28/09/2016
KR'TNT ! ¤ 296 : REZILLOS / BLACK BOX WARNING / WILD MIGHTY FREAKS / FRCTRD / BARABBAS / ATLANTIS CHRONICLES / THE DISTANCE / JAMES BALDWIN / NEGUS
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 296
A ROCKLIT PRODUCTION
29 / 09 / 2016
REZILLOS / BLACK BOX WARNING WILD MIGHTY FREAKS / FRCTRD BARABBAS / ATLANTIS CHRONICLES THE DISTANCE / JAMES BALDWIN / NEGUS |
LE PETIT BAIN / PARIS XIII° / 16 – 09 – 2016
REZILLOS
Le résolu des Rezillos
S’il est bien un groupe qui peut prétendre à la couronne de roi des groupes énergétiques, c’est bien les Rezillos. Ces Écossais sont arrivés dans le rond du projecteur en pleine vague punk et quarante ans après, ils sont toujours là, en parfait état. En tous les cas, Eugene Edwards et Fay Fife sont toujours aux commandes de cette belle silver rocking-machine.
On savait que leur concert parisien allait être un événement, car ils venaient d’enregistrer un superbe album, Zero. On y trouve un véritable coup de génie intitulé «Life’s A Bitch» - Got out for a ride/ Get hit by a truck - comme chez les Cramps dans «Let’s Get Fucked Up». Fay chante ça à l’aune du meilleur stomp écossais, elle est sans illusion - Life’s a bitch/ Then you die/ I don’t know why/ I don’t know why - On a là du grand art. C’est aussi Fay qui tape «She’s The Bad One» en B à la dramaturgie. Quelle belle compo de pop ambitieuse ! C’est même complètement inespéré de la part d’un groupe aussi nettement catalogué. On les connaît pour leur ardeur combative et leur jumping blast, mais pas pour ce genre de petite merveille encorbellée. Eugene et Fay se partagent le morceau titre, ils adressent des reproches à l’anti-héros - You are really something/ Even though you’re nothing - Curieusement, ils ont pas mal de cuts qui sonnent comme ceux des deux premiers albums de Blondie, à commencer par «Song About Tomorrow». C’est même quasiment la même voix et la même lumière. Même chose avec «N°1 Boy». On se croirait dans Plastic Letters. Les trois derniers cuts de la B sont tout simplement spectaculaires. Ils reviennent à leur son de 1978 dans «Nearly Human», avec une belle dégelée d’accords sautillés et un texte à vocation comique. Encore du Rezillo Sound avec «Spike Heel Assassin». Ils renouent avec la veine trépidante et enjouée, merveilleusement vivace et racée. Ils bouclent avec un «Out Of This World» de pulsion maximale. Cet album se hisse vraiment parmi les chefs-d’œuvre du XXIe siècle, n’ayons pas peur des mots. Ce cut vaut pour une pièce de pop pantelante qui baigne dans la joie et la bonne humeur. Ils regrimpent une fois de plus au sommet de leur grand art, à cheval sur une bassline incroyablement traversière - You’re out of this world/ So different from the other girls.
Quel concert ! Dans un Petit Bain bien plein, Fay, Eugene et leurs copains firent feu de tous bois. Bon d’accord, Eugene a pris du volume et Fay n’est plus la jeune fille svelte des pochettes d’antan, mais elle dégage à elle toute seule plus d’énergie que n’importe quel groupe garage contemporain. Il faut la voir allumer les cuts sur scène.
Le terme modération ne fait pas partie de son vocabulaire. Elle profite de toutes les occasions pour pulser des cuts ultra-énergétiques qui n’ont pas besoin d’elle car ils s’auto-pulsent tout seuls, mais c’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle en rajoute. Fay Fife, c’est l’anti-frimeuse, et quand elle prend des cuts de soul au chant, elle rallume le vieux flambeau du Tamla sound. Pas mal pour une Écossaise, n’est-ce pas ?
En fait, ce qui impressionne le plus, c’est la mise en place du groupe qui continue de jouer les vieux hits spectaculaires, avec exactement la même énergie. Le guitariste Jim Brady saute dans tous les coins. Il n’est plus tout jeune lui non plus, mais il sait encore sauter en l’air sans craindre le ridicule. Et puis l’arme secrète des Rezillos, c’est aussi une section rythmique implacable, deux crânes rasés qui font tourner les cuts à cent à l’heure. On put enfin voir jouer la ligne de basse de «Flying Saucer Attack». Chris Agnew tricotait ça des quatre doigts de la main gauche, évidemment. Il s’agit certainement de l’une des basslines les plus véloces de l’histoire du rock. Ce mec est avec John Entwistle le bassman le plus spectaculaire qu’il m’ait été donné de voir jouer sur scène.
Ils font une reprise de «River Deep Mountain High» assez démente et en rappel, il reviennent balancer un «Glad All Over» du Dave Clark Five qui met fin à toutes les velléités de commentaires. La grande force des Rezillos, c’est qu’ils ne supportent par l’approximation, et par conséquent, ils se placent au dessus de tout soupçon, comme dirait Elio Petri.
Rien de surprenant au fond, car leurs antécédents sont irréprochables. Leur premier album, Can’t Stand The Rezillos a pour particularité de ne contenir aucun déchet. Dès «Flying Saucer Attack», le grand Mysterious nous embarque vite fait bien fait à la vitesse de la lumière sur sa bassline aérodynamique. Fay Fife et Eugene chantent à la régalade et l’admirable Jo Callis place de jolis solos concis. Leurs deux mamelles sont une énergie considérable et une précision cabalistique. Dans «Somebody’s Gonna Get Their Head Kicked In Tonight», Eugene se comporte comme un shouter de grand cru. On se régale des chœurs de rêve de Fay dans «2000 AD» et «Can’t Stand My Baby» se révèle alarmant de jus qualitatif. L’un des points forts des Rezillos, c’est le choix des covers. Sur ce premier album, ils rendent un hommage tonitruant au Dave Clark Five avec «Glad All Over». Ils sont dessus, avec le sautillant de leur énergie considérable. On a même l’impression qu’ils font des étincelles. Eugene chante «I Like It» à l’aristo des highlands, au milord des bas-fonds d’Aberbeen. On reste dans l’infernal brouet pop-punk avec «Cold Wars» que Fay embarque au paradis. Ils terminent avec une violente rasade de boogaloo, «Bad Guy Reaction», grattée sec par l’immense Jo Callis. Quelle équipe de surdoués ! Voilà l’une des raisons pour lesquelles il était si difficile de prendre les groupes français au sérieux, à l’époque. Qui jouait comme ça en France ? Absolument personne.
L’année suivante sortait leur deuxième album, le fameux Mission Accomplished qui est un album live. On y trouve trois énormes reprises, à commencer par «Land Of Thousand Dances», embarquée au drive et explosée en plein vol. Ils enchaînent avec une version incroyablement garage d’«I Need You» et plus loin, ils rendent un hommage spectaculaire aux Sweet avec «Ballroom Blitz». Rien qu’avec ces trois titres, on frise l’overdose. Mais attention, ce disque recèle d’autres fringantes énormités, comme ce «Destination Venus» de clôture, monté au pounding de grosse caisse. Ils nous invitent à partir en voyage dans l’espace, alors on y va. Pas de problème. On s’assoit à côté de Fay. Elle est craquante. Ils jouent vraiment ce cut au pounding supra-normal. On assiste même au retour du groupe après un faux départ. Quelle santé ! Et dans «Mystery Action», Jo Callis fait un carton éhonté. C’est un vrai Scot, il joue en kilt. Dans «Thunderbirds Are Go», Simon Templar joue une bassline traversière et comme Fay et Eugene chantent ensemble, on se croirait dans les B52s. Encore de l’énergie à revendre dans «Cold Wars», juteux et joué à la grande échevelée. Saura-t-on dire un jour à quel point les Rezillos étaient bons ?
En 1980, Eugene Edwards et Fay Fife décident de continuer et le groupe se transforme en Revillos. Leur traversée du désert s’illustre par six albums dans lesquels on retrouve bien sûr le dynamisme qui fit le charme de la première mouture.
Sur la pochette de «Rev Up», on les voit costumés en créatures Sci-Fi. Ont-ils inspiré Zolar X ? Leur batteur est un sosie de Billy Idol. On trouve deux hits en B, «On The Beach» (ambiance à la Shadow Morton, avec du vent, le ressac et une basse énorme embarque la voix de Fay - complètement envoûtant, un vrai coup de génie) et bien sûr l’immense «Motorbike Beat» - Me and Mister CC - complet avec les coups de gaz, vroarrrr, le mec qui sent le cuir et l’avalage de bitume, et cette lourdeur si caractéristique avec laquelle les motos anglaises s’élancent. C’est un hommage à la culture biker britannique qui ne doit rien à l’américaine. Les bruits des moteurs, les façons de conduire, le design des engins, tout est complètement différent. On trouve d’autres jolis cuts sur cet album comme par exemple «Juke Box Song» chanté à deux voix effrénées, comme au temps béni des Rezillos, ou encore «Voodoo» quasiment rockab quant au beat. Cut brillant, monté au voodoo stomp et bien articulé sur les breaks du wannabe de Billy Idol. «Bobby Come Back To Me» sonne comme un hommage aux Shangri-Las et on se régale de «Scuba Boy Bob», rythmé ventre à terre, fruité de frais et poppy à gogo.
Sur Attack paru en 1982, Eugene et son gang de futuristes continuent d’explorer les coulisses du sci-fi rock avec «Snatzomobile». Ils y déploient une énergie qu’il faut bien qualifier d’explosive. Fay rôde dans les parages. Voilà encore un cut dynamique et moderniste, avec du son à la palanquée. On les sent tendus et déterminés, prêts à s’amuser coûte que coûte. Fay chante comme une gamine en plastique. Dans «Graveyard Groove», Eugene annonce la couleur - Gotta ejaculate in the graveyard - Et puis, il y a ce hit fondamental, «Love Bug», Fay s’y montre une fois de plus brillante. Elle fait sonner ce cut comme un hit des Supremes et l’explose avec des chœurs schyzoïdeaux. Wow, ça bat Tamla ! Quelle puissance ! Ils font un joli coup de Diddley beat avec «Man Attack» et Fay retape «Midnight» au beat du Brill. Elle s’y prend comme une star et ça vire à l’effarance de la prestance. «Do The Mutilation» sonne comme de la pop franche du collier et «Caveman Raveman» repose sur une tension maximale, car joué aux tambours africains. Magnifique de primitivisme ! Ça relève même de l’hypo dans la douleur. Encore de la magnifique pop de Fay avec «Your Baby’s Gone». Elle sait la traîner, sa pop. Il faut bien parler ici de pop craze.
Si on apprécie particulièrement les duos d’enfer, alors il faut écouter Live And On Fire In Japan paru en 1995. Eugene et Fay sonnent un peu comme les B52s du premier album. Fay fait les rev up. Ils sont excitants et bardés de dynamiques internes. Fay craque et Eugene fait wouahh ! Autre pure merveille, «The Friend», embarqué à la pulsion maximale, c’est chevillé au corps du mandrin, Eugene le démon fait des siennes et Fay vole à son secours avec de la pop plein la bouche pour le refroidir. C’est franchement monstrueux. Tout est bien sur ce disque. On a le meilleur boogaloo d’Écosse avec «Bongo Brain». Fay fait fissa sur «Rock-a-Doom». Eugene agit en conteur d’exception sur le fameux «She’s Fallen In Love With A Monster Man» qui les a rendus célèbres. Fay se révèle en tant que chanteuse d’exception sur des classiques pop comme «Where’s The Boy For Me», ou encore «Bitten By A Lovebug». Elle drive ça seule, en vraie petite reine d’Angleterre, pas avare de ses avantages, capable de monter toute seule au créneau. On la retrouve dans «Baby Come Back To Me», cup pop ancré dans l’univers Shadow Morton/Shangri-Las. Elle s’y prélasse les bras en croix. Les Revillos jouent sur la brèche permanente, comme on le voit avec «My Baby Does Good Sculptures» qui date de la première époque. Ils jouent ça sous le couvert du beat avec une classe effarante. Et Eugene reprend au guttural son vieux chant de guerre, «Somebody’s Gonna Get Their Head Kicked Up Tonight». Ils font littéralement gicler l’énergie. Splish splash !
Encore du gros fretin sur Attack Of The Giant Revillos qui date de 1995. «Man Attack» sonne comme un hit de Bo. On a là le Diddley beat du futur. On peut être certain que Bo aurait adoré ça. On trouve aussi sur ce disque la version studio de «Bongo Brain», un deadly hit de prime abord. Eugene sonne comme les Equals, c’est le même tempo - What’s your name ?/ Bongo Brain ! - On tombe plus loin sur un véritable hit de soul, «Mad From Birth To Death», chanté à deux voix et poundé comme à l’aube des temps. Quelle belle énormité ! C’est normal puisque monté sur le riff de basse de «Keep On Running». Ils profitent de «Graveyard Groove» pour redéconner avec le gonna ejaculate in the graveyard groove - On entend aussi Eugene aboyer sur le beat jungle de «Caveman Raveman». C’est aussi sur cet album que se trouve la version studio de «Bitten By A Lovebug» que Fay emmène dans les étoiles. Elle semble vraiment régner sur la pop anglaise. Et avec «Midnight», elle revient à sa chère ambiance Shangri-Las. Chimérique !
Les albums live des Revillos permettent de mesurer leur niveau d’hyperactivité. Totally Alive fait partie des grands disques live de l’histoire du rock, ne serait-ce que pour l’effarante version de «Motorbike Beat» jouée ventre à terre. On trouve aussi sur cet album une version explosive de «Glad All Over» du Dave Clark Five. C’est joué à l’avalée, soutenu par des chœurs de rêve. Autre pure merveille, «Can’t Stand My Baby», où on voit Fay tenir le taureau par les cornes. C’est joué, beaucoup trop joué. Ils reprennent aussi leur vieux «Flying Saucer Attack», hit fatal bardé de remontées d’instrus et de panache d’accords d’Écosse. Démentoïde ! Ça va même un peu trop vite. Ce sera leur seul défaut : le trop. Cet album explose dès le premier cut, «Mystery Action». On prête aussitôt allégeance, pas moyen de faire autrement. D’autant qu’ils balancent des chœurs de Dolls dans leur pétaudière. Et un solo de dingo balaie la pauvre Fay. Ils vont encore trop vite avec «Getting Me Down» qui sonne comme une croisière en enfer. C’est quasiment du Dr Feelgood allumé au speed. Ils allument aussi «Manhunt» au riff vainqueur et un drive de basse embarque tout le monde pour Cythère. Ils s’auto-explosent de classe. Fay emmène «Crush» au trot. Elle fait sa Blondie et se fourvoie, mais on lui pardonne. Attention, un album live des Revillos n’est pas de tout repos.
Le dernier album des Revillos s’appelle Jungle Of Eyes et s’il laisse un souvenir, ce sera surtout pour «Love Bandit», que Fay chante en parfaite Soul Sister, avec une ténacité qui en dit long sur la pertinence de son grabbing. C’est tout simplement exceptionnel de véracité. Fay nous fait de la soul à l’Écossaise, une soul nerveuse et bien cambrée sur ses chœurs virulents. Fay fait aussi un festival dans «Guilty In The First Degree». Elle l’attaque d’une voix chaude et roule des r de romanichelle des Highlands. Ils reprennent de vieux hits comme Lovebug ou Man Attack, mais il vaut mieux écouter les versions live. Ils jouent «Call Me The Cat» au tribal de boogaloo. Eugene semble hélas céder aux sirènes de la mode. On entend même du synthé dans «The Vampire Strikes». Ils sauvent l’honneur avec «Trigger Happy Jack», cut de comic boogaloo digne des Rezillos - Gun powder essence/ A degenerate mental case - Bel étalage de paroles de balistic blasted maniac ouh-ah !/ A delinquant with a scar ouh-ah !/ Case hardened hoodlum comatose killer man/ Got a total disregard for human life - Eugene charge bien la barque.
Signé : Cazengler, le grazillo
Rezillos. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 16 septembre 2016
Rezillos. Can’t Stand The Rezillos. Sire 1978
Rezillos. Mission Accomplished... But The Beat Goes On. Sire 1979
Revillos. Rev Up. Dindisc 1980
Revillos. Attack. Superville Records 1982
Revillos. Live And On Fire In Japan. Vinyl Japan 1995
Revillos. Attack Of The Giant Revillos. Receiver Records Limited 1995
Revillos. Totally Alive. Sympathy For The Record Industry 1998
Revillos. Jungle Of Eyes. Captain Oi 2003
Rezillos. Zero. Metropolis 2015
De gauche à droite sur l’illusse : Jim Brady, Fay Fife, Eugene Edwards, Chris Agnew, Angel Paterson.
LA CITROUILLE / CESSON / 24 – 09 – 16
WILD PIG FEST # 3
BLACK BOX WARNING
WILD MIGHTY FREAKS / FRCTRD
BARABBAS / ATLANTIS CHRONICLES
J'avais prévu Guido and the Hellcats à Troyes. Trois ans depuis ma première rencontre avec Guido. L'avait seize ans alors et les Megatons l'avaient laissé joué tout seul durant leur inter-set. Ne s'était pas dégonflé avec sa drap jacket et sa guitare et l'avait envoyé une bonne dizaine de classiques. L'est passé de l'eau dans la Manche depuis cette soirée... L'a grandi et l'a formé son propre groupe. Devait passer au 3 B, mais l'Histoire en a décidé autrement. Passeport périmé, les britishs doivent montrer patte blanche pour mettre le pied sur le continent. Pour Guido rendez-vous est pris pour le quinze avril 2017. Pour itou m'a fallu improviser le plan B. Pas besoin d'aller très loin, à moins d'une heure de teuf-teuf le troisième rendez-vous de l'association Wild Pig Music. Petits cochons de lait tout mignons, tout bons, gare à vos grandes oreilles sensibles ! La wild Pig Music est réservée aux sangliers aux défenses de fer !
La Citrouille est une petite salle à peu près ronde d'où l'appellation contrôlée supposons. N'a pas poussé toute seule dans son champ, l'est entourée de deux menus potirons qui servent pour l'un de bureau, pour l'autre de salle, que l'on imagine polyvalente, qui ce soir fera office de bar à bière. Cinq groupes, cinq euros. Le genre de dumping social qui me botte. Ouverture des portes à dix neuf heures, mais les musiciens sont en train de déguster leur part de pizza. A ce tarif, on ne pas leur offrir les agapes d'un Beggars Banquet à la Stone ! D'ailleurs à peine vingt minutes plus tard début des hostilités. La scène est vaste, occupe facilement un quart de la surface totale qui peut avaler jusqu'à deux cents personnes. Quorum qui ne sera atteint qu'au trois-quarts. Tant pis pour les absents qui ont toujours tort.
BLACK BOX WARNING
Sont trois. Batterie en retrait à gauche. Bassiste imposant au centre. Guitare à droite. Pas nombreux pour le bruit qu'ils vont produire. L'on aurait dû se méfier de l'avertissement sur la boîte. Deuxième apparition publique, à peine vingt minutes. Mais aux âmes trempées dans le sludge la valeur ne dépend pas du nombre de quarts d'heure alloués. Déferlement de boue noire en ouverture de la soirée. Tout repose sur le batteur. Les deux autres ne font que suivre. Le bassiste tranquille, genre de gars que rien ne surprend. Fournit l'onde de fond. Une avalanche de glace noire peut lui passer dessus, l'on se demande s'il l'a remarquée. Rien ne l'émeut. L'émet son ondulation comme la balise de sécurité de l'avion englouti au fond de l'océan signale le lieu de la catastrophe. Ne compte pas les morts, fait son job avec une placidité mortelle. Pour le guitar égoïne amplifiée, c'est un peu plus complexe, doit être dans l'exact prolongement du tohu-bohu qui déferle sur lui. Son rôle est simple, accentuer la glissade, la rendre davantage vrombissante et tranchante afin qu'elle déferle sur le public avec la délicatesse d'une épée qui vous coupe délicatement en deux.
Retournons au fautif. L'a des lunettes et des baguettes. Si vous ne l'avez pas remarqué c'est que êtes à l'article de la mort. Pas de soucis, ceux qui n'entendent que lui en sont au même stade. Ultime. L'a aboli l'interrogation métaphysique du batteur. Et maintenant je tape sur la caisse claire ou sur le tambour ? Frappe sur les deux en même temps, parfois il peaufine un léger décalage, ce que l'on appelle le décervelage en deux temps. Pour la grosse caisse, tirs ininterrompus et en continu. Le pire c'est quand ça s'arrête. Parce que ce n'est pas fini. Ce n'était qu'une ruse. Reprend le bombardement à outrance, un morceau de rock c'est comme le fameux Livre de Mallarmé, qui ne commençait ni ne se terminait, et qui tout au plus faisait semblant. En plus vous adorez. Votre corps dodeline à ce rythme assourdissant, fermez les yeux, un troupeau de pachydermes avance à pas pesants. La terre tremble, vous auriez dû vous reculer. La première des gigantesques bestioles vous a saisi dans sa trompe et expédié en l'air. Vous avez la colonne vertébrale cassée en deux. Vous souriez d'aise, vous êtes à l'abri d'un nouveau danger puisque vous avez atterri tout en haut, hors de portée, dans le feuillage du palmier-dattier ( pour sûr dans votre fauteuil roulant vous vous souviendrez de la date ), vous croyez être sauvé, mais un deuxième animal arrache de son appendice nasal le tronc de trente-cinq mètres tout au haut duquel vous aviez trouvé refuge et le lance négligemment dans le marigot boueux infesté de caïmans affamés avec la facilité de Tante Agathe jetant un mince spaghetti qui ne lui avait rien fait dans la marmite d'eau bouillante.
Le public échaudé ne craint pas l'eau froide. The Black Box Warning emporte, l'adhésion, c'est à son tour de plier sous la bronca des applaudissements et des hurlements frénétiques. C'est comme cela que l'on aime les premières parties. Vous servent largement et ne laissent rien pour les autres. Un rock minimal, frustre et efficace à deux cents pour cent. Ce médicament n'est pas remboursé par la sécurité sociale. Heureusement, sans quoi vous seriez immuno-dépendant tout le restant de votre vie.
WILD MIGHTY FREAKS
Z'ont dû réfléchir salement à la programmation, après un caterpillar de cette cylindrée, faut occuper les esprits avec un autre genre de confiture. Changement de style pour tromper l'ennemi. Ce sera Wild Mighty Freaks. N'y a qu'à les voir avec leurs capuchons sur la tête pour comprendre que l'on a changé de cité. Du métal certes, sans quoi ils n'auraient pas été de la fête, mais bouturé au hip-hop. Une nouvelle hybridation qui se révèle prometteuse.
Sont quatre mais ont tous regagné les coulisses. Ne reste que Yaboy, trifouille son ordi avant de s'asseoir sur le devant de la scène. Pose cool. Le gars flegmatique qui ne sait pas trop quoi faire en sa vie sinon téter au goulot sa bouteille de Jack Daniel's. Se donne une apparence de nonchalance désabusée mais l'on devine qu'il doit savoir bouger son corps longiligne et que derrière cette impression désabusée l'esprit est en éveil et habitué aux ripostes verbales acides. L'est rejoint par ses trois acolytes qui ne se pressent guère. Portent tous un masque, rehaussé d'un maquillage outrancier. Beurre noir, blanc cadavérique, rouge sang. Ni Kiss, ni Alice Cooper, plutôt bad boys revenus d'une explication tuméfiante et qui entendent garder l'anonymat. Tonton est aux drums. Flex à la guitare et Crazy Joe au micro. Alternent les séquences, chant et musique. Hip-hop pour déclamer. Métal pour souligner et appuyer. Genre l'on vous l'enfonce dans le crâne, afin que ça y reste incrusté à jamais. Peut-être fut-il dénommé Flex à cause de ses soli flexibles. Quand c'est à son tour de monopoliser l'attention, il ne lâche pas facilement sa proie, poursuit les notes sur les tonalités aigües. Exactement comme à la morgue quand le toubib vous scie la boîte crânienne pour vérifier si vous avez un cerveau. Qu'il ne trouve pas d'ailleurs, mais ceci est une autre histoire.
( Photo : Laura Lazurite )
Bref Flex sait se servir d'une guitare et chacune de ses interventions sera saluée comme il se doit. Mais les Freaks ne se contentent pas de jouer ou de chanter. Z'ont tressé une autre corde, solide et résistante. La danse. Crazy Joe et Yaboy détestent les temps morts. Ce fou de Joe coule à flow, Yaboy aussi, mais se contente du minimum. Joe vous récite un paragraphe de vingt lignes et Yaboy se contente de répéter un mot. Esquisse un vague geste de la main, comme s'il se retenait à l'air pour ne pas tomber. Un seul vocable mais asséné au moment précis où son absence serait une faute. Vous partage en deux, faut-il s'émerveiller du professionnalisme des acteurs ou céder au côté burlesque du phénomène ? Voyez par vous même. Cela n'est rien comparé aux subtiles chorégraphies qui suivent. Quand Tonton tamponne sa caisse pour accélérer le rythme, nos deux étoiles se mettent à briller de mille feux. Crazy Joe s'embarque dans une espèce de danse du scalp échevelée et aussitôt sec Flex, avant de repartir titiller sa programmatique MAO,vous en offre la pantomime. Exactement les mêmes gestes, sans un écart de nano-seconde, le même et le semblable, le miroir qui renvoie son propre reflet. Parfaitement au point. Au petit doigt près. Impromptu mais pas improvisé. Parfaitement au poing. Frères jumeaux de la rue. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Un show élaboré qui n'est pas sans rappeler les spectacles itinérants des noires troupes de black faces des Etats Unis dans les débuts du précédent siècle. Festif et violent, une couche de hip-hop, une épaisseur de rock'n'roll et un nappage de métal. Le millefeuille se déguste brûlant. Public enthousiasmé. Font un carton.
FRCTRD
C'est comme en hébreu, ils ont enlevé les voyelles. Prononcez Fractured. Ont juste gardé le bruit. Un drôle de son, entre pavés de facture sociale et friture de fracture musicale. Genre Djent. Du core à core. Avec soi-même. FRCTRD produit une musique qui se suffit à elle-même. Un scorpion qui ne trouve personne à piquer finit par retourner son dard contre lui-même. Un art d'auto-mutilation. A peine avez-vous produit un riff que tout de suite vous songez à le couper en morceaux. Faut le tordre, le cisailler, le concasser, le réduire, le distribuer en une nouvelle combinaison, aucune note ne sortira entière de l'aventure. Cinq sur scènes, Vincent est au chant, foulard de pirate rouge sang vermeil d'abordage sur la tête et les deux gros anneaux dorés aux oreilles qui vont avec. Ne chante pas, il screame, il howle, il glisse du son sur les brisures opérées par les quatre autres forbans. L'on ne peut parler d'individualités, la musique est trop complexe pour laisser à tout un chacun le droit de tirer la couverture sur son quant à soi. Doivent avoir l'oeil et l'oreille aux aguets, attentifs à tout son émis par le reste de l'équipage. Ne rien laisser passer sans le renvoyer aussitôt sur le bord de la route. Toute note doit être encastrée, enkystée, défenestrée, FRCTRD ne recherche pas le chant du cygne mais le coassement des corbeaux plutoniens. Un seul titre suffit à définir leur entreprise. Négative. Pas d'harmonie, mais le déroulement exact de son manque.
Symptomatique la basse de Maxime, davantage de cordes comme pour fractionner encore plus l'amplitude sonore. Deux guitares, Filip et Clément, chacune oeuvrant ensemble dans la césure de l'autre. Musique de choc et de bris, des allures barbaresques, mais qui s'apparente à de la mathématique pure. Semblent traiter une équation monumentale. Un problème à résoudre. Le drame du métal qui se fait hara-kiri pour mieux étinceler de sa splendeur métallique. Musique savante qui s'enroule sur elle-même pour mieux cristalliser la teneur de sa déliquescence. Une auto-évaporation perpétuellement concrétisée par son effort à rejoindre l'essence de son émission. FRCTRD rejoint certains vertiges de la New Thing. Ne sont pas issus de ce courant, mais des chemins partis de provenances opposées finissent un jour par se croiser.
Font un tabac, preuve que les fans de métal ont des oreilles pointues et capables d'auditionner de multiples possibles. Pour ma part j'eusse aimé qu'ils aient pu bénéficier d'un peu plus de volume sonore. Musique gravitationnelle, comme ces étoiles qui s'effondrent sous leur propre masse. Applaudissements sans fin.
( Photos 2 & 3 : Laura Lazurite )
BARABBAS
Changement de décor. Finies les intellectualités pures. Place au cirque. L'est temps de faire coucou au diable. Barabbas est de retour. Sont en train de fignoler la balance et j'éprouve une légère déception. Me manque un truc. Vu de si près le groupe souffre de déficit de charisme. L'est bêtement humain. Que se passe-t-il ? Où est passée cette sensation de démesure grandiloquente qui m'avait séduit à l'Empreinte de Savigny ( voir KR'TNT ! 243 du 09 / 07 / 15 ) ? Commencent à jouer, tant pis je ferai avec. C'est alors que je m'aperçois de mon erreur car brusquement tout s'illumine. La lumière survient. Y avait une pièce en moins au puzzle, et la voici. Le cinquième élément éthérique, indispensable à ceux qui veulent connaître l'envers des choses et de la vérité, s'extrait des ténèbres impénétrables des back stages. Impressionnante silhouette, le chaînon manquant, qui s'empare du micro et qui distribue aussitôt la bonne parole. Sa Sainteté Rodolphe, colosse aux pieds agiles qui martyrise son micro, parmi nous, en son ministère, comme par miracle la zique devient plus sourde, plus lourde, elle nous écrase, nous doomine.
Le rock est un opéra de carton-pâte, une suite de clichés repeints à la peinture fluo, du faux, du toc, du toc-toc, mais rigoureusement authentique. Toute la génialité réside en cette infime différence entre la réalité et son énonciation. Suffit de donner l'apparence d'être convaincu pour vaincre. Barabbas c'est la caricature qui périme le communément admis. Un chanteur qui mugit comme un taureau que l'on conduit au sacrifice et quatre musiciens qui nous servent les grandes orgues des hécatombes au fond des catacombes. Nous embarquent en une vaste fresque pour une espèce de rituel hérétique et maudit. Nous avons droit à la grande révélation que le public subjugué récite à son tour comme un mantra ensorcelant. Judas était une femme. Ce qui tout de suite présente sous un jour nouveau le fameux baiser de Judas et explique peut-être la coupable faiblesse du rejeton de Dieu envers la nature de ce si spécial adepte... Bousculade au portillon des idées reçues. Mais ne nous égarons point en des voies beaucoup trop réflexives. Laissons-nous entraîner par les envoûtements musicaux apporté par le groupe.
De véritables magiciens, vous mènent par le bout du nez en des contrées que vous n'aborderiez seuls par vous-même. Saint Rodolphe descend dans le public et s'en vient murmurer son blasphème à l'oreille des filles, qui ont l'air d'apprécier, pour les garçons et toutes les autres il reviendra, le graal de houblon malté à la main, et le geste auguste pour baptiser les impétrants. Au cas où vous auriez échappé à cette sainte onction, de retour sur scène, vous assisterez au miracle dde l'aspersion du crachat changé en pluie de bière que les premiers rangs reçoivent sans déplaisir. Le rock est en perpétuelle accointance avec le sacré, Barabbas possède le secret des remembrances originelles, nous fait le coup du bonneteau diabolique. N'y a rien dans les trois godets que vous soulevez, mais durant tout le temps du jeu, vous y avez cru et métamorphosé le vide des désillusions en un sentiment de jouissance suprême. Ovations du public. Barabbas empoche la mise. Tout est consommé.
( Photos : Fabrice Dci )
ATLANTIS CHRONICLES
« Là s'étendait Atlantis ! Des Hauteurs qui Place Mage, nous avaient emportés vers les lumières victoriales, nous tenions une sapience ouranienne, légère, héliaque et royale, issue de cette transparence antérieures qui contenait tout ; et c'est ainsi qu'un ressouvenir bouleversant nous submergea, nous portant comme une vague bienfaitrice sur le sable sec et doux de la mémoire enfin retrouvée. Mais ce jour-là l'ombre était claire. Nous regardions le ciel à travers les feuillages, nous écoutions les floraisons du silence, ses couronnes perpétuelles et le zénith, doublement ailé, tombait lentement sur la mer et les oliveraies d'Atlantis. »
Excusez-moi de vous arracher à votre contemplation. Mais il se fait tard, c'est le dernier groupe. Désolant de constater que la majeure partie de l'assistance a profité de l'inter-set pour s'en aller. Permission de minuit ou dernier autobus ? Atlantis Chronicles remerciera à plusieurs reprises le dernier carré. Pour ceux qui voudraient continuer la lecture, le texte est de Luc-Olivier d'Algange. Ne l'ai pas recopié par hasard, mais pour surseoir à l'étonnement qui m'a saisi au début de la prestation du groupe.
( Photo : Laura Lazurite )
Cinq sur scène. Bibent le chanteur au centre tout devant. La musique s'élève et Bibent est au micro. Me faudra quelques minutes pour intuiter. La voix me semble lointaine, j'attends qu'à la console l'on pousse la targette adéquate. Mais non rien. Je comprends enfin. Ce n'est pas chanteur + un groupe, mais un groupe qui joue à l'unisson, les cinq contributions phoniques étant traitées au même niveau. Point par un parti pris d'égalitarisme théorique forcené. Mais pour ajouter au mystère du dire. La voix n'est qu'un instrument parmi les autres, totalement fondue en la matière sonore. S'installe ainsi une aura de mystère légendaire. Le son est fort, véhicule les légendes perdues, ne les décrypte pas. N'explicite pas. A chacun de se laisser emporter sur les ailes du rêve. La musique en dit plus que les mots. Révèle des sortilèges. Vous entraîne sur des sentes merveilleuses et héroïques. Bibent ne crie pas, il module sa raucité, tout l'accompagnement musical semble porter et s'appuyer sur sa voix qui ne plie pas. Le crépuscule tombe sur la terre, s'étend sur son immensité mais le manteau herbu ne s'effondre point sous ce fardeau de pénombre accablant. Atlantis Chronicles rouvre les anciens grimoires d'où surgissent d'antiques secrets. Une symphonie romantique aussi belle qu'un tableau de Caspard David Friedrich. Crescendo, sans arrêt, tout au long du set la musique s'alourdit et se complexifie mais la voix suit la même courbe ascendante tout en restant au même diapason. Un tour de force qui doit demander une satanée technique vocale, debout sur les retours Bibent est la figure de proue qui taille la route pour le navire qui file avec lenteur vers les portes oniriques et océanes. Un dernier morceau comme une ultime escale... Atlantis Chronicles a refermé le livre et la nef de cristal disparaît dans les confins du songe entrevu. Un rêve de beauté qui s'achève...
The Wild Pig fEST numéro 3 a tenu ses promesses. Une programmation gérée de main de maître.
Damie Chad.
THE DISTANCE
RADIO BAD RECEIVER
THANK YOU FOR NOTHING / MESMERISE / HOW LONG BEFORE THE BLEEDING STOPS / RADIO BAD RECEIVER / NASTY LIGHT / THE UNCONSCIOUS SMILE / TROUBLE END / MORE THAN SERIOUS / PERFECT THINGS / INSOMNIA / ALONE / DON'T TRY THIS AT HOME
Mike : guitare & chant / Sylvain : guitares / Duff : basse / Dagulard : batterie.
Sortie : avril 2016 / NAB 1604
Y avait eu le EP auparavant, chroniqué in KR'TNT ! 276 du 07 / 04 / 2016. Nous avait enthousiasmé. Voici l'album qui reprend quatre des cinq titres de l'EP. Même pochette cartonnée extérieure, noire au profil squelettique de biche qui n'est plus au bois ni aux abois. Une préfiguration de nos futures irradiations, soulignées par la minuscule virgule crânienne, une espèce de contre-marque blanche renversée – tels les premiers alphabets mésopotamiens - sur le fond noir létal. Signe de deuil, signe de seuil. Double photo couleur en intérieur. Le groupe en un décor gothique, autour de la chaise curule pour bébé. Pas tout à fait la même que celle que l'on vous offre dans les restaurants, à comprendre comme une gravure alchimique de la vie issue de la mort. Rabattez le volet, The Distance en lettres rouges sur la noirceur du support.
Thank you for nothing : musique implacable avec broderie de vocal lyrique, une introduction au malheur de vivre. La batterie qui accentue les angles et les guitares qui polissent les ongles. La batterie bat le rappel. Mike entonne les présentations. Ce n'est rien mais les guitares obsédantes le rappellent c'est du rock and roll. Appuyons joyeusement sur l'accélérateur. L'on ignore au juste où l'on va mais l'on sait très bien vers quoi l'on se dirige. Nous prenons tous les risques. Mesmerise : souvenir de la maison des morts. Pas de répit. Des éclats de guitares qui vous trouent la peau, l'on déroule le parchemin des épisodes précédents pour mieux foncer en avant. Tout cri primal n'est qu'un hurlement final. Cet apologue est définitivement réversible. How long before the bleeding stops : un titre qui fleure bon les anciens blues, inutile de pleurnicher, The Distance est un groupe de rock. Vous enlève le morceau comme l'on prend une barricade. Dommage pour les insurgés, mais l'on ne gagne pas toujours. Charge de cavalerie qui emporte tout. Lorsque l'on pressent que la situation tourne mal, presser la vitesse pour dépasser la catastrophe finale est signe d'optimisme. Au bout de la nuit, l'est toujours un autre commencement, au moins une autre nuit. Radio bad receiver : Accélérations rock et rythme bluesy appuyés se succèdent en courtes séquences, un choeur de voix de secours qui arrivent en soutien, le tempo qui s'accélère, arrêt brutal. L'on ne reçoit pas obligatoirement ce que l'on attendait. Nasty light : la lumière n'éclaire que l'obscurité qui du coup paraît encore plus sombre. N'écoutez pas la voix de Mike, qui se fait douce pour mieux pour vous entraîner dans d'étranges corridors, l'ombre ne se couche jamais sur le royaume de l'incomplétude humaine. Quand le noir arbore une teinte grisâtre ce n'en est que plus déprimant. The unconscious smile : ne riez pas, les temps ne le permettent pas. Les guitares enfoncent des chevilles dans vos zygomatiques. Quand vous croyez que c'est fini, l'enfer recommence, gardez le sourire c'est tout ce que vous pouvez tenter pour faire croire que vous avez sauvé l'intégrité du château de votre âme. Trouble end : les histoires se terminent mal. Normal. Entendez la guitare au loin qui sonne comme la cloche fêlée de l'espérance, le groupe déboule avec la force d'un bulldozer. Arase tout. More than serious : lorsque tout est effacé, il ne reste plus qu'à recommencer. La voix de Mike essaie de nous convaincre mais derrière la musique nous entraîne plus loin. Un peu comme si l'image dépassait la bande-son. Perfect things : Vu la vitesse de défilement l'on est obligé de se dire que le bonheur ne durera pas éternellement. Il est inutile de décourager les bonnes volontés mais il est dangereux de marcher sur la surface de la glace déformante de votre existence. Imsomnia : le cauchemar recommence. Gardez les yeux ouverts. Les images s'impriment avec une trop grande violence dans les synapses de votre cerveau pour que vous puissiez faire semblant de les garder fermer. Les guitares vous arrachent les paupières. Dagulard frappe spasmodiquement sur sa batterie. C'est elle qui le contrôle. Hurlement de terreur. Vous avez entendu la voix de l'Innommable. Alone : un peu de répit, faut bien reprendre ses esprits lorsque l'on se retrouve face à soi-même. Paysage de cendres. Les feux sont éteints. Une guitare sonne comme des larmes qui coulent sur la joue du destin. L'on est toujours seul dans le labyrinthe du monde. Don't try this at home : Faut toujours une morale à une histoire. Inutile de rouvrir les portes intérieures. Le drame se répètera. La musique devient aussi lourde que des plaques de chagrin. Les leçons de chose sont rarement objective. La brume des amertumes recouvre tout. Les guitares tombent en flaques sur le catafalque.
The Distance nous a servi un magnifique oratorio. Un oriatoriock. L'oeuvre s'écoute du début à la fin. Piocher un morceau serait une hérésie. L'ensemble possède son architecture. La voix de Mike conte une étrange pérégrination. Nous fait visiter le domaine. Suivez le guide. N'oubliez pas de descendre dans les fondations pour admirer la machine dragulardienne qui fournit l'énergie nécessaire au fonctionnement de l'édifice. Ensuite intéressez-vous à l'étrange alliage des guitares de Sylvain + Mike et de la basse de Duff qui tissent des murs de béton. Des cloisons mobiles qui tour à tour se dressent devant vous avec l'implacabilité des monolithes égyptiens, ou s'effacent subitement pour mieux réapparaître plus loin. Rien d'aléatoire dans cet étrange décor mouvant. Une intelligence préside ce jeu d'effacement et de surgissement. Vous pensez être libre de vos déambulations mais The Distance vous mène par le bout du nez. Le rock and roll est son domaine et le groupe en connaît tous les recoins et toutes les chausse-trappes. Profite de son savoir pour en bâtir comme un décalque annonciateur de quelque chose de nouveau, au sens baudelairien du terme. Cent pour cent rock and roll, et pourtant la construction n'est pas sans évoquer l'entremêlement d'un quatuor de Bartok. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une influence, je parierais plutôt pour une intuition formelle de l'appréhension des masses sonores. Un disque qui s'écoute et se réécoute sans fin si vous vous obstinez à en trouver la clef.
Ce n'est pas un bon disque de rock and roll. C'est une avancée.
Damie Chad.
LA PROCHAINE FOIS, LE FEU
JAMES BALWIN
( Traduction : Michel Sciama
Préface : Albert Memmi )
( Folio 2855 / Mai 1996 )
Il ne faut jamais jurer de rien. Surtout pas de l'avenir. La prochaine fois, le feu publié en 1963 était à lire comme un livre d'avertissement. Pas de menace, car si Baldwin prophétisait le pire, il indiquait une autre voie de sortie, qu'il tenait pour possiblement illusoire... Nous sommes à un moment charnière de l'histoire de la communauté noire américaine. Baldwin exprime en quelque sorte ce moment particulier où la nécessité de la violence révolutionnaire devient le point d'enjeu crucial de la réflexion des élites noires américaines. L'était temps de tirer le bilan des actions entreprises jusqu'à lors. L'écriture de ces deux courts textes réunis sous ce titre comminatoire correspond au moment exact où le mouvement noir se fractionne, l'angélisme de Martin Luther King commence à être sérieusement remis encore. Trois années plus tard, émergera de toute cette réflexion théorique le Black Panther Party qui prônera l'installation d'un rapport de forces beaucoup plus offensif. Un pistolet accroché à votre ceinture indique votre détermination. Même si vous ne vous en servez point.
Baldwin part d'un constat simple, d'une évidence. La situation doit changer rapidement, radicalement. La jeunesse noire qui monte n'est plus prête à suivre l'exemple de leurs pères. Ceux-ci ont usé leurs forces en un combat de longue haleine. Une interminable patience, une guerre d'usure. Se sont battus centimètre par centimètre, des milliers d'anonymes qui ont peu à peu redonné dignité et confiance à leurs pairs. Mais le temps des discussions, des pétitions, et du respect servile est terminé.
La tare du racisme n'est pas celle d'une oppression impitoyable. Il est facile de lutter contre l'ennemi de l'extérieur qui vous agresse. Mais lorsque les enceintes de la citadelle sont forcées et que l'occupant a pris le commandement la situation devient inextricable. La soumission, la collaboration et la pactisation s'emparent de votre esprit. Malgré vous, vous intégrez la fatalité de votre infériorité. Le noir n'a plus confiance en lui. Il est dépossédé de sa force vitale car il admet que le blanc lui est ontologiquement supérieur. Le processus de domination est achevé lorsque le dominé donne raison à son maître. S'en prend à lui-même, rejette sur lui-même la faute de sa déplorable situation d'être humain inférieur. Processus d'auto-culpabilisation destructeur.
Ce n'est pas un hasard si la religion chrétienne a si fortement imprégné l'âme noire. A été perçue comme un élément salvateur et par certains de ses aspects elle possède cette qualité. Vous redonne confiance en vous, vous donne la mission exemplaire de salvation de vos frères. Mais de fait elle vous enferme en vous-même. La lutte contre les démons qui vous assaillent sans cesse occupe votre temps. La religion vous confine dans la voie du salut individuel et vous empêche de participer à un combat collectif. Pour les diables qui titillent votre chair, Baldwin s'appuie sur son expérience personnelle. Entre quatorze et dix-sept ans l'a prêché tous les dimanches. Mais la pureté est une armure qui vous sépare de votre propre humanité charnelle davantage qu'elle ne vous rapproche des autres. L'amour chrétien n'a pas de sexe. La reconversion du jeune Baldwin en l'acceptation de ses instincts les moins spirituels débouche sur un corollaire idéologique de condamnation des moyens de lutte prônés par Martin Luther King. La non-violence n'est que l'autre face de la charité christologique. C'est alors qu'il est contacté par le Black Muslim d'Elijah Muhammad dont un des leaders les plus connus en Europe demeure Malocolm X même si celui-ci s'en est détaché durant les derniers mois de son existence juste avant son assassinat ( voir KR'TNT ! 290 du 14 : 07 2016 ). Baldwin n'a rien contre ces hôtes. Avoue même un préjugé favorable envers le groupe. L'est impressionné par les foules qui écoutent les discours des orateurs du mouvement. Et encore plus par l'attitude des policiers qui surveillent ces attroupements. Trop de monde, trop d'attention et de ferveur pour que les porcs puissent les interdire et les disperser sans provoquer des troubles qu'ils ne pourraient contrôler. Les flics ont la trouille. Pourtant le public est calme et pacifique. Mais il est dangereux de troubler l'eau qui dort. Une méchante bestiole pourrait en sortir. Inutile de faire des vagues.
C'est qu' Elijah Muhammad ne recherche pas la confrontation mais la séparation. Totale. Demande que soit octroyé aux noirs l'équivalent de sept ou huit états. Avec les déplacements de population nécessaires. Fait remarquer que cette thèse n'est point farfelue, elle est en parfaite corrélation avec les mouvements racistes suprématistes blancs d'extrême-droite. Chacun chez soi, le Christ pour les blancs et Allah pour les noirs. Baldwin refuse cette façon de voir. Que le racisme soit blanc ou noir, il reste un poison mortel. Pour lui l'avenir réside en le rapprochement des deux communautés. Nécessité et bonne volonté. Certes le plus gros du travail relève des blancs. Tire la sonnette d'alarme juste avant le déraillement. Sans quoi notre auteur ne répond plus de rien...
Un demi-siècle est passé. Les premières années ont semblé donné raison à Baldwin. La montée en puissance du Black Panther Party a fait vaciller l'establishment. Pas très longtemps. Le FBI et la Justice se sont empressés de décapiter le mouvement. Le BBP s'est dégonflé piteusement comme le soufflet aux trois fromages de Tante Agathe. Mais le Système a élargi les portes de secours destinées à la jeunesse. La pharmacopée des produits illicites a été développée ce qui s'est traduit par l'émergence d'une économie parallèle qui par effet de domino a entraîné la prolifération de gangs ultra-violents. Du pain bénit pour la police. Plus ils s'élimineront entre eux, moins ils auront de boulot. En plus cette montée de la violence permet les arrestations musclées dans le profil du bon indien mort... L'a aussi instauré une séparation dans la communauté, les couches les plus élevées se séparent des moins favorisées. La bourgeoisie noire faisant de plus en plus cause commune avec l'idéologie libérale du capitalisme américain. Barack Obama est l'exemple parfait de cette intégration réussie...
Deuxième exit. Le vieux rêve américain repeint en noir. La réussite sociale. Pas pour tout le monde. N'exagérons rien, si les pauvres s'enrichissent vous organisez l'extinction des plus riches. Une mince frange, mise en exergue sur les média, la musique adoucit les moeurs et dissout la colère. Le R&B est la vitrine qui sert de miroir aux alouettes. Même le rap des cités vient faire le beau et ramasser la tune.
En réalité les statistiques indiquent que le revenu moyen des pauvres ne comble pas l'abîme qui le sépare du minimum du seuil le plus bas de l'aisance financière... Les aides sociales sont plus que maigrichonnes. Les promesses des années soixante sont passées à l'as qui pique dur. Un lot de consolation tout de même. Il est devenu très politiquement incorrect de traiter un afro-américain ( ne pas lire un affreux-américain ) de nègre. Surtout si vous spécifiez qu'il est sale. C'est ce que l'on appelle la politique des petits pas. Qui ne permettent pas d'avancer beaucoup. Les noirs sont devenus en leur grande majorité des pauvres, des assistés, des chômeurs professionnels, des drogués. N'y voyez aucune malice, sont traités à égalité parfaite avec les mexicains, les porto-ricains, les blancs des couches inférieures et même les indiens qui ont toujours une plume de trop qui dépasse de leurs réserves.
La Prochaine Fois, le Feu sonne comme un remake de En attendant Godot. Wait and see. Mais rien ne vient. James Baldwin a lancé une grenade de désencerclement. Mais ce fut un coup plus rien. Dans l'immédiat, il y eut bien les émeutes de Wats en 1965 et l'été de la haine en 1967, près de cent trente révoltes dans les banlieues chaudes de Detroit, Newak, et autres grandes agglomérations du pays. Des dizaines de mort, mais l'ordre a fini par régner. Aujourd'hui la sinistre prophétie ne fait plus peur à personne. Nous sommes déjà à après-demain. Qui tirera les leçons de cet échec ?
Damie Chad.
NEGUS
N° 1 / Juillet 2016
Une revue noire pour les noirs par des noirs. C'est écrit en grosses lettres rouges sur la couverture : Les Noirs Prennent La Parole. Je me méfie des identités que l'on brandit comme une fin en soi. Ne suis pas plus fier que honteux d'être blanc ou français. Premièrement parce que je n'y suis pour rien. Pas de ma faute. Deuxièmement parce que je n'y peux rien. Ne fais confiance qu'aux individus. Sans oublier que souvent ce sont les circonstances qui révèlent les qualités et / ou les tares de tout un chacun davantage que le quidam ne suscite les aléas... Pour parler mathématiquement si l'on considère que quinze pour cent des blancs sont indignes du nom d'homme, je pense que vous retrouverez le même pourcentage chez les noirs, les jaunes, les rouges, les bleus et les verts. Idem pour les nationalités. Quant à l'admiration que je porte à tel ou tel individu ce n'est jamais en fonction de sa couleur ou de sa nationalité mais pour pour ses réalisations tant au niveau politique, artistique, professionnel, etc...
Négus part d'un constat simple : jusqu'à sa propre parution, il n'existait pas en France de journal dirigé, et rédigé en leurs plus grandes parties, par des noirs. Je veux bien le croire, mais la réparation de ce manque éditorial ne m'apparaît guère comme une assurance de qualité. Faut juger sur preuves. Sans oublier que si les majorités silencieuses ne se bougent guère pour améliorer leurs situations ce sont bien les minorités actives qui font avancer l'Histoire.
Sur ce, Negus est une revue qui se lit avec plaisir. Et intéressante. Bien mise en page, aérée, bien écrite. Une face A conjuguée sur le modèle afro-américain I'm black and I'm proud qui consiste à montrer les personnalités noires qui ont réussi en leurs domaines que ce soient des sommités universellement reconnues comme Mohammed Ali avec en contre-miroir les dires de Joe Frazier qui écornent quelque peu le mythe, ou des petits gars bien de chez nous comme Güllit Baku né dans le quartier du Mirail de Toulouse qui bosse dans une des plus prestigieuses agence de pub. Une de celles qui reçoit les commandes des grandes marques qui peuplent le triste imaginaire consumérial de beaucoup de nos contemporains. Une belle réussite, mais perso j'éprouve un malaise quand je pense à tous ces enfants des milieux populaires qui à force d'audace, de talent, et de travail parviennent à s'intégrer dans les élitistes de commandement ( qu'il soit privé ou public ) de la culture libérale. Chevaux de Troie ou traîtres à leur classe ? Préfère de loin l'action revendicative d'Afeni Shakur infatigable combattante et résistante des USA. Fut aussi la mère du rapper 2Pac assassiné à l'âge de vingt cinq ans. Puisque l'on est dans la sphère du hip-hop autant mentionner l'interview de Booba qui défend, avec raison, sa stratégie autonomique de production de ses propres oeuvres. L'article consacré à Obama n'est pas vraiment méchant, l'on y sent surtout de la déception. La cause noire n'a guère évolué durant ses deux mandats de président des Etats-Unis. Beaucoup pensent qu'elle a régressé.
Face B, moins visible. Un fil noir qui parcourt les différents articles. Un peu en filigrane. D'un côté Negus affirme que l'exemple du combat des noirs américains ne saurait être reproduit en Europe, car trop spécifique. Etrangement pour une revue qui espère devenir un des porte-drapeaux de la communauté noire française, mais très logiquement si l'on a quelque peu réfléchi à la problématique politique, les espoirs se tournent vers l'Afrique. Non pas les chefs d'état africains actuels véreux et à la solde des multinationales blanches, mais vers le vieux rêve de l'unification de l'Afrique, ce pan-africanisme dont un Patrice Lumumba reste un des héros. Assassiné comme il se doit. Une belle idée qui pour l'instant reste remisée sur l'étagère poussiéreuse des utopies irréalisables. En tout cas ce n'est pas gagné d'avance. Suffit de jeter un coup d'oeil sur les pays arabes pour juger du naufrage du pan-arabisme pour être certains que les élites des pays occidentaux préfèrent le morcellement chaotique de leurs anciennes colonies à des unités supra-nationales maîtresses de leur destin...
Un bel avenir réflexif s'offre à Negus. Peut aussi choisir de surfer sur le clinquant des réussites sociales personnelles qui sont comme les derniers baobabs qui cachent la destruction des forêts équatoriales mises en coupe réglée par nos multinationales chéries. Difficile pour l'instant de prédire le chemin futur qu'empruntera la revue. Ses rédacteurs ont l'air de posséder des idées plus acérées qu'il n'y paraîtrait si l'on se donne la peine de lire entre les lignes. La seule méthode de lecture digne de ce nom.
Le numéro deux serait en préparation, tarde quelque peu, l'est attendu par beaucoup. Une initiative à soutenir.
Damie Chad.
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