27/03/2013
KR'TNT ! ¤ 137. LUCKY GAMBLERS / OL'BRY / HOWLIN JAWS / GHOST HIGHWAY
KR'TNT ! ¤ 137
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
28 / 03 / 2013
LUCKY GAMBLERS / OL'BRY / HOWLIN'JAWS / GHOST HIGHWAY |
RIP IT UP PARTY
LUCKY GAMBLERS / OL' BRY / HOWLIN' JAWS
GHOST HIGHWAY
SAMEDI 23 MARS / TOURNAN-EN-BRIE
Pour Jacques Fatras
parce que l'on a besoin de ses photos
et surtout de lui.
Dix jours que je me traîne à la maison de canapé en canapé. Je sens de l'approbation dans les yeux de ma chienne. Elle est persuadée que son exemple m'a converti à son mode de vie. Aurais-je donc abandonné la vie trépidante du rocker toujours par monts et par vaux pour les saines délices du cocker et du sybaritisme canin ?
Les pâles de l'hélicoptère vrombissent au-dessus de moi. Mais je suis déjà beaucoup plus haut. Je frappe à la porte du paradis des rockers, Gene and Eddie viennent m'ouvrir, ils m'accueillent à bras ouverts et me filent de grandes tapes dans le dos comme s'ils ne connaissaient que moi et m'attendaient pour commencer leur prochain concert. « Restez avec nous, Monsieur Damie Chad, ne fermez pas les yeux ! »
Aux urgences, le chef du service se penche sur moi avec appréhension : « Vous êtes un cas atypique, Monsieur Damie Chad, vous êtes mort durant trente-cinq minutes et les analyses sanguines sont formelles, vous possédez du sang d'alligator dans les veines ! » Je lui explique que tous les rockers ont une arrière-grand-mère qui vivait à la Nouvelle Orléans, et qu'un jour la vaurienne a fait des galipettes pornographiques avec un grand saurien aquatique dans le bayou. Pour appuyer mes dires je lui raconte que Lovecraft s'est inspiré de l'histoire de cette ancêtre mythique pour créer le Cycle de Cthulhu, qu'il devrait d'ailleurs se dépêcher de lire afin de parfaire sa cthulthure.
Du coup l'on me garde dans le service pour vérifications diverses. Je suis le chouchou des infirmières. Les plus âgées me beurrent les biscottes le matin, et les plus jeunes me prélèvent des litres et des litres d'hémoglobine. Quand elles me quittent, leurs lèvres palpitantes rehaussées d'un éclat purpural, j'ai l'impression que je viens de tourner une nouvelle scène de Twiligth 6. Bref faute de preuves l'on relâche au bout de huit jours l'énigme de la science médicale que je suis devenu.
De retour à la maison, suis quand même à plat comme une roue de bicyclette, je me vautre le ventre sur la chouette couette de ma couchette, le sofa me suffit, mes forces m'abandonnent, je sens que je m'étiole, slowly but surely comme disait Ray Charles. Il est 15 heures 15, ce samedi 23 mars 2013, gone, gone, gone, je suis à l'agonie... Je suis seul et désespéré, comme Johnny Hallyday en 1967 sur la scène du Musicorama, je broie du noir. Je peux le prouver, je suis en train de lire L'Odyssée de la Soul de Florent Mazzoleni.
Quinze heures trente, baston ! Y'a le téléphone sonne. Mister B est au bout du fil. Je lui affirme que le monde court à sa perte, que je suis à deux doigts de la tombe, et pire que tout qu'il n'y a plus de futur pour le rockab dans le rêve français puisque sur Rockarochy ils n'annoncent même pas un seul concert sur la région pour les six semaines qui viennent. Il me détrompe d'éléphant. Les Ghost Highway passent ce soir à Tournan-en-Brie. Je sens sa voix embarrassée « Justement, je venais voir si tu te sentais en forme, mais d'après ce que tu viens de me dire, je ne crois pas que ça va être possible... »
Etrange, des ailes de papillons me poussent instantanément dans le dos. Je volette au-dessus du canapé à la vitesse de la patrouille de France sur les Champs Elysée un quatorze juillet. Voilà pourquoi, quatre heures et vingt six minutes et douze secondes plus tard la teuf-teuf mobile fonce à toute allure dans la nuit.
FORTUNELLA
Ferme du Plateau ( à fromage de brie ), facile à trouver. Vous partez au hasard sur les grandes lignes rectilignes de la plaine briarde et néanmoins betteravière, et vous vous arrêtez au premier tournant. Pas plus difficile que cela pour se rendre à Tournan-en-Brie. La teuf-teuf mobile se gare toute seule dans l'immense cour du Centre Culturel.
Sur le mur au fond à droite un super graphe multicolore : « Kill The Rock'n'roll Stars », apparemment dans le coin l'on est des adeptes du Do It Yourself, des marges et des franc-tireurs, un truc qui n'est pas pour nous déplaire. Pièce d'accueil, remplie comme un oeuf dur mayonnaise d'ornithorynque, par grappes sur de gros canapés rouges, en bande autour d'un vieux juke box d'un bleu aussi puissant que les yeux de... ( chacun mettra le prénom féminin qui ranimera son coeur ).
File à gauche. Nous attendons patiemment notre tour. Sept euros pour quatre groupes, c'est donné. Je sais que je suis joli garçon, mais tout de même la caissière exagère, elle calligraphie sur mon poignet droit une marque de passage, un magnifique F majuscule. Me prendrait-elle pour une fille ? Elle m'explique que c'est l'initiale de Fortunella l'association organisatrice. Depuis 2003, z'ont ouvert deux studios de répète pas cher, organisent des concerts, et un festival début juillet nommé La Ferme Electrique. Ma virilité retrouvée, je respire.
Des applaudissements se faisant entendre je pénètre au plus vite dans la deuxième salle. Me retrouve au premier rang devant tout le monde. Apparemment la scène est sur ma droite, moi je regardais tout droit en direction du bar. Je tourne la tête et manque de tomber en syncope. Une planche de cinquante quatre centimètres et demi de large. Même pas de quoi poser un ampli. D'ailleurs ceux qui sont dessus chantent a capella. Ce sont trois membres des Ol' Bry qui font du Doo Wop. N'y a qu'à fermer les yeux et ajouter un pour s'imaginer voir le Golden Gate Quartet. Lorsqu'ils descendent de leur strapontin je me retourne comme tout le monde vers la gauche. Ouf ! longue salle, légèrement étroite mais avec au fond une véritable scène encombrée de matos. Plus des coulisses par derrière. Des têtes connues, mais beaucoup de jeunes gens, surtout des filles plus que jolies, qui s'en viennent de Paris trouver par ici, ce qu'elles n'ont pas là-bas.
THE LUCKY GAMBLERS
Passons aux choses sérieuses. Les Lucky Gamblers – faites vos jeux, rien ne va plus – montent sur scène. Sont trois. Chacun derrière son micro et sa guitare. A notre droite, François à la basse électrique, à gauche Arnaud, au centre Alexis, tous deux munis d'une sèche électrifiée. Pas de batteur. La roots route. Arborent un look de cowboy, chemises à petits carreaux mais ils ont remplacé le stetson par le borsalino. Avec leur grande silhouette dégingandée ils évoquent davantage la modernité macadam que les antiques grandes prairies. Question montures j'ai oublié de noter les lunettes d'Arnaud à faire pâlir d'envie Buddy Holly.
En plus pour des cowboys ils sont manifestement du côté des indiens puisqu'ils commencent leur set par Apache. Choisissent la difficulté. Vous me ferez le plaisir de ne pas confondre electrificated Hank Marvin avec electrik Hank Marvin. En plus ils ont apposé, comme ma grand-mère sur les pots de confiture, un couvercle sur la rosace de leur gratte, pour éviter un son trop métallique et maigrelet et tout effet indésirable de larsen. Vous pouvez faire la fine bouche, n'empêche que Géronimo et ses guerriers galopent sans faillir et à la fin du morceau ils disparaissent dans la poussière en entraînant une cavalcade de bravos admiratifs.
Pour la suite, n'y vont pas par quatre chemins les Lucky Gamblers, on peut dire qu'ils ont mis toutes les chances de leurs côtés, ont enrôlé dans leur bande, the first desesperado, le justicier au colt le plus rapide et à la morale la plus intransigeante de tout l'Ouest. Hello, I'm Johnny Cash, pas besoin de plus ample présentation. Une de ses toutes premières créations chez Sun, Big River, juste le temps d'enseigner au saule de la rivière comment pleurer – the man in black n'a jamais été un rigolo - et les voix caverneuses des Gamblers rendent à merveille l'ambiance cashienne. Plus tard, sur Hurt, ils sauront reprendre les intonations désespérées mais sans concession d'Old Johnny qui chante encore, face à la camarde, assis au bord de sa tombe les jambes pendantes, retenant les longs sanglots qui n'ont pas fui. Belle interprétation de Folsom Prison Blues, qui frissonne le dos de l'auditoire et passe à la vitesse d'un détenu sur la chaise électrique.
Mais ne font pas que du Cash. Hotel Yorba des White Stripes qui prend aux tripes et plus discutables - selon moi – la reprise de On Nous Cache Tout de Dutronc, très bien orchestrée – comment se débrouillent-ils pour produire un si beau tintamarre avec si peu de matos – mais quelque part un peu à porte à faux avec l'esprit général du répertoire plus sombre. Question de contraste, peut-être.
N'ai vraiment tiqué que sur leur version de Rawhide qui s'est arrêtée sur celle des Blues Brothers, fallait remonter jusqu'à l'originale de Frankie Laine en 1958 qui a su la colorer d'un souffle épique de ballade romantique - que Marvin saura retrouver dans sa version d'Apache – et qui manque totalement à Steve Cropper et à ses complices. La fin, trop abrupte qui ferme si brutalement le morceau alors qu'il est un hymne aux grands espaces, est un véritable contresens à la philosophie mythique de l'univers du western.
Oui mais pour les douze autres titres, j'ai été comme le reste du public. Surpris. Conquis. Ravi. De la tête aux pieds. Envie de les revoir. Sont du coin, naviguent entre Lognes et Noisy. On les retrouvera donc. Avec plaisir. Lucky Gamblers. Impair passe, et gagnent. Le gros lot en plus. Belles voix et bons gratteux. Difficile de trouver mieux dans le genre rockabilly acoustique.
THE OL'BRY
L'air de rien Eddie tapote le micro, Rémy vérifie pour la sixième l'embouchure de son saxophone, Thierry caresse les flancs de sa double bass, Diego ( si je ne me trompe ) gratouille les cordes de sa guitare en prenant soin de couper le son, bref il y a comme un hic. Un immense vide par derrière. Le siège du batteur est aussi désertique qu'un porte-monnaie de smicard la veille de la paye. Mais le voici, qui traverse la scène en courant, porte un fagot de baguettes assez gros pour alimenter un resto chinois pendant trois mois. « Ladies and Gentlemen, the Ol' » Thierry tapote discrètement le bras d'Eddie dont la phrase de présentation reste en suspens. Le drumer s'est éclipsé dans les coulisses, l'en ressort illico avec sa caisse claire – les rires sarcastiques fusent dans la salle - qu'il se hâte de fixer sur le chevalet approprié. Se retourne vers nous et nous sourit. Surprise ce n'est pas Marcello mais Crash Boom Bang – Baptiste pour les intimes – des Howlin' Jaws qui s'y colle. Ce coup-ci sera le bon : « Ladies and Gentlemen, the Ol' Bry ! ».
The Ol' Bry, ce n'est pas tout à fait du rockabilly. Quoiqu'ils nous livreront une version de Rip It Up – vu le nom de la party, le morceau s'imposait – qui laissera tout le monde de cul. D'une propreté immaculée, d'une mise en place péremptoire. Un truc touché par la grâce dont on se souvient dix années plus tard. Les Ol' Bry, c'est du rockab, un peu avant, un peu pendant, un peu après, mais à toutes les périodes totalement décalés, un regard appuyé vers la musique noire d'une richesse infinie, le premier sein nourricier du rock'n'roll qu'un Elvis Presley ne s'est pas privé de téter goulument durant sa prime jeunesse.
Comme je me soucie des demoiselles je vais commencer par le bout de la fin, qui ne manquera pas de leur fournir quelque plaisir. The earlier sixties, pas plus haut que 1962, la saison des slows fondants. Style, My Girl. Si vous n'arrivez pas à emballer sur de telles fontaines de suavités c'est que vous êtes un véritable blaireau qui n'êtes jamais sorti de votre trou. Et encore moins pas prêt de rentrer dans celui de votre voisine. Du plaisir pur, des lingotières d'émotion, des cascades de sentiments, de la culotte mouillée par dizaines. Nous en délivreront trois ou quatre dans le genre durant le set, le velouté de la voix soul d'Eddie caresse l'auditoire dans un sens orgasmique. Le public n'est plus qu'un ramassis enchevêtré de corps qui tanguent dangereusement l'un vers l'autre. Musique des sphères célestes et lois impérieuses des attirances gravitationnelles.
Heureusement qu'ils nous assènent par la suite quelques volées de bois vert à la rock'n'roll pour nous remettre sur le bon chemin. Mais ils nous emmènent aussi ailleurs. Dans le mid tempo des arrangements surprenants et les entrelacements de rythmes qui flirtent avec le Doo- Wop et le vieux rhythm & blues des familles. Ah ! Ce sax de Rémy pas du tout aphone qui appuie partout où ça fait mal. Souligne les pointes de vitesse lorsque le morceau semble filer droit vers le mur et marque les brisures impromptues de tonitruants coups de klaxon à vous couper le souffle.
Le dernier tiers du set sera encore meilleur. Peut-être parce qu'il correspond mieux au feeling de Crash Boom Bang. Que voulez-vous un batteur de rock ça vous cloue ses tripes sur la caisse claire. Un poing c'est tout. Les nuances calypso, les soupçons de pseudos rythmiques cha-cha, les intonations sourdes du mambo, les cats ils ne pratiquent pas beaucoup. Baptiste il porte de préférence le perfecto, pas le marcel. Question de genre. Alors quand Eddie s'énerve, qu'il arrête le velouté falsetto et qu'il fonce comme un madurle dans des rocks endiablés, Crack Boum boum Hug il cogne comme un sauvage et comme Thierry n'est pas particulièrement manchot sur sa basse, ça déboule de tous les azimuts, un torrent dévastateur qui emporte tout sur son passage. La salle chavire d'excitation. Ouragan d'applaudissements ininterrompus durant les dernières minutes du show. Les Ol' Bry nous laissent brisés et lessivés. Vous savez cette impression de baisser les bras et de s'abandonner à la fatigue quand l'on a baisé comme des fous. Bref, les Ol' Bry furent brillantissimes.
HOWLIN JAWS
Plus de six mois que nous n'avions point vu les Howlin Jaws. Devrait y avoir un codicille à la Déclaration des Droits de l'Homme qui interdisent de tels manquements à l'esthétique rock'n'roll. Car voyez-vous les Howlin' Jaws c'est tout ce que l'on aime dans le rock, de tout jeunes gens aux dents aussi longues que la corne des narvals qui passent leur temps à mordre tout ce qui passe à leur portée. Souvenez-vous de leur passage à l'Olympia en première partie d'Imelda May, ils avaient foncé dans le tas à la vitesse de Moby Dick se jetant sur le navire du capitaine Achab. Nous avaient pulvérisés et coupé les jambes. C'était au joli mois de mai de l'année dernière ( voir notre quatre-vingt dix-huitième chronique ) et ils avaient remis l'abordage quinze jours plus tard au Cirque Electrique ( cf notre cent-unième livraison ), style le couteau entre les dents dans les haubans, à l'abordage pas de quartier. Une tuerie, boucher de Batignolles qui vous hache menu, menu, menu, minou, car c'est ainsi que l'on fait du bon mou pour les Cats.
Oui mais tout cela, c'était l'année dernière. Va falloir oublier, de l'histoire ancienne. Faut remettre les pendules à l'heure, et lorsqu'ils débutent il n'est pas très loin de minuit, l'instant fatidique et criminel, celui où tous les Cats sont plus noirs que leur ombre, et plus féroces que les tigres blancs de la jungle birmane altérés de sang. Ont commencé fair-play en nous laissant trois minutes de répit. Le temps pour Baptiste d'éprouver sur le rebord de sa caisse claire la solidité de ses baguettes avec l'oeil méchant du bûcheron canadien qui évalue le séquoïa qu'il s'apprête à couper en deux, le temps pour Djivan d'envoyer de grande claques sur l'autocollant Sun de sa contrebasse noire et luisante comme un capot de Cadillac la figure barrée par un sourire de carnassier à la caïman, quant à Eddie il a l'air ( mauvais ) de menacer d'une sacrée rouste sa Gretsch orange qui ne moufte pas.
One, two, three, et c'est parti. Trois maroufles sur la double-bass et Djivan entonne Walk By My Side. Tout un programme. L'on ne saute pas d'un set des Hawlin en cours de route. Accrochez-vous, vomissez par la portière, faites votre dernière prière, mais l'on n'arrête pas le convoi de la mort sûre. Ce qui saute aux oreilles dès les trois premières démesures c'est qu'en neuf mois les Jaws ont mûri. Comme une grenade qui éparpille ses grains de mitraille au plus profond de vos entrailles. Djivan ne bougonne plus son anglais comme un bouledogue furieux, l'étire et l'étripe dans tous les sens, le rend élastique et sensuel. La rage du lion qui déchire sa proie royale. Pareil pour le jeu de corde, avant il fonçait droit devant lui, maintenant il défonce par-devant et sur les côtés et il emporte le tout de l'autre côté du long fleuve tumultueux de la vie sauvage.
Je ne sais pas ce qu' Eddie a trafiqué depuis notre dernière rencontre. Suis toutefois prêt à parier qu'il ne s'est pas inscrit pour suivre un régime zen macrobiotique. Avant il jouait de la guitare. Comme tout le monde. Enfin presque, et un peu mieux. L'on sentait qu'il réfléchissait, qu'il se posait des problèmes, qu'il essayait de les résoudre avec les moyens du bord. C'était avant. Maintenant il est devenu un guitariste. Un Guitariste Rock, ce qui est beaucoup mieux que les asperges à l'eau bénite d'un Alexandre Lagoya, je vous le jure. J'espère que vous avez intuité les majuscules. Révérence oblige.
Eddie ne se barre plus vers les barrés au haut du manche, par ici la sortie. Frappe la bête au ventre. La pique méchant, technique fly-pickin', un doigt pour chaque corde et ne craignez rien pour la sixième elle n'est pas inscrite au chômage. Ce n'est plus du jeu, c'est de la science. Qui ne serait rien sans la conscience aiguë de la rage à ne pas contenir et de l'énergie électrique à transmuter en énergie atomique. Ce n'est plus du plaisir à le regarder, c'est de la jouissance à essayer de courir des yeux plus vite que ses mains tumultueuses qui sont partout à la fois.
Je ne devrais pas vous parler du résultat d'ensemble. Je vais vous rendre malade de jalousie, mais tant pis pour vous vous n'aviez qu'à y être. Ce soir les Howlin Jaws nous ont fait un remake de la guerre des étoiles. Mais en direct. Ont pulvérisé le rockabilly, l'ont traîné dans tous les coins, l'ont rendu maboul du côté psycho, l'ont ardé dans les flammes du hard, l'ont planqué dans les soubresauts du punk, l'ont étonné dans les plans stoners, lui en ont fait voir toutes les sombres couleurs de l'arc-en-enfer, et le tout sans jamais se départir des règles intangibles des péquenots originels du Sud profond.
Un Honey Don't qui a époustouflé tout le monde. Si le grand Carl Perkins avait pu voir, l'aurait été le premier surpris de cette fidélité germinative. Les Howlin Jaws repoussent les cloisons mais n'abattent pas la maison. Bâtissent directement sur les fondations. Et puis cette folie communicative sur Midnigth Train, Electric Mind, et Danger, je n'ai plus de mots pour évoquer cet anaconda électrique qui nous a enserrés dans ces anneaux de feu.
J'en oublie Baptiste derrière sa batterie. L'a pulsé et déroulé sans défaillir un tapis roulant de bombes au phosphores, Djivan y a tissé avec les fils de sa doublebass des motifs d'une netteté éblouissante tandis que sa voix découpait au laser des lyrics d'acier tranchants. N'ayons pas peur de l'affirmer, les Howlin Jaws ont remporté le troisième set à grands coups de roquettes dévastatrices.
GHOST HIGWAY
Les fantômes sont là, en chair et en os. Mettent la dernière main à leurs préparatifs. Sauf Phil qui s'amuse comme un petit fou, l'a déniché dans les coulisses tout un tas de costumes féminins avec lesquels il s'en vient parader. Un véritable défilé de mode. Entre nous soit dit, l'on ne voudrait pas le vexer, vaudrait mieux qu'il reste batteur que de s'inscrire comme mannequin chez Coco Chanel. La jupe 1950 à larges plis ne lui sied point. Depuis qu'il a accompagné Wanda Jackson au Portugal, il a parfois envie de l'imiter. Faudrait que ses compères lui soufflent que tout le monde le préfère en jeans.
Ca y est. On a réussi à remettre Phil derrière ses toms, je ne le verrai plus de toute la soirée car je suis tout devant accoudé sur les retours ( photos faisant foi ) et la silhouette d'Arno plantée au milieu de la scène me le cachera totalement. Me tordrai toutefois le cou pour le voir siffler le dernier refrain sur Country Heroes. Tout le monde l'attend au Tournan. Encore une fois – avec sa casquette bleue sur le chef - il s'en tire comme un chef à tel point que toute une partie du public soufflera avec lui. La classe !
Sont en train d'enregistrer leur nouveau disque les Ghost, aussi ce soir ils nous apportent la primeur d'un de leur nouveau morceau Female Hercules paru en 1954, une reprise des Carlisles, un groupe de jump jive, centré autour de la personnalité de Bill Carlisle, qui fit au milieu des années cinquante les joies de la programmation du Grand Ole Opry. Fouillent pas que les effets féminins dans les armoires les Ghost, revisitent avec soin tout ce qui touche de près ou de loin à l'héritage rockabilly. En donnent une version beaucoup moins sautillante que l'originale dans laquelle Mister Jull en sorcier des cordes opère l'indispensable transmutation du old country en solid rockabilly.
Arno s'amuse comme un fou. Chaque fois que Jull plaque des accords resplendissants, sa guitare sèche en main il vous prend des poses de rock star dignes d'un groupe de hardos, levant au ciel sa rythmique comme un gladiateur qui vient de trancher la tête de son ennemi. Manque absolu de sérieux. L'a mis lui aussi un cache sur sa rosace ce qui ne l'empêchera pas de casser une corde vers la fin du set. Partira en coulisse chercher sa guitare noire à la Johnny Cash.
Les Ghost ne nous délivreront que vingt malheureux petits morceaux. Une pitié, nous quitteront sur un Johnny Law d'anthologie tout en nous laissant sur notre faim. L'on est comme les enfants gâtés qui ne doutons de rien, plus c'est bon, plus il faut que ça soit long. L'on aurait bien repris une dizaine de cuillerées de ce sirop râpeux et magique. J'ai compté sur mes doigts mais Zio ne nous a régalés que d'un seul et unique solo sur sa contrebasse, certes le mieux du mieux, mais un petit deuxième nous aurait fait tellement plaisir !
De toutes les manières on les reverra bientôt ! Un concert des Ghost Highway ça ne se rate pas. Mais comment font-ils pour nous éblouir à chaque fois.
RETOUR A LA MAISON
Bonne ambiance, l'on retrouve les copains, Fred et Thierry Credaro – m'apprend que sa fille Emilie joue pas très loin de là – puis Mumu et Billy et bien d'autres. Je ne sors pas beaucoup pour discuter et tirer la clope devant les portes, déjà qu'à l'intérieur il règne une température spartiate !
Dans la teuf-teuf mobile avec Mister B l'on tire le bilan de la soirée, quatre superbes concerts, les Lucky Gamblers au goût prononcé de revenez-y et plus qu'attachants, les Ol' Bry appétissants, les Howlin Jaws aux morsures de vampire, fracassants, et les Ghost Highway toujours devant.
Deux heures du matin, je rentre à la maison en pleine forme, comme quoi le docteur Mitchell avait raison :
Je téléphone à mon confrère Schmall
Il en rigole
Il me dit qu'il y a un remède à tout
Même à une pneumonie rock
Et à une boogie woogie toux
Tiens, je vous délivre une dernière ordonnance : écoutez plutôt l'original de Huey Piano Smith avec les Clowns, vous n'aurez pas de mal avec la transcription amerloque, pour une fois les ricains avaient fait un effort :
Rockin' Pneumonia and Boogie-woogie Flu
Damie Chad.
PS : toutes les photos ont été fauchées sur les facebooks des artistes.
23:54 | Lien permanent | Commentaires (2)
20/03/2013
KR'TNT ! ¤ 136. LIPSTICK TRACES / GREIL MARCUS
KR'TNT ! ¤ 136
KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
A ROCK LIT PRODUCTION
LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
21 / 03 / 2013
PUNK / GREIL MARCUS |
A voir ! Belles photos des Atomics Cats ( et bien d'autres artistes et animaux ) sur : http://marinettecats.wix.com/marinette-chevaux * Pour les kr'tntreaders qui n'auraient pas oublié notre chronique du livre Kick out the jam, motherfuckers de Pierre Mikaïloff, les samedi 29 et dimanche 30 mars 2013 au 104, à 20h 30, à Paris, vous pouvez assister au spectacle : DERNIERES NOUVELLES DE FRAU MAJOR D'après une idée originale de Pierre Mikaïloff, coécrit et mise en scène par Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, direction musicale de Yan Péchin, images de Pierre Terrasson. Le spectacle raconte en texte, en musique et en image, la rencontre de l'héroïne, Frau Major, avec le chanteur célèbre : sa résistible ascension, son succès tardif, ses maux, ses paroliers, les grands moments de sa carrière, les petits riens du quotidien... Sur scène, trois personnages accompagnés en live par le dernier groupe d'Alain Bashung nous plongent dans l’intimité de l’artiste, sur fond de projections du photographe PierreTerrasson. Avec la participation exceptionnelle de Brigitte Fontaine, Chloé Mons, Kent, Miossec et d’autres invités surprises. http://www.104.fr/programmation/evenement.html?evenement=207
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GREIL MARCUS
LIPSTICK TRACES
UNE HISTOIRE SECRETE
DU VINGTIEME SIECLE
( Folio Actuel / 2000 )
Traces de rouge à lèvres. Il faut toujours chercher le bâton pour se faire battre. Les kr'tntreaders qui ont dû flair sont prêts à parier que l'on va une fois de plus parler de mes Poupées ( chéries ) de New York. Bingo, tombés juste. A côté. Décalez-vous d'un cran. Plutôt des Pistolets du Sexe. Enfin presque : deux cents pages sur les Pistols mais trois cent cinquante feuillets ( écrits très souvent en minuscules lettres ) sur le reste.
Qui n'est pas rien. J'aurais dû être plus gentil et commencer par le premier bouquin de Greil Marcus, Mystery Train sur Elvis. Enfin presque : parce que là aussi il ne parle pas que de notre rockabilly pelvis chéri. Ou plutôt l'est en plein dans son topo, mais l'essence du rock'n'roll est-elle vraiment la musique ? Question typiquement platonicienne. Sans quoi l'interrogation fondamentale resterait entachée de doute et hors de propos. Autant l'annoncer dès cette introduction, Lipstick Traces n'est pas un livre facile. La preuve c'est qu'aucun français ne s'est proposé pour l'écrire. Pourtant avec nos professeurs d'universités patentés et cette culture nationale que tout le monde nous envie... Mais non, l'a fallu que ce ce soit un amerloque qui s'y colle. Un vrai de vrai, natif - en 1945 - de San Francisco. Alors que la moitié des évènements rapportés se déroulent en notre douce France. Depuis le temps que l'on s'escrime à vous dire que le rock français possède ses lettres de noblesse !
L'est sûr qu'il faut fouiller un peu plus profond que la formation des Chaussettes Noires. En plus, crime des crimes, Greil Marcus ne cite qu'une fois Boris Vian par inadvertance occasionnelle, pour spécifier que la fête commence une fois que l'amuseur public s'est tiré avec son orchestre de jazz foireux. L'on comprend pourquoi cette oeuvre majeure de réflexion sur le rock'n'roll n'ait été reçue en France qu'avec les pincettes de la plus grande retenue intellectuelle. L'on n'allait tout de même pas laisser un ricain inconnu nous repeindre l'histoire de l'underground européen à grands coups de baveuses éraflures échappées d'un tube à rouge à lèvres, tout ça pour l'amalgamer avec cette sous-musique électrique issue des plus sombres mélanges...
ESCROCKERIE
Commence par le commencement. Anarchy in the UK des Sex Pistols. Steve Jones, Glenn Matlock, Paul Cook, n'en parle presque pas. Seul Johnny Lydon, Johnny Rotten, Johnny le Pourri trouve grâce à ses yeux. Ou plutôt, c'est Johnny qui apporte la grâce, l'esprit saint qui tombe sur le cerveau dévasté du rocker de base assoiffé de certitude rock. I'm an anarquist, I'm the antechrist, la façon de de le dire, de vous le cracher à la gueule, de vous le balancer comme une tornade destructrice qui viendrait jusqu'en votre intérieur oraculaire vous arracher la langue et les dents, pour que vous ne puissiez plus jamais prononcer un seul mot de plus. Car lorsque l'Antechrist est là, il est trop tard. Même si vous l'attendiez depuis longtemps. La divine surprise en quelque sorte.
Ne ramenez pas votre culture rock, ne citez ni le gospel originel ni le pacte avec le diable de Robert Johnson, Johnny Lydon n'est pas un rocker dans l'âme, n'a jamais pu sortir en entier le Johnny B. Goode de Chuck Berry sans en chanter la deuxième moitié du premier couplet en yaourt, et question préhistoire il s'arrête très vite à l'hymne adolescent d'Alice Cooper I'm Eighteen qu'il massacre si irrémédiablement que les trois autres refuseraient de le prendre comme lead singer si McLaren, le manager qui avance le fric et le local de répète ne l'imposait pas de force.
McLaren, un petit épicier qui veut réussir. Tient une boutique de fringue. Tendance Teddy. Surtout sa femme. C'est elle qui se chargera bientôt de l'aspect créatif. Lui il observe la clientèle. Est en attente d'il ne sait pas trop quoi. Mais il comprend qu'il lui manque encore le savoir-faire américain pour s'attaquer à la grande distribution. Plaque son band bidon en formation pour filer sur New York. Tombe sur la fin de course de la comète des Dolls en chute libre. Les Dolls qui ont eu l'idée pharamineuse de monter un groupe de rock parce qu'ils logeaient en face d'un magasin de... fringues. Villiers de l'Isle Adam appellerait cela un intersigne. Moins rêveur, mais beaucoup plus pragmatique McLaren cherche les leçons de l'échec des Dolls.
En tire des conclusions hallucinantes. Les Dolls étaient trop bons. Se sont fait rouler dans la farine. Des gus qui se sapent en filles, rien à redire, mais des musicos qui déclarent qu'ils sont les nouveaux Rolling Stones, et qui sont assez doués pour que personne ne se permette de rire de leurs prétentions, faut arrêter la folie avant que ça ne devienne sérieux. Imaginez que les Dolls aient réussi. Quoi de neuf sous le soleil ? Deux groupes aussi solides que les Stones sur le marché. Et après ? Très bien pour les majors, les royalties, la frime et le rock'n'rolll circus...
C'est-là que McLaren se montre génial. Une prunelle ardente sur le tiroir-caisse à coup sûr. Saura presser le citron jusqu'à la dernière goutte de jus. Mais un oeil attentif sur son époque. Nous sommes en 1975, inutile de refaire 1956 Elvis et ses rouflaquettes, une croix aussi sur 1965 Liverpool et le British Boom, le rock n'est plus une nouveauté. Maintenant il fait partie des meubles. Faut faire avec. D'ailleurs un bon coup de balai, ça n'a jamais fait de mal à personne.
Avec ces deux crétins de Johnny Rotten et de Sid Vicious qui traînent dans le magasin McLaren entrevoit une solution à sa problématique. La musique n'est que la partie visible de l'iceberg rock'n'roll. Les neuf dixièmes du prédateur à Titanics sont constitués de matières beaucoup plus évanescentes – difficiles à manier et aussi instables que la nitroglycérine – mais ô combien explosives ! Tout réside dans l'attitude !
Suffit de peu pour surprendre l'ennemi. Je déchire mon T-shirt, j'écris I hate Pink Floyd, je dis fuck à la TV, je vomis sur les grands-mères dans la salle d'attente, j'insulte la reine, joyeuses et multiples facéties qui emplissent les porte-feuilles et vous rendent célèbres du jour au lendemain. Evidemment la pression est énorme, mais l'on s'amuse comme des fous. Au bout de deux années c'est terminé. Reste The Great Rock'n'roll Swindle, un film pédagogique pour l'instruction des générations suivantes, et l'overdose finale de Sid Vicious pour clôturer le roman. C'est que le rock'n'roll n'est pas un dîner de gala et de Brian Jones à Nancy Spungen, les cadavres encombrent les placards.
METAPHYSIQUE PUNK
L'histoire des Sex brossée à grands coups de pistolets. Faut maintenant regarder d'un peu plus près. Derrière les apparences. Greil Marcus n'est pas dupe de la cavalcade. Se focalise sur les Pistols mais admet une cinquantaine groupes plus ou moins connus, des Clash aux Cortinas par exemple, qui ont participé aux grandes manoeuvres punkoïdes et qui ont eux aussi créé quelques hymnes ravageurs d'une perfection absolue. Mais il ne suffit pas de dresser l'inventaire minutieux de ses composants pour décrire un phénomène. Encore faut-il en extraire la signifiance.
There is no future in english dreams. L'on a moultement glosé sur la formule. Comme toujours dans ces cas de précipitation extrême l'on a raté le mot le plus important. Pas le futur – toujours hypothétique donc du domaine incertain du possible, mais no. No, non, not, rien, nada. Nihilisme à tous les étages. Le punk ne croit en rien. Ni en Dieu, ni en l'Homme, ni la Société, ni en les Institutions. Mais attention, le punk n'a pas plus d'espoir en le futur de l'anarchie que dans les lendemains qui déchantent de la royauté.
Avec une nuance de taille. Le Nihilisme est un gros mot. Une philosophie à majuscule que vous pourriez ranger sur l'étagère entre Christianisme et Stoïcisme. Ne confondez pas la théorisation de la négation avec l'acte négatif lui-même. La première n'est que l'assemblage spéculatif de vieilles idées liées ensemble pour fournir une explication plausible du refus de toute acceptation. Le refus souverain, gratuit, sans cause et sans but de dire non pour le plaisir et le déplaisir de dire non. Certains positiveront la problématique en affirmant que l'acte du non est l'expression de la liberté humaine. Le punk se moque de la liberté. Car la liberté redistribue les cartes et vous propose une nouvelle donne. Libre de quoi ? De ceci ou de cela : la belle affaire ! Soit vous rentrez dans le rang en choisissant ceci plutôt que cela, soit vous ne choisissez rien, ce qui vous conduit à comprendre que la liberté ne vous permet que de rester libre, ce qui ne vous avance à rien. Ou à pas grand-chose si vous êtes un incorrigible optimiste. Le serpent à deux queues se mord toujours la queue. Et peut-être même a-t-il deux gueules pour embrasser tous les possibles.
L'on est loin des oripeaux punk montés en épingle à nourrices par une presse avide de scandale et de gros sous. Sous les crêtes multicolores, les colliers à chiens, les blousons cloutés, les crachats gluants et les pogos caracolants, se cache une révolte totale bien plus profonde que les déguisements carnavalesques et le grotesque des attitudes pourraient le laisser augurer. Les sociologues ne manqueront pas de rappeler que le carnaval a longtemps fonctionné dans les sociétés médiévales occidentales comme des soupapes de sécurité et de substitution destinées à détourner les populaires énergies protestataires de toute explosion sociale et révolutionnaire.
Comment les punks qui dans leur immense majorités étaient recrutés dans les bataillons d'une jeunesse dé-scolarisée, acculturée, déboussolée, promise à un chômage de masse, ont-ils pu renouer avec un tel refus catégorique et aussi métaphysique que splendide ? C'est à cette réponse que s'attelle Greil Marcus dans son livre.
LE RETOUR DES FANTÔMES
Deuxième partie de l'enquête : l'on quitte Londres et ses punks pour un petit tour over the Channel tout en reculant dans le temps. Le punk n'est pas surgi du néant. Ce qui aurait été parfait pour un mouvement qui se revendique de l'inanité de toutes choses. Avant le punk 1976, il y eut Dada 1916. Pas vraiment le post-Dada littéraire à la Tristan Tzara qui engendrera par réaction le surréalisme qui n'est qu'un retour aux vieilles lunes poétiques des culturelles traditions oecuméniques européennes. Mais le Dada originel du Cabaret Voltaire fomenté par une poignée d'activistes en rupture de sens dans la bonne ville de Zurich.
Hugo Ball, Marcel Janco, Emmy Hennings, Richard Huelsenbeck, Johannes Baader, par leurs cris, leurs chants, leurs insultes, leurs provocations, leur goût délibéré du non-sense, parviennent à créer une espèce de coup d'état littéraire dans les milieux artistiques de toute l'Europe alors en pleines ébullitions. Ne revendiquent rien, se contentent de jeter aux orties tout ce qui a précédé. Remarquent que toute la culture européenne bâtie sur une tradition deux fois millénaires s'est achevée très logiquement sur les champs de batailles ô combien stupidement meurtriers de la première guerre mondiale. Démonstration imparable. Avec son rejet total de tout ce qui a précédé, Dada est d'après Greil Marcus, l'un des ancêtres du Punk.
Suivent les destins particuliers de chacun de ces protagonistes de la première révolution artistique du vingtième siècle. La plupart se rangeront des voitures dans les années qui suivent, avec jusqu'à un retour dans les bras du christianisme... même si tous restent persuadés d'avoir participé à un moment signifiant de l'histoire du monde. Profonde contradiction : le refus proclamé du sens prend aussi tout son sens dans la suite historiale et chronologique des évènements...
Le christianisme ne pousse pas son oreille par hasard. Greil Marcus ne s'y attarde guère : son livre nous révèle avant tout « l'histoire secrète du vingtième siècle » mais à plusieurs fois il se sent obligé de traquer les racines ( du mal et du bien ) très profondément, en avant, et il n'hésite pas à voir dans le ras-le-bol généralisé de Dada une résurgence de mouvements beaucoup plus anciens comme les lollards britaniques ou les anabaptistes germaniques.
Les Lollards furent à la fin du quatorzième siècle les initiateurs d'une lecture radicale de la Bible. Si le Seigneur m'a créé à son image, je ne saurais être que parfait, tout comme mes actions qu'elles soient bonnes ou pécheresses... En d'autres termes, tout est possible, tout est permis... Essayez d'entrevoir par vous-mêmes les multiples chemins qui s'ouvrent à vous en partant de tels préliminaires. Les Lollards ne furent pas tous des paillards jusqu'au-boutistes. Généralement on les présente comme des proto-réformés quelque peu en avance sur leur temps. Mais les mauvais esprits ne manquent pas de voir en leurs groupes les plus extrémistes la renaissance des vieilles sectes gnostiques qui accompagnèrent l'éclosion du christianisme dans l'Antiquité.
Les gnostiques furent un courant souterrain que l'Eglise essaya longuement de combattre. Leur idéologie était complexe, un-tiers de christianisme, un tiers de magie, un tiers de Dionysisme, un tiers de platonisme, un tiers de néo-platonisme, un tiers de paganisme, un tiers de dualisme, bref un mélange explosif des plus réjouissifs. N'avaient pas encore inventé le rock'n'roll mais questions drugs and sex, ils étaient plus que branchés. Pratiquaient plus facilement la communauté des seins que la communion des saints et se livraient à de rituelles orgies de spermes et de foutres des plus alléchantes durant leurs messes sacrificatrices...
Quittons avec regret ces célestes visions pour nous pencher sur le cas Greil Marcus. Son écriture participe-t-elle d'une lecture gnostique de l'histoire du rock'n'roll ? En d'autres mots, le rappel de ces mouvements sectaires séculaires doit-il être envisagé comme le signe d'une érudition pointilleuse qui traque de manière exhaustive toutes les traces généalogiques qui pourraient être en rapport avec l'éclosion punk ? Greil Marcus serait-il une espèce d'universitaire défroqué qui se serait entiché de sujets mineurs et marginaux comme les origines du rock'n'roll ?
Ou bien, et nous sommes là sur une pente glissante, beaucoup plus inquiétante, Greil Marcus pose-t-il comme préalable à son étude l'existence de forces occultes en action dans notre monde ? A plusieurs reprises il fait allusion sans s'y étendre à la notion d'archétypes. Non pas des idées générales ou des comportements reproductifs dont on pourrait vérifier le retour régulier le long de l'histoire humaine, mais à des points objectifs d'ancrages fixes, comme des quasars pulsatifs terrestres, qui rayonneraient d'une énergie agissante. Comme dans toute pratique magique, soit vous êtes manipulés à votre insu par ces forces noires, soit vous tentez de vous en rendre, sinon maître, du moins utilisateur.
PLUS PRES DE TOI, MON DIEU
Nous laissons pour le moment la question sans réponse. Petit saut dans l'actualité et salut aux Pussy Riot condamnées à deux ans de camp de travail en la Sainte Russie Eternelle de Poutine pour avoir dansé une joyeuse gigue post-punk dans la Cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou. Cette blasphématoire intervention se passait en l'an de grâce 2012 mais cocorico, en France nous avons fait aussi bien, et ce dès 1950 quand un certain Michel Mourre déguisé en moine invective les fidèles de Notre-Dame de Paris en rappelant aux ouailles abasourdies que Dieu est mort.
Gros scandale à l'époque. Michel Mourre n'est qu'une brebis perdue de la chrétienté franchouillarde, fera très vite amende honorable et finira sa vie... en historien de la très Sainte Eglise Catholique. Comme quoi les voies du seigneur sont impénétrables ! En tout cas pas de quoi fêter la chatte d'une seule de ces Femen qui manifestèrent les seins à l'air dans cette même Notre-Dame de Paris leur ravissement à l'annonce de la démission de Benoit 16, ce mois de février 2013...
Mais Greil Marcus est à l'affût du moindre signe. Dans ses errances et dérives idéologiques de l'après-guerre – Michel Mourre - que l'on pourrait définir comme un jeune révolté d'extrême-droite post-fasciste qui arrive sur le devant de la scène après la défaite – a été en relation, pas du tout étroite, avec quelques membres de la nébuleuse lettriste d'Isidore Isou.
L'ESPRIT ET LA LETTRE
Je conçois que le lecteur éprouve quelque stupeur. Du Punk à Dada le saut peut paraître étonnant, mais que l'on se rappelle les origines du premier punk arty américain regroupé autour de personnages comme Tom Verlaine et la poétesse Patti Smith connue pour sa légendaire dévotion envers Arthur Rimbaud. Nous sommes assez éloigné de l'idéologie un peu fruste des Ramones, mais ces deux tendances ont cohabité sans trop de mal dans l'underground new-yorkais sans que quiconque n'y trouve à redire.
Mais avec l'inénarrable Isidore Isou, Greil Marcus nos entraîne sur des sentes peu fréquentées. L'est sûr qu'Isou est aujourd'hui assourdi par l'imprévisible succès d'un de ses disciples, Guy Debord, qui le quitta très vite pour fonder dès 1952 l'Internationale Lettriste et courant 1957 le mouvement qui devait le rendre célèbre : l'Internationale Situationniste.
Difficile de résumer l'oeuvre d'Isidore Isou en quelques lignes. D'abord parce que la mouvance surréaliste s'est évertuée depuis un demi-siècle à rejeter dans l'ombre son travail de théoricien littéraire en totale rupture avec les prolégomènes d'André Breton. C'est que la pensée d'Isidore Isou est bien plus extrémiste et révolutionnaire que celle du vieux barde momifié du Surréalisme. A des esprits épris de logique aristotélicienne elle peut facilement apparaître par son jusqu'au-boutisme intellectuel comme un condensé survitaminé et farcesque de la négativité dadaïste, mais il n'en est rien, elle s'apparenterait plutôt à une polymathie hégélienne promouvant un système de pensée dés-ontologique mais tenant compte de toute l'amplitude de la réalité du monde.
Mais Marx ayant – vulgate autorisée - remis la théorisation hégélienne sur ses pieds en promouvant le règne de la praxis militante, Isidore Isou ne perdra jamais l'occasion de promouvoir sa propre pensée par des actes de grande efficience publicitaire. Le groupe lettriste sera vite connu par ses interventions bruyantes et intempestives dans le landernau de l'édition parisienne. Prises de paroles impromptues lors de soirées littéraires diverses, manifestations tapageuses au festival de Cannes car le lettrisme entend bien retirer la substantifique moelle du sens de tout projet culturel afin de n'en conserver que l'os squelettique de sa signification extrême... De fait mouvement littéraire d'avant-garde le lettrisme – sachez goûter le jeu de mot - ramone dur.
Toute une partie du noise rock'n'roll post punk actuel doit autant aux premières explorations de la poésie sonore lettriste qu'aux expérimentations bruitistes du futurisme italien. Pour la suite de notre exposé nous ne retiendrons que deux idées force du lettrisme : l'importance donné au concept de jeunesse qui se doit de rechercher sa plus grande inscription possible dans le monde et la condamnation sans appel de toute primauté hiérarchique sociale. Anarchy in the world !
L'INTERNATIONALE SITUATIONISTE
De l'oeuf lettriste sortit la poule situationniste. Le situationisme n'aurait pu voir le jour en ces pays du Sud qu'à l'époque il était politiquement correct de traiter sans ambivalence de sous-développés. C'est une doctrine fille des trente glorieuses. Guy Debord et la quarantaine d'artistes et d'intellectuels qui vont se rallier à sa pensée partent d'une constatation très simple : la société capitaliste occidentale d'après-guerre assure la pitance à ses administrés. L'on ne crève plus de faim, mais qu'est-ce que l'on s'emmerde !
Le capitalisme assure le vivre, le couvert et le travail, mais en contre-partie vous devez vous soumettre à une discipline pénible :métro, boulot, dodo. Toutefois tout est prévu pour que vous soyez dupe de votre esclavage. Lorsqu'il rentre chez lui après une dure journée de labeur le travailleur accède au plus grand des divertissements : tous les objets que lui et ses semblables viennent de produire deviennent sujets de désir, il suffit de les mettre en évidence dans les vitrines de vos envies pour qu'ils deviennent un spectacle extraordinaire dont on ne se lasse jamais.
C'est exactement le vieux concept de fétichisation de la marchandise repris à Karl Marx et remis au goût de ces jours qui se précipitent vers la boîte aux mirages de la télévision. Mais Debord se sépare de Marx en le sens où il n'est pas pour une révolution d'accumulation progressive et pacifique de forces pour un futur grand soir léniniste. Serait plutôt pour un grand décalage, une perversion totale des habitudes de vie, suffit de se laisser dériver, de ne plus maître les pas dans les sentiers de l'habitude, de suborner l'ordre établi par la mise en train de ses propres désirs.
Premier mot d'ordre, d'une simplicité et d'un impératif absolus. Ne travaillez jamais ! Nous sommes à la fin des années cinquante et Greil Marcus évoque ces intellectuels situationnistes en rupture de sociétés qui courent les cafés, les vols à la sauvette, les petits boulots et les récups à la mord-moi le noeud. C'est en ces temps d'attente et de nébulisations théoriques qu'ils entrent en contact avec ces groupes de bohème parisienne que l'auteur appelle les Edwardiens, comprenons des espèces de zazous moins french teddies qu'existentialistes en mal d'expériences vécues plus signifiantes que philosophiques. Croisent aussi sur leur route les premières bandes de blouson noirs alors en formation. La conjonction a bien lieu, mais cette toute nouvelle jeunesse en révolte ne trouvera pas dans les dérives théoriques situationnistes de ces aînés une nourriture assez roborative et expéditive.
SOIXANTE HUIT CHANDELLES
Les situationnistes seraient aujourd'hui bien oubliés si l'Histoire n'était venue leur donner un fastueux coup de main. Un beau matin de Mai 68, le ras-le-bol étudiant qui agite les universités depuis plusieurs mois se communique à l'ensemble du pays. En quelques semaines l'étincelle des Enragés de Nanterre a mis le feu à toute la plaine. La France s'arrête de travailler et Paris devient une marmite en ébullition. Tous les possibles sont ouverts. Les ratiocinations situationnistes s'incarnent dans le quotidien bouleversé et éclaté d'une nation jusqu'à lors réputée pour son cartésianisme pointilleux.
La fête ne durera que quelques semaines. Même si le feu couvera longtemps sous la cendre. Tout rentrera dans l'ordre et l'ennui chloroformera une nouvelle fois les sociétés occidentales. Ad nauseam. L'Internationale Situationniste sera une des premières à tirer les leçons de l'échec de Mai 68 : elle s'auto-dissoudra dès 1972... Circulez il n'y a plus rien à voir.
PUNK A LA LIGNE
Pour dire les choses telles qu'elles se sont passées en France, l'élection de Valéry Giscard d'Estaing au printemps 1974 tournera la page de la période gauchiste qui suivit ce que l'on n'appelait plus très pudiquement que les évènements de 68. C'est qu'entre temps il était arrivé un sacré nouvel os à ronger. Non pas un gros moelleux entouré de gras à gogo, mais un squelettique, un sec, un pointu, que vous aviez avalé sans y prendre garde et qui vous avait percé la paroi intestinale et qui menaçait l'ensemble de vos fonctions vitales.
C'était la Crise, du pétrole d'abord et qui perdure sous différents noms – de la bulle immobilière, financière, des sub-primes, etc... - jusqu'à aujourd'hui et que le Capitalisme a inventée tout exprès pour que vous n'ayez plus jamais d'idées anti-systémiques qui vous trotteraient par hasard dans vos cervelles malades... Il est bien connu que la meilleure défense c'est encore l'attaque.
Le punk a bien été perçu de par chez nous comme un mouvement de révolte, mais défensif et désespéré. Un ultime doigt d'honneur de la mouche posée sur le gâteau qui ne lui était pas destiné, avant d'être écrasée par le marteau qui s'abat sur elle. A mourir, autant crever en laideur qu'en beauté. Manière comme une autre de renvoyer son image peu ragoûtante à l'ennemi qui vous terrasse.
LIPSTICK TRACES
Mais comme tout américain qui se respecte, Greil Marcus est un incorrigible optimiste. Si Mai 68 s'apparente pour nous petits frenchies mangeurs de grenouilles et grands avaleurs de couleuvres à une défaite cuisante, voire à un désastre dont on est encore loin de s'être relevés, notre auteur, depuis l'autre rive du Pacifique entrevoit le phénomène d'une manière beaucoup plus plaisante.
Punk, dadaïsme, lettrisme, situationnisme sont l'expression de grands moments de déflagrations brutes qui parsèment l'Histoire. Certes si à chaque fois le récit de ces hauts-faits se termine en queue de poisson l'on ne nage pas pour autant en eaux troubles. Ces moments phares du vingtième siècle sont à relier avec une tradition gnostique beaucoup plus ancienne.
En Amerloque bien éduqué Greil Marcus répugne à la lutte des classes. Préfère parler, en accord avec le vieux fond puritain de son pays, de deux principes – le mal et le bien - qui se combattent. Eternellement. L'un peut prendre le dessus mais jamais sempiternellement. Ce qui est très sympathique chez Greil Marcus, c'est qu'il prend parti pour les enfants perdus du Système. Ceux que l'on désigne d'habitude comme des suppôts de Satan destructeurs il les transforme en héros valeureux. A une autre époque il aurait été traité de caïnite, on l'aurait accusé de se laver les mains du sang d'Abel et du Christ sur le savon du diable. Les moeurs ont changé et on ne l'a pas pendu au premier gibet qui se serait présenté.
Reste que personne n'échappe à son destin. Sinon les faibles. Qui sont légion. Mais l'Individu peut accéder à un autre statut. Une autre stature. Greil Marcus n'en parle point. Se contente d'évoquer à mots couleur d'ombre. Ne prononce par exemple jamais le nom de Jim Morrison.
« I'm the King Lezard. I can do anything. »
Proclamait-il. A mettre en relation avec ces points d'incandescence, ces traces rouges, d'extrême coagulation pratiquement reptilienne relevés sur les cadavres d'Elvis Presley et de Sid Vicious. Mais ceci est une autre histoire. Qui risque de vous entraîner trop loin de vos certitudes les plus flagrantes.
Une autre histoire du rock'n'roll, dont Greil Marcus soulève le coin du voile. Pour vous. Mais personne ne vous oblige à y regarder de plus près.
Damie Chad.
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14/03/2013
KR'TNT ! ¤ 135. ROLLING STONES / TONY SANCHEZ
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KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME
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LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM
14 / 03 / 2013
ROLLING STONES / TONY SANCHEZ / ROBERT GREENFIELD |
SAGA STONES
J'ETAIS LE DEALER DES
ROLLING STONES
TONY SANCHEZ
Traduction de BENJAMIN MALLAIS
( EDITIONS LE MOT ET LE RESTE / Septembre 2012 )
N'ont pas hésité sur le titre chez Le Mot et le Reste – me demande ce que Benjamin Mallais spécialiste de la poésie irlandaise a dû en penser – mais traduire Up and Down with the Rolling Stones par J'étais le Dealer des Rolling Stones, c'est ce que l'on appelle un saut qualicatif ! Loi du commerce numéro 1 : toujours éveiller la curiosité malsaine du futur consommateur.
Tony Sanchez fils d'un riche propriétaire de restaurant a eu de la chance. Faisait partie de cette jeunesse dorée – pas des plus riches, mais rien à voir avec la piétaille de base – qui a formé les premiers bataillons du Swinging London au début des années soixante. Fréquentait les clubs et les boîtes huppés de cette micro-société gentry-rock qui mêlait vedettes es rock'n'roll et blousons dorés. Ce qui lui a permis de côtoyer de fort près les Rolling Stones.
L'a écrit son bouquin de souvenirs dès qu'il a commencé en 1979 à mettre les bouts se tirer de l'oeil de l'ouragan. Le livre est paru en 1980 et est vite devenu un classique de la littérature stonienne. Il aura fallu plus de trente ans pour qu'il soit accessible de par chez nous au public non-anglophone. C'est dommage car il forme un contre-point parfait au Life de Keith Richards ( voir KR'TNT N° 43 du 09 / 03 / 11 ) et il est instructif et amusant de confronter les points de vue.
SPANISH TONY
Faut pas non plus nous prendre pour des gobe-mouches. Faut en avaler et en recracher. Généralement dans ce genre de littérature l'on se dépeint sous son meilleur jour. Ce qui n'interdit pas de noircir les copains. Si l'on conte les règles des copines on leur règle aussi leurs comptes. Le lecteur se doit de marcher sur les oeufs de la prudence, mais qu'il n'oublie pas non plus d'en casser quelques uns et de se goinfrer d'omelettes baveuses.
Contrairement à ce qu'affirme le titre français – peut pas rouspéter, a cassé sa pipe en l'an 2000, Tony Sanchez nous avertit toutes les cinq ou six pages qu'il n'est pas un dealer. Leur procure simplement en toute amitié de la dope lorsqu'ils en ont besoin. Sachez faire la différence ! Se rancarde chez ses petits fournisseurs pour dépanner les copains. Pour un peu on lui décernerait le prix de la première nounou anglaise. Le mériterait car il se décarcasse : les Stones sont en manque tous les jours. Un travail astreignant. A plein temps. Tellement prenant que Keith finira par l'embaucher pour 150 livres par mois. Mais commençons par le commencement.
LE PREMIER CERCLE
Parviendra au centre décisionnel de la machine Stones en s'agrippant au premier de ses membres qui est en train de prendre la tangente et la sortie de secours. Celle qui débouche sur les grilles du cimetière. Brian Jones. Mais tout d'abord une petite précision qui a son importance. Pour Tony Sanchez la figure géométrique des Stones ce n'est pas le pentacle luciférien formé par cinq musiciens soudés comme les doigts de la main mais le triangle des Bermudes en perdition infinie Jagger-Keith-Jones. Les deux autres ne comptent pas. Faisons tout de suite une croix sur Ian Stewart qui a accepté d'oeuvrer dans l'ombre dès les premiers mois, et Mick Taylor qui ne fut qu'un passager. Ni clandestin, ni invité de marque.
Jones-Keith-Jagger. N'importe comment que vous le donnerez, le tiercé sera toujours dans le désordre. Spanish Sanchez a tout compris des Stones. N'est pas un musicologue averti. Ne décortique pas les morceaux un par un. Cite à peine quelque fois Charlie Watts. Aucun intérêt le Charlie. Le beat oui, la bite non. Reste stupidement fidèle à sa femme. Bill Wymann n'apparaît que dans les toutes dernières pages. Durant des années s'est contenté de sauter sur toutes les donzelles qui passaient à sa portée. Et il en a gravité un max autour des Rolling. Mais faisaient ses petites affaires sans drame ni comédie. Tu veux, tu veux pas, dépêche-toi il y en a toute une file qui attendent dans l'escalier. Un stakhanoviste du sexe. Pas dans la même catégorie que les étalons fous fougueux que sont Jagger et Jones. Ce n'est que lorsque Wyman a scandalisé la presse people sur ses vieux jours en tombant amoureux d'une sweet little sixteen baby doll que Sanchez daigne lui accorder cinq pages d'affilée.
C'est Brian qui forme les Stones. Pour jouer du blues. De la musique de nègres. Que même les noirs commencent à délaisser aux USA. Fallait oser dans la prude Albion. Convertit même Jagger et Richard qui seraient plutôt tendance Chuck Berry. Mais les deux acolytes pigent vite que ce qui met Jones à part, un grand cran au-dessus d'eux, ce n'est ni sa connaissance encyclopédique du blues, ni sa virtuosité instrumentale. Non, ce n'est pas la musique qui fait toute la différence. C'est sa manière d'être. L'arrogance..
Imbuvable le Jones. Ne croit qu'en lui. Vous écrase de sa supériorité. Vous fait tout de suite comprendre que lui il est Lui, et vous une inoffensive crotte de chien abandonnée au coin de la rue. Une belle merde si vous préférez adopter une positive attitude. La leçon, va pas falloir la leur répéter souvent à nos deux cadors. Vont vite l'adopter. D'abord parce que à l'évidence ça n'a pas l'air de déplaire aux jolies femmes que Brian cueille et accueille à sa guise dans sa couche, et ensuite parce que Jagger y retrouve très vite des relents familiaux de cette morgue petite-bourgeoise toujours prête à péter plus haut que son cul, et Keith cette fierté prolétarienne originelle qui n'entend se laisser marcher sur les pieds par quiconque.
Se définissent comme un orchestre de rhythm'n'blues mais ils ont déjà cette prétention rock'n'roll, ôte-toi de là que je m'y mette en laquelle toute la jeunesse de Londres se retrouvera. Piétineront longtemps sur place sans que personne ne les remarque mais dès que la machine sera lancée ce sera une marche en avant exponentielle. En quelques mois leurs premiers disques trouvent preneurs dans toute l'Europe. Le turbo s'emballe et rien ne pourra l'arrêter. Lorsque la mayonnaise a commencé à monter pour Elvis, le rejeton de Tupelo s'est réfugié dans les bras de Parker. Ce n'était pas la trompette du septième de cavalerie qui venait le sauver, juste un colonel qui limita les dégâts. Pour un premier temps.
La grande force de Presley ce fut d'être seul. Les Stones étaient trois. Ils ne s'entredéchirèrent pas, ce qui aurait peut-être été mieux, mais ils mirent en place un processus d'auto-destruction et d'élimination-lente qui devint le principal moteur de leur marche en avant. En apparence ça ronronnait. A l'intérieur l'incendie couvait. Trop vite pour que l'on puisse se tenir les coudes. L'angoisse du top niveau s'insinua en eux. La corde raide du succès ne casserait-elle pas un jour. Au prochain enregistrement ? Au concert suivant ? Qui s'en sortirait ? Dans le noyau central, l'on assista à d'étranges manoeuvres. Keith se rapprocha de Jones. Musiciens contre chanteur, trop envahissant, trop devant. Puis Mick de Keith. Le chanteur avec le guitariste, les deux figures de proue du rock'n'roll.
Mais ces glissements de plaques tectoniques ne recouvraient pas que des enjeux musicaux. Le cheval de Troie était au coeur de la citadelle. La jument des Trois menait la danse. La belle Anita Pallenberg glissa du lit de Brian à celui de Keith. Jagger s'en moquait un peu. Possédait sa propre pouliche Marianne Faithfulll. Ce n'est que plus tard, après la disparition de Brian qu'il ira jouer l'étalon auprès d'Anita... Certains y voient le début de la dérive des continents Jagger-Richards aujourd'hui séparés de mille lieues.
Celui qui craqua le premier fut celui qui semblait le plus fort. Ejecté des Stones, Brian Jones ne survécut pas longtemps à cette mise en rancart. L'avait remplacé la blonde Anita par la dope... C'est en ses deux dernières années que Tony Sanchez devint son pourvoyeur occasionnel, sinon attitré du moins amical, et qu'il s'inséra au coeur de l'édifice des pierres précieuses. Qui sont les plus dures.
STONES KAOS
Avec les Stones souffle un vent de liberté et de colère. Mais le vieux monde n'a aucune envie de mourir. Non seulement il résiste, mais il contre-attaque. Avec leurs cheveux crasseux et leurs accoutrements voyants les Rolling Stones deviennent les cibles symboliques de l'establishment médiatique et politique qui s'inquiète de sa jeunesse qui semble humer avec une délectation de plus en plus exaltée ce fumet de révolte qui monte... En haut lieu l'on ne supporte plus ces ferments d'anarchie que propagent l'exemple désastreux de leurs frasques sexuelles et de cette addiction de plus en plus affirmée à toutes sortes de produits illicites. Sex, drugs and rock'n'roll, il est temps de mettre un coup d'arrêt à cette dégoûtante trilogie.
A la suite de perquisitions savamment guidées, Jagger et Richards se retrouvent en prison et en procès. Mais il est trop tard, devant le tollé de toute une partie de la population et de certains journaux courageux, les autorités se verront obligées de les relâcher au bout de deux jours et de prononcer des peines au final peu sévères. Les Stones ont eu chaud. La police continuera à les surveiller, surtout Brian Jones. Elle a compris qu'il est le maillon faible. Plus débrouillards Jagger et Richards sauront développer des stratégies d'évitement.
Jagger en profitera pour se livrer à des interviewes retentissantes dans lesquelles il prend fait et cause pour la révolution montante... Tony Sanchez n'est pas dupe, il commence à cerner les personnages. Brian sensible et fragile, Jagger adaptable et rétractile plus caméléon que jaguar. Keith, son préféré, je-m'en-foutiste et jusqu'au boutiste. Des monstres d'égoïsme. Sanchez ne juge pas. Comprend que la donne n'est pas facile. Le succès entraîne une fatigue physique et un déséquilibre psychique que la cocaïne aide à juguler. Elle renforce aussi la défiance envers une multitude de proches et d'acolytes plus ou moins occasionnels intéressés par toute cette colossale fortune dont la possession vous isole du commun des mortels. La paranoïa démultipliée par l' absorption de dope vous guette, vous n'êtes plus en phase avec votre entourage. Vous utilisez les gens qui vous entourent pour éviter d'être manipulés par eux. Vous vous retrouvez doté d'un véritable pouvoir qui vous isole de tous les autres. Votre philosophie de la vie s'abreuve désormais dans les eaux glacées d'un cynisme débridé au rire amer...
MAELSTRONES
Brian décédé, Keith s'enferme dans la drogue. Sanchez le suit. De la cocaïne à l'héroïne le chemin est plus court que l'on ne le croit. Seul Jagger a encore la force de virevolter. Goûte aux drogues mais ne s'y adonne point. A trouvé un autre centre d'intérêt. Se charge des papiers et des comptes. L'ancien étudiant en sciences économiques recycle ses études. Rien ne se perd, tout s'économise. Les Stones deviennent leurs propres maîtres. Mais les mauvaises habitudes sont prises. Ont trop goûté à l'argent pour s'en passer. Le rock'n'roll n'est plus la priorité. L'on pense avant tout à remplir les stades et les poches. La machine devient une entreprise.
Richards suit le mouvement. Depuis longtemps il a pris avec Mick l'habitude de verrouiller les royalties. Nos deux compères s'adjugent la composition des morceaux afin que rien ne leur échappe. La saga Stones continue même si au niveau de la qualité l'on ressent une baisse de qualité évidente après Exile on Main Street. Jagger est un homme d'affaires, il fréquente la jet-set et commence à devenir un personnage institutionnel. Ne moufte plus un mot sur ses anciennes déclarations incendiaires des années 68, elles ne cadrent plus avec son rôle de PDG de la multinationale Rolling Stones..
Mais Tony Sanchez ne discute point musique. Ne quitte pas le premier cercle, Keith, Anita, Mick, Marianne – pour qu'il éprouva un tendre sentiment copulateur -Bianca, Jerry Hall. Se retrouve sur tous les mauvais coups et les bons. Lire Up and down with the Rolling Stones, c'est être avec eux partout, confortablement assis dans les premières loges du voyeurisme et mêlé à tous les complots douteux dans le noir protecteur des coulisses. L'on n'en perd pas une miette. Dans l'intimité d'un groupe de rock. Peut-être pas le plus grand, mais le plus mythique. Et à la bonne époque de 1966 à 1979, de Their Satanic Majesties Request à la Stones Touring Party de 1972 qui fut leur apogée. On ne crache pas sur le reste, à se vautrer dans le stupre autant ne pas faire le difficile, mais ce ne sont plus les Stones que nous aimons, les méchants garçons, les sulfureux, ceux qui sont encore en osmose avec le public. Pour les premières années d'une manière très intelligente, Tony Sanchez se charge des raccords au hasard d'une bio ou d'un incident.
Le plus terrible c'est que Keith Richards interrogé sur la véracité des propos de Sanchez s'y est pris à deux fois mais a fini par admettre que grosso-modo, il n'y avait pas de parti-pris mensonger dans le bouquin. Dans Life, Tony n'est plus qu'un comparse occasionnel, mais il est intéressant de comparer comment les deux hommes racontent l'épisode de Nellcôte où nos deux héros se confrontent à des marins pas du tout marrants. Une vilaine affaire qui aurait pu très mal tourner et dans son déroulement et dans ses suites judiciaires. Ne rapportent pas tout à fait les mêmes éléments mais chacun d'eux s'arrange pour que les défauts de la personnalité de l'autre ne fassent que brusquer les évènements tout en soulignant la nécessaire et heureuse connivence du duo de choc. Faut dire que l'ensemble sonne juste et correspond aux infos officielles, aux rumeurs et aux bruits ( de chiottes ) qui couraient à l'époque de l'épopée.
De toutes les manières quand les Rolling roulent, on aime bien se faire mousser aux alentours.
Damie Chad
S. T. P.
A TRAVERS L'AMERIQUE AVEC
LES ROLLING STONES
ROBERT GREENFIELD
( Traduction de Philippe Paringaux ) / 1977
En reposant le précédent bouquin me suis rappelé que j'en avais un second dans ma bibliothèque du même éditeur, Le Mot et le Reste. Ai lu la quatrième de couverture. J'en ai appris de belle : une rumeur circulerait selon laquelle la première édition parue chez Speed 17 serait interdite par certains membres des Stones eux-mêmes. Dire que j'avais chez moi un objet-culte quasi-clandestin ! L'ai tout de suite retiré de sa caisse pour le relire. A l'époque en 77, j'avais été déçu. M'attendais-je à mieux ? Non à pire.
Cinq ans que l'on parlait de cette fabuleuse tournée aux States ! Se colportaient les informations les plus délirantes. Pas sur les concerts. L'on partait du principe que le plus mauvais concert des Stones était supérieur aux meilleurs concerts de tous les autres groupes de la planète. Ce n'était pas la vérité. Un dogme. Non ce qui filtrait c'étaient les parties fines, les orgies secrètes et rutilantes qui avaient suivi les prestations. N'importe quel crétin était capable de se payer une place pour voir les Stones, mais se promener backstage et assister aux fins de soirée, ce n'était pas à la portée du premier quidam venu.
Inutile de me traiter d'infâme voyeur, d'abord parce que je le revendique, deuxièmement parce que Robert Greenfield a bien été choisi par les Stones pour raconter l'envers du décor. Soyez sûr qu'on lui a laissé l'entière liberté, avec un cahier de charges très pointilleux. Ne vous file même pas une set-list précise pour un seul des cinquante shows. Se contente de quelques lignes plus que rapides du genre, très bon concert bourré d'énergie avec un Jagger en pleine forme. Par contre quinze pages sur la nuit d'hôtel qui suit.
Opération mains propres. Les draps de lits sont un peu moins clean mais les Stones sont en 1972 à la croisée des chemins. Ou ça passe, ou ça casse. En 1972, on ne s'en est pas aperçu, mais à lire le bouquin aujourd'hui c'est évident. Ca me permet même de comprendre pourquoi en ces temps anciens je n'avais pas accroché. Faut le dire, on s'est tous fait manipuler par Jagger. En grande forme le Mick, Greenfield n'en a que pour lui. Richards prend un peu d'importance vers la fin, mais comme caution ombreuse de Mick. On sent qu'il est d'accord sur tout avec le jag. Son silence est un atout tacite qui permet à Jagger de triompher d'une manière des plus retentissantes dès qu'il abat la carte Richards, l'as qui pique mortellement, qu'il sort de sa manche quand on croit qu'il est aux abois.
C'est que la tournée est un sacré enjeu. Trois ans que les Stones n'ont pas visité les USA, pas qu'ils n'en aient pas eu envie. Mais difficile de revenir la bouche en coeur après Atlamont. Sacré point d'orgue de la précédente tournée. Moi, ça ne m'avait pas choqué Atlamont. Les Hells qui faisaient régner la terreur à coups de billes de billards et un malheureux mort en fin de partie, je trouvais cela très Stone. Très rock. Mais à part les fans surexcités devait pas y avoir grand monde de mon avis. Les Stones en premier. En ont interrompu le concert et se sont enfuis en hélicoptère. J'avoue qu'ils m'ont déçu.
Se sont honteusement repliés en Angleterre, puis en France. Exile au calme. Sea, sex and sun. Jagger a dû méchamment méditer. Suivre la pente Atlamont, c'était devenir un groupe maudit. Cinq cents allumés à chaque concert. Une légende noire jusqu'au bout du rock'n'roll. Mais le band n'était pas prêt à tout sacrifier au rock'n'roll. Vont décider de laisser à jamais les chemins de traverse. Suivront les autoroutes balisées. Le S.T.P. sera un quitte ou double. Ou les Stones sont capables de gérer leur propre bordel, ou ils se laissent déborder et ne font que de générer le chaos partout où ils passent.
A la clef, un pacson de fric. Plus de 250 000 dollars pour chacun des membres du groupe, pour deux mois de travail. S.T.P. ce n'est pas encore le gigantisme des futures tournées, l'on tourne dans des stades mais surtout dans de vastes salles. Petit gabarit, en quelque sorte. Jagger fêtera ses trente ans sur le circuit. N'est plus de première jeunesse. S'il veut continuer encore longtemps dans le métier, faut songer à se ménager. S. T. P. mise sur deux tableaux, le plaisir, le sexe, la drogue - chaque kid doit se sentir en osmose idéologique proposé par le combo - mais aussi le professionnalisme, la maîtrise, le savoir-faire.
Et les Stones gagneront les deux courses. Les kids sont au rendez-vous et chacun se reconnaît dans le nombrilisme nonchalant de l'attitude stonienne. Les autorités les aident beaucoup. Les flics matraquent les fans transis qui n'ont pas de billets, interviennent parfois violemment au milieu de la prestation, ressentent les artistes et les spectateurs comme de dangereux dépravés qui seraient mieux à leur place dans un asile psychiatrique... comble du comble, Jagger et Richards se retrouvent en prison pour une légère bousculade avec un photographe, seront vite libérés car les quinze mille spectateurs qui les attendent ne goûtent pas la plaisanterie et l'ambiance houleuse risque de dégénérer en émeute...
Mais les Stones ont bétonné dur. Le staff qui les accompagne est formé de professionnels qui connaissent leur boulot. Nous ne citerons que Marshall Chess l'héritier de la maison Chess, épicentre du blues électrique chicagoan qui fut un des rouages essentiels. Une organisation qui roule sur des roulettes. Sauront récupérer toutes les situations critiques. L'apparence d'un foutoir désopilant mais une discipline de fer. Le paradis de l'orgasme et l'enfer d'une mécanique bien huilée.
La tournée elle-même est très bien analysée. Les appréhensions et l'inquiétude du départ. La fièvre et l'excitation qui montent dès les premières dates, la fatigue et l'ennui au bout d'un mois, les concerts qui se répètent, les nuits folles et blanches qui se ressemblent tellement qu'elles en deviennent grises, la lassitude qui envahit les esprits et le soulagement final, le dernier effort lorsque l'on parvient enfin dans la Grosse Pomme.
Robert Greenfield ne dédaigne aucune turpitude, vous renseigne sur les drogues en circulation et vous dévoile les groupies sans culotte. Les habitudes des uns, les vicelardises des autres. Le cirque et le barnum. Mais attention tout cela ne serait rien si la presse n'avait pas relayé l'annonce de la tournée. En amont, avant qu'elle ne commence. Les plus grands magazines distribués à centaines de milliers et à millions d'exemplaires ont tous consacré leur une aux Rolling Stones. Robert Greenfieid est lui-même un des deux rédacteurs-chefs du Rolling Stone magazine.
Mais l'on a fait mieux. L'on a invité le tout New York. Les intellos et la couche parasitaire de ceux que bientôt l'on appellera la jet-set. C'est la dernière scène du bouquin, la partie finale, les Stones fêtent leur réussite au milieu de gens qui n'ont rien à faire d'eux et encore moins de leur musique. Très symboliquement Truman Capote n'écrira jamais l'article qu'il devait faire sur la tournée. Ne pige rien au phénomène. Selon lui dans trois ans personne ne se souviendra des Stones. Comme il ne perd pas le nord ni ses émoluments, il donnera dix-sept pages d'interview pour expliquer pourquoi les Rolling Stones ne représentent rien. Personne n'écoute Muddy Waters chargé de la musique d'ambiance. Seul Charlie Watts remerciera Count Basie de sa prestation... Les Stones ont choisi. Les Stones ont trahi. Les fans sont dehors. Attendent qu'ils sortent pour essayer de les voir.
Jagger a gagné son pari. Le sang d'Atlamont est définitivement oublié. Un incident malheureux. Vous savez, ces années soixante étaient tout de même porteuses de violence. Heureusement tout cela commence à faire vieux jeu et démodé. Entre le rock-biz et le rock'n'roll les Stones ont choisi. Jagger est capable d'endosser tous les costumes. Homme d'affaires et homme-orchestre. Est-ce un reniement ou une mutation obligée ? Ne peut-on se survivre qu'en oubliant ce que l'on a été ? Ce qui est sûr c'est que Robert Greenfield lui reconnaît un immense talent. En tous les domaines. Qui dirait le contraire ?
La longévité des Stones est à l'image du demi-siècle de leur carrière. Des sixties prometteuses, gonflées d'orage et de colère, des seventies gorgées d'utopies en voie de disparition – mais sur le moment nul ne s'en rend compte – et une lente dégringolade, dès les mollassonnes et désabusées eighties, sur les lits en porte-feuilles d'actions cotées en bourse.
Damie Chad.
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