Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/07/2020

KR'TNT ! 472 : ART RUPE / ROCK HARDI / SFAX RECORDS / THE TRUE DUKES / RED TRUCK / NASTY NEST / VAGRANTS / BLUES AGAIN !

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 472

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

09 / 07 / 20

 

ART RUPE / ROCK HARDI

SFAX RECORDS / YOUNG JESSIE

THE TRUE DUKES / RED TRUCK / NASTY NEST

VAGRANTS / BLUES AGAIN !

 

ATTENTION !

COMME CHAQUE ANNEE KR'TNT !

PREND SES DEUX MOIS DE VACANCES REGLEMENTAIRES

NOUS VOUS DONNONS RDV

POUR NOTRE LIVRAISON 473

LE SAMEDI 29 AOÛT

ET LE JEUDI 06 SEPTEMBRE

POUR LA LIVRAISON 474

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

 

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Rupe it up

 

Enfin un livre sur Art Rupe ! Enfin un label boss qui n’est pas un gangster ! Enfin un livre au format 45 tours ! Enfin des choses sur Percy Mayfield et Jesse Belvin ! Voilà enfin la vraie histoire de Specialty Records, un nom qui nous fait tous autant baver que celui de Sun Records, une histoire racontée de l’intérieur par Billy Vera, issu du sérail Specialty puisqu’il bossa pour Art Rupe dans les années 80, à l’âge d’or du business des rééditions de catalogues. Rip It Up: The Specialty Records Story est un book qui grouille de personnages captivants et de détails tout aussi captivants. Comme l’ont montré Seymour Stein (Sire), Peter Guralnick (Sun), Robert Gordon (Stax), ou encore Jerry Wexler (Atlantic), l’histoire d’un label légendaire n’est jamais une mince affaire, comme on serait tenté de le croire. Vu d’avion, un label légendaire ressemble à une succession d’artistes, de tubes et de verres de champagne, mais la réalité est plus proche de celle d’une arrière-boutique d’épicerie, où il faut faire chaque soir les comptes, relancer les fournisseurs, payer le personnel, surveiller la concurrence et essayer de prévoir le lendemain. L’histoire de Sun et celle de Specialty prouvent qu’il ne suffit pas de découvrir des talents et de vendre des millions de disques pour mettre le label à l’abri. Aussi étrange que cela puisse paraître, ça ne suffit pas. Comme Art Rupe, Uncle Sam finira par se lasser de cette besogne épuisante et deviendra riche en faisant autre chose que de signer des artistes et de vendre des disques. Il investira en achetant des actions Holiday Inn et deviendra millionnaire. Art Rupe investira dans les puits de pétrole et deviendra lui aussi millionnaire. Ils laisseront tous les deux les turpitudes du music business à d’autres. Bien sûr, l’aventure du lancement fut aussi excitante pour Uncle Sam que pour Art Rupe, mais au bout de dix ans, une forme de lassitude prit semble-t-il le pas sur l’excitation. C’est d’ailleurs ce qui se produit dans n’importe quel type de projet : vous montez une boîte, pendant quelques années, c’est assez rigolo, puis ça devient plus austère et ça bascule dans une sorte de fonctionnariat. Si on ne s’est pas cassé la gueule, il est alors grand temps soit de jeter l’éponge, soit de passer le relais.

Comme le rappelle Vera, Art Rupe n’est pas musicien, mais il adore la musique noire, notamment le gospel, le blues et le jazz. Ce Californien à lunettes monte ce qu’on appelait alors a one-man operation, un petit music business sans prétention sur Venice Boulevard, à Los Angeles. Exactement comme Uncle Sam sur Union Avenue, à Memphis : une petite boutique et quelques nègres au catalogue. Ils ont un autre point commun, et quel point commun ! Ils éprouvent tous les deux de l’empathie pour les artistes. Art Rupe : «Mon seul talent était d’avoir de l’empathie. Je savais que tout se passait dans le studio. Enregistrer un disque, c’est la même chose que de diriger une pièce de théâtre, il faut développer, trouver une fin et voilà. Je n’ai fait que suivre ce principe.» Non seulement Art Rupe produit les sessions d’enregistrement, mais il assure aussi 100% du mastering sur Specialty.

Il sait s’entourer et engage J. W. Alexander comme directeur artistique (talent scout). Les Soul Stirrers, célèbre quatuor de gospel, se retrouvent sur Specialty. Les disques se vendent bien. Et pouf, un jour, R. H. Harris, que tout le monde considère comme le plus grand chanteur de gospel, quitte le groupe. Alors Alexander ramène un jeune coq, Cooke. C’est là que démarre la carrière de Sam Cooke, sous l’œil rond d’Art Rupe. Sam grandit très vite artistiquement et Rupe sent qu’il va finir par mordre le trait, comme l’ont déjà fait Dinah Washington et Clyde McPhatter, pour aller vers la pop, ce qu’on appelle le cross over. Par la suite, Sam Cooke et J. W. Alexander vont monter un label ensemble, le fameux SAR label, qui sera d’ailleurs le premier label appartenant à des noirs. Lorsqu’en 1965, Andrew Loog Oldham voudra racheter les droits de «Good Times» pour les Stones, il rencontrera à Londres J. W. Alexander et Allen Klein, qui veille alors sur le business de Sam.

Et puis, un jour de l’été 1950, un jeune compositeur d’une trentaine d’années entre dans le bureau de Specialty, sur Venice Boulevard, et demande à interpréter ses chansons. Il s’agit de Percy Mayfield. Pour bon nombre d’amateurs de blues, Percy Mayfield est un monstre sacré. Il a le même genre de talent que Billie Holiday. Il enregistre quelques hits et tout s’arrête brusquement en 1952. Il se trouve à bord de sa Chrysler neuve avec son entourage. Son chauffeur conduit. Il fait nuit noire sur cette vieille route. La Chrysler arrive au sommet d’une colline et entame sa descente, mais un camion se trouve en travers de la route. Lancée à 100 km/h, la Chrysler s’encastre dans le camion. Percy est devant, à côté du chauffeur. Le moteur de la Chrysler traverse le pare-brise et Percy le prend en pleine gueule. Les secours arrivent. On le croit mort, jusqu’au moment où on l’entend geindre. Il va rester deux ans à l’hosto et mettre du temps à retrouver son équilibre. Il va se retirer dans l’ombre et le mystère va régner sur ses pochettes d’albums.

On connaît surtout Percy Mayfield pour «Hit The Road Jack», qu’il composa pour Ray Charles. Ray l’embauche en 1962 dans son équipe. Il vient de fonder son label Tangerine et comme Berry Gordy à Detroit, il constitue une équipe de compositeurs maison. C’est là que Percy commence à pondre tous ses hits. Etta James, Bumps, Lowell Fulsom, Lee Allen et Paul Gayten assisteront à ses funérailles et Little Richard y chantera «Amazing Grace». Le mot de la fin revient à Art Rupe : «Il n’avait pas fait d’études mais il était extrêmement intelligent. Si on l’avait un peu plus aidé, il serait devenu aussi célèbre que Langston Hughes.»

Art Rupe récupère aussi Jesse Belvin sur Specialty, un Belvin qu’on considère comme le plus grand chanteur de Soul de Los Angeles. Lou Rawls se souvient qu’il traînait avec une sacrée bande, Larry Williams, Les McCann, Sam Cooke, Gene McDaniels, Johnny Guitar Watson, mais le leader c’était Jesse. «Tout le monde s’inclinait devant lui, même Sam.» Jesse Belvin allait devenir une star, ça ne faisait aucun doute. Après Specialty, il est allé comme Elvis et Sam Cooke chez RCA, et alors que son album Mr. Easy allait sortir, sa femme et lui se tuèrent au volant sur une route du Texas. Encore un accident de voiture ! Uncle Sam a eu lui aussi sa dose avec l’accident de Carl Perkins qui était en route vers la gloire.

Le coup de génie d’Art Rupe fut d’aller prospecter à la Nouvelle Orleans. Pourquoi la Nouvelle Orleans ? Parce qu’il adore Fats Domino. Son concurrent Lew Chudd, boss d’Imperial, a d’ailleurs découvert Fatsy à la Nouvelle Orleans. Alors comme Chudd, Art est persuadé que cette ville qu’on appelle aussi the Big Easy grouille de talents. Il engage Dave Bartholomew comme chasseur de talents et en 1952, il organise pendant trois jours des auditions chez Cosimo Matassa, au fameux J&M Music Shop, sur Rampart Street. Pas mal de candidats. Chou blanc. Puis arrive un black nommé Lloyd Price. Rupe flaire le talent et demande à Dave Bartholomew d’organiser une session d’enregistrement. Fats vient même y jouer du piano. D’ailleurs Fats aime bien Rupe et lui demande s’il peut enregistrer sur Specialty, mais Rupe qui est un mec carré en affaires lui dit non, car Fats est déjà sous contrat avec Chudd. Rupe rappelle gentiment que beaucoup de ces artistes ne comprenaient pas ce que signifiait la signature d’un contrat.

Dans son autobio, Pricey amène un éclairage complémentaire. L’ouvrage s’appelle Sumdumhonky, ce qui signifie some dumb honky, honky étant l’homme blanc, évidemment. Lloyd Price qu’il faut considérer comme l’un des pionniers du rock («Lawdy Miss Clawdy», c’est lui) est un homme en colère. Son petit livre est un violent pamphlet contre le racisme des blancs du Sud, et plus particulièrement ceux de Kenner, une bourgade de Louisiane où il a grandi. Il confirme ce que dit Billy Vera, c’est Bartho qui l’a découvert alors qu’il jouait «Lawdy Miss Clawdy» sur un petit piano, dans la boutique de sa mère. Lloyd rappelle qu’en 1952, il était le heart and soul du new Beat in New Orleans - They say I was the first black teenage idol and Shirley Temple was the white one. Lloyd Price devient une star, mais il est appelé sous les drapeaux et envoyé en Corée. Quand il revient en 1956, il enregistre quelques bricoles pour Rupe, mais Rupe n’a plus le temps de s’occuper de lui, pas plus qu’il n’aura le temps de s’occuper de Clifton Chenier, lui aussi arrivé sur Specialty : Little Richard lui prend tout son temps. One man operation. Chudd a le même problème chez Imperial : il doit choisir entre Fatsy et Ricky Nelson qui est en train de devenir énorme. Le choix est vite fait. Bon, Pricey ne se formalise pas, il monte son label, KRC et s’installe à Washington DC. Il compose «Just Because» et quand son cousin qui est aussi son valet, Larry Williams, lui demande s’il peut l’enregistrer, Pricey lui répond : «Ferme ta gueule et conduis.» Par contre, il dit le plus grand bien d’Art Rupe : «Pendant tout le temps qu’Art Rupe fut le propriétaire de Specialty, j’ai reçu tous les six mois un chèque de royalties.» S’il est une chose que Pricey apprécie dans le business, c’est l’intégrité, surtout l’intégrité des blancs. Il restera aussi en très bons termes avec Allen Klein qui l’a aidé à une époque à récupérer tout le blé que lui devait ABC Paramount.

Bon, il faut ouvrir un bureau dans le Sud, se dit Rupe. Il ne choisit pas la Nouvelle Orleans, mais Jackson, Mississippi et confie le job à un certain John Vincent Imbragulio. Ce dernier fume des gros cigares. Rupe lui dit que la fumée le dérange et lui conseille de changer de nom, car le sien est imprononçable. Imbragulio devient Johnny Vincent, une légende à part entière. Le job de Johnny Vincent est de remplacer Dave Bartholomew et de repérer les talents, puis de les emmener enregistrer chez Cosimo. C’est encore du cœur de mythe. Le studio de Cosimo est à l’époque le seul endroit en ville où les noirs peuvent enregistrer. C’est chez lui que Lloyd Price, Fatsy, Smiley Lewis, Shirley & Lee et d’autres ont enregistré tous leurs hits. Johnny Vincent supervise la session historique de Guitar Slim puis il produit en 1954 un certain Earl Silas Johnson, plus connu sous le nom d’Earl King, un fan de Guitar Slim. Mais Rupe ne trouve pas Johnny Vincent très fiable. Bon d’accord. Johnny Vincent quitte Specialty et monte son label Ace Records. Earl King le suit. Ace Records devient à son tour légendaire, tellement légendaire que Roger Armstrong et Ted Carroll baptiseront leur label londonien du même nom.

C’est après l’épisode Johnny Vincent que Rupe engage Bumps Blackwell, originaire de Seattle et leader d’un big band dans les années 40. Bumps eut dans son orchestre un jeune pianiste nomme R. C. Robinson, qui allait changer de nom pour devenir Ray Charles. À Los Angeles, Rupe a trop de boulot et cherche quelqu’un pour l’aider. Arrivé à Los Angeles pour étudier la composition, Bumps accepte le job que lui propose Rupe. Specialty va exploser, avec Little Richard et Larry Williams.

Au début, ni Bumps ni Rupe ne sont convaincus par l’enregistrement que leur a envoyé Richard, sur la recommandation de Lloyd Price. Mais Richard les harcèle au téléphone et Rupe craque, demandant à Bumps de le signer, de racheter le contrat signé par Richard avec Don Robey et d’organiser une séance chez Cosimo. Ce sera une séance historique car Little Richard va éclater à la face du monde. Il est accompagné par le backing-band de Fatsy. Vera s’amuse à réactiver toute la légende de l’extravagant Little Richard, via Esquerita, The Thirteen Screaming Negroes à poil sous leurs impers et Billy Wright, autant de blacks fardés, coiffés et parfumés comme des poules et qui furent à leur façon des artistes d’avant-garde, terriblement en avance sur leur époque.

Le conte de fées prend brutalement fin lorsque Richard décide de se consacrer à Dieu et donc il met fin à sa carrière de rock’n’roll star. Rupe n’en revient pas. C’est une rupture de contrat. Richard reviendra aux affaires un peu plus tard, drivé par Don Arden. Accompagné de Billy Preston, Richard accepte le principe d’une tournée en Angleterre, à condition de pouvoir chanter du gospel, mais bien sûr, le public ne l’entend pas de cette oreille et Richard doit vite revenir à sa vieille pétaudière. Il retournera aussi en studio une fois avec Art Rupe, pour un résultat que Rupe trouve mauvais, puis chez OKeh avec Larry Williams.

Tout aussi tapageur, voici Larry Williams. Il arrive comme un plan B dans l’histoire de Specialty. Il faut quelqu’un pour remplacer Little Richard. Au même moment, Rupe engage un jeune compositeur blanc nommé Sonny Bono. Il pond «High School Dance» pour Larry Williams. Tapageur, Larry Williams ? Oui mais pas pour les mêmes raisons que Little Richard. Larry est un real bad boy, dealer et souteneur. Il fait travailler des filles et vend de la dope à des gens riches. Il est arrêté une première fois par les flics de Los Angeles et viré de Specialty. Libéré, il ira chez Chess puis reprendra son business. Le flics le rechopent en 1960 et le bouclent pour trois piges. À sa sortie, il devient A&R chez OKeh, filiale de Columbia spécialisée dans la musique black. Il y produit deux albums de Little Richard, The Explosive Little Richard et un faux live enregistré en studio à Hollywood, mais comme le dit Richard dans son autobio, il déteste le son OKeh, beaucoup trop Motown pour lui.

Mais c’est avec le dark side of business que Larry fait son vrai beurre. Il achète une maison de 500 000 $, il porte des boots avec des talons transparents dans lesquels nagent de vrais poissons rouges, il se pare de manteaux de fourrure et des bijoux. La fin des années 70 est l’âge d’or de la coke à Los Angeles. Larry achète et vend en quantités industrielles. Quand Richard oublie de payer ce qu’il lui doit, Larry lui colle son calibre sous le nez.

Etta James rend à Larry le meilleur des hommages dans son autobio. On trouve aussi des choses captivantes dans The Brothers de David Ritz. Larry est en effet le mentor d’Aaron Neville. C’est Charles Neville qui nous présente Larry Williams, l’un de ces new cats in rock’n’roll, qui porte un gangsta pimp hat et qui dispose d’un valet pour le servir. Il a des tas de gonzesses collées à ses basques et une Lincoln Continental Mark IV vert pastel. Sur la portière est collé un sticker qui annonce : I stop for all blondes. Larry Williams est une légende vivante. Pour Art Neville, Larry navigue exactement au même niveau que Fats et Little Richard - The man was a trendsetter, c’est-à-dire un mec qui lance les modes. Aaron Neville découvre rapidement qu’avant d’être une star, Larry est surtout un gangster - He had plenty guns and plenty attitude - Les guns, c’était surtout un moyen de se faire payer. Un jour, Larry explique tout à Aaron : «Baby bro, je fais la route comme un motherfucker depuis des lustres et j’en ai marre de me faire rouler. That’s all this business is. Les maisons de disques, les promoteurs, them fools do nothing but pimp your ass. Le mac, c’est celui qui ramasse du blé. Il vaut mieux être le mac que d’être maqué - makes more sense to be the pimp than be pimped.» Et Aaron ajoute : «Quand ses ventes de disques chutèrent et que ses fans n’allaient plus le voir sur scène, il devint un vrai mac. In the slick world of slick pimps, Larry Williams was the slickest of ‘em all», c’est-à-dire un mac très au point - J’étais aux première loges pour le constater.

Voilà pourquoi Larry Williams s’est recyclé - Just the way the record companies stole from me, I intend to steal from the world - Alors, sur la foi de cette morale infaillible, il s’entoure de voleurs et de putes. Il monte une agence artistique, mais il n’organise pas des spectacles, il organise des cambriolages. Aaron est souvent sur la banquette arrière. Il assiste aux grandes heures du duc de dude. Larry ne se fait jamais prendre. Il est capable de sauter du haut des falaises et de se planquer dans des ravins - Larry was a cowboy. I wasn’t - Aaron n’est par un cowboy, alors il se fait poirer.

En janvier 1980, on retrouve Larry dans sa Rolls. Il est garé dans l’allée de sa villa à Mullholland Drive, Hollywood, avec une balle dans la tempe. On parle de suicide, mais ceux qui le connaissent savent qu’il a été exécuté. Par un autre dealer ? Par un autre mac ? Par un flic ? Mais si Larry Williams reste bien vivant dans les mémoires, c’est essentiellement pour la qualité de son rock’n’roll.

C’est Sonny Bono qui va remplacer Bumps comme chasseur de talents et producteur chez Specialty. Quand Rupe se lasse du music business et qu’il ferme la boutique, Bono continue. Avec son pote Jack Nitzsche, il compose «Needles And Pins» pour Jackie DeShannon et travaille pour Phil Spector en tant que promotion man, percussionniste et coursier, avant de connaître le succès avec Sonny & Cher.

En 1957, Rupe finit par ouvrir un bureau à la Nouvelle Orleans et propose le job à Harold Battiste, autre personnage clé dans l’histoire de la scène locale. Battiste tente de lancer des blancs locaux, suite au succès de Frankie Ford. Jerry Byrne ne parvient hélas pas à percer, mais il entrera dans la légende en enregistrant «Morgus The Magnificient» avec Morgus and the Three Ghouls, sur Vin, l’un des labels de Johnny Vincent. Mac Rebennack, Huey Piano Smith et Frankie Ford font aussi partie de ce groupe mythique. C’est Harold Battiste qui permettra à Mac Rebennack d’enregistrer Gris Gris, son premier album, à Los Angeles. Sonny Bonno et Battiste resteront en très bons termes après la fin de Specialty, puisque Bono changera Battiste de diriger son orchestre, aussi bien en studio que devant les caméras de télévision.

La dernière découverte de Rupe est un duo, Don & Dewey qui, vous dit Vera, sonnent comme du Little Richard on steroids. Il affirme que «Justine» est du niveau des grands disques de Little Richard et de Larry Williams. C’est donc à Don Sugarcane Harris et Dewey Terry que revient l’honneur d’avoir enregistré Specialty’s final truly rocking records.

Après avoir découvert Sam Cooke, Percy Mayfield, Lloyd Price, Guitar Slim, Little Richard, Larry Williams et Don & Dewey, et lancé les carrières de Johnny Vincent, Bumps Blackwell, Sonny Bono et Harold Battiste, Art Rupe déniche un autre phénomène. En 1967, il tombe sur une thèse qui le passionne : Negro Popular Musice 1945-52, rédigée par un étudiant nommé Barret Hansen. Rupe décide d’en savoir plus et recherche Hansen. Hansen deviendra Dr. Demento et travaillera pour Specialty dès 1968. Il écoute toutes les archives, y compris les outtakes et rédige les notes de pochettes destinées aux rééditions. Par la suite, Dr. Demento deviendra l’énorme spécialiste que l’on sait.

Signé : Cazengler, Art Pute

Billy Vera. Rip It Up: The Specialty Records Story. BMG Books 2019

 

Rock Hardi, moussaillon !

 

Les fanzines, c’est comme les concerts, ça se raréfie dangereusement. Dans la vie d’avant, les concerts et les fanzines abondaient tellement qu’il nous arrivait de nous plaindre. Oh la la, tous ces concerts, comment qu’on va faire ? Oh la la, tous ces fanzines, comment qu’on va faire ? Mais au sortir du désert, le moindre concert va ressembler à la bouteille de rhum du Capitaine Haddock, d’ailleurs il vous suffira pour vous en convaincre de lire la kro du concert de Tony Marlou mise en ligne la semaine dernière : Damie Chad en fait jaillir la pulpe jusqu’au délire, il en extrait tout le jus jusqu’à la dernière goutte. Après une telle période d’abstinence, on va certainement aller se jeter sur n’importe quoi, comme le troupier sur la pute au retour du front, histoire de renouer avec le vrai truc. Rien de tel qu’une scène avec des vrais gens dessus, des guitares et beaucoup de bruit.

Côté fanzines, c’est pareil, on se tourne vers les survivants. Avec la fin de Dig It! s’ouvre une nouvelle ère, une ère charmante et désolante, l’ère du néant. Comme Bomp! puis Ugly Things, Dig It! montait bien au cerveau, avec sa profusion d’infos, de chroniques, d’interviews, il arrivait même qu’on se plaigne de cette abondance, mais en même temps on tremblait à l’idée qu’elle put disparaître un jour. Voilà c’est fait. Glou-glou. Dig It! gît par deux mille mètres de fond dans les mémoires. L’underground existe encore, mais sur Internet... et dans Rock Hardi. Un Rock Hardi tout petit, qui semble tellement fragile qu’on craint pour sa santé ou qu’il ne se fasse écraser par les gros pneus caoutchouteux des vilains canards kiosqués. Mais comme Moïse dans son berceau, Rock Hardi remonte les fleuves, se taille un chemin à travers les roseaux et échappe aux claquements de mâchoires des crocodiles sacrés. Sous des apparences de petite fanzine riquiqui, Rock Hardi a la peau dure. Il vous suffira de feuilleter le dernier numéro pour vous en convaincre définitivement.

En plus des disques, Rock Hardi propose des chroniques de books, de polars et de bandes dessinées, histoire de nous rappeler que nous sommes tous des adolescents attardés et fiers de l’être. Côté interviews, on est gâté : les vieux coucous et les jeunes coucous se bousculent au portillon. Le gros Sal Canzonieri tombe à pic pour nous remonter le moral et nous rappeler qu’Electric Frankenstein fut dans les années 2000 l’un des fers de lance du garage revival, avec un petit côté edgy en plus, aux frontières du Dead-Boyo-Blag-Flagisme. Ils firent sauter la sainte-barbe du Nouveau Casino en 2005 et tous les rescapés de cette aventure en frissonnent encore. Le gros Sal nous renvoie aussi à nos étagères : ressortez votre collection de compiles A Fistful Of Rock’n’roll. Le cerveau de cette série légendaire, c’est lui ! Ces compiles trop denses ont causé la faillite de bien des budgets, car la plupart des cuts renvoyaient à d’excellents albums, la liste est sans fin, Supersuckers, Zeke, BellRays, Action Swingers, Von Zippers, Dexateens, Streetwalking Cheetahs, Black Halos, DGeneration, Quadrajets, Tricky Woo (remember ?), les fabuleux Toilet Boys, les Rocket 455 de Dan Kroha, Lazy Cowgirls, les Dragons, Turbonegro, Sonny Vincent, Dwarves, Mooney Suzuki, et ces rois de la fête qu’étaient les Upper Crust de Boston, et puis Zen Guerilla dont on a revu le chanteur récemment sur scène avec Wayne Kramer. À cette liste qui donne un peu le vertige, il faudrait ajouter Cherry Valence, les Lord High Fixers de Tim Kerr, Nebula, Hellacopters, les Powder Monkeys, les Superbees dont l’album est passé complètement inaperçu, Fu Manchu, les Sewergrooves et tous les autres. Les 13 volumes de la série équivalent en densité et en qualité au boulot qu’a abattu Tim Warren avec les 10 volumes de Back From The Grave. Tout amateur de garage se doit de posséder les deux séries. Elles constituent une sorte de double concentré de tables de la loi, pour rester dans l’imagerie de Moïse. Petite cerise sur la gâteau, le gros Sal connaît bien la scène française, puisqu’il cite un paquet de groupes, dont le Jerry Spider Gang (présent sur le volume 13) et les Badass Mother Fuzzers. Pas mal, non ? Rien qu’avec ce premier interview, on a l’estomac calé pour la journée. L’autre vieux coucou, c’est Pete Shelley. L’interview date de 2006. On y retrouve un homme effarant de modestie, alors que les Buzzcocks sont devenus un groupe culte. Ils constituaient sur scène le plus délicieux mélange qui se put concevoir : un Pete Shelley extrêmement sobre, un Steve Diggle tellement émerveillé de se retrouver sur scène qu’il se marrait comme un gamin et puis cette série de hits parfaits qui n’en finissent plus de nous donner des frissons. Mais leur plus beau coup de Jarnac reste Spiral Scratch, un EP paru à l’aube du mouvement punk anglais. Les Buzzcocks furent avec les Damned les pionniers d’un épi-phénomène qui allait réveiller brutalement la vieille Angleterre. Il est essentiel de rappeler que ces deux groupes partaient de rien : pas de blé mais ils avaient le bon goût d’écouter de bons disques, comme le rappellent d’une part Pete Shelley dans l’interview, et d’autre part Brian James dans le book que vient de lui consacrer John Wombat. Par sa sobriété, l’after Pete tombe sous le sens. Savoir que Steve Diggle continue est la meilleure des bonnes nouvelles, puisqu’il est l’anti-charognard par excellence et bien sûr le coffret à paraître va encore creuser un trou dans les phynances, cornegidouille ! Mais comme dirait la chandelle verte, les phynances sont faites pour ça, et ce qui nous fait baver à l’avance, c’est de savoir qu’on y trouvera un album inédit, The Infamous 1991 Demo. Miam miam & thanks for the news.

Côté jeunes coucous, on tombe plus loin sur King Khan qui se présente comme le roi des huîtres, un peu à manière de Nathan Roche (Villejuif Underground) qui dit préférer manger des huîtres à Oléron plutôt que de répondre à une question trop sérieuse. King Khan aime bien déconner lui aussi, mais il devrait se méfier car il pourrait bien devenir malgré lui le maître à penser du monde moderne, ce que refusa de faire Dylan en son temps. Les délires de King Khan sonnent étrangement comme de la sagesse bouddhico-punk. Il énonce ses quatre vérités comme le fit jadis Lao Tseu, par exemple : «Ne pas être pris pour un con». On rigole en lisant ça mais si on réfléchit ne serait-ce qu’un instant, force est de constater qu’il est bien plus fort que le Roquefort. D’ailleurs, il jongle fabuleusement avec les métaphores culinaires, affirmant à un moment que «s’il pouvait manger des tricandrilles tous les jours, il serait probablement décédé, mais son cadavre aurait la banane». King Khan a raison, alors que tous les rockers font des efforts désespérés pour ne pas ventripoter, lui ventripote à qui mieux-mieux et devient le vrai rocker, the larger than life louder than death. On ne peut pas lutter contre la puissance de son overdrive, et c’est parce qu’il a su tourner le dos à la connerie qu’il est devenu le King Ubu du rock, c’est-à-dire un héros mythologique. Comme Choron, Mocky, Gainsbarre, Marcel Duchamp, Marco Ferreri, Vivian Stanshall, Alfred Jarry et tellement d’autres, il a compris qu’il valait mieux prendre «ce monde déglingué» à la rigolade. Toutes les fois où on l’a vu sur scène, on s’est vraiment bien marré, et en même temps et quelle que soit la formation, King Khan a toujours veillé à bien foutre le souk dans la médina. On peut difficilement espérer plus in the face que The King Khan & BBQ Show.

On reste dans les jeunes coucous avec Destination Lonely dont l’interview est assez marrante. On la lisait l’autre jour dans le train avec un copain et on se bidonnait comme les marionnettes du Muppet Show. Parmi ses influences musicales, Wlad cite la Villageoise 11°. Par contre, Lo Spider veille à soigner la réputation du groupe en citant les Country Teasers, Cheater Slicks, les Chrome Cranks, la compile historique Rockabilly Psychosis & the Garage Disease parue sur Big Beat en 1984 et qui effectivement marqua les cervelles au fer rouge puisqu’on y trouve la crème de la crème du gratin dauphinois, à savoir le Gun Club, Panther Burns, Hasil Adkins, les Sonics, les Cramps et quelques autres belles breloques du même acabit. Et puis bien sûr les Saints dont il passait parfois un cut dans le Dig It! Radio Show. Côté influences, le groupe est irréprochable. Ne manque que le nom du ‘68 Comeback. Il n’est pas surprenant de retrouver dans leur process de faisabilité des choses les grands noms d’une certaine élite : Magnetix, Weird Omen et JC Satan. L’interview tient le lecteur par la barbichette. Aucune trace de prétention chez ces mecs-là, on peut y aller les yeux fermés. Leur talent pour l’auto-dérision les immunise. Mine de rien, ils sont en train de devenir des géants de la scène française, avec du son, beaucoup de son. On comprend que Beat-Man leur ait offert l’hospitalité sur son label.

D’autres trucs passionnants, comme par exemple l’histoire du tribute français à Roky Erickson, un projet sorti de la cervelle de Dom Lonesome Dog, l’histoire d’Ici Paris, un bel hommage à Gildas Cospérec, puis Shakin’Street et les bons souvenirs de Mont-de-Marsan, Marc Zermati et Sandy Pearlman. D’autres choses encore, et puis surtout le CD qui est à Rock Hardi ce que le Radio Show était à Dig It!, c’est-à-dire la bande son du zine. C’est l’occasion de recroiser le chemin d’Electric Frankenstein, autrement dit Attila & the Huns, qu’on voit foncer à travers les plaines à fond de train. L’occasion aussi de recroiser Destination Lonely avec «Nervous Breakdown», un back to the basics du heavy sound et une voix avalée par le riff de heavy sludge. Personne ne peut échapper à ça. L’occasion aussi de découvrir ou de redécouvrir Ici Paris et un «Désir» chanté d’une voix de suceuse, c’est excellent, plein de tonus de teenage lust moulé sous une gelée royale de viens-mon-lapin, elle chante à l’énergie du power glam de foie de canard, c’est bien percuté dans l’occiput, avec un son qui coule entre les cuisses de Jupiter. Imbattable, pur jus de sex & drugs & rock’n’roll. Ils visent l’horizon power-punk pour «Seule» et tapent ça au deux trois quatre. On vendrait son père et sa mère pour obtenir un tel son. Avec «If You Only Knew», les Night Times jouent à la racine du root, ils sont marrants avec ce petit chant impavide tartiné sur canapé de fuzz, trout mak replica de garage suckers. Bienvenue dans l’œuf de serpent. On recroise aussi Roky Erickson avec Phil Amar & the Lonesome Dogs. Là t’es baisé avec le «Bloody Hammer», ils te marchent sur la gueule, cover parfaite, bien ancrée dans l’écho du temps. Ce sont les Premonitions qui décrochent le pompon avec leur pur jus d’envoyade, «Zoot Suit». Ils passent un solo en note à note en plein tatapoum. Fuck, se dit le lecteur, ces mecs ont beaucoup de talent. Leur «Mary Lou Blues» qui va plus sur le garage-punk est même, n’ayons pas peur des mots, assez monstrueux. Ils sonnent comme les Lyres. C’est soutenu à l’orgue, mais violemment, avec une grosse teneur en uranium. Saluons aussi la belle heavy power pop de LB Goodson («She’s In The Way»), chantée à la traîne et arrosée d’harmo, et ce downhome strawberry sound de petite franquette qu’est «Desmond», petit chef-d’œuvre de trash lo-fi. Les becs fins du rock vont adorer ça.

Signé : Cazengler, Rock Harpic WC

Rock Hardi # 57. Fanzine libre et autonome.

 

Sfax similé - Part One

 

Pendant dix ans, un petit label français nommé Sfax redora avec un réel panache le blason du rockab français. C’est sur Sfax que parut en 2006 le premier album de Carl & The Rhythm All Stars, probablement l’un des meilleurs albums de rockab de tous les temps. Music To Live bat bien des records et fut même bien meilleur que leur troisième album pourtant paru sur Wild. Music To Live fut épluché sur KRTNT voici belle lurette.

L’autre grand nom de Sfax, ce sont bien sûr les Hot Chickens, avec trois tributes qu’il faut bien qualifier d’explosifs, Play Gene, tribute à Gene Vincent, Rock Therapy, tribute à Johnny Burnette et Speed King, tribute à Little Richard. Trois albums imbattables, de vrais modèles du genre, des albums de fans faits pour les fans. On ne peut pas rêver mieux. Ils furent eux aussi examinés en long, en large et en travers dans Hit The Road Jake - Part One, mis en ligne sur KRTNT à la suite du Béthune Rétro 2019.

Hichem - le boss de Sfax qu’on peut toujours voir aux Puces - n’en était pas à son coup d’essai. Il avait déjà à son catalogue une belle ribambelle de grosses équipes, à commencer par les Roadrunners de Russ Purdy, alias Russ Be Bop. Paru en 1996, Catch Us If You Can est le Sfax CD 01. Que de son, my son ! Ces Anglais attaquent bille en tête avec «Rock My Boogie», un superbe shake de deep boogie down slappé à cœur vaillant rien d’impossible. Ils sonnent comme des dieux du rockab. Russ Purdy a tout bon, il sait appeler une syllabe par son nom - She rocks my boogie now - Ils font quelques reprises comme par exemple «Strychnine» - où ils se vautrent - et «Proud Mary» qui accroche un peu mieux. Voilà en effet un bel hommage à Fog. Ah ces mecs ont du répondant dans la culasse. Ce solid romp est vraiment très bien vu. Une bonne chanson reste une bonne chanson, même quand elle est cousue de fil blanc comme neige. Ils font aussi du très bon raw to the bone avec «Somethin’ Baby» et «Buzz Me Babe». Quels jolis drives de strumming ! Ils ont tout compris, c’est wild at heart. Ces deux cuts relèvent de l’imparabilité des choses de la vie. C’est le bass boy Paul Cameron qui prend le chant sur Buzz - Well you buzz me babe - Leur «Voodoo Child No2» n’a rien à voir avec celui de Jimi Hendrix. Ils font leur propre voodoo. Puis ils grattent «The Blues Comes Around» au big clash de bottlerock monté sur un big beat rockab. Ces mecs sont experts dans l’art de manier le rootsy rockab feel, en voilà la preuve éclatante. C’est un régal que d’écouter des gens qui cumulent aussi bien les fonctions : le raw, le drive, le beat, le shuffle, le souffle et l’éclate de la patate. Real raw baby ! Chapeau bas ! Ils restent dans la belle affluence du raw pour un «Get Ready To Rock» traversé par un solo accidentaliste effarant de classe. Il faut saluer Russ Purdy, c’est un killer, ses solos sont des modèles de remote control. Les Roadrunners enfoncent les Stray Cats quand ils veulent. Encore une merveille avec «Blues Blues Blues» amené au big rumble de riff raff conquérant. Une véritable horreur. Russ Purdy est un démon renversant de posture. Il fait trembler la statue du blues. C’est énorme. Le ton est juste. On se souviendra de cet album et de sa qualité de son irréprochable. Leur cover de «Roadrunner» est aussi une merveille de real deal. Bip bip ! Comment s’appelle ce label au fait ? Sfax ? Wow !

Hichem n’allait pas en rester là. Un an après paraissait l’album des Runnin’ Wild, Northwind. Ça grouille de bombes là-dedans. Et ce dès «Schoolboy Blues», une samba mais avec du gut et même de l’undergut. Ces trois mecs y ramènent la hargne du heavy rockab demented. Le chanteur s’appelle Patrick Ouchene et il chante son schoolday blues off his ass, avec une mèche de Misfit sur la figure. Avec Carl, Jake Calypso, Russ Purdy et Patrick Ouchene, on peut dire que Sfax disposait alors d’une sacrée écurie de hot spots. Le morceau titre qui suit va plus sur Jacques Brel, mais ce démon gratte sa viande au vent mauvais du plat pays avec un violon tzigane en following. Imbattable ! Nouvelle surprise avec «Love’s In The Air» tapé au slap de rêve. On s’effare de tant de véracité artistique. Plus loin, il nous gratte «Wild Wild Lover» à la cocote sourde. Quand ils vont sous le boisseau, ils vont sous le boisseau. Ces mecs-là ne rigolent pas. Et puis ça explose, on ne sait pas pourquoi. C’est tellement parfait qu’il n’y a rien à redire. «Here Comes Johnny» vaut pour un vieux shuffle de rockab. Ces mecs sonnent tellement juste qu’on finit par se poser des questions : sont-ce vraiment des Belges ? Il y a chez eux une telle excellence de la prestance. Avec «Twixteen», ils sont encore en plein dedans. On entend Patrick Ouchene jouer un lead de jazz dans «Rock’n’ Ry» et il gave son «Catalina Push» de son comme une oie - Catalina push push - ça donne du Tino Rossi sous amphètes. Ils sont même capables de sonner Cajun comme le montre «There’s Nothing As Sweet As My Baby», avec les violons et les vertiges de l’atour. Attention à la section Bonus. C’est très explosif, notamment la version de «Milkcow Blues» qui est pleine de viande. Ouchene la saque bien sec. C’est l’une des meilleures covers de Milkcow jamais enregistrées, avec des poussées de fièvre plus vraies que nature. C’est joué au son pointu, mais à l’excédée. Encore plus sec : «You Got (Everything)». Bien claqué du beignet, embarqué au heavy bop. On peut bien le dire, ces mecs sont doués au-delà du raisonnable, comme le montre encore «I’ve Got To Jump On Johnny». Vas-y Johnny fais-moi mal, enfer et damnation, c’est encore un fuckin’ smoking beast ! S’ensuit un «Teenage Lover» assez bomped, ces mecs allument tous leurs cuts un par un, comme à confesse, et dans les règles de l’art. Retenez bien ce nom : Runnin’ Wild. Des gens aussi brillants, vous n’en croiserez pas tous les jours dans la rue.

Ouf ! Sfax nous donne un peu de répit en se vautrant avec l’album d’Ike & The Capers. I’m Not Shy To Do est un album raté. Dommage car ça partait d’une bonne intention : c’était le Sfax LP 01. Problème de production ? Le «What’s The Show» d’ouverture de bal d’A fait dresser l’oreille avec son solo de clairette et Ike impressionne avec «I’m Haddin’ Home», car il se poste à la pointe du progrès de la niaque. Mais après ça se gâte terriblement. Il ouvre son bal de B avec «She’s Gone», une belle tentative de commotion, on le sent très déterminé à jiver by the record machine, mais globalement, l’album souffre d’une dramatique carence compositale.

Heureusement, Russ Be-Bop et ses Roadrunners refont surface pour voler au secours de Sfax avec un deuxième album, Movers & Shakers. On retrouve l’extraordinaire qualité du son dès «Howlin’ For My Baby», raw as it goes, avec un slap incroyable de véracité, claqué sec avec du cha cha cha dans l’os de l’ass. Un vrai coup de génie. Sur cet album, toutes les parties de guitare sont exceptionnelles. Russ Purdy ne laisse rien au hasard. «Your Cheatin’ Me» sonne comme un petit cut de fête foraine, ou plutôt un cut qui ne veut pas dire son nom, même si la fièvre le parcourt tout au long de l’échine, on sent la poussée du slap derrière et ça bascule dans l’excellence du bop. Les scientifiques appellent ça le bop prévalent. On reste dans le décrochage de mâchoire avec «Castin’ My Spell», solide shake de shark. Peu de groupes savent sonner aussi bien. C’est un fabuleux shake d’à ras les pâquerettes, ils mixent le Diddley beat avec le raw to the bone, c’est dire s’ils ont bon goût. Impossible de résister à l’attaque de «Chicken Runner Blues». Heavy romp + gimmick perfide + slap des enfers, ça donne le Chicken shake dont on rêve. Ces mecs jouent leur va-tout en permanence. Ils changent de son avec «Take A Look At My World» joué aux heavy chords, ça tombe sur le pli, comme un pantalon, un son plus sixties. Retour au slap avec «Gone Blues Train». Ça pulse dans la gare, Edgard. Ils y vont franco de port. Le slap mène la danse. Avec «Killing Time», ils s’engagent dans le vieux groove de rockab bien gratté des puces. C’est sans appel. Ils passent à l’instro de frenzy avec «Hi Jack». Ils nous rockent ça out of it. Tu vois trente-six chandelles, c’est la piste aux étoiles, ils ne reculent devant aucun excès. Encore plus effarant, voilà «We Love To Boogie», amené au riff raff de slappy baby, ils rallument la flamme avec un son énorme, du raw of it all - Yes I love to boogie/ On a saturday night - C’est le son définitif, l’essence même du rockab. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec «Rocket Ship», une apothéose de bop it down.

Hichem retente le coup du vinyle avec l’I Want It Hot des Kentucky Boys. Ce Sfax LP 02 paraît en l’an 2000 avec cinq creepers alignés sur la pochette. On est là dans un son plus Ted, mais avec une belle énergie, comme le montre «Marie Marie», un joli drive digne des meilleurs jukes de banlieue. Ces jeunes coqs ont tout bon au plan du pulsatif de bopping machine. Mais après ça se gâte. Tout le monde n’est pas Jake Calypso ni Russ Purdy. Ils sauvent la mise de leur album avec un morceau titre bien embarqué au slap frénétique et on assiste en plein milieu à un sacré télescopage de solo et de gratté de slap. En B, on devra se contenter de trois bricoles, comme ce classique «Rock-a-Billy», ce «Cool Cool Baby» boppé sous le boisseau du kentucky alsacien et «Teddy Boy», bien chaloupé du bottom de beat, avec derrière ce bon son de slap clair et net. Ces mecs ont la main verte.

Tony Marlow est l’un des Bops de Betty And The Bops. Hot Wheels On The Trail date de 2005 et Marlow le marlou n’a pas encore les cheveux blancs. Betty slappe et chante. On sent la réalité de leur son dès «Hound Dog On My Trail». Tony Sasia bat son bord de caisse. Ils passent aux choses sérieuses avec «You Better Run». C’est plutôt wild avec un petit côté banlieue bien amené. Marlow le marlou joue du killer solo flash, il en a la carrure, il sait jouer au dératé. Betty reprend le lead au slap avec «Go Cat Go» et le marlou joue en clair derrière. Le niveau va hélas baisser pendant une petite série de cuts et ils font un retour en force avec «The Memphis Train» et sa belle descente de basse à la Bill Black. Betty chauffe comme Marcel, on peut lui faire confiance et soudain, le marlou rentre dans le lard du Train avec un solo demented. On reste dans l’énormité avec un «All I Can Do Is Cry» claqué au big riffing de marlou. C’est encore une fois slappé de frais et rempli à ras bord de big sound. Il faut voir ce marlou swinguer la cabane. Betty et ses amis ne font pas n’importe quoi, sur ce mighty label. Et paf, voilà la reprise fatale : «Please Don’t Touch». Betty rentre dans le lard du Kidd avec une niaque héroïque. Côté son et esprit, c’est absolument parfait. Ils font aussi une reprise du «Tear It Up» de Johnny Burnette. Betty la prend comme il faut, à la bonne franquette et boucle son bouclard avec «Bop Little Baby». Elle y va sans se poser de questions et le marlou sonne bien le tocsin du riff. On peut dire que ça shake sous la ceinture.

En 2006, Hichem publie son Sfax CD 08 : le Rockabilly Sauce des Hot Rocks. On les voit tous les trois sur la pochette avec des vestes en peau de zèbre. Désolé les gars, c’est encore un must. L’album grouille de son et de bonne humeur rockab. Le surdoué de service s’appelle Alexis Mazzoleni et quand on lit le feuillet intérieur, on tombe sur le nom de Jerry Dixie, crédité pour la photo du trio appuyé contre une grosse caisse américaine. Il faut dire que l’album démarre laborieusement avec un «Boogie Woogie All Night Long». Ça mon gars, all nite long, il faut la bite qui va avec. Ils tapent une reprise d’«All My Myself» au hiccup de saute mouton. De toute évidence, ces mecs y croient dur comme fer. Quand on écoute «Somebody’s Fool», on réalise qu’ils sont dans leur truc et qu’il ne faut pas les embêter. Ils ont la bénédiction du Pape Hichem. Ils font un peu de bop avec «Bop Bop Baby Bop». Au moins, ils ne risquent pas de se faire une entorse à la cervelle. Et soudain, les Hot Rocks prennent tout leur sens avec «Get Out Of This House», un vieux drive de rockab bien affûté. Et ça continue avec «Mama’s Little Baby». Quelle cavalcade et quel son parfait ! Alexis Mazzolini chante son «Rockin’ Around The Night» à la pointe de sa Cadillac. Ils distillent une science du son qui en impose. Vieux shoot apache avec «Geronimo’s Rock». Zy va baby boy ! C’est taillé dans la masse du rockab. «King Without A Crown» est plus festif, mais sacrément joué. On croirait entendre Gene Vincent un soir de fête. S’ensuit un «Baby Won’t You Come Out Tonight» bien foutu dans le bubble de sex, c’est du rock de hot slip, on a trop entendu ces burst-out de flaming desire, à l’image d’une bite qui n’en peut plus d’attendre. Ils retrouvent leur calme avec «Boogie Woogie Country Girl». On croit entendre une autre équipe. C’est du big dash de real sound tapé à la sécurité du riff fatal. Superbe ! Ils amènent leur «Rockabilly Fever» au bon niveau, ils rock-rockent ça net et sans bavure, ils connaissent toutes les ficelles de caleçon, c’est une vraie merveille de rock-rock et de fever. Puis avec «I Ain’t Gonna Take It», Alexis le grand rase les mottes au chant. C’est un cut de génie bien fouetté du slap au cul. Ce mec est un devil on the run, ça pulse comme chez Charlie Feathers, avec exactement le même gusto. Genius take ! Ils terminent leur bel album avec un clin d’œil à Billy Boy et une reprise de «Flying Saucers Rock’n’Roll». Le hot shot n’a décidément aucun secret pour ces vaillants Hot Rocks.

On retrouve des Bretons sur le Sfax CD 09 : The Dalann Fly-Cats avec l’excellent A Different Saturday Night Thrill. Ils mettent le paquet dès «B Ball Trouble», du pur jus de heavy bop de slap. Ils sont dedans jusqu’aux oreilles. C’est une arlésienne de beat des reins. Au chant Michel Pronost est héroïque. Ils reprennent plus loin le «Mean Little Mama» de Roy Orbison en mode rock-a-lama et un joli solo vient illuminer l’écho du temps. Ces mecs y croient eux aussi dur comme fer, au moins autant que les Hot Rocks. Leur version de «Mean Little Mama» est digne des énormités de Deep South. Ils jouent «Blue Sunday» au meilleur groove de good time Fly Cats. Ces mecs ont du son et une classe terrible, avec en plus des solos qui courent bien sur le haricot. Et paf, on prend en pleine poire l’«Oh Baby Don’t» slappé jusqu’à l’os. Ils sont tout compris, ils jouent avec le rrrr de la panthère et un big bad slap digne de celui de Lew Williams. Ils font une cover superbe du «Jungle Rock» de Hank Mizell. Ils se positionnent avec ça dans l’excellence du mythe. Il n’existe pas de cover plus démente que celle-ci. Ils tapent aussi dans le «Down the Line» de Buddy Holly et Bob Montgomery. Michel Pronost fait son cirque à la guitare. On se régale aussi de la qualité du son dans «Now That You’re Gone», un heavy rumble de Sfax. Tous les heavy grooves de slap sont imparables sur cet album. Ils terminent en bona fide de bop avec un «A Lifetime Without You» bien slappé derrière les oreilles, juste comme il faut, avec toute la tension et la pulsion, et là, ils deviennent invincibles, c’est le bop qui fait l’homme, les Fly Cats l’ont bien compris, ils bopperont jusqu’à l’aube et on vous le garantit, on ne risque pas de s’endormir.

On pourrait terminer ce petit tour d’horizon Sfaxy avec trois EPs, à commencer par le Sfax EP 001 : le groupe s’appelle King Size et l’EP Hot Rhythm & Rockabilly. Attention aux yeux, c’est un heavy shoot de rockab toulousain. Comme toujours sur Sfax, le son est impeccable. Ces mecs ont tout compris au film, il faut les entendre chanter «Little Green Man» sous le boisseau. Ils disposent du meilleur pulsatif rockab qui se puisse imaginer ici bas. Ils jouent aussi «Strange Little Linda» dans le deep du bop, ils le travaillent au corps et en extraient la substantifique moelle. Il terminent ce fantastique EP avec «Dark Eye», cut de fête foraine pulsé à la pompe de jazz manouche. Dans un style complètement différent, voici les Tennessee Rumblers, avec Down In Texas, le Sfax EP 004. Ces cowboys viennent du Havre et qui retrouve-t-on à la guitare ? Didier, l’âme du Blue Tears Trio. Sur cet EP, les Rumblers sonnent très country western, c’est gratté à coups d’acou et Dom le cowboy chante goulûment. Ils virent même cajun avec «Fireball Mail» quand un violon entre dans la danse. Très curieux. On pourrait qualifier ça d’Americana havraise. Et puis voilà Betty And The Bops again avec Be-Bop Bop, le Sfax EP 007. On y retrouve bien évidemment notre Marlou préféré qui passe un ravissant solo kill kill dans un «Be-Bop Bop» bien brossé dans le sens du bop. On tombe de l’autre côté sur «Crazy Little Lady», un joli rumble de big heavy rockab. Betty hiccuppe comme une reine de Saba du Tennessee et c’est pas peu dire. Oh et puis tiens, ça n’a rien à voir, ou plutôt si. L’autre joue, Hichem sort ça d’une boîte de 45 tours : The Corals. Pochette économique avec photo en noir et blanc. Quatre mecs habillés en blanc avec leurs guitares et une caisse claire.

— Tu ne le reconnais pas ?

— Beuuuhhh non...

— Regarde-le bien, celui-là, derrière, avec la basse...

— Beuuuhhhh... Dick Rivers ?

— Ha ha ha, non pas du tout. C’est Hervé !

Eh oui, le premier single d’Hervé Calypso, deux instros joués au tatapoum de derrière les fagots d’Annequin, mon tio quinquin. Le jeune Jake était alors dans autre chose, dans l’instro de fête foraine, dans l’instro de barbe à Papa rythmé par les booms des camors, quand les ados draguaient les adottes à coups de chocs frontaux et de gloussements de rire hystériques. Tout fan de Jake Calypso se doit d’écouter ça. Le single est loin d’être anecdotique. Merci à Hichem pour les Corals (qui ne sont pas sur son label) et pour tout cet impressionnant parcours de label boss. On y reviendra.

Signé : Cazengler, Sfart

Hot Chickens. Play Gene. Sfax Records

The Roadrunners. Catch Us If You Can. Sfax CD 01. Sfax Records 1996

Runnin’ Wild. Northwind. Sfax CD 02. Sfax Records 1997

Ike & The Capers. I’m Not Shy To Do. Sfax LP 01. Sfax Records 1997

Russ Be-Bop & The Roadrunners. Movers & Shakers. Sfax CD 03

The Kentucky Boys. I Want It Hot. Sfax LP 02. Sfax Records 2000

Betty And The Bops. Hot Wheels On The Trail. Sfax CD 06. Sfax Records 2005

Carl & The Rhythm All Stars. Music To Live. Sfax CD 07. Sfax Records 2006

The Hot Rocks. Rockabilly Sauce. Sfax CD 08. Sfax Records 2006

The Dalann Fly-Cats. A Different Saturday Night Thrill. Sfax CD 09. Sfax Records 2006

Hot Chickens. Speed King. Sfax CD 011. Sfax Records 2007

Hot Chickens. Rock Therapy (Tribute To Johnny Burnette). Sfax Records 2008

King Size. Hot Rhythm & Rockabilly. Sfax EP 001. Sfax Records

Tennessee Rumblers. Down In Texas. Sfax EP 004. Sfax Records

Betty And The Bops. Be-Bop Bop. Sfax EP 007. Sfax Records

 

All the Young Jessie dudes

 

Même Young Jessie qu’on croyait éternel a fini par casser sa pipe en bois. On pourrait gloser à l’infini sur la nature cruelle du destin. Mais ce n’est pas non plus une raison pour envier les vampires : il paraît évident que la jeunesse éternelle nous ferait tous crever d’ennui.

C’est grâce au big daddy catalog de Tim Warren qu’on fit la connaissance de Young Jessie dans les années 90. Le Cryptman en vantait tant et si bien les charmes qu’on finit par céder au chant des sirènes et par le lui commander, de la même manière qu’on lui commandait des trucs obscurs comme Frankie Lee Sims ou Jerry Boogie McCain et on ne s’en mordait jamais les doigts. Les choix du catalogue Crypt étaient d’une infaillibilité sans nom, comme dirait Lovecraft. Tim & Dirk faisaient ce travail de repérage que ne savent pas faire les canards kiosqués.

L’album de Young Jessie qu’ils proposaient s’appelait I’m Gone - The Legendary Modern Recordings, paru bien évidemment sur Ace. On avait donc en prime quelques infos de premier choix, sous la forme d’un livret signé Ray Topping. Ah, ça change la vie. Le vrai confort moderne, c’est d’écouter un disque en sachant ce qu’on écoute. Il est par exemple essentiel de savoir que Young Jessie tournait dans le Deep South avec Guitar Slim qui était alors le prince des grandes exubérances, puisqu’il sortait du club où il se produisait pour aller gratter sa Telecaster dans la rue, numéro que reprendront plus tard les Fleshtones. Young Jessie racontait aussi à Ray Topping que Guitar Slim ne voulait être payé qu’en billets de 1 dollar qu’il stockait dans les poches de sa veste rouge. Topping nous rappelle aussi que Young Jessie, qui aimait bien qu’on l’appelle Obie, était né dans les années trente au Texas, du côté de Dallas et que sa mère jouait du piano dans les clubs locaux. Pendant la guerre, la famille s’installe à Los Angeles et Young Jessie rencontre Johnny Guitar Watson qui va rester l’un de ses bons amis, puis Richard Berry, avec lequel il monte un groupe vocal, the Debonaires. Il n’a que 13 ans quand il flashe sur Roy Brown. C’est là qu’il prend la décision de devenir chanteur. Ils font un premier test avec un disquaire nommé Dolphin’s Of Hollywood, le résultat ne leur plaît pas, alors ils prennent leur bagnole et cherchent un autre label. À force de vadrouiller, ils finissent par tomber sur l’enseigne Modern/RPM Records, oui, le label de Jules et Joe Bihari. Les Bihari qui ont du métier rebaptisent le groupe The Flairs et sortent un premier single, «I Had A Love», qui n’est même pas sur la compile Ace.

Par contre le deuxième single, «Rabbit On A Log» s’y trouve - Look at that rabbit ! - Pour un cut datant de 1953, c’est excellent, plein de vie. Joe Bihari rebaptise le groupe The Hunters. C’est Richard Berry qui chante lead et Young Jessie fait les renvois. Dans le studio se trouvent Leiber & Stoller qui sont en stage d’apprentissage chez Modern. Ils suggèrent de rajouter des coups de pistolets sur la B-side du single, «All I Want To Do Is Rock», qui n’est pas non plus sur la compile Ace.

La même année, Richard Berry et Young Jessie décident d’entamer des carrières solo. Young Jessie démarre la sienne avec «I Smell A Rat» composé par Leiber & Stoller pour Big Mama Thornton. C’est avec ce vieux Smell que Jessie tente de se faire passer pour Little Richard. Il a du raunch à revendre et fait un beau numéro de wild shouting. Mais son seul grand hit s’appelle «Mary Lou» et c’est lui qui ouvre ce bal d’Ace. Jessie chante au rentre-dedans. C’est fou comme il s’implique, il n’a pas vraiment de voix mais il regorge de Cadillacs et de diamond rings. C’est du jump d’époque, chauffé au sax, mais hélas sans la magie de la Nouvelle Orleans. On a là l’archétype du black rock’n’roll de collectionneur. «Mary Lou» fit des ravages sur la west coast et au Texas. Ronnie Hawkins en fit même une cover sur Roulette.

Puis comme tous les autres, Jessie part en tournée avec les Platters et les Penguins. Pouf, les voilà à l’Apollo de Harlem. Joe Bihari profite de ce raid à Harlem pour organiser une session d’enregistrement avec la crème de la crème locale : Jessie enregistre «Pretty Soon», «Oochie Coochie» et «Don’t Happen No More» accompagné par Mickey Baker. C’est du pur jus de black rock’n’roll, avec un Mickey Baker on fire, mais ça reste du sous Little Richard. Quand les Bihari se cassent la gueule, Jessie s’en va bosser avec Leiber & Stoller et enregistre «Shuffle In The Gravel» sur Atco. Un peu plus tard, Bumps Blackwel le récupère et le fait signer sur Mercury, mais, nous dit Topping, le gros des enregistrements a disparu.

Il faut bien dire qu’un cut comme «Lonesome Desert» n’avait absolument aucune chance. Pourquoi ? Parce que mal chanté. Young Jessie se montre assez inégal, il atteint des sommets et aussi des bas-fonds. Une compile de Young Jessie, c’est un peu les montagnes russes. Il chante son «Nothing Seems Right» du menton, comme un vieux routier - Baby let me hear from you - Quand il tape du blues ou de gospel, il chante à la perfection. Sa dominante reste le jump, l’époque voulait ça.

Il existe un autre album de Young Jessie qu’on peut écouter les yeux fermés : le fameux Shuffle In The Gravel paru sur Mr R&B Records. Le gros intérêt est que Bill Millar noircit le dos de pochette de sa prose érudite. Il parle d’un primal blend of R&B and Rock’n’roll et quand il a dit ça, il a tout dit. Il situe admirablement les racines de Jessie dans le country blues de Blind Lemon Jefferson, le gospel et le slick jump’n’jive. Millar indique aussi que Jessie tourna dans le Deep South à trois reprises, et pas seulement avec Guitar Slim. Il fit partie de packages comprenant B.B. King, Bobby Bland et Little Willie John, pardonnez du peu. Millar ajoute que Ronnie Hawkins ne fut pas le seul à reprendre «Mary Lou» : Steve Miller, Zappa, Bob Seger, Sonny Burgess et Buddy Knox tapèrent aussi dedans. D’ailleurs, Jessie profite de l’occasion pour indiquer qu’il n’a jamais touché un seul kopeck pour «Mary Lou» et quand il posa la question à Ronnie Hawkins, celui-ci lui répondit : «Moi non plus».

En fait, Bill Millar et Ray Topping se connaissent très bien, puisqu’ils interviewaient ensemble Young Jessie quand il était de passage à Londres dans les années 80 pour ce qu’ils appellent tous les deux une charismatic perfomance à l’Electric Ballroom de Camden Town. Shuffle In The Gravel présente un gros intérêt : cette compile fait suite aux Legendary Modern Recordings. Le bal d’A s’ouvre avec les sessions produites par Leiber & Stoller en 1957. Le morceau titre sonne comme un fabuleux shoot de petit black rock’n’roll épicé de doo-wop : solide et ancien, digne de confiance et jumpy en diable. Jessie raconte qu’à une époque, on versait du sable sur la piste de danse et les bruits des pas des danseurs qui avançaient et reculaient donnaient le shuffle in the gravel. Quand Jessie chante «The Wrong Door», on sent chez lui une aisance indéniable, un truc de dude on the run, et même un certain parfum d’excellence. Il ouvre son bal de B avec «Big Chief», pur jus de comedy act à l’indienne, dans l’esprit des Coasters. Ça sent bon les gros moyens : les Rivingtons font les chœurs, Quincy Jones les arrangements et Bumps Blackwell produit. On monte encore d’un cran avec «Too Fine For Cryin’» : cette fois ce sont les Blossoms de Darlene Love qui wap-doo-wappent et Jack Nitzsche signe les arrangements. Que peut-on espérer de mieux ? Et ça continue avec «Bebop Country Boy» dans une fantastique ambiance de jumpin’ jive, ah-ah-ah fait Jessie, c’est arrangé à la hollywoodienne par ce démon de Quincy Jones. Nous voilà dans la magie des temps anciens. Le fait que ce cut ne soit pas devenu un hit mondial relève de l’inexplicabilité des choses. Encore pire que le mystère de Toutânkhamon. Jessie revient à son cher blues avec «Make Me Feel A Little Good». Ça date de 1962 et un certain Junior Rogers gratte sa gratte. Fabuleux car inspiré. Blues orchestré mais interprété à l’infernale conséquente, aw something’s wrong. La B se termine avec un «Young Jessie Bossa Nova» live. Vraiment bon, c’est pas du réchauffé, on a là du black artist en dur avec des folles qui crient derrière lui, Jessie chauffe sa salle à blanc, ça saxe dans les brancards, il y va, le vieux Young, il c’mon ses clous, il fait son hot shit à deux pattes. Goddamnit !

Signé : Cazengler, Young Vessie

Young Jessie. Disparu le 27 avril 2020

Young Jessie. I’m Gone. The Legendary Modern Recordings. Ace Records 1995

Young Jessie. Shuffle In The Gravel. Mr R&B Records 1986

MONTREUIL

COMEDIA / 04 – 07 - 2020

TRUE DUKES / RED TRUCK

 

Retour à la Comedia après trois mois d'absence. Enfin un vrai concert, du live de chez live avec un public friand, en osmose parfaite avec le lieu, qui s'est déplacé en masse. Rachid aux mille bras sourit derrière le comptoir, les amateurs jettent leur obole, rétribution des musiciens, dans le seau dévolu à cet usage léthéen... dans la diffuse lumière admirez les fresques poulpitiennes de maître Martin Peronard sur les murs, dans deux mille ans les archéologues et les universitaires ne manqueront pas de les comparer aux fresques de la Villa des Mystères de Pompéi, ils essaieront d'en décrypter le sens magique et d'en déduire l'étrange et incompréhensible psychologie de leurs ancêtres qui les poussait à se réunir dans ces lieux sombres afin de s'adonner à d'étranges pratiques dont le sens et la nature leur échappera. Il semblerait édicteront-ils doctement qu'ils offraient de mystérieuses libations à deux Dieux primitifs et dioscuriens aux attributions incertaines mais qui devaient se nommer Punk et Rock.

En attendant ces temps lointains où nous ne serons plus que des ombres incertaines dans les ordinateurs télécommandés et pré-programmés que seront devenus les cerveaux de nos descendants définitivement asservis adonnons-nous sans retenue à ces pratiques révoltantes.

THE TRUE DUKES

En langue shakespearienne le nom ne manque pas d'allure. Pour les malheureux qui ne possèdent que d'imparfaites notions d'anglais et qui auraient dans leur ignorance stupidement compris que nos cinq chevaliers se seraient décernés le titre de Véritables Ducs, ils se dépêchent de nous faire part de la seule traduction autorisée, the true dukes signifie les trouducs, et ils se hâtent d'ajouter pour les esprits nantis d'une lenteur rédhibitoire de la comprenette : les trous du cul en toutes lettres. Un peu provocatrice cette boule puante suscitée par les vents mauvais de la dérision étymologique qui sent si fort, non pas le roquefort, mais l'attitude punk.

Punk un jour, punk toujours. Z'ont de l'allure avec leur quatre guitare qui barrent d'un trait noir le batteur derrière elles. Ne restera pas longtemps invisible et point du tout inaudible. Une frappe dure sans fioriture, qui aplatit d'un seul coup le tube de la mayonnaise punk. Le bouchon gicle avec. Pas jaune fluo la mayo, couleur noir-rentre-dedans il n'y a plus d'espoir. Les trouducs ont la crotte charbonneuse, et chardonneuse, car si vous y goûtez – et vous n'y manquez pas, inutile de prendre cet air dégoûté - elle pique à la langue et vous démantibule le palais buccal mais aussi ducal car ils professent une idéologie peu favorable aux puissances autoritaires, sont du côté des Révoltés du bloc 9, et vous enferment dans Le mitard pour que vous touchiez un peu aux sombres réalités de la vie. Pas mal de reprises entre Trust et OTH, se permettent même quelques titres qui leur sont propres, ou plutôt sales comme notre quotidien. Il y a surtout ce son implacable, ce mur de parpaings soniques celui dont on fait les zonzons carcérales et morales, qui vous agresse, vous encercle, vous entoure, vous prend à la gorge, à la geôle, les trouducs vous pètent le son du canon à la figure.

Pour vous réveiller. Basse, rythmique, lead, ils ont le moyen de vous faire prendre conscience, d'autant plus que el cantaor aime ceindre sa zitare gratifiée d'un horrible sourire aux crocs menaçants, il la délaisse parfois pour un harmo dont il tire des sonorités aussi tranchantes qu'un larsen, ou alors où vous le fait bruisser à la manière d'un tigre blanc du Bengale qui ronronne à la pensée que vous allez lui servir de petit déjeuner. Comme tout chanteur qui se respecte il chante, sans trémolo, sans chichi, une voix bassement timbrée, un peu monocorde pour vous pendre, rase bitume et rase brisure, à l'effet dévastateur. Genre rouleau compresseur imperturbable et sans état d'âme qui vous roule exprès sur les pieds pour vous obliger à ressentir que le malheur existe et que vous êtes un Citoyen du monde.

Donc deux guitares. Pour assurer le roulement de fond. Filochent rapide, à votre droite sous son bonnet Rico vous sculpte quelques acanthes sur le chapiteau des colonnes doriques, genre branches de cactus carnivore aux épines acérées pour transpercer les serpents du désert, elles ont la particularité de s'insinuer dans vos oreilles sous forme d'acouphéniques délices dont vous vous surprenez à guetter les suaves ruades.

Il y en a deux - guitare et basse – qui ne doivent pas travailler dans la pub. Des discrets. Des bosseurs. Des taiseux. N'ouvrent pas le lèvres, n'aboient pas haut et fort toutes les deux minutes, une attitude rare chez les punks, leur revendication et leur colère ( rentrée ) envers le système ce sont leurs doigts pattes d'épeires appliquées qui l'expriment. Ne chôment pas, arrachent le chaume des notes, une par une, brin par brin, avec une régularité exemplaire. Jamais fatigués, toujours satisfaits. Travailleurs de force et de précision. Produisent ce son continu de bourdon à la base de multiples musiques folkloriques, pendant ce temps-là les trois autres pourraient faire des claquettes ou parti voir leurs vieilles grand-mères, eux ils assurent la continuité du groupe sans débander.

Certains titres n'auraient même pas besoin de paroles, Corruption, Rien à foutre, Rage, ( ces deux derniers déclenchèrent une vague frénétique d'acquiescements relativement inquiétants quant à confiance accordée par notre saine jeunesse au nouveau gouvernement ), The True Dukes les assènent à la volée et les érigent comme des barricades à venir. Une musique puissante, épaisse comme les remparts de Carcassonne, déployée tel l'étendard noir des orages désirés.

RED TRUCK

De noir l'on passe au rouge. Des couleurs quelque part complémentaires. Le Dominique ne bouge même pas de son trône, l'est le batteur des deux groupes. Deux combos, non identiques. Déjà ce ne sont pas aficionados de philologie, ne se vantent pas d'avoir le Truc Raide. Ce serait mal venu. An moins pour l'élément féminin. Cela confirmait mes intuitions personnelles. Lorsque j'ai lu Red Truck, j'ai intuité un groupe de la mouvance rockabilly – souvent ils ont une chanteuse – avec peut-être une pointe de country bas-du-front à la Dave Dudley, mais non j'avais tout faux.

Donc je manque à tous mes devoirs de gentleman, honte à moi de ne pas sacrifier aux vieux usages sacrés de la galanterie française, j'aurais dû vous la présenter dès le premier paragraphe, mea culpa, mea culpissima, mais je n'y suis pour rien, c'est de la faute des trois autres, Michel qui durant l'inter-set s'amusait à des roulements échevelés sur ses sets, Vincent qui vous tortillait deux ou trois riffs prometteurs, et Jean-Claude avec sa basse Louis XVI privée de tête. Oui ces trois damoiseaux sont les seuls coupables.

On ne va pas se la jouer hypocrite à la contrition Me Too toute la soirée. Elle a y mis un peu du sien, je ne voudrais pas critiquer, mais elle restait là immobile devant le micro aussi imperturbable qu'un horse-guard devant Buckingham Palace, dont le devoir sacré est de garder la reine. L'on ne le savait pas encore, mais la Reine c'était elle. Faut dire qu'elle ne nous aidait pas à le deviner. Avec ses cheveux blonds coupés courts, son agréable rondeur, et son look de dactylo, elle trompait bien son monde.

Highway Tune pour commencer. Le tube des Greta Van Fleet si je ne m'abuse dans la cambuse. Le binz a surpris son monde. Ce serait-y que mon sontone me joue un tour ? Est-ce possible ? Qu'ouïs-je dans mes écoutilles ? Serais-je victime d'une de ces hallucinations auditives dont on prétend qu'elle arrivent quelques heures avant notre mort ? Ces questions chacun se les est posées en son fort intérieur, mais dès que Vincent a lancé les premières trilles de Fortunate song, ce fut la ruée vers l'or, du fond de la salle jusqu'à la scène. Jamais assisté un tel déplacement de population à la Comedia, et sans me vanter j'affirme que j'en ai vu des vertes et des pas mûres à la Comedia, c'est que notre dactylo Isa fait partie de ces Dactylos-Rock que dès 1961 chantaient Les Chaussette Noires '' Elles sont les plus parfaites, Elles chantent en tapant à tue-tête''. L'avait raison le père Eddy, il existe des voix qui tuent.

Quelle splendeur. L'a enchaîné plus de vingt-cinq titres, l'aurait continué... vous connaissez la chanson des horaires municipalistes... que des reprises mais l'on s'en moque, vingt-cinq pépites, totalement magnifiées par sa voix. Que du lourd, l'a enchaîné sur Brown Sugar, Hard to Handle, Move over, Foxy lady, vous laisse imaginer la suite du bataclan, ce n'est pas possible, on a dû lui greffer des cordes vocales en tungstène préalablement modifiées selon les paramètres des grandes chanteuses soul américaines, pas une fêlure, pas une baisse de tension, un souffle prodigieux, une maîtrise parfaite, elle a subjugué l'assistance.

Faut être juste. Derrière elle, ça remuait sec. Dominique méconnaissable autant il bétonnait avec les Trouducs, l'est sûr qu'il vaut mieux rendre certains orifices particulièrement étanches, là il a détonné. S'est transformé. Changement de style, break sur break, un propulseur d'énergie, l'est rentré en éruption, une pluie de roches en fusion. L'a envoyé valser la valse aux mille temps, aux mille tambourinades, l'a balancé la drache rimbaldienne sans faillir.

Vincent a extirpé des ah! de satisfaction aux gosiers extasiés du public, Isa monopolise l'attention certes, mais il a eu de ces licks éberluants qui vous embrasent le périnée. Un artiste, corde raide, courant les yeux bandés sur un abîme de trente mètres, et cette habileté à se raccrocher au fil le plus fin sans utiliser les grosses ficelles facilitatrices, qui cisaillent les nœuds au lieu de les résoudre. L'est méchamment aidé par Jean-Claude, un jeu plus subtil, plus réfléchi, plus intellect, mais tout aussi efficace. Poursuit le lièvre de la lead, tient le galop à la même hauteur, mais en même temps il se ménage une deuxième sortie au terrier collectif, car il aime brouter son propre carré de luzerne à sa guise, car chez soi l'herbe est quelques fois plus verte et il vous moissonne du fourrage au serpolet d'une rare qualité.

Un Really got me comme vous ne l'avez jamais possédé, suivi d'une monstruosité qui fut peut-être le point culminant du concert, le Heartbreaker de Pat Benatar qui doit être une sacrée référence pour notre diva. La fin du concert je ne devrais pas en parler, cette reprise en chœur de Born To Be Wild et cette dilection cataractique de la foule qui hulule sur Sympathy for the devil, c'est en ces instants d'amour suprême que l'on regrette qu'il n'y ait pas eu un Tacite ou un Virgile pour fixer en une prose d'airain ou enune strophe de bronze la beauté de ces instants inoubliables.

Jeunes gens, si vous tapez du stop et qu'un camion rouge s'arrête devant vous, c'est la portière du paradis que vous ouvrez.

Damie Chad.

 

NASTY NEST

( M'COCO ENTERTAINMENT )

( COMPIL COMEDIA )

 

D'abord l'objet. Pochette carton fort et mat. Dessinée par Martin Peronard, un fou absolu incapable de voir une surface plane sans la recouvrir d'immondes sarabandes proto-cosmico-terrestres. La façade de la Comedia est devenue un lieu de passage obligatoire pour les cars de certaines agences touristiques qui tiennent à procurer des émotions fortes à leurs clients. Même que certains se risquent à pénétrer à leurs périls dans le local sulfureux.

Tous les nids ne sont pas douillets, Nasty Nest nous le rappelle : la nuit est hantée de rapaces nocturnes qui veillent à l'éclosion des œufs maudits d'où sortent ces animaux étranges et criards qui grouillent autant dans les poèmes de Jim Morrison, enfonceur de portes ouvertes sur des mondes obscurs, que dans les zones interlopes de l'espèce humaine sinistrée, qui peut-être ne devra sa survie qu'à ces êtres mutants issus de cauchemars les plus noirs et des rêves les plus insensés.

Déchirez le film plastique, cela ressemble à un livret, pratiquement les dimensions d'un vingt-cinq centimètres, mais non c'est une affiche qui occupera tout un pan de mur de votre chambre, une présentation des treize groupes, avec le texte du morceau de la compilation. Treize groupes, quatorze morceaux. Sur vinyle, 180 grammes au doigt mouillé, et pour ceux qui n'ont plus de platine à aiguille sillonnante, la version CD est offerte. En prime un badge Arriba la section comedista, idéal pour vous faire remarquer, arrêter et torturer par la police par les temps mauvais et approximatifs qui se profilent à l'horizon.

Nasty Nest est un projet collectif. Vous n'avez qu'à lire les listes des remerciements pour vous en rendre compte. Notamment celle des groupes qui ont joué à la Comedia, de Montreuil, de la région parisienne, de France, d'Europe, de Russie, d'Amérique, peut-être même des mondes sur-lunaires parce que certains étaient vraiment bizarres... les kr'tnt-readers pourront se vanter d'en connaître quelques uns parmi les deux cents ( chiffre minimal ) répertoriés. Qui a dit que le rock était mort ?

Pour les naïfs à l'esprit ouvert, avant qu'ils ne se précipitent pour se procurer cet opus maximus, rappelons que toute chose possède son défaut, et celui-ci est un peu marqué, non ce ne sont pas des traces malencontreuses de doigts sales, mais comment dire, les groupes de la Comedia, ils sont variés certes et de qualité, mais ils se réclament tous d'une certaine radicalité musicale, plutôt rock, souvent punk, sont des adeptes du Do It Yourself, ne sont pas trop amis avec le système commercial, beaucoup le honnissent et y pensent mal, les autres s'en détournent, sont en marge, underground, underwood, underdog, undertoutcequevousvoulez...

Comment le choix s'est-il opéré, d'abord ceux qui ont accepté la proposition, elle a été adressée à quelques formations qui ont joué cette dernière année à la Comedia. Le confinement a quelque peu retardé la réalisation de cette toxique galette, mais la voici, vous pouvez la grignoter à votre guise !

Toutefois pour mieux entendre, retirez le masque de vos oreilles. De votre cerveau aussi.

FACE A : est-ce l'A primal d'Anarchie ? Nous ne répondrons à cette question qu'en présence de notre avo-cat : THE DEAD RITONS : Pour la gloire : surprise, vous vous attendiez à une diarrhée vomiïque électrique et vlan l'on vous envoie un accordéon en pleine figure, pas celui de la fête à Neuneu, celui du bal des apaches au surin chatouilleur, tout de même ces punks ne respectent rien, même pas les règles du punk homologué selon les critères des services de renseignement. En plus vous comprenez ce qu'ils racontent, oui les textes sont en français, comme dans les disques Formidable R 'N' B avec une face rapide et une face lente, ben là tout un côté est en langue française et les sept titres de la face B en yoglourt britannique. Vous n'aurez même pas l'excuse de prétendre que vous n'avez pas compris. Ce titre est une reprise de Camera Silens. Un des tout premier groupes punk français. Si vous désirez en savoir plus, vient de paraître leur autobio signée par Patrick Scarzello au Castor Astral, mais peut-être avez-vous eu vent de Gilles Bertin bassiste et chanteur, économiste distingué qui avait décidé de faire rendre aux banques l'argent qu'elles nous volent, l'affaire a mal tourné, vingt-huit ans d'exil relaté dans Trente ans de cavale, ma vie de punk. Hymne aux branleurs qui feront exploser ce vieux monde, la gloire de tous, entendez ce mot en tant que geste de révolte et zeste beauté, surtout pas une rengaine en l'honneur d'un homme providentiel ! PRINCE ALBERT : Désinvolte : ( voir in kr'tnt : 424, 432 ), Un peu plus électrique, le portrait de l'individu normal, celui qui ne croit plus en l'évangile du travail et aux exigences d'une vie triste et monotone, l'est sur les routes de bar en bar, de plaisir en plaisir, se laisse vivre par la vie toute simple. Une espèce de pseudo-country dylanesque à la sauce frenchie. MONSIEUR SAMOU : 49.3 : vous avez eu l'art de vivre à la cool, à la coule toutes les mauvaises habitudes, voici les soubassements idéologiques de telles existences, musique sectionnante et appuyée, ne plus croire au masque de la démocratie, soyons autonome, soyons anarchiste, soyons libertaire, un morceau qui n'enfouit pas son mouchoir dans sa poche, qui brandit l'étamine noire, qui refuse d'être dupe des belles idées théoriques qui ne sont que des camisoles de force. CAUSA NOSTRA : Section M : ( voir in kr'tnt : 421 ) nos cinq lascars en rajoutent une couche, à fond les ballons, l'hymne de guerre des marmoulins qui ne se laissent pas faire, qui se serrent les coudes, qui vivent en marge de la société policée, faut entrer dans le lard des difficultés et trancher net, Stirner parlerait des bienfaits de l'association, sont au plus près des situations, quand on vous attaque faut savoir se défendre. Et gagner. COMMECONTENT : Normandie : petite leçon d'histoire, le débarquement de Normandie, vous connaissez, passons rapidement sur les dommages collatéraux, nos ricains ont réussi à renverser les nazis et à libérer l'Europe. Tout est bien, la population a juste changé de maître, les profits sont rois, tout le monde s'en fout tant que les mac-do sont ouverts, tout va bien. Voix colérique et musique qui fonce comme une panzer-division. BRANLEBAS2COMBAT : Retour d'enfer : ne resterait-il donc plus d'idéaux en notre société ? Si un, l'amour de la bière, les punks trépassés et assoiffés se la jouent zombies de la mort, apocalyptique retour musical, une véritable chanson houblonnée de pirates. LES CRITTERS : Rien à foutre : ( voir in kr'tnt : 420, 426, 433 ) : dégringolades de guitares et de batteries drôlement bien foutues, il est des moments où il vaut mieux ne pas discuter, incursion dans le solipsisme du nihilisme. FACE B : est-ce le Béta de la Bêtise humaine ? Nous ne répondrons à cette question qu'en présence de notre psychanalyste : GLORIY JIZZY : Tinder march : ( voir in kr'tnt : 409 ) : les paroles sont en anglais, mais elles parlent d'amour, ne vous laissez pas prendre à la fluidité de cette belle et violente musique qui risque de vous emporter plus loin que vos rêves dans le néant des relations humaines. Rien ne dure, tout se fissure, tout se claquemure en la masure des égoïsmes, l'être humain est nocif même dans ses intimités externalisées. WEIDR BRAINZ : Kicked out : ( voir in kr'tnt : 433 ) : pêche rock, Weird Brainz dégomme, vous conte sur un rythme d'enfer la solitude de l'être humain, qui attend, qui erre, qui ne sait pas, qui ne sait plus, c'est peut-être cela le rock'n'roll, s'enfoncer jusqu'au bout de soi-même. Ne jamais oublier les racines bluesy. RAW DOG : Julia : ( voir in kr'tnt : 402 ) : le texte qui fait mal, au cul et à l'âme, il est des moments à force de se vendre aux autres l'on ne sait si l'on est homme ou femme, musique super bien balancée, voix à l'arme blanche. Raw Dog nous avait impressionné sur scène, sur disque c'est la dégelée qui déglingue, une montée irréversible vers la perte de soi-même. THE REVEREND POWELL ORCHESTRA : At first sight : tiens une belle histoire d'amour, incroyable mais vrai, cela existerait-il donc, en tout cas les RPO, nous content la chose à une vitesse folle, à croire qu'elle est passée comme un rêve. Vu l'énervement général, z'en sont ressortis speedés pour la vie. PEACEFUL RIOT : Political apathy : un titre en colère qui décharge sa hargne et sa haine sur les mollusques qui nous servent de contemporains. Z'ont raison, il faut de temps en temps frapper fort dans les ventres-mous, cela ne fait peut-être pas progresser le schmillblick mais cela vous réconforte et les Peacefull Riot savent manier la volée de bois vert. LILIX & DIDI : Dumb : ( voir in kr'tnt : 424 ) : c'est fou ce qu'elles ont grandi en une année, c'est qu'aux âmes bien rock, l'esprit ne saurait manquer, ne pas confondre la parité démocratique avec les grrils en colère. La nouvelle génération ne se laisse pas faire, porte un regard critique sur la stupidité des idées et des attitudes toutes faites. THE DEAD RITONS : Jah war : le reggae à l'accordéon, ce n'est pas mal du tout, surtout si comme ici le vocal est à la hauteur des coups de semonce du piano du pauvre, la guerre je veux bien, mais perso Jah il est longtemps qu'on l'a tué et il est hors de question qu'il ressuscite.

Chassez le naturel il revient au galop : de l'ordre naît le désordre, principe évident : la preuve, un titre en français s'est glissé dans la face B, ce sont les Raw Dogs, on leur pardonne parce qu'ils aboient fort chaudement.

Une anthologie exemplaire.

Damie Chad.

 

THE VAGRANTS

 

Vous croyiez que vous en aviez fini avec Mountain, funeste erreur, il reste encore des épisodes à venir. Nous vous en distillerons à la rentrée de temps en temps quelques uns – si par hasard nous avions droit à un deuxième confinement nous reprendrons l'hebdomadaire overdose suicidaire du premier - en tout cas une petite piqûre de rappel pour l'été ne saurait faire de mal à personne, vous avez de la chance ce coup-ci, nous nous situons au début de l'histoire – n'ayez crainte une autre fois nous vous conterons la préhistoire - dans les pré-alpes pour employer un terme de géographe. Nous sommes en 1965, et le jeune Leslie West officie déjà à la guitare dans un tout jeune groupe nommé The Vagrants.

Le groupe ne doit pas être si mauvais que cela puisque la même année il enregistre un premier quarante cinq tours, chez Southern Sound. Pour la petite histoire, le premier disque paru chez Southern Sound en 1961 est de Chase Webster, il s'agit de Moody River en qui les fans de rock français reconnaîtront le Maudite Rivière de Johnny Hallyday qui entre parenthèses la chante avec plus d'aplomb. Les amateurs de pochettes ne manqueront pas de comparer la couve du 33 tours Chase Webster sings Country And Western avec celle du super 45 tours de Dick Rivers : Laisse parler ton cœur de septembre 1963, suivi de Mais oui baby, le Maybe baby de Buddy Holly , et de Mes ennuis, le Misery des Beatles de janvier 1963, mais le Dick il a rajouté un cheval ce qui fait tout de suite davantage western. Ces précisions pour signifier qu'en ces débuts le rock français regardait du bon côté mais que le public dans sa grande majorité ne savait pas lire – souvent par faute d'informations - les signes qu'on lui tendait.

 

THE VAGRANTS : Larry West : basse et vocal / Roger Mansour : drums / Leslie West : guitar et vocal / Jerry Torch : orgue et vocal / Robert Sabatino : vocal, percussion.

1965

Oh those eyes : oubliez Mountain ! Nous sommes encore dans l'insipide queue de la comète rock des années cinquante, ce rock abâtardi et aseptisé pour jeunes puceaux blancs qu'il convient de préserver des promiscuités négrophiles. Un balancement un tantinet jazz sauve le morceau de son insignifiance, l'empêche de mourir de sa propre inanition, une voix mièvre et mielleuse d'adolescent acnéique, le tout bien mis en place... You're too young : le côté slow du single, déjà que le côté rythmé n'était pas un chef-d'œuvre...

1966

I can't make a friend : ils ont écouté les Beatles et cela s'entend, rajoutez un petit côté pré-psyché, une véritable coupure épistémologique, ne sont pas encore dans le wagon de tête mais ils sont montés dans le bon train. Y a-t-il vraiment une terrible différence avec les deux crêpes flasquouillettes précédentes, qualitativement oui mais point quantitativement, à la base ce sont les mêmes ingrédients mais revisités par une simple transfusion sanguine qui a déclenché une mutation génétique. Young blues : un harmonica à la Love me do, chantent un peu en chœur mais sans véritables harmonies vocales, bref il manque l'allant de Lennon pour fuser le morceau.

Le single a été réalisé sous la houlette de Trade Martin, multi-instrumentiste, compositeur, et producteur. Il a travaillé avec ce que nous nommons aujourd'hui de célèbres inconnus mais il a aussi apporté sa contribution sur des galettes persillées de Solomon Burke, Dusty Springfield, BB King et Dave Edmunds...

Deuxième production de Trade Martin, les deux morceaux sont signés de Bert Sommer. Retenons bien ce nom.

The final hour : une belle confiture de celle dont raffolent les cochons, intro à l'orgue et l'on déroule l'alphabet dans l'ordre, entre Beatles et Byrds pour les harmonies, mais le meilleur est tout à la fin, ces couinements de guitares qui ressemblent à des appels au secours d'un caneton en train de boire la tasse. Jusqu'à lors Leslie suivait le mouvement... Your hasty heart : régression vers le slow de l'été, c'est mignon, c'est bien fait, c'est beau l'amour éternel des adolescents, n'y aurait-il pas quelque chose de plus précipité en magasin, vous savez ces arpèges organiques en rangées d'asperges c'est un peu flippant. Bonjour les râteaux !

Un détail de poids, ces deux simples ont été produits chez Vanguard qui plus tard signera Mountain...

1967

Ils ont changé de crèmerie. Ce qui est marrant c'est que si le disque est cent pour cent rhythm 'n' blues, David Brigati et Larry Vernieri qui produisent la session sont des anciens des années cinquante, ils ont été membres de Joey Dee and the Starlighters qui créèrent Pepermint Twist et Roly Poly, les admirateurs de Vince Taylor et des Chaussettes Noires connaissent... Jimi Hendrix a même joué de la guitare chez les Starlighters.

Respect : l'année est l'apogée de la révolution Stax, bye-bye les jolies ambiances post-Dion et les Belmonts, un orgue encore un peu trop gentillet, mais l'avion prend de l'altitude, le vocal se négrifie, plus près de Wilson Pickett que d'Otis Redding, c'est vers la fin du morceau que le groupe tient le bon bout de la queue du chat, ne reste plus qu'à la hacher menu, mais l'on arrête les frais trop vite. I love, love you ( Yes I do) : attention c'est la face A, ça s'entend et ça se mérite, même l'orgue commence à ressembler à celui de Booker T, rajoutez des chœurs qui battent la chamade et des semblants de cuivres qui jerkent, revers de la médaille : peu original, mais copie conforme de qualité.

L'on a un peu l'impression que les Vagrants courent après la nouvelle musique, sans trop savoir où elle se niche, ils sont sortis de la cave prison white-teen-rock démodé et cavalent sur les sentiers du rhythm 'n' blues à la mode, ils étaient pour les trois premiers simples carrément à la traîne et pour celui-ci en plein dans la dernière donne américaine, en progrès mais pendant ce temps-là en Angleterre...

Shadow Morton préside la séance du single suivant. Hasard, circonstance, simple logique n'a-t-il pas produit les Mar-keys, l'orchestre tout-terrain des écuries Stax – Last Night fut longtemps l'indicatif de Salut Les Copains – mais aussi les Shangri-Las groupe féminin early-mid sixtie, mais aussi Iron Butterfly, Vanila Fudge, Moot the Hople, et les New York Dolls, une parabole parfaite de l'histoire du rock'n'roll, que son chemin ait croisé les Vagrants entre en résonance avec la future mue du groupe qui deviendra Mountain.

And when it's over : c'est joli, normal c'est du Bert Sommer, mais il y a du nouveau quant au niveau, parmi ces belles harmonies c'est la guitare de Leslie, elle éclate dès l'intro, l'on n'écoute qu'elle, même si les arrangements essaient de la cacher par la suite, c'est elle qui tient le morceau comme la corde soutient le pendu, Leslie nous fait le coup du cygne noir dont l'œuf a été couvé par une tribu de rossignols. I don't need your loving : le morceau est signé par Jerry Torch, l'organiste, s'est servi en premier, son chant du cygne à lui, tout pour se mettre en valeur, n''est pas mauvais, l'est même indispensable puisque Leslie est en retrait, ce n'est pas pour rien que Mountain possèdera aussi un organiste, pensons aux Animals et aux Doors, juste un problème, Jerry maintenait malgré son talent et de remarquables progrès en deux années, les Vagrants dans l'ornière de la pop.

L'histoire s'accélère. Un nouveau venu croise le chemin des Vagrants. Il a été pressenti pour produire un album des Vagrants. Vient d'Angleterre où il a officié auprès de Cream, quelle meilleure carte de visite aurait pu présenter l'homme pour intéresser Leslie qui se jugeait ( à raison ) un peu ( énormément ) à l'étroit dans les Vagrants.

A sunny summer rain : Felix Papallardi ne touche à rien, il transforme tout. Ne se fâche même pas contre Bert Sommer, se contente de cosigner le morceau avec lui, un peu pop certes, mais voici que les Vagrants sonnent aussi splendidement que Cream. Imaginez que Picasso attrape un de vos lamentables dessins et qu'en trois coups de crayons il le transforme en un chef d'œuvre... Beside the sea : encore un morceau signé Bert et Felix, mais aussi Gail Collins, la constellation Mountain est en formation, à tel point que Leslie West reprendra le titre sur son premier disque intitulé Mountain... et que le groupe Mountain le jouera à Woodstock, un vocal à la Turtles mais la guitare de Leslie assène le riff et dépiaute le solo fort joliment. Lorsque le titre est achevé, les conclusions se tirent d'elles-mêmes, comme un hiatus dans le groupe, il y en a un qui est en trop, à moins que ce ne soient les autres qui ne soient pas à leurs places.

My babe : un instrumental, peu convaincant, le vieux morceau de Willie Dixon – mais à qui l'a-t-il emprunté ? – les versions de Buddy Holly et des Rolling Stones restent des pierres votives de tout cheminement rock – est ici traité à la Memphis sound, pas de cuivre, l'orgue remplace la fanfare, tambourinade drummique et le reste suit l'attelage. Ecoute dispensable. Vous trouvez ce morceau et le suivant sur : Mountain : First steps : Making of a Mountain 2009 Voiceprint

LIVE !

Les témoignages les plus authentiques peuvent induire en erreur. En horreur. Que déduire des morceaux précédemment écoutés ? Que les Vagrants n'étaient pas géniaux, même si l'on remarque qu'un titre comme I can't make a friend figure sur plusieurs compilations garage qui ont suivi la mode Nuggets, mais qu'heureusement Pappalardi est arrivé à la manière de Zorro pour sauver le pauvre Leslie attachés sur les rails de la médiocrité par ses quatre camarades. Il est une autre façon de lire l'histoire. Ce groupe sans imagination, propre sur lui, tel qu'on le retrouve par exemple sur Vagrants I can't make a friend 1965 – 1969 Lights in the Attics, 2011, ou sur Vagrants The great lost album, Arista, 1987, ne correspond pas tout à fait à ce que prétendent révéler ses enregistrements.

Le groupe avait une autre spécificité. Sur scène il sonnait totalement différemment. Les Vagrants étaient surtout prisés pour leurs morceaux longs, il nous reste une bande de douze minutes, de 1966, enregistré à Action House in New York, c'est en ce même parc de Long Island que Leslie vit Cream sur scène pour la première fois, peut-être cette soirée lui permit-elle d'établir un premier contact avec Pappalardi... Un titre que bien plus tard les fans retrouveront sur l'album Avalanche de 1974, Satisfaction des Pierres qui roulent, certes nos Vagrants n'ont pas la maturité ni l'épaisseur du son des Stones, sans doute n'était-ce pas ce qu'ils recherchaient, privilégiaient avant tout une espèce d'hypnose sonore semi-improvisative déjà psychédélique. L'on comprend mieux pourquoi Shadow Morton qui produisit Iron Butterfly et Vanila-Fudge s'est intéressé à nos Vagabonds. Si dans les premières minutes l'orgue de Jerry Torch flamboie, si son vocal ne se risque surtout pas à singer Jagger parvenant ainsi à ne pas être détestable, cette longue mouture repose sur la rythmique, ce qui permet d'apprécier le jeu rentre-dedans de la basse de Larry Weinstein. Voici la guitare de son frère Leslie, elle s'en vient d'abord modestement en contrefort, puis prend de plus en plus d'importance à tel point que le reste du groupe semble faire de la figuration. Malgré sa grosse figure d'adolescent sage, Leslie est déjà lui-même, en gestation avancée. Maître de guitare rock. La rage noire qui couve sous les braises rougeoyantes de l'orgue.

The Vagrants attirèrent l'attention, ils eurent l'audience d'un groupe local, mais à l'échelle américaine, désolé pour notre fierté nationale de petits frenchies infatués de notre universalité culturelle mais question notoriété rock vaut mieux être célèbre à Long Island qu'à Cherbourg !

Damie Chad.

BLUES AGAIN !

Le Blues dans tous ses états !

 

Me souviens de ma joie d'avoir découvert voici un lot pourri d'années une nouvelle revue à la devanture d'un point presse. Blues again ! Une belle petite revue qui finit par mettre la clef sous la porte. N'était pas sectaire, elle ne se contentait pas pourtant de tourner en rond dans la boue du Delta. L'était ouverte, n'était pas fermée au rock'n'roll. Des amateurs éclairés. Présentait un gros défaut pour une revue bleue, les comptes virèrent au rouge... C'était chaud, fallut arrêter les frais. Lecteurs qui ne l'avez jamais achetée il est inutile de vous lamenter et de verser de fausses larmes de crocodile empaillé.

Blues again ! N'est pas morte ! Inutile d'invoquer Baron Samedi afin de le remercier. Aucune magie bleue dans sa survie. Elle a émigré sous des climats favorables, au pays où le papier, les timbres et la distribution sont gratuits. Sur le net. Suffit de cliquer dessus, l'accès est libre et vous pouvez consulter toutes les livraisons, jusqu'en janvier 2011. Des bienfaiteurs de l'humanité.

La livraison de cet été – juillet-août 2020 – vient de sortir. A peine l'image se stabilise-t-elle que votre œil est happé par une vignette format timbre-poste, diantre Iggy Pop, quand je vous dis qu'ils ne sont pas sectaires, c'est la rubrique Nouveauté CD, Marc Jansen chronique les rééditions de The Idiot, et de Lust for life. L'est sûr que le capitalisme vous revendra en version améliorée les disques qui ne vous avaient pas plongé dans une extase délirante lorsque vous les aviez achetés lors de leur sortie originale. Power si vous voulez, mais pas Raw.

Juste au-dessus une signature s'impose, Julien Deléglise, cet homme ne peut pas être totalement mauvais puisqu'il a rédigé la biographie des Variations parue chez Camion Blanc, et là paf, encore une fois il tire droit au but la réédition de Hellhammer, groupe suisse, un des fondateurs du metal extrême...

J'en devine qui s'arrachent les poils du pubis qu'ils n'ont plus depuis longtemps, et le blues, le vrai blues, où est-il ? Pas d'affolement, juste à côté, Blind Lemon Jefferson, difficile de remonter plus loin, je le concède l'article n'est pas très long, mais il est signé par Christian Casoni, dans la lignée directe des portraits des premiers bluesmen qu'il avait fignolés pour Rock'n'Folk, ils ont été repris dans Juke paru en janvier de cette année chez Le mot et le reste, peut-être même est-ce la reprise d'une des pages du bouquin, mais je n'ai pas la force de chercher dans ma bibliothèque pour vérifier. Lorsque vous regardez la photo de Jefferson, avec ses joues rondes et ses lunettes de premier empoté de la classe, z'avez l'impression que Buddy Holly était un figurant de la série Sons of Anarchy, et le Casoni nous sert une belle cassonade parfumée au citron qu'il presse de toutes ses forces. L'aurait pu sous-titrer son article : j'ai rencontré un bluesman heureux, BLJ n'a pas connu la vie fastueuse des rock stars, mais fut auréolé d'estime et de gloire ( pâle ) de son vivant. Savait jouer de la guitare et ses enregistrements ont servi d'étalon pour tous ceux qui ont suivi. L'a défriché le blues ou ce qui allait devenir le blues, à sa manière, en toute liberté. Plus qu'un père, le géniteur de toute une descendance. Et sans doute en avait-il conscience...

Deux interviews découvertes : Junkyard Crew un trio à deux, se partagent la batterie l'un joue du sousaphone, espèce de gros tuba, l'autre chante et se charge de la guitare. Entre musique expérimentale et bricolage musical, le genre de curiosité qui captive l'attention. Le second groupe se nomme Maine in Habana, est basé à Montpellier et se définit en tant que Folk Psychédélique, je vous laisse découvrir...

Nous terminerons par un long article sur les débuts de King Crimson. Un beau papier qui couvre les premières années du groupe, les cinq premiers disques, mais Julien Deléglise aurait bien continué, nous refile fissa un maximum d'info sur la deuxième période du groupe. Le groupe prog par excellence. Perso j'ai toujours trouvé beaucoup plus d'authenticité aventureuse chez le Roi Pourpre que Pink Floyd, Yes, Emerson... Faudrait tout de même que l'on m'explique pourquoi le purpural souverain après avoir enfermé ses premières galettes dans de magnifiques pochettes parmi les plus réussies des seventies, s'est adonné par la suite à une esthétique spartiate du pauvre pour le restant de ses couves.

Tout cela pour vous enjoindre à folâtrer quelque peu sur le site de Blues again ! Pour les gros lecteurs dévorateurs de pâte à papier encrée, vous avez une vingtaine de chros de bouquins sur les musiques que l'on aime...

Damie Chad.

 

01/07/2020

KR'TNT ! 471 : EDDIE PILLER / MOSE ALISON / ALVIN GIBBS / THE PESTICIDES / THE JUKERS / ROCKABILLY GENERATION / MIKE NEFF & THE NEW AMERICAN RAMBLERS / POGO CAR CRASH CONTROL / SUICIDE COLLECTIF

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 471

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR'TNT KR'TNT

02 / 07 / 20

 

EDDIE PILLER / MOSE ALLISON / ALVIN GIBBS

THE PESTICIDES / THE JUKERS

ROCKABILLY GENERATION 14

MIKE NEFF & THE NEW AMERICAN RAMBLERS

POGO CAR CRASH CONTROL / SUICIDE COLLECTIF

TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Piller tombe pile

 

Trèèèèèèèèèèès belle compile que ce Soul On The Corner concoctée par deux vieux Mods anglais, Martin Freeman et Eddie Piller. Rappelons qu’Eddie le pillier dirige un label mythique nommé Acid Jazz. Puisque c’est un double album, ils ont chacun leur galette. On voit très vite qu’Eddie Piller préfère le smooth au pas smooth, alors que Martin Freeman va plus sur le pas smooth, mais il ne va quand même pas jusqu’au raw, n’exagérons pas. Ils veillent tous les deux à rester dans les clous d’une Soul on the Corner, celle dont parle si bien Piller dans ses commentaires, la Soul des clubs tard dans la nuit. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard s’il ouvre son petit bal de round midnite avec Bobby Womack et «How Could You Break My Heart», tiré de l’album Roads Of Life. Bobby y dégouline de classe, nous dit Eddie. Bobby tartine une fantastique ambiance de groove souverain, comme il l’a fait toute sa vie et passe même sur le pouce un solo final de Womack guitah. Eddie y va fort, puisqu’il enchaîne avec un autre monstre sacré, Willie Hutch et «Lucky To Be Loved By You», tiré de son premier album, Soul Portrait, paru en 1969. Eddie ne comprend toujours pas pourquoi Willie n’est pas devenu une superstar. Ça le dépasse complètement. Les bras lui en tombent. Il n’est pas le seul à qui ça arrive. Quand on écoute Soul Portrait, on tombe automatiquement de sa chaise. Alors oui, pourquoi Willie Hutch n’est-il pas devenu une superstar ? L’attaque de Loved By You vaut toutes celles des Supremes et même celles du grand Smokey. Willie nous fait le coup de la Soul des jours heureux. C’est un véritable chef-d’œuvre de good time music. Le message d’Eddie est clair : écoutez Willie ! Et ça continue avec l’extrême délicatesse de la sweet Soul de Tommy McGee, avec «Now That I Have You». C’est d’un raffiné ! On se délecte à l’écoute de cette perle noire posée dans l’écrin des falaises de marbre du lagon d’argent. Autant parler de magie de la Soul, ça ira plus vite. Puis Eddie va essayer de nous refourguer ses découvertes de label boss, du style Laville avec «Thirty One», un mec qu’il a découvert par hasard dans la rue et qu’il a signé sur Acid Jazz. Eddie privilégie le soft groove, celui qui coule comme de la crème anglaise bien tiède sur le banana split. Ce que vient d’ailleurs confirmer le «Love Music» de Sergio Mendes & Brazil 77. Comme tous les DJs, Eddie est une véritable caverne d’Ali Baba à deux pattes. Si on commence à l’écouter, on y passe la nuit. Il nous sort des trucs inconnus au bataillon comme Pajoma, puis un certain Goodie dont il ne nous viendrait jamais l’idée d’acheter l’album, au seul vu de la pochette. Ce fin limier d’Eddie nous sort même une Française, Patsy Gallant, qui chante une espèce de petite Soul moderniste. Les compiles servent à ça, mais en même temps, il faut avoir du temps et surtout une mémoire d’éléphant, pour emmagasiner toutes ces infos. Nouvelle découverte avec Arnold Blair et «Finally Made It Home». Eddie ne sait pas si Arnold est un homme ou une femme. C’est vrai qu’on se pose aussi la question. Arnold chante au smooth de classe humide, et pendant qu’on salive à l’écoute de cette merveille, Eddie le renard nous annonce qu’il y a more to come. Apparemment, il va sortir des trucs d’Arnold sur Acid Jazz. Sans doute rééditera-t-il l’exploit de Leroy Huston, dont l’intégrale est reparue sur Acid Jazz. En attendant, nous voilà avec un nouveau chanteur de rêve sur les bras, Arnold Blair chante à l’angle du biseau d’ange de miséricorde, un peu à la façon de Leroy Huston, justement. Cette manie du smooth conduira Eddie en enfer ! Et puis voilà une autre surprise de taille : The Reverend T.L. Barnett & The Youth For Christ Choir et «Like A Ship (Without A Sail)». Aux yeux d’Eddie, il n’existe que trois formes de spiritual music genius : Rastafarianism & Spirtual jazz, but especially gospel. True wall of Soulful Soul. Si on aime le real deal du gospel, on est servi. Il termine sa galette avec un autre roi du smotth, Jerry Butler qui fit partie des early Impressions, l’un des groupes qui a vraiment su marquer son époque au fer rouge.

Martin Freeman démarre sa galette avec l’inexorable Barbara Aklin et «A Raggedy Ride». Vintage 68 Soul avec un twist of something, nous dit Freeman la bouche en cœur. Sacré shoot de Barbara ! Elle shake ses envolées belles avec la niaque d’une vraie jerkeuse. Nouveau message : écoutez Barbara Aklin. C’est l’une des Soul Sisters de base. Freeman rend ensuite hommage à Georgie Fame avec un «Daylight» signé Bobby Womack. En bon DJ, Freeman sait que Georgie remplit any dancefloor, garanteed. C’est vrai qu’il ne faut pas prendre Georgie pour une brêle. La version de «Parchman Farm» qu’on trouve sur Mods Classics 1964-1966 est un passage obligé. Puis Freeman tire «Fan The Fire» du premier album d’Earth Wind & Fire et il s’exclame la main sur le cœur : «Good Lord, they were so good !». Il a raison, les premiers albums d’Earth Wind & Fire valent tout l’or du monde, si l’on peut dire. Et comme son copain Eddie, Freeman propose des choses moins intéressantes avant de revenir en force en B avec Donny Hathaway et «Voices Inside (Everything is Everything)». Là c’est facile, car Donny est imbattable. Et Freeman en rajoute une couche en déclarant qu’il est one of the best. Il recommande bien sûr le premier album sur ATCO, Everything Is Everything - Let’s get down now - Donny est avec Marvin l’un des rois du groove urbain, un groove gorgé de blackitude sensuelle. Freeman enchaîne avec Syreeta et «I’m Going Left». Elle sonne comme les Supremes, c’est presque un compliment. On le sait, Syreeta chante avec tout le petit chien de sa chienne et elle tient la dragée haute à G.C. Cameron sur un très bel album, Rich Love Poor Love. Il faut aussi aller l’écouter sur Mowest. Elle est sans doute l’une des dernières à brandir le flambeau du Motown Sound. Puis Curtis Mayfield sort son plus beau smooth pour «Love To Keep You In Mind». Freeman dit que d’écouter Curtis, ça le fait chialer. Il n’est pas le seul. C’est vrai que Curtis semble avoir inventé la délicatesse, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Freeman tente ensuite de nous refourguer Tower Of Power, mais bizarrement, ça ne marche pas. Ça ne marche jamais. Chaque fois que Tower Of Power apparaît sur une compile, c’est le bide assuré. Trop middle of the road ? Allez savoir ! Ceci dit, le principal c’est que ça plaise à Freeman. Nous on est là pour écouter, pas pour la ramener. Freeman tape ensuite dans la crème de la crème avec le Brook de Cotillon. Eh oui, ce hit se trouve sur l’excellent Story Teller de Brook Benton enregistré au Criteria de Miami avec les Dixie Flyers et produit par Jim Dickinson et Arif Mardin. Autant parler d’un méga-big classic. Brook parle de ses chaussures qui, nous dit Freeman, le ramènent inexorablement chez son ex. Nouvelle rasade de Soul avec Tommie Young et «Hit & Run Lover». On a là la good time music des jours heureux, Tommie est une reine de la rue, une soul Sister du Texas. Et comme tout a une fin, voilà Betty Wright qui vient tout juste de casser sa pipe en bois. Freeman nous propose l’un de ses vieux hits, «The Babysitter» tiré de l’énorme Hard To Stop paru en 1973. Freeman nous dit qu’elle n’avait même pas 20 ans, mais son Babysitter tape en plein dans le mille. D’ailleurs, il suffit de voir la pochette de l’album : Betty y réincarne la reine de Saba.

Signé : Cazengler, Eddie Pinard

Martin Freeman And Eddie Piller Present Soul On The Corner. Acid Jazz 2019

 

Fingers in the Mose

 

Dans le docu que lui consacre Paul Bernays, Mose Allison est salué par des fameux compères : Pete Townshend, Van Morrison, Joel Dorn, Frank Black et la belle Bonnie (Raitt) qui va jusqu’à déclarer : «He’s the one who can sing the blues.» Townshend s’émerveille du fait que Mose soit né dans le delta et qu’il ne soit pas noir - He was born in the delta but... he wasn’t black ! - Oui, Mose Allison naquit à Tippo, Mississippi, et il raconte qu’il y avait du country blues partout autour de lui. Son père tenait la grosse épicerie - Tippo General Store, that my father built - Et puis voilà le fin du fin de ce qu’on appelle le Mod Jazz, «Parchman Farm» que Mose enregistra en 1957. Bernays nous laisse en compagnie Gerogie Fame qui en fit certainement la version la plus légendaire - In my nose came the Mose sound - Nous voilà au Flamingo, à Soho, avec une chain-gang song de forçats transformée en hymne de la scène Mod anglaise.

Mose Allison vient à la fois du blues et du jazz. Il réalise assez vite que pour vivre de sa musique, il doit aller s’installer à New York. Il y débarque en plein dans la bohème des early sixties - Jazz was very much part of it - Il accompagne Stan Getz et Jerry Mulligan. Un témoin black du docu dit de Mose qu’il est white but soulful, ce qui vaut pour un compliment. Peter Townshend est l’un de ses early fans. Le «Young Man Blues» qu’il joue avec les Who est l’un des grands classiques de Mose, et Townshend avoue que «My Generation» vient de ce tempo jazzy bien rythmé, d’ailleurs il le chante sur un tempo jazz. L’autre grand admirateur de Mose devant l’éternel n’est autre que Frank Black. Souvenez-vous d’«Allison» sur Bossanova. Eh, oui, c’est un hommage à Mose. Frank Black considère même Mose comme un dieu - I know he’s just a man, but you know, I’m not sure about that - Le gros laisse planer le mystère de sa conception - And when the planet hit the sun/ I saw the face of Allison.

Bon, on va se calmer un peu, car les disques du vieux Mose ne sont pas des plus accessibles. D’ailleurs Atlantic lui fit remarquer à une époque qu’il allait devoir faire un petit effort pour que ses disques se vendent. Le son de Mose est un son très piano-jazz-shuffle, très entre-deux eaux, ni trop ni pas assez, complètement inclassable, moderne et ancien à la fois, dynamique et classique en même temps. Ses albums sont encore plus austères que ceux du James Taylor Quartet qui bénéficie aussi d’une certaine aura chez les connaisseurs, comme d’ailleurs tous les disques Mod Jazz un peu pointus. Mais ça reste un truc de spécialistes. Très compliqué de les recommander. Il ne vaut mieux pas s’y risquer.

Par contre, le tribute à Mose Allsion qui vient de paraître est chaudement recommandé, car des ténors du barreau se bousculent au portillon. On doit cette initiative à Fat Possum, le petit label indépendant spécialisé dans le Southern raw blues. L’album s’appelle If You’re Going To The City. A Tribute To Mose Allison, et dans le digi se trouve en complément le docu de Paul Bernays, Mose Allsion: Ever Since I Stole The Blues. L’ensemble constitue ce qu’on appelle généralement une merveille et pour approcher un artiste aussi complet que Mose, rien n’est plus indiqué. C’est Richard Thompson qui se tape «Parchman Farm» - It’s a song about a difficult work - Le vieux Richard joue le shuffle légendaire du pénitencier sur sa guitare, mais il ne décoince pas. Il aurait dû laisser la place à Georgie Fame. C’est Chrissie Hynde qui va décoincer le truc avec «Stop This World». Elle prend les choses au groove de jazz, elle a tout compris. Elle plonge dans le rêve de Mose et caresse le mythe d’une main experte. L’autre invité de marque est Iggy qui prend «If You’re Going To The City» au heavy dumbbeat. Rien à voir avec Mose, mais Iggy l’aime bien, alors il rigole, hé hé hé, il groove un hip-hop à la con. N’empêche qu’il faut faire confiance à Iggy, il chante pour toi, hé hé hé, il devient l’Iggy que l’on sait, Iggy the terrific. Toute aussi terrific, voilà Bonnie Raitt, avec «Everybody’s Crying Mercy». Elle en fait une énormité, elle bouffe Mose tout cru au petit déjeuner, Bonnie est une bonne, ça tout le monde le sait. Elle éclate sa Soul de jazz au Sénégal avec sa copine de cheval, elle est atrocement bonne, c’est une joie de la trouver à la suite de Chrissie Hynde et d’Iggy.

Taj Mahal ouvre le bal avec «Your Mind Is On Vacation». Il fracasse le vieux boogie comme il fracassait jadis celui de Sleepy John Estes. Ça joue à la stand-up, donc on a le vrai truc, Taj does it right et redonne vie au vieux boogie de Mose. C’est le disque de rêve des temps modernes : Taj Mahal + Mose Allison + la stand-up. Que peut-on espérer de mieux ? Encore un invité de marque avec Frank Black et «Numbers On Paper». Le vieux Magic Band boy Eric Drew Feldman l’accompagne. Le gros placarde son Mose à la poterne du palais. C’est comme ça et pas autrement. On entend aussi la fille de Mose, Amy Allison, accompagnée de Costello, chanter «Monsters Of The ID» d’une voix de canard médusé. Mais dès que Costello chante, ça devient comme avec Stong le contraire du rock. C’est très compliqué à écouter. On en voit d’autres se vautrer, comme par exemple les frères Alvin avec «Wildman On The Loose». Ils ramènent beaucoup trop de guitares, comme s’ils n’avaient rien compris au jazz de Mose. On a aussi Peter Case qui se prend pour un Jazz cat avec «I Don’t Worry About A Thing». Pas facile d’entrer dans l’univers très pur de Mose. Les Américains s’y cassent les dents un par un. Ils sont trop dans l’approximation. Difficile d’évaluer les dégâts. Il aurait fallu confier le dossier à un institut spécialisé dans les statistiques. Ou confier l’ensemble du tribute à Chrissie Hynde, Iggy, Taj et le gros. On voit aussi Loudon Wainwright et Fiona Apple se vautrer en beauté. Par contre, Robbie Fulks joue «My Brain» au dada strut et en fait de l’Americana de haut rang, avec un banjo qui prévaut comme un prévôt dans le mix. Quelle belle déveine de la dégaine ! Jackson Browne s’en sort lui aussi avec les honneurs, il tape «If You Live» au very big sound avec une voix à la Dylan. Il américanise lui aussi le vieux Mose, mais c’est idiot, vu que le vieux Mose est déjà américain. Si Jackson ne s’appelait pas Jackson, on pourrait croire qu’il s’appelle Bob. On tombe plus loin sur une curieuse association : Ben Harper & Charlie Musselwhite. Ils prennent «Nightclub» à la bonne franquette. Comme on l’a vu, l’oncle Ben bouffe à tous les râteliers, mais Charlie, c’est une autre dimension. Il est mille fois plus crédible que l’oncle Ben. Charlie est le punk de Chicago, il explose Mose à coups d’harmo. Il renoue avec l’énergie originelle du grand Mose Allison, et franchement, ça vaut le déplacement.

Signé : Cazengler, Morve Allison

If You’re Going To The City. A Tribute To Mose Allison. Fat Possum Records 2019

Paul Bernays. Mose Allison: Ever Since I Stole The Blues. DVD 2019

 

 

Le job de Gibbs

 

Après avoir quitté les UK Subs, Alvin Gibbs s’installe à Los Angeles pour redémarrer une nouvelle carrière. Un jour, il reçoit un drôle de coup de fil : Andy McCoy l’appelle pour lui proposer le job de bassman dans le groupe d’Iggy Pop. Wot ? C’est un big deal. On est en 1988, Iggy vient d’enregistrer Instinct et envisage une tournée mondiale de promo qui va durer huit mois. Donc il recrute des mercenaires, à commencer par Andy McCoy qui fit des siennes avec Hanoi Rocks. Et comme McCoy connaît Alvin Gibbs et qu’il le sait basé à Los Angeles, il le met sur le coup. Les autres mercenaires sont le guitariste Seamus Beaghen et le batteur Paul Garisto. Le job est bien payé et les tourneurs offrent des garanties d’hébergement dans les meilleurs hôtels. Le job de guitariste devait revenir initialement à Steve Jones qu’on entend sur Instinct, mais les tourneurs veulent des gens clean pour la tournée : pas de dope, pas d’alcool, pas de rien, et des papiers en règle. Comme Steve Jones n’est pas net, le job revient à Andy McCoy qui réussit miraculeusement à montrer patte blanche.

Alors, se régale-t-on de détails croustillants, de scènes de débauche dans les grands hôtels, de hard drive of sex drugs & rock’n’roll ? Curieusement, non. Alvin Gibbs porte sur le cirque de cette tournée mondiale un regard extrêmement puritain, ce qui, d’une certaine façon, l’honore. Pas de voyeurisme à la mormoille. Mais en contrepartie, il nous fait le coup des cartes postales, notamment à Tel Aviv et au Japon, et là, il perd un peu de son panache. Le seul intérêt du book est bien sûr Iggy qui est alors en plein redémarrage avec cet album inespéré que fut Instinct, du big hard drive d’Iggy bien moulé dans son pantalon de cuir. C’est aussi l’époque où Iggy a décidé de calmer le jeu et pour éviter toute forme de dérive, il emmène sa femme Sushi avec lui en tournée. No sex and no drugs, ou plutôt comme l’indique perfidement Alvin Gibbs, just a little bit of sex dès que Sushi s’absente 24 h et a little bit of drugs quand apparaît comme par miracle un joli tas de coke dans la chaleur du backstage.

On le sait, le journal de bord d’une tournée de rock est un genre difficile. Avant Gibbs, d’autres se sont frottés au genre, notamment Ian Hunter (Diary Of A Rock’n’Roll Star) et Robert Greenfield (STP Stones Touring Party). Le plus intéressant de tous étant certainement le livre que Noel Monk consacre à la tournée américaine des Sex Pistols (12 Days on The Road/The Sex Pistols And America). En comparaison de ce cauchemar génial que fut la seule tournée américaine des Pistols, le récit de Gibbs paraît un peu fadasse. Et les relents touristiques de certains épisodes ne font rien pour arranger les choses. À la limite, on est content qu’Iggy prenne soin de lui (sauf sur scène où il continue de prendre des risques en se jetant dans la foule), mais en même temps, il manque tout le Search & Destroy de son âge d’or. Mais au fond, la plupart des tournées de rock stars doivent ressembler à ça : séjours dans les capitales du monde entier, gros shows, parties d’after-show avec les célébrités locales et la crème de la crème des courtisanes agréées, grands hôtels et gamelles dans les meilleurs restos, trajets en première classe dans des avions avec des hôtesses coquines, petits écarts de conduite pour les hommes mariés, tout cela finit par être d’une effarante banalité, à tel point que ça ne fait même pas envie. Iggy a semble-t-il passé le cap des excès pour se professionnaliser, car il sait au fond de lui que c’est la seule façon de continuer à exister en tant qu’Iggy. De ce point de vue, il est excellent. Le fait d’engager des mercenaires fait aussi partie du jeu. Un album, une tournée et hop, on passe à autre chose : pas d’attachement, pas d’état d’âme. Iggy navigue en solitaire et tient son cap. Alvin Gibbs nous restitue un Iggy plus vrai que nature. Bon, on sait qu’il chante bien et qu’il est légendaire, mais ce portrait en demi-teinte d’Iggy est un petit chef-d’œuvre d’observation. Gibbs nous parle ici d’un homme extrêmement intelligent qui a choisi d’exercer l’un des métiers les plus difficiles qui soient au monde, celui de rock star, en évitant de se détruire. Et c’est parce qu’il s’est fait plumer par le showbiz qu’il a décidé de réagir en prenant son destin en main. Voilà ce que nous montre Alvin Gibbs, un Iggy en pleine possession de tous ses moyens et résolu à ne plus se faire enculer à sec par ces fucking suits qu’il hait profondément.

Alors évidemment, les épisodes un peu gratinés comme cette nuit de débauche avec les Guns N’ Roses dans un hôtel texan et les lignes d’héro d’Andy McCoy retombent comme des soufflés. Le personnage d’Iggy est mille fois plus rock’n’roll que tous ces rois du m’as-tu-vu. D’ailleurs, Alvin Gibbs boucle son book avec un bel hommage à Iggy, le qualifiant de borderline superman projective artist of rare talent, et il demande, dans le feu de l’action : «Qui d’autre que lui aurait pu écrire une phrase aussi sublime que ‘I wish life could be Swedish magazines ?’»

Il se fend aussi d’une belle intro : «Posez votre smartphone, fermez la tablette et la télé et tous ces outils infernaux qui vous bouffent la vie et prenez le temps de découvrir à quoi ça ressemblait d’être un musicien qui accompagne à travers toutes les grandes villes des cinq continents l’un des plus explosifs interprètes de rock et son double plus posé et plus lettré, James Newell Osterberg Jr.»

Quand il rencontre Iggy pour la première fois sur le balcon de l’appart d’Andy McCoy, Alvin Gibbs est frappé par sa musculature. Iggy ne porte pas de chemise sous sa veste en cuir. Gibbs découvre ensuite qu’Iggy se lève chaque matin à 6 h pour faire une heure d’exercices, avant de prendre son breakfast avec sa femme.

Pendant le segment américain de la tournée, le groupe voyage en bus. Alvin Gibbs s’assoit parfois à côté du chauffeur Jim Boatman et écoute ses histoires drôles :

— Qui a des cheveux décolorés, deux cents jambes poilues, deux cents bras tatoués et pas de dents ?

Alvin Gibbs donne sa langue au chat :

— J’en sais rien, Jim...

— C’est le premier rang d’un concert de Willie Nelson.

Jim Boatman en propose ensuite une autre qui concerne Julio Iglesias, mais elle est tellement trash qu’il est impossible de la révéler ici, pour ne pas salir le joli blog de Damie Chad.

Autre anecdote intéressante : Alvin Gibbs se retrouve dans une party à New York. Il repère Andy McCoy : il est installé dans un coin avec une gonzesse et fume de l’opium. Andy insiste pour qu’Alvin tire une bouffée sur sa pipe :

— Have some of this !

Connement, Alvin tire une grosse bouffée et ça lui monte aussitôt au cerveau. Le rush s’accompagne d’un violent mal de mer. Il fonce vers les gogues et en entrant, il tombe sur une blondasse en train de se faire tirer par Johnny Thunders, debout contre l’évier de la salle de bains. Entre deux coups de reins, Thunders lance :

— What chew want man ? (Quesse-tu veux, mec ?)

Alvin demande s’il peut gerber dans le lavabo. Thunders lui répond :

— Hey man take a look, I’m busy here, use the bath. (Hey mec, tu vois bien que je suis occupé, gerbe dans la baignoire).

Alvin gerbe dans la baignoire.

Mais c’est bien sûr à Iggy que revient la palme d’or. Dans un taxi qui les raccompagne à leur hôtel, il explique ceci à Alvin : «Je vivais dans une cave sans chauffage et pour bouffer, j’ai joué pendant huit mois de la batterie pour des bluesmen dans les south side clubs de Chicago. Au bout d’un moment, j’ai compris que seul un black pouvait vraiment jouer le blues, tu vois, ils ont ça dans le sang. C’est instinctif. Aucun petit cul blanc ne peut jouer aussi bien qu’eux. Lorsque j’ai compris ça, je suis rentré dans le Michigan pour former les Stooges.»

Quand ils se retrouvent à Sao Paulo, Iggy et ses mercenaires découvrent que la ville est coupée en deux : d’un côté les gens très riches et de l’autre, la grande majorité des millions d’habitants sont des gens très pauvres. Très très pauvres. Forcement, ce sont les riches qui assistent au concert d’Iggy qui leur lance : «Oui vous avez du blé, des grosses bagnoles, des baraques et des serviteurs, mais vous n’avez pas de cœur, pas de couilles, vous n’avez rien !» et Iggy se tourne vers son groupe et lance : «Play for these zombie motherfuckers ‘You Pretty Rich Face Is Going To Hell !»

Dans un lobby d’hôtel, Alvin Gibbs assiste à un échange gratiné entre Andy McCoy et Iggy :

— Hey McCoy, t’as jamais baisé une gonzesse avec une patte en moins ?

— O man, tu déconnes, je ne pourrais pas, c’est dégueulasse !

Iggy éclate de rire :

— T’es qu’une poule mouillée, McCoy, tu devrais essayer, tu vas adorer ça !

En parallèle à ses exploits éditoriaux, Alvin Gibbs à bouclé les 26 lettres de l’alphabet avec ses copains des UK Subs et enregistré en plus un album solo : Your Disobedient Servant. Son groupe s’appelle Alvin Gibbs & The Disobedient Servants. On s’en doute, c’est un album assez punk, comme le montre l’«Arterial Pressure» d’ouverture de bal. Il a du monde derrière, notamment Brian James. Joli son. Il faudra attendre «Back To Mayhem» pour vibrer sérieusement. Alvin Gibbs investit sa mission, la cavalcade punk. Il peut aussi faire du glam, comme le montre «I’m Not Crying Now». Il passe au glam avec la mâle assurance du Cid. C’est un régal. Il joue avec «Ghost Train» la carte de l’aristocratie et c’est bien vu. Il est dans le bon turn up de haut rang. Tout aussi bien vu, voici «Camdem Town Gigolo», un cut crépusculaire noyé de chœurs de Dolls. On voit aussi Brian James allumer «Clumsy Fingers». Ces mecs ont appris à ne pas s’arrêter en si bon chemin. Autre belle pièce de Gibbs juju : «Ma!», un cut powerful bardé de grosses guitares, heavy rock de cocote absolutiste - I said Ma! Ma! Ma! - Il sait atteindre des sommets d’exacerbation, il va là où vont peu de gens. Comme disent les Anglais, he delivers the goods. Tout au long de l’album, on le voit veiller sur la véracité de ses amis avec un œil de lynx. Et du son. Il termine avec le big rockalama de «Deep As Our Skin», il y fait son Slade à la petite semaine, au sein d’un beau brouet d’accords. Bien vu, bien flamming, digne des géants du genre. Il jette l’ancre dans l’excellence du British rock.

Signé : Cazengler, Alvin Gerbe

Alvin Gibbs & The Disobedient Servants. Your Disobedient Servant. Cleopatra Records 2020

Alvin Gibbs. Some Weird Sin. Extradition Books 2017

 

THE PESTICIDES FIX

 

L'EP est actuellement disponible sur toutes les plate-formes de chargement, l'artefact est en préparation. Mais que ce soit sous forme digitale ou objective cet EP nous serre la gorge, c'est en même temps une bonne surprise et un très mauvais tour du destin. La joie de retrouver nos deux pestes, et cette tristesse de savoir que nous assistons au dernier tour de piste de Djipi Kraken que la camarde peu camarade a radié du monde des vivants. Ecouter ce disque est une manière de le retenir encore parmi nous, en présence de ses deux grandes sœurtilèges, tous trois ils formèrent The Pesticides, nous les avons vus en concert, il leur a suffi d'une seule apparition pour séduire l'assemblée, nous les avions alors chroniqués, et une deuxième fois quelques morceaux trouvés sur le net, et aujourd'hui cet EP, comme un dernier signe de la main, depuis l'autre rivage que hante désormais le Kraken...

Death circle : il est des titres prémonitoires auxquels on n'échappe pas, mais l'on a pas le temps d'y songer, une envolée de guitare arracheuse qui emporte tout et dessus la voix des jumelles douce comme du venin de tarentule, et lorsque la fureur s'arrête c'est pour mieux reprendre sa course folle, Djipi et sa guitare jupitérienne vous emportent en un safari sauvage avec nos deux vestales qui rallument les feux de la destruction du monde chaque fois que les flammes semblent s'arrêter dans l'immobilité de l'éternité. Un morceau qui s'écoute et qui s'écoule en boucles fuyantes... Une merveille. Just hold on : avez-vous déjà entendu une guitare couiner le blues comme cela et des jérémiades de jumelles aussi bassement susurrantes et menaçantes, et bientôt voix et musique ne forment plus qu'un nœud de serpents qui s'entremêlent et qui enflent, enflent jusqu'à ce qu'il ne reste plus de place pour ce que nous appelons le monde. Sex share and song : plus joyeux, les fillettes font les fofolles et tirent la langue, Djipi les accompagne, essaie de les devancer, mais c'est déjà fini elles ont gagné la course. Des tricheuses, elle sont parties avant le top départ. Petite distance, une minute treize secondes ! Jessy : un must, voix processionnaires et guitare gouttière qui résonne sans fin, Une espèce de blues primal qui rampe par terre, un serpent sans queue ni tête d'autant plus dangereux que l'on ignore le sens de l'attaque qui viendra. J'ai si peur. Parfois le monde est étrange et l'on a besoin d'une berceuse pour se réveiller. Take me : le réveil des sens. Le poulpe du désir balance ses huit bras en rythme mais vous voudriez davantage, alors les voix se taisent et la guitare s'insinue, et la jouissance vous emporte. What's wrong with me : le Djipi n'en mène pas large, l'essaie de se défiler à l'anglaise, sur la pointe acérée des cordes de sa guitare, mais nos deux mégères vindicatives ne le lâchent pas, l'acculent de leurs voix comminatoires, alors il feule comme un chat en colère et sort ses griffes. Le tout tourne au pugilat, combat de trois tigres rugissants.

Dans les sixties avec une idée on faisait un morceau, dans les seventies avec une idée on faisait un album. Ici vous avez au moins trois idées pour chaque morceau. Le trio des Pesticides était un véritable groupe. Un son original, une présence sur scène qui attirait l'œil et médusait. Cet EP est plus que prometteur. Les deux premiers titres sont de véritables bijoux. Et les quatre autres ne déparent en rien.

Un rock vénéneux, un magnifique tombeau baudelairien pour Djipi Kraken. Qui restera. Mais la vie appartient aux vivants, nous sommes sûrs que les demoiselles Elise Bourdeau continueront le chemin. Leur chemin. Qui n'appartient qu'à elles.

Damie Chad.

 

CHÂTEAU- THIERRY / 27 - 06 – 2020

PUB LE BACCHUS

THE JUKERS

 

2 : PLEIN SUD

Par les temps qui courent les concerts sont encore rares, donc direction Château-Thierry. Sabine du Bacchus ne passe pas son temps  à se plaindre. Elle agit, trois concerts concerts rock en dix jours à son actif. Trop pris vendredi soir pour Boneshaker et leur Motörhead Tribute, donc pas question de rater les Jukers le samedi. Faites le joint étymologique avec juke et vous comprendrez que ce ce sont des amateurs de blues électrique. Ils ne l'ont pas fait exprès, ce n'est pas de leur faute, mais ce soir vous avez cette atmosphère lourde et poisseuse typique du Sud des Etats-Unis, z'avez l'impression d'être immergé dans un roman de William Faulkner, les vêtements collent au corps et dehors ce n'est guère mieux que dedans. Peu de monde au début mais la clientèle ne tardera pas à s'installer et même à s'affaler autour des tables et à consommer moultes boissons rafraîchissantes.

3 : JUKERS

Donnez-moi un point d'appui et je soulèverai la terre s'est exclamé Archimède. Pour le rock et le blues généralement il en faut davantage. Beaucoup d'amateurs pensent que le nombre trois est idéal pour mettre en branle ces boules jumelles de feu et de foudre que sont ces deux musiques du diable. Bref les Jukers sont trois. Ne sont pas tout jeunes, mais ne sont pas tout vieux non plus, aux âmes burinées l'expérience est une valeur sûre. Ne perdent pas de temps pour vous en convaincre. Sans tergiversation ils allument le fire avec Help me de Sonny Boy Williamson. On se demande bien pourquoi car ils n'ont nullement besoin d'aide.

Rico Masse s'est casé entre le mur et le piano. Question discrétion c'est raté, c'est le batteur et ça s'entend. Ce n'est pas qu'il se complaît à faire du bruit pour se faire remarquer, pas du tout, simplement dès la première frappe il pose son volume sonore. Parfait pour les acolytes. Il est là, toujours là, le magnolia géant en fleurs sur la pelouse d'une plantation, relisez Les étoiles du Sud de Julien Green, l'arbre de vie, une rythmique massive, et fidèle, que rien ne peut arrêter, ni même contrarier. Proposez-lui n'importe quel morceau, il démarre au quart de tour, et illico presto il vous file la cadence du blues, les douze mesures emblématiques du blues c'est un peu comme l'alexandrin dans la poésie française, une fois qu'il s'est infiltré dans votre oreille, vous le reconnaissez sans faute quelles que soient les fioritures rythmiques auxquelles s'amusent les poëtes.

Hello, voici Mars à la basse. Un mec sérieux. Rien à redire. Il bassmatique sans fin. En apparence dans la lignée mythique des bassistes refermés sur eux-mêmes comme les huîtres sur leur perle. Attention, sur ses cordes les doigts sont lourds et point gourds, mais de temps en temps il laisse tomber un mot, apparemment anodin, mais d'une ironie dévastatrice. Ou alors il se permet un court commentaire fort mal à propos qui comme mise en boîte révèle un grand sens du comique. Le blues ne pleurniche pas toujours, l'est rempli de sous-entendus drôlatiques, un bluesman digne de ce nom n'est jamais dupe de lui-même. Le blues casse et concasse mais sait aussi être cocasse.

Kris Guérin hérite de la double peine, vocal et guitare. L'est un peu le leader. Décide du choix des morceaux, mais Rico et Hello ne sont pas contrariants, alignent tout de suite la rythmique adéquate, genre muraille de Chine, pas style Jericho qui s'écroule après quelques coups de trompettes, parce que le Kris l'a les doigts qui crisent et qui crissent, vous passent des accords avec lesquels vous êtes obligés d'être d'accord, ne voudrais pas être à la place de sa Freatman bleu pâle, elle en voit de toutes les couleurs, vous la fait tinter comme ces écus d'or pur que dans les temps royaux les grands seigneurs faisaient cliqueter sur les comptoirs des auberges pour s'adjuger la plus belle chambre et la plus accorte des servantes, l'on sent qu'il y prend du plaisir, cherche les difficultés, de The wind cries Mary à Brown Sugar, certes sur Hendrix pas de problème pour une six-cordes mais sur le Rolling, le Keith remue les meubles mais c'est surtout Bobby Keys qui aboule le sbul avec son saxo, et là nos trois gaillards question cuivre ils font sale mine, alors Mister Guérin se démène joliment au four et au moulin, et comme il se charge du chant, il vous fait en prime l'article de la marchandise, pas de la camelote, de bonne came, le Rico n'est pas à la masse sur ses tambours, et Mars emprunte le sentier de la guerre, tellement heureux qu'il lance à la suite les premières mesures de Honky Tonk Woman.

Un groupe de reprises, du moins ce soir, avec tous les vieux hit-riffs, inusables que votre oreille reconnaît avant même qu'ils ne les aient commencés, mais en plus cette joie de jouer, de prendre un pied d'acier suédois nickelé, it's just bluesy electric rock'n'roll but we like it, et le public aime ça ! Trois sets, le premier bluesy, le deuxième davantage rock, plus le supplément crème chantilly à la poudre noire, les gars se laissent aller, nous montrent un peu de quoi ils sont capables, ce devait être un ou deux morceaux mais ils éternisent le groove. Lorsque vous avez glissé votre jambe dans la gueule d'un croco, il est difficile de la retirer. Personne ne se plaint, après deux mois de confinement l'on salive pour le live ! Bacchussimus ! Un jus de Jukers pour tout le monde !

1 : ARRIVEE

Retour au Bacchus. Du monde et du bruit dans l'artère centrale de Château-Thierry, serais-je impatiemment attendu par une population en liesse ! Hélas non, je dois déchanter, une grande fête foraine draine toute une partie de la population familiale de la ville vers ses clinquant manèges tire-fric... est-ce ainsi que les hommes vivent demandait Aragon...

4 : RETOUR

Pluies éparses sur le pare-brise. Dans la nuit profonde la teuf-teuf longe des étendues de champs entrecoupés de forêts, un renard traverse la route fort inopinément, plus loin ce sera une biche qui attendra d'être en plein dans le halo des phares pour rejoindre l'autre côté de la départementale, je songe à ce peuple invisible et discret de bêtes qui de terriers en terriers, de hallier en hallier, depuis des siècles et des siècles, vivent en parallèle à nos côtés, pas trop loin de nous, et surtout pas trop près, sans doute ont-elles des préoccupations moins frivoles que le bétail futile des humains, qui a perdu le goût de la vie sauvage.

5 : REFLEXIONS

Un regret tout de même, lorsque Rico a branché un petit ventilateur à quinze centimètres de son visage, ils auraient pu embrayer sur Ventilator blues, cela s'imposait ! On leur pardonne parce que leur version hyper deströy de Sunshine of your love valait le détour.

Damie Chad.

 

ROCKABILLY GENERATION 14

 

Pan, la semaine dernière le Cat Zengler s'occupait du 13, alors que le 14 tournait sous les rotatives et le voici ce matin dans la boîte à lettres ! Rockabilly rules, rockabilly brûle ! Un numéro maison, par la force du confinement. Pas de concerts, pas de déplacements, courrier au compte-goutte, situation idéale pour une revue-rock !

Hier soir une question insidieuse me trottait dans la tête, une fois que Saint Jerry Lou aura quitté cette planète l'on pourra clore définitivement la liste des grands pionniers, les figures tutélaires, j'en faisais le compte ; Bo Diddley, Chuck Berry, Little Richard, Bill Haley Elvis Presley, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, ceux-là sont indiscutables, l'Histoire les a désignés, neuf ce n'est pas mal mais le chiffre dix avec son assise récapitulative pytagoricienne s'impose. Avec le onze nous sombrons dans la dispersion. Depuis un certain temps dans les conversations, sur les réseaux sociaux, un nom revient avec insistance, Fats Domino, un grand artiste je ne le nie pas, mais trop cool, une certaine désinvolture qui à mon humble avis ne sied pas au style rock, je sens que l'on trépigne dans les milieux rockabillyens nationaux, ne suis-je pas en train de commettre le crime heideggerien de l'oubli de l'oubli, le premier de tous : Johnny Burnette ! O K ! boys ! mais alors que faites-vous alors de Carl Perkins !

En tout cas, il y en a un qui ne fera pas l'impasse sur Carl Perkins. C'est Greg Cattez, qui tient à chaque numéro la chronique des Grands Anciens, nous livre un splendide article sur Perkins et pour une fois Carl aura de la chance, vu l'interdiction des concerts, l'auteur de Blue Suede Shoes a droit à huit pleines pages, et parmi tous les articles que j'ai lus, celui-ci, qui couvre la carrière entière, tient sacrément la route.

Un autre veinard du même genre : 12 pages – magnifiques portraits de Sergio Khaz – dévolues à Cherry Casino, enfin pas tout à fait, à Axel Praefcke l'homme qui se tient sous la clinquance du pseudonyme qu'il arbore sur scène, guitariste qui officie notamment avec les Gamblers, Ike & the Capers, et The Round up boy, parle de sa naissance en Allemagne de l'Est, de sa vision du rockabilly qui le porte à rechercher les instruments, le matériel de studio d'époque... pourtant l'on ne sent pas dans ses paroles le puriste revanchard et puritain, un passionné qui raconte son vécu, un bel être humain qui se dévoile.

Le précédent interview est à mettre en relation avec celle d'une légende du rockabilly européen Sandy Ford, mené par Brayan Kazh, Sandy de la génération de Crazy Cavan, qui évoque bien sûr sa carrière, qui a tout vu et tout entendu, qui n'en garde pas moins les yeux fixés sur futur du rockabilly, l'a les yeux tournés vers demain, une sourde inquiétude entre les lignes, le public rockabilly qui au bout de quarante ans est composé d'amis... Sympathique mais aussi la preuve d'une certaine raréfaction...

Une première réponse : celle de Brandon âgé de vingt cinq ans batteur des Rough Boys Rockabilly composé de Jacky Lee ( guitare et chant ) et Jacko Vinour à la basse qui n'est autre que le père de Jacky Lee, un parfait exemple de transmission. Old style never dies !

Un beau numéro, moins d'articles ce qui a permis à chacun de nous faire part de ce qui lui tient le plus à cœur, ainsi ces réflexions de Cherry Casino sur l'évolution du rock'n'roll qui sont à relire et à méditer.

Une dernière annonce : la réédition augmentée du N° 4 sorti en janvier 2018, ajout de nombreux documents sur Crazy Cavan qui était déjà sur la couverture.

Pour terminer trois cerises sur le gâteau : lors de l'édito Sergio nous parle de la connexion qui est en train de s'établir entre Rockabilly Generation News et l'équipe de Big Beat Records, rappelons que BBR a beaucoup fait pour l'éclosion du mouvement rockabilly en France et en Europe. Une véritable épopée qu'il faudra raconter un jour. En attendant sont joints ) à la revue deux tracts-pub indépendants pour les amateurs et les collectionneurs : l'un consacré à Johnny Hallyday, et le deuxième à Elvis Presley, dans les deux cas de beaux joujoux, pack vinyle CD + picture disc. Rien que les tracts sont en eux-mêmes des collectors.

Damie Chad.

Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,60 Euros + 3,88 de frais de port soit 8,48 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 33, 92 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Une bonne nouvelle tout de même : devant la demande générale, le numéros 4 avec la dernière interview de Cavan Grogan a été retiré. Si vous ne l'avez pas, c'est une erreur.

 

THE ROYAL

MIKE NEFF & THE NEW AMERICAN RAMBLERS

( CD : Ramblers Records / 2012 )

 

Will Duncan : drums, keyboards, vocals / Andy Wild : bass, saxophone, clarinet, vocals / RLS Cole Sackett : trumpet, vocals / Vaughn Macpherson : keyboards, accordion / Esme Paterson : vocals / Megan Fong : vocals / Charles Von Buremberg : mandolin, vocals / Aaron Collins : Vocals / Mike Neff : guitars, vocals

Ne faites pas les malins, ne dites pas que vous les connaissez. Moi-même jusqu'au moment où le copain – il a joué du banjo sur scène avec eux aux USA – me l'a mis entre les mains j'ignorais jusqu'à leur nom. Viennent de Denver. Colorado. L'état juste au-dessous du Wyoming. Ils ont sorti plusieurs disques. Celui-ci est intitulé The Royal parce qu'il a été enregistré à la New Orleans.

Place for us : du tout doux, surprenant sont une dizaine mais Mike Neff est tout seul pour évoquer sa tendre amie, à croire qu'il est dangereux de clamer haut et fort son bonheur. Country soft. Country folk. Des modulations vocales à la Dylan, innocence américaine. Blood-red bottle : country-road vers la New-Orleans, l'orchestration s'étoffe lentement tandis que la rythmique trottine sans faille. La voix raconte autant une chanson de route qu'à boire l'espace intérieur. Ponies : un peu de batterie mais l'harmonica prend son envol tandis que la voix égrène la sérénité de vivre selon ses propres envies. Cross-continent waltz : une voix qui gratte et une guitare qui ronronne, et tout s'apaise, suffit de se laisser bercer, impression de mélancolie, toute douceur comporte quelques relents amers. Typewriter : changement de climat, des cuivres sardoniques sur le rythme des touches de la machine à écrire que l'on enfonce pour donner la parole à ce que l'on a dans la tête, tout cette vie aigre-douce qui s'entête à embrumer et ennuager les souvenirs, petit solo jazzy manière de faire un clin d'œil au bon vieux temps qui est sans doute plus vieux que bon... Faire le point pour ne pas mettre un point final. Providence harbor : un départ dylanien, rien que le titre évoque le Zimmerman, la longueur du morceau, l'harmo la voix qui traîne, des intonations râpées sur les éboulis de la conscience. Toutes les âmes sont tuméfiées et traînent la blessure de ne pouvoir surmonter cette suppuration que rien ne pourra étouffer, même pas une fanfare dans la rue, et les échos perdureront par intermittence jusqu'au bout. Where I'm going : ballade à l'acoustique, tout est dans la voix à la Springteen du gars qui a beaucoup vécu. Après le pont, les zicos se regroupent en sourdine autour de lui, l'est accompagné en douceur, l'important est de faire un bout du chemin avec lui, mais il continuera très bien tout seul. Got a gal : vous croyez partir pour une ballade mais l'eau du blues monte lentement et s'étale comme un océan de tristesse. L'on n'est jamais sûr de rien. Davantage dans le delta que dans le bayou. Company store : parti pour une ballade dylanienne, la vie est comme un grand bazar qui vous offre tout ce dont vous avez besoin et tout ce que vous désirez, mais pourquoi ce rythme des enchaînés de Perchman, sont-ce vraiment vos propres désirs bien à vous, un solo vaseux et visqueux, pour vous faire comprendre que votre existence est engluée jusqu'au cou dans une drôle de manufacture où l'on vous reconfigure selon un modèle qui ne vous plaît pas. Old man winter : le seul morceau qui ne soit pas écrit par Mike Neff, mais par Will Duncan. Des notes aussi légères que des flocons mais la voix de Mike Neff en bleuit quelque peu la blancheur, à l'orée du blues, mais les pas sont étouffés, morceau que l'on serait tenté de nommer pièce musicale, au loin s'élève une une fanfare mortuaire, celle du dernier voyage. Un peu de gaité puisque l'on quitte une vallée de larmes... Let's get married : une chanson joyeuse ne saurait faire de mal après l'élégie funèbre précédente... Faut-il vraiment y croire ? Your love will come : longue introduction musicale, une voix désabusée qui veut encore espérer l'impossible. L'espoir rend les fous joyeux et les poëtes tristes.

Croyez-vous que la Remington un peu déglinguée sur la couve soit mise là au hasard ? Pourquoi privilégier cet appareil mythique de la littérature américaine et pas une guitare ? Enregistré à la New Orleans, mais cela est un peu anecdotique. L'aurait pu être mis en boîte aussi bien en Californie ou à New York, Mike Neff porte son monde dans sa tête, l'est l'escargot qui ne quitte pas sa coquille, se trimballe avec son monde intérieur dans la valise de ses méninges. Un côté irrémédiablement folk, qui louche un peu vers le blues et le country, comme tout american folk qui se respecte. Une belle voix tendrement éraillée, qui berce et réveille. Vous enferme chez lui, pas à double-tour, mais vous pouvez rester autant de temps que vous voulez. Suis sûr que certains vont en abuser.

Si vous voulez écouter c'est sur Bandcamp.

Damie Chad.

 

POGO CAR CRASH CONTROL

 

Je sens qu'une partie du lectorat tremble de peur. Il a raison. Avec les Pogo il faut toujours s'attendre au pire. Vous êtes prévenus. Toutefois nous allons procéder par étapes. Je ne voudrais pas gâcher vos vacances, certaines images pourraient hanter votre mémoire, vous troubler durant vos siestes estivales, vous réveiller en pleine nuit, vous empêcher de dormir, à la rentrée avec votre mine de papier mâché puis vomi, et remâché, votre patron vous mettra à la porte, un long avenir de SDF vous attend, c'est bien fait pour vous, vous n'aviez qu'à pas regarder les vidéos des Pogo Crash Car Control !

CREVE ! ( Clip )

( Novembre 2016 )

C'est un ancien clip, date de 2016, un de leurs premiers morceaux, certes les paroles n'ont pas été écrites par Madame de Sévigné, elles vont droit au but, '' Ta gueule ! Crève !'' , normal c'est du rock. La rage adolescente. Si vous voyez ce que je veux dire. Pour les images, au début c'est de tout repos, presque la photographie de campagne pour l'élection de François Mitterrand, l'église et son clocher, petit village de Seine & Marne. Toutefois une drôle d'atmosphère. Il ne se passe rien, comme dans les films avant l'attaque des zombies. Ne respirez pas c'est pire. Bruit de moteur compétition rodéo-car à l'américaine, quand on s'appelle Pogo Car Crash Control, normal on ne s'attend pas à des vues d'un dessin animé de Babar le gentil petit éléphant rose. Carambolages dans la boue. En supplément, protégé par de simple barrières métalliques vous avez le groupe qui joue. La musique colle à l'image. Merveilleusement. Sont énervés comme un troupeau de rhinoféroces dérangés dans leur sieste. Question zique les Pogo ce n'est pas la Petite Musique de Nuit de Wolfang Amadeus Mozart. Derrière eux les bagnoles se catapultent les une contre les autres à qui mieux-mieux. A qui pire-pire.

Le malheur c'est que dans un clip ce n'est pas ce qui est représenté qui est important mais la manière dont c'est filmé. Et là c'est le parti-pris gore ultime, des gros plans d'images saccadés et tressautant qui vous cisaillent les yeux. Ce qui est bien, car le mec accidenté, l'est totalement énucléé, les voitures lui ont roulé dessus, son visage sanglant vous est jeté à la figure à plusieurs reprises. Mais ce n'est pas le plus grave. Parmi la débauche sanglante d'images choc ce qui est subliminalement insupportable c'est la volupté qui se dégage de toute cette violence. La haine et le désir de mort de l'ennemi sont des jouissances supérieures, Les Pogo ne trichent pas dans l'expression des sentiments. Âmes sensibles s'abstenir. Décapant Rock 'n' roll !

 

Non, je ne vous le repasse pas une deuxième fois. Je ne suis pas cruel. Mais l'on trouve toujours pire. En l'occurrence ici Stazma The Junglechrist. Faudra qu'un de ces jours nous lui consacrions quelques chroniques. En attendant je vous laisse vous recueillir devant la photo du profil FB de Julien Stazmaz qui en compagnie de Romain Perno  s'est amusés – est-ce ce verbe qui convient – à proposer un remix de :

CREVE ! ( Clip )

( Juin 2019 )

Un pas de plus vers l'ignominie. Souhaiter la mort de son ennemi est somme toute très naturel. L'abattre d'un coup de fusil, lui planter un couteau dans le dos, l'écraser avec votre voiture, franchement c'est petit joueur, mesquin et médiocre. Lui en vouliez-vous vraiment pour vous débarrasser de lui si platement ? Non ! Il y a mieux, il y a pire ! En plus c'est vous qui allez vous retrouver très embarrassé avec un cadavre sur les bras ! Non une seule solution : la désintégration !

Pas si difficile que cela. Cela ne demande pas de gros moyens. Juste un peu d'imagination et de savoir faire. Julen Stazma the Junglechrist nous montre comment l'on peut empêcher la résurrection. Comme dans la Bible, '' Je détiens les clefs de la mort'' mais lui il ferme la porte à double-tour.

Reprend les mêmes images. En un autre désordre. Pas tout à fait la même musique. Beaucoup de batterie, un gros surplus d'agressivité sonore. Répétitif. Scandé. Un parti pris de débitage. N'est pas pour la réalité augmentée, mais fragmentée. L'image avance et recule. Moins de voitureS. Davantage la gueule twistante d'Oliver. La haine est un boomerang qui se retourne contre vous. Ne pas tuer pour avoir un mort, tuer jusqu'à l'idée de la mort. L'a des dents à la place des yeux, sa voix se déforme, devient barrissement, se mue en vagissement, logorrhée de dégueulis verbal, mais le pire c'est l'image qui se parcellise, qui s' émiette, qui déchire en confetti, un seau d'eau sale que l'on jette et qui emporte la réalité du monde avec elle.

Clip cannibale qui bouffe ses propres images et qui finit par se bouffer lui-même, faute de mieux, faute de pire.

 

Vous êtes un peu remués. Je comprends. Passons à un autre groupe. N'en soyez pas rassurés pour autant. N'y a que Lola qui n'est pas là. Toute confiante elle a quitté les garçons pour l'après-midi. Elle n'aurait pas dû. Se sont sentis tout bêtes, tout seuls, ils ont fondé un groupe parallèle, nous avons chroniqué leur Ep dans notre livraison 444 du 26 / 12 / 2019. Z'avaient des idées noires, l'ont appelé Suicide Collectif. Sur ce l'infâme Baptiste Groazil, un des dessinateurs les plus doués de sa génération responsable des couves ( trashy dirty mauvais goût ) de Pogo, s'est amusé à confectionner sur le quatrième morceau de l'EP, un petit dessin animé pour égayer les ennuyeuses vacances de nos charmantes têtes blondes.

MOTHER FACES 30 YEARS EN PRISON

SUICIDE COLLECTIF

( Clip de Baptiste Groazil / Juin 2020 )

Pour la musique toute la violence des Pogo, de toutes les manières les images de Baptiste Groazil sont si accaparantes que vous n'y faites plus très vitre attention. Un bruit de fond. Mais l'histoire est au rythme du morceau. Déboule à toute vitesse. Un prologue, et quatre scènes dument séparées, le tout en une minute et quarante-cinq secondes. Pour les couleurs principalement des verts glabres, des mauves nauséeux, des roses mortadelles périmées. Pour le sujet... En un siècle futur, enfin maintenant, le héros est mal parti, on lui ouvre le ventre pour voir ce qu'il y a dedans. Un brave garçon, un peu attardé, croit encore à l'amour, notre joli cœur ! L'est tout de suite livré à un groupuscule de ménades qui lui font subir une sacrée séance de massages sauvages. Ce n'est que le début, l'est réduit en esclavage, traité pire qu'un chien. Ravalé au rang d'une bête martyrisée. Consolation du pauvre. A la séquence suivante le voici réduit à l'état d'os du chien que les chiennes en chaleur lèchent avec ferveur. Séance viol collectif. L'est à bout de forces. Tremble de peur. Se retrouve encouronné sur le trône. Sur son front est marqué Suicide Collectif.

Sexe et société ? Les mâles heures du féminisme ? Par Groazizil ? Je vous laisse déchiffrer cet apologue. Sex  and society. Danger zone. Roi des cons, roi des connes... Débrouillez-vous pour ne pas finir dans les prisons de la bien-pensance.

Damie Chad.