Burdon enregistre un nouveau disque qui sortira en décembre. Des musiciens de War sont présents sur certaines pistes ce qui explique pourquoi nous le chroniquons.

GUILTY

ERIC BURDON / JIMMY WITHERSPOON

From WAR : Papa Dee Allen : congas / Lee Oskar : harmonica / Lonnie Jordan : piano, orgue / Jerry Miller : saxophone.

From TOVARICH : George Suranovitch : drums / John Sterling : guitar / Kim Kesterson : bass / Terry Ryan : keyboards. ( avec eux Burdon donnera un concert à Los Angeles en octobre 1971 au Whisky A Gogo. Nous les retrouverons bientôt. )

Harold Brown : drums / Howard Scott : guitar / Bob Mercereau : guitar /

Les dimensions de la pochette sur le blogue la rendent énigmatique, disons qu'elle représente la bonne conscience ( triomphante et cravatée ) de la grande Amérique qui cache l'envers de la médaille, les dizaines de milliers d'incarcérés pour avoir fumé un joint, pour quelques grammes au fond d'une poche et tous les révoltés du système, parmi ces trois catégories l'on trouve, par le plus grand des hasards, de nombreux noirs...

L'aventure War se terminant plus abruptement que prévu Burdon prend quelques semaines de repos, que faire ? Quand on s'appelle Burdon la réponse coule de source : retour au blues. Jimmy Witherspoon est né en 1920, trop tard pour être en 1970 auréolé de l'appellation phaaronique de vieux bluesman. Quoique répertorié comme blues shouter il ne s'est jamais cantonné à un seul style, sans cesse oscillant entre jazz an blues. En 1970 il gagne sa vie en tant que disc-jockey à Los Angeles. C'est-là où il rencontre Burdon. L'enregistrement de Guilty lui procure une heureuse diversion et permet aujourd'hui à son souvenir de survivre dans le public rock. Les jazz fans se remémoreront ses disques avec Ben Webster. Il meurt en 1997, atteint d'un cancer à la gorge depuis le début des eighties, il n'en continuera pas moins de donner des concerts, til the end, beautiful friend...

I 've been drifting / Once upon a time : parfois l'on croit écouter le silence mais c'est un piano qui joue, le blues est-là, on ne sait par quel miracle, une seule chose est sûre, Burdon a trouvé son maître, le Jimmy n'a qu'à ouvrir la bouche pour imposer le timbre de sa voix sur le monde entier, du coup Burdon ne rivalise pas, prend un ton au-dessous, essaie de vous raconter la triste histoire à sa manière, mais c'est du pareil au même, sont dans le classique, la solitude du gars qui a perdu sa gerce, mais l'on est au-delà de ces communes misères, les musiciens se font discrets, ce qui importe c'est cette impuissance de vivre qui vous tombe dessus... Steam roller : l'on goûtera l'ironie pertinente de la reprise de ce titre de James Taylor sorti en 1970 pour se moquer des blancs qui chantent le blues avec la subtilité d'un rouleau compresseur... Jimmy n'y va pas avec le dos de la cuillère, vous assène le premier couplet comme s'il tuait un taureau d'un seul coup de poing sur la tête, piano et harmonica sont à la fête, rejoints par la guitare qui moane par dessous, chacun donne le meilleur, se charge aussi du deuxième couplet, cette fois-ci il vous jette les mots comme de grosses pelletées de charbons dans le foyer ardent d'une locomotive, ça roule tout seul, le Burdon se fait tout petit dans son coin, parfois dans la vie l'on sent que l'on n'a pas besoin de vous... The laws must change : à l'origine sur le live The Turning point de John Mayal, paru en 1969, le kr'tntreader aura fait de lui-même la relation avec le titre et la pochette de l'album, s'y mettent à deux pour allumer la mèche, z'ensuite Jimmy se charge d'enfoncer les points sur les I, et Burdon de laisser éclater sa colère d'une voix altérée par la rage, alors que Jimmy vous énonce les choses clairement le Burdon s'en étrangle de fureur. Les musicos ont haussé le diapason, l'on sent que nos screamers ne s'inquiètent pas pour eux, ne sont pas des bleus du blues, savent ce qu'il faut faire et les rafales de notes giclent de partout comme les balles aux grands jours de la prohibition. Have mercy judge : nos lascars ont de la suite dans les idées, après la loi, les juges, de Chuck Berry, une des idoles de Burdon, le morceau est sur Back Home sorti en 1970, Burdon suit l'actualité de près... là où Chuck y va subtil, glissant de corde en mot et de mot en corde, Jimmy et Eric vous rentrent dans le morceau comme des soudards assoiffés de la guerre de cent ans dans une taverne, vous vocifèrent dans les oreilles à vous les arracher, heureusement que les musicos veillent au grain, la guitare met la pédale douce et le piano espace le silence, oh, les gars on est dans du Chuck, prenez les patins, ne ramenez pas vos fraises à l'écarlate, mettent le bémol, mais l'on sent que ça les démange, si ça ne tenait qu'à eux il y aurait longtemps que le juge serait déjà dans l'autre monde, alors le guitariste flamboie ( son nom je vous le livre : Sterling ) pour qu'on n'entende pas trop nos deux galapiats, au milieu du morceau si l'on se coule du béton dans les esgourdes ce sera bon, mais sur la fin, ne s'adressent plus au juge mais à Dieu, et là ils sont obligés de hurler. Going down slow : vous savez où le juge finira par vous envoyer, en prison. Justement nous y sommes, et pas dans n'importe laquelle à San Quentin, Johnny Cash y a chanté en 1969, nos deux mauvais sujets y passent en mai 71, ils sont accompagnés par Ike White et le San Quentin Prison Band, le morceau est de Jimmy Oden né en 1905 qui l'enregistra en 1948, elle raconte la vie d'un flambeur qui au moment de mourir ne regrette rien de ses excès patachoniques. Applaudissements, notes grêles du blues, la prise de son n'est pas parfaite, l'on sent que dans l'assistance ça remue, une ambiance à la Regal, dommage qu'elle n'ait pas bénéficié d'un enregistrement digne de ce nom, Jimmy shoute et Burdon crie – entendez la différence – Ike au premier plan, sur la fin Jimmy et Eric tirent la bourre du blues ensemble, crazy brothers. Soledad : il est bon de s rappeler l'affaire des Soledad Brothers, ( en relation avec la prison de San Quentin ) qui défraya la chronique et qui se solda en août 1970 par la mort d'un juge pris en otage par des prisonniers noirs, FBI, Angela Davis, Black Panther Party, pour ceux qui veulent se documenter... Burdon déclara qu'il n'était pas au courant de cette affaire, il devait être le seul dans ce cas dans tous les USA... un blues tout ce qu'il y a de plus classique mais précipité à l'extrême, l'émotion étreint nos deux flibustiers, Burdon raconte que roulant – bien perché – devant la prison, la révélation lui tombe dessus que derrière les murs certains crèvent de désespoir pour pas grand chose, Jimmy et Eric dégueulent de la même colère à la pensée de la vie inhumaine que leurs frères réduits à la condition d'animaux en cage mènent... un blues direct, brutal, le vocal expédié sous forme d'une pluie d'uppercuts de révolte et de haine contre le système, contre la société américaine, sans concession. Home dream : piano maigre mais profond, ricochets de notes squelettiques qui n'en finissent pas de courir sur la lourdeur du blues, Burdon et Jimmy à pleine voix dans l'élément primal, ce rêve ressemble un peu à un mauvais trip, à une descente d'escalier sur le cul des mauvais jours, un sax qui vous vrille la tête à la manière des réveille-matins qui vous envoient au turbin, un rythme de congas vous concasse les synapses, la mouche à merde verte d'un saxophone tourne dans votre tête, Burdon reprend le contrôle, à pleins poumons, décharge sa gourme de cauchemar pour se délester de son malaise. Retour à la maison souhaitable. Wicked, wicked man : ( ne se trouve pas sur les rééditions suivantes ) dommage le plus beau morceau du disque avec un orgue prodigieux et une guitare incendiaire, Burdon au meilleur de sa forme, on l'écoute cinquante fois de suite et l'on est surpris à chaque nouvelle fournée. Heading for home : harmonica qui miaule, musique musclé, presque rock, Burdon hurle son mal-être, sa solitude, le titre vous résume cela à la perfection, Jimmy rajoute une couche, d'humour noir, n'est pas si malheureux que cela dans ce monde hypocrite d'argent et de sexe, même que les flics te sourient si tu leur files la billet assure Burdon, tombent tous deux d'accord pour quitter cet endroit de faux-semblant et de faux-sentiments, l'on sent l'énergie qu'ils déploient pour foutre les voiles de cet enfer souriant. The time has come : le temps est venu, certes mais le temps de quoi se demande-t-on, ne voudrions pas jouer à l'incroyant notoire, mais l'on ne s'est pas aperçu du changement, après les fureurs du blues, retour à la tranquillité du début, mais ce n'est pas tout à fait le déblues, douceur d'harmonium, odeur d'hymne gospel et chœurs féminins Du Reverend James Cleveland qui ondulent comme champs de blé au soleil, parfois partir en ballade ça me soul. Cette inscription christique nous déçoit quelque peu...

L'album ressortira en 1976 sous le titre Black & White Blues et une pochette beaucoup plus politiquement correcte.

*

De retour aux States, War collectionnera les hits, plusieurs de ses disques atteindront le million d'exemplaires... Durant toutes les années soixante-dix le succès restera au rendez-vous, en 1976 paraît un album de vieilles bandes enregistrées avec Eric Burdon. Ce n'est pas un best of, tous les morceaux sont inédits sauf un, soit enregistrés en studio ou en public.

LOVE IS ALL AROUND

WAR FEATURING ERIC BURDON

( 1976 )

Love is all around : passons sur les vocaux à l'eau de rose, concentrons-nous sur cette clochette de vache gentillette qui broute l'herbe grasse de la basse parmi les alpages de l'orgue, et puis cette voix du berger Burdon inimitable qui mène le troupeau sans désemparer, n'arrête pas une seconde, quand ça stoppe sans préavis vous meuglez de désespoir, jamais vous n'avez enfourné dans votre panse de foin si odorant. Tobacco road : alternate take, plus courte et mieux équilibrée, débute par l'harmonica de Lee ( qui mérite au moins un Oskar ) qui s'insinue en vous comme l'anguille sous la roche, la machine se met en marche et funkise sans trop exagérer, le Burdon en profite pour aligner les lyrics comme l'on frappait les aureus d'or dans l'empire romain, et les backing vocals derrière vous abattent sans rémissions les maillets sur le métal brûlant, cette version plus brute est préférable à celle de The black-man's burdon qui se perd en bavardages. Home dream : morceau repris de Guilty ! Magic mountain : l'on a été au plus bas, l'on remonte, pied après pied, cadence lente, tout le groupe escalade la montagne magique et chante on chœur pour soutenir son effort, Burdon donne le la (-haut ), y a même un moment où il presse le pas et se met à courir, mais non reprend le rythme initial, c'est la batterie qui scande  en pachyderme loud and slowly. Pour l'ivresse du sommet atteint nous n'y aurons pas droit. ( Fin de la face A ) A day in a life : une version que je trouve supérieure à celle des Beatles ( peuple, haïssez-moi ! ) et qui étrangement sonne dans son déploiement harmonique plus scarabée que les Fab Four, et quand après l'intro sous forme d'oratorio Burdon se met à chanter il n'y a pas photo avec la voix sans timbre de Lennon, pour le pont n'y vont pas masqués, sans se presser chacun à son tour vient faire son petit tour sur le champ d'orgue tranquillou, ne se prennent pas la tête à inverser les bandes, et Burdon vous talonne le vocal au trot, sur quoi ils déploient les chœurs comme les tentures cramoisies au Camp du Drap d'or, alors Burdon part en ballade, sans se presser, pour le final ils poussent la charrette tous ensemble, un bel effort, et le tombereau descend la pente selon la loi de la gravité. Paint it black : qui dit Beatles dit Rolling Stones, le pot de miel contre le pot de fer, une version live enregistrée le 8 septembre 1969, avec les applaudissements, congas pour agacer les oreilles et la cavalerie s'ébranle, trot rapide et après une mise en bouche question-réponse Burdon lance les hostilités, l'accompagnement derrière n'est pas à la hauteur, se contente de tenir le rythme et tout repose sur les épaules del cantaor qui s'efface pour permettre l'exhibition solistique des percus et de la batterie, ensuite l'on donne la primeur à tous les rayons de l'épicerie instrumentale, un peu facile, mais beaucoup remplissage, du genre regardez comme on est beau et comme on joue bien, c'est sûr qu'il fallait être dans l'ambiance, quand on écoute cela vous a un petit côté document d'époque, consolons-nous Burdon reprend le refrain et nous emmène au bout du monde, même si à la fin il se permet des facilités... Au total un album pas essentiel mais pas superfétatoire non plus.

Damie Chad.

 

XXVIII

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

Lecteurs, ne posez pas de questions,

Voici quelques précisions

 

113

Nous n'étions pas au bout de nos surprises, dès que nous eûmes dépassé le cadavre de la mère d'Eddie Crescendo – Molossa et Molossito s'épargnèrent la visite du reste de la maison trop occupés à lécher consciencieusement la large flaque de sang dans lequel la vieille dame baignait – nous nous arrêtâmes devant le spectacle qui s'offrit à nos yeux, le sol de toutes les pièces était recouvert d'une épaisseur de quatre à cinq centimètres de neige. Non ce n'était pas un de ces effets dévastateurs du dérèglement climatique dont nous abreuvent les écologistes, simplement des milliers de morceaux de sucre ! La collection de la vieille dame avait été soigneusement fouillée, dans la salle-à-manger étaient entassés des monticules de boîtes à sucre en fer-blanc, c'est dans la cuisine que les paquets de sucre avaient été dépouillés de leurs empaquetage de carton, ils avaient été soigneusement empilés sur les meubles, l'on retrouva quatre seaux en plastique servant à faire le ménage débordant de sucres, sans doute avaient-ils servi à une mission d'épandage méthodique sur l'ensemble du plancher de la maison. Le Chef alluma un Coronado et médita quelques secondes :

    • Nous sommes arrivés trop tard, une seule consolation ils n'ont pas trouvé ce qu'ils cherchaient, il ne reste pas une seule boîte non-ouverte, nous ne ferons pas mieux qu'eux, repartons !

114

Nous dûmes arracher les chiens à leur festin, nous n'avions pas atteint la grille du jardin, qu'un faisceau lumineux balaya la rue. Une voiture à cette heure ! Non, une estafette de gendarmerie s'arrêtait devant la maison ! Les portières claquèrent, et aussitôt nous fûmes pris dans la lumière d'une lampe torche :

    • Ah ! Ah ! On vous y prend, ces messieurs demoiselles s'apprêtaient à une virée au bord de la mer, au lieu de respecter le couvre-feu, et sans masque par-dessus le marché !

    • Et par-dessus la foire aux bestiaux, Brigadier, il y en a un qui fume un Coronado, ce fameux cigare qui a été soupçonné de propager le virus, il y a deux jours on aurait pu le mettre en prison !

    • Non pas le, les, tous au bloc en bloc, mais le Président ne le veut plus !

    • Il serait peut-être temps que ces messieurs dames nous présentent leurs papiers !

Sur cette affaire-là, j'avoue que je sus improviser avec un certain talent, avec un certain génie ajouterais-je même si je n'étais pas si modeste !

    • Brigadier, nous avons même plus intéressant à vous montrer que nos papiers, la preuve de notre innocence, non nous ne projetions pas un bain de minuit sur la Promenade des Anglais, nous sortions simplement les chiens dans le jardin pour leur promenade hygiénique !

    • Ouah ! Ouah ! Affirma Molossito !

    • Grr ! Grr ! Grrrogna Molossa !

    • Affirmatif Brigadier, je vois deux chiens, l'un plus petit que l'autre, tous deux d'une étrange couleur rouge d'ailleurs !

    • Pas du tout rouge Brigadier, repris-je, c'est du sang, et plus exactement si vous aviez la bonté de nous suivre, c'est celui de la voisine, encore quelques pas et voici son cadavre !

    • Brigadier, elle est bien morte, au premier coup d'œil, sept ou huit coups de hache, ah les vaches !

    • Exactement Brigadier, nous avons été, hélas, obligés de l'achever...

    • Attention jeune homme, vous portez à votre encontre des accusations très graves, tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous !

    • Je vous explique Brigadier, ce ne sera pas long, nous dormions paisiblement lorsque cette vieille folle est venue nous réveiller, elle ne voulait pas dormir, elle voulait pour chasser ses insomnies que nous entamions une partie de tarot !

    • Une branlante chabraque , s'exclama le Brigadier, et bien sûr le coronado-virus l'a épargné alors que ma pauvre mère y est passé !

    • Je suis désolé Brigadier, veuillez recevoir nos condoléances les plus sincères, mais vous ne savez pas le plus horrible, cette partie de tarot nous l'aurions faite avec plaisir, ce sont nos aînés qui ont construit la France, et leur procurer un plaisir si minime soit-il est un devoir sacré, mais...

    • Attention Brigadier il cherche à nous entortiller !

    • Mais – j'ignorai cette grossière interruption - nous sommes six, vous pouvez vous en rendre compte,

    • Affirmatif Brigadier, ils sont six je les ai comptés !

    • Avec elle cela faisait sept, dois-je vous rappeler Brigadier la loi, au-dessus de sept toute espèce de réunion est proscrite et interdite ! Elle n'a rien voulu entendre, elle s'est énervée, bref je vous passe les détails pénibles, pour ne pas enfreindre la règle instituée par notre président, nous avons dû la supprimer !

    • Vous avez eu raison, la nation se doit d'être sans pitié avec les contrevenants, cette vioque n'était vraisemblablement qu'une graine de terroriste, nous allons alerter la voirie pour qu'elle vienne vous en débarrasser, portez-là sur le trottoir, nous avons notre tournée d'inspection à continuer. Au revoir, salut.

En moins d'une minute le Brigadier et ses deux pandores s'éloignaient dans leur estafette.

115

Je n'étais pas peu fier lorsque nous eûmes rejoint l'appartement de Vince qui téléphona à son traiteur pour un petit déjeuner roboratif , mais le Chef n'était pas de mon avis :

    • Inutile de vous rengorger, Agent Chad, ces messieurs étaient en mission commandée, prêts à tout gober pour que nous mettions les voiles au plus vite, pourquoi d'après vous nous ont-ils demandé de transporter le cadavre de la croulante définitivement écroulée sur le trottoir, pour le récupérer au plus vite dès que nous aurions mis les voiles, ils n'avaient pas prévu que nous serions-là...

L'on sonna, '' ici Brioche Dorée '' grésilla l'interphone, Vince ouvrit la porte :

    • Ah, c'est toi ! Entre !

    • Excuse-moi Vince, j'ai du retard, je file, je vous recommande ma super chocolatine au miel, ma dernière spécialité, à la prochaine collègue.

Et le gars tourna les talons à toute vitesse !

    • D'habitude l'est moins pressé !

Vince paraissait vexé, mais subitement il vida à toute vitesse le panier d'osier pour en extraire un plateau de carton sur lequel reposait une énorme chocolatine d'un bon demi-mètre de long ( et autant de large ), puis se saisissant d'un couteau il se mit à la découper en tranches à toute vitesse. La lame ne tarda pas à rencontrer un obstacle, c'était un tube d'aspirine en matière plastique que Molossa et Molossito eurent tôt fait de débarrasser de sa gangue de miel, d'ailleurs s'apercevant de notre peu d'intérêt pour le reste de la friandise, ils s'adjugèrent le droit de l'engloutir au plus vite. Vince fit sauter le bouchon d'un coup de pouce et en sortit une feuille de papier pliée en quatre qu'il entreprit de nous lire au plus vite :

'' Vince, mon ami

( A suivre... )

 

16/09/2020

KR'TNT ! 476 : GENE SCULATTI / SEAN TYLA / IENA / C' KOI Z' BORDEL / THE TRUE DUKES / HEAVYCTION / DANIEL BOONE

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 476

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

17 / 09 / 20

 

GENE SCULATTI / SEAN TYLA

IENA / C' KOI Z' BORDEL / THE TRUE DUKES

HEAVYCTION / DANIEL BOONE

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/   

Sculatti là mon vieux, il est terrible

Paraît ces temps-ci un recueil d’articles de Gene Sculatti, Tryin’ To Tell A Stranger About Rock And Roll - Selected Writings 1966-2016. Sculatti ? Pas très connu en France, sauf par ceux qui surent choper en son temps le fameux Catalog Of Cool. Comme l’indique le titre, Sculatti y dresse un catalogue de la coolitude en huit chapitres, Sounds, Screen, Ink, Threads, Good Looks, Rest ‘N’ Rec, Tube & Wheels. Sounds concerne les disques (Abba, le Velvet, les Flamingos, Swamp Dogg, etc.), Screen les films (James Bond au temps de Sean Connery, etc.), Ink les livres (l’autobio d’Ozzie Nelson, le père de Ricky, etc.), puis il passe aux fringues, aux endroits et aux bagnoles. Pour l’époque c’était bien vu. Disons que The Catalog Of Cool est à l’Américain distingué ce que Sawdust Caesars - Original Mod Voices de Tony Beesley est à l’Anglais distingué.

Dans une courte et brillante introduction à Tryin’ To Tell A Stranger, Sculatti se définit comme un vétéran de toutes les guerres : «Né à San Francisco en 1947, j’appartiens à ce que j’appellerais la première génération de fans de rock, ceux qui furent assez jeunes pour avoir été secoués par Elvis, enchantés par les sixties des Beatles, des Stones et de Dylan, réanimés par le punk et qui aujourd’hui se posent continuellement cette question : que vais-je donc pouvoir écouter cette semaine ? The only cohort to have experienced it all in real time», oui cette génération qui a eu la chance de vivre tout ça en direct. Sculatti rappelle aussi qu’il a passé sa vie à écrire sur le rock, aussi bien dans des gros canards kiosqués (LA Weekly, Rolling Stone, etc.) que dans les zines du temps jadis (Crawdaddy, Mojo-Navigator Rock & Roll News,etc.) ou contemporains (Ugly Things). Oui mais bon, attention, Sculatti peut aller sur le meilleur (Beach Boys ou Gary Usher) comme sur le pire (Springsteen ou Madonna). C’est un regard purement américain sur le rock américain qui souvent ne correspond pas au regard européen. Pour ce recueil, il a sorti des textes de toutes les époques et les a classés par décennies : sixties, seventies, et the aughts/Aughts-teens, avec un afterword intitulé : These days.

Les Beach Boys figurent dans les deux premiers chapitres et semblent être restés le grand amour de Sculatti, comme ils le sont restés pour tous ceux qui ont suivi le groupe à la trace à travers toutes les époques. Dans un texte qui date de 1968, Sculatti rend sans doute le plus bel hommage jamais rendu à Brian Wilson, le voyant comme «l’un des plus grands mélodistes du rock, avec Lennon/McCartney, John Phillips et Smokey Robinson». Il parle de Pet Sounds comme d’un album révolutionnaire, ça on le savait, mais il le compare surtout à Rubber Soul, the definitive ‘rock as art’ album. Pour Sculatti, Rubber Soul, Pet Sounds et Aftermath sortent du même moule. Selon lui, tous les groupes importants de l’époque sont tombés sous le charme de Pet Sounds. Il cite les noms de Yellow Balloon, the Association, du Grateful Dead, des Beatles d’«A Day In The Life», de Van Dyke Parks et même des Who. Il rend hommage à tous les albums des Beach Boys qui ont suivi Pet Sounds et s’appesantit particulièrement sur Friends - may actually be their best - il le voit comme the culmination des efforts menés avec Pet Sounds, Smiley Smile et Wild Honey. Tout cela est extrêmement passionnant. Sculatti parle de strong melodies et conclut avec ce smash : «C’est un autre exemple de ce qu’est aujourd’hui la musique la plus originale et la plus consistante qu’on ait pu créer.»

Dans un article de 1973, Sculatti récidive et en même temps élargit le champ de vision, pour indiquer qu’autour des Beach Boys prolifère une sacrée faune de surdoués : il appelle ça the nucleus of California-rock family : «Jan & Dean, Phil (P.F.) Sloan and Steve Barri and Don Altfield, writer-singers Bruce Johnston, Terry Melcher and Gary Usher, session men like Glenn Campbell and Leon Russell.» C’est vrai que ça grouille de légendarité. Sculatti entre dans le détail pour rappeler que Johnston et Melcher avaient un groupe en 1963, les Rip Chords, et que Roger Christian et Gary Usher composaient pour tous ceux que ça pouvait intéresser : Dick Dale, the Hondells, Astronauts, Wheel Men et Surfaris, dont le «Surfer Joe» nous dit Sculatti, est un classique proto-punk. Puis il rentre dans le détail des session men, rappelant qu’Hal Blaine et Leon Russell jouaient sur le «Mr. Tambourine Man» des Byrds. Que Terry Melcher produisit les deux premiers albums des Byrds ainsi que les Raiders, très populaires à l’époque. Que Bruce Johnston produisit aussi les Raiders avant d’intégrer les Beach Boys en remplacement de Glenn Campbell qui remplaçait déjà Brian Wilson en tournée. Il cite aussi Lou Adler qui produisit Jan & Dean avant de driver les carrières de Johnny Rivers, de Barry McGuire, des Mamas & the Papas, de Scott McKenzie, du Monterey Pop Festival, de Spirit, de Carole King et de Cheech & Chong. Le panorama que fait Sculatti de la scène californienne des Sixties est éblouissant. Il ramène à la lumière le nom de Curt Boettcher, qui collabora un temps avec Gary Usher et dit que son album solo paru sur Elektra est l’un des biggest delights of 1973. Coup de projecteur aussi sur Spring, ou American Spring, un duo composé de Marilyn, la femme de Brian Wilson et de sa sœur, qui auparavant firent partie de the Honeys, un surf/girl group que produisit aussi Brian Wilson. Sculatti salue leur album paru en 1972 - a perfectly delightful album - et il conclut le chapitre Spring avec cette phrase qui met l’eau à la bouche : «No doubt that Spring has the potential to be a very big part of what’s about to happen in music.»

On parlait plus haut de Gary Usher. C’est la raison pour laquelle il faut rapatrier ce book. Sculatti y republie son Gary Usher interview de 1971 et seulement publié en 2002 dans un zine nommé Scram. Sculatti rappelle dans son chapô que Gary Usher produisit the Notorious Byrds Brothers et des soft-rock gems by Sagittarius et Millenium. L’interview est de celles qu’on traite de mythiques. Quand Sculatti attaque en lui demandant comment il a démarré dans le business, Usher répond ça : «Je travaillais dans une banque. National Bank in Berverly Hills. J’habitais chez mon oncle. Il était comme mon père. Mes parents étaient partis vivre à Lake Tahoe. Un soir, j’entendis de la musique dans la rue. Mon oncle me dit que des gamins avaient formé un groupe. Alors j’ai traversé la rue pour aller les voir. Je me suis présenté. C’était la famille Wilson. L’aîné c’était Brian. On est devenus très vite amis. On a décidé de composer des chansons ensemble. On tapotait sur le piano. J’avais appris quelques accords de guitare.» Plus tard, Gary Usher monte les Four Speeds avec Dennis Wilson : «Dennis vivait chez moi quand j’avais mon appartement. Un jour, on est allés à Tijuana et j’avais pris de la Benzedrine. On a écrit deux chansons dans la bagnole, «RPM» et «Stingray». On est rentrés et on a enregistré les chansons.» Gary Usher rappelle aussi que Jan Berry et Dean Torrence étaient un peu les enfants des Beach Boys, qui ont aussi inspiré Terry Melcher. Et quand Sculatti lui demande si Dick Dale a lancé la surf music, oui, bien sûr. «Dennis Wilson fut le premier Beach Boy à faire du surf. Il connaissait Dick Dale, les vestes Pendleton et tout le reste. Je n’ai jamais surfé. J’étais juste un hot-rod freak. I had a 409. Un jour, on roulait vers Los Angeles pour aller chercher une pièce pour ma bagnole et j’ai dit ‘écrivons une chanson qui s’appelle 409’, et on va faire un truc du genre giddy up giddy up, c’est le son du moteur, horses for horsepower, pour rigoler. On est rentrés, on a mis trois accords là-dessus et ça a donné un million-dollar car craze.» Ce qui frappe le plus dans cette interview, c’est l’incroyable simplicité du style, aussi bien dans les questions que dans les réponses. On est au cœur du mythe et Usher parle de ça comme s’il parlait de la pluie et du beau temps. Soudain, Usher entre dans le détail du son : «Personne ne comprenait le rock comme on le jouait. C’est ce qu’on appelait des straight eights avec l’accent sur le quatrième beat. C’était la base du son. Un truc de feeling. Peu gens avaient ce feel. Brian l’avait. Terry Melcher et Jan Berry aussi. Terry et Bruce Johnston ont enregistré «Little Cobra», ils s’appelaient les Rip Chords et je chante sur pas mal d’albums de Jan & Dean. Jan ne chantait pas trop, mais il avait de bonnes idées de production. Il travaillait avec Lou Adler. Lou ne comprenait pas le feel, mais il savait que Jan avait du talent et il s’est occupé de lui. C’est l’une de ses forces.» Puis Sculatti explique comment Dick Dale s’est planté, avec ses quatre albums pour Capitol. «Ils ont sorti Dick Dale de son environnement et ça n’a pas marché. En 1965, il était découragé et il est parti s’installer à Hawaï. Il a joué là-bas et s’est fait un public. Il est revenu en Californie et a acheté un club à Riverside, the Dick Dale Club. Il y joue chaque semaine et c’est plein. Je voulais le signer sur RCA et l’enregistrer. Pour moi, il était une légende vivante. Quant à Jan & Dean, c’est autre chose. En 64 ou 65, six mois après «Dean Man Curve», Jan a failli se tuer dans un accident de voiture. Il conduisait une Corvette. Il roulait sur Sunset Boulevard, il a tourné et heurté une bagnole garée. Mauvaise blessure au crâne. On ne croyait pas qu’il allait survivre à l’opération. Il a survécu. Mais il n’est plus tout à fait normal. Maintenant, en 1971, il est redevenu normal à 80%, après l’avoir été à 40%. Il devrait redevenir tout à fait normal dans quelques années. Quant à Dean, il n’a jamais chanté sur les albums. Il n’a jamais pu développer son talent. C’est un type très gentil, très agréable.»

Sculatti saute ensuite de la scène hot rods à la scène folk-rock. C’est là qu’Usher tire l’overdrive : «Les Byrds étaient les premiers, puis les Grass Roots avec Sloan et Lou Adler, puis les Mamas & The Papas, the second wave of California music.» Puis il évoque Peanut Butter Conspiracy, the Sons Of Adam qu’il a signés en 1965. Usher rappelle aussi qu’il a fait partie du staff Columbia, qu’il a fait un album avec Gene Clark et quatre avec les Byrds, deux avec Chad & Jeremy, quelques cuts de Bookends avec Paul Simon & Roy Halee, puis bien sûr Saggitatius. Et là c’est Usher qui demande à Sculatti s’il connaît cette scène. Oui bien sûr, Sagittarius, puis Millenium avec Curt Boettcher, un rock que Sculatti qualifie d’intellectual Association-type thing. Alors Usher écrase le champignon : «On les a faits juste après ceux des Byrds. Je ne sais pas s’il s’agissait d’un ego-trip, je voulais juste expérimenter mes trucs. J’avais une chanson intitulée «My World Fell Down» que je voulais enregistrer avec Chad & Jeremy. Ils ont refusé. Je savais que c’était un hit. Alors je l’ai enregistré. C’était la première fois qu’on utilisait un 16 pistes. J’ai synchronisé deux 8 pistes, mis des repères sur les bandes, puis je les ai mixées. Ça a marché. C’est Glenn Campbell qui chante là-dessus. Comme il était sous contrat avec Capitol il a dit qu’il allait maquiller sa voix. Bruce Johnston était là aussi, parce qu’il enregistrait «Heroes & Villains» dans le studio voisin. Il joue sur plusieurs pistes. Contrairement à ce que les gens racontent, ce projet n’a rien à voir avec les Beach Boys. Brian n’a rien à voir avec ça.» Et quand Sculatti demande si les albums de Millenium et Sagittatius se sont bien vendus, Usher dit que oui, bien sûr. Il rappelle surtout que Curt Boettcher a produit Millenium. Sculatti revient aux Byrds et demande à Usher s’il s’entendait bien avec eux. Pas du tout. «Je portais les cheveux courts. Je viens de «Younger Girl» par les Hondells. Les Byrds étaient ultra hip et portaient les cheveux longs. Ils m’ont un peu rejeté à cause de mon look. J’en ai bavé pour gagner leur respect. Il m’a fallu quatre mois. C’est avec Younger Than Yesterday que j’ai enfin gagné leur respect. Pas facile de se faire respecter par David Crosby, croyez-moi. Il est très pointu en tout. Pareil pour McGuinn. Finalement, on s’entendait bien. On a fait Notorious Byrds Brothers, l’un des albums préférés de Jac Holzman. Quand j’ai rencontré Mick jagger il m’a dit que j’avais produit son album favori.» Usher rappelle aussi qu’il a monté son label, Together Records, mais ça n’a pas marché, même en sortant le fameux Preflyte des Byrds.

Bon alors après, on passe à des choses nettement moins sexy : une interview de John Lennon en 1973 (où il rend hommage à Ann Peebles, Al Green, au Todd Rundgren d’«I See The Light» et à Charlie Rich), puis un hommage aux Ramones publié dans Creem en 1976 («Ramones : quatre mecs, 14 chansons de 2 minutes, trois grands accords, efficacité, poésie, goût. L’art n’a rien à voir avec les Ramones. Ni le blues, ni les impros ni les pedal steel. Ces speed-crazed cruisers font du white American rock’n’roll, dans une lignée qui va d’Eddie Cochran à Iggy en passant par leur loft du Bowery.»). Sculatti s’étend aussi longuement sur deux mythes purement américains, les Four Seasons et Dion. Son texte sur les Four Seasons date de 1987 et figure sur une antho Rhino Records. Il leur accorde une fine and private place dans l’histoire du rock américain, the hot link between Fifties and Sixties models. Ils sont à ses yeux les East Coast Beach Boys, avec à leur actif 90 millions de disques vendus en 20 ans. «Comme les Beach Boys, les 4 Seasons gave the Beatles a run for their money, en updatant un genre Fiftees, le doo-wop, pour les Sixties. À la différence des Beach Boys, Frankie Valli, Bob Caudio, Nick Massi et Tommy DeVito étaient d’abord des chanteurs et non un rock’n’roll band à guitares. C’est ce qui a permis aux 4 Seasons d’échapper au laminoir du Sixties Beatles sound. Ils sont restés intouchables pendant toute cette décade. Alors que les stars de l’époque se montraient nues sur des pochettes et fréquentaient des gourous, les 4 Seasons continuaient de faire des albums. Qui comptent parmi les plus grands disques pop.» Sculatti n’y va pas de main morte et il a raison. Il cite «Candy Girl»/«Marlena» comme one of the choisiest twin spins ever waxed. Et il n’en finit plus de citer des exemples de gros hits qu’on ne connaît en fait qu’à Little Italy. Il rappelle aussi que Frankie Valli enregistra des choses superbes pour Motown à Los Angeles (Mowest en fait) et qu’il laisse en héritage un wealth of stirring supremely American music. On trouve plus loin une interview de Frankie Valli, mais il n’y a rien a en tirer. Sculatti veut juste rencontrer l’une de ses idoles.

Tiens tant qu’on est dans les ritals, voilà Dion qui fut, nous dit Sculatti, la première rock’n’roll star chez Columbia. C’est Dion DiMucci qui nous explique ce qu’est le Bronx Blues : «Vous mélangez le R&B, le street-corner doo-wop, un peu d’Hank Williams, vous filtrez ça dans un quartier italien plein de wiseguys et vous sortez ça avec attitude, like Yo !» Et il ajoute plus loin que ce Bronx Blues, quel que soit le nom qu’on lui donne, ne vous quittera jamais, believe me.

Sculatti passe brutalement de Dion à Screamin’ Jay Hawkins avec un texte somptueux intitulé Cow Fingers and Mosquito Pie. Dans ce texte écrit pour Epic Records en 1991, Sculatti déclare : «Il est l’un des derniers grands R&B shouters issus des early Fifties à la suite de géants comme Roy Brown et Wynonie Harris. Il est aussi une légende du rock. Il a vendu des millions d’«I Put A Spell On You», un hit repris par Sarah Vaughan, Alan Price, Them, Creedence et a influencé tout le monde, depuis Alice Cooper jusqu’à George Clinton, en passant par tous les metal-gloom-doom outfits qui parlent de voodoo en croquant des capsules de sang. I mean he invented flashpots, baby.» Jay dit qu’il a tout fait pour être différent. «Si vous voulez me traiter de crazy, do it. It makes sense to me, tough, cause I can go to the bank on it.» Sculatti repend le fil de l’histoire : «Jalacy J. Hawkins n’a pas vendu beaucoup de disques, même s’il en a enregistré un paquet, pour des labels comme Tinely, Gotham, Mercury et Wing, et même Atlantic, entre 1952 et 1955. Jay se souvient de son expérience avec Atlantic, il enregistrait «Screaming The Blues» pour Jerry Wexler. Il m’a arrêté 5 fois pendant la prise. Il s’est mis à gueuler : ‘No no no, je veux que tu chantes comme Fats Domino, man !’ Alors je lui ai dit : ‘Now listen, Fats est bien parti, he’s doing okay. Je chante avec Tiny Grimes et je chante la chanson que j’ai choisie. Si vous voulez Fats, allez le chercher !’ Il s’est remis à me gueuler dessus et je lui ai mis mon poing dans la gueule.» Pas étonnant qu’on ne trouve pas de trace de Screamin’ Jay sur Atlantic. C’est un producteur nommé Arnold Maxim qui insista pour que le vieux Jay chante son Spell avec folie - live up to its weird title - Pour créer l’ambiance, Maxim transforma la session d’enregistrement en pique-nique, fournit au groupe des côtelettes grillées, du poulet, des patates, du vin, de la bière, du whisky et laissa tourner la bande. On connaît la suite. Tout ce dont Jay se souvient c’est qu’ils ont démarré le morceau lentement. «Une semaine plus tard, j’étais suis chez moi et on m’a amené un 78 tours of the thing. I put it on, I played it again and again. Je croyais qu’ils m’avaient menti, ça ne pouvait pas être ma voix. Alors j’ai essayé de reproduire cette façon de chanter. J’ai tordu ma bouche comme ça et comme ça. Je n’y arrivais pas. Alors je me suis versé un grand verre de J&B Scotch, l’ai avalé cul sec et là je pouvais chanter comme sur le disque.» Avec Jay on n’en finit plus de se marrer. Il termine en disant qu’à sa mort, il ne veut pas qu’on l’enterre. «I’ve been in too many damn coffins already !»

Sculatti fait aussi quelques fixations : Tony Bruno avec The Beauty Of Bruno, et Ron Nagle, auquel il consacre le dernier article du recueil daté de 2015 et paru pour la réédition du cultissime Bad Rice qu’on a tous acheté puis revendu. On l’avait déjà acheté sans doute à cause de Sculatti qui en a toujours fait l’apologie. Ron Nagle est surtout important pour sa fréquentation de Tom Doanhue, un personnage mythique de la scène de San Francisco, puisqu’il découvrit Sly Stone et qu’il lança les Beau Brummels sur son label Autumn Records. Il revendit son label à Warner en 1966, mais il fut aussi le premier à enregistrer le Grateful Dead et The Great Society avec Grace Slick. Sur son label on trouvait aussi the Mojo Men et Harper’s Bizarre. Puis Warner lui offrit un job de producteur et c’est là qu’il signa Ron Nagle. Warner était alors le hottest label in the business. Quand Ron Nagle demande à Donahue d’avoir Jack Nitzsche comme arrangeur, Donahue dit ok. Jack et Ron s’entendent à merveille, Jack qui en a pourtant vu des vertes et des pas mures, ne tarit plus d’éloges sur Ron qu’il traite de «best undiscovered songwriter around».

Alors évidemment, avec un book comme celui là, on n’en finit plus de réécouter des trucs : Four Seasons, Tony Bruno, Ron Naggle, Spring. Et ce n’est pas fini. Dans un texte intitulé «Who Killed Rock’n’roll», Sculatti fait un panorama des mutations et redit sa foi dans le rock, via les découvertes improbables et il cite comme exemples les rééditions Norton de Gino Washington et le Gear Blues de Thee Michelle Gun Elephant, sorti sur Skydog. Il fait aussi l’apologie d’un album tombé dans l’oubli de Dick Campbell, Sings Where It’s At. Il insiste beaucoup pour dire que ça vaut la peine de le dénicher. Alors dénichons, comme dirait Henry Miller. Sculatti fait aussi une douce apologie du Here & Now de Dorsey Burnette, qu’on eut le fringuant plaisir de dénicher récemment sur la seule foi du nom et d’une délicieuse pochette. Sculatti y va fort et il a raison : «Burnette sounds like a soul saved.» C’est son premier album sur Capitol, «big-production countrypolitan album, the perfect habitat for that soulfoul booming baritone. Think P.J. Proby minus the overt mannerisms, with a Tennessee accent.» Sculatti parle d’un country album «robust, real, life-filled, worth it», et il a raison.

Sur la page d’en face, il attaque un texte consacré aux deux albums mythiques de Chicago blues produits par Marshall Chess : Electric Mud et The Howlin’ Wolf Album. Chess et l’arrangeur Charles Stepney collèrent Muddy face à un orchestre de huit personnes comprenant un flûtiste, un sax amplifié et les mad guitar slingers Pete Cosey et Phil Upchurch. Wham bam ! On connaît le résultat - delicious noise-stew thick with polyrhythms and fonked-up solos. Think David Axelrod’s Songs Of Innocence with more focus and meat and fat on its frame. Muddy - et plus tard Wolf qui se retrouva avec the same crew - devinrent de simples briques dans le mur, comme Darlene Love ou Ronnie Spector. But what a wall ! - Fuzz, wah tout y est, Sculatti se permet même de comparer ça à Cream et Sabbath qui jammeraient ensemble.

Dans un petit texte sur le TAMI show publié dans Ugly Things, Sculatti rend un superbe hommage aux Stones : ils furent à ce moment-là, en 1964, the most liberating, revolutionary act around. That’s why they have to be cherished. Il évoque aussi les prestations dans le même show des Miracles, de Lesley Gore, des Beach Boys et de Chuck Berry et il conclut ainsi : «C’est la preuve irréfutable que la grande époque de la pop eut bien lieu, qu’un très vaste public appréciait cette musique et ces artistes. Profitez-en, car ça ne risque pas de se reproduire de sitôt.» Il rend aussi un hommage émouvant à Captain Beefheart - Il m’est impossible d’imaginer le monde moderne sans la musique de Captain Beefheart - Pareil pour nous, Gene. Il signe aussi en 2013 un papier sur les Doors, rappelant qu’en 67, il vit les vit pour la première fois au Fillmore Auditorium - I almost thought they were a joke - Quoi, les Doors un gag ? Il ne comprend rien au jeu de scène de Morrison qui feint de s’évanouir sur scène et qui se relève - What is this ? Euripides ? - Sculatti fut finalement sensible à la musique des Doors, mais il ne savait que penser de tous les artifices théâtraux.

On va terminer avec l’un des fleurons de ce recueil, a Brief History of Buddah Records, une histoire passionnante troussée en six pages. Artie Ripp commence par engager Bob Krasnow comme A&R sur la West Coast. C’est Krasnow qui sort Safe As Milk sur Buddah. Puis Ripp engage Neil Bogart, un young hot-shot formé chez Cameo-Parkway à Philadelphie. Questions Mark & the Mysterians, c’est lui. «Bogart savait déjà promouvoir ce type de super-basic record and just blow it out - bang-o !» Comme Mickie Most, Bogart ne raisonne qu’en termes de hits. Il lance aussi les Ohio Players. Puis il ramène Kasenetz & Katz, et pouf, ça vire bubblegum, une vraie usine à hits, à commencer par «Yummy Yummy» des Ohio Players et «Simon Says» de Fruitgum Co. Buddah explose, courtesy of Kasenetz-Katz producing’s and Bogart’s pushing. En 1967, Buddah est dans le peloton de tête des labels indépendants, ils ont du pop-rock grand public (Lou Christie, Motherlode) et distribuent deux labels mythiques, Curtom (Curtis Mayfield) et T-Neck (Isley Brothers). Mais cela ne suffit pas pour tenir face aux appétits des carnassiers. Ripp dit que pour résister comme le font Atlantic ou Motown, il faut des Arethas, des Ray Charles et des Dylans. Ce sont les stars qui vendent des albums, pas les groupes de bubblegum. Pourtant, Buddah distribue des pointures, Melanie, Gladys Knight et le Superfly de Curtis, mais cela ne suffit pas. En 1973, Neil Bogart quitte Buddah pour fonder Casablanca et fait fortune avec Kiss et... la diskö - The House That Disco Built - On se demandait après la fin de Buddah comment un label spécialisé dans le bubblegum - des disques destinés essentiellement aux enfants et aux adolescents - pouvait avoir fait paraître un album de Captain Beefheart - It was an odd place for the dada captain to begin - Puis un conglomérat nommé BMG réanima le cadavre de Buddah et réédita Melanie, Waylon Jennings, les Flamin’ Groogies et Henry Rollins. Comme la vie peut être bizarre. Vous avez dit bizarre ? Comme c’est bizarre.

Signé : Cazengler, sculotté

Gene Sculatti. Tryin’ To Tell A Stranger ‘Bout Rock’n’Roll: Selected Writings 1966-2016. Create Space Independent Publishing Platform 2016

Tyla ou Tyla pas ?

Pauvre Sean Tyla. Sa disparition est passée complètement inaperçue. La presse anglaise lèche plus facilement les bottes de cadavres célèbres. Sean Tyla ne fut que menu fretin. Dans les seventies, on ne savait déjà pas trop quoi faire du pub-rock, un genre trop rustique pour les esthètes et musicalement trop pauvre pour les fans de prog qui pullulaient à l’époque. Genesis et Yes remplissaient les grandes salles alors que les Ducks Deluxe et autres Brinsley Schwarz jouaient dans les pubs des faubourgs de Londres. D’un côté on avait les vestes brodées et les capes de satin, et de l’autre les vieilles chaussettes puantes et les dents cariées. D’ailleurs quand on le voit sur la couverture de son livre, on comprend tout de suite que Sean Tyla ne se lave jamais les dents. On voit aussi sur la table tout l’attirail du pub-rocker : le verre d’alcool, le billet roulé pour sniffer la coke et le cendrier rempli de bons vieux mégots. Une façon très directe de planter le décor.

Quand il monte les Ducks Deluxe en 1972, Sean Tyla est déjà vieux. Il va rester vieux tout le long de sa carrière jusqu’en 2013. Faites le compte vous-mêmes. Ce vieux pépère un peu ours avait pourtant des fans, notamment en France et dans les groupes de reprises, ceux qui jouaient un peu avec le feu en tapant dans les Groovies, les Dolls ou les Mary Chain. L’un des joyaux de la couronne s’appelait «Fireball» qui fut et qui reste l’un des cuts magiques de l’histoire du rock anglais. Rien que pour «Fireball», Sean Tyla mérite le plus grand respect. Au moins autant que les Stones pour «Jumping Jack Flash» ou les Damned pour «New Rose».

Nous voici de nouveau à la croisée des chemins : soit on entre dans l’histoire de Sean Tyla par le livre, soit on y entre par les disques. Optons pour le livre. Il s’appelle Jumpin’ In The Fire et vous imaginez bien qu’il n’était pas en vitrine des libraires. Si on apprenait son existence, c’était par hasard, au détour d’une conversation de comptoir. Quoi ? Ah bon ! Bah dis donc ! L’a écrit un livre ? Ah bah dis, tu m’en diras tant ! Savais pas qu’il écrivait des livres... Tyla lu ?

Alors forcément après ça, on ne pouvait plus faire marche arrière. C’est l’époque où on commandait encore des books chez Smith, rue de Rivoli. Ils n’eurent aucun mal à le trouver. La semaine suivante, il était là. Oh c’est pas un gros livre, à peine 200 pages, mais en commençant à le feuilleter dans le RER de retour au bercail, on voyait bien qu’il avait du caractère. Il faut savoir que Sean Tyla est réputé pour la qualité des chansons qu’il compose. Il est donc logique que certaines pages de son autobio sonnent comme des paroles de chanson : «Je me suis débrouillé pour survivre à la folie des années 70 et 80, une époque où les managers et les maisons de disques étaient particulièrement corrompus et ineptes, où la coke était pure à 95 % et où la bouteille de Jack était votre seule amie. On testait les organismes jusqu’au point de rupture, j’ai passé 200 jours par an sur la route entre 1972 et 1984, propulsé par la musique et livré aux demons of the boogie night, abruti de drogues et d’alcool.» Et il continue, toujours aussi lancinant : «L’insanité était l’élément clé du business. Que ce soit pour cultiver votre ego ou vous remplir les poches, les risques que vous preniez pour votre santé étaient énormes. Ils fallait desserrer quelques boulons et faire preuve d’une certaine bravado pour ça. Aujourd’hui, les artistes semblent passer autant de temps à la salle de sport que sur la route. Ça paraît logique, mais je ne sais pas quelle répercussion ça peut avoir sur la musique. Sur scène, je continue de jouer comme avant, même si je suis conscient de mes limites. J’ai presque 64 ans et pas 21. J’ai arrêté les drogues en 1982, arrêté de boire il y a douze ans et arrêté de fumer quand j’ai été diagnostiqué.» Encore une histoire de vieux pépère qui a bien fait le con et qui ne se plaint pas trop, finalement.

Puis au fil des pages, tout s’éclaire. Sean Tyla admire Jimmy Webb et Burt Bacharach, ce qui explique son goût pour les grosses compos. Il se retrouve assez vite payé par Lionel Bart pour écrire des chansons et entre un beau jour en studio avec la crème de la crème du gratin dauphinois de l’époque pour l’enregistrement de Gulliver’s Travels, une comédie musicale : «Clem Cattini on drums, Herbie Flowers on bass, Chris Spedding on guitar, Mike Moran on piano, Frank Ricotti on percussion and Madeline Bell, PP Arnold, Lindsay Duncan, Tony Rivers and Tony Burrows on backing vocals.» Ça dure un an, Tyla s’enrichit mais il en bave : «J’apprenais vite. Entrer dans le music business, c’était comme de glisser sur le tranchant d’une lame de rasoir en utilisant ses couilles pour freiner. Il ne fallait croire ni faire confiance à personne.»

Il forme les Ducks Deluxe en 1972 et passe aux choses sérieuses. Il commence par rencontrer Martin Belmont qui est roadie des Brinsleys. Puis Nick Garvey qui est roadie des Groovies. Quant à Tim Roper, personne se sait d’où il vient, nous dit Tyla. «Le rock’n’roll est un poison contre lequel il n’existe pas d’antidote. L’expérience des Ducks fut un voyage de non-retour. J’étais une coquille perdue sur une mer de rêves. J’ai été aux quatre coins du monde avec le groupe et poussé mon esprit et mon corps dans leurs limites. Mais là, on était en route pour Durham avec les Ducks et nous n’avions que 7 livres à nous quatre.» Malgré leur popularité, les Ducks ne roulaient pas sur l’or. La seule explication pourrait être la relative faiblesse de leurs deux albums, Ducks Deluxe et Taxi To Terminal Zone parus sur RCA en 1974 et 75. Ces deux albums ne tiennent que par la présence de «Fireball» et cette intro de rêve amenée d’un coup de Watch out ! Dommage que les autres cuts de l’album ne soient pas aussi fringants. Au fil des années, on a souvent réécouté ces deux albums et on éprouve toujours une sorte de déception. Tyla ne chante pas tous les cuts, c’est Nick Garvey qui se tape l’Ama/havanah de «Nervous Breakdow». On appelait ce premier Ducks l’album des reins brisés, à cause de trucs comme «I Get You» ou «Hearts On My Sleeve». C’est un album globalement assez calme qui se termine avec une belle cover raunchy d’«It’s All Over Now», chantée par Nick Garvey, pas par Tyla. Quant à Taxi To Terminal Zone, laisse tomber.

On trouve dans le commerce une petite compile de trois Peel Sessions datant de 73, 74 et 75. Comme toujours, les Peel Sessions font la différence, le «Fireball» de 73 est just perfect, bien soutenu par la frappe sèche de Tim Roper, oh what a world. Ils chantent the songs we knew. Même leur «Coast To Coast» passe mieux que la version studio. Quelle énergie, baby ! Martin Belmont fusille tous ses solos. Il n’a jamais eu un son aussi killer. Leur version de «Bring Back My Old Packard», c’est quasiment «Love In Vain» avec des échos d’«Honky Tonk Woman». Gimme gimme gimme sweet lovin’. Ils redémarrent en 74 avec «Fireball» et un son moins cru. Mais ça reste un hymne, oh what a world. En 75, ils attaquent avec «Paris 9» et une belle giclée de son. C’est là qu’on réalise à quel point Martin Belmont est excellent. Les Ducks explosent chez Peely. Il faut entendre le travail que fait Belmont en embuscade dans «Jumpin’ In The Fire». Il joue des phrasés tordus et simples à la fois. Belmont est un boogie-man, comme Tyla. Leur coup de Fire sonne comme une épopée. Encore une énorme compo avec «Amsterdam Dog». Crépusculaire et pesante. Tyla aime à se vautrer dans le gutter mais il le fait avec une certaine grâce.

Dans son book, Tyla brosse un très beau portrait de Marc Zermati. Il le rencontre en 1974, lors d’une tournée européenne de Lou Reed. Les Canards jouent en première partie. «Marc était un vrai fan de musique, fondateur de Skydog et propriétaire de l’Open Market, a veritable bazaar de disques rares de garage américain. Il avait monté Skydog trois ans avant Stiff. Il avait aussi monté avec un autre Français, Larry «Green Beard» Debay, le premier réseau de distribution indépendant en Europe, Bizarre Distribution. On est devenus amis et on l’est toujours aujourd’hui. Il allait avoir une importance vitale pour tous les groupes dont j’ai fait partie. On s’est rencontrés ce soir-là à l’Olympia. Zermati était un visionnaire qui flairait les talents, tous ceux que ne voyait pas l’industrie musicale. Il sentait le next big thing. Les gros labels lui proposaient de l’embauche mais il préférait conserver son indépendance. Il n’a jamais cédé.»

Il n’est donc pas surprenant de voir paraître All Too Much sur Skydog. Oh what an album ! On y retrouve l’excellent «Amsterdam Dog» enregistré en 75 chez Peely, amené sur petit canapé de cocote. Ce vieux renard du désert qu’est Tyla sait siffler sa menthe à l’eau. Sous sa casquette à carreaux, il bascule dans une espèce de magie balladive, ça tourne au mythe. Tyla chante au mieux des possibilités du genre. C’est très impressionnant. Même son «Cannons Of The Boogie Night» sonne les cloches. Tyla le traîne dans la boue. Il est dans la vérité. Heavy boogie classique mais inspiré. Il allume jusqu’au bout de la boogie night. Il revient à son vieux fonds commerce avec «Moonlight», un boogie de rêve gorgé de swagger britannique. Ils font aussi une version d’«I Fought The Law» grattée au clair de clairette de London Underground. C’est aussi sur cet album que se trouve le fameux «Jumpin’ In The Fire», joué dans les règles de la Stonesy. Ça frise même un peu le glam. Tyla est dessus, ça se laisse écouter, même si c’est cousu de fil blanc comme neige. C’est d’ailleurs le seul reproche qu’on puisse faire à Tyla et aux autres pub-rockers : le classicisme.

On trouve dans le Tyla book un autre épisode pas très flatteur pour Marc. Une histoire tragi-comique, un promoteur suisse qui ne veut pas payer et en voulant planter son cran d’arrêt dans la main du promoteur, Marc a raté son coup et s’est épinglé la sienne sur le bureau comme un papillon. Ce qui pourrait expliquer le fait qu’il n’aimait pas trop qu’on parle de ce book.

Comme déjà dit plus haut, les Ducks ne roulent pas sur l’or. Dans son book, Tyla nous raconte un épisode anecdotique qui illustre bien ce sombre aspect des choses. En 1978, ils se retrouvent en tournée avec Rush. Le bassiste de Rush qui s’appelle Geddy Lee vient trouver Tyla dans la loge pour lui demander pourquoi il reprend la route tous les soirs après les concerts, et Tyla lui explique qu’ils n’ont pas de blé pour l’hôtel. Tyla dit aussi qu’ils jouent à l’œil. C’est ça ou rien en Angleterre. What ? Geddy Lee n’en croit pas ses oreilles. That’s crazy ! Et Tyla lui répond comme l’aurait fait Jean Gabin : I know. Alors Geddy Lee décide de changer tout ça. Il propose 500 £ par concert et prend en charge la bouffe et l’hôtel. Tyla n’en revient pas. Un vrai conte de fées.

Avec ses faux airs de double live qui ne sert à rien, Last Night Of A Pub Rock Band joue pourtant un rôle essentiel dans l’histoire brève des Canards. Paru sur le label hollandais Dynamite Records en 1979, ce double live propose en fait le dernier concerts des Canards au 100 Club, le 1er juillet 1975. Tim Roper et Nick Garvey avaient déjà quitté le groupe, remplacés par Billy Rankin (drums) et Mickey Groom (bass). On n’écoute pas ça pour la qualité du son, mais pour l’ambiance. On découvre que les Canards avaient un choix de reprises assez intéressant : deux covers de Fog («Proud Mary» et «Have You Ever Seen The Rain» reprises illuminées par le jeu de Martin Belmont), de Dylan bien sûr («The Mighty Queen» et «Knocking On Heaven’s Door»), de Chuck Berry («Run Rudolph Run» et «Little Queenie») et des Stones (Brown Sugar» et «Midnight Rambler» que massacre Bob Andrews). Ils attaquent leur set avec «Fireball». En B, «Amsterdam Dog» confirme tout le bien qu’on pense de ce big heavy balladif et ils terminent avec «Going Down The Road», moment chargé d’émotion qui illustre la fin d’un groupe et d’une époque. Au dos, le mec du label écrit : «Alors les Ducks jouèrent leur ultime cut, «Going Down The Road» et rentrèrent à la maison.»

Après la fin des Ducks, Tyla produit des groupes, notamment Little Bob. En 1976, le jour de la Saint-Valentin, il rencontre McLaren et les Pistols dans un West London restaurant. Tyla est accompagné de Marc Zermati qui voulait signer les Sex Pistols sur Skydog - J’avais la dégaine du parfait greaser et eux looked like a collection of electrocuted fist-aid kits in tartan - Les Pistols demandent à Tyla ce qu’il a produit et il répond Shirley Bassey, ce qui fait éclater de rire Steve Jones. McLaren dit à Tyla et Marc de passer voir jouer le groupe le soir-même à Butler’s Wharf. Tyla trouve le groupe mauvais sur scène - I just didn’t get it so I passed. Marc loved them but, obviously, never got to sign them - Ainsi va la vie. Qui était à l’affût une fois de plus ? Zermati himself.

En 2007, Tyla remonte les Ducks avec Martin Belmont, Kevin Foster (bass et ex-Doll By Doll) et Jim Russel (drums, ex-Wild Angels et ex-Inmates). Ils enregistrent quatre albums ensemble, à commencer par un mini-album, Box Of Shorts. Malgré d’évidentes bonnes volontés, Box Of Shorts peine à convaincre. Tyla ramène sa fraise de clear blue sky & footprint in the sand dans «Tremolo Bay» et reste très formel avec ce «Dig It Deep» bien tempéré. Il fait de la vieille Americana dans «Long John» et sonne comme un étrange mélange de Dylan et de Dr. John. C’est justement Dylan qui sauve l’album avec «Absolutely Sweet Marie». Ça se passe entre deux big songwriters. Tyla chante le Dylan jeune avec la voix du Dylan vieux. Les attaques du grand Martin Belmont rentrent bien dans le lard de la matière. S’il faut retenir une cover de Dylan, c’est bien celle-ci. Tyla tisonne la légendarité, il chante de toute sa force tranquille. Encore une belle leçon de savoir-vivre qui ne profitera pas à grand monde, vu la désuétude dans laquelle sont tombés les Canards.

Il existe aussi un live à Monte-Carlo enregistré par la même mouture des Canards en 2011 et paru sous le titre Riviera Shuffle. Tyla sort la grosse artillerie pour «Paris 9» et ramène son sens aigu de l’énormité. Ils font en fait la promo de Box Of Shorts avec «Diesel Heart», «Dig It Deep» et «Red Dust Highway». Ce qui frappe le plus, c’est l’incroyable présence de Tyla. Il dégage tous les a-priori. Mais c’est Jim Russell qui vole le show avec son fouetté de fûts dans «Dig it Deep». Il joue avec une extrême agilité, mais aussi comme un fauve à l’affût. Tyla reste fidèle à sa manie des heavy balladifs, avec un Belmont en contrepoint toujours prêt à tailler sa bavette. Ils ressortent le vieux «Coast To Coast» pour l’occasion. Tyla s’amuse bien avec son vieux tagada. Ça finit par sonner comme un classique. Mais avec une section rythmique aussi parfaite, il ne craint rien.

Puis en 2010 paraît Side Tracks & Smokers, une compile avec un seul original, «Twist Of Fate», qui est en fait une cover de Bob Dyaln, mais enregistrée en 2009. C’est monté sur un dub sound et Tyla le chante jusqu’à l’ass de l’os. On croirait entendre le vieux Dylan. C’est assez pénible. Comme dirait l’autre : «Vinyle jaune ! 25 euros chez Gibert !». On trouve là-dessus une série de raw mixes datant du premier album des Ducks, du big heavy rock anglais d’accords lumineux. On se réveille un peu avec une série de B-sides de singles, notamment «Bring Back The Packard Car» et l’excellent «Two Time Twister». Les clameurs sont au rendez-vous, ça frise à nouveau la Stonesy, avec un vrai sens du story telling. C’est une fois de plus le boogie rock de rêve. La grande aisance de Tyla est un spectacle extraordinaire. L’album se termine avec une série de cuts live enregistrés en 2009 à Monte-Carlo. Jim Russell bat «Johnny Too Bad» comme plâtre. Ils ne font qu’une bouchée du vieux «Willie & The Hand Jive» de Johnny Otis. C’est tapé dans les règles du lard. Ils ramènent aussi leur science du heavy gut avec un vieux rock de Canard nommé «Long John». Et tout explose avec «Styrofoam». S’ensuit une version de «Teenage Head» qui dure 9 minutes, ce qui n’est pas forcément une bonne idée.

L’ultime coin-coin des Canards date de 2012 : c’est un album live, Rockin’ At The Moon, enregistré à Londres. It got my head real tense ! Eh oui, ils attaquent avec «Fireball». L’occasion est trop belle de re-savourer ce chef-d’œuvre. Il s’agit d’un rock d’une autre époque, celle des frissons du cuir et des choses de la vie. Tyla descend d’un ton au deuxième couplet. Bien sûr quand on le jouait, on jouissait dans son futal. «Fireball» était the real deal, claqué à l’accord avec du redémarrage en côte. L’autre point fort du live est le vieux shoot de «Willie & The Hand Jive». en fait, ils retapent dans tous leurs vieux coucous de Canards. Sur scène, les Canards se montrent à la hauteur de leur réputation : le son est excellent, section rythmique Foster/Rusell impeccable, avec en plus Belmont et Brinsley Schwarz. Ils amènent «Daddy Put The Bomp» à la vieille cocote des connaisseurs et ce démon de Tyla fait danser le rock’n’roll. Son Daddy est une pure merveille. Il peut gueuler, on est avec lui, down in the swamp, Daddy put the rock in my soul. Ils réussissent l’exploit de foirer l’intro de «Teenage Head», mais la suite est bien. Ils terminent avec un «Coast To Coast» d’antho à Toto. Décidément, rien ne vaut une bonne chanson.

En 1977, Tyla monte le Tyla Gang avec Bruce Irvine, un guitariste canadien, Michael Desmarais (drums, ex-Winkies) et Brian Turrington (bass). Ils se retrouvent sur l’un de labels en pointe de l’époque, Beserkley Records. Le premier album du Tyla Gang s’appelle Yatchless. Le hit de l’album se niche en B et s’appelle «The Young Lords» - They know they’ll get/ They’ll get through to you - Fantastique ! Tout repose sur le power du refrain. Avec cet album, Tyla privilégie les heavy balladifs, comme «Dust On The Needle», et Bruce Irvine joue ses bons vieux accords bien gras du bide. On a bien compris que Tyla ne cherchait pas à réinventer la poudre. L’A s’écoule paisiblement et s’achève sur un «Speedball Morning» que Tyla chante dans l’ombre d’une voix menaçante. «Don’t Shift A Gear» vaut pour un joli coup de boogie rock qui refuse obstinément d’aller éclater au firmament, en dépit un réel vivier de compétences. On trouve un autre hit en B : «Whizz Kid», back on the saddle again, doté d’un vrai texte de carburator deng - Motorcycle ride and brand new Dylan leopardskin pill box hat - Ne perdons pas de vue l’essentiel : Tyla est un lyricist exemplaire.

Il rend à nouveau hommage à Marc Zermati en évoquant le second festival de Mont-de-Marsan. Tyla pense que son groupe ne colle pas avec l’affiche, mais Marc veille au grain et les met à l’affiche du deuxième jour, juste après Little Bob. Pour Tyla, ce show est le meilleur de sa carrière. Un journaliste anglais alla même jusqu’à dire que le Tyla Gang fut le meilleur concert du week-end. Tyla se retrouva en première page du Monde avec le titre : «Un Nouveau Christ ?». Il dit encore que sans Marc, il ne serait pas devenu ce qu’il est devenu : «Il a fait ça pour l’amour de la musique et des fans. On lui doit énormément. Honte sur ceux qui l’ont oublié.»

Le deuxième album du Tyla Gang s’appelle Moonproof. Pareil, c’est l’album d’un seul hit, mais quel hit : «Suicide Jockey», lui aussi planqué en B comme une faute non avouable. Ça sonne pourtant comme une bombe. On pense au «Screwed-up» de Mick Farren : vrai son de Gang, chant gras double et sharp riffs. Avec cet album, Tyla va plus sur la grosse prod. Il va même friser le Springsteen sur certains cuts, ce qui n’est pas bon signe. On sent le vieux pépère à l’affût du succès. C’est en B que se joue le destin de cet album, avec «Spanish Sheet», presque un hit, très relaxé, suivi d’une «No Roses» monté sur un riff délicat et vainqueur à la fois. On sent clairement une volonté de hit, avec une mélodie intrigante et des effets mesurés. Avec «American Mother», Tyla va chercher le groove et les chœurs de filles évaporées. Il est bon quand il fait son Max la Menace et renoue avec les vieilles vibes de «Teenage Head». Il boucle sa B avec «Flashing In The Subway», une belle flambée de fin de non recevoir. Le Tyla Gang sait piquer sa crise, ils n’ont besoin de personne en Tyla Davidson. Bruce Irvine sait jouer le killer solo flash, il sait infecter un vieux cut.

Retour à Skydog en 1998 avec ce Blow You Out du Tyla Gang, une espèce de compile parue au Japon. On y retrouve un «Suicide Jockey» (1977) qu’on prend en plein poire dès l’ouverture du bal d’A. Very big cocoting. Tyla ne rigole pas avec la cocote. Il claque le meilleur (pub)rock d’Angleterre et chante à la coulée de bave. On possédait tous ce single Skydog à l’époque. C’est d’ailleurs le Tyla de la pochette qu’on retrouve en illustration de cet obituary. Tyla chante son Suicide Jockey jusqu’à l’ass de l’oss. Il chante son root down here. Blow You Out grouille de hits, comme par exemple «Whizz Kids» ou encore «Cannons Of The Boogie Night». Tyla sonne comme un chef de gang. Fabuleux boogie-man ! Et puis bien sûr «Styrofoam», le hit du voyou Tyla. Il chante comme un punk. Le seul qui a essayé d’en faire une star, c’est Marc. «Styrofoam» (1976) est aussi l’un des singles magiques de l’époque. Le plus frappant c’est peut-être la ressemblance avec Dr. John : même génie de la diction. Il y a aussi une ressemblance physique entre Dr. John et Tyla sur certaines photos, à cause de la barbe et de la prestance. «Paris Boogie» figure aussi sur Blow You Out. Difficile d’échapper à la grandeur du boogie anglais. On y reste avec «Texas Chainsaw Massacre Boogie». Pour l’amateur de boogie, c’est un régal. Tyla y fait son Américain de derrière les fagots de London. Il se prend pour un simili-Canned Heat et chante à la revancharde, il ne laisse rien au hasard, c’est un artiste complet.

Paru en 2010 sur Jungle Records (associés londoniens de Marc), Rewired propose un ensemble de choses extraordinaires, notamment les démos qu’enregistra le Tyla Gang en 1978 pour un troisième album qui devait s’appeler Whaleback et qui n’est jamais sorti, car Beserkley venait tout juste de les virer. Les bandes furent effacées mais Bruce Irvine réussit à conserver des cassettes et ce sont elles qu’on peut entendre dans Rewired. Tyla fait du glam d’ours mal léché avec «Jungle Of Love» et il chante «Bar Du Telephon» avec une voix de pervers sexuel qui bave sur sa veste. Il remet aussi en service l’excellent «Amsterdam Dog» on the run of the cocote sourde et se tape avec «Out On The Run» un vieux shoot de friendly boogie - I’m back on the run - Wow Tyla on te fait confiance, pas la peine de gueuler comme ça. Bruce Irvine prend le relais et ça tourne au big heavy power balladif. Tyla fout le souk dans sa médina. C’est «On The Street» qui ouvre le bal avec son big heavy sound et on retrouve à la suite des versions datant de 1977 et 1978 de «Styrofoam» (belle dégelée de Teddy Bear, avec un Irvine en embuscade), de «Dust On The Needle» (joué à la cocote sourde comme un pot), «No Roses» (Wrong baby you’re wrong, Tyla gratte la corde sensible du heavy balladif - Ain’t got no roses to send) et puis voilà «Moonlight Ambulance», heavy balladif de London dope craze qui ne sert à rien. Le disk 2 est un live enregistré dans une cave d’Epernay et notre vieux Jean-Jean qui était le premier fan de France du Tyla Gang (mais aussi de Chris Bailey) s’était rendu à ce concert. Il en reparlait chaque fois qu’il était défoncé. C’est vrai qu’il y a de quoi être traumatisé, si on écoute ça. Le concert démarre en force avec devinez quoi ? «Styrofoam», bien sûr. What an energy ! Dans les liners, Tyla nous dit que le concert fut enregistré sur un Aka 47, pardon, Revox A77 Mk III. Le son n’est pas jojo, Mike Desmarais semble jouer sur des caisses en bois, tellement le son est sec, mais le Tyla Gang passe en force. Ils jouent leur va-tout. Tyla revient à ses vieilles enclaves de middle rock d’envergure avec «Lost Angels». Il vise toujours l’excellence, même dans les caves d’Epernay. Il fait son big heavy Teddy Bear dans «I Don’t Want Your Love» et boom, tout explose avec «Suicide Jockey» - So instead of Stranglers, it’s Suicide Jockey - (oui car le Tyla Gang remplace au pied levé les Stranglers) et ça part en big rave up, sale merveille vénéneuse que ce riffing, pur jus de Tyla/Irvine, ça riffe à la poigne de fer. Puis Tyla annonce : «This one is called The Young Lords» (qui est oublié dans la track-list). C’est un hit phénoménal, incroyable intersection de l’intermission des protubérances pubescentes, le vieux Tyla fout le feu dans la cave, c’est un moment historique. Ces démons enchaînent avec «Cannons Of The Boogie Night» et «Fireball». Ils jouent le boogie le plus épais de l’univers. Absolute fucking genius. Il prend «Gonna Take Me Away» à la pire violence d’attaque frontale. Irvine passe en mode killer et le Tyla Gang descend aux enfers. Ils collent «The Muddy River» à la place de «Pool Hall Punks» (c’est curieux que le mec de Jungle n’ai pas corrigé cette erreur sur la pochette). La descente aux enfers se poursuit avec «Hurricane» qui n’est pas celui de Neil Young, mais il faut entendre Tyla bramer au sommet d’Hurricane. C’est un exploit sportif. Il va au-delà du possible et pousse encore des petits cris d’orfraie dans la frénésie du rumble. Il grimpe au sommet de son art. Comme on approche de la fin, il présente les musiciens. Ça se termine en apothéose avec «Whizz Kids», un nouveau shoot de heavy boogie idéal pour une cave à champagne. On se souviendra de ce live comme de l’un des plus grands du siècle passé et donc condamné à l’oubli. Oubli, régale-toi. Avale tout. Le seul bruit qu’on entendra bientôt sera le ressac des sargasses de la médiocrité.

Après la fin des Ducks et du Tyle Gang, Tyla entame une carrière solo. Il va enregistrer quatre albums sous son nom.

Pochette ratée et zéro hit pour Sean Tyla’s Just Popped Out paru en 1980. Tyla sort la big prod pour ce «Breakfast In Marin» dont il se dit si fier dans son book. Des accents dylanesques parcourent les cuts et on voit qu’avec «Lonelyhearts», il cherche le hit, comme le cochon cherche la truffe. En B, il revient au big boogie avec «Credit Card Bash». Un nommé Bam King passe des solos intéressants. Bruce Irvine refait surface dans «Big Fat Zero» et rappelle le temps d’un solo éblouissant qu’il est un grand guitariste. Et puis avec «Chase The Fire», Tyla renoue avec la grande aisance du vieux Canard.

Pochette atroce et zéro hit pour Redneck In Babylon paru en 1981, année de l’élection de François Mitterrand. Tyla s’entoure d’une autre équipe, mais c’est toujours le même son. «Casino Queen» vire même rock symphonique. L’horreur. On retrouve le calme avec «Daddy Put The Bomp» et «Let Me Love You» se veut puissant comme un seigneur de l’An Mil. C’est le domaine du vieux Tyla, il cherche toujours à passer en force. Mais c’est pas bon, mon pépère. Inutile de persévérer. Par contre, le «Lands Of The Buffalo» qui traîne en B finit en puissance, in the land where the Buffalo roam. On sent nettement la puissance du songwriter dans le «Babylon Suite» en trois parties qui clôt l’album.

Notre Tyty des Batignolles finit ses années 80 avec Rhythm Of The Swing, un album qu’il vaut mieux oublier. Il y rivalise de putasserie avec Dire Straits. Il y perd son âme. Des fois c’est pas beau de vieillir. Avec «In The Blood», il taille sa bavette de balladif avarié. Il réussirait presque à nous faire pleurer, ce vieux schnock. Avec «Running On Empty», on sent poindre une immense fatigue. Il termine avec «Tripocal Love», un heavy balladif chargé d’ambition sentimentale qu’il s’en va gueuler par dessus les toits, comme un Verlaine ivre de misère et d’absinthe.

Sean Tyla refait surface en 2007 avec Back In The Saddle. Ne regardez pas la photo qui se trouve à l’intérieur, car Tyla ressemble à un Metallica, avec son Stetson en paille et ses lunettes noires. En plus il force un peu sur le guttural dans «Montanarama». Avec cette espèce de rock FM, on perd de vue le Teddy Bear. Il va trop dans le powerful m’as-tu-vu. Il propose plus loin une version longue d’«All Along The Watchtower». On l’attend au virage. Il tente le coup. C’est de bonne guerre - There’s too much confusion - Comment passer après Jimi Hendrix ? Il gorge sa version de distorse - And the wind began to howl - Le plan est foireux. Il tente l’impossible, mais l’impossible porte bien son nom. Tyla tente de passer en force. On finit par comprendre qu’il ne faut pas attendre de miracle. Les albums américains de Tyla deviennent aussi bizarres que ceux de Terry Stamp. Même si le «Cross Pony» est plus viandu, il peine à convaincre. En homme civilisé, Tyla déroule avec «Moon Falls Down» le tapis rouge d’un balladif qui ne sert à rien, mais il insiste tellement que ça finit par devenir beau. Extrêmement beau. Il finit par emporter la partie à coups d’until the moon falls down. Il développe son cut de manière spectaculaire, il est dans l’excellence, il joue tellement sur l’insistance du croyant que «Moon Falls Down» devient un hit génial. Tyla embarque littéralement sa compo pour Cythère. Ensuite, on le voit hélas se vautrer lamentablement avec «Fightin’ Fifty Boogie», il chante au mauvais guttural et traîne sa légende dans la boue en voulant sonner comme les Maiden ou les Judas, ça tourne au gag. Comment un mec aussi doué peut-il se vautrer ainsi ?

Comme il a remonté les Ducks, Tyla remonte aussi le Tyla Gang et enregistre Stereo Tactics en 2013. Encore un album sur lequel il est conseillé de ne pas faire l’impasse, ne serait-ce que pour cette fantastique reprise du «Breed» de Nirvana. Tyla jette tous son power dans la balance, ça sonne comme du surf-garage, mais punk as hell - She said ! She said ! - Cette folie lui va comme un gant. L’autre big hit s’appelle «Chinese Moon», il y prend de l’opium in old Shangai. Sans douce est-ce l’album le plus rock de Tyla, c’est en tous les cas ce que tendrait à montrer «That’s Rock’n’roll» - Up in the hills/ They’re cooking a new kind of blow - et pouf, il nous envoie nager dans des piscines remplies de dauphins. Le riffing y est aussi puissant que les lyrics - Got me a pick up that runs on aviation gasoline/ It’s got a thousand watt stereo and 90’’ plasma screen - Tyla sait élever un débat. Encore plus heavy et même défenestrateur, voici «Hard Road Rocker». Tyla chasse sur les terres du Comte Zaroff. Il sort son meilleur guttural - I love to ride the highway/ Burnin’ rubber on the road - Il raconte même qu’il boit du mescal in the morning/ It brightens up my day et il crache le feu le soir when the band gets up to play. C’est dingue comme Tyla sait planter un décors. Sa vitesse de prédilection reste la heavy cocote sourde, comme le montre «Blood On The Radio». C’est assez convaincu d’avance - Rock’n’roll is a hard road to ride - les paroles de «Deadhorse Run» tapent aussi en plein dans le mille - It’s a short way to hell I know/ To kiss the Devil’s ass - Sorti du contexte, ça paraît bizarre, mais replacé dans le contexte, ça ne l’est plus, croyez-le bien. Dans «Long Road Home», il sort cette merveille : «If I die with my boots on/ Only get myself to blame.» Il conserve cette inexpugnable ferveur du boogie. Dans «Runaway», il dit que tous les maux du monde viennent du diable - There’s nothing you can do/ When the Devil’s out top play - et Bruce Irvine se fend d’un beau solo flashy flasho. Avec ses chansons imparables, King Tyla est assis sur un tas d’or. Et dans un ultime réflexe politique, il rappelle que the needy feed the greedy. Il termine avec «Lock & Load», une chanson d’alerte rouge - Check the people !

En 2013, Tyla enregistre son ultime album dans son endroit préféré, the Akkurat Bar, à Stockholm. Ce Live In Stockholm est une sorte de best of explosif. On y retrouve tous les hits, mais aussi Bruce Irvine et Mike Desmarais. Tyla finit son histoire en bouquet et on note l’excellente santé du son dès le gros riff d’intro de «Cannons Of The Boogie Night». Nombreux sont les groupes qui aimeraient sortir un son pareil. Même «Dust On The Needle» qui passait pour un balladif passe-partout prend ici une résonance particulière. On sent le gang bien soudé. Mike Desmarais n’a jamais aussi bien frappé. Tyla oh-ohte ses fins de couplets comme un cake. Quelle belle dégelée ! Du coup, les heavy balladifs prennent leur envol : on admire la force tranquille de «Lost Angels» et le coucher de soleil de «New York Sun». Les gros solos de Bruce Irvine grésillent dans l’embrasement crépusculaire. Oui, Bruce nous brise. «Hurricane» sonne comme l’explosion du bonheur et «Texas Chainsaw Massacre Boogie» comme la pire des déboulades. D’ailleurs c’est avec elle qu’ils terminent. Oh mais il manque les hits ! Pas d’inquiétude, ils sont là, à commencer par «The Young Lords» qui renvoie aux grandes heures de Kim Fowley, même sens de l’underground radieux et des soudains éclats de lumière, avec un Bruce Irvine qui part en fibrille de solo et un Tyla qui tartine ses young Lords they knew. Ils nous font plus loin le coup de l’enchaînement fatal avec «Styrofoam» et «Suicide Jockey». Ils tapent dans le dur, comme on dit chez les Portugais. Tyla attaque dans le sharp du shock et Desmarais cogne comme un soudard. Aw, ces mecs réduisent le rock en bouillie. Bruce prend soudain son solo en levrette, lui taille une croupière avec la frénésie maladroite d’une belette avinée. Ces mecs sont des démons, ne vous approchez pas trop près d’eux. Surtout du Bruce qui sous des apparences de mec sympa pourrait bien être le pire killer qui soit ici bas. Ils font du «Suicide Jockey» une vraie pétaudière, on s’y attendait un peu. Les voilà devenus féroces et rebelles, ils jouent au pumping heart. Teddy Bear on the run, il est imbattable à ce petit jeu. Ces mecs sont le secret le mieux gardé du rock anglais.

Signé : Cazengler, Tyla pas cent balles ?

Sean Tyla. Disparu le 17 mai 2020

Ducks Deluxe. Ducks Deluxe. RCA Victor 1974

Ducks Deluxe. Taxi To Terminal Zone. RCA Victor 1975

Ducks Deluxe. Last Night Of A Pub Rock Band. Dynamite Records 1979

Ducks Deluxe. All Too Much. Skydog 1998

Ducks Deluxe. The John Peel Sessions. Hux records 2007

Ducks Deluxe. Box Of Shorts. Hawkhead Records 2009

Ducks Deluxe. Side Tracks & Smokers. Jungle Records 2010

Ducks Deluxe. Riviera Shuffle. Jungle Records 2011

Ducks Deluxe. Rockin’ At The Moon. Mystic Records 2013

Tyla Gang. Yatchless. Beserkley 1977

Tyla Gang. Moonproof. Beserkley 1978

Tyla Gang. Blow You Out. Skydog International 1998

Tyla Gang. Rewired. Jungle Records 2010

Tyla Gang. Stereo Tactics. Ball And Chain Records 2013

Tyla Gang. Live In Stockholm. Angel Air Records 2014

Sean Tyla. Sean Tyla’s Just Popped Out. Zlich 1980

Sean Tyla. Redneck In Babylon. Zlich 1981

Sean Tyla. Rhythm Of The Swing. Instant Records 1983

Sean Tyla. Back In The Saddle. Hawkhead Records 2007

Sean Tyla. Jumpin’ In The Fire. Soundcheck Books 2010

 

MONTREUIL / 12 – 09 – 2020

LA COMEDIA

IENA / C' KOIZ' BORDEL

THE TRUE DUKES

J'fais un peu la tête. J'aurais pu faire coup double cette semaine, en ces temps de disette deux concerts à la suite, peut-être mon nom aurait-il été inscrit en lettres d'or sur le livre des Records, je ne peux m'en prendre qu'à moi, complètement oublié que hier soir c'était soirée rockabilly avec les Ringtones au Pub Le Bacchus de Château-Thierry, double raison de ne pas rater l'affiche alléchante de La Comedia, le moteur rassurant de la teuf-teuf gronde sur la N4, les Dieux de l'Olympe compatissants oignent mon âme meurtrie d'un népenthes, revigorant, sur la radio une revisitation de la carrière du Led Zeppe ! Je gare la teuf-teuf alors que le Dirigeable achève Rock'n'roll, quel magnifique cri de guerre conviendrait mieux à la soirée qui s'ouvre !

IENA

Ne sont que trois. Loin de moi l'abjection abhorrée de dire du mal d'un trio de rock'n'roll, cette formation de base du rock électrique, mais Stéphane le chanteur est absent titillé par une vilaine bébête qui court les rues ces derniers temps. Donc trois qui se tiennent debout et stoïques, tels les grenadiers de Napoléon massés devant les troupes prussiennes attendant l'ordre victorieux de charger, le temps qu'un long sampler déroule sa musique, pas une catapulte de cavalerie, plutôt les anneaux quelque peu entremêlés d'une marche cadencée.

Sur votre gauche, une bonne fée, de fait une véritable sorcière aux doigts crochus, faut voir comme elle tire sur les cordes de sa basse. Vous les crochette avec l'habileté diabolique d'un cambrioleur s'attaquant à la serrure de votre porte d'entrée, vous n'avez pas réalisé qu'il est déjà ressorti avec l'argenterie de la famille, mais elle ne s'enfuit point à toutes jambes, elle se jette sur la porte de l'appartement voisin, vous monte et descend les quinze paliers de son manche en un temps record, pour dégringoler au fond de la cave, autant vous dire que ça swingue un max, au début vous n'entendez qu'elle, en plus il y a l'impact, elle tire et elle frappe, une volée de bastos qui vous percent le buffet, et vous coupent le souffle de la vie. Z'êtes tellement focalisés sur la mitraille de cette amazone qu'il vous faut quelques minutes pour réaliser qu'elle n'est pas la seule à bosser.

Sur notre droite Eric, un roc dans la tempête. Guitariste et compositeur. Genre de gars qui a tout vu et tout fait. Statique. Le visage fermé. Oui mais c'est un subtil. Il est à la lead et vous ne savez pas où il vous mène, ne vous envoie pas une ribambelle de riffs dans les esgourdes, ne donne pas dans le spectaculaire, accorde sa confiance à l'auditeur, le juge assez doué pour qu'il suive. Ne pas le perdre de l'oreille, sinon vous errerez sans fin dans les structures labyrinthiques qu'il déroule avec un flegme étonnant, et puis il chante, comme pour lui-même, se lance dans d'étranges mélopées intérieures fascinantes. Pas un brin de séduction et tout le monde écoute avec attention. Une force persuasive tranquille

Michel Dutot, est à la batterie. Nous le connaissons, il est aussi le batteur de The True Dukes – les lecteurs à la mémoire alzheimerienne se repporteront à la livraison précédente – n'a pas la tâche facile, doit faire le pont ( important quand on s'appelle Iéna ) entre les abrupts dévissages des mains dansantes de la cigale Stéphanie et le sage fourmillement ramassé et industrieux des doigts de la fourmi noire d'Eric, s'en tire comme un chef, le fléau de la balance de la justice qui établit un équilibre parfait entre des modalités flottantes. Presque sans y penser, quelques coups, caisse claire et cymbale, et en trois coups de cuillère à peaux il vous monte la mayonnaise jusqu'au plafond. La preuve, n'ont-ils pas un titre nommé Black Icare ?

On se serait contenté d'eux tout seuls, mais les amis sont au rendez-vous, Jyb le chanteur des True Dukes vient pousser la goualante sur L'hymne et en final sur Citoyens du Monde. Un boute-feu, nous y reviendrons plus tard. Mais aussi Isa – la chanteuse de The Red Truck, vous savez ce camion de pompiers squatté par des pyromanes – qui se déchaîne sur trois titres consécutifs, Stooges, Pixies, Rory Gallagher, trois tueries, même qu'elle termine sur une étrange danse du scalp, pas besoin de beaucoup d'imagination pour comprendre qu'elle est en train de découper en petits morceaux ensanglantés un pauvre prisonnier attaché au poteau de torture, et toute la Comedia l'encourage en hurlant de joie, en plus Iéna déverse sur la salle un son pistolien à vous donner envie de vous faire sauter la cafetière rien que pour le plaisir.

Un set trop court, juste pour comprendre que Iéna en a dans l'alambic. Ne sont pas nés de la dernière pluie. Savent tout faire. Une belle ouverture de concert, qui vous aiguise les dents à en rayer le parquet. Faudra les revoir à quatre.

C' KOI Z' BORDEL

Ne sont que trois. Mais pour eux c'est normal. Un peu comme quand votre gamin vous annonce que pour son anniversaire il n'a invité que trois copains. Les meilleurs, qu'il a ajouté. Mais en quoi ? Lorsque vous rentrez chez vous, votre appartement est ravagé et après l'envoi des photos l'assureur vous rappelle que les dommages de guerre ne sont pas prévus par le contrat.

Tableau d'honneur. Ou de déshonneur selon vos préférences idéologiques. Le meilleur en batterie, c'est Olivier. Du bois centenaire dont il nous brûle les oreilles. Une machine automatique. Quand il frappe, il frappe. D'abord il n'arrête pas. Impulse toute son énergie. En rajoute. L'en fait des tonnes et ça détonne. Claquements secs ultra-rapides à répétition. Si j'osais, j'écrirais qu'il met du cœur à l'ouvrage, à lui tout seul une compagnie de CRS s'activant consciencieusement sur les crânes de paisibles manifestants exerçant leur simples droits démocratiques de déambuler sereinement dans les rues, mais cette comparaison risque de ne pas leur plaire. Ce sont des teigneux. Ne s'en cachent pas. Des minutieux aussi. Fournissent les paroles et l'explication orale pour les intelligences obtuses au cas il y aurait dans le public quelques esprits non-avertis. Ainsi quand ils annoncent Les Nuisibles donnent des exemples, non ce ne sont pas les renards sanguinaires qui visitent vos poulaillers, mais les patrons, les juges, les policiers, les banquiers qui veillent sur notre bien-être d'esclaves soumis et notre sécurité d'ilotes apeurés par leurs ombres, parce que les stupides poulets saignés à blanc c'est nous.

Z'ont choisi leur camp, A coups de pelles dans la gueule, Allez tous vous faire enculer bande de bâtards, nous assène Cyril. Une belle voix, porteuse, un peu vrillée, qui s'enfonce dans vos tympans comme une vis sans fin, une trépanation idéologique qui vous fait du bien. Le tout agrémenté des cisailles de sa guitare, force de persuasion assurée. Maîtres mots : vitesse et précipitation. Ne laissent pas retomber la flamme.

Stéphane à la basse assure le grondement de base. Sur le même modèle que ses deux acolytes, partisan de la cabosse plein pot. Pousse sans ménagement la matière sonore au bulldozer, vous la ravachole de haut en bas, C' koi z' bordel déteste les temps morts. Ils aiment la vie pétillante et explosive. Colorée noir anarchie strié de jaune gilet. N'ont pas le punk sinistrose. Pas rose non plus. Ne vous laissent pas un instant de répit, enchaînent les titres sans rémission, ne sont pas cois mais foutent un bordel inimaginable, beau tangage devant la scène, une véritable fête, une crise aggravée d'épilepsie, pas du tout Waterloo morne plaine. Un régal. Se déguste brûlant. Garçons sauvages.

THE TRUE DUKES

A cinq sont un peu serrés sur la scène mais ça ne se voit pas, et pour être plus précis ça ne s'entend pas, because z'ont le son parfait, méchamment mis en place, aéré, une netteté étonnante, pas le gazouillis des petits zoziaux dans le jardin municipal, un true truc beaucoup plus percussif, les battements d'ailes de Quetzacoalt le serpent à plumes qui fonce sur vous pour vous déchirer les entrailles de son bec invincible. Le genre de désagrément que votre sensibilité exacerbée d'esthète rock'n'roll vous permet d'apprécier à sa juste valeur.

Dans ces cas-là ne faut pas désigner le coupable mais définir le responsable, ne se cache pas, l'est tout au fond contre le mur, et il distribue. Vous aimeriez savoir quoi ? Le silence. Cela peut sembler bizarre, car il fait pas mal de bruit, il a la frappe puissante et punchy de Sugar Ray Robinson sur le ring, il n'en abuse poing, il espace ses coups mais vous les abat avec un mortel aplomb, Micky Boys, le métronome, le maître homme, vous définit l'espace en espaçant les retombées de ses baguettes, sonne le tocsin sur sa grosse caisse pour galvaniser les troupes qui n'en ont pas besoin.

Le Micky vous définit la structure, ne reste plus qu'à remplir les intervalles. Du boulot pour tout le monde, car entre les ogives de cette cathédrale punkézoïdale qu'il élève, vous avez les vides à combler de parois épaisses, attention les Dukes ne font pas expressément dans la dentelle, plutôt dans la pierre massive. La première qui s'y colle, c'est la basse de Kamboui, les deux mains en plein dedans, sa spécialité c'est les architraves, c'est vrai qu'il est un peu archi-grave, comment parvient-il notre mécano à refiler des lignes de basse aussi épaisses que les entablements des colonnes des grands temples antiques et en même temps à déployer sur leurs épaisseurs le swing d'une sculpture aux fines ciselures. Rajoute la feuille d'acanthe qui vous enchante.

N'ayons pas honte de le dire, the True Dukes trichent dur. Plutôt trois fois qu'une. C'est leur truc, leur papier true-mouches, l'on n'aliène pas la sympathie des spectateurs avec de la soupe d'ortie, de temps à autres, ils sortent la grosse artillerie, trois guitares en même temps, et là ils sont imparables, rendent l'assistance totalement folle, la transforment en derviche tourneurs animés par des moteurs électriques. Des pales tournoyantes d'hélicoptères détachées de leurs rotors virevoltent sans frein devant la scène.

Sous son bonnet Riko affiche une sérénité sans égale. L'est tout sage avec sa guitare. L'est habité par intermittences de crises de démence. Peu spectaculaires, ne saute pas partout, l'a simplement les doigts qui ricochent sur les cordes, et alors là, pas besoin de taper sur la porte du paradis pour demander à entrer, Riko vous l'ouvre en grand. Tromperie sur la marchandise, c'est celle de l'enfer et vous voici encerclés sans rémission dans un riff infini de feu incandescent qui vous calcine la moelle épinière en moins de deux secondes. Vous pensez que vous finirez en torche vivante mais non Riko referme le vantail et vous vous retrouvez tout bête d'être encore là. Riko le riche n'est pas cruel, vous laisse entre les mains de Kikaï.

Un autre père de manche. Dans ses mains de géant, la guitare semble minuscule. Mais il en prend soin. La tient serrée avec sollicitude. Ressemble un peu au Duc ( pardon au Duke ) de Nevers dans Le Bossu de Paul Féval qui se bat en duel contre un groupe de spadassins, portant son bébé dans le repli de son bras gauche. Kikaï ne la quitte pas des yeux, la couve du regard, mais de ses doigts il vous file de ces terribles poinçons aussi efficaces que la terrible botte de Nevers, vous troue le front, vous transperce le cerveau à chaque fois. Vous tombez mort sur place en criant nevermore mais vous vous relevez aussitôt car never mort les coups d'épée maléfiques de Kikaï attisent en vous l'appétit de vivre.

Trois guitares de temps en temps car Jyb se déleste souvent de la sienne, un grand gaillard, sa haute taille et sa queue de cheval lui refilent l'allure d'un scalde échappé d'une antique saga nordique, ces récitants vénérés qui pour donner du courage à l'équipage et défier les Dieux, scandaient de farouches épopées sur les drakkars assaillis par les tempêtes. Plante ses dents dans le vocal et ne lâche plus, vous le mastique avec avidité, un molosse qui rompt un fémur de bœuf d'un seul coup de dents tranchant comme la lame de la guillotine. Vous passe le répertoire du groupe à la moulinette. Idem pour les reprises. Tout ce qui entre fait ventre, même cette version de Laid des laids de Gainsbourg qu'il vous épice sous forme d'hymne punk.

Un set mené de toute folie, y'en a pour tout le monde, Eric de Iéna au micro, Kamboui passe son joujou à à Stéphanie qui nous montre avec quel savoir-faire ( ancestralement genré ) les filles savent s'occuper des nourrissons criards, Jyb dédie spécialement Le Mitard à Rachid qui au comptoir abreuve la foule, et puis je ne sais plus, The True Dukes ont La rage, La Comedia est transformée en émeute dans la cellule numéro neuf du pénitencier national covidique, que dire de plus, que cette soirée fut un régal rock'n'roll ! La preuve, Isa est remontée sur scène et nous a smashé Rock'n'roll de Led Zeppe, difficile de faire mieux pour boucler la boucle de cette soirée !

Damie Chad.

 

HYBRID COGNITION

HEAVYCTION

( EP / Bandcamp / You Tube )

 

Nous ont impressionné lors du concert ( voir chronique 475 ) de Château-Thierry, n'étaient pas comme le corbeau de la fable, n'avaient aucune galette vinylique ou cédéique à laisser tomber du haut de leur bec sur les foxes-fans affamés, juste l'indication de la possible connexion à leur EP vieux de trois ans. Donc nous sommes allés écouter. Et voir. Parce que sur YT vous trouverez le clip-vidéo.

La première fois que j'ai déchiffré le nom du groupe, sur le T-shirt d'un gars qui n'arrêtait pas de bouger j'ai lu Heavaction. J'ai immédiatement traduit, heavy / action, ces gars-là vont nous bourrer le mou à la vitesse du mur du son, à part que là la balle nous foudroiera en retard bien après le son... ben non, le concept est beaucoup plus complexe que cela, heavyction c'est heavy et éviction. Cela vous concerne un peu, ne s'agit pas non plus de vous et de votre médiocre personne, mais de cette saleté de race humaine en son entier. Et pas par un malheureux virus mortel et proliférant. Par les machines. Un scénario de science-fiction maintes fois traité dans des films et des bouquins. Déjà Wells dans L'île du docteur Moreau, avait abordé dès 1896 le thème de l'hybridation, ne parlait alors que de traficotages chirurgicaux entre animaux et hommes, depuis le danger se rapproche, qui n'a entendu parler de réalité augmentée et de transhumanisme, un film comme Matrix est un parfait exemple de ces vertiges futuro-existentiels...

Kumus : à l'origine Kumus est un guerrier mandalorien dont l'histoire est révélée dans la tumultueuse saga livresque de Star-Wars. Rien à voir avec l'univers de Petit Ours Brun. Âmes et oreilles sensibles s'abstenir. Seule la haine est plus forte que la mort, car lorsque vous haïssez et semez la mort, vous êtes vivant. Brutal clip. Toutefois la musique est plus forte que les images. Elle a tendance à les effacer, à les reléguer dans une zone de désintérêt profond. Vous emporte sur le toboggan de la mort. Une espèce de course contre la montre. Mais le son se déploie comme le drap du lit d'un moribond que l'on retire d'un coup sec, on dirait qu'on lui ôte le temps de mourir et celui de vivre. Kumus est à écouter comme un acte musical à part entière. Un de ces coups de dés mallarméens que l'on tente pour détruire le monde. The key : la clef est à l'intérieur de nous, il suffit de la trouver... Ce n'est pas celle du bonheur. Juste pour forcer la serrure qui met en communication la petitesse du microcosme humain et l'infini du macrocosme universel. Un seul trou et deux portes s'ouvriront. Grognements exponentiels du vocal et guitares qui filent comme pluie de météorites qui s'écrasent sur le sol raboté de votre conscience et traversent les espaces interstellaires infinis. Une espèce de prière insultante à l'infinitésimalité de l'illimité. Des voix qui se rejoignent en un chœur fabuleux, des guitares qui tissent une espèce de chant gravitationnel de triomphe et le hurlement du loup Fenrir qui dévore la main du dieu ou de l'homme qui détient la clef. Into Hiding ( Amorphis Cover ) : reprise d'Amorphis groupe d'heavy death metal finlandais qui explore des thèmes similaires à ceux de Heavyction, centrés sur le concept d'anamorphose ou pour être moins simple d'amétamorphose, l'idée que tout changement engendre aussi mais pas uniquement le néant. Un vocal théâtralisé et déclamatoire qui, pour employer une expression nietzschéenne, cligne de l'œil. Cet Into Hiding ne serait-il pas une intro-hiding, comme l'œil blafard de face cachée de la lune hécatienne. Le morceau se déroule selon une rituellique déambulation emphatique, le générique d'un film catastrophe métaphysique.

Cet EP d'Heavyction est fascinant. Présente l'aspect d'une pyramide à trois faces, forgée d'un métal inconnu qui permet d'entrevoir des aspects ignorés de notre monde que les reflets évanescents et fantomatiques qu'il projette dévoilent et teintent d'un obscur mystère. Mourir pour revivre. Ou : Mourir pour vivre. Cochez la bonne case. Ici l'on perd à tous les coups.

Damie Chad.

 

DANIEL BOONE

VIE ET LEGENDE D'UN PIONNIER AMERICAIN

JOHN MACK FARAGHER

( Editions du Rocher / 1996 )

 

Salvador Dali vante dans un de ses écrits l'incomparable prééminence du peuple espagnol sur tous les autres car il aurait inventé le principe du sous-marin et de l'hélicoptère. Nous lui laissons l'entière responsabilité de ses assertions, nous nous contenterons de répliquer que les américains eux ont inventé le rock'n'roll et Edgar Poe, ce qui nous semble participer d'une véritable éblouissance souveraine. Toutefois ce genre de concours de cour de récréation n'offre que peu d'intérêt, de toutes les manières il reste à savoir qui a inventé les américains. Nous ne possédons pas la réponse, je tiens à préciser que nous ne la trouverons pas le livre de John Mack Faragher consacré à une des figures mythiques de l'Ouest américain.

Peut-être le nom de Faragher ne vous est-il pas inconnu, du moins vous dit-il quelque chose, regardez par exemple au dos des pochettes de Willy de Ville, Wanda Jackson, Dusty Springfield, les frères de Mack œuvrèrent dans la musique, vous retrouvez même le nom de l'aîné dans la programmation de la célèbre émission American Bandstand... mais John devait être l'intello de la famille, né en 1945 il est devenu un professeur d'université bardé de récompenses et spécialisé dans l'histoire de la formation des Etats-Unis.

Pas étonnant qu'il se soit donc intéressé à la vie de Daniel Boone. Une des images chocs de mon enfance : une illustration du Daniel Boone due au pinceau de Myriam Huford dans Les Petits Livres d'Or, notre héros s'emparant d'un poney tatoué de belles peintures de guerre pour s'évader des féroces indiens qui le retenaient prisonnier... et puis plus rien pendant des dizaines d'années jusqu'à ce que je me plonge dans ce livre.

John Mack Faragher nous fait dès le début du livre le coup du gars qui ne sait rien mais qui vous raconte tout. Ce que l'on connaît de Daniel Boone tiendrait en une demi-page  décrète-t-il au début de sa relation, et plouf il nous pond un pavé qui frôle les cinq cents pages. Sans remplissage, des noms, des dates, des faits, et toute une époque révolue qui revit en un récit haletant. En plus son héros n'est pas le premier en tout, même son titre de gloire de découvreur du Kentucky est historialement faux. Bien d'autres ont pénétré avant lui dans cette promesse d'Eldorado et quand il est parvenu à fixer une crasseuse implantation villageoise dans ce qui n'était pas encore l'état du Kentucky, son nom ne s'écrit pas en tête du classement, il occupe la détestable place poulidorienne... Faut être juste, Daniel Boone n'a jamais rien revendiqué de semblable. D'abord c'était un taiseux, et puis la seule chose qui l'intéressait c'était la chasse.

Daniel Boone naît en 1734 à Exeter pas très loin de l'Atlantique. Dans une communauté Quaker. Un milieu lourd et intolérant. Puritain. La famille outrée de se voir reprocher que deux de ses filles batifolent avec des non-quakers prendra le large et se fixera en Caroline du Nord. En ces temps-là une famille c'était une moyenne de dix enfants, le père la mère et des chiens. Plus les oncles et les tantes du mari et de l'épouse. Les filles se marient jeunes, beaucoup avant seize ans, les garçons guère plus vieux, une espèce de ''gens'' romaine regroupant plusieurs foyers, toute une smala informelle mais fidèle, quand l'un des membres les plus en vue décide d'aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte, beaucoup le suivent...

Le jeune Daniel n'est pas un écolier assidu, plus tard une de ses belles-sœurs lui apprendra à écrire, les bois, la forêt, la chasse l'attirent, à quinze ans il sera déjà un chasseur confirmé. Il n'est pas le seul à subir ce que plus tard Jack London appellera the call of the wild... La forêt est mystérieuse mais pas déserte. Il n'est pas donné à tout le monde de survivre en ses étendues boisées. Une science qui s'apprend. Les éducateurs des premiers blancs - déclassés, aventuriers, têtes-brûlées - qui s'aventurèrent en ses vastitudes furent les Indiens. Ces individus pâlichons isolés, peu expérimentés, ne semblaient pas un danger, fallait tout leur enseigner, les mœurs des animaux, les techniques d'approche, la conservation des peaux, les ruses, les pistes, l'occasion d'un commerce informel à base de troc... Certains trappeurs n'hésitèrent pas à prendre femme chez les Indiens, certains s'assimilèrent, beaucoup vécurent entre ces deux mondes, frontières poreuses....

A quinze ans il participe à sa première grande chasse, plusieurs semaines dans la nature sauvage en groupe soudé et réduit. Le jeune Daniel aura de toujours une préférence pour les courses en solitaires. Le voici marié, il a construit une cabane en rondins d'une seule pièce, plus de vingt personnes vivent dedans, nichées d'enfants, les siens, ceux d'amis ou de parents décédés généreusement adoptés, visiteurs, parentés... – on comprend le besoin de solitude et d'éloignement qui poignait les hommes - Rebecca s'occupe des bêtes, des champs, du ménage, les femmes sont dures au mal et ne se plaignent pas. Boone est de ces maris qui reviennent après plusieurs mois d'absence, retrouvent le gamin qu'ils ont mis en train lors de leur précédent retour, et repartent à la nouvelle saison...

Boone est un fameux fusil. Souvent en temps de mauvaise récolte il a nourri l'ensemble de la parentèle avec le gibier qu'il a ramené. C'est un pisteur infatigable. Ne se vante jamais. Ceux qui l'ont connu en action savent que ces brèves paroles sont porteuses de sens et ont pris l'habitude de lui obéir, possède le flair, il sent le danger qu'aucun signe n'annonce... Dans son petit milieu, il est respecté et écouté. C'est un sage, qui ne s'affole jamais. Reste que dans le monde, dans la petite niche écologique que l'on s'est construit, l'on n'est jamais seuls même si l'on est le seul responsable de son propre malheur.

Un peu de géopolitique. Au nord sous les grands lacs sont les Iroquois. Poussés du Canada par les anglais ils exercent une pression peu mortelle mais efficace sur les Indiens Delaware qui eux-mêmes empiètent quelque peu au sud sur leurs frères Shawnees. Mais ces derniers doivent composer à l'est avec la poussée des blancs. Beaucoup de chefs ont signé des traités de paix, entendez par là qu'ils ont accepté de laisser leurs territoires de chasse de la rive gauche de l'Ohio, mais déjà des blancs s'en viennent chasser sur la rive droite... Beaucoup trop de monde...

Il existe une porte de sortie, un bout du haut de la Virginie bute sur des montagnes impénétrables, du moins semble-t-il, ce ne sont que les Appalaches, des pisteurs en sont revenus, ils décrivent les épaisses forêts et de merveilleuses collines herbacées entrecoupées de douces et larges vallées où coulent de belles rivières... Boone ne peut qu'être aimanté par de telles promesses, le voici cherchant une piste, il la trouve, mais elle n'est guère carrossable, il revient, on le croit, c'est un homme de parole, un riche notable le charge d'une mission, élargir le sentier, permettre à des charriots de pionniers de passer... La mission sera accomplie. Boone se charge de fonder une petite colonie : ce sera Bonesborrough, quelques misérables cabanes entourés d'une palissade, l'on cultive des champs autour, Boone se livre à son occupation favorite la chasse. Sur le territoire ultra-giboyeux situé de l'autre côté de la rivière Kentucky.

Boone est capable d'abattre dix ours ou dix cerfs en une demi-journée. Ne comptons pas le menu gibier, lièvres et castors ni le gros : les bisons. Sur la fin de sa vie il se plaindra de la raréfaction du gibier... Certes il prélève de délicieux rôtis et dépouille ses proies pour plus tard revendre les peaux... Il n'est pas le seul. D'autres l'imitent. Il n'est pas le seul. D'autres les observent. Les Shawnees qui détestent ces carcasses d'animaux qui pourrissent sur place. Ce gaspillage les choque...

Un peu de géopolitique : les temps changent, un fort sentiment indépendantiste parcourt les treize colonies américaines. Sur la frontière la population des nouveaux venus serait plutôt loyaliste, mais les anglais arment et attisent les Shawnees déjà remontés contre les migrants. Les guerres vont se succéder, celle de libération qui finira par la proclamation de l'Indépendance des Etats-Unis d'Amérique et la guerre indienne qui oppose les colons du Kentucky aux Indiens.

Boone navigue à vue. Il ne déteste pas les Anglais mais par l'Etat de Virginie qui administre les territoires du Kentucky – cette proximité explique la présence d'esclaves chez les trappeurs - il est chargé de commander les troupes civiles prélevées sur les colons. Les grades de capitaine, puis de colonel lui seront octroyés. Il ne fera guère preuve d'un zèle partisan. Boone déteste la guerre, les évènements lui permettront de ne pas participer aux combats meurtriers et décisifs.

Boone ne détestait pas les anglais mais il aimait les indiens. Il a vite compris qu'en chassant il ne faisait qu'aider à la main-mise américaine sur des terres qui leur appartenaient. Les indiens le respectent, mais les Shwanees deviennent de plus en plus entreprenants et font la chasse aux chasseurs. Boone possède un sixième sens qui lui permet d'appréhender les dangers mais un jour il se fait prendre avec un groupe d'une vingtaine de colons partis en patrouille. Un véritable western : les scénaristes lui doivent une sacrée chandelle, il restera deux ans prisonniers toutefois adopté par le chef de la tribu. Il a tué son fils, or les Indiens croient en la transmigration des âmes. Pourquoi celle du défunt ne s'installerait-elle pas chez son assassin ?... Jusqu'à la fin de sa vie il restera en bons termes avec sa famille adoptive... Il parviendra à s'enfuir et prendra la tête de la défense de Boonesborrough, lorsque les indiens attaqueront, cet homme taciturne parviendra à être lors de longs palabres encore plus rusés qu'eux... Après de longs combats acharnés la pluie effondrera la mine qu'étaient en train de percer les Indiens pour écrouler les murs du fortin...

La jeunesse est passée. Le bilan que Boone établit de son premier demi-siècle n'est pas très positif. Lui qui a ouvert la route du Kentucky, a passé le plus clair de son existence à courir les bois et à faire la guerre, il n'a pas amassé la fortune espérée... Il aimerait se poser, posséder une propriété pour abriter sa famille. Nous avons eu l'épopée, le western, voici la face sombre de l'Amérique. Celle que nous n'aimons pas. Celle de l'argent. Sonnant et trébuchant pour ceux qui tirent les ficelles, un mirage pour les âmes simples et candides. Les sociétés et les banquiers ont tissé leur toile. Squattent les plus hautes places dans les instances politiques décisionnelles.

Le procédé est simple. Si vous possédez un petit pécule, pas besoin de grand-chose pour commencer, nous vous délivrons une charge d'arpenteur. Boone mord à l'hameçon, plutôt deux fois qu'une. Il connaît le Kentucky, il sait repérer un bon terrain bien situé, il en trace les limites, il le vend à un heureux propriétaire. Maintenant ce nouvel acquéreur doit recevoir la confirmation de son titre de propriété que lui concèdera l'Etat de Virginie, une formalité en principe. Petit hic, la loi peut changer, un terrain qui avait été décrété achetable peut voir son statut changer il faut donc rembourser le propriétaire ou entrer en procès avec lui. Mais il y a pire : le terrain peut avoir été arpenté par un autre voire plusieurs autres arpenteurs, un micmac juridique, procès, contre-procès, temps et argent perdus... Mais ce n'est pas tout, la plupart des terrains tombent ( comme par hasard ) en fin de parcours dans la poche de consortiums aux main de riches spéculateurs, ce sont eux qui font changer les décrets d'attribution des sols, très facilement puisqu'ils occupent les postes-clefs de l'administration, ils possèdent aussi des armadas d'hommes de lois... au bout de dix ans Boone ne tirera pour tout bénéfice de son activité que des dettes...

Il est tellement dégoûté qu'il décide de quitter les Etats-Unis et de ne plus jamais remettre les pieds dans le Kentucky. S'installe dans la possession espagnole du Missouri, on lui offre pour peu cher - son nom circule parmi les migrants - un beau domaine en spécifiant oralement qu'il n'a pas besoin d'habiter depuis un an sur celui-ci comme il est exigé habituellement, et il reçoit son titre de propriété sans problème... Manque de chance Boone n'a pas une tête très géopolitique, lorsque les Etats-Unis achètent le Missouri les nouvelles autorités exigent l'attestation écrite qui confirme qu'il a bien résidé un an sur le terrain avant de l'avoir acheté... Boone sera exproprié.

Passera les vingt dernières années de sa vie auprès de sa famille et de sa fille, se refermant sur lui-même un peu désabusé, se couchant de temps en temps dans son cercueil pour piquer un bon petit somme, les rhumatismes le font souffrir, l'empêchent de marcher, quand il se sent mieux il part à la chasse... Il partira définitivement le 26 septembre 1820.

Comment et pourquoi ce héros local se transformera-t-il en mythe ? Pourquoi lui et pas un autre ? Il ne fut pas le seul coureur des bois. Il eut la chance d'avoir alors qu'il atteignait la cinquantaine un biographe, John Filson qui d'un style ampoulé brossa de sa figure de coureur de bois un portrait digne des héros homériques. L'homme qui avait gagné à lui tout seul la guerre contre les Indiens et sauvé le Kentucky. Daniel Boone lui-même jugea son panégyrique nettement exagéré, après sa mort ses nombreux descendants eurent beau s'indigner et dénoncer cette stature de héros invincible et invulnérable, les racontars poussaient et croissaient encore plus vite que l'herbe bleue du Kentucky ( qui n'était que de la simple luzerne ) non il n'était pas un scalpeur d'indiens, au cours de sa vie il n'en avait tué que trois afin de sauver sa propre peau, en règle générale l'esprit humain a tôt fait de choisir entre la stricte réalité des faits et l'amplification de la légende...

Plusieurs fois Boone répéta qu'il préférait les indiens aux colons du Kentucky, les guerriers ne défendaient que leurs territoires ancestraux, plus tard sous couvert de sa défense et illustration des Shawnees la gent cultivée ne manqua pas d'entrevoir une relation exemplaire saisissante entre la vie de Boone au fond des bois au milieu d'une nature protectrice et le mythe du bon sauvage théorisé par Jean-Jacques Rousseau...

Cet être fruste que fut Daniel Boone eut une destinée littéraire peu banale, très vite après sa mort il devint le héros de moult romans populaires... Nec plus ultra, Fenimore Cooper s'inspira de sa vie et de ses déclarations pour créer son personnage Bas-de-cuir, la série de cinq volumes des Leatherstocking fut tout au long du dix-neuvième siècle un élément constitutif essentiel de l'imaginaire américain. Consécration poétique, Lord Byron lui consacra plusieurs strophes élogieuses dans Don Juan son œuvre maîtresse.

Mais il est encore des conjonctions souterraines plus étranges. Lors de sa phase spéculatoire d'arpenteur Daniel Boone fut joliment escroqué par un aventurier anglais, un certain Gilbert Imlay qui de retour en son pays eut une liaison avec Mary Wollstonecraft, les amants se séparèrent, de leur union passagère naquit une fille Fanny Imlay. Mary se maria avec le philosophe William Goodwin ( un des théoriciens de l'anarchie ). Fanny Imlay devint la demi-sœur de Mary Wollstonecraft-Goodwin qui à la suite de son union avec le poëte Percy Bysshe Shelley publia sous le nom de Mary Shelley son célèbre Frankenstein... Did you ever meet with Frankesnstein s'enquerraient les New Yok Dolls sur leur premier 33 tours. Méthode généalogique.

Cette biographie due à l'érudition sans faille de John Mack Faragher nous plonge au cœur de la formation historico-mythologique des Etats-Unis. Pour ceux qui voudraient avoir quelques lueurs supplémentaires sur la suite de la constitution de cette nation nous les engageons à lire L'Amérique de Mark Twain de Bernard De Voto publié en 1932, voir notre recension dans la livraison 287 de KR'TNT ! Du 23 / 06 / 2016, le livre débute sur les rives du Missouri...

Pour nous, nous dirons que l'âme de Daniel Boone résonne pour qui sait y prêter attention chez Johnny Cash et bien d'autres chanteurs de country. Selon notre vision le rock'n'roll est à considérer comme une des résurgences du romantisme européen.

Damie Chad.