29/06/2020
KR'TNT ! 470 : ROCKABILLY GENERATION / BETTY WRIGHT / BOB BERT / TONY MARLOW TRIO / ALICIA FIORUCCI
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 470
A ROCKLIT PRODUCTION
FB : KR'TNT KR'TNT
25 / 06 / 20
ROCKABILLY GENERATION / BETTY WRIGHT BOB BERT / TONY MARLOW TRIO ALICIA FIORUCCI |
TEXTES + TEXTES + PHOTOS SUR : SUhttp://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/R :
Talking ‘bout my Generation
Rockabilly Generation ne parle pas des Who, mais au fond, le propos est le même : la passion - People try to put us d-d-d-down/ Talking ‘bout my generation - un put us down qui se transforme en Talking ‘bout my Rockabilly Generation, c’est-à-dire un canard qui jump in the letter-box et qui boppe page après page en hommage au ramage d’un rockab de plus en plus vivace.
Un canard n’a jamais aussi bien porté son nom : il nous parle d’un rockab qui se transmet de génération en génération avec la même ferveur, le même élan, le même souci de crédibilité, le même sens de l’allure, le même soin du détail, le même souci de l’anti-frime. À la minute même où on voit Marcel Riesco en couverture, on sait qu’il est plus vrai que nature, qu’il se coiffe des deux mains comme le faisait comme Elvis en 1954 et qu’il sait gratter les poux de sa gratte. On le constate chaque année à Béthune, la scène rockab n’a jamais été aussi vivante, aussi surprenante, aussi increvable, avec des groupes carrés et autrement plus doués que ne le seront jamais les groupes de la scène garage. Rien n’est plus difficile à jouer que le rockab, cet étrange mélange de frenzy, de précision et de purisme.
Comme le Retro, Rockabilly Generation mise sur l’avenir. Marcel Riesco, Barny, les Wise Guyz et les Spunyboys réinjectent un énorme shoot de modernité dans le cul fripé de Mathusalem, ils sont là pour bopper le beat comme le firent en leur temps les frères Perkins dans leurs salopettes. Bop it Carl !, et Sam claquait des doigts. Tous les gens qui croient que le rockab est un truc de vieux se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Le rockab et mille fois punk que ne le sera jamais le punk, qui soit dit en passant, n’a duré qu’un an. Le rockab est un art et le punk fut une mode, c’est toute la différence. Si les Cramps s’enracinent dans le rockab, ce n’est pas par hasard.
Bon c’est vrai, on voit aussi pas mal de vieux pépères en couverture de Rockabilly Generation, mais ce sont des survivants et ils ont plutôt meilleure allure que les punks vieillissants : comparez Graham Fenton ou Johnny Fox aux Stranglers ou à Paul Cook et vous verrez qui sont ceux qui ont la banane. Et puisqu’on parle de couvertures, espérons qu’un jour on y verra parader Jake Calypso, les Hot Slap ou encore Don Cavalli. Comme ce canard a les moyens de faire de belles couves en quadri, alors autant en profiter pour rêver un peu.
C’est d’ailleurs la grande force de ce canard : la qualité de l’icono. Tous les fans de rockab le savent depuis 50 ans : rien de tel qu’une belle photo de Vince Taylor ou d’Elvis, c’est une sorte de nec plus ultra de la photogénie, et côté photogénie, Rockabilly Generation gâte bien son lecteur. Rien qu’avec les images, on a son shoot. Même pas la peine de lire les textes, Lucky Will trône en ouverture de bal avec son perfecto et sa casquette, Marcel Riesco récupère la double centrale qu’on peut détacher pour la punaiser au mur, comme au temps des Playmates de Playboy, et puis il y a une multitude de petites images de concert, toutes bien soignées et bien colorées, qui donnent une idée assez juste de ce à quoi peut ressembler un concert rockab. Et puis si on veut lire, on peut. L’interview de Marcel Riesco laisse un peu sur sa faim, dommage qu’il ne parle pas plus de Roy Orbison. Celui de Lucky Will est plus complet, car il raconte toute son histoire dans le détail et petite cerise sur la gâteau, on voit Jerry Lee brandir l’album de lucky Lucky. L’interview la plus passionnante est sans doute celle de Michel Petit, l’organisateur de Rockin’ Gone Party, un festival qui se tient chaque année au sud de Lyon. Avec une modestie de vieux pépère qui l’honore, Michel Petit rappelle que l’organisation d’un festival n’est pas de la tarte et demande quelques mois de travail acharné. Et si on continue de s’enfoncer dans les pages, on tombe un peu plus loin sur la rubrique ‘Backstage’ qui permet souvent de retrouver de vieilles connaissances. Par exemple les Blue Tears Trio qui firent trembler la Normandie voici quelques années. Petite image aussi de Jake Calypso qui laisse un peu l’amateur sur sa faim. Trop riquiqui pour un mec de cette stature. Et puis en face, petit clin d’œil à Wild qui pour tous les fans de rockab n’en finit plus d’incarner le boppin’ boom de cette nouvelle rockabilly génération, à coups de gangs chicanos aux cheveux graisseux. Remember the Desperados ?
Signé : Cazengler, rockaka
Rockabilly Generation. N°13 - Avril-mai-juin 2020
She does it Wright
Le reine de Miami Betty Wright vient de casser sa pipe en bois. Elle eut cette chance incroyable de naître dans une famille nombreuse où tout le monde chantait. «Mama said sing !, and we sang.» Ils sont sept gosses, tous doués pour la musique : son frère Phillip jouera de la guitare avec Jr Walker et sa sœur Jeanette chantera dans KC &The Sunshine Band. Clarence Reid la repère et Betty se retrouve vite fait sur Alston, le label d’Henry Stone qui est aussi le boss de TK Records, une énorme machine à hits qui gère KC & The Sunshine Band, Timmy Thomas et George McCrae. Il est bon de savoir qu’à ses débuts, Betty flashe sur la péruvienne Yma Sumac et sur Minnie Riperton. Wow ! Betty does it Wright !
En 2019, Geoff Brown la rencontre à Londres. Betty a 65 balais et elle chante au Barbican arts complex. Brown sent que Betty est une battante. Fin limier, il détecte les gospel roots sous la surface, comme chez Aretha et Mavis. Elle a en effet démarré très tôt dans les églises de Miami, les gens venaient de loin pour entendre Motha Wright and her kids. Clarence Reid la repère un peu plus tard chez un disquaire de Miami et lui enseigne le B-A BA du métier : l’interprétation - Le plus important, ce sont les paroles. Si la chanson est mauvaise, c’est juste un beat - Elle enregistre un premier single à l’âge de 13 ans. Puis quand Henry Stone monte TK Records, il engage Clarence Reid et Willie Clarke. Betty suit le mouvement.
Elle n’a que 14 ans quand elle enregistre My First Time Around. Elle pose en pin-up sur la pochette. On voit tout de suite que Betty sait poser sa voix, pas encore au tranchant d’Aretha, mais elle s’affirme et montre du caractère dans le velouté. C’est elle qui compose l’excellent «Circle Of Heartbreak». Comme Denise LaSalle, Betty sait shaker son swing et chanter à l’accent tranchant. Elle super-chante l’ultra Soul et derrière, on peut bien dire que ça mambotte sous les cocotiers. Elle boucle l’A avec une fantastique cover de «Cry Like A Baby». Elle va même jusqu’à l’exploser. Quelle niaque de son ! On la voit enflammer le cœur d’un slowah nommé «I Can’t Stop My Heart» en B et un superbe solo de jazz finit le travail. Elle boucle cet album de débutante avec une reprise du «Just You» de Sonny Bono. Producteur de renom, Brad Shapiro lui fournit un vrai mur du son. Sacrée Betty, on ne peut rien lui refuser. C’est l’époque où Shapiro travaille pour Atlantic. Il y produira Wilson Pickett, Sam & Dave et Bettye Lavette puis il s’occupera des fesses de Millie Jackson. D’où son surnom, Shapiro the Shaperon.
C’est avec I Love The Way You Love que Betty attaque son bout de chemin avec Alston Records, filiale de TK Records, comme déjà dit. Ça va durer 7 ans, le temps de faire 7 albums. Pas folles les guêpes TK, elles ont bien compris que Betty pouvait rivaliser avec Aretha. Encore faut-il avoir les compos. Tiens justement, en voilà une : «Clean Up Woman». C’est le hit de Betty, celui qu’on croise sur toutes les bonnes compiles funk. Ça sonne comme un hit Stax. Little Beaver fait désormais partie de l’équipe, avec Clarence Reid. L’autre stand-out track est un extraordinaire shoot de Soul évolutive intitulé «I’ll Love You Forever Heart & Soul». Nous voilà au cœur du Reid System avec la voix de la reine de Saba. Elle travaille chaque cut de l’A au corps, elle les chante tous pied à pied avec une niaque qui pourrait servir de modèle. La B est un peu plus faible. Seuls deux cuts sortent la tête, le vieux hit de Bill Withers, «Ain’t No Sunshine», joué au bassmatic prévalent, et un slowah sans histoire, «Don’t Let It End This Way». On note que la B est la face lente, comme au temps des Formidable Rhythm & Blues d’Atlantic.
Malgré la qualité de ses deux albums, Betty ne parvient pas à décoller. Elle a une explication : «People are statisfied with the mediocre because they don’t hear the pure.» Avec ça, elle n’est pas très charitable avec Henry Stone : «Il était à la fois le meilleur et le pire des mecs. Le meilleur, car il était comme un père pour moi, et le pire, parce qu’il me volait mon blé. J’ai été très loyale avec lui, mais quand je venais demander mon blé, il l’avait dépensé pour la promo d’autres artistes.»
La voici en vraie reine de Saba sur la pochette de Hard To Stop. Quelle pochette ! Le contenu se révèle à la hauteur du contenant. On est en 1973 et c’est un sacrément bon album. Elle opte pour le groove de Soul, dès «Street Wonder», bien soutenue par des chœurs de rêve. Ici tout est joué à la perfection. C’est l’album de la good time music, on note l’excellence de la prestance de «We The Two Of Us». Betty s’appuie sur le plus parfait des sons de Miami, solide et fruité. Avec «Gimme Back My Man» en B, elle groove littéralement sous le vent. Quelle classe dans l’attaque ! Elle veut qu’on lui rende son mec, alors ? Sa fantastique fluidité de ton rappelle celle d’Aretha. Encore un hit phénoménal avec «The Babysitter», solide Miami Soul quasi latino dans l’attaque. S’il fallait illustrer musicalement le bonheur de vivre, on pourrait choisir ce cut. Elle termine avec une heavy groove, «It’s Hard To Stop (Doing Something When It’s Good To You)». Betty l’ultra-chante jusqu’à plus-soif. Elle fait partie des géantes du Soul System.
Sur la pochette de Danger. High Voltage, elle ressemble terriblement à Candi Staton, avec sa belle afro. D’ailleurs, elle fait exactement ce que fait Candi à la même époque, elle défend son bout de gras, d’abord avec «Everybody Was Rockin’», un solide jerk de Soul, puis avec «Love Don’t Grow On A Love Tree». Encore un heavy jerk de Soul avec «Come On Up». Même jus qu’Aretha. Betty chante ce hit de Felix Caveliere à la meilleure niaque de Floride, come on up/ Have a good time ! Elle a raison, il faut en profiter pendant qu’on est jeune. Elle tombe ensuite dans les bras d’Allen Toussaint avec «Shoorah Shoorah» qu’elle tape au bon claqué de langue, avec tout le petit chien de sa chienne. Une énormité se planque en B : «Where Is The Love». Heavy Soul de funk gorgée de niaque, dégoulinante de cuivres. Ah comme elle est bonne, cette petite Betty ! Elle chauffe son cut jusqu’à la dernière mesure, jusqu’à la dernière goutte de son, avec une rare sauvagerie. Elle est dessus, cela va sans dire.
On prétend qu’Explosion est le meilleur album de Betty. C’est un peu exagéré. On tombe pourtant très vite sous le charme d’«Open The Door To Your Heart» et de cette fantastique présence. Cette grande Sistah mène sa Soul de main de maître. Grosse énergie du chant et du son. Sur cette album au titre explosif, Betty privilégie le slow groove. C’est peut-être ça qui nous déroute. Elle pratique pourtant son slow groove avec une infinie délicatesse, mais ce n’est pas l’Explosion annoncée par le titre. Elle boucle l’A avec «Don’t Forget To Say I Love You Today», une belle Soul des jours heureux. Cette good time music sent bon les îles. La B est beaucoup plus faible. On n’y sauve que deux cuts, «Keep Feelin’» (mid-tempo des jours heureux) et «Life». On la sent de bonne humeur. Betty ne demande rien d’autre que du soleil, de la liberté et du bon temps. Elle s’en fait l’apôtre.
Sur la pochette de This Time For Real paru l’année suivante, elle porte une belle robe à motifs géométriques. Les marchands de l’époque ont collé un gros sticker ‘Disco’ sur la pochette, mais Betty reste fidèle à sa passion pour la good time music comme le montre «That Man Of Mine». Sa musique sent bon le sunshine et l’envie de danser avec une jolie femme quand on est un mec, et inversement quand on est une femme. On savoure une fois encore l’excellence de Betty. Elle reste dans le good timing en B avec «Brick Grits», une jolie chanson d’amour. Elle enchante sa Soul avec une incomparable fraîcheur. Elle est à sa façon la reine du groove léger et de l’enchantement. S’ensuit un autre groove de Soul, «Sweet», qui se faufile sous la peau. Ça joue au bas du manche de basse dans un climat d’enchantement. Il faut aussi saluer «If You Abuse My Love», une Soul plus classique signée Clarence Reid. Betty va toujours sur le côté swing de la Soul. Sans doute est-ce le côté Miami - If you abuse my love/ You’e gonna lose my love - Elle prévient gentiment. Elle termine l’album avec «Room At The Top», un nouveau shoot de Soul joyeuse. C’est son truc, son mojo.
L’année suivante paraît Betty Wright Live. Elle y fait sa reine, mais une reine des seventies. Elle emmène son «Lovin’ Is Really My Game» à la bonne clameur, épaulée par un big band. L’intérêt de cet album live est le medley qu’on trouve en B, un medley qu’elle articule autour de son hit, «Clean Up Woman», bien staxé par l’orchestre. Elle rend une sacrée série d’hommages : Chaka Khan («Midnight At The Oasis»), Billy Paul («Me And Mrs Jones»), O Jays («You Are My Sunshine») et Al Green («Let’s Get Married Today»). Elle termine avec «Where Is The Love». Oui, elle demande où est passé le love qu’il a promis. Elle a raison de gueuler. Ce n’est pas la peine de faire des promesses qu’on ne peut pas tenir. Ah comme les gens sont inconsistants ! Betty est une finisseuse exceptionnelle.
Après avoir été la reine de Saba (Hard To Stop), puis la reine des seventies (Betty Wright Live), la voilà reine du futur pour Betty Travellin’ In The Wright Circle. Elle rentre dans la folie diskö comme Labelle, revêtue de son costume de super-diskette. Quand on écoute du rock, c’est un album qu’on approche pas, même avec des pincettes. Mais comme c’est Betty, on y va les yeux fermés. Bienvenue sur le TK Diskö Sound ! Elle met toute sa hargne dans «I’m Telling You Now». Betty n’est pas du genre à faire semblant. Elle passe au big slowah de night & day avec «My Love Is» - You think that people/ have enough/ Of silly love songs - Elle essaye de convaincre les convaincus d’avance. Avec l’«Open The Door To Your Heart» qui ouvre le bal de la B, elle se lance dans une cavalcade diskoïde, au sens propre du terme, ça fouette cocher au grand trot et Betty does it Wright. Elle ramène pour l’occasion tout le petit ouaf ouaf de sa chienne et termine avec un «Listen To The Music» où elle se prend pour Sly Stone, mais en plus patapouf.
En 1981, année de l’élection de François Miterrand, Betty quitte TK pour Epic et enregistre Betty Wright. Epic l’a bien maquillée et bien coiffée pour la pochette. Une vraie gravure de mode ! C’est encore un album diskö. On retiendra surtout «Dancin’ On The One», belle trempe de diskö Soul. Joli slowah aussi que cet «Indivisible». C’est là où Betty fait la différence. Elle se bat pied à pied avec son slowah. Elle déploie des trésors de ténacité. On la voit aussi faire la coquine avec «Body Slang». Le pire c’est que c’est excellent. On sent la Soul Sister à l’affût. En B, on trouve un autre heavy balladif, «One Bad Habit». C’est sa came. Elle les finit tous en force.
Pour Wright Back At You, elle s’installe en Jamaïque et enregistre avec Marlon Jackson, le frère de Michael. Elle explique à Brown qu’à Miami, les gens connaissaient le reggae bien avant que ça ne soit devenu une mode - Je chantais déjà le reggae longtemps avant de rencontrer Bob (Marley) et j’ai fait ‘Tears On My Pillow’ avec Johnny Nash à 12 ans - Manque de pot, Wright Back At You sort en même temps que Thriller. Donc c’est cuit. Elle revient néanmoins à sa chère good time music avec «Be Your Friend» et rend hommage au reggae avec un «Reggae The Night Away» bourré d’énergie et de tous ces petits sons qui font la grandeur du reggae. C’est sûr, il y a du son sur cet album et Betty a du métier.
La voilà sur la plage pour la pochette de Sevens paru en 1986. Elle y sonne très entre deux eaux, et ce n’est pas inintéressant. Mais ce n’est pas non plus la panacée. Son «Tropical Island» est extrêmement agréable à écouter. Comme l’indique son titre, c’est un slow groove et Betty reste l’artiste accomplie que l’on sait. On l’a vu depuis la grande époque TK, c’est dans le groove qu’elle donne le meilleur d’elle-même. Oh, mais il y a un hit sur cet album balnéaire : «Pain». Slowah painy et mélodique en diable, c’est la surprise.
Quand elle en a marre de se faire rembarrer par les labels, elle décide de créer le sien, Ms. B Records et sort trois albums à la suite, Mother Wit, 4U2NJOY et Passion And ComPassion. Ce sont des albums qui ont une double particularité. La première est que Betty pose comme un mannequin de mode sur les trois pochettes, avec chapeaux et bijoux assortis, et la deuxième c’est qu’on peut se passer de ces albums. Ils sont vraiment réservés aux inconditionnels. Comme Betty a encaissé des sacrés coups durs dans la vie, elle compose pas mal de chansons sur le thème de la douleur. Elle démarre son Mother Wit avec «After The Pain». Elle utilise le slow groove pour raconter sur histoire. Pareil sur 4U2NJOY : elle y chante une merveille intitulée «From Pain To Joy». Elle y redevient envoûtante. Elle arrache toujours aussi bien au chant, elle passe du guttural au chant des sirènes, comme par enchantement. On trouve d’autres grosses poissecailles sur Mother Wit, notamment la heavy diskö de «Ms Time» et un «Miami Groove» en B solidement percutionné du cocotier. Puis on la voit encore se fâcher après un connard dans «Fakin’ Moves» : elle lui demande d’arrêter de faire semblant - Stop fakin’ move on me ! - Encore une fois, elle a raison de gueuler. Les mecs sont tous les mêmes. Il n’y en a pas un pour racheter l’autre.
Sur B-Attitudes paru en 1994, on trouve un duo de choc avec Marvin Gaye : «Distant Lover». Elle se prélasse avec Marvin sous les draps de satin jaune. Que peut-on espérer de plus sexuel qu’un duo avec Marvin sous les draps ? Qui est le plus come back baby des deux ? Sinon, elle se tape de belles tranches de heavy diskö funk. Viva Betty ! Des cuts comme «Love Is Too Deep» et «Feels Good» sont montés sur des big bassmatics qui sonnent comme des modèles du genre, d’autant que la prod les met en avant. Avec «Don’t Hurt Me», elle retrouve ses prérogatives de princesse. Elle chante sa Soul d’entre deux eaux et garde des traces de son âge d’or. Betty est une Soul Sister assez complète. Elle sait se fondre dans les méandres de la Soul. «Only You» est une merveille de slowah absolutiste, solide, bien foutu et bien chanté. Elle impose encore le plus grand respect avec «I Found Love». Elle se débrouille toujours pour fourbir un album solide. Tout repose sur la justesse et la puissance de sa voix. Elle n’a rien perdu de son éclat.
Retour inespéré en 2011 : elle enregistre un album avec the Roots qui s’appelle Betty Wright: The Movie. Attention, c’est un big album. Betty y flirte avec le hip hop et continue de labourer sa diskö. Il faut la laisser faire son truc. Elle adore ce son de heavy diskö qu’on entend dans «Surrender». Vas-y Betty ! Elle n’en finit de taper dans le groove de diskö-funk, elle sait de quoi elle parle avec «Grapes Of Vine», elle chante à la force du poignet. Et puis soudain, l’album s’éclaire avec «Look Around (Be A Man)». Elle y fait du Sly. Nous voilà au paradis, avec une chanteuse de rêve et le beat qui va avec. Puis on la voit rentrer dans le lard du groove avec «Hollywould». Fabuleuse shakeuse ! Elle multiplie les exploits et sur ce coup là, elle devient littéralement démoniaque. Retour en force au groove de charme avec «Whisper In The Wind». Betty est la gonzesse parfaite, elle sait tout faire. Sa good time music est l’une des plus parfaites de l’histoire de la Soul, car extrêmement chantée, avec des pointes de glotte. Cet album est une bombe, planquez-vous ! Elle chante son «Baby Come Back» comme on chantait un vieux hit de r’n’b, elle chante au cœur de l’atome et tout explose à nouveau avec un «So Long So Wrong» qu’elle chante jusqu’au bout du bout. Elle drive son cut à la perfection, groove parfait, franc du collier, elle est magnifique, il faut voir comme elle allume son So Long. Et voilà qu’elle fait son Aretha avec «The One». Elle réserve toujours des surprises épouvantables. Ses accents arethiens ne trompent pas. Elle ultra chante, it’s been good, elle sait si bien le dire. Fantastique Sistah.
Signé : Cazengler, Bêta Wright
Bettty Wright. Disparue le 10 mai 2020
Betty Wright. My First Time Around. ATCO Records 1968
Betty Wright. I Love The Way You Love. Alston Records 1972
Betty Wright. Hard To Stop. Alston Records 1973
Betty Wright. Danger. High Voltage. Alston Records 1974
Betty Wright. Explosion. Alston Records 1976
Betty Wright. This Time For Real. Alston Records 1977
Betty Wright. Betty Wright Live. Alston Records 1978
Betty Wright. Betty Travellin’ In The Wright Circle. Alston Records 1979
Betty Wright. Betty Wright. Epic 1981
Betty Wright. Wright Back At You. Epic 1983
Betty Wright. Sevens. First String Records 1986
Betty Wright. Mother Wit. Ms.B Records 1987
Betty Wright. 4U2NJOY. Ms.B Records 1989
Betty Wright. Passion And ComPassion. Ms.B Records 1990
Betty Wright. B-Attitudes. Ms.B Records 1994
Betty Wright & The Roots. The Movie. Ms.B Records 2011
Geoff Brown. She’s The Boss. Mojo # 313 - December 2019
Bert au grand pied
Quand un mec comme Bob Bert publie ses mémoires, en règle générale on saute dessus. Bob Bert ne fut pas seulement le batteur de Sonic Youth, d’Action Swingers, de Bewitched, de Pussy Galore, des Chrome Cranks et des Knoxville Girls, il est aussi peintre, photographe et fanzinard. Son recueil de mémoires est plus un livre d’art qu’un pavé ventru et le voilà publié aux bons soins d’HoZac, le label underground new-yorkais qui nous régale aussi d’un sweet book signé Sal Maida et d’une monographie consacrée à Chris Bell, the real Big Star.
Pour bien se positionner dans le domaine des livres d’art, Bob Bert opte pour un format élégant, ni trop carré ni trop rectangulaire, ni trop haut ni trop bas, et astucieusement agencé en séquences qui alternent de brillants portraits écrits et de flashants portraits photographiques. C’est une sorte de galerie de portraits à la Warhol, très vivante, très fraîche, très colorée, très gratinée au sens où on l’entend dans l’underground dauphinois. On croise par exemple des portraits de gens comme Lydia Lunch, Andy Warhol, Divine et son mentor John Waters, Howie Pyro, Richard Kern, Kim Shattuck (Muffs), Fred Cole (stupéfiant portrait flou de Cole avec le big Dead Moon tattoo sur la joue), Clem Burke, Elliott Smith, Kid Congo, Ian Svenonius, Steve Albini, Cynthia Plaster Caster, Vincent Gallo avec six pages pour le moins cathartiques, Michael Gira avec des pages autobiographiques absolument fascinantes, James Chance, Genesis P-Orridge (RIP) et ses litanies, Redd Kross, Hasil Adkins, James Sclavunos, quatre pages avec Suicide, et puis des accolades avec Kim Salmon, les Feshtones, Clem Burke, Mudhoney, King Buzzo des Melvins, puis avec Steven McDonald, Michael Gira et bien sûr pour finir, Lydia Lunch. C’est un ouvrage consistant, qui tient bien au corps et dans lequel on se plait à replonger encore et encore, car n’en finit-on jamais d’examiner les portraits de personnages consistants ?
Quand il évoque l’année de sa naissance, en 1955, Bob cite dix événements qui ont marqué l’année en question, notamment l’arrestation de Rosa Parks qui avait osé s’asseoir dans la partie du bus réservée aux blancs. Bob se souvient d’avoir traversé la Floride avec ses parents en 1961 et d’avoir vu les familles noires devant leurs cabanes : «Ça m’a fortement impressionné à l’époque et si j’éprouve du racisme, c’est envers les blancs stupides. La seule fois où je suis retourné en Floride, c’était dans les années 90 avec les Chrome Cranks, in and out.» À part Rosas Parks, il cite aussi la sortie de «Maybellene», puis celle du film de Nicholas Ray, Rebel Without A Cause, la première apparition télé d’Elvis et il en profite pour raconter comment il convertit à une époque Jon Spencer au culte d’Elvis : Pussy Galore était en tournée et Bob avait amené une K7 d’Elvis. Jon Spencer commença par vouloir l’écouter encore et encore, puis il changea de coiffure et se laissa pousser des rouflaquettes, et pour finir, il se mit de plus en plus à chanter comme Elvis - You can hear the Elvis-isms creeping in on his vocals on the final Pussy Galore LP Historia De La Musica Rock where we do a cover of ‘Crawfish’. Ladies and Gentlemen The Blues Explosion, obviously Elvis-inspired (Vous pouvez entre ses accents à la Elvis dans la cover de ‘Crawfish» qui se trouve sur le dernier album de Pussy Galore, Historia De La Musica Rock) - Well done, Bob !
Puis il raconte vite fait son adolescence à Clifton, une banlieue Ouest de New York et en 1975, il déboule avec un copain au CBGB pour découvrir Patti Smith et Television qui jouent devant vingt personnes - J’avais découvert le paradis et j’y retournais quatre fois par semaine pour voir tous ces nouveaux groupes démarrer - Bob voulait faire du Warhol aussi s’inscrivit-il au School of Visual Art de New York. Il travailla même dans l’atelier de sérigraphie d’Andy Warhol à l’époque où il jouait dans Sonic Youth et Pussy Galore. Visiblement, ça ne se passe pas très bien dans Sonic Youth puisqu’il est viré du groupe et remplacé par Jim Sclavunos, avant d’être rappelé quelques mois plus tard. Oh Bob ne s’étend pas trop sur cet épisode. Il renvoie plutôt à la lecture du book de Stevie Chick, The Psychic Confusion: The Sonic Youth Story. Plus glorieux est l’épisode consacré à Pussy Galore, qui fut réellement à l’avant-garde de la scène new-yorkaise - Pussy Galore was a perfect concoction of industrial noise blended with 60s garage rock and I fell in love instantly - Bob apprend vite à taper sur des vieux réservoirs d’essence pour amener un son outrageusement indus dans Pussy Galore. Il qualifie le son d’industrial garage rock racket. Pendant leur tournée japonaise, ils découvrent un groupe nommé Boredom qui les bluffe complètement - The hardest I ever had to follow. We were completely blown away - L’aventure Pussy Galore s’arrête brutalement quand Neil Hagerty et Jennifer Herrema quittent New York pour la Californie, sans avertir personne, ni Bob ni Jon. Sacré Neil !
On monte encore d’un cran dans la légendarité des choses avec les Chrome Cranks. Et pourtant Bob hésite à rejoindre le groupe car les Cranks sonnent trop comme Pussy Galore, un épisode qui pour lui date déjà de dix ans. Mais Mark Arm lui dit que les Cranks sont énormes, car ils sonnent comme les Scientists. Ha bon ? Bob ne connaît pas les Scientists et donc c’est l’occasion pour lui de les découvrir. Puis il nous emmène dans un autre épisode à dimension mythique, les Knoxville Girls, ce gang monté autour de Kid Congo et Jerry Teel. Quand Larry Hardy entend parler du projet, il signe le groupe, sans même avoir entendu une seule démo. Bob s’émerveille de voir un ex-Cramps jouer dans le même groupe qu’un ex-Sonic Youth. Il nous raconte quelques souvenirs de tournées avec les Girls, notamment sur la côte Ouest, à San Diego, avec some poseur kids called The Dandy Warhols en première partie. Bob voit les Knoxville Girls comme a good party band mixing country with some noise. Ils se qualifiaient eux-mêmes de No Wave Country. Et quand Jerry Teel part s’installer à la Nouvelle Orleans, c’est à la fois la fin des Chrome Cranks et des Knoxville Girls. Amen.
Encore un magnifique portrait, celui de cette teenage girl qui arrive de Rochester dans le milieu des années 70 et que Willy DeVille baptise Lydia Lunch. Elle inspire l’«I Need Lunch» des Dead Boys et démarre la No Wave avec Teenage Jesus & The Jerks. Bob parle de groundbreaking newness of raw head-ripping sound, d’autant plus que c’est produit par Robert Quine - I’ve been a Lunch addict ever since - Bob explique qu’elle fait un foin considérable, couvrant toute la gamme No Wave, Jazz Noir, Funk, Cock Rock, Southern Boogie, held together by the vision of Lunch. On ne compte plus les projets collaboratifs, Rowland S. Howard, Exene Cervenka, Henry Rollins, the list is endless, nous dit Bob, la discographie de Lydia Lunch donne en effet le vertige. Bob recommande chaudement de voir Retrovirus sur scène - We will be creepy-crawling into your town - et affirme un peu plus loin qu’elle a du génie : «Her mastery of stage control is super-genius.»
Il rend aussi hommage à Steve Albini, non seulement pour avoir produit Nirvana, les Pixies, PJ Harvey, Cheap Trick, les Breeders, Page & Plant, mais aussi pour avoir envoyé promener l’industrie du disk et les gros labels pour se consacrer au monde du hard hitting Underground Music. L’interview de Vincent Gallo est tirée d’un numéro de BB Gun, le fanzine de Bob, et franchement, ça vaut le détour. Gallo a vraiment un style, il est la rock-movie star par excellence. Dans l’interview il descend par exemple Jim Jarmush - Jim doesn’t have soul - et lui préfère Richard Kern qui deale de la dope pour financer ses projets de films. Bob brosse également un portrait superbe de James Chance - the bastard son of free jazz, James Brown and Iggy in a sharkskin suit, pompadour and a saxophone - Bob rappelle qu’en plus James Chance allait dans le public pour giffler des gens, ce qui paraît-il augmentait encore son charisme. Pour Bob, James Chance fut le premier à shooter du jazz et du funk dans le punk rock world et l’album Off White reste l’un de ses albums favoris.
Jeff McDonald accorde aussi une interview à Bob pour BB Gun. Quand Bob lui demande pourquoi ils portaient les cheveux longs alors que tout le monde les portait courts, Jeff répond que c’était par amour pour les Rolling Stones et les New York Dolls. On peut difficilement faire mieux en matière de références. Redd Kross fait d’ailleurs une fantastique cover de «Citadel» sur cet album devenu cultissime, Teen Babes From Monsanto. Bizarrement, Bob ne parle pas beaucoup de Cramps, ce sont donc les autres qui en parlent à sa place. Comme par exemple Jim Sclavunos que les Cramps embauchent à une époque. Mais Jim voit qu’ils n’ont pas trop confiance en lui, «parce que j’ai trop de vie sociale. Je ne suis pas non plus assez pâle. Ils avaient des exigences extraordinaires. Ils voulaient par exemple que je marche dans Los Angeles avec une ombrelle pour ne pas avoir la peau du visage halée. Ils n’aimaient pas le fait que je joue dans d’autres groupes. Ils voyaient d’un sale œil ma fréquentation de Lydia Lunch, de l’art rock et de tous ces trucs malsains. Et quand ils ont découvert que j’avais été journaliste, ce fut la fin des haricots. Je fus viré sur le champ.»
Signé : Cazengler, Bob Berk
Bob Bert. I’m Just The Drummer. HoZac Books 2019
TONY MARLOW TRIO
LE BACCHUS
( 19 – 06 – 2020 / CHÂTEAU THIERRY )
ON THE ROAD AGAIN
Après Courgivaud, vous quittez la terre de hommes. Disparus. N'en reste plus un seul. N'y a plus que moi et la teuf-teuf. Qui ronchonne. C'est quoi ce pays, même pas un piéton sur le bord de la route à écraser ! Excusez-la. Folle de joie à l'idée de repartir dévorer les grands espaces. Premier concert depuis trois mois. Du jour au lendemain, rayés de la carte du monde, l'on ne sait pas trop pourquoi. Aussi énigmatique que la subite extinction des dinosaures. Quoique dans ma tête je pense détenir l'hypothèse qui permettra de résoudre le mystère, n'ont pas dû survivre au premier confinement, privées de mouvements et de pâturages ces délicates bébêtes sont mortes d'ennui et de faim. N'étaient pas aussi terribles que le racontent les paléontologues puisque nous, race fragile des humains, avons survécu. Enfin pas partout. Dans le département de la Marne, ne reste plus que des champs de blés sans fin entrecoupés de vastes marnières.
Une pancarte : '' Grand Morin''. L'a dû oublier de grandir, le pont qui l'enjambe mesure au moins deux mètres cinquante. Montmirail, des rues vides, au fond d'une avenue passe une voiture de survivants ! Sans haine nous entrons dans le département de l'Aisne. Nous voici dans Château Thierry. Non nous n'avons vu ni le château ni Thierry, par contre des groupes de jeunes qui discutent et se promènent. Tous connaissent l'emplacement exact du Bacchus.
Comme quoi, rockers, les Dieux de l'antique Rome
N'ont au très grand jamais abandonné les hommes.
Admirez la rime des mes alexandrins foireux, nous sommes au pays de Jean de La Fontaine.
GOIN' BACCHUS HOME
L'est des lieux – de plus en plus rares – où l'on se sent mieux qu'ailleurs. Un bar d'où l'on ne se barre pas. D'abord vous avez les trois attributs magiques du bar qui se respecte. Au mieux de nos jours, rares sont les établissements qui en possèdent un seul, la plupart du temps relégué en un coin sombre.... mais ici on les exhibe fièrement. D'abord un billard américain avec son tapis vert aussi vaste que la toundra russe, vous ne pouvez pas ne pas le voir, sa pelouse verdoyante vous saute aux yeux dès l'entrée. Point d'inquiétude la pièce est spacieuse. Un flipper bien sûr, l'unique machine au monde qui exacerbe les passions dès qu'elle s'arrête sans prévenir. Tilt ! Un frisson de rage vous parcourt l'abdomen, c'est tellement bon que vous ne résistez pas à remettre une pièce. J'ai gardé le meilleur pour la fin, l'appareil-roi, le babyfoot, le meuble convivial par excellence. Il fut le premier réseau social. Limité certes, mais ô combien de passions tumultueuses déchaînées !
Bien sûr vous pouvez boire. Et même manger. Les prix sont modérés. Longue salle à brasserie qui elle aussi a vue sur la scène. Car le Bacchus est un bar rock. Se font de plus en plus rares par ces temps qui courent, de plus en plus lentement, de plus en plus pesamment. A croire que les autorités ne les aiment pas. L'on ne compte plus les groupes qui sont passés par là et qui repasseront par ici. Les affiches sur les murs en témoignent. Eclectique mais électrique. Le rock qui tache, qui hache, qui fâche. D'ailleurs les bars qui offrent des concerts en cette période de post-confinement se comptent sur les doigts de la main d'un manchot. Preuve qu'ils aiment ça !
Est-ce tout ? Non, le Bacchus possède une âme. Magnifiquement incarnée. Se prénomme Sabine sous sa crinière mordorée de lionne, visage auréolé d'un beau sourire et des mains pleines de bagues. Vous régente son monde avec simplicité et intelligence.
FIRST SET TO HEAVEN
Il y a des soirs où vous êtes gâtés. Trio Tony Marlow après trois mois d'abstinence. Sont là en chair et en os. Avec leurs instruments. Envie de les tapoter discrètement pour s'assurer que ce ne sont pas des hologrammes. Amine inspecte une dernière fois sa big mama, Tony se charge de dire bonjour au micro. Fred Kolinski préside. Pour ceux qui ne connaissent pas, je précise qu'il trône derrière sa batterie, pause hiératique, ses yeux clairs fixés sur l'invisible, ses cheveux blancs qui retombent sur ses épaules lui donnent l'apparence du chef des druides des légendes bretonnes, indifférent à ses congénères, en conversation muette avec les puissances invisibles qui lui révèlent, par les mille bouches des feuilles des arbres agités par un vent léger, mille secrets interdits...
Hélas nous n'en saurons rien, démarrent tous les trois brutalement, z'ont Rendez-vous au mythique Ace Cafe, se tirent la bourre, chacun essaie de distancer ses deux copains, accélèrent comme des fous, mais au final pilent juste devant la vitrine, tous les trois sur la même ligne. Genre d'instrumental que l'on adore, les virages ne sont pas négociés, et sur les lignes droites l'honneur vous interdit de ralentir. Pas plutôt arrivés que déjà repartis, Around and Around de Chuck Berry, une gymnastique hallucinante, un coup vous foncez dans le brouillard comme des fadurles et le temps d'après changement de rythmique, vous buvez une tasse de thé, le petit doigt en l'air pour séduire une gente damoiselle, et hop le brouillard vous happe une nouvelle fois. Ce vieux Chuck alterne le froid et le chaud. Un traquenard innommable. Souvent les groupes vous le font à l'auto-tamponneuse, un coup je rentre, un coup je recule, chacun à sa propre cadence, mais le TMT ils vous le font à la mécanique d'horlogerie suisse, jamais un temps en avance ou en retard. Pas question que les planètes se télescopent ou que les engrenages s'entremêlent les roues dentées.
Question pionniers, dans les minutes qui suivent nous aurons Blue days, black nights, pas de mes titres préférés de Buddy Holly, un excellent exercice de surfilage et de doigté, mais qui manque de niaque à mon humble avis. Surtout qu'entre temps ils ont enfilé deux compos , en français de surcroît, Rockabilly Troubadour et Le garage, qu'ils ont merveilleusement interprétées à fond les gamelles, Tony impérial au vocal, l'impression à chaque fois de descendre une ruelle en pente sur le triptyque diabolique de la bande à Gaby dans Le cheval sans tête de Paul Berna. Faut écouter les textes de Tony, de véritables petits chefs-d'œuvre, des tranches de vie qui nous ressemblent. Et nous rassemblent. Autre classique, Hallelujah I love her so d'Eddie Cochran qui l'avait lui-même repris à Ray Charles. Là j'avoue que je sais plus quoi écouter. La voix de Tony, encore plus nette plus précise que d'habitude, et puis surtout l'impression d'ensemble, le combo comme formé d'un seul homme. Sont trois à jouer, ne se répondent plus, sont totalement enchevêtrés, imbriqués. Soudés comme jamais. Pas de croche-pied, pas de débordement. Pas de froideur jazzistique non plus. Un rentre-dedans époustouflant, un torrent qui vous emporte en un flot tempétueux. Les applaudissements crépitent à la fin des morceaux. Se transformeront en ovation lors des pépites qui suivent. Le meilleur est à venir. Debout ! Nouveau morceau. Le TMT a mis à profit le confinement. Z'ont composé, z'ont répété, z'ont enregistré, sont en train d'achever un nouveau disque, et nous ont offert de nouveaux titres. Ce Debout ! Bien dressé sur ses ergots de coq de combat. Victorieux. Un red rooster carabiné. Entre celui-ci et le suivant, un truc bien connu, Hey Joe, avec les lyrics de Johnny, oui mais à la guitare. Tony Marlow. Même pas une mini-box ou une pédale d'effets. Les cordes seules. Et le doigté. La Fender qui fend l'air. Une espèce de typhon qui fond sur vous, trois minutes, quand vous reprenez conscience, votre maison a disparu, tous les vôtres sont morts, vous êtes tout nu, mais vous exultez, l'expérience valait le coup. Mais vous n'avez encore rien entendu. Faudrait les dénoncer, vous prennent en traître. Après Jimi, vous sortent le slow de l'été, guitare sixties et pseudo-mélancolie pour ménagère de plus de quatre-vingt balais usés. Juste une autre chanson, c'est le titre, difficile de trouver plus tricard, le morceau de la soirée qui m'a scotché, comment dire, un truc qui sonne juste, qui transcende le temps et les époques. Un fragment d'éternité.
Plouf ! Là-dessus un Matchbox de Carl Perkins. Dévastateur. Suis sûr que c'est la même boîte d'allumettes qui a servi l'été dernier à mettre le feu à l'Amazonie. Continuent dans l'apocalypse, Quand Cliff Galloppe, retenue et lacération, le tigre qui vous déchirera de ses griffes, les a d'abord rétractées afin de les sortir d'autant plus violemment quand il les enfoncera dans votre chair. L'on attend Marlow le marlou sur ce titre, c'est Amine qui vient le trouver, tout contre, tout contrebasse, et l'on saute dans une superbe bagarre-ballet au cran d'arrêt des plus méritoires. C'est Fred Kolinski qui aura les trois mots de la fin, pim, pam, poum, vous frappe ces trois coups de gong fatidiques comme les curés vous expédiaient l'extrême-onction en 14, sur les cadavres entassés dans la tranchée que vous veniez de prendre à la baïonnette. Au cas hautement incertain où auriez survécu, vous ont réservé une sorte d'entonnoir, genre porte étroite qui vous expédie en enfer sous forme de chair à saucisse, un instrumental, je me contente de vous laisser méditer, mes très chers frères et mes encore plus chères sœurs, sur le titre : Boogie furieux. Peut-on exiger congruence plus parfaite entre le son d'une chose et la dénomination qui la nomme.
Que vont-ils nous inventer pour la séquence suivante. Ils trichent. Prennent les spectateurs par les sentiments, Alicia F ! Deux morceaux à tout berzingue. I need a man qu'elle chante à vous couper le souffle. D'ailleurs dans la seconde qui suit, elle envoie Breathless de Johnny Kidd, qu'elle smashe breathfull. L'a pris nos cœurs à l'abordage, elle est déjà partie. Alicia F ! ne fait pas de prisonniers.
L'on termine en beauté sur un Be Bop A Lula d'anthologie, repris en chœur par tout le monde. Même des dîneurs attardés se lèvent pour piquer la goualante.
SECOND SET TO HEAVEN
Fut à la hauteur du premier. Si vous me le permettez j'accorderai une moindre importance à la set-list. Sous les titres, ce sont les hommes qui les portent qu'il faut regarder. Une mention spéciale au Rock'n'roll Music de Chuck Berry, tout comme l'Around and Around du premier set. L'ont traité à l'ancienne. Je ne veux pas dire qu'ils ont imité Chuck Berry. Non, ils ont réussi à retrouver le son des tout premiers quarante-cinq tours de Chuck. L'on a tendance à jouer Chuck avec des guitares claironnantes, genre j'envoie le riff de Johnnie B. Goode et en avant la fanfare et la ferblanterie. Les premiers enregistrements de Chuck étaient beaucoup moins tape-à-l'œil, beaucoup plus terre-à-terre, moins clinquants, davantage low down pour jouer avec l'antithétique formule slow down. L'on touche à la boue du delta, la guitare s'en extrait, mais y retombe irrémédiablement. Même si Keith Richard peut être tenu pour responsable de la flashy manière de passer les riffs, il ne faut pas mésestimer ce que les Stones doivent à Berry, une certaine lourdeur qui leur a permis de mieux entendre le blues que les autres, de concocter cette épaisseur sonore, ce magma inextricable, qui les a classés bien au-dessus de tous leurs concurrents à leur époque.
Avant de parler des mecs, anticipons le retour d'Alicia F, Le Diable en personne version française de Shakin' All Over, ah ! Cette partie de guitare de Joe Moretti, un des meilleurs guitaristes anglais que trop souvent l'on oublie de mentionner, et puis le classique de Bobby Fuller IV, ce I fought the law l'hymne des rebelles qui perdent la partie sur un rythme entraînant qui a l'art de transformer la défaite en victoire. Paroles reprises par toute la salle, ce qui n'empêche pas Alicia de s'éclipser aussi rapidement que précédemment. Aurait-elle compris que l'absence attise le désir plus qu'elle ne l'émousse !
Marlow rides again. C'est le titre d'un de ses morceaux. Un instrumental. Mot magique. Horripilant lorsque vous regardez Marlow jouer. Cela semble si facile ! Les doigts et pas d'esbroufe. Un homme qui sait ce qu'il veut. Et qui se donne les moyens de l'obtenir. Marlow aime à galoper. L'a une prédilection pour le difficile, pour le défi, pour le lot de ficelles qui doivent se dérouler à toute vitesse, sans s'emmêler. Regardez ses doigts. Même sur les tempos les plus chaotiques qui passent du coq à l'âne, il les meut avec une certaine lenteur. Ne confond pas vitesse et précipitation et surtout pas célérité avec précision. Les traite toutes les deux à part. Dans son jeu aucune ne doit dépendre de l'autre. C'est sa tête qui décide. D'où il part. Où il s'arrêtera. Et surtout de toute la cartographie du chemin. Marlow ne cherche pas la note pour la note, mais pour sa musicalité. L'éclat et la brillance. Le foyer des pierres précieuses. A la manière des lampyres, ces verts luisants qui allument la verte intransigeance de leur émeraude pour que la nuit paraisse encore plus noire. L'on ne s'ennuie jamais à écouter le Marlou, construit davantage des lignes mélodiques que des riffs, mais il accorde à chacune une scintillance, une force, un climat qui n'appartient qu'à elles. Des espèces de leitmotivs wagnériens qui reviennent et disparaissent selon sa volonté. N'égrène pas des notes, ne sème pas à tous vents ni au hasard. Il compose et dispose. A sa guise. Un des meilleurs guitaristes.
Amine Leroy. Les cheveux du même noir que sa contrebasse. Se ressemblent quelque peu, mais c'est lui le roi. La reine n'a pas trop son mot à dire. Lui dicte ses discours. La talonne de près. La surveille. Fais la note et tais-toi. Je ne veux pas t'entendre, juste ce que je te demande, Amine slappe comme le chat lape son lait. A coups précis et rapides. Le liquide n'a qu'à se laisser faire, c'est la langue du greffier qui vide la soucoupe. C'est Amine qui fouette le slap, la mama n'a que sa propre élasticité à offrir. Amine n'est pas un égoïste, donne beaucoup, apporte tout ce qu'il trouve en lui, sa virtuosité, sa force, ses inventions, ses désirs, ses émotions. L'est le peintre qui porte les couleurs sur la toile qui n'a que le mérite d'être-là. Les contrebassistes sont comme les sous-marins. Ils dégagent un son – on appelle cela une signature qui permet de les identifier - qui n'appartient qu'à eux. Celui d'Amine est sec, net, tranchant, peu protubérant mais empli de profondeur caverneuse. Entre parenthèses, idéal pour le rockabilly. Et ce soir Amine est animé d'une hargne joyeuse, il cherche le full-contact, il lève la jambe un peu à la Gene Vincent par-dessus un micro qui n'existe pas. Amine s'exalte et exulte. Il a le son, comme les gitans ont le duende, il le porte partout avec lui, il le matraque, il le maltraite, il en extrait de ces résonances qui toute la soirée firent notre délice.
Nous avons commencé par lui, nous terminerons par lui. Fred Kolinski derrière ses tambours. Les batteurs sont des hypocrites, se mettent contre le mur, genre je suis le cancre au fond de la classe près du radiateur, ne m'en demandez pas trop. Fred Kolinski est de ce type-là. Et puis si vous le quittez de l'œil vous vous dites, bon ça va, il bosse. Mais si vous le regardez vous vous apercevez qu'il est partout à la fois. Bien sûr l'air de rien, avec sa posture royale de sage supérieur dédaigneux des contingences terrestres. En vérité l'est comme le matou couché sur le divan. Semble dormir profondément mais si au deuxième étage de la maison une souris sort de son trou, s'il parlait il pourrait vous spécifier qu'elle se trouve exactement à quinze centimètres au sud-sud-est du troisième pied de la commode. Bref Fred taffe à mort. Il est le véhicule d'intervention premier secours d'urgence et en même temps la voiture balai qui vient en aide aux éclopés du tour de France. C'est un plaisir de regarder Kolinski, l'est tour à tour le garçon de café qui vous apporte votre boisson préférée avant même que vous soyez aperçu que sans elle vous alliez mourir de soif dans la seconde qui vient, ou le chien d'avalanche salvateur avec son petit tonneau de rhum qui vous aide à remonter de la crevasse dans laquelle votre impéritie vous avait précipité. C'est aussi un jeu. Sont trois sur scène. Comme des acteurs qui s'amusent à rallonger ou à raccourcir une réplique pour jouir de l'a-propos de son collègue.
Kolinski joue simple, c'est lui qui le dit. Mais de cette simplicité des joueurs de bonneteau qui sans se presser du même geste intervertissent trois timbales et s'approprient le billet de cent euros que vous aviez bêtement parié. L'est toujours là où il faut et là où il ne faut pas. L'assure sa partie et assume les dérives des deux autres. Se connaissent bien, et ce soir les écarts ne furent jamais monstrueux. Bref un superbe concert ! Un chaleureux public d'habitués, il aurait pu être un poil plus nombreux, les gens se plaignent mais laissent passer les occasions en or. Trois musiciens bourrés de talent, dispensateurs de rock'n'roll.
Un vrai concert pas un ersatz je-joue-chez-moi-dans-ma-salle-de-bain-et-vous-m'admirez-sur-FB. Mais pour cela, il faut remercier Le Bacchus et Sabine qui n'a pas décommandé, qui n'a pas eu peur. C'est elle qui mérite la mention Attitude Rock'n'Roll !
Damie Chad.
*
Il est des chanteurs de rock des années cinquante dont on ne possède que quatre ou cinq photos, certes leur carrière ne dura que quelques mois, un ou deux petits 45 tours et puis s'en vont, cependant pour les artistes connus de la même époque les documents iconographiques ne sont pas pléthoriques, il suffit d'être par exemple fan d'une idole qui eut son heure de gloire pour s'apercevoir que l'on retombe sempiternellement sur les deux cents à trois cents mêmes documents. Tous les rockers n'ont pas eu la chance d'Elvis Presley qui en son temps fut l'homme le plus photographié de son siècle.
L'on en parle peu mais au début des années soixante en France les fans collectionnaient les photographies, type cartes postales, parfois en couleurs, souvent en noir et blanc, des groupes rock et yé-yés plus ou moins célèbres. Jusqu'au début des années quatre-vingt-dix l'on pouvait encore s'en procurer dans les brocantes, sur les marchés et les foires chez des vendeurs spécialisés dans ces catalogues d'une autre époque.
Les temps ont changé. Le portable est arrivé et tout s'est arrangé. J'aimerais partager cet optimisme. Il est sûr que lors du concert d'une formation quasi-inconnue, mal annoncé, en un rade incertain, devant un public réduit à quinze personnes il n'est pas rare d'avoir dix aficionados qui d'office sortent leur téléphone et mitraillent sans discernement.
L'iconographie des groupes d'aujourd'hui – je parle de ceux qui n'ont aucun accès aux media de masse - reposent en grande partie sur ces images, vite prises pas prises, ai-je envie de dire, car si certaines sont occasionnellement très fortes, elles n'offrent qu'un intérêt artistique limité, mais tout document n'est-il pas digne d'attention soutenue ? De plus il règne dans nos milieux rock une latente idéologie post-punk, post-dadartistique qui privilégie l'authenticité maladroite en opposition avec l'orthodoxie bien proprette sur elle attendue de tous que l'on retrouve dans les magazines sur papier glacé, avec les artistes souriant en rang d'oignons.
Certains groupes ont la chance d'être amicalement suivis par des photographes pourvus d'un matos de pro et surtout d'une sensibilité rock qui leur fournissent de belles et alléchantes photographies mais qui avant tout cherchent davantage à traduire le force, voire la fragilité, de l'impact esthétique de leur prestation. Se veulent fidèles à la réalité de leurs impressions et en oublient du coup que le résultat de leur '' travail '' est aussi une production artistique qui devrait être formellement poursuivie en ce sens, ils négligent de l'entrevoir et de le présenter en tant que création à part entière.
Toutes ces généralités préambulesques pour en venir à une série de photos d'Alicia Fiorucci prises par Antoine TK Pix Newel. Alicia Fiorucci a compris qu'il n'était pas suffisant d'être vue car c'était rester captive des représentations de l'autre. L'important est de se donner à voir en tant que soumission du regard de l'autre à sa propre volonté. Maîtresse du jeu.
ALICIA F
BREXIT, ROCK & SEXY BY TK PIX
( 06 / 07 / 2016 )
Ici il ne s'agit pas de photos mais d'images. Evidemment que ce sont des photographies ! Mais il faut comprendre que la photographie est juste le support, que c'est l'image qui lui donne sens. L'image est toujours double, elle est autant engendrée par celui qui l'a objectivée que par celui qui a donné naissance à sa subjectivisation. Dans la plupart des cas qui retiennent notre attention les deux personnes se confondent. Ici la situation se corse – ce qui n'a rien d'étonnant quand on s'appelle Fiorucci – elles sont trois, le photographe, la commanditaire qui est aussi le modèle. Trois dimensions, serions-nous plus près de la sculpture que d'une forme mise à plat ? Evidemment que oui ! Mais une sculpture mentale, autant dire une œuvre réfléchie, qui réfléchit autant l'autre que l'une, autant l'autre que la même.
La planche qui comporte les 15 photographies est précédée du rappel du thème de la séance : Rock, English and sexy obviously. Je ne vous ferai pas l'injure de vous traduire les quatre premiers mots. Le cinquième me semble davantage sujet à caution. Evidemment qu'obvoiusly signifie évidemment. Mais le vocabulaire anglais étant truffé de vocables français – merci Guillaume le Conquérant – il se doit d'être rapproché de notre verbe obvier, un terme au sens aussi glissant qu'un serpent à deux têtes qui signifie aussi bien s'opposer que faciliter ! L'ambiguïté faite adverbe est évidente.
1
Brexit !
Que le rock soit anglais, Beatles, Rolling Stones et des centaines d'autres groupes l'ont démontré. Qu'il soit une musique à forte connotation sexuelle est indéniable. Nous surfons sur des évidences. Reste qu'évidemment cela doit être appliqué à Alicia Fiorucci, qui se veut décliner non en en Itsi, Bitsy, Petit Bikini, mais en Brexit, Rock and Sexy, by TK PIX. Et rien d'autre. Mettez-vous à la place d'Antoine Newel. Rien d'autre signifie rien d'autre qu'Alicia. Il a tenu la gageure. Fond blanc. Sauf sur la première image sur fond d'Union Jack. Depuis les Who rien de plus parlant que la pavillon britannique pour désigner l'Angleterre. Les Sex Pistols à la génération suivante n'ont fait que confirmer. Pistols, laissez tomber, Sex nous sommes en plein sujet. Sur le drapeau ce ne sera pas la reine bâillonnée mais Alicia la merveilleuse les seins nus pudiquement cachés sous la paume ( interdit de croquer ) de ses deux mains. En lot de consolation le mini-kilt que le vent retrousse. L'on montre et l'on cache. Sens obvié.
2
Leather belt stone tattoo
Vous en mettre plein la vue. Gros plan. Hélas un peu trop haut, pas assez bas. Le tattoo stones qui vous tire la langue, salivez, des mains qui défendent et en même temps déclenchent le désir, futal de cuir au ceinturon clouté de cœurs, plan sexe oui, mais pas cul. Désir obvié. Alicia provoque, Elle convoque. N'est pas réciproque. Vous renvoie à la solitudede votre regard. Le fan de rock verra en cette photo tout ce que la pochette de Sticky Finger des Stones ne montre pas.
3
Little Bob Addict
Presque une image de première communiante. Ne tient pas un cierge phallique entre ses mains mais se couvre chastement le buste avec l'histoire du petit Bob. En haut sourire de guingois. En bas reluquez, these boots, are made for walkin', and one of these days they are gonna walk all over you. Vous êtes prévenus. Elle de nu, elle n'offre que le bas des cuisses et le haut des genoux. Entre le pas assez et le nettement insuffisant Antoine Newel promène son obturateur. Il est parvenu à produire une représentation figurée du manque.
4
Don't look back ! Go ahead !
Elle vous tourne le dos et en même temps vous regarde. Mépris et invite. Yeux verts en coin de triangle, l'arête du nez angulaire soulignée du trait des lèvres rouges. Allure vipérine, car pour avancer le serpent ondule, se courbe pour poursuivre son droit chemin. Juste la protubérance d'un sein dans l'alignement recouvert d'un voile blanc, étrangement le justaucorps noir laisse transparaître le rose épanoui de la peau, en accentue la crudité, vous intime l'ordre d'être hors de l'intime. Elle poursuit sa route, vous invite et vous évite sur le bord du chemin. Tranche de carnation qui vous retranche d'elle, car elle est pour elle seule. Plus qu'une image, un mot d'ordre qui est une sollicitation à votre seule solitude. Sur le précédent cliché Alicia se cachait, se protégeait, vous séparait d'elle d'un disque de rock, et la voici rapprochée, de la série des quinze, c'est l'artefact de la plus grande approche, de la plus belle accroche, Antoine Newel a bien saisi la personnalité de la miss – I miss you diraient les Stones – qui se tourne vers vous pour dans ce même mouvement affirmer sa suprême liberté à n'être que ce qu'elle veut être, entièrement elle, dans le seul but que votre regard suscite sa présence.
5
Mallarmé écrivait pour mettre de la fumée entre lui et le monde. Alicia a perverti ce modus vivendi. Elle se fait photographier pour exhaler et exalter la prégnance de son corps sur le monde. Assise en mode vamp, le visage oblitérée d'un brouillard de bouffée de cigarette rejetée, les yeux grand-ouverts, il est étrange de penser que cette photographie vous scrute davantage que vous ne la regardez. Une insolence qui vous oblige à porter vos regard sur ce corps comme ganté de noir, mais l'endroit des seins et du sexe arborés d'un tissu blanc, telle ces pages mallarméennes d'impuissance que leur blancheur défendait. Elle est ailleurs. Lointaine.
6
La belle n'est pas cruelle. Elle s'offre à vous, dévoilant la statue de son corps. La main brise la chaînette de son cou. Ses seins dévoilés sous la transparence de son soutien-gorge. Tour d'ivoire de sa chair. La très chère se fait désirer mais n'est pas entièrement nue et a gardé le fuselage montant de ses bottes. Sensualité à fleur de peau d'amazone guerrière prête à se donner mais qui ne se livre pas. Le plus beau reste encore ce regard satisfait – Antoine Newel a su le saisir sans l'exhiber - qu'elle porte sur elle-même, cette contemplation narcissique, cette fierté auto-satisfaite d'être ce qu'elle est. D'être l'incarnation d'être sa propre volonté à être devenue ce qu'elle est. Et cette main qui dégrafe le barbelé de sa jarretière.
7
Vous l'avez eue debout. La voici vindicative. L'image rouge de l'aspic désir qui se penche sur vous telle une menace de femelle qui s'apprête à se nourrir d'une chair qui n'est pas la sienne. Son corps s'est métamorphosé en langue de serpent et pire que cela il pointe vers sa proie tel le logo des Stones, licencieux et provocatif. Elle est ce chiffon d'amarante qui l'habille et qu'elle agite sous le mufle que vous êtes.
8
La voici couchée, aguichante princesse aux pieds dénudées dans une friandise de flots de fanfreluches noires, le regard vert aigu, la bouche souriante qui ne dit mot et consent à s'amuser mutine de son accoutrement de sorcière, la peau laiteuse et latescente, elle attend, grande dame souveraine sur le sofa.
9
Vous ne le saviez pas, cette neuvième symphonie pictogrammique n'est que le troisième volet du triptyque qu'elle forme avec les deux précédentes. D'où la nécessité de revenir à la pénultième, à la considérer en la représentation de ces vierge noires qui symboliquement selon l'iconographie christique représentent l'abîme sans fond de la tentation. Le lecteur lettré se imaginera y voir une contre-lecture d'Eloa d'Alfred de Vigny. Eloa aux boas. D'où la nécessité maintenant de voir les deux effigies rougeoyantes en tant que représentations des flammes dévorantes de l'enfer du désir, un peu comme les boutons rose-rouge du bout de deux seins absents, image métaphorique intérieure suscitée par leurs positions adjacentes. Autant le premier pourrait se nommer ''L'appel'' celui-ci devrait recevoir pour titre ''L'étonnement''. La face féminine du penseur de Rodin, la penseuse n'est pas perdue en son propre mystère, elle est comme surprise de la laideur du monde qu'elle a désiré. Antoine Newel s'est contenté de figer une expression. Ce biais de bras qui ferme le centre du monde, cette bouche entrouverte sur le constat définitif de la vacuité universelle, cet instant précis où l'individu se rend compte qu'il est la seule réalité dont il ne puisse douter de la vacuité. Newel a fixé et montré une pensée en actes.
10
Zou, au boulot ! Fuyons ces pensées destructrices. Revenons à la vie. Il faut que ça déménage. Reste que quand même que l'on peut s'interroger sur la signification de cette étrange lettre formée par les deux jambages, quel titre lui donner si ce n'est la fille et l'objet, ou pour être plus précis la fille qui se repose sur l'objet stepique de son propre désir, qu'elle manie et transforme en cet outil que les déménageurs et les ménagères appellent diable. Autant s'y appuyer dessus pour souffler un peu. Sur les braises de cette tenue noire d'un feu qui ne demande qu'à renaître.
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A ce jeu, non pas de l'oie blanche mais du cygne noir, il convient de suivre la règle et de reculer de quelques cases. Souvent dans nos existences nous croyons avancer alors que nous stagnons dans le périmètre fallacieusement merveilleux de nos propres représentations. Il faut savoir se relever, se quitter, soi et ses rêves, pour être encore davantage soi et offrir au monde sous la noirceur du désir la transparence idéelle de sa beauté. Ce bras dans le prolongement de la tête, cette main arquée, Antoine Newel a supprimée les ombres, sur le fond blanc immaculée, la nacre de la chair éclate telle la morsure d'un serpent.
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Chapeau melon et bottes de cuir. Sans rien d'autre dessus que l'immense drap du drapeau anglais. Comme quoi l'Angleterre a toujours quelque chose à cacher. Sur les bords, Antoine Newel a arrondi les angles. Presque une carte à jouer. Joker ou nouvelle reine ? Réponse à la case suivante.
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Donc le pavillon britannique est juste une immense croix rouge dont on se sert pour barrer les chemins interdits. Comme quoi tout symbole peut être réduit à son utilité sociale. A sa futilité draconnienne. Pour cette arcane de la petite mort, le désir n'est plus suscité selon l'extérieur, mais exprimée de l'intérieur. Jeu de lèvres et de mains. Yeux clos, nudité des hanches. Juste la caresse des tattoos et le mime de la jouissance. Faussement surprise et effarouchée. Le désir n'est-il qu'un accessoire de la liberté. Au même titre qu'un chapeau rond.
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Le voici dans sa crudité. En déshabillé lourd. Un doigt sur les lèvres de la bouche ouverte, et l'autre main refermée sur l'entaille des autres lèvres du bas. Le corps de bête affamée penchée en avant nous appelle, le geste d'un appel plus que suggestif. Qui nous rappelle qu'Alicia se joue de nous, qu'elle joue avec nos pulsions. I wanna be your dog.
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La même en fausse innocence. Ces deux dernières icônes séparées sont à réunir, ne sont pas s'en évoquer ces tableaux de la Renaissance d'un Albretch Dürer ou d'un Lucas Cranach qui nous montrent le couple biblique Adam et Eve mais ici nous n'avons que deux auto-présentations, d'Alicia et d'Alicia, qui se suffit à elle seule. Elle ne tient pas la pomme, tire juste un peu sur l'affriolant serpentin de l'élastique de sa culotte. Geste mutin et d'innocence perverse. L'essence du rock'n'roll.
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L'image qui ne fait pas partie de la série. Dessus devrait y avoir Antoine Newel. Mais il est hors-cadre, même si toutes ses photographies à l'exception d'une seule n'en possèdent pas. Car comment voudriez vous mettre une limite à la représentation de l'infini féminin. Evidemment, il est là, sur toutes les photos. S'est chargé de tout le boulot mais a été exclu de la représentation finale. Ce bas-monde est rempli d'injustices ! Reprenons notre sérieux. Ces photos font irrésistiblement penser à ces kits de mannequins miniatures de cartons que l'on offre aux petites filles pour qu'elles les habillent de diverses tenues. Ici le jeu consiste à en mettre le moins possible. Rester dans l'indécence des sens tout en exacerbant la paroxystique démesure de sa présence par son absence même. Antoine Newel a su créer un monde de marionnettes de carton à manipuler sans fin. Le jeu des perles de verres cher à Hermann Hesse, dont la silhouette d'Alicia Fiorucci jouerait le rôle des opales les plus transparentes, des nacres les plus limpides. Une approche souveraine, l'insaisissable fixation sur papier, l'incroyable appropriation par la science du photographe de l'auto-fiction du personnage fioruccien à représenter , la miraculeuse résolution de l'effulgence d'un désir mental.
Damie Chad.
17:51 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rockabilly generation, betty wright, bob bert, tony marlow trio, alicia fiorucci
27/05/2020
KR'TNT ! 466 : THE PESTICIDES / GREG DULLI / VIVIAN STANSHALL / PRETTY THINGS / SUPER GROS CON / ROCKABILLY GENERATION / JADES / MANIFESTE ELECTRIQUE / WEST BRUCE & LAING
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 466
A ROCKLIT PRODUCTION
FB KR'TNT KR'TNT
28 / 05 / 2020
THE PESTICIDES / GREG DULLI VIVIAN STANSHALL / PRETTY THINGS SUPER GROS CON ROCKABILLY GENERATION / JADES MANIFESTE ELECTRIQUE / WEST BRUCE & LAING |
TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
THE PESTICIDES
( Soundcloud )
J'avais préparé le titre ci-dessus pour écrire la chronique ce matin et avant de me mettre à l'œuvre je jette un coup d'œil distrait sur le fil de mon FB, tiens marrant une photo de Djipi Kraken alors que je vais parler de lui dans trois minutes, mais l'horreur déboule vite, Elise Bourdeau à mots touchés-coulées nous annonce qu'il est passé du côté des ombres.
Nous n'avions fait que l'entrevoir, dans sa vareuse blanche et ses cheveux blonds, le visage fermenté et couturé d'un spleen byronien, d'instinct nous avions pensé à un artiste tourmenté par l'étrange alchimie opératoire que sont les noces de la poésie et du rock'n'roll. A ses côtés les deux pestes, qui furent ses derniers rayons, d'un soleil noir et baudelairien. Il arpente maintenant des sylves obscures, pour quelques uns sa présence aura orienté leur intimité au monde. Rares sont les individus qui irradient ce privilège insigne d'illuminer l'existence de ceux qui ont côtoyé leur solitude êtrale. Chemins réservés.
Toutes nos pensées à ces petites pestes...
Deux titres uniquement sur ce Suncloud qui ne demandait qu'à être empli. Dont l'ajointement résonne tel un ultime message, la nécessité de vivre intensément d'une part, et la sensation de cet anneau de feu qui nous encercle, nous donne tour à tour mort et naissance infinies. Car ce qui est mort ne mourra plus jamais.
Take me : étrange de s'apprêter à écouter The Pesticides sans les voir sur scène, la signalitique gesticulatoire des deux jumelles focalise l'attention, vous êtes sensible au jeu du double miroir de leurs mouvements, et là vous n'avez que la voix. C'est faux puisque la guitare de Kraken est présente aussi, mais cette fois elle n'est pas en appui direct, un petit binaire bien pesé mais rien de prenant, c'est que le Kraken connaissait ses demoiselles, leur perversité native, juste leur donner le ton, et l'auditeur se débrouille avec ces deux voix à l'unisson qui rampent comme du lichen bubonique qui aurait décidé de se fixer sur l'aura de votre âme. Et vous restez-là, incapable de chasser de la main cette lèpre insidieuse, et fascinante. Le murmure des sirènes est encore plus déroutant que leur plein-chant. Death circle : un phrasé davantage rock, le Kraken qui fait craquer ses écailles plus fort, la flamme est-là, elle avance sans se presser, inextinguible, mais lorsque le morceau s'arrête, la boucle s'achève et vous a rejeté sur le rivage de votre insatisfaction humaine. Vous avez raté quelque chose, votre vie, mais elles chantent comme des gamines qui tirent la langue à la mort.
Et puis dans la journée sont apparus d'autres titres qui sont parfois aussi crédités en même temps The Pesticides et Les Brigades Rouges, ou Barbelés, quand vous recherchez vous vous apercevez que vous retombez sur The Pesticides, ou Djipi Kraken, un jeu subtil entre hétéronymes et projets parallèles en déshérence.
Jessy : j'ai six quoi ? Six fragments de quoi ? Elles font leur voix de prêtresse mystérieuses occupées à d'incompréhensibles rituels, parfois l'une chante plus haut que l'autre comme s'il fallait aider au déséquilibre du monde. Très beaux froissés de guitare. Vous ne saurez jamais si Jessy était un être de douceur ou un pantin désarticulé. Quelle importance. Sûrement une ténébrante fleur du mal. Terrific Man : ça terrifique, je pars me recoucher, il en faut plus pour me faire peur. Et ces voix aigües, doit y avoir une araignée noire et velue dans le studio, ce n'est que petit à petit que la frousse commence à vous gagner, pourtant le background est idéal, à la troisième reprise – ah ces coups de cymbales miteuses - vous ne savez plus si vous-même vous n'êtes pas l'épouvantail qu'elles se chargent de supplicier. What's wrong with me : la guitare de Kraken est un vortex d'introspection auto-mutilatoire, les filles chantent depuis l'intérieur de leurs corps, on croirait qu'elles sont devenues poissons lovecraftiens, à moins que ce soit l'exploration simultanée des deux phases de la schizophrénie. Whatever : magnifique cette voix qui provient du dessous de l'âme, d'un endroit où l'on n'a jamais posé les pieds car l'on ignorait qu'il existât, et l'on n'était jamais tombé par hasard dedans. Des voix graves et des guitares fuselées, vous ne savez pas jusqu'où vous descendrez mais vous suivez le chemin interdit. Just a doll : inquiétant. Une espèce de ballade romantique au pays des épaves, ces morceaux de vie que nous abandonnons derrière nous parce qu'ils sont trop lourds à porter, à tirer. Des confidences que l'on n'aurait jamais avoir voulu entendre. Master Piece : de Barbelés : autre groupe de Djipi Kraken. Qui se revendiquait du Punk. Puisqu'il le disait. Pas vraiment un instrumental, un morceau que nous pourrions qualifier de sonoral. Quelque chose qui s'aventure dans un rock'n'roll strictement basique mais expérimental. L'approche des gouffres. Nous avions-là un magnifique guitariste. Et nous le découvrons trop tard.
The Pesticides se réclament du Velvet Underground mais ces morceaux m'ont plutôt évoqué, par leur compression musicale obstinée à ne laisser aucun espace vide, les premiers enregistrements de Lou Reed d'avant le Velvet. Lors du concert du 06 mars 2020 à l'Espace Dennis Hopper de Bagnolet, les filles avaient squatté nos mirettes, un peu comme les danseuses d'un ballet occultent les musiciens, sur ces bandes destinées à un premier E. P. l'on peut se rendre compte du travail effectué par les voix, se recouvrent, s'entremêlent, se détachent pour mieux se ressouder l'instant d'après, et ces mélopées sont soutenues par les finesses d'une guitare jamais à court d'invention et d'intervention, un peu à la manière des vents marins qui lissent et entraînent les vagues. Djipi Kraken et ses petites pestes étaient en train d'élaborer un son et une mise en scène originales. Mais la vie continue. Nous avons confiance.
Damie Chad.
Hello Dulli, mon joli Dulli
- Part Two
Pour la parution de son premier album solo, Greg Dulli accorde une audience à l’émissaire d’Uncut, un nommé Sam Richards. Inespéré.
— Mais pourquoi un album solo ? Serait-ce donc la fin des mighty Afghan Whigs ?
— Absolutely not. Mais Patrick Reeler fait partie des Raconteurs et John Curley est retourné à la fac. Puis John Skibic m’a dit que sa femme attendait un gosse alors je me suis dit oh fuck tout le monde est fucking busy et comme je passe mon temps à composer des chansons, il m’est apparu clairement que je devais continuer seul.
Et voilà le travail. Il s’appelle Random Desire. Le petit conseil qu’on peut donner à ceux qui ne l’ont pas encore écouté est de l’écouter dans de bonnes conditions, car c’est un album qui a du son et qui n’est pas fait pour être écouté sur un ordi ou un téléphone. L’album est tellement bourré de son qu’il chevrote et qu’il peut faire sauter un casque. Dès «Pantomia», il craque sa voix comme on craque un coing d’un coup de hache. Il fait le choix de pulser le son au-delà des limites du descriptible, il s’assoit sur les conventions, il explose une prod qui n’attendait que ça. Big Dull déclenche une sorte de sur-excitation de l’écoute que vient encore gonfler «Sempre». Vas-y Dulli, mon joli Dulli, gratte ta moelle, bats ta chique, gueule ta Soul. Pas de pire teigne d’American popster que ce mec-là. Quand il lance un Go!, ça bascule dans l’extrême, you got no one/ You got no one, il sait de quoi il parle, il sature le son d’énormité et bien sûr les falaises de marbre s’écroulent dans la clarté irisée d’un nuage atomique. It’s so easy ! Easy ! Pretty easy ! Le barnum remplit l’espace. Dull does it right. C’est forcément un album destiné aux esprit éclairés. Greg Dulli s’amuse à repousser les frontières, donc ça tourne vite au monumental. Il joue parfois en sous-main, mais assez magnifiquement. S’il ne fallait conserver que trois artistes dans l’actualité, ce seraient Lanegan, Swamp Dogg et lui. Pourquoi ? Parce qu’ils sont visionnaires. L’Afghan revient au beat de confrontation avec «The Tide». Il re-sature de plus belle, il chevrote son son more and more, il voit jusqu’où il peut aller trop loin, never better but forever at your worst, comme s’il explosait la pop par le cul, avec somebody in the wave/ Like you by my side, fantastique pusher de push-push et il sort ça, avec un œil qui pend : «You can steal me blind but you will never find !». Pire encore, son «Scorpio» est une intrusion dans la boutique à délices. Dull s’y fait breaker d’infamous power pop, il jacte dans son micro comme un punk dégueulasse et tout grelotte de beauté, comme si le Brill s’écroulait dans sa besace. But baby I think I got some champagne somewhere in the back, on ne se méfie pas, c’est amené au piano et la bombe explose, breathe with me, il veut tout, sing to me, feel your body come close, et le cœur du cut bat la chamade comme ça n’est jamais arrivé dans l’histoire de la pop américaine, Dull envoie les violons, lay with me, no one knows we’re awake, puis ça bascule dans le deceiving me, il sait que ça va mal tourner, I know this will end, ça pue l’écumoire, le bouilli vivant au retour de la pêche. Dull a du génie. Et ce n’est pas fini. Il repart de plus belle avec «It Falls Apart» et un better get down/ Cuz the sheets are poppin’ ogh yeah, il rase les murs à sa façon. Chaque mot sonne comme l’écho d’un oracle, Dull rôde dans son texte comme un loup affamé, il retrouve sa poule dans le groove, I found you there, c’est plombé de mortalité extrême, I feel the night/ Surround, il se fait anaconda géant pour ramper dans les ténèbres, il sort un son puissant et compressé, on respire mal, comme s’il s’asseyait sur nos poitrines, et comme dieu ou le diable, il obtient tout ce qu’il veut de nous. Absolument tout. Avec «A Ghost», il passe au mambo de malpractice, il danse sa vie dans la mort, il évolue libre de toute poursuite, avec tout le son et tous les violons qu’on peut bien imaginer, il devient Dull the bull, ce mec remplirait à lui seul le Bestiaire d’Apollinaire. Il va chercher son random desire très loin, il n’en finit plus de clamer sa foi de pâté de foie dans «Lockless», il cherche à rattraper les paroles qui fuient sa bouche, random desire knows my name et ça explose dans un chaos de trompettes et de tout ce qu’on peut bien imaginer. Big Dull ne vit que pour l’orgasme. C’est sa religion. Il s’enterre vivant dans le son. I would do annything, clame-t-il dans «Slow Pan», juste pour essayer de ne pas s’en sortir. Dull s’en branle éperdument. C’est un homme libre, un artiste pur.
Durant l’audience, il explique qu’il a commencé très tôt à composer, dès l’âge de 14 ans.
— I come up with a riff that I like and I hum a melody over it, et je trouve les mots qui conviennent à la mélodie. J’ai fait ça pendant 40 ans.
Il ajoute plus loin qu’il se considère comme un artisan. Il se fie uniquement à son instinct. Si sa tentative de compo foire, il l’abandonne. Si elle marche, alors il la chante sur scène.
Une question aborde justement l’aspect sombre de certaines de ses compos. Greg Dulli travaille essentiellement sur la violence relationnelle et le pourrissement des sentiments affectifs. Mais il avoue s’en éloigner pour aller vers quelque chose de plus abstrait. Il n’a plus besoin d’avoir le cœur brisé pour composer. Il n’a plus besoin de se sentir détruit pour devenir génial. Il croyait comme beaucoup de gens qu’il fallait souffrir pour produire de l’art. Mais il n’est jamais allé jusqu’à saboter une relation pour trouver de l’inspiration. Ça lui paraît nul et de toute façon, ça sonnerait faux.
Quand on lui demande s’il écrira un jour son autobio comme vient de le faire son ami Mark Lanegan, Greg Dulli se montre catégorique :
— Absolutely no, no way. Je n’ai pas la patience pour ça, je vis trop dans le présent.
Mais il en profite pour saluer ce chef-d’œuvre laneganien qu’est Sing Backwards and Weep: A Memoir. Il profite aussi de l’audience pour saluer la mémoire des disparus qui lui sont chers, son chat Clyde, ses grand-parents, Prince, David Bowie. Il estime qu’il a beaucoup de chance d’avoir vécu à la même époque qu’eux.
La parution en 2017 d’In Spades, dernier album des Afghan Whigs, fut un événement considérable. Oh la la, quel album ! D’abord, y a Satan, lui qu’est comme un melon, lui qu’a des grosses cornes, lui qui sait plus son nom, monsieur, tellement qu’il voit tout, tellement qu’il a tout vu. Ensuite, y a «Arabian Heights» qu’est bâti comme un empire, à la force d’une vision, monsieur, d’une vision conquérante, et le son est si dense qu’on se pâlit comme un cierge de Pâques, monsieur, et qu’on chante de concert love is a lie et qu’on beugle à pleine gueule like a hole in the sky when you die. Ensuite y a «Toy Automatic» qu’est sombre et beau, qu’a des culottes dans les cheveux, qu’a jamais vu un peigne, et qu’a l’œil qui divague et qui vire too soon too late, monsieur, et qui sème ses mots dans un fleuve orchestral si majestueux qu’on dit oui qu’on dit non. Oh, ensuite y a «Oriole» qui rêve qu’il vole forever et qui balbutie flying flying flying avec des larmes plein les yeux et qui cherche l’amour et la foudre, du soir au matin, sous sa belle gueule d’apostat, et qui fait la grandeur de ce disque qu’est raide comme une saillie. Et puis y a «The Spell», si incantatoire qu’il défie toute concurrence, monsieur, qu’est beau comme une maison avec plein de fenêtres et presque pas de murs et qui fait free the light et qu’on écoute en se tordant les mains tellement c’est beau, tellement c’est beau. Et puis y a cette chanson qu’est trop belle pour moi, cette chanson qui s’appelle «Light As A Feather» et qui ressemble à un amas sonique grimpé à califourchon sur des accords si sourds qu’on dirait des pots, monsieur, des accords si profonds qu’on dirait le gouffre de Padirac et mon Dulli, oh mon joli Dulli, il gueule dans sa tempête, monsieur, il chante les yeux tout mouillés, et pour un instant, un instant seu-le-ment, il éclipse Dieu le père et tous les saints de la Trinité, il dit qu’il n’a plus rien à perdre, et le vent du Nord l’emporte au loin, monsieur, comme une clameur. Et y a «Into The Floor», qu’est gueulé au soir de la vie, qui dit non à la mort, qu’est too late ou qu’est yet to come, et qui fascine, monsieur, qui remonte inlassablement à l’assaut du ciel et qu’est beau comme un soleil de Van Gogh !
Signé : Cazengler, Salvatorve Duli
Afghan Whigs. In Spades. Sub Pop Records 2017
Greg Dulli. Random Desire. Royal Cream LLC 2020
Sam Richards. An audience with Greg Dulli. Uncut # 275 - April 2020
Stanshall be released
Vivian Stanshall ou the gospel according to Dada. Comme le dit si bien la chanson, we shall be released, yes, mais avec Stanshall et les derniers grands provocateurs du XXe siècle. Chacun sait qu’il vaut mieux rire plutôt que de craindre l’enfer et prier Dieu que tous nous veuille absoudre. Alors rions.
Avec Ginger Geezer, Lucian Randall & Chris Welch rendent un hommage vibrant à Viv 1er, roi des lunatiques britanniques. Les deux zauteurs ne sont pas des zutistes, mais ils zécrivent bien. Ils regorgent d’admiration pour ce roi des lunatiques qui fut expert en maniement des situations extrêmes. Pas pire pousseur de bouchon que ce bohème roukmoute. Il est utile de préciser que le cocktail valium/vodka joue un rôle prépondérant dans cette épopée royale. Consommer avec modération ? De quoi faire hurler de rire le roi Viv, notre roi favori, aussitôt après Ubu.
On entre dans ce livre comme on entrait jadis d’un pas léger au Palais de Tokyo pour visiter l’expo Picabia. Instant magique. D’ailleurs on croise très vite des connaissances dans les pages de Ginger Geezer. Tiens voilà Marcel Duchamp ! Les auteurs établissent un parallèle entre Duchamp et Stanshall sur la base d’une maigreur de l’œuvre. De plus, l’un comme l’autre chouchoutaient les calembours, les bonnes blagues, et les symboles obscurs. Pire encore, ils insinuaient énormément. Ils excellaient surtout dans l’art de l’ellipse. Stanshall : «Quand Duchamp signa l’urinoir ‘R. Mutt’, la messe était dite, en vérité. Il n’avait plus besoin d’en rajouter.»
Il n’est donc pas étonnant que Stanshall baptise son groupe Bonzo Dog Dada Band - It was this sense of fun and rule-breaking that was alive in the Bonzos - Sens du fun et mépris des lois. Tout est là. Stanshall entend ramener l’énergie Dada dans la scène rock anglaise. Puis lassé d’avoir à expliquer ce qu’est Dada aux ignares, il transforme en 1968 le Bonzo Dog Dada Band en Bonzo Dog Doo Dah Band, le Doo Dah venant d’une expression couramment utilisée par la mère de Rodney Slater (clarinettiste du groupe), «Oh fetch me the doodah» qu’on pourrait traduire par «passe-moi donc le machin». Stanshall flashe comme un flash sur les expressions insolites. Il flashe aussi sur le homard que Gérard de Nerval promenait en laisse, au Palais Royal. Précision capitale : la laisse était un ruban bleu. Pourquoi un homard ? Très simple : le homard n’aboie pas et connaît les secrets de la mer.
Les animaux jouent un rôle prépondérant dans le règne de Viv 1er, roi des lunatiques, notamment les bestioles antipathiques. Notre bon roi prend plaisir à transformer son salon en vivarium. Lorsqu’il reçoit des invités, il nourrit ses piranhas avec les souris mortes qu’il stocke dans son frigidaire. De gros serpents s’évadent aussi de leurs cages en verre et Viv 1er passe beaucoup de temps à inspecter le dessous des banquettes du salon à leur recherche, ce qui insécurise comme on peut l’imaginer ses convives nullement habitués à savoir de gros reptiles en liberté dans les parages. Aimable, le roi prévient : «Just watch out, it may show up !». Un visiteur pétrifié d’horreur rapporte qu’installé au salon et lancé dans une brillante conversation sur l’art avec Stanshall, il vit un horrible serpent s’échapper lentement d’un aquarium installé dans le dos de son hôte. Viv 1er donne aussi de la viande crue à ses tortues. L’une d’elles s’appelle Stinky. On peut lire sur l’étiquette de l’aquarium : Stinky, the man-eating turtle. Stinky donne d’ailleurs des coups de bec dans le verre pour réclamer sa viande.
Et puis voilà Bones, le bulldog qui vit avec Viv sur le Searchlight. Robert Short décrit Bones comme un chien horrible qui n’en finit plus de péter et de chier partout - The most loathsome creature I think I’ve ever seen - Le chien le plus dégueulasse qu’il ait jamais vu. Viv décrit son toutou comme «un bulldog brun et feignant, fidèle et complètement stupide.» Il ajoute que ses pets valent largement ceux du Pétomane, qui faut-il le préciser, figure parmi les idoles de Vivian Stanshall.
Il adore aller se taper la cloche dans les meilleurs restaurants. Il déguste les mets les plus fins et sirote les meilleurs crus. Puis il prend soin de roter très fort pour que tout le monde entende. Il reste assis et attend la réaction. Il aime aussi lâcher des pets bien sonores. Sur scène, lorsqu’il joue du piano, il en lâche un gros et déclare au public : «That was a bum note.» Il adore aussi aller faire le con au cinéma. Tiens, Les Oiseaux d’Hitchcock, par exemple. Il se met au fond de la salle. Quand les oiseaux attaquent, Stanshall rajoute des cris horribles et fout les chocottes à tout le monde. Soit les gens se barrent, soit ils se planquent entre les rangées de fauteuils.
Il adore aussi faire le gros dégueulasse à la Reiser. Un jour dans la rue, Stanshall se déshabille et le voilà en slibard, un slibard infect, deux fois trop grand, plein de trous, avec des taches de thé et des brûlures de cigarettes. Une amie qui partageait sa chambre lors d’une tournée des Bonzos rapporte que Stanshall se mettait au lit dans un pyjama horriblement puant, et bien sûr, il avait pris soin de mettre des œufs dans le lit. Splouch, splish, splash. T’as voulu voir Vesoul et t’as vu Stanshall.
Avec le Pétomane, Oscar Wilde et Audrey Beardsley sont les autres héros de Vivian Stanshall. On s’en serait douté. Ce roi des lunatiques est aussi un homme extraordinairement cultivé. Gary Lucas se souvient de l’avoir rencontré à New York : «Il portait les cheveux longs et en avait déjà perdu beaucoup, mais il avait beaucoup d’allure. Grand et maigre, il avait l’air d’un épouvantail avec une grande barbe rouge. Il portait un pantalon pattes d’éléphant, comme dans les années soixante. Il conservait une allure de rock star.» Pour Gary, c’est une soirée magique : «Il avait un charisme extraordinaire, on aurait cru rencontrer Oscar Wilde.»
Parmi les gens que Stanshall admire, citons aussi Sir Richard Burton, l’homme qui découvrit avec John Speke les sources du Nil, qui traduisit le Kama Sutra et les Contes Des Mille Et Une Nuits, en pleine époque victorienne. Quand le réalisateur Tim Nicholls se pointe à Muswell Hill pour rencontrer Viv, il tombe lui aussi sous son charme : il n’avait encore jamais rencontré un homme aussi créatif - He was charming and hugely intelligent. He was fascinating and definitively unconventional (il était charmant et extrêmement intelligent. Très fascinant et parfaitement non-conventionnel) - Et Pete Brown qui vivait dans les parages ajoute : «He was a self-made intellectual.»
C’est pendant l’âge d’or des Bonzos que Stanshall devient accro au valium. Il souffre de panic attacks et doit prendre du valium pour se calmer. Mais l’abus de valium détériore l’élocution et sur scène, ça finit par poser de sacrés problèmes. Autre chose. Pendant une tournée américaine, il est possible qu’il ait testé le LSD, volontairement ou non. Neil Innes remarque qu’il est devenu bizarre à son retour à Londres. Par contre, le roadie R Mutt est beaucoup plus catégorique : il affirme que Stanshall a pris de l’acide à New York. R Mutt ajoute un point capital : «Avec l’alcool comme avec l’acide, Stanshall aimait bien savoir jusqu’où il pouvait aller trop loin.»
Artistiquement parlant, Stanshall dispose d’une très belle voix. Il dispose de deux registres, un registre léger et farfelu qui lui permet de chanter comme un crooner des années vingt et d’aller chercher des sacrés chats perchés, et un registre extrêmement profond et fruité - a Dundee cake of a voice - qui lui permet de balancer des coups de gutsy trombone blasts of larynx-lazy British sottery, to use a Stanshally sort of a phrase.
Les ‘coups’ de Viv sont des chefs-d’œuvre d’exaction inopinante. En voici un beau specimen : les Eagles sont à Londres et souhaitent rencontrer Stanshall qu’ils ont vu à Los Angeles au temps des Bonzos. Pas de problème. Le pote de Viv Andy Roberts passe les prendre à Maida Vale et les ramène au bercail. Ils passent la soirée à fumer une herbe africaine extrêmement puissante et décident d’aller casser la graine dans un restau indien. Pendant le repas, Viv leur fait le coup de la crise cardiaque : il se plie en deux, se tord de douleur et envoie Andy chercher ses pilules. Les Eagles se retrouvent coincés dans un restaurant avec leur héros gémissant et grimaçant à l’excès.
Un jour, pour se distraire, Viv 1er répond à une annonce proposant une démonstration à domicile d’une power shower portable, c’est-à-dire une douche puissante qu’on peut installer soi-même dans sa salle de bain. Il signe le coupon du nom de Mr Penguin. Il faut savoir que lorsqu’il nettoie un aquarium, Viv ne porte pas un tablier, mais plutôt une combinaison d’homme grenouille et des palmes. Quelques jours plus tard, alors qu’il nettoie l’un de ses aquariums dans cette tenue pour le moins incongrue, on sonne à la porte. Il flippe floppe jusqu’à la porte d’entrée, l’entrebâille et fait : «Yes ?» C’est la dame du power shower. Elle est subjuguée par l’apparition de l’homme grenouille mais reprend très vite ses esprits pour demander : «Is Mr Penguin at home ?»
Encore un coup fameux : Stanshall cherche la maison de Pete sur Ossulton Way. Il se trompe de maison. Une vieille dame de soixante ans ouvre la porte et reste pétrifiée : devant elle se tient un géant empestant le rhum, portant des lunettes à montures octogonales, une barbe rouge, et une chemise de nuit décorée de lunes et d’étoiles. Il s’appuie sur une béquille grossière taillée dans un arbre et chaussée d’une godasse de foot. L’apparition grommelle : «Where’s Pete ?» et s’écroule soudain dans les bras de la vieille dame. Il réussit miraculeusement à reprendre ses esprits et à faire demi-tour. Sur le trottoir d’en face, habite Dean Ford, le chanteur de Marmalade. Il a assisté à la scène. Il en pleure de rire.
Sur le tournage de son film Sir Henry at Rawlinson End and Other Spots, Viv déambule dans les bureaux de la société de production et va trouver les secrétaires. Pour les distraire un peu, il sort sa queue et la pose sur la table : «‘Morning ! Needs a bit of exercice !»
Les coups les plus fumants de Viv sont ceux qu’il monte avec Keith Moon. Un restaurateur leur barre l’entrée de la salle de restaurant et leur indique qu’il faut porter la cravate. Viv, Moonie et les autres Bonzos reviennent un peu plus tard. Ils portent tous la cravate, mais rien d’autre.
Moonie et Viv deviennent experts en montage de coups fumants. Ils entrent un jour chez un marchand de fringues à la mode. Le vendeur accourt à leur rencontre :
— Bonjour messieurs. Comment puis-je vous aider ? Cherchez-vous un article en particulier ?
Moonie et Viv répondent en chœur :
— Strong trousers !
Un pantalon solide ? Pas de problème. Le vendeur ramène un très beau pantalon en mohair. Viv empoigne une jambe et Moonie l’autre. Ils s’écartent l’un de l’autre et tirent chacun de leur côté. Crrrrrrac ! Le pantalon se déchire ! Alors ils hurlent au scandale :
— Vous appelez ça des strong trousers ?
Le vendeur pâlit. Ce type d’épisode échappe à sa compréhension. Soudain, un complice unijambiste entre dans le magasin. Il vient droit sur les deux morceaux de pantalon :
— Aw my God ! C’est exactement ce que je cherchais ! J’en prendrai deux paires !
En fait, Glen Colson explique que Moonie rêvait d’être Vivian Stanshall. Et inversement, Viv rêvait d’être Keith Moon. Moonie crevait d’envie d’être un snob intellectuel et Stanshall aurait voulu être dans les Who et composer Tommy. Les rock stars l’aimaient et ça le flattait énormément.
Viv collectionne les coupures de presse dans un classeur qu’il appelle The Book Of Madness. L’une de ses préférées : «Un homme accusé d’avoir abattu son copain comparaît au tribunal de Lagos et dit qu’il a tiré par erreur : il l’a confondu avec un gorille.»
Fatiguée par ses frasques et par les abus liés à l’alcool, sa première épouse Monica le quitte et embarque leur fils Rupert avec elle. Stanshall se retrouve seul et bascule dans le néant. Il redouble de trashitude. Il s’installe sur le Searchlight, une péniche amarrée à Chertsey, au Sud-Ouest de Londres, et Rupert vient le voir tous les quinze jours. Pour épater son père, il s’amuse à engloutir des poignées de vers de terre et à les mâcher en faisant miam miam. Alors pour rivaliser d’horreur avec son fils, Viv fait la même chose avec des araignées. Viv se remarie avec Ki Longfellow, une Américaine sensible à son charme. Elle a une fille d’un autre père, Sydney qui s’intéresse elle aussi aux animaux, notamment aux tarentules, a red bird-eating tarentula nommée Pavlova, comme la ballerine. Viv fend le cœur de Ki qui parvient à surmonter pendant un temps les coups de grisou - Even at his lowest, he was always witty and funny - Spirituel et drôle. Et elle ajoute : «Sex and gnosis and panic and laughter that was who Vivian and I were.»
Quand son bateau coule, Viv est à l’hôpital. Le médecin vient le voir et lui dit : «Mr Stanshall, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Votre bateau a coulé.» Viv pense que le médecin utilise une métaphore pour décrire son état de santé critique et il répond : «Pas du tout, I’m as fit as a fiddle !» Mais le médecin insiste : «Non, non, vous ne comprenez pas. Votre bateau a coulé.» Évidemment, pour Viv, c’est une catastrophe : toute sa collection de masques, d’instruments de musique, d’objets baroques, de livres et de manuscrits se trouvait à bord.
Viv se réinstalle à Muswell Hill. Il traverse de rudes périodes de dèche. Roger Wilkes lui rend visite et Viv le supplie de l’emmener au restaurant chinois. Roger n’a pas fini de garer son van que Viv bondit sur le trottoir, vêtu d’un kimono assez court sans rien dessous, sa machette à la main. Il entre et commande des travers de porc tout en faisant mouliner sa machette. Le serveur se réfugie derrière son comptoir, terrifié.
Bon alors et les Bonzos ? On l’a dit : ils ont leurs racines dans le circuit des clubs, the booze et Dada. Gerry Bron, le boss de Bronze, les manage pendant deux ans sur la recommandation de Jack Bruce. Quand Bron les convoque pour une réunion, les Bonzos arrivent avec des masques de monstres. Bron leur dit qu’il ne leur parlera pas s’ils portent ces masques. Ça dégénère et Bron dit qu’il les lâche. Et Viv demande : «Est-ce qu’on peut avoir ça par écrit ?» Quand ils veulent aller tourner aux USA, ils demandent à Tony Stratton Smith de s’occuper d’eux. Stratton Smith est le boss de Charisma, un label indé sur lequel on retrouve Van Der Graaf, Lindisfarne et Genesis. Il apprécie particulièrement les groupes originaux et les gens créatifs. Il adore prendre des risques, et il n’est pas étonnant de le voir traîner dans les cercles de jeux ou aux courses de chevaux. Les Bonzos finissent par virer Stratton Smith et Viv devient le manager du groupe. Ils finissent par en avoir marre et décident d’arrêter les frais à Noël 1969. Viv qui s’est rasé le crâne annonce au public médusé de Lyceum Ballroom : «We’re giving it the pill», sans doute une référence au cyanure.
Le premier album des Bonzos s’appelle Gorilla. Le petit conseil qu’on pourrait donner aux petits lapins blancs serait de ne pas prendre les Bonzos à la légère. N’allez pas imaginer qu’ils ne font que du art-rock d’étudiants attardés, ce diable de Viv s’en donne à cœur joie avec «Jollity Farm», il chante comme le dieu des roukmoutes, il fait chanter les animaux dans une ambiance de comedy act londonien. Ils savent jouer le dixieland comme le montre si hardiment «Jazz Delicious Hot Disgusting Cold» et font leur Elvis comme le montre si fièrement «Death Cab For Cutie». Viv fait sonner son cab car kiss et devient drôle en s’énervant. Le coup de génie des Bonzos se trouve en ouverture de bal de B, «The Intro & The Outro». Viv introduce Legs Larry Smith on drums et tous les autres zozos, Roger Ruskin on tenor sax, c’est énorme, ces mecs jouent comme des cracks. Tout est plein d’allant bonzoïde, plein de fantastique allure, en écoutant ça on comprend qu’ils soient devenus cultes. Ils font sonner leur réveil de trompette d’anticipation dans «Big Shot» et envoient les big choirs de girls dans «Piggy Bank Love». Parfaitement inespéré, un vrai hit, digne de tous les grands melting-pot-au-feu. Merveilleux Gorilla !
Voici ce que dit d’eux Richie Unterberger : «Il est extrêmement difficile d’être drôle et encore plus difficile de faire de la bonne musique. Et c’est encore mille fois plus compliqué de faire de la bonne musique qui soit aussi drôle.» Unterberger cite les exemples des Mothers Of Invention et des Fugs, mais ces Américains spécialisés dans la satire ne sont que menu fretin en comparaison des Bonzos. Paul McCartney apprécie tellement les Bonzos qu’il leur demande de chanter «Death Cab For Cutie» dans la scène de cabaret de Magical Mystery Tour. Sur scène, les Bonzos multiplient les extravagances. Le Batteur Legs Larry Smith s’habille en Shirley Temple et porte des faux seins. Il s’ennuie tellement à jouer de la batterie qu’il passe son temps à adresser des baisers glamour au public - Look at me, I’m wonderful - D’où la nécessité d’avoir un bon bassiste comme Danny Cowan. Quand lors d’une tournée américaine, les Bonzos jouent dans un club de Los Angeles, Neil Innes se retrouve aux gogues en train de pisser à côté de Jimi Hendrix qui lui dit :
— Tu sais, mec, c’est drôle, on fait exactement la même chose.
— Quoi ? Tu veux dire pisser un coup ?
— Non, je veux dire sur scène.
Jimi voulait dire qu’il était aussi absurde de brûler sa guitare sur scène que de mimer les morceaux sans jouer comme le font couramment les Bonzos, ou de faire exploser un robot comme le fait Roger Spear. Un Spear qui monte un jour sur scène avec une cheminée d’un mètre sur la tête, un bras allongé et une guitare au manche allongé en conséquence. Quand la cheminée explose, Viv arrive sur scène pour chanter «Blue Suede Shoes». Que n’avons-nous pas raté là !
The Doughnut In Granny’s Greenhouse est une expression scatologique, une sorte d’euphémisme pour les gogues. En studio, les Bonzos démultiplient les excentricités, par exemple enregistrer avec un tuba rempli d’eau. Pourquoi adorait-on cet album à l’époque ? Sans doute à cause de la pochette, où l’on voit les Bonzos déguisés dans la forêt. Il démarrent sur un cut en forme de postulat : «We Are Normal», ça joue au sacré rock anglais clair et net, beat serré et basse dégingandée, ça fouette cocher des cymbales. C’est vrai que Viv dispose des forces vives, ça devient évident quand il interprète «Postcard». Il dispose d’une voix qui en impose, même quand il fait le con. Il peut chanter comme un dieu généreux. Big shoot de British Blues avec «Can Blue Men Sing The Whites» - A brutal deflation of the British blues boom - Ils savent tout jouer et sonnent encore mieux que les Bluesbreakers. Ils dansent sur tous les toits, ils sur-jouent le sur-jeu à coups d’harmo de mortadelle. Pour «Hello Mabel», Viv se verse un verre, on entend le blop du bouchon, le glouglou et le sipping, puis ils passent sans transition à la dentelle de wawap wap. On vous a prévenus, ils savent rocker, ce que vient confirmer aussi sec l’imparable «Humanoid Boogie». C’est bardé d’excellence et chanté à la big aisance. Ils restent dans cette fantastique allure qui leur va si bien pour «The Trouser Press» - Everybody clap their hands/ Do the trouser press/ Babahhh ahhhh - Viv fait le Soul Brother et c’est d’autant plus balèze que ces mecs ne commettent pas la grave erreur de se prendre au sérieux. Fuck not ! Notons au passage que le plus grand mag de rock alternatif américain va se baptiser Trouser Press en l’honneur des Bonzos. Ils enchaînent avec une valse à trois temps digne de Brel, «My Pink Half Of The Drainpipe» et grattent à la suite «Rockaliser Baby» aux furieux accords d’Everybody down. Ils flirtent ici avec les Beatles de l’âge d’or, oui, ils détiennent ce pouvoir extraordinaire. Retour au jazz de bonne augure avec «Rinhocratic Oaths», Viv y fait son polichinelle, il est rompu à toutes les ruptures. Ils font du cinémascope bonzo. On s’enivre de la richesse de leur présence. Neil Innes est tellement fier de cet album qu’il rebaptise les Bonzos the Mothers Of Convention.
Paru en mars 1969, Tadpoles est une compile, mais on s’y goinfre. «Monster Mash» vaut tous les joyaux de la couronne et «I’m The Urban Spaceman» n’importe quel hit des Beatles. Oui, ça peut effarer mais c’est ainsi. Les Bonzos peuvent côtoyer les géants. Ils ne sont pas avares de coups de Trafalgar. Encore un coup de génie avec «Laughing Blues» amené au piano blues. Ils en recréent l’illusion à l’ancienne, avec une sirène de train derrière, ils font une clairette de blues, la plus pure qui soit ici bas, ils nous font l’honneur de nous ramener aux sources du New Orleans Sound. Sans même s’en douter, ils rendent l’un des plus beaux hommages au blues, le blues des années de braise, celui qui se fend la gueule. Avec «Hunting Tigers Out In Indiah», ils paradent dans la jungle comme les Monty Python. Ça chante à l’extrême dédain du qu’en-dira-t-on. Retour fracassant au jazz trad avec «Dr. Jazz». Ils n’ont aucun problème de ce côté-là. Le jazz tue le rock, on le sait, mais c’est plein d’idées de son, de vitalité, ils explorent toutes les possibilités. Ils plongent avec «Mr. Apollo» dans le heavy rock apocalyptique et reviennent sans prévenir à la Beatlemania. Ils s’amusent avec les genres musicaux comme les Monty avec la scénarisation. Ils sortent encore une fois une pop de rêve, saluée aux chœurs de rêve. Ils savent jerker la pop. Viv fait son cirque avec «Canyons Of Your Mind» - To the ventricules of your heart/ I’m in love with you again - En pur Elvis-from-Hell, ce diable de Viv va chercher le trash dans le groove concupiscent.
Leur dernier album, Keynsham, paraît en novembre 1969. C’est avec le morceau titre qu’ils emportent la partie. Cette extravagante jam de jazz est aussi fascinante qu’une danse du ventre à Marakkech. Ils développent là un fantastique groove orientalisant. La clarinette chevauche un drive de basse vertigineux. Ils jouent «We Went Wrong» à l’orgue et à la marche forcée, disons qu’il s’agit d’une pop parodique mollement étendue sur un sofa, mais quel shuffle d’orgue, les amis ! Clin d’œil à Duchamp avec «The Bride Stripped Bare By Bachelors», les voilà dans la heavy pop dadaïste avec des gros sabots. C’est du pur rock seventies - Oh really ? - Quel bel hommage à Duchamp (Berna)gore. C’est probablement dans les barrellhouses de jazz-clubs qu’ils excellent le plus, tiens par exemple avec «Look At Me I’m Wonderful» : retour aux années vingt, good evening ladies & gentlemen, c’est leur pré carré, ils n’ont jamais été aussi bons, Viv présente the wonderful Legs Larry Smith et on entend la vieille chasse d’eau, avec la chaîne. Ils attaquent leur bonne B avec un «What Do You Do» bardé de son, ils font du Rundgren à l’Anglaise avec de mystérieux pouvoirs pop. Retour au jive de speed-jazz avec l’effarant «Mr. Slaters’ Parrot». Ils font les cons, mais ça sonne, le parrot est une volaille, on l’entend - Hello ! Hello ! - Et quand ils tombent dans le médiéval avec «Sport (The Odd Boy)», c’est à hurler de rire. Oh ce n’est pas fini, il reste encore à écouter ce hit pop qui s’appelle «I Want To Be With You». Ils y sucrent les fraises comme un groupe américain qui aurait du succès en Angola, my love, et en guise de killer solo flash, on devra se contenter d’un solo de pipo, mais en attendant que de son - Wiz you !
Cinq années de tournées en continu et trois managers viennent à bout des Bonzos qui jettent l’éponge en 1970. Arthur Brown pense que ça n’a pas arrangé la santé mentale de Viv.
Considérons Let’s Make Up And Be Friendly comme l’album de la première reformation. Viv et Neil Innes sont aux manettes, avec l’aide de quelques cadors comme Tony Kaye ou Hughie Flint. Ils continuent de déconner en sortant un son énorme - their heaviest rock sound to date - comme le montre «The Strain». Puis dans «King Of Scurf», Viv se met à chanter comme une petite conne du Swinging London. Quel beau pastiche ! Ils font ensuite les cons dans le wardrobe du rock avec «Waiting For The Wardobe». Ce diable de Viv peut déchirer le ciel d’un cut quand il veut. On se retrouve une fois encore sur un fantastique album. Ils bourrent leur «Straight From The Heart» de shuffle d’orgue et de chœurs d’artichauts et vont droit sur les Beach Boys pour «Rusty». Tout ce qu’ils entreprennent relève de la plus haute instance de cet art qu’on appelle le rock, avec une volonté de pastiche inébranlable. Ils mettent tous leur cuts dans le même panier de crabes. Demented ! En B, Viv repart en mode froti-frotah avec «Don’t Get Me Wrong». Il chante en sur-couche de génie et les Bonzos sortent un son de réverb extraordinaire. Viv Stanshall sait se positionner au plus niveau du family tree d’Angleterre. Ils embrayent avec la fantastique heavy pop de «Fresh Wound». Ils grattent ça à l’aune de l’âge d’or du rock anglais, ils travaillent au meilleur niveau envisageable - So meet on the corner of your life/ baby baby baby ! - C’est aussi avec cet album qu’apparaît Sir Henry Rawlinson qui va devenir ensuite le thème d’une émission de radio, puis d’un album entier et enfin d’un film.
John Peel signe les liners d’Unpeeled, paru sur Strange Fruit en 1995. Il rappelle que les Bonzos ont enregistré 13 sessions pour Radio 1 entre 1967 et 1969 et dès «Do The Trouser Press», on les voit s’amuser avec la London Soul. Fantastique énergie de la déconnade. Puis Viv chante «Canyons Of Your Mind» à la romantica déjantée - To the ventricules of your heart/ My dear/ I am pumping you again - Atroce ! Vic parle aussi des mountains of your chest. «I’m The Urban Spaceman» est le seul hit des Bonzos, nous rappelle Peely. Poppy en diable et flûté dans les culottes de cheval. La flûte de Pan y mène le bal. Ils tapent «Hello Mabel» au groove rétro. Tout l’art de Viv est là, il sait inviter les époques à sa table, you know I love you, c’est l’énergie des roaring twenties. Ils passent au heavy rock avec «Mr Apollo» et profitent de l’occasion pour réveiller leur volcan. Ils pourraient même se faire passer pour les Beatles. Ils amènent «Tent» au heavy Roxy rock - I took a taxi to my tent - Ils se foutent de la gueule du rock, c’est pour ça qu’il faut écouter les Bonzos - I’m gonna take you to my tent - Il lui propose même de danser le tango sous sa tente. C’est d’une drôlerie irrésistible. Ils se foutent des gueules de John & Oko avec «Give Booze A Chance» - This one was created by the Bonzo Dog in an Irish pub - ça rote dans le move. Avec «Keysham», ils passent au fantastique shuffle urbain et orbi. Tu ne peux pas rivaliser avec les Bonzos, ça pète de flûte et ça grouille de groove. Neil Innes y croit dur comme fer avec la pop d’«I Want To Be With You». Les Bonzos proposent un mélange détonnant de rock anglais haut de gamme et de parodie désopilante. Ils repartent en goguette rétro avec «The Craig Torso Show» et singent les Beatles. Ils tapent aussi dans le british Blues avec «Can Blue Men Sing The Whites». Ils trucident le pauvre British Blues au pilori. Ils terminent avec le kitsch de «Quiet Talk And Summer Walks». Ils enfoncent leur clou Bonzo dans le crâne du rock anglais. Il n’existe ici bas rien de plus jouissif ni de plus poilant que les Bonzos.
Les albums solo de Vivian Stanshall sont un peu plus difficiles d’accès. Paru en 1974, Men Opening Umbrellas Ahead offre pourtant quelques prises. Le Viv globe terrestre couronné d’un trois mâts qu’on voit au dos de la pochette démarre avec un heavy groove déconnant intitulé «Lafoju Ti Ole Riran». Stevie Winwood et Jim Capaldi sont de la partie. Ce démon de Viv aime l’air vif. Avec «Truck Track», il rend hommage aux roadies qui selon lui bossent plus que les autres. On entend Winwood jouer le heavy groove de basse dans «Yelp Below Rasp Et Cetera». Viv boucle son bal d’A avec un autre solide groove, comme s’il passait de groove en groove avec les ailes de Liberace. Il attaque sa B avec «How The Zebra Got His Spots», un air de calypso joliment mambaté dans l’écorce du zeste. Il fait ensuite son Isaac Hayes sur l’oreiller pour «Dwarf Succulents», avec une conquête et du soupir à gogo. On entend Rebop battre la chamade de percus sur «Prog & Stoods Go Steady» et cet étrange album s’achève avec «Strange Tongues» et une chaleur de ton à la Melody Nelson du petit matin. On entend Madeline Bell et Doris Troy dans les ladies voices. Il règne une sorte de splendeur sur cet album, une œuvre intègre et contrite de contrées intrinsèques, abstraite et concrète à la fois.
Viv refait surface en 1981 avec Teddy Boys Don’t Knit. Contrairement à ce qu’indique le titre, ce n’est pas un album de rockabilly. C’est là qu’on trouve le «Ginger Geezer» qui va servir de titre à sa fameuse biographie. Il chante ça d’un air décidé, bien bas du front. C’est du pur Viv, il pète en rythme. Prout Prout. Il chante son «The Cracks Of Showing» au doux du beautiful kitsch, accompagné par un banjo rétro. Avec «Flung Dummy», il nous sort un shoot de punk atroce. Il ne plaisante pas, le solo de sax non plus. Sinon, il fait pas mal de comedy act. On ne pourrait pas faire de cet album son disque de chevet, mais on l’écoute avec une sorte de gourmandise. Il tape dans tous les genres, à la bonne franquette, même la Calypso. On voit qu’il a trop bu dans «Nose Hymn», le balancement rappelle le mal de mer, on voit arriver le moment de la gerbe - I suppose it blew my nose - Même si tu n’as rien bu, le cut te donne envie de gerber. Avec Viv, il vaut mieux savoir tenir l’alcool. Il en profite pour faire le con avec «Every Day I Have The Blues».
Malgré tous ses efforts artistiques, Viv voit sa carrière s’enfoncer dans la vase de l’underground. Il est temps pour lui de se retirer et de quitter ce monde ingrat.
Comme le sol de la chambre de son appart de Muswell Hill est jonché de paperasses, il n’est pas surprenant que ça ait pris feu. Une lampe serait tombée pendant qu’il dormait. La porte de la chambre étant fermée, tout a cramé à l’intérieur, y compris Viv. Des piles de cassettes vidéo entassées contre le mur auraient aussi pris feu. Ki pense qu’il a provoqué l’incendie : «When he burned the bedroom down, he gave himself a viking funeral.» Rupert va dans le même sens : «Il méritait une fin héroïque. Il adorait le film Les Vikings, avec Kirk Douglas. Il pensait que cette façon de mourir était géniale. Et c’est comme ça que the old man est parti, dans une espèce de brasier funéraire avec toutes ses possessions. Il y a beaucoup de puissance dans cette image. Il est parti avec ses vêtements, son ukulele et son tabac.»
Signé : Cazengler, Vivian Stansale (type)
Lucian Randall & Chris Welch. Ginger Geezer. The Life Of Vivian Stanshall. Fourth Estate 2001
Richie Unterberger. Urban Specemen And Wayfaring Strangers. Miller Freeman Books 2000
Bonzos Dog Doo-Dah Band. Gorilla. Liberty 1967
Bonzos Dog Doo-Dah Band. The Doughnut In Granny’s Greenhouse. Liberty 1968
Bonzos Dog Doo-Dah Band. Tadpoles. Liberty 1969
Bonzos Dog Doo-Dah Band. Keynsham. Liberty 1969
Bonzos Dog Doo-Dah Band. Let’s Make Up And Be Friendly. United Artists 1972
Bonzo Dog Doo-Dah Band. Unpeeled. Strange Fruit 1995
Vivian Stanshall. Men Opening Umbrellas Ahead. Warner Bros. Records 1974
Vivian Stanshall. Teddy Boys Don’t Knit. Charisma 1981
Oh You Pretty Things
- Part Six
L’actualité des Pretties n’est pas que macabre : Cherry Red vient de publier l’intégrale des mythiques De Wolfe Sessions, le Loch Ness du rock anglais, plus connu sous le nom de The Electric Banana. Moins gourmand que les autres fabricants de coffrets, Grapefruit/Cherry Red propose un petit ensemble de trois CD + livret, au format CD, pour un prix extrêmement modique. On échappe ainsi à ces arnaques qui courent actuellement les rues.
L’histoire d’Electric Banana est simple : les gens qui fabriquaient du son pour le cinéma, la télé et la pub n’avaient pas les moyens de se payer des hits pop, alors ils faisaient appel à des groupes pour enregistrer ce qu’on appelle aujourd’hui de la musique de librairie, c’est-à-dire de la musique de déco. En 1967, ils sont trois à se partager le marché en Angleterre, dont James De Wolfe. Il fait travailler des musiciens et des arrangeurs, et comme la mode va plus sur la psychedelia, il cherche des gens qui accepteraient d’enregistrer quelques cuts. Pouf, voilà que Phil May, Wally Waller, Dick Taylor et John Povey ramènent leurs strawberries. En 1967, ils enregistrent un mini-album, Electric Banana, qui propose cinq titres chantés, suivis des cinq versions instro.
Il y aura en tout cinq mini-albums construits sur le même modèle. Phil May précise qu’on ne pouvait pas les trouver dans le commerce car De Wolfe les envoyait uniquement à ses clients, réalisateurs ou publicistes. Les Pretties enregistraient donc ces disques pour de simples raisons alimentaires. Mais pour tous les fans des Pretties, c’est une sorte de passage obligé, car les cuts valent leur pesant de Parachute.
Ils ouvrent la bal d’Electric Banana avec un «Walking Down The Street» hard on the niaque de section rythmique et un Phil qui chante la bouche en chœur. Rien de plus véracitaire que ce son. Mais comment font ces mecs pour ramener autant de délinquance dans leur London beat ? Allez poser la question à leurs braguettes. Povey bat le beurre et Wally bassmatique. Ils développent leur incroyable swagger et en bouchent un coin à «Free Love». Mais c’est avec «Danger Signs» que tout explose. Phil cambre le Motown r’n’b sur le move des Pretties, il chante comme un black dandy de Detroit, oh l’incroyable élégance combinatoire ! Phil May est le seul mec d’Angleterre capable d’expédier cette Soul de pop au firmament, il chante ça à ras la motte et grimpe comme Brian Wilson au sommet d’une montagne de mayo, salué par des bouquets de cuivres et pouf !, il rattrape son cut au vol, everything was ! Son cœur bat la chamade du hit, the whole world ! Ce merveilleux wild shaker aw-awte et finit par tomber dans un nid de maracas. Voilà le génie extravagant de Phil May.
Six mois plus tard, ils enregistrent More Electric Banana. «Street Girl» jaillit hors du bal d’A. Si on veut faire le malin, on peut même dire que «Street Girl» saute à la gorge du rock anglais. To the throat ! Ce démon de Phil May se croit dans «Midnight Circus». Il fait de gros dégâts, c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. Puis on les voit tous aller courir sur le haricot de «Grey Skies». N’importe qui se mettrait à genoux et disant : «Quelle bénédiction !». On voit ensuite Phil May dominer le big car wash d’«I Love You». Il domine son cut comme le beffroi domine la place, d’une hauteur tutélaire. Il chante aux coulées douces des coudées franches. Fantastique chanteur ! Ils bourrent encore la dinde de Wolfy avec «Love Dance & Sing». Mais ils ne la bourrent pas de farce comme on serait tenté de le croire, ils bourrent cette pauvre dinde de big furnish, oui car on a là les Pretties de l’âge d’or, les prêtres du temple de la psychedelia britannique. Puis Phil May va chercher le chant d’«A Thousand Ages From The Sun» dans du claqué de Banana. Il agit au mieux des possibilités et chaloupe dans le groove avec une élégance déconcertante.
Vous pensez bien que De Wolfe est ravi. Il en veut encore. Alors rebelotte avec en plus Twink Adler au beurre, ce qui permet à Povey de passer aux keys. Leur troisième mini-album s’appelle Even More Electric Banana et c’est là que crèche le divin «Alexander». Power suprême, avec un Phil May surexcité. Ce brave «Alexander» compte quand même parmi les plus gros hits des Pretties. On a là de la pure mad psychedelia avec ces guitares qui ponctuent goulûment la surenchère, ça joue au jus, c’est du hot stuff de 69 année bananique. Et ça continue avec «It’ll Never Be Me» que Wally attaque au riff de basse des cavernes. Il rentre dans le rock comme dans du beurre, à la Bertolucci. L’infernal génie sonique des Pretties n’en finit plus de boucher des coins de trous. Ils montent des harmonies vocales éperdues sur le plus cavemanien des bassmatics. Pleurésie garantie ! Voilà un mélange jusque là inconnu. Les trois autres cuts sont du même acabit d’Aqaba, en plein dans le faisceau mordoré de Parachute, les Pretties naviguent sous le vent. Encore un smash de May avec «Blow Your Mind», sharp du chant et guitar glandy, ils sont sauvages et beaux, délicieux comme ces bonbons qu’on suce au soleil et on sent cette guitare bien grasse nous courir entre les jambes. C’est là sur Even More Electric Banana qu’on trouve «What’s Good For The Goose» qui renvoie au film du même nom. Car oui, on peut entendre les Pretties dans deux trois films de série B, mais pour les voir, il faut se lever de bonne heure.
Changement de personnel en 1973 pour le Banana suivant qui s’appelle Hot Licks : Pete Tolson, Gordon Edwards et Stuart Brooks se joignent à Phil May, Skip Alan et John Povey. Les mutations du Banana suivent les mouvements de personnel au sein des Pretties, victimes de leur non-succès. Après une belle intro de basse signée Brooks, Phil May entre comme un vieux renard dans le poulailler de «Sweet Orphan Lady». C’est cousu main mais vendu d’avance. C’est là que les Black Crowes viendront s’abreuver. Le jeune Tolson fait des siennes. Phil May regrimpe ensuite au sommet du Wolfe art pour décocher «I Could Not Believe My Eyes». Il chante ça avec toute la générosité dont il est capable. Les Pretties font carrément de la Stonesy. Ils amènent «Good Times» au riff délinquant. Idéal pour un cat comme Phil et avec «Walk Away», il devient fou - You walk away my love/ Away from me my love - C’est vrai que c’est un coup à devenir fou, au plan psychédélique, et le petit Tolson pique sa crise. Ils montent «The Loser» sur un heavy groove de blues, ils savent très bien ce qu’ils font et tout explose avec «Easily Done». Phil May chante ça en vieux punk - I guess this is easily done - Il est le seul à pouvoir rebondir des bas fonds vers la lumière de la pop. Il passe du Midnight Circus aux alpages d’easily done. C’est encore un morceau de bravoure qu’il chante avec son petit regard en coin.
Les années passent. En 1977, Phil May et Wally Waller montent les fameux Fallen Angels avec Mickey Finn, Bill Lovelady, Brian Johnson et Chico Greenwood. Comme on l’a raconté la semaine dernière, ils sont allés bricoler un album à Genève et ils enregistrent en plus un ultime Banana qui s’appelle The Return Of The Electric Banana. Mais on sent un certain manque d’inspiration, comme d’ailleurs sur l’album des Fallen Angels. «Do My Stuff» sonne comme du gros soft rock et avec «Take Me Home», Phil May fait son savage eye d’animal track. Encore moins magique, voici «James Marshall», même si Phil a la patte du caméléon. Il fait comme il peut, il chante à la vieille revoyure alambiquée, il se bat pour essayer de sauver un cut qui de toute façon est condamné aux oubliettes de Gilles de Rais. Ils sont dans une sorte de heavy pop qui ne peut pas fonctionner, malgré la qualité du chant. Mais on les félicite d’avoir essayé.
Signé : Cazengler, Pity Thing
Phil May. Disparu le 15 mai 2020
The Electric Banana. The Complete Wolfe Sessions. Grapefruit Records 2019
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AVERTISSEMENT LEHOULIEN
Peut-être avez-vous la chance de ne pas connaître Pierre Lehoulier. C'est un ennemi de l'Humanité. En temps normal il sévit dans une association particulièrement nocive, genre Bande à Bonnot, mais en plus fourbe et plus cruelle. Comme les serpents à deux têtes elle possède deux noms, pour mieux tromper ses ennemis, un gang redoutable, connu sous le terme de Crashbirds, qui se cache aussi sous une pateline dénomination : '' les Cui-Cui ''.
Nous ne nous attarderons pas sur les Crashbirds, nous avons dans la passé à plusieurs reprises signalé les méfaits de ces satanés oiseaux, nous rappellerons simplement que dans ce duo de vautours Pierre Lehoulier se prend pour un pic-vert, ne peut s'empêcher de taper systématiquement sur ses pantoufles électro-acoustiques pour le seul plaisir de faire du bruit pendant ses propres prestations musicales et empêcher ainsi que l'on entende les gutturales vitupérations de mésange de sa compagne Delphine Viane. Encore faut-il rappeler l'étymologie du mot ''mésange'' formé à partir du préfixe mes- qui signifie mauvais. En d'autres termes le mauvais ange. Vous commencez maintenant à entrevoir la perversité crashbirdienne.
Le monde a connu une courte période de rémission. Pour empêcher les troubles agissements de notre couple diabolique, notre gouvernement bien-aimé a enfin pris les mesures qui s'imposaient, politique de la terre brûlée, concerts interdits et population confinée. Deux mois de calme et de repos. Enfin, depuis nos fenêtres entrouvertes l'on pouvait entendre le doux ramage de la fauvette et du loriot. Les spécialistes étaient formels, notre gypaète barbu Lehoulier et son inséparable compagne ne résisteraient pas à ce séjour prolongé en cage obligatoire.
Il n'en fut rien. Empêché de taper du pied en public, Pierre Lehoulier aurait pu profiter de ce laps de temps imparti à la réflexion métaphysique pour faire acte de contrition, mais non puisqu'il ne pouvait plus encombrer nos oreilles de ses tapotements obstinés, il a décidé de nous griffer les yeux, le résultat est là, posé sur la table, il ne reste plus qu'à prévenir nos contemporains, de ne pas s'en approcher, de continuer les gestes préventif de distanciation qui sauvent – jamais à moins de deux mètres, port du masque et de casquette à visière opaque obligatoires - n'y touchez point, ne tentez même pas de le feuilleter, même si d'aventure vous vous reconnaîtriez dans le titre – véritable miroir aux alouettes - de cet ouvrage nauséabond.
Comme nous ne reculons devant aucun sacrifice pour satisfaire la curiosité ( vilain défaut ) de nos lecteurs, nous prenons sur nous de lire cette nouveauté afin d'en mesurer l'inanité conceptuelle. En toute honnêteté intellectuelle, bien entendu.
SUPER GROS CON
SUPER GROS CON CONTRE LES AUTRES
PIERRE LEHOULIER
( Edité par Crasbirds Asso / Mars 2020 )
Faut être juste. L'objet vaut son pesant d'or. Un papier aussi épais que les vitres blindées de la papamobile, pas une misérable pelure que vos doigts traversent lorsque vous en torchez votre auguste postérieur, c'est que le Lehoulier il en connaît un bout sur l'emploi des supports et des couleurs. Question teintes il vous les étale les couches flashantes avec cette finesse consommée des vitraux de la Sainte-Chapelle, le bougre il arrive à vous pondre des planches qui dans leur agencement rappelle les caissons de la Chapelle Sixtine, l'a des roses empoisonnés, des kakis cloaqueux qui n'appartiennent qu'à lui, des verts frangipane particulièrement subtils, des oranges éblouis, des bleus troubles et teigneux, dispose d'une telle palette que les papillons doivent s'y poser dessus avides de butiner les plus belles corolles que la nature ait jamais produites.... En plus cet esprit retors a pensé à tous, l'a rempli ses phylactères d'un alphabet d'une limpide lisibilité.
C'est comme pour les écrivains, il y a ceux qui racontent une histoire, et ceux pour qui chacun des paragraphes est un petit poème en prose à lui tout seul. Chaque vignette lehoulière ressemble à un petit tableau à part entière. Vous avez même de grandes compositions monopagiques qui exigent de longs moments d'arrêt d'étude et d'admiration. Les amateurs de toiles aux dimensions plus modestes ne resteront pas insensibles à ce brio consommé avec lequel Maître Lehoulier les aligne sans monotonie selon les règles d'un décalage discret qui lui est propre et qui lui permet d'éviter tout moutonnement par trop régulier.
Pierre Lehoulier a tenu par la virtuosité de son art à exalter et magnifier ce qui nous Humains, situés sur la cime de toute l'évolution animale, nous distingue souverainement de toutes les autres créatures de l'univers. Nos qualités morales justifient hautement que nous n'ayons pas été placés par hasard au-dessus de la tourbe universelle des vulgaires animaux biologiques. Oui, nous les dominons grâce à l'exercice prestigieux de cette Raison qui n'est peut-être que l'autre nom de Dieu.
VISEES PEDAGOGIQUES
L'idée de départ est magnifique, un oncle décidé à apprendre à ses trois neveux la connaissance et le respect du beau, du bon et du bien. Nous sommes ici à l'opposé de ces troubles menées utilitaristes d'un Oncle Picsou qui tend à introduire dans les poreuses méninges de nos fragiles têtes blondes l'amour immodéré de l'acquisition capitalistique. Nous sommes en présence d'un roman initiatique d'inspiration goethéenne destiné à forger le caractère d'une saine jeunesse, hélas ! encline de par son inexpérience innocente à s'aventurer sur les sentiers du Mal.
Certes nous sommes aussi aux USA, mais pas n'importe où, en un territoire où résident encore les vieilles valeurs des pionniers qui ont permis de fonder la vertueuse Amérique. Vous remarquerez que le héros ne s'appelle pas Superman, ou Supermec, voire Super Johnson ou Super Dupont, se nomme en toute modestie Super Gros Con, afin que chaque lecteur puisse retrouver en ce patronyme un peu de lui-même. Vous dites Super Gros Con et un lien de sympathie universelle se noue automatiquement.
Toutefois Super Gros Con n'est pas n'importe qui. Son expérience plaide pour lui. Partout où Oncle Sam a eu besoin de lui pour combattre les ennemis de la plus grande démocratie, formule suspecte, mieux vaut employer l'expression la nation la plus libre du monde, il a répondu présent, pour exterminer la jaunâtre vermine vietminhe ou l'écarlate menace communiste en Corée... Un vrai citoyen, d'abord il tue, ensuite il ne réfléchit pas.
Super Gros Con ne demande qu'à vivre en paix dans son Texas toxique aux mauvaises influences. Chacun sa merde – ce dernier mot n'est pas une métaphore – tel est son crédo, maintenant ce n'est pas de sa faute si l'ennemi intérieur vient en toute occasion lui chercher noise, vous n'imaginerez jamais comment les nègres crépus qui puent et les face-de-cul-rouges se mettent toujours sur son chemin. Heureusement qu'il veille pour donner l'exemple à sa petite famille, vous les extermine sans pitié, mais ces sous-hommes sont comme le chiendent qui repousse toujours. Preuve que le danger est partout, parfois les ennemis surgissent de l'espace, n'ayez crainte, ce ne sont pas des crypto-gauchistes venus d'ailleurs qui ont le goût et l'odeur des communistes qui vont lui apprendre à vivre. En tout cas Super Gros Con leur apprend à mourir. Vite fait, bien fait. Etranger ne passe pas ton chemin, ce sol accueillera ta tombe.
Super Gros Con n'a peur de personne ni des morts-vivants, ni des vivants pas encore morts. Super Gros Con est un mec sympa. Vous avez envie de lui taper sur le bidon, à la bonne franquette. N'exagérez pas non plus avec vos simagrées, il déteste les PD, par contre il aime les armes ( et la chasse à tout ce qui ne lui ressemble pas ) il est convaincu que le pouvoir est au bout du fusil. Un être simple, quand il se met en colère vous le voyez tout de suite, une svastika rouge ou noire se met à tournoyer au-dessus de sa tête à la vitesse de pales d'hélicoptères d'attaque...
Voilà, ne vous reste plus qu'à vous procurer ce bréviaire du dernier des résistants et à lire. Vous pouvez le confier sans problème à vos enfants. Pierre Lehoulier a pris soin à ne point pondre un ouvrage rébarbatif qui décourage les meilleures volontés. Le sujet est sérieux, mais découpé en plusieurs petites histoires, désopilantes, nous vous conseillons d'en lire une chaque soir à votre gamin pour qu'il s'endorme heureux sachant que pendant son sommeil Super Gros Con veille sur sa sécurité...
INTERROGATIONS
Vous avez lu. Vous avez aimé. C'est maintenant que survient en votre esprit une question à laquelle nous n'apporterons aucune réponse. Comment se fait-il que cet être si négatif qu'est Pierre Lehoulier, ait pu créer un héros si positif ? Même que parfois l'on peut discerner entre deux images comme une impitoyable et féroce critique de notre société. N'est-ce pas un miracle ? Pierre Lehoulier serait-il un être plus complexe qu'il n'y paraîtrait ! Ne serais-je pas victime du redoutable syndrome de Stockholm, les noirs tentacules de l'hydre de l'anarchie ne sont-ils pas en train de s'emparer de mon esprit ? Super Gros Con, vite, au secours !
Damie Chad.
ROCKABILLY GENERATION N° 13
AVRIL – MAI – JUIN 2020
Faut plus de deux mois de confinement pour tuer un magazine de Rockabilly ! Le numéro 13 en plus ! Pour les superstitieux pas de problème avec le Spécial Gene Vincent sorti après le 12, c'est le quatorzième fascicule du magazine qui prend de la bouteille. Pure malt. Evidemment cela commence mal, la série Pionnier nous retrace la carrière de deux disparus : Jack Scott et Sleepy Labeef. La génération née autour de 1935 rend l'âme peu à peu. Jack Scott et Sleepy Labeef, le Cat Zengler les avait évoqués dans nos colonnes ( voir nos livraisons 447 et 450 respectivement du 16 / 01 / 20 et du 06 / 02 / 20 ). Une génération disparaît...
Une autre apparaît. Deux longues interviews menées par Brayan Kazh. Lucky Will – nous l'avons vu deux fois au 3 B à Troyes, avec son ancien groupe Slap DooWap et avec Mike Fantom, deux belles soirées, un super guitariste – ne dites pas que vous ne le connaissez pas, vous avez tous vu vu la photo de Jerry Lee Lewis qui présente fièrement son disque – très sympathique ce Lucky, d'abord il est né en Ariège comme moi – se raconte bien, ne renie aucun de ses amours, par exemple sa pâmoisante rencontre avec le rock'n'roll via AC /DC, de quoi faire blêmir les puristes, et il entend suivre son chemin à sa guise. De la personnalité. C'est au tour de Marcel Riesco de s'y coller, l'américain qui monte dans les festivals rockabilly, une autre culture, Lucky Will parle de passion et Marcel Riesco nous semble plus attentif à sa carrière, son job. Un sociologue devrait se pencher sur ses deux entrevues, comment deux logiques différentes se ressemblent malgré tout.
Rencontre avec Michel Petit, davantage connu dans le milieu en tant que Monsieur RockaRocky le blog qui répertorie un maximum de concerts de rockabilly en France et ailleurs. Un passionné qui organise avec son asso les légendaires Rockin Gone Party, mais qui sait garder la tête froide... Sergio nous livre les photos de la seizième session.
Ce qui suit devrait nous enthousiasmer, voir Sandy Ford, Graham Fenton et Crazy Cavan avec leurs formations, tous les trois, en une même soirée, ce 18 janvier 2020, à la Rockers Reunion, tout le monde s'en souviendra – surtout ceux qui n'y étaient pas – n'empêche qu'elle aura laissé un goût de cendre à beaucoup, teddy boys et autres rockers, ce fut le dernier concert de Cavan Grogan... Le numéro Hors-série N° 2 de Rockabilly Generation sera consacré à cet homme qui aura consacré sa vie à perpétuer le rock'n'roll.
L'on arrive à la fin du magazine, outre les séquences habituelles, nouveautés disques, rétrospectives épisodiques et dernières nouvelles des idoles, deux pages consacrées aux Hudson Maker, un groupe de l'ancienne génération qui n'a pas froid aux yeux et qui ne doute de rien puisqu'il vient de s'adjoindre les jeunes Brayan à la contrebasse et Kilian au piano. Ça promet !
Presque un siècle que cela dure, le rockabilly a la vie dure !
Et cette revue prend de l'envergure !
Damie Chad.
Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,60 Euros + 3,88 de frais de port soit 8,48 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 33, 92 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Une bonne nouvelle tout de même : devant la demande générale, le numéros 4 avec la dernière interview de Cavan Grogan a été retiré. Si vous ne l'avez pas, c'est une erreur.
BE MY FREAK / JADES
( Clip )
De quoi papoter et grenouiller autour des bénitiers à la prochaine réouverture des lieux de culte, c'est que lorsque Dieu n'est pas là le Diable prend sa place, et les souris vertes rockent sans vergogne. La prière est sans équivoque, Be my freak, par tous les seins à quoi rêvent les jeunes filles d'aujourd'hui ! Jades sort le grand jeu. Celui qui flirte avec les images d'épi-mal. Une production soignée, tous les ingrédients des messes sataniques ont été réunis. Dévoilés, mais pas exposés. Le clip file vite. Des notations topiques, des clins d'œil indispensables. Tout y est. Rien ne manque. Le désir, le serpent, l'église profanée, le bois sombre. Ces quatre filles sont diaboliques, elles vous racontent une horrible histoire, les scènes défilent mais ne dévoilent rien, chasteté obligatoire, les flammes de l'enfer, pas de sang, pas de sexe. La violence suggérée est davantage fantasmatique que la brutalité nue.
Ces scènes de film vous les avez déjà vues cent fois, mille fois imaginées. Dans vos rêves osés, dans vos cauchemar irisés. Vous n'êtes pas dans un film, mais dans un clip, moins de temps certes, tout juste cinq misérables minutes, avec cette difficulté d'introduire dans le scénario l'artificielle inclusion d'un groupe de rock dans le tournage. Un élément étranger et superfétatoire. C'est la règle du genre, c'en est aussi le plus redoutable des écueils. Trop souvent, les plans s'enchaînent sans qu'il y ait une véritable congruence entre les images des artistes et celles du récit mis en scène. Au mieux l'on tombe dans une gratuité surréaliste peu conséquente, au pire dans un galimatias du genre étonnez-moi-benoît-sans-émoi.
Et là tout concorde merveilleusement. Nos quatre musiciennes et leurs instruments sont habilement mises en scène. L'on sent que le clip a été pensé et travaillé avec intelligence. Le réalisateur a salement intuité, l'est arrivé à faire converger et s'interpénétrer deux éléments de natures très différentes, le fantastique et un groupe de rock, aucun ne mange l'autre, chacun illustre sa propre différence et renforce l'autre, il n'y a pas de dichotomie entre ce qui est raconté et ce qui est montré.
Et puis il y a le son. Un morceau typiquement jadien bien enlevé, bien découpé en brèves séquences qui mettent en valeur les qualités punchives de ces demoiselles. Sûr qu'au paradis ce n'est pas pomme qu'elles auraient croquée mais le serpent tout cru. En quatre coups de dents. Venin compris. Une belle réussite.
J'allais oublier la fin, car il y a une fin à tout, même à un clip de Jades. Z'oui, mais là ils l'ont particulièrement soignée. N'ont pas choisi la solution de facilité des Sex Pistols, je coupe sec sans me soucier si c'est vraiment achevé ou pas. Nous avons droit à un générique. Un vrai. Qui vous ne laisse pas sur votre faim. Esthétique, pas du tout esthétoc.
Damie Chad.
LE MANIFESTE ELECTRIQUE
AUX PAUPIERES DE JUPES
( Le Soleil Noir / 1971 )
Gyl Bert-Ram-Soutrenom F. M. / Zéno Bianu / Michel Bulteau / Jean-Pierre Cretin / Jacques Ferry / Jean-Jacques Faussot / Patrick Geoffrois/ Benoit Holliger / Thierry Lamarre / Bertrand Lorquin / Jean-Claude Machek / Matthieu Messagier / Gilles Mézière / Jean-Jacques N'Guyen That / ALAIN Prique / Nick Tréan
Quel plaisir de retrouver ce livre en rangeant le garage, je pensais que je l'avais prêté à un ami qui ne me l'avait jamais rendu, déjà que lors de sa sortie j'avais eu un mal fou à obtenir de ma libraire ( très militante et très débutante ) qu'elle en passe la commande, elle pensait que le titre était une pure invention de ma part pour me moquer d'elle. J'ai insisté pendant un mois...
Toute une génération née aux alentours de 1950, ils avaient aux alentours de vingt ans en 1968, autant dire que les temps étaient à la rébellion, il importait de détruire non pas le vieux monde mais les formes selon lesquelles the ancient world s'était constitué. Tout un programme qui n'était pas neuf, déjà en 1916 Dada avait élaboré un tel projet. Si l'on y pense bien, cette manière de diriger sa révolte contre les ''formes'' démontra avant tout une satanée allégeance aux dogmes idéens de Platon... Ce qu'il y a de profondément ennuyeux en poésie, ce sont les précurseurs, et les seize chevaliers du Manifeste Electrique, en avaient reconnu de deux sortes. La poésie Beat et le Surréalisme. Le titre du bouquin en témoigne.
Dans les années 70, le Surréalisme était la vache sacrée dont tout le monde se réclamait et que personne ne pensait à mener à l'abattoir. Il y avait bien la revue Tel Quel qui explorait une écriture hors des cadres, mais le groupe qui gravitait autour de Phillipe Sollers, Denis Roche, Marcelin Pleynet empruntait trop aux idéologies politiques et aux cadres formalistes de la '' grande littérature''. Tare rédhibitoire, ces nouveaux pontificateurs étaient nés autour de l'an 1935. En quinze ans, l'horizon culturel s'était modifié. Le rock'n'roll était apparu. Terrible constat, si Valéry avait pu décréter que la poésie c'était le son + le sens, le rock modulait un son qui attirait les oreilles si intensément que l'on pouvait sans trop d'hésitation se passer du sens. De toutes les manières, aligner au hasard des mots à la queue-leu-leu, ils finiront bien par signifier quelque chose.
Se reposait à cette nouvelle génération la vieille problématique de Mallarmé confronté à Wagner, la poésie se devait de reprendre son bien à la musique. Relu à cette lumière, le Manifeste n'a malheureusement rien d'électrique. Le courant ne passe pas. Les textes ne frétillent pas. Point d'électrocution à l'horizon. Peuvent s'y mettre à un, à deux, à trois, à quatre, s'essayer à tous les styles, du vers libre au cut-up, des phrases sans complexe aux paragraphes d'empilements systématiques, du mot-valise joycien à toutes sortes de désarticulations formelles désaliénantes, le sens et le non-sens priment sur le son et ne parviennent même pas à engendrer un non-son. Sans doute un des échecs les plus cinglants de la poésie française du vingtième siècle. Reconnaissons à Zéno Bianu, Michel Bulteau, Patrick Geoffroy, Matthieu Messagier, de s'être attaqués à une entreprise colossale. Leur pratique d'écriture en sortira changée, chacun écrira par la suite au plus près de sa propre voix, de sa propre (a)musicalité.
En 1971, Le manifeste électrique ne déchaîna ni les foules ni le scandale. A ma connaissance, seuls Alain Jouffroy dans Les Lettres Françaises, et la revue underground The Starcrewer y firent référence. Aujourd'hui ce livre de 90 pages est devenue une légende... Ironie de l'histoire une exposition était programmée pour ce mois de mai...
Damie Chad.
WEST, BRUCE & LAING
MORE LIVE 'N' KICKING
L'on n'allait pas quitter West, Bruce & Laing, comme cela. Quand on aime on ne compte pas. Donc trois nouveaux concerts des soixante-trois qu'ils ont donnés aux Etats-Unis entre le 30 avril et le 17 décembre 1972. Rappelons que Why dontcha, enregistré entre mai et l'été 1972 nécessita une pause entre les concerts et sortit en novembre 1972. Pourquoi le groupe qui s'était formé dès janvier 72 en Angleterre s'est-il rendu si vite aux USA ? Pour West et Corky c'était revenir sur l'ordalique et triomphal tapis des cendres chaudes laissées par Mountain, sans doute partageaient-ils aussi la motivation première de Jack Bruce, l'urgent besoin de fric. Le flot de monnaie rapporté par Cream commençait à se tarir pour Jack... L'opportune formation du trio s'avéra être la bienvenue, par la suite le roi des bassistes assura à plusieurs reprises que W, B & L, n'était pas son meilleur souvenir...
AQUARIUS THEATER
BOSTON / 27 – 04 – 1972
Don't look around : en pleine tornade, vous faut quelques secondes pour réaliser que tout va bien que vous êtes simplement en train d'écouter un enregistrement de rock'n'roll, non ce n'était pas une attaque nucléaire même si ça y ressemble méchamment, de temps en temps vous percevez la voix de West mais la vague de lave vous submerge et vous projette à Pompéi aux temps béni de l'éruption du Vésuve. En plus ils vous la font revivre en temps réel et en grandeur nature, sûr que les romains du temps jadis réduits en cendres doivent être jaloux. Ils n'ont pas eu droit à la musique eux ! Polititian : pas le temps de se remettre, Bruce a décidé d'arpenter la chaussée des géants et ses pas font trembler les assises de la planète. West lui lance quelques flammèches dans le dos, ce qui le rend fou de rage, vous assistez au combat de Thésée-West contre Minotaure-Bruce, et vous avez Corky qui s'en vient jeter sa grêle de sel ardent sur les blessures des deux combattants. Laocoon et ses deux fils contre les serpents du rock'n'roll. The doctor : celui que l'on appelle lors des catastrophes, l'arrive ou trop tard ou trop tôt, les enceintes vomissent des murs de briques, Bruce vous déblaie cela avec le bulldozer de sa basse tandis que West sonne le glas sur les ruines du clocher écroulé, ensuite c'est la folie pure. Âmes sensibles suicidez-vous au plus vite cela vous évitera de mourir de peur sous l'épaisse pluie riffique qui tombe sans discontinuer, une seule certitude dans ce monde de brutalité exacerbée, prennent leur temps et leurs plaisir. Tout petits ils ont dû être allaités avec le lait des hordes mongoles. Le Corky se plaît au jeu, voici qu'il a trouvé une occupation amusante il passe la tondeuse à gazon sur l'herbe des steppes. Ne cherchez pas une autre explication au changement climatique. Quant aux deux autres ils sèment des œufs de crotales sur le sable du désert qui avance. Irrévocablement. Third degree : qu'est-ce qu'il leur a fait ce blues, pourquoi le déchirent-ils avec tant de hargne, Bruce lui casse les os, West lui retire la peau alors qu'il est encore vivant pour qu'il ait encore plus mal, et Corky lui écrase le bout des pattes pour que plus jamais il ne tienne debout, ne vous reste plus qu'à pleurer de plaisir. Quand vous pensez qu'ils sont si méchants uniquement pour que vous soyez contents, vous vous sentez un peu coupables. De toutes les manières le pauvre animal ne s'en remettra jamais, alors c'est aussi bien s'ils continuent. Et ces hurlements qui vous frissonnent si fort la moelle épinière, consentiriez-vous à vous en passer. Un bon blues est un blues agonique. Guitar solo + Roll over Beethoven : West est à la guitare, s'en sert comme d'une harpe celtique, celle qu'utilisait Homère pour évoquer la chute de Troie dans le festin des rois, c'est beau, c'est triste, c'est puissant, ah ! ce cri des bébés troyens dont on fracasse la tête sur les remparts d'Ilion, connaissez-vous quelque chose de plus émotionnant et maintenant l'incendie final avec les meurtres, les viols, le carnage, ah ! les grecs savaient vivre intensément à la manière de leurs Dieux, et Leslie est le héros de la guitare rock, au cas où vous en douteriez il ligote ce pauvre Beethoven dans les cordes de son piano, tandis que Bruce festonne en sous-main quelques aria rupestres et tumultueux, Corky se dépêche de clouer le battant, manière de transformer l'instrument à queue en cercueil, mais ne voilà-t-il pas qu'en plein milieu de son travail funèbre notre batteur se souvient qu'il doit rentrer les vaches, alors il frappe violemment sur sa cloche à ruminants, et sa préférée, la grosse noiraude, la Mississippi queen déboule suivie de très près par une horde de taureaux furieux en manque d'affection et d'effusions priapiques, je ne me risque pas de décrire la parade nuptiale qui suit, des têtes blondes pourraient tomber sur ce texte et apprendre tout ce qu'elles savent déjà, je fais confiance à l'imagination de nos lecteurs. Le Corky doit avoir travaillé comme tueur numéro 1 aux abattoirs de Chicago. La guitare de West vagit telle une vache désespérée qui a perdu le chemin de son étable. Powerhouse sod : Bruce se lance dans l'atonalité africaine, sa basse gronde telle la hyène du désert qui dispute un os à une meute de chacals, le Jack se laisse aller à ses mauvais instincts jazzistiques, démonstration en long et en profondeur, l'est un peu comme cet irritant moniteur de planche à voile qui virevolte sur les vagues pour épater votre copine. Il n'a pas de chance, le Jack peut mugir tout ce qu'il veut comme une sirène de cargo échoué sur la plage désertée, aux performances artistiques individuelles elle a toujours préféré les activités de groupe comme les Rolling Stones. Play with fire : ( drum solo ) : c'est ce que l'on appelle un alibi, vous prenez un vieux classique des sixties dans l'armoire aux souvenirs, vous traversez le premier couplet au triple galop, et lorsque vous êtes sorti du paddock vous vous laissez travailler par vos démons les plus chers. C'est dans les vieux chaudrons que les sorcières préparaient leur mixture les plus réussies, ici nos trois sorciers s'essaient à trouver le West, Bruce & Laing original sound, tout ce qui a précédé c'était de l'esbroufe, pour les adeptes du voyeurisme rock, ici l'on cherche un nouvel idiome, si ce groupe avait continué que n'aurait-il donné ! Pour une fois Bruce s'amuse à jouer à part égale avec Corky, West vous décoche des flèches enflammées sur le convoi qui s'aventure dans les territoires sacrés des indiens. Sunshine of your love : et l'on repart dans les sentiers battus, faire du neuf avec du vieux n'est pas donné à tout le monde. Surtout si un tiers de l'effectif était partie prenante de la première mouture, toutefois il n'y avait pas de cloche à vache dans Cream, un minuscule détail qui pourrait déboucher sur les alpages inconnus d'une montagne aux flancs abrupts. La fin du morceau est en exploration constante.
La qualité de l'enregistrement n'est pas parfaite, mais le document est de première importance.
RADIO CIRCUS MUSIC HALL
NEW YORK / 06 – 11 – 1972
Don't look around : un grondement qui surgit des entrailles de la terre, vomito-éruptif, stroboscope sonore, la guitare de Leslie vous plante des écharpes dans la chair jusqu'à ce que le riff salvateur se précipite sur vous pour vous bouffer tout cru. Vous voici squashé à la manière d'une balle de ping-pong en acier qui rebondit entre les vitres intransperçables de la matière riffique. Le West vous gloutonne les entrailles tandis que Bruce vous passe dessus avec son rouleau compresseur, n'y a que Corky qui ne s'amuse pas, vous maintient le rythme coûte que coûte en frère de la côte qui file les écoutes pour maintenir l'allure. Pleasure : c'est la voix de chapon de Bruce qui fuse hors du battement intensif de Corky, l'on se demande ce que fait Westie, doit faire le beau pour qu'on lui refile un sucre, l'a sa guitare qui jappe toute seule, une meute de chiens derrière le cerf, la pauvre bête ne fera pas long feu. Ne pariez pas sur sa peau, cause perdue ! Aux imprécations de Jack, vous comprenez qu'il lui en veut personnellement. Mississippi queen + Polititian : le Corky a dû être transformé en machine à rythmes par un mauvais sorcier, ou alors l'a une mauvaise descente d'acide, en tout cas ça fait mal. L'en oublie de taper sur sa cloche à vache, Bruce vient à son secours, et Leslie lui envoie la dépanneuse. Sur la fin ça ronronne comme une machine à laver atteinte de la danse de Saint-Guy, et là-dessus Jack avance avec ses gros brodequins de politicien qui confond drague et campagne électorale. La basse ronronne des propositions malhonnêtes, décidément le monde est parfait, West en profite pour vous refiler un solo pointu comme une flèche d'indien qui se serait fiché dans votre œil droit. Celui que vous ne fermez jamais lorsque vous dormez. Corky l'enfonce un tout petit plus jusqu'à ce qu'elle touche le kyste qui vous sert de cerveau. De la belle ouvrage dont vous ne pouvez être que satisfait. Rolling Jack : le blues c'est comme la pêche, vous pouvez le pratiquer à la dynamite, alors Corky lance les bâtons et les deux autres tapis à chaque extrémité les allument. La basse de Bruce ressemble à un trente-huit tonnes dont le moteur peine pour escalader l'Anapurna, et Leslie imite les roues qui crissent dans les descentes. Ont aussi la mauvaise idée d'écraser les auto-stoppers sur les bas côtés et à chaque fois Leslie pousse des cris de porc égorgé. Third degree : le coup du blues qui déchire ça marche à tous les coups, z'avez le fourgon qui conduit lentement le macchabée au cimetière et un chien qui tire sur un morceau d'intestin qui dépassait du cercueil, tous les clébards du patelins hurlent à la mort après lui. Encore plus marrant que le Tandis que j'agonise de Faulkner. Le genre de scène que vous raconterez encore à vos arrières-arrières-petits-enfants. Le Leslie quand il tient le bout de gras il n'est pas prêt à vous le lâcher. Le delta tel que vous ne l'avez jamais entendu. Why dontcha : c'est fou comme trois mecs ensemble peuvent produire de volume tonitruant dès qu'ils ont le cœur à l'ouvrage, le Corky vous enfonce la tête dans le sable à coups de pelles, West joue aux fléchettes sur votre cadavre, Bruce compatissant vous savate une sonate de Beethoven en sourdine, il ne tient pas à vous réveiller, oui mais après ils ne se retiennent plus et vous commencez à avoir peur. Public acclamatif. Train time : tiens un western, Bruce joue à l'homme à l'harmonica, la scène du train, Corky boogise lentement dans le lointain, locomo-Bruce accélère et pique un vocal hors des rails, genre de morceau qu'il vaut mieux voir en direct qu'écouter sur bande. D'ailleurs ça s'arrête relativement vite. Guitar solo + Roll over Beethoven : West n'était pas présent sur le morceau précédent alors il met les doubles-bouchées pantagruéliques sur son solo, miroite comme de l'or, c'est beau comme La mine de l'Allemand Perdu de Blue Berry, je ne vous surprendrai pas en vous annonçant que la nostalgie Westienne possède ses limites, vous ramène en pleine action, révolte indienne assurée, mais quel artiste, quel tourbillon de radieuses sonorités nous dispense-t-il, ouvre la corne d'abondance et la déverse sur nous, sa guitare barrit, se transforme en éléphant dont un chasseur vient d'abattre la femelle, et vous sentez que le safari sanglant va se terminer en confiteor de confetti charnels, de quoi rendre Beethoven jaloux. Corky et Bruce viennent se repaître du sang innocent épandu sur la piste transformée en marécage hémoglobineux. Et l'on déboule dans Love is worth the blues sans bien s'en rendre compte, mais tout l'amour et tout le blues du monde ne pourront remplir les notes de ce trio maudit qui emporte nos rêves avec lui dans une cavalcade infinie. Corky en open-tornade marque le rythme et les deux autres sont à sa poursuite inter-galactique. Le mur du son du rock'n'roll est dépassé depuis longtemps, arpèges-atterrissage sur planète inconnue en douceur. Voici que Corky timbalise et casse du bois. Crépitements de baguettes-mitraillettes. Cydalises de cymbales sur fond de tonnerre digne des sabots de Sleipnir, Leslie joue, Hendrix n'a jamais atteint cette profondeur de champ, je sens que je vais me faire des ennemis mais parfois l'on est touché par la grâce. Un morceau dantesque, si vous connaissez mieux faites-nous-le savoir, on vous écrira. Powerhouse sod : Bruce monte sur le ring, il braille le blues à la Bo Diddley, Corky tam-tame l'hippopotame à mort, et Jack déploie ses notes comme les sorciers déplacent leur boules sur le boulier. Vous essayez de suivre, vous n'y comprenez rien mais les calculs sont étonnamment justes. Si ça continue, les esprits des morts vont apparaître. Dansent en rond autour du baobab. Maintenant vous pouvez accéder à tous les pouvoirs. Entrez dans la danse et laissez s'envoler votre esprit. Personne ne s'en apercevra. The doctor : Doctor West est annoncé, pas faux il possède la bonne médecine et ses deux assesseurs ne sont pas des gueilles non plus. Vous appliquent le cataplasme chaud brûlant sur les partie génitales et vous ressentez un bien fou. Le rock au bistouri et le blues au scalpel c'est merveilleux, mais aussi un peu dangereux. Corky est un maniaque mais pas du tout dépressif, un tambour entre les mains et vous êtes tranquille pour trois jours, évidemment s'il se prend la tête avec Jack, ça tourbe à l'émeute, et quand on vous bombarde de ses riffs, vous demandez si vous n'êtes pas un peu masochiste pour supporter de tels traitements. Sûrement, seulement qu'est-ce qui pourrait vous faire davantage de bien sur cette terre ! Rien. Sunshine of your love : mettez vos lunettes de soleil, et n'oubliez pas que certains l'aiment chaud. Je n'en dirai pas plus. Tant pis pour vous. Osez l'apothéose.
C'était à New-York. Alors ils ont tout donné. Pratiquement deux heures de débauche orgiaque.
MEMORIAL AUDITORIUM
DALLAS / 29 – 11 – 1972
Keep playing that rock'n'roll : ce ne sont pas nos trois héros mais le Arthur Winter Group. Qui assure grave, entre nous soit dit.
Don't look around : le vol du bourdon bombardier, menace sur tous les Hiroshima mentaux que nous portons à l'intérieur de nous, dommage que le son soit si bas, le groupe emballe et le riff monstrueux survient à l'instant idoine tel Godzilla le grand destructeur qui se rue vers nos rivages. Dévore déjà les derniers survivants tandis que sa queue, enfant capricieuse qui renverse son jeu de cubes, balaie les immeubles sans le faire exprès. Saccage intégral. Pleasure : un petit rock'n'roll n'a jamais fait de bien à personne, alors ils alignent celui-ci à vous démantibuler les ratiches. Ils insistent méchamment pour se faire haïr encore plus. Ils y réussissent parfaitement. Le son n'est vraiment pas fabuleux. La basse de Bruce trop compressée. D'autant plus regrettable que vous sentez qu'ils sont attelés à l'ouvrage. Why dontcha : par contre l'enregistrement permet de saisir une des caractéristiques du groupe, le fond musical qui tourne-boule et le vocal en osmose de distanciation, idem pour les soli qui planent très au-dessus de la pâte sonore tout en lui étant directement reliés, WB&L joue sur les deux tableaux, intégration et désintégration, fragmentations et réunifications, un peu comme ces toiles cubistes qui présentent sur le même plan la lune et sa face cachée. Third degree : des as pour étirer le chewing-gum du blues, une langue de fourmilier qui surgirait très lentement mais qui implacablement s'amuserait à smasher les une après les autres les fourmis carnivores, les images ralenties d'un film pour que le spectateur puisse se rendre compte de l'habileté diabolique déployée. Et puis de temps en temps l'accélération de la séquence pour que vous ayez une vision correcte de l'efficacité déployée par le zénarthra formivora. Mississippi queen : le son toujours aussi bas du plafond, ce n'est pas grave les courbes lascives de la Reine du Mississippi sont si tentantes que vous l'oubliez vite, Leslie hurle son plaisir et sa guitare spermatique gicle telle une fontaine de jouvence torrentueuse. Travaille la miss au plus près. Travaux d'approches fulgurantes pour les dissonances beethovéniennes. Un chemin de stupre et d'épines lacérantes qui mène tout droit au classique de Chucky les doigts agiles : Roll over Beethoven : nous en offre une version que l'on qualifiera de respectueuse par rapport à l'originale. Parfois la guitare dépasse un peu les contours du dessin, même qu'à la fin elle se transforme en un fameux gribouillage qui ne dépare en rien le tableau du maître. Bruce se permet même de le faire sonner à la Deep Purple ! Magnifique moyen d'entrer sans douceur dans Love is worth the blues : qui est au blues ce qu'une symphonie est à un élève de sixième s'adonnant à la flûte à bec en matière plastique. Ce morceau est un véritable champ d'expérimentations pour nos trois compères, ce coup-ci c'est Bruce qui s'adjuge la part du lion royal, ce qui n'empêche pas Leslie de faire miauler sa guitare comme une portée de tigrons impatients du retour de leur mère et Corky s'adjuge un solo, un genre de tamponnements maladifs qui tient autant de Parkinson que la tournante du mouton géant, font comme dans le poème de Victor Hugo, vous leur filez une araignée, en explorent les contours de prédatrice et en détaillent les morsures venimeuses, puis ils vous l'exaucent jusqu'au haut du ciel, et vous comprenez qu'ils l'ont transformée en soleil ardent et bienfaiteur pour réchauffer nos os de pauvres terriens démunis.
MORE LIVE 'N' KICKING
( 24 avril 1972 – Canergie Hall. New York ? )
A ma connaissance provenance indéterminée, du matériel de préparation pour le Live 'n' Kickin' qui à l'origine devait être un double. Ce qui est sûr c'est qu'il s'agit là de bandes de premier choix, qui démontrent à l'excès quel groupe exceptionnel aurait pu être West, Bruce & Laing.
Play with fire : la raison pour laquelle cette version n'a pas été préférée à celle sur le disque sorti restera une des grandes énigme rock du vingtième siècle, basse, guitare et batterie sont ici totalement entrecroisées, une phalange macédonienne au combat sur qui vient se briser la charge de la cavalerie adverse. Il arrive un moment où le sort de la bataille reste suspendu en un miraculeux équilibre, mais peu à peu les hoplites regagnent du terrain et la pente fatale de la victoire s'incline en leur faveur. Ce Corky quel batteur, une probité à toute épreuve vis à vis de ses deux compagnons, il les sert à merveille et leur laisse tout l'espace nécessaire. Et quand l'incendie enflamme le Walhalla, l'on assiste à une des plus belles chevauchées sans retour du rock'n'roll. Il arrive un moment, le morceau dépasse les vingt minutes, où la musique vous saisit et vous pétrifie. Merveilleux solo de Corky qui a lui tout seul fait aussi bien que le trio en son entier. L'on entend les mouches Bruce et West bourdonner autour des cymbales, et quand il tape sur sa zinguerie il leur laisse de temps de s'envoler. Sublime. Sunshine of your love : très haute qualité, mais un peu attendu, le titre des Stones leur a laissé davantage de latitude créatrice, sur ce morceau de Cream les sentiers sont balisés, mais ce soir Jack et Bruce ne se tirent pas le mou, avancent de front, un régal de les entendre, la voix qui ricoche comme des pierres détachées de la paroi rocheuse, Corky à fond les ballons les pousse à mort, ne leur laisse pas un centimètre pour reculer afin de prendre de l'élan, sont au plus près des arêtes verglacées et la cordée avance toujours, ce soir ce n'est pas l'amour qu'ils recherchent mais le soleil lui-même qu'ils veulent atteindre. Aucune version creamique n'est montée si haut.
Shake my thing / Unknown song / Pollution woman : oubliez tout ce qui précède si vous désirez prendre quelques plaisir à ces trois titres qui suivent. Ce n'est pas qu'ils soient nuls, l'amateur de rock y trouvera un intérêt certain. Juste des pistes de travail opérées durant l'enregistrement de Why Dontcha. Bruce swingue à mort, profitez-en pour remarquer le grand funk de Corky qui railroade autour de ses lignes. Mais enfin soyons juste, ces trois backing traps font un peu pièces rapportées pour obtenir l'équivalent temporel d'un album. Just for fans.
Nous arrêterons là pour aujourd'hui mais nous retrouverons très bientôt nos héros.
Damie Chad.
15/11/2017
KR'TNT ! 348 : STOOGES / BARNY AND THE RHYTHM ALL STARS / ROCKABILLY GENERATION / VINCE TAYLOR / FRANCOIS REICHENBACH / JOHNNY HALLYDAY / MOUSTIQUE
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 348
A ROCKLIT PRODUCTION
16 / 11 / 2017
STOOGES / BARNY & THE RHYTHM ALL STARS ROCKABILLY GENERATION / VINCE TAYLOR FRANCOIS REICHENBACH / JOHNNY HALLYDAY MOUSTIQUE |
TEXTE + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Stoog by me - Part Two
Allons bon, encore un livre sur les Stooges ! On le sort de l’étagère. Il pèse une tonne, avec de la bonne vieille stoogerie à toutes les pages. On le feuillette et on le repose. On ne regarde même pas le prix. Vu le look du book, il coûte forcément une fortune. C’est vrai, Memphis Soul coûtait aussi une petite fortune, et on ne l’avait pas regretté. Oh et puis fuck it ! Allons fouiner ailleurs. Tiens, par exemple au rayon presse. Ah tous ces magazines de rock qui te tendent les bras en criant : «Prends-moi ! Prends-moi !». Quelle débauche d’images ! On se croirait devant les vitrines du quartier chaud à Amsterdam. On prend vite le large et comme le destin fait bien son boulot, on repasse devant la fameuse étagère, et hop, on met machinalement le grappin sur le book des Stooges, histoire de lester la cale du brigantin.
Le book s’appelle Total Chaos. Joli titre. Couverture parfaite. Quand on l’examine, deux choses frappent immédiatement. Un, la photo d’Iggy est à l’envers, le voilà accroché au plafond comme une chauve-souris. Deux, il dégage quelque chose d’à la fois cadavérique et christique. La peau sur les os, la bouche ouverte, un torse qui sort de l’ombre comme s’il ressortait vivant d’une tombe, un collier de chien remplace la couronne d’épines, ceci est mon sang, kiss my blood, par le sacrifice de mon corps, je rachète cash tous vos péchés, ceci est ma dope, I’ve been dirt, mais comme on est à Detroit et non en Palestine, Iggy s’empresse d’ajouter I don’t care, c’est-à-dire qu’il s’accorde un passe-droit, l’accès direct à l’amoralité, l’état de l’homme sans qualité, bien avant Robert Musil et tout le bordel des religions, bien avant que ne plane sur les cervelles en surchauffe l’ombre de Mircea Eliade, et on se prend à rêver d’une église moderne, avec ce livre posé debout sur l’autel et l’immense foule du dimanche matin qui psalmodierait «No fun, my babe no fun», à la suite de quoi le prêtre lancerait d’une voix forte et douce : «No fun to be alone», alors la foule répondrait «Walking all by myself», et le prêtre lèverait les bras au ciel puis il relancerait la ferveur des fidèles en clamant une nouvelle fois «No fun to be alone», et bien sûr, la foule ferait trembler les colonnes de la nef en tonnant «In love with nobody else !».
Dans sa préface, Jeff Gold nous explique qu’il a rassemblé 100 docs des Stooges et qu’il est allé voir Iggy chez lui à Miami. Car à la différence des autres livres consacrés aux Stooges, c’est Iggy qui mène le bal de celui-ci, et comme il fait partie des hommes les plus intelligents de cette terre, on entre un peu dans ce livre comme Fernandel dans la Caverne d’Ali-Baba. C’est bardé de citations de choc. Iggy s’exprime comme un messie : «Je ne voulais pas faire un break total avec la musique d’alors, je ne voulais pas me faire passer pour un musicien, je voulais seulement faire quelque chose de complètement nouveau. Comment ? The answer is it was done with drugs, attitude, youth, and a record collection.» On a là une définition parfaite du rock qu’on aime bien.
On passe les épisodes Iguanas et Prime Movers qu’Iggy drum drum boy commente dans le détail - il se montre effarant de précision - et on finit par tomber sur la genèse des Stooges. Iggy raconte que Scott Asheton le harcelait pour qu’il lui apprenne à jouer de la batterie - He was just a beautiful kid who looked athletic and would stare at me and say ‘Would you teach me to play some drums ?’ - Iggy va répéter chez les frères Asheton. Il doit commencer par les réveiller, car ils ne se lèvent pas de bonne heure, puis il leur fait fumer un joint, car les frères Asheton ne répètent pas s’ils ne sont pas stoned. Alors voilà les early Stooges : Ron (bass), Scott (drums) et Iggy (keyboard). Ça donne Iggy + Ron the weird guy + Scott de stoned punk - That’s very accurate - Et puis Iggy comprend que Ron doit jouer de la guitare, et non de la basse. Et tout part de là, pendant une répète informelle - Ron jouait un riff hendrixien, bam bam, baa, de, doot-doot, daa, de, doot-doot, doo, exactly how it went - et Iggy se met à danser comme un Chiricahua, à faire le con. Le plus tordant de cette histoire, c’est la remarque de John Cale qui produit leur premier album. Il lance à Iggy : «They don’t play good unless you jump around», alors Iggy saute partout dans le studio pendant que les trois autres Stooges enregistrent les cuts de leur premier album. Iggy fait les voix dans un deuxième temps. Ça s’appelle la naissance d’un mythe. Dans une histoire comme celle des Stooges, le moindre détail revêt une importance considérable.
Les Stooges ? Au tout début, Ron n’y croit pas trop. Quant à Scott, il ne dit rien. Ni oui, ni non - He was always ready to drum if you could get him out of bed - Par contre, Iggy n’en finit plus d’y croire - We can do this ! - Il devient la loco des Stooges. Et paf ça part ! On tombe soudain sur une photo des Stooges dressés dans un champ de maïs. Double page. Direct en pleine poire. Iggy commente l’image en disant que les Stooges ressemblent à Nirvana, sauf que c’est en 1968, it’s the whole ethic, and not just the clothes but the whole attitude you know ? And the music - the music, the Asheton brothers - those two wonderful people lived their whole lives in a trance - Iggy fait l’apologie de la transe, bande-son de l’amoralité.
Il brosse un stupéfiant portrait de Dave Alexander, ce petit mec qui souffre de problèmes de peau, qui boit parce qu’il n’arrive pas à baiser une seule gonzesse à cause de sa mauvaise peau, un petit mec qui adore Love, alors que Ron ne jure que par Jimi Hendrix et les Pretty Things - You could really hear that in the bass playing on Raw Power - Iggy ajoute que John Stax did wonderful walking bass lines. Iggy leur fait aussi écouter le Velvet, évidemment. Ils adorent aussi Stones, bien sûr. Plus tard, Scott ira plus sur Funkadelic, des blacks qui sont aussi à Detroit, ils les connaissent bien. De son côté, Iggy raffole de Jim Morrison et des Doors, et du MC5. Mais surtout de James Brown : il entend un jour «Papa’s Got A Brand New Bag» à la radio - Holy shit what the fuck is this ? - c’est ce qu’il veut faire dans Fun House - A little bit urban blues but a lot of James Brown in there - Et quand Iggy voit Jim Morrison faire n’importe quoi sur scène and still look great doing it, il comprend que ce type de bordel est à sa portée.
Toutes les légendes se construisent à partir de menues broutilles, que ce soit en Palestine ou a Detroit, et les concours de circonstances historico-sociologiques font le reste du boulot. Tu marches dans le désert et tu wanna be your dog, tu marches sur l’eau et tu call mom on the telephone, tu reviens d’entre les morts et tu don’t care, tu portes le poids du monde et tu gonna have a real cool time, tout est dans tout, rien n’est dans rien, ainsi va cette vie dont nous ne savons finalement pas grand chose et qui va s’achever avant même que nous ayons compris quoi que ce soit. À peine le temps de danser le jerk des Stooges, et on replonge dans le néant dont on vient.
Pourvu qu’on ait le temps de finir la lecture de ce livre palpitant ! On a beau connaître l’histoire par cœur, on s’y replonge, car Iggy parle et son timbre résonne. On l’a souvent dit ici et là, c’est le meilleur pote qu’on ait jamais eu, le seul en qui on peut avoir une totale confiance. Pas besoin de l’avoir rencontré. Sa seule présence suffit. Pourvu qu’il tienne encore un peu. On se souvient du départ de Gainsbarre. Celui d’Iggy serait encore plus douloureux.
Voilà que les Stooges entrent dans le godlike corporate world du show-business : Danny Fields les repère et les recommande à Jac Holzman d’Elektra qui se déplace en personne pour venir écouter trois chansons. Tope-là ! Il signe le groupe pour 5.000 $, et profite de son séjour à Detroit pour signer en plus le MC5 (15.000 $). Fabuleuse anecdote d’achats en gros. Sacré Jac, il fait une bonne affaire, à ce prix-là. Iggy trouve Jac intelligent, alors ça se passe bien. Les Stooges ont du blé, ils trouvent une bicoque sur Packard Road et la baptisent The Stooges Manor, ou Fun House, c’est comme on veut. Et paf, Ron comes up with two riffs that you could start staking a career on. I knew that at the time when I heard «Dog» and «Fun» - Oui, c’est Ron qui s’y colle, car Iggy est trop camé. Ron sort les deux riffs clés des Stooges, ceux de Wanna Be Your Dog et No Fun. Tout va ensuite très vite. Les voilà à New York en studio pour enregistrer leur premier album. Iggy profite de l’occasion pour rappeler qu’il règne une ambiance stoogy dans le studio : John Cale porte une cape de Dracula et Nico tricote - And the two of them it was really like the Munsters - Ça ne te rappelle rien ? Oui, c’est la même histoire que celle de l’enregistrement du premier album des Cramps à Memphis, dont se souvient Tav Falco - The Cramps approached studio recording as if it were a wild live show. Their antics in the studio were astonishing (Les Cramps jouaient en studio comme ils jouaient sur scène, avec la même sauvagerie. Les séances d’enregistrement furent spectaculaires) - Iggy précise un point fondamental : on fait un meilleur album avec un producteur qui est une personnalité plutôt qu’avec un technicien. Parmi les applications de ce théorème, on trouve Andy Warhol (Velvet), Nick Lowe (Damned), David Bowie (Lust For Life et The Idiot) et bien sûr Jim Dickinson.
Alors forcément, quand on traîne du côté de la Palestine, on finit par tomber sur les pharaons. Quand il ne répète pas, Iggy va fouiner dans les livres d’art de la bibliothèque du coin. Le look des pharaons le fascine - The paraohs with no shirts and I thought ‘It just looks so classic !’ - Et pouf, le voilà torse nu sur scène. Il faut savoir se donner les moyens de sa stoogerie. Mais Iggy connaît aussi le Living Theatre, Nam June Park et John Cage, il est loin d’être l’abruti que l’on croit. Il sent germer les idées en lui, il sait qu’il va bientôt marcher sur les mains des fidèles. Ses apôtres Saint-Ron, Saint-Dave et Saint-Scott se gavent de came. Les Stooges écument les États-Unis d’Amérique et dix ans après Elvis, ils rallument tous les brasiers et réinventent le rock.
L’histoire s’emballe. Ils enregistrent Fun House à Los Angeles avec Don Galucci, et donc ils tournent, tournent, tournent, ils deviennent énormes - We were shit hot - Iggy prend de tout, coke, speed, LSD, héro - I would use that heroin to calm me down - et il devient accro - I became a complete drug maniac on and off from late 1970 through the end of ‘74 - et quand Saint-Dave commence à merdouiller sur scène, Iggy le vire comme un malpropre. C’est là que l’alchimie des Stooges se casse la gueule dans les escaliers - When you change a thing in a group like that, it destabilizes everything - Joe Strummer disait exactement la même chose après avoir viré Topper Headon. Les Stooges entament leur déclin, alors qu’ils sont partout dans la presse. Iggy tente de colmater les fuites dans la cale, il engage le dark Williamson, ce sale mec qu’on voit dans une spectaculaire photo des Stooges, assis par terre en slibard noir et en bottes. Il est encore plus stoogy qu’Iggy. Il a même une hépatite A - I’m sick man, don’t bother me - Iggy ne l’aime pas, mais Williamson lui montre des riffs, comme celui de «Penetration» - It had this moody violent vibe - Qu’en pense Iggy ? Ça lui va - We have syncopation a la Fun House, but more sophisticated - Iggy tente de sauver les Stooges car il sait qu’il a le meilleur groupe de rock d’Amérique. Alors direction l’Angleterre. Iggy et ce Williamson, un vautour qui déteste tout et tout le monde, Bowie, les Anglais, tout - Is James malovelent ? I think so - Iggy le sait malveillant. Pas d’auditions à Londres comme on l’a raconté partout, à l’époque, Williamson propose d’appeler Saint-Scott. Iggy rétorque : Saint-Scott ne vient pas sans Saint-Ron. Bon alors okay. Oh la belle ambiance ! - Ron hated me and hated James, but not openly. Scott hated James and hated Ron sometimes in like a brotherly way - Et voilà que le street walking cheetah with a heart full of napalm écume Hyde Park, Iggy porte ces silver-leather pants et ce blouson Cheetah acheté au Kensington Market et il marche, marche, marche pour travailler ses idées - So that was the idea and the I’d always liked the song ‘Heart Full Of Soul’ by the Yardbirds - Et il n’en finit plus d’aimer la vie, le lust de la vie - I actually enjoy food, sex, intoxication, travel and freedom - Et tous ses ennuis, ajoute-t-il, viennent justement de ce mighty lust for life - Which is what I sing about - Il fait de cette fantastique amoralité un fonds de commerce, mais attention, c’est un fonds de commerce stoogien, unique au monde. La cohérence de son goût pour l’amoralité peut faire peur, mais il finit par l’imposer, aussi vrai que le diable règne sur cette terre et que les Stooges sonnent comme la plus grande preuve de l’existence d’un dieu des drogues, on appelle ça le Raw Power, et la presse saute dans le train en marche et s’empresse de titrer «Punk messiah of the teenage wasteland», pas mal, n’est-ce pas ? Mais les Stooges vont mourir - too much drugs, the end of it all - avant de renaître glorieusement. Alors, partout dans le monde, les foules vont aller se prosterner aux pieds des Stooges revenus d’entre les morts.
Signé : Cazengler, Stoobidoo bidoo bidoo ahh
Jeff Gold. Total Chaos. The Story Of The Stooges/As Told By Iggy Pop. Third Man Books 2016
Encore une chose : quand on pose la question à Iggy : «Que doit-on retenir de l’histoire des Stooges ?», il répond ceci qui est le mot de la fin : «Well, I think it’s the eyes of a kid looking at the world» (C’est le regard d’un gamin sur le monde). «That’s what I would say. The feel of the group emanates from looking at everything from a childish perspective» (L’essence du groupe émane d’une vision enfantine du monde). «That’s what I would say. There are good things and bad things to come from that.»
11 / 11 / 2017 – TROYES
LE 3 B
BARNY & THE RHYTHM ALL STARS
Paris-Troyes d'une seule traite. J'arrive juste à temps pour la balance de Barny & The Rhythm All Stars. Sont tatillons les gars, ne laissent rien au hasard. Démarrent au quart de tour, splendide sans se forcer, mais chinoisent, coupent les pousses de bambou en quatre comme Lao-Tseu sur le sentier infinitésimal du Tao, apparemment une mesure en rupture de ban dont l'absence ne se profile guère dans mon oreille. Ce qui est marrant c'est qu'ils semblent y prendre un plaisir fou. Ce qui est précis est précieux affirmait Paul Valéry, certes mais pour les rockers c'est encore mieux quand s'y mêle une pointe de sauvagerie... En tout cas, un excellent hors d'œuvre avant le concert, eux ils auront en prime la raclette que dame Béatrice leur a mitonnée...
CONCERT
Pour des sauvages, commencent doucement, Barny collé au fond devant le rideau noir – une nouveauté – immobile, et le band qui entre sans se presser dans le riff de Claude Placet, monte systématiquement d'un demi-cran toutes les cinq secondes, avec cette régularité inquiétante de l'océan imperturbable qui grignote peu à peu les îlots sableux du Pacifique, mais eux ils vont plus vite, sont patients mais point trop, et dès avant la submersion finale, Barny surgit devant le micro, jeune et sauvage. L'est beau Barny, avec ses yeux noirs pleins de fougue et de gravité, la bandoulière de sa guitare à son nom incrusté de perles, et sa voix de foudre qui se pose en gerbe de feu tel l'alcyon sur les eaux tempétueuses. N'a pas fini son deuxième morceau que déjà une corde désemparée vole au vent. Rien de grave. N'en continue pas moins de frapper son instrument avec cette hargne méthodique et enivrante des outlaws qui mettent le feu à la prairie juste pour précipiter les cavalcades des tribus indiennes. Nous refera le même coup au troisième set, mais ne prendra même pas la peine de changer d'instrument, pas de souci à se faire avec les trois autres pistoleros à ses côtés.
Fred est à la contrebasse. Tout contre. L'est droit comme un I, cheveux peignés en arrière, l'a le look de ces serveurs de casino stylés dans les films d'espionnages, de ceux qui vous ramassent sur les tapis verts d'un coup élégant de raclette des milliers de dollars avec cette indifférence dégoûtée des philosophes revenus de toutes les turpitudes humaines, et qui se révèlent dès la première scène d'action la plus fine gâchette de la pellicule. Le croupier est amateur de belle croupe. Connaît la valeur des jetons ronds et des féminines rondeurs. Tient sa big mama fermement, dans sa jupe de bois cirée comme un cercueil, debout, plantée comme un arbre raide comme la justice, balancier immobile, axis mundi de la régularité temporelle. Visage imperturbable et main infiniment baladeuse sur le corsage du cordage. A peine la penche-t-il légèrement que sa volute vous surplombe comme tête menaçante de drakkar effilé qui remonte les fleuves à la recherche d'un village à piller et à incendier. Le rockab est une musique de prédateurs. La contrebasse est tour à tour moutonnement régulier des vagues, ou mouette rieuse qui rase les flots déchainées ivre de vent et de tempêté, la blanche Leucothéa qui s'en vient porter secours à Ulysse sur son radeau disloqué par les coups de boutoirs des lames neptuniennes. Ingratitude humaine, le contrebassiste semble suivre le mouvement, rameur obstiné rivé à son banc de nage, mais lorsque le guépard rockabillien se met en chasse, faut un doigté clitoridien pour épouser les félinités des successives cambrures de son échine, frôlements de velours quasi inaudibles dans les moments d'approches, lentes traînées insidieuses pour les reptations nécessaires aux positions d'affûts, staccati démultipliés pour les fulgurances de l'assaut ; slaps brutaux pour les morsures sanglantes des résolutions finales. Fred, l'impeccable imperturbable, suscite traduit et dessine de ses doigts agiles les scènes technicoloresques de nos imaginations les plus vives. Souligne les contours et avive la couleur amarante des flammes du rockab.
Stephane est à la batterie. J'avoue avoir été distrait lorsque Barny nous l'a présenté pour expliquer sa présence – une ravissante bout de chou de trois ans s'étant glissée tout devant la scène à mes mes côtés, Barny s'est d'ailleurs précipité, tombé à genoux pour lui permettre de gratouiller sa guitare – tranquille, pas inquiet, prend soin de vérifier sur sa set-list le prochain titre que Claude ou Barny lui annoncent, et il démarre aussitôt comme s'il accomplissait une formalité. C'est qu'avec les numéros de haute-voltige effectués par les deux trapézistes l'a intérêt à renvoyer le trapèze au dixième de seconde prêt. N'a pas droit à l'erreur. Alors il n'en fait pas. L'a une technique que je qualifierai de couvre-feu, s'agit de modérer brutalement les envolées à coups de cymbales comme si vous tentiez de regrouper les braises éparpillées dans la cheminée à mains nues. Pour mieux laisser s'échapper les flammes, plus hautes, plus vives, plus brûlantes, dès que le morceau en cours nécessite une de ces soudaines bouffées d'énergie dont en les violentes survenues réside l'essence du rockab. D'autant plus remarquable que parfois il improvise, résout les problèmes à la vitesse des ordinateurs qui vous posent les satellites en orbite avec cette tranquille assurance avec laquelle vous remplissez votre verre de liqueur ambrée.
Claude est à la lead. Ou plutôt la lead est enchaînée à Claude comme l'esclave soumise à son maître. L'en fait ce qu'il en veut. Une facilité déconcertante. Ne le citez pas en exemple à un guitariste débutant. L'aurait l'impression qu'en un peu moins de trois heures il maîtrisera facilement cet instrument rudimentaire. Vous passe les riffs les plus sauvages avec le tour de main inimitable de Tante Agathe qui repasse votre chemise. Sourire débonnaire et doigts incendiaires. L'air innocent du promeneur distrait qui sort de la pinède en flammes tout étonné des trois cents pompiers appelés en renfort pour éteindre l'incendie qu'il s'est fait un plaisir d'allumer, just for fun. Vous déclenche une catastrophe sonore chaque fois qu'il touche de son onglet une corde. Une espèce de tumulte sonique qui vous emporte au septième ciel, z'avez l'impression de voir Dieu en personne et des anges qui caressent le luth de sainte-Cécile pour en extraire des riffs de fou, mais non, ce n'est que Claude qui médite sereinement l'endroit exactement adéquat où il faut frapper la corde pour qu'elle se détende et libère une note dont l'intensité égalera la morsure du mamba noir ulcéré d'avoir été dérangé dans sa sieste.
On a passé l'équipage en revue. Reste le capitaine. Le plus jeune, le plus audacieux. D'abord la voix. Ou plutôt l'art de la poser. Où il faut. Quand il faut. Comme il faut. Avec en plus cette impression de n'agir que dans l'urgence, de s'en débarrasser à toute vitesse, d'avoir commencé trop tard et fini trop tôt, ou de la jeter avec cette désinvolture de grand seigneur comme des pièces de monnaie pour que le personnel s'amuse, du grand art, quoiqu'il fasse la constatation s'impose, c'était là et ainsi qu'il fallait faire. Barny a l'instinct du rockab, l'est habité par, possédé, l'est des moments où il ne s' appartient plus, des montées foudroyantes de speed-stress, n'est plus lui-même mais n'est pas un autre non plus, l'est simplement la musique qu'il est en train d'exsuder de son corps comme de son intimité la plus profonde, n'en voulons pour preuve que cette interprétation démentielle de Run Away dédié à son père Carl, faut dire que derrière les matelots ont hissé la voilure et que le combo file comme l'ouragan, surtout Stéphane avec ses reprises de batteries, ses trois coups de feu qui relancent la bordée de mitraille, un long morceau qui vous conte la libération de l'esprit qui s'envole à la rencontre de l'âme du monde, le cheval noir de l'attelage platonicien a pris le contrôle sur le blanc et vous conduit en une course folle dans l'excessivité exaltante du soleil, un des plus beaux moments que j'ai vécus, un instant d'infinitude folle, une intensité de toute beauté, jamais égalée, l'on ne sort pas indemne d'une telle interprétation, Barny se retire derrière le rideau noir, tel le roi lézard de Jim Morrison dans sa tente à la fin de la cérémonie, laissant l'orchestre improviser un instrumental.
Revient pour le troisième set. Comme si de rien n'était. Et l'on peut admirer sa prestance. Certes l'espace du 3 B ne permet pas de grands mouvements mais il nous régalera de ces poses stupéfiantes, instantanés de guitare bloquée en des immobilités hiératiques, morceaux à l'arrache et à l'emporte pièce qui vous dégoupillent la grenade du cerveau. Il se fait tard, la soirée se termine sur deux morceaux époustouflants de hargne rockab.
Un des plus beaux concerts du 3 B ( et d'ailleurs) chargé d'une émotion à couper au cran d'arrêt.
Merci à Barny, au Rhythm All Stars, et à dame Béatrice.
Damie Chad.
YOUNG ' N' WILD
Wild Records ( USA ) / 2016
Barny Rodrigues Da Silva :vocals, acoustic guitar, / Claude Placet : electric guitar / Fred Bonifacio : upright bass / Pedro Pena : drums.
Belle pochette cartonnée avec à l'intérieur des mots simples et percutants qui marquent le passage de témoin de Carl à Barny, du père au fils, l'héritage pleinement relevé et assumé, car le wild rockabilly ne saurait mourir. Tant qu'il subsistera des amateurs pour perpétuer la légende et entretenir la flamme dévorante. Jusqu'à ce qu'elle nous ait tous consummés et qu'il ne reste personne pour s'intéresser à ces cendres froides d'un monde évanoui. Qui fut et qui aura été nôtre.
Run away : l'adieu et l'hommage à Carl, parti trop tôt selon nous, mais selon la destinée qu'il s'est choisie en homme libre. Cordes acoustiques et la voix qui monte et s'interroge, l'élan d'une flamme que le vent couche mais n'éteint pas, se redresse et reprend de plus belle sur cette brève charge de tambour ulcérée, montagnes russes de la douleur et de l'acceptation, les chevaux les plus libres et les plus fous courent d'infinis galops dans les pâturages hauturiers. Magnifique. Une Partenza digne de Viélé-Griffin. Not ready : une deuxième composition de Barny, tous les ingrédients du rockab réunis et réussis, une guitare insistante, une basse grondante et une batterie impitoyable, une voix qui s'impose d'office, naturellement. Bluffant, déconcertant de facilité. I got the bull by the horns : faut toujours chercher la cocarde d'honneur entre les cornes du taureau. Si possible, un vieux vicieux qui a fait ses preuves, c'est ainsi que la jeunesse n'attend pas le nombre des années, Barny et ses stars vous massacrent ce redoutable bison de Johnny Horton de fort belle manière, une danse de scalp indienne comme l'on n'en fait que trop rarement dans nos contrées. I got the river : remettent tout de suite le couvert, un peu plus fort, un peu plus sauvage, la guitare de Claude s'électrifie comme une ligne à haute tension. Barny tient ferme sur la vache folle du rodéo et son vocal qui vous arrache des touffes d'herbes aussi grosses que des balles de foins. Help me to find out : ne s'agit pas de foncer comme une brute, faut encore oser au coeur des tempêtes le détachement moqueur et la voix qui s'amuse, sans oublier que derrière les intruments sont comme le lait sur le feu qui n'attendent qu'un moment d'inattention pour déborder et envahir le monde. Crazy beat : des partisans de la montée continue, vous voulez du sauvage, en voici, en voilà, à profusion, c'est à qui ira le plus vite, la voix ou la musique, passent la ligne d'arrivée à fond en oubliant de s'arrêter. Vous renversent la tribune d'honneur et s'adjugent la coupe d'or promise par les Dieux. Mary Sue : Vous croyiez avoir touché le paroxysme, eh ben non, vous font valser le jupon de la petite Mary par dessus les moulins de Don Quichotte. Vous lui essorent le sexe d'une bien belle manière. Je n'en dirai pas plus mais n'en pense pas moins. Vu les cris, ce doit être particulièrement voluptueux. I don't want to be like you : la voix traîne un peu sur la rythmique endiablée, la guitare en profite pour vous passer un riff dans les replis accordéonesques d'un reptile qui étire ses méandres venimeux. Au point où vous en êtes un peu plus de folie ne peut que vous rendre plus sage. Il faut soigner le mal par le mal. Brutale thérapie. Mais vous file la forme. Mad man : la deuxième et dernière reprise du disque, de Jimmy Wages, le pionnier improbable, l'a connu Elvis à Tupelo, l'a enregistré chez Sun avec Jerry Lee au clavier et Charlie Rich à la guitare. N'a rien vu sortir. Un peu trop sauvage, un peu en dehors des canons – lui qui pourtant tirait à boulets rouges. Plus qu'un symbole, un parti pris. L'enregistrent avec la folie nécessaire. Commencent comme en sourdine et finissent collés au plafond. Crazy about you : tant qu'à être fous, soyons-le jusqu'au bout. Barny traîne exprès sur les syllabes, broute à Charlie Feathers, la vie et l'amour ne sont qu'un jeu de jupe et de dupe. Ce n'est pas pour cela que l'on ne va plus s'amuser. Oh mama : du riff et de la voix. Pas besoin d'ajouter de la persillade sur la lave du volcan qui brûle votre maison. La basse de Fred halète comme un chien qui a couru après tous les chats du quartier, et la batterie de Pedro vous hache le filet de boeuf en purée mousseline. Young and wild : une promesse, un engagement. Tous les deux tenus. Démarrage tout en douceur, mais très vite Barny allume l'incendie, ce sont toujours les pyromanes qui s'égosillent le mieux pour appeler les pompiers. Le plaisir du vice. D'être jeune et sauvage. Dans sa tête. C'est là l'essentiel.
Je me répète : un disque essentiel.
I GOT THE RIVER / OH MAMMA
( RIP CARL )
Je le cite pour mémoire. Les deux morceaux sont sur le CD. Ce quarante cinq tours sorti quelques mois après la disparition de Carl avait fait le buzz dans le milieu rockab. C'était trop beau, trop inespéré pour être vrai.
Damie Chad.
ROCKABILLY GENERATION N°3
Novembre – Décembre 2017
L'art de la revue est difficile et de longue haleine, tient en même temps du marathon et du cent mètres haies. Faut tenir la distance et paraître à allure métronomique. Sergio Kazh et son équipe ont décidément adopté le bon tempo, celui de la parution régulière et de l'intérêt accru à chaque numéro. Avant d'être une mine d'informations Rockabilly Generation est un bel objet, se feuillette par plaisir, typographie aérée, superbes photos, papier glacé. Plaisir de voir, désir de toucher sont au fondement de l'esthétique et de l'érotique de l'art de la revue. Pin up rockabilly !
Ce numéro trois nous permet de voyager en Europe, compte-rendu du festival Get Rhythm Go Wild d'Ebelsbach en Allemagne et visite chez Rick & Ruby de The Tinstars, en Hollande. Toute la différence entre un reportage et l'accueil chaleureux dans une maison d'amis. L'on se sent bien, comme chez soi, dans ces pages, une conversation à bâtons rompus mais menée fort intelligemment qui se révèle pleine d'enseignements, Rick donne l'impression d'un guerrier rockabilly qui a atteint la maîtrise absolue de la zénitude. Grand article sur Hot Slap de Rouen qui retrace son histoire, quelques propos alléchants des Memphis Flyers, une rapide évocation d'Israël Proulx originaire du Canada, et une interview des Noisy Boys réalisée quelques minutes avant leur dernier concert... Rubriques habituelles, disques Be Bop Creek à l'honneur, concerts, courriers des lecteurs...
Nous avons gardé pour la fin, l'hommage à Sonny Burgess placé en tête du fascicule. Honneur aux pionniers – la forêt d'arbres cannibales qui se cachent derrière le séquoia majestueux d'Elvis - sans qui rien ne serait arrivé mais dont l'histoire épouse les contours d'une génération sacrifiée...
Attention, lecteurs faites vite, les numéros 1 et 2, sont épuisés et vu la qualité et la densité de ce 3, il risque de disparaître rapidement.
Damie Chad.
Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 36 pages, 3, 50 Euros + 3, 40 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, abonnement 4 numéros : 25 Euros, chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro.
VINCE TAYLOR
SONORAMA N° 37 / FEVRIER 1962
Moins connu que le scopitone, la revue Sonorama. Revue papier et sonore. Chaque article s'étalait sur deux pages, mais la merveille résidait entre, le disque souple glissé entre les deux. Suffisait de poser la revue sur le tourne-disque pour écouter. Sonorama proposait plusieurs sujets d'actualité, mais quand on regarde les sommaires il est facile de se rendre compte que les chanteurs et dans une moindre mesure les artistes de cinéma étaient privilégiés. Entre octobre 1958 et juillet 1962, parurent 42 numéros. Les documents consacrés à Johnny Hallyday ont été réédités par Jukebox Magazine. Pour les curieux, les numéros se trouvent facilement sur les sites à des prix tournant entre 4 et 20 euros... A l'époque la revue était relativement chère ce qui explique son interruption. Le promoteur en était Louis Merlin fondateur d'Europe 1. L'est sûr que le succès de Salut Les Copains ( numéro 1 en juillet 1962 ) a dû lui couper le sifflet. Sonorama a toutefois bénéficié de signatures célèbres comme Jean Cocteau, Pierre Mac Orlan, Louise de Vilmorin...
Et de Vince Taylor, ce qui est nettement plus classe. Twenty Fligth Rock d'entrée, rien de tel pour vous mettre de bonne humeur, mais voici qu'une voix féminine se livre à une analyse psychologique de notre rocker (quasi)national N° 1. L'est comparé à Doctor Jekyll et Mister Hyde, à en croire notre demoiselle ( Jacqueline Joubert ) Vince le jour serait un garçon timide et bien élevé, mais hélas quand survient la nuit et qu'il est assailli par les démons du rock... l'ange de la destruction en personne, et hop on lui donne la parole avec surtout cette bonne idée de faire la traduction une fois qu'il a fini de parler et non pendant. Un peu gêné le Vince, tente de raccommoder la vaisselle brisée – c'est trop tard, l'on n'a pas le texte des deux pages de présentation mais l'on subodore que c'est juste après la mise à sac du Palais des Sports du 18 novembre 1961 – rejette la faute sur la centaine de voyous qu'il ne faut pas confondre avec l'ensemble des cinq mille participants, même si le rock comporte un arrière-fond de violence... passons... la speakerine laisse Bobby Clarke dérouler son solo, les guitares s'en donner à coeur joie et Vince déroule en intégralité un très bon Sweet Little Sixteen.
Tout amateur de Vince écoutera avec plaisir. N'en sort point trop étrillé le Vince, maintenant je ne sais pas comment la majorité des lecteurs de Sonorama devaient recevoir le paquet cadeau quand on pense que le N° 1 proposait Le Soulier de Satin de Paul Claudel... Une étude statistico-sociologique s'impose !
Damie Chad.
A LA MEMOIRE DU ROCK
( V. Taylor, J. Hallyday, E. Mitchell )
FRANCOIS REICHENBACH
1962
Cinéaste, François Reichenbach est un témoin important de la naissance du rock en France. L'a beaucoup filmé et archivé ( voir KR'TNT ! 312 du 19 / 01 / 2017 ) mais à part le long métrage sur Johnny Hallyday et ce court documentaire qui ne dépasse pas la douzaine de minutes peu d'images ont été montrées au public.
Réalisé en 1962 ce film mélange entre autres des rushes du premier ( 24 février 1961 ), du deuxième ( 18 juin 1961 ) festival international de rock'n'roll au Palais des Sports de Paris. Notons que Vince Taylor était la tête d'affiche du troisième festival du 18 novembre 1961. La salle chavire avant qu'il ait pu rentrer en scène... La carrière de Vince ne s'en relèvera pas...
Fallait du courage pour oser montrer d'un oeil sympathique la furia rock'n'roll en pleine action, François Reichenbach ne se démonte pas et use de subterfuges socio-culturels qui le rangent parmi les manipulateurs d'opinion les plus remarquables. Réalise un agressif et insidieux mélange cinématographique : complaisance d'images-choc enveloppées dans une bande-son des plus séductrices.
Bruit de foule déchaînée et lecture en lettres blanches sur fond noir d'un extrait d'un article du 21 novembre 1961 de France-Soir. Assez prémonitoire quand on pense au joli mois de mai 1968, les échauffourées du 18 novembre 1961 ne sont que signes avant-coureurs d'une tempête plus dangereuse qui se profile à l'horizon. Brutal changement d'ambiance, une de magazine offrant un beau portrait de Johnny Hallyday alors que s'égrènent les premières notes du Quintette N° 1 de Luigi Boccherini. Le genre de musique que l'on retrouverait facilement en fond de lecture de La Chartreuse de Parme de Stendhal. Vous allez vous en fader encore quelques instants de ce satané Luigi durant les gros plans sur les visages d'une jeunesse qui se dirige vers les entrées du Palais des Sports. Sont beaux, sont jeunes, nos Rastignac du Rock, n'empêche qu'aujourd'hui ils dépassent les soixante-dix balais et que la réalité a dû raboter sérieusement ce désir de vivre qui les habitait... Du bruit et du noir. Des cris infinis dans lesquels surnage la musique des Chaussettes Noires. Vous ne les entreverrez qu'à peine, la caméra préfère ne pas quitter de son œil de verre ces jeunes fous qui dansent, remuent, crient, exultent... une vague de folie communicante, les Chaussettes têtes coupées pour mieux insister sur la désarticulation des corps et montrer que l'hystérie de la cohue généralisée n'appartient à personne et subitement dans la cohue surgit le visage extatique de Vince Taylor, apparition dionysiaque, félin cerclé de cuir noir, essentiel, absolu, l'essence même du rock, une vision, une interpolation des plus artificielles puisque Vince n'a pas chanté – je dirais des plans de son spectacle à l'Olympia de décembre / Janvier 61 / 62 – puis par la grâce du montage retomber sur Hallyday qui fut la vedette incontestée et incontestable de la soirée du 24 février. Les images s'éclaircissent comme pour filmer un tour de chant des plus classiques, mais non, pour mieux désigner la descente des flics qui provoquent mouvement de reflux et sur la musique de Boccherini se dessine un étrange ballet de pandores qui marque la mesure de leurs matraques qu'ils abattent sur la tête de cette jeunesse en délire. La caméra se braque comme un fusil sur ces jeunes innocents et nous désigne les coupables qui continuent à danser, à tressauter, à s'agiter infiniment, visages épanouis, corps comme libérés de la pesanteur sociétale, comme si leurs soubresauts épousaient le rythme des violoncelles de Boccherini... manière de dire qu'au-delà des siècles musique de chambre ''classique'' et rock'n'roll sauvage ne sont que la même expression de la rage de vivre.
Si je devais donner un titre, ce serait : Tombeau pour Vince Taylor.
Car les images de François Reichenbach ne sont pas loin de la perfection formelle des sonnets mallarméens.
Damie Chad.
Disponible sur Youtube. Tapez les quatre lignes de notre titre. La (re)lecture de Vince Taylor, le perdant magnifique de Thierry Liesenfeld s'avère indispensable pour les esprits curieux et les amoureux du rock.
Ces deux articles ont été suscités par les posts de Vince Rogers sur son FB. Mine de combustible hautement radio-actif à ciel ouvert.
JOHNNY
LA DERNIERE DES LEGENDES
CLAUDE FLEOUTER
( Robert Laffont / Septembre 1992 )
Rien que deux livres parus sur Johnny, ces 26 et 27 octobre dernier... J'ai remonté de mon garage – la pièce la plus rock de tout appartement respectable - celui-ci, sorti en septembre. 1992. Un quart de siècle s'est écoulé depuis sa parution. La dernière des légendes a décidément la vie dure. Aussi dure que du bois dont on fait les cercueils. Claude Fléouter n'est pas né de la dernière pluie non plus. L'a réalisé une trentaine de films et écrit une trentaine de bouquins. L'est aussi le fondateur des Victoires de la Musique et des Victoires de la Musique Classique. Je vous laisse seuls juges, n'ai jamais vu puisque que je ne possède pas chez moi cette boite à esclaves que d'aucuns s'entêtent à appeler télévision. L'on sent l'inconditionnel, qui a connu Johnny dans sa jeunesse. Sait de quoi il parle. L'a cette qualité rare, de ne pas se mettre en avant. Raconte Johnny, pas les aventures de Fléouter avec Johnny. A peine si l'on peut deviner sa silhouette dans les coins.
Pas d'anecdotes graveleuses. Ne se voile pas non plus les yeux devant les seins qui dépassent et les chattes qui miaulent de plaisir. Ne raconte pas. Dresse un portrait. Qui tient aussi bien de La Bruyère pour les scènes de genre, que de Pascal pour la contemplation des gouffres intérieurs. Pas d'effort de style, mais bien écrit. Un Johnny en noir et blanc. Beaucoup de gris, beaucoup de noir. Peu de blanc. Ce n'est pourtant pas la couleur qui manque. La saga hallydéenne en épouse les teintes les plus vives. De quoi faire le bonheur d'un coloriste. Cléouter ne s'en prive pas non plus, mais toute la quincaillerie rutilante il la laisse en arrière-plan. L'on ne compte plus les journalistes en mal de ressentiment qui ne se sont pas privés d'attacher de multicolores casseroles dans le dos de notre rocker national. L'on reconnaît les écrivaillons du ressentiment à leurs stylos qui bavent.
Cléouter décrit le rocker mais s'attache à l'homme. Commence par la douleur. Automne 1966. Johnny ne sera pas sur la scène de la Fête de l'Humanité. L'a craqué, tentative de suicide. Sur la brèche depuis trop de temps. Le succès n'est pas venu trop vite. Il est venu très vite. Bien sûr il y a eu les années de galère, mais cela c'est la ration quotidienne de l'artiste qui s'en vient chambouler le jeu de quille établi. N'ont pas duré trop longtemps et lorsque l'on a seize ans et dix-sept ans cela relève encore du jeu. Idem pour le public qui se colle à lui dès la première émission télé. Et qui ne le lâchera plus. Il est l'allumette qui met le feu à la bonbonne de poudre noire. La jeunesse se découvre en le regardant. Il est n'est pas qu'un simple miroir. Il est un modèle. Il est l'artificier. Tout lui sourit. La gloire, l'argent, les filles et le rock'n'roll. De 1960 à 1965, il est l'idole d'une génération. A peine est-il parti à l'armée, à peine s'est-il marié que tout se désagrège. La vague adolescente qui l'a porté reflue, et la nouvelle guigne déjà ailleurs. Se retrouve seul dans un monde nouveau. Son nom fait encore illusion, il est un symbole, ce n'est pas un hasard si les communistes lui offrent le plus grand podium de France. Mais Johnny n'est pas dupe. L'a vu de près la solitude égotiste de Dylan et celle extasiée d'Hendrix, il le sait, il le comprend, il sera seul jusqu'au bout.
Quand l'aigle est blessé il ne revient pas chez les siens parce qu'il na pas de chez lui. Ou il crève ou il se métamorphose en phénix. Et Johnny revient. L'a retenu la nuit du désespoir dans sa poche avec un mouchoir dessus pour qu'elle ne ressorte comme le mauvais génie de la lampe. Côté soleil Johnny est imbattable. Fatigue tout le monde, inlassable, increvable, se couche pour ne plus se relever et se réveille le lendemain en pleine forme. Toujours des idées nouvelles, des lubies qu'il lui faut réaliser à la minute. Filles, voitures, musique, tout et tout de suite. Le prince flamboyant du rock'n'roll. Côté lunaire, c'est nettement moins drôle, un insomniaque – ce n'est pas qu'il est trop surexcité pour dormir, ce n'est pas qu'il ne peut pas, c'est qu'il ne veut pas se confronter à ces minutes d'abîme qui précèdent le sommeil, peur du rêve qui vire au cauchemar, peur inconsciente de la mort, de ne pas se réveiller, Johnny est un angoissé. Rayonnant dès qu'il met pied à terre. Mais l'angoisse l'habite, l'angoisse le ronge. Ne le quitte pas, même quand il allume le feu. Celui qui brûle la peau et qui consume le désir.
Certains mettront plus de temps que lui à comprendre que le rock est une course avec le devil. Même ceux qui se vantent de sympathiser avec lui. En 69 le concert d'Hyde Park en l'honneur de Brian Jones, si symboliquement pharamineux fût-il, n'était que cinq gars qui essayaient tant bien que mal de recoller les morceaux cassés de leur groupe. En 67, Johnny est au Palais des Sports, ne s'agit pas d'un énième tour de chant dont il sait fort bien s'acquitter, mais d'une mise en scène, d'un spectacle qui en donne plus. Faudra attendre la douche froide d'Altamont pour que les Stones comprennent qu'ils ont mangé le pain bleu du rock'n'roll, que désormais il va falloir voir plus grand, prouver au monde entier que c'est eux qui possèdent le plus gros zizi. Entre temps Johnny est revenu aux racines du rock, l'a son Johnny Circus, une folie entre le barnum originaire du Colonel Parker et la carriole des medecine show, mais revue façon cirque Pinder et Bouglionne. Une catastrophe financière mais il s'en relèvera plus grand, plus fort, le livre s'achève alors que la démesure hallydéenne se met en marche...
Je vous passe la tarte à la crème de l'enfant abandonné, Johnny n'est pas Cosette, l'a su se construire sur une situation de départ qui n'était pas jojo. C'est tout. Claude Fléouter ne cache rien, le bon comme le moins agréable, mais pas besoin de sécher vos larmes aux rideaux de la salle à manger. Nous dessine un Johnny timide, secret et sans doute le maître-mot : pudique. L'auteur a eu le trait sûr et perspicace. Un quart de siècle plus tard, Johnny ressemble à ce portrait initial. En vingt-cinq ans frasques et vicissitudes se sont accumulées. Les temps ont changé. Le monde a périclité. Johnny est toujours égal à lui-même. Nous avons pris un sacré coup d'usure. Ce livre antédiluvien de Claude Fléouter nous permet de vérifier qu'à l'intérieur Johnny n'a pas vieilli.
Essayer de faire pareil. Alors on en reparlera.
Damie Chad.
MICHEL GREGOIRE DIT
MOUSTIQUE
UNE LEGENDE DU ROCK'N'ROLL
( Reportage inédit du 17 novembre 1989 / YouTube )
Ma chronique de l'album de Tony Marlow la semaine dernière m'a donné mauvaise conscience. L'on approche la trois-cent cinquantième livraison et Moustique n'a jamais été nommé qu'incidemment. Reste pourtant un pionnier du rock'n'roll français. On passe un peu vite sur lui, on l'écarte comme un moustique indésirable qui s'en vient butiner dans le pré-carré de votre peau. N'empêche qu'il est monté sur scène avec les plus grands, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent et surtout Little Richard qui l'a revendiqué comme ami. Ce mini-reportage est à voir. Moustique dès le début y revendique fièrement ses origines prolétariennes, un gosse de Paris, fils de la misère, à jamais traumatisé par l'apparition du rock'n'roll à l'orée des années soixante. Son premier 45 tours enregistré chez Barclay, la firme qui avait à son catalogue Les Chaussettes Noires et Vince Taylor lui apporta la gloire, celle qui survit à tout. N'en emprunta pas pour autant la voie royale d'Eddy Mitchell, comme Vince malgré des raisons différentes, il connut les itinéraires de la déglingue, rejeté par la vague yé-yé sur le sable les plages du dédain et de la non-rentabilité économique. Un avenir aussi sombre que le fond noir de sa première pochette. N'était pas le genre de gars que l'on pouvait calibrer, comme l'énonçait son premier hit Je suis comme ça, la reprise de My Way d'Eddie Cochran, quinze ans avant Sid Vicious, l'avait la sale habitude de n'en faire qu'à sa tête. N'a pas fait long feu chez les requins du showbizz. Alors l'a tout fait, la prison, un stand d'objets africains aux Puces, l'a tenu deux restaurants, bref l'a survécu dans les eaux troubles de la vie. Irrémédiablement rocker jusqu'au bout des ongles. L'est toujours présent, personnage doté d'un optimisme inamovible et pathétique, la foi du rock'n'roll chevillée au corps, toujours prêt à monter sur scène pour répandre la mauvaise parole du early rock'n'roll, cette musique qui vous salit les mains dès que vous les trempez dans son moteur et vous brûle l'âme. Irrémédiablement. Dès la première écoute. Moustique est un survivant. Moustique est un rocker.
Damie Chad.