29/06/2020
KR'TNT ! 470 : ROCKABILLY GENERATION / BETTY WRIGHT / BOB BERT / TONY MARLOW TRIO / ALICIA FIORUCCI
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 470
A ROCKLIT PRODUCTION
FB : KR'TNT KR'TNT
25 / 06 / 20
ROCKABILLY GENERATION / BETTY WRIGHT BOB BERT / TONY MARLOW TRIO ALICIA FIORUCCI |
TEXTES + TEXTES + PHOTOS SUR : SUhttp://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/R :
Talking ‘bout my Generation
Rockabilly Generation ne parle pas des Who, mais au fond, le propos est le même : la passion - People try to put us d-d-d-down/ Talking ‘bout my generation - un put us down qui se transforme en Talking ‘bout my Rockabilly Generation, c’est-à-dire un canard qui jump in the letter-box et qui boppe page après page en hommage au ramage d’un rockab de plus en plus vivace.
Un canard n’a jamais aussi bien porté son nom : il nous parle d’un rockab qui se transmet de génération en génération avec la même ferveur, le même élan, le même souci de crédibilité, le même sens de l’allure, le même soin du détail, le même souci de l’anti-frime. À la minute même où on voit Marcel Riesco en couverture, on sait qu’il est plus vrai que nature, qu’il se coiffe des deux mains comme le faisait comme Elvis en 1954 et qu’il sait gratter les poux de sa gratte. On le constate chaque année à Béthune, la scène rockab n’a jamais été aussi vivante, aussi surprenante, aussi increvable, avec des groupes carrés et autrement plus doués que ne le seront jamais les groupes de la scène garage. Rien n’est plus difficile à jouer que le rockab, cet étrange mélange de frenzy, de précision et de purisme.
Comme le Retro, Rockabilly Generation mise sur l’avenir. Marcel Riesco, Barny, les Wise Guyz et les Spunyboys réinjectent un énorme shoot de modernité dans le cul fripé de Mathusalem, ils sont là pour bopper le beat comme le firent en leur temps les frères Perkins dans leurs salopettes. Bop it Carl !, et Sam claquait des doigts. Tous les gens qui croient que le rockab est un truc de vieux se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Le rockab et mille fois punk que ne le sera jamais le punk, qui soit dit en passant, n’a duré qu’un an. Le rockab est un art et le punk fut une mode, c’est toute la différence. Si les Cramps s’enracinent dans le rockab, ce n’est pas par hasard.
Bon c’est vrai, on voit aussi pas mal de vieux pépères en couverture de Rockabilly Generation, mais ce sont des survivants et ils ont plutôt meilleure allure que les punks vieillissants : comparez Graham Fenton ou Johnny Fox aux Stranglers ou à Paul Cook et vous verrez qui sont ceux qui ont la banane. Et puisqu’on parle de couvertures, espérons qu’un jour on y verra parader Jake Calypso, les Hot Slap ou encore Don Cavalli. Comme ce canard a les moyens de faire de belles couves en quadri, alors autant en profiter pour rêver un peu.
C’est d’ailleurs la grande force de ce canard : la qualité de l’icono. Tous les fans de rockab le savent depuis 50 ans : rien de tel qu’une belle photo de Vince Taylor ou d’Elvis, c’est une sorte de nec plus ultra de la photogénie, et côté photogénie, Rockabilly Generation gâte bien son lecteur. Rien qu’avec les images, on a son shoot. Même pas la peine de lire les textes, Lucky Will trône en ouverture de bal avec son perfecto et sa casquette, Marcel Riesco récupère la double centrale qu’on peut détacher pour la punaiser au mur, comme au temps des Playmates de Playboy, et puis il y a une multitude de petites images de concert, toutes bien soignées et bien colorées, qui donnent une idée assez juste de ce à quoi peut ressembler un concert rockab. Et puis si on veut lire, on peut. L’interview de Marcel Riesco laisse un peu sur sa faim, dommage qu’il ne parle pas plus de Roy Orbison. Celui de Lucky Will est plus complet, car il raconte toute son histoire dans le détail et petite cerise sur la gâteau, on voit Jerry Lee brandir l’album de lucky Lucky. L’interview la plus passionnante est sans doute celle de Michel Petit, l’organisateur de Rockin’ Gone Party, un festival qui se tient chaque année au sud de Lyon. Avec une modestie de vieux pépère qui l’honore, Michel Petit rappelle que l’organisation d’un festival n’est pas de la tarte et demande quelques mois de travail acharné. Et si on continue de s’enfoncer dans les pages, on tombe un peu plus loin sur la rubrique ‘Backstage’ qui permet souvent de retrouver de vieilles connaissances. Par exemple les Blue Tears Trio qui firent trembler la Normandie voici quelques années. Petite image aussi de Jake Calypso qui laisse un peu l’amateur sur sa faim. Trop riquiqui pour un mec de cette stature. Et puis en face, petit clin d’œil à Wild qui pour tous les fans de rockab n’en finit plus d’incarner le boppin’ boom de cette nouvelle rockabilly génération, à coups de gangs chicanos aux cheveux graisseux. Remember the Desperados ?
Signé : Cazengler, rockaka
Rockabilly Generation. N°13 - Avril-mai-juin 2020
She does it Wright
Le reine de Miami Betty Wright vient de casser sa pipe en bois. Elle eut cette chance incroyable de naître dans une famille nombreuse où tout le monde chantait. «Mama said sing !, and we sang.» Ils sont sept gosses, tous doués pour la musique : son frère Phillip jouera de la guitare avec Jr Walker et sa sœur Jeanette chantera dans KC &The Sunshine Band. Clarence Reid la repère et Betty se retrouve vite fait sur Alston, le label d’Henry Stone qui est aussi le boss de TK Records, une énorme machine à hits qui gère KC & The Sunshine Band, Timmy Thomas et George McCrae. Il est bon de savoir qu’à ses débuts, Betty flashe sur la péruvienne Yma Sumac et sur Minnie Riperton. Wow ! Betty does it Wright !
En 2019, Geoff Brown la rencontre à Londres. Betty a 65 balais et elle chante au Barbican arts complex. Brown sent que Betty est une battante. Fin limier, il détecte les gospel roots sous la surface, comme chez Aretha et Mavis. Elle a en effet démarré très tôt dans les églises de Miami, les gens venaient de loin pour entendre Motha Wright and her kids. Clarence Reid la repère un peu plus tard chez un disquaire de Miami et lui enseigne le B-A BA du métier : l’interprétation - Le plus important, ce sont les paroles. Si la chanson est mauvaise, c’est juste un beat - Elle enregistre un premier single à l’âge de 13 ans. Puis quand Henry Stone monte TK Records, il engage Clarence Reid et Willie Clarke. Betty suit le mouvement.
Elle n’a que 14 ans quand elle enregistre My First Time Around. Elle pose en pin-up sur la pochette. On voit tout de suite que Betty sait poser sa voix, pas encore au tranchant d’Aretha, mais elle s’affirme et montre du caractère dans le velouté. C’est elle qui compose l’excellent «Circle Of Heartbreak». Comme Denise LaSalle, Betty sait shaker son swing et chanter à l’accent tranchant. Elle super-chante l’ultra Soul et derrière, on peut bien dire que ça mambotte sous les cocotiers. Elle boucle l’A avec une fantastique cover de «Cry Like A Baby». Elle va même jusqu’à l’exploser. Quelle niaque de son ! On la voit enflammer le cœur d’un slowah nommé «I Can’t Stop My Heart» en B et un superbe solo de jazz finit le travail. Elle boucle cet album de débutante avec une reprise du «Just You» de Sonny Bono. Producteur de renom, Brad Shapiro lui fournit un vrai mur du son. Sacrée Betty, on ne peut rien lui refuser. C’est l’époque où Shapiro travaille pour Atlantic. Il y produira Wilson Pickett, Sam & Dave et Bettye Lavette puis il s’occupera des fesses de Millie Jackson. D’où son surnom, Shapiro the Shaperon.
C’est avec I Love The Way You Love que Betty attaque son bout de chemin avec Alston Records, filiale de TK Records, comme déjà dit. Ça va durer 7 ans, le temps de faire 7 albums. Pas folles les guêpes TK, elles ont bien compris que Betty pouvait rivaliser avec Aretha. Encore faut-il avoir les compos. Tiens justement, en voilà une : «Clean Up Woman». C’est le hit de Betty, celui qu’on croise sur toutes les bonnes compiles funk. Ça sonne comme un hit Stax. Little Beaver fait désormais partie de l’équipe, avec Clarence Reid. L’autre stand-out track est un extraordinaire shoot de Soul évolutive intitulé «I’ll Love You Forever Heart & Soul». Nous voilà au cœur du Reid System avec la voix de la reine de Saba. Elle travaille chaque cut de l’A au corps, elle les chante tous pied à pied avec une niaque qui pourrait servir de modèle. La B est un peu plus faible. Seuls deux cuts sortent la tête, le vieux hit de Bill Withers, «Ain’t No Sunshine», joué au bassmatic prévalent, et un slowah sans histoire, «Don’t Let It End This Way». On note que la B est la face lente, comme au temps des Formidable Rhythm & Blues d’Atlantic.
Malgré la qualité de ses deux albums, Betty ne parvient pas à décoller. Elle a une explication : «People are statisfied with the mediocre because they don’t hear the pure.» Avec ça, elle n’est pas très charitable avec Henry Stone : «Il était à la fois le meilleur et le pire des mecs. Le meilleur, car il était comme un père pour moi, et le pire, parce qu’il me volait mon blé. J’ai été très loyale avec lui, mais quand je venais demander mon blé, il l’avait dépensé pour la promo d’autres artistes.»
La voici en vraie reine de Saba sur la pochette de Hard To Stop. Quelle pochette ! Le contenu se révèle à la hauteur du contenant. On est en 1973 et c’est un sacrément bon album. Elle opte pour le groove de Soul, dès «Street Wonder», bien soutenue par des chœurs de rêve. Ici tout est joué à la perfection. C’est l’album de la good time music, on note l’excellence de la prestance de «We The Two Of Us». Betty s’appuie sur le plus parfait des sons de Miami, solide et fruité. Avec «Gimme Back My Man» en B, elle groove littéralement sous le vent. Quelle classe dans l’attaque ! Elle veut qu’on lui rende son mec, alors ? Sa fantastique fluidité de ton rappelle celle d’Aretha. Encore un hit phénoménal avec «The Babysitter», solide Miami Soul quasi latino dans l’attaque. S’il fallait illustrer musicalement le bonheur de vivre, on pourrait choisir ce cut. Elle termine avec une heavy groove, «It’s Hard To Stop (Doing Something When It’s Good To You)». Betty l’ultra-chante jusqu’à plus-soif. Elle fait partie des géantes du Soul System.
Sur la pochette de Danger. High Voltage, elle ressemble terriblement à Candi Staton, avec sa belle afro. D’ailleurs, elle fait exactement ce que fait Candi à la même époque, elle défend son bout de gras, d’abord avec «Everybody Was Rockin’», un solide jerk de Soul, puis avec «Love Don’t Grow On A Love Tree». Encore un heavy jerk de Soul avec «Come On Up». Même jus qu’Aretha. Betty chante ce hit de Felix Caveliere à la meilleure niaque de Floride, come on up/ Have a good time ! Elle a raison, il faut en profiter pendant qu’on est jeune. Elle tombe ensuite dans les bras d’Allen Toussaint avec «Shoorah Shoorah» qu’elle tape au bon claqué de langue, avec tout le petit chien de sa chienne. Une énormité se planque en B : «Where Is The Love». Heavy Soul de funk gorgée de niaque, dégoulinante de cuivres. Ah comme elle est bonne, cette petite Betty ! Elle chauffe son cut jusqu’à la dernière mesure, jusqu’à la dernière goutte de son, avec une rare sauvagerie. Elle est dessus, cela va sans dire.
On prétend qu’Explosion est le meilleur album de Betty. C’est un peu exagéré. On tombe pourtant très vite sous le charme d’«Open The Door To Your Heart» et de cette fantastique présence. Cette grande Sistah mène sa Soul de main de maître. Grosse énergie du chant et du son. Sur cette album au titre explosif, Betty privilégie le slow groove. C’est peut-être ça qui nous déroute. Elle pratique pourtant son slow groove avec une infinie délicatesse, mais ce n’est pas l’Explosion annoncée par le titre. Elle boucle l’A avec «Don’t Forget To Say I Love You Today», une belle Soul des jours heureux. Cette good time music sent bon les îles. La B est beaucoup plus faible. On n’y sauve que deux cuts, «Keep Feelin’» (mid-tempo des jours heureux) et «Life». On la sent de bonne humeur. Betty ne demande rien d’autre que du soleil, de la liberté et du bon temps. Elle s’en fait l’apôtre.
Sur la pochette de This Time For Real paru l’année suivante, elle porte une belle robe à motifs géométriques. Les marchands de l’époque ont collé un gros sticker ‘Disco’ sur la pochette, mais Betty reste fidèle à sa passion pour la good time music comme le montre «That Man Of Mine». Sa musique sent bon le sunshine et l’envie de danser avec une jolie femme quand on est un mec, et inversement quand on est une femme. On savoure une fois encore l’excellence de Betty. Elle reste dans le good timing en B avec «Brick Grits», une jolie chanson d’amour. Elle enchante sa Soul avec une incomparable fraîcheur. Elle est à sa façon la reine du groove léger et de l’enchantement. S’ensuit un autre groove de Soul, «Sweet», qui se faufile sous la peau. Ça joue au bas du manche de basse dans un climat d’enchantement. Il faut aussi saluer «If You Abuse My Love», une Soul plus classique signée Clarence Reid. Betty va toujours sur le côté swing de la Soul. Sans doute est-ce le côté Miami - If you abuse my love/ You’e gonna lose my love - Elle prévient gentiment. Elle termine l’album avec «Room At The Top», un nouveau shoot de Soul joyeuse. C’est son truc, son mojo.
L’année suivante paraît Betty Wright Live. Elle y fait sa reine, mais une reine des seventies. Elle emmène son «Lovin’ Is Really My Game» à la bonne clameur, épaulée par un big band. L’intérêt de cet album live est le medley qu’on trouve en B, un medley qu’elle articule autour de son hit, «Clean Up Woman», bien staxé par l’orchestre. Elle rend une sacrée série d’hommages : Chaka Khan («Midnight At The Oasis»), Billy Paul («Me And Mrs Jones»), O Jays («You Are My Sunshine») et Al Green («Let’s Get Married Today»). Elle termine avec «Where Is The Love». Oui, elle demande où est passé le love qu’il a promis. Elle a raison de gueuler. Ce n’est pas la peine de faire des promesses qu’on ne peut pas tenir. Ah comme les gens sont inconsistants ! Betty est une finisseuse exceptionnelle.
Après avoir été la reine de Saba (Hard To Stop), puis la reine des seventies (Betty Wright Live), la voilà reine du futur pour Betty Travellin’ In The Wright Circle. Elle rentre dans la folie diskö comme Labelle, revêtue de son costume de super-diskette. Quand on écoute du rock, c’est un album qu’on approche pas, même avec des pincettes. Mais comme c’est Betty, on y va les yeux fermés. Bienvenue sur le TK Diskö Sound ! Elle met toute sa hargne dans «I’m Telling You Now». Betty n’est pas du genre à faire semblant. Elle passe au big slowah de night & day avec «My Love Is» - You think that people/ have enough/ Of silly love songs - Elle essaye de convaincre les convaincus d’avance. Avec l’«Open The Door To Your Heart» qui ouvre le bal de la B, elle se lance dans une cavalcade diskoïde, au sens propre du terme, ça fouette cocher au grand trot et Betty does it Wright. Elle ramène pour l’occasion tout le petit ouaf ouaf de sa chienne et termine avec un «Listen To The Music» où elle se prend pour Sly Stone, mais en plus patapouf.
En 1981, année de l’élection de François Miterrand, Betty quitte TK pour Epic et enregistre Betty Wright. Epic l’a bien maquillée et bien coiffée pour la pochette. Une vraie gravure de mode ! C’est encore un album diskö. On retiendra surtout «Dancin’ On The One», belle trempe de diskö Soul. Joli slowah aussi que cet «Indivisible». C’est là où Betty fait la différence. Elle se bat pied à pied avec son slowah. Elle déploie des trésors de ténacité. On la voit aussi faire la coquine avec «Body Slang». Le pire c’est que c’est excellent. On sent la Soul Sister à l’affût. En B, on trouve un autre heavy balladif, «One Bad Habit». C’est sa came. Elle les finit tous en force.
Pour Wright Back At You, elle s’installe en Jamaïque et enregistre avec Marlon Jackson, le frère de Michael. Elle explique à Brown qu’à Miami, les gens connaissaient le reggae bien avant que ça ne soit devenu une mode - Je chantais déjà le reggae longtemps avant de rencontrer Bob (Marley) et j’ai fait ‘Tears On My Pillow’ avec Johnny Nash à 12 ans - Manque de pot, Wright Back At You sort en même temps que Thriller. Donc c’est cuit. Elle revient néanmoins à sa chère good time music avec «Be Your Friend» et rend hommage au reggae avec un «Reggae The Night Away» bourré d’énergie et de tous ces petits sons qui font la grandeur du reggae. C’est sûr, il y a du son sur cet album et Betty a du métier.
La voilà sur la plage pour la pochette de Sevens paru en 1986. Elle y sonne très entre deux eaux, et ce n’est pas inintéressant. Mais ce n’est pas non plus la panacée. Son «Tropical Island» est extrêmement agréable à écouter. Comme l’indique son titre, c’est un slow groove et Betty reste l’artiste accomplie que l’on sait. On l’a vu depuis la grande époque TK, c’est dans le groove qu’elle donne le meilleur d’elle-même. Oh, mais il y a un hit sur cet album balnéaire : «Pain». Slowah painy et mélodique en diable, c’est la surprise.
Quand elle en a marre de se faire rembarrer par les labels, elle décide de créer le sien, Ms. B Records et sort trois albums à la suite, Mother Wit, 4U2NJOY et Passion And ComPassion. Ce sont des albums qui ont une double particularité. La première est que Betty pose comme un mannequin de mode sur les trois pochettes, avec chapeaux et bijoux assortis, et la deuxième c’est qu’on peut se passer de ces albums. Ils sont vraiment réservés aux inconditionnels. Comme Betty a encaissé des sacrés coups durs dans la vie, elle compose pas mal de chansons sur le thème de la douleur. Elle démarre son Mother Wit avec «After The Pain». Elle utilise le slow groove pour raconter sur histoire. Pareil sur 4U2NJOY : elle y chante une merveille intitulée «From Pain To Joy». Elle y redevient envoûtante. Elle arrache toujours aussi bien au chant, elle passe du guttural au chant des sirènes, comme par enchantement. On trouve d’autres grosses poissecailles sur Mother Wit, notamment la heavy diskö de «Ms Time» et un «Miami Groove» en B solidement percutionné du cocotier. Puis on la voit encore se fâcher après un connard dans «Fakin’ Moves» : elle lui demande d’arrêter de faire semblant - Stop fakin’ move on me ! - Encore une fois, elle a raison de gueuler. Les mecs sont tous les mêmes. Il n’y en a pas un pour racheter l’autre.
Sur B-Attitudes paru en 1994, on trouve un duo de choc avec Marvin Gaye : «Distant Lover». Elle se prélasse avec Marvin sous les draps de satin jaune. Que peut-on espérer de plus sexuel qu’un duo avec Marvin sous les draps ? Qui est le plus come back baby des deux ? Sinon, elle se tape de belles tranches de heavy diskö funk. Viva Betty ! Des cuts comme «Love Is Too Deep» et «Feels Good» sont montés sur des big bassmatics qui sonnent comme des modèles du genre, d’autant que la prod les met en avant. Avec «Don’t Hurt Me», elle retrouve ses prérogatives de princesse. Elle chante sa Soul d’entre deux eaux et garde des traces de son âge d’or. Betty est une Soul Sister assez complète. Elle sait se fondre dans les méandres de la Soul. «Only You» est une merveille de slowah absolutiste, solide, bien foutu et bien chanté. Elle impose encore le plus grand respect avec «I Found Love». Elle se débrouille toujours pour fourbir un album solide. Tout repose sur la justesse et la puissance de sa voix. Elle n’a rien perdu de son éclat.
Retour inespéré en 2011 : elle enregistre un album avec the Roots qui s’appelle Betty Wright: The Movie. Attention, c’est un big album. Betty y flirte avec le hip hop et continue de labourer sa diskö. Il faut la laisser faire son truc. Elle adore ce son de heavy diskö qu’on entend dans «Surrender». Vas-y Betty ! Elle n’en finit de taper dans le groove de diskö-funk, elle sait de quoi elle parle avec «Grapes Of Vine», elle chante à la force du poignet. Et puis soudain, l’album s’éclaire avec «Look Around (Be A Man)». Elle y fait du Sly. Nous voilà au paradis, avec une chanteuse de rêve et le beat qui va avec. Puis on la voit rentrer dans le lard du groove avec «Hollywould». Fabuleuse shakeuse ! Elle multiplie les exploits et sur ce coup là, elle devient littéralement démoniaque. Retour en force au groove de charme avec «Whisper In The Wind». Betty est la gonzesse parfaite, elle sait tout faire. Sa good time music est l’une des plus parfaites de l’histoire de la Soul, car extrêmement chantée, avec des pointes de glotte. Cet album est une bombe, planquez-vous ! Elle chante son «Baby Come Back» comme on chantait un vieux hit de r’n’b, elle chante au cœur de l’atome et tout explose à nouveau avec un «So Long So Wrong» qu’elle chante jusqu’au bout du bout. Elle drive son cut à la perfection, groove parfait, franc du collier, elle est magnifique, il faut voir comme elle allume son So Long. Et voilà qu’elle fait son Aretha avec «The One». Elle réserve toujours des surprises épouvantables. Ses accents arethiens ne trompent pas. Elle ultra chante, it’s been good, elle sait si bien le dire. Fantastique Sistah.
Signé : Cazengler, Bêta Wright
Bettty Wright. Disparue le 10 mai 2020
Betty Wright. My First Time Around. ATCO Records 1968
Betty Wright. I Love The Way You Love. Alston Records 1972
Betty Wright. Hard To Stop. Alston Records 1973
Betty Wright. Danger. High Voltage. Alston Records 1974
Betty Wright. Explosion. Alston Records 1976
Betty Wright. This Time For Real. Alston Records 1977
Betty Wright. Betty Wright Live. Alston Records 1978
Betty Wright. Betty Travellin’ In The Wright Circle. Alston Records 1979
Betty Wright. Betty Wright. Epic 1981
Betty Wright. Wright Back At You. Epic 1983
Betty Wright. Sevens. First String Records 1986
Betty Wright. Mother Wit. Ms.B Records 1987
Betty Wright. 4U2NJOY. Ms.B Records 1989
Betty Wright. Passion And ComPassion. Ms.B Records 1990
Betty Wright. B-Attitudes. Ms.B Records 1994
Betty Wright & The Roots. The Movie. Ms.B Records 2011
Geoff Brown. She’s The Boss. Mojo # 313 - December 2019
Bert au grand pied
Quand un mec comme Bob Bert publie ses mémoires, en règle générale on saute dessus. Bob Bert ne fut pas seulement le batteur de Sonic Youth, d’Action Swingers, de Bewitched, de Pussy Galore, des Chrome Cranks et des Knoxville Girls, il est aussi peintre, photographe et fanzinard. Son recueil de mémoires est plus un livre d’art qu’un pavé ventru et le voilà publié aux bons soins d’HoZac, le label underground new-yorkais qui nous régale aussi d’un sweet book signé Sal Maida et d’une monographie consacrée à Chris Bell, the real Big Star.
Pour bien se positionner dans le domaine des livres d’art, Bob Bert opte pour un format élégant, ni trop carré ni trop rectangulaire, ni trop haut ni trop bas, et astucieusement agencé en séquences qui alternent de brillants portraits écrits et de flashants portraits photographiques. C’est une sorte de galerie de portraits à la Warhol, très vivante, très fraîche, très colorée, très gratinée au sens où on l’entend dans l’underground dauphinois. On croise par exemple des portraits de gens comme Lydia Lunch, Andy Warhol, Divine et son mentor John Waters, Howie Pyro, Richard Kern, Kim Shattuck (Muffs), Fred Cole (stupéfiant portrait flou de Cole avec le big Dead Moon tattoo sur la joue), Clem Burke, Elliott Smith, Kid Congo, Ian Svenonius, Steve Albini, Cynthia Plaster Caster, Vincent Gallo avec six pages pour le moins cathartiques, Michael Gira avec des pages autobiographiques absolument fascinantes, James Chance, Genesis P-Orridge (RIP) et ses litanies, Redd Kross, Hasil Adkins, James Sclavunos, quatre pages avec Suicide, et puis des accolades avec Kim Salmon, les Feshtones, Clem Burke, Mudhoney, King Buzzo des Melvins, puis avec Steven McDonald, Michael Gira et bien sûr pour finir, Lydia Lunch. C’est un ouvrage consistant, qui tient bien au corps et dans lequel on se plait à replonger encore et encore, car n’en finit-on jamais d’examiner les portraits de personnages consistants ?
Quand il évoque l’année de sa naissance, en 1955, Bob cite dix événements qui ont marqué l’année en question, notamment l’arrestation de Rosa Parks qui avait osé s’asseoir dans la partie du bus réservée aux blancs. Bob se souvient d’avoir traversé la Floride avec ses parents en 1961 et d’avoir vu les familles noires devant leurs cabanes : «Ça m’a fortement impressionné à l’époque et si j’éprouve du racisme, c’est envers les blancs stupides. La seule fois où je suis retourné en Floride, c’était dans les années 90 avec les Chrome Cranks, in and out.» À part Rosas Parks, il cite aussi la sortie de «Maybellene», puis celle du film de Nicholas Ray, Rebel Without A Cause, la première apparition télé d’Elvis et il en profite pour raconter comment il convertit à une époque Jon Spencer au culte d’Elvis : Pussy Galore était en tournée et Bob avait amené une K7 d’Elvis. Jon Spencer commença par vouloir l’écouter encore et encore, puis il changea de coiffure et se laissa pousser des rouflaquettes, et pour finir, il se mit de plus en plus à chanter comme Elvis - You can hear the Elvis-isms creeping in on his vocals on the final Pussy Galore LP Historia De La Musica Rock where we do a cover of ‘Crawfish’. Ladies and Gentlemen The Blues Explosion, obviously Elvis-inspired (Vous pouvez entre ses accents à la Elvis dans la cover de ‘Crawfish» qui se trouve sur le dernier album de Pussy Galore, Historia De La Musica Rock) - Well done, Bob !
Puis il raconte vite fait son adolescence à Clifton, une banlieue Ouest de New York et en 1975, il déboule avec un copain au CBGB pour découvrir Patti Smith et Television qui jouent devant vingt personnes - J’avais découvert le paradis et j’y retournais quatre fois par semaine pour voir tous ces nouveaux groupes démarrer - Bob voulait faire du Warhol aussi s’inscrivit-il au School of Visual Art de New York. Il travailla même dans l’atelier de sérigraphie d’Andy Warhol à l’époque où il jouait dans Sonic Youth et Pussy Galore. Visiblement, ça ne se passe pas très bien dans Sonic Youth puisqu’il est viré du groupe et remplacé par Jim Sclavunos, avant d’être rappelé quelques mois plus tard. Oh Bob ne s’étend pas trop sur cet épisode. Il renvoie plutôt à la lecture du book de Stevie Chick, The Psychic Confusion: The Sonic Youth Story. Plus glorieux est l’épisode consacré à Pussy Galore, qui fut réellement à l’avant-garde de la scène new-yorkaise - Pussy Galore was a perfect concoction of industrial noise blended with 60s garage rock and I fell in love instantly - Bob apprend vite à taper sur des vieux réservoirs d’essence pour amener un son outrageusement indus dans Pussy Galore. Il qualifie le son d’industrial garage rock racket. Pendant leur tournée japonaise, ils découvrent un groupe nommé Boredom qui les bluffe complètement - The hardest I ever had to follow. We were completely blown away - L’aventure Pussy Galore s’arrête brutalement quand Neil Hagerty et Jennifer Herrema quittent New York pour la Californie, sans avertir personne, ni Bob ni Jon. Sacré Neil !
On monte encore d’un cran dans la légendarité des choses avec les Chrome Cranks. Et pourtant Bob hésite à rejoindre le groupe car les Cranks sonnent trop comme Pussy Galore, un épisode qui pour lui date déjà de dix ans. Mais Mark Arm lui dit que les Cranks sont énormes, car ils sonnent comme les Scientists. Ha bon ? Bob ne connaît pas les Scientists et donc c’est l’occasion pour lui de les découvrir. Puis il nous emmène dans un autre épisode à dimension mythique, les Knoxville Girls, ce gang monté autour de Kid Congo et Jerry Teel. Quand Larry Hardy entend parler du projet, il signe le groupe, sans même avoir entendu une seule démo. Bob s’émerveille de voir un ex-Cramps jouer dans le même groupe qu’un ex-Sonic Youth. Il nous raconte quelques souvenirs de tournées avec les Girls, notamment sur la côte Ouest, à San Diego, avec some poseur kids called The Dandy Warhols en première partie. Bob voit les Knoxville Girls comme a good party band mixing country with some noise. Ils se qualifiaient eux-mêmes de No Wave Country. Et quand Jerry Teel part s’installer à la Nouvelle Orleans, c’est à la fois la fin des Chrome Cranks et des Knoxville Girls. Amen.
Encore un magnifique portrait, celui de cette teenage girl qui arrive de Rochester dans le milieu des années 70 et que Willy DeVille baptise Lydia Lunch. Elle inspire l’«I Need Lunch» des Dead Boys et démarre la No Wave avec Teenage Jesus & The Jerks. Bob parle de groundbreaking newness of raw head-ripping sound, d’autant plus que c’est produit par Robert Quine - I’ve been a Lunch addict ever since - Bob explique qu’elle fait un foin considérable, couvrant toute la gamme No Wave, Jazz Noir, Funk, Cock Rock, Southern Boogie, held together by the vision of Lunch. On ne compte plus les projets collaboratifs, Rowland S. Howard, Exene Cervenka, Henry Rollins, the list is endless, nous dit Bob, la discographie de Lydia Lunch donne en effet le vertige. Bob recommande chaudement de voir Retrovirus sur scène - We will be creepy-crawling into your town - et affirme un peu plus loin qu’elle a du génie : «Her mastery of stage control is super-genius.»
Il rend aussi hommage à Steve Albini, non seulement pour avoir produit Nirvana, les Pixies, PJ Harvey, Cheap Trick, les Breeders, Page & Plant, mais aussi pour avoir envoyé promener l’industrie du disk et les gros labels pour se consacrer au monde du hard hitting Underground Music. L’interview de Vincent Gallo est tirée d’un numéro de BB Gun, le fanzine de Bob, et franchement, ça vaut le détour. Gallo a vraiment un style, il est la rock-movie star par excellence. Dans l’interview il descend par exemple Jim Jarmush - Jim doesn’t have soul - et lui préfère Richard Kern qui deale de la dope pour financer ses projets de films. Bob brosse également un portrait superbe de James Chance - the bastard son of free jazz, James Brown and Iggy in a sharkskin suit, pompadour and a saxophone - Bob rappelle qu’en plus James Chance allait dans le public pour giffler des gens, ce qui paraît-il augmentait encore son charisme. Pour Bob, James Chance fut le premier à shooter du jazz et du funk dans le punk rock world et l’album Off White reste l’un de ses albums favoris.
Jeff McDonald accorde aussi une interview à Bob pour BB Gun. Quand Bob lui demande pourquoi ils portaient les cheveux longs alors que tout le monde les portait courts, Jeff répond que c’était par amour pour les Rolling Stones et les New York Dolls. On peut difficilement faire mieux en matière de références. Redd Kross fait d’ailleurs une fantastique cover de «Citadel» sur cet album devenu cultissime, Teen Babes From Monsanto. Bizarrement, Bob ne parle pas beaucoup de Cramps, ce sont donc les autres qui en parlent à sa place. Comme par exemple Jim Sclavunos que les Cramps embauchent à une époque. Mais Jim voit qu’ils n’ont pas trop confiance en lui, «parce que j’ai trop de vie sociale. Je ne suis pas non plus assez pâle. Ils avaient des exigences extraordinaires. Ils voulaient par exemple que je marche dans Los Angeles avec une ombrelle pour ne pas avoir la peau du visage halée. Ils n’aimaient pas le fait que je joue dans d’autres groupes. Ils voyaient d’un sale œil ma fréquentation de Lydia Lunch, de l’art rock et de tous ces trucs malsains. Et quand ils ont découvert que j’avais été journaliste, ce fut la fin des haricots. Je fus viré sur le champ.»
Signé : Cazengler, Bob Berk
Bob Bert. I’m Just The Drummer. HoZac Books 2019
TONY MARLOW TRIO
LE BACCHUS
( 19 – 06 – 2020 / CHÂTEAU THIERRY )
ON THE ROAD AGAIN
Après Courgivaud, vous quittez la terre de hommes. Disparus. N'en reste plus un seul. N'y a plus que moi et la teuf-teuf. Qui ronchonne. C'est quoi ce pays, même pas un piéton sur le bord de la route à écraser ! Excusez-la. Folle de joie à l'idée de repartir dévorer les grands espaces. Premier concert depuis trois mois. Du jour au lendemain, rayés de la carte du monde, l'on ne sait pas trop pourquoi. Aussi énigmatique que la subite extinction des dinosaures. Quoique dans ma tête je pense détenir l'hypothèse qui permettra de résoudre le mystère, n'ont pas dû survivre au premier confinement, privées de mouvements et de pâturages ces délicates bébêtes sont mortes d'ennui et de faim. N'étaient pas aussi terribles que le racontent les paléontologues puisque nous, race fragile des humains, avons survécu. Enfin pas partout. Dans le département de la Marne, ne reste plus que des champs de blés sans fin entrecoupés de vastes marnières.
Une pancarte : '' Grand Morin''. L'a dû oublier de grandir, le pont qui l'enjambe mesure au moins deux mètres cinquante. Montmirail, des rues vides, au fond d'une avenue passe une voiture de survivants ! Sans haine nous entrons dans le département de l'Aisne. Nous voici dans Château Thierry. Non nous n'avons vu ni le château ni Thierry, par contre des groupes de jeunes qui discutent et se promènent. Tous connaissent l'emplacement exact du Bacchus.
Comme quoi, rockers, les Dieux de l'antique Rome
N'ont au très grand jamais abandonné les hommes.
Admirez la rime des mes alexandrins foireux, nous sommes au pays de Jean de La Fontaine.
GOIN' BACCHUS HOME
L'est des lieux – de plus en plus rares – où l'on se sent mieux qu'ailleurs. Un bar d'où l'on ne se barre pas. D'abord vous avez les trois attributs magiques du bar qui se respecte. Au mieux de nos jours, rares sont les établissements qui en possèdent un seul, la plupart du temps relégué en un coin sombre.... mais ici on les exhibe fièrement. D'abord un billard américain avec son tapis vert aussi vaste que la toundra russe, vous ne pouvez pas ne pas le voir, sa pelouse verdoyante vous saute aux yeux dès l'entrée. Point d'inquiétude la pièce est spacieuse. Un flipper bien sûr, l'unique machine au monde qui exacerbe les passions dès qu'elle s'arrête sans prévenir. Tilt ! Un frisson de rage vous parcourt l'abdomen, c'est tellement bon que vous ne résistez pas à remettre une pièce. J'ai gardé le meilleur pour la fin, l'appareil-roi, le babyfoot, le meuble convivial par excellence. Il fut le premier réseau social. Limité certes, mais ô combien de passions tumultueuses déchaînées !
Bien sûr vous pouvez boire. Et même manger. Les prix sont modérés. Longue salle à brasserie qui elle aussi a vue sur la scène. Car le Bacchus est un bar rock. Se font de plus en plus rares par ces temps qui courent, de plus en plus lentement, de plus en plus pesamment. A croire que les autorités ne les aiment pas. L'on ne compte plus les groupes qui sont passés par là et qui repasseront par ici. Les affiches sur les murs en témoignent. Eclectique mais électrique. Le rock qui tache, qui hache, qui fâche. D'ailleurs les bars qui offrent des concerts en cette période de post-confinement se comptent sur les doigts de la main d'un manchot. Preuve qu'ils aiment ça !
Est-ce tout ? Non, le Bacchus possède une âme. Magnifiquement incarnée. Se prénomme Sabine sous sa crinière mordorée de lionne, visage auréolé d'un beau sourire et des mains pleines de bagues. Vous régente son monde avec simplicité et intelligence.
FIRST SET TO HEAVEN
Il y a des soirs où vous êtes gâtés. Trio Tony Marlow après trois mois d'abstinence. Sont là en chair et en os. Avec leurs instruments. Envie de les tapoter discrètement pour s'assurer que ce ne sont pas des hologrammes. Amine inspecte une dernière fois sa big mama, Tony se charge de dire bonjour au micro. Fred Kolinski préside. Pour ceux qui ne connaissent pas, je précise qu'il trône derrière sa batterie, pause hiératique, ses yeux clairs fixés sur l'invisible, ses cheveux blancs qui retombent sur ses épaules lui donnent l'apparence du chef des druides des légendes bretonnes, indifférent à ses congénères, en conversation muette avec les puissances invisibles qui lui révèlent, par les mille bouches des feuilles des arbres agités par un vent léger, mille secrets interdits...
Hélas nous n'en saurons rien, démarrent tous les trois brutalement, z'ont Rendez-vous au mythique Ace Cafe, se tirent la bourre, chacun essaie de distancer ses deux copains, accélèrent comme des fous, mais au final pilent juste devant la vitrine, tous les trois sur la même ligne. Genre d'instrumental que l'on adore, les virages ne sont pas négociés, et sur les lignes droites l'honneur vous interdit de ralentir. Pas plutôt arrivés que déjà repartis, Around and Around de Chuck Berry, une gymnastique hallucinante, un coup vous foncez dans le brouillard comme des fadurles et le temps d'après changement de rythmique, vous buvez une tasse de thé, le petit doigt en l'air pour séduire une gente damoiselle, et hop le brouillard vous happe une nouvelle fois. Ce vieux Chuck alterne le froid et le chaud. Un traquenard innommable. Souvent les groupes vous le font à l'auto-tamponneuse, un coup je rentre, un coup je recule, chacun à sa propre cadence, mais le TMT ils vous le font à la mécanique d'horlogerie suisse, jamais un temps en avance ou en retard. Pas question que les planètes se télescopent ou que les engrenages s'entremêlent les roues dentées.
Question pionniers, dans les minutes qui suivent nous aurons Blue days, black nights, pas de mes titres préférés de Buddy Holly, un excellent exercice de surfilage et de doigté, mais qui manque de niaque à mon humble avis. Surtout qu'entre temps ils ont enfilé deux compos , en français de surcroît, Rockabilly Troubadour et Le garage, qu'ils ont merveilleusement interprétées à fond les gamelles, Tony impérial au vocal, l'impression à chaque fois de descendre une ruelle en pente sur le triptyque diabolique de la bande à Gaby dans Le cheval sans tête de Paul Berna. Faut écouter les textes de Tony, de véritables petits chefs-d'œuvre, des tranches de vie qui nous ressemblent. Et nous rassemblent. Autre classique, Hallelujah I love her so d'Eddie Cochran qui l'avait lui-même repris à Ray Charles. Là j'avoue que je sais plus quoi écouter. La voix de Tony, encore plus nette plus précise que d'habitude, et puis surtout l'impression d'ensemble, le combo comme formé d'un seul homme. Sont trois à jouer, ne se répondent plus, sont totalement enchevêtrés, imbriqués. Soudés comme jamais. Pas de croche-pied, pas de débordement. Pas de froideur jazzistique non plus. Un rentre-dedans époustouflant, un torrent qui vous emporte en un flot tempétueux. Les applaudissements crépitent à la fin des morceaux. Se transformeront en ovation lors des pépites qui suivent. Le meilleur est à venir. Debout ! Nouveau morceau. Le TMT a mis à profit le confinement. Z'ont composé, z'ont répété, z'ont enregistré, sont en train d'achever un nouveau disque, et nous ont offert de nouveaux titres. Ce Debout ! Bien dressé sur ses ergots de coq de combat. Victorieux. Un red rooster carabiné. Entre celui-ci et le suivant, un truc bien connu, Hey Joe, avec les lyrics de Johnny, oui mais à la guitare. Tony Marlow. Même pas une mini-box ou une pédale d'effets. Les cordes seules. Et le doigté. La Fender qui fend l'air. Une espèce de typhon qui fond sur vous, trois minutes, quand vous reprenez conscience, votre maison a disparu, tous les vôtres sont morts, vous êtes tout nu, mais vous exultez, l'expérience valait le coup. Mais vous n'avez encore rien entendu. Faudrait les dénoncer, vous prennent en traître. Après Jimi, vous sortent le slow de l'été, guitare sixties et pseudo-mélancolie pour ménagère de plus de quatre-vingt balais usés. Juste une autre chanson, c'est le titre, difficile de trouver plus tricard, le morceau de la soirée qui m'a scotché, comment dire, un truc qui sonne juste, qui transcende le temps et les époques. Un fragment d'éternité.
Plouf ! Là-dessus un Matchbox de Carl Perkins. Dévastateur. Suis sûr que c'est la même boîte d'allumettes qui a servi l'été dernier à mettre le feu à l'Amazonie. Continuent dans l'apocalypse, Quand Cliff Galloppe, retenue et lacération, le tigre qui vous déchirera de ses griffes, les a d'abord rétractées afin de les sortir d'autant plus violemment quand il les enfoncera dans votre chair. L'on attend Marlow le marlou sur ce titre, c'est Amine qui vient le trouver, tout contre, tout contrebasse, et l'on saute dans une superbe bagarre-ballet au cran d'arrêt des plus méritoires. C'est Fred Kolinski qui aura les trois mots de la fin, pim, pam, poum, vous frappe ces trois coups de gong fatidiques comme les curés vous expédiaient l'extrême-onction en 14, sur les cadavres entassés dans la tranchée que vous veniez de prendre à la baïonnette. Au cas hautement incertain où auriez survécu, vous ont réservé une sorte d'entonnoir, genre porte étroite qui vous expédie en enfer sous forme de chair à saucisse, un instrumental, je me contente de vous laisser méditer, mes très chers frères et mes encore plus chères sœurs, sur le titre : Boogie furieux. Peut-on exiger congruence plus parfaite entre le son d'une chose et la dénomination qui la nomme.
Que vont-ils nous inventer pour la séquence suivante. Ils trichent. Prennent les spectateurs par les sentiments, Alicia F ! Deux morceaux à tout berzingue. I need a man qu'elle chante à vous couper le souffle. D'ailleurs dans la seconde qui suit, elle envoie Breathless de Johnny Kidd, qu'elle smashe breathfull. L'a pris nos cœurs à l'abordage, elle est déjà partie. Alicia F ! ne fait pas de prisonniers.
L'on termine en beauté sur un Be Bop A Lula d'anthologie, repris en chœur par tout le monde. Même des dîneurs attardés se lèvent pour piquer la goualante.
SECOND SET TO HEAVEN
Fut à la hauteur du premier. Si vous me le permettez j'accorderai une moindre importance à la set-list. Sous les titres, ce sont les hommes qui les portent qu'il faut regarder. Une mention spéciale au Rock'n'roll Music de Chuck Berry, tout comme l'Around and Around du premier set. L'ont traité à l'ancienne. Je ne veux pas dire qu'ils ont imité Chuck Berry. Non, ils ont réussi à retrouver le son des tout premiers quarante-cinq tours de Chuck. L'on a tendance à jouer Chuck avec des guitares claironnantes, genre j'envoie le riff de Johnnie B. Goode et en avant la fanfare et la ferblanterie. Les premiers enregistrements de Chuck étaient beaucoup moins tape-à-l'œil, beaucoup plus terre-à-terre, moins clinquants, davantage low down pour jouer avec l'antithétique formule slow down. L'on touche à la boue du delta, la guitare s'en extrait, mais y retombe irrémédiablement. Même si Keith Richard peut être tenu pour responsable de la flashy manière de passer les riffs, il ne faut pas mésestimer ce que les Stones doivent à Berry, une certaine lourdeur qui leur a permis de mieux entendre le blues que les autres, de concocter cette épaisseur sonore, ce magma inextricable, qui les a classés bien au-dessus de tous leurs concurrents à leur époque.
Avant de parler des mecs, anticipons le retour d'Alicia F, Le Diable en personne version française de Shakin' All Over, ah ! Cette partie de guitare de Joe Moretti, un des meilleurs guitaristes anglais que trop souvent l'on oublie de mentionner, et puis le classique de Bobby Fuller IV, ce I fought the law l'hymne des rebelles qui perdent la partie sur un rythme entraînant qui a l'art de transformer la défaite en victoire. Paroles reprises par toute la salle, ce qui n'empêche pas Alicia de s'éclipser aussi rapidement que précédemment. Aurait-elle compris que l'absence attise le désir plus qu'elle ne l'émousse !
Marlow rides again. C'est le titre d'un de ses morceaux. Un instrumental. Mot magique. Horripilant lorsque vous regardez Marlow jouer. Cela semble si facile ! Les doigts et pas d'esbroufe. Un homme qui sait ce qu'il veut. Et qui se donne les moyens de l'obtenir. Marlow aime à galoper. L'a une prédilection pour le difficile, pour le défi, pour le lot de ficelles qui doivent se dérouler à toute vitesse, sans s'emmêler. Regardez ses doigts. Même sur les tempos les plus chaotiques qui passent du coq à l'âne, il les meut avec une certaine lenteur. Ne confond pas vitesse et précipitation et surtout pas célérité avec précision. Les traite toutes les deux à part. Dans son jeu aucune ne doit dépendre de l'autre. C'est sa tête qui décide. D'où il part. Où il s'arrêtera. Et surtout de toute la cartographie du chemin. Marlow ne cherche pas la note pour la note, mais pour sa musicalité. L'éclat et la brillance. Le foyer des pierres précieuses. A la manière des lampyres, ces verts luisants qui allument la verte intransigeance de leur émeraude pour que la nuit paraisse encore plus noire. L'on ne s'ennuie jamais à écouter le Marlou, construit davantage des lignes mélodiques que des riffs, mais il accorde à chacune une scintillance, une force, un climat qui n'appartient qu'à elles. Des espèces de leitmotivs wagnériens qui reviennent et disparaissent selon sa volonté. N'égrène pas des notes, ne sème pas à tous vents ni au hasard. Il compose et dispose. A sa guise. Un des meilleurs guitaristes.
Amine Leroy. Les cheveux du même noir que sa contrebasse. Se ressemblent quelque peu, mais c'est lui le roi. La reine n'a pas trop son mot à dire. Lui dicte ses discours. La talonne de près. La surveille. Fais la note et tais-toi. Je ne veux pas t'entendre, juste ce que je te demande, Amine slappe comme le chat lape son lait. A coups précis et rapides. Le liquide n'a qu'à se laisser faire, c'est la langue du greffier qui vide la soucoupe. C'est Amine qui fouette le slap, la mama n'a que sa propre élasticité à offrir. Amine n'est pas un égoïste, donne beaucoup, apporte tout ce qu'il trouve en lui, sa virtuosité, sa force, ses inventions, ses désirs, ses émotions. L'est le peintre qui porte les couleurs sur la toile qui n'a que le mérite d'être-là. Les contrebassistes sont comme les sous-marins. Ils dégagent un son – on appelle cela une signature qui permet de les identifier - qui n'appartient qu'à eux. Celui d'Amine est sec, net, tranchant, peu protubérant mais empli de profondeur caverneuse. Entre parenthèses, idéal pour le rockabilly. Et ce soir Amine est animé d'une hargne joyeuse, il cherche le full-contact, il lève la jambe un peu à la Gene Vincent par-dessus un micro qui n'existe pas. Amine s'exalte et exulte. Il a le son, comme les gitans ont le duende, il le porte partout avec lui, il le matraque, il le maltraite, il en extrait de ces résonances qui toute la soirée firent notre délice.
Nous avons commencé par lui, nous terminerons par lui. Fred Kolinski derrière ses tambours. Les batteurs sont des hypocrites, se mettent contre le mur, genre je suis le cancre au fond de la classe près du radiateur, ne m'en demandez pas trop. Fred Kolinski est de ce type-là. Et puis si vous le quittez de l'œil vous vous dites, bon ça va, il bosse. Mais si vous le regardez vous vous apercevez qu'il est partout à la fois. Bien sûr l'air de rien, avec sa posture royale de sage supérieur dédaigneux des contingences terrestres. En vérité l'est comme le matou couché sur le divan. Semble dormir profondément mais si au deuxième étage de la maison une souris sort de son trou, s'il parlait il pourrait vous spécifier qu'elle se trouve exactement à quinze centimètres au sud-sud-est du troisième pied de la commode. Bref Fred taffe à mort. Il est le véhicule d'intervention premier secours d'urgence et en même temps la voiture balai qui vient en aide aux éclopés du tour de France. C'est un plaisir de regarder Kolinski, l'est tour à tour le garçon de café qui vous apporte votre boisson préférée avant même que vous soyez aperçu que sans elle vous alliez mourir de soif dans la seconde qui vient, ou le chien d'avalanche salvateur avec son petit tonneau de rhum qui vous aide à remonter de la crevasse dans laquelle votre impéritie vous avait précipité. C'est aussi un jeu. Sont trois sur scène. Comme des acteurs qui s'amusent à rallonger ou à raccourcir une réplique pour jouir de l'a-propos de son collègue.
Kolinski joue simple, c'est lui qui le dit. Mais de cette simplicité des joueurs de bonneteau qui sans se presser du même geste intervertissent trois timbales et s'approprient le billet de cent euros que vous aviez bêtement parié. L'est toujours là où il faut et là où il ne faut pas. L'assure sa partie et assume les dérives des deux autres. Se connaissent bien, et ce soir les écarts ne furent jamais monstrueux. Bref un superbe concert ! Un chaleureux public d'habitués, il aurait pu être un poil plus nombreux, les gens se plaignent mais laissent passer les occasions en or. Trois musiciens bourrés de talent, dispensateurs de rock'n'roll.
Un vrai concert pas un ersatz je-joue-chez-moi-dans-ma-salle-de-bain-et-vous-m'admirez-sur-FB. Mais pour cela, il faut remercier Le Bacchus et Sabine qui n'a pas décommandé, qui n'a pas eu peur. C'est elle qui mérite la mention Attitude Rock'n'Roll !
Damie Chad.
*
Il est des chanteurs de rock des années cinquante dont on ne possède que quatre ou cinq photos, certes leur carrière ne dura que quelques mois, un ou deux petits 45 tours et puis s'en vont, cependant pour les artistes connus de la même époque les documents iconographiques ne sont pas pléthoriques, il suffit d'être par exemple fan d'une idole qui eut son heure de gloire pour s'apercevoir que l'on retombe sempiternellement sur les deux cents à trois cents mêmes documents. Tous les rockers n'ont pas eu la chance d'Elvis Presley qui en son temps fut l'homme le plus photographié de son siècle.
L'on en parle peu mais au début des années soixante en France les fans collectionnaient les photographies, type cartes postales, parfois en couleurs, souvent en noir et blanc, des groupes rock et yé-yés plus ou moins célèbres. Jusqu'au début des années quatre-vingt-dix l'on pouvait encore s'en procurer dans les brocantes, sur les marchés et les foires chez des vendeurs spécialisés dans ces catalogues d'une autre époque.
Les temps ont changé. Le portable est arrivé et tout s'est arrangé. J'aimerais partager cet optimisme. Il est sûr que lors du concert d'une formation quasi-inconnue, mal annoncé, en un rade incertain, devant un public réduit à quinze personnes il n'est pas rare d'avoir dix aficionados qui d'office sortent leur téléphone et mitraillent sans discernement.
L'iconographie des groupes d'aujourd'hui – je parle de ceux qui n'ont aucun accès aux media de masse - reposent en grande partie sur ces images, vite prises pas prises, ai-je envie de dire, car si certaines sont occasionnellement très fortes, elles n'offrent qu'un intérêt artistique limité, mais tout document n'est-il pas digne d'attention soutenue ? De plus il règne dans nos milieux rock une latente idéologie post-punk, post-dadartistique qui privilégie l'authenticité maladroite en opposition avec l'orthodoxie bien proprette sur elle attendue de tous que l'on retrouve dans les magazines sur papier glacé, avec les artistes souriant en rang d'oignons.
Certains groupes ont la chance d'être amicalement suivis par des photographes pourvus d'un matos de pro et surtout d'une sensibilité rock qui leur fournissent de belles et alléchantes photographies mais qui avant tout cherchent davantage à traduire le force, voire la fragilité, de l'impact esthétique de leur prestation. Se veulent fidèles à la réalité de leurs impressions et en oublient du coup que le résultat de leur '' travail '' est aussi une production artistique qui devrait être formellement poursuivie en ce sens, ils négligent de l'entrevoir et de le présenter en tant que création à part entière.
Toutes ces généralités préambulesques pour en venir à une série de photos d'Alicia Fiorucci prises par Antoine TK Pix Newel. Alicia Fiorucci a compris qu'il n'était pas suffisant d'être vue car c'était rester captive des représentations de l'autre. L'important est de se donner à voir en tant que soumission du regard de l'autre à sa propre volonté. Maîtresse du jeu.
ALICIA F
BREXIT, ROCK & SEXY BY TK PIX
( 06 / 07 / 2016 )
Ici il ne s'agit pas de photos mais d'images. Evidemment que ce sont des photographies ! Mais il faut comprendre que la photographie est juste le support, que c'est l'image qui lui donne sens. L'image est toujours double, elle est autant engendrée par celui qui l'a objectivée que par celui qui a donné naissance à sa subjectivisation. Dans la plupart des cas qui retiennent notre attention les deux personnes se confondent. Ici la situation se corse – ce qui n'a rien d'étonnant quand on s'appelle Fiorucci – elles sont trois, le photographe, la commanditaire qui est aussi le modèle. Trois dimensions, serions-nous plus près de la sculpture que d'une forme mise à plat ? Evidemment que oui ! Mais une sculpture mentale, autant dire une œuvre réfléchie, qui réfléchit autant l'autre que l'une, autant l'autre que la même.
La planche qui comporte les 15 photographies est précédée du rappel du thème de la séance : Rock, English and sexy obviously. Je ne vous ferai pas l'injure de vous traduire les quatre premiers mots. Le cinquième me semble davantage sujet à caution. Evidemment qu'obvoiusly signifie évidemment. Mais le vocabulaire anglais étant truffé de vocables français – merci Guillaume le Conquérant – il se doit d'être rapproché de notre verbe obvier, un terme au sens aussi glissant qu'un serpent à deux têtes qui signifie aussi bien s'opposer que faciliter ! L'ambiguïté faite adverbe est évidente.
1
Brexit !
Que le rock soit anglais, Beatles, Rolling Stones et des centaines d'autres groupes l'ont démontré. Qu'il soit une musique à forte connotation sexuelle est indéniable. Nous surfons sur des évidences. Reste qu'évidemment cela doit être appliqué à Alicia Fiorucci, qui se veut décliner non en en Itsi, Bitsy, Petit Bikini, mais en Brexit, Rock and Sexy, by TK PIX. Et rien d'autre. Mettez-vous à la place d'Antoine Newel. Rien d'autre signifie rien d'autre qu'Alicia. Il a tenu la gageure. Fond blanc. Sauf sur la première image sur fond d'Union Jack. Depuis les Who rien de plus parlant que la pavillon britannique pour désigner l'Angleterre. Les Sex Pistols à la génération suivante n'ont fait que confirmer. Pistols, laissez tomber, Sex nous sommes en plein sujet. Sur le drapeau ce ne sera pas la reine bâillonnée mais Alicia la merveilleuse les seins nus pudiquement cachés sous la paume ( interdit de croquer ) de ses deux mains. En lot de consolation le mini-kilt que le vent retrousse. L'on montre et l'on cache. Sens obvié.
2
Leather belt stone tattoo
Vous en mettre plein la vue. Gros plan. Hélas un peu trop haut, pas assez bas. Le tattoo stones qui vous tire la langue, salivez, des mains qui défendent et en même temps déclenchent le désir, futal de cuir au ceinturon clouté de cœurs, plan sexe oui, mais pas cul. Désir obvié. Alicia provoque, Elle convoque. N'est pas réciproque. Vous renvoie à la solitudede votre regard. Le fan de rock verra en cette photo tout ce que la pochette de Sticky Finger des Stones ne montre pas.
3
Little Bob Addict
Presque une image de première communiante. Ne tient pas un cierge phallique entre ses mains mais se couvre chastement le buste avec l'histoire du petit Bob. En haut sourire de guingois. En bas reluquez, these boots, are made for walkin', and one of these days they are gonna walk all over you. Vous êtes prévenus. Elle de nu, elle n'offre que le bas des cuisses et le haut des genoux. Entre le pas assez et le nettement insuffisant Antoine Newel promène son obturateur. Il est parvenu à produire une représentation figurée du manque.
4
Don't look back ! Go ahead !
Elle vous tourne le dos et en même temps vous regarde. Mépris et invite. Yeux verts en coin de triangle, l'arête du nez angulaire soulignée du trait des lèvres rouges. Allure vipérine, car pour avancer le serpent ondule, se courbe pour poursuivre son droit chemin. Juste la protubérance d'un sein dans l'alignement recouvert d'un voile blanc, étrangement le justaucorps noir laisse transparaître le rose épanoui de la peau, en accentue la crudité, vous intime l'ordre d'être hors de l'intime. Elle poursuit sa route, vous invite et vous évite sur le bord du chemin. Tranche de carnation qui vous retranche d'elle, car elle est pour elle seule. Plus qu'une image, un mot d'ordre qui est une sollicitation à votre seule solitude. Sur le précédent cliché Alicia se cachait, se protégeait, vous séparait d'elle d'un disque de rock, et la voici rapprochée, de la série des quinze, c'est l'artefact de la plus grande approche, de la plus belle accroche, Antoine Newel a bien saisi la personnalité de la miss – I miss you diraient les Stones – qui se tourne vers vous pour dans ce même mouvement affirmer sa suprême liberté à n'être que ce qu'elle veut être, entièrement elle, dans le seul but que votre regard suscite sa présence.
5
Mallarmé écrivait pour mettre de la fumée entre lui et le monde. Alicia a perverti ce modus vivendi. Elle se fait photographier pour exhaler et exalter la prégnance de son corps sur le monde. Assise en mode vamp, le visage oblitérée d'un brouillard de bouffée de cigarette rejetée, les yeux grand-ouverts, il est étrange de penser que cette photographie vous scrute davantage que vous ne la regardez. Une insolence qui vous oblige à porter vos regard sur ce corps comme ganté de noir, mais l'endroit des seins et du sexe arborés d'un tissu blanc, telle ces pages mallarméennes d'impuissance que leur blancheur défendait. Elle est ailleurs. Lointaine.
6
La belle n'est pas cruelle. Elle s'offre à vous, dévoilant la statue de son corps. La main brise la chaînette de son cou. Ses seins dévoilés sous la transparence de son soutien-gorge. Tour d'ivoire de sa chair. La très chère se fait désirer mais n'est pas entièrement nue et a gardé le fuselage montant de ses bottes. Sensualité à fleur de peau d'amazone guerrière prête à se donner mais qui ne se livre pas. Le plus beau reste encore ce regard satisfait – Antoine Newel a su le saisir sans l'exhiber - qu'elle porte sur elle-même, cette contemplation narcissique, cette fierté auto-satisfaite d'être ce qu'elle est. D'être l'incarnation d'être sa propre volonté à être devenue ce qu'elle est. Et cette main qui dégrafe le barbelé de sa jarretière.
7
Vous l'avez eue debout. La voici vindicative. L'image rouge de l'aspic désir qui se penche sur vous telle une menace de femelle qui s'apprête à se nourrir d'une chair qui n'est pas la sienne. Son corps s'est métamorphosé en langue de serpent et pire que cela il pointe vers sa proie tel le logo des Stones, licencieux et provocatif. Elle est ce chiffon d'amarante qui l'habille et qu'elle agite sous le mufle que vous êtes.
8
La voici couchée, aguichante princesse aux pieds dénudées dans une friandise de flots de fanfreluches noires, le regard vert aigu, la bouche souriante qui ne dit mot et consent à s'amuser mutine de son accoutrement de sorcière, la peau laiteuse et latescente, elle attend, grande dame souveraine sur le sofa.
9
Vous ne le saviez pas, cette neuvième symphonie pictogrammique n'est que le troisième volet du triptyque qu'elle forme avec les deux précédentes. D'où la nécessité de revenir à la pénultième, à la considérer en la représentation de ces vierge noires qui symboliquement selon l'iconographie christique représentent l'abîme sans fond de la tentation. Le lecteur lettré se imaginera y voir une contre-lecture d'Eloa d'Alfred de Vigny. Eloa aux boas. D'où la nécessité maintenant de voir les deux effigies rougeoyantes en tant que représentations des flammes dévorantes de l'enfer du désir, un peu comme les boutons rose-rouge du bout de deux seins absents, image métaphorique intérieure suscitée par leurs positions adjacentes. Autant le premier pourrait se nommer ''L'appel'' celui-ci devrait recevoir pour titre ''L'étonnement''. La face féminine du penseur de Rodin, la penseuse n'est pas perdue en son propre mystère, elle est comme surprise de la laideur du monde qu'elle a désiré. Antoine Newel s'est contenté de figer une expression. Ce biais de bras qui ferme le centre du monde, cette bouche entrouverte sur le constat définitif de la vacuité universelle, cet instant précis où l'individu se rend compte qu'il est la seule réalité dont il ne puisse douter de la vacuité. Newel a fixé et montré une pensée en actes.
10
Zou, au boulot ! Fuyons ces pensées destructrices. Revenons à la vie. Il faut que ça déménage. Reste que quand même que l'on peut s'interroger sur la signification de cette étrange lettre formée par les deux jambages, quel titre lui donner si ce n'est la fille et l'objet, ou pour être plus précis la fille qui se repose sur l'objet stepique de son propre désir, qu'elle manie et transforme en cet outil que les déménageurs et les ménagères appellent diable. Autant s'y appuyer dessus pour souffler un peu. Sur les braises de cette tenue noire d'un feu qui ne demande qu'à renaître.
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A ce jeu, non pas de l'oie blanche mais du cygne noir, il convient de suivre la règle et de reculer de quelques cases. Souvent dans nos existences nous croyons avancer alors que nous stagnons dans le périmètre fallacieusement merveilleux de nos propres représentations. Il faut savoir se relever, se quitter, soi et ses rêves, pour être encore davantage soi et offrir au monde sous la noirceur du désir la transparence idéelle de sa beauté. Ce bras dans le prolongement de la tête, cette main arquée, Antoine Newel a supprimée les ombres, sur le fond blanc immaculée, la nacre de la chair éclate telle la morsure d'un serpent.
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Chapeau melon et bottes de cuir. Sans rien d'autre dessus que l'immense drap du drapeau anglais. Comme quoi l'Angleterre a toujours quelque chose à cacher. Sur les bords, Antoine Newel a arrondi les angles. Presque une carte à jouer. Joker ou nouvelle reine ? Réponse à la case suivante.
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Donc le pavillon britannique est juste une immense croix rouge dont on se sert pour barrer les chemins interdits. Comme quoi tout symbole peut être réduit à son utilité sociale. A sa futilité draconnienne. Pour cette arcane de la petite mort, le désir n'est plus suscité selon l'extérieur, mais exprimée de l'intérieur. Jeu de lèvres et de mains. Yeux clos, nudité des hanches. Juste la caresse des tattoos et le mime de la jouissance. Faussement surprise et effarouchée. Le désir n'est-il qu'un accessoire de la liberté. Au même titre qu'un chapeau rond.
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Le voici dans sa crudité. En déshabillé lourd. Un doigt sur les lèvres de la bouche ouverte, et l'autre main refermée sur l'entaille des autres lèvres du bas. Le corps de bête affamée penchée en avant nous appelle, le geste d'un appel plus que suggestif. Qui nous rappelle qu'Alicia se joue de nous, qu'elle joue avec nos pulsions. I wanna be your dog.
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La même en fausse innocence. Ces deux dernières icônes séparées sont à réunir, ne sont pas s'en évoquer ces tableaux de la Renaissance d'un Albretch Dürer ou d'un Lucas Cranach qui nous montrent le couple biblique Adam et Eve mais ici nous n'avons que deux auto-présentations, d'Alicia et d'Alicia, qui se suffit à elle seule. Elle ne tient pas la pomme, tire juste un peu sur l'affriolant serpentin de l'élastique de sa culotte. Geste mutin et d'innocence perverse. L'essence du rock'n'roll.
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L'image qui ne fait pas partie de la série. Dessus devrait y avoir Antoine Newel. Mais il est hors-cadre, même si toutes ses photographies à l'exception d'une seule n'en possèdent pas. Car comment voudriez vous mettre une limite à la représentation de l'infini féminin. Evidemment, il est là, sur toutes les photos. S'est chargé de tout le boulot mais a été exclu de la représentation finale. Ce bas-monde est rempli d'injustices ! Reprenons notre sérieux. Ces photos font irrésistiblement penser à ces kits de mannequins miniatures de cartons que l'on offre aux petites filles pour qu'elles les habillent de diverses tenues. Ici le jeu consiste à en mettre le moins possible. Rester dans l'indécence des sens tout en exacerbant la paroxystique démesure de sa présence par son absence même. Antoine Newel a su créer un monde de marionnettes de carton à manipuler sans fin. Le jeu des perles de verres cher à Hermann Hesse, dont la silhouette d'Alicia Fiorucci jouerait le rôle des opales les plus transparentes, des nacres les plus limpides. Une approche souveraine, l'insaisissable fixation sur papier, l'incroyable appropriation par la science du photographe de l'auto-fiction du personnage fioruccien à représenter , la miraculeuse résolution de l'effulgence d'un désir mental.
Damie Chad.
17:51 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rockabilly generation, betty wright, bob bert, tony marlow trio, alicia fiorucci
17/06/2020
KR'TNT ! 469 : PRETTY THINGS / DAVID ROBKAB / UNDERTONES / VOLUTES / FELIX PAPPALARDI + CREATION
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 469
A ROCKLIT PRODUCTION
FB : KR'TNT KR'TNT
18 / 06 / 20
PRETTY THINGS / DAVID ROBKAB UNDERTONES / VOLUTES FELIX PAPPALARDI + CREATION |
TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Oh You Pretty Things
- Part Seven
Sans même savoir que les choses allaient prendre une tournure tragique, les Pretties décidèrent le 13 décembre 2018 de tirer leur révérence à Londres, comme ils l’avaient fait deux mois auparavant à la Maroquiqui (concert infiniment mémorable du 19 octobre 2018 qui fit l’objet d’un Part Three ici-même sur KR'TNT). Attaqué de l’intérieur par un féroce emphysème, Phil May savait qu’il ne pouvait plus compter sur ses poumons et tenir une scène pendant quatre-vingt dix minutes. Le rock a ses limites. On finit par se faire avoir, même au bout d’un demi siècle de rage before the beauty.
Histoire d’accompagner leur dernière révérence, les Pretties ont eu l’idée de proposer à tous ceux qui n’ont pu assister au Final Bow londonien un Final Bow en forme de livre-disque pas trop cher, disons 60 euros, une somme qu’il faut bien sûr comparer à l’univers pour admettre que finalement ce n’est pas grand chose. Le book propose l’intégralité du Final Bow sur deux CD audio, plus la même intégralité sur deux DVD (dont un qui ne sert à rien, petite arnaque), et comme d’usage dans ces cas-là, une multitude de photos de scène qui sont là pour nous rappeler que même vieux, les Pretties avaient une sacrée prestance. Tout le monde rêve d’avoir eu un grand-père comme Dick Taylor, qui, faut-il encore le rappeler, est l’un des guitaristes les plus flamboyants d’Angleterre, mais vous ne le trouverez pas dans les fucking Tops 100 des guitar players que publient régulièrement nos amis des magazines.
Justement, Dick Taylor se fend d’un très beau texte dans le Final Bow book. Au long de deux grandes pages extrêmement passionnantes, il raconte dans son vieil anglais concassé l’histoire de sa vie de Pretty Thing, remontant jusqu’aux années cinquante pour nous faire revivre la naissance d’une scène qui allait changer le monde aussi radicalement que le firent celles de Memphis et de la Nouvelle Orleans à la même époque. Le vieux Dick a la chance de grandir dans une maison où on joue de la musique et il rappelle qu’ado, il haïssait cordialement la guerre et les militaires. Il découvre tout en même temps, la musique, l’art et les livres - J’avais 15 ans et je possédais une édition du Howl d’Alan (sic) Ginsberg, je me demandais ce que certains vers signifiaient et je me le demande encore aujourd’hui - Il découvre aussi un truc de base : ce n’est pas la technique qui importe en matière d’art, mais ce qu’on veut faire de cet art. Ça s’applique bien sûr à la musique. Il rappelle ce que tout le monde sait, qu’il fit un peu de musique avec Jagger dans le back room, chez ses parents, puis il commença à bricoler des trucs avec Phil à l’Art school. Phil et lui apprennent très vite l’autre principe de base des Pretties : remettre en question l’autorité et les conventions. Quand on leur dit à l’école d’aller se faire couper les cheveux, ils se les laissent pousser. Quand les magazines de l’époque essayent de les transformer en pop group, les Pretties montrent les dents. Dick et Phil songeaient essentiellement à préserver leur intégrité artistique - Which really sums up the whole ethos of the band right up to today (ça résume simplement l’histoire des Pretties jusqu’à aujourd’hui) - Avec cette fantastique humilité qui le caractérise si bien quand on a la chance de le rencontrer, Dick ajoute que s’il joue cette musique, c’est uniquement parce qu’il aime ça (I certainly only play because I love doing it). Dans le même esprit, Dick évoque les nombreux changements de line-up dans les Pretties, à commencer par son départ à la suite du flop de SF Sorrow. Il explique que les nouveaux embauchés étaient invités à contribuer. Les gens sont entrés dans le groupe et l’ont quitté sans rancœur, précise Dick. L’autre raison de la longévité des Pretties tient au fait qu’en dehors des tournées et des sessions d’enregistrement, chacun vivait dans son coin. Dick se dit éberlué de voir passer toute cette histoire en un éclair : «J’ai l’impression que ce long voyage entre notre tout premier concert et le dernier à l’O2 Indigo est passé comme un flash, mais pour rien au monde je ne voudrais l’échanger. J’ai passé la plus grande partie de ma vie à faire ce que j’aimais, alors voyons la suite.» Merveilleux esprit.
Phil May se tape lui aussi deux grandes pages. Il rappelle qu’en 1963, au Sidcup School of Art, l’idée était de se lancer dans un roller-coaster. On leur accordait deux ans d’existence maximum, mais le roller-coaster a duré 55 ans ! Phil raconte dans le détail ses souvenirs de l’Art school qui ne sont pas nécessairement des bons souvenirs. Le système est assez brutal et il apprend très vite à ne pas se retrouver tout seul à l’arrêt de bus. Il porte déjà des cheveux longs et les yobs locaux lui pètent la gueule. Lors de la deuxième année, il fait des rencontres déterminantes : Dick Taylor et Keith Richards. Il voit ces mecs un peu plus âgés que lui jammer dans une salle du Art school et finit par demander s’il peut chanter un truc ou deux avec eux. Alors Dick lui tend le carnet où Jagger écrit ses paroles de chansons - Écrites religieusement in a Pitman short hand note pad - Phil s’extasie sur sa propre transformation, de l’élève timide qu’il était en 1960, en arrogant and ballsy lead singer of the Pretty Things en 1963. Pour rester à la hauteur de cette réputation ballsy, Phil indique qu’il commence à prendre pas mal de dope - Tout au long de ma vie dans le groupe, j’ai gardé puis perdu le contrôle à cause de tous ces stimulants. Ils ont joué un rôle capital dans le process créatif du groupe, mais aussi un rôle destructeur - Chaque disque les Pretties lui rappelle des souvenirs précis. Il cite SF Sorrow comme l’un des principaux landmarks, an incandescent acid-induced mountain peak. L’autre moment clé de l’histoire fut l’arrivée de Peter Tolson dans le groupe, a real musical love affair - Ce groupe eut la chance d’avoir deux grands guitaristes, Dick Taylor et Peter Tolson - Il évoque la période Swan Song qui pourtant débuta bien avec two very good albums mais qui se termina en eau de boudin avec l’abus de coke - A Columbian marching powder standoff - Phil évoque la mutinerie et le supplice de la planche que lui ont fait subir les autres qui rêvaient de succès. Alors qu’ils sont au plus bas dans les années 80, Phil et Dick voient arriver dans leurs vies le fameux Mark St. John. Et comme le rappelle Phil, les dernières mesures de «Loniest Person» n’était pas la fin du livre, mais le commencement d’un nouveau chapitre. Oui, car on s’en souvient, Phil avait annoncé qu’il arrêtait la scène pour des raisons de santé, mais qu’il envisageait l’enregistrement d’un nouvel album des Pretties.
Soit on commence par voir le film, soit on commence par écouter les deux CD audio. Le mieux est de commencer par l’écoute, car dès «Honey I Need», Phil May nous plonge dans le chaudron des sorcières de Macbeth. Impossible d’en sortir. Tout le vieux power des Pretties est intact. Phil May allume son vieux Honey I wish you love comme s’il avait 15 ans, avec de l’Emotion dans chaque syllabe. Ils redeviennent les rois du beginning avec «Don’t Bring Me Down» et donnent libre cours à leur sauvagerie à coups de laying down the ground, d’incursions intestines en formes de killer solos et de coups d’harmo. Phil May claque le beignet de son Bring Me Down en bon dude demented. Les Pretties balayent tout sur leur passage, ils l’ont fait depuis leurs débuts, mais pour le Final Bow, ils dépassent les bornes. Ils Buzzent leur Jerk au double solotage. Rien de plus pretty que cette rengaine de Big Mouth Shut. Hey Mama ! Le vieux Dick se paye des beaux dérapages contrôlés. Ce qu’ils font porte un nom : classical mayhem. C’est l’Hey Mama du dark British Underground, I said shut ! Ils ressortent aussi le vieux «Get The Picture», morceau titre de leur deuxième album, puis passent à la psychedelia avec «The Same Sun». Phil May irradie dans le son du vieux Dick. Aw my Taylor is so rich, il joue à l’extrême de la pertinence psychédélique et part en petite vrille d’extravaganza demented, welcome back to London 67. Ils font aussi un monstrueux package «Alexander/Defecting Grey» saturé de beat turgescent et de gras double. C’est à la fois explosif et jouissif, fondu comme beurre en broche dans le laughing at me avec un Dick on the run. Tu ne peux pas lutter. Le poids affectif des Pretties va t’écraser la poitrine. Bienvenue au cœur du mythe avec «Midnight To Six Man», Ce démon de Phil May l’articule comme au temps des caves, tell me some more, fantastique bash boom de London Beat avec le vieux Dick en guise d’entrailles. Fin d’une époque, mais boy, quelle époque ! C’est là que s’achève le premier set de la soirée, qui en comprend trois.
Ils attaquent le SF Sorrow set avec l’ancienne équipe de Sorrow, Wally Waller, Jon Povey et Skip Allan, histoire de nous rappeler qu’à cette époque, ils étaient l’un des meilleurs groupes anglais. Le son ! Du gâteau pour Psycho Dick ! Il adore jouer «SF Sorrow Is Born». Wally Waller ramène une fantastique bassline. Bon d’accord, ils sont vieux, mais ce sont les Pretties. On entend ce démon de Dick courir comme un lièvre dans la campagne orangée d’un beautiful acid trip. Fantastique pulsion du poumon Sorrow. David Gilmour les rejoint sur scène pour «She Says Good Morning». Il vaut mieux voir le film pour savoir qui joue, car ils sont maintenant quatre guitaristes sur scène : Pépère Dick, Gilmour, Frank Holland et George Woosey qui gratte une acou, puisque Wally reste à la basse. Trop de monde, on perd un peu le côté Pretties. D’autant qu’on se fout de Gilmour comme de l’an quarante. Espérons que les gens ne sont pas venus pour lui. Les deux points forts du SF Sorrow set sont «Baron Saturday» et «Cries From the Midnight Circus». Mieux vaut voir le film car c’est pépère Dick qui chante «Baron Saturday», avec Wally en relais. Skip Allan et Jack Greenwood font le bazar aux deux batteries, mais c’est avec «Cries From The Midnight Circus» que les Pretties vont assurer la suprématie définitive de l’underbelly. Phil May saute à la gorge du cut et ça groove autour de lui, avec un fantastique drive de basse de Wally Waller : il dégringole sa bassline, can you hear me, et ça s’énerve fabuleusement. On se fout du solo car Dick n’y était pas, au moment de Parachute. Can you hear me ! Comme on a pu adorer ça ! Wally fout les chocottes avec son drive des cavernes. C’est tellement incendiaire qu’on s’agenouille devant Dieu pour le remercier de ce miracle. Midnight Circus est l’une des septièmes merveilles du monde et grâce au film, on voit que c’est Frank Holland qui prend le solo furibard. Fuck, les gars, c’est la dernière fois qu’ils jouent ce monster sur scène.
Avant de passer au End Set, l’idéal est de revoir tout le début à l’écran. Our favourite band !, clame Mark St John qui va revenir quatre ou cinq fois dans la soirée et qui va dire en gros à chaque fois la même chose. Mais on passe vite aux choses sérieuses avec l’image du vieux pépère Dick Taylor. Les caméras ont bien compris qu’il était l’âme du groupe. Cette façon qu’il a de jouer, trapu et sautillant avec sa grosse guitare orange de vieux pépère séculaire. Il s’applique et passe des killer solo flash à l’ancienne, fugitif et si vaillant au soir de sa vie. On le voit enrouler le British beat dans sa farine avec un évident plaisir de jouer. Les Pretties font le show, mais le fait de jouer dans une trop grande salle disperse un peu leur impact. Wow ! Vieux pépère trapu et ramassé sur son riff de Buzz the Jerk et hop, killer kill kill the Buzz, Dick jerks it out ! On le voit tartiner le plus wild des solos de fondu enchaîné dans «Mama Keep Your Big Mouth Shut». Personne ne bat les Pretties à la course, le vieux Dick trame ses complots délinquants dans l’ombre de la Picture, c’est encore plus évident à l’écran. En guise de départs en solo, il fait du pâté de dégoulinure insalubre, un véritable shoot d’épitome de chèvre du dérapage contrôlé, il joue à l’exemplarité des choses du gaRage before the beauty. À ce petit jeu, les Pretties sont imbattables, même vieux. Mais quand le vieux Dick et l’aussi vieux Frank Holland croisent leurs tartouillages de bas de manche, ça monte directement au cerveau. Dick & Phil Big Bossent leur British Beat comme des vieux crack boom hu-hus. C’est dingue le jus que peut amener ce vieux crabe derrière ses lunettes. Parfait enchaînement d’accords pour «Midnight To Six Man», killer solo à la clé et bassmatic lâché dans la nuit comme un loup garou. Ça doit leur arracher le cœur de jouer ça pour la dernière fois. Moloch va avaler cette magie, comme tout le reste, d’ailleurs. Par contre, quand Gilmour arrive sur scène en plein SF Sorrow Set, les caméras n’ont plus d’yeux que pour lui. Ça gâche un peu le plaisir.
Back to the End Set, mais l’ambiance est différente. Van Morrison vient chanter «Baby Please Don’t Go» est là, nous ne sommes plus du tout dans les Pretties. C’est George Woosey, le cadet, qui joue le crade du riff sur la guitare orange de pépère Dick. Si on ne voit pas le film, on ne le sait pas. Van the Man drive son vieux cut à sa façon, la version est bonne. Elle pourrait presque justifier à elle seule le rapatriement des volontaires. Disons qu’on a là le hard drive des Them mêlé à la sauvagerie des Pretties, ça joue dans le volcan de Vulcain, mon tio quinquin. The heartbeat ! George Woosey reprend sa basse pour accompagner Van The Man sur «I Can Tell», you know I don’t love you no more, mais il manque le sel de la terre. Troisième shoot de Van avec «You Can’t Judge A Book By It’s Cover». Même chose : pour une raison X, ça reste en surface. Le son des Pretties n’appartient qu’aux Pretties. Retour aux choses sérieuses avec «Come See Me». Là t’es baisé. Big Bash boom avec un pépère Dick qui gratte des accords vieux de 55 ans, baby I’m your man, les Pretties n’en finiront pas de resplendir sur la vieille Angleterre. Ce concert raconte l’histoire spirituelle de ce pays. Les chœurs sont faibles, mais Phil May lance son look out alors pépère Dick part en destroy flash oh boy avec une sacrée banane. Ils vont se diriger tranquillement vers la fin avec un autre hommage à Bo Didley («Mona»), puis le pack «LSD/Old Man Going» noyé dans la psychedelia et rappel avec «Rosalyn», l’apanage du kick down. Pépère Dick joue ça pour la dernière fois, mais il le joue gutsy, fuck yeah ! Dernière wild ride pour wild old Dick. Ces mecs auront su rester brillants jusqu’au bout du bout des boots.
Signé : Cazengler, Pity Thing
Pretty Things. The Final Bow. Madfish 2019
No come back for Roback
Soit on écoute Mazzy Star pour Hope Sandoval, soit on l’écoute pour David Roback. Bon, aujourd’hui on peut l’écouter pour David Roback, car voici le moment de saluer sa mémoire. Il vient en effet de casser sa pipe en bois, et on peut bien dire que ce mec avait du son et de la légende à revendre.
En fait c’est très compliqué de couper Mazzy Star en deux. L’un ne va pas sans l’autre, même si après la fin de Mazzy Star, Hope Sandoval a continué de faire des albums intéressants, notamment avec les Mary Chain ou les Warm Inventions. Il faut alors se contenter de saluer le génie sonique de David Roback et c’est vrai qu’à l’époque de She Hangs Brightly, le premier album de Mazzy Star, on dressait sacrément l’oreille. Ne serait-ce que parce qu’il y traînait des vieux relents du Velvet, notamment dans «Blue Flower». Rob jouait ça à la vieille arrache prométhéenne et sortait l’air de rien de vieux accords du Velvet. On retrouvait d’ailleurs cette influence du Velvet dans «Give You My Loving». Rob le grattait au petit arpège rampant, avec des notes dignes de celles de Lou Reed, un son à la «Pale Blue Eyes». Pur esprit. Sinon, l’ensemble des cuts est monté sur la voix d’Hope - Lynchian and nocturnal - On la voit s’amuser dans l’eau claire de «Ride On It» - Just like you used to do - Elle sait jouer avec l’arc-en-ciel de la beauté purpurine. S’ensuit un morceau titre visité par des vents de Rob plutôt jazzy, ses accords rôdent comme des fantômes dans le couloir glacé de la pochette. Le hit de l’album pourrait bien être «Taste Of Blood». Il faut cependant entrer dans leur jeu. Rob fait son cirque au gratté d’acou qu’il saupoudre de petits coups de slide en surface de re-re et cette chipie d’Hope en profite pour chanter dans un son que l’accordéon rend étrange. On note aussi sur cet album la présence indicible d’«I’m Sailin», un petit blues de cabane nubile, rien de transcendant, c’est juste du nubile de salle de bain, aussi typé que peut l’être «Be My Angel». Elle ramène un peu de gusto pour l’occasion dans une ambiance légèrement décadente. Les accords de «Ghost Highway» sont ceux de «You Really Got Me», c’est bon, violent et welcomed, bien balancé, en tous les cas. Rob joue sa carte en transfigurant la gueule du rock. Voilà de quoi cet homme est capable. Et voilà pourquoi il joue dans cette histoire un rôle si considérable.
Le charme de Rob ne s’arrête pas au son. Il plane autour de lui un joli parfum de mystère. Goeff Travis de Rough Trade disait de Rob et d’Hope qu’ils n’était pas des rock’n’roll people classiques et qu’ils vivaient dans un monde à part, plutôt éloigné du nôtre. Rob situe ses racines dans le Velvet et les Doors. Il affectionne aussi le son des Ricken et des Gretsch, et de fil en aiguille, il monte un premier groupe avec son frère Steven et trois autres cocos locaux : Rain Parade. En 1982, ils enregistrent Emergency Third Rail Power Trip. Cet album joliment titré figure parmi les classiques de la psychedelia californienne des années 80 qu’on a baptisé the Paisley Underground. Rob fut en quelque sorte le maître d’œuvre d’Emergency puisqu’il prit contact avec Bill Haines, le boss d’Enigma Records, et qu’il conçut la pochette à partir d’une image prise à Paris au début du XIXe et recoloriée. Rob avait en effet plusieurs cordes à son arc : guitare et beaux-arts. Le groupe répéta pendant un an et donna son premier concert en 1982 avec Green On Red. Emergency est un album qu’on peut écouter les yeux fermés, on ne risque rien. Mais attention, ce n’est pas non plus l’album du siècle, restons sérieux. «1 Hour 1/2 Ago» sonne comme un bon petit hit recouvert de très beaux layers de son. On finit par entrer dans cette forte teneur de musicalité. C’est un vrai cut de guitar dude. Rob savait déjà en boucher un coin. Avec «Saturday’s Asylum», les Rain Parade se prennent pour Pink Floyd, c’est assez marrant, mais assez beau en même temps et comme rattrapé au vol par un sens aigu du Calfornian hell à dominante pop. C’est servi sur un tapis d’arpèges acides et ils embarquent le client pour le pire et pour le meilleur. Joli coup de freakout. Ils terminent cet album relativement plaisant avec «Look Both Ways», un joli shake de garage californien. C’est joué dans les règles du lard local, ooh yeah, et ils se tapent une belle crise d’oh yeah yeah yeah yeah. Par contre, pas de quoi faire un plat avec le reste. Ils ont des cuts comme «This Can’t Be Today» qui sont encore plus psychés que le Roquefort. On les aime bien pour ça, pour cette manière de ne pas vouloir trop en dire tout en rajoutant du bon psychout pas psyché des vers. En fait, tout est joué à la grosse guitare acidulée, avec une disto sèche de mish-mash de mushroom. Il est certain que ça a dû plaire aux amateurs d’acidus cubitus. Emergency est un album qui sent bon la ricken. Steve Wynn qui les voyait sur scène à l’époque disait d’eux qu’ils étaient floating, gentle and trippy, comme Pink Floyd ou le Byrds. Et il ajoute : «Ça ne pouvait que plaire à tout le monde.» Après une première tournée à travers les États-Unis, Rob quitte le groupe qui décide de continuer sans lui. Pourquoi ce split ? Son frère Steven en parlait à mots couverts dans un vieux numéro d’Uncut, en 2010 : tension fatale entre les deux frères, comme souvent. Le guitariste Matt Piucci explique à sa façon que les choses tournent généralement assez mal quand on met 8 jeunes gens dans un van pour partir en tournée sans fric, mais avec de l’alcool et de gros egos.
Alors Rob monte un groupe nommé Clay Allison avec sa copine Kendra Smith qui joue aussi de la basse dans Dream Syndicate. Puis Clay Allison va devenir Opal. Il reste une trace d’Opal, et quelle trace : l’un des serpents du Loch Ness SST, le joliment titré Happy Nightmare Baby, paru en 1987. Un bel archétype de l’apanage robackien, serti d’une triplette de joyaux de la mad psychédélia, «Supernova», «Siamese Trap» et «Soul Giver». Trois cuts lestés de gratté de poux, joués dans les règles du lard de la matière, avec un beautiful big Rob on the run. Le plus bardé des trois est sans doute «Siamese Trap», car Rob le claque à la wah dévastatoire, son Trap dégueule d’inner view, Rob y voyage abondamment, il s’y enivre de gras double, il semble même réinventer la mad spychedelia, il joue dans le blur du blaire, il se faufile, il tisse des couches de wah féroce, il rebondit à chaque instant et lâche des hoquets conquérants. Petit conseil : en cas de manque, fais-toi un shoot d’Opal. Le «Soul Giver» de fin de parcours n’est pas en reste. C’est excellent, bien dosé, tapi dans l’ombre d’un barouf psyché bien tempérée, admirablement drivé dans le flesh du flush. Kendra Smith chante le vieux Giver, ils excellent tous les deux dans la décadence de la rue et Rob s’écoule tout seul. Le reste de l’album se laisse écouter. Rob gratte bien sa gratte dans «Rocket Machine», et ce «Magik Power» qui est joué à l’orgue têtu sonne comme de la mad psychedelia prévisible, même si un vieux relent tantrique rampe dans le son. On croit entendre officier un prêtre égyptien. Globalement, l’album est bourré de bon son. Rob fait le show. Il passe au heavy blues avec «Sue’s A Diamond», il ne s’embarrasse pas des protocoles et nous fait un peu le coup de l’album classique. Il excelle dans l’obsolescence psychotique déprogrammée
Steve Wynn se souvient aussi d’une gamine de 14 ans qui venait aux Dream Syndicate soundchecks en 1982 : Hope. Puis elle finit par rencontrer Rob qu’elle trouve timide et mystérieux. Ils sympathisent. Hope monte sur scène avec Opal. Elle prend le chant et participe à une tournée américaine des Mary Chain. Voilà la genèse de Mazzy Star, l’un des groupes les plus mystérieux qui soient, aussi bien par l’allure que par le son.
Le deuxième album de Mazzy Star, So Tonight That I Might See, est plus connu, notamment pour son morceau titre qui est encore un hommage sensible au Velvet. Car gratté au heavy riff avec du pur Velvet beat dans le background. Rien de plus velvetien que ce cut d’église qui va mal et qui va bien en même temps. Rob fait des merveilles dans «Wasted», qui sonne comme un heavy groove du Mississippi. Hope la nubile se perd dans l’ombre d’un big Rob occupé à fabriquer de l’onirisme sonique. «Wasted» est leur marque de fabrique. Rob s’en va se perdre dans des télescopages de son invention, il se fait à la fois rempart et falaise, puis on le voit ramer dans la vase jusqu’à l’épuisement. L’autre coup de Jarnac est une reprise de Love, qui est avec les Doors et le Velvet l’une des principales influences de Rob. «Five String Serenade» est la cover idéale, comme virginale à l’aube d’un jour très pur. Ces gens-là sont fascinés par Athur Lee, au moins autant que les Shack de Liverpool. «Blue Light» brille dans la nuit par sa fabuleuse présence latente. Le son devient palpable tellement il est épais. Rob plane derrière son mur du son comme un vampire. Il joue beaucoup de coups d’acou. Si on écoute «Fade Into You» à travers Rob, ça n’a plus rien à voir. On l’entend gratter sa rémona derrière la ouate d’Hope. Mais il existe une authentique osmose entre eux, au moins aussi évidente que celle de Ronnie & Phil Spector. Hope Sandoval nous filerait presque le mal de mer avec ses accents à la Vanessa Paradis. Cette valorisation du nubilisme fait partie des dérives du monde moderne. Heureusement Rob veille au grain pour sécuriser le fond de la culotte du rock. Il peut aussi balancer des huge power-chords comme le montre «Bells Ring». Hope se fond dans le psychout so far out que fabrique Rob sur fond d’accords. C’est l’un des rois du re-re, il navigue au même niveau que William Reid. Puis on voit Hope chanter «Mary Of Silence» dans l’abnégation d’une nappe d’orgue bloquée. Ça vaut bien les niconneries de Nico, non ?
En 1996 paraît Among My Swan, avec un beau cygne sur la pochette. L’influence des Mary Chain s’y fait plus criante, notamment dans «Cry Cry», fabuleuse rengaine de non-recevoir, hit caché et poisseux qui se voudrait hymne tenace et ténébreux. Hope chante aussi «Happy» dans le mur du son de Rob. Ah quelle belle association, la juvénile et le conquérant, sur fond de pur jus de moisissures velvetiennes. Avec «Umbilical», ils vont plus sur le Pink Floyd de Syd Barrett, elle rôde dans le son, timide et résignée et ça donne un fantastique shoot de dérive adventiste, bien heavy sous le boisseau, une vraie infection arrosée d’acide. Ah il faut aussi aller se frotter à «Roseblood». Pendant que Rob gratte comme un dératé, elle garde son calme, comme le fait Mathilda dans Léon. Ce Roseblood est une petite merveille décadente, terrifiante d’anti-conformisme, la nubilité coule comme une crème de sexe sur la gueule de la société bien pensante, Rob a du répondant, il gratte certaines notes en vrai terminator de la décadence. Superbe exercice de style. Encore des relents de Velvet dans le «Disappear» d’ouverture de bal. Joli beat de deep tambourine et de swagger robackien. C’est une petite merveille intrusive dont on ne se lasserait pas, bien au contraire, aw my God, comme elle est bonne, cette petite havresse de paix bien baveuse, ce joli pot de miel bien riquiqui. C’est extrêmement porteur d’espoir, car beau et dirigé vers le ciel. Elle sait mener sa petite barque à la surface du lagon d’argent. On s’enfonce encore dans la nubilité avec «Flowers In December». C’est très relax, très dérivé du Gulf Stream, avec un peu de violon, histoire de. On reste dans le laid-back avec «Rhymes Of An Hour». Pas d’échappatoire. Chez Rob, c’est la règle, tout le monde doit aller sous le boisseau. Pas d’exception. Ça reste assez Velvet dans l’esprit, bien totémique, rien ne bouge dans l’espace glacé. Il ne faut rien en attendre de plus que ce qu’on y trouve. What you see is what you get, comme on disait alors chez Apple, au temps du fameux wysiwyg. On bâille un peu aux corneilles dans «Take Everything», jusqu’au moment où William Reid entre dans la danse avec un solo dégueulasse. Il éclate la fin du Take au slow-burning, incapable de se contenir plus longtemps. Tout est ramené au même niveau, comme on le voit avec «All Your Sister». La voix d’Hope éclot comme une rose dans le fond du son. Globalement, c’est assez glauque et ennuyeux, mais on écoute avec une ardeur non feinte. S’ensuit un «I’ve Been Let Down» bien gratté du bedon. Ce démon de Rob adore gratter mollement son shook au still coming round.
Leur dernier album s’appelle Seasons Of Your Day et baisse d’un ton. Il paraît 17 ans après le précédent. Ça reste du heavy Mazzy Star avec la voix d’Hope qui traîne dans les limbes de l’ombilic. Elle chante «In The Kingdom» dans la chaleur de la nuit et se montre une fois encore très impliquée, pendant que dans le background, Rob twiste ses notes altières sans ciller. Le cut qu’on peut retenir s’appelle «Common Burn», joué aux arpèges doublés de notes grasses. Elle chante ce cut lumineux à la pointe du gland et on pense naturellement à «Pale Blue Eyes». Tout est en suspension là-dedans, même l’harmo. Tout aussi impressionnant, voici «I’ve Gotta Stop». Rob traîne dans le fond de cette déchirure, car s’est son destin, yo ! Le voici condamné à errer pour l’éternité dans le fond de la cour d’école. Si on y réfléchit bien, ce ne doit pas être marrant de jouer dans Mazzy Star : ce vieux Rob semble condamné à gratter sa gratte derrière cette pauvre âme en perdition qu’est l’Hope. On s’ennuie, on écrit des vers de la prose, on pense à tout à rien en attendant le jour qui vient, comme le disait si bien Aragon. C’est vrai qu’ils éprouvent parfois des difficultés à créer la sensation. Pas facile de vouloir jouer la carte du duo kill kill. Ils prennent des risques énormes avec «Sparrow». Ça sonne comme du heavy Nico de couli-coula, avec des tambourins et des coups d’acou, du coup on perd tout le Velvet. L’indie rock rit jaune. Dents pourries. Nombreux sont les cuts qui ne marchent pas sur cet album livré au désespoir le plus profond.
L’autre grande idole de Rob n’est autre que Bert Jansch. Geoff Travis présente Bert aux deux Mazzy Stars. Travis sait que Rob l’admire, aussi propose-t-il à Bert d’ouvrir pour Rob à Londres, fin des années 90. Bert et Rob deviennent amis. On entend Bert jouer sur deux des cuts d’un album qu’Hope enregistre sous le nom d’Hope Sandoval & The Warm Inventions. En échange, Hope apparaît sur l’Edge Of A Dream de Bert et Rob joue sur le dernier album de Bert, The Black Swan. Rob et Hope viennent aussi jouer à l’annive de Bert en 2003, au Queen Elizabeth Hall de Londres. L’ultime collaboration de Bert et Rob se trouve justement sur le dernier album de Mazzy Star, Seasons Of Your Day : ils s’enferment tous les deux dans «Spoon» et foutent le paquet avec du bottleneck de turtle neck, mais ça ne suffit pas à sauver un album en difficulté.
L’Uncut de 2010 nous apprenait aussi que Rob s’était installé en Norvège et qu’il avait fait une apparition dans un film de Nick Nolte, Clean, en 2004.
Signé : Cazengler, David Rosbeef
David Roback. Disparu le 25 février 2020
Rain Parade. Emergency Third Rail Power Trip. Enigma Records 1983
Opal. Happy Nightmare Baby. SST Records 1987
Mazzy Star. She Hangs Brightly. Rough Trade 1990
Mazzy Star. So Tonight That I Might See. Capitol Records 1993
Mazzy Star. Among My Swan. Capitol Records 1996
Mazzy Star. Seasons Of Your Day. Rhymes Of An Hour Records 2013
Les Undertones en font des tonnes
- Part Two
Le premier dans le rang d’oignons, c’est Michael Bradley, bassiste juvénile et auteur du book dont on va parler. Derrière lui, se trouve Billy Doherty, le batteur juvénile. Puis Feargal Sharkey, singer juvénile, Damian O’Neill guitariste et benjamin du groupe, et enfin son frère John O’Neill, l’aîné de la ribambelle, guitariste rythmique et principal auteur des undertonneries qui vont les rendre tous les cinq célèbres dans le monde entier. Avec les Pistols et les Damned, les Undertones sont les cakes de ce big bac à sable qu’on appelait voici quarante ans le punk anglais.
Aucun groupe n’aurait pu rivaliser de génie juvénile avec les Undertones. C’est ce que montre sans vouloir le montrer Michael Bradley dans Teenage Kicks My Life As An Undertone. Il raconte l’histoire du groupe sans vraiment la raconter, avec une façon très particulière de ne pas se poser de questions, ou plutôt si, il se les pose mais se fout des réponses. Les réponses ne l’intéressent pas, et elles n’intéressent pas non plus ses quatre petits potos. Dès qu’on leur parle un peu, ils tournent la tête ou ils s’en vont. Ils n’ont rien de spécial à raconter. Les troubles ? Ils laissent ça aux gros durs de Belfast. D’ailleurs, ils ont la trouille d’aller à Belfast. La vie est moins dangereuse, là-haut, à Londonderry qu’on appelle aussi Derry.
Ils se retrouvent tous les cinq chez les O’Neill, au 22 Beachwood Avenue. Le front-room des O’Neill, c’est leur quartier général. C’est là qu’ils regardent la télé tous ensemble, qu’ils écoutent leurs disques, c’est-à-dire les Doors et le White Album, les Flying Burrito Brothers, les Bluesbreakers et Steely Dan. John O’Neill lit le NME chaque semaine et écoute pieusement John Peel à la radio. Il cultive son taste. Puis un jour, il décide avec Billy de monter un groupe. Mais comme ils n’ont pas de blé, il faut acheter le matos à crédit. Ils savent qu’à Donegal, juste de l’autre côté de la frontière, un marchand d’instruments accepte les ‘Provident cheques’, un mode de paiement basé sur un taux d’usure à 150 %. En remboursant 10 £ par semaine, ils peuvent acheter 500 £ de matériel : une basse avec un ampli Selmer, un ampli guitare Shin-ei et une batterie. Chaque vendredi, Billy, Michael, John, Damian et Feargal donnent chacun 2 £ à Monsieur O’Neill pour qu’il puisse rembourser le Provident man. Au moins Billy a sa batterie. Il saura en faire bon usage.
Bon, maintenant, il faut apprendre à jouer. Alors ils apprennent dans le front-room des O’Neill. Jouer quoi ? Des reprises ? Comme Damian sait jouer les accords de Chuck Berry, il peut donc jouer ceux de Keith Richards. Comme ils adorent Get Yer Ya-Yas Out, ils reprennent tous les vieux coucous de la Stonesy, «Carol», «Sympathy For The Devil» et «Jumping Jack Flash». Et puis un jour, ils font la connaissance d’un certain Domnhall McDermott qui possède des disques pour le moins exotiques : le premier album des Ramones, le deuxième Dolls, le Funhouse des Stooges, Nuggets et le premier Doctor Feelgood. Alors John O’Neill décide de taper dans cette caverne d’Ali Baba et le groupe apprend à jouer «TV Eye» et «Loose» des Stooges, le «Dirty Water» des Standells, le «Blitzkrieg Pop» des Ramones et le «Puss’n’Boots» des Dolls. Le groupe n’a pas encore de nom. Le cousin Aidan Barrett dit qu’il a une idée.
— C’est quoi ?
— Monkey Fuck !
Personne ne répond. Et comme ils cassent un peu les oreilles des parents O’Neill avec leurs répètes dans le salon, ils cherchent un local à l’extérieur : Paddy Simms leur propose the Shed et c’est là qu’ils deviennent les Undertones. Puis John O’Neill décide de composer des chansons. Pourquoi ? Parce que c’est moins compliqué de jouer ses compos que d’apprendre celles des autres. Cette pirouette contient toute la philosophie des Undertones. Une philosophie que nourrit chaque semaine une bible qui s’appelle le NME et un maître à ne pas penser qui s’appelle John Peel. Quand John O’Neill arrive en répète avec une nouvelle chanson, par exemple «Teenage Kicks», les autres regardent où il met les doigts sur son manche et ils reproduisent les accords. John O’Neill : «Teenage Kicks, very simple, three chords, cliched lyrics.» Pas de bombes ni de violence dans leurs paroles, plutôt des filles et du chocolat.
Les filles ? Comme c’est la tradition en Irlande, ils seront tous mariés à vingt ans avec leurs girlfriends, sauf Damian qui opte pour le célibat. Pour l’instant, ils se concentrent sur la musique et les fringues. Ils ne portent pas des Levis mais des Wrangler. Et bien sûr des Dr Martens aux pieds. Pas question de porter les fringues de McLaren à Derry, c’est un coup à se faire péter la gueule, comme le rappelle Damian dans Mojo : «If you dressed weird on the street you got your head kicked in!»
Évidemment, chez les gens pauvres d’Irlande, il n’est pas question d’études. Tout le monde au boulot. Les familles O’Neill, Sharkey, Doherty et Bradley n’ont pas les moyens de payer des études à leurs gosses. Surtout chez les Bradley où il y a dix bouches à nourrir. Les Undertones finissent par jouer régulièrement dans un club de Derry, the Casbah, ce qui leur permet de tester sur scène les compos de John O’Neill. Puis ils arrivent à bricoler un accord avec Terri Hooley, le boss du record shop Good Vibrations à Belfast, pour enregistrer EP : quatre titres, dont «Teenage Kicks». C’est la première fois qu’ils vont à Belfast et sont assez contents car Terri Hooley ne s’occupe pas du tout de l’enregistrement. Il arrive juste le jour du mixage pour écouter le résultat. Bon, les Undertones ont réussi à enregistrer un disque, mais John O’Neill n’est pas sûr qu’il soit vraiment bon : «We didn’t think it sounded that great.»
Tout le monde connaît la suite de l’histoire : «Teenage Kicks» tombe dans les pattes de John Peel qui s’en éprend violemment et qui le passe deux fois de suite le premier soir, en prononçant ces paroles historiques : «I’ll tell you what, you know, I’ve not done this for ages but I think you ought to hear that again.» (Je vais vous dire une chose, je n’ai pas fait ça depuis longtemps, mais je crois vraiment que vous devriez réentendre ce truc-là). Alors évidemment, une fois que Peely a chanté les louanges des Undertones, le téléphone se met à sonner chez les O’Neill. Les requins arrivent ! Sire est le premier. Ça plaît beaucoup aux Undertones parce que c’est le label des Ramones. Peely et son producteur John Waters assistent au premier rendez-vous à Londres : ils conjurent les Undertones de ne pas signer le premier contrat qu’on leur soumet, alors qu’ils viennent précisément à Londres pour signer un contrat. Malgré les conjurations des deux Johns, Michael et Feargal vont chez Seymour Stein signer leur contrat. John, Billy et Damian ont déjà signé. Stein leur explique le principe des pourcentages. Avant que Michael et Feargal aient pu comprendre le principe des pourcentages, Stein aborde la question des options échelonnées sur la première, la deuxième et la troisième année. Michael n’y pige rien. Il sent qu’il n’est pas du tout à la hauteur de la situation. Stein :
— Il vous revient huit points, moins une déduction de 10 points pour le packaging, sur 90 % des ventes, avec 75 % sur la vente de cassettes aux USA et 60 % pour le reste du monde.
Michael fait le calcul : il déduit 10 % des 8 % indiqués et multiplie le résultat par 90 %, ce qui lui donne -18, mais Stein aborde déjà la question du publishing, c’est-à-dire les droits d’auteur. Pendant que Michael fait des efforts désespérés de calcul mental, Feargal observe le New York mogul à travers la fumée de sa cigarette. Feargal ne peut pas dire grand chose non plus. Il n’a aucune notion juridique. Comment peut-il distinguer un bon d’un mauvais contrat ? Feargal, nous dit Michael, se contente d’observer Stein à travers la fumée de sa cigarette en se donnant l’air d’un mec qu’il ne faut pas prendre pour un con. Une sorte de Clint Eastwood. Bon, alors ? Ils signent. Stein charge alors Michael d’appeler les autres qui sont à Derry pour leur annoncer la bonne nouvelle. Michael fait le numéro des O’Neill sur le téléphone de Stein :
— Ils nous offrent une avance de 8 000 £ et encore 10 000 une fois qu’on a fait le premier album !
C’est Billy qui a décroché. Il répond à Michael :
— Les Rich Kids ont eu 60 000 !
Alors Michael se tourne vers Stein et lance :
— Les Rich Kids ont eu 60 000 !
Il y a un blanc. Stein réussit à garder son calme. Il se contente d’augmenter un peu l’avance qui passe à 10 000. Puis les Undertones découvrent par la suite que l’avance n’est pas un cadeau : c’est une avance sur les royalties. Sire se rembourse l’avance en récupérant 10 000 £ de royalties. S’il n’y a pas assez de royalties, ça devient une dette. Quant au publishing, c’est encore une belle arnaque. Personne n’a rien signé, mais c’est Bleu Disque, la filiale publishing de Sire qui empoche les royalties. Même montage que Chess et les autres. C’est comme si on leur arrachait leur bonbon des mains. Pour se remonter le moral en sortant de la réunion, Michael et Feargal vont s’offrir un big mac avec des frites et un coca.
Il n’empêche que les voilà lancés dans le showbiz, avec un contrat discographique, un manager et des tournées à honorer. C’est encore l’époque où il faut tourner pour vendre des disques. Quand ils passent à Londres, ils vont voir leur père spirituel John Peel travailler à la BBC. Ils s’entassent tous les cinq avec lui dans le petit studio et le regardent passer des disques, faire son petit commentaire et ranger les disques un par un dans les bonnes pochettes. Peely emmène toujours les Undertones manger un morceau avec lui, pour s’assurer qu’ils sont correctement nourris.
Sire décide que Roger Bechirian va produire le premier album. Billy aurait bien voulu John Lennon, mais Sire dit que c’est Bechirian, un nom qu’on voit au dos des pochettes de Costello. Et pour la pochette ? Sire envoie Michael et Damian en délégation chez un graphiste nommé Bush. Michael et Damian savent exactement ce qu’ils veulent :
— Une photo en noir et blanc prise à Derry.
— En noir et blanc ?
— Oui, en noir et blanc, comme la pochette des Ramones !
Bush a l’air soucieux. Pour lui, mettre une photo plein pot, ce n’est pas du boulot.
— Mon job est de faire le design d’une pochette. Que diriez-vous si on vous demandait de chanter des berceuses plutôt que des chansons ?
Michael et Damian tournent la tête. Ils ne savent pas quoi répondre. Bush se gratte longuement la tête :
— Il faut que je trouve une idée. Il me faut un concept graphique...
Michael et Damian écrasent leur banane. Ils ne veulent surtout pas le vexer. Surtout qu’il a une belle coiffure : une grosse afro anglaise. Michael en déduit que Bush vient de l’afro. Bush réfléchit. Il faut attendre que ça vienne. Michael et Damian scrutent le parquet. Soudain Bush saute en l’air :
— Et si son déchirait le coin supérieur de l’image, qu’on la tournait ensuite de 45° et qu’on la laissait sur un fond blanc ?
— Wouahhh ! Génial !
— Et si on écrivait ‘The Undertones’ au dessus, dans une grosse typo verte outlined de noir ?
— Wouahhh ! Fantastique !
En relatant cet épisode cocasse, Michael semble se marrer, mais en fait rien n’est moins sûr. Peut-être prend-il les choses au premier degré, comme lorsqu’on prend la connerie des gens pour argent comptant. Mais il faut aussi essayer de se mettre dans la tête d’un Irlandais, et là ça devient un vrai casse-tête. Cette distanciation pourrait bien n’être qu’une forme naturelle d’auto-protection. La distanciation n’a rien à voir avec la dérision. Seuls les gens des races blanches dites supérieures pratiquent naturellement la dérision : ils s’appuient à la fois sur un fort sentiment de supériorité et une solide culture. Ce qu’on prend pour de l’auto-dérision dans certaines pages du récit de Michael Bradley n’est en fait qu’une fantastique aptitude naturelle à la distanciation : jamais de jugement de valeur en bien ou en mal, c’est plutôt une façon de voir les êtres et les situations pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des éléments microscopiques, soit au regard de l’univers, soit au regard de l’éternité. Le sentiment de n’être rien, une certaine forme de sagesse non intellectuelle.
La musique des Undertones est une parfaite illustration de cette hypothèse. S’il fallait définir l’ambiance de leur premier album, on pourrait parler de fraîcheur de ton. Il faut entendre Billy battre «Family Entertainment» et Fergal faire son Irish punk. On a l’impression d’être dans le front-room des O’Neill. Pas de salamalecs. C’est stupéfiant de non-prétention. On peut même parler d’anti-Clash. Ils sont terriblement carrés et bien en place. Ils ne lâchent pas leur petit os. «Teenage Kicks» ne figure pas sur ce premier album, mais d’autres hits font dresser l’oreille : «Jump Boys», «Here Comes The Summer» et surtout «Jimmy Jimmy», amené par une belle attaque au chant et monté sur un riff vainqueur. Si on chope la réédition Castle parue en l’an 2000, on y trouve «Teenage Kicks», le hit parfait, avec les clap-hands dans le gras de la couenne du son et le brillant wanna hold you tight de Feargal. Et dans les bonus traînent quelques bombes comme ce «True Confessions» assez wild et copieusement riffé. Leur «Emergency Cases» sent bon les Stooges. En matière de délinquance juvénile, on ne fera jamais mieux que «Mars Bars», battu comme plâtre par Billy sur sa batterie de Donegal. C’est avec ce fantastique «Mars Bars» que Feargal devient le seigneur des annales. «You’ve Got My Number» est sans doute l’un de leurs plus gros pétards, ils sonnent comme les Heartbreakers, you know my name, Billy on the beat, tout est bon chez les kids de Derry et cette série de bonus terrifiants se termine avec une version explosive de «Let’s Talk About Girls». Les voilà chez les Chocolate, Feargal sonne les cloches de ce vieux classique, ces kids y croient dur comme fer, ça s’entend, il faut voir cette section rythmique, do-dah-doo, ils jouent tout ce qu’ils peuvent jouer dans leur bac à sable.
Il faut aussi écouter leur deuxième album, Hypnotised, qui s’ouvre sur un gros clin d’œil, «More Songs About Chocolate & Girls». Ils sont très potache, ils n’en font pas exprès, chez eux c’est naturel. Il suffit de voir la pochette, Michael et Billy à table avec des serviettes à motifs homard autour du cou. On est vite rattrapé par l’allégresse du morceau titre, un cut plein d’allant et de reviens-y. Feargal semble jeter tout son teenage angst dans la balance. Ils parviennent même à imposer un son avec des compos mi-figue mi-raisin comme «The Way Girls Talk» ou un «Hard Luck» monté sur Billy beat impeccable. Pur jus d’Irish pop libre et frais. Boum ! «My Perfect Cousin» fait sauter la B.
L’autre illustration de l’hypothèse de distanciation est le récit que fait Michael Bradley de leur tournée américaine. On leur propose de jouer en première partie d’une vaste tournée américaine des Clash. Michael Bradley trouve les Clash très chaleureux, très bienveillants et surtout très bien habillés. Il dit même qu’ils semblent sortir d’un film de Marlon Brando. Strummer and co en foutent plein la vue aux Irlandais qui, en comparaison, semblent sous-alimentés et affreusement mal coiffés (bad haircuts). Pendant la tournée, les deux groupes n’échangent pas beaucoup. Les Undertones n’ont rien d’intéressant à raconter aux héros de la scène punk anglaise. Et puis, il faut bien dire que le cirque des tournées ne les intéresse pas beaucoup. Ils aimeraient bien pouvoir causer un peu avec David Johansen ou Bo Diddley qui sont programmés en sandwich entre les Undertones et les Clash, mais ils n’ont rien de spécial à leur raconter. D’ailleurs, l’idée d’avoir du succès en Amérique ne leur chauffe même pas la tête. Breaking America ? L’ultime ambition de tous les groupes anglais ? Ce n’est pas celle des Undertones, en tous les cas. Ils s’en foutent. Ils ont surtout le mal du pays. Ils ne pensent qu’à rentrer à Derry et à retrouver leurs petites copines. Michael Bradley dit même à un moment qu’il est extrêmement fier de son manque d’ambition. C’est une valeur qu’ils partagent tous les cinq. Pour lui, le manque d’ambition est le cœur de l’éthique punk. Il n’aime pas beaucoup les groupes ambitieux, et Thin Lizzy en particulier : les futes en cuir, les horribles guitares, les plans de carrière. Bertk ! Mais en même temps, il s’en excuse, comme il s’excuse de ne pas aimer Stiff Little Fingers.
Le désintérêt des Undertones va loin : lorsqu’ils entrent en réunion avec leur manager Andy Ferguson, il n’y en a que deux qui écoutent : John et Billy. Feargal cherche des idées, Michael balance des vannes et Damian s’endort au bout de dix minutes. Rien ne semble pouvoir les intéresser, ni les règles du showbiz, ni les tournées, ni l’alcool, ni les drogues. Et ils n’aiment pas beaucoup les gens des maisons de disques. C’est instinctif. Par contre tout ce qui les intéresse se trouve dans une vidéo filmée à Derry, au 22 Beechwood Avenue, là où sont installés les O’Neill, home of the Undertones : le foot, le bad dancing et tous leurs copains rassemblés dans le jardin. Leur univers, c’est Derry en 1980.
Et puis un jour, ils sont invités à jouer dans une émission de télé en même temps qu’un groupe de débutants, Duran Duran. Et Michael Bradley voit en Duran Duran l’avenir du rock, c’est-à-dire des gens prêts à tout pour réussir. Duran Duran, c’est l’antithèse des Undertones, ces petits branleurs d’Irlande du Nord qui ne s’intéressent à rien.
Le premier qui va en avoir marre, c’est Feargal. Il demande une réunion et annonce aux autres qu’il veut arrêter tout ce cirque. Soulagement général ! Damian est content que ça s’arrête. John ne dit rien. Consterné, Billy regarde les autres. Il ne s’y attendait pas. La conversation s’achève là, en même temps que le groupe. Pas de commentaires. Il n’y a rien de plus à dire. Ils font deux ou trois concerts d’adieu. Pas de discours, pas de larmes, pas de couronnes de fleurs. Les Undertones font leurs funérailles tout seuls, comme des grands.
En 1989, pour le cinquantième anniversaire de John Peel, on a demandé aux Undertones de se reformer en secret et de lui faire la surprise de venir jouer dans son salon. Pas de problème, mais Feargal est arrivé à la répète avec un gros mal de gorge, donc il n’a pas pu chanter. Et la veille de l’annive, Louis O’Neill, le père de John et Damian, a cassé sa pipe en bois. Ce fut la fin du projet.
Signé : Cazengler, Underpant
Undertones. ST. Sire 1979
Undertones. Hypnotised. Sire 1980
Michael Bradley. Teenage Kicks. Omnibus Press 2016
Lois Wilson : The Undertones Get Teenage Kicks. Mojo # 315 - February 2020
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Rien de plus énervant que les volutes de fumée. Ne craignez rien je ne suis pas devenu écobobolo durant le confinement. Je n'éprouve aucun dégoût à l'encontre du fumet délicat d'une cigarette grésillante qui s'en vient chatouiller mes narines, j'irais jusqu'à dire que les bleuâtres nuages bleuâcres qui s'échappent à gros panaches d'un Coronado, ce délectable cigare des rois et des princes et des chefs, sont de la part des Dieux un don délicieux que dans leur grande magnanimité les Immortels nous ont octroyé pour nous consoler de la brièveté de nos existences.
Mais il est d'autres fumées bien plus nauséabondes à humer. Toutefois comme le choc des images pèse plus lourd que le poids deS mots, je vous invite à regarder le clip ci-dessous. L'est de Volutes, la semaine dernière nous avons zieuté leurs trois vidéo-intitulées : J'ai la rage...Tout un programme. Prenez place et n'en perdez pas une miette.
SYRIANA / VOLUTES
( Clip : 25 / 09 / 2019 )
Cela tombe bien, nos deux gaillards – le troisième doit être derrière la caméra - confortablement installés dans un splendide divan en cuir mauve de vachettes ( que les vegans n'ont pas réussi à sauver ) visionnent les informations. Quelle chaîne ? je l'appellerais l'envoi informatif de ses maîtres, je vous rassure, pour une fois tout va bien. Le résultat des opérations militaires tombe juste : tout est parfait. Les esprits sensibles feraient mieux de s'arrêter là. Pris d'une folie subite, voici nos deux amateurs de canapé qui s'emparent du poste et se mettent à le transporter dans les rues au rythme des vieux films tressautant de Charlot. Se dépêchent parce que le clip ne dure que deux minutes trente-trois secondes, qu'ils en ont déjà bouffé quinze et que le sujet qu'ils évoquent est des plus complexes. Sans doute est-ce pour cela qu'une mélodie orientale déferle brutalement sur vous et qu'ils vous fourguent les paroles à cent kilo-mot-mètres à l'heure.
Pour le décor, ils auraient pu faire un effort. La France ne manque pas de beaux paysages. Pins des Landes, rochers du Sidobre, glaciers altiers des Alpes, plages de sable méditerranéennes. Non, z'ont choisi a zone. La banlieue. Ses immeubles gris, ses tags bestialement colorés, ses ballasts glauques à rails monotones pour les bétaillères à travailleurs mal-payés, ses détritus de vies clandestines saccagées, et tout de suite – Balzac a théorisé cela en remarquant que la laideur des lieux influe négativement sur le caractère de leurs occupants - ils adoptent des manières de racaille. Ne pensent qu'à casser leur grand-écran, qu'ils projettent depuis le haut des ponts sur les voies de chemin de fer.
Du bon matos. Ce doit être du made in France. Pas de la camelote venue de Chine. Ça rebondit comme une balle de caoutchouc. Pas une éraflure. Pas une écorchure. Même que le poste continue à fonctionner. Aucun problème pour suivre la suite des infos. Ce ne sont pas les jeux idiots de deux zozos qui vont arrêter la marche du monde. C'est là que l'on retrouve les volutes de fumée que je n'apprécie guère. Non, ce n'est pas une émission sur les méfaits du tabac. Juste des images sur la situation en Syrie. Nous sommes en 2018. Bombardements tous azimuts. Explosions et boules de feu. Cumulus de fumée, flammes et poussières mêlées. Vous n'apprécierez guerre. Même si dans le commentaire introductif l'on vous a seriné que tout est parfait. Certes sur le clip ce n'est pas en continu, il y a des moments marrants avec ce poste de TV qui rebondit comme un ballon de basket.
Je pourrais arrêter sur cette image pas franchement idyllique mais souriante, or il y a un dernier problème. Ce sont les paroles du morceau. Faut s'accrocher et repasser le clip plusieurs fois. Le tube est tohu-bohuesque. C'est que Volutes, ils ne font pas dans la gentillette condamnation qui met tout le monde d'accord : ne disent pas que la guerre en Syrie ce n'est pas bien, qu'il faut l'arrêter tout de suite et qu'alors ce sera mieux.
Z'avez l'impression d'un truc à l'emporte-pièce, d'un micmac inqualifiable, c'est que voyez-vous, quand on essaie de comprendre et que l'on tente de sérier les éléments, l'on s'aperçoit des vertiges de la mondialisation. Tout est imbriqué. Et la dialectique n'est pas toujours capable de casser les briques. Politique, argent, clauses secrètes, convergences idéologiques et intérêts divergents, terrorisme, matières premières, religion... il n'y a pas de tout bons d'un côté et de gros méchants de l'autre, que du mauvais partout. Pas d'information, uniquement des manipulations. D'où cette télé à casser. D'où la banlieue. Car nous habitons la banlieue de la guerre mondiale. Notre monde est un mikado. Qu'un papillon financier fronce une aile à l'autre bout du monde et une tempête se lèvera à des milliers de kilomètres de là.
En deux minutes Volutes vous met les idées au clair : nous habitons une poudrière. Sur ce bonne soirée.
Damie Chad.
Le lecteur friand de l'aspect musical de Syriana se jettera sur la chro consacrée à la recension de leur disque. Voir livraison 427 du 29 / 08 / 2020.
Pour ceux qui veulent comprendre l'engrenage syrien la vision de Syriana film de Stephen Gaghan, paru en 2005, s'avèrera utile.
Pour ceux qui veulent plonger au cœur du cauchemar regardez Pour Sama ( 2019 ) de Waad al-Kateab. Ce n'est pas un film, uniquement des vidéos tournées in-situ. Attention les morts sont de vrais morts et le sang qui coule du vrai sang. Sans aucun voyeurisme. Sans adoucissant. Sans chiqué. Vous risquez d'en ressortir choqués.
FELIX PAPPALARDI
BLUES CREATION
&
CREATION
En ces temps d'après deuxième conflit mondial les jeunes japonais ne furent guère rancuniers. Douze années ne s'étaient pas écoulées depuis Hiroshima que Gene Vincent, fut reçu à bras ouverts. Au début des années soixante les Animals et les Rolling Stones imposèrent le goût du blues électrifié au pays du soleil levant. Par l'intermédiaire de ses bases militaires – appui logistique d'importance pour la guerre du Vietnam – the american rock'n'roll way of life fournit à une saine jeunesse avide de nouvelles connaissances tous les produits nécessaires à certaines expérimentations mentales...
Kazuo Takeda n'avait pas vingt ans qu'il participait déjà au nippon blues boom en tant que lead guitarist du groupe Blues Creation. Il avoue avec une trop grande modestie qu'il devait se concentrer un maximum sur ses cordes... leur premier album éponyme paru en 1969 était uniquement constitué de reprises de blues, Sonny '' Rice Miller '' Williamson, Willie Dixon, Muddy Waters... le deuxième fut enregistré avec la chanteuse folk Carmen Maki qui voulait tâter du rock, l'on y relève une version de Saint James Infirmary, dans cette même année 1971, ils enregistrèrent Demon and eleven children, peut-être le meilleur des albums du rock japonais de l'époque. en 72 le groupe splitta pour divergences musicales...
DEMON AND ELEVEN CHILDREN
Kazuo Takeda : guitare + compositions / Akiyoshi Higushi : batterie / Masashi Saeki : basse / Hiromi Osawa : vocals.
Atomic bomb away : pluie de bombes, guitares en piqués, rythmique lourde, la voix un peu maigrelette, mais l'orchestration s'y colle dessus et ne l'abandonne jamais même quand elle essaie de monter vers les nuages. Rempli de clichés mais de ceux qui font les bonnes photos. Partent du principe qu'il ne faut pas ennuyer l'auditeur, alors ils vous refilent sans arrêt de nouveaux plans. Une basse qui se souvient de Mountain, et un guitariste qui est un as du cha-no-yu sur table branlante. Missssippi mountain blues : un bon blues du piedmont avec harmonica, voix creuse et rythmique infatigable. Un peu trop attendu, la guitare qui se fait toute petite dans son coin même quand elle soloïse. Un blues qui ne vous invite pas au suicide est-il un bon blues ? Just I was born : c'est parti pour le galop du grand derby, la batterie répétitive et qui semble là pour assurer une présence discrète. C'est le vocal et la guitare qui portent le groupe. Ne jouent pas sur les coupes franches, z'avez l'impression que vous vous dirigez vers la fin du morceau mais la guitare embraye et le moulin à café tourne sans fin. Le client-roi retenu en captivité auditive doit en avoir pour son argent. Sorrow : essayent les vitesses une à une, à fond pour la guitare et tout doux lorsque la basse prend le relai. Vocal un peu gentillet, on ne peut pas leur en vouloir, ils ont du chagrin. Une guitare qui claptone un peu et qui prend son temps entrecoupée par des mélodies qui louchent du côté des Beatles. One summer day : le slow scorpionique, retirez les rideaux de vos fenêtres et pleurez à chaudes larmes votre amour perdu. Pourraient être un peu plus machos et partir du principe qu'une de perdue c'est dix riffs d'acier de gagnés. Brane baster : un minuscule soupçon d'acoustique, z'ensuite l'électrique joue au train qui s'éloigne à toute vitesse sur l'infini des rails. Dépasse difficilement les deux minutes, instrumental des plus agréables pour des oreilles rock. Sooner or later : moins hard, louchent un peu sur le british pop. Mélodie, écho souterrain dans la voix, cela n'a jamais tué personne, mais ça ne fait pas de mal non plus. Bonne partie de guitare finale. Demon & eleven children : le titre dure neuf minutes, ce qui est certain c'est qu'on ne s'ennuie pas en l'écoutant. Sont décidés à nous montrer tout ce qu'ils savent faire et ma foi ils peuvent vous réciter l'Encyclopédie Universalis à l'endroit et à l'envers. Si vous ne devez écouter qu'un unique morceau, ce sera celui-là. Une belle vitrine.
Précision utile sur ce démon et ces onze enfants. Ce n'est en rien un concept-album qui raconterait un sombre conte No, une espèce de Petit Poucet à la sauce nippone. Le titre a été rajouté au dernier moment par la maison de disques pour inciter les clients à acheter... L'ogre démoniaque du marketing nous dévorera tous.
Etrangement cet album de 1971 laisse présager ce que le suivant occulte totalement. Kazuo Takeda évoluera. Les mauvaises langues diront qu'il reniera sans état d'âme son passé de rocker et de hard rocker. Il se dirigera vers des musiques plus complexes, plus aventureuses, du prog à la la fusion pour finir par le jazz. Sachant cela, si vous écoutez cet album vous remarquerez que les structures des morceaux ne sont jamais fixes, que leur principal défaut, qui fonde aussi leur singulière qualité, est qu'elles reposent sciemment sur une instabilité généralisée.
En 72 le groupe splitta pour divergences musicales... Kazuo Takeda ne se découragea pas le quatuor Blues Creation était mort, il partit humer l'air chaudement musical de Londres et revint au pays pour créer le power trio Creation. En 1973, les voici recrutés pour assurer la première partie de la tournée de Mountain au Japon. Le courant ne passe pas avec Leslie West et Corky Laing, toutefois une franche camaraderie se crée avec le couple Felix et Gail Pappalardi...
En 1975 paraît le premier disque de Creation devenu quatuor :
CREATION
( 1975 )
Ne se sont pas foulés pour le titre de l'album. Par contre question pochette Hajime Sawatari frappa un grand coup. Je n pense que de nos jours un groupe ne se permettrait pas une telle couve. Sawatari est un photographe connu pour ses photos scandaleusement osées, peut-être a-t-il médité sur le poème de Baudelaire J'aime le souvenir de ces époques nues... Je n'ose pas dire que je vous laisse vous rincer l'œil.
Kazuo Flash Takeda : lead guitar, keyboards, lead vocals / Yoshiaki Iljima : guitar / Shigeru Matsumoto : bass / Masayuki Higuchi : drums.
You better find out / A magic lady / Lonely night / Tobacco road / Fairy tale / Pretty Sue / Got to get together / Watch 'n' chain / Feelin Blue / Blues from the yellow /
Rien à reprocher à ce disque, à part que tout le monde en a déjà entendu des centaines du même style. Le contenu ne vaut pas la couverture. Pour le deuxième opus de Creation, Kazuo Takeda qui a voulu remédier à la situation fait appel à Felix et Gail Pappalardi qui l'invitent chez eux à Nantucket pour l'écriture et le choix des morceaux. L'enregistrement aura lieu à New York.
FELIX PAPPALARDI & CREATION
( 1976 )
Shigeru "Sugar" Matsumoto : bass / Felix Pappalardi : Bass, keyboards, vocals / Masayuki "Thunder" Higuchi : drums / Kazuo "Flash" Takeda : lead guitar / Yoshiaki "Daybreak" Iijima : rhythm guitar / Producer : Felix Pappalardi, Gail Collins.
Prudemment A& M Records s'est chargé de la pochette !
She's got me : c'est terrible. Pour les mettre en confiance, les deux premiers morceaux du disques sont repris sur le premier album des Creation. Vous avez vite fait d'entendre la différence. La guitare de Takeda qui filait dans tous les sens, Felix vous l'a domestiquée, n'est pas là pour faire la belle mais pour construire le morceau. Une chose est sûre on n'est plus dans Creation mais l'on n'est pas dans Mountain, non plus. Takeda dira que Pappalardi lui a ouvert les yeux et les oreilles. N'y a pas que le hard rock dans la vie. L'important c'est d'être soi-même. Méfions-nous des montagnes, elles font de l'ombre. Un sorcier est aux manettes et la batterie d'Higuchi a pris de l'ampleur. Pas question non plus d'épaissir le son à devenir sourd, tout est dans la justesse, l'équilibre des forces. Voyez comment l'harmonica de Paul Butterfield se fond dans les guitares. Dreams, I dream of you : rien qu'au titre l'on comprend que l'on change de registre, on vous a montré comment on équilibre le rock, maintenant c'est le moment d'accompagner la roucoulade. Felix nostalgise au vocal, entre slow sixties et mélodie à la Sinatra. Pas du tout sinistre. Green rock road : et l'on passe de la variétoche à la ballade américaine, une guitare qui countryse et tout le mystère réside dans l'art de poser le timbre vocal sur l'enveloppe instrumentale, mine de rien, mine d'or. Preacher's daughter : le moment de balancer la voix, les guitares suivent et Pappalardi se fait plaisir, au Japon l'album est sorti sous le titre Creation et Felix Pappalardi, les acheteurs ont dû être surpris. Une petite merveille, mais ni le bruit ni la fureur créationiste. Listen to the music : Felix ''maître zen de sagesse'' Pappalardi au vibraphone laisse tomber des gouttes de pluie dans la limpidité d'une vasque au bord de laquelle s'élèvent trois roseaux solitaires. La sérénité du jardin japonais. Tout un art de grande subtilité. Secret power : un petit rappel sur une paroi de haute montagne, les guitares plantent les pitons, ça glisse un peu sur la glace, mais c'est juste une démonstration, Pappalardi jette les bases mais ne dévoile pas pas le sommet. Superbe. Summer days : les amerloques adorent l'été, à les écouter il est rarement brûlant, l'est mélancolique à pleurer, ces jours n'échappent pas à la règle intangible des rêves brisés. Pappalardi se gargarise du masochiste plaisir du désespoir. Dark eyed lady of the night : légèrement plus pimenté que le précédent, mais juste un arôme furtif. Une guitare narquoise, tout en finesse, rien à voir avec La mort viendra et elle aura tes yeux le dernier recueil de Pavese. Ballad od a sad cafe : le temps se met au gris, les nuages s'approchent, magnifique, grandiloquent, un dernier éclat de guitare et la symphonie s'achève.
Répétons-le les amateurs de Creation et de Mountain risquent d'être déçus. Pappalardi entertainment pousse la chansonnette. Avec tout autre que lui ce serait mièvre et insupportable. Les quatre ultimes américanades sont de véritables pièces de musique, des compositions au sens classique du terme, mais traitées en rock, rien à voir avec les orchestrations de Bernstein, mais l'on est dans cette veine, Gail et Felix ont créé un étrange mix qui louche autant vers la comédie musicale, que vers le country. Quelle idée baroque de se servir d'un groupe japonais pour embrasser en filigrane une bonne partie du spectre de la musique populaire américaine !
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TRAVELLIN' IN THE DARK
LIVE... DENVER '76
Reste que l'on est curieux de savoir comment le disque studio sera retranscrit live. Même si le titre de cet album public est un énorme clin d'œil à Mountain, c'est bien Pappalardi qui mène la cordée, et qui a décidé de poursuivre la voie qu'il a explorée sur Climbing ! avec des compositions comme Theme for an imaginary western.
Kazuo Flash Takeda : lead guitar, keyboards, lead vocals / Yoshiaki Iljima : guitar / Shigeru Matsumoto : bass / Masayuki Higuchi : drums.
Preacher's daughter : c'est ici que l'on comprend le choix de Creation comme groupe d'accompagnement. Et pour ce premier morceau il semble que c'est plutôt le son de Blues Creation qui de fait a été sélectionné. Notamment la fluide guitare de Takeda, et si les tambours de Higushi sont renforcés, les grosses poutres riffiennes du premier disque de Creation ont été transformées en copeaux pour alimenter un feu soutenu et continu mais sans sursauts de hautes flammes. Pappalardi s'est réservé la part du lion, le chant, et il ne s'en prive pas. L'est le croupier qui mène le jeu, ramasse les jetons, et fait tourner la roulette. Russe. Prend manifestement son pied. Big boss. En fin de partie c'est lui qui rafle la banque. Secret power : c'est le morceau le plus montagneux du disque studio, Pappalardi calme le jeu, l'est aidé par la basse de Matusumo mixée tout devant qui ralentit les escalades et veille aux dégringolades. Un petit éboulement de quelques milliers de tonnes ne nous aurait pas déplu, mais Pappalardi ouvre son gosier et domine la situation comme l'aigle du haut de son aire maîtrise tout ce qui rampe sous lui. Dreams, I dream of you : le Felix est heureux comme un cat apprivoisé qui ronronne sur son coussin de soie rose. Vous étale la marmelade à larges louches, vous vous pourléchez les doigts à l'idée de penser qu'il englue ses tartines rien que vous faire plaisir. Vous y mordez dedans à pleines dents et vous en avez jusqu'aux oreilles. Derrière les Creation violonisent. Sucre candy. Travellin' in the dark : le titre comme vous ne l'avez jamais entendu, sous forme de berceuse pour enfants sages pour qu'ils n'aient jamais peur de dormir dans le noir. Le pire c'est que ce n'est pas mal du tout. Tout le charme pastel des illustrations de Gail. Reason to believe : ne l'oublions pas Pappalardi a débuté en tant que producteur de la scène folk new yorkaise. Une reprise gentillette de Tim Hardin. Nous l'interprète en militant apaisé. Dark eyed lady of the night : une version montagnarde, le morceau idéal pour les musicos, que chacun ait son heure de gloire et les yeux de la lady s'éclairciront pendant que Felix chante son aubade. L'est sûr que les Creation ne sont pas des manchots déplumés sur un morceau de banquise fondante. As the year go passin' by : le sentiment du temps qui passe n'est pas joyeux et nous rappelle que la race humaine trépasse aussi, c'est parti pour une ballade bluesy grandiloquente à souhait, longue comme un jour de pluie, le scorpion de la mélancolie plante son dard dans votre cervelle métamorphosée en fromage blanc, un must pour les instrumentistes, un peu comme un livre de Delly que vous lisez pour la soixantième fois mais que vous n'avouerez jamais aimer. Nantucket Sleighride : Mountain revisité, en plus nuancé, en plus triste, en plus morbide, les musicos se font discrets, c'est la voix de Pappalardi qui tient le morceau et l'emporte dans son antre pour le dévorer. L'ivresse des hauts sommets a gagné l'équipage. Nous la communiquent. A écouter. N'y a pas que Leslie qui sait se servir d'une guitare. Takeda au taquet. Une version démesurée de plus de vingt-et-une minutes. Ébouriffant. Plus belle que celle de Twin Peaks. Brodée d'un satin scintillant d'écume folle. High heel sneakers : que mettre à la suite d'un tel prodige. Un bon vieux rock des familles ! Le vieux hit de Tommy Tucker que Jerry Lou s'est complu à dynamiter. Miracle, Creation se souvient qu'ils sont aussi un groupe de hard-rock et ça s'entend. Une intro tonitruante suivie d'une version méchamment blues mais hélas écourtée.
Pappalardi tel qu'en lui-même. Je pressens quelques déceptions pour les fans de Mountain, mais une fois qu'ils auront écouter le Nantucket ils auront la honte de leur vie à penser qu'ils ne l'ont pas dans leur collection.
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FELIX PAPPALARDI, CREATION
LIVE AT BUDOKAN 1976
Kazuo Flash Takeda : lead guitar, keyboards, lead vocals / Yoshiaki Iljima : guitar / Shigeru Matsumoto : bass / Masayuki Higuchi : drums.
Pretty sue : ce disque ne fait pas double emploi avec le précédent, beaucoup de titres sont issus du premier LP de Creation et ils y renouent avec leur gros son appuyé où ça fait mal, un beau ballet de basse de Matusumo qui imite Jack Bruce à la perfection. A moins que ce ne soit Felix, mais il ne faut pas prêter qu'aux riches. Lonely night – You better find out : certes le son n'est pas parfait mais sur ce medley règne un grand désordre bon enfant qui frise l'incohérence. Le public apprécie... A magic lady : Sur le moment il devait y avoir de l'ambiance, mais la magic lady n'est pas aussi magique que ses promesses. Tobacco road : débordement de batterie, guitares qui jouent aux marteaux-piqueurs. Chant à l'arrache. N'ai jamais vraiment apprécié ce morceau que j'ai toujours trouvé touffu. Mais là c'est la jungle, tellement serrée que vous ne pouvez y glisser le petit doigt du pied. Bourrinent à mort. Secret power : entrée de Felix Pappalardi, c'est incroyable comme un bon chanteur vous met de l'ordre dans la pétaudière, n'a qu'à ouvrir la bouche et le monde s'ordonne. Le Matusumo assume grave et l'on louche un peu vers Cream pour le son et vers Mountain pour les sous-bassements oedémiques lyriques. Dark eyed lady of the night : nettement plus en forme que sur le disque précédent. La donzelle a retrouvé son sex appeal, elle minaude et joue à la vierge effarouchée dans un poème d'André Chénier, les gars en sont tout émoustillés, font attention à ne pas commettre de grosses bavures avec leurs instruments. Ne s'agit pas de lui marcher sur les pieds. Quant à vous, vous êtes prêts à rester là toute la nuit à tenir la chandelle s'il le fallait. MC Blues : un bon blues n'a jamais tué personne, en voici un avec ses grappillons de guitares, sa chaloupe cadencée, et Felix qui vous propulse au cœur de la tristesse du monde par le glissement du timbre de sa voix. La guitare pleure, faudra un jour que l'on m'explique pourquoi ces marches funèbres vous filent un extraordinaire pêchon. En tout cas à celui-là il ne manque rien. Takeda au summum. Commando delta. Theme for an imaginary western : le cheval de bataille de Felix pour terminer le premier CD. L'on ne s'en lasse jamais, le côté verte prairie imaginaire qui défile sans fin. Les temps cruels de l'innocence perdue à jamais. Nantucket sleighride : l'on ne change pas une formule gagnante. Encore un must légendaire de Pappalardi. Une belle version qui ne vaut pas la précédente. Ne dure qu'une dizaine de minutes, la voix splendide, mais l'accompagnement un tantinet trop rapide au début, et plus tard trop lent, par rapport à la puissance déployée. Manque un peu de vent dans les voiles de Takeda qui n'est pas un oiseau ivre d'écume parmi les cieux... Preacher's daugther : le morceau bien envoyé au rebond de la balle. Le son trop souffreteux pour que l'on puisse apprécier à sa pleine mesure. Dommage ! Watch 'n' chain : un morceau de Creation, z'ont récaté le bazar du début, un quart d'heure quasi instrumental de montées graduelles, de grands feux de joie suivis de descentes en douceur, sur scène les spectateurs adorent ce genre de pattern, à froide écoute c'est moins exaltant. Tout ce qu'il faut servi sur un plateau, mais le manque d'originalité est flagrant. L'assistance panurgique ne manque pas de taper dans les mains. Longuet. MC : présentation des musiciens. Dreams, I dream of you : quatre minutes de rêve... Au bout desquelles on renoue avec les habitudes de Mountain, un solo de guitare de Takeda excellent, qui constitue l'ouverture de High heel sneakers en mode blues, à la suite duquel nous avons droit – tradition oblige - à un Roll over Beethoven qui nous rappelle de bien belles excursions en haute montagne. Soyons franc, Takeda n'est pas West, il se coule dans Chuck Berry mais ne se l'approprie pas.
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Creation est absent du disque suivant. L'on sait qu'en tant que producteur Felix Pappalardi n'a jamais hésité à mettre la main à la pâte, à se saisir d'un instrument, à écrire un morceau. L'on connaît sa participation à Mountain, beaucoup moins ses enregistrements avec Creation, mais Don't Worry, Ma est le seul record qu'il publia sous son propre nom. Sorti quelques années avant sa disparition, il se teinte d'une aura testamentaire qu'il n'avait pas évidemment lors de son enregistrement. Rappelons que Felix repose aux côtés de sa mère décédée en 1968.
DON'T WORRY, MA
( 1979 )
Nécessité de ne pas mythifier en écoutant, la liste des participants ( voir dessous ) nous en empêcherait. On ne peut pas dire qu'il était tout seul, une bonne trentaine de musiciens, presque un orchestre symphonique avec section de cuivres et pupitre de cordes. Ce n'est pas un disque de rock'n'roll. Pappalardi chante les morceaux qu'il aime. En point c'est tout. Oubliez le bassiste de Mountain.
Certes ce n'est pas une réunion de copains le soir au coin du feu mais parfois comme sur Railroad Angels ça y ressemble, l'on dirait que l'on a ménagé à tous ceux qui passaient par le studio une place dans la chanson. Tous un peu serrés mais heureux de se retrouver là. Une espèce de gospel à la bonne franquette où chacun s'en vient pousser la chansonnette. Deux traditionnels arrangés avec Gail, chacun symboliquement disposé en première piste des faces 1 et 2 : Bring it with you when you come et the Water is wide, qui vient de loin, d'Ecosse et du début du dix-septième siècle. Ce dernier morceau un peu engoncé dans une aura de respectabilité, traitée avec un tel maximum de précautions qu'il en devient fastidieux. De loin la version de Joan Baez, qui a travaillé avec Pappalardi, beaucoup plus simple s'avère mille fois plus belle. On attend le léopappardi au tournant pour Sunshine of your love, Felix ne change rien au traitement de la voix, par contre les guitares restent dans leurs étuis et une crème de cuivres se chargent de la participer à la partition. Pour vous donner une idée souvenez-vous du saxophone sur les dernières mesures de Walk on the wild side de Lou Reed, ben là c'est aussi beau, à part que ça dure un max et que vous en avez toute une section qui ne fait pas halte. Question cuivres étincelants jetez-vous sur White boy blues qui mériterait de s'appeler White boy rhythm'n'blues, assaisonné à la Memphis horns qui groovent la vie et un chœur de filles qui stuffent et staffent à mort. Le meilleur morceau à mon avis. Quoique à la réflexion Caught a fever vaut son pesant de bitcoins. Y a de tout là-dedans, au début vous parieriez votre fortune personnelle pour du pure blues, mais très vite chacun des participants désire apporter sa tonne et demie de gros sel iodé et vous ne savez plus ce que c'est. Pourtant c'est évident : c'est du Pappalardi qui vous emmène au paradis. Parce ce que si les trois dizaines de clampins amicaux qui l'entourent marnent à mort sur leurs instruments, le Felix il se contente de poser sa voix. Un maître organe. Doit se décider au dernier moment, tiens je pourrais le faire comme cela et dès qu'il ouvre la bouche une clarté apollinienne irradie le studio. Magnifique à chaque fois, ah ! sa version de As the tears passin' by – dans les deux disques précédents il vous la traitait en ballade aussi pompeuse et boursoufflée que les joues de Pompée défilant le jour de son triomphe sous la tribune des rostres - et ce coup-ci il la commence in blue, et puis toutes les couleurs de l'arc-en-ciel y passent et votre cœur se déchire en mille et un confetti. Vous reste encore High Heel sneakers et la Farmer's daughter pour vous remettre de vos émotions.
M'étonnerait qu'avec les royalties il ait pu s'acheter une Cadillac agrémentée de l'option pare-chocs en or massif. Un caprice de gentleman. Un homme qui détruit sa légende et sa réputation. ( Elles sont comme les têtes de l'Hydre de Lerne qui repoussent aussitôt coupées. ) En toute connaissance de cause. Avec ce je-m'en-foutisme absolu de celui qui n'en fait qu'à sa tête. Une énorme leçon de liberté et de savoir-faire. Le génie de la simplicité, peut-être même la simplicité du génie.
Felix Pappalardi :vocals / Bernard Purdie : drums, timpani, tambourine, producer / Eric Gale : guitar / Richard Tee : piano, organ / Chuck Rainey : bass / Pancho Morales : congas / Frank Wess : tenor saxophone, flute / David Tofani : tenor saxophone, flute / Edward Daniels : tenor saxophone, flute, clarinet / Wilmer Wise : tenor saxophone, clarinet / George Opalisky : alto saxophone, tenor saxophone, flute, soloist / Arthur Clark : flute, bass clarinet / Irvin Markowitz : trumpet, flugelhorn / Victor Paz : trumpet, flugelhorn / Burt Collins : trumpet / George Marge / oboe, piccolo / Peter Dimitriades : violin / Sanford Allen : violin / Kathryn Kienke : violin / Doreen Callender : violin / Norman Carr ; violin / Noel DaCosta : violin / Robert Tozek : violin / Gene Orloff : violin / Selwart Clarke : viola / Julien Barber : viola / Al Brown : viola / Kermit Moore : cello / Corky Hale : harp / Maeretha Stewart : backing vocals, leader / Hilda Harris : backing vocals / Ullanda McCullough : backing vocals / Horace Ott : arranger, conductor / Artwork : Gail Collins. On ne peut pas dire qu'elle se soit fatiguée. Le minimum syndical. Mais c'est le disque de Felix à lui tout seul. Les meilleurs cadeaux sont ceux que l'on s'offre soi-même.
Damie Chad.
09:58 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pretty things, david robkab, volutes, felix pappalardi + creation, undertones
10/06/2020
KR'TNT ! 468 : BRIAN JONES / EL VEZ / VOLUTES / MOUNTAIN
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 468
A ROCKLIT PRODUCTION
FB KR'TNT KR'TNT
11 / 06 / 2020
BRIAN JAMES / EL VEZ / VOLUTES MOUNTAIN |
TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Brillant James - Part Two
Après avoir chanté les louanges de Bryan Gregory et de Ron Asheton, John Wombat chante maintenant celles de Brian James. Il réussit à en faire un peu plus de 300 pages, alors qu’avec Bryan Gregory, il parvenait péniblement à en faire 70. Bon, ça part d’un bon sentiment : pas facile d’aller consacrer des livres à des artistes cultes, ceux qui par définition indiffèrent les masses populaires. Un constat qui pourrait expliquer le fait que l’auteur n’ait pas trouvé d’éditeur puisque ses livres paraissent à compte d’auteur. Comme c’est Amazon qui publie et qui commercialise, on doit commander l’ouvrage en ligne. Clic ! Il arrive directement dans la boîte aux lettres, dans un délai record et bien protégé dans son emballage en carton brun. Wow, quel bel objet, murmure-t-on en soupesant le book d’une main experte. L’instinct bibliophilique trompe rarement : l’équation format/poids/artiste culte est infaillible. On frétille comme une vieille pute. Quelles belles bonnes heures de lecture en perspective ! Comme on les aime, ces livres idéaux ! Quel objet infaillible ! On finit même par se dire qu’au fond la vie vaut bien d’être vécue. Parfois ça fait du bien d’être très con.
Il ne reste plus qu’à se livrer au rituel bibliophilique : on s’installe confortablement dans un fauteuil, on chausse sa vieille paire de lunettes et, au moment précis où les deux pouces déflorent l’ouvrage, on laisse monter dans la cervelle un doux sentiment d’extase.
C’est là que se présente le vieux dilemme : soit on feuillette pour faire rapidement le tour du propriétaire, soit on attaque bille en tête la lecture à la page 1. Comme il s’agit d’un livre richement illustré, on retient la première option. Chacun sait que Brian James est une rock star extrêmement photogénique. On vit jadis à Mont-de-Marsan ce grand brun aux yeux clairs illuminer le backstage de sa seule présence. On le revit quarante ans plus tard dans un bar rouennais et l’occasion fut trop belle de lui rappeler qu’il fut voici quarante ans the king of ze night in Mont-de-Marsan, ce qui eut le don de le faire rire de bon cœur. Aux yeux de ceux que le suivent à la trace depuis le début, il ne fait aucun doute que Brian James est une vraie British rock star, au même titre que Ronnie Lane, Jesse Hector, Peter Perrett, Pete Overend-Watts ou Mick Ronson. Du coup, on se repaît du festin d’images que propose Wombat dans son book. On passe en revue toutes les époques, les Damned, les Lords et bien sûr ces temps modernes que Brian James traverse dignement en soignant son statut de punk-rocker vieillissant, coiffé d’un petit galure de bookmaker à la Ben Gazzara et d’une chemise hawaïenne. Mais une fois le cœur réchauffé par toutes ces constatations, un léger malaise s’installe. Bon nombre de photos sont des doublons. Puis on s’aperçoit que la mise en page réduit le contenu à portion congrue : le bloc de pied de page remonte exagérément de cinq bons centimètres et les marges de tête, de droite et de gauche sont anormalement généreuses. C’est un procédé qu’utilisent certains ‘éditeurs’ pour forcer la pagination. 150 pages bien maquettées auraient sans doute largement suffi. Puis on découvre horrifié que l’auteur se glisse dans quatre photos alors que généralement une seule suffit. On est là pour Brian James, pas pour croiser la bobine du Wombat à tous les coins de rue.
Difficile d’attaquer la lecture dans un tel climat de suspicion. Et quand on a pris l’habitude de se frotter à des auteurs aussi consistants que David Ritz, Peter Guralnick ou Robert Gordon, c’est encore plus périlleux. Rien n’est pire que de perdre confiance. Surtout en un auteur. Le risque est d’aller lire en diagonale. Autant aller jeter le livre dans la gueule du loup des steppes.
Lira ? Lira pas ?
Lira, car c’est en lisant qu’on devient liseron. Et si on lit ça, c’est aussi parce que l’Asherton book laisse un bon souvenir. Le bric et le broc qui le constituaient en faisaient tout le charme. Alors va pour le bric et le broc. Que le grand bric nous broc, tonnerre de Brest ! Au point où on en est, on pourrait même décider de continuer d’élucubrer sans perdre du temps à vouloir lire ce simili-book amazonique. Mieux vaut parfois élucubrer que de vouloir roucouler plus haut que son cul. Mais ce serait s’éloigner encore plus du sujet. Grand bien nous prend parfois de revenir au sujet, car c’est là que se dresse le poteau rose. C’est d’autant plus vrai dans le cas de ce simili-book. Contre toute attente, il se révèle passionnant car un phénomène extraordinaire s’y déroule sous nos yeux ronds de stupeur : le sujet vole au secours de l’auteur !
Les amateurs éclairés de littérature - ou les amateurs de littérature éclairée, ce qui revient quasiment au même - vous diront que c’est un phénomène d’une grande banalité. Ils commenceront par vous sortir le fameux «Madame Bovary c’est moi !» de Gustave Flaubert. Puis vous entendrez sûrement parler de Leopold Bloom, du Docteur Destouches, du consul Geoffrey Firmin et de quelques autres, mais en quelques clics, vous apprendrez très vite que ces personnages de romans célèbres sont en fait des sujets autobiographiques, vous n’aurez même pas besoin de lire les ouvrages en question, vu qu’aujourd’hui on peut se passer de livres pour se cultiver durablement sur Internet. Et même devenir e-bibiliophile sur son téléphone portable. Par contre, le simili-book reste le seul accès au phénomène extraordinaire épinglé plus haut : on vit dans cette époque et il faut s’en accommoder. Vous recherchez des sensations fortes ? Jetez-vous sur les simili-books. On doit même pouvoir lire celui-là sur un écran. L’effet doit en être mille fois plus capiteux.
Si Brian James vole au secours de John Wombat, c’est pour une raison bien simple : l’ancien Damned est un homme profondément généreux. Ça s’entend au ton de sa voix. Brian James raconte ses souvenirs tranquillement, au fil des époques. Comme le fit Joel McIver dans son livre sur Lemmy et Motörhead (Overkill), Wombat a l’intelligence de laisser son sujet s’exprimer longuement. Et du coup, on se retrouve avec la vraie histoire des Damned et du proto-punk - une histoire du proto-punk qu’on peut d’ailleurs croiser avec celle des Hollywood Brats que raconte Andrew Matheson dans Sick On You.
Brian James naviguait en père peinard sur la grand-mare du proto-punk qui, souvenez-vous, trouve sa source dans le fameux Phun City Festival organisé par Mick Farren en 1970. Figuraient à l’affiche les Pink Fairies, les Pretty Things, le MC5 et Bastard, le groupe pré-Damned de Brian James. C’est là qu’il découvre les MC5, en tournée en Europe pour la première fois, et William Burroughs : «William Burroughs était là. Il avait l’air marrant (he was a funny looking guy). Il avait l’air d’appartenir aux SS ou à la Gestapo, avec son trench coat et son chapeau à larges bords. Il était flanqué de deux Hell’s Angels dont l’un portait un casque nazi. Burroughs se baladait dans le festival et s’exclamait : ‘Woa, this is fucking cool !’ Il avait vraiment une super allure, il portait des petites lunettes cerclées d’acier. On aurait dit qu’il sortait d’un film.»
Brian James s’était installé à Bruxelles pour essayer de lancer son groupe, Bastard. Mais ça ne marchait pas très bien. «Je suis rentré à Londres à Noël pour voir mes parents et manger un peu. On ne mangeait pas beaucoup à Bruxelles. Tu vois, on s’amusait bien mais on crevait la dalle. Alors j’ai vu une annonce dans le Melody Maker. À cette époque, les musiciens passaient des annonces quand ils cherchaient à jouer dans des groupes. Dans l’annonce, on citait le nom des Stooges qui étaient à l’époque l’un de mes groupes favoris. Alors je suis allé voir ces mecs, Mick (Jones) et Tony (James) et je leur ai dit : ‘Bon les gars, j’écoute les mêmes trucs que vous.’ Je leur ai fait écouter une cassette de Bastard. Ils ont bien aimé. Je leur ai dit que mon matos était encore à Bruxelles et que Bastard allait splitter, car les autres devaient se marier, tu vois, ce genre de truc. ‘Alors si vous pouvez attendre un peu, je rentre à Londres de toute façon. Si vous trouvez quelqu’un d’autre d’ici là, pas de problème.’ Quand je suis rentré à Londres, j’ai appelé Mick qui m’a dit qu’il m’attendait. On a commencé à auditionner des chanteurs et des batteurs. Mick jouait de la guitare et Tony de la basse.»
Ce qui nous conduit droit aux London SS, le Loch Ness du proto-punk londonien. Brian James s’empresse de préciser que les London SS ne furent jamais un groupe au sens où on l’entend généralement mais uniquement un rehearsal band, un groupe informel, avec des gens comme John Brown, Eunan Brady et Geir Waade qui sont ensuite allés jouer avec Wreckless Eric, ainsi que Roland Hot et Lucas Fox. Puis suite à une annonce voilà qu’est arrivé Christopher Millar vite rebaptisé Rat Scabies par Mick Jones. Oui, car le pauvre Christopher avait la gale et un rat avait traversé le basement de Paddington pendant l’audition. D’où ce Rat Scabies qu’on traduirait ici par ‘rat galeux’. Brian apprécie surtout le style de Rat : «Il est arrivé et je l’ai trouvé fantastique, grâce à lui, je me suis mis à jouer différemment, à la Pete Townshend, avec le côté plus électrique, the noise. Mick et Tony aimaient bien son jeu de batterie mais ils trouvaient qu’il n’était pas très rock’n’roll. Je leur répondais : ‘What the fuck does rock’n’roll look like ? Listen to his drumming ! He’s fucking great !’» Voilà donc la genèse des Damned. Tony et Mick trouvaient que Rat n’avait pas de look mais heureusement Brian James voyait en lui le batteur idéal : «Rat et moi on pensait que Mick et Tony n’étaient pas faits pour jouer avec nous. On s’entendait bien tous les deux. Alors on a quitté les London SS pour monter les Damned. Rat connaissait Captain Sensible qui s’appelait encore Ray (Burns) à l’époque. C’était son collègue de boulot, ils nettoyaient des toilettes publiques ensemble. C’est par Malcolm McLaren qu’on a fait la connaissance de Dave Vanian (David Letts). Malcolm essayait de monter un groupe autour de Chrissie Hynde. Il avait invité Rat. Pauvre Chrissie, elle ne voulait pas chanter, tout ce qu’elle voulait, c’était jouer de guitare dans un groupe. Un jeudi soir, on s’est retrouvés dans un pub qui s’appelait le Nashville. Le premier à se présenter pour le job de chanteur fut Sid (Vicious) qui s’appelait encore John (Ritchie). Je le connaissais parce qu’on prenait tous le deux le même bus. On habitait tous les deux à Kilburn. Puis un autre jour, j’ai vu arriver ce mec qui ressemblait à Dracula. J’ai dit à Rat : «Qui c’est ce mec-là ? L’est complètement gaga ce mec là.» C’était Dave. Rat le connaissait, Malcolm le lui avait présenté. On a loué ce local dans une église pour les auditions. Dave est venu, pas Sid. Dave aimait bien ce qu’on faisait et c’est ainsi que les choses se sont mises en place.»
C’est admirablement bien raconté. En une demi-page, Brian James relate la naissance de l’un des groupes anglais les plus attachants. Autre précision qui vaut son pesant d’or du temps : Brian James profita lui aussi de l’occasion pour se rebaptiser. «Après la formation des Damned, le gens me demandaient mon nom. Comme il y avait déjà un Brian Robertson qui jouait dans Thin Lizzy, j’ai pensé que mon nom allait créer une confusion. J’écoutais principalement Raw Power à l’époque, il y avait donc James Williamson et James Osterberg (Iggy Pop) et je trouvais que Brian James sonnait comme Brian Jones, alors j’ai pensé que c’était le bon choix.»
Et hop, «New Rose», et hop the British punk scene ! Les Damned sont les premiers à crever l’écran. Ils jouent partout en Angleterre et ils se constituent une solide fan base. Brian voit deux affairistes miser sur l’avenir en se partageant le marché : «Bernie Rhoses manageait les Clash et McLaren les Pistols. Ils étaient en affaires tous les deux, Bernie devait faire la compta de Malcolm, un truc dans le genre. Malcolm a monté les Pistols pour vendre ses fringues. Bernie sentait que les choses évoluaient très vite et il avait commencé à lorgner sur les London SS, raison pour laquelle je me suis tiré vite fait de ce guêpier. Je n’aimais pas ce mec-là, c'était juste un petit revendeur de drogues à deux balles.» Puis les événements s’enchaînent très vite : le scandale du Grundy show et le Anarchy Tour dans la foulée. Au programme : les Heartbreakers, les Clash, les Damned et les Pistols. Après un premier concert à Leeds, McLaren convoque les Damned en réunion. Brian : «McLaren était là avec deux gros durs, Steve English et un autre mec. Les gardes du corps des Pistols. Je connaissais bien Steve, on avait bu des coups ensemble, pas de problème. McLaren a démarré la réunion en annonçant que les Damned allaient jouer en premier, puis les Heartbreakers, puis les Clash et enfin les Pistols. J’ai dit à Mclaren : ‘Fuck you, il était convenu qu’on joue avant les Pistols, donc on joue avant les Pistols. C’est pas parce qu’il y a eu le fucking Grundy show que les choses vont changer !’ Ça a chauffé et j’allais lui mettre mon poing dans la gueule mais Steve English s’est avancé. Il a mis la main sur mon épaule et m’a dit qu’il bossait, alright ? Alors j’ai laissé tomber.» Pendant la tournée, les Damned voyageaient à part, dans leur van. Ils ne dormaient pas à l’hôtel comme les autres mais dans des bed & breakfast. «Les camps étaient très séparés. On s’entendait bien avec les autres groupes, le problème venait du management. McLaren était un trou du cul et je ne pouvais pas le supporter. Mais c’est vrai, nous sommes tous différents les uns des autres.» Quand les Damned acceptèrent d’auditionner devant la municipalité de Derby, McLaren cria au loup. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Les Damned durent quitter la tournée : «McLaren faisait croire que la tournée était d’esprit révolutionnaire, which was bollocks.»
Et hop le premier album, et hop Stiff met la pression pour un deuxième album. Brian les prévient qu’ils n’ont pas de chansons et qu’ils ne sont pas prêts : «It was rushed, very very rushed. Il y a pourtant des choses que j’aime bien sur le deuxième album. Ça aurait été plus facile de jouer comme sur le premier album, en plus punk. Mais la scène punk devenait une singerie. Les groupes de la deuxième vague singeaient ceux de la première. Tout le monde était habillé de la même façon et tout le côté intéressant de la rébellion avait disparu.» Brian ne voulait pas tomber dans la routine punk comme le faisaient les Ramones, avec des albums qui sonnaient tous pareil. «Nick Lowe avait produit notre premier album, mais il ne voulait en produire un autre, ce qui était tout à son honneur. Alors on a pensé à Syd Barrett, mais Peter Barnes nous disait que Syd n’était pas en état et que c’était trop risqué que de vouloir essayer. Alors il proposa d’en parler aux autres mecs du Floyd qu’il connaissait aussi. L’idée ne nous intéressait pas trop, mais il en toucha quand même un mot à ces mecs-là.» Quand Peter Barnes revint annoncer que Nick Mason était intéressé par le projet, le boss de Stiff exulta. Jake Riviera y voyait ‘un angle intéressant’. Brian : «Jake ne raisonnait qu’en termes d’angles, de concepts. C’était Stiff Records. Comme on n’avait pas d’autre proposition, on a accepté celle-là (...) Ce fut une expérience bizarre. On avait enregistré le premier album aux Pathways Studios, un endroit si exigu qu’il aurait pu tenir dans les toilettes de Britania Row, le studio du Floyd. Britania Row était beaucoup trop luxueux, avec plein de tapis à la con. L’endroit n’avait rien de rock’n’roll et Nick Mason l’était encore moins. C’était pourtant un mec gentil, mais il préférait nous parler de sa collection de Ferraris.»
Quand Rat quitta le navire, Brian engagea Jon Moss pour le remplacer. «C’était un bon batteur mais ce n’était pas Rat. Rat et moi on avait démarré les Damned et je n’aimais pas la tournure que prenaient les choses. Ça ne sonnait pas juste. En plus, la scène punk avait perdu tout son charme. Ça n’avait plus rien à voir avec celle de 1977. J’ai donc fait venir Captain et Dave pour leur dire : ‘Look, I want to break the band. J’ai formé le groupe avec Rat, il n’est pas là, donc pour moi c’est mort. Je veux passer à autre chose.’ Voilà, ça s’est terminé comme ça.» Puis il ajoute un peu plus loin : «Rat a monté les White Cats, Captain un groupe qui s’appelait King et Dave s’est associé avec Dick Strange et les Doctors of Madness. Chacun faisait son petit truc. Puis j’ai entendu dire que Rat, Captain et Dave s’étaient remis ensemble, avec Captain à la guitare. Ils ne m’ont même pas demandé si je voulais venir. Ils devaient savoir que j’aurais dit non, de toute façon. J’avais un nouveau groupe, Tanz Der Youth».
Tanz Der Youth ? Il expédie ça en deux temps trois mouvements : «J’essayais de faire des trucs nouveaux, avec un synthé, mais le côté nouveau n’a duré que dix minutes. Je ne m’entendais pas très bien avec le batteur et le bassiste (Alan Powell, ex-Hawkwind et Andy Colquhoun) et ça a commencé à se barrer en couille. On s’était mis d’accord avec Radar pour un single («I’m Sorry I’m Sorry/Delay»), on a fait quelques concerts et une tournée avec Black Sabbath. C’était assez cool. Mais au milieu de la tournée, ils nous ont jetés parce qu’ils nous trouvaient incompatibles.»
Il y a dans le ton de Brian James une certaine forme de désenchantement, mais jamais de persiflage. Ça ne marche pas ? Il passe à autre chose.
Au fil des pages, Brian évoque pas mal de gens intéressants, comme Johnny Thunders dont il fit la connaissance au moment de l’Anarchy Tour : «On a appris à se connaître, c’est sûr. Pendant des années, on se croisait à Londres. Je me souviens de l’avoir emmené voir les Pirates au Dingwalls. Il connaissait les Feelgood et je voulais le brancher sur Mick Green, le guitariste des Pirates : ‘Tu devrais apprécier ce mec, il joue comme Wilko.’ Comme on était tous les deux guitaristes, on avait des tas de choses en commun. Un soir, on parlait du MC5 et il me raconta qu’à l’époque où il était plus jeune, il allait en stop à Detroit voir jouer le MC5 et les Stooges.» Brian se souvient aussi de Marc Bolan. Quand les Damned sont partis en tournée avec lui, Brian apprit à l’apprécier : «Captain et Rat étaient des big fans de Marc Bolan, mais je n’aimais pas trop le glam ni T. Rex. Je préférais les débuts de Marc au temps de Tyrannosaurus Rex, avec Steve Took. Là oui !».
Plus loin dans le book, Brian raconte qu’avec sa femme Minna et son fils Charlie, ils sont allés à une époque s’installer à Arcachon : «J’ai toujours eu des affinités avec la France et les Français ont toujours été des amateurs de rock’n’roll. On s’est installés dans ce coin qui s’appelle Arcachon, pas loin de Bordeaux, et c’est là que j’ai commencé à boire du vin rouge. Mais en même temps, j’avais du mal à trouver des musiciens.» Il rentrera à Londres puis ira s’installer à Brighton, où Captain a un pied-à-terre. C’est une sorte de retour à la normalité après avoir frôlé le super-stardom au temps des Lords Of The New Church. Et pendant que ses anciens collègues Captain et Dave remplissent l’Élysée Montmartre avec la nouvelle mouture des Damned, Brian joue dans des bars de province pour vingt personnes. Ça s’appelle un destin. Balzac se serait régalé de cette histoire.
Signé : Cazengler, brillante gerbe
John Wombat. Bastard The Damned The Lords Of The New Church & More: The Authorized Biography Of Brian James. Amazon Italy 2019
Que Vez bien pouvoir dire ?
Avant de devenir le cultissime El Vez, Robert Lopez jouait de la guitare dans les Zeros, gang glam-punk californien des années de braise toujours en activité. De la même façon que Tav Falco, El Vez va pendant quarante ans travailler un look kitschy kitschy petit bikini et cultiver un don pour la provocation qui lui interdira l’accès au succès commercial, ce qui au fond est une bonne chose. El Vez et Tav Falco sont devenus les cult luminaries du plus ténébreux des underworlds et quelques poignées de gens ici et là dans le monde n’en finissent plus de chanter leurs louanges et de vénérer l’absolutisme de leur pureté d’intention.
Pour comprendre quelque chose au mythe El Vez, il suffit d’observer la pochette de son premier album, Not Hispanic, paru en 1992 : il y porte une cuirasse de conquistadore et regarde l’objectif d’un œil méchant. Sa très fine moustache assombrit encore l’impression que dégage le personnage. Lorsque les Aztèques virent débarquer de telles trognes, ils comprirent qu’ils allaient passer un sale quart d’heure, c’est évident. Si on ouvre le gatefold, on tombe sur une autre photo d’El Vez déguisé cette fois en latin lover couvert de bijoux : on croirait voir Tav Falco. Même look, même sourire, même coiffure, même classe ravageuse. Et puisque la pochette indique The Mexican Elvis, alors El Vez se met à hispaniser les classiques d’Elvis. C’est son fonds de commerce. Il démarre avec «That’s Alright Mama» qui devient «Esta Bien Mamacita». Wow, ça joue à l’accordéon de la frontière. Le son des rancheros surprend par sa solidité. Puis il roule «In The Ghetto» dans sa poudre de riz et ça devient «En El Barrio», mais il pousse encore plus loin le bouchon, car il mixe le hit d’Elvis avec «Mr Fantasy» de Traffic. Son guitariste Jim Avgeris est tout bonnement spectaculaire. Mais ce n’est pas fini. En B, il rend un hommage stupéfiant à Santana avec «Samba Para Elvis». Quel mélange ! Il chante la Samba de Carlos divinement. Il en a les moyens et ce fabuleux groove d’excellence se met à décoller, avec la montée du you you you sur un bassmatic bien connu. Eh oui, c’est le riff de «Walk On The Wild Side» et les filles font tip tilip tip tilip. Ce démon d’El Vez enchaîne avec un autre coup de Jarnac, le «Black Magic Woman» de Santana, qu’il joue au pur drive de rockab. Merveilleuse approche, savant mixage, une fois de plus. Ce album est ce qu’on appelle un carton considérable et c’est à cet instant précis qu’on prend la décision de ne plus jamais perdre de vue le divin El Vez.
Sur Fun In Espanol paru deux ans plus tard, on retrouve tous les coups de Jarnac d’El Vez : «Esta Bien Mamacita», «En El Barrio» et «Samba Para Elvis» qu’il finit en «Walk On The Wild Side». Il s’adonne à la ferveur rockab avec un «Mujer De Magia Negra» fabuleusement faussé dans le viseur. El Vez sait mener le bal du slap. Dans «Nunca Fui A Espana», il évoque la conquesta de Llos Aztecas - Yo soy chicano ! - Il revient à Santana avec «Samba Ti». El Vez adore le kitsch subliminal du grand Carlos et finit une fois encore sur le groove du Transformer de «Walk On The Wild Side». Décidément, c’est une manie.
Il est bon de savoir qu’en 1994, El Vez sort quatre albums sur Sympathy For The Record Industry : Fun In Espanol, Graciasland, Merry MeX-mas et How Great Thou Art. Earle Mankey produit l’excellentissime Graciasland. El Vez attaque en force avec un «La Negria» explosé au mariachi beat. C’est du Tex-Mex punk. Le pauvre Doug Sahm n’aurait jamais pu imaginer une chose pareille. Quel son ! Nouveau coup de génie avec un «Cinco De Mayo» riffé au maximum overdrive et pulsé au bassmatic. Un vrai festival, avec du son par dessus les toits. Il faut le voir pour le croire. Comme Elvis, El Vez fait des miracles. Il introduit son «Gypsy Queen» avec un riff de Santana, c’est battu à la diable et infesté de requins. Il démarre ensuite son «Trouble» sur les accords de «Jean Genie» et passe en mode Shadows Of Knight, avec des chœurs de folles. Attention, ce n’est pas fini, car voici «The Cuauhtemoc Walk» tapé au beat rockab. Infernal ! Ah la vache ! Il génère de la pure folie rockab au big bad slap, c’est le génie aztèque d’El Vez, ça pulse et ça déboule, garez-vous ! Cet album n’en finit plus de vomir ses trésors, tiens voilà «Mexican Radio», encore un cut furibard, El Vez tape dans le dur du DT across the USA - I’m on Mexican re/ Dio - C’est du Wall of Voodoo, il l’explose littéralement. El Vez le bouffe tout cru à coups de riffs garage - Re/ Dio ! Re/ Dio ! - Il charge sa barque comme une mule. Il repart dans un délire rockab avec «Safe (Baby Let’s Play Safe)» et le fait admirablement. Il faut compter El Vez parmi les grands Wild Cats des temps modernes. Il place ensuite les chœurs des Stones dans «Immigration Time» qui est en fait une reprise du «Suspicious Minds» de Mark James. Cover géniale, une fois de plus. El Vez s’étale comme une loutre sur l’ectoplasme de la légende, we can grow on together !
Earle Mankey reste à la prod de Merry MeX-mas. Ça démarre sur un «Feliz Navidad» joué avec l’énergie des Pistols. Les solos tombent comme des déluges de feu. Il tape plus loin un fabuleux «Sleigh Ride» au Surf power. Rappelons que le guitariste s’appelle Jim Avgeris et qu’il n’est pas né de la dernière pluie. Il faut le voir swinguer along the line. El Vez nous fait plus loin le coup du round midnite intimiste à la Chet Baker avec «Christmas Tree Is Here». On se croirait dans une cave de Saint-Germain des Prés. Quel caméléon ! Mais il fait tout comme il faut. La pochette de l’album est marrante, car El Vez ramène toutes ses photos de famille, on peut voir les réveillons de Noël enchantés de son enfance. Il fait donc de «Brown Christmas» un enchantement, une sorte de petite merveille consécutive. Il refait aussi son Elvis dans «Santa Claus Is Sometimes Brown». Wow, les big guitars ! C’est à tomber tellement ça pulse. On ne se lasse pas facilement d’un shouter comme El Vez. Nouvelle merveille délectable avec «Christmas Wish», selon les Farina. On entend un accident de bagnole, bing ! Ouille ! Il ne peut pas s’empêcher de faire le con. C’est plus fort que lui. Quel enfoiré ! En plus, le cut est vraiment bien joué.
On retrouve tous les coucous du premier album sur How Great Thou Art. Ça frise un peu l’arnaque mais comme on aime bien El Vez, on fait le canard. Long Gone John nous ressert donc «Esta Bien Mamacita» («That’s Alright Mama» espagnolisé), «En El Barrio» («In The Ghetto» mixé avec «Mister Fantasy») et «Samba Para Elvis» (Santana mixé avec «Walk On The Wild Side»). Nouvelle reprise d’Elvis avec «Maria’s The Name» qui est sa façon de voir «His Latest Flame». Il embarque ça au beat expéditif et rend un fantastique hommage au king. Avec «Never Been To Spain», il réaffirme son rejet du monde hispanique - Well I’ve never been to Spain/ So don’t call me hispanic - Il ne fait pas de cadeau à Colombus et à tout le shit des conquistadores - The Mayan culture, man, it thrived boy/ before Colombus had a teacher - On retrouve aussi les excellentes reprises de Santana, «Black Magic Woman» et «Samba Pa Ti». On est là dans une certaine magie du son, d’autant que ça joue à la régalade. On retiendra une chose des quatre albums d’El Vez parus en 1994 : une prodigieuse inventivité.
Paru sur Munster, El Vez Is Alive propose un concert enregistré au Danemark en 1991. The Mexican Elvis fait des étincelles avec «Esta Bien Mamacita» et «Maria’s The Name» où il roule des r et part en drive de wild ride. Fabuleuses dynamiques ! Avec «This Was The Story Of My Life», il va droit sur Led Zep - You need schooling ! - et transforme «Heartbreak Hotel» en «Into Quetzalcoatal». Vas-y El Vez ! On est tous avec toi ! Vas-y, défonce la gueule des mythes ! Nouveau coup de Trafalgar avec «Intro To East LA» qu’il fond dans l’«Heroin» du Velvet - But sometimes I don’t care - Il descend les marches de son palais en grande pompe avec une version ultra-dynamique d’«En El Barrio». C’est amené au heavy riffing de guitare, puis il chevauche le dragon avec «Trouble». Il reste dans l’immense pastiche avec son «Dixie Intro Immigration Time» joué à la fantastique énergie et transforme ensuite le vieux «See See Rider» en «I’m A Cowrider». Derrière, les filles deviennent folles. C’est du big El Vez de célébration aztèque. Il roule ses r comme un ara des forêts tropicales. En rappel, il revient exploser «Wolly Bully» au big shake de shook. Puis on annonce qu’El Vez has left the building !
Nouveau retentissement avec l’incroyable G.I. Ay Ay Blues paru en 1996. En plus d’Elvis, El Vez s’intéresse à Bowie et à James Brown. Eh oui ! Il attaque avec «Say It Loud I’m James Brown & I’m Proud», c’est une apologie qu’il endosse comme une sinécure et derrière les Elvettes gueulent comme des folles, say loud, El Vez et ses amis sont violemment bons. On entend aussi des sirènes de police. Tout est explosé dans l’œuf du serpent, El Vez a du génie à revendre, il mène sa sarabande au firmament avec toutes la crazyness qu’on peut espérer. Il revient au rockab avec une fantastique version de «Mystery Train». Il y roule des r et ramène toute l’énergie chicano. C’est tellement battu au slap que le son bourdonne comme un essaim. Il tape plus loin dans Lennon avec une version slappée de «Power To The People». Stupéfiant ! Ça sonne comme un hit rockab. Il rend ensuite un hommage fuzzy au grand Chavez dans «Cesar Chavez ‘96». Il faut voir El Vez se jeter dans la bataille. Il hurle ! El Vez brille en toutes circonstances, sachez-le bien, même quand il tape dans le kitsch de «Song In Poncho». Avec «El Groover», il passe au glam - Some call me El Vez/ Some call me cheeze - Il ramène le meilleur son d’Amérique dans le glam. Cet album est aussi un monstrueux pied de nez à l’Amérique, c’est en tous les cas ce que tendrait à prouver «Mexican American Trilogy» - Glory glory Hallelujah ! - Il termine avec «(Rock N Roll Suicide) If I Can Dream», fantastique hommage à Bowie. C’est l’un de ses plus gros coups. Il l’emmène dans son monde, comme il a emmené Elvis et Lou Reed. Il en fait un truc à lui, un truc effarant. Il le travaille au corps avec une énergie diabolique. Il l’explose, mais avec les manières d’un seigneur. Les folles sont de retour - Deep in my heart - Comme P.J. Proby avec sa version de «Heroes», El Vez outrepasse Bowie - Gimme your hands !
D’ailleurs, il se déguise en Ziggy sur la pochette de Son Of A Lad From Spain paru en 1999. Mais c’est une redite de G.I. Ay Ay Blues, puisqu’on y retrouve «Say It Loud I’m James Brown & I’m Proud» et «(Rock N Roll Suicide) If I Can Dream», qu’il mixe avec un vieux coup de Tell Me Why. On trouve cependant des choses en plus comme cette version live de «Lady Stardust» et un remix hypnotique de «Say It Loud». On retrouve aussi l’excellent «Si I’m A Cowrider» qui roule «See See Rider» dans la farine et «Chihuahua» qui est le «Hound Dog» d’El Vez.
Attention, NoElVezSi paru en l’an 2000 est le même album que Merry MeX-mas, avec trois beaux bonus : une version live du pistolien «Feliz Navidad» (le live est la preuve de sa puissance), une version diskö de «Mamacita Donde Esta Santa Claus» (fantastique diskö beat) et un vidéo clip d’«En El barrio».
En 2001, paraissait sur Sympathy l’excellent Boxing With God. Il continue de jouer les iconoclastes de haut vol avec «Orale» qui est «Oh Happy Day» en chicano. Il faut le voir monter sa sauce ! C’est un génie de la chicanerie ! - Into the USA/ Oh oh oralé ! - Ce démon chauffe les Edwin Hawkins Singers avec ses superbes copines par derrière. Il explose God et tout le Saint-Frusquin. Ce diable d’El Vez enfile les coups de Trafalger comme des perles. Il enchaîne avec un retake des Doors intitulé «And The Preacher Said» et passe en mode r’n’b avec «Rubbernecking». Il explose littéralement la gueule du r’n’b. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voilà «Quetzalcoatal» monté sur l’I could die d’«Heartbreak Hotel» - He was an Aztec baby/ He might have been Jesus/ He was an Aztec who could fly - Il a raison de réécrire l’histoire - He’s returning to play at legends/ On a raft of smokes he’ll sail - On retrouve les fantastiques Elvettes dans le groove de «Mexican Can». Les albums d’El Vez sont tous des aventures extraordinaires. Il revient au stomp de glam avec «La Vida Loca» et s’en va faire le con à la manière d’Aaron Neville dans «Ave Maria». Il adore scier la branche sur laquelle il s’assied et plonger son album dans d’insipides torpeurs. Il tape «Lily Of The Valley» aux clameurs de gospel et invente un genre nouveau : le gospel rockalama. Wouah ! Son «Lust For Christ» n’est autre qu’une resucée de «Lust For Life», et il y shoote tout le gospel batch dont il est capable. On a là la version la plus jouissive de «Lust For Life» - Jesus is just a modern guy/ With Christ you haven’t to fear no more - Il continue de créer la sensation avec «If He Ever Comes Now». Il fait du glam avec des idées subversives. Il est capable de renverser tous les pouvoirs - I want to be king - Il termine cet album effarant avec le fameux «Walk A Mile In My Shoes» de Joe South qu’il gère à la perfection.
Pour la pochette de Sno-way José, son dernier album paru en 2002, El Vez se déguise en Père Noël. Mais pas n’importe quel Père Noël. Il se fait glam blaster pour «Little Drummer Boy», il y va de bon cœur, pah la pah pah, il fait sa Nana Moukouri sur fond de heavy glam. Avec «En El Barrio», il transpose «Silent Night» in the Ghetto. C’est un spécialiste des alliages. Il sait forger une épée. Sa passion du mix le dévore. Il se barre dans les Kinks puis dans le heavy rock d’Oasis, fucking genius ! Il explose Oasis - One day you find in el barrio - Ce mec est ravagé par sa passion du rock. Et ça continue avec «Cool Yule», while the neon is bright, il drive sa Cadillac, a chevy, il l’explose de joie elvezienne, c’est un gazier en or, il ne le sait pas, mais ses fans l’adorent comme un dieu, et les filles enrobent son swing sous leurs robes. Bel hommage à Roy Wood avec «I Wish It Could Be Christmas Everyday». Ça se passe entre géants. Ils s’adressent des gros clins d’yeux. Nous voilà dans l’or du temps, dans le cœur battant du mythe. El Vez se prosterne aux pieds du roy Roy. De la part d’un mec comme El Vez, c’est forcément un geste mythique. Il transforme «Now I Want To Be Santa Claus» en stoogerie - Now I wanna be your Santa Claus - Ce démon est encore plus stooggé que les Stooges. C’est assez violent, faites attention, en vous approchez pas trop près. C’est tapé en pleine gueule, bam bam. Il finit avec un «Brown Christmas» à la Brian Wilson. Quelle maestria ! On tombe de sa chaise à tous les coups. El Vez est un rêve éternel.
L’idéal bien sûr est de voir ce phénomène qu’est El Vez sur scène. Si pour des raisons logistiques ça s’avère trop compliqué, alors recourez au DVD, ou pire encore, à YouTube. Munster fit non seulement paraître un Gospel Show In Madrid en 2008, mais il en confia en plus la présentation à Lindsay Hutton. Ce DVD entrait dans cette collection à bandeau rose devenue mythique, puisqu’on y trouvait les Demolition Doll Rods, les Zeros, les Nomads et toute la crème de la crème du gratin dauphinois de l’époque. Le concert filmé à Madrid permet de vérifier une chose capitale : El Vez dispose des moyens de son extravagance : look, prestance corporelle, voix, belle énergie. Il est plutôt bien accompagné sur scène à l’époque : Pierre Smith, lead guitar, et Lisa Florette as Elvette, auxquels il faut ajouter Bernard Yin (rhythm guitar), Slim Evans (drums) et Joel Reeder (bass). El Vez enfile ses classiques comme des perles, make a walk in my blue suede shoes, il fait aussi une fantastique version de «Lily In The Valley», très dansée, qui va servir de thème récurrent tout au long du gospel show. Il fait sa version aztèque de «Heartbreak Hotel» et se livre à des numéros éblouissants de changements de costume : il vire son costard blanc et devient roi aztèque. Il revient sur scène tout vêtu de rouge pour «Sympathy To The Devil» - Pliiize allowe me to intlodouce myselfe - Bien sûr, il en rajoute, il ne mégote pas sur le rococo. Puis il explique que le Mexique eut un problème d’immigration avec les conquistadores : il transforme «Suspicious Minds» en «Immigration Time», puis transmute «Oh Happy Day» en «Orale» - Into the USA ! - Film révélatoire, car il permet de mieux voir comment un petit Chicano réussit à bâtir un monde avec de l’énergie, du goût, de l’humour et un sens inné du spectacle. Et ça marche. Au-delà du cap de Bonne Espérance. Il fond même son Happy Day dans «Bridge Over Trouble Water». Et c’est toujours juste. Il est devenu le grand spécialiste mondial du fondu enchaîné. Il tape à la suite dans «Lust For Life» et revient plus loin en jump-suit blanc à la Elvis. Quand arrive la fin du set, l’un des musiciens annonce : «Ladies & gentlemen El Vez has left the cross !» Pour le rappel, il tape un «Ask The Angels» assez explosif. Le mot de la fin revient à Lindsay Hutton : «It’s an ill-divided world because I know who deserves to be selling out stadiums and who doesn’t. It’s all suvbjective of course but as Handsome Dick Manitoba might say, ‘I am right’.» (Le monde est mal foutu, parce que je sais qui mérite de remplir les stades et qui ne le mérite pas. Bon d’accord, c’est purement subjectif, mais comme le dit si bien Handsome Dick Manitoba : je sais que j’ai raison.)
Signé : Cazengler, El Vase
El Vez. Not Hispanic. Munster Records 1992
El Vez. Fun In Espanol. Sympathy For The Record Industry 1994
El Vez. Graciasland. Sympathy For The Record Industry 1994
El Vez. Merry MeX-mas. Sympathy For The Record Industry 1994
El Vez. How Great Thou Art. Sympathy For The Record Industry 1994
El Vez. El Vez Is Alive. Munster Records 1995
El Vez. G.I. Ay Ay Blues. Big Pop 1996
El Vez. Son Of A Lad From Spain. Sympathy For The Record Industry 1999
El Vez. NoElVezSi. Poptones 2000
El Vez. Boxing With God. Sympathy For The Record Industry 2001
El Vez. Sno-way José. Graciasland Records 2002
El Vez. Gospel Show In Madrid. DVD Munster Records 2008
J'AI LA RAGE ( I, II, III )
VOLUTES
( CLIPS )
'' Oh ! Baby, je craque / Quand tu me fais crac-crac / Dans ma Cadillac '', rassurez-vous je ne me lance pas dans la haute poésie ce matin, ce couplet impérissable juste pour attirer l'attention sur l'inanité de certaines paroles rock quand on y pense un peu. Just for fun, certes. Parfois nous vivons des temps difficiles dont il n'est pas toujours facile de rendre compte. Nous avons vu Volutes le 7 juillet 2019 à La Comedia en la cité-rock de Montreuil. Voir notre chronique in la 427° livraison de Kr'tnt du 29 / 08 / 2019. Nous avions bien aimé, leur CD, leur jeu de scène, leur humour, leur musique-électro, leurs paroles électriques. Leurs colères. Les trois membres de Volutes se sont en effet aperçus que notre monde va mal. Ils ne sont pas les seuls. Mais cela s'entend dans leurs lyrics.
Certains pourraient reprocher aux paroles de Volutes d'être politiques, ce qui n'est pas faux mais le fait d'employer cet argument est déjà en soi-même politique. Ne nous attardons point dans ce faux débat. Comme tout un chacun Volutes dit ce qu'il lui chante. Il est vrai qu'il est exaspérant et pathétique que les personnes inutiles à leur propre cause deviennent les idiots utiles de leurs ennemis. Pour ne prendre qu'un exemple au hasard objectif, ces milliers de gens qui chaque soir durant le confinement applaudissaient les soignants pour leur dévouement alors que depuis des années on ne les a jamais vus se joindre aux multiples manifestations menées par ces mêmes soignants pour défendre l'Hôpital Public menacé par des plans successifs de rationalisation financière...
Cette rage Claude Banian l'a écrite dans une tribune publiée le 24 mars 2020 dans Libération. Il sait de quoi il parle, il exerce la profession de psychologue à l'hôpital de Mulhouse. Tout le monde sait que le Grand-Est fut particulièrement touché par l'épidémie de Covid. Claude Banian est un pseudonyme, on n'est jamais trop prudent dans une société dont l'Etat a préféré assurer des réserves de grenades de désencerclements et autres babioles du même type que de renouveler les stocks de masques nécessaires pour protéger sa population de la pandémie.
Volutes a lu le texte et l'a mis en musique, sous forme de trois vidéos en accès libre sur You-tube. Julien Robert s'est chargé des images qui accompagnent le déroulement du texte. Si vous voulez en savoir plus sur l'ymagiériste, son blog, Julien et le champ du possible, vous attend. Vous n'êtes pas obligé de souscrire aux cookies proposées pour y accéder. Une démarche à laquelle les sites de beaucoup de médias d'information reconnus vous enjoignent de souscrire sans rémission. Perso, je boycotte systématiquement. Mais ceci est une autre histoire.
J' AI LA RAGE 1
C'est court deux minutes vingt-deux ( les flics ! ) Vous en prenez plein les mirettes dans vos yeux de chouettes. Les images se bousculent, sont issues de vidéos prises dans les manifs des derniers mois, un monde coloré de pancartes revendicatives que vous n'avez pas le temps de lire, idem pour les banderoles ironiques, les temps sont à l'urgence, tout un monde qui défile, qui proteste, qui revendique, tous ces gens qui nous ressemblent, et qui s'opposent au management politique libéral qui détruit toutes les conquêtes sociales, grignotées depuis des années. Parfois vous apercevez les trois membres de Volutes, si rapidement que vous n'aurez pas l'opportunité de leur demander un autographe, orchestration minimale, la voix très nette lit le texte, ne le scande pas, joue juste sur ses inflexions et son débit, mais derrière légèrement décalée, susurrée la voix de Célia Nocus G confère à la première diction une épaisseur, et une sourde colère qui résonne et se retient.
J' AI LA RAGE 2
Nous étions dehors, nous voici dedans. C'était le bon temps, l'on sentait que danger que l'on prévoyait ne tarderait pas à venir. Plus de gens habillés de couleurs vives dans les rues ouvertes. Nous voici dans le monde blanc. Les avertissements lancés aux pouvoirs publics se sont mués en réalité. Nous voici au cœur de l'infection. Le personnel hospitalier dans la tourmente. Les corps que l'on emmène, que l'on allonge sur les lits, les vies que l'on sauvera peut-être, et tout ce monde de soignants, habillés de blanc, qui s'empresse, qui bosse sans rechigner, images de films catastrophe, de science-fiction, mais l'on n'est pas au cinéma. Dans ce second clip, la voix est toujours là, plus discrète, car si elle la ramenait trop, les images la boufferaient. Un terrible constat. Honte aux élites dirigeantes qui ont planifié cette chronique d'un massacre annoncé.
J' AI LA RAGE 3
Trois minutes et le monde défile devant nous. Les petits. Ceux qui triment, ceux qui travaillent, ceux qui produisent la richesse. Et qui ont tenu le pays à bout de bras et d'efforts. Chez nous et ailleurs. Et puis les autres. Ceux qui paradent à la télévision. Qui décident. Qui ont organisé la gabegie. Qui se sont gavés. L'image nous les montre. Pour que nous ne les oubliions pas. Pour que nous nous souvenions de leurs belles paroles qui puaient la mort. De leur cynisme qui leur reviendra dessus tel un boomerang. La musique se densifie. Le pouls de la colère. Qui se réveille. Et qui promet qu'un jour ou l'autre il faudra apurer les comptes et mettre chacun en face de ses responsabilités. Le texte se finit sur deux mots lourds de conséquences. Nous arrivons.
Œuvre de militants. Un constat froid et sans concession. Il paraît que c'est ainsi que se mange le plat de la vengeance. Aucun appel à la violence, car la violence est de l'autre côté. Ce qui ne veut pas dire que l'on se contentera de tendre l'autre joue. Qui sème le vent, récolte la tempête.
Merci à Volutes.
Damie Chad.
MOUNTAIN AGAIN
GO FOR YOUR LIFE
( 1985 )
Dix ans que Mountain n'avait fait paraître un disque. Maintenant que Felix Pappalardi n'est plus là, sans doute Leslie et Corky retrouvent-ils l'entière propriété du nom. Le disque sort le 9 mars 1985, le trente avril 1985, Gail Collins est libérée de prison... Le chevauchement de ses dates ouvre la porte à toutes les rêveries.
Mountain sans Pappalardi est-il encore Mountain ? Le titre de l'album ''Sauve ta peau'' est vraisemblablement une première réponse. L'on peut s'interroger sur le possessif '' your'' très ambigu. La phrase est-elle à interpréter comme une injonction d'ordre général que l'on traduirait par l'adage Vis ta vie ! Que chacun modulera selon sa propre philosophie existentielle : Vis ta vie à fond, tu n'en as qu'une ! , Vis ta vie et fais pas chier !... Ionesco nous a appris que même mis au placard les morts savent se rappeler au souvenir des vivants...
Leslie a bien précisé que le dernier morceau du disque est une évocation de Felix Pappalardi. Nous y reviendrons. Mais si le titre de l'album s'adresse aussi à Pappalardi, il pourrait paraître étrange de souhaiter à un mort de vivre sa vie. D'autant plus que le commentaire de Leslie quant à la pochette en laissera beaucoup perplexes.
Qui dit pochette de Mountain évoque instantanément Gail Collins. West et Corky n'ayant pas vraiment éprouvé une grande sympathie pour l'épouse qu'ils jugeaient un peu trop strombolienne et dont ils sont persuadés qu'elle a tiré sur son mari avec l'intention de nuire, il eût été de mauvais goût ( et inconcevable ) qu'ils lui demandassent de participer à l'artwork. D'ailleurs Gail y aurait-elle tenu ?
N'empêche qu'une simple photo des protagonistes derrière leurs instruments aurait été mal venue. Proposer un banal chromo aurait été une faute de goût. Alors ils se sont creusés la tête. Jusqu'à la tombe de leur ami. West est formel : le paysage représenté en contre-plongée est celui que doit apercevoir un mort du fond de sa tombe...
Et que voit-il au juste ? Pour celui qui regarde le disque, au premier regard une montagne, c'est la moindre des choses pour un groupe qui se nomme Mountain. Le titre de l'album, il faut aller le chercher. L'ont caché tout en bas. Au fond du trou. En caractère de neige un tantinet fondue. Vous savez sur le granit funéraire, les inscriptions s'effacent... Donc c'est bien un défunt que l'on encourage à vivre sa vie. Ne t'en fais pas mon vieux c'est parti pour la vie éternelle ! A croire qu'une fois que l'on est passé de l'autre côté de '' ce peu profond profond ruisseau calomnié '' disait Mallarmé, il ne reste plus qu'à se repasser les meilleurs moments de son existence, la vie trépidante de New York, l'image des plus hauts sommets que l'on a gravis... L'illustration est de Barry Jackson, il a notamment illustré pas mal d'albums de ZZ Top, a-t-il été choisi pour sa pochette réalisée en 1984 pour East Coast Offering ?
Avant de nous pencher sur le contenu de l'album je me livrerai à une interférence mienne. Une image pratiquement subliminale qui s'est imposée à mon esprit et superposée à la pochette. Pas eu de mal à la retrouver, dans ma bibliothèque, Edgar Allan Poe étant un de ces auteurs phares que j'ai beaucoup pratiqué. Elle n'est pas de la main de l'auteur du Corbeau, mais elle orne l'édition des Histoires extraordinaires parues en 1968 au Livre de Poche ( N° : 604 / 605 ). Elle n'est pas créditée mais une enquête serrée m'a permis de remonter à Pierre Faucheux, qui réalisa plus de 400 couvertures pour cette maison d'éditions. Il n'était pas tout seul, il eut jusqu'à quatorze collaborateurs, parfois il se chargeait du travail personnellement, parfois il indiquait à un ou à plusieurs dessinateurs ce qu'il voulait. Rien ne sortait de son atelier sans son aval. Pierre Faucheux révolutionna après la deuxième guerre mondiale le graphisme français. Tout lecteur émérite qui regardera le catalogue de ses réalisations n'aura pas de difficulté à reconnaître des livres qu'il aura lus ou zieutés à la devanture des librairies... Sa spécialité c'était surtout le lettrage. Il adorait les grosses lettres qui vous bouffaient la couve de tous côté. Ce qui n'est pas du tout le cas cette fois. Je n'avais d'ailleurs aucun souvenir de la disposition du titre et du nom de l''auteur, ne conservant dans ma mémoire que l'importance du dessin étendant son emprise sur toute la surface et une tache bleu-de-ciel tout en haut. Toutefois pour la discrétion du lettrage, rappelons la pâleur du titre de l'album centré au bas de l'image à l'égal de l'inscription Histoires extraodinaires.
Dans ce qui suit je ne veux surtout pas dire que Barry Jackson se serait inspiré de Pierre Faucheux. D'abord je n'en sais fichtrement rien, sur le net les Jackson ( dessinateurs ou pas ) sont aussi nombreux que les étoiles dans le ciel... Surtout parce qu'en art il n'y a pas de hasart, seulement des similitudes et qu'il existe des zones de la psyché humaine qui se recouvrent et se recoupent. Il suffit d'emprunter les mêmes pistes ombreuses propices aux songeries les plus secrètes.
Certes à vue-de-nez tout sépare ces deux artefacts, le disque évoque une montagne et le livre la mer. Gardons-nous de juger trop hâtivement. Pour qui a lu le volume, le dessin ne peut qu'illustrer la septième des treize nouvelles assemblées par Poe, intitulée Une descente dans le Maelström. Qu'elle ait été judicieusement, mathématiquement et symboliquement placée au centre ombilical du livre par le poëte ne peut faire de doute. Le Maelström n'est que le point focal et abyssal de toute destinée humaine, le vortex imagé de la mort. Celle-ci entrevue non en sa statique monumentale finalité tombale mais en tant que désastre déclinatoire existentiel absolu. Nous nous plaisons à imaginer que ces deux œuvres, celles de Faucheux et de Jackson, communiquent entre elles comme les deux extrémités d'un siphon dont le fond serait le tourbillon mortuaire de l'existence. Mais il y a mieux : le dessin est d'autant plus explicite que regardé à la lumière du texte, le Maelström géographiquement situé sur la côte norvégienne, est entouré de parois rocheuses vertigineuses. Le mouvement du regard ascendant vers la plus haute cime de Barry Jakson est à l'opposé de celui abîmal de Pierre Faucheux qui du haut des crêtes rocheuses plonge dans le tourbillon d'écume.
Mais il est temps de revenir à l'aspect sonore de notre objet...
GO FOR YOUR LIFE
Leslie West : guitars, vocal / Corky Laing : drums / Mark Clarke : bass.
Hard times : c'est Mountain et ce n'est pas Mountain. Sûr le son a évolué et ce n'est pas non plus la continuité des deux derniers disques du great Fatsby. Corky n'a pas bougé, il assure et pousse la machine. Clarke à la basse ne vous fout pas la grande claque de votre vie, se contente de suivre et de soutenir. L'on sent que les temps ont changé, que les grandes dérives orgiaques doivent respecter les bandes blanches du musicalement acceptable. Le plus surprenant est Leslie, une voix plus creuse, et une guitare qui cherche et trouve. C'est bien lui le moteur essentiel. Le morceau démarre sur des pirouettes de patins sur glace, mais ensuite l'on rentre dans le grand cadencement, tout est en place, tout ce qu'on peut attendre d'un bon groupe de hard rock vous est jeté en pâture, mais vous êtes un peu comme la chèvre de Monsieur Seguin qui aimerait regarder le grand méchant loup dans les yeux. Spark : ce n'est pas sur cette étincelle que l'on assistera à un festin de quatre-vingt brebis égorgées, le morceau ne serait pas mauvais en soi, mais nous sommes dans les tristes eigthies alors l'on a poussé les clavier d'Eric Johnson tout devant. Imaginez que faute d'avoir pu réparer les grandes orgues de Notre-Dame on les ait remplacées par un synthétiseur à cent soixante-dix-neuf euros, il manquerait quelque chose à la messe. Même Dieu refuserait d'y aller. Remarquez que la guitare de Leslie le remplace avantageusement. She loves her rock ( and she loves it hard ) : ok, d'accord elle fait cela très bien, eux aussi d'ailleurs, ça balance terrible et Leslie tout joyeux chante comme un cachalot en pâmoison. Vous prenez votre pied et du bon temps, mais ça manque un peu de vagabondage et de bondage. Bardot damage : c'est dommage, mais vous ne vous retournerez jamais sur ce titre, y a bien un flamboiement de solo sur la fin, mais enfin tout le début est quelconque. Le titre le plus faible. Z'auraient pu faire un effort pour Brigitte. Shimmy on the footligths : un peu trop de clavier anémié, dommage qu'on ne l'ait pas caché sous les guitares qui ronronnent joliment, les cadences de Ian Hunter toujours aussi agréables, mais franchement moi je me contenterais du chant de Leslie, c'est comme le cuissot de biche, pas besoin d'une garniture aux cèpes autour puisque l'on préfèrerait des bolets de Satan. I love young girls : aujourd'hui une telle proclamation vous enverrait en prison, le morceau est magnifique, Leslie minaude et vous offre de la guimauve aux pétales de roses en bouton. De sa basse Clarke susurre une moelleuse succulence des plus perverses, et Corky qui a remisé sa cloche à vaches folles vous fait le coup de sa cymbale à génisses innocentes que l'on couronne de fleurs pour un sanglant sacrifice. Makin' it in car : l'on sent que Gail n'est plus là, les gars jouent les gros machos et roulent des mécaniques. Ça remue salement, et Miller Anderson profite de la situation pour un petit solo de slide particulièrement vicieux tandis que les boys ne se retiennent plus. Babe in the woods : ils ont arrêté la bagnole pour s'amuser dans les bois. Un morceau qui roule et tourneboule tout seul. Les guitares fusent comme des giclées de sperme. Tout va bien. Little bit of insanity : soyons franc, ce n'est pas le disque du siècle. Si ce n'était pas Leslie West écouteriez-vous ce disque ? Ben oui, mille fois. Durant dix mille ans parce qu'à la fin, alors que vous ne l'attendiez plus se niche une pépite de l'or le plus pur et le plus fin. Lorsque vous lisez les trois titres qui précèdent, vous vous dites, celui-ci sera dans la continuité. Un truc de lads qui se lâchent. Mais là, un des plus beaux morceaux de Mountain. Que pratiquement personne ne connaît. Trois fois rien. Une broutille. Un chef-d'œuvre absolu. L'adieu à Felix Pappalardi. A mots couverts. Tu as juste eu la vie que tu as voulue... Va pour ta vie, la mélodie aérienne et la voix sublime résonne comme un satisfecit, un constat sans amertume, un quitus nostalgique mais sans tristesse. La simple acquiescement à un destin. Qui n'appartient qu'à toi et qu'il convient de respecter. Même si tu t'es fait avoir, même si tu as été le dernier à comprendre l'ampleur du désastre. Pris à ton propre piège. Juste un bout de folie.
La vie de Felix Pappalardi fut joyau chatoyant. Une existence que les âmes pieuses qualifieront à voix basse de bâton de chaise. Nous préférons employer la métaphore du phosphore qui délivré du liquide amniotique des habitudes et des convenances sociétales s'enflamme de lui-même à l'air libre, ou du phénix impérieux qui ne renaît pas de ses cendres. Car trop fier pour se répéter. Il fut aussi le fils exemplaire de son époque qui se peut décliner en quelques mots. Producteur éclairé, excellent bassiste, doué d'une belle voix. Il n'est pas de ceux dont on dit qu'il a côtoyé les plus grands du rock'n'roll, car il était des plus grands. Il expérimenta, ainsi disait-on à l'époque, les anneaux de feu du sexe et le tapis ordalique de la drogue. Avec Gail il forma un couple libre, mais la notion de couple n'indique-t-elle pas que l'on est déjà pris au piège de ses propres désirs. Les paradis artificiels impulsent souvent des conduites davantage artificielles que paradisiaques. Celui qui descend volontairement dans l'arène de sa propre volonté, n'est pas certain de vaincre. Sans quoi le jeu n'en vaudrait pas la chandelle. Pappalardi aimait les armes. Quand il habitait près de Nantucket, il prenait sa voiture et s'en allait tirer sur les lampadaires. Un gamin. Un peu fou. Un peu givré. Sex, drugs and rock'n'roll. Il n'a jamais prétendu à autre chose.
Cela aurait pu être un merveilleux point final pour Mountain. Le plus difficile n'a jamais été de vivre mais de survivre. Mountain sans Pappalardi... mais comment ne pas revenir sur les moments les plus intenses de sa vie. Leslie mènera sa carrière solo, mais il rajoutera encore trois opus, trois points de suspension au conte merveilleux, un peu comme ces écrivains qui à la fin de leur ouvrage répugnent à clore définitivement le dernier chapitre, car ce serait admettre que la mort a remporté la partie, qu'il n'est pas de retour possible, qu'aucune survie n'est envisageable, ils laissent entendre grâce à ces trois minuscules gouttes d'encre que l'histoire terminée ne s'achève jamais. Dans leur tête ou celle de leurs lecteurs. Il est des tombes qui ont du mal à se refermer. Surtout pour ceux qui n'y sont pas confinés. Ou des blessures que l'on rouvre exprès, parce que se faire du mal c'est encore vivre intensément.
*
Dix ans s'écouleront avant la parution d'un nouvel album. Avant de ranimer la brûlure de la flamme.
Ce disque paraît alors que l'on attendait un trio de rêve. Sur le papier. Leslie à la guitare, Corky à la batterie et cadeau de Noël, Redding à la basse ! Une expérience qui ratera. West aurait-il un mauvais caractère ? Ne le répétez pas, les témoignages concordent, il semble que oui. Bref, il ne reste plus qu'à réembaucher Mark Clarke. Un témoin de la naissance du british boom à Liverpool qui se retrouvera à jouer de la basse avec Colosseum et puis avec Huriah Heep un groupe un peu oublié et que j'adore, et aussi avec Rainbow....
MAN'S WORLD
( 1996 )
Leslie West : guitars, vocal / Corky Laing : drums / Mark Clarke : bass.
Une belle pochette et un beau livret. Qu'exiger de plus ! Oui le sais, Gail Collins, s'il vous plaît ne demandez pas l'impossible.
In your face : la guitare de Leslie bourdonne comme un xylocope enivré de pollen, z'auriez presque envie de vous laisser bercer et de de vous endormir, funeste erreur d'appréciation, z'avez le vocal qui vous attaque, un véritable essaim de moustiques tigres qui ont décidé de vous darder de mille piqûres pour s'amuser de vos cris de douleurs, sur ce Corky fait du bruit pour que personne ne remarque le traitement qu'ils vous infligent et Mark vous enduit d'une couche d'ambre solaire empoisonnée. Nobody gonna steal my thunder : un homme averti en vaut deux, mais combien vous trouvez agaçante ce ton d'arrogance teintée d'ironie, surtout quand ils y vont la bouche en chœur. Ils ont la niaque et ils vous niquent en beauté. Vous vous consolez en vous disant qu'ils ne vous y reprendront pas deux fois. Mais sur ce coup ils vous ont bien eu. This is a man's world : c'est aussi beau que du James Brown, faut avoir un sacré culot pour s'attaquer à un tel monument, c'est un peu vouloir bâtir une deuxième tour Eiffel en face du joujou à Gustave, et vous réussissez à en construire une plus haute, c'est que voyez-vous j'ai toujours été déçu par la fin du morceau de Brown qui se retrouve trop brutalement écourté à la fin du sillon vinylique, vous êtes comme le chien à qui le maître retire de sa gueule son meilleur os à moelle, Mountain ils vous le terminent en pente douce, et avant vous avez de ces contreforts si massifs qu'il vous semble que l'on a réuni ensemble tous les orchestres qui se sont succédés à l'Apollo Theater depuis un demi-siècle. So fine : porte bien son titre, une espèce de country-rock de toute finesse, la guitare de Leslie qui se marche dessus, sa voix des plus expressives, qui mord pour aussitôt relâcher la pression, le genre de babiole que vous prenez pour du plastique mais qui se révèle être un bracelet en peau d'iguane incrustée de diamants taillés par Praxitèle. Hotel happiness : un petit blues pour revenir aux choses sérieuses, Corky vous refile de ses splashs à croire qu'il se prend pour le premier moutardier du pape, un piano s'en vient nous jouer sa rengaine assoiffée de malheur, la voix de Leslie surfe si maladivement que vous en oubliez d'écouter sa guitare ( lamentable erreur ) et Mark Clarke vous passe en douce des coupes d'hydromel ciselées pour que vous les remplissiez de vos larmes. I'm sorry : un truc habituel chez Mountain, après vous avoir filé les morpions du blues, ils vous rejouent la même tragédie, en plus dramatique, musique emphatique, voix désespérée de ténor italien qui menace de suicider à la fin de l'acte II. I look ( power mix ) : miraculeux, le son d'une vieille piste de Mountain, sans Pappalardi certes, mais Eddie Black le remplace au vocal, Leslie concentré presse le citron de sa guitare pour produire ces plissements hercyniens dignes de Nantucket Sleighride, de bons souvenirs pour Corky qui rejoue avec trente ans de moins dans les épaules, quant à Clarke il se croit dans West, Laing & surtout Bruce. Is that okay ? : après le prodige qu'ils viennent d'accomplir, se la jouent cool et léger. Tout gentil. Genre folk-rock pour séduire les jeunes filles, Clarke essaie de marcher sur la pointe des pieds mais l'on dirait un homme-grenouille qui fait claquer ses palmes un peu trop fort sur le goudron de l'auto-route. Crest of a slump : soyons sérieux quittons les basses plaine du far-west pour grimper les hauteurs encombrées de pumas affamés des montagnes rocheuses. Guitare grondante tout le bataclan qui va avec. Saint Heavy ayez pitié de nous ! You'll never walk alone : le ticket gagnant ! Peu original, mais ô combien efficace, West vous l'expédie à l'acoustique, c'est beau à pleurer, vous en mangeriez en pâte à dentifrice. I look ( hit mix ) : vous resservent une part du gâteau, vous n'êtes pas obligé de me croire mais la première est de loin supérieure. Celle-ci trop grand public. Le seul avantage l'on entend mieux Corky, crème chantilly régalienne !
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Une éternité avant que ne paraisse le suivant. Mountain est un petit vendeur de disques, le groupe se rattrape sur les tournées. Il est désormais beaucoup plus apprécié par le public européen qu'américain.
MYSTIC FIRE
( 2002 )
Leslie West : guitars, vocal / Corky Laing : drums / Chuck Hearne : bass sur 1 et 9 / Ritchie Scarlet : bass /
Immortal : [ dans la série return to the sender le titre est repris à Clutch qui l'année précédente l'avait pompé à... Mountain ( Baby I'm down ) ] : ce qui est marrant c'est que Mountain sonne davantage metal que Cluth dont les parties de guitare baignent dans l'orthodoxie heavy la plus classique. Un titre pas vraiment immortel. Mystic Fire : beaucoup mieux. La basse de Chuck Hearne mène le bal des ardents. Mais l'ensemble promet plus qu'il ne donne. Bien en place, bien fait. Dans le même genre, fausse mystique de pacotille, Huriah Heep était plus crédible. Fever : l'interprétation de Peggy Lee nous a donné des montées de fièvre adolescentes, est-ce un manque d'imagination qui a poussé Leslie à reprendre ce classique. Qui colle mieux à une sensualité pro-jazz qu'à une sexualité rock. Une curiosité. Dont on pourrait se passer. The sea : Corky martèle l'intro au trot, et l'on part en balade pour une jolie ballade, le paysage est sympathique mais Mountain nous a habitués à des escarpements plus pentus. Certes l'on prend de la hauteur petit à petit. A coteaux tirés sur la fin, mais l'on s'arrête avant le premier sang. Mutant X : mutation des plus acceptables, entre Mountain fait du Mountain et Mountain essaie de se renouveler, la différence n'est pas bien grande. Corky et Leslie s'amusent comme des grands dans la cour de récréation, n'impressionnent que les plus petits sortis de l'œuf sans le casser. Better off with the blues : rien de tel qu'un blues pour reprendre pieds sur la terre ferme. Instruments en sourdine et la gorge de Leslie en bleu sombre. Après quoi on lâche le troupeau en liberté dans les alpages. Désolé de le constater, cela ressemble trop à une imitation de Led Zeppe. En moins choc. En moins chic. Mountain express ( oh boy ) : l'on tire un peu sur le chewing-gum. Manque d'imagination. Recyclage de tous les poncifs. M'étonnerait que beaucoup de monde se soit tranché la gorge de joie à l'écoute de ce morceau. Marble peach / rotten peach : le seul morceau du disque qui pour le moment nous satisfasse, Leslie gueule comme un poissard qui aurait douze pintes de trop dans sa bedaine, et les deux autres lui emboîtent la pas comme un régiment qui démarre au grand galop, Corky et Chuck mettent en marche la section rythmique, en avant toute, enfin un groupe qui joue pour le plaisir. Johnny comes marching home : petit air militaire mon général, absolutely un morceau de la Civil War pas particulièrement belliqueux puisque les paroles espéraient la fin des combats et que chacun regagnât son chez soi au plus vite. Instrumental, Corky a pris la direction des opérations. Nantucket sleighride ( redux) : reprise d'un des plus célèbres hits de Mountain, sans Pappalardi, mais Corky a imaginé une nouvelle orchestration, avec Richie Scarlet à la basse, Erik Wendelken à la contrebasse, Dacid Polan au violon, l'ensemble sonne bien sans oser donner dans l'avant-garde. Avec quarante pour cent de reprises sur l'album, l'on peut se poser la question de sa nécessité existentielle... Peu convaincant.
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Le dernier opus du groupe ne cherche plus à donner le change. Douze morceaux, douze reprises. Ne sont pas allés chercher la rareté, piquent dans le connu, mais l'on reste surpris du choix : Bob Dylan !
MASTER OF WARS
( 2007 )
Leslie West : production, guitar, vocals / Corky Laing : drums / Kenny Aaranson – Richie Scarlet : bass / Brian Mitchell : piano, orgue, accordéon / Todd Wolfe : Rhyihm guitar/
Masters of war : si vous avez la version de Dylan dans l'oreille vous sentirez la différence. Elle est sur Freewheelin' ( la pochette avec Suze Rotolo ), oubliez la sèche maigrelette et monotone, ici du gras humidifié aux 50 000 volts électriques. En plus c'est Ozzy Osbourne de Black Sabbath qui se charge du vocal. Pas photo entre l'uniformité grise du chant et la monotonie de la guitare du Zimerman et la superproduction couleur quadriphonique mise en scène par Mountain. La guerre avec Dylan c'est fusil à fléchettes quand Corky l'artilleur doome à mort sur batterie. Perso, je trouve les deux versions aussi ennuyantes l'une que l'autre. Serve somebody : dix-huit ans plus tard sur l'album Slow train coming, le Zim est passé à l'électrique depuis longtemps, tout de suite beaucoup plus écoutable pour nos chastes oreilles de rockers, un maximum d'ironie rehaussée par les chœurs féminins dans le phrasé de Bobby. Leslie se montre plus nettement accusateur, met les poings sur les I du vocal, à la guitare Warren Haynes le soutient manu militari. Blowin' in the wind : désolé mais Leslie au chant même à l'acoustique il arrache les poteaux électriques, rien à voir avec Hugues Aufray, surtout qu'après ils vous la font et vous la fondent metal colérique. Genre je remue mon demi-sucre dans mon thé au marteau pilon. Highway revisited comme dirait l'autre. Everything is broken : il y en a qui adorent tout casser et qui en plus se débrouillent pour faire un maximum de bruit. Je ne citerai pas de nom pour ne pas leur attirer des ennuis, la police n'aime pas les casseurs. En plus ils ont une excuse, je connais une version live de Dylan, la voix un peu rachitique certes, mais un guitariste qui joue à la Link Wray. C'est vai, je le jure. Highway 61 revisited : c'est le Dylan que l'on aime il chante comme il crache alors que les punks cracheront en oubliant de chanter. Vous avez la guitare de Leslie qui barrit comme un éléphant, pour le vocal, il ne crache pas, il hache sec, et derrière Corky vous réduit le steak tartare en poussière. Original. Pas significatif pour autant. This heart of mine : sur l'album Shot of love de 1981. Dylan le joli cœur se fait doubler sur sa droite ou sur sa gauche. ( Cette chanson n'est guère politique ). Faut le reconnaître sur ce titre Leslie enfonce Bobby, vous traite le balladif an mode bluesy, l'est irrésistible, vous prend par les sentiments. Réussit le tour de force d'être mille fois plus folk-country que Dylan. Subterrean homesick blues : une des plus belles et des plus mythiques de Zim, de l'album Bringing it all back home. Bobby aligne salement le vocal sans parler de cet harmonica qui ressemble à une crêpe que la poêle ne rattrapera jamais. Un beau challenge, y mettent toute leur hargne, en voiture pour le tohu-bohu, ces mecs là ils vous écraseraient un éléphant avec une mouche. Vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à écouter. The times are A-changing : le Dylan avec sa voix de teigne maladive qui tente de pénétrer dans votre cervelle et son harmonica qui vous arrache la peau des doigts. Plus folk, tu meurs. Alors Leslie vous la fait gospel, plus preacher que moi tu ne trouveras pas. Et il a raison. L'a rajouté un piano et une guitare ( Warren Haynes ) qui fait des glissandi d'harmonium. Frère Leslie touche notre âme et nous lui rendons grâce, nettement plus persuasif que le jeune homme en colère. Seven days : je découvre, chansonnette issue du Bootleg série 18 de 1991. Un petit country sans prétention joliment orchestré. Une belle occasion pour nos derniers mohicans d'envoyer la sauce. Trop de béchamel, toute rustique qu'elle soit la version de Dylan enregistrée en 1976, respecte mieux la saveur des aliments. Dommage qu'ils n'aient pas donné au début du morceau l'impulsion qu'ils lui octroient sur la fin. Mr tambourine man : oubliez la version des Byrds, Corky prend un malin plaisir à la concasser. Leslie vous vomit le vocal à pleins seaux. Finies les harmonies enchanteresses des petits oiseaux. La simplicité et la pureté de la version Dylan plane à cent mille coudées au-dessus de ce massacre. Like a rolling stone : sans pitié sans complexe, vous la font pratiquement en rap, Corky tout seul qui congaïse à mort à s'en mordre les doigts, le vocal à la Last Poet. En réécoutant Dylan me suis dit que l'orgue datait un peu, mais au moins il sonne d'époque, là c'est un peu le truc froidement calculé pour surprendre son monde. Arôme artificiel qui dégage davantage un goût de chimie qu'un fumet naturel à la fraise sauvage.
L'album n'est pas mauvais. Il y a même deux ou trois réussites splendides. Le problème c'est que ce genre d'entreprise n'apporte rien à personne. Ni à Dylan ( qui s'en fout royalement ) ni à Mountain qui pour son dernier album laisse les fans le bec dans l'eau.
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L'on ne va pas se quitter comme cela. Un petit dernier pour la route : en public, en première partie de Deep Purple,
LIVE IN PARIS 1985
( DVD )
Leslie West : guitare / Corky Laing : drums . Marck Clarke : basse, synthétiseur.
Le son et l'image, concert parisien ( 08 / 07 / 1985 ) enregistré pour la télévision allemande. Nos trois gaillards seuls sur scène. Pas le grand barnum. Un rock spartiate qui tranche avec le spectaculaire déploiement des grands groupes qui font dans la surenchère visuelle, pas de feux d'artifice multicolores, pas de locomotive qui déboule dans la salle, réglée au millimètre près pour ne pas écraser un seul spectateur. Rock spartiate.
Why dontcha : noir total tandis que résonne l'intro dévastatrice, la caméra se fixe principalement sur Leslie, je n'ose pas dire qu'il a grossi, mais avec sa tignasse ébouriffée et ses rouflaquettes qui lui bouffent les pommettes, l'a un peu l'air du beauf du dimanche qui s'en va faire du bois pour passer le temps, Corky le temps d'un éclair et Clarke que l'on voir encore mal mais que l'on entend très bien dès qu'il plante ses doigts dans le cordier, le gars n'est manifestement pas venu pour arroser les fleurs en pot, on les sent tous les trois rentre-dedans, des piles bourrées d'énergie qui ne demandent qu'à se vider. Ce soir c'est rock'n'roll sous purple sunlights entrecoupés de flaques verdâtres. Des lumières qui ne flattent pas l'œil. West rugit dans le micro et se déplace sur scène avec cette placide désinvolture impavide d'un ruminant qui s'en va voir si trois mètres plus loin le touffe d'herbe n'est pas meilleure. Beau plan latéral qui permet de voir Corky au travail, fait partie de ses batteurs dont je dis qu'ils frappent avec leurs coudes mais avec cette particularité de prendre les choses de haut. Economie de moyens, redoutable. Avant d'écouter Leslie, admirez sa moustache qui fait tache et pistache à la fois, le même son que celui de Go four your life, plus compressé et davantage rase-moquette que celui des premiers Mountain, la modernité est passé par là diront les vieux grincheux qui s'accrochent à leurs rêves, parce qu'avant c'était mieux et que le présent dérange l'ordre établi du monde. Imposant le Leslie dans son espèce de fausse drape jacket qui doit sortir des invendus du marché aux Puces, tient sa guitare zigzaguante dans ses mains de géant comme un jouet de pacotille et vous donne l'illusion qu'il pourrait en jouer sans problème durant quarante-huit heures d'affilée sans y penser, comme un gône qui sort de l'école en mastiquant le malabar qu'il avait déjà en sa bouche au matin sous la douche. Never in my life : bonsoir Paris, et tout de suite la démonstration de tout ce que vous ne saurez jamais faire avec vos dix doigts, ce n'est même pas de l'aisance, une espèce de je-m'en-foutisme révoltant. Même pas besoin de fermer les yeux ou de tourner le tournebroche derrière sa nuque, voire de mordre le cordier, trop facile, Leslie ne connaît pas le mot frime. Il est comme vous qui caressez en mode automatique votre chat couché sur vos genoux. Pas comme Clarke qui joue de la basse, un véritable gaminos qui ne tient pas en place et mime sa mort trente fois de suite pour épater les copains. Attention l'instant spécial-fans, se tirent le mou tous les trois, et hop Corky se transforme en ballerine d'aquarium géant, lance à plusieurs reprises une baguette à l'orque West qui la rattrape au vol et la rejette au public. Theme for an imaginary western : quelques mots magiques '' rock'n'roll to-night'' et nos trois lascars déroulent la péloche d'un ancien western tourné il y a presque un demi-siècle. Clarke est passé derrière le synthé et c'est lui qui se charge du vocal, grandiloquence assurée, ce doit être un western écologique, la foule ondule, pas d'indiens cruels, pas de règlements de compte sanglants, pas de meurtres odieux, Corky se démène, ressemble à Furtwangler dirigeant la neuvième de Beethoven, c'est dire qu'il ne se repose pas, West de temps en temps prend un couplet et remonte son vibrator pour effiler ses notes afin d'instiller en votre âme percée de piqûres d'abeilles une mélancolie sans retour à tel point que Corky fait semblant de jouer du violon avec ses deux baguettes. Ruissellement terminal de notes. Spark : morceau tiré de Go for your life. Commence bien, bonne rasade de Leslie, et tout se déglingue lorsque Clarke n'en finit pas d'émailler le titre de la ferblanterie de son synthé pas du tout attiseur qui gâche tout. Sans ces carillonnages de camion de pompier ce serait bien, mais avec des si on mettrait un Live in Paris en bouteilles millésimées. A la limite, il vaut mieux couper le son et les regarder jouer... Belle intro de Leslie sur Nantucket sleighride : Clarke a repris sa basse ( ouf ! ), l'on aborde l'acmé du concert, pratiquement un solo d'entrée, et lorsque il chante le tout début des lyrics, Goodbye, little Robin Marie, Don't try following me immédiatement suivi d'un riff insane que l'on reconnaît entre tous, l'on sent West remué, remue d'ailleurs comme un ours qui arpente sa courte cage et qui inévitablement est arrêté par les barreaux, s'empare d'une cymbale qu'il jette sur Corky, reprend le chant comme si rien n'était And I know you are the last true love I'll ever meet, et là résonne à nouveau le riff de A little bit of insanity, n'ira pas très loin dans les paroles, Corky ricane dans son coin, intensités, frictions et passions, les fantômes de Felix et Gail ne font que passer, et le groupe s'envole dans un de ces longs passages instrumentaux qui firent la gloire de Mountain, éblouissance absolue. Mississippi Queen : les gosses s'amusent. Avec de vieux cartons ils ont traficoté une grosse cloche à vaches sur laquelle Corky s'amuse à faire semblant de cogner avec le bâton de Sganarelle, en vérité c'est Clarke qui frappe sur un véritable instrument, la mascarade carnavalesque a assez duré, Leslie renverse l'artefarce cowbellesque et tous trois regagnent leur place pour un final bien envoyé mais pas vraiment apocalyptique. Presque l'on aurait envie de leur sonner les cloches. A dinosaures. Mais que voulez-vous, la montagne est parfois aride. Le public exulte. Qui oserait mégoter sur cinquante minutes de brocknheur.
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Avez-vous remarqué au dos de la pochette de Masters of wars, dans le coin gauche, le personnage féminin armé... N'allez pas en faire une montagne.
Damie Chad.
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