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26/10/2016

KR'TNT ! ¤ 300 : CYRIL JORDAN / CRAMPOLOGIE / NATCHEZ / ELI D'ESTALE / SIDILARSEN / PUB ADK

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 300

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

27 / 10 / 2016

CYRIL JORDAN / CRAMPOLOGIE

NATCHEZ / SIDILARSEN / ELI D'ESTALE

PUB ADK

Monsieur Jordan - Part 1

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 Qu’on se rassure, Monsieur Jordan ne sort pas d’une comédie de Molière. À l’encontre de son homonyme (Monsieur Jourdain), celui-ci aspire à des développements plus prosaïques.
Cyril Jordan présente pourtant un sacré point commun avec Molière : un don de conteur qui lui permet de trousser une chronique passionnante de son époque, comme le fit Molière au XVIIe siècle.
Avant de devenir le leader mythico-cartoonesque des Flamin’ Groovies, Cyril Jordan incarna le fan de rock à l’état le plus pur, de la même manière que Greg Shaw, qu’il eut le privilège de fréquenter. Cyril Jordan est aussi un homme extrêmement drôle : les Groovies étaient à l’affiche au Petit Bain, en avril dernier. On les vit arriver en file indienne à la cantine, où ils cherchaient une table pour casser la croûte. On leur fit donc un accueil digne de ce nom, avec un retentissant Hey Chris à Chris Wilson qui marchait en tête avec la gueule de travers, puis un Hey George à George Alexander qui le suivait avec la gueule de travers lui aussi. Le seul qui rigola comme un gamin fut Cyril Jordan. On était dans les conditions d’un gag et ça le fit marrer spontanément.
Depuis plusieurs années, Cyril Jordan tient une chronique passionnante dans Ugly Things, le gros fanzine de Mike Stax qui paraît deux fois l’an. La chronique s’intitule «San Francisco Beat», et Cyril raconte dans le détail, année après année, la vie d’un fan de rock dans les années soixante et soixante-dix. Il fournit un éclairage extraordinaire, non seulement sur la genèse des Groovies, mais aussi et surtout sur la scène californienne de l’époque. Mais ce qui rend ces chroniques capiteuses, c’est justement le style de notre héros, un style très direct et immanquablement drôle, comme ponctué de claquements des doigts et de Ha ! C’est tellement vivant qu’en le lisant, on croit l’entendre parler.

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Le premier épisode de «San Francisco Beat» date de 2012. Cyril n’a alors que deux pages. Dans le chapô d’intro, il indique qu’il va raconter l’histoire de la scène de San Francisco et précise qu’il était là depuis le début - I was here from the beginning - Il est encore morpion quand il parvient à s’infiltrer dans le backstage des Beach Boys, en 1962. À l’époque, c’était très facile, nous dit-il. Il suffisait de surmonter sa timidité et personne ne vous barrait le passage. Il devient tout suite copain avec Dennis Wilson. Dans la loge, il remarque la présence d’un bonhomme plus âgé qui s’amuse à enlever son œil de verre pour faire peur aux filles. Cyril se demande qui est ce bonhomme atroce. Il va découvrir un peu plus tard qu’il s’agit de Murray Wilson, le père de Brian, Dennis et Carl. La même année, il voit les Ronettes sur scène. Qui dirige l’orchestre ? Phil Spector, bien sûr ! Ha ! Cyril est fasciné par les fringues de Phil : un costard en peau de serpent argenté avec un col en velours noir - Think of it ! Ha ! Nous autres en France, à la même époque, on regardait encore la Piste Aux Étoiles à la télévision.

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Avec le deuxième épisode, Cyril raconte la découverte des Beatles en 1963. Il en profite pour sortir une anecdote poilante : ça se passe dans le bureau de Lou Adler qui est alors un producteur à succès. PF Sloan entre dans on bureau et voit le single d’un groupe qui s’appelle les Beatles au sommet d’une pile de 45 tours. Il demande à Lou Adler ce que vaut ce single et Lou lui répond que ça ne vaut pas un clou - Forget about it - Piqué par la curiosité, PF Sloan met le single sur le tourne-disque, l’écoute et déclare : mon p’tit Lou, tu ferais mieux d’avoir ce groupe à l’œil !
Comme des millions de kids américains, Cyril devient raide dingue des Beatles. Dead crazy, comme il dit. Il sort alors de sa réserve une autre anecdote : ça se déroule en 1963, sur la route. Bob Dylan est assis à l’arrière d’une bagnole avec Richard et Mimi Farina. Soudain, «I Want To Hold Your Hand» explose dans l’auto-radio. Dylan hurle : Stooooooop the car ! Il descend et se met à gueuler : Fuck ! Fuck ! Fuck ! Fuck ! Fuck ! Fuck ! Fuck ! Fuck ! Il venait de prendre en plein poire le génie des Beatles. Cyril suppose que le Dylan électrique vient de cet épisode. Il ajoute qu’un an plus tard, Dylan offrira aux Beatles leur premier joint et qu’à partir de là, les drogues vont entrer dans la danse, comme c’était déjà le cas dans le monde du jazz. Puis Cyril revient longuement sur les costumes Chesterfield que portent les Beatles, sur la pochette de l’album Introducing The Beatles. Les fringues le fascinent. Pour lui, la qualité des fringues est aussi importante que celles des chansons et des instruments. Il parle aussi des racines italiennes de la mode beat et notamment d’Anello and Davide, et de Felipe Verde, dont tout le monde connaît les boots. Il évoque aussi l’histoire des Modernistes français qui fréquentaient les jazzmen américains installés à Paris dans les années cinquante. C’est de là que viennent les Mods anglais. Avant d’avoir pu voir les Beatles sur scène, Cyril s’était déjà acheté un manteau Chesterfield et des boots Felipe Verde - Philippo Verde Cuban-heeled boots - En lisant ça, on réalise subitement que la pochette de Shake Some Action n’est pas sortie de la cuisse de Jupiter !
Cyril rend ensuite un premier hommage à Brian Jones, qui était fan de Muddy Waters et de Wolf, alors que Jagger et Keef étaient fans de Chuck Berry. Pas pareil. En plus, Brian jouait de l’harmo comme Slim Harpo et les Stones étaient SON groupe. En vrai Stone-maniac, Cyril rappelle que le premier album des Stones, England’s Newest Hitmakers, est l’un des plus grands albums de tous les temps. Phil Spector l’aurait produit, ajoute-t-il d’une voix chantante, comme si tout le monde le savait. Il profite de l’occasion pour sortir une nouvelle anecdote : nous sommes en 1980. Cyril rencontre Phil Spector qui vient tout juste d’enregistrer l’album des Ramones, au Gold Star de Los Angeles. Voilà qu’ils se retrouvent seuls, tous les deux, dans une salle, tard le soir. Phil n’a pas l’air d’aller bien. Cyril lui pose la main sur l’épaule et lui demande si ça va. Phil répond d’une voix d’outre-tombe :
— Sais-tu que j’ai produit Meet The Beatles et les trois premiers albums des Stones ?
Cyril lui répond aussi sec :
— Oui, je le savais, comme tous les gens branchés !
Là, Phil n’en revient pas ! Quoi, t’es au courant ? Selon Cyril, Phil aurait été très affecté de ne pas être crédité sur ces albums. Cyril précise à toutes fins utiles que Phil Spector est l’homme qui a le plus apporté au rock - Phil Spector did more for rock’n’roll than anyone in this business - Quand Cyril pense à Phil et à ce manque de reconnaissance, il en a la larme à l’œil.

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Notre fiévreux chroniqueur profite d’un concert des Searchers à l’Ed Sullivan Show pour évoquer le nom de Jackie DeShannon qui a composé leur hit, «Needles And Pins». Il l’a déjà rencontrée. Et elle lui a fait la bise ! Wouah ! Il évoque aussi Jack Nitzsche qui travaillera plus tard avec les Groovies, lors de l’enregistrement de Supersnazz. Cyril a tout compris : il s’intéresse aux groupes anglais, aux fringues, il s’achète un ampli Vox Pathfinder avant même d’avoir une guitare électrique, et se passionne pour les grands songwriters, comme Jackie DeShannon, Phil Spector et Jack Nitzsche. Soudain, il découvre les Kinks. Cyril ne sait plus ou donner de la tête ! Il y a des disques et des groupes dans tous les coins ! Pendant tout l’été 64, il écoute jour et nuit les deux premiers albums des Beatles, les premiers albums des Stones, des Searchers, du Dave Clark Five et des Kinks. Quand les Beatles débarquent au Hilton de Los Angeles, Cyril se faufile dans le parking du sous-sol pour photographier le matériel qu’on sort du van. On voit ces photos dans le fanzine, bien sûr. Il raconte ensuite le concert des Beatles au Cow Palace, 100.000 personnes à l’intérieur et 100.000 autres à l’extérieur, qui n’ont pas de ticket. Pour Cyril, les Beatles restent le plus grand groupe de l’histoire du rock. Il n’a jamais revu un phénomène aussi hors normes que la Beatlemania en 64. Cette année-là, ses parents lui offrent une Gibson ES-235 pour son anniversaire. Chouette ! Il peut la brancher dans l’ampli Vox Pathfinder qu’il avait déjà acheté ! En novembre 1964, il devient dingue, mais vraiment dingue, en entendant «Baby Please Don’t Go» des Them à la radio. Il n’en finit plus de jouer et de rejouer «Baby Please Don’t Go» sur sa guitare neuve. Il s’est acheté le single et n’a même pas pensé à écouter l’autre face ! Les DJ de la radio font exactement la même connerie ! Jusqu’au jour où un DJ passe l’autre face dans son émission. C’est quoi l’autre face ? Mais c’est «Gloria» ! Un hit qui grimpe directement en tête des charts ! Quelle rigolade ! Ha !

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Pour Cyril, 1965 est l’année de naissance du rock américain. Il attaque ce nouvel épisode avec les Beau Brummels dont Sly Stone produisait les hits. Cyril continue de gratter sa belle Gibson et chaque fois qu’il achète un disque, il apprend à en jouer les morceaux. Il rend un bel hommage à l’album So Many Roads de John Hammond, cet album légendaire sur lequel jouent Mike Bloomfield et Robbie Robertson. Il s’éprend aussi des Yardbirds qu’il trouve beaucoup trop en avance sur leur époque. Coup de chapeau aux Byrds - on my fave list forever - Cyril raconte que les seuls Byrds qu’il fréquentait étaient Mike Clarke et Clarence White. Il les voit sur scène au Civic et la technique de picking de McGuinn le fait loucher. Ah putain ! Cyril se demande comment il va pouvoir jouer ça ! Il ajoute que personne dans le monde du rock ne jouait alors comme Roger McGuinn. Cyril va donc étudier le picking de Scotty Moore sur «Mystery Train». Il se servira de cette technique pour enregistrer «Evil Hearted Ada» sur Teenage Head. Puis ce sont les Stones qui grimpent sur scène au Civic. Cyril n’a d’yeux que pour la Gretsch verte de Brian Jones. Il louche aussi sur l’Harmony Meteor de Keef. Alors, il donne un conseil à tous les amateurs : si vous voulez sonner comme les Stones, payez-vous une Harmony Meteor ! Puis arrive le nouveau single des Stones, «Satisfaction». Cyril trouve le son étrange. Il découvre qu’il provient d’une Fuzztone fabriquée par Gibson. Avant de commencer à les mettre en vente, Gibson en offrit une à John Lennon et une à Keef. Un peu plus loin dans cette chronique trop touffue, Cyril revient longuement sur les Kinks et nous explique qu’ils n’ont pas de manager. C’est Ray qui gère la boutique - No tour manager, no roadies, no nothing ! - Ray s’engueule avec le patron du Cow Palace qui ne veut pas le payer en cash. Bon d’accord, mon con joli ! Les Kinks montent sur scène, font un doigt d’honneur au public et se cassent aussitôt. Pas de cash ? Pas de concert ! Cyril prendra modèle sur Ray pour les Groovies - Single-handed ! Ha !

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En 1966, Cyril prenait du LSD, comme tout le monde. «À cette époque, l’acide qu’on prenait se trouvait dans des sucres, 1.500 mics de pur LSD. Mec, t’avais intérêt à attacher ta ceinture quand tu avalais ça ! Le ciel commençait à tournoyer et les trottoirs fondaient sous tes pieds !» Cyril explique que le LSD lui permettait de se concentrer sur des points incroyablement précis. Il avait des résultats extraordinaires au lycée et il apprenait la guitare bien plus facilement qu’à jeun.
Il entre pour la première fois au Fillmore pour voir deux groupes : l’Airplane et le Paul Butterfield Blues Band. À l’entrée, un hippie barbu lui file un gros joint, alors Cyril dit qu’il entre au paradis. C’est encore Skip Spence qui bat le beurre dans l’Airplane et le groupe fait sauter la baraque. Cyril décrit les guitares : Paul Kantner gratte une Gibson douze cordes avec un micro DeAmond, Jorma Kaukonen gratte une Guild Thunderbird et Jack Casady une Fender Jazz Bass. Il ajoute que Casady a un ampli pour chacune des cordes de basse. Il jouait incroyablement fort - it was loud ! - Puis il voit ces mecs de Chicago, le Paul Butterfield Blues Band, qui foutent un peu la trouille. Mike Bloomfield joue encore dans le groupe en 1966 et Elvin Bishop hypnotise littéralement le jeune Cyril. Un peu plus tard, il voit jouer John Cipollina sur une SG équipée d’un Bigsby. John joue comme Roger McGuinn, avec un onglet de pouce en plastique blanc et deux onglets en métal aux doigts. Cyril raconte que l’air de rien, Cipollina fit sacrément évoluer la technique des joueurs de guitare.
Notre héros opte rapidement pour une Guild Thunderbird, comme Zally des Lovin’ Spoonful et Jorma de l’Airplane. Il donne même un nom à sa Guild : Berny. Et en février 1966, il entend «Shapes Of Things» des Yardbirds à la radio. «Ce disque est le commencement de ce qu’ils appellent le heavy metal. On n’en revenait pas quand on a entendu ça la première fois ! C’était à la fois cool et fantastique. Je comprenais qu’on allait se faire régulièrement exploser la tête en écoutant la radio.»
Petite anecdote : en 1977, Cyril joue à Londres. Les Groovies sont inscrits en tête d’affiche, au-dessus des Troggs. Cyril va trouver le promoteur et lui dit que la vraie tête d’affiche, c’est les Troggs, pas les Groovies. Mais ce porc de promoteur lui répond que le Troggs sont des has-been. Cyril est scandalisé ! «Ce fut une étrange manière de découvrir que les gens du monde réel n’ont aucun respect.»
Premier voyage à Londres en 1966. Il va faire ses courses à Carnaby Street. «J’avais 600 dollars. J’ai acheté un col roulé, le même que celui que porte Dave Davies sur la pochette d’un EP. Trois paires de pompes, dont une qui était la même que celle de Brian Jones sur l’une de ses photos.» Cyril raconte qu’en arrivant chez lui coiffé du chapeau hollandais de Keith Richards, sa mère lui dit : «Tu ressembles à l’un de ces Kinks !». On se marre bien chez les Jordan.
Puis il flashe sur la Gibson Les Paul, à cause d’une photo de Clapton au dos d’un album des Bluesbreakers. À l’époque, Mike Bloomfield jouait aussi sur une Les Paul. Cyril ajoute qu’il a enregistré Sneakers avec cette Les Paul.
«Alors que la fin de l’année approchait, je dansais et tournoyais dans ma chambre en écoutant ‘Over Under Sideways Down’ des Yardbirds.» Cyril eut l’immense privilège de voir les Yardbirds au Fillmore, la formation mythique avec Jimmy Page et Jeff Beck. «L’endroit était plein. Tous les guitaristes de San Francisco étaient là, avec la langue qui pendait.» Cyril est tordant : «J’étais au premier rang. Je regarde à gauche et je vois John Cipollina de Quicksilver. Je regarde à droite et je vois Jerry Garcia du Dead et David Frieberg de Quicksilver. Jorma et Paul étaient derrière moi.» Et il ajoute plus loin : «Ce fut probablement l’un des plus grands concerts de rock de tous les temps». Même chose avec Moby Grape au Fillmore. Tout le monde était là. «Le public est devenu dingue. Les gens hurlaient après chaque chanson. C’était un belle façon de finir l’année.»

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Hop, on saute en 1967. Cyril rappelle dans son intro que le rock’n’roll fit la grandeur de l’Amérique. Il embraye aussitôt avec le souvenir des premiers concerts de Doors : «Franchement, mec, Bill Graham n’a jamais engagé un groupe aussi rapidement. Les Doors l’avaient complètement scié !». Il évoque les Who qui allaient devenir «le plus grand groupe de rock des années soixante-dix». Les Who grimpent sur scène. Cyril voit Pete Townshend casser des Gibson ES 335 l’une après l’autre. Ce gâchis l’épouvante. Il voudrait lui dire : «Hey mec, s’il te plaît, ne casse pas cette guitare, donne-la moi !»
C’est en 1967 qu’il rencontre Brian Jones dans l’aéroport de San Francisco, où les Stones sont en transit. «God bless you Brian Jones.» Cyril avoue qu’il pense à lui tous les jours. Puis il flashe sur les Easybeats : «‘Friday On My Mind’ est encore mon disque préféré de 1967.» Cyril raconte que les Cream passent au Fillmore cette année-là et qu’il devient leur pote en leur fournissant des tablettes d’acide. Il dit même à Ginger d’y aller mollo et curieusement, Ginger suit son conseil. Cyril flashe aussi cette année-là sur le premier album du Pink Ployd, «one of the great LSD records». Il sait de quoi il parle, ha !

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En 1968, les groovies jouent au Whisky A Go Go, la boîte de Mario et d’Elmer Bernstein. Un soir, Jim Morrison se met à quatre pattes et hurle à la mort. Ça ne plait pas à Mario qui le fait virer à coups de pompes dans le cul. Cyril évoque aussi le souvenir de Dan Hicks des Charlatans qu’il admirait mais qui n’était pas très sympathique. Il rend aussi hommage à Al Wilson de Canned Heat : «Al Wilson était un génie. Il savait tout du blues.» Et il ajoute : «Al était un mec défoncé, bien barré, mais à la différence de Jim Morrison, il gardait le contrôle - Morrison l’avait perdu à cause de l’alcool et des drogues.»
L’un des passages les plus spectaculaires de ces chroniques est celui qu’il consacre à la mafia locale, qu’il appelle the Mob, comme Tommy James dans ses mémoires. Cyril raconte qu’un soir les Groovies jouent dans un club et le propriétaire refuse de les payer. Cyril a le numéro de Paul Catalina. Il l’appelle pour lui expliquer le problème. Paul envoie un big daddy qui arrive en Cadillac Fleetwood - You da Groovies ? - Yeah ! - Le big daddy dit à Cyril et aux Groovies de l’attendre dehors. Il entre dans le club. On entend des cris, des chaises voler, des vitres tomber et le big daddy ressort dix minutes plus tard avec l’argent des Groovies - Don’t fuck with da Groovies ! - 1968, c’est aussi l’année de «Jumping Jack Flash». Cyril saute en l’air : «Cette chanson te rend dingue !». Cette même année, les Groovies tournent avec les Stooges, Love Sculpture et Golden Hearing. En arrivant à Detroit, ils découvrent le groupe le plus extraordinaire du monde, selon Cyril, the fucking MC fucking Five - And man were they loud ! - Mais il précise toutefois que le groupe qui jouait le plus fort, à Detroit, c’était les Frost.
Tout ceci est écrit dans un style imagé qui est celui des bandes dessinées humoristiques. Cyril Jordan, c’est Bibi Fricotin au pays des guitares électriques.

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Au début de l’année 1969, Cyril fait un petit rappel sur ses chères drogues psychédéliques : «Si on veut comprendre l’approche artistique de cette génération, il faut accepter le rôle prédominent qu’ont joué les drogues. Mais pas n’importe quelle drogues. Une certaine catégorie de drogues, celles qui permettent d’élargir le champ de conscience.» Ce fameux mind expanding fut, souvenez-vous, le leitmotiv de Timothy Leary. Il était persuadé que les drogues psychédéliques allaient changer le monde et rendre l’homme meilleur. Il n’avait pas tort. Si tous les habitants de la terre avaient pris de l’acide, nous n’aurions plus de guerre. Après l’échec de la piraterie au XVIIIe siècle (l’utopie du partage) et du Phalanstère de Charles Fourier (l’harmonie universelle), la théorie du mind expanding fut la dernière grande utopie de l’histoire de l’humanité. À présent, qu’avons-nous en guise d’utopie ? Les réseaux sociaux ? Ha !
Cyril revient aux Who pour saluer la parution de Tommy et du «best electric guitar sound of all time». Comme tous les gens surexcités, Cyril ne craint pas les excès langagiers. Pour lui, il n’y a pas de doute, Tommy est un fucking landmark, une putain de pierre blanche, Pete Townshend a mis du big beef dans ses overdubs, qui sont stunning to the extreme. Sans même s’en douter, Cyril Jordan est l’un des meilleurs rock-critiques d’Amérique. Pourquoi ? Parce qu’il s’agite comme un fan passionné par ses disques, et non comme une pauvre cloche de coupeur de cheveux en quatre qui joue les intellos sans en avoir les moyens. Il rappelle aussi au passage que les Groovies étaient un groupe de San Francisco, the only real Frisco band, et qu’ils ne collaient pas du tout avec la fameuse scène psychédélique de San Francisco - As real as pain mystery. Ha ! - On se marre encore plus quand il évoque la façon dont il composa avec Roy Loney les cuts de l’album Flamingo. Ils roulaient en bagnole et rigolaient tous les deux comme des bossus, car la ville était quadrillée par les flics et pouf, ils pondent «Comin’ After Me» - The way we wrote was something to see. It was a gas gas gas ! - Il explique que 80% des cuts de Flamingo furent écrits sur le trajet Los Angeles/San Francisco, Roy au volant et lui à la guitare. Cyril raconte aussi que «Wiskey Woman» (qu’on trouve sur l’album suivant, Teenage Head) concerne Nancy Throckmorton, une baby doll qui était la nièce de John Phillips. Cyril en était amoureux, mais John Mayall aussi. C’est le vieux Mayall qui finit par emporter la compétition puisqu’il l’épousa la baby doll. Cyril profite aussi de l’épisode Mayall pour expliquer qu’il allait voir Mick Taylor répéter (celui-ci faisait alors partie des Bluesbreakers). Et pouf, il profite de la transition pour revenir à ses chers Stones, et justement, c’est Mick Taylor qui remplace Brian Jones. «But Prince Jones était un homme de many talents : les Stones perdirent d’un seul coup le blues, le folk, et le côté classique.» Cyril rappelle qu’avec les derniers hits sur lesquels joue Brian Jones, «We Love You», «Jumping Jack Flash» et «Street Fighting Man», les Stones avançaient dans une nouvelle direction - I mean fuck it was amazing. These three are my Number 1 all-time favorites. No question about it ! Oui, ces trois hits restent ses favoris - Et il rend un peu plus loin hommage aux Englanders qui voulaient toujours être défoncés en permanence - Ah they wanted to get stoned, stay stoned et get stoned some more - «Keith Moon, mon pote Viv Prince, et mon vieux pote Ginger Baker - Pour en nommer trois». Ces Englanders étaient tous des diables, y compris Brian.
C’est aussi l’année de Woodstock. Cyril a détesté cet événement : «Est-ce qu’il y avait les grands groupes de rock américains à l’affiche de Woodstock ? Non ! Je veux parler du MC5, des Stooges et des Groovies.» Puis il rencontre Kim Fowley au Big Sur Folk Festival, et comme il fait bien marrer Kim, ils deviennent potes aussi sec. Ils vont passer des nuits entières à se marrer et à faire marrer les gens, avec Kim qui n’en finit plus de demander : Where could we get some teenage head ? Cyril raconte qu’une fois il a rigolé pendant huit heures d’affilée. Le lendemain, sa mâchoire était bloquée. «Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi intelligent et d’aussi drôle que Kim.»
Et pouf. Un jour ils sont tous les deux dans la ‘57 Chevy de Roy et qu’entendent-ils à la radio ? «I Hear You Knocking» de Dave Edmunds - Ce disque a fait tomber John Lennon de sa chaise. Même chose pour Roy et moi - We were blown away - C’est là qu’il découvre l’existence de Rockfield - Je savais que c’était le nouveau studio Sun. Il y avait un son, une identité. Comme Gold Star avec Phil Spector. Comme Sun avec Sam Phillips. C’était à l’automne 1970. Il allait encore me falloir deux ans pour réussir à emmener le groupe à Monmouth, dans le Sud du Pays de Galles - Cyril ajoute qu’il avait tourné avec Dave Edmunds dans le midwest l’année précédente (Love Sculpture), mais il ne se doutait de rien. Ha !
Les intros d’épisodes de Cyril sont chaque fois des modèles du genre : «Dans le dernier numéro, on arrivait en 1970. C’est la fin des sixties, they are over, kaput and fini.» Il commence par rendre hommage à Paul Revere & the Raiders, they were tight beyond belief, oui, ils jouaient comme des dieux. Il rappelle aussi que les Beach Boys étaient la fondation sur laquelle le rock américain des sixties fut construit, et que les Beau Brummels ont inventé le folk-rock - as far as I’m concerned - Il évoque à un moment ses souvenirs d’enfance avec Roy qu’il a connu à l’âge de 8 ans. Sa mère lui achetait chaque mois les disques du Top Ten, et donc Roy avait une énorme collection de disques. Cyril allait manger chaque dimanche chez Roy et ils passaient ensuite la nuit à écouter des disques, notamment du rockabilly, dont Roy était particulièrement friand. Cyril : «J’ai commencé à apprendre à jouer les trucs de James Burton qu’on entend dans les disques de Ricky Nelson.»

Cette année-là est bien sûr celle de l’enregistrement de l’un des plus beaux classiques du rock, l’album Teenage Head, dont on retrouve la fameuse photo de pochette en couverture du numéro 40 d’Ugly Things. Toute la genèse de l’album est dans ce numéro infiniment précieux. Cyril rappelle que ce fut aussi pour lui l’occasion de rencontrer Jim Dickinson qui jouait alors dans les Jesters avec le fils de Sam Phillips. «Cadillac Man» fut le dernier single Sun, le numéro 400. Jim joua sur «High Flyin’ Baby», «City Lights» et «Have You Seen My Baby». Cyril dit que les autres titres enregistrés avec Dickinson se trouvent sur l’album Still Shakin’. Mais sur Teenage Head, il n’y a pas que la musique. Il y a aussi la guitare et les boots. Cyril tombe un jour sur une photo de Keith Richards. Il tient une guitare en verre et porte des boots en peau de serpent. Ha ! Il demande à Jimmy Page : où c’est qu’on trouve ces boots ? Jimmy lui répond qu’elles viennent de chez Granny Takes A Trip, un boutique hip de Londres. Justement, ils viennent d’ouvrir une succursale à New York ! Lorsque les Groovies repassent par New York, Cyril file directement chez Granny. Il claque 500 dollars dans une paire de boots en peau de serpent. Et dans la vitrine, il voit «the koolest boots ever» : «Elles étaient noires avec des talons de 20 centimètres, des étoiles en or et des quartiers de lune ! Wow ! J’ai flashé et j’en ai commandé une paire sur mesure pour 700 dollars ! Je les voulais en cuir bleu avec des étoiles et des quartiers de lune argentés. Comme j’avais été magicien quand j’étais gosse, ces boots étaient faites pour moi !» Et il ajoute un peu plus loin qu’il revoit ces boots dans ses rêves. Puis il se met à chercher la fameuse guitare en verre. Il file chez Don Weir’s Music City, à San Francisco. Coup de chance, Don en a une ! Wow ! Elle vaut 400 dollars, avec l’étui en dur. Don lui dit qu’il a besoin d’herbe, alors Cyril troque la guitare contre un kilo d’herbe. Il explique ensuite que cette guitare est fabriquée par Dan Armstrong d’Harmony guitar et qu’elle est équipée de micros Dan-Electro - Now I was ready to enter the rock star arena. Ha !
Cyril consacre de gros paragraphes à l’horreur de l’industrie du disque - No one in it seemed to have morals or honor - Aucune trace de moralité dans ce monde, tout le monde le sait. Il se demande d’ailleurs ce qu’il fout dans ce circuit. Tout ce qu’il voulait, c’était jouer du rock et en vivre. Rien de plus. Mais ça tournait au cauchemar. «Je venais de découvrir en plus un terrible secret : un groupe était pareil à un animal sauvage, complètement incontrôlable. Encore aujourd’hui, je me demande pourquoi je n’ai pas arrêté tout ça à l’époque. Je pense que je devais trop aimer la musique.» C’est aussi l’époque où la soupe envahit les radios et toute l’Amérique sombre dans un immense marécage de médiocrité. «Le problème, c’est qu’il y a un million de beaufs pour un mec branché.» Cyril s’aperçoit aussi que les albums des Groovies ne sont pas distribués. C’est là qu’il décide de s’exiler en Angleterre.

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Au lu de tout cela, on prend un peu mieux la mesure du charisme de Cyril Jordan, lorsqu’on a la chance de le revoir sur scène. Franchement, est-ce qu’un homme aussi élégant peut sortir de la cuisse de Jupiter ?

Signé : Cazengler, jordan le baba

Flamin’ Groovies. Petit Bain. Paris XIIIe. 29 avril 2016
Ugly Things #33. Spring/Summer 2012
Ugly Things #34. Fall/Winter 2012
Ugly Things #35. 30th Anniversary Issue. Spring/Summer 2013
Ugly Things #36. Fall/Winter 2013
Ugly Things #37. Spring/Summer 2014
Ugly Things #38. Fall/Winter 2014
Ugly Things #39. Spring/Summer 2015
Ugly Things #40. Fall/Winter 2015

LE PETIT ABECEDAIRE DE LA
CRAMPOLOGIE


P. BRINEE / P CAZENGLER


( CAMION BLANC / Septembre 2016 )

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A comme Abécédaire


Un abécédaire ! Les vingt-six lettres rangées dans l'ordre ( alphabétique ! ) plus une centaine de pages d'annexes. Ne commencez pas à râler, vous ne vous en tirerez pas en affirmant que vous avez depuis longtemps passé l'âge des alphabets ludiques. Ayez souvenance du tout premier que Papa et Maman avaient acheté pour que leur petit bourricot chéri commençât à déchiffrer ses premières majuscules. Une cause perdue. Vous a fallu dix ans pour ânonner péniblement trois mots à la suite. Alors les bouquins de cinq cents pages, vous vous en méfiez autant que la sainte Bible. Oui mais là, c'est un peu différent. Total délire. Le genre de visions que le jeune Arthur a relatées dans son fameux sonnet sur les voyelles colorées, a very good trip. Mais pourquoi votre paupière s'allume-t-elle brusquement ?


B comme Blanc Camion


Le paradis des rockers. Doivent tourner autour du cinq centième bouquins. Les sortent par rafales plus ou moins mensuelles. Un unique sujet de prédilection : le rock and roll. Sous toutes ses formes. Le lecteur qui veut en savoir plus ira chercher sur leur site wwwcamion blanc. Serait étonnant que vous ne trouviez point chaussure à votre pied. Chez KR'TNT ! Nous en avons chroniqué quelques uns, surtout ceux dévolus aux pionniers. Je vous laisse découvrir.


C comme Crampologie


Crampologie. C'est la dernière des sciences exactes. Une recherche de pointe. Même à Berkeley ils ont du mal à s'y mettre. La Crampologie ne s'apprend pas. Elle s'existentialise. Il se murmure qu'elle n'est pratiquée que par des savants fous. Ce n'est pas de leur faute. Z'étaient des mecs très bien jusqu'à ce qu'ils se fassent happer par la monstruosité crampsique. Terrible maladie qui s'attrape par les oreilles. Inutile de fomenter un téléthon pour recueillir des subsides dans la louable intention de leur leur venir en aide. C'est inguérissable. Une sorte de ver qui remonte le conduit auditif et qui vous mange le cerveau.

D comme Douce Folie

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L'on a isolé la bestiole : le bacille de rock. Se communique par outils phoniques ( disques, CD, DVD, MP3... ) Rassurez-vous, pas tous. Uniquement ceux qui portent la mention CRAMPS en grosses lettres horrifiques. A première oreille le cramps est inoffensif. A été catalogué par les savants comme faisant partie de l'ordre des Groupusculi rockenrolli. Méfiez-vous, le Crampsus Groupusculus rockenrollus est particulièrement nocif.

E comme Etat fébrile


La morsure du Crampsus est terrible. Vous plonge dans un état d'excitation infini. Heureusement l'infection existe aussi sous sa forme bénigne, mais dans ce livre ont été réunis les cas désespérés. Nous allons en passer quelques uns en revue. Pas tous, ils sont trop nombreux, et puis nous nous intéresserons aux étranges effets de cette MCT ( Maladie Crampsiquement Transmissible ).

F comme Fan Cazengler


Nous l'avouons avec douleur. Notre Blogue possède son alité crampsien. Notons que peu à peu se substitue à cette expression médicale celle plus populaire d'agité crampsique. S'agit de notre Patrick Cazengler chéri. Eh ! Oui, chers lecteurs, nous avons toujours essayé de le cacher. Mais notre Cat zingler préféré, notre Cat Cinglé favori, bref le sieur Patrick Cazengler qui vous régale chaque semaine de sa science rock infinie est atteint du syndrome crampsien. A un degré ultime. L'est vrai qu'il n'a pas de chance, réside en une région de France où le microbe semble se complaire. Le climat pluvieux peut-être.

G comme Grand Cazengler


Pourrait se contenter d'être un malade lambda. Qui se soigne. Qui ne la ramène pas trop puisque la mort est au bout du chemin. Non il l'ouvre tout grand. Le crie sur le toit. C'est dans son cerveau qu'a germé cette idée vengeresse. Un peu comme ces malades du sida qui font l'amour en décapotable pour inoculer le virus à la terre entière. L'a convoqué tous les grands atteints, les introduit, en brosse un portrait flatteur, leur donne la parole, les interviewe, attire le projecteur sur eux, les présente sans vergogne comme des exemples mirifiques à notre pauvre jeunesse désemparée. Bref, l'est le maître d'oeuvre du projet. Celui par qui l'épidémie se propagera.

H comme House of Fun


Faut aussi être honnête. La crampsilite n'est pas une maladie désagréable. Elle possède ses côtés positifs. Vous ne crachez point vos poumons, des bubons ne poussent pas sous vous aisselles, vous ne courez pas aux gogues toutes les deux minutes faire du caca liquide, ce n'est ni la phtisie, ni la peste, ni le choléra. Le crampsilite est un être affable. L'est heureux de vivre. L'a un pêchon incroyable, il crie, il danse, l'est incapable de rester immobile, déborde de projets, hurle dans les escaliers, honore sa compagne douze fois par jour. Un extraordinaire boute en train. Dans votre vie de tous les jours, vous pouvez côtoyer des crampsilites gravement atteints sans le savoir. Comment croyez-vous que le Cat Zengler a rejoint l'auguste rédaction de KR'TNT ?

I comme ISABELLE

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M'intéresserai maintenant à une autre crampologue. Pourquoi elle précisément ? Une raison bien simple, Isabelle fut le grand amour de ma vie. Je ne la connaissais pas. Jamais vue. Jamais entendu parler d'elle. Jusqu'à ce matin maudit, au café, je prenais un petit dèje, tranquillou avec un copain, nous parlions de tout et de rien, quand mâchouillant dans son croissant le pote s'est exclamé la bouche pleine : «  Chas vu, dans Rock & Chlok ch'ils ont chembauché une chouvelle chournalite, une chaductriche qui chappelle Isabelle Chelley ». Ce fut la révélation. Elle existait. Elle était pour moi. Je n'attendais qu'Elle. Je suis parti en courant, en hurlant comme la chorale des Poppies Isabelle, Isabelle, je t'aime !

J comme Joutes d'amour


M'a fallu deux jours pour repérer son appartement. Savais où elle habitait : ne me restait plus qu'à passer à l'action. Le copain tenta de me dissuader. « Tu es taré, t'arrives chez elle, tu sonnes, elle ouvre la porte et elle se jette dans tes bras. Elle est sans doute maquée, un mari, des enfants, et tu crois qu'elle va changer de vie rien qu'en voyant ta bobine ? Tu te fais des illusions, désolé de te le rappeler mais tu n'as pas le physique de James Dean. » Ne t'inquiète pas, Elle est à moi. C'est le destin. Personne n'y peut rien. Ni moi. Ni Elle. C'est inéluctable.

K comme K.O. technique


Suis arrivé devant la porte. L'était blindée. J'ai souri. J'avais tout prévu. De ma musette style guérillero année soixante-dix j'ai retiré quatre pains de plastic que j'ai consciencieusement dispatchés aux quatre coins de la porte. J'ai planté les quatre détonateurs préalablement reliés à un fil électrique. Me manquait plus que la prise de courant. Evident ! Un plan machiavélique ! N'y avait qu'à dépiauter la sonnette, faire le branchement et enfoncer le bouton. J'ai voulu vérifier au dernier moment que je ne m'étais pas trompé d'étage. J'ai lu le nom : Isabelle Chelley ! Enfer et damnation, funeste malédiction, terrible déception ! Survivrai-je ? J'ai remisé ma camelote dans la sacoche et me suis enfui en courant !

L comme Life like poetry


Le copain s'est assis. « Tiens tu es seul ! - j'ai pressenti un soupçon d'ironie dans sa voix - alors Casanova, Isabelle n'a pas voulu de toi, elle t'a ri au nez et envoyé une paire de mandales qui t'a remis les idées en place en te traitant de cinglé. » Arrête tes sarcasmes vil helminthe ! Tu ne comprendras jamais rien à la poésie. Ma vie est brisée ! Quand tu m'as parlé d'Isabelle Chelley. Ça a tilté dans ma tête. Mon rêve secret de poète maudit a toujours été de m'unir à une descendante de mon idole absolue, le grand poète romantique anglais Percy Bysshe Shelley. Isabelle, c'est Chelley; mais avec un C ! Tu aurais pu préciser. « Excuse-moi, je ne savais pas. Tiens, je t'offre un petit crème. »

M comme Maudit Poison

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Esculape l'a prescrit dans son enseignement. Les mauvais toubibs soignent les symptômes et omettent de s'attaquer à la cause. Primera Causa dixit magnus et doctissimus Aristoteles. Le virus crampsien est double. Marche par deux. Mâle et femelle. La femelle est aussi malfaisante – certains disent même plus redoutable - que le VIH, possède une dénomination pratiquement similaire, IVY, mais pour en marquer la virulence on le fait précéder du terme Poison. Poison Ivy, un véritable panneau à tête de mort.

N comme Négative influence


L'est comme l'araignée. Le mâle s'approche d'elle. Tant pis trop. Trop tard. Il est ferré à vie. Pas question de le laisser échapper. Vous le ligote, vous l'empègue dans sa toile. L'a pas intérêt à s'éloigner de plus de deux mètres cinquante. Vingt quatre heures sur vingt quatre. Eight days the weeks. Monomaniaquerie. Certes elle a des arguments trébuchants. Une rousseur incendiaire, une jupe à ras la praline. Vous lui suce l'énergie jusqu'à ce qu'il en crève. Dans le virus qui nous occupe, huit ans qu'il est mort au champ d'honneur et d'horreur de l'attirance maléfique.

O comme ON / OFF

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Le mâle est comme la femelle du lampyre ( communément appelé ver luisant ). C'est lui qui clignote pour attirer sa promise. Les chercheurs américains disent qu'il est la lumière intérieure du couple. Le désignent par son nom latin, tout de suite ça fait plus classe. Lux Interior. Entre nous soit dit, un sacré numéro.

P comme Parade nuptiale


L'est comme ces mecs incapables de tenir une conversation. Une fois qu'ils ont annoncé qu'il fait beau, et après un grand effort intellectuel, que demain peut-être il pleuvra, se referment comme une huître. Se radine une minette et les voilà qui vous récitent l'Odyssée, qui vous font le poirier, le cochon pendu et la grande roue. Ne savent pas comment se faire remarquer. Les blaireaux !

Q comme Qualité supérieure


Le Lux Interior use de stratagèmes bien plus subtils. C'est un être cultivé. Pas comme on l'entend généralement. Se pâme devant tout ce qu'il est de bon ton de ne pas aimer. La sous-culture prolétarienne des frustes ados boutonneux. Les films d'horreurs peuplés de zombies et d'extra-terrestres, les fanzines d'épouvante à l'encre pisseuse, les poitrines pulpeuses des comics, les émissions débilitantes de la télé et de la radio, le porno hardzen. Mais ce n'est pas tout.

R comme Rockabilly


L'est un fan invertébré de la musique des péquenots des Appalaches. Dès la formation du couple a lieu cette étrange migration à la recherche du soleil ( se dit Sun en anglais ). L'on a longtemps pensé que le binôme était attiré par la la chaleur afin de hâter les phénomènes de reproduction. Mais non, gagne simplement cette partie du Tennessee particulièrement bruyante autour de la ville de Memphis. Etrangement le couple viral restera stérile. Passera sa vie à émettre des sons que le commun des mortels jugent insupportables.

S comme Scènes obscènes

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Pourraient être discrets, mais non. Dès qu'un projecteur s'allume dans un quelconque coin du globe, ils y foncent. Accompagnés par quelques comparses aussi frappadingues qu'eux. Aucune retenue. Si le Poison Ivy se contente d'asséner de basses modulations de fréquences meurtrières le Lux Intérior se déchaîne. Hurle et s'égosille. Se roule par terre, se déshabille, se trémousse sur le plancher nu comme un ver, saute sur les spectateurs, vocifère de toutes ses forces, et entre en transe.

T comme Trop excessif


Un comportement excessif. Les savants se demandent si le microbe crampsus n'est pas le gène de la folie. Jugez du scandale, le dérangement psychique ne proviendrait pas de lésions intérieures comme l'argue le célèbre doctor Freud, mais d'un germe extérieur qui s'introduirait dans votre cerveau et peu à peu vous inoculerait un fatal glissement de vos facultés de raisonnement et induirait l'adoption de comportements borderline...

U comme Unités psychiatriques


De sérieux indices semblent confirmer cette vision de la maladie. Une équipe du laboratoire de San Francisco n'a-t-elle pas pas détecté dès 1984 la présence du microbus Crampsus dans le Napa State Mental Hospital ? Mais il y a pire.

V comme Vérités inquiétantes


La lecture de cette ouvrage de Crampologie confirme la théorie de l'interdépendance des consciences telle que la définit dans ses études phénoménologiques le grand Edmond Husserl. La folie crampsique – conformément à ce que nous subodorions au début de notre étude est lourdement communicative.

W comme What is the question ?

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La vérité se regarde en face. Certes paraissent sympathiques nos intervenants. Mais quand on voit Ben qui passe sa vie à récolter les enregistrements de tous les concerts crampsiques, Slim Gil Deluxe à portraiturer sans relâche le Poison Ivy et le Lux Interior, Alain Feydri à écrire un livre indéfinitif sur le sujet, Linsay Hutton à dépenser une énergie folle à fomenter le fan-club, Michael Joswig à peaufiner un site, Kogar à éditer des disques d'enregistrements rares, Mike McEchron à répértorier tous les concerts, Howie Pyro à monter une immense exposition sur les objets crampsiques, Dirk Roeyen à écrire un bouquin tiré à 101 exemplaires, Sean à éditer le fanzine Trash Is Neat, et toute une flopée d'autres chamboulés par le microbe crampsique, l'on peut se demander où et quand cela s'arrêtera-t-il ?

X comme Xénobiotique


Nous l'avons démontré : le crampsus est de nature zénobiotique. Etranger à tout corps humain normalement constitué et toxique pour la propagation de l'espèce. Doit donc être classé dans la catégorie des nuisibles qu'il est loisible d'éradiquer sans avoir à demander permission. La chasse au Groupusculus Rockenrollus Crampsus devrait donc être fortement recommandée et encouragée par l'Etat.

Y comme Y a pas...


Ne nous faisons aucune illusion. Comme d'habitude l'Etat et les conglomérats pharmaceutiques ne feront rien. N'entameront aucun plan prophylaxique de combat pour juguler cette maladie orpheline qui ne touche à l'heure actuelle qu'un minuscule pourcentage de la population active. Y a pas urgence.

Z comme Zut !


Lecteurs ne soyez point découragés. Imitez-moi, écoutez mon conseil, et suivez-le. Il ne faut jamais désespérer. Lorsque la situation vous semble irrémédiablement bloquée, vous reste une issue de secours. Tout de suite vous vous sentirez mieux, c'est tout simple, mettez-vous un disque des Cramps, et rock on ! laissez la folie vous envahir ! N'existe pas de meilleur remède.

ANNEXE 1


Faut toujours avoir deux sorties à son terrier. Une deuxième solution est hautement recommandée pour pallier les coups de blues ( bien plus dangereux que les coups de grisou ). Suffit de se procurer L'Abécédaire de la Crampologie si magistralement mis en oeuvre par Cazengler le loser. Un genre de nouvelle littérature loufoque et roborative. Admiration et éclats de rires à tous les coins de page, le centre du feuillet étant occupé par une érudition sans faille. Plus les illustrations cultissimes. Dévorez-moi tout cela en quelques heures et désormais vous n'aurez plus qu'une idée en tête : jouer au Polidori. Un jeu de société. Qui peut aussi se pratiquer en solitaire. Rien à voir avec le Monopoly. Polidori est un des éternels seconds du romantisme européen. Etait le secrétaire de Byron. Participa à cette pluvieuse soirée durant laquelle le Lord proposa à ses invités – un certain Percy Bysshe Shelley et sa radieuse épouse - un concours d'écriture. Saine émulation ! La règle du jeu est d'une simplicité extrême : composez-vous aussi votre petit abécédaire crampsique, c'est jouissif.

ANNEXE 2


M'aperçois que je n'ai pas donné le résultat de la byronienne compétition. Sans contestation possible, issu de la plume de Mary Schelley, ce personnage qui depuis deux siècles hante les nuits fiévreuses de l'imaginaire occidental, Frankenstein ! Pierre de touche de l'univers crampsien par excellence !


Damie Chad.

TROYES / 22 – 10 – 2016
BAR LE 3 B


NATCHEZ

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La teuf-teuf galope comme un poney sur le sentier de la guerre. L'a peur d'arriver en retard. L'a rendez-vous pour un pow-how géant avec la tribu des Natchez. Du moins ce qu'il en reste. Fut razziée de la carte du Mississippi par les troupes françaises. Ils exagéraient, ne voulaient pas déguerpir de leur village pour laisser l'emplacement aux colons. Bref furent promptement éliminés en tant que pré-définition custérienne selon laquelle un bon indien est un indien mort. Leur nom aurait sans doute disparu de l'imaginaire français si Chateaubriand ne l'avait préservé dans Les Natchez une espèce d'épopée sauvage – au sens rousseauiste de cet adjectif – rédigée en une prose somptueuse et emphatique dont aujourd'hui ne surnagent – hélas ! - que deux épisodes, Atala et René, textes phares à la source du romantisme français. Pour ceux qui n'ont aucune envie de se lancer dans le demi-millier de pages de ce roman de jeunesse, et qui désireraient rendre symboliquement hommage au peuple rouge de l'Amérique génocidé, l'est une solution davantage rock and roll, c'est d'assister à un concert de Natchez.

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Le 3 B est rempli de rockers. La gent habituelle, mais aussi un lot important de fans du groupe qui ont fait le déplacement – le band a planté son camp de base dans les profondes forêts de l'Argone - tous amateurs de rock qui ne tardèrent pas à sympathiser sans réticence.

CONCERT

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Les Natchez ne sont pas un groupe de rockabilly. Font partie de cette génération pour qui le rock commence avec les Rolling Stones. Y aurait pu avoir quelques frictions puristes. Mais les Natchez ont l'art et la manière de faire taire les contradictions. Ne sont pas nés de la dernière pluie, écument les bars et les scènes depuis trente ans. Savent s'y prendre. Z'ont un atout maître dans leurs manches ( de guitare ). Jouent du rock and roll. Puissant et électrique. Le genre d'arguments qui met tout le monde d'accord.

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En première ligne. Deux escogriffes. Deux grands gaillards qui arborent des crinières ébouriffées de broncos. Un petit air de famille. Normal, sont frères de sang. Sur notre gauche Barbac'h, le bateleur, le Natchez tchatcheur, vous emballe en trois secondes, sourire narquois et humour qui fait mouche à chaque fois. Pas de grandes déclarations, deux ou trois réparties lapidaires, un zeste d'auto-dérision et c'est dans la poche. L'est à la rythmique, mais chaque fois que cela s'avèrera nécessaire il vous envoie de ces riffs tonitruants à vous clouer au poteau de torture. Se charge des vocaux. Commence par deux titres en français, et ma fois ça tient sacrément la route, un phrasé bien articulé qui colle parfaitement à la musique. De l'autre côté Manu, l'a l'allure du gars flegmatique qui prend son boulot à la cool, relax max, de temps en temps je caresse les cordes pour vous faire plaisir.

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Dans les westerns, c'est le mec que vous prenez pour le dix-septième couteau. Vous lui accordez huit minutes de survie en début de pellicule. Erreur totale, c'est un tueur impitoyable, le héros du film. Sa spécialité ce n'est pas le colt mais le bottle neck. Un véritable sorcier. Ce simple tube de métal il parvient à le faire miauler comme pas un. On se croirait sur le toit brûlant de la chatterie de la SPA durant la saison des amours. Use de sa nonchalance particulière – le « je ne fais presque rien » et le « je donne plus que tout » - bouge à peine le doigt et ça feule à tout berzingue. Avec lui, on comprend pourquoi la guitare est un être femelle essentiellement clitoridien. Ne nous égarons pas.

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André est à la basse. Des quatre, avec ses cheveux longs, son sourire mystérieux, et sa fine discrétion, l'a le look le plus indien. Attitude silencieuse mais question instrument c'est raté, vous distille un vrombissement rythmique des plus alléchant, épais comme une crème brûlée. L'air de rien il s'amuse comme un fou, parfois il s'immisce entre ses deux confrères et à eux trois ils ressemblent aux frères Younger

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en train d'entretenir des deux gâchettes un meurtrier feu de barrage sur les détectives de l'agence Pinkerton, parfois il disparaît tout au fond de la pièce dans un recoin d'où il nous fait signe en agitant le bout de son manche. A la batteuse vous trouverez Benjamin. Moissonne sans désemparer. Pas un tiers de seconde de repos. C'est que le band bande dur. Vous avez de ces arrêts sismiques en bout de riffs qui déstabiliseraient les montagnes rocheuses. Très rockeuses. Des compos, du Stones, du Lynird Skinird, du Creedence ( à l'eau lourde ), pas besoin de vous peindre davantage le paysage. D'autant plus que cela, ce n'est que le premier set. De la rigolade par rapport au suivant. La même chose mais en dix fois meilleur. Faut voir Manu, travaille sur ses cordes. Ne se mélange pas les pinceaux. Pose ses doigts avec une précision d'horlogerie. Une élégance de comtesse qui n'omettrait de lever son auriculaire pour porter la tasse de thé à ses lèvres. Faut l'entendre aussi, ces notes grasses comme des bosses de bisons qui courent à fond de train sur l'étendue sans fin de la prairie. En prime bien sûr le duel rituel.

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Barbac'h qui envoie une barbaque de riffs faisandés à dégoûter une horde de coyotes affamés et Manu qui réplique en vous offrant le charnier des abattoirs de Chicago. Ça pue le méchant rock and roll à plein tube. Dans la salle tout le monde s'enivre de ces fumets diaboliques. Et ils en rajoutent, à chaque fois plus rapides. Rigolent comme des bossus, se marrent, échangent des plaisanteries tout en larguant des plans de guitare plus complexes que les circuits électroniques d'une fusée intercontinentale. La tension monte à El Paso. L'on entend siffler le train vingt cinq mille fois et nous avons même droit à une hilarante évocation de l'homme des hautes plaines. Une prière pour Benjamin trempé de sueur derrière ses fûts. S'il continue à s'appliquer ainsi, l'est sûr qu'il ne passera pas l'hiver. En attendant, fait sacrément chaud. Font un tabac, mais version calumet de guerre. C'est la fin. Mais là encore Béatrice la patronne surgit - telle le septième de cavalerie dans La prisonnière du Désert - du sein de la foule et exige un dernier morceau. Se laissent violenter avec plaisir et l'on aura droit à un It's all over now repris en choeur par l'assistance et un Neil Young de derrière les fagots pour clôturer la cérémonie. Z'ont dû jouer près de trois heures, remarquez qu'en contrepartie les T-shirts, les double CD et les photos géantes se sont envolées comme un vol de vautours sur l'horizon infini. Une soirée de rêve, dégoulinante de rock and roll. Les Natchez ont été splendides. Une tribu dangereuse, à suivre à la trace.

( Photos : FB Christophe Banjac )


Damie Chad.

 

LE MEE-SUR-SEINE / 19 – 10 – 2016
LE CHAUDRON


ELI D'ESTALE- SIDILARSEN

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Ce qu'il y a de bien avec Le Chaudron, c'est que vous y tombez dessus au moment même où vous êtes en train de penser que décidément vous vous êtes fourvoyé. Vous pouvez y passer trente fois devant sans que vous l'ayez remarqué. Les architectes ont parfaitement réussi leur plan d'intégration d'une structure communale dans l'habitat local. Ne l'ont peut-être pas fait exprès, mais ils devraient être cités à l'ordre de la nation. A ce niveau-là ce n'est plus de l'art mais du camouflage militaire. J'ai triché, me suis fié à l'instinct proverbial du rocker. Dix jeunes qui discutent sur un parking, affublés de T-shirts noirs sur lesquelles se profilent têtes morts, créatures effrayantes, lettrages gothiques et autres babioles aussi joyeuses, je tiens le bon filon. Ouverture des portes à dix-neuf heures trente, non ce sera huit heures. Plutôt que de faire le pied de grue dans la petite brise frisquette je me réfugie dans la MJC attenante. Lorsque j'en ressors c'est pour tomber sur les membres de Scores et Fallen Eight que nous reverrons très bientôt puisque Scores prépare sa Release Party ce prochain 19 novembre – dans ce même Chaudron – pour fêter la sortie de son deuxième EP. En attendant engouffrons-nous dans l'escalier qui nous emmène entre les noires parois de la panse chaudronique.

ELI D'ESTALE

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Noir complet. On ne les voit pas. On les devine. D'obscures silhouettes. Musique pharamineuse, c'est lorsque la lumière éclate que la noirceur apparaît. Deux chanteurs. L'un est censé growler et l'autre chanter. Mais la différence n'est pas évidente. Nous ont par surprise. Restent coi et lorsque le chant éclate c'est le guitariste sur notre gauche qui se charge des premiers lyrics. Très bien d'ailleurs. L'a la hargne. Maltraite son instrument et éructe très méchamment dans le micro. Mais les yeux sont ailleurs. Sur Thomas le chanteur. Torse nu et bipolaire. Côté sombre et zone lumière. La moitié de la poitrine et le haut du visage maquillé de noir. L'attire les regards. Large ceinture de janissaire qui pend jusqu'à terre. L'est le mouton à moitié noir du groupe, celui qui apporte une touche artiste. Un groupe de métal avec un plus. Une aura de mystère supplémentaire. Chantent en français. Pas toujours compréhensibles car la musique recouvre parfois le vocal.
Musique climatique. Qui installe une ambiance. Saccadée. Des séquences qui se bousculent. Laissent la place au chant mais les épisodes purement musicaux sont nombreux. Peu de lignes mélodiques, l'espace est occupée par des saccades rythmiques. L'impression d'un train qui ralentit avec les wagons qui se heurtent violemment comme s'ils allaient s'encastrer les uns dans les autres. Toutefois le voyage continue comme de rien n'était. Les doigts s'arrêtent sur les cordes des guitares et aux drums Michael Schmidt enclenche une touche sur son ordi pour envoyer un trailer sonore sur lequel les instruments redémarrent et se fondent comme s'ils se perdaient dans le bruit du son. L'on sent que le groupe cherche à réaliser l'alliance des contraires l'énergie brute du métal et d'une certaine théâtralité poétique. Ce n'est pas un hasard si leur premier album se nomme Stellogénèse. Essayent d'accoucher de quelque chose de neuf, d'accoupler deux insectes géants d'espèces différentes. La virilité sonore est accomplie mais l'esthétique d'une sensibilité féminine n'a point atteint son stade de perfection. Les deux facettes du yin et du yang sont mises tour à tour en évidence, mais elles s'effacent dès que leur moment est passé. Guitaristes et chanteurs se retirent discrètement au fond de la scène prés du batteur comme s'ils voulaient se faire oublier. L'on préfèrerait qu'ils imposent une présence statique, une pose statuozidale, qui perpétuerait leur nécessité. Il manque toute une dimension imagiale à la mise en scène. Tout disparaît, se retrouve avalé par la nébulosité d'un retrait total qui donne le regret de sa discrétion. Ne jamais oublier que dans une éclipse ce n'est pas l'obscurité engendrée par le phénomène qui est atterrant, mais la disparition de l'astre qui se donne à voir pleinement en s'imposant en tant qu'absence. La télé d'Eli Estale a le son, mais l'image est encore quelque peu brouillée. Agréable à regarder, le public l'acclame, et toute une partie est manifestement venue pour eux seuls. Pas tout à fait ma tasse de thé-âtre. Manque une splendeur iconique.

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SIDILARSEN

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Autant le dire tout de suite je n'ai guère apprécié. Ce n'est pas qu'ils soient mauvais en leur genre, c'est le genre qui me déplaît. Sont définis comme du Dance floor metal. Perso, je pense que cela s'apparente un peu trop à la musique de boîte. Sais bien que la disco fut la face concomitante du punk à la fin des années soixante-dix, mais j'ai choisi mon camp et n'entends point en changer. Cinq sur scène, sombrement habillés sobrement. Ne sont pas de mauvais musicos et sont même sympathiques. Trimballent des idées généreuses et révoltées contre lesquelles je n'ai rien. Envoient méchamment du son, mais sont trop gentils. S'excusent de leur morceau very too go fast. Juste une métaphore. La griserie de la vitesse. N'allez pour cela écraser les gens sur votre route. Nous ne sommes pas des brutes. Nous respectons l'humanité de tout individu. Chantent en français pour être sûrs de bien se faire comprendre. Martèlent les paroles comme des slogans. Nous sommes des milliards, faudra bien que l'élite se rende compte que l'on existe. En son temps Trust disait la même chose mais ça vous cinglait le visage comme un coup de fouet à la lanière en fil de fer barbelé. Pour Sidilarsen il y a tant de générosité que cela en devient du consensus idéologique mou. Pas de panique pour les durs de la comprenette, ont installé deux maxi-écrans de chaque côté du fond de la scène. Projettent des images. Stylisées, simples et répétées. Avec les phrases importantes des morceaux écrits en gros lettrages blancs et noirs. Sont synchrones à la seconde près. Rien n'est laissé au hasard. Tout est minutieusement mis en place. La batterie qui enfonce les clous, toujours les mêmes breaks incessamment répétés, basse et guitares qui envoient les linéaires de binaire à fond. Electrochoc à mort mais beaucoup trop d'électro. Ce ne sont plus des trailers, mais le film entier plus les séquences enlevées au montage. Le public n'adore pas. Est en communion. M'étais fait la remarque de cette moyenne d'âge plus élevée que pour Eli d'Estale. Je comprends pourquoi. Un peu trop musique populaire dans le mauvais sens du terme. Une grande différence aussi avec les groupes pur métal, point de charivari garçonnier, ici ce sont les filles qui sont en état transique, refermées en elles-mêmes, insensibles au monde, prisonnières de cette hypnose balancée sans relâche par le groupe. Terriblement efficace. Vous servent une musique décérébrante pour vous faire réfléchir. Mais ils y croient. L'on sent la sincérité et l'authenticité. Ont un super chanteur, Didou, un plaisir chaque fois qu'il se rapproche du micro. Y a encore des attitudes rock en sa façon d'être, mais ce qui est sûr c'est que ce métal a perdu toute accointances avec ses racines blues. La musique évolue. Mais l'on n'est pas obligé d'apprécier tous les chapitres qu'elle parcourt.

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Damie Chad

( Photos : FB des artistes )


P.S. 1 : Sidilarsen me fait un peu penser à Anakronic Electro Orkestra ( les amateurs doivent connaître ) vu cet été en Ariège au festival Les Z'arts en Douc et pour lesquels j'avais renoncé à écrire une chronique car trop éloigné de mes centres d'intérêt.
P.S. 2 : Par contre faudra que je vous fasse un topo sur les Vidéophages, une espèce d'ovni filmique théâtralisé d'une originalité folle... qui fut le summum de ce festival pas tout à fait comme les autres.

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PUB ADK


Ai légèrement évoqué le problème voici quinze jours en rendant compte du concert des Dix-huit Marches. Les menaces de fermeture de sites dévolus aux concerts rock ( tous styles confondus ) dans le département se précisent. Vous ai souvent emmené aux soirées organisées par le pub ADK de Roissy-en-Brie. La dernière fois fin mai pour Junior Rodrigues and his Evil Things et The Distance, mais aussi la fine fleur du rockab national. De bons souvenirs, la mairie a prévenu qu'elle ne renouvellera pas ses subventions pour l'année 2017. Envisage froidement la fermeture du local courant décembre. Ce que l'on appelle un beau coup de pied au cul en guise de cadeau de Noël. Un désastre. Pour en mesurer l'ampleur sachez que plus de deux cents groupes ont été accueillis en 2015. Dont plus de cent cinquante régionaux. Vous connaissez la chanson : l'Etat qui se défait de ses prérogatives, les nouvelles équipes municipales fraîchement élues qui appliquent à la lettre les préceptes de la rentabilité libérale... Quand on pense que la jeunesse avait été déclarée priorité nationale pour ce quinquennat finissant, il y a de quoi se mettre en colère. L'est temps d'appliquer le célébrissime mot d'ordre du MC 5 : Kick Out The Jams, motherfuckers !


Damie Chad.

 

19/10/2016

KR'TNT ! ¤ 299 : BOB DYLAN / PLAYBOYS / POPA CHUBBY / JALLIES / TOM ROISIN / SENTINHELL / NICK COHN / TENNESSEE WILLIAMS

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 299

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

20 / 10 / 2016

 

BOB DYLAN

PLAYBOYS / POPA CHUBBY

JALLIES / TOM ROISIN / SENTINHELL

NICK COHN / TENNESSEE WILLIAMS

UN PRIX NOBEL POUR BOB DYLAN ?

La nouvelle en a fait sursauter plus d'un, Bob Dylan se voit décerner le Prix Nobel de littérature 2016. Pour une fois au moins l'on cause dans les médias de ce satané prix de Littérature que l'on avait pris l'habitude d'escamoter au plus vite depuis une vingtaine d'années. L'est vrai que Bob Dylan est diantrement plus célèbre que Sveltana Alexievitch couronnée en 2015. Au moins Dylan, tout un chacun connaît, et peut émettre un avis non autorisé sur cette attribution.
Certains abordent le problème sous un angle d'attaque riquiqui : se délectent de l'angoissante question : Dylan le mérite-t-il ? Vu le nombre de nobélisés retournés à l'anonymat depuis un siècle, vaudrait mieux ne point se risquer à de prophétiques conjectures. Rappelons que ni Rainer Maria Rilke, ni Robert Musil, ni Marcel Proust, ni James Joyce, n'ont accédé à cet honneur. Ces absences remettent le prix à sa juste place de distinction somme toute hasardeuse. Ni un sacrement, ni un couronnement. Tout juste une récompense. Un colifichet mal fichu de la gloire. Que Stéphane Mallarmé se plaisait à accroire irréfragable.
Ma première réaction ? C'est sympa pour Dylan, mais en avait-il besoin ? Financièrement non. L'aurait mieux valu le refiler à un écrivain qui a du mal à boucler ses fins de mois. Au moins cela aurait été utile.
Ensuite l'envie de bomber mon torse ( velu et musclé ) de rocker. En honorant Dylan c'est toute la culture rock qui est hissée sur le grand pavois. Notons que dans bien des avis égrenés sur les antennes et la toile, les impétrants emploient à quatre-vingt dix neuf virgule neuf pour cent le doucereux vocable passe-partout de chansons pour évoquer l'oeuvre de Dylan. A croire que le mot rock and roll leur écorche encore la bouche....
Je terminerai par cette inquiétude. Recevoir le Prix Nobel de Littérature n'est pas obligatoirement bon signe. A l'échelle nationale le jeu consiste pour un écrivain à être élu dans un des fauteuils de l'Académie française. Cela sent un peu la naphtaline et le faisandé. Le rock'n'roll, vecteur dune certaine idée de contre-culture underground et de révolte existentielle serait-il devenu si inoffensif que l'on puisse déjà initier son embaumement ?


Damie Chad.

BETHUNE RETRO / 28 AOÛT 2016
PLAYBOYS

Playboys don’t cry

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Rob Glazebrook est arrivé sur la grande scène de Béthune Rétro en plein dimanche après-midi ensoleillé. Quoi, les Playboys passent dans le camp des rockabs du dimanche qu’on charge de brasser large ? Non, heureusement, Rob ne mange pas de ce pain là. Il porte une chemise Tahiti comme tous les rockabs en été, et tient haut sur la poitrine sa vieille Les Paul noire. Il porte une barbe miteuse et affiche une bouille rigolarde à la Bukowski.

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Des tatouages lui mangent le cou et en deux ou trois cuts, il remet les pendules à l’heure. Rob est là pour shaker le shook. C’est une grande gueule, un vétéran de toutes les guerres, un vieux briscard du circuit, il sait toiser un beffroi et régaler la compagnie. Rob est un géant du rockab anglais, il nettoie les ardoises et redore les blasons, il plie les genoux et swingue sa soupe avec une aisance confondante. Il ébahit sans le vouloir. Il ouvre sa grande gueule et le Rétro reprend tout son sens.

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Il claque ses solos et se marre comme une baleine, il revient au micro raconter des conneries, il parle du fromage et du pinard, il crée les conditions du contact, il fait l’effort de truffer son délire de mots français, ce qui est assez rare pour un Anglais, et puis entre deux cuts qui passent comme des lettres à la poste, il nous tape une version magique de «Wild Cherry», ce cut bizarre et envoûtant monté au shuffle de charley et qui doit être si difficile à jouer, car bien déboîté de la clavicule de Salomon. C’est peut-être ce qui intéresse Rob, le déboîté, le déclassé, le chemin de traverse, l’exotica et les syllabes sauvages, celles qui sautent en marche du beat pour créer du vénal moite.

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Ce mec a du jus en réserve, s’il calme le jeu avec une pièce un peu suave, c’est pour mieux revenir au rockabilly sauvage qui a sûrement nourri toute son enfance, car il ne se contente pas de le jouer, non, il le chevauche, comme un cow-boy de rodéo chevauche un étalon sauvage. On sent la poigne, le métier et la passion. Rob is burning hot ! Rob Glazebrook entre dans la caste des puristes activistes, ceux qui comme Bloodshot Bill ne lâcheront jamais la rampe et qui ont assez de talent pour que personne ne puisse douter un seul instant de leur détermination.

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Il va parfois sur des choses plus rock’n’roll, comme sur ses albums, mais ça passe bien, car la voix est au rendez-vous. Son stand-up man et son batteur charpentant bien le son, Rob peut se livrer à quelques facéties et son copain saxophoniste amène la petite touche wild fifties qui lubrifie bien le passage des cuts d’exotica.

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Oui, Rob fait partie des gardiens du temple. Sur scène, il rappelle qu’il fait ça depuis trente ans, et on le croit sur parole. All the way from non pas Memphis, mais UK Bop city, ce qui au fond revient au même. Rocking wild with Rob. Twisting the beff’ away.

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Discographiquement parlant, on compte quatre époques dans l’histoire du dysnate Rob : le temps où il accompagnait Ronnie Dawson, puis les Playboys, ensuite les Houserockers et un projet plus bluesy, les Broadkasters.

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Si vous voulez l’entendre gratter derrière Ronnie Dawson, alors il faut mettre le grappin sur une copie de Rockinitis, paru en 1989. Rob joue sur trois cuts (le morceau titre, «A Real Good Time» et «I’m Tore Up») et Boz Boorer des Polecats joue sur les autres. Le morceau titre est un rocky road blues à la Bo Diddley, haché menu avec une belle intention vaudou. On assiste à un retour en force du slap dans «Yum Yum Yum». Ce brillant slappeur s’appelle Matt Redford. Son de rêve, slap sourd et finement métallique, structure classique mais la qualité du chant et le pulsif ventral du slap font toute la différence. En B, on se régalera de «The Cats Were Jumpin’», un beau rockab joliment agencé, bien juteux, sévèrement swingué. Finalement, les Anglais s’en sortaient plutôt bien. «A Real Good Time» est du pur Jerry Lee, même assise de voix, même penché de glotte, même façon de dominer le monde, même prestance de chef de guerre dressé sur ses étriers. Pareil pour «I’m Tore Up», chanson de poivrot d’Ike Turner dans laquelle Ronnie raconte comment il dépense sa paye dans les bars avec les copains. On imagine le bonheur qu’a dû éprouver Rob à jouer ça.

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L’ère des Playboys s’ouvre en 1989 avec l’album Invitation To Death. On y trouve deux belles choses, à commencer par «Anna Mae», pur jus de rockab saxé de frais. Voilà l’Admirabilis de Paracelse, le grand bop du Pic de la Mirandole. Si vous aimez bien le British bop bien intentionné, c’est là que ça se passe. On tombe plus loin sur l’excellent «What’s The Matter» qui sonne comme un hit rockab condamné à l’underground des collectionneurs. Just perfect. Voilà encore un cool cut joué au slap, mais comme les Playboys n’intéressent qu’une poignée de gens en France, c’est condamné aux oubliettes. Dommage, car Rob sait bigner le bop. Il adresse aussi un clin d’œil à Buddy avec «You Cheated Me» et sort pour l’occase le chant idiot idoine. Puis il joue «Dreamer» la main sur le cœur et propose plus loin un autre hit de juke qui s’appelle «The Cats Come Back» et qui sonne comme un message d’espoir.

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Rob comes back cinq ans plus tard avec l’album 21. Quatre merveilles s’y nichent, notamment «Bloody Mary», aussi repris par Barrence Whitfield. Rob pousse des cris et part en drive de cruise. C’est l’une de ses spécialités. Il fonctionne comme Frankie Ford, il avale le bitume. Il sait créer l’événement avec du cousu de fil blanc et soudain, il casse le beat et se cale sur la charley, l’un des trucs les plus difficiles à réussir. Il fait aussi un joli carton avec «Wild Cherry» qu’il prend d’une voix bien alerte. Ce qui frappe le plus chez lui, c’est son énergie. Il sonne terriblement anglais, il pousse son falsetto infecté dans les orties. Rob est l’un des chanteurs de rockab les plus attachants. Plus loin, il emmène «Is It True» au pas de charge. Ce mec est marrant car complètement dévergondé. Il sait aussi piquer des crises et faire le survolté. Un solo de sax tombe là-dessus comme de l’huile sur le feu. Encore un hit avec «Come Back Judy», joué plus heavy. Les Playboys tiennent bien leur rang, ils jouent avec une classe impériale. Rob cuit ça au gratin de heavy boogie dauphinois. On trouve aussi sur cet album une belle reprise d’«Ooh Wee Pretty Baby» de Long John Hunter.

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La même année paraît Strike It Lucky, encore un gros album-dinde farci de hits. Sur «Orieta», Rob hurle comme un démon. Ça joue au beat des vainqueurs. Dans «Skippy Is A Sissy», Rob passe un killer solo et son copain saxeur arrose au sax pour activer l’incendie. Tiens, encore une histoire de bonne femme avec «Cindy Lou». On assiste là à une belle voltige de rock’n’roll et Rob y place un solo enragé, digne de l’institut Pasteur. Encore un hit avec «The Train», un cut magnifique de waiting at the station for the girl come home. Rob a du feeling plein les bronches et plein les rotules. Il est magnifique de défiance et d’exaltation. Il bat tous les records de véracité. «Flying Fish» compte aussi parmi les cuts endiablés de l’album. D’ailleurs, tout est endiablé sur cet album. Tout est noyé de son, d’énergie et de sax. Avec Strike It Lucky, les Playboys reviennent au pur rock’n’roll des fifties.

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Quand on écoute Feeling Good paru en 1996, on comprend que Rob Glazebrook fait partie du patrimoine britannique. Ce mec est ce que les anglais appellent un buried treasure, un trésor caché. La preuve ? Tiens, écoute «Feeling Good», le boogie d’ouverture du bal qu’il joue avec sa Gibson bien haut sur la poitrine. On assiste là à une fantastique débauche de bon beat de boogie. On sent bien battre le pouls du boogie. Il prend plus loin «Mean Ol’ Frisco» au riff teigneux. Voilà encore un cut terrifiant de grandeur d’âme et claqué aux accords violents. Rob a le diable au corps. Quand on l’écoute jouer, on le revoit twister du genou sur scène. Encore un cut diabolique d’énergie et de son avec «Slippin’ The Strings». Les Playboys foncent ventre à terre et Rob gratte toutes ses notes aux allers et retours. Il enchaîne avec un autre brûlot, «Little Lil’», un cut du set sur scène - You go to hang on the string - Rob enroule son chant sur la musicalité de Little Lil’/ Little Lil’ et il relance encore et encore, il enroule les little Lil’/ Little Lil’ you make my heart sing. Pur génie. Et le sax chauffe la marmite.

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Easy Rocking restera sans doute le meilleur album des Playboys. Ce disque est un gros tas de dynamite. Allumons la mèche et paf, «Shake Your Hips» explose dès les premières mesures. Rob salue Slim à coup de boogah shooté d’hot harp. Rohan Lopez souffle dans son harmo comme le fils caché de Little Walter et de Saint-Guy. Rob et ses diables d’amis en font une fantastique version longue, bien ancrée dans un mix de rockab et de hot boogie swampy. On frise l’hypnose fatale. Bien sûr, Rob va revenir à son cher rock fifties, celui qu’il affectionne particulièrement, avec des cuts comme «Little Miss Pancake», ou encore un «Rockin’ N Scrapin’» très saute au paf et drivé par un jive d’exception, oh yesss, le pire bop de swing qui soit ici bas, Bob. Retour au boogah rockab avec «Baby Treat Me Right», joliment slapé à la bonne franquette d’early in the morning, bien endiablé et digne des third-rate ragtag bands de bucket of blood down in Louisville, Louisiana. Bienvenue dans l’enfer du boogie ravageur, baby, dans un infernal bayou d’hot harp. Encore plus déterminant, voici «24 Hour Girl», un vieux boogaloo chauffé au sax - She’s my girl ! Well she’s my girl - Rob fait du crawling Gene Vincent de cuir noir qui ne va pas bien - Oh oh man she’s my girl - Eh oui, c’est un disque hanté par des esprits, Gene, Slim, the Conjure Woman de Tony Joe et Rob le hâbleur. Dans «She Sure Can Rock me», Rob se prend pour une espèce d’Esquerita blanchi à la chaux de fond et quand Rohan le guerrier prend son solo de sax, eh bien figure-toi qu’il se croit dans les godasses de Lee Allen, l’animal on est mal. Few ! ferait l’Anglais, it rocks ! On passe au groove des auto-tamponneuses avec «Revenge», paradis de la bigne et des blondasses ! C’est saxé de frais et perdu dans les fifties. Quel shoot de nostalgia et d’amertume mercuriale ! Alors, attention, car l’«Easy Rockin’» qui donne son titre à l’album est beaucoup trop endiablé. Franchement, le batteur Ritchie Taylor est beaucoup trop doué. Il se croit dans les godasses de Gene Krupa, il se prend littéralement pour la charge de la brigade légère et fait un vrai numéro de cirque. Mais on assiste au retour de Rob le démon avec «Dizzy Miss Lizzy». Son petit jeu consiste à rallumer la mèche à chaque morceau. Sa version de Dizzy est une merveille d’énervement carabiné. Inutile de vouloir calmer un mec pareil. C’est Lucifer avec une guitare. Il claque son solo en accords. Comme il est dit dans le Nécronomicon, le génie jaillira des entrailles de la terre. En voilà la preuve avec «Don’t Start Cryin’ Now», et cette fois, Rob ne rigole plus. Dégage connasse ! Arrête de chialer ! T’es pas contente ? Il joue les cadors et lâche un pur jus de rock de rockab avec des oh yeah qui se fondent dans les coups d’harmo, et soudain, Rob part en solo flash. On l’aura compris, c’est un album dramatiquement bon. Rob est un roi du rock fifties, il en cultive l’essence. Il finit avec «Rock-A-bye Baby Blues», coup de chapeau écœurant de classe à Buddy Holly, explosé dans le contexte du cortex. À ce stade de la situation, les Playboys sont complètement irrécupérables.

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Le dernier album en date des Playboys s’appelle Gotta Be Lose. Rob y présente une sélection de cuts qu’il adore, à commencer par l’effarant «Sugar Doll» de Johnny Jay. C’est slappé à l’os du bop et Rob charge bien son Sugar Doll. Il tape aussi «Henrietta» de Johnny Dee, un solide walking-rock chanté au vieux guttural. Rob s’énerve après Henrietta. Il y frise à la fois Jerry Lee et Little Richard. Il tape aussi «Mutha» de Jimmy Bing, un hit inconnu de plus avec un solo monté sur le pont de la rivière Kwai. Dans ses notes de pochette, Rob se souvient d’avoir accompagné Rusty York sur scène pour «Sugaree», et il dit le plus grand bien de «Gotta Be Loose». Mais bizarrement, l’album est nettement moins dense que les précédents. Ouf, ça permet de se reposer.

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Les Houserockers sont probablement l’un des meilleurs groupes de la scène rockab actuelle. Playin’ It Cool vaut son pesant de slap, Slim ! Dès «You’re Gone», Rob sonne comme l’Elvis de 56, quand il shakait le shook de Mama dans «That’s Allright Mama». Il faut se pincer pour être sûr de ne pas rêver. Il enchaîne avec un autre coup de Trafalgar, l’excellent «Shorty The Barber», pure dégelée de rock’n’roll swinguée au bop de base et de rigueur, summum de la vénérable véracité versatile. Sure Rob can rock ! Il reprend aussi le fameux «Fire Of Love» de Jody Reynolds et il enroule «Buy Me A Car» dans son cornet à piston. Rob est un fin renard rockab, il pouette-pouette ses petits solos avec une belle assurance. Encore du pur rockin’ rockab de Rob avec «Don’t Be Gone Long». Ce mec reste dans la ligne du parti. Il prend «Fancy Dan» à la furia del sol et pique sa crise de fièvre rockab. Wow ! Quelle fabuleuse slabette de real cool cat in a pink Cadillac ! Quel crac ce Rob ! On trouve plus loin un virulent coup de rage intitulé «You Don’t Bug Me No More». Rob sait rider le rumble, il sait vraiment monter à l’offensive et claquer ses syllabes dans le micro - Don’t bug me no more yeah ! - Et puis on trouve encore un slob de slab extraordinaire, «Cats Got Back In Town», joué à l’écho fatal et au slap métallique de doigts chargés de bagues.

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Shake Around With The Houserockers fait partie des albums classiques du rockab, pour au moins cinq raisons. Un, «Rock On The Moon», qui ouvre le bal, pur rockab dans les règles de l’Art Suprême selon Villiers. Rob connaît bien Charlie Feathers, car il chante le bop avec la même classe. Deux, «Bye Bye», boppé et strummé au pas lourd. Rob tire bien son bah-bah sur le beat, c’est rythmé de la nuque, avec un solo éclair et des cymbales qui scintillent. Diable, comme ces mecs sont bons ! On reparlera des passes d’armes de Rob, dans dix mille ans, comme dirait Léo. Trois, la fantastique reprise de «That’s All Right Mama». C’est là où les Anglais sont très forts, car un mec comme Rob est capable de taper dans l’intapable et d’en faire une version inspirée qui n’entre absolument pas en concurrence avec elle d’Elvis qui est si parfaite qu’elle en est devenue intouchable. Rob dispose de toute la vitalité d’un vitaliste prévaricateur. Quatre, «Please Give Me Something», et là, il faut bien parler de coup de génie. Car Rob tape dans l’essence même du rockab. Il en fait une version définitive, aussi dévastatrice que dévastée, très différente de celle de Tav Falco. Cinq, «One Kiss», où Rob joue du solo clair sur fond de slap intense. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie, si on ne veut pas mourir idiot. Encore une merveille avec «It’s Good To Know». Les Houserockers sont dans leur trip de tripe et Rob joue avec le brio d’un croyant macqué de la Mecque du rockab. Il est invincible, voilà ce que ça veut dire.

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L’an passé, les Houserockers enregistraient Blue Swingin’ Mama, un bien bel album chauffeur de paillasse. On y trouve du rockab pur jus avec «Slippin’ In». Rob sait brosser le rockab dans le sens du poil. Cet admirable shouter ne se refuse aucune crise de guttural. Avec le morceau titre, il propose une belle fournaise rock’n’roll. Il nous embarque dans son territoire qui est le rock’n’roll fifties, et même si c’est cinquante ans après la bataille, Rob se bat encore. Ses exploits sonnent comme des coups d’épée dans l’eau, car à part les gens de son âge, qui va aller écouter ça ? Il n’a aucune chance de passer dans les radios à la mode. Tant mieux pour lui. Il reste dans le rock fifties avec «If I Had Me A Woman», encore du rock vintage à l’ancienne. Rob ? Mais c’est un seigneur de l’occase et de la tôle rouillée. Quel merveilleux ferrailleur ! Il chante dans la clameur du parc de carcasses abandonnées. Encore du pur jus de rock’n’roll avec «She’s Mine» que Rob prend du bas - So long oh all the time/ She’s mine - Il est sûr de lui, pulsé par un fabuleux strumming des sous-bois non pas de l’Arkansas, mais du Kent. Et il jette là-dedans un solo en forme de bombe artisanale. Le hit du disque s’appelle «Trapped Love», joué à la démence de la partance. Rob reste dans le rock’n’roll high energy bien buté du bulbe, mais avec un vieux fond de pulsion rockab. Le son est si épais qu’on se pâme. Rob riffe comme un démon et grave sa légende dans le marbre des falaises d’Orion, là-bas, vers le Septentrion.

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En 2014, il montait un projet parallèle, les Broadkasters et enregistrait un album de blues rockab, 21 Days In Jail, très axé sur Little Walter et Big Dix. Rob partait lui aussi en quête du Graal, c’est-à-dire le son qui croise le blues et le rockab. Eh bien, il n’est pas rentré bredouille, car il propose dans cet album deux cuts géniaux, «Mellow Down Easy» et «Come Back Baby». Avec Mellow, il tape dans le languide des bas-fonds de Chicago, mais sur fond de slap rageur. Il nous verse dans l’oreille du pur jus de jute de juke. Voilà un cut de rêve, bien slappé derrière les oreilles. Little Walter serait fier d’entendre son cut joué ainsi. Encore du pur génie interprétatif avec «Come Back Baby», toujours signé Little Walter. Rob joue le fameux riff fantôme. Il a tout compris. Il transforme ça vite fait en pure sorcellerie et invoque l’esprit de Little Walter. Il tape dans un autre cut de l’ami Jacobs, «Ah’w Baby», mais c’est joué plus heavy et arrosé d’harmo, donc plus prévisible. Il tape aussi dans Big Dix avec «Crazy Mixed Up World» qui vire aussi en tour de magie, clip clap, Rob des bois sort d’un Sherwood of blast, c’est swingué à l’épaule et twisté du genou. Impossible de rester assis. Rob sait aussi faire du boogie sale et violent. La preuve ? «A Fool No More» - I said babe/ You’ve just got to go - Il lui dit de se tirer et joue ça au riff rampant. Un dernier coup de Little Walter avec «Just Keep A Lovin’». C’est éclaté à coups d’harmo, cousu de fil blanc, mais ça passe bien. Rob bouffe Walter tout cru, c’est un goinfre, il fallait voir ses yeux briller lorsqu’il évoquait vin et le fromage sur scène à Béthune. Il adore Little Walter au point que ça devient louche. Il finit cet album réconfortant avec un excellent blues de slap intitulé «Baby Done Left Me». On rêve d’une temps où le slap régnera sur la terre comme au ciel.

Signé : Cazengler, playbaye (aux corneilles)

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Playboys. Béthune Rétro. 28 août 2016
Ronnie Dawson. Rockinitis. No Hit Records 1989
Playboys. Invitation To Death. Fury Records 1989
Playboys. 21. Joker Records 1994
Playboys. Strike It Lucky. Joker Records 1994
Playboys. Feeling Good. Joker Records 1996
Playboys. Easy Rocking. Vinyl Japan 1997
Houserockers. Playin’ It Cool. Pink ‘N’ Black Records 2005
Houserockers. Shake Around With The Houserockers. Rhythm Bomb Records 2013
Playboys. Gotta Be Lose. Rhythm Bomb Records 2013
Broadkasters. 21 Days In Jail. Rhythm Bomb Records 2014
Houserockers. Blue Swingin’ Mama. Rhythm Bomb Records 2015


BRUGUIERES / 14 – 10 – 2016
POPA CHUBBY

Nous voilà, mes amis et moi, au Bascala, à Bruguières petite bourgade à 20 km au nord de Toulouse pour découvrir Popa Chubby. On m’en avait parlé mais je ne connaissais pas (hé oui !).

En arrivant, nous découvrons dans le hall, Popa Chubby, « himself », assis derrière une table assurant lui même la promo de son dernier disque et se prêtant volontiers à quelques selfies. Allez j’ose ? Oui ! J’ai jamais fait de selfie avec une star car je trouve ça stupide mais de voir Popa, gros poupon, tout seul dans ce grand hall, tout triste devant des cd et des tee shirts, j’avais envie de….je ne sais pas, de lui dire : « on est là pour toi ».

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Et puis le concert débute avec le pianiste Dave Keyes pendant 20 minutes. C’est bien, du blues, classique, correct mais voilà….

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Et puis déboule Popa !!! C’est une tornade, que dis-je un tsunami !!!! On ne voit rien venir à part sa masse imposante. Une vague gigantesque nous emporte pendant près d’une heure trente ! Une onde que  les surfeurs ne peuvent même pas imaginer dans leurs rêves les plus fous. D’un souffle, tu nous as dispersés sur les flots, Popa ! Nous sommes happés, nous n’avons rien vu venir. Le rythme est époustouflant ! La vague nous soulève, nous emporte avec elle, entraînant tout le monde sur son passage !!! Nous sommes là, haletants ! Nos corps ne touchent plus terre, d’ailleurs nous n’avons plus d’enveloppe corporelle ! Nous ne sommes plus que les arpèges de Popa ! Nous essayons de reprendre notre souffle mais impossible de revenir en arrière ! On ne peut lui échapper et c’est tant mieux ! Est-ce du rock, du blues ? Peu importe nos corps flottent dans la houle ! Nous ne sommes plus que du son à l’état pur ! Des sens, du sens ! Le son nous pénètre, nous sommes devenus ta musique ! Les corps s’arqueboutent, ondulent…Nous faisons corps avec la musique mais en même temps notre enveloppe charnelle ne nous appartient plus ! Le marionnettiste Popa !!! Nous sommes tes cordes, tu joues avec nos corps ! Il paraît que ton nom de scène serait tiré d'une expression d'argot, « pop a chubby », qui signifierait « avoir une érection » !
Tout devient crescendo, s’accélère, nous sommes en apnée !!!!!!!!!!!

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Et puis, ce regard !!!! As-tu déjà croisé le regard de Popa ? Il te regarde, appose deux doigts boudinés sur la guitare… en une fraction de seconde le temps s’est figé… et puis tout devient indescriptible ! Ta poésie nous harponne Popa, en équilibre sur la vague, au bord de l’écume. L’écume devient de la dentelle, tu tisses la voile et tu nous enveloppes, délicatement, avec elle, Popa ! Puis dans un slow (celui qui tue), tu nous déposes ensuite sur la grève, tels un autel. Tu nous laisses, là, haletants, ballotés, rompus, laminés, bouleversés, échoués, frissonnants, écorchés à vif !!! Notre âme effilée par les embruns !


(beaucoup, à ce moment là, dont moi, se sont assis par terre tellement nous étions épuisés physiquement )


Quel voyage Popa !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Au cœur de la musique, ton amour, au pays des sens…Tu nous as offert tant d’émotions ce soir-là, tu nous as offert ton âme ! Tant de volupté avec ta guitare de baroudeur ( Fender «  66 sunburst Stratocaster », je pense) barbouillée de scotchs, d’autocollants où l’on peut lire « Support Hell Angels » Mais on dirait la guitare d’un gosse de 16 ans ! Et j’adore ça.

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Puis tu repars Popa vers une seconde partie du voyage, toujours magnifique, mais tu ne réussiras pas à nous amener totalement avec toi cette fois-ci. On dirait plutôt une performance : « écoutez tout ce que je sais jouer ». Mais le répertoire est infini pour Popa… Et s’enchainent du rock, toujours, mais aussi du jazz, du blues, de la country, du funk, de la soul (et même du reggae il parait, mais je n’ai pas entendu. Trop lessivée par la 1ère partie sans doute !).

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Petit break où tu joues de la batterie, Popa. Bof, petit solo avec ton air désabusé (pour moi ça « rythme » à rien). Dave Keyes exécute quelques « trémolos » à l’orgue façon Rhoda Scott. Suis pas trop fan ! Un petit reproche quand même, depuis le début du concert tu ne laisses pas beaucoup de place à tes musiciens. Tout tourne autour de toi. Il est vrai que ton excellence prend beaucoup de place.

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Tu reprends ta guitare ! Hé marathon man ! Mais tu ne veux plus t’arrêter ! Tu veux jouer jusqu’au bout de la nuit et nous accompagner jusqu’à ce qu’il ne reste plus personne dans la salle ! Cela me rappelle un film : « On achève bien les chevaux ! ». Et tu te distrais de cela. Tu t’en enivres peut-être... Eh mec, tu gagnes ! Beaucoup de personnes partent… presque trois heures de concert Popa !!! Où veux-tu en venir ? Mais si on est attentif, on se rend bien compte que tu ne te lasses pas de donner tout ton amour, d’offrir une musique puissante comme ta carcasse mais tout en délicatesse. Tu auras raison de mes amis qui doivent rentrer et je pars avec eux. Je vais manquer le bouquet final mais tu m’as offert l’un des plus beaux parfums de ma vie, un ineffable bonheur !

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Patou Rock


TROYES / 15 – 10 – 2016
Le 3B
JALLIES / TOM ROISIN



Je file en teuf-teuf sans meuf avec le grand Phil, tout droit sur route à deux voies vers Troie. Mission importante. Ouverture de la saison des concerts du 3 B en fanfare ( non, elles n'ont pas embauché une section de cuivres ) avec les jolies et joyeuses Jallies, nos joyaux, nos jouvencelles préférées. Pas grand monde devant le rade... à part nos demoiselles. Mais le miracle s'accomplit, à peine s'installent-elles pour leur premier set que le bar se remplit par enchantement. Zut ne manque que Duduche dans la ruche ! Par contre tout un tas de têtes nouvelles dans la clientèle habituelle. L'effet Jallies qui rejaillit.

CONCERT

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Les laisse se débrouiller avec leur intro. We are the Jallies. Que se passe-t-il ? Exactement comme avant, mais totalement différent. Enfilent un Be Bop a Lula qu'elles boppent à mort, immédiatement suivi de Boots sinatriennes qui sont faites pour galoper à fond de train. L'est temps de faire le point. Avant même que les hostilités ne commencent. Ont tenu leurs promesses du mois de septembre. Nous avaient assuré avant de monter sur scène que l'automne serait studieux. Allaient se mettre au boulot. Le résultat est indéniable. Décapant. Juteux, jouissif, jaillisif. Elles ont bossé non pas comme le dromadaire monobosse mais comme le chameau à deux panses dorsales que, dans Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche nous indiquait comme la première des trois métamorphoses qui conduisent au Surhomme. En l'occurrence ce soir aux Surfilles. Y a un velours dans les choeurs qu'elles ne nous avaient jamais offert jusqu'à maintenant. Sacredieu, elles ont peaufiné ! Du miel de châtaigner. Une aisance déconcertante. L'impression qu'elles se coupent la parole à tout bout de chant, et les voix s'enlacent et s'encastrent à merveille comme le lierre qui se coule sur les branches du chêne. Et la vitesse ! Vous entendez, mais pas le temps de voir. Sont pourtant adorables, polo à rayures bleues de marin,  robe rouge, tunique blanche à pois roses, des adolescentes dans la cour de l'école, pas les plus sages, celles qu'il faut garder à l'oeil pour éviter leurs espiègleries. Qui font le mur dans un murmure. Courent telles des gazelles qui gazouillent. Les deux gars sont à la bourre. Thomas en cassera deux cordes coup sur coup. S'en fout, au fond l'a son copain Bertrand qui se charge de ressusciter les cadavres. Et Kross se lance dans des soli démentiel qu'il balance comme la rose à tout vent du dictionnaire Larousse. A peine est-il revenu dans le swing que Tom hâte sa guitare, vous la joue en vrille, qui s'insinue partout à tel point que les filles lui font les gros yeux. Ce soir, qu'il soit bien entendu que ce sont-elles les stars. Ne sont pas venues les mains vides mais la bouche pleine. Déballent leur cadeau.

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Attention ce n'est pas de la balle. Des surprises. Une petite adapt ( c'est astap ) par exemple. Un truc qui fait peur. Au début. Commencent comme des tourterelles, roucoulent La vie en rose. Evidemment ça vit aussi longtemps qu'une rose flétrie par le vent d'hiver. Les deux gars derrière doivent être jaloux, vous cisaillent la mélodie, vous la découpent en morceaux et les recollent dans le désordre. Et les fillettes qui s'énervent et qui vous les transforment en charpie, le rose passe à l'écarlate, dégage un parfum manouche qui touche, et s'apothérose en fouillis d'épines carnivores. Ovations. Plus tard ce sera à la vie à la mort, morceau ( en anglais ) composé à la suite des évènements du Bataclan, aucune sensiblerie, aucune pleurnicherie, ni pleurs, ni haines, une explosion énergétique, la célébration incendiaire du triomphe de la vie. Ensuite, elles nous conteront l'histoire du chaton mignon qui ne fait que ce qu'il veut, doit se torsader sans arrêt le pauvre animal pour retomber sur ses pattes s'il ne veut pas être piégé dans le labyrinthe rythmique. Pour nos félines pas de souci, leurs voix ondulent, hululent, et pullulent. Un festival contrapuntique. Encore une nouveauté, une mélodie sonore, guitare early sixtie et les garçons qui mêlent leurs timbres au choeur des filles. Un dédale vocal répétitif recouvert par les clameurs du public. Y a longtemps que les couples dansent et se remuent à qui mieux-mieux, aussi quand elles annoncent le dernier morceau de la soirée, Béatrice la patronne vient mettre de l'ordre dans la cambuse. Pas question. Arrêt immédiat. Tout le monde descend. Pause pipi dix minutes, et c'est reparti mes kikis pour un troisième set. En sont toutes contentes. Nous aussi. Elles ont été extraordinaires, pétillantes, pétulantes. Avec leur défaut de filles bien sûr. Le pauvre Jérem extrait de force du public et contraint par deux fois de venir taper sur la caisse claire sous prétexte de leur fatigue, et Bertrand sommé de tenir la rythmique sur Goin' up the country et Johnny B. Goode. Ce que Marx a oublié de théoriser l'exploitation ( éhontée ) de l'homme par les jolies filles. Mais on leur pardonne, z'ont peut-être donné, de l'avis de la colonie qui les suit, leur meilleur show. En plus, elles minaudent, les derniers morceaux pas tout à fait calés, joués pour la première fois en public... Bref des broutilles de filles. Qui vous émoustillent de leurs fausses faiblesses. Sourires, rires, chamailleries, railleries, elles ont décliné tout l'artifice du charme ensorceleur de la gent féminine pour le plus grand plaisir de l'assistance. Attention, enregistrent leur deuxième album en février. Ne vais pas vous quitter sans vous donner leurs prénoms, par ordre alphabétique. Notez bien, je ne répèterai pas : Céline, Leslie, Vanessa. N'insistez pas, aujourd'hui vous n'en apprendrez point davantage sur le secret des déesses.

TOM ROISIN

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Un garçon tout seul. Chemise blanche, cravate noire et guitare en main. L'a du cran. L'a demandé à passer dans le premier interset des Jallies. Après la grâce virevoltante des demoiselles, la solitude dépouillée, une attitude qui n'est pas sans rappeler Johnny Cash. Pas tout à fait son idole. Lui, c'est Hank Williams. Coup sur coup nous interprètera Lonesome Boy, I saw the Light et devant la demande du public il enchaînera par Jambalaya. Tom Roisin ne donne pas dans la facilité. A peine dix-huit ans, une voix qui n'a pas encore atteint sa plénitude, mais l'émotion – rien à voir avec le trac – cette adhésion à l'attitude country, ce timbre qui parfois nasille à merveille et cette gravité inhérente au style, l'a tout compris d'instinct.

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Ne s'en tirera pas comme ça. Faudra qu'il revienne dans le deuxième interset. Kross le suit à la contrebasse. Du coup son jeu de guitare s'affirme, l'on comprend mieux pourquoi il se réclame de Duane Eddy. Un petit Honky Tonky et après avoir tergiversé quelques secondes – l'on ne sait pourquoi, il se murmure qu'il est resté sur scène une et demie dans un bar de Romilly-sur-Seine – il rechante Lonesome boy. Cinq morceaux et l'on se presse autour de lui. L'a séduit. Sait rester humble, avoue qu'il est autodidacte, que c'est la troisième fois qu'il monte sur scène et qu'il aimerait former un groupe avec un contrebassiste et un violoniste. Juste un brin d'herbe qui pointe dans la prairie, mais déjà empli de l'esprit qui souffle sur les Appalaches. A suivre.


Damie Chad.


SENTINHELL
THE ADVENT OF SHADOWS

THE ADVENT OF SHADOWS / THE ARCHMAGUS / TIME / DARK LEGACY / SEA OF SANDS / THE STORMRIDER / DEMON'S RUN / SENTINHELL .
Bass : Olivier Bernal / Guitars : Angelo Di Luciano / Vocals : Nicolas Garuana / Keyboards : Anna Garic / Drums : Adrien Djouadou.
2013.

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The Advent of Shadows : une porte qui grince et l'orage qui gronde. L'horreur peut commencer. La lourdeur de la rythmique épaissit le trait. Ce qui s'avance n'est pas rassurant. La voix grave de Nicolas Garuana détache les syllabes comme des balles. Emphase et avertissement. Insistance et provocation. La musique se déploie comme un générique de film. Accélération finale. Il ne suffit pas d'attendre, le mieux est de se porter au-devant du danger. The Archmagus : Vous l'aurez voulu. L'intensité de l'obscur déboule sur vous. Vous voici investi de tous les secrets qu'il vaudrait mieux ignorer. Il en est ainsi de toutes les initiations, vous infusent sur le même tempo et un poison mortel et une force accrue. Comptez sur votre volonté de puissance pour vous tirer du piège. La guitare d'Angelo Di Luciano émet des larmes de sang. L'orgue d'Anna Garic tisse des toiles d'araignées monstrueuses. Time : Le temps est un monstre : arrive toujours trop tôt ou trop tard, qu'importe l'heure il est urgent de fuir au devant des ombres funéraires. Vous ne courrez jamais assez vite malgré le drummin d'Adrien qui martèle la cadence et joue au métronome de la mort. Peut-être tournez-vous en rond sur le cadran du désespoir. Dark Legacy : l'orgue d'Anna se déploie comme des tentures sépulchrale d'église maudite un jour d'enterrement. L'angoisse est dans la gorge de Nicolas. Course éperdue, n'a hérité que d'une perle encore plus noire que son âme carbonisée. La noirceur de l'abîme galope à ses côtés et l'enveloppe. Sea of Sands : bande-son de film oriental. Méfiez-vous des plages trop belles. La musique se tortille comme la danseuse du ventre dans Les Mille et Une Nuits. Inversion des rôles, le serpent des perfidies charme de ses yeux obliques le malheureux musicien. Les guitares deviennent folles. Inutile de crier comme si vous voudriez avaler le monde. C'est juste le contraire qui est en train de se dérouler. The Stormrider : entrée wagnérienne. Vous vous êtes enfui sur le tapis volant. Vous croyez chevaucher la tempête. Vous n'êtes qu'un fétu de paille emporté par l'orage du destin. Lorsque les éclairs vous traversent la sensation de puissance ouranienne alterne avec celle de votre humaine impuissance. Danse du sabre. Demon's Run : plus noir que noir. Gradation dans l'inéluctable. Vous n'échapperez pas à la meute des démons qui courent autour de vous. Peut-être même êtes-vous l'un d'eux. Est-ce vraiment si important ? Reprenez votre souffle. Vous n'êtes pas encore au bout du chemin. Plus vous avancez dans les guitares qui flambent plus vous vous éloignez de vous-même. Chemin d'ordalie. SentinHell : ce qui est devant vous n'est autre que la porte du début qui s'est entrouverte. Inutile de prendre à témoin le monde entier. Egosillez-vous avec tout le lyrisme dont vous vous croyez capable. Vous ne saurez jamais de quel côté de l'huis vous vous trouvez. En défendez-vous l'accès ou attendez-vous les ombres qui en sortiront ? Vous êtes la sentinelle de l'Enfer. Encore plus profonde la basse d'Olivier Bernal.

Ce n'est pas la formation que nous avons vue la semaine dernière en concert. Princesse Anna Garic n'est plus là, pleurez son altière beauté et la blondeur de ses cheveux évanouis. Nicolas Guruana a laissé sa place à Niels Bang. La musique de Sentinhell a changé. N'a rien perdu de sa puissance, mais s'est transformée, aujourd'hui moins hard et davantage rock'n'roll. L'orgue qui permet les mises en son mélodramatiques a disparu et la voix ample de Nicolas Garuana s'est tue. La première mouture de Sentinhell n'était pas désagréable même si perso mes préférences opteraient pour l'actuelle. Nous offrait un hard super maîtrisé. Pas du métal extrême mais une grosse production quasi-cinématographique. Super bien en place. Ne manque rien. Pas du carton pâte. Du carton rock. Drôlement bien fait. Toutes les instrumentations judicieusement calées. L'on ne pourrait lui reprocher que son manque d'originalité. Nous a fait penser aux deux premiers albums d'Uriah Heep, avec une plus grande amplitude sonore. Mais pour un premier disque il est demandé avant tout que l'on maîtrise pleinement le genre. Romantisme grandiloquent et surnaturalisme exacerbé. Et en ce sens le disque est parfait. Mais qu'un groupe puisse redéfinir ainsi ses positions esthétiques est avant tout la preuve bluffante de sa créativité. Ne nous reste plus qu'à attendre la venue du second album. Risque d'être brûlant. Cette fine équipe a toutes les chances de nous surprendre.


Damie Chad.

ANARCHIE AU ROYAUME-UNI
MON EQUIPEE SAUVAGE
DANS L'AUTRE ANGLETERRE


NICK COHN


( Editions de l'Olivier / Février 2000 )

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Désolé pour ceux qui aiment étiqueter les partis politiques, ce livre n'est pas le bottin des groupuscules anarchistes rangés par ordre alphabétique. Pas non plus un relevé des fiches de police des militants d'extrême-gauche repérés par les renseignements généraux de sa très gracieuse majesté ( yes, she's just a fascit pig ! ). L'est vrai que le terme anarchiste attire le client. Les éditeurs n'ont pas su résister. D'autant plus regrettable que le bouquin est remarquablement traduit en langue françoise par Elisabeth Peellaert. Le titre original, s'il n'est pas plus explicite, ne se permet aucune référence à la mouvance libertaire. Yes, We Have No.

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Pour Nick Cohn nous abrègerons les présentations. Il nous suffira de mentionner deux de ses ouvrages précédemment parus en France pour que le déclic s'opère dans le cerveau fatigué des lecteurs de KR'TNT ! L'est l'auteur de « Awopbopaloobop alopbamboom, l'Âge d'Or du Rock », et des légendes votives du rock and roll inscrites au bas des plus belles représentations iconographiques - jamais réalisées et réunies dans le volume de Rock Dreams - dues au pinceau de Guy Peellaert qui fut le compagnon d'Elisabeth la traductrice.
Je vous épargne une deuxième fausse route. Non ce n'est pas non plus un ouvrage super pointu sur des groupes inconnus de la perfide Albion dont vous n'auriez jamais entendu parler, mais puisque c'est Nick Cohn qui officie, confiance absolue, l'on se tait et l'on prend des notes. Niveau rock, c'est un peu vache maigre, en monopolisant une armée de détectives vous parviendrez à isoler une ou deux fois les noms Beatles et Rolling Stones, mais jetés là un peu au hasard, et encore peut-être est-ce mon imagination qui les rajoute quasi-pavlovniennement sur le paquet cadeau. A part cinq lignes dévolues à un ancien guitariste de Napalm Death ( ouf, on   a parlé du groupe voici deux semaines ! ) qui s'adonnerait à la production de musique concrète, vous n'aurez pas grand chose à vous caler dans le creux de l'oreille droite.

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Le sous-titre ne vous avancera guère. Equipée sauvage, certes par deux fois l'on croise des bikers mais pour les chevauchées à fond la caisse sur les routes du Sussex, vous pouvez vous la sucer grave. Ce qui est sûr, nous sommes bien au Royaume-Uni, toutefois hâtez-vous de biffer les deux mentions inutiles : Royaume et Uni.
En fait nous sommes en République, et vraiment désunie, totalement séparée. Pas tout à fait un territoire. N'existe pas sur la carte. Aucune frontière ne la circonscrit. Ou vous en faites partie, ou vous n'en êtes pas. Pas besoin de remplir des formulaires pour recevoir sa carte d'identité. Je ne vous résume point un roman d'anticipation uchronique. Encore que dans quelques années - cinq, six, voire deux ou trois de moins avec un semblant de chance - et la France a toutes les malchances de suivre le mouvement. C'est que l'Angleterre a été pionnière. Par la faute de Maggie. Rien à voir avec la Marguerite du mois de May des mandolines de Rod Stewart sur Every Picture Tells a Story. Celle-là, l'est beaucoup plus méchante, une demoiselle de fer qui a broyé les classes populaires et moyennes d'Angleterre. Thatcher, la jument de Troie du libéralisme européen.
L'a fini par crever de sa sale mort. L'on n'en causera plus. Reste les conséquences de sa politique. Pas joyeuses. Un champ de ruines – et cette expression n'est pas une métaphore mais la description objective d'une sordide réalité - et des franges entières de la population abandonnée dans la misère la plus noire.

En soins hospitaliers pour trouver la chair saine, l'est nécessaire de casser la croûte afin de libérer le pus. Ne détournez pas les yeux. La pourriture n'est pas belle à voir et pue du cul. L'homme est un animal doué de déraison. Attaqué il se défend en attaquant ceux qui sont dans une situation identique à la sienne. Les skinheads ne font que passer dans ce bouquin mais Nick Cohn en montre l'autre face, celle que le roman de John King ( voir notre chronique de Skinheads in KR'TNT ! 296 du 29 / 09 / 16 ) occultait quelque peu, cette violence, ces coups de pieds et de poings, ces tabassages qui vous déglinguent le squelette et les organes, distribués sans compter à tout individu un peu trop brun de peau. Attention les policiers censés vous protéger usent des mêmes méthodes, même sauvagerie mais administrée avec moins de coups de pieds mais avec davantage de matraques. Dans la série varions les plaisirs tous en coeur, visent moins les parties génitales mais vous fendent l'occiput.

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No regrets. Soit vous mourez, soit vous survivez. Les survivants forment cette République pétulante que Nick Cohen décide d'explorer. Voyage non pas au bout de l'horreur mais après le bout de l'horreur. Nous fait visiter des villes célèbres, les banlieues de Londres, Newcastle, Manchester, Bradford, et bien d'autres. Les a parfois traversées et connues dans sa jeunesse. Ne les reconnaît plus. Là où s'étendaient zones industrielles et quartier ouvriers ne restent plus que des ruines, des murs écroulés, des toits effondrés, des cheminées éteintes. Un paysage de désolation. Sur des hectares et des hectares. Y eut un temps où certains de ces bâtiments furent squattés mais ces années de loyers gratuits sont en train de disparaître. La police déloge les squatteurs sans pitié, les rejette à la rue sans état d'âme.
Les industries ont été délocalisées. La main d'oeuvre n'est plus bonne à rien. L'Etat et les élites ont abandonné le peuple. Bye bye la fierté prolétaire. Les syndicats ont eu les reins brisés. Ceux qui se sont faits tout petits en espérant qu'on leur saurait gré de ne pas avoir cédé à la colère, à la confrontation physique avec la milice policière, ont subi les conséquences de la défaite des braves qui avaient osé résisté, et à qui il a manqué la force d'appoint représentée par les lâches qui n'eurent pas l'intelligence tactique de les rejoindre. Maintenant il est trop tard. C'est même de l'histoire ancienne.
No future. Aucun avenir pour les gamins de prolos sans travail. S'ennuient, errent désoeuvrés dans les rues. Les gangs, les trafics de toutes sortes se mêlent et s'entrechoquent. Rien n'est certain. Rien ne dure. Une nouvelle idéologie du plaisir est née sur ces brutaux paradigmes. L'éthique collégiale n'existe plus. Les groupes qui se forment ne sont plus d'essence protectrice mais prédatrice. Vivre vite et jouir tout de suite. Le sexe et l'argent. La prison si tu tombes, ce n'est pas un malheur. Si tu prends des risques, ne t'étonne pas d'en payer les conséquences.

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Une fois que tu as compris, une fois que tu as intégré les règles du jeu, se produit chez beaucoup une métamorphose intellectuelle. Les temps sont durs, mais ils te permettent d'exercer le monopole de ta liberté individuelle. Ce qui ne t'a pas tué t'a rendu plus libre. Nick Cohen ne pleure pas sur les malheurs des pauvres, nous peint une série de rencontres avec des hommes et des femmes extraordinaires. Ne détiennent aucun savoir ésotérique mais ils vivent un bonheur au-delà du déraisonnable. Le Système ne veut plus d'eux, ils s'ingénient à vivre sans. Créent leurs réseaux de survie individuelle et collective. Parfois sont un peu frappés de la cafetière, mais leur délire est des plus rationnels. Ne luttent même plus. Utilisent tous les interstices et le jour où ceux-ci sont obstrués ils ne se désolent pas, partent ailleurs. Des adeptes de la flexibilité d'un nouveau genre. Celle qui vous permet d'éviter le travail et l'exploitation.
La grande union qui s'étend des vieux hippies rescapés des premières célébrations du solstice d'été de Stonehenge durement réprimées par la police dans les années 80 aux communautés de pakistanais proto-islamistes en passant par les bikers, une étrange galaxie disparate est en train de se regrouper. Des extrêmes qui s'attirent et se repoussent mais qui ont compris qu'une certaine entraide festive n'est pas inopérante... Et dieu dans tout ça ? Plus présents que jamais. Des sectes comme s'il en pleuvait. Des suprématistes blancs affiliés aux cultes nordiques, des groupements de sorcières, des partisans du sado-masochisme, des églises protestantes dévoyées, il y en a pour tous les goûts. Toujours les mêmes schémas d'adhésion. J'ai fait toutes les conneries possible et imaginables durant toute ma jeunesse, maintenant j'ai pris de l'âge, j'ai réfléchi, j'ai d'autres résolutions... Un schéma mental que vous retrouvez chez presque toutes les personnes interrogées par notre auteur. L'est un moment où devant la réponse de plus en plus violente du Système lors de leurs primes révoltes, elles éprouvent la nécessité d'un réajustement de leurs conduites. Ne se rangent pas des voitures mais tentent d'entrevoir des modalités d'attitude plus positives non pas sous forme d'accommodements avec la réalité sociale mais selon une articulation plus efficace de leur propre vécu avec une espèce de situationnisme individuel en accord avec leurs désirs les plus profonds.
Ce livre commence à dater. L'est un témoin de la déflagration que subit la société anglaise dans le dernier quart du vingtième siècle. J'ai bien peur que ces quinze dernières années la situation ne se soit guère améliorée... Le pire c'est qu'il sonne comme un avertissement...


Damie Chad.

SOUDAIN, L'ETE DERNIER

JOSEPH L. MANKIEWIZC
( Film / 1959 )

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Faut de sacrés arguments pour m'emmener au cinéma. Je ne suis que modérément sensible aux images mouvantes. Pas d'erreur si je me mêle à la cinquantaine d'adeptes du ciné-club provinois, ce soir s'agit de Tennessee Williams, l'un de mes écrivains préférés. Une adaptation d'une des pièces les plus fortes de notre dramaturge. N'est pas venu seul, l'a emmené pour parfaire le scénario son meilleur ami. Gore Vidal, que l'on oublie trop souvent de citer parmi les meilleurs plumitifs américains. L'a commis quelques sacrilèges. Tennessee a tiré un peu fort sur le zizi de la prude Amérique, mais Vidal a laissé échapper deux ouvrages scandaleux dont on ne cause jamais, et pour cause ! Une bio de Julien l'apostat et une espèce de road movie burlesque au travers de L'Empire Romain avec Saint Paul dans le rôle principal, qui reste à mes yeux la plus violente attaque contre le christianisme jamais écrite. Nous français qui sommes si fiers d'être citoyens du pays aux mille fromages, que sommes-nous face au pays aux cent mille Eglises ! Vous comprenez pourquoi le Nobel ne lui a jamais été décerné. Entre parenthèses, lui non plus n'en avait pas besoin.

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Le film n'a pas la force de la pièce. Si vous devez choisir entre les deux, n'optez que pour la pellicule que si vous désirez une happy end, avec un beau bisou d'amour tout tendrou. Comporte de belles scènes, les deux plongées dans les culs de basse-fosses de l'asile des lunatiques. Mais le meilleur, c'est surtout le début. Du théâtre pur. La caméra en plans fixes et Katharine Hepburn qui nous fait son numéro de milliardaire givrée, désespérée d'avoir perdu son fils chéri. Face à elle Elizabeth Taylor ne fait pas le poids. Tant et si bien que lorsque arrive son tour, les mots qui sortent de sa bouche ne se suffisent plus à eux-mêmes, l'on pose sa tête en surimpression sur les scènes qu'elle raconte. L'on prend aussi un peu ( beaucoup ) le spectateur pour un imbécile : ne vous inquiétez pas, si par hasard vous ne comprenez pas, l'on a mis le dessin ( qui bouge ) à côté pour que vous puissiez suivre sans difficulté...
Par contre, pour ce qui est le noeud gordien de la pièce – celui qui ne verra aucun Alexandre le trancher d'un coup d'épée – Gore Vidal et Tennessee Williams ont mis la pédale douce. Vous donnent les rudiments mais à vous de trouver la solution. Cela pourrait s'intituler sexe et poésie. La poésie conçue comme une maternité sans mère porteuse. Dans la mythologie grecque Héra déteste que son mari ait pu cacher en son corps de mâle sa fille Athéna avant de la mettre au monde d'une manière fracassante, tout seul, la faisant sortir tout droit de sa tête d'un unique coup de hache héphaïstonien, sans l'assistance d'un seul élément féminin ! D'autre part, c'est bien connu, ces êtres fragiles et romantiques que sont les poètes se révèlent être des pédés. Des pédérastes pour faire semblant de rester poli.
Ce scandale ne peut plus durer. Les Orphées de service finissent mal. D'habitude un quarteron de femelles enragées d'être sexuellement dédaignées passent à l'attaque. Se précipitent sur le malheureux et vous le découpent rondement en petits morceaux. C'est-là que Tennessee Williams pousse les mégères ensauvagées dans les orties. Nous n'avons plus besoin de vous, vous pouvez disposer, allez hop au placard !

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Une histoire d'hommes vous répète-t-on. Ce sont eux qui se chargent de la besogne macabre. Totale émasculation par manipules virils. Tout rentre dans l'ordre. Tout un chacun peut reprendre son rôle. Faudra faire sans celui du poète. L'est le grand absent. Pas grave, nous reste ses poèmes. Dans le livre. Et dans le cinéma z'avez encore le film à déguster. Pas mauvais du tout. Avec Tennessee vous ne serez jamais déçus. Une âme rock and roll.


Damie Chad.

 

 

 

11/10/2016

KR'TNT ! ¤ 298 : KING KHAN & HIS SHRINES / FALLEN EIGHT / SENTINHELL / FURIES / NAKHT / T.A.N.K. / THE ARRS / ROCK CRITIC / JODOROWSKY

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 298

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

13 / 10 / 2016

KING KHAN & HIS SHRINES

FALLEN EIGHT / SENTINHELL / FURIES

NAKHT / T.A.N.K. / THE ARRS

ROCK CRITIC / ALEJANDRO JODOROWSKY

3 octobre 2016
LE HAVRE (76 ) / LE TETRIS
KING KHAN & HIS SHRINES

Le Khan dira-t-on

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King Khan et BBQ ont tellement de talent qu’on les suit à la trace. Ils multiplient les projets parallèles et donc les disques abondent, souvent passionnants. Comme dans les cas de Robert Pollard et de Wild Billy Childish, on peut parler ici d’une authentique démarche artistique. King Khan et BBQ ont une vision si riche du rock qu’elle leur permet d’avancer dans des directions souvent aventureuses. N’oublions jamais que l’homme qui n’avance pas recule.

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Avec les Shrines basés en Allemagne, King Khan a déjà enregistré quatre albums. Sur scène, leur set impressionne. Les Shrines sont nombreux. Une section de cuivres complète la section rythmique habituelle. Autrefois, une danseuse venait animer la scène et King Khan chantait et dansait avec le cousin d’Henry, le célèbre crâne de Screamin’ Jay Hawkins. King Khan & the Shrines sont toujours d’actualité, et même plus brûlants que jamais, comme ont pu le constater les veinards venus les vois jouer au Havre, par un beau soir d’automne.

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Toujours autant de monde sur la petite scène du Tétris, clavier, deux cuivres, guitare, basse et un vieux black magique aux percus assis dans un coin. Tous ces gens sans exception sont des musiciens exceptionnels. Celui qu’on observe peut-être le plus, après King Khan, est ce sacré funkster de bassman allemand qui drive toujours ses lignes avec l’aisance d’un Bootsy booty. King Khan attaque son set en costume gris. Il plante le décor de la soul avec l’aisance d’un Booty bootsy, tout en grattant sur sa guitare noire de garagiste. En fait, avec les Shrines, il rallume le mythe de la revue, au sens où l’entendaient les grands artistes noirs des années cinquante et soixante.

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Leur set était avant tout un spectacle, ils voulaient que les conditions de la scène soient celles du studio, aussi fallait-il du monde pour recréer les arrangements et offrir à leur public un VRAI spectacle. King Khan & the Shrines recréent cette tradition, avec le même impact, car ces gens ont du répondant. Rien n’est plus risqué que de jouer de la soul sur scène quand on n’est pas noir. Figurez-vous qu’ils s’en sortent avec les honneurs et qu’ils font danser les dames. Fabuleuses équipe, fabuleux shouter que ce King Khan tombé du ciel. Il va changer trois fois de tenue dans la soirée, pour observer un rite lui aussi lié à la légende des revues. Il revient dans un déshabillé moulant de soie noire, bien échancré sur la poitrine, pour qu’on puisse apercevoir ses mauvais tatouages et sa bedaine.

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Quelle classe épouvantable ! Ce mec sonne comme une superstar et il joue la carte du trash à fond. C’est inespéré. King Khan incarne son art, un anglais dirait de lui qu’il est larger than life - une formule imagée intraduisible - King Khan, c’est le Pantagruel avec un micro, Little Richard rajeuni de quarante ans, Néron au Balajo, c’est Jean Lorrain en lunettes noires, l’enfant caché de William Burroughs et de Divine. Justement, notre héros vient de faire paraître un album de William Burroughs, Let Me Hang You. Burroughs lit ses poèmes et des musiciens jouent derrière. King Khan jour sur sept des titres.

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Attention, il faut idolâtrer Burroughs pour écouter l’album, car l’ambiance reste très expérimentale et même bruitiste, disons à la Schoenberg, et Burroughs reste le génial story-teller que l’on sait, avec des mots à la traîne et son fort accent new-yorkais. King Khan nous replonge dans cette avant-garde musico-littéraire qui semble avoir complètement disparu depuis le temps où Erik Satie et Picasso œuvraient ensemble pour Parade, le temps où Francis Poulenc mettait des poèmes d’Apollinaire en musique et, plus récemment va-t-on dire, le temps où Leo Ferré orchestrait les vers magiques d’Aragon. D’ailleurs, lit-on encore Aragon de nos jours ?

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Mais nous nous éloignons du sujet, il est temps de revenir à cette petite salle du Havre surchauffée par une fière équipe. Dans la salle, tout le monde est en état d’admiration avancée. King Khan revient sur scène en culotte de satin noir et en cape, comme au Cosmic, tout l’orchestre est survolté, notamment le petit brun aux claviers, la soul suinte de partout, King Khan jerke la paillasse du beat sans répit, il continue de screamer et, en parfait gentleman-soul shaker, il sourit aux dames qui dansent. Franchement c’est l’un des groupes qu’il faut voir jouer sur scène, car ils sont beaucoup trop bons.

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Un groupe comme ça pour douze euros ? Non mais c’est une plaisanterie ? Ils devraient déjà jouer à l’Olympia et prendre un cachet de 150.000 euros, histoire d’aller ensuite remplir la baignoire d’une suite au George V de cochonnailles fumantes et de s’y vautrer en l’honneur de Divine, et de Rabelais, son père spirituel. Ouvrez la pochette de Let Me Hang You et vous tomberez sur un tas de tripes. King Khan tire ça du délire trash de William Burroughs. Kahnnibalism, baby !

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Le premier album de King Khan & the Shrines date de 2001 et s’appelle Three Hairs And You’re Mine. Petite précision d’importance : le Révérend Beat Man le fit paraître sur son label Voodoo Rhythm. Pour un premier tir, c’était un véritable coup de maître. D’autant qu’ils n’ont pas lésiné sur les moyens, car l’album est enregistré au Toe Rag Studio de Liam Watson, à Londres. Dès le morceau titre d’ouverture, on sent un magnifique drive de basse artériel en hyper-tension. Ils enchaînent avec un coup de boogaloo vindaloo exceptionnel, «Kukamonga Boogaloo». Ils nous swinguent ça au mambo du lounge et ça saxe sec dans la fournaise. On entend des accords inconnus dans le torride «Feel Like Me». Oui, attention ! Cet album réserve des surprises de taille. S’ensuit un «Don’t Walk Away Mad» monté au meilleur groove cavaleur du mondo bizarro. Seulement quatre titres et l’auditeur se doit d’admettre qu’il a dans les pattes un album incroyablement inspiré, bien sanglé, sévèrement jerké du jive. Les Shrines passent au pur rock’n’roll avec «King Of The Jungle». King Khan ne s’accorde pas le moindre répit. Il n’en finit plus de monter à l’assaut de la gloire. Il sait qu’il vaincra, car il dispose des fameuses forces intrinsèques. Ce mec est puissant et terriblement doué. Il rend hommage à James Brown dans «Tell Me». Hommage dévastateur, car à la croisée du garage et des Famous Flames et il enchaîne avec «Crackin’ Up», un cut de charme invraisemblable.

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Trois ans plus tard paraît l’imbattable Mr Supernatural. On y trouve deux véritables coups de génie, «Stone Soup» et «Burnin’ Inside». Avec le premier, il tape dans la soul garage nappée d’orgue. De nos jours, plus personne n’ose sortir un son pareil. Si on aime la soul ravagée par les Huns, c’est ce disque qu’il faut écouter. On retrouve cet énorme shuffle envahisseur dans Burnin’. King Khan ne respecte qu’une seule loi, celle du blast. Ce qu’il fait subir à la soul va au-delà de ce que tolèrent les conventions de Genève. Il traîne sa soul par les cheveux jusqu’à une sorte d’abattoir nucléaire. Attention, ce n’est pas fini. On trouve aussi sur ce disque un «I Don’t Have To Tell You» joué cartes sur table. Ils misent sur le groove, mais ne peuvent pas réfréner leurs sales manies de garagistes. King Khan chante «On The Street Where I Live» au timbre fêlé d’Harlem, accompagné par les trompettes latino du héros Gato. C’est tout simplement admirable de son et de vision. Il faut aussi écouter le morceau titre, fouillé aux percus et aux cuivres. King Khan mène sa meute comme James Brown, avec des cris de guerre. Derrière lui, ça joue comme à Rio. La basse monte devant dans le mix et le son semble se dédoubler à l’infini, en d’innombrables encorbellements funkoïdes. Ça pullule, ça bouillonne, c’est plein de vie, ramassé, animé, excité. Et puis il y a aussi cette merveille intitulée «Pickin’ Up The Trash» qui sonne encore une fois comme un hommage à James Brown car voilà une pure merveille énergétique avec des Pickin’ up baby parfaits. King Kahn est capable de visiter tous les styles avec une égale réussite, le garage, la soul, le punk-rock. Vous en connaissez d’autres ? Il monte plus loin «Train N°8» à la fournaise maximale. Il y hurle comme un damné avec des sock it sock it dignes de Mitch Ryder, au temps béni des Detroit Wheels.

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Paru en 2007, What Is ? est une véritable bombe. Dès le premier cut, «(How Can I Keep You) Outta Harms Way», King Khan plonge ses crocs dans le garage. Il se dresse comme un shouter invincible. Il peut aussi allumer la soul comme Wilson Pickett. La preuve ? «Land Of The Freak» qu’il chante à la meilleure shouterie des Indes, et derrière lui, ça nappe d’orgue et de cuivres à gogo. Il passe au psyché sixties avec «I See Lights». King Kahn est un touche-à-tout de génie. En B, avec «Cosmic Serenade», le groupe se tape une belle dérive instro saxée free d’ambiance gluante de jazz-band à la dérive. Puis King Khan se fend d’un bel hommage à Dutronc avec «Le Fils De Jacques Dutronc» joué au garage classique et descendu à la fuzz, chanté en Français et géré au tourbillon d’orgue. Il revient à la soul de winner avec «Let Me Holler» et enchaîne avec un «In Your Grave» chauffé à blanc, ultra joué, noyé d’orgue et visité par une basse volante, celle du grand Jeans Redeman qu’on observe toujours attentivement lorsqu’il est sur scène, car il joue avec une sorte de vélocité Tamla. King Khan termine avec un magnifique clin d’œil à Dylan, «The Ballad Of Lady Godiva». Oui, il peut même aller chercher le dylanesque et créer la magie.

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Idle No More est un album très différent, beaucoup moins soul et nettement moins agité. King Khan semble mettre le paquet sur les compos plus ambitieuses et il réussit l’exploit de nous maintenir en éveil jusqu’à la fin du disque. «Bite My Tongue» sonne comme la meilleure good time music de l’univers, en tous les cas, les Shrines groovent admirablement bien. Avec «Thorn In Her Pride», on comprend que le parti-pris est résolument poppy, très orchestré, à l’anglaise des seventies. King Khan vise l’excellence de cette pop anglaise jadis incarnée par Love Affair ou les early Bee Gees. Joli cut que ce «Luckiest Man» monté sur un shuffle d’orgue de pop funk. King Khan s’y amuse comme un petit fou. On se croirait dans une confiserie où tout est précieux et succulent, raffiné et bienvenu.

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On trouve aussi un Best Of, The Supreme Genius Of, qui comme tous les Best Of, simplifie les choses au plan monétaire international. On y retrouve en effet la plupart des cuts qui nous ont mis en émoi, comme «Torture» et sa blue eyed soul chauffée à blanc où encore «Took My Lady To Dinner» où King Khan fait son James Brown dans un système plus électrique et des cuivres plus staxy. On retrouve aussi le fameux «Outta Harms Way» noyé d’orgue et chargé de sens, puis «Land Of The Freak» endiablé et digne du Midnight Mover, car pulsé à la vie à la mort. En B, on retrouve l’excellent «Sweet Tooth» visité par la basse du Jamerson allemand, Jeans Redeman.

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King Khan et Mark Sultan adorent travailler avec l’excellent Bloodshot Bill. Mark et Bill font les Ding Dongs (deux albums chez Norton). King Khan et Bill font les Tandori Knights, dont le premier album est aussi paru chez Norton, sous une magnifique pochette rigolote. Si on l’ouvre, alors on les voit tous les deux étalés sur un tapis persan, avec des mocassins blancs aux pieds : ça ne vous rappelle rien ? Mais oui, la pochette intérieure de «Fun House» ! Les Stooges ! En plus, l’album est complètement déroutant et nos deux amis flirtent en permanence avec le génie. Il vous suffira juste d’écouter «Roam The Land». Bill prend la main, mais sous la lune du Gange. Ils livrent là un curieux mélange d’exotica et de beat rockab unique au monde. Bill passe ses couplets dans les fumées du temple de Shiva. Avant King Khan, personne n’avait eu l’idée d’un tel mélange, pas même Cornershop. D’autres coups de génie guettent l’amateur en B, à commencer par «Lovers Moon», attaqué au doux strumming de l’Arkansas, rechanté sous la lune du Gange et adouci à l’instrument d’exotica maximaliste. C’est joué avec une finesse extrême, une justesse de son qui n’en finira plus d’intriguer le commun des mortels. Même chose avec «Brown Trash» joué dans le meilleur esprit rockab, avec ce fourvoyeur de King Khan dans les parages. On se régale aussi de cuts comme «Bucketful», un joli rockab de bazar du Passage Brady. C’est joué au beat tribal et au gimmick lunatique, chanté du nez et fantastiquement entraînant. On appelle ça de l’exotica rockab. Bill est l’un des meilleurs continuateurs du mythe rockab. Il en prolonge l’ardeur à coups d’idées brillantes. Il faut suivre ce mec à la trace. Plus loin, «Tandori Party» éclate - Owee baby ! - et King Khan fait des wap-doo bah derrière. C’est à la fois extravagant et gagné d’avance, tellement l’idée nous sidère. Sur ce disque, les idées pullulent. Il suffit d’écouter cette merveille qu’est «Bandstand» : Bill prend ses couplets en mode classique et ça vire exotica dans le refrain. Stupéfiant ! Bill prend aussi «Dress On» au rockab doux et il réussit à tempérer les ardeurs orientales du grand Khan. Ils finissent l’album en beauté avec «Beauty & The Feast», emmené au chant rockab sur un fabuleux mid-tempo visité par les dieux des Indes. Bill chante avec de la mélodie plein la voix, ce qui n’est pas forcément le cas de tous les chanteurs rockab.

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Dans un genre totalement différent, King Khan fait les Black Jaspers avec Jasper Hood des Moorat Fingers, dans une mouvance radicalement punk. Ils se partagent les morceaux et ceux de King Khan sont plus rock’n’roll, comme par exemple «No Brain No Pain» monté sur un gros tempo et visité par ces solos éclairs dont il a le secret. Même chose pour «(I Wanna Be Your) Razorblade», un pur délire bien arrosé de guitares. Il joue tout au classique incendiaire et on retrouve le guitar hero du KK& BBQ Show. «Leather Boy» sonne comme un rock à la Dolls, ça déglingue au riff de dégelée. On sent bien le génie sous-jacent de King Khan. Ils nous font là une sorte de post-pop punky chanté à la meilleure gouaille des barrières. Les cuts sont systématiquement intéressants, même si le son reste aigrelet et même si Jasper chante d’une voix désespérément criarde. Dans «I Want My Face On The Radio», il chante avec la voix d’un glam-punkster blessé par balles. King Khan chante «Long N’ Wavy» au lofi de casque à pointe. En B, on tombe sur d’autres merveilles du type «Born In 77» avec des couplets lancés au c’mon de waouhhh. «I Can’t Stand The Summer» évoque bien sûr les Rezillos et le cum-punk jouissif.

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Nos deux compères King Khan et Mark Sultan ont aussi fricoté avec les Black Lips. Ils ont formé avec eux les Almighty Defenders et enregistré un album. Malheureusement, c’est une sorte de gros coup d’épée dans l’eau, car évidemment, on en attendait des miracles. On sauve deux cuts sur cet album en forme de rendez-vous manqué : «All My Loving», un gospel de juke à la BBQ. Ça swingue dans les brancards et ils recyclent la vieille énergie du gospel choir. Puis «One Of Light», chanté à la clameur doo-wop sur le bon vieux beat dévoyé de BBQ, l’extraordinaire partenaire. Il est accompagné à la mandoline speedo. En B, il tente encore une fois de sauver l’album avec «She Came Before Me», mais la déception l’emporte. Fatalitas !

Signé : Cazengler, King Khon

King Khan & His Shrines. Le Tétris. Le Havre (76). 3 octobre 2016
King Khan & The Shrines. Three Hairs And You’re Mine. Voodoo Rhythm 2001
King Khan & The Shrines. Mr Supernatural. Hazelwood Records 2004
King Khan & The Shrines. What Is ? Hazelwood Records 2007
King Khan & The Shrines. Idle No More. Merge Records 2013
King Khan & The Shrines. The Supreme Genius Of. Vice Records 2008
Almighty Defenders. Almighty Defenders. Vice Records 2009 (With Black Lips)
Black Jaspers. Black Jaspers. In The Red Recordings 2009 (With Jasper Hoods, Moorat Fingers)
Tandoori Knights. Curly Up. Norton Records 2010 (With Bloodshot Bill)
William Burroughs. Let Me Hang You. EJRC 2016


MOISSY-CRAMAYEL / 07 / 10 / 2016
LES DIX-HUIT MARCHES
FALLEN EIGHT / SENTINHELL / FURIES

( Photos : Alexandre Maeder )

Retour aux Dix-huit Marches. Un exploit, l'année dernière ( KR'TNT ! 250 du 02/ 10 / 2016 ) l'on craignait la disparition du lieu. Sont encore vivants, mais une discrète affichette fait le rappel d'une douzaine de citadelles rock qui ont fermé ces derniers temps. L'escalier pas du tout branlant a fêté au mois de mars ses vingt ans d'existence. Rappelons que les Dix-huit Marches possèdent aussi deux studios de répétition pour les groupes. L'existe un maigre réseau de lieux similaires sur la Seine & Marne, peu nombreux, mais qui apportent une aide logistique des plus indispensables aux jeunes groupes.

FALLEN EIGHT

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Je ne sais si vous êtes comme moi, mais au dessert je n'aime guère recevoir la plus petite portion du gâteau. C'est pourtant ce qui nous est arrivé. Un set bien trop court pour Fallen Eight, une mise en bouche. Quand la maîtresse de maison range la bouteille de whisky sitôt le premier verre servi, vous êtes frustré.

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N'auront pas le temps d'installer leur climax si particulier. Dommage, car ça promettait. Ça Prométhée. Une entrée en matière plus nerveuse, plus incisive, JP aux baguettes qui accomplit prouesse sur prouesse. Déblaie la route. Des blocs cyclopéens qu'il repousse et ordonne comme du revers de la main. Torse nu, concentré sur son jeu, il donne une prestation éblouissante. Précision, vitesse et violence habilement conjuguées. Clem est au chant, se débarrassera vite de sa légendaire chemise à carreaux rouges et noirs comme s'il voulait coller davantage à lui-même. Etonnant comme il peut exprimer une finesse toute féminine et passer à une expression de force virile.

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Il possède cette sensibilité d'artiste capable de s'immiscer au plus près du mystère des subtilités. C'est en cela que réside la spécificité du groupe. Cet équilibre, tour à tour précipité dans d'aériens transports d'envolées arachnéennes ou enkysté dans les arasements terrestres les plus primitifs, reste sa marque de fabrique. Une balance oscillant perpétuellement entre le ballet des éléments primordiaux, de la légèreté de l'être à la pesanteur anthropologique. Fallen Eight forge les métaux les plus précieux. Une basse qui appuie partout où ca fait le plus mal et deux guitares qui découpent au chalumeau. Au final trois guitaristes qui n'auront pas eu l'espace qui leur aurait permis d'exprimer leur singularité. De l'atelier de Fallen Eight sortent des chefs-d'oeuvre d'or, de platine et de vermeil. Vous livrent aussi des pièces aux arêtes les plus dures. C'est vrai que l'on ne prend pas le temps d'apprécier à sa juste valeur. L'on a déjà l'esprit préparé à accueillir la prochaine merveille. L'on ignore tout du prochain prototype qui sortira de leur aciérie. L'oiseau a pris son envol. Mais l'a trop vite disparu des écrans. Sept misérables morceaux, un Reborn qui vous redonne goût à la vie, un Priest qui confine au hachoir métallique et un Final Shoot à vous donner envie de mordre un tigre. Mais non. Retransmission coupée. Timing oblige. Regrets partagés par toute la salle. Recueillent des remerciements de la part du public. Mais ce lot de consolation ne nous satisfait pas, faudra les revoir très vite, in extenso.

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SENTINHELL

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Méchamment rock. Déjà pendant la mise en place y avait eu quelques échappées de guitares qui laissaient présager un orage chargé d'électricité. Plus violent qu'on ne s'y attendait. Cinq sur scène. Aurélien est à la batterie. Lance le feu. Un spectacle à lui tout seul, torse nu sous des dreads en bataille, corps pâle et longiligne, tape dur et vite. Pluie de baguettes diluviennes. Faut le voir. Extériorise ses pulsions. Son visage égaré semble le reflet de son monde intérieur. L'a l'air d'un zombie évadé de sa tombe, encore ravagé par des tics d'outre-tombe, tantôt marionnette folle dont un esprit malin tirerait les ficelles, tantôt fantôme aux mille bras occupés à martyriser ses fûts.

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Quand vous avez un carburateur infatigable comme cela derrière vous, vous ne pouvez pas vous contenter de jouer au scrable par devant. Nous avons de la chance, Angelo Di Luciano n'est pas du genre à regarder regarder mûrir les grenades. Pas question de se laisser subjuguer par le sol invictus d'Aurélien. Une guitare et c'est parti. L'a tout compris du rock'n'roll, je passe par-dessus et j'envoie la marmelade riffique sans jamais m'arrêter une demi-seconde. Angelo, un véritable demono ! Barbichette blanche et élégance princière. Jamais en défaut d'imagination, le genre de gars qui vous remonte les autoroutes en sens inverse sans même une égratignure. Le sourire en coin et la guitare en feu.

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Ce n'est pas tout. Ils ont un chanteur. Un vrai. N'a pas ouvert la bouche que déjà vous savez que l'on vient de lâcher un fauve. Imaginez Rahan, le héros des âmes farouches, mais en brun, une crinière de jais tout en boucles ondoyant sur ses épaules, cartouchière à la ceinture, blouson noir collé à la peau cuivrée qui permet d'entrevoir un torse félin. Une voix qui part facilement vers les aigus, et cette aisance, cette facilité avec laquelle il occupe l'espace, pourtant réduit de la scène. Se déplace avec tant de charisme que cette dernière paraît s'allonger à chacun de ses pas de danse. Une facilité déconcertante, en joue, s'en amuse, facétieux, met les mains sur les yeux d'Angelo, s'incruste sur le manche d'Olivier, leur fait toutes les misères du monde. Avec son sourire irrésistible de panthère. Olivier, deuxième guitariste. Je n'ai pas dit second rôle. Avec les trois autres ostrogoths qui s'agitent à ses côtés l'a intérêt à garder la tête froide. Difficile de savoir comment il se débrouille, les trois mousquetaires dressent un mur du son impénétrable et lui il se permet de combler les vides. Interventions d'une précision si absolues, si naturelles qu'elles paraissent une évidence. Discrètes comme son visage qui disparaît sous les ailes refermées de ses cheveux. Enfin, Jean-Louis, le mythe du bassiste incarné. Ne me dérangez pas, je suis ailleurs. Je fourbis des armes plus noires que les eaux du Léthé sur l'île des Bienheureux. Maintenant faut faire attention, ce ne sont pas des musiciens qui jouent, mais un groupe qui produit un son, très rock'n'roll et très heavy metal. Déclinaison trashy. Pour notre plus grand plaisir ils confondent vitesse et précipitation. La musique tombe sur vous comme l'aigle fond sur sa proie. Burn Them All, Satan's Little Helper, Sandslaves enchaînés, en entrée juste pour montrer de quoi ils sont capables, nous referont le coup avecc Cries Of the Damned et Jack Boot Stomp. Niels annonce un titre du premier album ( n'y était pas encore ) Sombre Héritage, en français précise-t-il, pourrait nous le refiler en japonais que ça passerait comme une ogive dans un char d'assaut. L'invite l'ancien batteur du groupe à pousser le scream avec lui et après c'est au tour de Lynda des Furies de le rejoindre sur scène, s'en tirent très bien, la demoiselle sait aussi aller chercher la note dans les aigus, panthère noire et léoparde blonde feulent à qui pire-pire pour le plus grand plaisir de l'assistance. Time, Countered, Battle Hymn pour finir en apothéose shred. Un set époustouflant. Viennent d'Avignon. C'est eux qui ont cassé le pont. Et la baraque. A frites molles de nos cerveaux. Subjugués.

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FURIES

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A l'origine un groupe essentiellement féminin d'après ce que j'ai compris. L'en reste deux, blondes comme les blés, belles comme le houblon, Zaza à la batterie et Lynda vocal et basse. Se sont adjointes deux guitaristes, Billy Laser à notre gauche, Sam Flash sur notre droite. Deux adeptes du manche shrediques. Du genre le rock and roll c'est un solo continu de guitare, de la première à la dernière note.

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De toutes les manières s'ils veulent exister face à Lynda, sculpturale, vêtue de sa chevelure blonde et de cuir noir, basse rouge hémoglobine effilée comme une flèche qui zèbre son corps, et voix de Walkyrie, ont intérêt à se manier. Le programme de Furies est d'une simplicité extrême à l'image de leur premier morceau, Furies Attack, rentre-dedans et ne jamais sortir de la première ligne avant d'avoir écrasé l'adversaire. Une stratégie sommaire qui pourrait s'avérer un peu lassante. Mais il y a la voix de Lynda, une espèce de cristal épais comme une vitre blindée mais au tranchant de couperet de guillotine qui monte haut et vous emmène jusqu'au septième ciel. A ses côtés Sam et Bill se tirent la boule, appliquent le programme de base sans faillir, en avant toute, vite et encore plus vite. Zaza repasse un peu trop souvent les mêmes plans de batterie mais produit un beat efficace et entraînant.

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Les titres se suivent, SSSS !!! qui glisse comme un serpent dans l'herbe sèche, un Fire in the Sky qui met le feu, le temps d'inviter Niels pousser la tyrocklienne et voici le dernier titre emblématique La guerrière. This the end, Beautifull girls ? Une voix s'élève du fond de la salle «  Pas de rappel ? » - c'est la règle dans ces concerts de structure municipale – moment de flottement sur scène mais la suggestion est immédiatement reprise par l'assistance enchantée de cette proposition . Finalement c'est reparti pour Sortilège que le public reprend en choeur. Un beau clin d'oeil à cette première vague des groupes de hard rock français, de la génération Vulcain, Satan Jokers. Un set qui n'a pas bouleversé l'avenir du rock and roll mais qui a su séduire et induire le désir de les revoir.


Damie Chad.

SAVIGNY-LE-TEMPLE08 / 10 / 2016
L'EMPREINTE

NAKHT / T.A.N.K. / THE ARRS

Passent toutes sortes d'artiste d'artistes dans cette salle. Mais certaines soirées sont réservées au métal. Mettre ses pas dans l'Empreinte des dinosaures, ces véloces prédateurs en même temps lourds et pesants, n'est pas désagréable. Un peu moins de monde que pour le concert précédent, mais la salle est loin d'être un désert.


NAKHT

 

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Groupe d'ouverture et local. Avec une telle étiquette vous êtes mal partis. Ce ne sera une révélation pour personne : Nakht se moque de ces préventions comme de sa première pyramide. Ne savent qu'une chose, leur musique parle pour eux. Nakht c'est d'abord un choc. Dès la première seconde le son s'abat sur vous, vous plaque contre les murs, vous écrase sur le plancher. Pas de sauve qui peut général. Trop tard, vous êtes pris au piège. Violent et brutal. Soit vous vous enfuyez en hurlant de peur soit vous hululez de joie en dansant la carmagnole. Ne leur a fallu que quarante secondes pour déchaîner l'hystérie collective. Insufflent une énergie qui rejaillira sur toute la soirée et dont bénéficieront les deux groupes suivants. L'on attrape les requins en versant des citernes d'hémoglobine dans l'océan, alors Nakht applique la recette en adaptant à leur démesure le vieux triptyque churchillien, de l'épilepsie sanguine à foison, des tonnes de sueurs, des larmes d'extase, et le public se rue sur lui-même comme deux tribus d'anthropophages affamés recluses sur une île déserte. L'est déjà grand Danny, mais il se fiche sur un caisson un peu comme Napoléon sur sa colline pour diriger le carnage. Pousse des rugissements d'une raucité époustouflante, l'oesophage doit s'enrouler sur ses cordes vocales pour lui permettre d'émettre ces grondements qui tombent sur vous comme les marteaux d'Héphaïstos. Clément secoue sa basse et son espèce de crinière déplumée qui tient autant fois du plumet de cuirassier en pleine charge que de la crête en folie d'un iroquois s'apprêtant à trucider trois tuniques rouges d'un seul coud de tomahawk. Alexis et Christofer sont aux guitares, lâchent de courtes bordées de canon qui vous démâtent le cervelet, puis vous avez un millième de seconde de silence pour reprendre votre esprit et la bordée suivante détruit le gouvernail de la raison pure qui en temps normal guide vos pas en ce monde que Nakht est en train de détruire.

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N'est pas dans ma ligne de mire, je ne vois que ces baguettes qui voltigent au-dessus de sa tête. Damien est le grand fracasteur, selon sa philosophie de batteur, un riff de guitare ne doit pas durer plus de quatre secondes, au-delà de ce temps il est perdu pour l'Humanité. Donc il vous le clanche en plein vol et le précipite à terre pour qu'il explose de sa belle mort. Inutile de perdre son temps à le pleurer, le suivant a déjà subi le même sort. Une bonne nouvelle, sont en train d'enregistrer leur second EP dont ils nous donnent quelques aperçus. Introduction de sections mélodiques – enfin tout est relatif - dans le tintamarrock. Apparemment devrait arriver bientôt. L'on attend avec impatience. Bref les Nakht ont été prodigieux.

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( Photos : Antoine Kit Rivier )

 

T.A.N.K.

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Après un tel déluge, j'aurais eu peur de prendre la relève. Pourtant je sais de quoi ils sont capables puisque j'avais assisté à leur prestation au festival de Romilly-sur-Seine ( voir KR'TNT ! 197 du 10 / 07 / 2014 ). Les gars de T.A.N.K fignolent l'installation de leur matos avec une tranquillité des plus sereines. Oui mais il nous faut apprendre à penser autrement. Think of A New Kind comme l'indique l'acronyme. Un acrocknyme qui vous incite au grand chambardement.

king khan - le havre,fallen eight + sentinhell + furie + 18 marches,nakht + t.a.n.k. + the arrs + l'empreinte,rock critic,poesie sans fin + alejandro jodorowsky


T.A.N.K. C'est la limousine de luxe. Frottée, huilée, bichonnée. Un bijou de précision. Une berline de milliardaire. Calme, confort et volupté. Ne faites pas confiance au dépliant. De loin sur scène, sans le son, la réalité peut sembler correspondre à la description. Mais dès que vous mettez le volume, vous réalisez que c'est un hot-rod tout terrain chargée de nitroglycérine spécialement adaptée pour gravir et descendre les sommets de l'Himalaya. Vous prennent la suite de Nakth sans problème, un peu moins brutaux mais plus trashy, des pointes de vitesse effarante, et des reprises ébouriffantes. Disturbia en entrée pour bien signifier qu'ils ne sont pas venus pour fumer le calumet de la paix. Les pneus ne crissent pas mais résistent à tous les imprévus. Facilité déconcertante pour s'arroger le public dans la poche. N'y restent pas sagement assis, car de tout le set, ce sera le gymkhana du siècle dans la fosse aux lions. Le public s'empoigne, se frotte, s'escarpoufle, se dégommole, se tampochoque comme un entremêlement de géants dans un poème d'Henri Michaux.

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Raf rafle, tacle, érafle, arque, baffe, sarcle et craque le vocal. Cris de lyrics et bris de crimes, crises de scies et rites de mythes. Le métal ne chante pas se donne à entendre comme de la poésie brute. Le mot réduit au souffle de son élocution éjaculatoire. Debout, légèrement penché, micro à la main, Raf attise les braises de ses borborygmes de tyrannosaure démentiel. Super talent, sait moduler la foudre et cracher des incendies. Derrière lui, Nils, Charly à la guitare et Olivier à la basse sont impeccablement alignés. Alternent les séquences, chacun préoccupé de son propre jeu, ou après un break fulgurant secouent leur tête en cadence comme les pensionnaires d'une maison de fou atteints d'un tic collectif. Et chacun replonge en lui-même, les yeux fixés sur son instrument. Marionnettes du diable, habitées par saccades, fétiches spasmodiquement agités dans une cérémonie vaudou. Ces états collectifs de transes quasi-hypnotiques disparaissent et vous laissent l'étrange impression d'une vision onirique échappée de votre cerveau. Apprenez-vous à penser autrement, à faire en sorte que l'image prime sur le raisonnement, l'effet sur la cause. T.A.N.K a compris et intériorisé la mise en scène du métal, s'agit d'atteindre sous l'effet du déluge sonore à un stade de perception qui n'est plus exactement le vôtre. Beautiful Agony et le cri des corbeaux pour chant funèbre.

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Clément n'est guère clément avec ses fûts. Brûle ses vaisseaux à chaque break. La forge métallique est incessante et joue sur l'oubli du tempo. Chaque passe annihile la précédente. Le beat passe trop vite pour qu'il puisse entrer dans les synapses de la remémoration. Musique d'empilements successifs qui vous dénude à chaque fois. C'est cette fuite en arrière – pratiquement à contre-temps dans un ordre métaphysique - qui a pour résultante ce besoin inextinguible du fan et des groupes d'avoir sans cesse besoin de plus d'amplitude sonique, de plus d'urgence de vitesse, de plus de ce qu'il faut bien se résoudre à appeler de présence. Le serpent de l'absolu qui se roule sur lui-même en une propulsion quasi mystique ne parvient plus à mordre sa propre queue.
T.A.N. K. Un grand groupe.

THE ARRS

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Serai plus mitigé envers The Arrs. Certes s'en sont très bien tirés. La folie du public est même montée crescendo. Possèdent surtout Teko, un bon batteur. Plus très jeune, mais un feu d'enfer. Selon mon immodeste personne l'est l'élément essentiel du groupe, j'irai jusqu'à dire celui qui lui permet d'exister. Un roulement interminable, grosse caisse à contribution sans arrêt et puis, cette pulsion incessante qui dégage l'énergie nécessaire à la propulsion. La section de cordes n'est pas déméritante, mais les morceaux sont un peu trop bâtis sur les mêmes patterns. Le band présente un côté sympathique joyeusement bordélique, les musiciens changent sans arrêt de place, adoptent les poses archétypales et les cambrures des guitars heros, quant à Nico le screamer il invite le public à ne pas hésiter à monter sur l'estrade et à faire le saut de l'ange sur les bras tendus des compagnons qui grouillent dans la fosse, qui le saisissent et le portent en triomphe au travers de la salle. Beaucoup ne se le feront pas répéter deux fois. Durant tout le set ce sera vols planés à répétitions.
Nico chante accroupi sur l'extrême-bord bord de la scène – des mains se tendent pour l'attirer à elles et d'autres pour le retenir - offre souvent son micro au public et surprise, il est indubitable que dans la salle beaucoup connaissent les paroles par coeur. Lyrics, intonations, les gestes qui vont avec, sans une erreur à l'identique. Aurait-il eu une extinction de voix que je subodore qu'il aurait pu être remplacé. Paroles en français ce qui explique peut-être la ferveur des fans. La musique est métal mais l'esprit semble avoir subi des influences rock alternatif festif et quelques accointances avec les attitudes rap. Mes réticences sont une chose, l'adhésion sans frein de l'assistance les bat en brèche. Quand ils sortiront de scène, l'insistance des ovations les feront revenir pour un long rappel durant lequel ils réduisent en poussière la fameuse baraque.

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Damie Chad.

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Petit détour par Lady Long Solo. Suis rentré dans la librairie tout fier de mon gouvernement. Qui n'hésite pas à mettre un car de CRS lourdement armés à dix mètres de cette tendancieuse boutique qui diffuse bouquins et affiches pas très politiquement corrects. Non seulement le stock est constitué d'éditions anarchisantes, mais en plus ils se battent pour la légalisation de la fumette. ! Ah ! les vertus de la démocratie en actes, la police qui veille à la protection de ceux qui ne pensent pas comme il faut ! J'en pleurerais presque. Hélas c'était une mauvaise interprétation, notre cher premier ministre ( celui qui va vallser aux prochaines élections ) loge dans cette artère. A quelque chose malheur est bon, me suis-je dit en incurable optimiste, cet après-midi en se rendant au boulot, notre principal sinistre n'aura pas manqué de remarquer ces gamins de cinq ans qui dorment dans la rue au coin du boulevard, les aura fait reloger fissa, en même temps que ces affamés qui fouillent dans les poubelles pour en extirper les déchets alimentaires et toutes ces femmes à la dérive qui mendient... Suis repassé plus tard dans la soirée, ben les fillettes de cinq et six ans dormaient toujours dans le froid... Quant au tri sélectif dans les containers, plus besoin de le faire... Paris se tiers-mondise dans l'indifférence éhontée de nos élites politiques.Lady Long Sanglot.

ROCK CRITIC. N°1
Sept-Oct 2016 / Gratuit.

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Suis ressorti de Lady Long Solo avec un petit trésor. Un zine, Rock Critic, avec Eliot Ness en couverture, serait-ce des incorruptibles ? Petit format, papier glacé, typo couleur, le truc hyper chiadé. Esthétique garantie. Gratuit en prime. Distribué en province, et disponible dans une dizaine de points de vente sur Paris. Tout cela est indiqué sur leur FB Rock Critic. Les articles ne sont pas signés mais l'on retrouve le nom de Géant Vert à l'intérieur. Non, ne sont pas sponsorisés par les boîtes de maïs en conserve, s'agit de ce rock critique grand amateur de concerts, connu pour ces préférences punkozoïdales. Le lecteur averti trouvera peut-être étrange que l'on retrouve un papier sur le festival d'Ostrava en République Tchèque et dans Rock & Folk et dans Rock Kritic. Je vous laisse vous perdre dans les plus sombres hypothèses complotistes...
Pour les kronics de disques, ne se foulent pas trop, Ramones, Sex Pistols, Clapton, faudra repasser pour l'originalité, s'en défendent à l'avance en arguant de l'indigence des jeunes créateurs... Ne soyons pas méchants, chez KR'TNT ! nous aussi nous évoquons souvent les vieilles gloires . Mais z'ont aussi des articles de fond. Une interview de Band of Skull présenté comme l'un des groupes actuels les plus importants. Même topo pour Luke Elliot. A ces entretiens nous préférons nettement l'article mal titré mais intelligent qui essaie d'expliquer pourquoi les punks sont restés fidèles à Bowie partisan d'une esthétique très éloignée du destructivisme punk. Le papier mériterait deux ou trois pages de plus mais le fascicule n'en possède que vingt-quatre.
Evidemment l'important c'est le ton. Acerbe et critique. Peu d'illusion sur l'état du rock actuel. N'osent même pas entrevoir le futur... Mettent la barre un peu haut. Seront-ils capable d'influer sur le futur du rock ? Car sinon, à quoi pourrait servir une revue rock ? A suivre.


Damie Chad.

POESIA SIN FIN
ALEJANDRO JODOROWSKY

( Sortie : 05 / 10 / 2016 )

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Vous voulez voir du rock 'n' roll ? S'il vous plaît, pas de ricanements intempestifs, je sais que vous possédez chez vous tout ce qu'il vous faut, des centaines, des milliers de galettes au frockment dument rangées sur vos étagères ou gisant en un indescriptible désordre sur le plancher de votre chambre. Soyez un peu attentifs, je n'ai pas dit écouter, mais voir du rock'n'roll. Ne vous précipitez pas non plus sur votre collection de dvd de concerts historiques, le rock'n'roll est partout, même là où on ne l'entend pas. La preuve, même pas une demi-mesure de la musique du diable dans le dernier film d'Alexandro Jodorowsky, l'immortel réalisateur de La Montagne Sacrée ( voir KR'TNT ! 268 du 11 / 02 / 2016 ).
Frise les quatre-vingt dix balais notre Jodo et ces dernières années il dresse un peu le bilan de sa vie. Pas du tout une rétrospective de sa carrière – l'est encore trop vivant pour se draper dans des auto-embaumements thurifériques – en 2013 c'était la revisitation de son enfance avec La Danza de la Realidad, et cette année il nous offre la suite chronologiquement naturelle, la jeunesse, le portrait de l'artiste en salamandre jetée dans les hautes flambées des années décisives d'une vie.

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Pour les adeptes du réalisme socialiste ou des séries télévisées, il vaudrait mieux passer son chemin, Jodorowsky est un cinéaste, il ne reproduit pas le réel à l'identique. Il crée des images. Pas d'Epinal. Oniriques. Une espèce d'iconisation libre, une figuration démente qui puise dans le merveilleux symbolique et imaginatif. Recherche l'archétype individuel pour se mettre en scène. Images mouvantes qui vous engloutissent dans les sables les plus prégnants de la mémoire. La folle du logis a tissé des toiles dans lesquelles vous vous engluez à tout jamais.
Difficile de raconter un film de Jodorowsky même si la trame est des plus solides. L'on peut dégager des points nodaux de bifurcations qui vous ramènent au-delà du délire d'un capharnaüm baroque imaginal dans les intimités obsédantes des strates du vécu. Un peu l'équivalent cinématographique de l'imagier onirique que Guillaume Apollinaire tenta toute sa vie en poésie. Avec Dufy qui sort du bois d'Orphée et le testament du poète sous le bras. Avant que le coq tôt ne chante.
Beau fil d'Ariane pour remonter la piste du labyrinthe de Poesia sin Fin. Poésie sans fin comme la bobine d'un cinéaste qui tournerait sur elle-même en refusant de s'arrêter. Une vision hâtive du film le simplifierait à outrance en le résumant comme la bataille de la vie contre la poésie. Ce serait-là une lecture mortuaire bonne pour les plaques commémoratives des cimetières. Vaut mieux opérer un anéantissement nietzschéen des valeurs qui permettrait de le métamorphoser en combat de la poésie contre la vie. Car le film se résume à cela, l'intrusion de la turgescence poétique dans la réalité du monde, non pas une fleur chétive recroquevillée dans la fente protectrice d'un trottoir en attente de réfection mais une capricieuse et irréductible ombellifère carnivore décidée à dévorer la planète toute entière. Si le décor existentiel dans lequel vous vous mouvez dans la tristesse des jours perdus vous annihile, il vous suffit de le changer. Facile, laissez vos fantasmagories intérieures s'emparer du devant de la scène.
Le monstre de la poésie est au bout du fil. De l'autre côté, c'est encore pire : la femme. L'intercesseur femelle qui tient la laisse. Le poète va de l'un à l'autre. L'a choisi son camp. Le taureau sauvage. Un fauve en liberté ne se domestique pas. La poésie doit quitter les pages du livre. Elle est le meilleur chemin, le plus tentant, celui qui file droit. Le plus efficace puisque le plus court. En théorie, car en pratique il faut tenir compte de la courbure de la planète où l'homme fait résidence. Questions courbes l'éternel féminin en possède des plus excitantes. Aussi merveilleuses que meurtrières. Le poète qui croit faire de l'équilibre sur un fil tendu se retrouve vite toutou attaché aux fantaisies expiatoires de sa maîtresse. Orphée finit déchiré par les ménades, l'amour suprême ne serait-il qu'une forme des plus subtiles du masochisme ?

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Poesia sin fin est aussi le partage des eaux de la poésie. Ou le fleuve majestueux mais sans danger de Pablo Neruda, ou le torrent impétueux impropre à toute navigation de Nicanor Para. C'est celui-ci qu'AleJandro Jodorowsky se décide à emprunter. Use et abuse du stupéfiant image cher à André Breton. Poesia sin fin est à regarder comme le passage de l'image poétique à l'image cinématographique. Ces visions qui se lèvent en vous lors de la lecture d'un poème, Jodorowsky les arrache à vos mentalisations intérieures et les met en scène devant vous. Le film aurait pu s'intituler l'exaltation aquiléenne du poète. Le torero poétique porté en triomphe par les rues de la cité tenant bien haut les couilles juteuses de l'animal sauvage dont il vient de se rendre maître. A moins qu'il ne s'agisse des siennes propres qu'il aurait, dans le tumulte du combat, arrachées par inadvertance. Jodo le vieux ne vient-il pas lui susurrer à l'oreille que si le rut échevelé et sans borne est un appel auquel le poète se doit de ne pas résister, il faut aussi se réconcilier avec les vieux démons du père castrateur au nom de l'amour fou. L'unification des contraires n'est pas un acte de tout repos. Plongez-vous dans le torrent dévastateur de Jodorowsky. Peu de chance que vous en sortiez indemnes. Attention à vos abatis. Menstruels ou bandant. Ne croyez pas vous en tirer en douce. Jodo possède toujours dans sa manche la carte du tarot qui vous manque. Se débrouille toujours pour vous refiler la plus fascinante. Celle qui est aussi la plus inquiétante. Le cinéma est une arme meurtrière. Tout dépend de celui qui la détient.


Damie Chad.