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27/10/2021

KR'TNT ! 527 : JOHN DOE / ROCKABILLY GENERATION NEWS / DEAN CARTER / MONSTER MAGNET / BARON CRÂNE / MONA CABRIOLE / BARABBAS / ROCKAMBOLESQUES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 527

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

28/ 10 / 2021

 

JOHN DOE / ROCKABILLY GENERATION 18 & 19

DEAN CARTER / MONSTER MAGNET

BARON CRÂNE / MONA CABRIOLE / BARABBAS

ROCKAMBOLESQUES

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

John a bon Doe

Depuis disons l’origine des temps, X a toujours occupé une place de choix dans les étagères. Il était d’usage de rattacher X au punk-rock angelino qui n’était pas fameux, mais justement, X s’en démarquait par une certaine originalité de ton, par un chant à deux voix et surtout le style flashy de Billy Zoom, un fier caballero qui sentait bon le rockabilly. La légende voulait que Billy Zoom ait accompagné Etta James et Big Joe Turner. L’autre point fort d’X était John Doe, un mec de Baltimore qui préféra s’installer à Los Angeles plutôt qu’à New York pour monter un groupe. Et bien sûr le point faible d’X était Exene qui, pour dire les choses franchement, chantait comme une casserole, mais bon, elle était la poule de Doe et avait donc voix au chapitre. L’ensemble était claquemuré par un gigantesque batteur, le hard-hitting et bien nommé D.J. Bonebrake.

Donc Doe rencontre Exene dans un arts centre nommé Beyond Baroque, coup de foudre, puis il passe une annonce et c’est parti mon kiki d’X. Billy Zoom enquille l’X, suivi de Bonebrake, puis les clubs, Madame Wong, le Masque et le Whisky où traîne parfois Ray Manzarek. Dans le répertoire d’X se trouve «Soul Kitchen» et c’est joué tellement vite que le vieux Ray du cul ne le reconnaît pas, c’est sa femme qui sursaute : «Ray, y jouent une Doors song !». Du coup Manzarek s’intéresse au groupe et propose de les produire. Voilà, c’est aussi bête que ça.

Doe pense que Manzarek s’intéresse aussi à eux parce qu’Exene et lui écrivent de la poésie, comme le faisait Jimbo. Oh oh...

Sur Los Angeles, leur premier album paru en 1980, X nous touille une belle cover du «Soul Kitchen» des Doors. Ils l’amènent au big sound et même si celle folle d’Exene chante comme une casserole, ça passe - Still one place to go - Ils le font à deux voix, learn to forgive, et Billy zoome bien son solo. L’autre belle pièce palpitante de ce premier album est le morceau titre, bien sûr. En duo ils sont excellents, ils dégagent une énergie considérable. Par contre, le reste de l’album n’est pas très révolutionnaire. Ils grattent la plupart des cuts envers et contre tout. Leur force, c’est le rejointement de Doe et de cette fille qui ne chante pas vraiment bien. Mais ils font leur truc et ça leur donne du mérite. Le fait qu’elle chante si mal fait-il partie du concept punk de Los Angeles ? Va-t-en savoir. En général quand c’est elle qui attaque, c’est foutu d’avance, comme c’est le cas avec «Nausea». Manzarek qui produit aurait dû la faire taire. Doe n’en finit plus de faire son petit exacerbé pour cacher la misère dans «Sugarlight» et «Johnny Hit & Run Paulene». Ils terminent avec «The World’s A Mess It’s In My Kiss» : ça joue aux échanges collatéraux, c’est bardé de bons passages d’accords et de troc de voix, par chance la voix d’Exene se fond dans celle de Doe, alors ça devient supportable. Autant lui est bien, autant elle insupporte, mais comme chacun le sait, il s’agit du problème d’un grand nombre de couples. La pauvrette ne fait pas souvent l’affaire.

Pas de hits sur Wild Gift paru l’année suivante, mais un excellent «White Girl». Doe rentre bien dans le lard du cut. «Beyond And Back» est plus rockab, monté sur l’excellent drumbeat de Bonebrake. Eh oui, c’est Bonebrake qui par sa constance, fait le son. Tout ici est monté sur le même modèle : Doe lance les dés et la folle vient le rejoindre dans la couche conjugale et ce n’est pas toujours du meilleur effet. Heureusement que Billy Zoom et ce batteur génial sont là. C’est bien Banebrake qui fait l’X. Ils collectionnent aussi les cuts catastrophiques comme «We’re Desperate» ou «Some Other Time». Elle se prend pour la passionaria de la Californie et fait mal aux oreilles. Dommage pour Doe qui essaye de monter un projet culte et qui se retrouve avec un projet cucul la praline. On s’emmerde comme un rat mort à l’écoute d’«Adult Books». On souhaite surtout qu’elle ferme sa boîte à camembert. C’est un peu le même problème que celui d’Oates dans Hall & Oates : dès qu’Oates ouvre le bec, il ruine tout. Quel gâchis ! Ils ont un bon guitariste mais dès qu’elle la ramène dans «Universal Corner», elle ruine tout. Le pire c’est qu’ils croient faire de l’art. Ils ont bien failli décrocher la timbale avec «It’s Who You Know» car Billy Zoom s’y prend pour Ron Asheton, mais ça s’écoule assez rapidement. Pourtant il y a du son.

On trouve sur leur troisième album Under The Big Black Sun un coup de génie intitulé «The Have-Nots», c’est-à-dire les défavorisés. C’est un festival d’envolées, une suite de couplets hargneux et de refrains chantés à deux voix - Dawn comes soon enough/ For the working class/ It keeps getting sooner or later/ This is a game that moves as you play - On ne croise pas tous les jours des cuts d’une telle classe. Ça sonne comme les plus grands hits des Stones - At Jocko’s rocketship or the One Eye Jack/ My Sin & The Lucky Star/ A steady place to study and drink - Il faut voir comme c’est balancé et John Doe descend dans le giron du Juju avec ce génie vocal qui va le rendre légendaire. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Le reste de l’album est très punk. En fait, c’est Bonebrake qui vole le show dans «Motel Room In My Bed», «How I (Learned My Lesson)» ou «Because I Do». On note que Ray Manzarek continue de les produire. Dommage qu’Exene chante si mal. Elle fait mal aux oreilles dans «Riding With Mary». Mais prod de rêve. Ils se tapent une petite crise d’exotica avec «Dancing With Tears In My Eyes». Ça leur va comme un gant. Billy Zoom y fait la pluie et le beau temps.

Le More Fun In The New World qui sort l’année suivante est un bel album. Nouveau coup de génie avec le morceau titre en ouverture de bal d’A. C’est leur grand hit. Fière allure, joli riff de Billy Zoom et c’est chanté à deux voix. American power. C’est d’ailleurs leur seul big hit de big time. Après, ça se dégrade. Ça ne tient que par Bonebrake. Une fois de plus, Ray Manzarek signe une prod superbe, comme enveloppée. Mais dès qu’Exene chante, ça ne va pas. Dommage, car le son plaît beaucoup, avec un Bonebrake bien au devant du mix. Il faut attendre «Make The Music Go Bang» pour frémir un coup. C’est joué à la clameur. Ils tiennent une bonne formule : clameur de voix, big Bonebrake et petits éclairs de Les Paul en or. Bonebrake fait encore des siennes en B avec «Devil Doll». Comme ce mec bat bien ! Il est sec et net et sans bavure. Billy zoome quand il faut. C’est encore Bonebrake qui porte «Painting The Town Blue» à bouts de bras. Leur «Hot House» renvoie aux assauts de l’Airplane. Mais le reste de l’album ne vaut pas tripette. Ils s’amusent avec le funk dans «True Love Pt #2» : on se croirait chez les Talking Heads. On n’est pas là pour ça.

Quelques énormités sur Ain’t Love Grand, un album dépossédé de sa pochette et quasi dépossédé de son bal d’A. Les compos peinent à rafler la mise du docteur Artémise. Ils tentent de revenir aux fondamentaux, mais ce n’est pas chose facile. Peut-être espèrent-ils que «My Godness» soit une bonne chanson ? Sont-ils assez crédules pour en arriver là ? Le bal d’A se réveille avec le stomp d’«Around My Heart» mais les X s’épuisent à vouloir sauver les meubles. Ah le matérialisme ! C’est en B que se joue le destin de l’album avec «What’s Wrong With Me». Dès qu’ils attaquent à deux voix, ça redevient du pur jus d’X, avec un Billy qui zoome. Joli shoot de twin attack avec un what’s wrong with me jeté en pâture aux fauves et un Billy qui n’en finit plus de zoomer. Ils font ensuite une belle reprise de l’«All Or Nothing» des Small Faces. Il manque la voix, mais Doe pousse bien son petit bouchon. Il va chercher son meilleur chat perché. Encore du vrai rock d’X avec «Little Honey» et un Doe au devant du mix. Cut sauveur de meubles. Doe est capable d’énormités, il est bien entouré. Vroom et voilà «Surpecharged», back on X avec du L.A. beat on the rocks et les riffs malsains du grand Billy Zoom. Ça ne demande qu’à exploser.

Malgré tous ces efforts, X ne décolle pas et Billy Zoom annonce qu’il quitte le groupe, car il a besoin de croûter. Il reprend son vieux job in electronics, fixing amps and stuff.

Rien à dire non plus de la non-pochette de See How We Are. On les sent plus déterminés que jamais sur l’«I’m Lost» d’ouverture de bal. Leur heavy pop bombastique n’a jamais été aussi explosive. Heureusement, Doe prend le lead et elle reste derrière. Elle a déjà fait assez de dégâts comme ça. Doe veille bien au grain. Un certain Tommy Gilkyson remplace Billy Zoom. Mais dès qu’Exene attaque un cut, le cauchemar recommence, comme c’est le cas avec «You». Cette fois, ils vont plus sur la power-pop et s’autorisent quand même un petit shoot de punk’s not dead avec «In The Time It Takes», chanté à deux voix et propulsé par nuclear Bonebrake. Merveilleuse giclée ! Avec «Surprise Surprise», ils se prennent pour Blondie alors t’as-qu’à voir ! Wow comme cette folle chante mal ! Ils cherchent leur voie comme d’autres cherchent des truffes.

Le premier live d’X est un double album, comme celui des Doors : Live At The Whisky A Go-Go On The Fabulous Sunset Strip sort en 1988, sur Elektra, comme celui des Doors. Mais ils ne proposent pas de reprise des Doors, comme ils le feront sur les live albums à venir. Ils profitent de ce bon live pour repasser au peigne fin tous leurs hits à commencer par «Los Angeles» qui développe une fabuleuse énergie avec son raté de beat en bam/bam/bam si judicieux. Doe does it right et elle arrive dans le chant, alors ça fonctionne. Ils font une magnifique restitution de «The New World», un de leurs hits les plus vaillants, porté par le tapis magique d’un accord de guitare et amené à deux voix, scandé au pur power. Exene réussit l’exploit surnaturel de nous casser les oreilles avec «Surprise Surprise». Elle fait sa Blondie et dès qu’elle force, elle est fausse. Il y a quand même pas mal de déchets dans le punk-rock angelino («Because I Do», «My Godness»). Doe charge la mule de «Blue Spark» et ça devient excellent. Tout est monté sur le beat turgescent du big Bonebrake. Cut after cut, il bat sec et net. «Devil Doll» va vite en besogne. X n’est pas le genre de groupe à traînasser pour admirer le paysage. Ils filent comme des bolides. «Hungry Wolf» sonne comme un bel assaut frontal et dans «Just Another Perfect Day», Exene se prend pour Jimbo, alors on voit d’ici le désastre. «Unheard Music» est l’un des phares dans la nuit car joué à la heavy cocote et touillé aux deux voix confondues. Le riff est d’une rare splendeur. Leur truc c’est d’entretenir la braise et ils sont passés maîtres dans cet art qui remonte à la nuit des temps. Ils restent sur leur élan avec «The World’s A Mess», chanté à deux voix et porté par le power beat de Bonebrake-Tinguely le perpétuel. Ce superbe batteur semble toujours naviguer au haute mer, tellement il est puissant. Une sorte de magie règne sur le «White Girl» qu’on retrouve en D. C’est le grand hit d’X avec «The Have-Nots» qui brille par son absence. «White Girl» est une merveille sculpturale, dévorée en interne par les incidences du riff.

Allez, on va dire qu’Hey Zeus est un bon album. Cinq bons cuts sur onze, c’est extrêmement honorable, n’est-il pas vrai ? Ils y claquent leur bouquet habituel et on craint par dessus tout de voir la folle apparaître. Pour «Big Blue House», ils renouent avec le déroulé de «The New World», même ambiance, pacifiée aux deux voix. On adhère facilement. Ils forgent leur caractère. X est alors encore un jeune groupe, ça peut se comprendre, after all. Ils adorent lancer leurs attaques à deux, comme l’Airplane avant eux. Ce «Big Blue House» est presque bon, ils tentent la percée musicologique et c’est une bonne idée. Ils font aussi un «New Life» bien powerful. Doe s’arrange toujours pour retomber sur ses pattes. Ce mec est un cador, il refuse de se résigner et donc il chante à outrance. Back to the heavy chords avec «Country At War» et back to the chant à deux voix. Doe tente de créer sa mythologie et il le fait avec une belle notion de la niaque, la folle est parfaite quand elle se fond dans le chant avec lui. Se fondre, tel est le secret du sombre Doe. Ils restent dans le heavy rock avec «Into The Light». Il faut suivre Doe, il est comme Allah, il connaît le chemin. La formule d’X ? La belle engeance de la prestance. Ils tartinent leur heavy pop de Mulholland & Vine et c’est excellent. «Lettuce & Vodka» sonne comme un retour de manivelle punk, ils le tapent à deux voix, comme d’usage, c’est bien construit, pur jus d’X avec de l’interaction. Ils sont tellement dans leur élément qu’on s’en prosterne, c’est plein de clameurs, Remember ! Remember ! C’est elle qui lance «Baby You Lied» et bizarrement, elle est bonne. Alors c’est à n’y plus comprendre, voyez-vous.

Paru deux ans après Zeus, Unclogged est encore un album live. Pochette foireuse, mais on y trouve enfin une version live de «The Have-Nots», jouée au groove de jazz-rock et là Doe fout le paquet - And the Hi-Di-Hi & the Hula gal/ Bee-hive Bar and the / Ziron Lounge/ Gi-Gi’s Cozy Corner/ And the Gift Of Love - Doe joue avec les noms des bars au stop and drink, au sit ans sip, au rest in pieces - Dexter’s New Approach and the/ Get Down Lounge - c’est tellement puissant que ça balaye tout le reste, même le puissant «White Girl» d’ouverture d’X shuffle et ce riffing qui rafle bien la mise & cette fille qui vient chanter en contrepoint & Bonebrake on the vibraphone. Ils tapent aussi leur «Burning House Of Love» au heavy country honk et c’est excellent. Doe est l’un des rois du country honk, il sort ici une mouture énorme. Quant au reste, c’est un peu comme d’habitude. Dès qu’Exene la ramène, c’est pas terrible. Quand on l’entend chanter «Because I Do», on se doute bien qu’elle doit être assez vulgaire dans la vie de tous les jours. On ne va pas rentrer dans les détails. Chaque fois qu’elle ramène sa fraise, elle gâte la marchandise, comme c’est le cas avec «Lying In The Road» ou «The Stage». Et c’est encore pire dans «True Love», car ils jouent à coups d’acou et les guitares ne cachent plus la misère.

Un autre Live In Los Angeles paraît en 2005. On y retrouve tous leurs vieux coucous sauf le plus important, «The Have-Nots». Bon ils nous font quand même la grâce de reprendre «The New World», avec les accords scintillants de Billy Zoom et le doublé de voix au chant. Quel beau hit ! Billy joue dans le gras du groove. Sur ce live, cette folle d’Exene ruine un sacré paquet de cuts, comme «Nausea» ou «Year 1». Dommage, car sur scène, X tourne à plein régime, c’est même très impressionnant. C’est encore elle qui chante «We’re Desperate» et «Beyond And Back», c’est insupportable, alors Doe vole à son secours, c’est sa raison d’être et celle d’X, Doe est le chevalier blanc du punk-rock angelino. Quand ils chantent à deux voix, ça peut devenir énorme, tiens comme cette version de «White Girl», soutenue à la grosse cocotte de Billy qui s’en va soudain slasher à travers la pampa. Billy multiplie encore les exactions avec «The Unheard Music», power pur et la fête se poursuit avec un mighty «Los Angeles» attaqué à deux voix. Tout ce qu’ils chantent à deux voix sonne merveilleusement bien. Encore un bon exemple avec «I’m Coming Over», bien meilleur en version live qu’en version studio. Doe continue de faire la pluie et le beau temps dans «Blue Spark». Leur tenue dans «Johnny Hit & Run Paulene» ne laisse rien à désirer et Bonebrake fait des ravages dans «Motel Room In My Bed». Ils jouent leur carte du LA punk à fond de train. Puis ils virent quasi-stoogy avec «It’s Who You Know», Billy fournit tout le fourniment. Ils finissent par jouer par dessus les toits, donnant à leur «Devil Doll» une allure de rockab incendiaire. Cette concoction Bonebrake/Billy Zoom peut se révéler explosive. Doe monte au créneau pour «The Hungry Wolf» et c’est excellent, car tendu à se rompre. Billy bat la campagne, son énergie bat tous les records. Dommage qu’elle chante «The World’s A Mess It’s In My Kiss», car c’est un beau cut, bien anxieux, bien punkish, mais chanté au trempé de sueur, insidieux au possible et Billy fait son festival, il virevolte dans les hauteurs du LA punk, c’est dingue ce que ce mec amène comme élégance dans l’exercice de sa fonction. Et voilà, la fête s’achève avec «Soul Kitchen». Ils passent les Doors à la moulinette d’X. Dommage que cette pauvre folle chante l’intégralité du cut. C’est une insulte à la mémoire de Jimbo.

Album du grand retour et album inespéré avec Alphabetland paru sur Fat Possum en 2020. On pourrait aller encore plus loin : si tu achètes un seul album d’X, c’est forcément celui-ci. C’est plein de son dès le morceau titre d’ouverture de bal. Trop de son ! Ils sortent tout leur power d’antan et le sur-mastérisent. Aw comme ces mecs sont bons ! On retrouve la formule gagnante Doe/Zoom/Bonebrake et quel bonheur de voir Billy le killer partir en maraude. Avec ce morceau titre, on est bien obligé de crier au loup. Ces mecs ont tellement de son qu’ils injectent des doses énormes, et l’amateur va droit au tapis. Voilà l’exemple type du cut qu’on réécoute plusieurs fois dans la foulée tellement c’est bon, bien construit, bien posé sur le beat, bien au-delà des critiques, «Alphabetland» emporte les barrages, le solo de Billy Zoom est à tomber de sa chaise, wow comme on est content de les retrouver en si bonne forme. Leur niaque de punk’s not dead est intacte comme le montre «Free». Avec Doe au drive, ça vire monster beat. C’est violent et plein d’allant définitif et bien sûr ce démon de Billy Zoom allume la mèche. Zoom kill kill ! La gourmandise punk d’X est unique au monde. Nouveau coup de génie avec «Water & Wine». Avec le temps, Exene s’est améliorée et là ça devient sérieux. Chant à deux voix, l’art sacré d’X, pur jus de punk angelino, on peut difficilement espérer meilleure résurrection, c’est de la dynamite. Ils enchaînent avec le big heavy rock de «Strange Life». Avec un mec comme Doe, il faut s’attendre à tout, surtout à ce rock chanté à deux voix et infesté de riffs. C’est encore du genius à l’état pur, terrific de power sous le vent. Ils ont leur truc et c’est profondément bon. On y croit dur comme fer, Zoom kill kill incendie à bras raccourcis et les cuts deviennent fascinants. Doe monte le LA punk comme un théâtre et on assiste au spectacle. Ils sont quasiment les seuls à savoir jouer l’angelino punk de façon aussi passionnante. Même quand ils déboulent à 100 à l’heure, on les suit sans discuter. Ils reprennent le chant à deux voix pour «Star Chambered» et ça redevient fabuleux, comme débordé par l’extérieur, overwhelmé dans l’œuf de l’X. Exene chante mieux alors Doe ramène du répondant de défenestration. On a là le power à l’état le plus pur. Nouveau coup de génie avec «Angel On The Road». Fondu de voix superbe, ils développent encore plus d’énergie qu’à leurs débuts, comme si c’était possible. Évitez de voir les photos presse récentes, car les X ont pris un méchant coup de vieux, il faut juste se contenter d’écouter cet album mirifique. Ils proposent le punk-rock de la modernité avec une justesse de ton et un fondu de voix inégalables. Ils terminent avec «Goodbye Year Goodbye» qui sonne comme une belle dégelée d’immense punk-rock angelino.

En 1995, Doe entame en parallèle une carrière solo avec The John Doe Thing et un premier album qui s’intitule Kissingsohard. Pour ça il s’entoure du fils Waronker et du jazzman Smokey Hormel. Force est d’avouer que c’est un excellent album et ce dès le «Falling Tears» d’ouverture de bal. Back on the heavy beat, comme dirait l’autre, ce heavy rock californien passe comme une lettre à la poste, bien léché aux guitares et hanté par des distos souterraines. Doe does it right. Avec «Safety», ils passent en mode encore plus heavy et c’est goûtu. Doe plonge dans l’histoire du rock, il arriverait presque à sonner comme les Small Faces. On s’accroche à sa chaise car voilà qu’arrive un solo déterminant. De toute façon, Doe est toujours déterminant. Il est déterminant quoi qu’il fasse. Il passe en mode heavy trash punk avec «Love Knows». Il est parfaitement à l’aise dans cette soupe angelinotte. Il a comme on dit des chevaux sous le sabot. Puis il s’en va chanter «My Godness» à la clameur viscérale. C’est à nous de suivre. Il faut faire vite, car il chante bien. Il développe une véritable énergie tellurique. Il touche toujours au but. Tous les cuts de l’album touchent au but, c’est assez désarmant. Il ressort la grosse artillerie un peu plus loin avec «TV Set», il chante à la glu de chant, à la Jimbo, il colle à son thème avec une classe indécente et s’offre le luxe d’un solo de père fouettard. Il s’offre même un deuxième luxe, celui d’une montée en puissance à la fin, il porte tout ça à la seule force du chant. S’ensuit l’encore plus fascinant «Beer Gas Rise Forever». Cette façon qu’il a de coller au chant ! Il reste en permanence dans l’instinct du chant c’est très spectaculaire car digne des Doors, il pousse une sorte de push ultime. Et tout est bon jusqu’à la fin, jusqu’à ce heavy «Liar’s Market» compressé dans le son.

Cinq ans plus tard, The John Doe Thing récidive avec Freedom Is. Sur cet album, Doe claque du vieux doom. On suit ce mec de toute façon, quoi qu’il fasse. Il demande à son friend de le catcher - Catch me - C’est du heavy Doe d’évidence. Avec cet album, il vise le big atmospherix. Il tape ses compos comme s’il était le roi du hit-parade et ça prend vite des tours. Il balaye les vagues de l’océan, il est d’une certaine façon le Victor Hugo du rock californien. Avec une belle barbe, il ferait illusion. Quel power ! On ne compte pas moins de cinq big cuts sur cet album, ce qui semble être la vieille moyenne d’X. À commencer par «Telephone By The Bed», une heavy pop qui sonne comme la marée du siècle. Doe sait lever des légions avec de superbes coups de guitare. Il gratte à la sauvage, il a toujours été bon dans le fast drive de chords. Il enchaîne cette merveille avec une autre merveille, «Ever After». C’est encore une fois du pur Doe, bien poussé dans les extrêmes, bien secoué du cocotier. Il passe à l’exercice délicat de la Beautiful Song avec «Ultimately Yes». Irréel car tellement mélodique. Quasi Buckley dans l’âme, angle mélodique parfait. Il faut écouter ce mec car il est bon comme le pain chaud. Il accroche toujours plus, cut after cut, on sent comme une progression. Il amène son «Smile & Wave» au vieux boogie claqué d’accords certains et il chante le mords aux dents. Somptueuse rockalama. Mais son terrain de prédilection reste le punk-rock, comme le montre «Too Many Goddam Bands». Il adore foncer dans le tas. Vas-y mon gars Doe, fonce ! C’est l’un des grands fonceurs de Californie et en plus, il chante à la petite ramasse de la rascasse. Il fait son cirque et il faudrait presque que ça se stabilise pour qu’on comprenne. Ce mec manie la puissance avec la poigne d’un forgeron du moyen-âge, il travaille l’acier de sa pop au marteau. Doe l’excellent guy s’enfonce dans «Totally Yours», il fait son business, after all, Doe est bon mais il reste Doe.

En 1990 il attaque une carrière solo avec Meet John Doe. Pour le meeter, on le meet, pas de problème. Il propose d’emblée du big sound et comme ce mec chante bien, ça crée de la confiance. Il envoie ses vieilles clameurs, il a du métier et même une vision, alors forcément ça coule de source. Une petite gonzesse l’accompagne sur les montées en puissance, comme dans l’X. Doe sait très bien ce qu’il fait. Il y a du Vulcain en lui, une science très ancienne de la forge. Le son de cet album nous submerge, cet enfoiré sait nous cueillir au menton et personne n’ira se plaindre. Il fait du big Doe de charme, c’est un rocker chaleureux et bienveillant auprès duquel on aime bien se pelotonner, si on est une gonzesse, bien sûr. Cut après cut, il va chercher des vieux réflexes de son, c’est très spécial, après on fait comme on veut : soit on apprécie, soit on ferme les écoutilles. Chacun cherche son chat. Il faut cependant attendre «The Real One» pour frémir. Doe propose là un retour de manivelle de belle pop atmosphérique. Il faut bien dire que ses envolées valent le détour. Il embraye aussi sec sur «Take #52», une Beautiful Song digne de Fred Neil. Doe adore exceller, il a les moyens de sa justesse. Et comme si cela ne suffisait pas, il enchaîne avec «Worldwide Brotherhood», un cut quasi-anglais tellement c’est plein d’esprit de son. Quelle dégelée royale, baby ! C’est un big heavy sludge, une pure énormité, il s’en va hurler sa hurlette là-haut sur la montagne et c’est salué par des guitares dévoyées. Bon après, c’est moins convaincu, il fait ses petits trucs dans son coin et il a raison. «Touch Me Baby» sonne comme du petit boogie MTV et on sent ici un léger manque de sincérité. Oh pas grand chose, mais quand même.

Doe fait des albums délicieux, comme le sont ces petits gâteaux spongieux aux pépites de chocolat. L’un des meilleurs exemples serait sans doute Dim Stars Bright Sky. Eh oui, à l’autre bout du monde, Doe crée de la magie. «Always» relève du génie pur, can’t keep my heart from burning, dit-il en groovant sa ramasse, il a une façon très spéciale de dériver, driving in circles, my hands like that clock they move one by one, il faut l’entendre chanter ça, il dérape dans l’excellence du groove, just gave up drinkin’/ Drivin’ away, il épouse le feeling de ses paroles, cette façon qu’il a de dire I always dream of you fait penser à Mercury Rev, et il revient inlassablement à cette formule magique, coming a long way from you/ But I always dream of you. Impossible de résister à ça. On croise rarement des chansons qui montent aussi massivement au cerveau. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «This Far», un balladif éclatant de pop. Doe avance à couvert et s’en va exploser sa pop avec une voix qui ne frime pas. C’est sa force, le pouvoir du lousdé du Doe, il explose son «This Far» avec cette majesté qu’il montrait déjà au temps de «The Have-Nots», c’est le génie vindicatif de Doe, il ne la ramène pas, il n’est là que pour les chansons. Sur le reste de l’album, il fait du gratté d’acou au coin du feu. Il a du texte, alors pas de problème. Certains cuts n’ont rien dans la culotte, mais c’est pas grave. Doe fait régner une ambiance spéciale. Il sait donner du temps au temps. Son «Closet Of Dreams» finit par convaincre. Et même s’il démarre son «Forever For You» sur le drumbeat des Champions de Queen, il sauve les meubles en chargeant sa mule de pop. Il sait hanter un son. Il a même un cut qui s’appelle «Magic». Il sait faire décoller un cut du sol. On croit que ça ne va pas marcher et si, il y parvient systématiquement. Il va ensuite chercher de sacrés rebondissements et on finit par tomber immanquablement sous le charme. Il tourne la pop de «Backroom» en pop lumineuse et l’album est tellement réussi qu’on le réécoute dans la foulée, histoire d’être bien certain de n’avoir pas rêvé.

Du coup, on se retrouve en état d’alerte quand arrive un nouveau Doe solo. Forever Hasn’t Happened Yet ne déçoit pas les attentes, bien au contraire. Dommage que les notes de pochette soient illisibles. Doe s’entoure ici d’une belle équipe de copains, à commencer par Grant Lee Phillips et Dave Alvin. Ils démarrent avec un vieux delta blues de Los Angeles, «The Losing Kind». C’est assez puissant et ça tue bien les mouches. Et pouf, violent coup de génie avec «Heartless», power atroce, on se croirait à Memphis, on a du son plein les oreilles, quelle désaille ! C’est même digne du ‘68 Comeback. Dave Alvin l’allume au bulbic. Une certaine Veronica Jane vient duetter avec Doe sur «Mona Don’t». Elle se positionne en contrepoint du big Doe qui reste en mode soft-power. C’est d’un balèze qui va loin. Il explose son rock avec une aisance indécente. «Mona Don’t» est apoplectique de son et de présence. Doe booste son rock sans forcer sa glotte. Il duette plus loin avec Neko Case sur «Hwy5». Elle lui donne la réplique comme au temps de l’X, c’est infernal, plein de jus et ça tourne à l’horreur congénitale avec du killer solo flash à la clé. Pour réussir ce coup de Jarnac, il passe en mode sludge d’overdrive. Ce mec règne sur son empire, ne vous faites pas de souci pour lui. Il groove son «Worried Brow» comme n’ont jamais su groover les Doors, il est dans l’absolu du groove, dans l’expression du génie contenu. Et pour «Your Parade», il s’adjoint des poulettes éplorées qui viendront le rejoindre dans le lit du fleuve. Il adore mêler sa bave à celle des poules, mais c’est commun à tous les hommes. Il sait aussi se montrer pur côté roots, comme le montre «There’s A Black House», il passe en confiance et s’adjoint les services de Kristin Hersh. Ce sacré Doe est rompu à tous les métiers. Il explose le rock de «Ready» sans préambule. La reine Kristin revient duetter avec le roi Doe et ça devient monstrueux de classe, ils règnent tous les deux sans parage sur le monde du rock californien.

Ça finit par devenir une manie chez Doe, les big albums. En voilà encore un : A Year In The Wilderness. Paru en 2007, toujours sur Yep Roc, comme Chuck Prophet. Attention à «Hotel Ghost», Doe allume la gueule de son cut au one two et pouf, ça te saute à la jugulaire, tu as là le summum du power rock angelino. Il enchaîne aussi sec sur «The Golden State». Cet enfoiré a tout le son dont on peut rêver. Il étend son empire quand il veut. La poule qui chante avec lui s’appelle Kahtleen Edwards et elle est bonne, les voilà tous les deux jetés dans le feu de Dieu, ils sont au delà de toute expectative, chant à deux voix et tu tombes de ta chaise, you are the hole in my head ! Pour calmer le jeu, Doe fait un peu d’Americana avec «A Little More Time» et soudain tout explose à nouveau avec un «Unforgiven» riffé en pleine poire. C’est la spécialité de Doe, le son d’un autre monde avec la voix d’Aimee Man dans le flux. C’est profondément génial. La voix d’Aimee Man apparaît à peine et il faut le voir poursuivre son épopée d’unforgiven. S’ensuit une autre énormité, «There’s A Hole», aussi funeste que les précédentes. Personne ne peut résister à ça. Doe bombarde son cut de stomp et il faut s’accrocher au mât. Il clame there’s a hole et c’est grandiose. Il combine deux powers, le power du son et le power du Doe. Un brin de power pop pour digérer ? Voilà «Lean Out Yr Window», mais avec du big sound. Ça reste brillant et dirigé vers l’avenir. Quel power-popper, il ne se refuse aucun luxe ! Il boucle son affaire avec un «Grain Of Salt» assez explosif. Il réussit à créer la sensation dans le gratté d’acou.

En 2009, Doe enregistre Country Club avec les Sadies. Franchement, il ne pourrait pas rêver de meilleur backing band. Dès «Stop The World & Let Me Off», Travis Good traverse le son au piercing country honk, c’est d’une grande beauté avec tous ces clap hands, le son est comme traversé d’éclairs de wild country, pas de meilleure concoction, ils envoient leur démesure voler over the rainbow. Alors après, ça devient beaucoup plus classique, mais bien chanté. Avec sa voix chaude, Doe inspire confiance, il ne fait pas partie de cette clique de cuistres à la mode. On entend pas mal les frères Good dans cette aventure, ils en connaissant un rayon en matière de country roll. On pourrait même se plaindre du trop de son. Doe duette avec Margaret Good dans «Before I Wake». C’est embêtant tous ces duos, on a l’impression que Doe finit par se prendre pour une superstar. On reste dans le zyva Nashville Mouloud avec «I Still Miss Someone», mais la country de Doe ne marche pas à tous les coups. On s’ennuie sur certains cuts, comme si les Sadies mettaient leur magie en veilleuse. Nouveau try out avec «Take This Chains From My Heart» et cet album dont on attendait monts et merveilles se réveille enfin. Il faut cependant attendre «Are The Good Times Really Over For Good» pour retrouver l’apanage des country men. Travis Good joue comme un diable, ce qui est en général mieux qu’un dieu. Il joue même à la folie du craze et ça explose enfin. Doe reprend ensuite le «Detroit City» de Jerry Lee - I want to go home - Oui, il ose.

Paru en 2011, Keeper est certainement l’album le moins sexy de Doe. Le problème c’est que Doe sonne comme un vieux copain. Il développe son petit velouté de proximité, une Americana un peu feutrée en manque de crédibilité artistique, ce n’est pas gagné d’avance. D’autant que la pochette est assez m’as-tu-vu, du style oh regarde comme je suis beau avec ma chevelure de wild punk-rocker légendaire. Ses départs de cuts en mode rock sont toujours aussi bons, il a de l’expérience, il sait faire passer des idées. Au dos du digi, on le voit contempler une colline, et à l’intérieur, il pose dans le désert, avec une Mercedes derrière lui, une erreur que ne commettrait pas Jonathan Richman. Sur cet album, Doe peine à rétablir la confiance. Il semble en panne d’inspiration. C’est compliqué. Il chante le heavy blues de «Moonbeam» de l’intérieur du menton, comme Jimbo. Voilà ce qu’il a compris de Jimbo. Il tente de reconquérir son audimat avec «Handsome Devil», mais c’est mal barré. On se croirait chez Moon Martin. Il sauve ce pauvre album avec «Jump Into My Arms». Il renoue enfin avec l’avenir, grâce à ce cut bombardé au drive de basse évanescent. Doe est un artiste qu’on écoute jusqu’au bout, mais c’est parfois à ses risques et périls, car franchement la fin d’album n’est pas jojo.

En 2010, Doe duette avec Exene sur Singing And Playing. Faut-il redouter le pire ? On entre dans cet album comme on entre dans la mer glacée, de la pointe des pieds. Exene rentre dans le lard d’«It Just Dawned On Me» et Doe vole aussitôt à son secours. C’est une habitude de vieux couple. Cette pauvre Exene chante tout ce qu’elle peut, et le chevalier Doe veille sur elle. Ils attaquent ensuite «Never Enough» au coin du feu. Doe essaye de mettre son Enough en valeur et il y parvient à coups de relents d’Americana et le chant à deux voix prend du volume, comme au temps d’X. Doe tient bien la dragée haute, il jerke bien son chant, il gratte sa gratte comme un vétéran de toutes les guerres. Il réussit même à imposer Exene dans «Beyond You». Elle se met à sonner comme Joan Baez. Doe doit vraiment la respecter car elle s’améliore. Et pouf, voilà que Doe se prend pour Dylan avec «See How You Are». Il va vite en besogne. Rien de plus Dylanex que ce cut. Doe a bon dos dans la version live de «See How You Are» qui suit, il gratte tous ses poux et comme Dylan, il rajoute des couplets dans le feu de l’action, alors ça devient très spectaculaire.

L’année suivante, Doe se lance dans un nouveau numéro de duo avec Jill Sobule sur A Day At The Pass. Il y a du monde derrière : Don Was on bass. Le problème c’est que Jill Sobule n’a pas la voix de rêve. Il semble que Doe adore les filles qui n’ont pas trop de personnalité vocale. Il est assez brillant dans son rôle de Doe protecteur. Sa présence réconforte. Le problème avec Jill Sobule c’est qu’elle se prend pour la reine du rodéo et ça devient vite agaçant, elle n’a ni l’ampleur de Lorette Velvette et encore moins celle de Loretta Lynn. Elle gueule plus qu’elle ne chante. Ouf, Doe reprend les choses en mains avec «Walking Out The Door». On se croirait à Nashville tellement les clameurs country sont belles. Et pouf ça déconne avec «Baby Doe». Elle sonne comme les reine des Exenes, c’est très MTV, Jill n’est pas Lucinda, il lui manque un truc. Doe et Sobule, ce n’est pas non plus Campbell & Lanegan. Back on punk avec «Never Enough» qu’on a entendu sur l’album précédent. Doe revient à ses sources - Crazy for a junk/ And it’s never enough - C’est inespéré, il tape dans le tas et revient aux réalités. Il claque ça à la tension angelinotte, il ramène tout le touffu de son vieux boisseau. Mais comme dans X, dès que Jill Sobule refait surface, tout s’écroule. Doe reprend le micro pour allumer une belle cover de Big Star, «I’m In Love With A Girl». Les seuls cuts jouables de cet album sont ceux de Doe. Jill Sobule ne s’en sort bien qu’avec le dernier cut «I Kissed A Girl» car elle chante à la bonne énergie et tout l’orchestre la soutient. Peut-être que sa voix est trop sucrée, trop soluble pour une Sobule. Elle ne pourra jamais s’imposer.

Nouvel album solo en 2016 avec The Westerner. Les photos du booklet sont d’un ridicule inespéré. On y voit Doe chevaucher dans les collines, comme un guerrier en maraude. Un mec de l’acabit d’Akaba ne devrait pas se prêter à une telle mascarade, c’est comme s’il s’éclatait au Sénégal avec sa copine de cheval. Il porte pour la circonstance un complet noir brodé de flèches blanches, alors t’as qu’à voir. Mais avec «Get On Board», Doe does it right. Il entre dans son cut à la folie Méricourt. C’est un adroit dévastateur, il joue ce riff liquide qui te coule dans l’oreille, il sait doser son Doe, quel bel enfoiré ! Le riff semble glouglouter dans le son et ça monte doucement mais sûrement, comme la marée. Il sait encore créer la sensation. Here we go ! Chaque fois on attend des miracles de Doe mais il faut bien avouer qu’ils se raréfient. Avec «Get On Board», l’autre gros coup s’appelle «Drink Of Water», un cut violent, digne du temps de l’X, classique mais typical, punk-rock de bonne instance, monté au big beat des temps révolus. Sinon, il fait des balladifs de mec qui vieillit mal et qui se croit romantique. Il cherche à créer la sensation avec de vieux serpents à sonnettes, même si comme dans «My Darling Blue Skies», il ramène des guitares spectrales et du big sound. Mais cette fois ça ne marche pas. Il essaye pourtant de pousser grand-mère dans les orties, mais cette vieille folle résiste. Il commet en outre l’erreur de faire chanter Debbie Harry dans un bordel sans intérêt. Avec «Alone In Arizona», il va chercher des trucs un peu atmospherix à la mormoille. Pauvre vieux Doe, on ne peut plus faire grand chose pour l’aider, à part lui filer 20 euros pour un disk pourri. Il faut parfois se montrer généreux, ça permet d’aller au paradis quand on crève. Il joue sa dernière carte avec «The Rising Sun», mais ça ne marche pas. Il a semble-t-il perdu l’instinct des grands coups d’éclat, dommage, d’autant plus dommage que ses collègues Mould et Prophet continuent eux de créer la sensation.

Doe participe à d’autres projets, comme celui des Flesh Eaters. Il y joue parfois de la basse, comme sur cet album qui date de 1981, A Minute To Pray A Second To Die. On se fie à la belle pochette, mais attention, le chanteur Chris D est encore pire qu’Exene. Une véritable catastrophe. D’autant plus incroyable qu’on retrouve dans le groupe des pointures comme Dave Alvin et Bonebrake aux maracas. «Digging My Grave» est gratté au vomi punk de San Francisco. C’est le pire des mauvais plans : un super-groupe rassemblé autour d’un mauvais chanteur. Une vraie casserole. On se demande ce qui attire Doe chez les casseroles. Quand on écoute «Satan’s Stomp», on ne comprend plus rien. Comment les Flesh Eaters ont pu atteindre une telle renommée ? Chris D mériterait la médaille de pire chanteur de tous les temps. Et tous ces pauvres mecs autour de lui essayent de bâtir un univers musical intéressant, mais dès qu’il ouvre le bec, tout s’écroule. Le pire, c’est quand il va chercher les aigus. On souffre pour de vrai. Cet album sonne comme un calvaire. Il n’existe rien de pire.

Par contre, I Used To Be Pretty, est une bombe atomique. Cet album des Flesh Eaters date de 2019. Bon d’accord, Chris D chante toujours aussi mal, mais derrière, les Flesh Eaters ramènent tout le barda d’un régiment, le son monte à la folie du sax et ces poussées ne sont pas sans rappeler celles de Van Der Graaf, et comme Bonebrake bat le beurre, on imagine la gueule du beat. Le chant se consume dans une ambiance d’alerte rouge. Ces Flesh Eaters ne sont pas de la gnognotte, jugez-en par vous mêmes : Bonebrake au beurre, Dave Alvin des Blasters à la gratte, Doe on bass et l’infernal Steve Berlin on sax. Et c’est lui qui infecte tout, dans la pure tradition du Fun-Houser Steve MacKay. Il fout le feu en permanence. Et Dave Alvin n’en finit plus de passer des killer solo trash. Fantastique shoot de chique que ce «My Life To Live». C’est Dave Alvin qui allume cette stoogerie. Dommage que Chris D chante comme un con. Mais encore une fois, il a derrière lui une énorme pulsation. Les Flesh Eaters tapent aussi quelques somptueuses reprises à commencer par «The Green Manalashi» de Peter Green. C’est travaillé au heavy sax de perdition, très prog dans l’esprit. Steve Berlin vole le show avec ses phrasés statiques de slave jazz on the run et bien sûr l’autre allumeur d’Alvin vient craquer sa noix. Ils tapent aussi une cover bien hot du «Cinderella» des Sonics, hey hey hey hey, Chris D chante si mal que ça finit par passer, il rivalise de raw avec Gerry Roslie et bien sûr Dave Alvin fait son Paripa. Ils atteignent une sorte de summum explosif avec la cover de «She’s Like Heroin To Me». C’est monté en neige et explosé dans la descente. Chris D fait son Jeffrey Lee Pierce comme il peut. Alvin, Doe et Berlin jouent comme les pires démons de l’univers, wow quelle giclée, avec Bonebrake qui bat tout ça comme plâtre. Berlin n’en finit plus de passer des coups de free demented. «Miss Muerte» sonne comme un hit des Sonics. Dave Alvin is on fire, alors oui, on y va, d’autant que Steve Berlin arrose tout de free incendiaire. Encore un fabuleux freak-out avec «The Yougest Profession». Avec un mec comme Dave Alvin dans les parages, il faut rester sur ses gardes. Ce mec fout le feu, au sens propre. Il reste à la croisée des Stooges, du Gun Club et des Sonics. Il explose en permanence. Alvin + Berlin = white heat. Avec «Pony Dress», ils sonnent comme Pere Ubu et revendiquent le power saxé. Dave Alvin y passe un nouveau killer solo flash et Doe multiplie les remontées de basse. Tout ce capharnaüm se termine avec «Ghost Cave Lament», un cut éminemment atmosphérique arrosé au sax de non-recevoir. C’est du vieux mathos maintenu en attente, ils font monter la sauce sur 13 minutes. Dave Alvin dessine des arabesques, Doe a bon dos et Berlin couve sous la braise. De toute évidence, il se prépare à exploser.

Du coup, on ressort le Live des Flesh Eaters enregistré en 1988 avec la même équipe, notamment Steve Berlin. Ils font déjà ce heavy prog rock à la Van Der Graaf. Avec son sax, Steve Berlin lève un vent de folie. C’est dingue comme Doe aime les mauvais chanteurs. Chris D est toujours aussi insupportable. Avec «Divine Horseman», ils se rapprochent de Captain Beefheart. Steve Berlin est l’instigateur de cette mélasse extraordinairement vénéneuse. Pour la reprise du «Cinderella» des Sonics qui boucle le bal d’A, Chris D compense son pas de voix en braillant. En B, on le voit s’accrocher à «My Destiny» comme un alpiniste suspendu au-dessus du vide. Il crie avec la même rage angoissée, argghhhh, pas lâcher prise, pas lâcher prise... Doe sauve les meubles en chantant «Poison Arrow». Ambiance stoogienne. En fait ils chantent à deux, on entend même le riff de «Cold Turkey», alors t’as qu’à voir.

En 1985, Doe monte un nouveau projet avec Dave Alvin, Bonebrake, Exene et le stand-up man Johnny Ray Bartel : the Knitters. Poor Little Critter On The Road sort sur Slash en 1985. Cet excellent album nous offre une sorte de retour aux sources. On se croirait presque chez les Blasters tellement le slap est beau, notamment en B, avec «Love Shack». Bartel monte au slap comme d’autres montent au braquo. Dommage que ce soit Exene qui chante. Ils passent en mode Wild Cats avec «The Call Of The Wreckin’ Ball», ils fouettent cocher et filent ventre à terre. Tout ce qu’on peut dire, c’est : wow ! Alors wow ! Ils font aussi de la gothic Americana avec «Baby Out Of Jail», un genre dans lequel s’illustrera Blanche un peu plus tard. Et le duo d’enfer Bonebrake/Bartel embarque «Rock Island Line» pour Cythère. Aller simple. No way back. En A on les voit encore tailler de belles croupières à l’Americana, notamment avec le morceau titre d’ouverture de bal. Exene chante presque bien. Ils optent aussi pour la soft country avec «Walkin’ Cane». Ils l’attaquent en mode doux comme un agneau et le finissent en mode heavy rockab de bonne aubaine. Bonebrake nous bat «Poor Old Heartsick Me» sec et net, histoire de nous rappeler qu’il est l’un des meilleurs batteurs américains. Les Knitters bouclent leur bal d’A avec un beau hit d’X, l’imparable «The New World».

Il existe un autre album des Knitters paru en 2005 : The Modern Sounds Of The Knitters. Le cake sur l’album c’est Bonebrake, car il faut l’entendre driver le beat de «Long Chain On». Fabuleuse musicalité. Stand-up + Dave Alvin, ça donne un truc peu commun dans l’exercice de l’excellence. Ils font aussi une reprise de «Burning House Of Love» en mode Americana. Doe est parfait dans le rôle, il chauffe sa cambuse et Dave Alvin arrive pour tout démolir sur fond de takatak de stand-up. Ces mecs ramènent toute l’énergie du wild rockab avec des voix doublées d’X, alors ça part comme une fusée. C’est un album de rockab et de twin attack d’X. Ils font aussi une cover du «Born To Be Wild» de Steppenwolf. C’est un hymne qu’ils mythifient en le musclant au deuxième tour, mais en mode rockab. Ils en font une version démente, pleine de variantes, une stupéfiante ré-interprétation, drivée au rockab craze, avec Dave Alvin dans le feu de l’action. Ils reviennent aussi à l’Americana avec «In This House That I Call Home». Doe le gave de big beat et c’est claqué à la stand-up. Ils restent l’Americana avec «Dry River». C’est tellement plein de son que cet album devient une aubaine pour l’oreille. On entend Exene chanter sur deux trois cuts, mais ça tient par la qualité du backing. Ils tapent «The New Call Of The Wreckin’ Ball» au rockab de LA. Doe sait gérer les descentes aux enfers, même avec Exene dans les pattes. Bonebrake is all over the beat. Ces mecs se rendent-ils de la chance qu’ils ont d’avoir un batteur comme Bonebrake ? Dave Alvin allume «I’ll Go Down Swinging» en mode rockab mais cette folle d’Exene ruine le chant. Bon, la vie n’est pas facile.

Signé : Cazengler, John Daube

X. Los Angeles. Slash 1980

X. Wild Gift. Slash 1981

X. Under The Big Black Sun. Elektra 1982

X. More Fun In The New World. Elektra 1983

X. Ain’t Love Grand. Elektra 1985

X. See How We Are. Elektra 1987

X. Live At The Whisky A Go-Go On The Fabulous Sunset Strip. Elektra 1988

X. Hey Zeus. Big Life 1993

X. Unclogged. Infidelity Records 1995

The John Doe Thing. Kissingsohard. Forward 1995

The John Doe Thing. Freedom Is. Twah! 2000

X. Live In Los Angeles. Shout Factory 2005

X. Alphabetland. Fat Possum Records 2020

John Doe. Meet John Doe. DGC 1990

John Doe. Dim Stars Bright Sky. Shock Music 2002

John Doe. Forever Hasn’t Happened Yet. Yep Roc Records 2005

John Doe. A Year In The Wilderness. Yep Roc Records 2007

John Doe & The Sadies. Country Club. Yep Roc Records 2009

John Doe. Keeper. Yep Roc Records 2011

John Doe & Jill Sobule. A Day At The Pass. Pinko Records 2011

John Doe & Exene Cervenka. Singing And Playing. Moonlight Graham Records 2010

John Doe. The Westerner. Cool Rock Records 2016

Flesh Eaters. A Minute To Pray A Second To Die. Ruby Records 1981

Flesh Eaters. Live. Homestead Records 1988

Flesh Eaters. I Used To Be Pretty. Yep Roc Records 2019

Knitters. Poor Little Critter On The Road. Slash 1985

Knitters. The Modern Sounds Of The Knitters. Zoe Records 2005

Sylvie Simmons : Way out West. Mojo # 322 - September 2020

 

 

Talking ‘Bout My Generation

- Part Five

 

Les numéros de Rockabilly Generation se suivent et se ressemblent, tous aussi vivaces les uns que les autres, à l’image d’un genre musical encore très vert qu’on aurait tort de vouloir enterrer. Bientôt 70 ans d’âge, mais bon, le rockab, comme d’ailleurs le gospel, est à la racine de tout et un peu partout dans le monde, des groupes en perpétuent la tradition avec un art qu’il faut bien qualifier de consommé. Pas de meilleur avocat du diable que Rockabilly Generation qui depuis 2017 réussit à maintenir un équilibre éditorial entre les hommages aux vieux de la vieille et les portraits de nouveaux venus : non seulement on révise nos classiques, mais on fait en plus des découvertes.

Dans le N°19 qui vient de paraître, deux articles remettent en route la machine à remonter le temps. En voiture Simone ! Quatre pages sur un Béthune Rétro sauvé des eaux, comme Boudu. Occasion manquée. Trop compliqué de toute façon. En feuilletant ces quatre pages, des tonnes de souvenirs sont remontés d’un coup à la surface, comme si un bouchon quelque part avait lâché. Toutes ces années, tous ces groupes, c’était un peu réglé comme du papier à musique mais diable comme on adorait garer la bagnole à Mazingarbe, à quelques kilomètres de Béthune. On y louait des chambres chez une dame charmante qui avait un poisson lune dans sa vitrine. Et de là on filait droit sur le beffroi, on regarait la bagnole derrière la Poste et on partait ensuite à l’aventure en bavant comme des limaces, car chaque année c’était la foire à la saucisse, avec des tas de groupes connus et d’autres parfaitement inconnus, c’était le temps de la foison, on ne savait plus où donner de la tête, on retrouvait les disquaires qu’on voyait chaque année, toujours les mêmes, on naviguait d’une scène à l’autre pour voir jouer les groupes, parfois ça tenait, parfois ça ne tenait pas, mais il y a eu pas mal de grosses révélations, comme par exemple les Anglais de Sure Can Rock, les Playboys de Rob Glazebrook, encore des Anglais, ou encore les Desperados de Californie qui étaient sur Wild, les Portugais Roy Dee & The Spitfires, et combien d’autres, des tas d’autres, et puis tiens les Wise Guyz, surtout les Wise Guyz, Jake Calypso et Don Cavalli, mais c’est vrai que l’affiche du Béthune Rétro miraculé de cette année fait rêver puisqu’on y retrouve la crème de la crème, Jake Calypso, Barny & The Rhythm All Stars et les Spunyboys. Et puis dans le chapô on nous annonce l’annive des 20 ans du Béthune Rétro l’an prochain. Il va falloir en glisser un mot à l’oreille du fantôme de Laurent, savoir si ça l’intéresse d’aller recasser une graine chez les Deux Frères.

Alors on feuillette, Billy Fury, oui mais bon, et crac sur qui qu’on tombe ? Jerry Dixie. Ah le monde est petit ! Rencontré l’une de ses frangines, à l’époque où elle bossait à la Défense, disons dans les années 2000, et la relation a eu la peau dure, puisqu’elle existe encore bien qu’étant devenue sporadique, pour cause de délocalisation. Elle fut en quelque sorte une fiancée, mais son caractère explosif rendait toute idée de vie commune impossible, alors on ne se voyait que pour passer du bon temps. L’un des premiers cadeaux qu’elle fit fut un single d’un certain Jerry Dixie.

— Jerry Dixie ? Tu connais pas ?

— Ben non...

— C’est mon frère. Il est à Sartrouville, à dix minutes d’ici.

Sur la pochette, Jerry gratte sa gratte. Il a le même sourire que sa frangine. Comme elle n’a pas de tourne-disque, il faut attendre le lendemain pour l’écouter. Ça s’appelle «Rockin’ At The ‘93’». Grosse surprise à la première écoute, car on s’attend à une espèce de country mou du genou de Sartrou, mais pas du tout ! C’est un sérieux blend de rockab, Jerry est dedans vite fait, bien fait, au beat d’Hey rock qui ne traîne pas en chemin. On se serait cru au Texas ! On se revit quelques jours plus tard.

— Tu en as d’autres, des disques de ton frangin ?

— Oui, tiens, j’ai ça...

Le CD s’appelle Dixie Rockabilly & Country. Pareil, sur la pochette Jerry gratte sa gratte. Il attaque avec «Hey Mr Songwriter», il est assez possédé, il a le hiccup facile. Une merveille ! Et ça continue avec «A Lit’ Bit Of Your Time», superbe tenue de route, c’est une révélation. Diable, comme ce mec est bon ! Il sait jerker le bop. Le guitariste s’appelle Patrick Verbeke, mais ça on va le découvrir un peu plus tard en menant l’enquête. On découvre aussi que ce CD Rollin’ Rock Switzerland est une compile de ses deux albums, Jerry Dixie Originals et By Fan’s Request. Tout au long de l’écoute, on s’effare de la qualité du son et du chant. Dans «Don’t Let The Bad Times Get You Down», ça banjotte comme dans le Kentucky. Jerry Dixie chante avec autorité, avec de vrais accents de Texas cat, son «Turn Away From Me» est une merveille imparable, il chante ça d’une voix profonde et si américaine. Et voilà qu’il tape «A Wall Of Coldness» au yodel. Il est d’une crédibilité à toute épreuve, on sent bien le fan qui a épongé toutes ses idoles. Pour un coin comme Sartrou, c’est carrément du super-stardom. Il est dans l’esprit, en plein dedans, il sonne comme Hank Williams ou Webb Pierce, c’est terrific de qualité. Il prend «How Long Will It Take» au louvoiement, il passe sous le boisseau du groove, il devient le real deal, the Sartrou working class hero, il est dans le feu de sa passion pour cette culture. On retrouve le fameux «Rockin’ At the ‘93’» suivi d’un «Big Sky Big Country» joué à la lumière du big sky. Il se tire une balle dans le pied avec «Back To Montana», car il pompe «Blue Suede Shoes» et redresse la barre aussitôt après avec l’excellent «On This Boxcar» - Travellin’ West - Jerry a du pot, il est toujours bien accompagné, tout est solide sur cet album, baby don’t you let me down, il a le son et il emmène son «Country Yodel Blues» au paradis, c’est bardé, absolument bardé de barda, il fait ce qu’il veut de sa voix. Et quand il reprend le «Jamabalya» d’Hanky, il est dessus, forcément.

Elle ajoute :

— Il a tout.

— Tout quoi ?

— Tous les disques de rock.

Ah bon ? Effectivement quand on demande des copies de disques ou de films à Jerry, il a quasiment tout, surtout les films rares comme Rock Baby Rock It de Murray Douglas Sporup où on voit Roscoe Gordon, Johnny Carroll et d’autres fantastiques performers tombés dans l’oubli, les trois volumes des Collins Kids at Townhall, Carnival Rock de Roger Corman où on voit Bob Luman accompagné de James Burton, Teenage Millionaire de Lawrence Doheny où l’on voit Jackie Wilson, Chubby Checker, Dion et le Bill Black Combo, et le plus précieux cadeau de tous, un DVD sur lequel Jerry a compilé tous les scopitones de Vince Taylor. Jerry a frôlé la mort avec un cancer et c’est miraculeux de le voir en si bonne forme. Ce mec est un pur et dur, de ceux qu’on appelait autrefois les rockers de banlieue, working class jusqu’au bout des ongles. Il a tout simplement consacré sa vie à la musique qu’il aime, sans jamais se fourvoyer. Zéro frime. Fantastique constance de la prestance. Alors chapeau. Et merci à Rockabilly Generation de lui dérouler le tapis rouge. C’est à travers ce type de rencontre que ce canard forge sa réputation.

L’autre bonne nouvelle, c’est la page 42 : trois visuels qui annoncent la reprise des festivals rockab à travers la France. Retour à la terre ferme.

Et dans le N°18 paru avant la trêve estivale, on trouvait à la suite d’un hommage au grand Ray Campi le portrait d’un jeune amateur de Bluegrass, Benjamin Leheu. Inconnu au bataillon bien qu’il fut un temps basé en Normandie. Depuis, il s’est marié et s’est installé en Norvège. L’interview est passionnante, il évoque sa rencontre avec Hot Slap et il dit aussi avoir flashé sur l’excellent Pokey LaFarge qu’on a vu à plusieurs reprises sur scène à Rouen. C’est vrai qu’avec son look on pense à Pokey mais aussi à l’australien C. W. Stoneking, un autre géant du rootsy club. Tout ça pour dire que l’ami Benjamin a bon goût. Il cite aussi Hank Williams, bien sûr. Très passionnant aussi le portrait d’Olivier Clément, on se dit tiens connais pas, on lit, on lit, et pouf on arrive à la fin sur la discographie. Quatre pochettes dont une connue au bataillon. Mais il est ici cet album ! On ressort de l’étagère le Dixie Stompers paru sur AWA en 1990 et qui, parce qu’il est bon, a échappé aux purges. On y trouve de jolies choses. Leur «Rock & Bop Blues» d’ouverture du bal de B est un pur chef-d’œuvre rockab. Vraiment digne de Charlie Feathers, monté sur une walking bass et hoquets à gogo. Aussi beau dans l’esprit, voilà «Loving Girl», vraiment joué dans les règles du lard fumé. Encore du wild rockab avec «Two Tones Shoes», embarqué au driving stomp. Ils terminent cette B exemplaire avec «Blue Jean Girl», classique mais solide. C’est un album très canadien dans l’âme. Les Stompers savent se fondre dans le rockab bien tempéré. Bravo, Olivier Clément ! On est donc bien content d’avoir lu son histoire.

Signé : Cazengler, dégénéré

Rockabilly Generation. N°18 - Juillet Août Septembre 2021

Rockabilly Generation. N°19 - Octobre Novembre Décembre 2021

Jerry Dixie. Dixie Rockabilly & Country. Rollin’ Rock Switzerland

Dixie Stompers. #1. Awa 1990

 

Inside the goldmine - Qui dort Dean

Le chasseur de loups sortit pour aller chercher de l’eau à la rivière. Soudain des coups de feu éclatèrent. Nate et son frère Nick se jetèrent au sol. Les balles pleuvaient. Ils devaient être des centaines dehors à canarder. Nate renversa la grande table pour se mettre à l’abri. Impossible de lever la tête pour jeter un coup d’œil, les balles sifflaient en permanence. Ces balles de gros calibre arrachaient chaque fois des éclats de bois. Il y eut une accalmie et Nate se rapprocha de la fenêtre. Il vit le corps du chasseur de loups criblé de balles à bison. Il était réduit en charpie. Là-bas, près de la rivière, des hommes sortirent du couvert en poussant un chariot chargé de foin. Ah ces chiens veulent nous enfumer ! Nate vida ses deux colts sur le chariot et réussit à abattre les deux hommes qui le poussaient. Le tir de barrage reprit aussitôt. Les balles sifflaient à nouveau dans la pièce. Nate se tourna vers son frère. Nick avait pris une balle dans le cou. Il était foutu. Nate tenta de jeter un coup d’œil par la fenêtre et vit qu’on poussait à nouveau le chariot en feu. Il vida ses colts mais le chariot avançait toujours. Il n’eut pas le temps de recharger ses barillets, le chariot heurta la cabane qui prit feu. Alors Nate écrivit rapidement une lettre d’adieu qu’il plia et glissa dans la poche de son gilet. L’intérieur de la cabane prit feu. Ça devint irrespirable. Nate s’empara d’un tabouret en bois et sortit en tirant, comme il avait vu faire Butch Cassidy et Sundance Kid dans un film, au cinéma municipal. Il s’écroula criblé de balles. Les mercenaires vinrent s’assurer que Nate et Nick étaient bien morts puis ils décampèrent. Jim Osterberg et Ella Fitzgerald arrivèrent un peu plus tard sur les lieux du drame. La cabane n’était plus qu’un tas de cendres. Ils virent Nate étendu au sol, les bras en croix. Malgré les centaines d’impacts de balles, il restait le plus bel homme d’Amérique. Jim vit quelque chose dépasser de sa poche. Il s’agenouilla. Oh on dirait une lettre ! Alors qu’Ella s’était mise à chanter un gospel, Jim déplia la lettre pour la lire à haute voix : «Il semble que je n’aie pas beaucoup de chances de m’en tirer. La maison est en feu. J’espère que vous penserez à écouter Dean Carter. Adieu Ella et Jim si jamais je ne vous revois pas. Nathan D. Champion.» Jim serra les dents tandis qu’Ella levait lentement les bras au ciel. Le chagrin leur broyait le cœur.

 

Bon c’est vrai, cette histoire est épouvantable, mais le message de Nate Champion est clair : il faut écouter Dean Carter. Pour ça, rien de plus facile : il existe une compile Big Beat parue en 2002, Call Of The Wild. Comme l’affirme Alec Palao dans le booklet, Carter was a wildman coughing up some of the most insane platters known to men. Dean Carter propose en effet l’un des plus affolants mélange de rockabilly sauvage et de stomping garage beat. Basé à Champaign, Illinois, Dean Carter aurait pu s’appeler Dean Frantic, ou encore Dean Relentless-Rocking-Drive. Il monte dans les early sixties les Lucky Ones avec Arlie Miller, Dave Marten (bass) et Kookie Cook au beurre. Pour conserver leur indépendance, Arlie Miller et Dean Carter montent un studio d’enregistrement - the Midnite Sound - et un label, Milky Way. C’est là qu’Arlie Miller devient une sorte de sorcier du son, un équivalent américain de Joe Meek. Il va produire durant les mid-sixties an incredible batch of pumped up, crazed recordings. Dean Carter qui tient à ne rien faire comme les autres gratte un dobro douze cordes. Sur la version complètement barrée de «Jailhouse Rock» d’ouverture de bal, Dean Carter est accompagné - en plus du basic backing - d’un accordéon, d’un ukulélé et d’une clarinette. Il enregistre «Mary Sue» avec Jerry Merritt, le guitariste de Gene Vincent. Carter pousse Mary Sue dans le push du pire extrême, dans un rockab-gaga complètement allumé digne de «Bird Doggin’», c’est violent, tendu au bassmatic, Carter chante le dos au mur, à la Little Richard, le feu au ventre et Merritt claque des notes de Mosrite ! Puis Carter démonte carrément la gueule du rock avec «I Got A Girl», on entend jouir un mec sous le riff carnivore, ouyyhhhh, jamais les Cramps n’ont approché ce niveau de sex craze, ha ha ha, la wah lance le solo pendant que l’autre continue de se branler, han han han, c’est extrême et, désolé les gras, insurpassable. «I Got A Girl» est le hit le plus ultime en matière de branlette gaga-punk, han han han car c’est du pur sex, un vrai coup de pieu dans le cul du cut. Puis Carter t’aplatit la «Rebel Woman». Il est le pire de tous, loin devant Lux et Vince Taylor, can’t you see. Il passe au tribal fracassé pour le morceau titre, pas de quartier. Dean Carter et Arlie Miller proposent une sorte de rock révolutionnaire, ils ne prennent rien au sérieux, on entend des guitares déglinguées dans «Sizzlin’ Hot», ils massacrent tout à la tronçonneuse, ils dévorent tout au no way out, ils pratiquent le so far out mieux que personne («Love’s A Workin’»), on entend partout des guitares excédées, des guitares à bout de nerfs. Et les racines rockab sont toujours là («Don’t Try To Change Me»). Oui, c’est là, in the face, I’m like a rolling stone, suivi d’un départ en solo de désaille. Carter propose aussi la version la plus punked-out de «Fever». Retour en grande pompe au wild rockab avec «I’m Leavin’». C’est inespéré, plein d’esprit du spirit. Ce mec est fou, il fait du James Brown dans «Dr Feelgood», il gueule dans son micro et derrière les folles font les folles, hey you ! Ça stompe dans le jus de juke, Dean Carter t’envoie une fois de plus au tapis. Tous ses cuts tapent dans le mille. Avec «You Tear Me Up», il plonge dans le deep groove et c’est à pleurer tellement ça écrase Elvis. Tout le génie de Dean Carter tient dans sa fantaisie, ou plutôt dans sa liberté de ton. Il monte tous ses cuts en neige sur un Milky Way dada. «Run Rabbit Run» est un mélange dément de rockab et de filles qui font yeah yeah ! Avec «Black Boots», il danse le jerk dans le club, il se prête au Grand Jeu du brouet gaga. C’est noyé d’espoir. Et quand il sort son dobro («Dobro Pickin’ Man»), c’est pour faire du Tony Joe White punk. Incroyable mais vrai ! Oh la violence du son ! Comme s’il réinventait le raw to the bone. Il fait du big Elvis groove avec «The Lucky One» et reste dans une sorte d’excellence lunaire. Et quand il rend hommage à Gene Vincent, ça donne «Boppin’ The Bug». C’est en plein dedans. Vibrant et stupéfiant de véracité. Retour au wild rockab avec «Forty Days». Pur wild cat sound ! Il termine avec un «Sock To Me Baby» à la Mitch Ryder, mais ça va loin cette histoire, parce qu’il sonne exactement comme Mitch Ryder.

Il existe un moyen de creuser l’histoire du Milky Way : une autre compile Big Beat : The Midnite Sound Of The Milky Way. On y retrouve notamment les mecs de Lucky Ones qui accompagnent Dean Carter, Kookie Cook et Dave Marten. Grosso modo, l’ambiance sur cette compile est aussi excitante que sur celle de Dean Carter. Cookie Kook vole le show avec «Don’t Lie» - Don’t lie to me babe - Il y va, bien insidieux, oh no no. Comme chez Dean Carter, on a un son très travaillé et une incroyable énergie. «Revenge» est le hit de l’asile de fous. Et avec «Misery», Cookie Cook fait du wild garage complètement sci-fi d’exaction, c’est gratté à la ramasse gaga du Milky Way et défenestré à coups de wouah. Cookie Cook est le plus enragé de tous. C’est un démon, avec «I Feel Alright», il tente d’égaler Dean Carter, mais Cookie n’est pas Dean. On a bien sûr un vieux départ en solo wild gaga. Il revient vers la fin avec «Ooby Dooby», un shoot de rockab pur. Une merveille, au niveau de la qualité du son. Ça boppe ! Clean as hell. Ils ramènent la crème du bop mythique, yeah yeah, font les filles. Leur version monte au firmament. Dernier coup de Jarnac de Kookie : «Space Monster», il y fait le boogaloo et pour ça, il est au bon endroit. Autre bombe : «Rebel Woman» par The 12th Knight, ça joue à la heavy fuzz, on plonge avec ça dans l’enfer de la fuzz du midwest, la pire fuzz de l’univers. Autre merveille inexorable : «Low Class Man» par The Four A While. Ils rampent juste derrière. C’est d’une modernité stupéfiante. George Jacks refait une version mouvementée de «Rebel Woman» et plus loin, il casse la baraque avec «Look». Et voilà le fameux sub-teen gaga band, the Cobras, avec «Try». Teenage délinquance et vrai son, poppy mais Midwest. Dave Marten s’en sort bien avec «You Gotta Love Me», il a envie d’elle, c’est un obsédé. Saluons aussi The Grapes Of Wrath qui avec «I’m Gonna Make You Mine» élèvent la pop du Midwest au rang d’art majeur, avec à la clé, un joli killer solo flash.

Signé : Cazengler, Dean Carton (pâte)

Dean Carter. Call Of The Wild. Big Beat Records 2002

The Midnite Sound Of The Milky Way. Big Beat Records 2004

 

 

L'avenir du rock -

Dave ne Wyndorf que d'un œil - Part Three

 

— C’est vrai ce qu’on dit, avenir du rock, que vous faites trois pas en arrière pour prendre de l’élan ?

— Qu’y a-t-il de mal à ça ? Je ne vois pas où est le problème...

— On vous imagine plus faire trois pas en avant que trois pas en arrière.

— L’un n’empêche pas l’autre. Pourquoi voulez-vous que ça soit mieux dans un sens que dans l’autre ?

— C’est la portée symbolique, voyez-vous. C’est un peu comme si vous reculiez pour mieux sauter...

— Mais voyons, ça n’a pas de sens. L’élan n’a rien à voir là-dedans. L’élan est assez grand pour se débrouiller tout seul. L’élan se prend ou ne se prend pas ! C’est un peu ce que disait André Malraux, non ?

— Oui, c’est vrai, mais quand même, vous devriez soigner un peu plus votre image... Pourquoi voulez-vous prendre de l’élan ?

— Le problème n’est pas de prendre ou de ne pas prendre de l’élan, c’est l’élan qui décide, je viens de vous l’expliquer ! Je parle dans quelle langue ?

— Vous vous débrouillez toujours pour arranger les choses à votre sauce. Ce n’est pas très fair-play de votre part.

— Oh écoutez, vous êtes bien gentil, mais si vous étiez à ma place, vous feriez exactement la même chose.

 

L’avenir du rock ne voit pas que derrière ces questions se planque un reproche. Un groupe vieux de trente ans comme Monster Magnet a-t-il toujours droit de cité ? Alors on va répondre ce que répondrait l’avenir du rock : un groupe comme Monster Magnet a tous les droits, de la même façon que d’autres groupes n’en ont aucun.

Le faux double album trois faces paru cette année, A Better Dystopia, est un faux double album de reprises. Dave Wyndorf décide d’y repousser les frontières du Hell-gaga sci-fi. Il entre comme un shoot d’héro dans les artères du mythe viscéral avec un «Born To Go» d’Hawkwind complètement dévasté, complètement ravagé de l’intérieur, martelé dans les grandes largeurs, les Monsters monstérisent à outrance et voilà qu’un riff de basse inédit traverse ce flow déconcertant. D’ailleurs, Dave Wyndorf le dit à Duncan Fletcher : «I am totally in love with late ‘60s, early ‘70s paranoid songs.» Il propose la soupe aux choux de temps modernes - rrrrrrrrrru... rrrrruuuuu ! - une soupe à base d’acid-fried gaga, de heavy-psych, de proto-punk et de paranoid rock. On vient de l’espace pour goûter la soupe du Glaume Wyndorf, l’un de ceux que Fletcher qualifie à juste titre de true survivors, fervent croyant, nous dit Fletcher. Wyndorf croit au rôle de la popular music - a positive, redemptive, spiritually-guiding force - Une croisade qu’il mène depuis trente ans maintenant et qu’il mènera jusqu’au bout, donc ne te fais de souci pour la santé du rock, Wyndorf que d’un œil. Fletcher Honorama indique aussi d’où Wyndorf tire son inspiration : «From comic books, freak culture, bong culture, hot-rod culture, chou culture, pulp fiction, B-movies and writers such as William Burroughs and Hunter S. Thompson.»

Il va donc bourrer cet album de screams, comme le veut la tradition du mirifique paranoid psychosis. On réalise une fois de plus que Monster Magnet est le dernier grand Power gang américain. Eux seuls sont capables de relever le défi du «Solid Gold Hell» des Scientists. C’est un peu comme s’ils plongeaient dans leur élément. Wyndorf chante sur la réserve, juste derrière le voile de riff, et ça n’en est que plus toxique. Il cultive la tension, dans l’esprit du cut. Il lui donne une allure princière, au sens barbare de la chose, comme s’il chantait du haut d’un trône. «Solid Gold Hell» est probablement le cut le plus dérapé de l’histoire du rock. La voix de Wyndorf résonne dans des couloirs d’albâtre. Il déclame sous des voûtes, c’est désespérant d’ancienneté. On attend en vain le break de basse historique, mais les Monsters font autre chose. Le «Be Forwarded» qui suit nous vient d’un groupe nommé Macabre et le «Death» qu’on trouve en B est celui des Pretties. Avec «Mr Destroyer», ils renouent avec les clameurs de Sabbath, ces grands explorateurs du néant. Wyndorf chante vraiment comme le magicien d’Ozz du premier Sab et s’en vient flatter les plus bas instincts. Il précise au passage que c’est une reprise d’un groupe nommé Poobah. Bah dis donc ! Avec «When The Wolf Sits», on le retrouve perché au sommet du beat comme un loup de granit. Il chante à la clameur vespérale et redore le blason fracassé du power rock. Monster Magnet n’en finit plus d’abattre du terrain. On l’entend aussi chanter comme Edgar Broughton dans «Situation», ce sont exactement les échos de voix qu’on entend dans «Love In The Rain», alors t’as qu’à voir ! Le scream arrive au trot en C avec «It’s Trash». Wyndorf y hurle comme il n’a jamais hurlé et la guitare grelotte de notes de fulgure. La surprise vient de «Motorcycle (Straight To Hell)», une reprise de Table Scraps. Eh oui, nous y voilà. L’avenir du rock dans l’avenir du rock, comme autant de poupées russes. Hormis Birmingham band, Wyndorf ne dit rien de particulier de Table Scraps. Avec ce shoot de Motorcycle, Monster Magnet vise comme jamais il ne l’a fait le nec plus ultra de la brutalité bien ordonnée.

Pourquoi taper dans ce vieux son, demande Fletcher Honorama. Wyndorf répond que the ‘60s was an honest-to-God musical renaissance. Il ajoute que ce genre de phénomène ne se produit pas tous les jours. Fletcher Honorama ne comprend pas très bien, alors Wyndorf éclaire sa lanterne. Il explique que les mecs de l’honest-to-God musical renaissance ont inventé un art conceptuel qui n’existait pas avant, le rock’n’roll, un truc auquel personne n’avait pensé - We will be a band of brothers, a band of thugs, basically reinventing themselves to be characters or caricatures.

Signé : Cazengler, Dave Wynmorve

Monster Magnet. A Better Dystopia. Napalm Records 2021

Duncan Fletcher : The long trip home. Shindig! # 116 - June 2021

 

BARON CRÂNE

LES BEAUX JOURS

( Octobre 2021 / Bandcamp )

Guitar : Léo Pinon-Chaby / Drums : Léo Goizet / Bass : Olivier Pain.

Artwork : Nora Simon

Baron Crâne, vu en concert à la Comedia de Montreuil, le Baron avait subjugué l'assistance, performance méritoire parce qu'à la Comedia le public il aime beaucoup le punk et le rock'n'roll destroy, et ils nous avaient servi une soupe au goût indéfinissable qui très vite se révéla être une ambroisie, un truc tantôt doux comme la tunique de soie de l'empereur de Chine et tantôt dur comme le fer de Lagardère qu'il vous aurait enfoncé dans l'œsophage. Un délice de rocker. Tout cela est raconté dans notre chronique 429 du 12 /09 / 2019. Bref ce quinze octobre 2021 ils sortent un album.

Ne fixez pas vos yeux sur la couve. Ce n'est pas qu'elle est moche, laide ou ratée, c'est qu'elle risque de vous saper le moral pour la semaine. Non elle est belle, elle rappelle ces intérieurs luxueux que peignaient Jacob Ochtervelt au dix-septième siècle, la scène respire la sérénité, une maman qui offre une tulipe à sa fille, attendrissant, si vous aimez les bêtes en voici deux, un chat et un chien qui s'amusent, serait-ce pas une allégorie pour signifier que la paix règne parmi les hommes. Arrêtez-vous là. Négligez de jeter un coup d'œil par les deux portes grand-ouvertes, vous seriez glacés d'effroi. L'on imagine un paysage campagnard, des vaches qui paissent paisiblement dans un halo de douce quiétude, c'est l'horreur absolue, ni une catastrophe, ni un cimetière, ni la guerre, tout bonnement le kaos ! Un paysage sens dessus dessous, les blocs monstrueux du monde entassés, fracassés, les uns sur les autres. Vous ne voulez pas le croire, et pour ne plus subir cette agression mentale, vous retournez, l'objet. Erreur fatale, ce que vous entrevoyiez, chers Caspard Friedrich en herbe, vous saute maintenant au visage, le gigantesque tohu-bohu deboule sur à vous plein-cadre, rien ne vous échappe, la terrible réalité de votre futur est là. Symbolisé par la petite fille qui s'est approchée de ce monstrueux empilement de glace, de rocs et d'écume ( suprême une entre les épaves abolit le mât dévêtu ) elle tient toujours sa rose à la main, ne priez pas pour elle, méditez. Le Baron nous signifie-t-il que la vie présente des hauts et des bas ( version optimiste ) qu'en ces temps pandémiques rien n'est assuré ( version réaliste ), que l'Humanité court à sa catastrophe ( version écologiste ), que nous sommes tous mortels ( version nihiliste ), que la sérénité de la beauté n'éclipse pas le grandiose fracas de son apparition ( version, celle que nous préférons, hölderlinienne ).

Danjouer : murmures des profondeurs venus des fonds de la mer, menaces des abysses qui enflent et pointent vers la surface, rupture battériale, trop classiquement rythmique pour être honnête, une vague qui caresse vos mollets pour mieux vous entraîner en avant sur les crêtes stridentes des guitares, jusqu'à la rupture incitatrice, break infini d'insistance de Simon Lemmonnier devenu moteur de cette force déferlante qui emporte tout et décroît lentement. La bête s'éloigne en sa tanière, avez-vous rêvé l'illusion des monstres qui grouillent dans la tourbe votre cerveau reptilien.( Simon Lemmonier : additionnal drums ) Larry' s journey : il existe une curieuse vidéo disponible sur YT réalisée par François-Xavier Dubois, une mise en images, une proposition de signifiance symbolique de ce morceau que je vous conseillerai d'écouter d'abord sans support visuel, les rockers purs et durs risquent d'être déçus, l'a un peu la facture jazz d'un opus de Thelonius Monk mais revisité en instrumentation rock, grossi et allongé au macrocospe, et quelque peu joué en accéléré, peut-être pour que les béotiens accoutumés aux riffs du rock basique se rendent compte qu'il existe aussi une subtilité titubante dans la musique. Qu'elle oscille toujours entre son et silence, entre séquence lente de la basse et séquence rapide de guitare, le tout martelé sur les tambours. Une plume d'ange qui vole sur le trou noir de l'Homme et ces mues successives, amoureux, sportif, jeune cadre dynamique soumis à la fureur innocente du sexe et à cette violence contenue qui n'attend que la moindre occasion pour se manifester, une vidéo quelque peu rilkéenne mais filmée à hauteur de nos instincts. Quarantine : le plus bel instrument n'est-il pas la voix humaine, ici elle colle à l'instrumentation comme si elle voulait la supplanter, ne lui laisse que quelques secondes pour poser les transitions successives, puis elle se métamorphose, combat du python et de l'anaconda, le réticulé enserré dans les anneaux géant de l'eunecte se tait, le vainqueur desserre ses anneaux, moment d'apaisement, le chant renaît en berceuse qui devient cri et rage lorsque la musique reprend sa puissance, l'on ne sait qui remportera la lutte, l'on dit qu'elle continue encore, qu'elle est sans fin. ( Cyril Bodin : vocal ); Mercury : raquellement de saxophone, une plainte sidérale, changement de climat, Quarantine était violent-prog, retour au jazz-infusion, montée en paliers, les instrus de base du rock s'entrelacent, tantôt ils marchent sur la pointe des pieds, tantôt la batterie bouscule le fragile équilibre, tout vacille, et l'on se trouve sur le long chemin de l'exploration expositive de la mélodie que Baron Crâne déroule selon un déploiement quasi-symphonique, et l'on retombe dans un solo sexyphone du bon vieux temps dans les terrains contigus du be-bop et de la new-thing, sur ce la batterie se radine avec ses gros sabots, très vite la guitare jalouse s'en vient zébrer de clinquances assourdissantes les roulades percussives, c'est l'alliance inespérée de la montée en les lointains de la puissance, si haut dans le ciel vide que ne nous parviennent que les ultimes traces sanglotantes du saxophone qui s'éteint. ( Guillaume Perret : saxophone ). Inner chams : attention, complexion complexifiante, le tutti entrelardé, séquence suivante la même chose mais en descendant d'un étage, en douceur pour les oreilles du chat qui n'y reconnaît plus ses petits, maintenant le Baron n'y va plus de main morte, vous balance des riffs épais comme des tranches de saucisson pour sandwich graisseux et plantureux, profitez de l'aubaine car ça ne dure pas longtemps, le méli-mélo jazzistique revient au premier plan, tous ensemble mais si serrés que l'on ne sait plus qui est qui, et l'on repart plein gaz avec cette guitare qui fuit et entraîne tout à sa suite, galopade de batterie et piqué de basse, le bolide se déplace à grande vitesse, jusqu'à la brisure brutale, avec ces tambours qui essaient encore une fois de se lancer dans un solo mais la guitare assourdissante leur coupe l'herbe sous les pieds, ils en sont réduits à se transformer en rythmique folle, tandis que la basse halète tel un chien lancé à la poursuite de la voiture de son maître, une fusée interplanétaire fonce dans le vide, attention au brusque atterrissage, l'on pensait débarquer sur un nouvelle étoile, l'on se retrouve à patauger dans notre pauvre cabosse. Merinos : une batterie en sourdine sur un rythme qui n'est pas sans évoquer le tempo impassible du boléro de Ravel, tout de suite survient la flûte avec ce son comme gêné aux entournures, comme si le souffle transportait trop de scories humaines, et la grosse artillerie écrase tout, quelques coups de marteau-pilon de la batterie pour clore la séquence, hoquètements cordiques et l'on se retrouve en apesanteur jazzistique du plus bel effet, l'on commence à comprendre la structure du morceau lorsque tonnent les canons stéréotypées des effets de manche du hard rock, qui se fragmente pour nous emmener dans un jazz-funk qui se fragmente afin de s'installer sur le devant de la scène, succès signalé par les gutturalités d'une basse annonçant le moment de décompression attendu, et l'on repart en guerre jusqu'à ce que la flûte pointe le bout de son museau, elle instaure un calme méditatif, vite renvoyé aux oubliettes par les gros pataugas du rock primaire qui s'amuse à détériorer la planète en écrasant arbres et cités en flammes. ( Roby Marshall : flûte ); Les beaux jours : pourquoi tant de haine dans le morceau précédent, pourquoi cette mer de glace triomphante, l'album ne s'intitule-t-il pas les beaux jours ! Les voici dans le dernier titre éponyme, après tout ce vacarme une voix humaine s'interroge sur l'inéluctabilité de la catastrophe matérialisée par l'ampleur sonore, alors la chansonnette hausse la voix, elle hurle la mélodie pour couvrir le vacarme du dehors, moment de prairie indolore, claquements sonores de mitraillettes battériale, lors la voix reprend et réussit à recouvrir le vacarme, elle se hisse à la crête du tsunami qui s'avance, elle ne veut pas abdiquer, elle refuse l'évidence, impose pratiquement le silence à l'hostilité qui la menace, tout est en suspend dans ce long solo de guitare qui tente de s'éterniser, la basse chantonne par-dessous, un instant d'éternité plane sur les eaux de l'angoisse, et le morceau s'achève doucement comme si l'optimisme avait triomphé. Un instant d'éternité, certes, oui mais pour combien de temps ? A moins que ce ne soit le truc de l'autruche qui truche et triche. ( Léo Pinon-Chaby : vocal ).

Un bel opus, pratiquement un concept album. Avec cette ambivalence et peut-être même cette trivalence rock-prog-jazz. Abouti et qui se cherche. Les invités ne sont pas là par hasard et mensongèrement l'on serait presque tenté de dire par amitié, sont une nécessité, les ambitions du Baron Crâne excède les strictes limites du simpliste trio de base. Difficile avec un matériel humain si primal, même lorsque l'on est doué, d'atteindre l'envergure de l'aile d'un ange. Nous ignorons vers quoi Baron Crâne se dirige, z'ont allumé notre curiosité, elle ne risque pas de s'éteindre.

Damie Chad.

 

*

J'ai revu Mona. Sur le marché de Provins. C'est Denis le bouquiniste, le seul mec de la place qui vende de la bonne came, chez lui point de légumes avariés d'appellation Bio, qui me l'a tendu. Pas Mona, le bouquin. Pour toi, qu'il m'a dit et enlevant son pouce qui cachait le coin gauche il a ajouté Polar et Rock 'n' roll. Deux euros, je ne risquais pas de me ruiner. J'ai pris, j'ai li, j'ai vi. La chronique est après cette introduction. Avant cela, je vous cause un peu de Mona. Vous vous en foutez. Bande d'ignorants, derrière Mona, se cache Elvis. Pas évident à discerner, moi-même je n'en savais rien, du moins je le croyais, pourtant Platon l'a affirmé, on n'apprend rien, on se souvient. M'a fallu un méchant pense-bête pour que la mémoire me revienne.

Bizarre ce nom d'éditeur, La Tengo Editions, qui est-ce, un petit tour sur le net et comme Hank Williams, I saw the ligth. Suis tombé en plein sur la liste de leurs publications, une première puce à l'oreille, ah c'est eux qui publient le mook, le Schnock, la revue des vieux de 27 à 87 ans, je suis jeune ( d'esprit ), aussi ne l'ai-je jamais volé ni acheté. Et puis aussi la revue Charles plutôt axée sur la politique, et enfin parmi d'autres Mona. Non ce n'est pas un magazine pour jeunes filles prépubère, mais une héroïne de roman policier. L'a un prénom passe-partout, mais le nom de famille qui suit est facile à mémoriser : Mona Cabriole.

Dix livres parus entre 2009 et 2011. Pourquoi la série ne s'est-elle pas poursuivie jusqu'à nous ? Question d'autant plus pertinente que sur la quatrième de couverture l'est marqué encadré en un filet rouge : '' Mona Cabriole, 20 arrondissements, 20 auteurs, 20 romans, une collection de polars rock au cœur de Paris ''. Je n'ai pas de preuve, vous fournis un indice lourd de sens, le titre du dixième opus ne laisse présager rien de bon : Requiem pour Mona. Dans tout roman policier il faut chercher à qui ne profite pas le crime, les ventes n'ont pas dû avoir été pharamineuses, en haut lieu on a décidé d'arrêter les frais, pauvre Mona !

Vous allez me trouver cynique, je suis triste pour Mona, snif ! Snif ! Mais je regrette Olivier. Olivier Brut, couturier styliste chargée d'habiller Mona, autrement dit de graphiter le packaging – ainsi parlent les anglais – bref chargé de la charte graphique des couvertures. Trois couleurs, noir pour le polar, rouge pour le sang, blanc pour la pâleur des cadavres, un exercice de style, c'est net, Brut s'en tire bien, esquisses glauques et fantomatiques, trois coups d'aplats filiformiques et il vous résume le book en trois coups de pinceaux. L'est doué le monsieur. Sensibilité rock oblige, un tour sur son blogpost s'impose, vous découvrirez que vous le connaissez déjà, s'est chargé de plusieurs couvertures chez Camion Blanc, non pas les hideuses qui alignent en format timbre-poste des pochettes de disques, mais par exemple celle de 24 Histoires pour Lemmy dans lesquelles on trouve au hasard ( qui fait bien les choses ) Pierre Mikaïlloff, Alain Feydry ( voir recension de son livre Listen to me, Portrait de Buddy Holly in KR'TNT 522 du 23 / 09 / 2021 ) et cerise sur le gâteau un certain Patrick Cazengler. Un super boulot, tout est classé méthodiquement, j'ai déjà pris la décision d'écouter des disques que je ne connais pas uniquement parce qu'il s'est chargé des illustrations.

Donc ils avaient repris la tactique de la série ( près de trois cents titres ) Le Poulpe : un auteur différent pour chaque nouveau bouquin. Ainsi le premier Tournée d'adieu est signé de Pierre Mikaïloff, ex-membre des Désaxés dont nous avons présenté ses biographies de Noir Désir et d'Alain Bashung, mais ce n'est pas lui qui nous intéresse, c'est le huitième tome de Stéphane Michaka, Elvis sur Seine, dument – parce qu'Elvis est notre vice – répertorié dans notre livraison 188 du 08 / 05 / 2014.

LE CINQUIEME CLANDESTIN

MARIN LEDUN

( La Tengo Editions / 2009 )

Marin Ledun a reçu toute une flopée de prix plus ou moins prestigieux pour une grande partie de ses livres, romans ou essais. L'écriture de celui-ci ne m'a guère convaincu, elle court mais pas assez sèchement, elle ne claque pas comme des coups de feu. Chez La Tengo Editions l'on a dû partir d'un principe-clef : les amateurs de rock écoutent disques et CD's par centaines mais ne sont pas des lecteurs de Proust ou de Joyce. Leur faut du fast-food, vite expédié. Z'auraient quand même pu refiler à Mona Cabriole une monture de ce nom, l'ont doté d'un scooter encore échappe-t-on à la mode de l'électrique, nous voici privés de pétarades Triumphales, en 2009 ce n'était pas d'actualité. Aujourd'hui elle serait dotée d'une trottinette.

L'action ne trotte pas, elle galope, en un jour et une nuit Manon vient à bout d'un réseau de chair fraîche. Pourtant l'organisation maffieuse bénéficie de protections occultes. Les flics ferment les yeux, la mairie de Paris n'y voit aucun mal, on sous-entend fortement que dans les hautes sphères du pouvoir... Oui c'est politique. Le sujet est explosif, le sort réservé aux clandestins dans notre pays. Et spécialement dans le cinquième arrondissement. Surtout des jeunes africaines jeunes et jolies. Sans papier, sans boulot, des proies idéales... Critique un peu de gauche mais sans illusion révolutionnaire, les petites mains et les gros saligauds qui se chargent de la sale besogne finiront en prison, l'on s'en doute, la morale est sauve, l'on n'est pas dupe, les supérieurs ( soi-disant ) inconnus ne seront pas inquiétés et une fourmilière détruite, dix autres se reformeront aussitôt. La loi de l'offre et la demande. La main invisible du marché.

Et le rock'n'roll là-dedans. Soyons franc, l'est un peu plaqué. Manon Cabriole est une passionnée de rock dur et de punk pointu. Son groupe préféré semble être Nofx, les néophytes ne sont pas entièrement perdus, des pointures comme Bowie, Metallica ou The Clash figurent au tableau. Aux moments cruciaux un refrain approprié tourne dans sa tête, des paroles qui rythment l'action, expriment l'urgence de la situation et définissent l'implication existentielle, pour ne pas dire éthique, de l'héroïne, transcrites en langue originale, mais traduites en bas de page en notre idiome national par Eloïse Bouton, je ne la connais pas mais elle m'a évité deux ou trois contresens et nombre d'inexactitudes.

Vite lu, vite oublié. Espérons que quelques lecteurs peu sensibles aux fracas rock'n'rolliens se soient précipités vers leurs disquaires...

Damie Chad.

 

RAUNCHY BUT FRENCHY ( 4 )

 

LE CHIEN DE BARABBAS

N'accusez pas votre mémoire, ne relisez pas les Evangiles in extenso, jamais vous n'y trouverez mention du chien de Barabbas. En plus il est mort, Barabbas bien sûr, mais je parle du chien qui n'appartenait donc pas au Barabbas biblique mais à Barabbas, le groupe, qui a enregistré en 2014 un album intitulé Messe pour un chien.

'' Barabbas, messe'', par la grâce de ces deux mots votre esprit a tilté : ça sent le christianisme ! Attendez je vous refile l'effectif du groupe : Basse, choeurs : Saint Jérôme / Batterie: Saint Jean Christophe / Guitare : Saint Stéphane / Prêche : Saint Rodolphe. Par et pour le Saint Riff Rédempteur, c'est leur cri de guerre !

Après tout pourquoi pas, il existe une telle pléthore de groupes qui se réclament de Satan que se présenter sous une invocation christologique apparaît comme un gimmick commercial de plus. N'existe-t-il pas aussi aux Etats-Unis des groupes qui se définissent en tant que rock-chrétien, blue-grass-chrétien, metal-chrétien, etc... il y en a pour toutes les chapelles ! Dans les années soixante un groupe devait avoir un son à lui, dans les décennies suivantes la nécessité d'une image est devenue très importante... Posons la question à gros sabots de bois : les Barabbas ont-ils la foi ! Durant leur enfance oui, mais l'âge venant et la laideur du monde s'appesantissant sur leur conscience, ils ne croient plus qu'ils croient. Que chacun porte sa croix ! Le personnage de Barabbas est ambigu, lorsque Pilate propose de gracier ou Barabbas ( voleur et criminel ) ou le Christ ( beau parleur ), le peuple choisit Barabbas. Le malandrin l'emporte sur l'agneau innocent. Quelle leçon à en tirer : que les petits malins s'en tirent mieux que les autres ?

Venons-en au chien. Il a appartenu à un de nos quatre saints. Je ne donne pas son nom au cas étonnant où il aurait été un mauvais maître. Il n'a pas eu une belle mort, épuisé, incapable de marcher, il s'est traîné lamentablement durant de longs et douloureux mois, avant que Dieu ne l'accueille au paradis. J'ai embelli la fin de l'histoire pour nos lectrices trop sensibles. Barabbas n'a pas échappé à la fatalité de leur nom, le CD est dédié à leur chien, une belle idée à la Trente Millions d'Amis, mais ce n'est qu'un prétexte ( je suis acerbe ) ou qu'un symbole ( je joue à l'intello ) de la destinée humaine. Il est vrai que beaucoup de nos contemporains mènent des vies de chien.

MESSE POUR UN CHIEN

BARABBAS

La malédiction de Sainte Sélène : l'on s'attendait à une introduction grandiose, l'on n'est pas déçu, il est facile de décrire le doom comme du metal funéraire, sur le livret du CD de vaniteuses têtes de morts, l'humaine et celle du bouc diabolique, agrémentent la citation d'Isaïe que Saint Rodolphe psalmodie sur la pompière grandiloquence funèbre, le doom emprunte souvent beaucoup plus à la musique classique qu'à ses origines metalliques, non les basses n'y vont pas doucement, en l'écoutant n'oubliez pas la mort est votre seul avenir. Le couteau ou l'abîme : ça ne s'arrange pas, une seule différence, la musique plus violente, oppressante, belle idée cette espèce d'écho sur la voix, un moine qui chante sous la voûte d'un monastère, pratiquement du chant grégorien, les paroles ne sont guère jouissives, vous avez le choix, entre la mort et la mort, sympathique mais un peu limité, le discours habituel du nihilisme chrétien, toutefois un gros blasphème, j'ai tout de suite rédigé une lettre de dénonciation à la Congrégation de la Sainte Inquisition, n'accusent-ils pas Dieu d'être insensible aux prières humaines, la batterie a de ces bruits sourds de trappes qui s'ouvrent pour que le pendu bascule dans le trou qui se dérobe sous ses pieds, la guitare siffle à la manière de ces lames de guillotine qui se hâtent de descendre afin de vous trancher le cou, z'avez aussi une basse qui ricane en catimini, et puis ils ne se retiennent plus, sur la fin se prennent pour les Chevaliers de l'Apocalypse et l'Armagueddon à eux tout seuls. Si vous ressortez vivant de cette écoute, passez-moi un coup de fil pour fêter le miracle. Du doom pompier certes. Mais pyromane. Moi, le mâle omega : nos très chers frères persévèrent dans l'erreur fatale, le morceau débute comme une diatribe nietzschéenne et se finit après un solo incendiaire en un space-opera très grand spectacle, quatre minutes de rythme amphétaminisé, que dis-je amphétamaximisé, à fond les ballons, la baudruche humaine rêve et se gonfle tellement fort qu'elle repousse les limites de l'univers. Du stoner du tonnerre. Judas est une femme : pas tout à fait des paroles pour les féministes, quant à la musique lourde comme une condamnation à perpétuité il vaut mieux ne pas en parler, est-ce la punition de Dieu, le mâle Omega ( ô méga man ) a rencontré la femelle Alpha, la donzelle ils vous la passent au rouleau compresseur, cent fois en marche avant, cent fois en marche arrière, z'ont la colère noire et folle, appuient de toutes leurs forces sur leurs instruments, l'orgueil blessé se transforme en bouillie de rage martelante, un petit moment de répit, la basse qui se moque et tire la langue à cette bouillie sanglante, et puis ils finissent de l'aplatir et de l'aplanir. Ils ont la haine. La beauté du diable : n'ont pas peur d'aborder les sujets dérangeants. Ne sont pas des Saints, c'est pour cela que Dieu leur pardonnera. Peut-être. Vous racontent l'histoire du petit chaperon rouge, vue du côté du loup qui n'hésite pas à satisfaire ses appétits, sans honte ni regrets. Musique d'une lourdeur effrayante, un rock bulldozer qui dérange les anges, Fallait oser. Ils l'ont fait. Flamme incoercible du désir. Les paroles noyées sous un magma sonore en émoi. Chaud brûlant. Priez ! : vous pouvez prier, mais cela ne sert pas à grand-chose, inutile d'écouter les paroles, vous connaissez la chanson, la musique suffit, elle est lourde et sans espoir, la batterie roule et tourneboule dans l'exaspération, priez tant que vous voulez la guitare en rigole, elle en verse un long solo de larmes, Dieu n'est même plus nommé, son inutilité est patente. Que les saintes brebis attendent la mort qui approche. Son pas lourd résonne dans tout le morceau. Le sabbath dans la cathédrale : pire que la messe des fous, la perversion extrême, longue intro, la procession s'avance vers le chœur de la cathédrale, les corps sont aussi nus que les âmes, c'est la grande liesse, le grand coït, vont s'aimer les uns dans les autres, impies et impitoyables, pervertissent tous les rites sacrés, ne respectent rien, rythme lourd de bacchanale gorgée de stupre et de sang. Danse de l'ours sauvage, de plus en plus rapide, de plus en plus folle. Joie ô joie. Glissade terminale. Vielle tradition catholique qui emprunta beaucoup au paganisme. Messe pour un chien : tiens on revient au chien, comme au tarot. Changement d'ambiance, la musique pleut, elle s'élève, se voudrait légère, retombe, se relève, claudique, le pauvre animal n'en peut plus, la fin est plus que proche, il rêve son dernier rêve, les portes d'ivoire de la mort s'entrouvrent, ambiance mélodramatique,mais le drame n'est pas devant lui, il est derrière lui, tout ce qu'il n'a pas réalisé en sa pleine jeunesse, que voulez-vous l'on n'est pas toujours le loup qui se rue sur le petit chaperon rouge, c'est trop tard pour le regretter, il est mort, il est maintenant immortel, il court dans les jardins de l'éternité, la musique s'apaise, elle est devenue légère, elle trotte allègrement même si des ondes de tristesse la submergent, peut-être existe-t-il un point d'équilibre où tout s'égalise, ou rien n'a d'importance, où l'on atteint l'insoutenable légèreté du non-être. Roulement de tambour. Tout est terminé. Missa est. Allons en paix !

Superbe ! Un des meilleurs albums de rock français que je n'aie jamais entendu. Percutant, décapant, dérangeant, racinien, avec unité de temps, de lieu, et de personnages, une dramaturgie terriblement efficace. Question christianisme, ils n'y vont pas avec le dos de la louche du premier moutardier du pape, passent le dogme au kärcher, n'hésitent pas sur les images choc : '' Dieu est mort, en tombant d'un nuage, c'est moi qui l'ai poussé '' !

Une mention spéciale pour Saint Rodolphe, l'a son phrasé à lui, n'imite ni les rosbeefs ni les amerloques dans sa manière de poser les intonations, se contente d'être lui, ce qui est rare.

Pour la couve, elle s'imposait, l'entrée du cimetière des chiens d'Asnières, manifestement inspirée par les arcs qui bordent Le Canope, pièce d'eau des ruines de la villa d'Hadrien de Tivoli, l'artwork est de Benjamin Moreau, je ne m'attarde pas dessus car j'ai prévu une chronique sur ses activités graphiques et musicales.

Un petit bonus : Messe pour un chien est paru en novembre 2014, mais dès mai 2014, trois préproductions de trois morceaux sont sur Bandcamp. La couve nous en dit davantage sur ce chien mort et enterré dont le destin est une des inspirations de l'album.

FINAUD / 1954 – 1969

Selene : moins d'emphase, moins d'envol, moins symphonique, davantage rock, davantage terre à terre ce qui correspond à cette notion d'enterrement que la mort de Finaud suscite. Sifflements de guitare à mettre en relation dans notre imaginaire occidental avec la course échevelée les chiens d'Hécate aboyant à la lune par les froides nuits venteuses. Absence des lyrics. La beauté du diable : longue intro musicale, l'histoire du petit chaperon rouge sans les vocals, juste la partition en quelque sorte, rehaussée de chœurs lointains et inquiétants avant que Saint Rodolphe ne lance le chant, cette préprod n'a pas la force de celle proposée sur l'album, musique trop binaire, presque banale, il manque l'aura sulfureuse de l'œuvre accomplie. Judas est une femme : musicalement mieux réussie que les deux précédentes, de la lourdeur mais le chant un peu trop retenu. Moins de hargne, trop commun. En trois mois ils ont reçu la grâce de l'esprit malsain qui fait toute la différence.

Damie Chad.

 

ROCKAMBOLESQUES

LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

( Services secrets du rock 'n' rOll )

UNE TENEBREUSE AFFAIRE

EPISODE 04

PETIT DIALOGUE ETYMOLOGIQUE

Pour une fois, le Chef n'avait pas allumé un Coronado, du coin de l'œil je le voyais tripoter son téléphone portable, appareil dont il professait une sainte horreur et qu'il n'utilisait presque jamais, je calai le régulateur de la Lambor sur un pépère 180 lm / heure, il était temps d'un petit briefing sur les évènements qui s'étaient déroulés depuis le début de cette aventure que je pressentais exceptionnelle.

    • Désolé de vous interrompre Chef, que pensez-vous de ces apparitions de Charlie Watts, je sais bien qu'avec les Roling Stones l'on peut s'attendre à tout, entre nous soit dit il exagère un peu Charlie, huit jours dans le trou et hop il se promène à l'air libre comme vous et moi !

    • Agent Chad le fantôme de Charlie Watts n'est pas un problème, c'est un fantôme qui se conduit comme un fantôme, vous-même agent Chad quand vous l'avez saisi par le bras, vous vous êtes aperçu qu'il n'avait aucune consistance, donc c'est un fantôme, la cause est entendue.

    • Admettons-le Chef, mais vous ne trouvez pas étrange qu'en haut lieu, on fasse appel à nos services et que l'on nous congédie quelques heures plus tard.

    • Je reconnais que c'est un peu vexant, croyez-moi ils nous rappellerons d'ici peu !

    • Chef, ne seriez-vous pas par trop optimiste !

    • Pas du tout, ils voulaient un fantôme, nous leur apportons la preuve de son existence, ils n'ont plus besoin de nous, ils nous jettent aux orties ! Notez toutefois qu'il n'a jamais été question de couper notre ligne de crédit. Sont prudents, nous gardent sous la main.

    • Ils sont donc contents d'avoir un fantôme !

    • Exactement ! Toutefois l'affaire me semble totalement bien tordue, agent Chad, un fantôme c'est gérable, souvenez-vous du gars qui a sifflé votre Bourbon, il venait de voir Charlie Watts, et le préfet de Limoges qui a laissé échapper qu'il y avait eu dis-sept apparitions de fantômes sur le territoire national, reconnaissez qu'une vingtaine de Charlie Watts qui déambulent dans toute la France, de quoi déclencher une hystérie collective, à quelques mois des élections présidentielles, voilà vingt chiens inattendus dans le jeu de quilles des politiciens !

    • Si je comprends bien Chef, vous insinuez que le SSR est manipulé, que les autorités nous ont dirigés sur Limoges pour nous éloigner de Paris !

    • Certainement Agent Chad, mais de tout cela, nous reparlerons, une chose diantrement plus grave me tracasse, pourriez-vous lâcher votre volant et vérifier sur votre portable l'étymologie d'hibiscus.

Je m'exécutai promptement. Par acquis de conscience je visitai une dizaine de sites naturalistes, et quelques dictionnaires latins, grecs et syriaques.

    • Chef, Hibiscus vient du grec ibiokos qui signifie guimauve.

    • N'accordez aucune créance aux renseignements que véhicule le net, d'après mes connaissances ornithologiques il signifie cul d'ibis. Ne me regardez pas avec ces yeux en rond de frite, personne n'ignore que le cul de l'ibis rouge est d'une couleur rouge plus foncée que le reste de son plumage, méditez cela, Agent Chad, peut-être cela vous sauvera-t-il la vie d'ici peu. Cela mérite que j'allume un Coronado.

RETOUR A LIMOGES

Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous descendîmes de la Ghini arrêtée sur la lisière du Bois du Pendu, de loin, sur le moment nous crûmes qu'assis tous en rond, ils jouaient à pipi au lit. A peine nous virent-ils que le cercle se désintégra et une horde de jeunes gens se jeta sur nous, les garçons nous tendaient la main avec gravité, les filles nous embrassaient avec ferveur, Molossito et Molossa eurent droit à mille caresses, ça jacassait de tous les côtés, certains poussaient des hourras, d'autres en chœur répétaient sur l'air des lampions, Les héros ! Les héros ! Les héros !. Le Chef alluma un Coronado, Joël se détacha du groupe et fit les présentations :

    • Damoiselles et Damoiseaux un peu de calme, l'heure est grave, le SSR a délégué ses deux agents les plus brillants, il est nécessaire de les mettre au courant des derniers évènements.

Joël avait motivé ses étudiants. L'enthousiasme de cette jeunesse avait outrepassé ses désirs. Non, ils ne se relaieraient pas pour guetter l'apparition de Charlie Watts, d'un commun accord ils avaient décidé de rester dans le bois autant de temps qu'il serait nécessaire. A midi tapante, ils étaient fin prêts, pas très loin de la lisière ils avaient profité d'un large creux de terrain pour dresser une quinzaine de tentes, sur un feu de bois glougloutait une grosse cafetière, des cartons emplis de duvets s'entassaient dans un coin, piles de sandwichs, boîtes de conserves, paquet de biscuits jonchaient l'herbe, on attendait Charlie de pied ferme, il ne se présenta pas.

Le soir tomba, l'on mangea, la déception se lisait sur les visages, l'humidité transperçaient les vêtements, Le Chef prit la parole :

    • A neuf heures, je veux tout le monde au lit - il y eut des cris de protestation qui cessèrent vite - je ne veux rien entendre, pas un bruit, pas un mot, pas un rire, au lit ne signifie que vous dormirez, surtout pas, vous veillerez prêts à intervenir à mon signal, que personne ne sorte de sa tente avant que je n'en donne l'ordre, je ne m'étonne pas pas que vous ne l'ayez pas vu de la journée, trop de vacarme, trop de bruit, restez habillés, gardez vos chaussures, ne baissez pas la fermeture éclair de vos abris, n'ayez pas peur, l'agent Chad et moi-même sommes armés, nous sommes prêts à toute éventualité. Nous veillerons sur vous.

L'autorité naturelle du Chef produisit son effet, à vingt et une heure pile, plus un seul piaillement de fille, pas le moindre beuglement de garçons. Les consignes avaient été suivies à la lettre. Enfin presque, à vingt-trois heures le marchand de sable était passé, la colonie en son entier dormait de son plus profond sommeil. A ma grande honte je dois l'avouer, le Chef et moi, fûmes bientôt assaillis par une douce somnolence et nous ne tardâmes pas à sombrer dans une profonde torpeur...

Ce furent Molossito et Molossa qui nous réveillèrent en nous léchant le visage, il était près de deux heures du matin, nous fîmes rapidement le tour de tentes pour arracher la troupe des bras de Morphée, en trois minutes nous étions tous regroupés autour du foyer éteint, le Chef donna ses instructions à voix basse :

    • Interdiction de se mettre debout, vous vous déplacez en rampant, une fois hors du cercle des tentes, on se couche dans l'herbe, tous en ligne, vous laissez dix mètres de distance entre vous, l'Agent Chad prend la tête de la file de gauche, moi celle de droite, Joël au centre, gardez les yeux braqués sur la lisière, silence absolu, je rappelle la nuit est froide, la lune est absente, la brume est là, le bois est sombre. Action immédiate !

L'herbe était mouillée, mais nous ne le sentions pas, l'excitation était à son comble, chacun imaginait ce qu'il redoutait, Molossa et Molossito s'étaient couchés à mes côtés. Nous n'y voyions rien, la truffe de Molossa se posa sur ma joue, nous étions les plus près du sommet, Molossa poussa Molossito de son museau, il démarra au galop, sans bruit, il cogna dans chaque visage, tout le monde comprit que le moment fatidique se préparait, à une trentaine de mètre, la noir de la nuit devint plus sombre, de cette noirceur mouvante se dégagea une forme, qui peu à peu prit une certaine consistance, l'ombre sembla hésiter, Molossa grogna dans mon oreille, je la reconnus, Charlie Watts entreprit de descendre la colline...

A suivre...

28/09/2016

KR'TNT ! ¤ 296 : REZILLOS / BLACK BOX WARNING / WILD MIGHTY FREAKS / FRCTRD / BARABBAS / ATLANTIS CHRONICLES / THE DISTANCE / JAMES BALDWIN / NEGUS

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 296

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

29 / 09 / 2016

 

REZILLOS / BLACK BOX WARNING

WILD MIGHTY FREAKS / FRCTRD

BARABBAS / ATLANTIS CHRONICLES

THE DISTANCE / JAMES BALDWIN / NEGUS

LE PETIT BAIN / PARIS XIII° / 16 – 09 – 2016
REZILLOS

Le résolu des Rezillos

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S’il est bien un groupe qui peut prétendre à la couronne de roi des groupes énergétiques, c’est bien les Rezillos. Ces Écossais sont arrivés dans le rond du projecteur en pleine vague punk et quarante ans après, ils sont toujours là, en parfait état. En tous les cas, Eugene Edwards et Fay Fife sont toujours aux commandes de cette belle silver rocking-machine.

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On savait que leur concert parisien allait être un événement, car ils venaient d’enregistrer un superbe album, Zero. On y trouve un véritable coup de génie intitulé «Life’s A Bitch» - Got out for a ride/ Get hit by a truck - comme chez les Cramps dans «Let’s Get Fucked Up». Fay chante ça à l’aune du meilleur stomp écossais, elle est sans illusion - Life’s a bitch/ Then you die/ I don’t know why/ I don’t know why - On a là du grand art. C’est aussi Fay qui tape «She’s The Bad One» en B à la dramaturgie. Quelle belle compo de pop ambitieuse ! C’est même complètement inespéré de la part d’un groupe aussi nettement catalogué. On les connaît pour leur ardeur combative et leur jumping blast, mais pas pour ce genre de petite merveille encorbellée. Eugene et Fay se partagent le morceau titre, ils adressent des reproches à l’anti-héros - You are really something/ Even though you’re nothing - Curieusement, ils ont pas mal de cuts qui sonnent comme ceux des deux premiers albums de Blondie, à commencer par «Song About Tomorrow». C’est même quasiment la même voix et la même lumière. Même chose avec «N°1 Boy». On se croirait dans Plastic Letters. Les trois derniers cuts de la B sont tout simplement spectaculaires. Ils reviennent à leur son de 1978 dans «Nearly Human», avec une belle dégelée d’accords sautillés et un texte à vocation comique. Encore du Rezillo Sound avec «Spike Heel Assassin». Ils renouent avec la veine trépidante et enjouée, merveilleusement vivace et racée. Ils bouclent avec un «Out Of This World» de pulsion maximale. Cet album se hisse vraiment parmi les chefs-d’œuvre du XXIe siècle, n’ayons pas peur des mots. Ce cut vaut pour une pièce de pop pantelante qui baigne dans la joie et la bonne humeur. Ils regrimpent une fois de plus au sommet de leur grand art, à cheval sur une bassline incroyablement traversière - You’re out of this world/ So different from the other girls.

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Quel concert ! Dans un Petit Bain bien plein, Fay, Eugene et leurs copains firent feu de tous bois. Bon d’accord, Eugene a pris du volume et Fay n’est plus la jeune fille svelte des pochettes d’antan, mais elle dégage à elle toute seule plus d’énergie que n’importe quel groupe garage contemporain. Il faut la voir allumer les cuts sur scène.

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Le terme modération ne fait pas partie de son vocabulaire. Elle profite de toutes les occasions pour pulser des cuts ultra-énergétiques qui n’ont pas besoin d’elle car ils s’auto-pulsent tout seuls, mais c’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle en rajoute. Fay Fife, c’est l’anti-frimeuse, et quand elle prend des cuts de soul au chant, elle rallume le vieux flambeau du Tamla sound. Pas mal pour une Écossaise, n’est-ce pas ?

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En fait, ce qui impressionne le plus, c’est la mise en place du groupe qui continue de jouer les vieux hits spectaculaires, avec exactement la même énergie. Le guitariste Jim Brady saute dans tous les coins. Il n’est plus tout jeune lui non plus, mais il sait encore sauter en l’air sans craindre le ridicule. Et puis l’arme secrète des Rezillos, c’est aussi une section rythmique implacable, deux crânes rasés qui font tourner les cuts à cent à l’heure. On put enfin voir jouer la ligne de basse de «Flying Saucer Attack». Chris Agnew tricotait ça des quatre doigts de la main gauche, évidemment. Il s’agit certainement de l’une des basslines les plus véloces de l’histoire du rock. Ce mec est avec John Entwistle le bassman le plus spectaculaire qu’il m’ait été donné de voir jouer sur scène.

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Ils font une reprise de «River Deep Mountain High» assez démente et en rappel, il reviennent balancer un «Glad All Over» du Dave Clark Five qui met fin à toutes les velléités de commentaires. La grande force des Rezillos, c’est qu’ils ne supportent par l’approximation, et par conséquent, ils se placent au dessus de tout soupçon, comme dirait Elio Petri.

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Rien de surprenant au fond, car leurs antécédents sont irréprochables. Leur premier album, Can’t Stand The Rezillos a pour particularité de ne contenir aucun déchet. Dès «Flying Saucer Attack», le grand Mysterious nous embarque vite fait bien fait à la vitesse de la lumière sur sa bassline aérodynamique. Fay Fife et Eugene chantent à la régalade et l’admirable Jo Callis place de jolis solos concis. Leurs deux mamelles sont une énergie considérable et une précision cabalistique. Dans «Somebody’s Gonna Get Their Head Kicked In Tonight», Eugene se comporte comme un shouter de grand cru. On se régale des chœurs de rêve de Fay dans «2000 AD» et «Can’t Stand My Baby» se révèle alarmant de jus qualitatif. L’un des points forts des Rezillos, c’est le choix des covers. Sur ce premier album, ils rendent un hommage tonitruant au Dave Clark Five avec «Glad All Over». Ils sont dessus, avec le sautillant de leur énergie considérable. On a même l’impression qu’ils font des étincelles. Eugene chante «I Like It» à l’aristo des highlands, au milord des bas-fonds d’Aberbeen. On reste dans l’infernal brouet pop-punk avec «Cold Wars» que Fay embarque au paradis. Ils terminent avec une violente rasade de boogaloo, «Bad Guy Reaction», grattée sec par l’immense Jo Callis. Quelle équipe de surdoués ! Voilà l’une des raisons pour lesquelles il était si difficile de prendre les groupes français au sérieux, à l’époque. Qui jouait comme ça en France ? Absolument personne.

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L’année suivante sortait leur deuxième album, le fameux Mission Accomplished qui est un album live. On y trouve trois énormes reprises, à commencer par «Land Of Thousand Dances», embarquée au drive et explosée en plein vol. Ils enchaînent avec une version incroyablement garage d’«I Need You» et plus loin, ils rendent un hommage spectaculaire aux Sweet avec «Ballroom Blitz». Rien qu’avec ces trois titres, on frise l’overdose. Mais attention, ce disque recèle d’autres fringantes énormités, comme ce «Destination Venus» de clôture, monté au pounding de grosse caisse. Ils nous invitent à partir en voyage dans l’espace, alors on y va. Pas de problème. On s’assoit à côté de Fay. Elle est craquante. Ils jouent vraiment ce cut au pounding supra-normal. On assiste même au retour du groupe après un faux départ. Quelle santé ! Et dans «Mystery Action», Jo Callis fait un carton éhonté. C’est un vrai Scot, il joue en kilt. Dans «Thunderbirds Are Go», Simon Templar joue une bassline traversière et comme Fay et Eugene chantent ensemble, on se croirait dans les B52s. Encore de l’énergie à revendre dans «Cold Wars», juteux et joué à la grande échevelée. Saura-t-on dire un jour à quel point les Rezillos étaient bons ?
En 1980, Eugene Edwards et Fay Fife décident de continuer et le groupe se transforme en Revillos. Leur traversée du désert s’illustre par six albums dans lesquels on retrouve bien sûr le dynamisme qui fit le charme de la première mouture.

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Sur la pochette de «Rev Up», on les voit costumés en créatures Sci-Fi. Ont-ils inspiré Zolar X ? Leur batteur est un sosie de Billy Idol. On trouve deux hits en B, «On The Beach» (ambiance à la Shadow Morton, avec du vent, le ressac et une basse énorme embarque la voix de Fay - complètement envoûtant, un vrai coup de génie) et bien sûr l’immense «Motorbike Beat» - Me and Mister CC - complet avec les coups de gaz, vroarrrr, le mec qui sent le cuir et l’avalage de bitume, et cette lourdeur si caractéristique avec laquelle les motos anglaises s’élancent. C’est un hommage à la culture biker britannique qui ne doit rien à l’américaine. Les bruits des moteurs, les façons de conduire, le design des engins, tout est complètement différent. On trouve d’autres jolis cuts sur cet album comme par exemple «Juke Box Song» chanté à deux voix effrénées, comme au temps béni des Rezillos, ou encore «Voodoo» quasiment rockab quant au beat. Cut brillant, monté au voodoo stomp et bien articulé sur les breaks du wannabe de Billy Idol. «Bobby Come Back To Me» sonne comme un hommage aux Shangri-Las et on se régale de «Scuba Boy Bob», rythmé ventre à terre, fruité de frais et poppy à gogo.

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Sur Attack paru en 1982, Eugene et son gang de futuristes continuent d’explorer les coulisses du sci-fi rock avec «Snatzomobile». Ils y déploient une énergie qu’il faut bien qualifier d’explosive. Fay rôde dans les parages. Voilà encore un cut dynamique et moderniste, avec du son à la palanquée. On les sent tendus et déterminés, prêts à s’amuser coûte que coûte. Fay chante comme une gamine en plastique. Dans «Graveyard Groove», Eugene annonce la couleur - Gotta ejaculate in the graveyard - Et puis, il y a ce hit fondamental, «Love Bug», Fay s’y montre une fois de plus brillante. Elle fait sonner ce cut comme un hit des Supremes et l’explose avec des chœurs schyzoïdeaux. Wow, ça bat Tamla ! Quelle puissance ! Ils font un joli coup de Diddley beat avec «Man Attack» et Fay retape «Midnight» au beat du Brill. Elle s’y prend comme une star et ça vire à l’effarance de la prestance. «Do The Mutilation» sonne comme de la pop franche du collier et «Caveman Raveman» repose sur une tension maximale, car joué aux tambours africains. Magnifique de primitivisme ! Ça relève même de l’hypo dans la douleur. Encore de la magnifique pop de Fay avec «Your Baby’s Gone». Elle sait la traîner, sa pop. Il faut bien parler ici de pop craze.

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Si on apprécie particulièrement les duos d’enfer, alors il faut écouter Live And On Fire In Japan paru en 1995. Eugene et Fay sonnent un peu comme les B52s du premier album. Fay fait les rev up. Ils sont excitants et bardés de dynamiques internes. Fay craque et Eugene fait wouahh ! Autre pure merveille, «The Friend», embarqué à la pulsion maximale, c’est chevillé au corps du mandrin, Eugene le démon fait des siennes et Fay vole à son secours avec de la pop plein la bouche pour le refroidir. C’est franchement monstrueux. Tout est bien sur ce disque. On a le meilleur boogaloo d’Écosse avec «Bongo Brain». Fay fait fissa sur «Rock-a-Doom». Eugene agit en conteur d’exception sur le fameux «She’s Fallen In Love With A Monster Man» qui les a rendus célèbres. Fay se révèle en tant que chanteuse d’exception sur des classiques pop comme «Where’s The Boy For Me», ou encore «Bitten By A Lovebug». Elle drive ça seule, en vraie petite reine d’Angleterre, pas avare de ses avantages, capable de monter toute seule au créneau. On la retrouve dans «Baby Come Back To Me», cup pop ancré dans l’univers Shadow Morton/Shangri-Las. Elle s’y prélasse les bras en croix. Les Revillos jouent sur la brèche permanente, comme on le voit avec «My Baby Does Good Sculptures» qui date de la première époque. Ils jouent ça sous le couvert du beat avec une classe effarante. Et Eugene reprend au guttural son vieux chant de guerre, «Somebody’s Gonna Get Their Head Kicked Up Tonight». Ils font littéralement gicler l’énergie. Splish splash !

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Encore du gros fretin sur Attack Of The Giant Revillos qui date de 1995. «Man Attack» sonne comme un hit de Bo. On a là le Diddley beat du futur. On peut être certain que Bo aurait adoré ça. On trouve aussi sur ce disque la version studio de «Bongo Brain», un deadly hit de prime abord. Eugene sonne comme les Equals, c’est le même tempo - What’s your name ?/ Bongo Brain ! - On tombe plus loin sur un véritable hit de soul, «Mad From Birth To Death», chanté à deux voix et poundé comme à l’aube des temps. Quelle belle énormité ! C’est normal puisque monté sur le riff de basse de «Keep On Running». Ils profitent de «Graveyard Groove» pour redéconner avec le gonna ejaculate in the graveyard groove - On entend aussi Eugene aboyer sur le beat jungle de «Caveman Raveman». C’est aussi sur cet album que se trouve la version studio de «Bitten By A Lovebug» que Fay emmène dans les étoiles. Elle semble vraiment régner sur la pop anglaise. Et avec «Midnight», elle revient à sa chère ambiance Shangri-Las. Chimérique !

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Les albums live des Revillos permettent de mesurer leur niveau d’hyperactivité. Totally Alive fait partie des grands disques live de l’histoire du rock, ne serait-ce que pour l’effarante version de «Motorbike Beat» jouée ventre à terre. On trouve aussi sur cet album une version explosive de «Glad All Over» du Dave Clark Five. C’est joué à l’avalée, soutenu par des chœurs de rêve. Autre pure merveille, «Can’t Stand My Baby», où on voit Fay tenir le taureau par les cornes. C’est joué, beaucoup trop joué. Ils reprennent aussi leur vieux «Flying Saucer Attack», hit fatal bardé de remontées d’instrus et de panache d’accords d’Écosse. Démentoïde ! Ça va même un peu trop vite. Ce sera leur seul défaut : le trop. Cet album explose dès le premier cut, «Mystery Action». On prête aussitôt allégeance, pas moyen de faire autrement. D’autant qu’ils balancent des chœurs de Dolls dans leur pétaudière. Et un solo de dingo balaie la pauvre Fay. Ils vont encore trop vite avec «Getting Me Down» qui sonne comme une croisière en enfer. C’est quasiment du Dr Feelgood allumé au speed. Ils allument aussi «Manhunt» au riff vainqueur et un drive de basse embarque tout le monde pour Cythère. Ils s’auto-explosent de classe. Fay emmène «Crush» au trot. Elle fait sa Blondie et se fourvoie, mais on lui pardonne. Attention, un album live des Revillos n’est pas de tout repos.

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Le dernier album des Revillos s’appelle Jungle Of Eyes et s’il laisse un souvenir, ce sera surtout pour «Love Bandit», que Fay chante en parfaite Soul Sister, avec une ténacité qui en dit long sur la pertinence de son grabbing. C’est tout simplement exceptionnel de véracité. Fay nous fait de la soul à l’Écossaise, une soul nerveuse et bien cambrée sur ses chœurs virulents. Fay fait aussi un festival dans «Guilty In The First Degree». Elle l’attaque d’une voix chaude et roule des r de romanichelle des Highlands. Ils reprennent de vieux hits comme Lovebug ou Man Attack, mais il vaut mieux écouter les versions live. Ils jouent «Call Me The Cat» au tribal de boogaloo. Eugene semble hélas céder aux sirènes de la mode. On entend même du synthé dans «The Vampire Strikes». Ils sauvent l’honneur avec «Trigger Happy Jack», cut de comic boogaloo digne des Rezillos - Gun powder essence/ A degenerate mental case - Bel étalage de paroles de balistic blasted maniac ouh-ah !/ A delinquant with a scar ouh-ah !/ Case hardened hoodlum comatose killer man/ Got a total disregard for human life - Eugene charge bien la barque.


Signé : Cazengler, le grazillo

Rezillos. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 16 septembre 2016

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Rezillos. Can’t Stand The Rezillos. Sire 1978
Rezillos. Mission Accomplished... But The Beat Goes On. Sire 1979
Revillos. Rev Up. Dindisc 1980
Revillos. Attack. Superville Records 1982
Revillos. Live And On Fire In Japan. Vinyl Japan 1995
Revillos. Attack Of The Giant Revillos. Receiver Records Limited 1995
Revillos. Totally Alive. Sympathy For The Record Industry 1998
Revillos. Jungle Of Eyes. Captain Oi 2003
Rezillos. Zero. Metropolis 2015
De gauche à droite sur l’illusse : Jim Brady, Fay Fife, Eugene Edwards, Chris Agnew, Angel Paterson.

LA CITROUILLE / CESSON / 24 – 09 – 16

WILD PIG FEST # 3

BLACK BOX WARNING
WILD MIGHTY FREAKS / FRCTRD
BARABBAS / ATLANTIS CHRONICLES

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J'avais prévu Guido and the Hellcats à Troyes. Trois ans depuis ma première rencontre avec Guido. L'avait seize ans alors et les Megatons l'avaient laissé joué tout seul durant leur inter-set. Ne s'était pas dégonflé avec sa drap jacket et sa guitare et l'avait envoyé une bonne dizaine de classiques. L'est passé de l'eau dans la Manche depuis cette soirée... L'a grandi et l'a formé son propre groupe. Devait passer au 3 B, mais l'Histoire en a décidé autrement. Passeport périmé, les britishs doivent montrer patte blanche pour mettre le pied sur le continent. Pour Guido rendez-vous est pris pour le quinze avril 2017. Pour itou m'a fallu improviser le plan B. Pas besoin d'aller très loin, à moins d'une heure de teuf-teuf le troisième rendez-vous de l'association Wild Pig Music. Petits cochons de lait tout mignons, tout bons, gare à vos grandes oreilles sensibles ! La wild Pig Music est réservée aux sangliers aux défenses de fer !
La Citrouille est une petite salle à peu près ronde d'où l'appellation contrôlée supposons. N'a pas poussé toute seule dans son champ, l'est entourée de deux menus potirons qui servent pour l'un de bureau, pour l'autre de salle, que l'on imagine polyvalente, qui ce soir fera office de bar à bière. Cinq groupes, cinq euros. Le genre de dumping social qui me botte. Ouverture des portes à dix neuf heures, mais les musiciens sont en train de déguster leur part de pizza. A ce tarif, on ne pas leur offrir les agapes d'un Beggars Banquet à la Stone ! D'ailleurs à peine vingt minutes plus tard début des hostilités. La scène est vaste, occupe facilement un quart de la surface totale qui peut avaler jusqu'à deux cents personnes. Quorum qui ne sera atteint qu'au trois-quarts. Tant pis pour les absents qui ont toujours tort.

BLACK BOX WARNING

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Sont trois. Batterie en retrait à gauche. Bassiste imposant au centre. Guitare à droite. Pas nombreux pour le bruit qu'ils vont produire. L'on aurait dû se méfier de l'avertissement sur la boîte. Deuxième apparition publique, à peine vingt minutes. Mais aux âmes trempées dans le sludge la valeur ne dépend pas du nombre de quarts d'heure alloués. Déferlement de boue noire en ouverture de la soirée. Tout repose sur le batteur. Les deux autres ne font que suivre. Le bassiste tranquille, genre de gars que rien ne surprend. Fournit l'onde de fond. Une avalanche de glace noire peut lui passer dessus, l'on se demande s'il l'a remarquée. Rien ne l'émeut. L'émet son ondulation comme la balise de sécurité de l'avion englouti au fond de l'océan signale le lieu de la catastrophe. Ne compte pas les morts, fait son job avec une placidité mortelle. Pour le guitar égoïne amplifiée, c'est un peu plus complexe, doit être dans l'exact prolongement du tohu-bohu qui déferle sur lui. Son rôle est simple, accentuer la glissade, la rendre davantage vrombissante et tranchante afin qu'elle déferle sur le public avec la délicatesse d'une épée qui vous coupe délicatement en deux.
Retournons au fautif. L'a des lunettes et des baguettes. Si vous ne l'avez pas remarqué c'est que êtes à l'article de la mort. Pas de soucis, ceux qui n'entendent que lui en sont au même stade. Ultime. L'a aboli l'interrogation métaphysique du batteur. Et maintenant je tape sur la caisse claire ou sur le tambour ? Frappe sur les deux en même temps, parfois il peaufine un léger décalage, ce que l'on appelle le décervelage en deux temps. Pour la grosse caisse, tirs ininterrompus et en continu. Le pire c'est quand ça s'arrête. Parce que ce n'est pas fini. Ce n'était qu'une ruse. Reprend le bombardement à outrance, un morceau de rock c'est comme le fameux Livre de Mallarmé, qui ne commençait ni ne se terminait, et qui tout au plus faisait semblant. En plus vous adorez. Votre corps dodeline à ce rythme assourdissant, fermez les yeux, un troupeau de pachydermes avance à pas pesants. La terre tremble, vous auriez dû vous reculer. La première des gigantesques bestioles vous a saisi dans sa trompe et expédié en l'air. Vous avez la colonne vertébrale cassée en deux. Vous souriez d'aise, vous êtes à l'abri d'un nouveau danger puisque vous avez atterri tout en haut, hors de portée, dans le feuillage du palmier-dattier ( pour sûr dans votre fauteuil roulant vous vous souviendrez de la date ), vous croyez être sauvé, mais un deuxième animal arrache de son appendice nasal le tronc de trente-cinq mètres tout au haut duquel vous aviez trouvé refuge et le lance négligemment dans le marigot boueux infesté de caïmans affamés avec la facilité de Tante Agathe jetant un mince spaghetti qui ne lui avait rien fait dans la marmite d'eau bouillante.

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Le public échaudé ne craint pas l'eau froide. The Black Box Warning emporte, l'adhésion, c'est à son tour de plier sous la bronca des applaudissements et des hurlements frénétiques. C'est comme cela que l'on aime les premières parties. Vous servent largement et ne laissent rien pour les autres. Un rock minimal, frustre et efficace à deux cents pour cent. Ce médicament n'est pas remboursé par la sécurité sociale. Heureusement, sans quoi vous seriez immuno-dépendant tout le restant de votre vie.

WILD MIGHTY FREAKS

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Z'ont dû réfléchir salement à la programmation, après un caterpillar de cette cylindrée, faut occuper les esprits avec un autre genre de confiture. Changement de style pour tromper l'ennemi. Ce sera Wild Mighty Freaks. N'y a qu'à les voir avec leurs capuchons sur la tête pour comprendre que l'on a changé de cité. Du métal certes, sans quoi ils n'auraient pas été de la fête, mais bouturé au hip-hop. Une nouvelle hybridation qui se révèle prometteuse.
Sont quatre mais ont tous regagné les coulisses. Ne reste que Yaboy, trifouille son ordi avant de s'asseoir sur le devant de la scène. Pose cool. Le gars flegmatique qui ne sait pas trop quoi faire en sa vie sinon téter au goulot sa bouteille de Jack Daniel's. Se donne une apparence de nonchalance désabusée mais l'on devine qu'il doit savoir bouger son corps longiligne et que derrière cette impression désabusée l'esprit est en éveil et habitué aux ripostes verbales acides. L'est rejoint par ses trois acolytes qui ne se pressent guère. Portent tous un masque, rehaussé d'un maquillage outrancier. Beurre noir, blanc cadavérique, rouge sang. Ni Kiss, ni Alice Cooper, plutôt bad boys revenus d'une explication tuméfiante et qui entendent garder l'anonymat. Tonton est aux drums. Flex à la guitare et Crazy Joe au micro. Alternent les séquences, chant et musique. Hip-hop pour déclamer. Métal pour souligner et appuyer. Genre l'on vous l'enfonce dans le crâne, afin que ça y reste incrusté à jamais. Peut-être fut-il dénommé Flex à cause de ses soli flexibles. Quand c'est à son tour de monopoliser l'attention, il ne lâche pas facilement sa proie, poursuit les notes sur les tonalités aigües. Exactement comme à la morgue quand le toubib vous scie la boîte crânienne pour vérifier si vous avez un cerveau. Qu'il ne trouve pas d'ailleurs, mais ceci est une autre histoire.

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( Photo : Laura Lazurite )

Bref Flex sait se servir d'une guitare et chacune de ses interventions sera saluée comme il se doit. Mais les Freaks ne se contentent pas de jouer ou de chanter. Z'ont tressé une autre corde, solide et résistante. La danse. Crazy Joe et Yaboy détestent les temps morts. Ce fou de Joe coule à flow, Yaboy aussi, mais se contente du minimum. Joe vous récite un paragraphe de vingt lignes et Yaboy se contente de répéter un mot. Esquisse un vague geste de la main, comme s'il se retenait à l'air pour ne pas tomber. Un seul vocable mais asséné au moment précis où son absence serait une faute. Vous partage en deux, faut-il s'émerveiller du professionnalisme des acteurs ou céder au côté burlesque du phénomène ? Voyez par vous même. Cela n'est rien comparé aux subtiles chorégraphies qui suivent. Quand Tonton tamponne sa caisse pour accélérer le rythme, nos deux étoiles se mettent à briller de mille feux. Crazy Joe s'embarque dans une espèce de danse du scalp échevelée et aussitôt sec Flex, avant de repartir titiller sa programmatique MAO,vous en offre la pantomime. Exactement les mêmes gestes, sans un écart de nano-seconde, le même et le semblable, le miroir qui renvoie son propre reflet. Parfaitement au point. Au petit doigt près. Impromptu mais pas improvisé. Parfaitement au poing. Frères jumeaux de la rue. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Un show élaboré qui n'est pas sans rappeler les spectacles itinérants des noires troupes de black faces des Etats Unis dans les débuts du précédent siècle. Festif et violent, une couche de hip-hop, une épaisseur de rock'n'roll et un nappage de métal. Le millefeuille se déguste brûlant. Public enthousiasmé. Font un carton.



FRCTRD

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C'est comme en hébreu, ils ont enlevé les voyelles. Prononcez Fractured. Ont juste gardé le bruit. Un drôle de son, entre pavés de facture sociale et friture de fracture musicale. Genre Djent. Du core à core. Avec soi-même. FRCTRD produit une musique qui se suffit à elle-même. Un scorpion qui ne trouve personne à piquer finit par retourner son dard contre lui-même. Un art d'auto-mutilation. A peine avez-vous produit un riff que tout de suite vous songez à le couper en morceaux. Faut le tordre, le cisailler, le concasser, le réduire, le distribuer en une nouvelle combinaison, aucune note ne sortira entière de l'aventure. Cinq sur scènes, Vincent est au chant, foulard de pirate rouge sang vermeil d'abordage sur la tête et les deux gros anneaux dorés aux oreilles qui vont avec. Ne chante pas, il screame, il howle, il glisse du son sur les brisures opérées par les quatre autres forbans. L'on ne peut parler d'individualités, la musique est trop complexe pour laisser à tout un chacun le droit de tirer la couverture sur son quant à soi. Doivent avoir l'oeil et l'oreille aux aguets, attentifs à tout son émis par le reste de l'équipage. Ne rien laisser passer sans le renvoyer aussitôt sur le bord de la route. Toute note doit être encastrée, enkystée, défenestrée, FRCTRD ne recherche pas le chant du cygne mais le coassement des corbeaux plutoniens. Un seul titre suffit à définir leur entreprise. Négative. Pas d'harmonie, mais le déroulement exact de son manque.

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Symptomatique la basse de Maxime, davantage de cordes comme pour fractionner encore plus l'amplitude sonore. Deux guitares, Filip et Clément, chacune oeuvrant ensemble dans la césure de l'autre. Musique de choc et de bris, des allures barbaresques, mais qui s'apparente à de la mathématique pure. Semblent traiter une équation monumentale. Un problème à résoudre. Le drame du métal qui se fait hara-kiri pour mieux étinceler de sa splendeur métallique. Musique savante qui s'enroule sur elle-même pour mieux cristalliser la teneur de sa déliquescence. Une auto-évaporation perpétuellement concrétisée par son effort à rejoindre l'essence de son émission. FRCTRD rejoint certains vertiges de la New Thing. Ne sont pas issus de ce courant, mais des chemins partis de provenances opposées finissent un jour par se croiser.

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Font un tabac, preuve que les fans de métal ont des oreilles pointues et capables d'auditionner de multiples possibles. Pour ma part j'eusse aimé qu'ils aient pu bénéficier d'un peu plus de volume sonore. Musique gravitationnelle, comme ces étoiles qui s'effondrent sous leur propre masse. Applaudissements sans fin.

( Photos 2 & 3 : Laura Lazurite )

BARABBAS

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Changement de décor. Finies les intellectualités pures. Place au cirque. L'est temps de faire coucou au diable. Barabbas est de retour. Sont en train de fignoler la balance et j'éprouve une légère déception. Me manque un truc. Vu de si près le groupe souffre de déficit de charisme. L'est bêtement humain. Que se passe-t-il ? Où est passée cette sensation de démesure grandiloquente qui m'avait séduit à l'Empreinte de Savigny ( voir KR'TNT ! 243 du 09 / 07 / 15 ) ? Commencent à jouer, tant pis je ferai avec. C'est alors que je m'aperçois de mon erreur car brusquement tout s'illumine. La lumière survient. Y avait une pièce en moins au puzzle, et la voici. Le cinquième élément éthérique, indispensable à ceux qui veulent connaître l'envers des choses et de la vérité, s'extrait des ténèbres impénétrables des back stages. Impressionnante silhouette, le chaînon manquant, qui s'empare du micro et qui distribue aussitôt la bonne parole. Sa Sainteté Rodolphe, colosse aux pieds agiles qui martyrise son micro, parmi nous, en son ministère, comme par miracle la zique devient plus sourde, plus lourde, elle nous écrase, nous doomine.

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Le rock est un opéra de carton-pâte, une suite de clichés repeints à la peinture fluo, du faux, du toc, du toc-toc, mais rigoureusement authentique. Toute la génialité réside en cette infime différence entre la réalité et son énonciation. Suffit de donner l'apparence d'être convaincu pour vaincre. Barabbas c'est la caricature qui périme le communément admis. Un chanteur qui mugit comme un taureau que l'on conduit au sacrifice et quatre musiciens qui nous servent les grandes orgues des hécatombes au fond des catacombes. Nous embarquent en une vaste fresque pour une espèce de rituel hérétique et maudit. Nous avons droit à la grande révélation que le public subjugué récite à son tour comme un mantra ensorcelant. Judas était une femme. Ce qui tout de suite présente sous un jour nouveau le fameux baiser de Judas et explique peut-être la coupable faiblesse du rejeton de Dieu envers la nature de ce si spécial adepte... Bousculade au portillon des idées reçues. Mais ne nous égarons point en des voies beaucoup trop réflexives. Laissons-nous entraîner par les envoûtements musicaux apporté par le groupe.

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De véritables magiciens, vous mènent par le bout du nez en des contrées que vous n'aborderiez seuls par vous-même. Saint Rodolphe descend dans le public et s'en vient murmurer son blasphème à l'oreille des filles, qui ont l'air d'apprécier, pour les garçons et toutes les autres il reviendra, le graal de houblon malté à la main, et le geste auguste pour baptiser les impétrants. Au cas où vous auriez échappé à cette sainte onction, de retour sur scène, vous assisterez au miracle dde l'aspersion du crachat changé en pluie de bière que les premiers rangs reçoivent sans déplaisir. Le rock est en perpétuelle accointance avec le sacré, Barabbas possède le secret des remembrances originelles, nous fait le coup du bonneteau diabolique. N'y a rien dans les trois godets que vous soulevez, mais durant tout le temps du jeu, vous y avez cru et métamorphosé le vide des désillusions en un sentiment de jouissance suprême. Ovations du public. Barabbas empoche la mise. Tout est consommé.

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( Photos : Fabrice Dci )

ATLANTIS CHRONICLES


« Là s'étendait Atlantis ! Des Hauteurs qui Place Mage, nous avaient emportés vers les lumières victoriales, nous tenions une sapience ouranienne, légère, héliaque et royale, issue de cette transparence antérieures qui contenait tout ; et c'est ainsi qu'un ressouvenir bouleversant nous submergea, nous portant comme une vague bienfaitrice sur le sable sec et doux de la mémoire enfin retrouvée. Mais ce jour-là l'ombre était claire. Nous regardions le ciel à travers les feuillages, nous écoutions les floraisons du silence, ses couronnes perpétuelles et le zénith, doublement ailé, tombait lentement sur la mer et les oliveraies d'Atlantis. »
Excusez-moi de vous arracher à votre contemplation. Mais il se fait tard, c'est le dernier groupe. Désolant de constater que la majeure partie de l'assistance a profité de l'inter-set pour s'en aller. Permission de minuit ou dernier autobus ? Atlantis Chronicles remerciera à plusieurs reprises le dernier carré. Pour ceux qui voudraient continuer la lecture, le texte est de Luc-Olivier d'Algange. Ne l'ai pas recopié par hasard, mais pour surseoir à l'étonnement qui m'a saisi au début de la prestation du groupe.

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( Photo : Laura Lazurite )

Cinq sur scène. Bibent le chanteur au centre tout devant. La musique s'élève et Bibent est au micro. Me faudra quelques minutes pour intuiter. La voix me semble lointaine, j'attends qu'à la console l'on pousse la targette adéquate. Mais non rien. Je comprends enfin. Ce n'est pas chanteur + un groupe, mais un groupe qui joue à l'unisson, les cinq contributions phoniques étant traitées au même niveau. Point par un parti pris d'égalitarisme théorique forcené. Mais pour ajouter au mystère du dire. La voix n'est qu'un instrument parmi les autres, totalement fondue en la matière sonore. S'installe ainsi une aura de mystère légendaire. Le son est fort, véhicule les légendes perdues, ne les décrypte pas. N'explicite pas. A chacun de se laisser emporter sur les ailes du rêve. La musique en dit plus que les mots. Révèle des sortilèges. Vous entraîne sur des sentes merveilleuses et héroïques. Bibent ne crie pas, il module sa raucité, tout l'accompagnement musical semble porter et s'appuyer sur sa voix qui ne plie pas. Le crépuscule tombe sur la terre, s'étend sur son immensité mais le manteau herbu ne s'effondre point sous ce fardeau de pénombre accablant. Atlantis Chronicles rouvre les anciens grimoires d'où surgissent d'antiques secrets. Une symphonie romantique aussi belle qu'un tableau de Caspard David Friedrich. Crescendo, sans arrêt, tout au long du set la musique s'alourdit et se complexifie mais la voix suit la même courbe ascendante tout en restant au même diapason. Un tour de force qui doit demander une satanée technique vocale, debout sur les retours Bibent est la figure de proue qui taille la route pour le navire qui file avec lenteur vers les portes oniriques et océanes. Un dernier morceau comme une ultime escale... Atlantis Chronicles a refermé le livre et la nef de cristal disparaît dans les confins du songe entrevu. Un rêve de beauté qui s'achève...

The Wild Pig fEST numéro 3 a tenu ses promesses. Une programmation gérée de main de maître.


Damie Chad.

 

THE DISTANCE
RADIO BAD RECEIVER

THANK YOU FOR NOTHING / MESMERISE / HOW LONG BEFORE THE BLEEDING STOPS / RADIO BAD RECEIVER / NASTY LIGHT / THE UNCONSCIOUS SMILE / TROUBLE END / MORE THAN SERIOUS / PERFECT THINGS / INSOMNIA / ALONE / DON'T TRY THIS AT HOME

Mike : guitare & chant / Sylvain : guitares / Duff : basse / Dagulard : batterie.
Sortie : avril 2016 / NAB 1604

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Y avait eu le EP auparavant, chroniqué in KR'TNT ! 276 du 07 / 04 / 2016. Nous avait enthousiasmé. Voici l'album qui reprend quatre des cinq titres de l'EP. Même pochette cartonnée extérieure, noire au profil squelettique de biche qui n'est plus au bois ni aux abois. Une préfiguration de nos futures irradiations, soulignées par la minuscule virgule crânienne, une espèce de contre-marque blanche renversée – tels les premiers alphabets mésopotamiens - sur le fond noir létal. Signe de deuil, signe de seuil. Double photo couleur en intérieur. Le groupe en un décor gothique, autour de la chaise curule pour bébé. Pas tout à fait la même que celle que l'on vous offre dans les restaurants, à comprendre comme une gravure alchimique de la vie issue de la mort. Rabattez le volet, The Distance en lettres rouges sur la noirceur du support.

Thank you for nothing : musique implacable avec broderie de vocal lyrique, une introduction au malheur de vivre. La batterie qui accentue les angles et les guitares qui polissent les ongles. La batterie bat le rappel. Mike entonne les présentations. Ce n'est rien mais les guitares obsédantes le rappellent c'est du rock and roll. Appuyons joyeusement sur l'accélérateur. L'on ignore au juste où l'on va mais l'on sait très bien vers quoi l'on se dirige. Nous prenons tous les risques. Mesmerise : souvenir de la maison des morts. Pas de répit. Des éclats de guitares qui vous trouent la peau, l'on déroule le parchemin des épisodes précédents pour mieux foncer en avant. Tout cri primal n'est qu'un hurlement final. Cet apologue est définitivement réversible. How long before the bleeding stops : un titre qui fleure bon les anciens blues, inutile de pleurnicher, The Distance est un groupe de rock. Vous enlève le morceau comme l'on prend une barricade. Dommage pour les insurgés, mais l'on ne gagne pas toujours. Charge de cavalerie qui emporte tout. Lorsque l'on pressent que la situation tourne mal, presser la vitesse pour dépasser la catastrophe finale est signe d'optimisme. Au bout de la nuit, l'est toujours un autre commencement, au moins une autre nuit. Radio bad receiver : Accélérations rock et rythme bluesy appuyés se succèdent en courtes séquences, un choeur de voix de secours qui arrivent en soutien, le tempo qui s'accélère, arrêt brutal. L'on ne reçoit pas obligatoirement ce que l'on attendait. Nasty light : la lumière n'éclaire que l'obscurité qui du coup paraît encore plus sombre. N'écoutez pas la voix de Mike, qui se fait douce pour mieux pour vous entraîner dans d'étranges corridors, l'ombre ne se couche jamais sur le royaume de l'incomplétude humaine. Quand le noir arbore une teinte grisâtre ce n'en est que plus déprimant. The unconscious smile : ne riez pas, les temps ne le permettent pas. Les guitares enfoncent des chevilles dans vos zygomatiques. Quand vous croyez que c'est fini, l'enfer recommence, gardez le sourire c'est tout ce que vous pouvez tenter pour faire croire que vous avez sauvé l'intégrité du château de votre âme. Trouble end : les histoires se terminent mal. Normal. Entendez la guitare au loin qui sonne comme la cloche fêlée de l'espérance, le groupe déboule avec la force d'un bulldozer. Arase tout. More than serious : lorsque tout est effacé, il ne reste plus qu'à recommencer. La voix de Mike essaie de nous convaincre mais derrière la musique nous entraîne plus loin. Un peu comme si l'image dépassait la bande-son. Perfect things : Vu la vitesse de défilement l'on est obligé de se dire que le bonheur ne durera pas éternellement. Il est inutile de décourager les bonnes volontés mais il est dangereux de marcher sur la surface de la glace déformante de votre existence. Imsomnia : le cauchemar recommence. Gardez les yeux ouverts. Les images s'impriment avec une trop grande violence dans les synapses de votre cerveau pour que vous puissiez faire semblant de les garder fermer. Les guitares vous arrachent les paupières. Dagulard frappe spasmodiquement sur sa batterie. C'est elle qui le contrôle. Hurlement de terreur. Vous avez entendu la voix de l'Innommable. Alone : un peu de répit, faut bien reprendre ses esprits lorsque l'on se retrouve face à soi-même. Paysage de cendres. Les feux sont éteints. Une guitare sonne comme des larmes qui coulent sur la joue du destin. L'on est toujours seul dans le labyrinthe du monde. Don't try this at home : Faut toujours une morale à une histoire. Inutile de rouvrir les portes intérieures. Le drame se répètera. La musique devient aussi lourde que des plaques de chagrin. Les leçons de chose sont rarement objective. La brume des amertumes recouvre tout. Les guitares tombent en flaques sur le catafalque.

The Distance nous a servi un magnifique oratorio. Un oriatoriock. L'oeuvre s'écoute du début à la fin. Piocher un morceau serait une hérésie. L'ensemble possède son architecture. La voix de Mike conte une étrange pérégrination. Nous fait visiter le domaine. Suivez le guide. N'oubliez pas de descendre dans les fondations pour admirer la machine dragulardienne qui fournit l'énergie nécessaire au fonctionnement de l'édifice. Ensuite intéressez-vous à l'étrange alliage des guitares de Sylvain + Mike et de la basse de Duff qui tissent des murs de béton. Des cloisons mobiles qui tour à tour se dressent devant vous avec l'implacabilité des monolithes égyptiens, ou s'effacent subitement pour mieux réapparaître plus loin. Rien d'aléatoire dans cet étrange décor mouvant. Une intelligence préside ce jeu d'effacement et de surgissement. Vous pensez être libre de vos déambulations mais The Distance vous mène par le bout du nez. Le rock and roll est son domaine et le groupe en connaît tous les recoins et toutes les chausse-trappes. Profite de son savoir pour en bâtir comme un décalque annonciateur de quelque chose de nouveau, au sens baudelairien du terme. Cent pour cent rock and roll, et pourtant la construction n'est pas sans évoquer l'entremêlement d'un quatuor de Bartok. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une influence, je parierais plutôt pour une intuition formelle de l'appréhension des masses sonores. Un disque qui s'écoute et se réécoute sans fin si vous vous obstinez à en trouver la clef.

Ce n'est pas un bon disque de rock and roll. C'est une avancée.


Damie Chad.


LA PROCHAINE FOIS, LE FEU

JAMES BALWIN

( Traduction : Michel Sciama
Préface : Albert Memmi )

( Folio 2855 / Mai 1996 )

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Il ne faut jamais jurer de rien. Surtout pas de l'avenir. La prochaine fois, le feu publié en 1963 était à lire comme un livre d'avertissement. Pas de menace, car si Baldwin prophétisait le pire, il indiquait une autre voie de sortie, qu'il tenait pour possiblement illusoire... Nous sommes à un moment charnière de l'histoire de la communauté noire américaine. Baldwin exprime en quelque sorte ce moment particulier où la nécessité de la violence révolutionnaire devient le point d'enjeu crucial de la réflexion des élites noires américaines. L'était temps de tirer le bilan des actions entreprises jusqu'à lors. L'écriture de ces deux courts textes réunis sous ce titre comminatoire correspond au moment exact où le mouvement noir se fractionne, l'angélisme de Martin Luther King commence à être sérieusement remis encore. Trois années plus tard, émergera de toute cette réflexion théorique le Black Panther Party qui prônera l'installation d'un rapport de forces beaucoup plus offensif. Un pistolet accroché à votre ceinture indique votre détermination. Même si vous ne vous en servez point.

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Baldwin part d'un constat simple, d'une évidence. La situation doit changer rapidement, radicalement. La jeunesse noire qui monte n'est plus prête à suivre l'exemple de leurs pères. Ceux-ci ont usé leurs forces en un combat de longue haleine. Une interminable patience, une guerre d'usure. Se sont battus centimètre par centimètre, des milliers d'anonymes qui ont peu à peu redonné dignité et confiance à leurs pairs. Mais le temps des discussions, des pétitions, et du respect servile est terminé.
La tare du racisme n'est pas celle d'une oppression impitoyable. Il est facile de lutter contre l'ennemi de l'extérieur qui vous agresse. Mais lorsque les enceintes de la citadelle sont forcées et que l'occupant a pris le commandement la situation devient inextricable. La soumission, la collaboration et la pactisation s'emparent de votre esprit. Malgré vous, vous intégrez la fatalité de votre infériorité. Le noir n'a plus confiance en lui. Il est dépossédé de sa force vitale car il admet que le blanc lui est ontologiquement supérieur. Le processus de domination est achevé lorsque le dominé donne raison à son maître. S'en prend à lui-même, rejette sur lui-même la faute de sa déplorable situation d'être humain inférieur. Processus d'auto-culpabilisation destructeur.

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Ce n'est pas un hasard si la religion chrétienne a si fortement imprégné l'âme noire. A été perçue comme un élément salvateur et par certains de ses aspects elle possède cette qualité. Vous redonne confiance en vous, vous donne la mission exemplaire de salvation de vos frères. Mais de fait elle vous enferme en vous-même. La lutte contre les démons qui vous assaillent sans cesse occupe votre temps. La religion vous confine dans la voie du salut individuel et vous empêche de participer à un combat collectif. Pour les diables qui titillent votre chair, Baldwin s'appuie sur son expérience personnelle. Entre quatorze et dix-sept ans l'a prêché tous les dimanches. Mais la pureté est une armure qui vous sépare de votre propre humanité charnelle davantage qu'elle ne vous rapproche des autres. L'amour chrétien n'a pas de sexe. La reconversion du jeune Baldwin en l'acceptation de ses instincts les moins spirituels débouche sur un corollaire idéologique de condamnation des moyens de lutte prônés par Martin Luther King. La non-violence n'est que l'autre face de la charité christologique. C'est alors qu'il est contacté par le Black Muslim d'Elijah Muhammad dont un des leaders les plus connus en Europe demeure Malocolm X même si celui-ci s'en est détaché durant les derniers mois de son existence juste avant son assassinat ( voir KR'TNT ! 290 du 14 : 07 2016 ). Baldwin n'a rien contre ces hôtes. Avoue même un préjugé favorable envers le groupe. L'est impressionné par les foules qui écoutent les discours des orateurs du mouvement. Et encore plus par l'attitude des policiers qui surveillent ces attroupements. Trop de monde, trop d'attention et de ferveur pour que les porcs puissent les interdire et les disperser sans provoquer des troubles qu'ils ne pourraient contrôler. Les flics ont la trouille. Pourtant le public est calme et pacifique. Mais il est dangereux de troubler l'eau qui dort. Une méchante bestiole pourrait en sortir. Inutile de faire des vagues.
C'est qu' Elijah Muhammad ne recherche pas la confrontation mais la séparation. Totale. Demande que soit octroyé aux noirs l'équivalent de sept ou huit états. Avec les déplacements de population nécessaires. Fait remarquer que cette thèse n'est point farfelue, elle est en parfaite corrélation avec les mouvements racistes suprématistes blancs d'extrême-droite. Chacun chez soi, le Christ pour les blancs et Allah pour les noirs. Baldwin refuse cette façon de voir. Que le racisme soit blanc ou noir, il reste un poison mortel. Pour lui l'avenir réside en le rapprochement des deux communautés. Nécessité et bonne volonté. Certes le plus gros du travail relève des blancs. Tire la sonnette d'alarme juste avant le déraillement. Sans quoi notre auteur ne répond plus de rien...

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Un demi-siècle est passé. Les premières années ont semblé donné raison à Baldwin. La montée en puissance du Black Panther Party a fait vaciller l'establishment. Pas très longtemps. Le FBI et la Justice se sont empressés de décapiter le mouvement. Le BBP s'est dégonflé piteusement comme le soufflet aux trois fromages de Tante Agathe. Mais le Système a élargi les portes de secours destinées à la jeunesse. La pharmacopée des produits illicites a été développée ce qui s'est traduit par l'émergence d'une économie parallèle qui par effet de domino a entraîné la prolifération de gangs ultra-violents. Du pain bénit pour la police. Plus ils s'élimineront entre eux, moins ils auront de boulot. En plus cette montée de la violence permet les arrestations musclées dans le profil du bon indien mort... L'a aussi instauré une séparation dans la communauté, les couches les plus élevées se séparent des moins favorisées. La bourgeoisie noire faisant de plus en plus cause commune avec l'idéologie libérale du capitalisme américain. Barack Obama est l'exemple parfait de cette intégration réussie...
Deuxième exit. Le vieux rêve américain repeint en noir. La réussite sociale. Pas pour tout le monde. N'exagérons rien, si les pauvres s'enrichissent vous organisez l'extinction des plus riches. Une mince frange, mise en exergue sur les média, la musique adoucit les moeurs et dissout la colère. Le R&B est la vitrine qui sert de miroir aux alouettes. Même le rap des cités vient faire le beau et ramasser la tune.

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En réalité les statistiques indiquent que le revenu moyen des pauvres ne comble pas l'abîme qui le sépare du minimum du seuil le plus bas de l'aisance financière... Les aides sociales sont plus que maigrichonnes. Les promesses des années soixante sont passées à l'as qui pique dur. Un lot de consolation tout de même. Il est devenu très politiquement incorrect de traiter un afro-américain ( ne pas lire un affreux-américain ) de nègre. Surtout si vous spécifiez qu'il est sale. C'est ce que l'on appelle la politique des petits pas. Qui ne permettent pas d'avancer beaucoup. Les noirs sont devenus en leur grande majorité des pauvres, des assistés, des chômeurs professionnels, des drogués. N'y voyez aucune malice, sont traités à égalité parfaite avec les mexicains, les porto-ricains, les blancs des couches inférieures et même les indiens qui ont toujours une plume de trop qui dépasse de leurs réserves.
La Prochaine Fois, le Feu sonne comme un remake de En attendant Godot. Wait and see. Mais rien ne vient. James Baldwin a lancé une grenade de désencerclement. Mais ce fut un coup plus rien. Dans l'immédiat, il y eut bien les émeutes de Wats en 1965 et l'été de la haine en 1967, près de cent trente révoltes dans les banlieues chaudes de Detroit, Newak, et autres grandes agglomérations du pays. Des dizaines de mort, mais l'ordre a fini par régner. Aujourd'hui la sinistre prophétie ne fait plus peur à personne. Nous sommes déjà à après-demain. Qui tirera les leçons de cet échec ?


Damie Chad.

NEGUS
N° 1 / Juillet 2016

Une revue noire pour les noirs par des noirs. C'est écrit en grosses lettres rouges sur la couverture : Les Noirs Prennent La Parole. Je me méfie des identités que l'on brandit comme une fin en soi. Ne suis pas plus fier que honteux d'être blanc ou français. Premièrement parce que je n'y suis pour rien. Pas de ma faute. Deuxièmement parce que je n'y peux rien. Ne fais confiance qu'aux individus. Sans oublier que souvent ce sont les circonstances qui révèlent les qualités et / ou les tares de tout un chacun davantage que le quidam ne suscite les aléas... Pour parler mathématiquement si l'on considère que quinze pour cent des blancs sont indignes du nom d'homme, je pense que vous retrouverez le même pourcentage chez les noirs, les jaunes, les rouges, les bleus et les verts. Idem pour les nationalités. Quant à l'admiration que je porte à tel ou tel individu ce n'est jamais en fonction de sa couleur ou de sa nationalité mais pour pour ses réalisations tant au niveau politique, artistique, professionnel, etc...
Négus part d'un constat simple : jusqu'à sa propre parution, il n'existait pas en France de journal dirigé, et rédigé en leurs plus grandes parties, par des noirs. Je veux bien le croire, mais la réparation de ce manque éditorial ne m'apparaît guère comme une assurance de qualité. Faut juger sur preuves. Sans oublier que si les majorités silencieuses ne se bougent guère pour améliorer leurs situations ce sont bien les minorités actives qui font avancer l'Histoire.
Sur ce, Negus est une revue qui se lit avec plaisir. Et intéressante. Bien mise en page, aérée, bien écrite. Une face A conjuguée sur le modèle afro-américain I'm black and I'm proud qui consiste à montrer les personnalités noires qui ont réussi en leurs domaines que ce soient des sommités universellement reconnues comme Mohammed Ali avec en contre-miroir les dires de Joe Frazier qui écornent quelque peu le mythe, ou des petits gars bien de chez nous comme Güllit Baku né dans le quartier du Mirail de Toulouse qui bosse dans une des plus prestigieuses agence de pub. Une de celles qui reçoit les commandes des grandes marques qui peuplent le triste imaginaire consumérial de beaucoup de nos contemporains. Une belle réussite, mais perso j'éprouve un malaise quand je pense à tous ces enfants des milieux populaires qui à force d'audace, de talent, et de travail parviennent à s'intégrer dans les élitistes de commandement ( qu'il soit privé ou public ) de la culture libérale. Chevaux de Troie ou traîtres à leur classe ? Préfère de loin l'action revendicative d'Afeni Shakur infatigable combattante et résistante des USA. Fut aussi la mère du rapper 2Pac assassiné à l'âge de vingt cinq ans. Puisque l'on est dans la sphère du hip-hop autant mentionner l'interview de Booba qui défend, avec raison, sa stratégie autonomique de production de ses propres oeuvres. L'article consacré à Obama n'est pas vraiment méchant, l'on y sent surtout de la déception. La cause noire n'a guère évolué durant ses deux mandats de président des Etats-Unis. Beaucoup pensent qu'elle a régressé.
Face B, moins visible. Un fil noir qui parcourt les différents articles. Un peu en filigrane. D'un côté Negus affirme que l'exemple du combat des noirs américains ne saurait être reproduit en Europe, car trop spécifique. Etrangement pour une revue qui espère devenir un des porte-drapeaux de la communauté noire française, mais très logiquement si l'on a quelque peu réfléchi à la problématique politique, les espoirs se tournent vers l'Afrique. Non pas les chefs d'état africains actuels véreux et à la solde des multinationales blanches, mais vers le vieux rêve de l'unification de l'Afrique, ce pan-africanisme dont un Patrice Lumumba reste un des héros. Assassiné comme il se doit. Une belle idée qui pour l'instant reste remisée sur l'étagère poussiéreuse des utopies irréalisables. En tout cas ce n'est pas gagné d'avance. Suffit de jeter un coup d'oeil sur les pays arabes pour juger du naufrage du pan-arabisme pour être certains que les élites des pays occidentaux préfèrent le morcellement chaotique de leurs anciennes colonies à des unités supra-nationales maîtresses de leur destin...
Un bel avenir réflexif s'offre à Negus. Peut aussi choisir de surfer sur le clinquant des réussites sociales personnelles qui sont comme les derniers baobabs qui cachent la destruction des forêts équatoriales mises en coupe réglée par nos multinationales chéries. Difficile pour l'instant de prédire le chemin futur qu'empruntera la revue. Ses rédacteurs ont l'air de posséder des idées plus acérées qu'il n'y paraîtrait si l'on se donne la peine de lire entre les lignes. La seule méthode de lecture digne de ce nom.
Le numéro deux serait en préparation, tarde quelque peu, l'est attendu par beaucoup. Une initiative à soutenir.


Damie Chad.