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28/09/2016

KR'TNT ! ¤ 296 : REZILLOS / BLACK BOX WARNING / WILD MIGHTY FREAKS / FRCTRD / BARABBAS / ATLANTIS CHRONICLES / THE DISTANCE / JAMES BALDWIN / NEGUS

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 296

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

29 / 09 / 2016

 

REZILLOS / BLACK BOX WARNING

WILD MIGHTY FREAKS / FRCTRD

BARABBAS / ATLANTIS CHRONICLES

THE DISTANCE / JAMES BALDWIN / NEGUS

LE PETIT BAIN / PARIS XIII° / 16 – 09 – 2016
REZILLOS

Le résolu des Rezillos

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S’il est bien un groupe qui peut prétendre à la couronne de roi des groupes énergétiques, c’est bien les Rezillos. Ces Écossais sont arrivés dans le rond du projecteur en pleine vague punk et quarante ans après, ils sont toujours là, en parfait état. En tous les cas, Eugene Edwards et Fay Fife sont toujours aux commandes de cette belle silver rocking-machine.

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On savait que leur concert parisien allait être un événement, car ils venaient d’enregistrer un superbe album, Zero. On y trouve un véritable coup de génie intitulé «Life’s A Bitch» - Got out for a ride/ Get hit by a truck - comme chez les Cramps dans «Let’s Get Fucked Up». Fay chante ça à l’aune du meilleur stomp écossais, elle est sans illusion - Life’s a bitch/ Then you die/ I don’t know why/ I don’t know why - On a là du grand art. C’est aussi Fay qui tape «She’s The Bad One» en B à la dramaturgie. Quelle belle compo de pop ambitieuse ! C’est même complètement inespéré de la part d’un groupe aussi nettement catalogué. On les connaît pour leur ardeur combative et leur jumping blast, mais pas pour ce genre de petite merveille encorbellée. Eugene et Fay se partagent le morceau titre, ils adressent des reproches à l’anti-héros - You are really something/ Even though you’re nothing - Curieusement, ils ont pas mal de cuts qui sonnent comme ceux des deux premiers albums de Blondie, à commencer par «Song About Tomorrow». C’est même quasiment la même voix et la même lumière. Même chose avec «N°1 Boy». On se croirait dans Plastic Letters. Les trois derniers cuts de la B sont tout simplement spectaculaires. Ils reviennent à leur son de 1978 dans «Nearly Human», avec une belle dégelée d’accords sautillés et un texte à vocation comique. Encore du Rezillo Sound avec «Spike Heel Assassin». Ils renouent avec la veine trépidante et enjouée, merveilleusement vivace et racée. Ils bouclent avec un «Out Of This World» de pulsion maximale. Cet album se hisse vraiment parmi les chefs-d’œuvre du XXIe siècle, n’ayons pas peur des mots. Ce cut vaut pour une pièce de pop pantelante qui baigne dans la joie et la bonne humeur. Ils regrimpent une fois de plus au sommet de leur grand art, à cheval sur une bassline incroyablement traversière - You’re out of this world/ So different from the other girls.

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Quel concert ! Dans un Petit Bain bien plein, Fay, Eugene et leurs copains firent feu de tous bois. Bon d’accord, Eugene a pris du volume et Fay n’est plus la jeune fille svelte des pochettes d’antan, mais elle dégage à elle toute seule plus d’énergie que n’importe quel groupe garage contemporain. Il faut la voir allumer les cuts sur scène.

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Le terme modération ne fait pas partie de son vocabulaire. Elle profite de toutes les occasions pour pulser des cuts ultra-énergétiques qui n’ont pas besoin d’elle car ils s’auto-pulsent tout seuls, mais c’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle en rajoute. Fay Fife, c’est l’anti-frimeuse, et quand elle prend des cuts de soul au chant, elle rallume le vieux flambeau du Tamla sound. Pas mal pour une Écossaise, n’est-ce pas ?

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En fait, ce qui impressionne le plus, c’est la mise en place du groupe qui continue de jouer les vieux hits spectaculaires, avec exactement la même énergie. Le guitariste Jim Brady saute dans tous les coins. Il n’est plus tout jeune lui non plus, mais il sait encore sauter en l’air sans craindre le ridicule. Et puis l’arme secrète des Rezillos, c’est aussi une section rythmique implacable, deux crânes rasés qui font tourner les cuts à cent à l’heure. On put enfin voir jouer la ligne de basse de «Flying Saucer Attack». Chris Agnew tricotait ça des quatre doigts de la main gauche, évidemment. Il s’agit certainement de l’une des basslines les plus véloces de l’histoire du rock. Ce mec est avec John Entwistle le bassman le plus spectaculaire qu’il m’ait été donné de voir jouer sur scène.

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Ils font une reprise de «River Deep Mountain High» assez démente et en rappel, il reviennent balancer un «Glad All Over» du Dave Clark Five qui met fin à toutes les velléités de commentaires. La grande force des Rezillos, c’est qu’ils ne supportent par l’approximation, et par conséquent, ils se placent au dessus de tout soupçon, comme dirait Elio Petri.

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Rien de surprenant au fond, car leurs antécédents sont irréprochables. Leur premier album, Can’t Stand The Rezillos a pour particularité de ne contenir aucun déchet. Dès «Flying Saucer Attack», le grand Mysterious nous embarque vite fait bien fait à la vitesse de la lumière sur sa bassline aérodynamique. Fay Fife et Eugene chantent à la régalade et l’admirable Jo Callis place de jolis solos concis. Leurs deux mamelles sont une énergie considérable et une précision cabalistique. Dans «Somebody’s Gonna Get Their Head Kicked In Tonight», Eugene se comporte comme un shouter de grand cru. On se régale des chœurs de rêve de Fay dans «2000 AD» et «Can’t Stand My Baby» se révèle alarmant de jus qualitatif. L’un des points forts des Rezillos, c’est le choix des covers. Sur ce premier album, ils rendent un hommage tonitruant au Dave Clark Five avec «Glad All Over». Ils sont dessus, avec le sautillant de leur énergie considérable. On a même l’impression qu’ils font des étincelles. Eugene chante «I Like It» à l’aristo des highlands, au milord des bas-fonds d’Aberbeen. On reste dans l’infernal brouet pop-punk avec «Cold Wars» que Fay embarque au paradis. Ils terminent avec une violente rasade de boogaloo, «Bad Guy Reaction», grattée sec par l’immense Jo Callis. Quelle équipe de surdoués ! Voilà l’une des raisons pour lesquelles il était si difficile de prendre les groupes français au sérieux, à l’époque. Qui jouait comme ça en France ? Absolument personne.

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L’année suivante sortait leur deuxième album, le fameux Mission Accomplished qui est un album live. On y trouve trois énormes reprises, à commencer par «Land Of Thousand Dances», embarquée au drive et explosée en plein vol. Ils enchaînent avec une version incroyablement garage d’«I Need You» et plus loin, ils rendent un hommage spectaculaire aux Sweet avec «Ballroom Blitz». Rien qu’avec ces trois titres, on frise l’overdose. Mais attention, ce disque recèle d’autres fringantes énormités, comme ce «Destination Venus» de clôture, monté au pounding de grosse caisse. Ils nous invitent à partir en voyage dans l’espace, alors on y va. Pas de problème. On s’assoit à côté de Fay. Elle est craquante. Ils jouent vraiment ce cut au pounding supra-normal. On assiste même au retour du groupe après un faux départ. Quelle santé ! Et dans «Mystery Action», Jo Callis fait un carton éhonté. C’est un vrai Scot, il joue en kilt. Dans «Thunderbirds Are Go», Simon Templar joue une bassline traversière et comme Fay et Eugene chantent ensemble, on se croirait dans les B52s. Encore de l’énergie à revendre dans «Cold Wars», juteux et joué à la grande échevelée. Saura-t-on dire un jour à quel point les Rezillos étaient bons ?
En 1980, Eugene Edwards et Fay Fife décident de continuer et le groupe se transforme en Revillos. Leur traversée du désert s’illustre par six albums dans lesquels on retrouve bien sûr le dynamisme qui fit le charme de la première mouture.

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Sur la pochette de «Rev Up», on les voit costumés en créatures Sci-Fi. Ont-ils inspiré Zolar X ? Leur batteur est un sosie de Billy Idol. On trouve deux hits en B, «On The Beach» (ambiance à la Shadow Morton, avec du vent, le ressac et une basse énorme embarque la voix de Fay - complètement envoûtant, un vrai coup de génie) et bien sûr l’immense «Motorbike Beat» - Me and Mister CC - complet avec les coups de gaz, vroarrrr, le mec qui sent le cuir et l’avalage de bitume, et cette lourdeur si caractéristique avec laquelle les motos anglaises s’élancent. C’est un hommage à la culture biker britannique qui ne doit rien à l’américaine. Les bruits des moteurs, les façons de conduire, le design des engins, tout est complètement différent. On trouve d’autres jolis cuts sur cet album comme par exemple «Juke Box Song» chanté à deux voix effrénées, comme au temps béni des Rezillos, ou encore «Voodoo» quasiment rockab quant au beat. Cut brillant, monté au voodoo stomp et bien articulé sur les breaks du wannabe de Billy Idol. «Bobby Come Back To Me» sonne comme un hommage aux Shangri-Las et on se régale de «Scuba Boy Bob», rythmé ventre à terre, fruité de frais et poppy à gogo.

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Sur Attack paru en 1982, Eugene et son gang de futuristes continuent d’explorer les coulisses du sci-fi rock avec «Snatzomobile». Ils y déploient une énergie qu’il faut bien qualifier d’explosive. Fay rôde dans les parages. Voilà encore un cut dynamique et moderniste, avec du son à la palanquée. On les sent tendus et déterminés, prêts à s’amuser coûte que coûte. Fay chante comme une gamine en plastique. Dans «Graveyard Groove», Eugene annonce la couleur - Gotta ejaculate in the graveyard - Et puis, il y a ce hit fondamental, «Love Bug», Fay s’y montre une fois de plus brillante. Elle fait sonner ce cut comme un hit des Supremes et l’explose avec des chœurs schyzoïdeaux. Wow, ça bat Tamla ! Quelle puissance ! Ils font un joli coup de Diddley beat avec «Man Attack» et Fay retape «Midnight» au beat du Brill. Elle s’y prend comme une star et ça vire à l’effarance de la prestance. «Do The Mutilation» sonne comme de la pop franche du collier et «Caveman Raveman» repose sur une tension maximale, car joué aux tambours africains. Magnifique de primitivisme ! Ça relève même de l’hypo dans la douleur. Encore de la magnifique pop de Fay avec «Your Baby’s Gone». Elle sait la traîner, sa pop. Il faut bien parler ici de pop craze.

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Si on apprécie particulièrement les duos d’enfer, alors il faut écouter Live And On Fire In Japan paru en 1995. Eugene et Fay sonnent un peu comme les B52s du premier album. Fay fait les rev up. Ils sont excitants et bardés de dynamiques internes. Fay craque et Eugene fait wouahh ! Autre pure merveille, «The Friend», embarqué à la pulsion maximale, c’est chevillé au corps du mandrin, Eugene le démon fait des siennes et Fay vole à son secours avec de la pop plein la bouche pour le refroidir. C’est franchement monstrueux. Tout est bien sur ce disque. On a le meilleur boogaloo d’Écosse avec «Bongo Brain». Fay fait fissa sur «Rock-a-Doom». Eugene agit en conteur d’exception sur le fameux «She’s Fallen In Love With A Monster Man» qui les a rendus célèbres. Fay se révèle en tant que chanteuse d’exception sur des classiques pop comme «Where’s The Boy For Me», ou encore «Bitten By A Lovebug». Elle drive ça seule, en vraie petite reine d’Angleterre, pas avare de ses avantages, capable de monter toute seule au créneau. On la retrouve dans «Baby Come Back To Me», cup pop ancré dans l’univers Shadow Morton/Shangri-Las. Elle s’y prélasse les bras en croix. Les Revillos jouent sur la brèche permanente, comme on le voit avec «My Baby Does Good Sculptures» qui date de la première époque. Ils jouent ça sous le couvert du beat avec une classe effarante. Et Eugene reprend au guttural son vieux chant de guerre, «Somebody’s Gonna Get Their Head Kicked Up Tonight». Ils font littéralement gicler l’énergie. Splish splash !

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Encore du gros fretin sur Attack Of The Giant Revillos qui date de 1995. «Man Attack» sonne comme un hit de Bo. On a là le Diddley beat du futur. On peut être certain que Bo aurait adoré ça. On trouve aussi sur ce disque la version studio de «Bongo Brain», un deadly hit de prime abord. Eugene sonne comme les Equals, c’est le même tempo - What’s your name ?/ Bongo Brain ! - On tombe plus loin sur un véritable hit de soul, «Mad From Birth To Death», chanté à deux voix et poundé comme à l’aube des temps. Quelle belle énormité ! C’est normal puisque monté sur le riff de basse de «Keep On Running». Ils profitent de «Graveyard Groove» pour redéconner avec le gonna ejaculate in the graveyard groove - On entend aussi Eugene aboyer sur le beat jungle de «Caveman Raveman». C’est aussi sur cet album que se trouve la version studio de «Bitten By A Lovebug» que Fay emmène dans les étoiles. Elle semble vraiment régner sur la pop anglaise. Et avec «Midnight», elle revient à sa chère ambiance Shangri-Las. Chimérique !

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Les albums live des Revillos permettent de mesurer leur niveau d’hyperactivité. Totally Alive fait partie des grands disques live de l’histoire du rock, ne serait-ce que pour l’effarante version de «Motorbike Beat» jouée ventre à terre. On trouve aussi sur cet album une version explosive de «Glad All Over» du Dave Clark Five. C’est joué à l’avalée, soutenu par des chœurs de rêve. Autre pure merveille, «Can’t Stand My Baby», où on voit Fay tenir le taureau par les cornes. C’est joué, beaucoup trop joué. Ils reprennent aussi leur vieux «Flying Saucer Attack», hit fatal bardé de remontées d’instrus et de panache d’accords d’Écosse. Démentoïde ! Ça va même un peu trop vite. Ce sera leur seul défaut : le trop. Cet album explose dès le premier cut, «Mystery Action». On prête aussitôt allégeance, pas moyen de faire autrement. D’autant qu’ils balancent des chœurs de Dolls dans leur pétaudière. Et un solo de dingo balaie la pauvre Fay. Ils vont encore trop vite avec «Getting Me Down» qui sonne comme une croisière en enfer. C’est quasiment du Dr Feelgood allumé au speed. Ils allument aussi «Manhunt» au riff vainqueur et un drive de basse embarque tout le monde pour Cythère. Ils s’auto-explosent de classe. Fay emmène «Crush» au trot. Elle fait sa Blondie et se fourvoie, mais on lui pardonne. Attention, un album live des Revillos n’est pas de tout repos.

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Le dernier album des Revillos s’appelle Jungle Of Eyes et s’il laisse un souvenir, ce sera surtout pour «Love Bandit», que Fay chante en parfaite Soul Sister, avec une ténacité qui en dit long sur la pertinence de son grabbing. C’est tout simplement exceptionnel de véracité. Fay nous fait de la soul à l’Écossaise, une soul nerveuse et bien cambrée sur ses chœurs virulents. Fay fait aussi un festival dans «Guilty In The First Degree». Elle l’attaque d’une voix chaude et roule des r de romanichelle des Highlands. Ils reprennent de vieux hits comme Lovebug ou Man Attack, mais il vaut mieux écouter les versions live. Ils jouent «Call Me The Cat» au tribal de boogaloo. Eugene semble hélas céder aux sirènes de la mode. On entend même du synthé dans «The Vampire Strikes». Ils sauvent l’honneur avec «Trigger Happy Jack», cut de comic boogaloo digne des Rezillos - Gun powder essence/ A degenerate mental case - Bel étalage de paroles de balistic blasted maniac ouh-ah !/ A delinquant with a scar ouh-ah !/ Case hardened hoodlum comatose killer man/ Got a total disregard for human life - Eugene charge bien la barque.


Signé : Cazengler, le grazillo

Rezillos. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 16 septembre 2016

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Rezillos. Can’t Stand The Rezillos. Sire 1978
Rezillos. Mission Accomplished... But The Beat Goes On. Sire 1979
Revillos. Rev Up. Dindisc 1980
Revillos. Attack. Superville Records 1982
Revillos. Live And On Fire In Japan. Vinyl Japan 1995
Revillos. Attack Of The Giant Revillos. Receiver Records Limited 1995
Revillos. Totally Alive. Sympathy For The Record Industry 1998
Revillos. Jungle Of Eyes. Captain Oi 2003
Rezillos. Zero. Metropolis 2015
De gauche à droite sur l’illusse : Jim Brady, Fay Fife, Eugene Edwards, Chris Agnew, Angel Paterson.

LA CITROUILLE / CESSON / 24 – 09 – 16

WILD PIG FEST # 3

BLACK BOX WARNING
WILD MIGHTY FREAKS / FRCTRD
BARABBAS / ATLANTIS CHRONICLES

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J'avais prévu Guido and the Hellcats à Troyes. Trois ans depuis ma première rencontre avec Guido. L'avait seize ans alors et les Megatons l'avaient laissé joué tout seul durant leur inter-set. Ne s'était pas dégonflé avec sa drap jacket et sa guitare et l'avait envoyé une bonne dizaine de classiques. L'est passé de l'eau dans la Manche depuis cette soirée... L'a grandi et l'a formé son propre groupe. Devait passer au 3 B, mais l'Histoire en a décidé autrement. Passeport périmé, les britishs doivent montrer patte blanche pour mettre le pied sur le continent. Pour Guido rendez-vous est pris pour le quinze avril 2017. Pour itou m'a fallu improviser le plan B. Pas besoin d'aller très loin, à moins d'une heure de teuf-teuf le troisième rendez-vous de l'association Wild Pig Music. Petits cochons de lait tout mignons, tout bons, gare à vos grandes oreilles sensibles ! La wild Pig Music est réservée aux sangliers aux défenses de fer !
La Citrouille est une petite salle à peu près ronde d'où l'appellation contrôlée supposons. N'a pas poussé toute seule dans son champ, l'est entourée de deux menus potirons qui servent pour l'un de bureau, pour l'autre de salle, que l'on imagine polyvalente, qui ce soir fera office de bar à bière. Cinq groupes, cinq euros. Le genre de dumping social qui me botte. Ouverture des portes à dix neuf heures, mais les musiciens sont en train de déguster leur part de pizza. A ce tarif, on ne pas leur offrir les agapes d'un Beggars Banquet à la Stone ! D'ailleurs à peine vingt minutes plus tard début des hostilités. La scène est vaste, occupe facilement un quart de la surface totale qui peut avaler jusqu'à deux cents personnes. Quorum qui ne sera atteint qu'au trois-quarts. Tant pis pour les absents qui ont toujours tort.

BLACK BOX WARNING

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Sont trois. Batterie en retrait à gauche. Bassiste imposant au centre. Guitare à droite. Pas nombreux pour le bruit qu'ils vont produire. L'on aurait dû se méfier de l'avertissement sur la boîte. Deuxième apparition publique, à peine vingt minutes. Mais aux âmes trempées dans le sludge la valeur ne dépend pas du nombre de quarts d'heure alloués. Déferlement de boue noire en ouverture de la soirée. Tout repose sur le batteur. Les deux autres ne font que suivre. Le bassiste tranquille, genre de gars que rien ne surprend. Fournit l'onde de fond. Une avalanche de glace noire peut lui passer dessus, l'on se demande s'il l'a remarquée. Rien ne l'émeut. L'émet son ondulation comme la balise de sécurité de l'avion englouti au fond de l'océan signale le lieu de la catastrophe. Ne compte pas les morts, fait son job avec une placidité mortelle. Pour le guitar égoïne amplifiée, c'est un peu plus complexe, doit être dans l'exact prolongement du tohu-bohu qui déferle sur lui. Son rôle est simple, accentuer la glissade, la rendre davantage vrombissante et tranchante afin qu'elle déferle sur le public avec la délicatesse d'une épée qui vous coupe délicatement en deux.
Retournons au fautif. L'a des lunettes et des baguettes. Si vous ne l'avez pas remarqué c'est que êtes à l'article de la mort. Pas de soucis, ceux qui n'entendent que lui en sont au même stade. Ultime. L'a aboli l'interrogation métaphysique du batteur. Et maintenant je tape sur la caisse claire ou sur le tambour ? Frappe sur les deux en même temps, parfois il peaufine un léger décalage, ce que l'on appelle le décervelage en deux temps. Pour la grosse caisse, tirs ininterrompus et en continu. Le pire c'est quand ça s'arrête. Parce que ce n'est pas fini. Ce n'était qu'une ruse. Reprend le bombardement à outrance, un morceau de rock c'est comme le fameux Livre de Mallarmé, qui ne commençait ni ne se terminait, et qui tout au plus faisait semblant. En plus vous adorez. Votre corps dodeline à ce rythme assourdissant, fermez les yeux, un troupeau de pachydermes avance à pas pesants. La terre tremble, vous auriez dû vous reculer. La première des gigantesques bestioles vous a saisi dans sa trompe et expédié en l'air. Vous avez la colonne vertébrale cassée en deux. Vous souriez d'aise, vous êtes à l'abri d'un nouveau danger puisque vous avez atterri tout en haut, hors de portée, dans le feuillage du palmier-dattier ( pour sûr dans votre fauteuil roulant vous vous souviendrez de la date ), vous croyez être sauvé, mais un deuxième animal arrache de son appendice nasal le tronc de trente-cinq mètres tout au haut duquel vous aviez trouvé refuge et le lance négligemment dans le marigot boueux infesté de caïmans affamés avec la facilité de Tante Agathe jetant un mince spaghetti qui ne lui avait rien fait dans la marmite d'eau bouillante.

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Le public échaudé ne craint pas l'eau froide. The Black Box Warning emporte, l'adhésion, c'est à son tour de plier sous la bronca des applaudissements et des hurlements frénétiques. C'est comme cela que l'on aime les premières parties. Vous servent largement et ne laissent rien pour les autres. Un rock minimal, frustre et efficace à deux cents pour cent. Ce médicament n'est pas remboursé par la sécurité sociale. Heureusement, sans quoi vous seriez immuno-dépendant tout le restant de votre vie.

WILD MIGHTY FREAKS

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Z'ont dû réfléchir salement à la programmation, après un caterpillar de cette cylindrée, faut occuper les esprits avec un autre genre de confiture. Changement de style pour tromper l'ennemi. Ce sera Wild Mighty Freaks. N'y a qu'à les voir avec leurs capuchons sur la tête pour comprendre que l'on a changé de cité. Du métal certes, sans quoi ils n'auraient pas été de la fête, mais bouturé au hip-hop. Une nouvelle hybridation qui se révèle prometteuse.
Sont quatre mais ont tous regagné les coulisses. Ne reste que Yaboy, trifouille son ordi avant de s'asseoir sur le devant de la scène. Pose cool. Le gars flegmatique qui ne sait pas trop quoi faire en sa vie sinon téter au goulot sa bouteille de Jack Daniel's. Se donne une apparence de nonchalance désabusée mais l'on devine qu'il doit savoir bouger son corps longiligne et que derrière cette impression désabusée l'esprit est en éveil et habitué aux ripostes verbales acides. L'est rejoint par ses trois acolytes qui ne se pressent guère. Portent tous un masque, rehaussé d'un maquillage outrancier. Beurre noir, blanc cadavérique, rouge sang. Ni Kiss, ni Alice Cooper, plutôt bad boys revenus d'une explication tuméfiante et qui entendent garder l'anonymat. Tonton est aux drums. Flex à la guitare et Crazy Joe au micro. Alternent les séquences, chant et musique. Hip-hop pour déclamer. Métal pour souligner et appuyer. Genre l'on vous l'enfonce dans le crâne, afin que ça y reste incrusté à jamais. Peut-être fut-il dénommé Flex à cause de ses soli flexibles. Quand c'est à son tour de monopoliser l'attention, il ne lâche pas facilement sa proie, poursuit les notes sur les tonalités aigües. Exactement comme à la morgue quand le toubib vous scie la boîte crânienne pour vérifier si vous avez un cerveau. Qu'il ne trouve pas d'ailleurs, mais ceci est une autre histoire.

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( Photo : Laura Lazurite )

Bref Flex sait se servir d'une guitare et chacune de ses interventions sera saluée comme il se doit. Mais les Freaks ne se contentent pas de jouer ou de chanter. Z'ont tressé une autre corde, solide et résistante. La danse. Crazy Joe et Yaboy détestent les temps morts. Ce fou de Joe coule à flow, Yaboy aussi, mais se contente du minimum. Joe vous récite un paragraphe de vingt lignes et Yaboy se contente de répéter un mot. Esquisse un vague geste de la main, comme s'il se retenait à l'air pour ne pas tomber. Un seul vocable mais asséné au moment précis où son absence serait une faute. Vous partage en deux, faut-il s'émerveiller du professionnalisme des acteurs ou céder au côté burlesque du phénomène ? Voyez par vous même. Cela n'est rien comparé aux subtiles chorégraphies qui suivent. Quand Tonton tamponne sa caisse pour accélérer le rythme, nos deux étoiles se mettent à briller de mille feux. Crazy Joe s'embarque dans une espèce de danse du scalp échevelée et aussitôt sec Flex, avant de repartir titiller sa programmatique MAO,vous en offre la pantomime. Exactement les mêmes gestes, sans un écart de nano-seconde, le même et le semblable, le miroir qui renvoie son propre reflet. Parfaitement au point. Au petit doigt près. Impromptu mais pas improvisé. Parfaitement au poing. Frères jumeaux de la rue. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Un show élaboré qui n'est pas sans rappeler les spectacles itinérants des noires troupes de black faces des Etats Unis dans les débuts du précédent siècle. Festif et violent, une couche de hip-hop, une épaisseur de rock'n'roll et un nappage de métal. Le millefeuille se déguste brûlant. Public enthousiasmé. Font un carton.



FRCTRD

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C'est comme en hébreu, ils ont enlevé les voyelles. Prononcez Fractured. Ont juste gardé le bruit. Un drôle de son, entre pavés de facture sociale et friture de fracture musicale. Genre Djent. Du core à core. Avec soi-même. FRCTRD produit une musique qui se suffit à elle-même. Un scorpion qui ne trouve personne à piquer finit par retourner son dard contre lui-même. Un art d'auto-mutilation. A peine avez-vous produit un riff que tout de suite vous songez à le couper en morceaux. Faut le tordre, le cisailler, le concasser, le réduire, le distribuer en une nouvelle combinaison, aucune note ne sortira entière de l'aventure. Cinq sur scènes, Vincent est au chant, foulard de pirate rouge sang vermeil d'abordage sur la tête et les deux gros anneaux dorés aux oreilles qui vont avec. Ne chante pas, il screame, il howle, il glisse du son sur les brisures opérées par les quatre autres forbans. L'on ne peut parler d'individualités, la musique est trop complexe pour laisser à tout un chacun le droit de tirer la couverture sur son quant à soi. Doivent avoir l'oeil et l'oreille aux aguets, attentifs à tout son émis par le reste de l'équipage. Ne rien laisser passer sans le renvoyer aussitôt sur le bord de la route. Toute note doit être encastrée, enkystée, défenestrée, FRCTRD ne recherche pas le chant du cygne mais le coassement des corbeaux plutoniens. Un seul titre suffit à définir leur entreprise. Négative. Pas d'harmonie, mais le déroulement exact de son manque.

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Symptomatique la basse de Maxime, davantage de cordes comme pour fractionner encore plus l'amplitude sonore. Deux guitares, Filip et Clément, chacune oeuvrant ensemble dans la césure de l'autre. Musique de choc et de bris, des allures barbaresques, mais qui s'apparente à de la mathématique pure. Semblent traiter une équation monumentale. Un problème à résoudre. Le drame du métal qui se fait hara-kiri pour mieux étinceler de sa splendeur métallique. Musique savante qui s'enroule sur elle-même pour mieux cristalliser la teneur de sa déliquescence. Une auto-évaporation perpétuellement concrétisée par son effort à rejoindre l'essence de son émission. FRCTRD rejoint certains vertiges de la New Thing. Ne sont pas issus de ce courant, mais des chemins partis de provenances opposées finissent un jour par se croiser.

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Font un tabac, preuve que les fans de métal ont des oreilles pointues et capables d'auditionner de multiples possibles. Pour ma part j'eusse aimé qu'ils aient pu bénéficier d'un peu plus de volume sonore. Musique gravitationnelle, comme ces étoiles qui s'effondrent sous leur propre masse. Applaudissements sans fin.

( Photos 2 & 3 : Laura Lazurite )

BARABBAS

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Changement de décor. Finies les intellectualités pures. Place au cirque. L'est temps de faire coucou au diable. Barabbas est de retour. Sont en train de fignoler la balance et j'éprouve une légère déception. Me manque un truc. Vu de si près le groupe souffre de déficit de charisme. L'est bêtement humain. Que se passe-t-il ? Où est passée cette sensation de démesure grandiloquente qui m'avait séduit à l'Empreinte de Savigny ( voir KR'TNT ! 243 du 09 / 07 / 15 ) ? Commencent à jouer, tant pis je ferai avec. C'est alors que je m'aperçois de mon erreur car brusquement tout s'illumine. La lumière survient. Y avait une pièce en moins au puzzle, et la voici. Le cinquième élément éthérique, indispensable à ceux qui veulent connaître l'envers des choses et de la vérité, s'extrait des ténèbres impénétrables des back stages. Impressionnante silhouette, le chaînon manquant, qui s'empare du micro et qui distribue aussitôt la bonne parole. Sa Sainteté Rodolphe, colosse aux pieds agiles qui martyrise son micro, parmi nous, en son ministère, comme par miracle la zique devient plus sourde, plus lourde, elle nous écrase, nous doomine.

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Le rock est un opéra de carton-pâte, une suite de clichés repeints à la peinture fluo, du faux, du toc, du toc-toc, mais rigoureusement authentique. Toute la génialité réside en cette infime différence entre la réalité et son énonciation. Suffit de donner l'apparence d'être convaincu pour vaincre. Barabbas c'est la caricature qui périme le communément admis. Un chanteur qui mugit comme un taureau que l'on conduit au sacrifice et quatre musiciens qui nous servent les grandes orgues des hécatombes au fond des catacombes. Nous embarquent en une vaste fresque pour une espèce de rituel hérétique et maudit. Nous avons droit à la grande révélation que le public subjugué récite à son tour comme un mantra ensorcelant. Judas était une femme. Ce qui tout de suite présente sous un jour nouveau le fameux baiser de Judas et explique peut-être la coupable faiblesse du rejeton de Dieu envers la nature de ce si spécial adepte... Bousculade au portillon des idées reçues. Mais ne nous égarons point en des voies beaucoup trop réflexives. Laissons-nous entraîner par les envoûtements musicaux apporté par le groupe.

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De véritables magiciens, vous mènent par le bout du nez en des contrées que vous n'aborderiez seuls par vous-même. Saint Rodolphe descend dans le public et s'en vient murmurer son blasphème à l'oreille des filles, qui ont l'air d'apprécier, pour les garçons et toutes les autres il reviendra, le graal de houblon malté à la main, et le geste auguste pour baptiser les impétrants. Au cas où vous auriez échappé à cette sainte onction, de retour sur scène, vous assisterez au miracle dde l'aspersion du crachat changé en pluie de bière que les premiers rangs reçoivent sans déplaisir. Le rock est en perpétuelle accointance avec le sacré, Barabbas possède le secret des remembrances originelles, nous fait le coup du bonneteau diabolique. N'y a rien dans les trois godets que vous soulevez, mais durant tout le temps du jeu, vous y avez cru et métamorphosé le vide des désillusions en un sentiment de jouissance suprême. Ovations du public. Barabbas empoche la mise. Tout est consommé.

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( Photos : Fabrice Dci )

ATLANTIS CHRONICLES


« Là s'étendait Atlantis ! Des Hauteurs qui Place Mage, nous avaient emportés vers les lumières victoriales, nous tenions une sapience ouranienne, légère, héliaque et royale, issue de cette transparence antérieures qui contenait tout ; et c'est ainsi qu'un ressouvenir bouleversant nous submergea, nous portant comme une vague bienfaitrice sur le sable sec et doux de la mémoire enfin retrouvée. Mais ce jour-là l'ombre était claire. Nous regardions le ciel à travers les feuillages, nous écoutions les floraisons du silence, ses couronnes perpétuelles et le zénith, doublement ailé, tombait lentement sur la mer et les oliveraies d'Atlantis. »
Excusez-moi de vous arracher à votre contemplation. Mais il se fait tard, c'est le dernier groupe. Désolant de constater que la majeure partie de l'assistance a profité de l'inter-set pour s'en aller. Permission de minuit ou dernier autobus ? Atlantis Chronicles remerciera à plusieurs reprises le dernier carré. Pour ceux qui voudraient continuer la lecture, le texte est de Luc-Olivier d'Algange. Ne l'ai pas recopié par hasard, mais pour surseoir à l'étonnement qui m'a saisi au début de la prestation du groupe.

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( Photo : Laura Lazurite )

Cinq sur scène. Bibent le chanteur au centre tout devant. La musique s'élève et Bibent est au micro. Me faudra quelques minutes pour intuiter. La voix me semble lointaine, j'attends qu'à la console l'on pousse la targette adéquate. Mais non rien. Je comprends enfin. Ce n'est pas chanteur + un groupe, mais un groupe qui joue à l'unisson, les cinq contributions phoniques étant traitées au même niveau. Point par un parti pris d'égalitarisme théorique forcené. Mais pour ajouter au mystère du dire. La voix n'est qu'un instrument parmi les autres, totalement fondue en la matière sonore. S'installe ainsi une aura de mystère légendaire. Le son est fort, véhicule les légendes perdues, ne les décrypte pas. N'explicite pas. A chacun de se laisser emporter sur les ailes du rêve. La musique en dit plus que les mots. Révèle des sortilèges. Vous entraîne sur des sentes merveilleuses et héroïques. Bibent ne crie pas, il module sa raucité, tout l'accompagnement musical semble porter et s'appuyer sur sa voix qui ne plie pas. Le crépuscule tombe sur la terre, s'étend sur son immensité mais le manteau herbu ne s'effondre point sous ce fardeau de pénombre accablant. Atlantis Chronicles rouvre les anciens grimoires d'où surgissent d'antiques secrets. Une symphonie romantique aussi belle qu'un tableau de Caspard David Friedrich. Crescendo, sans arrêt, tout au long du set la musique s'alourdit et se complexifie mais la voix suit la même courbe ascendante tout en restant au même diapason. Un tour de force qui doit demander une satanée technique vocale, debout sur les retours Bibent est la figure de proue qui taille la route pour le navire qui file avec lenteur vers les portes oniriques et océanes. Un dernier morceau comme une ultime escale... Atlantis Chronicles a refermé le livre et la nef de cristal disparaît dans les confins du songe entrevu. Un rêve de beauté qui s'achève...

The Wild Pig fEST numéro 3 a tenu ses promesses. Une programmation gérée de main de maître.


Damie Chad.

 

THE DISTANCE
RADIO BAD RECEIVER

THANK YOU FOR NOTHING / MESMERISE / HOW LONG BEFORE THE BLEEDING STOPS / RADIO BAD RECEIVER / NASTY LIGHT / THE UNCONSCIOUS SMILE / TROUBLE END / MORE THAN SERIOUS / PERFECT THINGS / INSOMNIA / ALONE / DON'T TRY THIS AT HOME

Mike : guitare & chant / Sylvain : guitares / Duff : basse / Dagulard : batterie.
Sortie : avril 2016 / NAB 1604

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Y avait eu le EP auparavant, chroniqué in KR'TNT ! 276 du 07 / 04 / 2016. Nous avait enthousiasmé. Voici l'album qui reprend quatre des cinq titres de l'EP. Même pochette cartonnée extérieure, noire au profil squelettique de biche qui n'est plus au bois ni aux abois. Une préfiguration de nos futures irradiations, soulignées par la minuscule virgule crânienne, une espèce de contre-marque blanche renversée – tels les premiers alphabets mésopotamiens - sur le fond noir létal. Signe de deuil, signe de seuil. Double photo couleur en intérieur. Le groupe en un décor gothique, autour de la chaise curule pour bébé. Pas tout à fait la même que celle que l'on vous offre dans les restaurants, à comprendre comme une gravure alchimique de la vie issue de la mort. Rabattez le volet, The Distance en lettres rouges sur la noirceur du support.

Thank you for nothing : musique implacable avec broderie de vocal lyrique, une introduction au malheur de vivre. La batterie qui accentue les angles et les guitares qui polissent les ongles. La batterie bat le rappel. Mike entonne les présentations. Ce n'est rien mais les guitares obsédantes le rappellent c'est du rock and roll. Appuyons joyeusement sur l'accélérateur. L'on ignore au juste où l'on va mais l'on sait très bien vers quoi l'on se dirige. Nous prenons tous les risques. Mesmerise : souvenir de la maison des morts. Pas de répit. Des éclats de guitares qui vous trouent la peau, l'on déroule le parchemin des épisodes précédents pour mieux foncer en avant. Tout cri primal n'est qu'un hurlement final. Cet apologue est définitivement réversible. How long before the bleeding stops : un titre qui fleure bon les anciens blues, inutile de pleurnicher, The Distance est un groupe de rock. Vous enlève le morceau comme l'on prend une barricade. Dommage pour les insurgés, mais l'on ne gagne pas toujours. Charge de cavalerie qui emporte tout. Lorsque l'on pressent que la situation tourne mal, presser la vitesse pour dépasser la catastrophe finale est signe d'optimisme. Au bout de la nuit, l'est toujours un autre commencement, au moins une autre nuit. Radio bad receiver : Accélérations rock et rythme bluesy appuyés se succèdent en courtes séquences, un choeur de voix de secours qui arrivent en soutien, le tempo qui s'accélère, arrêt brutal. L'on ne reçoit pas obligatoirement ce que l'on attendait. Nasty light : la lumière n'éclaire que l'obscurité qui du coup paraît encore plus sombre. N'écoutez pas la voix de Mike, qui se fait douce pour mieux pour vous entraîner dans d'étranges corridors, l'ombre ne se couche jamais sur le royaume de l'incomplétude humaine. Quand le noir arbore une teinte grisâtre ce n'en est que plus déprimant. The unconscious smile : ne riez pas, les temps ne le permettent pas. Les guitares enfoncent des chevilles dans vos zygomatiques. Quand vous croyez que c'est fini, l'enfer recommence, gardez le sourire c'est tout ce que vous pouvez tenter pour faire croire que vous avez sauvé l'intégrité du château de votre âme. Trouble end : les histoires se terminent mal. Normal. Entendez la guitare au loin qui sonne comme la cloche fêlée de l'espérance, le groupe déboule avec la force d'un bulldozer. Arase tout. More than serious : lorsque tout est effacé, il ne reste plus qu'à recommencer. La voix de Mike essaie de nous convaincre mais derrière la musique nous entraîne plus loin. Un peu comme si l'image dépassait la bande-son. Perfect things : Vu la vitesse de défilement l'on est obligé de se dire que le bonheur ne durera pas éternellement. Il est inutile de décourager les bonnes volontés mais il est dangereux de marcher sur la surface de la glace déformante de votre existence. Imsomnia : le cauchemar recommence. Gardez les yeux ouverts. Les images s'impriment avec une trop grande violence dans les synapses de votre cerveau pour que vous puissiez faire semblant de les garder fermer. Les guitares vous arrachent les paupières. Dagulard frappe spasmodiquement sur sa batterie. C'est elle qui le contrôle. Hurlement de terreur. Vous avez entendu la voix de l'Innommable. Alone : un peu de répit, faut bien reprendre ses esprits lorsque l'on se retrouve face à soi-même. Paysage de cendres. Les feux sont éteints. Une guitare sonne comme des larmes qui coulent sur la joue du destin. L'on est toujours seul dans le labyrinthe du monde. Don't try this at home : Faut toujours une morale à une histoire. Inutile de rouvrir les portes intérieures. Le drame se répètera. La musique devient aussi lourde que des plaques de chagrin. Les leçons de chose sont rarement objective. La brume des amertumes recouvre tout. Les guitares tombent en flaques sur le catafalque.

The Distance nous a servi un magnifique oratorio. Un oriatoriock. L'oeuvre s'écoute du début à la fin. Piocher un morceau serait une hérésie. L'ensemble possède son architecture. La voix de Mike conte une étrange pérégrination. Nous fait visiter le domaine. Suivez le guide. N'oubliez pas de descendre dans les fondations pour admirer la machine dragulardienne qui fournit l'énergie nécessaire au fonctionnement de l'édifice. Ensuite intéressez-vous à l'étrange alliage des guitares de Sylvain + Mike et de la basse de Duff qui tissent des murs de béton. Des cloisons mobiles qui tour à tour se dressent devant vous avec l'implacabilité des monolithes égyptiens, ou s'effacent subitement pour mieux réapparaître plus loin. Rien d'aléatoire dans cet étrange décor mouvant. Une intelligence préside ce jeu d'effacement et de surgissement. Vous pensez être libre de vos déambulations mais The Distance vous mène par le bout du nez. Le rock and roll est son domaine et le groupe en connaît tous les recoins et toutes les chausse-trappes. Profite de son savoir pour en bâtir comme un décalque annonciateur de quelque chose de nouveau, au sens baudelairien du terme. Cent pour cent rock and roll, et pourtant la construction n'est pas sans évoquer l'entremêlement d'un quatuor de Bartok. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une influence, je parierais plutôt pour une intuition formelle de l'appréhension des masses sonores. Un disque qui s'écoute et se réécoute sans fin si vous vous obstinez à en trouver la clef.

Ce n'est pas un bon disque de rock and roll. C'est une avancée.


Damie Chad.


LA PROCHAINE FOIS, LE FEU

JAMES BALWIN

( Traduction : Michel Sciama
Préface : Albert Memmi )

( Folio 2855 / Mai 1996 )

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Il ne faut jamais jurer de rien. Surtout pas de l'avenir. La prochaine fois, le feu publié en 1963 était à lire comme un livre d'avertissement. Pas de menace, car si Baldwin prophétisait le pire, il indiquait une autre voie de sortie, qu'il tenait pour possiblement illusoire... Nous sommes à un moment charnière de l'histoire de la communauté noire américaine. Baldwin exprime en quelque sorte ce moment particulier où la nécessité de la violence révolutionnaire devient le point d'enjeu crucial de la réflexion des élites noires américaines. L'était temps de tirer le bilan des actions entreprises jusqu'à lors. L'écriture de ces deux courts textes réunis sous ce titre comminatoire correspond au moment exact où le mouvement noir se fractionne, l'angélisme de Martin Luther King commence à être sérieusement remis encore. Trois années plus tard, émergera de toute cette réflexion théorique le Black Panther Party qui prônera l'installation d'un rapport de forces beaucoup plus offensif. Un pistolet accroché à votre ceinture indique votre détermination. Même si vous ne vous en servez point.

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Baldwin part d'un constat simple, d'une évidence. La situation doit changer rapidement, radicalement. La jeunesse noire qui monte n'est plus prête à suivre l'exemple de leurs pères. Ceux-ci ont usé leurs forces en un combat de longue haleine. Une interminable patience, une guerre d'usure. Se sont battus centimètre par centimètre, des milliers d'anonymes qui ont peu à peu redonné dignité et confiance à leurs pairs. Mais le temps des discussions, des pétitions, et du respect servile est terminé.
La tare du racisme n'est pas celle d'une oppression impitoyable. Il est facile de lutter contre l'ennemi de l'extérieur qui vous agresse. Mais lorsque les enceintes de la citadelle sont forcées et que l'occupant a pris le commandement la situation devient inextricable. La soumission, la collaboration et la pactisation s'emparent de votre esprit. Malgré vous, vous intégrez la fatalité de votre infériorité. Le noir n'a plus confiance en lui. Il est dépossédé de sa force vitale car il admet que le blanc lui est ontologiquement supérieur. Le processus de domination est achevé lorsque le dominé donne raison à son maître. S'en prend à lui-même, rejette sur lui-même la faute de sa déplorable situation d'être humain inférieur. Processus d'auto-culpabilisation destructeur.

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Ce n'est pas un hasard si la religion chrétienne a si fortement imprégné l'âme noire. A été perçue comme un élément salvateur et par certains de ses aspects elle possède cette qualité. Vous redonne confiance en vous, vous donne la mission exemplaire de salvation de vos frères. Mais de fait elle vous enferme en vous-même. La lutte contre les démons qui vous assaillent sans cesse occupe votre temps. La religion vous confine dans la voie du salut individuel et vous empêche de participer à un combat collectif. Pour les diables qui titillent votre chair, Baldwin s'appuie sur son expérience personnelle. Entre quatorze et dix-sept ans l'a prêché tous les dimanches. Mais la pureté est une armure qui vous sépare de votre propre humanité charnelle davantage qu'elle ne vous rapproche des autres. L'amour chrétien n'a pas de sexe. La reconversion du jeune Baldwin en l'acceptation de ses instincts les moins spirituels débouche sur un corollaire idéologique de condamnation des moyens de lutte prônés par Martin Luther King. La non-violence n'est que l'autre face de la charité christologique. C'est alors qu'il est contacté par le Black Muslim d'Elijah Muhammad dont un des leaders les plus connus en Europe demeure Malocolm X même si celui-ci s'en est détaché durant les derniers mois de son existence juste avant son assassinat ( voir KR'TNT ! 290 du 14 : 07 2016 ). Baldwin n'a rien contre ces hôtes. Avoue même un préjugé favorable envers le groupe. L'est impressionné par les foules qui écoutent les discours des orateurs du mouvement. Et encore plus par l'attitude des policiers qui surveillent ces attroupements. Trop de monde, trop d'attention et de ferveur pour que les porcs puissent les interdire et les disperser sans provoquer des troubles qu'ils ne pourraient contrôler. Les flics ont la trouille. Pourtant le public est calme et pacifique. Mais il est dangereux de troubler l'eau qui dort. Une méchante bestiole pourrait en sortir. Inutile de faire des vagues.
C'est qu' Elijah Muhammad ne recherche pas la confrontation mais la séparation. Totale. Demande que soit octroyé aux noirs l'équivalent de sept ou huit états. Avec les déplacements de population nécessaires. Fait remarquer que cette thèse n'est point farfelue, elle est en parfaite corrélation avec les mouvements racistes suprématistes blancs d'extrême-droite. Chacun chez soi, le Christ pour les blancs et Allah pour les noirs. Baldwin refuse cette façon de voir. Que le racisme soit blanc ou noir, il reste un poison mortel. Pour lui l'avenir réside en le rapprochement des deux communautés. Nécessité et bonne volonté. Certes le plus gros du travail relève des blancs. Tire la sonnette d'alarme juste avant le déraillement. Sans quoi notre auteur ne répond plus de rien...

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Un demi-siècle est passé. Les premières années ont semblé donné raison à Baldwin. La montée en puissance du Black Panther Party a fait vaciller l'establishment. Pas très longtemps. Le FBI et la Justice se sont empressés de décapiter le mouvement. Le BBP s'est dégonflé piteusement comme le soufflet aux trois fromages de Tante Agathe. Mais le Système a élargi les portes de secours destinées à la jeunesse. La pharmacopée des produits illicites a été développée ce qui s'est traduit par l'émergence d'une économie parallèle qui par effet de domino a entraîné la prolifération de gangs ultra-violents. Du pain bénit pour la police. Plus ils s'élimineront entre eux, moins ils auront de boulot. En plus cette montée de la violence permet les arrestations musclées dans le profil du bon indien mort... L'a aussi instauré une séparation dans la communauté, les couches les plus élevées se séparent des moins favorisées. La bourgeoisie noire faisant de plus en plus cause commune avec l'idéologie libérale du capitalisme américain. Barack Obama est l'exemple parfait de cette intégration réussie...
Deuxième exit. Le vieux rêve américain repeint en noir. La réussite sociale. Pas pour tout le monde. N'exagérons rien, si les pauvres s'enrichissent vous organisez l'extinction des plus riches. Une mince frange, mise en exergue sur les média, la musique adoucit les moeurs et dissout la colère. Le R&B est la vitrine qui sert de miroir aux alouettes. Même le rap des cités vient faire le beau et ramasser la tune.

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En réalité les statistiques indiquent que le revenu moyen des pauvres ne comble pas l'abîme qui le sépare du minimum du seuil le plus bas de l'aisance financière... Les aides sociales sont plus que maigrichonnes. Les promesses des années soixante sont passées à l'as qui pique dur. Un lot de consolation tout de même. Il est devenu très politiquement incorrect de traiter un afro-américain ( ne pas lire un affreux-américain ) de nègre. Surtout si vous spécifiez qu'il est sale. C'est ce que l'on appelle la politique des petits pas. Qui ne permettent pas d'avancer beaucoup. Les noirs sont devenus en leur grande majorité des pauvres, des assistés, des chômeurs professionnels, des drogués. N'y voyez aucune malice, sont traités à égalité parfaite avec les mexicains, les porto-ricains, les blancs des couches inférieures et même les indiens qui ont toujours une plume de trop qui dépasse de leurs réserves.
La Prochaine Fois, le Feu sonne comme un remake de En attendant Godot. Wait and see. Mais rien ne vient. James Baldwin a lancé une grenade de désencerclement. Mais ce fut un coup plus rien. Dans l'immédiat, il y eut bien les émeutes de Wats en 1965 et l'été de la haine en 1967, près de cent trente révoltes dans les banlieues chaudes de Detroit, Newak, et autres grandes agglomérations du pays. Des dizaines de mort, mais l'ordre a fini par régner. Aujourd'hui la sinistre prophétie ne fait plus peur à personne. Nous sommes déjà à après-demain. Qui tirera les leçons de cet échec ?


Damie Chad.

NEGUS
N° 1 / Juillet 2016

Une revue noire pour les noirs par des noirs. C'est écrit en grosses lettres rouges sur la couverture : Les Noirs Prennent La Parole. Je me méfie des identités que l'on brandit comme une fin en soi. Ne suis pas plus fier que honteux d'être blanc ou français. Premièrement parce que je n'y suis pour rien. Pas de ma faute. Deuxièmement parce que je n'y peux rien. Ne fais confiance qu'aux individus. Sans oublier que souvent ce sont les circonstances qui révèlent les qualités et / ou les tares de tout un chacun davantage que le quidam ne suscite les aléas... Pour parler mathématiquement si l'on considère que quinze pour cent des blancs sont indignes du nom d'homme, je pense que vous retrouverez le même pourcentage chez les noirs, les jaunes, les rouges, les bleus et les verts. Idem pour les nationalités. Quant à l'admiration que je porte à tel ou tel individu ce n'est jamais en fonction de sa couleur ou de sa nationalité mais pour pour ses réalisations tant au niveau politique, artistique, professionnel, etc...
Négus part d'un constat simple : jusqu'à sa propre parution, il n'existait pas en France de journal dirigé, et rédigé en leurs plus grandes parties, par des noirs. Je veux bien le croire, mais la réparation de ce manque éditorial ne m'apparaît guère comme une assurance de qualité. Faut juger sur preuves. Sans oublier que si les majorités silencieuses ne se bougent guère pour améliorer leurs situations ce sont bien les minorités actives qui font avancer l'Histoire.
Sur ce, Negus est une revue qui se lit avec plaisir. Et intéressante. Bien mise en page, aérée, bien écrite. Une face A conjuguée sur le modèle afro-américain I'm black and I'm proud qui consiste à montrer les personnalités noires qui ont réussi en leurs domaines que ce soient des sommités universellement reconnues comme Mohammed Ali avec en contre-miroir les dires de Joe Frazier qui écornent quelque peu le mythe, ou des petits gars bien de chez nous comme Güllit Baku né dans le quartier du Mirail de Toulouse qui bosse dans une des plus prestigieuses agence de pub. Une de celles qui reçoit les commandes des grandes marques qui peuplent le triste imaginaire consumérial de beaucoup de nos contemporains. Une belle réussite, mais perso j'éprouve un malaise quand je pense à tous ces enfants des milieux populaires qui à force d'audace, de talent, et de travail parviennent à s'intégrer dans les élitistes de commandement ( qu'il soit privé ou public ) de la culture libérale. Chevaux de Troie ou traîtres à leur classe ? Préfère de loin l'action revendicative d'Afeni Shakur infatigable combattante et résistante des USA. Fut aussi la mère du rapper 2Pac assassiné à l'âge de vingt cinq ans. Puisque l'on est dans la sphère du hip-hop autant mentionner l'interview de Booba qui défend, avec raison, sa stratégie autonomique de production de ses propres oeuvres. L'article consacré à Obama n'est pas vraiment méchant, l'on y sent surtout de la déception. La cause noire n'a guère évolué durant ses deux mandats de président des Etats-Unis. Beaucoup pensent qu'elle a régressé.
Face B, moins visible. Un fil noir qui parcourt les différents articles. Un peu en filigrane. D'un côté Negus affirme que l'exemple du combat des noirs américains ne saurait être reproduit en Europe, car trop spécifique. Etrangement pour une revue qui espère devenir un des porte-drapeaux de la communauté noire française, mais très logiquement si l'on a quelque peu réfléchi à la problématique politique, les espoirs se tournent vers l'Afrique. Non pas les chefs d'état africains actuels véreux et à la solde des multinationales blanches, mais vers le vieux rêve de l'unification de l'Afrique, ce pan-africanisme dont un Patrice Lumumba reste un des héros. Assassiné comme il se doit. Une belle idée qui pour l'instant reste remisée sur l'étagère poussiéreuse des utopies irréalisables. En tout cas ce n'est pas gagné d'avance. Suffit de jeter un coup d'oeil sur les pays arabes pour juger du naufrage du pan-arabisme pour être certains que les élites des pays occidentaux préfèrent le morcellement chaotique de leurs anciennes colonies à des unités supra-nationales maîtresses de leur destin...
Un bel avenir réflexif s'offre à Negus. Peut aussi choisir de surfer sur le clinquant des réussites sociales personnelles qui sont comme les derniers baobabs qui cachent la destruction des forêts équatoriales mises en coupe réglée par nos multinationales chéries. Difficile pour l'instant de prédire le chemin futur qu'empruntera la revue. Ses rédacteurs ont l'air de posséder des idées plus acérées qu'il n'y paraîtrait si l'on se donne la peine de lire entre les lignes. La seule méthode de lecture digne de ce nom.
Le numéro deux serait en préparation, tarde quelque peu, l'est attendu par beaucoup. Une initiative à soutenir.


Damie Chad.

 

 

21/09/2016

KR'TNT ! ¤ 295 : CHPIS MOMAN / FRANTIC ROCKERS / THE DISTANCE / NAPALM DEATH / JIM TULLY / JAMES BALDWIN / JOHN LENNON

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

, Chips Moman, Frantic Rockers, THE DISTANCE + Napalm Death + l'empreinte + JIM TULLY, JAMES BALDWIN, Marie-Hélène Dumas + JJohn Lennon,

LIVRAISON 295

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

22 / 09 / 2016

 

CHIPS MOMAN / FRANTIC ROCKERS /

THE DISTANCE / NAPALM DEATH /

JIM TULLY / JAMES BALDWIN / JOHN LENNON

UN MOMENT CLE

, Chips Moman, Frantic Rockers, THE DISTANCE + Napalm Death + l'empreinte + JIM TULLY, JAMES BALDWIN, Marie-Hélène Dumas + JJohn Lennon,


— Chip quoi ?
— Chips Moman !
— Non ça ne me dit rien...
Le Professor Von Bee et moi avions cette conversation l’autre nuit sur l’autoroute, en rentrant du concert des Rezillos. Il n’avait jamais entendu parler de Chips Moman et pourtant, un peu plus tôt dans l’après-midi, il me faisait écouter une compile Kent consacrée à Dan Penn qui venait tout juste de paraître.
C’est vrai que Chips Moman est passé un peu à la trappe, en France. Aux États-Unis, Chips est une légende, au même titre que ses vieux copains Dan Penn et Spooner Oldham. Enfin, était, car Chips vient de casser sa pipe et on lui doit bien un coup de chapeau, pas vrai ? Au moins pour deux raisons : les deux hits co-écrits avec Dan Penn, justement, «The Dark Side Of The Street» qui fut un hit pour James Carr, autre légende à roulettes, et «Do Right Woman Do Right Man» qui fut un hit pour Aretha.
C’est l’histoire de ce hit écrit pour Aretha qui est marrante.
Il faut remonter un peu dans le temps, jusqu’en 1966, l’année où Aretha songeait à quitter Columbia. Cinq ans auparavant, son père le Révérend Franklin avait choisi Columbia plutôt que Tamla car il voulait que sa fille entamât sa carrière sur un label prestigieux. Ce serviteur de Dieu ne rêvait que d’une seule chose : voir sa fille devenir une star. De 1961 à 1966, Aretha enregistra des albums produits en partie par John Hammond. Mais elle ne parvenait pas à entrer dans le hit-parade, alors que toutes ses copines originaires comme elle de Detroit y caracolaient déjà, grâce à Tamla. Les disques d’Aretha très orchestrés et trop arrangés de la période Columbia semblaient ringards, alors que Berry Gordy réinventait la poudre et sortait quasiment un hit planétaire chaque semaine. The sound of young America ! Ça ne vous rappelle rien ?

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Aretha était alors mariée à Ted White qu’on surnommait le gentleman pimp. Ted White était en fait un mac black très distingué qui faisait bosser plusieurs filles. Il n’eut aucun mal à séduire Aretha qui était aussi une croqueuse d’hommes, en dépit d’une apparente timidité. Johnnie Taylor et bien d’autres se souviennent d’elle comme d’une chaudasse de première main - She was more a party girl, a shy one, but a fox nonetheless - Bettye LaVette connaissait aussi Ted White, en tant que protecteur, et homme de goût qui connaissait ses vins et ses parfums. Bettye explique que dans le monde de la musique noire, les producteurs/managers étaient aussi généralement des proxos : ils trouvaient des femmes qui travaillaient pour eux et qui rapportaient du blé, et en échange, ils les protégeaient. Aretha n’était pas la seule dans ce cas. Sarah Vaughan et Billie Holliday étaient elles aussi macquées. Bettye ajoute que si elles ne rapportaient pas assez d’argent, elles prenaient des coups. Et ça allait même beaucoup loin, car elles prenaient ça pour une preuve d’amour - Lots of chicks felt like if their man didn’t beat her, he didn’t love her (Elles pensaient que si leur mec ne les battait pas, c’est qu’il ne les aimait pas) - Etta James dit qu’Aretha et Ted, c’est la même chose qu’Ike and Tina. Ike a fabriqué Tina et Ted, dit-elle, a façonné Aretha en lui apprenant les bonnes manières et à se conduire dans le monde. Alors Etta se pose la question : aurions-nous connu le succès, Aretha, Sarah, Billie et moi, sans les macs qui nous vendaient ? - A career without pimps selling us ? - Sa réponse est claire - Who the fuck knows !
À l’époque où Aretha est encore chez Columbia, le public commence à l’admirer. Mais Ted White trouve qu’elle ne rapporte pas assez de blé. Justement, le contrat avec Columbia arrive à terme et Ted se frotte les mains. Il sait que les autres gros labels louchent sur Aretha et qu’ils sont prêts à allonger l’oseille.
On est en 1966 et Jerry Wexler a déjà 49 ans. Il se passionne depuis l’enfance pour la musique noire et il fait une carrière de producteur chez Atlantic, un label indépendant qui a décollé grâce à Ray Charles. Le boss d’Atlantic s’appelle Ahmet Ertegun, fils de l’ambassadeur de Turquie aux États-Unis. Ahmet est lui aussi un homme de goût, un mec plus fasciné par les musiciens que par le profit, le contraire exact des businessmen qui gèrent les gros labels corporate et qui ne pensent qu’à se goinfrer. Tout ça pour dire qu’Atlantic et Columbia constituent les deux extrêmes de l’industrie musicale.
Wexler a déjà lancé Solomon Burke et Wilson Pickett, et bien sûr, il rêve de récupérer Aretha. Il a flairé son talent. Il voit son potentiel. Columbia n’a rien compris. Il sait que le contrat d’Aretha avec Columbia va expirer. Il lance un hameçon a Detroit dans l’entourage d’Aretha et il attend.

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Et puis, il a découvert le studio de ses rêves, un endroit où les musiciens jouent avec une incroyable spontanéité. Ce sont des blancs et le studio se trouve à Muscle Shoals, en Alabama. Un jour, il s’y trouve pour superviser une séance d’enregistrement de Wilson Pickett. Percy Sledge entre dans le studio et se fout de la gueule de Wilson qu’il accuse de singer Otis et James Brown. Une shoote éclate, et Wexler doit s’interposer car Percy et Wilson sont d’anciens boxeurs et les coups commencent à partir. Soudain une secrétaire appelle Wexler et lui dit qu’une certaine Louise Bishop le demande au téléphone. Louise est son hameçon à Detroit. Elle lui indique qu’Aretha est prête à le rencontrer. Wexler attendait cet instant depuis des semaines.
Il prend le téléphone que lui tend la secrétaire. Mais il ne tombe pas sur Aretha, il tombe sur Ted, évidemment.
— Mister Wexler ?
— Appelle-moi Jerry !
— Okay, appelle-moi Ted.
— J’ai entendu dire que ta pouliche est à vendre, Ted...
— J’ai entendu dire que tu serais très intéressé, Jerry...
— Plus que très intéressé, gravement intéressé...
— Dans ce cas, il faudrait qu’on se rencontre...
— C’est quand tu veux !
— Donne-moi une date !
— Lundi à New York. Dans mon bureau à midi.
— On sera là.
Si vous entrez dans ce bureau, alors vous entrez dans le monde des géants de l’histoire du rock. Il s’agit de la première entrevue entre Aretha et Jerry Wexler, l’homme qui va faire d’elle une reine, the Queen of Soul.
Aretha et Ted arrivent pile à l’heure, souriants. Jerry est un vieux renard, il les met à l’aise et demande pourquoi ils cherchent un nouveau label. Aretha prend la parole d’une voix de petite fille :
— Je voudrais bien des tubes.
— Et de l’argent, ajoute Ted.
Wexler abat aussitôt ses cartes :
— Je peux vous avancer 25.000 dollars pour le premier album. À la seconde où vous signez ce contrat, je vous donne le chèque.
Wexler s’attend à une partie de bras de fer. Il est sûr que Ted va demander le double. Mais non. Wexler est même choqué quand Ted lui annonce :
— Okay, on y va pour 25.000.
La première idée de Jerry Wexler est d’envoyer Aretha chez Jim Stewart à Memphis. Wexler travaille avec Stax et ça se passe bien. Stax pond hit sur hit. Mais à sa grande surprise, Stewart décline l’offre. Il dit qu’il ne voit pas Aretha enregistrer chez lui dans le studio Stax. Il pense que l’environnement ne lui conviendrait pas. Après coup, Wexler se dit qu’il a frôlé la catastrophe, car Stewart a raison. Wexler sait que la magie se trouve à Muscle Shoals. Il arrive à convaincre Aretha et Ted de descendre faire une première session dans ce petit studio d’Alabama. Nous sommes en janvier 1967. «Respect» (Otis) et «A Change Is Gonna Come» (Sam Cooke) font partie du choix de morceaux. Wexler est sûr de son coup.

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Dans le studio se trouvent les musiciens blancs qui vont faire la légende de Muscle Shoals, Jimmy Johnson, guitare, Roger Hawkins, drums, Tommy Cobgill, bass et Spooner Oldham, claviers. Ah mais il y a aussi un autre guitariste, un mec qui a déjà accompagné des gens du calibre de Gene Vincent et de Johnny Burnette. Oui, c’est Chips Moman.
Au commencement de la session, Aretha ne sort pas de sa coquille. Elle appelle les musiciens Mister et tout le monde l’appelle Miss Franklin. Dan Penn assiste à la session et dit qu’Aretha chante comme une sainte. Petit à petit, l’atmosphère se détend car Aretha apprécie vraiment la spontanéité et l’énergie du groupe. Le courant passe bien, alors elle met le paquet.
Pendant une pause, Dan montre un enchaînement d’accords à Chips :
— Écoute ça !
Ils gratouillent un refrain vite fait sur le pouce et ça devient une chanson intitulée «Do Right Man Do Right Woman». Ils la propose à Aretha qui l’adore et qui décide de l’enregistrer aussi sec. Dans ce climat d’ébullition créative, Wexler jubile. Il sait aussi qu’il assiste à la naissance d’une superstar.
Le studio appartient alors à Rick Hall, boss moustachu du label Fame. Wexler et lui ont un petit contentieux, car Rick a piqué Clarence Carter à Atlantic, mais Wexler a passé l’éponge. Le soir, à la fin de la première session, Wexler fatigué rentre à son hôtel et laisse tout le monde faire la fête, comme c’est la coutume chez Fame. L’alcool coule à flots et soudain une shoote éclate entre Ted White et un joueur de trompette. Racial stuff ! Ted empoigne le bras d’Aretha et ils quittent le studio en claquant la porte.
Rick Hall file à l’hôtel pour essayer de rattraper le coup, mais Ted White n’a pas dessaoulé. Il ne veut rien entendre. Il est même devenu complètement hystérique :
— J’aurais jamais dû emmener ma femme en Alabamaaaaaa pour jouer avec ces puuuutains de rednecks !
— Oh ! Tu me traites de redneck ?
— Tu m’as bien traité de nègre, tout à l’heure !
— Je n’utilise jamais ce mot !
— Mais tu le penses, hein ?
— Je pense surtout que tu devrais aller te faire enculer !
Et pouf, Ted balance un droite et paf ! Rick lui en retourne une en pleine gueule.
Quand Jerry Wexler apprend ça, il accourt pour essayer de réparer les dégâts. Il est six heures du matin. Mais c’est cuit. Ted White est hors de lui.
— Ouais, tu disais que Muscle Shoals était un paradis de la soul ? Mon cul ! Muscle Shoals is soul shit ! Ces mecs sont des nasty motherfuckers ! On se casse ! We’re outta here !
— Mais que fait-on des morceaux, Ted ? Le seul qu’on a enregistré, c’est «I Never Loved» et le début de «Do Right Man».
— T’es dans la merde Wexler. Je ne crois pas que ma femme continuera d’enregistrer pour Atlantic. Tu vois la porte ? Dégage !
Jerry Wexler est anéanti. Le pauvre. Il venait de vivre la plus belle séance d’enregistrement de sa vie et ça se termine en désastre : Ted dit qu’il va quitter Atlantic, il vient de se battre avec le propriétaire du studio et il met fin à la session après seulement une journée d’enregistrement.

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Wexler n’a aucune idée de ce que va décider Aretha. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’Aretha est loyale envers les gens qui lui plaisent. En outre, elle ne supporte plus son mari Ted qui lui fout des trempes en public. Elle va donc profiter de cet incident pour s’en débarrasser. D’autant qu’elle l’a vu picoler toute la journée et gâcher une session d’enregistrement qui lui plaisait beaucoup. Elle s’entendait si bien avec monsieur Moman et monsieur Penn, avec monsieur Hawkins et monsieur Johnson, avec monsieur Wexler et monsieur Hill. Quand Ted a agressé le joueur de trompette, ce fut pour Aretha la fameuse goutte d’eau, celle qui fait déborder le vase. Hop, Ted le manager proxo est viré.
Dix jours plus tard, elle rappelle le pauvre Jerry Wexler qui n’y croyait plus.
— Monsieur Wexler, c’est Miss Franklin à l’appareil. Je suis prête à enregistrer. Mais je ne souhaite pas retourner à Muscle Shoals. J’enregistrerai à New York. Je sais que vous y avez des studios.
— C’est entendu. Que fait-on pour les musiciens ?
— Faites venir les boys de Muscle Shoals, s’il vous plaît. Ils me comprennent bien. Et pour les chœurs, je ferai venir mes sœurs.
Voilà de quelle façon Chips et ses copains sont revenus jouer avec Aretha et finir d’enregistrer I Never Loved A Man The Way I Love You, son premier smash sur Atlantic.

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Oh encore une chose avant de dire adieu à Chips. Dan et lui ont aussi composé un autre hit intemporel : «Cheater Man». Ça ne vous dit rien ? Esther Phillips ! Le cut se trouve sur le volume 3 de la série Formidable Rhythm & Blues. C’est un disque que j’emmenais dans toutes les boums à l’époque. Juste pour pouvoir entendre et faire entendre Esther. Quand elle attaquait «Cheater Man», un éclair de jouissance bulbique nous traversait le corps de la tête aux pieds et on se désarticulait comme on pouvait pour danser la Saint-Guy. La petite voix sucrée d’Esther nous rentrait sous la peau et nous hérissait le poil. Chaque fois que je pense au mot frisson, je l’associe au nom d’Esther Phillips. Elle est restée la déesse de la soul libidinale, la reine de la Nubie schwobienne des songes éthérés, la pourvoyeuse d’élans symptomatiques et la garante d’une certaine pureté sentimentale.



Signé : Cazengler, Moman bobo

Chips Moman. Disparu le 13 juin 2016
Aretha Franklin. I Never Loved A Man The Way I Love You. Atlantic 1967
Thom Gilbert. Soul Memphis Original Sound. Officina Libraria 2014. (Un très beau portrait de Chips Moman s’y trouve)

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BETHUNE RETRO / 27 août 2016


FRANTIC ROCKERS

Le franc tir des Frantic

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Et pourtant, c’était mal parti. Les Frantic Rockers venaient de tester le son avec une mauvaise version du «Rolling Stone» de Muddy et on s’est dit : Oh la la, ça y est, on va encore se taper une resucée du Chicago Blues des années quatre-vingt !

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Eh oui, deux blacks devant avec des guitares, un jeune chicano à la stand-up et un batteur lui aussi chicano à lunettes, on avait là le prototype du petit groupe de club sans avenir ni prétention. Le jeune black au chant semblait assez timide, mais on voyait poindre le rigolard sous le timide. Il avait la physionomie mobile d’un J.B. Lenoir ainsi que son petit côté rondouillard. Son collègue guitariste très métissé portait une casquette et jouait sur une Telecaster, ce qui n’était fait pour nous rassurer. Par contre, la section rythmique affichait une belle tendance rockab à l’Américaine.

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Après deux morceaux cousus de fil blanc qui faillirent sceller son destin, le groupe se mit vraiment en route, comme un moteur qui trouve enfin son régime. Les deux guitaristes commencèrent à claquer des riffs ensemble et soudain, ils transformèrent un set d’apparence bringuebalante en véritable pétaudière. Oui, il s’agissait du vieux Graal que cherchent tous les lapins blancs, le rockab du blues, ou le blues du rockab, si vous préférez, enfin, l’endroit exact où se croisent les deux cultures, cette énergie primitive qu’on trouve chez des gens comme Lazy Lester ou Frankie Lee Sims, Ike Turner ou Jerry Boogie McCain. Et surtout chez Charlie Feathers qui prenait des cours de guitare chez un vieux black de plantation nommé Obie Patterson. Tous ces gens-là ont inventé la pétaudière de cabane branlante.

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En seulement deux cuts, les Frantic Rockers se mirent le public dans la poche. On ne peut pas rester insensible à un son pareil. Ce sont les racines de la musique moderne, de tout ce qui constitue notre univers. Et ils relancèrent leur set de façon spectaculaire. Ils firent tout simplement ce qu’on attend de tous les groupes de rockab, ils se mirent à casser méthodiquement la baraque. Cut après cut, ils shootaient dans la nuit tiède de Béthune tout le ramshakle du Chicago blues des origines, avec la quincaillerie habituelle d’ailes de Cadillac, de pompadour de Muddy, de portières arrachées de Little Walter, de poules noires aux cheveux décolorés, de seringues usagées, de vieux amplis à lampes et à roulettes, de costumes vert pistache et de mocassins en peau de vache, d’épouses trompées mais fidèles, de murs ruisselants de condensation, de faune interlope, de gibier de ghetto, de blues joué trop fort, d’alcool frelaté, de blessures au visage mal soignées, d’harmos sortis des poches des pantalons, de chaussures sans chaussettes, de négritude mal adaptée aux lois urbaines, de jungle dans la jungle, de hantise du gros porc de flic blanc, de bosse de holster sous le veston, de cliquetis des glaçons dans les verres, de bouche pâteuse du petit matin, de poule ramenée à la maison qui se couche toute habillée, de deep blue sea et de toutes ces femmes fishing after me, de cousins eux aussi montés du Deep South par le train, de petits boulots à l’usine, d’odeur de sang pour ceux qui comme Pops travaillent aux abattoirs pour nourrir les gosses, de patrons blancs qui ne payent pas les musiciens, et de Juifs polonais qui ont un studio sur Michigan Avenue et qui font du business sur le dos des nègres.
Le petit gros s’appelle Jessie De Lucas. On se souviendra de lui comme du héros d’un soir. Il chantait et dansait en frottant ses semelles, claquait des riffs et prenait des solos classiques, mais avec une belle rage. On aurait dit un Muddy dévergondé, un Muddy décidé à faire twister les colonnes du temple. Il laissait parfois le micro à son copain David Salvaje qui hélas n’avait pas de voix, mais bon, ça passait, car Jessie dansait à côté et cherchait tous les moyens de faire encore monter la température. Et elle montait, au point que le public réclama encore des cuts, alors ce fut l’enfilade des rappels, et par chance, ils avaient quelques jolis classiques en réserve.

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Pas de miracle, tout ça repose sur une section rythmique infernale. Les deux chicanos jouent les locos, ils n’accordent aucun répit ni au beat, ni au public, et encore moins au qu’en-dira-t-on. Jamais de slow blues, non, ils tapent dans le haut du hot, et c’est un régal libidinal que de voir jouer un batteur pareil. Véritable powerhouse, ce mec est tombé dans une bassine de beat quand il était petit. Il peut jouer d’une baguette de la main gauche et secouer des maracas de la main droite. On sent la pulsion frantique en continu. All nite long, comme disait Muddy.

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Les Frantic Rockers ont déjà enregistré deux albums. Le premier, paru en 2014, s’appelle Savage Beat, tout un programme, et c’est peut-être l’expression qui pourrait les caractériser. Dès le «Wanna Boogie» qui ouvre le bal, ils mettent la pulsion sous pression, ils tapent dans la légende de Magic Sam, mais au guttural de bête de club. Ils rendent ensuite un hommage endiablé à Junior Wells avec une reprise d’«Hoodooman Blues». On sent la mort qui rampe au cœur du blues, le serpent des origines, le satan du blues, Papa Lego et le Baron Samedi. Ils redonnent du nerf à cette vieille mythologie issue des forêts tropicales. Inutile de dire qu’avec ces deux morceaux, ils font un véritable carnage sur scène. On retrouve aussi sur disque le fameux «Rolling Stone» de la balance. Curieusement, la version studio est nettement meilleure que la version live, car extrêmement bien pulsée au beat. Ils tapent ensuite dans Billy Boy Arnold avec un version bien slappée de «Crying And Pleading». Ils attaquent parfois des cuts au slap pur, comme ce fantastique «All Through The Night», ou alors «I’m Gone», qui sonne comme un classique rockab des enfers. C’est là qu’on retrouve le fameux croisement des genres, celui auquel s’intéressent aussi Jake Calypso et les Excellos. Pour réussir un coup pareil, il faut disposer d’une section ryhtmique exceptionnelle, ce qui est le cas des Frantic Rockers. Leur «Drive Me Insane» plaira à tout le monde, car voilà un cut saturé d’énergie et de bonne volonté - Shake for me/ Shake it babe ! - «Rumors» pourrait passer pour un cut plus conformiste, car joué à la note claire, mais derrière ça pulse. Les deux chicanos jouent comme des démons. Voilà l’arme secrète du groupe. Ils savent transformer un boogie ordinaire en pétaudière et ça devient même l’une des meilleures pétaudières du monde. Quand ils attaquent «Howling», c’est au slap d’entrée de jeu. L’album est bon, incroyablement bon.
L’avantage de traîner deux jours à Béthune, c’est de pouvoir croiser les musiciens qu’on a apprécié sur scène et de pouvoir échanger quelques mots. Voilà qu’on tombe sur le bassman chicano des Frantic. L’occasion est trop belle de lui demander d’où vient le groupe. Ah ! Los Angeles ! Dommage. À les entendre, on aurait pu croire qu’ils venaient des quartiers Sud de Chicago.

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Leur deuxième album s’appelle «Low Down Dog». On y trouve un véritable coup de génie intitulé «No More». Voilà un blues rock monté au slap. Si vous aimez entendre du slap dans le blues, c’est là que ça se passe. «Shake Like This» sonne comme un hit de Muddy, c’est joué aux maracas et monté sur la belle pulsation d’un gimmick de blues, comme si l’esprit du blues-rock montait tout droit des plantations. C’est la transe du peuple africain brutalement urbanisée par la psychose de l’Amérique blanche. Quel mélange, quand on y pense. Ils tapent «Darling Please» au meilleur swing. Ces mecs-là sont tout de même incroyables, ils peuvent se réveiller subitement et jouer le meilleur boogie blues de Californie. Ils chantent «Negro Gato Song» en spanish et cette jolie pièce d’exotica pourrait bien être l’un de leurs hits. «Satisfy My Soul» va droit sur le rockab, mené par le bout de nez par un petit gimmick de guitare intriguant. Ces mecs ne sortent pas les Gretsch, mais la majesté hargneuse de Muddy. Ils savent embarquer des cuts en enfer, comme on le constate à l’écoute de «Tell Me Baby». Ce cut sonne comme du Muddy rockab. Avec «Rock All Night», ils passent au boogie amphétaminé et envoient le père Chess rouler dans les betteraves. Ils jouent ça à la folie hypno, au croisement de John Lee Hooker et d’Etta James, ils dégoulinent d’énergie définitive et le riff magique vient en droite ligne de Muddy.

 

Signé : Cazengler, frantoc rocker

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Frantic Rockers. Béthune Rétro. 27 août 2016
Frantic Rockers. Savage Beat. Rhythm Bomb Records 2014
Frantic Rockers. Low Down Dog. Rhythm Bomb Records 2016

 

SAVIGNY-LE-TEMPLE
L'EMPREINTE / 19 - 09 – 2016


THE DISTANCE / NAPALM DEATH

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Parfois l'on souffre d'insuffisance rock and roll. C'est très grave disent les docteurs. Dans ces cas-là je me soigne. Je n'attends pas la fin de la semaine. Dès le lundi je me précipite dans la première pharmacie qui délivre cette sorte de médicament assez rare, mais sans effets indésirables, et d'une efficacité certaine. Soixante-dix kilomètres en teuf-teuf, normal c'est pour The Distance, trois mois que je ne les ai vus et depuis je les guette. En supplément, Napalm Death, je ne connais que de nom, jamais entendu, mais quelque chose, un je ne sais quoi, me dit qu'ils ne doivent pas râper le fromage avec une clarinette.
L'Empreinte ouvre ses portes. Chic ! l'entrée de la petite salle est fermée, nous avons droit à la grande. Le public arrive. La station du RER est tout à côté. Paris à portée de rail. Les amateurs connaissent le bon plan. Majorité de garçons jeunes et revêtus d'un sombre T-shirt à l'effigie d'un de leurs groupes préférés. La salle est pleine. Les festivité peuvent commencer.

THE DISTANCE

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Au nombre d'effigies de Napalm Death fièrement arborées sur les torses, il est clair que le public avide de hardcore ne s'est pas déplacé pour écouter The Distance. Les lumières s'éteignent, le silence se fait. Brutalement rompu par Dagular, dents blanches et sourire éclatant, qui bondit sur scène en poussant un hurlement de joie. Rien de tel qu'un électrochoc pour éveiller l'attention. Prend d'assaut son kit de batterie entassée à l'extrême-droite de l'estrade tandis que ses camarades se préoccupent de ceindre leur instruments, puis se rangent face à nous, Mike au centre face au micro, entre Sylvain à la guitare et Duff à la basse. Tout juste le temps d'un dernier regard Dagulard tape déjà sur son tambour. Frappe, sèche, sourde et sonore. Jamais de temps mort. L'entraîne la cavalcade et les guitares entrent en action. N'ont pas beaucoup de temps, l'on ne rassasie pas les fans de métal avec de la béchamel en tube. Faut les saisir au premier instant. Au bout de trente secondes c'est gagné ou c'est perdu. Radio Bad Receiver en intro propage les bonnes ondes, les négatives chargées de feu et de violence. Assistance agréablement surprise. Du rock si méchant, ils ne savaient que cela existait. Ils ont la pulsation, et la voix râpeuse et rageuse de Mike emportent le morceau. Mesmerise juste pour montrer qu'ils savent manier le son avec ces stridulences larséniques qui vous scalpent les oreilles, la meilleure manière de marquer les points. Insomnia et No Regrets, sûr qu'ils ont réveillé les esprits et que personne n'a de regrets devant ce rock and roll pilonné au plomb fondu et à la braise incandescente. Dagulard doit penser qu'il ne tape pas assez fort, alors il se lève et du haut de sa stature il assène des coups à traverser le plancher. Les deux guitaristes donnent l'apparence de jouer pour eux-mêmes, totalement indifférents au boulot de leur acolyte. Simplement une question de confiance, parpaingent, chacun de son côté mais sûrs que l'autre amène le mortier au bon endroit. Vous édifient de ces murailles à défier les canons. Dans son coin Duff lâche les hautes eaux de sa basse. Une crue sonore qui s'en vient battre et résonner dans vos tympans comme un trépan décidé à s'emparer de la citadelle de votre cerveau. Unconscious Smile et Don't Try This At Home, deux titre qui font l'unanimité. Succès d'estime remporté haut la main, applaudissements chaleureux fusent à chaque morceau. Pourraient s'arrêter-là et continuer sur ce même chemin. In the pocket comme disent les britains. Heureusement le pire est à venir, The Calling et More Than Serious ouvrent le bal des ardents. Pour être plus que sérieux, cela devient critique, le paquebot lancé à toute vitesse fonce sur les récifs et les passagers aiment çà. Une bonne catastrophe avec le souper garanti à la table de Lucifer, voilà de quoi rassasier les métalleux les plus inconditionnels. Jusque-là La Distance est resté dans le domaine du possible, ne leur reste qu'un dernier morceau, vous allez en avoir pour vos lingots d'or. Trouble End, un final apocalyptique, Dagulard devenu totalement fou, un duel de guitares qui se finit à terre, les appareils jetés sur le sol, et les héros couchés tels des guerriers qui ne veulent pas mourir et qui tournent les boutons tandis que s'envolent des hululements d'agonie. Explosion de joie dans le public, Sylvain reprend sa guitare et s'en va fracasser les fûts de Dagular, qui n'a rien contre, a même tout pour, puisqu'il se dépêche de l'aider en éparpillant ses tambours autour de lui. Sylvain en profite pour piétiner sa guitare, Dagular insatiable se saisit de sa caisse claire et la présente au public massé tout devant. Tout fan du premier rang aura le droit de taper à son tour, ce dont chacun de nous s'acquitte en proie à une fièvre émulatrice. Sont partis, non sans que Dagular ne nous ait donné rendez-vous dans la salle durant le set de Napalm Death.

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L'émotion retombe, certains partent à la recherche des débris de baguettes que tout au long du set Dagular a rompues et expédiées dans la salle. Le rock est peuplé de fétichistes. C'est très bon signe pour un groupe. The Distance a tenu son pari. Un groupe de rock'n'roll à la croisée de toutes les pistes les plus endiablées, un énorme potentiel, à ne pas quitter de l'oeil.

NAPALM DEATH

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Peu d'attente, le temps que The Distance récupère son matériel. Trois membres de Napalm en profitent pour jeter un dernier coup d'oeil sur leurs instrus. Fair play la salle les laisse tranquilles, ça papote dans tous les coins. La roquette tétanise la salle. Trois secondes de pétrification générale. L'on reprend conscience, ouf ! Pas d'inquiétude, pas d'affolement, ce n'est que Mitch Harris qui vient d'essayer un riff pour voir si tout allait bien... Waouh ! L'on change de dimension, bienvenue au pays du grindcore... Quittent la scène. Les festivités mortuaires peuvent commencer. Entrent sans bruit, clandestinement presque, et s'en vont occuper leur place tandis qu'un trailer sonore diffuse une musique d'ambiance. Pas du tout d'ascenseur de grand magasin. Danny Herrera disparaît derrière sa batterie, l'on n'apercevra plus que ses yeux noirs brillants et sa barbiche grisonnante. Shane Embury s'empare de sa basse. Un colosse au torse de granit. Impressionnant, ressemble à un viking malfaisant qui attend placidement de descendre de son drakkar, sans émotion particulière, avant de fondre sur un village endormi et d'exterminer la population. Mitch Harris nous tourne dos. Regarde son ampli. Sa main gauche, s'agite nerveusement, l'on sent qu'il se concentre un maximum. Et brutalement c'est parti. Le trio de base du rock and roll. Quelques riffs, uppercuts au bulldozer, manière de poser les limites dans l'illimité. Mark Greenway survient en trombe, s'empare du micro et glapit dedans comme l'on éjacule à quinze ans, que l'on en met partout jusque sur les murs. La salle en ondule de plaisir. Se forme illico un maelström informe de corps qui vibrionnent, tanguent, poussent, remuent, se cognent, s'entremêlent, rebondissent, s'enroulent, tombent, se relèvent, et repartent à l'assaut. Certains brisent la spirale infernale pour venir s'accouder sur le rebord de la scène, viennent rechercher de l'énergie tels des vampires qui s'abreuveraient à la banque du sang. Puis ils repartent, regonflés à bloc, se fondre à nouveau dans ce pandémonium hélicoïdal.

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Des morceaux courts. Très courts. Abrupts. Des décharges d'adrénaline. Des saccades de brutalités. Un riff, et un hachoir de batterie. De grosses secousses sonores. Des espèces de répliques de tremblement de terre, qui jettent bas les murs branlants des certitudes. Vocaux égosillés. Mark vomit ses cordes vocales à chacune de ses interventions. Soulève à chaque fois l'enthousiasme du public. Il enchaîne plusieurs titres à la suite, mais parfois un étrange silence s'installe pendant qu'il se rafraîchit le gosier d'une lampée d'eau. Les tympans n'en croient pas leurs oreilles qu'il puisse encore exister sur cette planète des havres de paix et de sérénité. Fugaces oasis qui disparaissent dès que le death shouter reprend son microphone. Faut le voir tourner en rond sur la scène, comme ces vols de corbeaux qui s'élèvent des derniers tableaux de Van Gogh.
La chienlit généralisée profite aux forcenés de la vie. Dragula, le retour. Hisse sa grande carcasse sur scène, Mark l'aide et lui passe le micro, mais il n'est pas venu pour cela, déploie son envergure et se jette dans la foule qui se précipite pour lui éviter la chute de l'ange déchu, est promené à bout de bras au travers de la salle, enfin remis sur ses pieds, une fois, dix fois, vingt fois, trente fois il remontera sur le perchoir scénique pour rejouer le vol de l'albatros baudelairien qui se rit des nuées. Si vous croyez qu'il affecte le set de Napalm Death, vous commettez une grossière erreur. La musique déchargée est trop tonitruante pour en être dérangée. Vous saisit, vous assèche, s'installe en vous, vous phagocyte, vous transmue en êtres d'airain. Vous épuise. Dans le dernier tiers de l'ouragan phonique, les corps en mouvement sont épuisés. Mark s'adresse à nous. De rapides discours, l'a un accent à couper au couteau, parle en anglais, avec une gutturale sonorité toute germanique à laquelle je ne comprends rien, hormis les fuck qui entrecoupent ses dires. A ma grande honte et à la lueur intelligente, qui luit dans les yeux de la jeune asiate à mes côtés, je devine qu'elle pige tout, à croire qu'il lui susurre du mandarin dans les oreilles. Ce qui est sûr c'est qu'il n'aime guère notre société et encore moins les fascistes.

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Les séquences sonores sont de plus en plus brèves. Napalm Death touche à la quintessence du grind. Des émissions sporadiques d'ondes paralysantes à l'image de la réalité déglinguée du charnier monstrueux de notre monde... Finissent en apothéose en une orgie de bruit durant laquelle ils finissent par sortir de scène. Visages tirés et fatigués. Ne sont plus tout jeunes, des vétérans sur le ring du grind depuis trente ans. Ont tout donné. Pas une partie de plaisir. Un engagement total. Quand ils reviendront chercher leurs instruments, sont appelés et remerciés, serrent les mains qui se tendent.


RETOUR


Minuit pile, suis à la maison. Et je suis resté un peu pour discuter le coup. Après deux sets d'une telle intensité, suis interloqué de me retrouver vivant dans le silence de l'appartement. Ai-je rêvé le plus beau des cauchemars ?


Damie Chad.


VAGABONDS DE LA VIE

AUTOBIOGRAPHIE D'UN HOBO


JIM TULLY

( Les Editions du Sonneur / Mai 2016 )

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On the road again. Dans la grande Amérique. Jim Tully a pris la route à l'âge de quatorze ans. Plus tard l'est devenu journaliste et écrivain. Reconnu en son temps. Son étoile a décliné lentement mais sûrement. Certains auteurs sont plus embarrassants que d'autres. Leurs messages brouillent les pistes des certitudes et des étiquettes. L'est pourtant un américain jusqu'au bout des ongles. N'est-il pas le trait d'union qui relie Jack London à Jack Kerouac ? Difficile de faire mieux. Sans doute n'est-il pas facile de trouver une place dans la mémoire des lecteurs entre ces deux frères Jack de la littérature américaine qui ont sonné si fort les mâtines de l'insoumission. L'est un autre versant de l'Amérique qui n'a pas échappé à Jim Tully, celui de l'auto-représentation fascinatoire du cinéma, premier objet d'importation culturelle des USA. Toute une partie de son oeuvre est tournée vers les feux de la rampe Hollywoodienne, a même été conseiller de Charlie Chaplin, pour La Ruée vers l'Or.
Est donc un tout jeune adolescent lorsqu'il embarque sur son premier train. Tully ne part pas chercher du travail. Au contraire, s'échappe de son train-train, routinier, pénible et sous-payé. Nous sommes en 1901, l'Amérique entre à marche forcée dans la modernité. Le romantisme de la frontière n'existe plus. La grande aventure des pionniers est définitivement révolue. Le train est la seule manière à portée de main qui permette d'échapper à son destin de prolétaire exploité et corvéable à merci. Une des raisons du succès de ce premier roman de Tully encensé par tous les grands critiques de son époque réside sans aucun doute sur l'aspect picaresque du livre. Aucune dénonciation du capitalisme dans ces pages. Le Système n'est jamais remis en cause. Pas d'analyse théorique sur les méfaits de l'idéologie libérale. Jim parcourt les Etats-Unis de long en large et en travers, habité du seul désir de liberté. La misère est présentée comme une conséquence et non comme une cause de l'établissement du hobo en son statut de vagabond éminent.

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Nous sommes loin des Raisins de la Colère, Jim ne cherche pas du travail, il le fuit. L'évite tant qu'il peut. Si la nécessité l'y pousse, il s'en dépêtre au plus vite. N'hésite pas à décrire ses compagnons à son image, comme des fainéants. Aucune considération morale dans ce jugement, la liberté est préférable à toute soumission sociétale. Le hobo est un cow boy sans cheval qui prend le train sans payer. Toute proportion gardée, aujourd'hui à Paris des milliers de passagers empruntent le métro sans ticket. Nécessité fait loi. Le romantisme est mort. La liberté est un mode opératoire de survie. Tully remet les pendules à l'heure. Il est moins fatiguant de mendier que de bosser. L'on n'a rien sans rien, diront les esprits civiquement pondérés. Justement le hobo n'a rien. Ne reculera jamais devant le mensonge, la ruse et le vol pour se procurer ce qu'il n'a pas. Le hobo est en-deçà et au-delà de la morale. Une espèce de sous-homme nietzschéen.
Le système n'aime guère ces parasites pouilleux. Ils ne sont pas dangereux, mais ils donnent le mauvais exemple. Comme par hasard c'est la queue de la comète du système social qui leur donne la chasse. Chefs de trains, serre-freins et policiers ont enfin une raison de vivre. Ces ouvriers et fonctionnaires sous-payés éprouvent un profond ressentiment envers cette engeance maudite. Leur donne mauvaise conscience et les conforte dans leur rôle de chiens de garde. Ceux qui gardent la maison que l'on ne laisse jamais entrer dans les salons aux larges canapés réservés aux maîtres. Mais ils possèdent leur fierté, savent qu'en rentrant chez eux, l'écuelle sera pleine. Et le lendemain matin de l'énergie à revendre pour courser les vagabonds.

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Tully le répète. L'environnement du hobo est hostile. Certains patelins sont à éviter. Les policiers sont des brutes, les juges sans état d'âme. Attrapent, cognent et condamnent à tour de bras. Parfois la population se charge du nettoyage, le jeune Jim assistera à la crémation – vivante bien sûr car c'est plus marrant – d'un pauvre noir... L'est des villes plus clémentes, ne faut pas rêver non plus. Les hobos ne sont pas nés de la dernière pluie. Ils échangent leurs expériences. Dans les situations extrêmes l'on apprend vite. Connaissent les combines, les bars à bas prix, les cantines à volonté et à dix cens. Et puis, il y a les gens, qui refilent une pièce, vous laissent entrer, vous offrent un repas, vous refilent un manteau chaud, une veste propre, une remise où dormir. Plus nombreux qu'il n'y paraît. Beaucoup agissent parce qu'un frère ou un fils est lui aussi parti brûler le dur... Evitez les généralités, les pauvres ne donnent pas plus que les riches. Âmes compatissantes et coeurs de pierre sont présents dans toutes les couches de la société. Tout dépend de vos rencontres, du hasard et de la chance.
Tully est beau gosse. Trouve souvent refuge chez les prostituées. Lui offrent le gîte et le couvert gratuitement. Ne souffle pas un mot sur leurs rapports. Sublimation d'instinct maternels refoulés ? Amitiés ? Intimités ? Silence absolu. N'a pas tort de soulever le voile. Sa cote d'écrivain baissera à la parution de son roman Ladies in the Parlour dont l'héroïne est une péripapéticienne. Choquant dans les années trente, l'on va aux putes, mais les messieurs bien élevés n'en parlent pas. S'il vous plaît, évitez les sujets scabreux qui fâchent.
Les hobos évoluent en un monde nuisible. Il est dangereux de se pencher par la fenêtre d'un train. S'accrocher à une échelle rouillée, marcher sur un toit détrempé de pluie, se glisser sous un wagon, encore plus. Un conseil ne tombez pas. Et si cela vous arrive, ne mourrez pas. Dans le cas contraire, il y aura peu de monde à votre enterrement. Pensez d'abord à vous. Cela n'empêche pas les amitiés. A deux l'on est plus fort. Et les solidarités. Le long des voies, dans les bois, les hobos se regroupent, soupe commune, partage évident. C'est la jungle. Le mot est ressorti bizarrement ces derniers temps de par chez nous, du côté de Calais. Pas un monde de bisounours. Les querelles peuvent dégénérer en bastons, se terminer par un mort. Mais il est sûr que l'ennemi commun est le policier. L'est armé, mais l'a intérêt à ne pas quitter sa proie des yeux, la moindre inattention peut lui coûter cher.

HOBOS & PUNKS

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Sont des misérables. La pauvreté est leur bien commun. Fait office de lien social. La crasse et la faim est le lot de tous. Mais la société des hobos n'est pas égalitaire. En haut de la pyramide sont les Yeggs. L'hobboïsme est une couverture. Sont des voleurs patentés, des perceurs de coffres-forts, n'ont pas intérêt à s'attarder sur le lieu de leurs exploits, se fondent dans les miséreux, mais leurs poches ne sont pas trouées. Après les rois de la pègre, la plèbe qui se partage en deux catégories : les vieux et les jeunes. Les premiers sont l'avenir des seconds. Vingt ans à courir après les trains, ça vous fatigue un homme. Ont perdu leurs illusions, finissent par crever d'un coup de froid. Ne sont pas aussi en forme que les jeunes. Têtes folles que les flics redoutent. Ont pour la plupart connu l'orphelinat, la maison de correction, voire le placement dans une ferme – une espèce de variante des travaux forcés – sont prêts à tout pour ne pas y retourner et connaître les échelons supérieurs, la prison et le pénitencier. Savent à peine lire et écrire mais ils ont tout compris de l'exploitation humaine. Les plus durs possèdent leur joker. Parfois deux ou trois. Un tout jeune qui vient d'arriver, sont chargés de mendier pour leur protecteur, ramènent l'argent et la nourriture pour le maître qui s'octroie la part du lion. L'exemple vient d'en haut. Les jokers ne se révoltent pas contre leur chef mais ils ont compris la combine. Finissent par trouver plus faibles et plus jeunes qu'eux, ce seront les punks taillables et corvéables à merci. Tully ne pipe pas un pet de mot, motus et anus cousus, sur les services divers et variés engendrés par cette soumission en milieu de promiscuité virile. Toutefois en argot de prison, le punk est le compagnon de cellule qui se plie aux désirs et aux assauts de son protecteur.

JIM TULLY

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Pour passer le temps, dans leur campements de fortune, durant leurs interminables voyages confinés en des wagons peu confortables, beaucoup de hobos lisent ou déchiffrent les journaux qu'ils ramassent de-ci de-là, ne serait-ce que pour se protéger du froid. Tully les dévore, et chaque fois que l'occasion se présente, il fréquente les bibliothèques publiques. A l'école de la vie il n'omet point d'ajouter une formation intellectuelle. Nous laisse deviner les raisons pour lesquelles, au bout de six années il arrête la route. L'impression de tourner en rond, d'avoir fait le tour de la question, et vraisemblablement le besoin intérieur de s'impliquer dans une autre modalité de vie. Le hobo est un loup solitaire, l'écrivain court après la meute de ses lecteurs... Mais il ne regrette rien. Ne nous fait pas le coup de j'ai beaucoup souffert dans ma vie, ou celui du destin qui s'acharne sur une innocente victime, n'éprouve aucun regret, assume son choix. N'a pas perdu son temps, en sait davantage sur les hommes que bien des philosophes. L'idéalisme le fait rire. N'est pas dupe des belles idées ou des proclamations politiciennes. Ne faut pas le lui faire. Se méfie de toutes les généralités. Ne porte aucun jugement d'ensemble, ne condamne ni ne couvre d'éloges en bloc. Les hommes ne sont ni bons ni méchants. Les circonstances décident s'il vaut mieux être bon ou méchant, lâche ou courageux. Pragmatisme de la survie. N'en fait pas une vérité universelle. Se détourne des religions. L'enseignement du Christ a engendré les horreurs répressives du christianisme... N'en donne pas pour autant dans un relativisme nihiliste. L'a choisi son camp. Celui des laissés-pour-compte. Ne sont pas meilleurs que les autres. Mais une enfance plus clémente leur aurait procuré beaucoup moins de tourments. N'accuse personne, mais tout le monde en prend pour son grade. Pulvérise le mythes du bon hobo. Celui de votre bonne ou mauvaise conscience aussi.


Damie Chad.

SI BEALE STREET
POUVAIT PARLER

JAMES BALDWIN

( Traduction : MAGALI BERGER )
( Stock / 1975 )

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Certains chantent le blues. D'autres l'écrivent. C'est plus rare. Je ne parle point des lyrics qui ne font qu'un avec la musique. Ni de poésie qui retrouve par son don orphique le balancement originel. Mais de prose, ces longs fleuves tour à tour tranquilles ou tumultueux que sont les romans. Beale Street, la rue du blues. Là où le jeune ado Elvis Presley traînait parmi les nègres. Memphis, Tennessee. Nous en sommes loin. Le livre se passe à Bank Street, à New York. Ni erreur, ni hasard si James Baldwin a titré Beale Street, l'a simplement hissé l'étendard du blues. Un peu comme les pirates arboraient le pavillon rouge à leur mât de misaine en prévision d'abordage. Bleu ou rouge, attendez-vous à broyer du noir. Pour être davantage exact, ce sont les noirs qui vont être broyés. Ne s'agit pas d'un événement exceptionnel, d'une révolte à feu et à sang dans Harlem. Non, une histoire tristement banale. Indigne de figurer dans la rubrique des dogs écrasés. Dans les tribunaux, l'on appelle cela le tout-venant. Les affaires courantes, pas de quoi fouetter un chat. Un noir qui a violé une porto-ricaine. Une porto-ricaine ce n'est pas bien grave même si elle a des cheveux blonds. Par contre, voilà une excellente occasion de coffrer un noir. L'est bêtement innocent, l'était à l'autre bout de la ville lorsque le crime a été perpétré, mais un nègre en prison, c'est bon pour la sécurité dans les rues. On est allé le chercher lui. Pas au hasard. Pétait plus haut que son cul. A vingt-deux ans s'octroyait le droit de ne pas prendre de l'héroïne comme tous ses frères de couleur douteuse. S'il n'y avait pas d'héro, les quartiers exploseraient, un calmant à la morsure caïman bien plus efficace que ces saloperies de tranquillisants que l'on vous délivre sur ordonnance et avec le sourire dans tous les rayons pharmaceutiques. La blanche occupe les noirs, du matin au soir, elle encourage le vol, la prostitution, le crime, tout ce qui permet de les inculper à moindre frais. L'avait d'autres centres d'intérêt, cette tête folle. Se prenait pour un artiste. Voulait devenir sculpteur. Et puis quoi encore ?

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Réglé comme du papier à musique. N'y avait plus qu'à attendre le jugement. Sauf le petit caillou qui a tout fait dérailler. Sa petite copine. Pas très jolie, sa voisine, se connaissaient depuis tout petits. S'aimaient comme des tourtereaux. Romantisme et clair de lune. Mais que la colombe soit blanche ou noire, cela ne change rien à l'affaire. D'autant que notre vierge, pure mais pas très effarouchée, attend un bébé. Ni fausse couche, ni avortement à l'horizon. Attention à la future dégringolade. Normalement cela devrait se finir sur le trottoir. Mais il y a la mère, le père et la grande soeur qui ont décidé de se battre. A tout prix. Car l'avocat a besoin d'argent. Un petit blanc. Un dossier de plus. Une affaire qui le dépasse un peu et qui va lui attirer quelques ennuis avec ses collègues. Si les blancs commencent à défendre les noirs, où va-t-on ? En plus le procureur ne lâche pas. Se permet tous les coups bas. Jusqu'à l'incarcération du témoin à décharge...

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La sempiternelle histoire du pot de terre comme le pot de fer. Le blues commence là. Pénétration à l'intérieur d'une famille noire. Savent que les dés sont pipés. Inutile de perdre son temps à se lamenter, les règles du jeu sont ainsi. Notre prévenu possède aussi une famille. Le père de son côté et la gent femelle – mère et deux soeurs – contre. Ne maudissez pas la maman. Une sainte femme. Se pomponne pour aller à l'Eglise. L'on se doit de respecter le Seigneur. L'est plein de prévenance envers sa personne de pécheresse. N'est pas entrée dans l'église pour que Jésus la sanctifie de sa présence. Elle l'exsude par toutes les pores de sa peau. Preuve queue... N'évoquez point la sublimation hystérique, ce serait une fausse piste. Un cas typique d'hypocrisie sociale. Certains conçoivent Dieu comme une promotion. Un point d'ancrage et de supériorité psychologique. Ne lui jetez pas la première pierre. Elle est la propre victime de son mode opératoire de survie. L'est sûr que l'addiction divine en prend un sacré coup, Baldwin ne transige pas avec les fausses solutions de la communauté noire à s'extirper de son marasme. La séparation radicale entre le blues et le gospel.

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Le roman décrit la partie d'échecs. Les blancs ont beaucoup plus de pièces en leur possession. Va falloir la jouer fine. Mais l'intérêt stratégique du combat est secondaire. Baldwin ne survole pas la partie. Ne commente pas, n'analyse pas la tactique. Nous implante dans les cerveau des pièces, la Reine-Mère qui prend tous les risques, le père-roi qui empile les heures supplémentaires et les vols, la soeur-cavalière qui développe les plans d'attaque, forment une garde rapprochée de défense autour de l'enceinte de la tour. Faut délivrer le prisonnier coûte que coûte. Et attention aux défaillances, certains coups sont mortels.
Ne vous dis pas la fin. Ne vous prendra pas de temps. Les cinq dernières lignes du roman. Ce n'est pas le plus important. Baldwin nous donne une grande leçon. Ni la défaite, ni la victoire. L'essentiel reste la lutte. C'est ainsi que l'on gagne sa dignité. L'ennemi principal s'appelle faiblesse, lâcheté, et compromission, réside au-dedans de nous. Ne l'oubliez pas. Sachez-le. Chassez-le. Le blues est une arme blanche. Pour l'amour et pour la haine. A utiliser de préférence dans les corps à corps.


Damie Chad.

JOHN LENNON


FLAGRANT-DELIRE
PAR-ECLATS DE OUÏ-DIRE

MARIE-HELENE DUMAS

( Le Castor Astral / Novembre 1995 )

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Collection Tombeau. Tout un programme. Mais ce n'est pas tout-à-fait John Lennon que l'on enterre. Ce qui vaut peut-être mieux. Des livres sur Lennon, l'en existe à la pelle, et celui-ci ne vous apprendra rien. A part peut-être, dans sa deuxième partie, une des origines du nom Beatles qui proviendrait de Beetles ( scarabées ) le nom de la bande de motards menée par Lee Marvin dans l'Equipée Sauvage. Ce que Marie-Hélène Dumas porte en terre, c'est elle-même. Pas en entier. Pas folle. Aucune tendance suicidaire. Prend garde à rester au bord du trou létal. Le premier segment de sa vie. En plus comme elle n'est pas rongée par l'avarice et qu'elle doit avoir un peu peur de s'ennuyer sous la croûte terrestre elle emmène du monde. Toute sa génération. Juste une métaphore grandiloquente. L'ensemble des baby-boomers n'a pas admiré les Beatles, elle préfère employer le mot tribu. De chevelus. Dispersée aux quatre coins du monde, dans les deux hémisphères, sous toutes les latitudes.
Lennon ne fait pas l'unanimité. Musicalement on le considère comme le leader des Beatles. L'on aime son énergie, son humour railleur, son sens du non-sense, sa gouaille insolente de prolo qui l'ouvre bien grand. Mais l'on reste davantage réservé quant à son engagement politique avec sa tendre moitié. Les bed-in avec Yoko et armada de journalistes qui tendent complaisamment le micro ressemblent trop à du cinéma. L'exploitation publicitaire du filon de la célébrité qui flirterait avec l'art conceptuel. Mais qu'importe les moyens pourvu que la cause soit juste. Ce qui reste à définir.
Marie-Hélène Dumas fait un détour. Cause d'une personne qu'elle connaît très bien, elle-même. Démarche très rock and roll. L'important ce n'est pas l'idole, mais le bouleversement que son apparition induit dans votre vie. Pas question d'être en admiration béatle. L'apparition des Beatles marque le réveil de toute une génération qui cherche un nouvel art de vivre. Cette déviance collective Marie-Hélène l'assume totalement. Comme beaucoup elle lâche tout, voyage et se libère des carcans moralisateurs et paternalistes de l'ancien monde. Fumette, rencontres, amour libre. Le fameux précepte sex, drugs and rock'n'roll décliné selon la formule hippie. Une certaine insouciance, la recherche du bonheur...
N'est pas revenue à la maison plus idiote. L'a vu, l'a réfléchi. Et c'est à cet instant où elle se pose que le monde qu'elle vient de parcourir lui saute à la figure. L'on en parle dans les radios, l'on en montre les images à la télévision, c'est raconté dans les journaux, Partout la guerre, la violence, la démence humaine. Et cela dure depuis longtemps et n'a pas l'air de vouloir finir. Nul besoin d'aller à l'autre bout de la planète, suffit d'écouter les voisins parler. De braves gens remplis à leur insu de peurs et de haines latentes. Les hommes sont les secondes victimes de ces déchaînements, les femmes les premières. Je passe sur le laïus des femmes soumises aux diktats des religions, de la virilité conquérante, et de cette spécialité du viol inhérente à leur nature... Cette prise de conscience féminisante orientera toute sa carrière d'écrivain et d'éditrice.

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Serait temps de revenir à Lennon. A ses pitreries avec Yoko. A replacer dans le contexte. Faire l'amour pour la paix. Un peu concon la praline, n'est-ce pas ? Faut replacer dans le contexte. Ne s'agit pas de bouquiner à l'aise sous l'oeil des caméras in the bedroom. Une manière de dire non, de s'opposer à la guerre. Dans l'absolu certes, mais très précisément à l'engagement militaire des Etats-Unis – idéologiquement soutenus par l'Angleterre – au Viet-Nam. Pouvez trouver cela grotesque ou burlesque. Un peu naïf ou démagogiquement publicitaire. Un militantisme de milliardaire de tout repos qui n'a pas besoin de se lever très tôt le matin pour gagner sa croûte. Peut-on le lui reprocher du fait que ses royalties qui tombaient régulièrement sur son compte-en-banque le mettaient à l'abri de bien des vicissitudes, de bien des dangers qu'encourrait un simple militant anonyme participant à une manifestation pro-Viet-nam.
Fût-il resté à la maison que vous le lui en auriez voulu tout aussi bien ! Ses excentricités auront réveillé toute une partie de son public. Marie-Hélène Dumas lui sait gré de ses prises de positions intempestives. C'est le Lennon qu'elle aime. Pas le créateur de Love Me Do ou le concepteur du Sgt Pepper Lonely Hearts Club Band. Mais l'artiste engagé. N'en fait pas une thèse. Use de la bombe à fragmentations pacifique de l'écriture. De multiples petits paragraphes dont le désordre apparent et les confrontations faussement hasardeuses révèlent l'absurdité et la cruauté du monde. Un style qui est aussi un hommage à la manière d'écrire de Lennon.
Un livre sur John Lennon. Différents de tous les autres.


Damie Chad.

 

14/09/2016

KR'TNT ! ¤ 294 : HITS / BIJOU ( SVP ) / ORVILLE GRANT / LOU DALFIN / GREIL MARCUS / GRAHAM PARKER

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 294

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

15 / 09 / 2016

 

HITS / BIJOU ( SVP)

ORVILLE GRANT / LOU DALFIN

GREIL MARCUS / GRAHAM PARKER

BINIC FOLK BLUES FESTIVAL ( 22 )
30 JUILLET 2016
HITS

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Hits parade

Les Hits : révélation du festival de Binic 2016 ? Pour beaucoup de lapins blancs, oui.

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Voilà que surgit de nulle part un groupe australien encadré par deux filles aux guitares. Dès qu’on voit arriver sur scène ce petit barbu coiffé d’un chapeau et traiter le public de bande de motherfuckers, on comprend que l’affaire va être sérieuse. Et dès le coup d’envoi, le twin guitars attack des deux filles sonne les cloches à la volée.

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Voilà un groupe surgi du néant, c’est-à-dire d’Australie, qui dégage autant d’énergie que les New Christs, avec un petit quelque chose en plus : les filles aux guitares qui sont tout simplement énormes de présence et de son. Elles sont toutes les deux en petites robes noires avec des cheveux noirs et ça joue ! La plus jeune s’appelle Tamara. Elle passe les solos le plus souvent pliée en deux, pendant que sa copine Stacey suit le train d’enfer de la rythmique sur sa SG.

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Et ce chanteur nommé Evil Dick n’en finit plus de rallumer le brasier des Stooges et des grands groupes australiens inféodés au Detroit Sound. Il faut voir ce groupe extraordinaire jouer dans la lumière estivale de Bretagne. On expérimente là une sorte de combinaison des plaisirs. Les oreilles des lapins blancs vibrent dans l’air chaud des vacances d’été. Il y a quelque chose de cinglant et d’insurrectionnel dans le son des Hits, une ardeur réinventée, la preuve que la stoogerie a encore de beaux jours devant elle. Les Hits de Brisbane dégagent quelque chose d’exceptionnel. Comme d’autres avant eux, ils cherchent la clameur du pur Detroit Sound. Par moments, on croit rêver, car les deux guitares sonnent comme celles du MC5. Eh oui, ces gens-là se donnent les moyens de leurs ambitions.

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Pendant que les deux filles s’extrapolent dans un véritable chaos sonique, Evil Dick tombe et gît sur les planches. Ces gens semblent parfois complètement dépassés par l’ombre de leur aura. L’image pêche par manque de clarté, c’est vrai, mais ce groupe dégage quelque chose d’irrationnel. Il faut même se pincer par moments, car ça paraît trop beau. Quoi, un groupe inconnu au bataillon avec un son et une classe pareille ? Non, c’est impossible.

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Mais si. Les Hits ont tapé dans l’œil de nombreux amateurs éclairés. Les retours étaient unanimes. Et quand on ouvre la pochette du deuxième album, Hikikomori, on comprend tout. Une photo du groupe prise dans la pénombre couvre tout l’intérieur du gatefold. On les voit, plus stoogiens que les Stooges, assis tous les cinq dans une banquette et que voit-on posé sur la table basse ? Un verre à l’image des Stooges.

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Un vieux char d’assaut couvert de corail orne la pochette d’Hikikomori. Aucune inscription ne vient troubler l’étrange calme sous-marin. Le parallèle avec les New Christs existe bel et bien puisque Rob Younger produit l’album. Et ça gicle dès «Bullet Train», avec un son qu’il faut bien qualifier d’idéal - Major fucking success - battu aux accords somptueusement plombés, avec un refrain hanté par des chœurs de Stones à la woo-woo - Never stop ! - Fantastique, c’est tout le temps relancé, bardé de dynamiques internes qui évoquent bien sûr celles du MC5. Et ces chœurs de filles foutent le souk dans la médina. Evil Dick chante divinement bien. Il enfile les cuts comme des perles, aucun déchet sur cet album, même la pop-rock de «The Church Song» impressionne pas sa classe. Ils terminent l’A avec «Disappointed», un cut à la dérive harmonique dans l’esprit du Mercury Rev de Deserter’s Song, avec le cocktail de voix mêlées des Pixies. C’est tout simplement exceptionnel. Et ça repart de plus belle en B avec «G-Banger». Evil Dick emmène ses cuts à l’assaut de la gloire avec la grâce décadente d’un officier de l’armée confédérée, revu et corrigé par D. W. Griffith. La petite Tamara prend un solo remarquable dans «Up In The Air», et ses notes se fondent dans le move d’un cut qui file ventre à terre sous l’horizon. Il faut aussi entendre Evil Dick se payer des descentes de voix rauque à la Johnny Rotten dans «Loose Cannons». Ce groupe sait rester on the edge, mais avec un son plein. Voilà ce qu’il faut bien appeler un modèle de société. Comme sur scène, ils tapent une reprise de New Order, «Shadowplay», qu’ils explosent littéralement à coups de rythmique sur-puissante et d’incursions de Tamara. Le groupe dégage vraiment quelque chose d’irréel. Encore une fantastique explosion de rocky road avec «Drink Too Much». Evil Dick sait grimper au sommet du son et faire claquer l’étendard sanglant de la révolte. Il se montre infernal de bout en bout et ces deux filles n’en finissent plus de nous faire rêver avec leurs guitares et leurs chœurs.
Avant que Stacey n’arrive dans le groupe, Evil Dick jouait de la guitare. Dans une interview, il explique qu’il s’est cassé le bras un soir de picole en frappant un mec (some Jackie Chan shit).

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Grâce à Beast, dernier bastion du garage en France, on peut entendre le premier album des Hits, Living With You Is Killing Me, encore plus impressionnant qu’Hikikomori. Pourquoi ? Parce qu’il s’y niche une authentique stoogerie nommée «Fuck The Needy» - Fuck it down motherfucker ! - Evil Dick annonce bien la couleur et pouf, ça s’ébranle comme une machine de guerre antique, avec des chœurs un peu foireux. C’est pas Tamla ! Evil Dick nous tartine un beau chant d’insurrection - Open up and bleed to succeed ! - Il rend hommage à l’Iggy du Success - Nothing succeeds on success - Il reste dans la pure stoogerie pour le morceau titre et on assiste au retour des clameurs de chœurs et des solos dépareillés. Tout est extrêmement énergétique sur cet album, comme d’ailleurs sur les albums des New Christs qui eux non plus ne savent pas faire de mauvais cuts. Chez les Hits, tout est claqué du beignet et roulé dans la farine du raunch. Evil Dick devient le temps d’un cut le roi des intros avec un ouch ! à l’entrée de «Never Sing A Song Again». Il connaît toutes les ficelles. Par moments, il semble chanter comme un clochard agonisant. Et ça repart de plus belle en B avec l’effarant «Crackipe», toujours très New Christs dans l’esprit de Seltz. Encore un hit des Hits avec «It Had To Come To This». Jolie ambiance, de la même façon qu’on disait Jolie môme jadis dans les faubourgs et on se régale de cette nouvelle rasade de twin guitar attack. Et ça continue avec «Peter & Paul». C’est dingue ce qu’on s’attache à la voix d’Evil Dick et à cette façon qu’ont les filles de le rejoindre dans la fournaise. Quelle classe ! Ce disque n’en finit plus de sonner comme une révélation. Ils sont à la ville comme à la scène, ils saturent tous leurs cuts de son et d’énergie - Peter and Paul you’re nothing at all ! - Ils terminent cet album d’île déserte avec «The End», doté d’une envolée qui sent bon le Velvet. Encore une fois, ils tapent dans le puissant et le beau, shootent dans le cul du cut des chœurs inspirés et Evil Dick emmène ça par dessus les toits. Attention, car Tamara place un solo cosmique digne de ceux du grand Grasshopper. Décollage garanti.


Signé : Cazengler, Hitératif


Hits. Binic Folk Blues Festival (22). 30 juillet 2016
Hits. Hikikomori. Beast Records 2014
Hits. Living With You Is Killing Me. Beast Records 2015
Sur l’illustration, de gauche à droite : Andy B, Stacey Coleman, Evil Dick planqué derrière, Tamara Dawn et Gregor Mulvey.

*

Ami ne tremble pas. Ta vie est rude et difficile. Quitte ta ville nauséabonde. La quête commence aujourd'hui. Emplis ton sac à dos, et tourne le dos à la civilisation. Il est temps de renouer le vieux pacte de l'homme sauvage avec Gaïa la mère des Dieux et des Humains. Dédaigne les faubourgs crasseux, porte-toi aux limites incertaines des villes, n'hésite pas à quitter l'asphalte toute droite et emprunte le sentier sinueux qui s'offre à toi. Tu marcheras longtemps, longtemps, très longtemps. Assailli par la fatigue tu gémiras et tu pleureras toutes les larmes de ton corps endolori. Tu auras envie de renoncer, mais tu persévèreras. Garde confiance, laisse-toi guider par ton intuition. Fuis la montagne altière, dédaigne le littoral sableux, évite les douces déclivités des collines, délaisse les forêts ombragées, marche, marche, marche. Ne te plains pas. Regarde, tu abordes le dernier obstacle, la vaste plaine infinie, dirige-toi vers l'Est, et ne pense plus à rien. Le but approche. Déjà tu foules les sentiers de la Brie profonde, l'herbe n'est pas plus verte qu'ailleurs, l'horizon est illimité, tu es perdu, tu ne sais plus où tu es, tu es arrivé. Encore quelques instants et tu connaîtras l'Innommable, ce dont l'homme moderne a perdu mémoire depuis des siècles. Aie confiance. Allonge-toi sur la terre arable. Fais le vide en toi. Oublie tout, tes lourds soucis, tes parents indiscrets, tes amis pénibles, tes enfants insupportables et même ton chien malin qui t'attend confortablement allongé sur le canapé du salon. Colle ton oreille sur le sol, écoute. Longtemps, longtemps, longtemps. Alors, si tu es un Elu, la lumière entrera en toi. Oui dans le silence de la nature immobile, toi simple mortel, tu auras le privilège insigne d'entendre le cri de la betterave.

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LE CRI DE LA BETTERAVE
SOISY-BOUY ( 77 )
( 10 / 09 / 2016 )

BIJOU ( SVP )

Vous avez évité le pire. Le trip country. J'aurais pu vous emmener au Festival des Brebis et de la Laine de Bray-sur-Seine. Pas très loin de Soizy-Bouy. Je me serais fait un plaisir de vous inscrire à l'Atelier Tricotin, vous initier à la tonte du mouton ou vous permettre d'écouter en un silence religieux Madame La Présidente de l'Association La Fibre Textile, et autres joyeusetés champêtres. Vous auriez fini en beauté avec Spätzel Man. Bref le cauchemar total. Mais non, foin des ovins, ce sera Bijou ( SVP ), sans tergiversation.
Bien sûr, faut le mériter. La programmation est éclectique. Lorsque j'arrive un groupe d'obédience reggae est à la peine. Ce que j'entends me suffit. Je préfère ne pas voir. Les conventions internationales de la chronique rock interdisent de tirer sur les ambulances. Je rengaine mon bazooka et m'enfuis sous le marabout de l'exposition des picture-discs. Un peu de tout. Beaucoup de Renaud, l'homme qui embrasse les policiers – doit avoir du travail, leur nombre étant inversement proportionnel à la présence de la Justice sur le territoire national – Jeanne Mas ( heureusement, n'y en a pas des masses ), mais aussi Thin Lizzy, Elvis Presley, Téléphone, Bijou... Accueil sympathique et collectionneur passionné.

AKENTRA

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Fleur carnivore. Pas du tout équatoriale. Les herboristes de Rock Metal la cueillent dans les départements de la Normandie. En tout cas sont à l'Eure. Trois premiers morceaux un peu froids. Ni le métal, ni le rock ne sont portés à ébullition. Cela s'améliorera par la suite. Mais la température atteinte ne vous fera à aucun moment exploser le cerveau. Trop statique. Ont beau sautiller de temps en temps, cela sent trop le coup monté. Le gimmick incorporé au show. Manque l'aisance naturelle. Ne sont pas aidés par le son. Sont sur la petite scène – alors que les reggae-men ont bénéficié de la grande – question amplification c'est un peu léger pour ce genre de musique qui se déguste à gros flocons. Lucia est au chant, ne se débrouille pas si mal que cela, mais quand la pâte ne lève pas, vous avez beau ajouter la cerise sur le gâteau, manquera toujours la rotondité onctueuse de la mie. C'est le plus jeune qui sauve la mise. Maël et sa guitare. Apporte la flamme mais le kérosène brille par son absence. Parviennent tout de même à soulever l'enthousiasme d'une vingtaine de jeunes adeptes qui jouent aux headbangers. Pas de chance, quand les deux guitaristes se mêlent à ce mini tourbillon, la sécurité envoie deux vigiles pour les protéger... Tout se perd en ce bas monde.

WARD LEONARD

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Déjà vus au Be Bop à Montereau ( KR'TNT ! 209 du 14 / 11 / 2014 ). Sympathiques mais guère convaincants. Un vieux groupe de trente ans d'âge. Ont été rejoints par trois jeunes guitaristes qui tricotent vite et bien. Un batteur qui cogne fort. La fougue et la foi. Un canevas, n'y a plus qu'à emmener la couleur pour lui faire prendre sens. Le problème, c'est le chanteur. Des textes généreux – mais il vaudrait mieux qu'ils soient pernicieux – et une voix qui n'a rien de rock. Un bel organe, de l'énergie, mais il manque la sensibilité de base et le phrasé rock and roll. Ne suffit pas de lâcher les mots à l'emporte-pièce ou de les clouer à grands coups de marteaux. Doivent être vivants comme les chats ronronnants qui arrondissent leur dos sous la caresse du maître. Rappelle qu'ils ont joué à Montereau avant Lou Reed. Particulièrement infect et désagréable le Loulou. Je veux bien le croire. En ont fait une chanson, Idole. Le problème c'est que Lou Reed, même un mauvais soir, lorsqu'il pose deux mots sur le velouté de sa voix, l'a pas besoin de se forcer pour que cela sonne rock and roll...

LA MALICE


Spécial danse. Amusement facile, spectateurs nombreux. Ne sont même pas conscients de savoir qu'ils font semblant d'être heureux de faire semblant de vivre. Une sous-disco-funko-électro de pacotille. Une fille qui danse et chante, souvent à côté du micro. Un boy qui mène la choré. Le boute-en-train des banquets de mariage. Style garçon de café qui fait le beau en prévision de votre pourboire. Le David Guetta du pauvre. Infect et déprimant. Courage, fuyons. Me réfugie devant l'autre scène voir Bijou ( SVP ) qui installe le matos. Ne suis pas le seul. Les rockers se regroupent...

BIJOU ( SVP )

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La triade capitoline est en place. Certains feront la fine bouche. Quoi pas de Vincent Palmer ? Non, l'est secrétaire de rédaction chez Rock'n'Folk. Pas de Dynamite Yan ? Non, ce n'est pas la première formation, celle qui était au premier Festival punk de Mont-de-Marsan. S'agit du new combo de reformation mené par Philippe Dauga, un des trois membres originels. Rajoutez, Jean-Williams Thoury en quatrième mousquetaire et vous avez un des plus beaux fleurons du rock français. La légende. Certes, mais le passé aussi. L'est une autre manière d'écrire l'histoire, si les absents n'ont pas toujours tort, les présents sont à l'oeuvre et jugés sur preuves.
Pantalon noir, chevelure argentée, lunettes sombres qui ne figent pas le sourire, Dauga n'accuse pas l'âge. L'a encore davantage de charisme et de prestance qu'il y a quarante ans. Fred est au fond derrière la batterie. On ne le voit pratiquement pas, mais dès qu'il commence à se servir de sa grosse caisse, j'ai l'impression que mon coeur devenu fou se promène dans ma poitrine. François Grimm, style anglais, classe 65. Costume noir à fines rayures blanches. Touche dandy de son léger toupet de barbiche sur le menton. L'on devrait lui interdire de toucher à sa jazzmaster. Trop beau. Trop fort. Trop mieux. Il pleut des notes de partout. Une invasion, mais parfaitement ordonnée, toutes rangées dans le riff, n'y a pas intérêt qu'une seule hausse la tête d'un demi-quart de ton. Une pluie diluvienne qui s'abat sur vous et vous submerge dans un océan de plaisir. Les vagues de la mer qui se suivent en un flot ininterrompu. Plus près de Johnny Thunders que de Keith Richards. Le second vous donne tout ce qu'il vous faut et le premier vous offre ces merveilles dont vous ignoriez jusqu'à lors l'existence.

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Viennent tout juste d'achever les trente premières secondes que déjà vous faites la différence. Pas avec les groupes de la programmation, avec beaucoup de concerts auxquels vous avez assistés. Dauga est à la basse, chaque fois qu'il touche une corde, il lance une sonde dans les profondeurs de l'enfer. Chante, assure sans se mettre en avant, l'on sent l'expérience et le fair-play, l'aristocrate qui vous fait visiter son palais sans que jamais vous ne ressentiez la moindre honte au souvenir de votre deux-pièces cuisine dans un Habitation à Loyer Modéré. Ce n'est pas seulement qu'ils jouent bien. Accomplissent le job au millimètre près tout en prenant garde de rajouter quelques kilomètres de satisfaction. La vôtre et la leur. Sont là pour votre plaisir, mais ce sont eux qui jubilent le plus. Faut voir ce que nous conte Maître Grimm. Je ne parle pas de son jeu de cordes. Pharamineux. Non, tant qu'à être sur scène derrière une guitare autant se la jouer rock and roll star. Pas de grosse tête. Le gamin dans la cour de récréation qui incarne naturellement votre rêve, sans y croire une seconde. Un rien le met en joie. Une réaction du public, un photographe qui s'approche d'un peu trop près. Sonne d'enfer et facéties mutines. L'a le lick assassin, mais vous poignarde avec un sourire si sympathique !

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Les titres défilent à toute vitesse, Dauga esquisse les présentations, rapides, sans s'attarder, rock and roll avant tout. Rock à la Radio, Les Papillons noirs, Le Kid, Cadillac... Une heure de pur bonheur. Trop court. Les merci fusent dans le public. Une prestation époustouflante, remportée haut la main, punchyque et K.O. technique. Une démonstration. C'est quoi le rock ? Le rock c'est Bijou ( SVP ). Si Vite Parti ! Seule Variable Possible !

YOGAN

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Il eût été sage de déguerpir. L'était évident que rien de mieux ne pouvait survenir. Mais la copine veut voir. Offrez un diamant à une fille et lui faut encore le caillou qui ne brille pas sur le bord du chemin. Donc Yogan, quatre morceaux. Pas plus. Le temps qu'elle comprenne toute seule qu'il n'y avait rien à gagner avec le gang Yogan. Du rock celtique festif avec adjonction de percussions africaines. Pourquoi pas ? Les premières quarante secondes sont magnifiques, l'accordéon tout seul, vraiment une très belle sonorité. C'était trop beau, se hâtent de l'enrober d'une pâte visqueuse et assourdissante, par dessus ce tumulte tristement binaire, un biniou aigrelet mène la danse. Appels démagogiques incessants du genre Youpi ce soir c'est la fête ! et la foule subjuguée ondule de plaisir. Vite, plus de teuf, la teuf-teuf ! N'eût-elle pas été là que nous serions rentrés à pieds.

Damie Chad.


P.S. : Un bon groupe sur cinq. Le Cri de la Betterave ou Le Cri de la Bête Rare ?

 

13 / 08 / 2016BORDEAUX
LE CAILLOU : JARDIN BOTANIQUE
ORVILLE GRANT


Nous voilà partis à l’assault du Caillou du jardin botanique, le p'tit loulou et moi. Teuf teuf garée, nous descendons la rue ponctuée d’affiches : « Star waters, la galaxie du plancton ». Rigolo l’accueil ! Que la force soit avec toi !

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Et bien oui c’est un bar en forme de caillou ! Pas très beau de l’extérieur mais jolie terrasse. Avec un petit 32 ° à 20h, on se réjouit de rester à l'air libre. Damned ! le groupe est installé à l’intérieur dans la petite salle, 35°. Un choix cornélien : être dehors et pouvoir fumer ou à l’intérieur et mourir de chaud. Mais nous nous installons dans l’étuve, ainsi tout proches de la « cigar box guitar », magnifique ! Que ne ferait-on pas pour du blues ! Une salle quelconque si ce n’est d'instables agrégats agencés bizarrement au plafond. La tectonique des plaques sans doute !!! Pas très rassurant.. On a presque peur qu’un des éléments du ciel schisteux se décroche. Bref après ces considérations de déco, place à Orville Grant.
Le vieux roublard arrive tout en salopette et casquette. Personnage sympathique, on voit qu’il aime parler aux gens. C’est un passionné. Il a roulé sa bosse, en passant par Nashville, pour s’arrêter à Langon ! On t’aurait plutôt vu taper le stop au bord de la 66, camarade ! Mais quelque chose de lui est resté là bas ! Avec cette formidable envie de vie.

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Quel drôle de spécimen cet Orville Grant, une liane accrochée à son gourou, J.J. Cale ! Il pose son verre de vin à côté de la  cigar box  et puis du blues !!!! presque trois heures de concert juste entrecoupées d'une petite pause. Quelques morceaux de rock aussi : comme Carol  ( je préfère la version de Chuck Berry ), Cocaïne… Il est accompagné d’un batteur, d’un synthé et d’une chanteuse. Ses musiciens jouent correctement mais on oubliera vite. La chanteuse, compagne d’Orville, jolie voix, mais sans plus.

Beaucoup de morceaux de J.J. Cale donc ! A ce propos il nous dira : « j’ai bien essayé de remplacer J.J. Cale mais maintenant qu’il est mort, je ne suis plus pressé ! ». Il nous fait savourer un morceau imitant Maître-Cordier. Ce titre sortira dans son prochain album, en 2017.
Bon allez, c’est l’heure de la promo et de la vente de ses CD. Je lui demande lequel il préfère. Il me dit : le dernier et m’explique pourquoi avec tellement de gentillesse et de conviction que je l’achète. Et puis il a tellement de fierté, même modeste, car son dernier album « ouiujiuilj » a eu une bonne critique sur Blues magazine et il est fier de nous en parler !Il nous raconte la création de ses « cigar box guitars ». La sienne est simplement magnifique ! Dommage il ne jouera avec que deux morceaux. Son rêve : enregistrer à Nashville, voilà qui est fait depuis 2009.


Patricia G..

MUSICIENS :
Orville Grant: Guitares / Erika Pascal: Chant / Pascal Guisti: Claviers / Denis Bielsa: Batterie. 

PLAYLIST :
Crossroads / TV monster / Call me de breeze, JJ Cale / River boat song, JJ Cale / Feeling alright / No time / Money talks, JJ Cale / Angel man / Oh mary / Route 66/ Cocaine / Soul stealers / Further on up the road / All shook up / Let’s work together, Canned Heat / Don’t mess around / Folsom Prison, Johnny Cash / Going up the country, Canned Heat /Ain’t no sunshine, Bill Withers / Cut my wings / Carol / She was a lady / Supersition / What I’d say, Ray Charles.

AUREVILLE / 10 – 09 – 2016
LOU DALFIN

Dans le sujet : « Contre contre-culture rock » :
Même quand il n’y a pas de Rn’R, il y en a quand même.

 

Quoi, comment, vous ne connaissez pas Auréville ? Incroyable ! Pourtant, tous les deux ans, cette charmante bourgade du sud Toulousain (812 habitants tout de même) organise la « Campestral », fête agro-occitane. Tout y est : vieux tracteurs, 2 CV de Sœur Clotilde, braies d’origine, bal vespéral et, pour finir, buvette à bière et concert. Le dépliant est évocateur : Véritable phénomène culturel, musique comme heureuse alchimie, langage musical extraordinaire. On en saliverait d’avance.
Je ne dirais pas qu’il ne se passait rien à Toulouse ce soir du 10 septembre, en tous cas, avec la p’tite louloute on n’a rien trouvé de mieux que de s’exiler là. La tire planquée dans un champ fraichement moissonné, on grimpe jusqu’à la placette pour tomber juste à temps sur la fin des balances.

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Ils sont venus à sept dans leur Fiat, de leur Piémont Italoccitan natal, dont deux beaux brins de filles, avec leurs instruments hétéroclites : à la vielle à roue et à l’accordéon diatonique, à la flûte traversière, au violon et au fifre, se mêlent guitares électriques et batterie. En sortent des musiques éclectiques, qui piochent dans la tradition provenço-alpine et émaillent d’une voix rauque et somme toute assez gueularde (la « lengo nostro » est un poil rocaille, et Sergio Berardo a du coffre) des paroles traditionnelles et historiques. Mais pas que : il y a du tradi paysan à base de mazurkas et bourrées, du folk, du tzigane (il y en a), un soupçon de blues, il y en a aussi, et… Du rock ! Oh, bon, d’accord, pas du garage, pas du rockabilly, pas du standard, pas de death, pas de metal, rien de tout ça. Et pourtant, ça fleure bon la conviction, la revendication d’appartenance, la rébellion même. Ce n’est pas toujours explosif, mais cela dit, le son est bon, le swing est engageant, le rythme est serré…Du coup, la ruralité danse joyeusement avec toutes sortes de déhanchements et de pas, en couple ou en commun. Tout le monde a l’air de bien apprécier, dans la douceur de cette nuit estivale et étoilée. Nous, on part un peu avant la fin, crevés et pensant qu’on avait fait un peu le tour de la question.
Bon, mon avis : ça ne mérite pas qu’on fasse 300 bornes pour les écouter, sauf si on est mordu d’Occitanie et de revendications communautaires ou ruralo-altermondialistes, néanmoins pour se faire une idée, les enregistrements sur youtube sont plutôt bien faits et représentatifs.


Béluga-Folk.

L'HISTOIRE DU ROCK
EN DIX CHANSONS
GREIL MARCUS


( Traduction : Pierre Richard Rouillon )

( GALAADE EDITIONS / Septembre 2016 )

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Le péril jaune ne vient pas de Chine. Mais les fautifs ont été identifiés. Je livre leur nom à la vindicte populaire. Les Sex Pistols. Encore un crime de plus à imputer à cette bande de jeunes crétins revendiqués. Une frappe particulièrement insidieuse. Le couteau sans manche auquel il manque la lame que l'on vous fiche dans le dos. Entre les deux omoplates. Aucune douleur. Mais vous êtes touchés sans le savoir. Depuis la parution de Never Mind the Bollocks, l'on ne compte plus le nombre de livres consacrés à cet art suprême qu'est le rock'n'roll qui paraissent auréolés d'une sainte couverture jaune péteur frappé d'un titre arborant fièrement une des nuances du rouge camaïeu. Epuisant tour à tour tout le spectre, du rose tyrien au pourpre profond. Un crachat purulent de tubar fileté d'un rhizome sanguinolent lancé à la face du bon goût classique.
Concédons que ce choix puisse s'entendre quant à un opus de Greil Marcus, n'a-t-il pas commis en un passé lointain un ouvrage dénommé Lipistick Traces ( voir KR'TNT : 136 du 11 / 03 / 2013 ) dans lequel il s'attache à retracer la généalogie qui relie le mouvement Dada à l'explosion punk ? Mais comprendre une erreur n'est pas pardonner une faute. Nous ouvrirons donc séance tenante un procès à intentions purement malveillantes à l'encontre de l'éditeur français de ce rock-critic américain que nous adorons. Preuve de notre impartialité. L'amour ne nous rend pas aveugle. Premier chef d'accusation, Marcus nous propose dix titres censés résumer à eux tout seul l'histoire du rock. Nous avons lu et relu. Nous sommes affirmatifs : pas un des seuls bijoux de la reine «  she's a fascit pig » du coffret des Pistols ne figure dans les dix nominés. Mais laissons les éditions Galaade convoquer un séminaire de réflexion approfondie sur le design de leurs prochaines maquettes...

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Attaquons-nous directement à Greil Marcus. Il est bon que se déchaînent les tempêtes sur les vieux chênes, rois des forêts. Se moque de nous le Greil. Dix titres, et aucun de ceux que l'on attendrait. Messieurs les avocats, stoppez vos effets de manche et épargnez-nous le marronnier de la subjectivité individuelle ou les arguments de pacotille qui sentent à leur simple énonciation le sapin dans lequel on porte en terre les lieux communs à la mord-moi-le-noeud du style : il existe tellement de bons morceaux de rock que l'on ne peut citer ceux... Z'oui mais alors quel est cet attrait coupable pour les roucoulades du Do Woop ? In the Still of the Night des Five Satins, porté au pinacle ? Et This Magic Moment, sirop d'érable qui patauge dans le miel de la voix de Ben E King, au septième étage de l'Empyrée ? Défendez-vous Mister Marcus Greil. Grêle orageuse sur vos compétences rock ! Et en plus vous consacrez uniquement cinq misérables pages aux Flamin' Groovies ! Sans parler du coup de balai sur les prix, le Dust My Broom de Robert Johnson remisé dans son placard.
Nous croyions avoir gagné, le Greil est condamné séance tenante à la chaise électrique ( instrument ô combien rock and roll ). Généreusement nous lui accordons une dernière fois la parole avant de le conduire à son supplice. Nous n'aurions pas dû. Vous enfouit le jury et le public au fond de sa poche en moins de trois cents pages.

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C'est qu'il s'y connaît le bougre. L'a déjà un argument massue. Vous retourne la flèche du Parthe comme tante Agathe la tarte tatin. Saisissez-vous d'un morceau de rock, n'importe lequel. Ne vous prenez pas la tête quant au style. Pas la peine de taper dans l'électricité à tout crin. Rock and roll, quel que soit le style, c'est toujours la même histoire. Le même bazar. Le scénario se répète. Personne ne miserait un dollar sur vous. Vous êtes le tocard de service. Parti dernier. Arrivé dernier. Mais un jour comme les autres, allez savoir pourquoi, le génie vous tombe dessus. Pas très longtemps. Deux ou trois minutes. Pas plus. Souvent vous ne vous en apercevez pas. Le public non plus. La cire vinylique en garde la trace. Dans le meilleur des cas vous obtenez un hit. Peut-être même la place de numéro Un au billboard. Vous en vendez un million d'exemplaires. Profitez-en, car ça ne durera pas. Votre carrière ira s'effilochant durant des années. Goût saumâtre. Certains retournent dans l'anonymat. Ou à l'usine. Vous reste encore une chance. Qu'une star reprenne votre morceau et lui redonne vie. Si vous avez eu la présence d'esprit de rester (co)propriétaire de vos droits d'éditions, ouvrez votre portefeuilles pour accueillir les royalties. Sinon brossez-vous le ventre avec le plumeau pour faire la poussière sur les touches du piano, et enfoncez-vous le manche dans le cul. La vie est cruelle. De quoi vous plaignez-vous ? Peut-être qu'un jour un journaliste écrira un article sur vous, et votre nom brillera à jamais au fronton de la légende du rock and roll. Le lot de consolation. La voiture-balai du service après vente.

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Z'attention ! L'existence n'est pas qu'une vallée de larmes. L'existe des veinards qui sont vernis par les Dieux. Un exemple, difficile de faire mieux que les Beatles, vous ont pondu des hits à la chaîne comme les oeufs de poule en chocolat qui poussent en pleine nature en période de Pâques. Pas de chance, le conte à l'eau de rose a fini par tourner au vinaigre. Se sont séparés. Se sont fâchés. Et deux d'entre eux ont eu la mauvaise idée de mourir entre temps. Ré-écoutez Lucy in the Sky with Diamonds, un chef d'oeuvre immortel. A part qu'entre nous, qui prend le temps de passer en revue la fanfare du Sergent Poivre ? Quelques nostalgiques.
Défaut dans la cuirasse de Marcus. N'en parle jamais. A vous de saisir les allusions. Quand il dit «  à l'époque » traduisez par «  maintenant que j'ai soixante dix berges, et que la fin se rapproche ». Ah ! Qu'il était beau le rock and roll de ma jeunesse ! Snif ! Snif ! Vous aimeriez sortir votre mouchoir et pleurer avec lui. Tempus fugat. Le vieil hibou a plus d'un tour dans son sac. Vous escamote le problème. Un magicien du verbe. Détourne votre attention. Noie le poisson sous un flot de paroles intarissables. Et il ne parle pas pour ne rien dire. Des connaissances à n'en plus finir. Des dates, des faits, des anecdotes, en vrac, en sachets, en poudres, par cartons de dix. Conditionnement tout azimut. Déroule les cent mille et une nuits du rock and roll devant vos yeux ébahis, et lorsqu'il termine un paragraphe vous lui donnez encore quelques minutes de grâce pour entendre la suite. Jamais à court. L'a épuisé le puits du rock and roll, l'ouvre les réservoirs du cinéma, et si cela ne suffit pas lui reste encore les citernes de la littérature.

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Dix titres, et ça rebondit comme des saumons qui remontent le courant. Nous fait le coup de la pelote de laine. Vous tirez un centimètre de fil et c'est parti pour trente kilomètres. Vous ne savez jamais ce que vous rencontrerez au prochain virage. Vous êtes dans le bureau de Gordy le boss de la Motown et vous déboulez dans le studio d'enregistrement de chez Chess. Un petit tour in England et coucou vous revoici in the States, au domicile de Buddy Holly. Z'avez même droit aux biographies imaginaires. Que seraient devenus Buddy Holly et Robert Johnson si la grande faucheuse ne les avait si traîtreusement interrompus ? Questions stupides. Réponses angoissantes. Celui qui meurt ne peut plus se trahir.

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Reste maintenant à définir le profil psychologique de Greil Marcus. Inutile de l'étendre sur un canapé. Premier couplet de quatre lignes de chacune des  chansons qu'il a choisies - et parfois des bonnes comme Money ( That's what I Want ) ou All I Could Do Was Cry – et il vous écrit sur ces quatre misérables vers improvisés sur un coin de table un minimum de six pages. L'angoisse de la feuille blanche ce n'est pas son truc. Par contre il bloque toujours au même endroit. Lorsque le chanteur s'arrête. Une demi-fraction de seconde. Alors qu'il ne devrait pas, qu'il devrait cavaler sans demander son reste comme si le Septième Régiment de Cavalerie était à ses trousses. Mais non, il marque l'arrêt alors qu'aucun abribus ne s'offre à sa vue. Un creux dans le fromage et vous subodorez le gruyère. Un trou dans une chanson et Marcus tombe en extase devant le génie. Serait-ce un uppercut vulvère obsédant ? Réminiscence de sa venue au monde qui se serait mal passée ? Sa mère refermant les jambes au moment exact où il pointait sa tête hors de sa tanière prénatale ? Un vieux complexe de castration soujaccent qui ressurgit des profondeurs de son inconscient, nous ne le saurons jamais. De toutes les manières, là n'est pas le problème.
Réside ailleurs. Marcus est né en quarante cinq. Aux USA. A peine la dizaine de printemps en 1956 lorsque éclate le rock and roll. Cela suffit pour qu'il devienne un témoin irremplaçable et primordial. L'était sur la plage lorsque le tsunami du rock and roll est arrivé. Parents et vieux monde liquidés en quelques instants. Emportés dans les poubelles de l'Histoire. Inutile de chercher le lieu et l'heure exacte. Ni Elvis, ni Vincent, ni Carl Perkins, ni Wynonie Harris, ni qui vous voulez. Pas de premier de la classe. Tous ensemble. Un moment d'intense libération et de grande jubilation collective, un avant et un après, une coupure irréversible. Un slow larmoyant, un rock torride, ce n'est pas la question. Que vous commandiez la cavalerie d'Alexandre ou que vous occupiez le dernier rang de la phalange, importe peu. Vous fûtes un acteur de l'Anabase. Et vous, immondes lecteurs qui n'étiez même pas nés à l'époque, profil et chapeau bas. Ne ramenez point votre fraise tagada tsoin-tsoin, pur colorant de synthèse industrielle. Le rock and roll passe. Aboyez ou remuez la queue. Comme bon vous semble. Recueillez les radotages des vétérans qui ne se sont jamais remis de l'Aventure. Laissez tomber vos supputations. Salut au grand général Greil Marcus. Même s'il a perdu toutes les batailles auxquelles il a participé. D'ailleurs il l'avoue sans façon, tire son irremplaçable science de You Tube. Provocation extrême. Rock and roll attitude.


Damie Chad.

PARKEROMANE
ERIC NAULLEAU


( BELFOND / Octobre 2015 )

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La première fois que j'ai aperçu le book sur la table du libraire, j'ai cru que c'était un volume de chez Camion Blanc qui stationnait. Mais non, c'était Belfond. Y aurait comme une inspiration pour la couve que cela ne m'étonnerait pas. Graham Parker n'a jamais bouleversé ma vie. Aussi ai-je dédaigné le volume. Peut-être ai-je tort. Bruce Springfield n'a-t-il pas déclaré que la seul chanteur pour qui il accepterait de payer une place de concert serait Graham Parker ? J'adore ce genre de déclaration quand l'on voit le prix des entrées pour les prestations parisiennes du Boss. L'ai trouvé ( le livre, pas Bruce ) chez mon bouquiniste du marché communal pour presque rien.
Je ne savais point qu'Eric Naulleau était un amateur de rock. L'est un personnage médiatique. Fait partie de ces hommes qui à longueur d'émission télévisées déversent des torrents de cette haineuse idéologie ultra-conservatrice et réactionnaire qui creuse depuis des années le lit du Front National et du Parti Républicain. S'inscrit dans la lignée d'un Aain Soral et d'un Eric Zemmour avec lesquels il collabore... Ce poison populiste n'est pas tout à fait ma tasse de thé...
N'a pas que des amis dans le milieu littéraire Eric Naulleau. On le comprend : a dénoncé les compromissions du milieu : grands éditeurs et auteurs à succès style Marc Lévy, Michel Houellebecq, Frédéric Beigbeder et de bien d'autres... ce qui ne l'a pas empêché de passer de sa propre maison d'édition L'Esprit des Péninsules à chez Belfond... L'on a connu des groupes punk anti-système à trois mille pour cent qui ont signé chez les plus grosses majors. A chacun ses contradictions. Ecrit aussi dans le magazine littéraire Le Matricule des Anges qui ronronne et tourne en rond depuis une vingtaine d'années, mais ceci est un avis purement personnel.
En tout cas, une chose est sûre Eric Naulleau est bien comme il le revendique un parkeromane aguerri, et pas de la dernière heure. Depuis la nuit des temps parkeriens. D'ailleur le bouquin parle davantage des rapports d'Eric Naulleau avec son idole que de Graham Parker lui-même. Si vous croyez lire une biographie hyper documentée sur la vie et l'oeuvre de Graham Parker, passez votre chemin. Parcours de fan. Privilégié, l'est devenu un ami. A tel point que le troisième tiers du livre est un commentaire rédigé par Graham Parker lui-même sur vingt de ses chansons choisies par Eric Naulleau. Ne nous apporte guère de révélations fracassantes, pas un gramme le Graham, n'a pas grand chose à dire. N'est pas un commentateur bavard. Peu narcissique le bonhomme. Alors Neaulleau fait suivre son commentaire des lyrics des chansons, en langue originale. Sans traduction. Un truc qui a dû procurer un immense plaisir aux amateurs du chanteur qui n'entravent que couic à la langue de Shelley !
Eric Naulleau se raconte, premier concert au Bataclan, Le quinze décembre 1977, en des temps légendaires, Graham Parker and The Rumour. Vingt ans plus tard à l'Arapaho, le vingt-six octobre 1995, ce n'est plus la même ferveur. Neaulleau et trois autres mousquetaires sont les seuls spectateurs... l'action Parker est au plus bas... Pas de quoi décourager un addictomane comme Neaulleau. Si Parker ne vient pas à lui, Neaulleau n'hésitera pas à traverser les mers pour le voir à New York, Minneapolis, Norfolk... Un acharné.
Un petit laïus à chaque parution d'album, quelques mails de Parker à son favorite french groupie, quelques déclarations politiques - Parker est anti-Bush - et c'est à peu près tout. C'est que l'opuscule est mince et la police de caractère agréable aux mal-voyants. Eric Naulleau n'a pas eu de mal à faire accepter son manuscrit à son éditeur chez Belfond, puisqu'il y possède ses propres entrées. Je doute qu'ailleurs on l'eût pris sans lui demander de rembourrer quelque peu son opus. S'est fait plaisir. Le quarteron des fans français de Graham Parker ont dû être déçus. Pas grand-chose à se mettre sous la dent. Neaulleau a appliqué la philosophie d' Eddy Mitchell, il n'y a pas de mal à se faire du bien.


Damie Chad.