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20/03/2013

KR'TNT ! ¤ 136. LIPSTICK TRACES / GREIL MARCUS

 

KR'TNT ! ¤ 136

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

21 / 03 / 2013

 

 

 

PUNK / GREIL MARCUS

 

 

 

A voir !

Belles photos des Atomics Cats ( et bien d'autres artistes et animaux ) sur :

http://marinettecats.wix.com/marinette-chevaux

*

Pour les kr'tntreaders qui n'auraient pas oublié notre chronique du livre Kick out the jam, motherfuckers de Pierre Mikaïloff, les samedi 29 et dimanche 30 mars 2013 au 104, à 20h 30, à Paris, vous pouvez assister au spectacle :

DERNIERES NOUVELLES DE FRAU MAJOR

D'après une idée originale de Pierre Mikaïloff, coécrit et mise en scène par Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, direction musicale de Yan Péchin, images de Pierre Terrasson. Le spectacle raconte en texte, en musique et en image, la rencontre de l'héroïne, Frau Major, avec le chanteur célèbre : sa résistible ascension, son succès tardif, ses maux, ses paroliers, les grands moments de sa carrière, les petits riens du quotidien...

Sur scène, trois personnages accompagnés en live par le dernier groupe d'Alain Bashung nous plongent dans l’intimité de l’artiste, sur fond de projections du photographe PierreTerrasson.

Avec la participation exceptionnelle de Brigitte Fontaine, Chloé Mons, Kent, Miossec et d’autres invités surprises.

http://www.104.fr/programmation/evenement.html?evenement=207

 

 

 

 

GREIL MARCUS

 

LIPSTICK TRACES

 

 

UNE HISTOIRE SECRETE

 

DU VINGTIEME SIECLE

 

 

( Folio Actuel / 2000 )

 

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Traces de rouge à lèvres. Il faut toujours chercher le bâton pour se faire battre. Les kr'tntreaders qui ont dû flair sont prêts à parier que l'on va une fois de plus parler de mes Poupées ( chéries ) de New York. Bingo, tombés juste. A côté. Décalez-vous d'un cran. Plutôt des Pistolets du Sexe. Enfin presque : deux cents pages sur les Pistols mais trois cent cinquante feuillets ( écrits très souvent en minuscules lettres ) sur le reste.

 

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Qui n'est pas rien. J'aurais dû être plus gentil et commencer par le premier bouquin de Greil Marcus, Mystery Train sur Elvis. Enfin presque : parce que là aussi il ne parle pas que de notre rockabilly pelvis chéri. Ou plutôt l'est en plein dans son topo, mais l'essence du rock'n'roll est-elle vraiment la musique ? Question typiquement platonicienne. Sans quoi l'interrogation fondamentale resterait entachée de doute et hors de propos. Autant l'annoncer dès cette introduction, Lipstick Traces n'est pas un livre facile. La preuve c'est qu'aucun français ne s'est proposé pour l'écrire. Pourtant avec nos professeurs d'universités patentés et cette culture nationale que tout le monde nous envie... Mais non, l'a fallu que ce ce soit un amerloque qui s'y colle. Un vrai de vrai, natif - en 1945 - de San Francisco. Alors que la moitié des évènements rapportés se déroulent en notre douce France. Depuis le temps que l'on s'escrime à vous dire que le rock français possède ses lettres de noblesse !

 

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L'est sûr qu'il faut fouiller un peu plus profond que la formation des Chaussettes Noires. En plus, crime des crimes, Greil Marcus ne cite qu'une fois Boris Vian par inadvertance occasionnelle, pour spécifier que la fête commence une fois que l'amuseur public s'est tiré avec son orchestre de jazz foireux. L'on comprend pourquoi cette oeuvre majeure de réflexion sur le rock'n'roll n'ait été reçue en France qu'avec les pincettes de la plus grande retenue intellectuelle. L'on n'allait tout de même pas laisser un ricain inconnu nous repeindre l'histoire de l'underground européen à grands coups de baveuses éraflures échappées d'un tube à rouge à lèvres, tout ça pour l'amalgamer avec cette sous-musique électrique issue des plus sombres mélanges...

 

 

ESCROCKERIE

 

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Commence par le commencement. Anarchy in the UK des Sex Pistols. Steve Jones, Glenn Matlock, Paul Cook, n'en parle presque pas. Seul Johnny Lydon, Johnny Rotten, Johnny le Pourri trouve grâce à ses yeux. Ou plutôt, c'est Johnny qui apporte la grâce, l'esprit saint qui tombe sur le cerveau dévasté du rocker de base assoiffé de certitude rock. I'm an anarquist, I'm the antechrist, la façon de de le dire, de vous le cracher à la gueule, de vous le balancer comme une tornade destructrice qui viendrait jusqu'en votre intérieur oraculaire vous arracher la langue et les dents, pour que vous ne puissiez plus jamais prononcer un seul mot de plus. Car lorsque l'Antechrist est là, il est trop tard. Même si vous l'attendiez depuis longtemps. La divine surprise en quelque sorte.

 

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Ne ramenez pas votre culture rock, ne citez ni le gospel originel ni le pacte avec le diable de Robert Johnson, Johnny Lydon n'est pas un rocker dans l'âme, n'a jamais pu sortir en entier le Johnny B. Goode de Chuck Berry sans en chanter la deuxième moitié du premier couplet en yaourt, et question préhistoire il s'arrête très vite à l'hymne adolescent d'Alice Cooper I'm Eighteen qu'il massacre si irrémédiablement que les trois autres refuseraient de le prendre comme lead singer si McLaren, le manager qui avance le fric et le local de répète ne l'imposait pas de force.

 

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McLaren, un petit épicier qui veut réussir. Tient une boutique de fringue. Tendance Teddy. Surtout sa femme. C'est elle qui se chargera bientôt de l'aspect créatif. Lui il observe la clientèle. Est en attente d'il ne sait pas trop quoi. Mais il comprend qu'il lui manque encore le savoir-faire américain pour s'attaquer à la grande distribution. Plaque son band bidon en formation pour filer sur New York. Tombe sur la fin de course de la comète des Dolls en chute libre. Les Dolls qui ont eu l'idée pharamineuse de monter un groupe de rock parce qu'ils logeaient en face d'un magasin de... fringues. Villiers de l'Isle Adam appellerait cela un intersigne. Moins rêveur, mais beaucoup plus pragmatique McLaren cherche les leçons de l'échec des Dolls.

 

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En tire des conclusions hallucinantes. Les Dolls étaient trop bons. Se sont fait rouler dans la farine. Des gus qui se sapent en filles, rien à redire, mais des musicos qui déclarent qu'ils sont les nouveaux Rolling Stones, et qui sont assez doués pour que personne ne se permette de rire de leurs prétentions, faut arrêter la folie avant que ça ne devienne sérieux. Imaginez que les Dolls aient réussi. Quoi de neuf sous le soleil ? Deux groupes aussi solides que les Stones sur le marché. Et après ? Très bien pour les majors, les royalties, la frime et le rock'n'rolll circus...

 

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C'est-là que McLaren se montre génial. Une prunelle ardente sur le tiroir-caisse à coup sûr. Saura presser le citron jusqu'à la dernière goutte de jus. Mais un oeil attentif sur son époque. Nous sommes en 1975, inutile de refaire 1956 Elvis et ses rouflaquettes, une croix aussi sur 1965 Liverpool et le British Boom, le rock n'est plus une nouveauté. Maintenant il fait partie des meubles. Faut faire avec. D'ailleurs un bon coup de balai, ça n'a jamais fait de mal à personne.

 

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Avec ces deux crétins de Johnny Rotten et de Sid Vicious qui traînent dans le magasin McLaren entrevoit une solution à sa problématique. La musique n'est que la partie visible de l'iceberg rock'n'roll. Les neuf dixièmes du prédateur à Titanics sont constitués de matières beaucoup plus évanescentes – difficiles à manier et aussi instables que la nitroglycérine – mais ô combien explosives ! Tout réside dans l'attitude !

 

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Suffit de peu pour surprendre l'ennemi. Je déchire mon T-shirt, j'écris I hate Pink Floyd, je dis fuck à la TV, je vomis sur les grands-mères dans la salle d'attente, j'insulte la reine, joyeuses et multiples facéties qui emplissent les porte-feuilles et vous rendent célèbres du jour au lendemain. Evidemment la pression est énorme, mais l'on s'amuse comme des fous. Au bout de deux années c'est terminé. Reste The Great Rock'n'roll Swindle, un film pédagogique pour l'instruction des générations suivantes, et l'overdose finale de Sid Vicious pour clôturer le roman. C'est que le rock'n'roll n'est pas un dîner de gala et de Brian Jones à Nancy Spungen, les cadavres encombrent les placards.

 

 

METAPHYSIQUE PUNK

 

 

L'histoire des Sex brossée à grands coups de pistolets. Faut maintenant regarder d'un peu plus près. Derrière les apparences. Greil Marcus n'est pas dupe de la cavalcade. Se focalise sur les Pistols mais admet une cinquantaine groupes plus ou moins connus, des Clash aux Cortinas par exemple, qui ont participé aux grandes manoeuvres punkoïdes et qui ont eux aussi créé quelques hymnes ravageurs d'une perfection absolue. Mais il ne suffit pas de dresser l'inventaire minutieux de ses composants pour décrire un phénomène. Encore faut-il en extraire la signifiance.

 

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There is no future in english dreams. L'on a moultement glosé sur la formule. Comme toujours dans ces cas de précipitation extrême l'on a raté le mot le plus important. Pas le futur – toujours hypothétique donc du domaine incertain du possible, mais no. No, non, not, rien, nada. Nihilisme à tous les étages. Le punk ne croit en rien. Ni en Dieu, ni en l'Homme, ni la Société, ni en les Institutions. Mais attention, le punk n'a pas plus d'espoir en le futur de l'anarchie que dans les lendemains qui déchantent de la royauté.

 

 

Avec une nuance de taille. Le Nihilisme est un gros mot. Une philosophie à majuscule que vous pourriez ranger sur l'étagère entre Christianisme et Stoïcisme. Ne confondez pas la théorisation de la négation avec l'acte négatif lui-même. La première n'est que l'assemblage spéculatif de vieilles idées liées ensemble pour fournir une explication plausible du refus de toute acceptation. Le refus souverain, gratuit, sans cause et sans but de dire non pour le plaisir et le déplaisir de dire non. Certains positiveront la problématique en affirmant que l'acte du non est l'expression de la liberté humaine. Le punk se moque de la liberté. Car la liberté redistribue les cartes et vous propose une nouvelle donne. Libre de quoi ? De ceci ou de cela : la belle affaire ! Soit vous rentrez dans le rang en choisissant ceci plutôt que cela, soit vous ne choisissez rien, ce qui vous conduit à comprendre que la liberté ne vous permet que de rester libre, ce qui ne vous avance à rien. Ou à pas grand-chose si vous êtes un incorrigible optimiste. Le serpent à deux queues se mord toujours la queue. Et peut-être même a-t-il deux gueules pour embrasser tous les possibles.

 

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L'on est loin des oripeaux punk montés en épingle à nourrices par une presse avide de scandale et de gros sous. Sous les crêtes multicolores, les colliers à chiens, les blousons cloutés, les crachats gluants et les pogos caracolants, se cache une révolte totale bien plus profonde que les déguisements carnavalesques et le grotesque des attitudes pourraient le laisser augurer. Les sociologues ne manqueront pas de rappeler que le carnaval a longtemps fonctionné dans les sociétés médiévales occidentales comme des soupapes de sécurité et de substitution destinées à détourner les populaires énergies protestataires de toute explosion sociale et révolutionnaire.

 

 

Comment les punks qui dans leur immense majorités étaient recrutés dans les bataillons d'une jeunesse dé-scolarisée, acculturée, déboussolée, promise à un chômage de masse, ont-ils pu renouer avec un tel refus catégorique et aussi métaphysique que splendide ? C'est à cette réponse que s'attelle Greil Marcus dans son livre.

 

 

LE RETOUR DES FANTÔMES

 

 

Deuxième partie de l'enquête : l'on quitte Londres et ses punks pour un petit tour over the Channel tout en reculant dans le temps. Le punk n'est pas surgi du néant. Ce qui aurait été parfait pour un mouvement qui se revendique de l'inanité de toutes choses. Avant le punk 1976, il y eut Dada 1916. Pas vraiment le post-Dada littéraire à la Tristan Tzara qui engendrera par réaction le surréalisme qui n'est qu'un retour aux vieilles lunes poétiques des culturelles traditions oecuméniques européennes. Mais le Dada originel du Cabaret Voltaire fomenté par une poignée d'activistes en rupture de sens dans la bonne ville de Zurich.

 

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Hugo Ball, Marcel Janco, Emmy Hennings, Richard Huelsenbeck, Johannes Baader, par leurs cris, leurs chants, leurs insultes, leurs provocations, leur goût délibéré du non-sense, parviennent à créer une espèce de coup d'état littéraire dans les milieux artistiques de toute l'Europe alors en pleines ébullitions. Ne revendiquent rien, se contentent de jeter aux orties tout ce qui a précédé. Remarquent que toute la culture européenne bâtie sur une tradition deux fois millénaires s'est achevée très logiquement sur les champs de batailles ô combien stupidement meurtriers de la première guerre mondiale. Démonstration imparable. Avec son rejet total de tout ce qui a précédé, Dada est d'après Greil Marcus, l'un des ancêtres du Punk.

 

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Suivent les destins particuliers de chacun de ces protagonistes de la première révolution artistique du vingtième siècle. La plupart se rangeront des voitures dans les années qui suivent, avec jusqu'à un retour dans les bras du christianisme... même si tous restent persuadés d'avoir participé à un moment signifiant de l'histoire du monde. Profonde contradiction : le refus proclamé du sens prend aussi tout son sens dans la suite historiale et chronologique des évènements...

 

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Le christianisme ne pousse pas son oreille par hasard. Greil Marcus ne s'y attarde guère : son livre nous révèle avant tout «  l'histoire secrète du vingtième siècle » mais à plusieurs fois il se sent obligé de traquer les racines ( du mal et du bien ) très profondément, en avant, et il n'hésite pas à voir dans le ras-le-bol généralisé de Dada une résurgence de mouvements beaucoup plus anciens comme les lollards britaniques ou les anabaptistes germaniques.

 

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Les Lollards furent à la fin du quatorzième siècle les initiateurs d'une lecture radicale de la Bible. Si le Seigneur m'a créé à son image, je ne saurais être que parfait, tout comme mes actions qu'elles soient bonnes ou pécheresses... En d'autres termes, tout est possible, tout est permis... Essayez d'entrevoir par vous-mêmes les multiples chemins qui s'ouvrent à vous en partant de tels préliminaires. Les Lollards ne furent pas tous des paillards jusqu'au-boutistes. Généralement on les présente comme des proto-réformés quelque peu en avance sur leur temps. Mais les mauvais esprits ne manquent pas de voir en leurs groupes les plus extrémistes la renaissance des vieilles sectes gnostiques qui accompagnèrent l'éclosion du christianisme dans l'Antiquité.

 

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Les gnostiques furent un courant souterrain que l'Eglise essaya longuement de combattre. Leur idéologie était complexe, un-tiers de christianisme, un tiers de magie, un tiers de Dionysisme, un tiers de platonisme, un tiers de néo-platonisme, un tiers de paganisme, un tiers de dualisme, bref un mélange explosif des plus réjouissifs. N'avaient pas encore inventé le rock'n'roll mais questions drugs and sex, ils étaient plus que branchés. Pratiquaient plus facilement la communauté des seins que la communion des saints et se livraient à de rituelles orgies de spermes et de foutres des plus alléchantes durant leurs messes sacrificatrices...

 

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Quittons avec regret ces célestes visions pour nous pencher sur le cas Greil Marcus. Son écriture participe-t-elle d'une lecture gnostique de l'histoire du rock'n'roll ? En d'autres mots, le rappel de ces mouvements sectaires séculaires doit-il être envisagé comme le signe d'une érudition pointilleuse qui traque de manière exhaustive toutes les traces généalogiques qui pourraient être en rapport avec l'éclosion punk ? Greil Marcus serait-il une espèce d'universitaire défroqué qui se serait entiché de sujets mineurs et marginaux comme les origines du rock'n'roll ?

 

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Ou bien, et nous sommes là sur une pente glissante, beaucoup plus inquiétante, Greil Marcus pose-t-il comme préalable à son étude l'existence de forces occultes en action dans notre monde ? A plusieurs reprises il fait allusion sans s'y étendre à la notion d'archétypes. Non pas des idées générales ou des comportements reproductifs dont on pourrait vérifier le retour régulier le long de l'histoire humaine, mais à des points objectifs d'ancrages fixes, comme des quasars pulsatifs terrestres, qui rayonneraient d'une énergie agissante. Comme dans toute pratique magique, soit vous êtes manipulés à votre insu par ces forces noires, soit vous tentez de vous en rendre, sinon maître, du moins utilisateur.

 

 

PLUS PRES DE TOI, MON DIEU

 

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Nous laissons pour le moment la question sans réponse. Petit saut dans l'actualité et salut aux Pussy Riot condamnées à deux ans de camp de travail en la Sainte Russie Eternelle de Poutine pour avoir dansé une joyeuse gigue post-punk dans la Cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou. Cette blasphématoire intervention se passait en l'an de grâce 2012 mais cocorico, en France nous avons fait aussi bien, et ce dès 1950 quand un certain Michel Mourre déguisé en moine invective les fidèles de Notre-Dame de Paris en rappelant aux ouailles abasourdies que Dieu est mort.

 

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Gros scandale à l'époque. Michel Mourre n'est qu'une brebis perdue de la chrétienté franchouillarde, fera très vite amende honorable et finira sa vie... en historien de la très Sainte Eglise Catholique. Comme quoi les voies du seigneur sont impénétrables ! En tout cas pas de quoi fêter la chatte d'une seule de ces Femen qui manifestèrent les seins à l'air dans cette même Notre-Dame de Paris leur ravissement à l'annonce de la démission de Benoit 16, ce mois de février 2013...

 

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Mais Greil Marcus est à l'affût du moindre signe. Dans ses errances et dérives idéologiques de l'après-guerre – Michel Mourre - que l'on pourrait définir comme un jeune révolté d'extrême-droite post-fasciste qui arrive sur le devant de la scène après la défaite – a été en relation, pas du tout étroite, avec quelques membres de la nébuleuse lettriste d'Isidore Isou.

 

 

L'ESPRIT ET LA LETTRE

 

 

Je conçois que le lecteur éprouve quelque stupeur. Du Punk à Dada le saut peut paraître étonnant, mais que l'on se rappelle les origines du premier punk arty américain regroupé autour de personnages comme Tom Verlaine et la poétesse Patti Smith connue pour sa légendaire dévotion envers Arthur Rimbaud. Nous sommes assez éloigné de l'idéologie un peu fruste des Ramones, mais ces deux tendances ont cohabité sans trop de mal dans l'underground new-yorkais sans que quiconque n'y trouve à redire.

 

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Mais avec l'inénarrable Isidore Isou, Greil Marcus nos entraîne sur des sentes peu fréquentées. L'est sûr qu'Isou est aujourd'hui assourdi par l'imprévisible succès d'un de ses disciples, Guy Debord, qui le quitta très vite pour fonder dès 1952 l'Internationale Lettriste et courant 1957 le mouvement qui devait le rendre célèbre : l'Internationale Situationniste.

 

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Difficile de résumer l'oeuvre d'Isidore Isou en quelques lignes. D'abord parce que la mouvance surréaliste s'est évertuée depuis un demi-siècle à rejeter dans l'ombre son travail de théoricien littéraire en totale rupture avec les prolégomènes d'André Breton. C'est que la pensée d'Isidore Isou est bien plus extrémiste et révolutionnaire que celle du vieux barde momifié du Surréalisme. A des esprits épris de logique aristotélicienne elle peut facilement apparaître par son jusqu'au-boutisme intellectuel comme un condensé survitaminé et farcesque de la négativité dadaïste, mais il n'en est rien, elle s'apparenterait plutôt à une polymathie hégélienne promouvant un système de pensée dés-ontologique mais tenant compte de toute l'amplitude de la réalité du monde.

 

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Mais Marx ayant – vulgate autorisée - remis la théorisation hégélienne sur ses pieds en promouvant le règne de la praxis militante, Isidore Isou ne perdra jamais l'occasion de promouvoir sa propre pensée par des actes de grande efficience publicitaire. Le groupe lettriste sera vite connu par ses interventions bruyantes et intempestives dans le landernau de l'édition parisienne. Prises de paroles impromptues lors de soirées littéraires diverses, manifestations tapageuses au festival de Cannes car le lettrisme entend bien retirer la substantifique moelle du sens de tout projet culturel afin de n'en conserver que l'os squelettique de sa signification extrême... De fait mouvement littéraire d'avant-garde le lettrisme – sachez goûter le jeu de mot - ramone dur.

 

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Toute une partie du noise rock'n'roll post punk actuel doit autant aux premières explorations de la poésie sonore lettriste qu'aux expérimentations bruitistes du futurisme italien. Pour la suite de notre exposé nous ne retiendrons que deux idées force du lettrisme : l'importance donné au concept de jeunesse qui se doit de rechercher sa plus grande inscription possible dans le monde et la condamnation sans appel de toute primauté hiérarchique sociale. Anarchy in the world !

 

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L'INTERNATIONALE SITUATIONISTE

 

 

De l'oeuf lettriste sortit la poule situationniste. Le situationisme n'aurait pu voir le jour en ces pays du Sud qu'à l'époque il était politiquement correct de traiter sans ambivalence de sous-développés. C'est une doctrine fille des trente glorieuses. Guy Debord et la quarantaine d'artistes et d'intellectuels qui vont se rallier à sa pensée partent d'une constatation très simple : la société capitaliste occidentale d'après-guerre assure la pitance à ses administrés. L'on ne crève plus de faim, mais qu'est-ce que l'on s'emmerde !

 

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Le capitalisme assure le vivre, le couvert et le travail, mais en contre-partie vous devez vous soumettre à une discipline pénible :métro, boulot, dodo. Toutefois tout est prévu pour que vous soyez dupe de votre esclavage. Lorsqu'il rentre chez lui après une dure journée de labeur le travailleur accède au plus grand des divertissements : tous les objets que lui et ses semblables viennent de produire deviennent sujets de désir, il suffit de les mettre en évidence dans les vitrines de vos envies pour qu'ils deviennent un spectacle extraordinaire dont on ne se lasse jamais.

 

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C'est exactement le vieux concept de fétichisation de la marchandise repris à Karl Marx et remis au goût de ces jours qui se précipitent vers la boîte aux mirages de la télévision. Mais Debord se sépare de Marx en le sens où il n'est pas pour une révolution d'accumulation progressive et pacifique de forces pour un futur grand soir léniniste. Serait plutôt pour un grand décalage, une perversion totale des habitudes de vie, suffit de se laisser dériver, de ne plus maître les pas dans les sentiers de l'habitude, de suborner l'ordre établi par la mise en train de ses propres désirs.

 

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Premier mot d'ordre, d'une simplicité et d'un impératif absolus. Ne travaillez jamais ! Nous sommes à la fin des années cinquante et Greil Marcus évoque ces intellectuels situationnistes en rupture de sociétés qui courent les cafés, les vols à la sauvette, les petits boulots et les récups à la mord-moi le noeud. C'est en ces temps d'attente et de nébulisations théoriques qu'ils entrent en contact avec ces groupes de bohème parisienne que l'auteur appelle les Edwardiens, comprenons des espèces de zazous moins french teddies qu'existentialistes en mal d'expériences vécues plus signifiantes que philosophiques. Croisent aussi sur leur route les premières bandes de blouson noirs alors en formation. La conjonction a bien lieu, mais cette toute nouvelle jeunesse en révolte ne trouvera pas dans les dérives théoriques situationnistes de ces aînés une nourriture assez roborative et expéditive.

 

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SOIXANTE HUIT CHANDELLES

 

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Les situationnistes seraient aujourd'hui bien oubliés si l'Histoire n'était venue leur donner un fastueux coup de main. Un beau matin de Mai 68, le ras-le-bol étudiant qui agite les universités depuis plusieurs mois se communique à l'ensemble du pays. En quelques semaines l'étincelle des Enragés de Nanterre a mis le feu à toute la plaine. La France s'arrête de travailler et Paris devient une marmite en ébullition. Tous les possibles sont ouverts. Les ratiocinations situationnistes s'incarnent dans le quotidien bouleversé et éclaté d'une nation jusqu'à lors réputée pour son cartésianisme pointilleux.

 

 

La fête ne durera que quelques semaines. Même si le feu couvera longtemps sous la cendre. Tout rentrera dans l'ordre et l'ennui chloroformera une nouvelle fois les sociétés occidentales. Ad nauseam. L'Internationale Situationniste sera une des premières à tirer les leçons de l'échec de Mai 68 : elle s'auto-dissoudra dès 1972... Circulez il n'y a plus rien à voir.

 

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PUNK A LA LIGNE

 

 

Pour dire les choses telles qu'elles se sont passées en France, l'élection de Valéry Giscard d'Estaing au printemps 1974 tournera la page de la période gauchiste qui suivit ce que l'on n'appelait plus très pudiquement que les évènements de 68. C'est qu'entre temps il était arrivé un sacré nouvel os à ronger. Non pas un gros moelleux entouré de gras à gogo, mais un squelettique, un sec, un pointu, que vous aviez avalé sans y prendre garde et qui vous avait percé la paroi intestinale et qui menaçait l'ensemble de vos fonctions vitales.

 

 

C'était la Crise, du pétrole d'abord et qui perdure sous différents noms – de la bulle immobilière, financière, des sub-primes, etc... - jusqu'à aujourd'hui et que le Capitalisme a inventée tout exprès pour que vous n'ayez plus jamais d'idées anti-systémiques qui vous trotteraient par hasard dans vos cervelles malades... Il est bien connu que la meilleure défense c'est encore l'attaque.

 

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Le punk a bien été perçu de par chez nous comme un mouvement de révolte, mais défensif et désespéré. Un ultime doigt d'honneur de la mouche posée sur le gâteau qui ne lui était pas destiné, avant d'être écrasée par le marteau qui s'abat sur elle. A mourir, autant crever en laideur qu'en beauté. Manière comme une autre de renvoyer son image peu ragoûtante à l'ennemi qui vous terrasse.

 

 

LIPSTICK TRACES

 

 

Mais comme tout américain qui se respecte, Greil Marcus est un incorrigible optimiste. Si Mai 68 s'apparente pour nous petits frenchies mangeurs de grenouilles et grands avaleurs de couleuvres à une défaite cuisante, voire à un désastre dont on est encore loin de s'être relevés, notre auteur, depuis l'autre rive du Pacifique entrevoit le phénomène d'une manière beaucoup plus plaisante.

 

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Punk, dadaïsme, lettrisme, situationnisme sont l'expression de grands moments de déflagrations brutes qui parsèment l'Histoire. Certes si à chaque fois le récit de ces hauts-faits se termine en queue de poisson l'on ne nage pas pour autant en eaux troubles. Ces moments phares du vingtième siècle sont à relier avec une tradition gnostique beaucoup plus ancienne.

 

 

En Amerloque bien éduqué Greil Marcus répugne à la lutte des classes. Préfère parler, en accord avec le vieux fond puritain de son pays, de deux principes – le mal et le bien - qui se combattent. Eternellement. L'un peut prendre le dessus mais jamais sempiternellement. Ce qui est très sympathique chez Greil Marcus, c'est qu'il prend parti pour les enfants perdus du Système. Ceux que l'on désigne d'habitude comme des suppôts de Satan destructeurs il les transforme en héros valeureux. A une autre époque il aurait été traité de caïnite, on l'aurait accusé de se laver les mains du sang d'Abel et du Christ sur le savon du diable. Les moeurs ont changé et on ne l'a pas pendu au premier gibet qui se serait présenté.

 

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Reste que personne n'échappe à son destin. Sinon les faibles. Qui sont légion. Mais l'Individu peut accéder à un autre statut. Une autre stature. Greil Marcus n'en parle point. Se contente d'évoquer à mots couleur d'ombre. Ne prononce par exemple jamais le nom de Jim Morrison.

 

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«  I'm the King Lezard. I can do anything. »

 

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Proclamait-il. A mettre en relation avec ces points d'incandescence, ces traces rouges, d'extrême coagulation pratiquement reptilienne relevés sur les cadavres d'Elvis Presley et de Sid Vicious. Mais ceci est une autre histoire. Qui risque de vous entraîner trop loin de vos certitudes les plus flagrantes.

 

 

Une autre histoire du rock'n'roll, dont Greil Marcus soulève le coin du voile. Pour vous. Mais personne ne vous oblige à y regarder de plus près.

 

 

Damie Chad.

 

 

 

 

 

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