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22/02/2017

KR'TNT ! ¤ 317 : MIKE KELLIE / LIZARD QUEEN / WILD CHILD / GENE VINCENT / DARWIN

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 317

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A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

23 / 02 / 2017

MIKE KELLIE / LIZARD QUEEN / WILD CHILD /

GENE VINCENT / DARWIN

Kelliemandjaro

 

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La scène se déroule dans une bourgade abandonnée de Dieu, en haute Normandie. Nous sommes en l’an de disgrâce 1970. Promu chef à plumes, le patriarche a quitté la basse Normandie pour installer une famille mal recomposée dans un pavillon de fonction assez cossu. La période qui s’annonce ressemble à un cauchemar. Elle pourrait s’intituler Stranded in nowhere land. Un seul rayon de lumière : la visite régulière du seul ami d’enfance resté fidèle après le déracinement.
— Tu restes pour le week-end, Jean-Yves ?
— Oui, mon père repassera me chercher dimanche soir.
— J’ai un truc à te faire écouter. C’est les Spooky Tooth, tu connais ?
— Ahhhh oui ! Les anciens VIP’s ! Découverts par Guy Stevens ! Ces mecs viennent du Nord de l’Angleterre ! C’est la dernière ville anglaise avant l’Écosse ! Carlisle ! Ces mecs-là sont des vrais heavies ! Un peu comme ceux de Birmingham, tu vois, les Move, t’as pas intérêt à leur marcher sur les godassses... Alors c’est quoi, cet album ?
— Le deuxième, Spooky Two. Je l’ai trouvé à Londres, d’occase à Golborne Road. Une livre !
— C’est ton père qui te file les sous pour le voyage ?
— Tu rigoles ou quoi ? Lui, c’est Radin 1er, le roi des mange-ta-yande ! Son salaire a dû doubler ou tripler, mais pas l’argent de poche, putain ! Pour payer le ferry, la bouffe et l’hôtel à Londres, je cueille des rangs de poireaux pendant les vacances scolaires pour une espèce d’enculé de maraîcher qui fait bosser les lycéens et les manouches. Les filles manouches, tu verrais comment qu’elles sont chaudes ! Elles te sucent pour cinq francs ! Le boulot démarre à l’aube et t’arrêtes quand t’es rincé et que t’as le dos en vrac. T’es payé au rang. Regarde, j’ai encore les mains pourries par le gel, mais une semaine de poireaux, ça me paye le voyage, les concerts et les disques. Une nuit ou deux dans un petit hôtel de South Kensington, toujours le même, tenu par des Pakis super gentils. En été, je fais les quarts de nuit dans une boîte pourrie qui fait de la chimie, ça paye beaucoup mieux et je peux rester deux ou trois nuits de plus à Londres.
Jean-Yves examine la pochette de l’album :
— Lui, là devant, c’est Mike Harrison, et lui, là, c’est Luther Grosvenor. Putain la classe qu’ils ont ! Derrière Mike Harrison, c’est Mike Kellie, le batteur. Fantastique batteur ! Tu connais l’album Supernaturel Fairy Tales ?
— Non...
— Oh putain, quand tu retourneras à Londres, cherche-le, putain, cherche-le ! L’album est déééééément ! Le groupe ne s’appelle pas encore Spooky Tooth, il s’appelle Art et c’est Guy Stevens qui les produit. Tu vois une photo de Guy Stevens au dos de la pochette et ces quatre mecs descendus du Nord de l’Angleterre, tu les vois photographiés dans un appartement anglais, dans le même esprit que les belles photos des Small Faces, Mike Harrison est assis dans un fauteuil et les trois autres sont assis sur le parquet, c’est le même genre de parquet que celui de Syd Barrett, tu sais, avec les grosses lattes vernies, et tu verrais leur gueule, ohhhh putain, les coiffures avec des mèches, les foulards noués autour du cou, les chemises bouffantes en tissu imprimé et des blazers en velours peau de pêche, tu as Greg Ridley au premier rang, le regard noyé dans l’ombre, Grosvenor avec un look à la Jeff Beck, mais encore plus psyché, comme si c’était possible, ha ha ha, et t’as Mike Kellie qui ressemble à Bill Wyman, et derrière t’as Guy Stevens un peu transparent, comme un fantôme, c’est un disque hanté, c’est la période juste avant l’arrivée de Gary Wright, qui est américain, mais là avec Supernatural Fairy Tales tu as le son pur de Spooky Tooth, avec des morceaux puissants comme «What’s That Sound», une reprise de «For What It’s Worth» du Buffalo Springfield, tu sais, ça fait dah dah dah/ I think it’s time we stop children/ What’s that sound/ Everybody look what’s going down, fa-bu-leux, c’est du big big big groove américain joliment battu par Mike Kellie et chanté par ce nègre blanc qu’est Mike Harrison. Et tu entends ce mec, là, Luther Grosvenor, il rôde dans les parages en tortillant des grosses notes bien grasses, tout est déjà là, eveybody looks what’s going down, c’est du même niveau que «How Does It Feel To Feel» des Creation, là, t’es au sommet du rock anglais de la fin des sixties. Tu vas avoir les mêmes frissons qu’avec le «19th Nervous Breakdown» des Stones ou encore «Itchyckoo Park», tu vois le genre ? Mais attends j’ai pas fini, sur l’album de Art, t’as un truc encore plus dément ! C’est «African Thing», un fabuleux festival de percussions enregistré autour de Mike Kellie, et tu vas voir, ça sent l’Afrique, la savane, le sang des animaux, la violence des guerres tribales, la grâce des guerriers aux bras chargés de bracelets, la transe hypnotique, tout est là, et ça se passe derrière un bow window de Londres, ces mecs te jouent le jungle beat, ils vont loin, aussi loin que porte le regard, écoute Mike et ses potes, il font le même numéro que Twink et Skip Alan dans «Baron Saturday», mais en mieux, en plus sauvage, en plus démesuré, en plus long, ils poussent des petits cris, des yeah, du fond de la cuisine et tu entendrais le grondement du tom basse derrière ce bordel africain ! Et t’as encore un beau morceau avec «Supernatural Fairy Tale», c’est du rock supersonique, mais dans le fog londonien, t’as une sorte de Silver Machine qui glisse dans la nuit, et le moteur, c’est Mike Kellie, un sacré batteur, il va vite, il sait que son groupe est bon, alors il bat comme un dieu. Oui, oui, c’est un morceau qui sonne comme une course nocturne à travers les quartiers de Londres, et les notes de Grosvenor, tu vas voir, elle frisent sous le vent glacial et tu l’entends revenir par moments avec des sortes de remugles psychédéliques qui vont te décrocher la mâchoire. Ta mâchoire, elle va pendre sur ta poitrine comme une lanterne, ha ha ha ! Ahhh tu vas voir ! Tu ne comprendras pas d’où peut sortir un album aussi bon ! Et t’as encore un hit planétaire avec un morceau qui s’appelle «Love Is Real». Mike Harrison chante comme un dieu, il est aussi brillant que Rod Stewart ou Chris Farlowe, il chante avec une classe démente et tu vas voir, les autres envoient des chœurs de rêve, t’y crois pas quand tu entends ça, c’est une preuve de l’existence d’un dieu du rock anglais. Tu vois, tout le monde connaît «Love Is Real», mais personne ne sait que c’est enregistré par Art. Ils font aussi une belle reprise de «Come On Up» des Young Rascals, bien garage, et plus loin, tu as «Talkin’ To Myself», c’est ce que j’appelle un classique pop, dans la veine des géants de la pop anglaise, tiens, comme Love Affair ou les Amen Corner. Oh j’espère que tu connais le tout premier album des Stooky Tooth...
— Non...
— Oh putain ! Tu les vois sur la pochette, ils se planquent dans les buissons, avec leurs casques de cheveux crêpés et des foulards. Grosvenor et Mike Kellie portent des tuniques rouges, Mike Harrison, une cape noire par dessus une chemise à jabot blanc, ouais, un jabot énorme. Et sur le côté, tu as Gary Wright, lui aussi en jabot blanc, avec les cheveux plus courts. C’est Jimmy Miller qui les produit, donc c’est complètement autre chose. Quand on écoute cet album, on a l’impression que l’arrivée de Gary Wright a calmé l’ardeur des anciens VIP’s. Le groupe devient terriblement ambitieux, mais tu as des morceaux comme «Sunshine Help Me» qui fonctionnent bien, c’est bourré de son et de nappes d’orgue, et tu entends ce diable de Grosvenor rajouter du gras avec sa guitare. Mais le cœur battant de cet album, c’est la reprise de «Tobacco Road», et t’as Grosvenor qui vrille tout le pathos de ce vieux classique avec une rage indescriptible. Ils sont absolument démentiels, là, t’as les rois de Spookish Town ! À cette époque, Grosvenor est avec Jeff Beck le plus grand vrilleur de notes d’Angleterre. Vas-y, fais écouter le nouvel album...
— Mon pauvre Jean-Yves, tu vas tomber de ta chaise...
— Ah ouais, ha ha ha ! C’est pas grave, vas-y !
Le premier cut s’appelle «Waiting For The World», un heavy groove lancé par Mike Kellie. Jean-Yves tend l’oreille...
— Oh putain, quel batteur ! Et quel son ! Tu peux pas mettre plus fort ?
— Non, mon père va encore gueuler.
— Ils chantent à deux ! Le plus aigu, c’est Gary Wright ! Ah quel chanteur !
Ils écoutent les deux morceaux suivants sans commentaires, et soudain arrivent les nappes d’orgue d’«Evil Woman». Jean-Yves se lève comme par réflexe et se met à danser sur place en secouant les cheveux. Mike Kellie martèle le beat, Mike Harrison entre dans la danse et Gary Wright vient percuter le chant d’un violent coup de falsetto. Les deux géants fondent leurs voix dans une hallucinante tourmente de nappes d’orgue, la clameur emplit tout l’espace de la petite cave transformée en chambre. Et puis comme si ça ne suffisait pas, Luther Grosvenor entre dans le lard du cut avec un solo en suspension et l’animal tire-bouchonne indéfiniment, c’est l’une des plus grosses fournaises de l’histoire du rock, et cet échange entre deux screamers - inédit depuis l’âge d’or des Righteous Brothers - crée l’événement. À la fin du morceau, Jean-Yves éclate de rire :
— Tu sais pas, on raconte que Black Sabbath vient d’inventer le heavy rock avec son premier album ! C’est complètement faux ! «Evil Woman» est le premier classique de heavy rock anglais ! Putain, quelle magie !
— Tu vas voir, la face B est intéressante, t’as uniquement des compos de Gary Wright.
Ils écoutent cette face B dans le recueillement. On sent que Gary Wright recherche l’océanique épique hugolien, celui de l’esprit qui défie les éléments déchaînés. Et soudain éclate sous les pare-pains du plafond l’écho divin d’un mid-tempo visité par la grâce : «That Was Only Yesterday» ! Jean-Yves exulte :
— Putain, quel chef-d’œuvre ! Non mais quelle classe ! T’écoutes ça et Mike Harrison, c’est tout simplement Rimbaud et son bouleversement de tous les sens, écoute ! Il chante comme s’il traverse l’Éthiopie sur un chameau, à l’aventure, libre et si mélancolique au fond de lui. Ces mecs, tu vois, ils jouent avec la beauté comme le chat joue avec la souris. Ce qu’ils dégagent, c’est de la joie dionysiaque, rien d’autre ! Putain ! On parlait de nouvelle aristocratie avec les Stones en 1966, eh bien maintenant, la nouvelle aristocratie du rock anglais, c’est les Spooky Tooth !

Un bon petit paquet d’années plus tard, toujours en haute Normandie. La nuit tombe sur la ville alors que je rentre du boulot. Un mec semble attendre sur le parking. Il porte des cheveux blonds et un imper en cuir noir. On dirait Iggy, c’est incroyable ! Ah le voilà dans les phares. Good Lord ! C’est Jean-Yves !
— Qu’est-ce que tu fous là ? Je ne t’avais même pas reconnu !
— Eh eh eh, je suis passé chez un coiffeur pour dames avant de venir. J’avais juste envie de passer quelques jours en haute Normandie.
— Ton coiffeur doit être un fan des Stooges, il t’a vraiment transformé en Iggy, le Iggy décoloré des singles Bomp ! Viens, on monte boire un coup.
Ils entrent dans le petit appartement. La porte fenêtre du salon donne sur un cimetière.
— Oh, tu as repeint le salon en noir ?
— Oui, exactement comme celui de Gainsbarre, en noir laqué. Ça donne bien, hein ? Et la cuisine, tiens regarde !
— Wow ! Du rouge laqué, comme le plafond qui est sur la pochette du deuxième album de Big Star !
— Tu veux boire quoi ?
— La même chose que toi.
— Bon alors Jack ! De toute façon, ya rien d’autre, ici. Tu attendais depuis longtemps, au fait ?
— Noooon, pas trop longtemps...
— Tu devrais m’écrire quand tu envisages de venir ici...
— Oh ça m’a pris ce matin comme une envie subite. Le temps de passer me faire décolorer les cheveux, un coup de stop et voilà, c’est pas si loin. Tu te remets à écouter des 45 tours ?
— Oui, j’en commande pas mal aux États-Unis et j’en ai ramené une pile de Londres, la dernière fois... Tiens je vais te faire écouter un truc étonnant...
Il sert les verres et met un single sur la platine.
— Ah ouais je connais, j’ai déjà entendu ça une fois, c’est les Only Ones, avec un mec qui s’appelle Peter Perrett au chant, ça s’appelle «Another Girl Another Planet»...
— Et dans le groupe tu as...
— Les autres, je ne les connais pas...
— Mais si ! Tu connais très bien le batteur !
— Non, je ne vois pas, j’ai juste entendu le single et j’aime bien la voix, le mec chante un peu comme Syd Barrett...
— Le batteur, Jean-Yves, c’est Mike Kellie !
— Oh puuuutain ! Les vieux reprennent du service ! Les punks n’ont pas réussi à tous les virer ? Ils sont comme les nazis, y finissent pas le travail, ah ah ah ! Tu sais qui a dit ça ? Lemmy, le bassiste d’Hawkwind qui vient juste de monter Motörhead. Mais en fait, les Only Ones n’ont rien à voir avec les punks, c’est un groupe de rock anglais, très classique et un peu décadent. Peter Perrett porte les cheveux longs, du mascara et des foulards, alors tu vois, c’est pas Sid Vicious ! Ah maintenant je comprends pourquoi les Only Ones ont du son... Mike Kellie, bien sûr ! C’est la force des grands musiciens anglais, ils sont capables de traverser toutes les époques, regarde Dave Edmunds, regarde Ronnie Lane ! Ils savent rester géniaux, quoi qu’ils fassent !
— Est-ce que tu as continué d’écouter les Spooky Tooth, après «Evil Woman» ?
— Oh oui, plutôt deux fois qu’une ! J’ai adoré leur version d’«I’m The Walrus» sur The Last Puff ! Ces mecs-là sont brillants. Si je me souviens bien, Gary Wright avait quitté le groupe à cette époque... Et Greg Ridley avait rejoint Humble Pie. Mais Mike Harrison et Grosvenor continuaient d’alimenter la légende de Spooky Tooth. C’est là que se trouve la magie du son des seventies ! Certainement pas chez Deep Purple ou May Blitz ! J’ai encore dans l’oreille le solo de Grosvenor, avec ses notes alanguies. On l’entendait aussi jouer un truc bien convulsif dans «The Wrong Time». Ce mec-là aura su façonner le son de son époque. Tout le heavy rock des seventies est là, dans le gras de la voix de Mike Harrison et dans le jeu teigneux de Luther Grosvenor. Ah, maintenant ça me revient, sur cet album, il y a aussi Henry McCulloch et Chris Stainton, les mecs du Grease Band qu’on voit faire les chœurs pour Joe Cocker à Woodstock. Ah oui, quel album ! J’aimais bien le morceau qui donne son titre à l’album, en fin de la face B, joué au piano par Chris Stainton. Quelle classe, j’en revenais pas, lorsque j’écoutais ça. Mais sur l’album suivant, You Broke My Heart, il ne restait plus que Mike Harrison, tous les autres étaient partis, même Mike Kellie. Luther Grosvenor avait aussi quitté le groupe pour aller jouer dans Mott The Hoople. C’est là qu’il est devenu Ariel Bender ! J’aime bien cet album, comme d’ailleurs tous les albums solo de Mike Harrison, et le son reste bien épais, bien gras. Le guitariste s’appelle Mick Jones, je crois, non, non, pas celui des Clash, celui-là est un mec que tu vas retrouver dans le rock FM après. Ah oui, j’ai le souvenir d’un album extraordinairement dense, mais c’est toujours comme ça quand tu écoutes l’album d’un grand chanteur. Sur You Broke My Heart, tu peux écouter un morceau qui s’appelle «Wildfire», qui est un rock groovy à l’Anglaise, mais tu sais, au fond, ces gens-là sont parfaitement incapables d’enregistrer une mauvaise chanson ! Tout l’album est bon de toute façon, c’est presque un disque que tu pourrais emporter sur l’île déserte ! Mike Kellie et Gray Wright sont revenus pour l’album Witness, tu sais, celui avec la pyramide sur la pochette. Il y règne le même genre de sortilège que sur les grands albums de Spooky Tooth. Tu as des grosses atmosphères plombées par les nappes d’orgue dans des morceaux comme «Don’t Ever Stay Away» ou «Sunlight Of My Mind». Mick Jones assure bien, c’est vrai, mais quand tu entends ce genre de morceau, tu n’oses même pas imaginer ce que Luther Grosvenor en aurait fait ! On retrouve sur ce disque tout ce qui faisait la puissance de leur son. Et puis tu as un morceau énorme qui s’appelle «Things Change». Mike Harrison t’y sonne les cloches, tu vas voir, tu vas penser à l’histoire du sonneur de cloches que raconte Huysmans dans Là-bas. Mike Harrison est un véritable héros de roman, il dégage une ardeur secrète, celle des Templiers ! Là, tu vas trouver tout le son dont tu rêves, celui d’un groupe anglais enraciné dans la légende, et on arrive même à accepter le fait que Luther Grosvenor soit remplacé par un autre guitariste. Grosvenor, mon vieux, c’est le Guv’nor ! Les Spooky Tooth sont encore capables d’épater la galerie des glaces, ha ha ha ! Et tu as aussi un morceau qui s’appelle «Dream Me A Mountain» et qui reste délicieusement heavy, c’est du pur Spooky Sound. Mike Harrison y négocie bien ses wo-ooh-oooh, il connaît toutes les ficelles ! Oh et puis tu as le dernier album des Spooky Tooth paru dans les années soixante-dix, il s’appelle The Mirror, avec une pochette pompée sur Magritte et là, ça frise un peu l’arnaque, car le seul Spook qui reste, c’est Gary Wright. Tous les autres sont partis, y compris Mike Harrison. Le mec qui le remplace, tu le connais, c’est Mike Patto. Un bon chanteur, mais plus rien à voir avec Mike Harrison. Il n’a pas la même profondeur. Attention, l’album est très bien produit, ils tentent de créer l’illusion de Spooky Tooth avec du heavy sound dans des morceaux comme «Higher Miracles», mais on sent bien qu’il manque les deux éléments fondamentaux : Grosvenor et Harrison. On ne peut pas lutter contre la nostalgie d’un son. Tu as pourtant des grosses compos de Gary Wright, mais le rendu est différent. Ils tendent vers l’épique du colégrame, ha ha ha ! L’univers de Mike Patto est beaucoup plus baroque, il frise la fantaisie.

Quelques années plus tard, autour d’une petite table.
— Tu vas bien ?
— Bof...
— Tu écoutes toujours de la musique ?
— Pas trop, non...
— Tu te rappelles du single des Only Ones qu’on avait écouté chez toi ?
— Another Girl ?
— Figure-toi que le groupe existe encore ! Ils ont enregistré trois albums et Mike Kellie joue toujours avec eux. Oh ce ne sont pas des albums que tu vas emmener sur l’île déserte ! Bizarrement, les albums studio des Only Ones ne fonctionnent pas. Ils font un curieux mélange des genres et vont sur des choses un peu trop sophistiquées. Sur le premier album, tu as «The Beast» qui est vraiment bien et «City of Fun». Mais les autres cuts de l’album sont très particuliers, leur pop est trop sophistiquée, ils jouent la carte d’une sorte de dandysme underground, mais c’est trop théâtral et trop valorisé par les excès de langage. Après, tu as leur deuxième album qui s’appelle Even Serpents Shine et qui s’ouvre sur un cut purement wildien, «From Here To Eternity». Peter Perrett s’y livre à son exercice favori, celui d’une délicieuse déliquescence vocale. Mais tu as surtout «Curtains For You», un groove psychédélique qui se situe dans la veine du «Cowboy Movie» de David Crosby. En ramenant son talent de batteur dans les Only Ones, Mike Kellie fait bien le lien entre les sixties et les seventies. Il appartient à la génération des Knox et des Chris Spedding qui ont su mettre un peu de plomb dans la cervelle du mouvement punk. Leur troisième album studio s’appelle Baby’s Got A Gun. Joli nom, hein ? Ils jouent «Me And My Shadow» au Diddley beat. Mais sur les autres morceaux, ils cherchent tellement à sophistiquer qu’ils en oublient de sceller le destin des chansons. On ne peut pas courir deux lièvres à la fois. Il semble que le laid-back soit leur vrai domaine de prédilection, car «The Big Sleep» éclate au grand jour, bien chargé de décadence mortifère. Tu as aussi une petite merveille intitulée «Re-Union», bien psyché et joliment martelée par Mike Kellie. Le heavy doom leur sied à merveille. En matière de laid-back, tu vois, ils frisent la perfection. C’est l’un des meilleurs cuts des Only Ones, léger et délié, joué avec un sens du raffinement inégalable. Curieusement, c’est sur les albums live comme The Big Sleep enregistré en 1980, ou encore les Peel Sessions, que les Only Ones deviennent géniaux. The Big Sleep est un album absolument extraordinaire, bourré de son et de dynamiques jusque-là inconnues. «As My Wife Says» sonne tout de suite comme un classique de pop anglaise, bien claqué aux accords clairs de John Perry. En fait c’est lui, John Perry, qui fait le son du groupe, avec sa manie de faire tournoyer le son. L’«Oh Lucinda» live n’a plus rien à voir avec celui de l’album studio, tu verras, c’est même le jour et la nuit, c’est claqué dès l’intro aux accords des Rolling Stones et fruité à l’excès, même si Peter Perrett chante avec de la mélasse plein la bouche. Même chose avec «Language Problem», toxique et trituré par John Perry. Sur cet album live, tout est très joué, très enlevé, très touffu, très chanté. On a cette impression de densité qui n’existe pas sur leurs trois albums studio. Ça te frappera encore plus quand tu écouteras «The Beast», ce pur chef-d’œuvre de pop décadente. C’est extraordinairement envoûtant, aux limites de l’imparable. Même l’«Another Girl» qui suit n’a rien à voir avec la version originale, tellement c’est joué vite, avec un punch terrible. Sur scène, ce groupe devient un véritable buisson ardent. C’est dingue ce qu’ils sont bons ! Ils tapent chaque fois un final éblouissant. Tu as aussi l’extraordinaire «City Of Fun», joué à l’énergie pulsative, Mike Kellie s’en donne enfin à cœur joie, il tape dans tous les coins. Tout le jus des Only Ones est là !

Bien des années plus tard. Cette fois, les retrouvailles sont virtuelles. Elles se font via une ligne téléphonique. Jean-Yves a pris l’habitude d’appeler au cœur de la nuit, histoire de renouer avec notre vieux rituel conversationnel.
— Tu savais que les Spooky Tooth s’étaient reformés ?
— Non...
— Ils viennent d’enregistrer un album qui s’appelle Cross Purpose. Tu devrais le commander ! Ah tu vas voir, c’est un album dément ! Tu les vois tous les quatre sur la pochette, oui, oui, les quatre membres originaux, Greg Ridley, Luther Grosvenor, Mike Harrison et Mike Kellie. Le plus vieux, c’est Mike Harrison, il a les cheveux blancs. Ils reprennent «That Was Only Yesterday» qui était sur Spooky Two, tu sais, l’album qu’on avait écouté chez toi, tu te souviens ?
— Oui...
— Tu va entendre Mike Kellie, c’est une version magique, et tu entends Greg Ridley jouer une belle ligne de basse. Ils sont encore meilleurs qu’à leurs débuts ! Luther Grosvenor fait de beaux ravages ! Oh ils reprennent aussi «Love Is Real», la crème de la crème, c’est la pop anglaise à son apogée, c’est resté un hit monstrueux, ils jouent ça avec de l’écho, tu reviens à l’aube des temps, au Morning Dew, dans l’éclat d’un matin de Carlisle, love is real, et Luther Grosvenor joue ses arpèges préraphaélites. Tout à coup, tu vas voir, il claque un solo sec, incroyablement sec, ça ne lui ressemble pas, non, non, non, mais quelle classe ! et il revient exploser la fin du morceau, et crois-moi, jamais un Anglais n’a montré autant de violence sur un manche de guitare, c’est comme s’il jouait à coups de hache ! Il fait aussi des miracles dans «How», quand tu l’entends jouer, tu comprends qu’il a du génie. C’est lui le guitar hero anglais, il joue à l’ongle cassé et presse ses notes pour que le gras dégueule bien, il dévore le morceau de l’intérieur, tu sais ça me fait toujours penser à une histoire, celle du centurion qui avait ramassé un petit renard et qui l’avait planqué sous sa tunique, et puis un jour, alors que le général de la légion passait les hommes en revue, le centurion est tombé d’un bloc, face à terre... Le renard lui avait dévoré le cœur. Oh tu as aussi un morceau fabuleux qui s’appelle «I Can’t Believe», un vrai morceau de batteur, tu entends Mike Kellie y battre l’enclume, comme Odin, son mentor. Et ne rate surtout pas le dernier morceau de l’album, il s’appelle «Kiss It Better», c’est un hommage aux Stones, t’a du pur heavy boogie, un black out fantastique sur la stonesy, tu vas voir, c’est un morceau qui embarque tout, comme une crue du fleuve jaune, en Chine ! Hé ! Tu dors ?
— Rrrrrrrrr... Rrrrrrrrr

Encore un petit paquet d’années plus tard. Cette fois, nos deux amis se retrouvent complètement par hasard dans l’au-delà...
— Oh qu’est-ce que tu fous là ?
— Le truc con, le foie qu’a lâché... Et toi ?
— Oh un truc dans le même genre...
— T’es là depuis longtemps ?
— Bahhhh, j’en sais rien... Tu sais qui j’ai croisé ?
— Non...
— Buddy Holly, avec son blazer bleu électrique ! Et Greg Ridley, aussi !
— Oh putain !
— Tu sais que les Spooky Tooth ont continué à jouer après le fameux Cross Purpose ? Oui, ils ont enregistré un concert en Allemagne et l’album s’appelle Nomad Poets. Là-dessus, tu retrouves Mike Harrison et Mike Kellie, plus Gary Wright ! Ils reprennent tous leurs vieux hits, «That Was Only Yesterday», «Wildfire» et même «Tobacco Road», mais avec un vrai panache ! Quand tu écoutes cette version de «That Was Only Yesterday», tu as l’impression que le ciel se lève sur le génie des Spooky Tooth, alors qu’ils sont au crépuscule, tu vois... Tu as peu de morceaux qui sonnent comme l’aube des temps. Tu as l’impression de voir Mike Harrison dressé au sommet de la falaise, le visage tourné vers le ciel. Ce groove est resté pur, quasiment intouchable. Tu retrouves leur fabuleuse heavyness dans «Wildfire», et je vais te dire un truc, ça dépasse même les normes. Le son explose, voilà de quoi sont capables les Anglais. Mike Harrison semble régner sur le monde du rock. Et la version de «Tobacco Road» te plaira, même si Luther Grosvenor n’est plus là. On retrouve le fabuleux échange entre Gary Wright et Mike Harrison. Ils sont complètement dingues, tous les deux, ils montent leur Tobacco à l’incandescence. Ils sont beaucoup trop puissants... Ils rejouent même «Evil Woman», tu te rends compte, on a l’impression de boucler la boucle en évoquant ce vieux hit des sixties, Evil woman, when I saw you comin’, comme si notre vie n’avait duré que le temps d’une chanson...
— Tu va réussir à nous faire chialer, si tu nous sors La javanaise ! C’est vrai que cette vie nous a complètement échappé, mais je préfère rester sur Verlaine, c’est plus gai...
— Je me souviens des jours anciens et je pleure...
— Non non pas du tout, je pensais plus à l’Art Poétique, une ode à la poésie qu’il écrivit dans un moment d’exaltation. Ce poème est la métaphore parfaite d’une vie trop courte, et à un moment, tu as Verlaine qui s’exclame : de la musique avant toute chose ! Tu comprends, avec ça, la messe est dite, mon vieux.

Signé : Cazengler, Spookiki


Mike Kellie. Disparu le 18 janvier 2017

Art. Supernatural Fairy Tales. Island Records 1967

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Spooky Tooth. It’s All About. Island Records 1969

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Spooky Tooth. Spooky Two. Island Records 1969

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Spooky Tooth. The Last Puff. Island Records 1970

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Spooky Tooth. Witness. Island Records 1973

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Spooky Tooth. The Mirror. Island Records 1974

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Spooky Tooth. Cross Purpose. A&M Records 1999

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Spooky Tooth. Nomad Poets. Evangeline Records 2007

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Only Ones. The Only Ones. CBS 1978

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Only Ones. Even Serpents Shine. CBS 1979

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Only Ones. Baby’s Got A Gun. CBS 1980

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Only Ones. Remains. Closer Records 1984

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Only Ones. The Big Sleep. Live In Europe 1980. Jungle Records 1993

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AVENTURES LEZARDINES


1


A peine ai-je entrouvert la porte de la Boots Tique, le patron se précipite vers moi. Normal, chaque lundi matin depuis des années je lui achète tous les lundis une paire de Perkins Shoes, jamais à moins de mille euros.

- Monsieur Damie ! Vous avez reçu mon mail, cet arrivage exceptionnel, je sais qu'en vous le rocker va craquer, des Blue Suede Shoes, d'un bleu comme je n'en ai jamais vu, un coloris exceptionnel, un lapis-lazuli paradisiaque, que dis-je célestial, séraphinesque ! Admirez, une teinte inédite pour votre collection !

Derrière le comptoir les deux vendeuses pouffent :
- Monsieur Damie, les copines l'appellent cinquante nuances de bleu !

-  Désolé, mais aujourd'hui je prendrai plutôt des peaux de lézard.
- Ah ! une chance extraordinaire, en rayon nous avons une splendide paire en peau d'agame aquatique d'un vert tropical à faire rougir de honte l'herbe sur laquelle vous marchez !
-  C'est bon, je prends !
-  Attendez de les voir !
-  Inutile, j'emporte tout de suite !
- Mais la pointure, Monsieur Damie, il vaut mieux les essayer, imaginez que je vous refile un 36 fillette !

Derrière le comptoir, les deux pouffes minaudent :
-  Monsieur Damie ce serait plutôt 36 fillettes, avec un s !

-  Aucun problème, donnez-moi, toutes les boîtes que vous avez, qu'importe la taille, il m'en faut cent paires !

2


Tante Agathe, me fait la morale :
- Tu te rends compte Damie ! Heureusement que tu es mon neveu préféré ! Huit jours sans m'arrêter ! D'abord prélever des carrés de dix centimètres sur tes grolles ! Et puis les assembler et les coudre ensemble ! Sans couture apparente, en plus ! Enfin ton costume pour le carnaval est prêt ! Tu peux l'essayer !

3


De la belle ouvrage, ma combinaison lézardine me va comme un gant. Me colle à la peau. Du sommet du crâne à la plante des pieds. Dans la rue les enfants n'en reviennent pas et s'égosillent : Regarde Maman, le plus beau des masques du défilé, on dirait un vrai lézard géant ! Ils ne croient pas si bien dire !

4


Une terrible métamorphose psychique est en train de s'opérer, je sens que je suis en train de perdre mon essence humaine, la mutation décrite dans le vieux grimoire de Paracelse n'était pas une légende, à chacun de mes pas je deviens de plus en plus lézard, dans les cris et les bousculades du carnaval, personne n'y prend garde, ma langue s'allonge et mon postérieur s'accroît d'une longue queue écaillée qui traîne à terre. En un rien de temps ma taille explose, debout sur mes pattes arrière je dois bien dépasser les huit mètres cinquante, je bondis sur un char, la foule rit, elle croit que j'use d'un subterfuge de baudruche gonflable, les applaudissements crépitent, alors de mes deux pattes de devant je frappe sur ma poitrine et de mon gosier s'échappe ma déclaration de guerre au monde entier : I'm the lezard King, I can do Anything !

5


Hop ! Je rafle les deux premiers imbéciles qui passent à ma portée, mes griffes s'enfoncent dans leur ventre et je les éviscère, le sang gicle de partout, je me délecte de leur tripes fumantes qui fouettent l'air autour de mon museau prédateur.

6


L'image passe en boucle aux infos de vingt heures. Le pays s'affole, l'on demande à la population de se barricader, l'on rappelle les réservistes, mais moi le Roi Lézard n'en ai cure. J'attrape les chars d'assaut qui foncent sur moi par le canon, les fais tournoyer dans l'air et les jette au loin comme de vulgaires cailloux. Je défonce les fenêtres et arrache à leur intérieur douillet des familles entières dans mes serres diaboliques. Ma langue gobe les bébés comme des mouches, le cartilage fragile des enfants ne résiste pas à mes gourmandes mâchoires, je désopercule la tête des parents et presse leurs corps comme un berlingot de lait pour boire leur sang.

7


Durant des heures je poursuis ma route carnassière. L'armée suit ma trace sanglante parmi les immeubles éventrés mais n'ose plus intervenir depuis que j'ai saisi au vol les deux escadrilles de Rafales qui gisent à terre comme des papiers de tôle froissée. Me voici dans les faubourgs de Fontainebleau. Je suis rassasié. Je n'ai plus faim. Mais je sens en moi un désir immense et irrépressible que je ne parviens pas à décrypter. Terribles impulsions de mon sang qui bout dans mes artères. Je m'arrête décontenancé. Il faut que je réfléchisse. Mon cerveau de reptile m'envoie un message, mais je suis incapable de le déchiffrer. Un reste d'humanité, me souffle une solution, trouver un livre sur les sauriens dans une librairie, ce doit être expliqué. Je me mets en quête du moindre bouquiniste. Sauvé en voici un ! Tiens une affiche sur la porte ! Incroyable, écrit en grosses lettres, la solution pratique de cette morsure qui tenaille ma chair dinosaurienne en émoi. Bien sûr, ce ne peut être que cela ! Le simple besoin physiologique d'une femelle, l'implacable nécessité de la survie de l'espèce ! Suis-je bête, comment n'y ai-je pas pensé ! En plus, il y a l'adresse de son repaire !

8


Je galope vers la rue du Rat qui Pète ! Tiens bizarre, il me semble que je rapetisse ! Ah ! Oui, je me souviens, Paracelse, effet de quelques heures seulement, je me dépêche, ma peau devient subitement moins verte, vite, vite, non je ne veux pas rater l'occase, je me rue sur mon rut, j'ouvre la porte à toute volée, je suis tout essoufflé,

- Oh Damie ! C'est sympa d'être venu au concert – se pressent tous les cinq autour de moi - Lizard Queen te remercie !

 

16 / 02 / 2017FONTAINEBLEAU
LE GLASGOW


LIZARD QUEEN

Retour au Glasgow. Les lézards entament la balance, magnifique occasion de nous régaler de quelques sucreries instrumentales qui arrachent des applaudissements à l'assistance qui vaque devant le comptoir. Cid Marquis vocalise, doit se souvenir d'un reportage sur la faune africaine vu à la télé dans sa petite enfance car elle rugit comme une lionne à qui vous essayez de voler ses petits. Retour au calme, petite demi-heure de battement, la foule s'amasse devant et derrière les barriques qui servent de table. Juste le temps de faire la bise aux Jallies venues supporter les copains et le concert débute.

LIZARD QUEEN


Quand je pense qu'il y a des anormaux qui placent un poêle à mazout devant leur cheminée je désespère de l'humanité. Bien plus malins les lézards, ont installé l'orgue à liseret rouge et à l'autocollant «  Never Trust a Hippie » et derrière celui-ci : l'incandescente Léa Worms, in person, la plus parfaite incarnation du charme anglais, pour le moment elle effleure les touches de ses menottes ivoirines, à ses côtés sous son chapeau de faux texan et sa veste à vrais carreaux, sa panoplie rend le cowboy Tristan Tisocial tout heureux, de temps temps pour exprimer sa joie il yodelle, ou fort inopinément d'un index facétieux s'en vient piquer au hasard une note sur le clavier de Léa, pas de chance pour Jul Erades, l'est au coin dans l'angle, mais l'on n'a pas été trop méchant avec lui, on lui a permis son set de batterie qui ne laisse dépasser que sa tête et ses yeux clairs, la sombre et mauve silhouette plaquée contre le mur de refend a pour nom Alex April ses cheveux mi-longs qui lui mangent le visage, lui donnent le look du rebelle que dans les films vous évitez de déranger pour lui demander l'heure, des fois qu'il vous la donnerait avant de vous envoyer ad patres. Elle vous a de ces airs aristocratiques de duchesse, les épaules recouvertes d'un manchon de fourrure, elle s'avance souveraine et repousse le micro comme s'il n'était pas à sa place. Mais à l'ondulation nonchalante de son corps l'on devine qu'à ses yeux c'est le monde entier qui est de guingois. Une robe improbable. Qu'elle a dû découper dans les rideaux de coton de Tante Agathe, qui s'arrête à mi-cuisse, mais le galbe des jambes dénudées est noyé dans un ruissellement de lanières inégales desquelles les plus longues retombent jusqu'à ses deux énormes après-skis aussi poilus que des chiens de salon que des pages cérémonieux portent dans leurs bras dans les tableaux espagnols du dix-septième siècle. Elle s'aperçoit enfin que le public subjugué la regarde, alors Cid Marquis énonce deux petites phrases destinées à rentrer dans l'Histoire : « Nous sommes Lizard Queen. Nous allons interpréter un tribute à Jim Morrison. » La cérémonie païenne peut commencer.

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Troisième fois que j'assiste à un concert de Lizard Queen, en ce même lieu, en ce même décor de recoin de pièce, le groupe tassé comme les doigts repliés d'une paume de main à demi-refermée, mais ce soir le son n'est plus tout à fait le même. Moins ombré, moins ambré, moins inimitablement Doors que les fois précédentes. J'isole tout de suite la fautive, responsable de cette transmutation aurifère. Léa s'agite dans sa blondeur. Absorbée dans l'infernal ballet de ses mains, ailes blanches de cygne sauvage qui s'abattent en rafales sur les dents de plastique du clavier, elles volètent et se poursuivent, grands à-coups de large claques, glissades tourmentées, placages d'accords, fuites enivrées et retours furieux, qui dira les entrelacs de Léa, ses palpitations d'ongles, ses entremêlements de doigts, elle pousse et bouscule le combo vers l'envol. Pour la première fois l'on a l'impression que les Portes sont ouvertes et que les oiseaux du malheur s'enfuient de leur cage pour nidifier plus près de nous.
N'est pas seule dans cette montée en puissance. Jul l'aide. A sa manière. Des virées de breaks de batterie insistants qui semblent tout remettre en question. La sensation d'un renvoi à terre, d'une série d'abattages infinis, inlassables. En réalité il précipite le mouvement. Des salves de mitrailles qui mordent la poussière sous vos pieds, qui vous enjoignent de courir plus vite afin d'échapper à votre anéantissement. Arme blanche et âme noire sont les deux guitares d'Alex. L'une au pick-guard enjolivé de fleurs psychés, l'autre menaçante comme un corbillard, les agite tantôt cimeterre, tantôt cimetière, pose des notes au sommet de falaises infranchissables ou les plonge dans les ravines les plus profondes, l'est un semeur d'étoiles filantes qui enflamment les cieux et les fournaises de l'enfer. L'y ajoute le fer de l'harmonica et l'acier de son bottle neck, nous conte l'agonie du serpent, les sueurs froides des petits matins reptiliens et les moiteurs swampantes des marécages sauriens. Il est la flèche qui s'égare dans les boules de foudre, il mord sa guitare comme on lèche un sexe de femme et puis la faisant basculer derrière son dos il se poignarde entre les deux omoplates, car c'est ainsi que se closent les drames passionnels.
Tristan, mine réjouie, tisse de sa basse les fils de l'araignée tueuse. De longues trainées pratiquement invisibles, il ourdit le cocon mielleux dans lequel l'attention se relâche, recouvre le fond du tableau d'un noir transparent, il accapare la lumière et assombrit l'atmosphère d'une piégeuse onctuosité. Douceur parquienne. Tragédie morrisonienne, si les autres explosent le bruit et la fureur, il exprime cette angoisse de mort qui annihile votre désir de vie, il est la barque funèbre qui parcourt en filigrane la stygienne musique des Doors, et vous garde prisonnier d'un courant qui vous emporte malgré vous, méfiez-vous, les fantômes des noyés ne remontent jamais sur la rive fatale pour se se baigner une deuxième fois dans la rivière qui les a occis...
Cid Marquis. Rire sardonique et thrène mortuaire. Elle ne chante pas. Elle aboie, elle assène, elle hurle, elle hulule, elle psalmodie, la pythie est habitée par la vapeur des Dieux. Elle laisse tomber de son verre quelques gouttes d'alcool sur le sol, c'est ainsi que le peuple des morts vient se désaltérer, écoutez-le qui mugit dans sa voix telle une vague sépulcrale qui nous engloutira tous. Elle est la back door woman celle qui vient aboyer à la porte de derrière de votre âme, la chienne hécatienne en chaleur qui à plein gosier vous arrache le foie, pisse sur votre visage comme sur la sainte face de Dieu, le molosse du blues altéré de sang qui a brisé ses chaînes et qui se veut venger de ses maîtres, debout près du micro, mais le plus souvent, pliée, courbée en deux, comme si une force tellurique la ramenait, la maintenait près de la terre, elle est la prêtresse vaudou qui commande aux loas, elle est la sorcière et elle est le couteau, elle est la colombe et elle est le sang de la colombe, elle crie, elle rit, elle invective, elle questionne, elle répond, elle réplique, elle se moque, et elle mène l'ardent ballet de l'extase orgiaque. Elle enlève de ses épaules l'étole de faux vison, pour que l'on ait la vraie vision de cette plante tatouée, incrustée sur sa peau et insinuée en son corps mat comme le plant serpentaire et envahissant d'une vigne dionysiaque. Et tout près, son bras brun s'irradie de la lumière apollinienne de la chair laiteuse de Léa aux dômes éblouisseins.
Not to touch the earth, le serpent vole, le groupe n'avait pas commencé depuis quinze secondes que le piétinement conjuratif a débuté. Danse sacrée. Transe sacrale. Deux sets sans fin, l'alcool qui coule à flot, les verres brisés et toute la jeunesse du monde qui s'emmêle dans un rythme incoercible. Excitations, cris, embrassades, sautillements, braillements, grandes orgues de la démence, une fête sans fin déroule ses anneaux alligatoriens...
Sans fin. Pas tout à fait. Car tout a une fin nous ont appris dans leur grande sagesse les philosophes de l'antiquité. L'orchestre débute le tumulte du dernier morceau, qu'un ami pas du tout beautifull – en l'occurrence le patron de l'estaminet - intime l'ordre d'arrêter, et pour se mieux faire comprendre coupe l'électricité. Juste quelques secondes. Assez pour jeter la lumière sur la sombre réalité d'une société française de moins en moins festive, de plus en plus coercitive. Pratiquement a capella, Alex April l'accompagnant en sourdine, Cid Marquis improvise... une fin que le public applaudit à tout rompre.
Un concert de toute beauté. Rock'n'roll à donfe. Là-bas, au Père Lachaise, l'âme de Jim Morrison s'est assise sur sa pierre tombale et a tendu l'oreille. Et les goules assoiffées ont vu se dessiner un sourire mélancolique sur ses lèvres closes.


Damie Chad

( Photo : FB  d'Aurélien Tranchet )

*

Un texte repéré sur le FB d'HUBERT BONNARD que nous donnons ici débarrassé de ces émoticons et petits coeurs rouges. Voici le lien : pour ceux qui tiennent à voir la graphie originale.

https://www.facebook.com/photo.php?fbid=703858819772841&set=a.296021087223285.1073741828.100004461876258&type=3&theater

 
Wild Child est un french groupe mythique des années soixante-dix. Dans ce texte Hubert Bonnard nous conte l'éphémère reformation du groupe en 2015... Nous dévoile par la même occasion la vie mouvementée d'un activiste rock...
Avions rencontré Hubert Bonnard l'année dernière dans un concert de Crashbirds au fin fond de la Seine & Marne. Un grand brûlé du rock'n'roll.

 

WILD CHILD QUELLE AVENTURE !
Mon Histoire d’Amour - Hors remerciements, résumé en 3mn

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Fan fou depuis 82 dès l’45 tours sorti, ça m’aura coûté 2 ans 1/2 d'ma vie. Outre le fait que j’ai passé une nuit blanche à écouter la vitale à vie face A du 45 tours en boucle, à user plus qu’à la moelle le 1er album 6 titres, que je les ai vu 3 fois sur scène en 83 et 85, mon histoire d’amour revit il y a + de 3 ans ½, lorsque par hasard je tombe sur une vidéo de Wild Child sur Youti Tube. Trop content, j’y laisse un commentaire, et Oh Surprise : Leroy y répond ‘’Contact-moi sur Facebouc, y’a une page Wild Child’’ J’me dit aussitôt : ‘’Facebouc ? Alors ça ! JAMAIS ! Bon, + d'3000 amis + tard, aucun regret. Quelque mois + tard, au gig de Guttercats, sur qui que j’tombe: Little Jim .  Quel grand choc de le voir bien plus maladif qu’à mon blabla avec lui en 83. Là il me narre toute l’histoire, mon divin devoir de fan : y mettre enfin fin. Quel rêve pour moi d’avoir réconcilié 2 frères ennemis, jouer du violon à l’un, remettre d’aplomb l’autre, tout ça pour les convaincre que le top album inédit de 30 ans sorte enfin. Personne n’y croyait plus, ils sont tombés sur un têtu. Chance : Closer Record souhaite un titre pour leur TOP compil ‘’Eyes on You 2’’, le meilleur inédit sera choisi, titre aussi de l’album : ’‘The Next Décline’’ S’en suit une annonce + photo dans la rubrique ‘Télégramme’ de Rock & Folk. Mais Closer ne peut pas sortir l’album. Chercher partout un autre label, envoyer avec raison des CDs Pré-Promo fait maison, des mails à la pelle, des courriers personnalisés, plus de 100 coups d’fil sans fin et sans fil, et trouver grâce à Silvère Vincent une maison de disque, ENFIN  ! Entre temps il a fallu aider l’ingénieur du son pour le remastering, Super JJ, puis consacrer un temps fou à concilier tout l'monde pour le livret aux 13 essais. Pour accrocher les labels, le principal argument était que le 45 tours "Stooge Face'' (une bombe, disque du mois que Philippe Manoeuvre vendra lui-même à New Rose), et le 1er album ''Speed Life O' Mind''(Le ''Fun House'' France, + que Méga Archi Super Top), tous 2 en intro de l'album, sont introuvables. Sauf que, pour qu'ils soient réellement et complètement introuvables, bah il a fallu faire la chasse et acheter tous les 45 tours et tous les 1ers albums vinyles qu’il y avait sur internénette. J'en ai du coup plein ma cachette. OUF ! Plus la peine de l’faire, le contrat est enfin signé, champagne, on a gagné !
Pour la promo, après 30 ans d’abstinence, il a fallu préparer un concert. Au début, et même à la fin, on y croyait pas trop, c’était incertain et trop beau. Mais la renaissance de WILD CHILD était la seule raison de vivre du chanteur. Faire dérouiller les doigts à l’un, réapprendre la confiance en soi à l’autre, le faire rechanter, en solo, puis fastidieusement devant un public incognito . . . Ce, sans s’étendre sur sa tonne de problèmes perso qu’il a fallu solutionner. Un temps fou au sacrifice de ma famille et de mes amis ça m’aura coûté. OUF ! Françoise Mongibello et Marie Jo Margerin sont là pour m’y aider. Retrouver et impliquer le 1er batteur fondateur,  Alain Ménissier, qui par chance, avait tout le matos, un super local de répète, plus un pote bassiste. Chance aussi qu’il a pu avec Christine Pelini accueillir tout le monde dans son sweet home, un joli paradis à côté de Limoges. S'entêter dans des répètes, remonter le moral du groupe.

Après, les heures de remastering et de la confection du livret, faire de Paris de nombreux aller-retour, la bouffe, le super top pédalier de guitare, à Paris le dodo, la location du projo, le buffet du showcase, le repas final, etc, tout ça ça coûte. Chance aussi que Thierry Baron était là pour TOUT financer, sans lui RIEN ne se serait passé. Des gros € il a donné, l'aide de Jeff Froyd et mes RSA y sont passés ( Puis il a fallu charmer Philippe Manœuvre qui le veut qu'en vinyle Trouver une super attachée de presse, Nadia Sarraï-Desseigne Grâce à Gilbert Castro, le boss de Celluloïd, YOUPI, l’album est enfin sorti Grâce à son fils aussi, Antoine, graphiste, qui a à la hâte dû convertir le livret.
1ère écoute de l'album, UNE BOMBE ATOMIQUE, un grand merci Super JJ ! Longues négociations chez Rock & Folk pour le coût de l’encart de pub, ouf, 2 pour le prix d’1, mais ça reste cher, encore une fois Thierry Baron assure. Caroline FuzzySeven consacre le ¼ de son émission de radio à Wild Child. Mise en place d’un jeu sur Facebouc pour faire gagner aux fans des places. Grâce à Nadia, la chronique dans Rock & Folk put être faite, bonne en plus. Chercher une salle de concert qui, par manque de prépa, est désiré Showcase. Partout, en version privé, trop cher. Convaincre Gilbert Castro de le faire dans son prestigieux Studio Davout fut plus que fastidieux, mais c’est ok. Sauf que là, pas de matos de scène. Sans celui d’Alain Ménissier, rien ne sera fait. Trouver un gite, envoyer toutes les invites, la pression monte vite. Au dernier moment, le chanteur tombe grave malade, les gens prévus pour installer la scène ne sont pas venus. Les 3 musiciens et Christine assurent. Galère pour louer le projecteur. La dernière répète prévue avec le chanteur ne put se faire. Tout le monde est crevé et énervé, mais on ne peut plus reculer. L’ingénieur du son du studio prévu est absent. On improvise avec Super JJ qui ne connaît pas du tout la super table de mixage. On installe vite fait les affiches, les photos, les tableaux, avec les 1ers invités qui arrivent. La visio prévue n’est pas encore arrivée. Le marchandising est assuré à l’improviste par Caroline Boudier et sa copine Aurore, toutes 2 invitées. 20 mn avant faut courir acheter à Auchan le transformateur pour les lumières qui vient de griller. De retour en nage, faut improviser tant bien que mal, mais avec envie, le bla bla d’intro prévu d’être fait par quelqu’un d’autre. Bla Bla Bla, Bla Bla Bli, Op Op Op c’est parti. Les lumières s’éteignent. Court et Top projection assurée par Martine Bonnard et Sébastien Couty du super teaser de Philippe Montiel. Un Grand Moment d’Émotion, puis le groupe arrive sur scène. Avec des couics et des couacs, 13 morceaux sont assurés au lieu des 7 prévus Aucun enregistrement correct n’a pu hélas être effectué hélas, mais, bien qu’un petit peu chaotique, MOMENT UNIQUE, HISTORIQUE, HYSTÉRIQUE et MAGIQUE. Bref, dur dur de résumer 2 ans ½ d’aventure en quelques lignes d'écriture. Pour finir, même s’il était prévu une suite qui hélas, à notre grand regret à tous, ne fut, je suis fier d’avoir pu participer à la performance du groupe rock français préféré, avec OCEAN, de mes 18 ans.


Encore un Grand Merci aux personnes déjà citées.
Un Grand Merci à Marc Genest, bien avant moi, LE 1er manager.
Un Grand Merci à Alan Mayo le bassiste.
Encore un Grand Merci à Thierry Baron.
Encore un Grand Merci à Super  à Alain Ménissier.
Et pour finir, ces 2 ‘zoiseaux’, le meilleur pour la fin comme  disait Tolstoï. Un Grand Merci à Little Jim. Un Grand Merci à Leeroy. Sans eux, rien de cela ne serait arrivé. Purée d'Rock & Roll.
Un Grand Merci aussi à toutes les personnes présentes au Showcase :
(par ordre alphabétique complètement désordonné, mais les filles en 1er )
Béatrice Arnaud, ses 2 filles Laëtitia et Elodie leur 2 conjoints, Isabelle Dejésus, Séverine Schenini, Catherine de Holthausen, Marie Line Brasseur, Laurence Le Tiec, Sandra Koch, Mme Castro, Annie Deligne, Katia Bersac, Helene Salat, Jane Million,Tieri Twisted, Axel Baron, Géant Vert, Dom Sarraï-Desseigne, Frank Margerin, Joël Calatayud, Patrick Bainée, Jean-Pierre Sabouret, Eric Parent, Eric Renard, Hervé Guttercats Michel, Malik et Valérie Agoua, Pierre Terrasson, Ouassini Kidari, Georges Bodossian, Diabolo, Marc Prada et Alexandre, Frederi Léotard et Suzy Marilou, Pipil et son ami, Olivier Spitzer, Pierre Laforêt, Thierry Gotti, Camboui, Alain Truffault, Gérald Coulondre, Joe Cardinalat, Pascal Tanguy, Philippe Santi, Stephane Marechal, Yann Bourven, plus la trentaine d’autres personnes dont je n’ai pas les noms.
Et surtout à Hippolyte Teddy Jungle King et son équipe, et à Lolo Zep pour ses supers photos et sa précieuse aide à ranger le matos.
Un Grand Merci également à toutes les personnes non présentes, mais avant ou après plus ou moins impliquées :
Yasmine Aoudi, Sandra Pinget, Cathy Bitton, Antoinette Mavre, Morgane Spacagna, Linny Fondakélic, Alicia Fiorucci, So Boisgallais, Lily Ballereau, Mars Elle Rime, Eléna Montiel, Gina, Jean-Eric Perrin, Georges Amann, Jean-William Thoury, Patrick Mathe, Gerald Guignot , Kikou, Claude Frazier, Pat Manoury, Franck Pierrot, Bernard Natier, Philippe Gilard, Henri Paul & Cathy Tortosa, Deedee Drinkwater, Christophe Crouzet, Pascal Houard, Nikki Hair, Pat Laféline, Fred Mosrite, Jef Megawatts, Matthieu Vatin, Thierry Saltet, Patrick Eudeline, Basile Farkas, Gilles Tandy, Philippe Manœuvre, James Petit, Michel Martig, Jean-Luc Manet, Christian Lebrun, Gérard Beullac, Olivier Vangah, Thierry Solal, Phil Jumbo, Yves B. Dog, Hervé Moisan.
Une pensée spéciale pour (qu’ils reposent en paix) : Monique Pharamond, Jenny, Lang, Fred Lemarchand, Laurent Bernat, Richard.



Que VIVE WILD CHILD Dans Nos Mémoires !

 

GENE VINCENT / JOË BOUSQUET

 

Les idées se télescopent. Jim Morrison et Le Diable Boiteux de Michel Embareck ( in KR'TNT ! 292 du 01 / 09 / 2016 ) et L'Être et le Néon de Jean-Michel Esperet qui établit un improbable parallèle entre Jean-Paul Sartre et Vince Taylor ( in KR'TNT ! 301 du 09 / 11 / 2016 ). Se manifeste alors dans ma cervelle fatiguée la conjonction, selon moi inédite et jamais esquissée, entre Gene Vincent et Joë Bousquet.
Les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, Joë Bousquet est mort en 1950, à Carcassonne. Je ne ferai pas l'injure de rappeler aux lecteurs de KR'TNT ! la figure de Gene Vincent. Joë Bousquet est un des plus grands poètes français du vingtième siècle. Tous deux sont reconnus comme des maîtres en leur matière. Mais au-delà de toutes les différences qui peuvent affecter le parcours de ces deux artistes, tous deux ont partagé un destin similaire. Ont été confrontés à une terrible blessure physique qui a oblitéré leur vie mais dont ils ont triomphé - non pas en la niant, essayant de faire face courageusement comme si elle n'était qu'encombrement superficiel de minime importance - mais en la modelant formellement pour en exalter, chacun en son domaine, l'efficiente opérativité existentielle.

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Né en 1897 Joë Bousquet vécut une jeunesse qu'un demi-siècle plus tard l'on aurait stigmatisée sous l'appellation de blouson doré. Un choix délibéré, de vivre intensément, cafés, filles, drogues, bagarres, qui manifeste avant tout le désir d'inscrire sa vie hors d'une future existence programmée de bourgeois de province. La guerre de quatorze et ses jeunes femmes esseulées privées de maris partis sur le front procure à ce jeune étalon un terrain de jeu idéal... Des facilités auxquelles il mettra froidement un terme en devançant l'appel dès 1916. L'était de ceux qui préfèrent vivre vite. Fait le choix d'un régiment de première ligne. Se porte volontaire pour les missions les plus périlleuses. Jusqu'à ce jour de mai 1918, il prend soin à la suite d'une déconvenue amoureuse épistolaire de ne pas se coucher sous la mitraille... Ses hommes refuseront de le laisser agoniser sur place et malgré sa défense le ramènent à l'arrière.

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Une autre vie commence. De paralysé. Les amis se pressent autour de sa couche. Prend peu à peu l'habitude de dormir le jour et de vivre la nuit. Entre opium et littérature. Ne sortira plus de sa chambre les dix dernières années de sa vie. Se retire du monde pour mieux se retrouver lui-même. Sa vie devient un personnage de légende. Il attire, il fascine. Sa conversation est éblouissante. L'on se presse à son chevet. Les grands noms du surréalisme viennent le visiter. L'on refait le monde à coups de causeries. Et davantage pratiquement lors de l'Occupation. C'est dans sa chambre de grand malade que se tiennent les réunions les plus importantes de la Résistance du Sud de la France...
La poésie devient le centre de sa vie, il la conçoit comme une expérimentation totale du langage et du corps, nombreuses sont les jeunes filles qu'il initie à une physique érotique troubadourienne et métaphysique. Il conçoit la poésie en tant que pratique de l'acte d'Eros par excellence, tentant une étrange équivalence entre le sexe de la femme et la béance mythique de sa blessure. Son écriture est un trou noir sans fond qui opère et théorise les transvasements transsexuels qui lui permettent de renouer symboliquement avec sa vie de jeune homme sauvage...

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Son oeuvre est immense, romans, récits, poèmes, contes, articles, correspondances, journaux intimes, notes et de nombreux carnets qui bien des années après sa disparition continuent à être édités... Un poëte majeur mais difficile d'accès car se refusant à toute logique cartésienne et faisant appel à une exploration d'in-connaissance du monde. Une espèce d'anti- phénoménologie magique. Ce qui explique qu'il reste encore aujourd'hui ignoré du grand public...

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Pas un jour, pas une nuit Joë Bousquet n'accepta de se sentir diminué par sa blessure. Lutta avec son arme favorite : la poésie. Pour Gene Vincent, la blessure fut d'apparence moins grave. Dut porter une attelle pour supporter les os broyés de sa jambe dont il refusa l'amputation. Fut un homme debout au même titre que Joë Bousquet fut l'Homme Couché. Le rock'n'roll fut son arme. Depuis son infirmité il transcenda son jeu de scène, léguant à tous les rockers une sombre liturgie, transformant le concert en une sorte de rituel pour anges déchus. La douleur l'accompagna, malgré l'alcool et les piqures de morphine parfois au milieu du show. Pas une fois, jusqu'aux derniers jours de sa vie à l'âge de trente-six ans, il ne renonça à être ce qu'il était. Etrangement sa musique exprime – son existence le confirme - cette révolte qui agita la jeunesse de Joë Bousquet. Ce désir d'une vie borderline en rupture d'ordre social, profondément anarchisante. L'application rock'n'rollienne de la formule de Lefty Frizzel, la vie comme poésie.


Damie Chad.

 

DARWIN

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Souvenez-vous, c'était au printemps 2014, entre avril et juillet – voir KR'TNT : 184 / 185 / 189 / 191 / 192 / 195 / 196 – surgie de nulle part, Loreann s'était posée sur la terrasse du café du samedi matin, à Provins. Elle et sa guitare et sa voix de brume et d'automne. Pendant deux ou trois heures elle nous emmenait au travers d'un répertoire de reprises rock classic dans ces paysages de songe que Gérard de Nerval intitulait Petits Châteaux de Bohème. Nous fascinait, le Grand Phil, moi et toute la clientèle, dans le tintamarre du marché provinois, elle tissait un fantomatique royaume de silence et de beauté, et puis un jour l'oiselle s'est envolée, n'a plus donné signe de vie, a disparu de notre ciel.
Et la revoici, revenue d'on ne sait quels autres cieux, de quelle autre tempête. Entre deux escales vagabondes, niche sur Paris, n'est plus seule, un groupe s'est formé autour d'elle, Michel est à la batterie, Didier à la basse, Cedric à la guitare, Loréann', guitare sèche et voix humide. N'en sont qu'aux balbutiements, viennent de monter un répertoire de reprises, Rolling Sones, David Bowie, Dire Strait, accompagnements électrique et Loreann' qui pose son timbre dessus comme la rosée sur le désert.

 

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Et puis cette vidéo, reprise de Ma Benz de NTM, tout en douceur, folk mutin, la voix qui s'amuse sur les sonorités et les musicos qui tricotent comme les chats font le dos rond. Images pas anodines, à la fureur citadine ont préféré des vues campagnardes, retour vers les vestiges du passé, l'écrin des guitares et la fêlure de la voix qui ensorcelle.
Ce n'est que le début de l'aventure. Encore quelques concerts et bientôt apparaîtront les compos. Darwin, un groupe dont il va falloir suivre l'évolution.


Damie Chad.

P.S. : Image très flou, mieux vaut regarder sur www.darwin-music.com

 

 

15/02/2017

KR'TNT ! ¤ 316 : STOOGES / KING MUD / FOBY / HOWLIN' JAWS / ANGE-MATHIEU MEZZADRI

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 316

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A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

16 / 02 / 2017

STOOGES / FOBY / MUD KING / HOWLIN'JAWS

ANGE-MATHIEU MEZZADRI

 

stoog by me

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— T’es pas allé voir le film de Jarmush sur les Stooges ?
— Si...
— Mais j’t’ai pas vu dans la salle !
— Suis arrivé à la bourre. J’avais pas trop envie de palabrer avant... Les Stooges, ça a toujours été un truc à part. Les potes avec lesquels j’écoutais ça ado sont morts, tiens, comme Dave Alexander. Picolaient trop. Alors maintenant, c’est compliqué d’en parler avec des gens que tu connais mal.
— Et t’en penses quoi du film de Jarmush ?
— Oh je sais pas quoi te dire. Le truc qui me gêne, c’est d’être assis dans une belle salle de cinéma confortable pour voir des miettes de Stooges. Le chaos, ça ne se marie pas très bien avec le confort d’une salle de cinéma de province, si tu vois ce que je veux dire. J’aurais préféré une salle pourrie comme celle de Mocky à la sortie du passage Brady, t’as des kleenex par terre et des taches de sperme sur le fauteuil devant toi. Là d’accord, on renoue avec une certaine cohérence. J’adore la cohérence, tu vois. C’est même ce que je préfère dans la vie. Si t’es pas cohérent, poto, t’es marron ! Tu me suis ? À voir ta mine, ça n’a pas l’air... Mais bon, pour revenir à tes moutons, on regarde quand même ce putain de film, parce que tous les gens qu’on y voit parlent d’un truc qui nous intéresse au plus haut point : les Stooges ! Eh oui, j’ai l’impression de rabâcher un vieux discours, mais pour des mecs comme moi, les Stooges, c’est la base, bien plus que les Stones ou tous les autres groupes. Même si t’as démarré dans ta vie de rocker de banlieue avec Jerry Lee, eh bien figure-toi que les Stooges ont remis tous les compteurs à zéro, et tout, écoute bien ce que je te dis, tout est reparti de là. Tout ! C’est à ma connaissance le seul groupe qui a été capable de démarrer avec un monster blast comme «1969». Dès le premier single, t’étais baisé. Fait comme un rat. T’avais beau blablater ah oui, blih-blah-blah Brian Jones, blih-blah-blah Charlie Feathers, blih-blah-blah Muddy Waters, t’étais rattrapé par le groove animal de «1969» et son all across the USA, et t’étais hanté par cette voix qui te rentrait sous la peau et aussi par ce riff définitif que tu rejouais sans fin sur ta petite guitare de merde, et t’avais vraiment l’impression de recommencer à vivre, mais pour de vrai, dans chaque instant de la seconde où ça se passait, tu sentais l’énergie du solo couler dans tes veines, et tu te disais, tu sais comme tu le fais parfois en t’interdisant de tricher, tu te disais : ah oui, ce truc-là, c’est vraiment fait pour moi, comme tu pourrais le dire d’une gonzesse. Tu vois, ce que j’essaie de te dire c’est que les Stooges, poto, ce n’est pas un documentaire, c’est complètement autre chose, il s’agit d’un truc qui se situe à un autre niveau, c’est l’essence même d’un style de vie qu’on choisit de vivre, et tu vois, t’es pas obligé de mettre un collier de chien comme Iggy ou de sortir ta bite à toutes les occasions, mais chaque fois que tu mettras le premier album des Stooges sur ta platine, tu mettras le volume à fond, et si t’as un peu de chance, tu rencontreras des mecs qui pensent exactement la même chose, pour qui les Stooges en 1969, c’est devenu le modèle absolu, des mecs qui préfèrent mettre leur santé en danger plutôt que d’aller travailler dans une banque ou chez un notaire, tu vois ce que je veux dire ?
— Oui, bien sûr. Mais tous les fans de rock font comme toi, ils tombent dans des excès de langage comme tu le fais. Ce que tu dis n’a strictement rien d’original. Tu as quand même bien une opinion sur le film de Jarmush ?
— J’ai trouvé ça trop déséquilibré. Trop de parlote et pas assez de musique. Pour moi, le film rock parfait, c’est Woodstock. Tu vois les Who et Sly Stone en entier et aucun putain de réalisateur n’arrive avec des ciseaux pour charcuter Sly Stone ou Pete Townshend sur scène. Tu as le cut en entier, c’est comme si tu avais assisté au concert. À mon sens, l’essentiel quand tu fais un film musical, c’est de respecter l’artiste, et donc tu évites de le charcuter quand il joue un morceau. L’abruti qui a fait Wattstax a osé charcuter les Staple Singers et les Bar-Kays, tu te rends compte ? C’est insupportable ! J’éprouve une haine incommensurable envers les charcuteurs du cinéma. Et là, Jarmush a charcuté les Stooges comme un vrai psychopathe, même dans les plans de la reformation, t’as à peine trente seconde des Stooges reformés, et bien pire, t’as presque pas de Ron Asheton qui est quand même l’âme du groupe, putain, même Jarmush semble l’oublier, Ron traite d’égal à égal avec Iggy dans cette histoire, Ron Asheton, c’est pas un gadget avec des croix de fer, un truc qu’on sort au bout de 45 minutes comme un simple témoin, tu comprends, c’est lui le point de départ, sans les riffs, t’as pas Wanna Be Your Dog, t’as pas No Fun, t’as rien ! Que dalle ! Bon d’accord, le bon côté des choses, c’est qu’on voit Iggy en grand sur un écran de cinéma, à 70 piges il a toujours cette classe infernale. C’est très impressionnant ! Dans une interview il disait qu’il s’en sortait plutôt bien : I’m not bald, I’m not fat, eh oui, ça fait toute la différence avec les gros pépères chauves qu’on voit revenir ici et là, mais en plus, Iggy est marrant, il ne dit jamais les choses avec malveillance, il est incapable de la moindre aigreur, tout ça parce qu’il a cet état d’esprit moderne qui lui a permis de faire les Stooges, tu comprends, si tu veux faire un groupe avec un son aussi hors normes que celui des Stooges, t’as intérêt d’avoir un certain état d’esprit, d’une part, et d’autre part, t’as intérêt à rencontrer les bonnes personnes. Quand tu vois Iggy assis dans son fauteuil, il te fait penser à un vieux pote en qui tu as une confiance totale, parce que tu le connais et tu le sais incapable de la moindre enculerie, je ne dis pas ça pour toi, amigo, je te parle d’Iggy et de ce qu’il inspire, tu vois, il a toujours une sorte de sourire en coin, et ça, c’est révélateur. C’est un signe physiologique, c’est à ça qu’on reconnaît les esprits farceurs, c’est-à-dire les gens qui préfèrent rigoler plutôt que de prendre les choses trop au sérieux, il a cette légèreté, cette belle insoutenable légèreté de l’être chère à Kundera, et tu comprends pourquoi il est encore là aujourd’hui, cinquante ans après ses débuts, avec cette voix de crooner des Caraïbes et cette dégaine de vieux dandy de Motor City. Voilà, pour te répondre, c’est le seul intérêt que je retire de ce documentaire : voir Iggy raconter une histoire, et là, c’est bien, parce qu’il raconte celle des Stooges. Mais on la connaît par cœur, cette histoire. Tu ne vas quand même pas me dire que ce film t’a appris des choses ?
— Si, pas mal de choses, les histoires avec le label Elektra...
— Mais mon con joli, c’est vieux comme Hérode ! T’avais déjà tout ça dans Creem, le canard de Detroit, et t’as au moins trois bouquins vachement bien foutus sur les Stooges et hyper documentés. Mais c’est vrai que le docu rendra service à ceux qui ne lisent pas. D’autant plus que les bouquins dont je te parle ne sont même pas traduits en Français, donc c’est cuit aux patates. Mais tu vois, pour revenir au film, j’aurais préféré un Woodstock avec les Stooges et le MC5, c’est la meilleure façon de restituer l’énorme impact qu’ont eu ces deux groupes sur tout ce qui a suivi, et notamment en Angleterre. Sans eux, pas de Pistols, pas de Damned, donc rien du tout. Les Anglais auraient sans doute continué de bouffer du Pink Floyd ! Au fond, et pour te dire les choses franchement, je ne suis pas convaincu que ce film puisse vraiment servir la légende des Stooges. Il manque un truc de base : la démesure. Tu vois, avec Metallic KO et Telluric Chaos, Skydog a mieux servi la légende des Stooges que Jarmush avec son documentaire.
— Si ça manque d’archives cinématographiques, c’est parce qu’elles sont bloquées pour des questions de droits, à ce qu’on dit. Wayne Kramer disait dans une interview qu’il venait de voir des rushes extraordinaires d’un film sur le MC5 qui est lui aussi bloqué pour des questions de droits.
— Ben dis donc, camarade, heureusement que les Stooges n’étaient pas bloqués pour des questions de droits, parce qu’on serait tous obligé d’écouter les Cars et ton copain Stong ! Tu te rends compte des conneries que tu peux débiter ? On s’en branle qu’il y ait des problèmes de droits ou de pas de droits, tu comprends, on voit une affiche avec écrit en gros Gimme Danger et en dessous tu vois Iggy à l’époque de Metallic KO, alors ? Ben alors on s’attend au meilleur film de rock de tous les temps ! C’est quand même pas compliqué à comprendre ! Là, t’as tout juste un docu pour Arte. Avant j’aimais bien Jarmush, parce qu’il avait filmé Screamin’ Jay Hawkins dans un hôtel de Memphis et ça avait de la gueule. Maintenant, je le mets dans le même sac que les charcuteurs. Il aurait pu au moins nous laisser le No Fun de la reformation en entier, putain, le son commençait à faire vibrer le sol et tu sentais les vieilles énergies remonter par les bottes ! Putain, tu renouais avec la clameur du set au Zénith, quand des milliers de cervelles tombaient dans l’escarcelle magique des Stooges, et là t’avais un vrai truc, une revanche sur le temps, les Stooges revenaient en vainqueurs, enfin, tout ce que je te dis, ça ne sert à tien, la réalité reste la réalité, elle est incapable de faire autre chose que d’être la putain de réalité. On ne revivra le set des Stooges au Zénith que dans nos souvenirs. Tu vois, tout ce que j’espère, c’est que des gens qui ne les connaissent pas et qui verront ce film à la télé auront envie d’écouter leurs disques ! Tiens, il y a même un vieux dans le cinéma qui m’a interpellé à la fin du film pour me dire : «Oh ça donne envie de réécouter leurs albums !». Pas mal le vieux, hein ?


Signé : Cazengler, le stoo-venant


Gimme Danger. Omnia. Rouen (76). 25 janvier 2017
Jim Jarmush. Gimme Danger. 2016

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GIMME DANGER
JIM JARMUSH


( DOCUMENTAIRE / 2017 )

Non, je ne connais pas, cela ne me dit rien. Mais comme c'était un employé gentil, l'est allé chercher le directeur. Lui, il en avait entendu parler. M'a regardé comme si j'étais un fou furieux échappé de l'asile. Ah ! Le film avec ce groupe de rock très spécial ! Me suis senti obligé de temporiser ce jugement de valeur par trop approximatif, les Stooges, un des meilleurs groupes de rock'n'roll in the world ! Oui, oui, peut-être – règle d'or du commerce ne jamais contrarier un client – très spécial, nous ne le passerons pas ici, Provins n'a pas la clientèle, vous le trouverez sur Paris, mais dépêchez-vous, l'est en première semaine, en France, il ne restera pas longtemps, n'y a pas de public pour ce genre de groupe très, comment dire, spécial.
J'ai bondi dans la teuf-teuf et en route à la recherche de l'Iguane. Pas eu besoin de galoper jusqu'aux Galapagos, l'était encore à l'affiche, dans trois cinoches. N'avait pas tort le dirlo, relégué dans la petite salle, soixante-cinq fauteuils inoccupés, quinze quidams éparpillés sur les sièges.
Voudrais pas avoir l'air de l'éternel râleur, emmenez votre petite nièce voir un dessin animé, la moindre coccinelle qui se hasarde sur une brindille, vous avez l'impression qu'on déracine un séquoia au bout de la rangée. Je me disais, ah ! Les Stooges, ça va cracher dans les enceintes. L'on en ressortira la gueule arrachée, les tympans troués, les esgourdes saignantes. Avec un peu de chance quand je traverserai la rue avec mes oreilles sifflantes je n'entendrai même pas la voiture qui m'écrasera, voir les Stooges et mourir, que pourrait-il m'arriver de mieux dans ma vie ! Une véritable fin digne d'un rocker ! Eh ! Bien non, niveau sonore, le Jarmush il a dû embaucher le sonorisateur de la biopic sur Dalida, le gars ne s'est pas fatigué l'a équalisé sur tous les extraits, les paroles comme les concerts. Ça ne ronronne pas plus fort que la machine à laver remisée au sous-sol. Question son, Jarmush is not too much.

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Questions images ? L'a récupéré ce qu'il a pu trouver. Pas mal de photos, quelques vidéos d'époque, les émissions télé, l'a tout découpé et l'a remonté le puzzle à sa manière. L'a tenu à ce que le spectateur ne se perde pas dans le kaléidoscope, l'a donc déroulé l'histoire dans l'ordre chronologique. Pour les pièces manquantes quand il a eu des trous noirs l'a adopté la technique de La Panthère Rose ou de La Grande Escroquerie du rock'n'roll, le dessin-animé sommaire qui permet de reconstituer en pointillés les chaînons manquants.
Un bon point. A cerné ses sujets. N'a pas interviewé le voisin de la belle-soeur du concierge de l'immeuble d'en face qui a vu les Stooges débarquer au studio en un état indescriptible. Même pas les témoins du deuxième cercle. Remarquez l'aurait eu un peu de mal. Cinquante après, l'aurait dû faire la tournée des cimetières. L'a concentré ses efforts sur les protagonistes eux-mêmes. N'en reste qu'un. Iggy l'immortel. Pour les autres n'a pas utilisé la technique des tables tournantes, l'a repris des interviews récapitulatives de leur carrière réalisées après la reformation de 2002, avant qu'ils n'aient la mauvaise idée de passer la guitare ou les baguettes à gauche. Cela vous a un petit air reportage d'Arte, Eric Burdon sur son canapé qui vous conte le swinging London ou les hippies d'Amérique. Je n'ai rien contre les canapés, mais enfin ce n'est pas un meuble très rock'n'roll.

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Quoi qui disent ? Rien d'intéressant pour les vieux briscards qui suivent les Stooges depuis leur premier album. Connaissent déjà toute la saga. Par contre pour ceux qui arrivent frais comme des bébés-Cadum, ils engrangeront la totale. Z'oui mais encore ? Deux constatations, aucune nostalgie, aucune animosité dans leurs propos. Ne sont pas là à nous déblatérer le pathos. Pas pleurnicheurs pour un sou. Zéro Calimero. Ne sont pas des teckels aux yeux humides qui agitent la queue et qui font les beaux pour qu'on leur octroie le susucre de la pitié. Les Stooges ne mendient pas. Ne se la jouent pas non plus à la rock'n'roll star, coucou on était les plus beaux, on était les meilleurs. N'usent même pas de l'insupportable fausse modestie. Racontent simplement, ne se vantent de rien. Rapportent les faits. Tels qu'ils les ont vécus. N'avaient pas l'impression d'accomplir des exploits impérissables. Se sont contentés d'être ce qu'ils étaient et de faire les choses comme ils pensaient qu'ils devaient les faire.
Ont tout sorti d'eux-mêmes. Leur grande force. Ont commencé comme tout le monde par former un groupe au lycée. Et puis ils ont continué. Des cabours qui n'en faisaient qu'à leur tête. Mais sans œillères. Les oreilles aux aguets. Z'écoutaient les disques de l'époque, plus un plein de blues et du jazz. Pas le style ou le genre qui les intéressait. Plutôt la pâte sonore, le traitement du son. Se sont focalisés sur leurs instruments, n'étaient pas des virtuoses, se sont motivés, dix mille fois sur l'ouvrage ils ont remis le riff jusqu'à ce peu à peu la mayonnaise prenne. Idem pour Iggy, l'avait une belle voix, mais ça ne suffit pas. L'aurait pu singer Elvis et chantonner n'importe quelle babiole, non l'a fondue dans la musique, contrairement à ce que l'on croit, le bijou scintille encore plus fort dans la noirceur de l'écrin que sur la poitrine des femmes.

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N'étaient pas les seuls à l'époque, même que le Velvet Underground les avait déjà précédés sur la pente sauvage de la musique, et surtout le MC 5 qui avait réalisé les essais moteurs plus que satisfaisants. Oui mais la meute du Lou était un peu trop arty, et les mécanos de Détroit un peu trop politiques. Les Stooges n'étaient rien de tout cela, les belles idées leur passaient un peu au-dessus de la tête. Pas assez branchés, trop bruts de décoffrage. Ne comptaient que sur leur propres forces. Le rock and roll et rien d'autre. Aucun additif. Aucun complément alimentaire.
La postérité leur a rendu raison. Jarmush déroule une impressionnante série de pochettes de groupes ultérieurs qui ont sinon revendiqué l'héritage du moins paré au plus pressé en reprenant ( en tentant de reprendre ) leur son si caractéristique. Vite, fort et violent. Des Sex Pistols aux Dictators, des Ramones aux Vibrators, des centaines de combos qui se sont précipités dans cette manière hardcore de jouer. Cet art de vomir son énergie sur scène. Les Stooges ce serait plutôt l'art de rendre l'âme. Autrement dit un engagement corps et esprit, métaphysique physique. Les Pistols ont cru nous atterrer. Nous ont refait le coup nietzschéen de l'annonce de la mort de Dieu. Pas de futur pour le rock'n'roll ont-ils proclamé haut et fort. Pas de panique. Les Stooges nous avaient assuré que ce n'était pas grave car le rock'n'roll se mouvait dans l'éternelle présence de sa propre démesure.

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Jeu dangereux. L'on ne chevauche pas le tigre impunément. Soit vous faites peur aux  commensaux qui au début vous trouvaient sympathiques, soit l'accariâtre bestiole se retourne et vous mord. A mort. Les Stooges auront droit aux deux solutions. Les maisons de disques qui se débarrassent au plus vite de cette machine de guerre incontrôlable. Et qui surtout ne rapporte guère de cash. Les serpents de la drogue qui s'enroulent autour de vous, ce n'est point pour vous apporter la chaleur humaine qui vous manque, au contraire pompent la vôtre et vous laissent sans force. K.O. Mais Metallic. Z'auraient quand même pu préciser que c'est Marc I wanna be your Skydog Zermati qui sortira le disque en notre douce France. L'Amérique ne voulaient plus de ces lansquenets jusqu'au boutistes du rock. S'étaient d'abord retrouvés en Angleterre - les mêmes tribulations dix ans plus tard que Gene Vincent et Eddie Cochran – invités par Bowie et abandonnés par Defries, et puis Iggy sauvé in-extremis sur notre terre d'asile idéologicrock nationale. Juste un tremplin, mais arrivé au bon moment, qui lui permettra d'assurer une continuité et de rebondir.
L'Iguane est devenue une icône. Sans sa survie nous n'aurions pas eu ce film. Parle pour les autres. N'en tire aucune gloriole. Evite les discours et les médailles de l'ancien combattant. Ne revendique aucun privilège. Ne gomme rien, et ne surligne rien. Parle aussi pour lui. Se définit. La nudité de l'être. Rien d'autre. Ni ceci, ni cela. Faites le lien métaphysique avec son torse dénudé sur scène. Pas Gimmick Danger. Sachez opérer la différence. Gimme Danger. S'exposer, tel qu'en soi-même. Crier par toutes les pores de sa peau, danser jusqu'à ce que le sang sacrificiel coule. Rien à voir avec une vision christique. Mais oui pour le sang du poulet que l'on égorge dans les cérémonies vaudou. Le rock est une corrida, mais c'est le taureau qui simule et signe – toute l'ambiguïté rock en ces trois mots - sa propre mise à mort. Car l'on ne peut faire confiance à personne d'autre que soi.
En attendant courez voir ce film avant qu'il ne disparaisse des écrans. De temps en temps, l'on a le bonheur d'apercevoir Iggy et les Stooges sur scène. Nettement insuffisant, mais déjà beaucoup.

Damie Chad.

Mad King Mud

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Quand on voit Freddy J IV s’installer sur son siège de batteur et tester les cordes de ses trois guitares, c’est tout le Wild West qu’on voit s’asseoir. Avec son visage taillé à la serpe, son regard clair, l’indescriptible fouillis de ses cheveux et de sa barbe jaunâtre, sa mauvaise casquette usée par les ans, sa chemise de bûcheron ouverte sur un T-shirt innommable et le confort un peu lâche d’un jean trop lavé dans les rivières, il semble venir d’un campement de mineurs, mais pas ceux que vous voyez à la télé dans des reportages, pas ceux du bassin et de la salle des pendus, non, pas du tout, celui-là sort tout droit de l’un de ces campements de mineurs de cuivre incrustés comme des chancres au flanc d’un mont des Appalaches, au siècle d’avant le siècle dernier, dans les années 1850.

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L’homme s’accorde d’une main fébrile, avec de gros gestes brusques, il grommelle des choses inintelligibles, il renifle et se racle la gorge, crache derrière l’ampli, s’essuie le nez du revers de la manche, il se prépare à jouer exactement comme s’il se préparait à affronter une bande de rôdeurs repérée dans les bois juste en dessous du camp, il sait que la vie ne tient qu’à un fil et qu’il n’a pas le droit à l’erreur, ces racailles vont attaquer le campement dans la nuit pour s’emparer des armes et des chevaux, alors il se prépare, il souffle comme un cheval de bât, il fourbit ses guitares comme s’il chargeait ses sept cartouches dans le magasin de son fusil Spencer. Oui, c’est vraiment l’impression qu’il donne. Il ramasse ses médiators et ses bottle-necks éparpillés au sol pour les ranger dans une petite boîte, exactement comme s’il ramassait les cartouches jetées à terre après avoir chargé le magasin de son précieux fusil. On voit aux grosses veines qui sillonnent ses mains qu’il est sous tension maximale.

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Il parle tout seul, le regard vissé sur le manche de sa guitare, une SG Gibson grise un peu crasseuse. Il attend que les autres soient prêts. Van Campbell s’installe derrière les fûts. Comme Freddy, Van n’a pas d’âge. Il porte le cheveu court et un T-shirt déclassé. Il semble beaucoup moins tendu, mais peut-être cherche-t-il à donner le change. Un jeune type trop bien habillé et extrêmement chevelu les rejoint avec une Fender bass en bandouilière. Soudain, Freddy pousse un hurlement et met en route une véritable machine infernale. Yehh ouuuhhh !

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Eh oui, ce mec est un phénomène unique au monde. Il est probablement aujourd’hui blasteur le plus sauvage d’Amérique. Il joue tout en accords ouverts et crée par moments d’extraordinaires phases de tension sonique sur un accord complètement inconnu, et il gueule, il faut voir comme il gueule, il gueule tout ce qu’il peut gueuler, il gueule avec l’énergie de la sauvagerie poussée à un degré qu’on ne connaissait pas. Il gueule tellement qu’on craint pour sa voix, mais non, il hurle dans l’œil du typhon, il explose les limites du guttural, il charge à la tête d’un bataillon, c’est un diable magnifique, complètement possédé, atrocement pur. Il réinvente ce trash-punk-blues qu’on croyait éculé par trop d’excès, par tous ces Immortal Lee County Killers et tous ces Big Foot Chesters, et il va même jusqu’à transcender le trash du blues jusqu’au trognon. Il développe une énergie qui dépasse tout ce qu’on sait de l’énergie, c’est l’homme des bois qui tâte du trash, il tape ses cuts comme il tape la hache dans le tronc, il le fait avec une violence inouïe, avec un mépris absolu de toutes les lois de la physique, il se bat avec le rock comme s’il se battait avec les éléments, c’est eux ou moi, pas de discussion possible, tu veux jouer, gamin, alors écoute ça ! Et il envoie sa reprise du «Keep It Out Of Sight» de Doctor Feelgood, il recrée comme par magie tout le monde de Wilco sur son manche, mais de façon totalement bestiale, avec un son qui tourbillonne. Son bras droit dégouline de sueur, le tablier de sa SG ruisselle, vous n’avez pas idée de cette démesure, la violence jaillit de partout en lui, pas seulement de sa gorge en feu, c’est tout son corps ramassé sur le tabouret qui dégage de la fumée et de la chaleur humide, et il gratte ses cordes d’une main repliée alors que les doigts de sa main gauche dansent sur le manche un ballet incroyablement rudimentaire. Les veines de ses mains sont tellement gonflées qu’on s’attend à les voir exploser.

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Entre chaque cut, il fait le con, comme s’il était ivre de carnage, il roule des yeux et lance des motherfuckers d’une voix tellement sourde qu’on le croit devenu aphone, il se frappe la poitrine à grand coups et lance des love you louen complètement hystériques ! Et paf, on prend dans les dents une monstrueuse version du «Goin’ Down» de Don Nix qui fait oublier celle du Jeff Beck Group pourtant donnée comme la meilleure, mais camarade, Jeff Beck a beau être Jeff Beck, Freddy explose jusqu’a son souvenir, car le Goin’ Down qui descend sur le Kalif descend tout droit des enfers, oui, les enfers qu’on préfère, la maison-mère du trash et du sel de la vie. C’est exactement ce que Freddy répand autour de lui : le sel de la vie.

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Si vous n’avez pas la chance de voir ce mec jouer sur scène, l’album de King Mud vous tend les bras. Car quel album ! Même si on connaît tout ce que Freddy fait avec Left Lane Cruiser, écouter cet album relève du devoir pour tout amateur de trash-blues un peu élaboré. On retrouve sur Victory Motel Sessions la fameuse reprise de «Keep It Out Of Sight». Freddy fait bien gicler le riff de Wilco et ça coule droit dans l’oreille. Il fait une autre reprise de choc avec ce vieux standard des Them qui s’appelait «I Can Only Give You Everything». Là, nous ne sommes plus à Belfast, mais dans un endroit dix mille fois plus sauvage, quelque part dans l’Indiana. Freddy et Van sont sur le beat, comme le beletman sur la belette, et ce qu’on entend, en réalité, ce n’est pas la reprise d’un vieux standard garage, mais le pas cadencé des éléphants de Scipion l’Africain au passage d’un col des Alpes. C’est d’une puissance barbare complètement dévastatrice, c’est atrocement bien battu, ils jouent ça au binaire de la jugulaire. Si ces mecs-là commencent à taper dans le garage, on sent que beaucoup de groupes vont devoir prendre une retraite anticipée, car enfin, qui oserait se présenter sur scène à la suite de tels démons ? On trouve aussi sur cet album un clin d’œil aux Stones, un truc qui une fois de plus laisse coi, «Take A Look», un peu pop, c’est vrai, mais tellement ambitieux au plan composital qu’on s’en effare. On voit bien que Freddy l’anti-héros aspire à d’autres horizons ! Encore un violent coup de Jarnac avec «War Dancing» ! Eh oui, voilà que ces messieurs décident tout simplement de sonner comme Motörhead. Oh pour eux, c’est un jeu d’enfant. Les Appalaches en 1850, c’est quand même autre chose que Londres en 1980, tout le monde le sait bien. Il faut entendre le numéro que fait Van Campbell derrière ses fûts ! Il sonne exactement comme ce fou de Mickkey Dee et bien sûr, Freddy joue sous le boisseau, exactement comme Phil Campbell. Si on a encore besoin d’être impressionné, dans la vie, il faut écouter ça. Tout aussi spectaculaire, voilà «But Time», le cut d’ouverture, joué au riffing compulsif. On y note l’excellence d’un beat démoniaque. Van the man ne plaisante pas, on l’a compris quand on le voit jouer sur scène. Sur disque, c’est exactement la même chose : une fournaise, une vraie pétaudière à deux pattes. Quant à Freddy, il n’en finit plus de faire rôtir ses notes en enfer. Il reste bien sûr ancré dans le blues, mais il va parfois tenter l’aventure d’un riff gras et commettre le péché d’orgueil en visant l’ambition salutaire. Oh, ce n’est pas si grave, cette nuit, sous sa petite tente, Freddy sortira sa vieille bible de son havresac et il marmonnera une prière pour laver ses péchés, mais d’une voix sourde, pour ne pas troubler son ami Van, allongé à côté et plongé dans ses pensées.


Signé : Cazengler, le riki-King

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King Mud. Le Kalif. Rouen (76). 9 février 2017
King Mud. Victory Motel Sessions. Alive Naturalsounds Records 2016

11 – 02 – 2017 / BRUNOY ( 91 )
LE COMMERCE

FOBY

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Voudrais pas jouer le pépère la morale mais n'écoutez pas vos amis, surtout s'ils ont un plan B à vous proposer pour le week end, ne cédez pas à la tentation, tirez-leur une balle dans la tête, et passez à autre chose sans remords. Vous ignorez à quelles turpitudes vous vous exposez. Je parle en connaissance de cause, Mister B, mon spécialiste guitare, qui a un collègue de boulot, qui comme par hasard leade la guitare dans un groupe de rock, qui donne un concert pas très loin, à Brunoy. Le lecteur intelligent sent se profiler la suite de l'aventure. Sur le papier, c'est très jouable, et nous voici partis en toute innocence pour une soirée de folie, à vous filer la phobie du rock'n'roll jusqu'à la fin de votre vie. Ou alors à conforter votre immodérée appétence pour cette forme de musicale de jouissance sauvage. Disons que cela dépend de votre native postulation envers l'aspect dionysiaque de votre existence. Dans ce deuxième cas, vous remerciez votre ami.
Brunoy, une ville labyrinthe, d'ailleurs dès que l'on aborde les premières ruelles, le GPS se bloque et refuse de nous guider. Pas de panique, la teuf-teuf suit son instinct et nous dégote une place de stationnement en trois minutes. Ne reste plus qu'à poursuivre à pied. Non, le jeune couple auprès duquel nous nous enquerrons de la localisation de la rue idoine ne connaît pas, mais dès que nous précisons le café, Le Commerce, les visages s'éclairent – signe prémonitoire auquel stupidement nous ne prêtons aucune attention – tout simple, juste à côté de la banque. Et en effet, deux minutes plus tard, voici la banque, et juste à côté Le Commerce.

LE COMMERCE


Pour que vous compreniez bien la suite des festivités, vous avez besoin d'un rapide croquis. A droite le comptoir, à gauche Foby qui peaufine la balance, au milieu un étroit passage, au jugé, un espace de six mètres carrés qui permet d'accéder au reste de la salle. Dans un renfoncement à droite les pizzaioli s'activent méchant, à gauche des tables serrées comme une phalange macédonienne, squattées par des mangeurs de pizza, au fond un goulet d'étranglement qui mène à une salle de restauration à laquelle nous n'accèderons jamais. Ce doit être un peu comme l'entrée du paradis, beaucoup de monde et peu d'élus, une queue d'une trentaine de personnes attendent patiemment. L'en rentrent des fournées d'autres, qui repartent déçues l'oreille basse et la mine contrite, et d'autres tout guillerettes qui prennent un verre et leur mal en patience tout en formant un agglutineux bouchon devant le comptoir... bref quand une heure plus tard Foby entame les hostilités, vous avez plus de quatre-vingt impétrants qui forment une masse compacte et néanmoins ultra-mouvante, sur les six mètres carrés qui séparent le groupe du comptoir.
Mais ce n'est pas tout. A l'image du couloir rhodanien, vous avez l'autoroute qui passe au milieu. Surchargée. Une file ininterrompue qui entre et une autre tout aussi ininterrompue qui sort, plus une troisième qui entre et qui sort sans arrêt. Du monde dehors sur le trottoir qui fume, boit, rit, discute, parle fort, une foule dedans, qui rit, qui boit, qui hurle, qui invective, qui gigote, qui acclame. Ambiance explosive, à la merci du moindre carambolage. Heureusement les pompiers sont là. Une sympathique escouade d'intervention de joyeux drilles remuants, assiège le comptoir et écluse les barils de bière, se démènent comme des fous, supportent à mort les musiciens, incitent les messieurs à pogoter, et s'empressent auprès des demoiselles à qui cet aspect de franchise virile ne semble point déplaire.

FOBY

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Ne les oublions pas. Sont les principaux fautifs, les coupables initiateurs, les responsables patentés, de ce cette démence fobique, de cette folie douce, qui s'emparera de l'assistance tout au long de la soirée. Réservons-leur davantage de place qui ne leur fut octroyée par l'exiguïté et le surpeuplement des lieux. Au fond scotché contre le mur, le brave des braves, Rocco le rouge, chevelure corbeau et T-shirt Dakota écarlate, martèle les tambours de guerre. Infatigable, une machine que rien n'arrêtera, pas un seul signe d'essoufflement, pas une once de ralentissement, un jeu perpétuel entre caisse claire, charleston et cymbales, une phénoménale éructation glapissante qui d'emblée oblige ses camarades à se mettre au diapason de cet incessant tempo foutraque.

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Devant lui la ligne mouvante de ses acolytes pratiquement entremêlée à la première rangée des spectateurs. A gauche Robby, guitare rythmique, anneaux aux oreilles, dégaine mods, un air à la Pete Townshend, un qui n'est pas né de la dernière pluie, l'aura un dur travail à effectuer toute la soirée, veiller à ce que subsiste au milieu du tumulte qui ne cessera de croître, à ce que la structure métronimique des morceaux ne soit jamais perdue, ou du moins sans cesse retrouvée. A gauche Thierry, cheveux blonds et doigts agiles, coincé à tel point contre son Marshall qu'il n'entend d'autre son que celui de sa guitare, devra sans arrêt à la demande générale hausser le potentiomètre de sa lead afin que l'on goutât pleinement ses subtils déliés et ses acrobaties sans balancier sur cordes électrifiées, à sa droite Mathieu, collier de barbe et basse tonitruante grooveuse à souhait, émétrice d'ondes grasses et glousseuses comme les chapons du Gers.

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Enfin, the last but not le dernier de la liste, Fred, tient l'orchestre et le public dans sa voix. Peuvent taper dans n'importe quel recoin du répertoire, il assure le liant, tout passe et rien ne casse grâce à ce granit inusable, sans faille, qui s'accapare et recrache les morceaux de tous les genres et de tous les styles. C'est lui qui unifie la set-list. Que des reprises, de Jacque Dutronc ( revu et corrigé par les Rats ) à David Bowie en passant par James Brown. Le panel est large. Perso, je les induirais à fomenter leurs propres compos, afin de dégager un style qui leur appartienne car ils possèdent toutes les qualités requises pour nous traficoter ces cartes biseautées qui permettent de remporter toutes les parties. Mais Foby a choisi de miser sur l'énergie. Et il faut l'avouer qu'ils ne l'accumulent pas en avare, la distribuent généreusement, la laissent couler comme une source torrentueuse et kaotique inépuisable.

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Le premier set reste dans les limites de l'acceptable humain. A fond la caisse et les anges sur le capot qui évitent les sorties de route. Ne chôment pas, mais on veille au bar, sont incessamment ravitaillés en plein vol de longs bocks plastifiés de bière maison, au goût prononcé de revenez-y selon les nombreux amateurs de l'assistance. Juste un arrêt plateau premier secours, pour les one shots réglementaires, un peu comme cet éther que l'on versait et dans les temps lointains et dans les réservoirs des solex afin de surmultiplier leur vitesse de croisière. Coupure de vingt minutes, et l'on change de dimension. Tout début du second set, Max est demandé, le voici qui arrive vivement supporté par le choeur des pompiers qui psalmodient un max, se saisit d'une guitare grand V agressif de Violente Victoire Vindicative et tel Zeus lançant l'éclair il tonnerrifie et torréfie l'assistance d'un grondement continuel auquel Thierry se hâte d'ajouter quelques éblouissances d'éclair de foudre, un petit Motörhead à réveiller les mânes de Lemmy, immédiatement suivi de ce qui n'aurait jamais dû advenir, un Antisocial, la version la moins antisociale que j'aie jamais entendue, celle qui donne dans le consensus, pas le mou, l'autre, le dur, l'impitoyable. Jusqu'à lors, l'on était serrés comme des macaques dans une caque à harengs mais des renforts inopinés surgissent de toutes part, le morceau truste les âmes de bonne volonté, une invasion de fourmis, de dehors, du dedans, de tout sexe et de tout âge, des grands-mères qui se sentent une âme de cougar déchaînée, des intellectuels à lunettes qui pointent une barbichette éméchée, des jeunes filles en fleurs qui fendent l'indescriptible cohue, se collent à vous et vous éperonnent de leurs seins turgescents, des amatrices quinquagénaires qui dégainent des tablettes aussi larges que des postes de télévision, des célibataires en rut qui paluchent à toutes mains des corps féminins fort accueillants, des jeunes, des vieux, des gros, des maigres, et au-milieu de tout ce salmigondis humain l'orphéon des pompiers qui attisent de leurs voix de stentor le feu héraclitéen de la destruction. Le Lenny Kravitz qui suit n'apaisera pas la transe collective, confortera cette osmose entrecroisante des individus délivrés de toute inhibition. Survient un moment où l'on ne sait plus où sont les musiciens et où sont les spectateurs. Ne cherchez pas Fred le chanteur, vous l'entendez mais il est à genoux essayant de récupérer son classeur à paroles, - à la fin de la soirée sera devenu une informe pâte à papier imbibée de bière – mais les sapeurs n'oublient pas leur devoir d'assistance à personne en danger, se saisissent de lui et le hissent à bout de bras, voudraient bien le promener un peu partout, mais la foule est si dense qu'à part un mouvement d'avancées et de reculs de cinquante centimètres la manoeuvre se révèle impossible, jamais à cours d'expédients nos sauveteurs brevetés vous le basculent et vous le rejettent fort professionnellement sur l'entremêlement des pieds de micro, des câbles électriques et des pédales wha-wha qui du coup miaulent désespérément tel un crotale dont vous avez par un sadique plaisir écrasé la queue, traitement de faveur qui a l'air de totalement satisfaire notre cantaor qui durant toute la séquence mouvementée n'a cessé de vociférer dans son micro. Un Jacques Brel à faire bouffer des bretzel à vos bretelles, un Heroes à vous précipiter sur le champ de tir, un début de Whole Lotta Love abandonné on ne sait trop pourquoi, mais tout le monde s'en moque, l'on est en train d'osciller entre l'orgie néronienne et l'ardence sardanapalienne, les Foby en folie ne sont guère phobiques, suscitent plutôt l'attirance universelle des corps et des esprits. Finissent sur des grooves plus modernes sous les clameurs, les accolades et les embrassades. Z'ont tout donné, z'avons tout pris. La liesse ne fut pas tenue en laisse... Innocence de la perversion ou perversion de l'innocence ? s'inquièteront les moralistes. Je vous laisse méditer. Je ne voudrais pas influencer votre jugement. Ce qui est sûr : une soirée de Foby douce, une nuitée rock'n'roll. Si vous avez mieux à proposer, téléphonez-moi.


Damie Chad.

( Les photos ne correspondent pas au concert )

 

CLIP ! CLIP ! CLIP ! HOURAH !
TOUGH LOVE / HOWLIN'JAWS


-Toc ! Toc !

Etonnez-vous que le monde courre à sa perte ! Pas moyen d'avoir cinq minutes de tranquillité ! Même dans la prestigieuse Université de Berkeley ! Les étudiants ont toujours quelque chose à demander ! J'ai pas compris ceci ! J'ai pas compris cela ! Me reste encore à terminer deux cents pages de mon bouquin à paraître sur Sid Vicious et la Pensée Platonicienne, un ouvrage qui va révolutionner la critique rock et qui me vaudra à coup sûr le Nobel de littérature !

- Au secours ! Au secours !
Splank ! La porte qui s'ouvre ! N'a pas froid aux yeux la donzelle ! Regardez-moi, ce sourire canaille et ses dents de jeune louve qui ne demandent qu'à mordre !

- Au secours ! Au secours ! Monsieur le professeur !
Et pas gênée avec cela ! Elle vient s'asseoir sur mes genoux ! Et ce sourire... comment dire... engageant... complice même... voire coquin...

- Madnoiselle, je devine que vous êtes en situation de détresse avancée, rassurez-vous, je suis là ! Expliquez-moi votre situation, je ferai tout mon possible !

- Monsieur le Professeur, vous êtes le seul homme sur cette terre qui puissiez m'aider, je vous en supplie, ne me laissez pas dans l'adversité ! Ne me refusez pas votre aide ! Je vous en serai reconnaissante jusqu'à la fin de ma vie ! Vous pourrez me demander tout ce que vous voudrez ! Vous êtes mon sauveur !

- 'Noiselle, venons-en au fait ! Je ne peux rien entreprendre si vous ne me donnez point au moins quelques indices !

- Oh, oui Monsieur le Professeur, je sens en vous l'homme d'action et de conseil qui me manque ! Voilà, c'est au sujet de l'exercice de TP ! Chaque étudiant doit présenter un clip de moins de cinq minutes sur un morceau de son choix ! J'ai choisi de reprendre le tube de Patti Labelle, Lady Marmelade, vous savez là où elle chante en français : «  Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? »

- Oui !

- Oh ! Monsieur le Professeur, vous êtes un homme de décision rapide ! Et doté d'un humour irrésistible ! Mais avant il faut que je vous explique. J'ai enregistré la chanson, j'ai rédigé le scénario du clip, mais l'Armée Américaine ne veut pas ! J'avais imaginé un porte-avions, le ciel, un avion qui tourne autour et puis surprise, un lâcher de trois éléphants en parachute ! Veulent bien me prêter le porte-avions mais ils n'ont pas d'éléphants. L'Amiral m'a dit qu'il était prêt à se couper en quatre pour moi, et il a proposé de larguer ses trois chihuahuas personnels à la place ! Mais moi j'avais prévu que la trompe des pachydermes viendrait se glisser sous ma mini-jupe chaque fois que j'aborderai le refrain « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? » et le plan final ultra-romantique, sur le fond bleu du ciel, je repars en avion et le plus beau des éléphants me fait un signe d'adieu en agitant au bout de sa trompe ma culotte rose toute mouillée, bref tout a foiré, et je viens vous demander conseil !

- Restez bien collée à moi 'Noiselette, nous allons débrouiller la situation, je sens que c'est urgent. Ce sera vite fait. Le temps de regarder deux vidéos. La première, je l'intitulerai «  Ce qu'il ne faut pas faire » . Si vous le permettez, je commente.

- Oh ! Oui Monsieur le professeur, vous avez un vocal organe si envoûtant !

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- Je résume votre problème. Une belle idée de clip mais pas les moyens financiers de le réaliser. Mais comment réussir tout de même à faire le buzz sur le net ? Avec les trois pauvres bouts de ficelle de la débrouille personnelle ! Voici donc l'exemple déplorable à ne pas suivre. You Tube, Sleepwalkin, Howlin' Jaws, l'un des meilleurs groupes français du moment. Admirez le manque d'imagination, ils ont photographié la pochette – fond jaune et eux trois devant - de leur premier single, et c'est parti pour un plan fixe de deux minutes cinquante huit secondes. Pour les oreilles c'est parfait, mais question image, c'est Waterloo morne plaine, une véritable invitation au suicide !

-Tout à fait d'accord avec vous, Damie, vous permettez que je vous appelle par votre petit nom mon chéri, sont comme ces garçons qui parlent beaucoup, qui laissent espérer, et qui au moment venu n'agissent pas. N'y a rien de plus déprimant ! Ne sont pas comme vous, ont oublié que la vie sourit aux audacieux, mon chou !

- Oh baby, je vois que vous comprenez vite ! Passons maintenant à Ce qu'il faut faire. Trois bouts de ficelle encore, mais un maximum d'imagination ! You Tube, Tough Love, Howlin' Jaws, exactement le même groupe ! Un des meilleurs, je me répète.

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- Damie ! Je ne comprends pas ! C'est le même plan, la pochette du disque – fond bleu et eux trois devant - et leur air bébête, des garçons qui gardent leurs mains dans leurs poches, je croyais que ça n'existait pas, heureusement que vous n'êtes pas comme cela Damie ! Oh regardez, il y en a un qui bouge ! Et le deuxième sort une cigarette de sa poche, il fume, et l'autre qui mord dans une chocolatine. Tiens il part ! Oh, il revient avec sa guitare. Oh, un micro et le grand devant qui chante et la batterie qui passe à toute vitesse dans le fond ! On se croirait dans un dessin animé ! M'a fait un signe, le brun ! Et sa grosse contrebasse qui prend toute la place ! Et le blond qui gratte le dos de sa guitare, il exagère ! Le batteur qui se lève pour claquer ses baguettes comme une gueule de crocodile, celui-là on dirait qu'il fait du skate ! C'est fini ! c'est trop injuste ! Ne reste plus que le fond bleu du disque ! Non, ils reviennent et ils bombent le titre du morceau ! Quel style, et ces casquettes à hélice ! Génial ! Génialissime ! On ne s'ennuie pas une seconde. Des garçons que l'on pressent entreprenants rien qu'à les regarder bouger. Et si rock !

- Oh baby, je sens que la leçon est comprise !

- Je suis toute émoustillée, avec trois bouts de ficelles, et leur agitation de spermatozoïdes affolés ! J'ai tout compris. J'vous fais une bise Monsieur le Professeur ! Vraiment le meilleur enseignant que je n'ai jamais eu. Quelle leçon ! En moins de dix minutes ! Désolée pour ce soir, je suis sûre que vous comprenez, mais franchement auprès des Howlin' Jaws, vous n'êtes pas de taille à lutter ! je file à l'aéroport, faut que je trouve un avion pour Paris au plus vite ! N'ai plus qu'un problème à régler, quel est celui qui agitera ma culotte à la fin de mon clip ! Plus besoin d'éléphants puisque j'ai les Howlin' Jaws !


Damie Chad.


Epilogrr ! L'amour c'est souvent dur !
Love is tough !

 

*

Trouvé par hasard en farfouillant le bac à soldes de la Fnac. Ristourne de quatre-vingt pour cent. A ce niveau-là la moindre des élégances consisterait à l'offrir gratuitement aux amateurs. Mais la loi du commerce est sans appel. Il n'y a pas de petits bénéfices, un euro est un euro. Pas de pitié pour le canard boiteux de la poésie. Pas de chance, en plus celui-ci, il boite des deux pattes. L'est sorti en janvier 2015 et la maison d'édition a été placée en liquidation judiciaire en 2015. Bien fait pour elle, depuis Marseille, elle s'obstinait à maintenir des collections de poésie coréenne, marocaine, roumaine et autres nations tout aussi incertaines. L'aurait été trop cher de l'envoyer au pilon. En plus, ce genre d'ouvrage ne s'inscrit pas dans la politique de l'entreprise. Rayon littérature en peau de chagrin. Organisation de l'inculture généralisée.
Le titre m'a attiré. Mais le nom de l'auteur encore plus. Avais reçu dans les années quatre-vingt un tapuscrit de sa part, qui relatait un voyage en Grèce. Très bien. Donc j'ai pris. L'a fait son chemin depuis, l'est devenu médecin, enseignant, journaliste, l'a rédigé une pléthore de livres sur la santé – genre de bouquins que je ne regarde jamais pour ne pas me découvrir atteint de maladies dont j'ignorais jusqu'à l'existence – et d'autres sur la future indépendance de la Corse, bon sang ne saurait mentir.

 

CROQUIS ROCK & ROLL
ANGE-MATHIEU MEZZADRI

Autres Temps Editions / Janvier 2015

 

Couverture un peu spartiate. Blanche mais qui permet au titre de se détacher. Croquis en petit et Rock'n'roll en très gros. On ne triche pas sur l'annonce de la marchandise. Pour les lecteurs distraits, on a rajouté Poésie Rock en-dessous. A peine tournez-vous la page de garde que vous êtes averti, vaudrait mieux lire avec les oreilles, les frères Mezzadri ont enregistré une version studio avec guitare, basse, harmonica et percussions.

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Acte 1 : la démesure de Led Zeppelin et le chamanisme de Jim Morrison. La griffe du  Lizard King indubitable. Le royaume et les Seigneurs. Mais une catastrophe que le chanteur des Doors n'a pas connue est survenue. Les temps de la fascination sont révolus. Les envahisseurs ont remporté la partie. Les débris de l'empire sont aux mains des esclaves. Les marchands ont raflé la mise. Ne reste plus que le rêve dévasté des grandeurs passées. Ici l'on abat les enfants comme l'on musèle les songes. La révolte éclate comme une outre de sang, intérieure dans les cerveaux, extérieure dans la réalité brisée du monde. Rien n'est sûr sauf l'assurance qu'une plus grande violence sera nécessaire pour ouvrir le cycle des innocentes cruautés.
Acte 2 : en hommage à Patti Smith. En tant que poétesse des détresses. Le poëte déserte le rêve afin d'entrer de plein fouet dans la laideur du monde. Tout se vend, le sexe et les impressions. Les mots de la poésie sont des prostitués. Ne procurent plus de plaisir. Seulement du dégoût de soi-même. Les deux sonnets croisés au cours de la lecture étaient signe d'égide baudelairienne. Détours insidieux par les frères humains. Aussi décevants que nous-mêmes. Comment croire à une échappatoire collective. Il vaudrait mieux saigner tous nos semblables, comme des gorets. Le rock est mort. L'infatuation de nous-mêmes aussi. Le rêve du retour des dieux s'altère en cauchemar de hordes barbares. Orgies de sangs et blêmitudes de spermes. L'on ne s'échappe pas plus du labyrinthe êtral que des rues géographiques de la Modernité.
Acte 3 : Le pire est pour la fin. Un squelette de vers reptatifs de quelques syllabes collés au bord des pages. Une prodigieuse ritournelle du malheur. Une violence qui n'est pas s'en rappeler la force des alexandrins d'airain d'un Leconte de Lisle. Les romains ont dilapidé le temple. Le Dieu perdu est encore là mais pour combien de temps ? Ne subsiste plus rien des grands idéaux ni des barreaux de fer. La liberté est un désert de glace en bout duquel triomphe la mort. Notre seul héritage. Vous pouvez appeler cela l'espoir qui fait vivre.

Une poésie qui ne triche pas avec son titre. Porteuse de la violence du rock'n'roll. De tous les recueils de poésie rock qui m'est arrivé de lire en langue française, c'est bien le plus fort, le plus violent. Un monde impitoyable à l'image des stances électriques et diluviennes du Blue Öyster Cult. Enté sur les Doors oui, mais qui retrouve aussi les orgues tempétueuses de la grande lyrique du dix-neuvième siècle ce qui lui évite de se perdre dans les eaux désséchées des facilités de ce surréalisme de bas-étage qui est la tarte à la crème de la poésie contemporaine. Ange-Mathieu Mezzadri entrechoque les os des mots. Leur a arraché la chair juteuse et parfumée qui les habillait. L'en devient pratiquement poétiquement incorrect. Trop de violences, trop de brutalités, trop de fureurs. Pour nos contemporains. Peuple d'ilotes sans autres maîtres qu'eux-mêmes. Poésie sans rémission.


Damie Chad.

 

 

 

 

 

 

08/02/2017

KR'TNT ! ¤ 315 : JAMES LEG / PETE OVEREND WATTS / LES ENNUIS COMMENCENT / BROKEN FINGAZ / DÄTCHA MANDALA

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 315

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

09 / 02 / 2017

JAMES LEG / PETE OVEREND WATTS

LES ENNHUIS COMMENCENT / BROKEN FINGAZ

DÄTCHA MANDALA


Le legs de Leg

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— T’as écouté le nouveau James Leg ?
— Ben non...
— Y s’appelle Blood On The Keys. T’as le même son que sur les albums précédents. Ça démarre avec un cut sacrément voodoo, «Ain’t You Hungry», battu à l’anticipation tribale et admirable de tension boogalo. Y fait aussi une curieuse reprise de Mungo Jerry, «Mighty Man», avec Reuben Glaser à la guitare, un mec qu’a joué dans Pearlene et Cut In The Hill Gang. Comme Y se veut possédé, Y dramatise le chant à outrance et Y va même parfois sonner comme Tom Waits, t’as qu’à voir !
— Y fait comme Y veut, c’est un grand garçon.
— Y balance même une valse à six temps violonnée par des gens du voyage. Finalement c’est sur le gospel d’orgue qu’Y fait la différence, t’as qu’à écouter «I’ll Take It». Y chante ça à l’éraillée, comme un ogre. Oh pis Y refait du gospel d’orgue bien poundé avec le morceau titre en B. Mais Y se jette trop dans la bataille, Y chante avec trop de ferveur et franchement, on ne lui en demande pas tant.
— Te fais pas chier à écouter ses albums, poto ! Vas donc le voir sur scène, tu verras un mec qui s’exacerbe tout seul derrière ses deux claviers, un frétilleur qui tient même pas en place, un mec qui vibrillonne et qui frémit de tous ses atomes d’eau de d’hydrogène nucléaire, tu le verras hennir comme un étalon fumant sorti d’un combat teutonique sur un lac gelé alors que le ciel est d’un gris tellement anthracite qu’il fout même les chocottes aux plus courageux soudards de la piétaille, ceux qui attendent massés à l’orée du bois voisin qu’on leur donne l’ordre d’aller achever les chevaliers désarçonnés, oui, tu verras des trucs dont t’as même pas idée, sur scène tu verras ce mec vivre, il vit de toutes ses forces, il est tendu, teigneux, assis pas assis, on ne sait plus, il est dans les positions intermédiaires de jambes fléchies, comme le séminariste qui n’ose plus s’agenouiller devant l’autel parce qu’il sent qu’il perd la foi, et il claque des dents, le gredin, il grelotte de plaisir et de terreur mêlées car il sent sur sa nuque le regard glaçant de cet enfoiré d’archidiacre qui rêve de l’envoyer au bûcher, oui, mec, avec un lascar comme le Leg tu voyages dans les circonvolutions du temps qui passe et qui n’en finit plus de ne pas repasser, il joue des milliards de notes hurlantes qui te replongent dans les catastrophes et les pillages, dans les écroulements de civilisations, les tourmentes et les pestes de l’an mil, dans les échos profonds des prêcheurs fous et dans une litanie de notes malingres, celles des orgues de barbarie qu’on jouait au pied du gibet de Montfaucon, ah oui, tu les verras, ces vieilles femmes en guenilles, elles viennent à pas de loup ramasser la mandragore au pied des potences, tu entendras cet incroyable capharnaüm de cris de corbeaux, ceux qui se massent sur la poutre haute de la potence et qui d’un claquement d’aile sinistre descendent à tour de rôle picorer les yeux des Villon et des Villard à peine refroidis, tu entendras couler dans ta cervelle la musique de ce monde si atrocement vieux et si terrible, ce vaste monde boursouflé et chargé de charniers et dis-toi bien qu’aucune matinée de printemps ne saura laver l’affront que les hommes font à Dieu, alors lui le Leg, Y chante et Y joue dans cette clameur insensée, il plaque ses deux mains comme de grosses araignées blanches sur ses deux claviers et il swingue comme un démon échappé d’une église en flammes, tu verras la colère s’incruster comme la crasse dans les plis de sa peau, tu verras son visage grimacer dans des grésillements de graisses qu’on brûle, tu verras ses cheveux couvrir son visage ruisselant et trempé de fièvres comme celui d’un crucifié, il libère la vie et il libère la mort, il plaque ses accords et la musique descend la rue Rebeval jusqu’au boulevard de Belleville comme cette marée de rats, crrrrric crrrrric, et tout ce raffut de tohu-bohu du diable assourdit un petit peuple déjà terrorisé, oui complètement terrorisé à la seule vue de cette marée de puanteur et d’horreur poilue, galeuse et carnassière, porteuse de tous les germes les plus immondes, c’est le cauchemar le plus noir de l’humanité, la rédemption impossible, l’affront qu’on ne peut laver, cette musique charrie l’ombre et la lumière, et sur sa croix, le Leg ne se débat pas, il plonge en son âme et conscience à la source de l’essence divine et produit une sorte de miracle, et comme les soufistes, il entre en transe, son corps ne tournoie pas, mais sa musique tournicote à la folie, les volutes s’encorbellent et se byzantisent, les vagues s’épousent pour le meilleur et pour le pire, les pluies fines succèdent aux déluges, mais dans une sorte de suite médiévale jaunâtre et verdâtre, les deux grosses araignées blanches dansent au bout de deux bras tatoués de numéros, ouais, comme à Dachau, et là sur le bras droit, tu verras un gros crâne tatoué à l’encre de Chine de barre d’immeuble de la Courneuve ou du Balnc Mesnil, c’est un Jolly Roger, camarade, il flotte au sommet du mât de cette barcasse de fortune que tu vois croiser là-bas, dans la brume, au large des côtes de Virginie, et dedans qui tu as, mais oui, Barbe Noire, avec ses fumerolles dans les cheveux et ses dix mousquets passés dans la ceinture, ben oui, tu l’as reconnu, James Leg c’est Barbe Noire à l’orgue, mais c’est aussi le Destouches des touches, tu l’as bien compris, il ne joue pas de la pop, mais il se répand en logorrhées de shuffle, il graham-bondise le brian-augerisme, il gospellise le Mose Allison à tort et à travers, juste pour aller pulser dans sa rue, il sacralise ce que tu appelles le gospel d’orgue pour mieux circoncire la concision, il réclame des clameurs, il prêche le Bach à la truite et il ouvre les vannes d’un monde antédiluvien, il nous refait le coup de la Grande Arche, pas celle de la Défense, pomme de terre, mais celle du mont Ararat, quand cette brute de Noé construisait son container géant en bois goudronné, et à ton avis, comment se fait-il que les deux crocodiles n’aient pas mangé les deux moutons, c’est pourtant simple à comprendre, réfléchis une minute, le Leg, Y jouait déjà du gospel d’orgue en ce temps là et il universalisait bien avant tous les autres, il n’y a absolument rien de prétentieux là-dedans, parce que si tu l’écoutes, tu te retrouves dans la rue grouillante de vie, tiens, une autre, celle du Faubourg Saint-Denis, par un beau matin de printemps, très tôt, et tu vois des légumes pourris et de déchets de viande que n’ont même pas fini les chiens joncher le trottoir et les caniveaux, et alors, ben alors t’es obligé de marcher dedans tellement t’en as, il n’est même pas huit heures et déjà grouillent de partout des ashkénazes et des nazes, des nonces et des gonzes, des bonzes et des bons hommes, des brutes et des bites, des blafards et des bluffeurs, des brêles et des belles, t’as de tout, c’est dingue, des babas et des bobeaufs, t’as déjà tout le peuple de paname dans les trois rues du quartier à pas d’heure et les mecs en tabliers te proposent des kilos d’oranges à pas cher, et ça sent la viande fraîche à l’étal du boucher halal, et t’as le flux qui gicle de plus belle sous la pression du shuffle d’orgue, tu sens palpiter la vie alors que passent des solofistes, des sinistrés, des simagrées, des saloupiaux et des salopardes, des salmigondis, des célébrités, des seigneurs des anneaux, des sales mecs et des sales cons, des singes savants, des seulâbres et des sous-préfets, des sectaires, des sans-culottes et des Jeanfoutre, des sabrés de la vie, des soulographes, des systématiques, des saint-simoniens, oui surtout des saint-simoniens, qu’est-ce que tu crois, et des similitudes, des amplitudes, des latitudes, t’as le monde entier qui grouille et qui vaque vaille que vaille autour de toi, tu as tout le délire shakespearien d’Horatio et cette maudite philosophie qui bouillonne dans sa purée, oui, cette purée fumante que déverse sur le monde Louis Ferdinand Leg, il te lègue son legs, tu peux tendre les mains et ouvrir la bouche, c’est pour toi, il te le donne, non, non, non, il ne veut rien en échange, prends ce qu’il te donne, prends, mais prends donc, ne te pose pas la question de ceci ou de cela et du patin-couffin de mes amygdales, prends, c’est à toi, il est comme ça, le Leg, il donne sans rien attendre en retour, c’est pas son genre, et pire encore, c’est assez rare, mais c’est comme ça, et tu l’offenseras si tu hésites une seule seconde, alors ne l’offense pas, amigo, car il pourrait s’encolérer et je ne conseille à personne de provoquer ça, n’attise pas sa rage, il ravage déjà assez de contrées comme ça, oh et puis une chose qu’il ne faut pas oublier, il peut même te transfigurer le psychédélisme, ça fait partie de son panel de sortilèges, tu le vois à certains moments écraser une pédale wha-wha comme s’il écrasait un mégot sur la moquette du grand hall, au Georges V, et paf il te fait Hendrix, mais pas un Hendrix à la petite semaine, diable non, et il te fait le Grand Jeu hendrixien à la Gilbert-Lecomte, celui qui se nourrit de tous les excès pour aller exploser le cosmos littéraire dans les tourbillons d’étoiles, pshhhhhhn pshhhhhh, tu vois, comme ça, et son sbire, son âme damnée le batteur se met à mitch-mitchelliser le beat avec une constance qui en dit long sur sa détermination, et te voilà groové comme pas deux, gros-Jean comme devant, et tu fais quoi, t’as déjà pensé à ce que tu allais faire dans ce genre de situation, non, évidemment, car tu es pris de court, alors c’est pas compliqué, compagnon de tranchée, tu te laisses aller et surtout, surtout, surtout, tu oublies de réfléchir, tu te figures que tu deviens un rat, crrrrrriii crrrrriiii, paumé au milieu de la multitude de rats qui descend la rue machin dont je te parlais tout à l’heure pour aller rejoindre les autres armées de rats lancées à la conquête de Paname et tu te sentiras joyeux, car justement tu oublies enfin de réfléchir, et Louis Ferdinand Leg, c’est à ça qu’il sert, à rien d’autre, il t’ampute de ton cerveau et donne carte blanche à ton corps, à ta peau, à tes pores de gros porc, alors tu te mets à vivre pour de vrai, tu n’appartiens plus à l’espèce maudite et honnie de Dieu, tu grooves dans l’apesanteur de l’anonymat retrouvé, tu n’as plus de carte d’identité, plus de poule, plus de compte en banque, t’as même plus de bite ni de bottes, t’en as plus besoin, ni de clés de bagnole, t’as plus un rond, t’as même plus besoin de rhum pour supporter quotidiennement ta médiocrité, ni besoin du dernier album de James Leg puisque tu n’as plus rien, rappelle-toi, Léo disait exactement la même chose, il y a quarante ans, il n’y plus rien, plus-plus rien, plus de liquide sénescence, plus de sextants d’alarme, tu es un rat, il n’y a plus rien, plus de catéchisme ombilical, plus d’ombilic des limbes, plus de renversement des réacteurs abdominaux, Léo et Leg c’est la même chose, oui, parfaitement, ces deux-là t’aident à échapper à tout ce qui te semble avoir de l’importance et qui n’en a pas, pas la moindre, ouvre un peu les yeux, camarade, examine cinq minutes ta gueule dans un miroir et demande-toi comment t’as fait pour en arriver à ressembler à rien, à moins que rien, et rappelle-toi ce que disait ce vieux pédé génial qu’était Gide, il te le disait bien avant le Congo et le fameux voyage en Ursse, que l’importance soit dans ton regard et non dans la chose regardée, alors regarde les deux araignées blanches écraser les touches de Destouches et tu t’échapperas de la cage du grand laboratoire urbain, tu fuiras cette modernité à la mormoille pour aller rejoindre le flot de la vie qui grouille au bas des rue de ta cité déliquescente, et pourquoi tu crois que Louis Ferdinand Leg Y fait du gospel d’orgue, ben oui, Y l’a entendu ça dans les églises noires chez lui, là-bas, en Amérique, et là tu réalises soudain qu’on monte encore d’un cran dans les phénomènes échappatoires, car le peuple nègre n’avait que ça et rien d’autre pour briser ses chaînes et échapper à la tyrannie sanglante des patrons blancs dégénérés, alors oui, tu peux parler de musique sacrée, ton Destouches des touches Y ne joue pas autre chose, Y fulgure le gospel d’orgue et comble d’orgueil, Y cherche même pas à se faire passer pour un nègre, c’est incroyable, au moins, Y l’a cette décence de la prestance, et le père Moreau, tu sais, le patron du PMU, Y parlait pas de décence de la prestance, mais de savoir-vivre savoyard.

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Signé : Cazengler, légataire grabataire


James Leg. Le 106. Rouen (76). 27 janvier 2017
James Leg. Blood On The Keys. Alive Natural Sound Records 2016

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Overend is over
Part one

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Nous savions tous en 1966 que Brian Jones était l’âme des Stones. De la même façon, nous savions tous que Pete Overend Watts et Guy Stevens étaient l’âme à deux têtes de Mott The Hoople. Sans eux, pas de Mott, pas de rien du tout.
Guy Stevens rêvait d’un groupe original, avec un son anglo-américain. Il avait déjà sous la main un gang de deadly punks chevelus - Overend et ses potes Buffin, Mick Ralph et Verden Allen - et il passa une annonce pour recruter un chanteur. Ian Hunter arriva pour l’audition. Il portait des sandales et ne ressemblait à rien. On dit que ses lunettes noires lui sauvèrent la mise.
Le pote Pete vient de tirer sa révérence. Mais dans l’esprit des fans de Mott, il est toujours vivant. Oh, il suffit juste de remonter quelques années en arrière et d’aller traîner à Acton, dans l’Ouest de Londres, en 1974, l’année où Mott The Hoople, alors au faîte de sa gloire, vient de splitter. Argh !
Pour descendre chercher des clopes le matin, Pete Overend Watts doit se faufiler à travers les amplis entreposés dans le petit escalier de son immeuble. Eh oui, il y a de cela quelques jours, ces bloody fucking roadies avaient débarqué sans prévenir et largué tout le matériel de tournée sur le trottoir. Pete vécut ça comme une double catastrophe. Non seulement, Mott The Hoople venait de splitter, mais il n’avait pas assez de place pour ranger tout le matériel. Seules ses basses et sa garde-robe sont à l’abri. Tout le reste encombre l’escalier.
Sale temps pour les héros. D’autant que les raisons du split ne sont pas jojo. On avait fait comprendre au groupe que pour survivre, il devait s’installer aux États-Unis. Pete refusa catégoriquement d’aller s’installer dans ce pays qu’il déteste. À prendre ou à laisser ? Fuck that ! Par contre, Ian Hunter et Mick Ronson acceptèrent d’émigrer pour relancer leur carrière, laissant Pete, Buffin et Morgan Fisher sur le carreau. Largués comme de vieilles chaussettes.
Complètement fauchés, déchus de leurs statuts de rock-stars et privés de la moindre perspective, nos trois vieilles chaussettes continuent de se voir, mais l’enthousiasme brille par son absence. Alors, Pete décide de réagir. Il revêt sa vieille tenue de centurion du XXIème siècle : combinaison de cuir rouge cerise largement ouverte sur la poitrine et spectaculaires platform-boots blanches. Il secoue ensuite une bombe de peinture de carrosserie couleur or et s’asperge les cheveux. On frappe à la porte. Il ouvre. Buffin et Morgan Fisher n’en reviennent pas !
— Good Lord, Wattsy ! Qu’est-ce tu fabriques en costume de scène ?
— J’ai une bonne nouvelle, les amis, on redémarre le groupe ! Prêts à faire shaker the jewellery ?
— Quoi ? Mais t’es complètement dingue !
— Asseyez-vous, les gars, je vais vous expliquer.
Buffin bat le beurre dans Mott The Hoople. Son physique de gamin lumineux le rend particulièrement attachant. Ses longs cheveux fins et son sourire angélique font de lui une sorte de créature préraphaélite. Contrairement à Buffin, Morgan n’est pas l’un des membres fondateurs du groupe. Il a remplacé Verden Allen à l’orgue. Morgan se distingue à sa façon : il porte le cheveu court, une moustache blonde et d’élégants costumes trois pièces. Au sein de Mott The Hoople, il semblait au début un peu dépareillé. Par contre, Pete incarnait Mott, beaucoup plus que Ian Hunter ou Mick Ralph. D’abord par son allure de rock-star. Sa haute stature, ses mises extravagantes, ses cheveux longs systématiquement teints, son sourire radieux de star du cinéma et son poitrail velu constamment offert en spectacle focalisaient l’attention. Il fut le premier en Angleterre à oser porter des platform-boots surdimensionnées, bien avant Elton John, Sweet et Slade. En prime, Pete bouillonnait d’idées. Comme Bowie, il incarnait la modernité du rock anglais. Son rayon d’action s’étendait du design des guitares au concept du jeu d’échecs en 3D, en passant par un vaste choix de noms de groupes, des innovations scéniques complètement farfelues et des idées de morceaux à la fois classiques et flamboyantes. Pour mesurer le génie baroque de Pete, il suffit simplement de jeter un coup d’œil sur le ratelier où sont rangées toutes ses basses. La plus spectaculaire est sans doute celle en forme d’oiseau argenté, qu’il a baptisée the beast. Il s’agit d’une énorme basse faite de deux grosses planches de contreplaqué contrecollées, recouvertes d’une feuille de métal sur laquelle il a monté un manche monstrueux. Pendant longtemps, Lemmy voulut la racheter.
— Wattsy, t’aurais pas dû te repeindre les cheveux... Tu vas les abîmer... T’as l’air d’un vieux clown...
Pete sourit. Une grande bonté émane du personnage.
— Je vous propose d’avancer. Vous le savez, l’homme qui n’avance pas recule. Je ne vois pas d’autre solution que de remonter le groupe. Êtes-vous d’accord ?
— Oui, évidemment, mais il faut trouver un chanteur et un guitariste pour remplacer ces lâcheurs d’Hunter et de Ronson... Et puis, comment peut-on s’en sortir sans Guy ?
Buffin n’a pas tort. Pete le sait bien, lui aussi. Sans Guy Stevens, Mott The Hoople n’aurait jamais pu quitter la seconde division des groupes anglais. Collectionneur de disques et disc-jockey renommé, Guy Stevens joua à la fin des sixties un rôle prédominant dans l’émergence de la scène rock anglaise. Il commença par animer Sue records, un label qui soutenait des artistes de r’n’b complètement inconnus en Angleterre. Il s’associa ensuite avec Chris Blackwell, le fondateur d’Island Records, pour produire les groupes auxquels il croyait. Doué d’un flair infaillible, Guy dénichait les oiseaux rares. Il produisit le premier hit des V.I.P’s, «I Wanna Be Free», une reprise de Joe Tex, puis le premier album de Free, puis le premier album des V.I.P’s devenus les Spooky Tooth. Il mit aussi Keith Reid et Gary Brooker en relation et baptisa le groupe Procol Harum. Il se mit ensuite en quête d’un groupe qui pouvait sonner à la fois comme Dylan et les Stones. Ce groupe n’existait pas. Guy eut l’idée de le monter de toutes pièces, puis de le baptiser Mott The Hoople, en s’inspirant du roman de science-fiction de Willard Manus. Il produisit les trois premiers albums de Mott qui ne rencontrèrent qu’un succès d’estime. Ce n’est qu’à partir de Brain Capers que le public anglais commença à prendre Mott très au sérieux. Il faut dire que Guy créa les conditions pour que l’album sorte de l’ordinaire. Il sema tout simplement le chaos dans le studio, déguisé en Zorro et courant partout en tirant des coups de pistolet à eau. Guy voulait que ce disque jaillisse du chaos. Il rêvait d’un son extrêmement primaire. Le résultat dépassa toutes les attentes. Brain Capers compte aujourd’hui parmi les fleurons du rock anglais des seventies, certainement la période la plus prolifique de l’histoire du rock.
Pete reprend son rôle préféré, celui de Superman. Il recule de quelques mètres, fait un bond en l’air et retombe souplement devant ses deux camarades :
— Whizzzzzzzzz ! On va s’appeler Shane Cleaven & the Clean Shaven !
Morgan rigole :
— Fais gaffe, Wattsy, un jour, tu vas te péter les chevilles en sautant avec tes boots.
Buffin fait la moue.
— J’aime pas trop ton Shane machin. Tu nous sors toujours des noms qui sonnent comme des gags. Pourquoi ne garderait-on pas notre nom ? On l’abrège... Mott, ça sonne bien, non ?
— D’accord, Buffin. Mott, c’est mimi. Pour la guitare, j’ai pensé à Nils Lofgren. Et au chant, je verrais bien Stevie Wright, tu sais, le mec des Easybeats... Comme ça, on devient un super-groupe et on brûle les étapes. Wooooozzz ! On passe à la une du NME, on saute dans un jet et on remplit le Shea Stadium ! À nous les do-do, à nous les dollars !
Buffin refait la moue. 
— Mais pourquoi tu vas toujours chercher des putains de guitaristes américains ? Ça ne peut pas marcher. On a une spécificité, Wattsy, tu sembles l’oublier. Avant, tu voulais faire venir des gars comme Joe Walsh, Tommy Bolin, Ronnie Montrose et même Leslie West, pour remplacer Mick ! Pourquoi pas Johnny Thunders, tant que tu y es ? Tous ces mecs prennent des drogues. Non, il nous faut un vrai guitariste anglais, un mec qui sort des banlieues de Londres, comme nous. On est des petits branleurs de quartier, Wattsy, ne l’oublie pas.
— T’as raison, Buffin. J’aimais bien Ronson, mais son caviar et son frigo rempli de bouteilles de champagne me donnaient la nausée. Demain, je mets une annonce dans le Melody Maker ! Here we go ! 
Pete, Buffin et Morgan font passer des auditions. Ils portent finalement leur choix sur Ray Major, le guitariste d’Hackensack, un groupe de deuxième division. Pete se frotte les mains. Ray a une bonne dégaine, des cheveux longs et une technique solide. Pendant un temps, Pete cumule les fonctions de bassman et de chanteur, mais il ne parvient pas à renouer avec l’aisance qu’il montrait lorsqu’il embarquait Mott The Hoople dans son fabuleux «Born Late ‘58». Il préfère s’effacer derrière une nouvelle recrue, le chanteur Nigel Benjamin.
La fine équipe part en tournée aux États-Unis. Ils jouent en première partie de groupes renommés qu’ils mettent dans l’embarras. Comment ose-t-on monter sur scène après Mott ? Déchaîné, Pete multiplie les extravagances. Il s’envole sur scène et plane au dessus du public en labourant le manche de son énorme basse. Des flammes jaillissent des talons de ses platform-boots. Il se repose sur les planches et jette sa basse en l’air. Elle voltige et il la rattrape au vol, juste au moment du break. Fascinés, les journalistes commencent à délirer. Certains affirment avoir vu Pete voler, cape au vent, entre les buildings. D’autres racontent que Pete ramène plusieurs filles à la fois dans sa chambre d’hôtel. Il commence même à recevoir des propositions d’Hollywood pour des remakes de Tarzan, d’Iron Man et de Captain America. Il les décline avec courtoisie, arguant qu’il doit prendre le temps d’y réfléchir. En réalité, Pete préfère rester fidèle à ses amis.
Malgré tout ce battage, ils rentrent bredouille à Londres. Pour une raison qui leur échappe, Mott n’intéresse pas le rock business.
Buffin et Morgan retournent voir Pete chez lui, à Acton. Le moral est au plus bas. Mais Pete ne désarme pas. Il monte sur le frigidaire et saute à travers la pièce. Whizzzzzzzzz !
Morgan comprend tout de suite :
— Tu viens d’avoir une nouvelle idée, Wattsy ?
— Cette cruelle panthère noire qu’on appelle l’évidence vient de me sauter à la gorge : nous allons prendre un nouveau départ. Première chose : débarrassons-nous de notre vieille peau. Mott, ça commence à sentir le moisi. Tournons-nous vers le futur. Frappons un grand coup en adoptant un nouveau nom pour le groupe ! Que pensez-vous d’Elegant Mess ?
— Non, trop sarcastique.
— C’est vrai. The Chauvinist Pigs ?
— Non, trop politique.
— Bon, alors... The Strummer Cakes ?
— Et pourquoi pas les Flying Bananas, tant que tu y es ?
— C’était pour rire, Buffin... J’ai une autre idée qui va vous plaire : The British Lions !
— Ah ouais, pas mal !
Ils contactent John Fiddler, le guitariste chanteur de Medecine Head, un groupe devenu culte grâce au soutien de John Peel et de son label Dandelion. Pete demande cependant à John Fiddler de revoir son look. En effet, le candidat porte encore des lunettes, une moustache et des cheveux beaucoup trop longs. Excité par la perspective de jouer avec les survivants de Mott The Hoople, John se fait couper les cheveux, rase sa moustache et enfile des platform boots. Ils montent rapidement un répertoire habilement saupoudré de reprises classieuses, comme par exemple «Wild In The Streets» de Garland Jeffreys et «International Heroes» de Kim Fowley. Le groupe entame une tournée anglaise et fonce, tel un paquebot fellinien, à travers un océan d’indifférence. Ils ont beau réhausser les talons de leurs platform-boots, jouer comme des lions et rajouter des reprises du genre «So You Wanna Be A Rock’n’Roll Star» des Byrds, rien n’y fait. Le public se tourne vers la scène punk, alors en plein essor. Les British Lions passent pour des vieux schnocks.
Retour à Acton. Morgan ne parvient pas à surmonter son amertume.
— Cette fois, c’est mort, Wattsy, par la peine de nous faire ton numéro de cirque.
Pete commençait à escalader l’un de ses gros juke-boxes pour sauter à travers le salon. Il redescend.
— Dommage pour vous, j’avais une nouvelle idée... Je suis sûr qu’elle vous aurait intéressé...
— C’est pas ça le problème, Wattsy. On est trop vieux. On passe pour des has-been. C’est horrible. Regarde les kids dans les rues. Ils portent des T-shirts marqués «I Hate Pink Flyod». On fait partie du lot, tu sais. Le pire, c’est qu’on n’a pas un rond et on finit l’année avec une ardoise aux impôts. J’ai décidé de quitter ce pays de merde.
— Tu comptes aller où, Morgan ?
— Probablement au Japon...
— Et toi, Buffin ?
— Oh, je reste dans les parages, t’inquiète pas. J’ai un contact pour entrer au service d’une maison de disques comme producteur...
— Quoi ? Toi dans la production ? Quel gâchis ! Tu es l’un des meilleurs batteurs de rock anglais !
— Oui, c’est possible, Wattsy, mais je tire trop la langue. Je commence à en avoir marre. Ça fait quinze ans qu’on vit avec 75 £ par semaine. Regarde, t’as revendu toutes tes guitares pour pouvoir payer tes factures. On t’aime bien Wattsy, mais c’est pas la peine de nous brancher sur ta nouvelle idée. On jette l’éponge. C’est trop dur.
— Vous savez pourtant qu’on est les meilleurs. Les Stones n’ont jamais eu le son qu’on avait sur scène.
— Qu’est-ce que tu comptes faire, Wattsy ?
— Embaucher Keith Richards comme guitariste et Bob Dylan comme chanteur ! Ils ont toujours rêvé de nous avoir comme section rythmique. Ça ne vous paraît pas évident ? On passe à la une du NME, on saute dans un jet, on remplit les stades américains et on achète plein de guitares, comme dans le temps. J’ai écrit une bonne dizaine de chansons. Rien que des tubes ! J’ai même remis au point ma bandoulière élastique. C’est un nouveau système. Avec ça, je peux jeter la basse vers le sol sans qu’elle ne me rebondisse dans les dents.
— Non, Wattsy, ce n’est pas le sens de ma question. Qu’est-ce que tu comptes faire dans le civil ?
— Bon, alors on arrête ?
— On te l’a expliqué, mais tu n’écoutes pas.
La vie reprend son cours. Pendant quelques temps, Pete tient un petit stand à Portobello. Il y écoule péniblement sa collection de platform boots. Puis il se retire à la campagne et se recycle dans la pêche à la carpe. Il finit par faire la une d’un journal local en brandissant une prise monstrueuse. La photo le montre souriant et coiffé d’un petit chapeau. La carpe fait plus d’un mètre. Jamais encore les gens du coin n’avaient vu une carpe aussi énorme.


Signé : Cazengler, Overenda en alu


Pete Overend Watts. Disparu le 22 janvier 2017

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*

1


Mon ami le Commissaire est entré sans frapper dans ma chambre. A peine avais-je ouvert un oeil glauque qu'il m'a vigoureusement houspillé :
- Ah ! Ah ! Je croyais que les rockers ne dormaient jamais, debout grosse couleuvre ! J'ai dégoté huit jours de repos. On en profite !
- Euuuuu ! C'est quoi cette valise que tu as posée sur la table de nuit !
- Cadeau maison ! Pas de perfecto aujourd'hui ! Regarde ce que je t'ai apporté !
- Quelle horreur ! On dirait des costumes de CRS !
- Des authentiques ! Des vrais ! Je les ai fauchés ! Tu en enfiles un direct et moi l'autre !
- Tu crois que...
- Pas le temps de t'expliquer, mais aujourd'hui je réalise le rêve de ma vie ! Allez hop, on part !
Et voilà pourquoi quelques minutes plus tard la Teuf-Teuf fonçait vers les plages de la Grande Bleue à toute vitesse. Durant le trajet, alors que nous remontions une bretelle d'autoroute à contresens, l'intarissable Commissaire s'est livré à quelques confidences !
- Tu sais, si je suis rentré dans la police, ce n'est pas pour mon amour immodéré de l'ordre, au fond de moi je suis un démocrate, à la base depuis tout petit je voulais devenir CRS, pas ceux qui tapent sur les manifestants, non, ceux qui surveillent les plages en été, tu comprends le prestige de l'uniforme sur les baigneuses c'est imparable, mais quand j'ai passé les tests, ils m'ont dit que j'étais trop intelligent, et puis je ne savais pas nager, du coup ils m'ont bombardé Commissaire.
- Sûr qu'il n'y a rien de pire qu'une vocation contrariée ! Un rêve d'enfant brisé, quelle honte !
- Oh je ne me plains pas, j'écrase les piétons sur les passages cloutés en toute impunité, je revends la cargaison des dealers que je pince, je prélève les tableaux de maître sur le butins de cambrioleurs, je fais sauter les distributeurs de billets à l'explosif, la routine quoi !
- Je sais, mais tu ne pousses pas le bouchon un peu loin parfois ?
- Ne t'inquiète pas j'ai des dossiers sur la moitié des hommes politiques du pays, encore mieux qu'une assurance tout risque. 

2


Une fois sur place j'ai un peu déchanté. Faisait pas chaud dans la guérite qu'un vent froid et violent secouait méchamment. Certainement le même aquilon qui avait décroché Keith Richards de son cocotier, de grosses vagues colériques s'écrasaient sur la plage déserte, et la température devait avoisiner le zéro, brrr !

- Voudrais pas te contrarier, mais ton idée me semble un peu foireuse, en février les naïades aux seins nus, même avec tes jumelles militaires super puissantes, ce n'est pas la saison idéale pour se rincer l'oeil !
- Le QI des rockers n'est plus ce qu'il était. Me prendrais-tu pour un cave à fromages ? Tu regardes du mauvais côté !
- Parce que tu crois que les filles du coin se promènent complètement à poil dans les dunes sableuses hérissées de bosquets d'ajoncs impénétrables et urticants avec un ressenti de température de moins quinze degrés !
- Commence par te taire, braque tes longue-vues et attends, je te promets des merveilles ! En attendant plus un mot, et arrête de bouger, tu finiras par nous faire repérer.

3


Au bout de trois heures, frigorifié jusqu'à la moelle, je commençais à trouver le temps long, et proposai au Commissaire d'opérer un mouvement de repli vers un bar accueillant. L'a à peine bougé les lèvres pour me répondre, mais ce qu'il m'a murmuré dans l'aigre bise valait le détour.
- Surtout pas, début février c'est la saison des accouplements et je pense que tu ne voudrais pas manquer cela !
- Tu sais la reproduction des mouettes rieuses, ça ne m'a jamais fait rire !
- Les rockers sont vraiment de plus en plus bêtes ! Tu crois que le gouvernement m'a offert huit jours de congés payés sur le dos du contribuable ? Mon vieux, nous sommes en mission commandée, l'on n'est pas ici pour admirer à la jumelle le fessier des touristes dénudées sur la plage. L'enjeu est beaucoup plus grave.
- J'y pige que couic !
- C'est l'anti-terrorisme qui m'a confié la mission.
- Des islamistes !
- Tu veux rire ! Un truc beaucoup plus sérieux. Les Amazones, un groupe féministe radical. Veulent prendre le pouvoir et asservir les hommes. S'entraînent au maniement des armes dans les endroits désertés. N'acceptent que les filles. Mais au début de février, elles s'emparent des hommes et les violent. Puis elles les tuent. C'est ainsi qu'elles se reproduisent. Or comme tu vois, nous sommes juste le premier février !
- Vachement sympathique ta petite virée, c'est quoi ce cirque, Martin, je me casse de Palavas !
- Rocker de mes deux ! Ecoute mon plan démoniaque. Tu connais ma devise : joindre l'agréable à l'utile. D'abord on se laisse faire, ensuite c'est nous qui les éliminons. Tiens prends ce joujou, il ne paye pas de mine mais il a une capacité de tir non rechargeable de 400 coups, des balles perforatrices à tête chercheuse.
- OK ! Comme ça, c'est jouable !
- Tais-toi ! Regarde sur la droite, les épineux bougent dans le sens opposé du vent !
- Diable ! C'est vrai !

4


Hélas, ça ne s'est pas passé comme prévu. Pour sûr elles étaient nues mais l'on n'a pas eu le temps de proposer des selfies, elles se sont ruées sur notre poste d'observation en hurlant. Pas de joie. De haine. Ont commencé par nous tirer dessus au fusil de chasse. D'autres maniaient de longs coutelas qui laissaient présager un sombre avenir pour les attributs de nos virilités conquérantes. Des harpies ! Heureusement que les joujoux du Commissaire ont tenu leurs promesses. Mais plus on en abattait, plus il en sortait de sous les buissons. L'on a pu par miracle regagner la teuf-teuf et démarrer. Pauvres fous, malgré nos uniformes lacérés nous croyions nous être sortis d'affaire ! Mais il n'en était rien. Nous ont poursuivis en voitures jusqu'à Paris, nous tirant méthodiquement dessus avec leurs vieilles pétoires. On a fini par les égarer en prenant selon notre habitude le périph à l'envers...

- C'est bon on les a semées ! Le premier bar que tu aperçois, tu stoppes et on s'en jette un ! Tiens celui-là, Les Polissons, ça nous fera du bien de nous retrouver entre mecs !

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C'est quand on s'est accoudé au comptoir que le Commissaire, pourtant incroyant notoire, a fait son signe de croix :

- Non d'un jus de carotte biologique ! Les ennuis commencent !

 

03 / 02 / 2017 / LES POLISSONS
LES ENNUIS COMMENCENT

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J'étais dans le Sud, z'en ont profiter pour filer dans le grand nord. J'ai raté leur passage à La Féline, mais suis remonté dare-dare, sept cents kilomètres d'un trait pour finir par les pincer dans un bar – dans quel autre endroit auraient-ils pu être ? - à Paris. Quand je suis entré j'ai cru qu'ils étaient en train de voler les chaises, me suis précipité pour leur filer un coup de main, mais non, ils discutaient avec le patron, délimitaient l'espace nécessaire à leur futur méfait. Le temps de me délecter d'un burger de l'Aveyron et la salle a commencé à se remplir. Que voulez-vous, c'est ainsi, le vice, le crime et le rock'n'roll attirent le monde. En tête bien sûr leur indéfectible soutien, les Jezebel Rock, groupe mythique et originel de la grande vague du rockabilly français.


ASTRO


Les voici. Vous les présente. A gauche Guillermo del Mojo, casquette plate et lignes de basse swinguantes comme des ablettes dans le courant de la rivière, à droite Arno KLX, imperturbable, le plus redoutable des snipers, de temps en temps il effleure d'un seul doigt une corde de sa guitare et il vous envoie un exocet sous la ligne de flottaison de votre cerveau, ils ont tenté de cacher le plus beau et le plus jeune au fond, derrière ses caisses, mais avec son duveteux collier de barbe blonde Hugo le Kid monopolise l'attention de l'auditoire féminin – les mauvaises langues disent que c'est parce qu'il passe le balai sur sa caisse claire avec une telle aisance, une telle élégance, une telle dextérité, qu'elles rêvent de le voir exercer son talent dans leurs deux pièces cuisine. Enfin Atomic Ben, guitare et vocal. Voilà, c'est tout. J'allais oublier ! Atomic Ben ne se contente pas de jouer de la gratte et de chanter. Il parle aussi. Un véritable camelot. Un extraordinaire bagout. Oscille entre la sentence péremptoire et la réflexion philosophique appliquée à la survie du rock'n'roll. N'ont pas fait de balance, alors ils commencent par un boogie-groove du meilleur effet, manière de se dégourdir les doigts et de chauffer la voix.


LOST ROCKABILLY

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Rockabilly band. Mais le rockabilly des franges. Des marges. Des marais. De l'orée du bois. Tout ces lieux incertains d'échange et de partage. D'entrée et de sortie. De repli et de départ de raid. Les bouts de pistes et les prairies en feu. Dans la marmite du rock'n'roll mijote un étrange gumbo. Atomic vous fait l'article, détaille la recette et vous fait goûter. A pleines louches. Entre lampées post-fifties et lapées pro-seventies, le claquement sec du rockab et l'électricité flamboyante, la chatte du rockabilly n'y reconnaît pas tout à fait ses petits, mais que voulez-vous lorsque l'on s'accouple avec un tigre, l'on est obligé de reconnaître que parfois les amours illicites et les manipulations génétiques ont du bon. Du meilleur même.

MAMBO 1

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Premier set. Semi-pseudo-acoustique nous prévient Ben. Il existe des voisins sourcilleux. Une déplorable engeance. Qui ne supportent pas le rock'n'roll, cette musique de voyous. Nous ne les avons pas tous tués. Les voisins bien sûr. En attendant le premier set jouera à l'usine à tubes. Des boots qui sont faites pour marcher et la basse électrique del Mojo qui slappe – comment fait-il ? – comme des coups de fouets sur le postérieur d'un adepte S/M, et Ben qui atomise sa voix pour que nous soyons pénétrés du sujet. L'on change de filles tout de suite après Nancy c'est Françoise et Le Temps de l'Amour, attention version wild surfin', Arno fait ronronner sa guitare comme une turbine électrique, mais Ben nous découpe dans les lyrics le mot blessure d'une voix si pathétique que c'est notre coeur qui saigne. Un truc typique des Ennuis, vous prennent une chansonnette, l'essorent dans leurs mandibules et vous en ressortent un ovni foutraque intensément rock. Poursuivent la démonstration. Elvis. The Pelvis. Marie's the name. His latest Flame pour être plus précis. Une rythmique sautillante et le bourbon ambré du Hillbilly Cat qui bourdonne et vous embouchonne l'âme d'une violence retenue. Du grand art. Essayez vous-même dans votre salle de bain et vous verrez les dégâts, les Ennuis s'en saisissent et vous l'étrillent méchant, le Kid qui précipite et saccade, Arno qui susurre la nostalgie, Guillermo qui déroule le tapis rouge de sang sous vos pieds et Ben qui vous vrille les entrailles du haut de ses amygdales, un incendie ravageur, ça vous brûle de haut en bas, et vous en avez en même temps des frissons dans le dos.
Ne se priveront pas de nous refaire l'histoire du rock, de Don Gibson à Elvis – oui, ils ont des préférences - tout le long de ce premier set. Mais nous offrent aussi une petite friture originale de leur estampille. Splish Splash le bruit de votre cerveau quand il est amoureux nous explique Ben, le coup de foudre et la déconvenue finale, le Yin et le Yang si vous le voulez à la japonaise, le tambour et le Trumpette si vous le désirez à l'américaine, le filon et le Fillon si vous le désirez à la franchouillarde, plein gaz, pied au plancher, la glotte de Ben ping-ponge entre le bonheur et douleur sur la table de l'ironie. J'arrête la liste du jukebox, vous auriez des remords. Certes tout est relatif, mais auraient-ils rajouté quarante titres que dans l'absolu cette première partie aurait été tout de même trop courte. Descendent de scène sous les applaudissements et les regrets.

MAMBO 2

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Pas éternels puisqu'ils reviennent. Dommage pour le voisinage, mais ils appuient un peu sur le potentiomètre dès le premier morceau. Instrumental, Apaches. Mais là ils sont sortis de la réserve et laissé le vieux Cochise sous le wigwam, c'est Géronimo l'impitoyable qui mène le raid. Risque de ne plus rester de visages pâles pour témoigner de leur sauvagerie. KLX vous démantibule son bigsby comme jamais Hank Marvin l'a osé, vous scalpe les trémolos d'une main d'orfèvre, et sur sa guitare Ben vous secoue un tintamarre à réveiller les fantômes de la Ghost Dance. Les guerriers cavalent comme s'il y avait mille femmes blanches à s'emparer, et peut-être encore mieux un troupeau d'appaloosas aux sabots de feu. De la fureur rouge l'on passe à la brutalité noire. Come on de Chuck Berry, au rouleau compresseur, des riffs incendiaires qui ricochent de partout et une rythmique stonienne à brouter du béton. Un peu de blues. Classique rien à dire. D'ailleurs c'est quand le morceau est fini que Ben nous montre ce qu'il aurait pu faire dans les soli. Sa guitare ricane comme une colonie de chacals en train de dépiauter une momie égyptienne. Pas de temps à perdre, le train démarre. Mystérieusement. Trajet pas de tout repos. Les plaines du far-west à toute allure en hors d'oeuvre, ensuite c'est plutôt hot rails to hell, et Atomic bruite la locomotive. Inutile de tirer la sonnette d'alarme, les ennuis commencent. Si forts, que le patron s'en vient demander à ce que le train s'arrête en gare et que tous les voyageurs descendent.
Pas contrariant le Ben, OK my boy et il relance la vapeur. A sa manière. The Way of the West, une pétaudière australienne qui permet à nos kangourous sauvages de nous piétiner le cortex. C'est beau comme de la nitroglycérine. Deux ou trois petites babioles irradiantes comme cette reprise boléro-flamenco de Ricky Amigos, et l'on termine par ce que les groupes de rock'n'roll ne savent plus faire. La présentation du combo, aujourd'hui l'on se contente de jeter trois prénoms inaudibles et bonsoir les copains, l'est temps de vous brosser les dents avant de vous coucher. Les Ennuis eux ressortent l'antique rituel – cette étrange pratique qui tient autant de la déclinaison policière de la fameuse fiche S que du défilé de haute couture - chacun des champions sous ses plus beaux atours instrumentaux et la faconde de Ben qui proclame et enturbane le pédigrée de ses catcheurs. Sortez vos mouchoirs, c'est fini. Non, les voisins ne s'en tireront pas sains et saufs. On ne leur fera pas l'honneur de les caresser à la batte de baseball. Les Ennuis leur font le coup du parapluie bulgare. Leur ont réservé un dernier petit cadeau empoisonné. Une ritournelle vénéneuse, dont le cyanure mental s'insinue lentement en vous, porté par les ondes sonores et inoculatoires jusqu'à vos oreilles, La Belle Saison, des Dogs, chronique d'une mort prochaine annoncée... Que voulez-vous dès qu'il y a du rock'n'roll dans l'air, Les Ennuis Commencent...

OUF !


Quand cette kronic sera publiée ils auront déserté la capitale et rejoint leurs pénates, les mines à ciel couvert de Decazeville. Normalement ils ne passent sur Paris qu'au mois de février. Nous sommes tranquilles pour un an. On va enfin pouvoir vivre en paix !
A peine deux jours qu'ils sont partis, et déjà ils nous manquent...


Damie Chad.



Les ennuis continuent, décidément on ne peut jamais être pénardos en ce bas-monde. Nous ont glissé un petit souvenir dans la poche, un CD cinq titres, les pistes non retenues lors de l'enregistrement de leur dernier album Love - o - rama ( voir KR'TNT ! 270 du 25 / 02 /2016 ).

 

THE JOHNNY BURNOUT OUTTAKES
LES ENNUIS COMMENCENT
ASTRO ROCKABILLY MAMBO

ASTRO ROCKABILLY MAMBO / THE WAY OF THE BEST / ROUTE 66 / I'M SO DEPRESSED / MORE MORE MORE

METHANOL PRODUCTION 

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Astro Rockabilly Mambo : plus qu'un titre, un magnifique manifeste rock'n'roll, à la sauce Les Ennuis commencent. Z'écoutez les paroles, c'est toute l'histoire du rock qui est passé en revue, Jezebel Rock, Melody Massacre, Rycky Amigos, Ervin Travis, bref une certaine idée de la déglingue rockabilly, à la française, plus toute la mythographie internationale qui marche avec, le capharnaüm de la culture rock qui vous a détruit la tête, mais qui vous permet de survivre en ultime desperado des rêves écroulés. The Way of the Best : western rock, la guitare se charge des décors, vous peint les paysages en Colorado-rama, et ensuite c'est la cavalcade des pistoleros, vous traversez tout l'Ouest de long en large, premier arrêt à O.K Corral. Ça ne s'améliore guère par la suite, mais il vaut mieux vivre sauvagement que sagement. Route 66 : deuxième grande virée au travers des Etats-Unis, vous refont le parcours à la boogie woogie bastringue, autant dire que le pianiste est en danger de mort, d'ailleurs les guitares lui roulent dessus sans ménagement. Atomic Ben est au volant et les autres lui ont mis un foulard sur les yeux. Tout de suite la vie devient plus excitante. I'm so Depressed : un vieux truc d'Abner Jay. Un tordu, dites-moi qui vous aimez et je vous dirai qui vous êtes. J'ai toujours tenu Abner Jay ce cul-terreur descendant d'esclaves pour l'ancêtre country-folk-blues d'Hasil Adkins, ce genre de mecs qui tirent tout d'eux-mêmes, leur mode de survie et leur folie douce. Bref les Ennuis vous électrifient ce vieux chant de la grande dépression, une manière de se doter d'un anticyclone pour parer la menace sociale qui s'avance sur nous. More More More : dans la série I wanna be your Dogs, vous enlèvent la pastille à l'acoustique avec un accordéon qui déroule ses anneaux par derrière. Bonjour les cajuns, l'on attrape les alligators en leur saupoudrant la queue avec du sel. L'on en reste la bouche bée.

Cinq pépites indispensables à tous les chercheurs d'orck. En plus plein d'invités sur le disque – 3 Headed Dogs, Ben Bridgen, Aurore Asphalt, Kieran Thorpe, Plume, Laurent Biron, Fred Gissy Guy Messinesse - car plus on est de fous plus on rock. La preuve est faite – une fois de plus – c'est la société de ses semblables qui corrompt l'homme et c'est ainsi que les ennuis commencent.


Damie Chad.

04 / 02 / 2017TROYES
LE 3 B
BROKEN FINGAZ

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Temps clément. Aucune excuse pour ne pas filer tout droit vers la bonne ville de Troyes. Aucun barrage d'icebergs prévu par les météorologues. La Teuf-Teuf picore les kilomètres avec la régularité d'une poule glousse qui gobe des grains.
Peu d'habitués dans le 3 B. Les fans de rockab ne seraient-ils point par hasard un tantinet sectaires ? Non pas du tout, mais ils n'aiment que le rockabilly. Moi aussi, mais entre le rockab et le rock'n'roll, d'après moi n'existe qu'un peu profond ruisseau calomnié comme le tournait en alexandrin Stéphane Mallarmé. N'empêche que le café se remplit de têtes nouvelles.
Broken Fingaz, la sonorité gaëlique du second terme m'avait induit en erreur. Je pensais avoir affaire à un groupe de rock celtique. Tiens me disais-je, une soirée menhir et dolmen, cela changera de chaussures de daim bleu sur calandre des cadillacs roses. L'étymologie est une science difficile et trompeuse, Fingaz n'est pas le nom glorieux du guerrier inconnu d'une obscure saga islandaise, mais le déformation argotique du mot anglais finger. Doigts Brisés, appellation très rock'n'roll ! Pourvu qu'ils tiennent leur promesse !

PLEIN GAZ


Deux guitares, une batterie et une basse tenue par DD Dufour, vous connaissez, c'est lui qui officiait à ce même instrument en ce même bar dans les Natchez ( voir KR'TNT 300 du 27 / 10 / 16 ), oui celui avec un look d'indien qui en remontrerait à un lakota pure souche. Ben Proy pousse sa batterie doucement et les guitares emboîtent le pas en cadence, et surprise, du fond de la salle s'avance Sylvain Lambert, le chanteur, un vrai, seul avec son micro. Pour le moment se contente de laisser monter la mayonnaise. Yeux à terre mais présence indubitable. N'a pas encore ouvert la bouche qu'il est là à égalité avec les autres qui préparent l'allumage des moteurs auxiliaires pour s'arracher à l'attraction terrestre. Z'ont enfilé les deux premiers titres Week End et Don't Be Sorry, tout en souplesse, l'air de rien, lorsque Sylvain nous annonce Put me in the Space, et là faut bien réaliser le tour de cochon qu'ils nous ont préparés. Nous ont englués, scotchés, collés, nous sommes prisonniers, le piège s'est refermé sur nous car on ne descend pas d'une soucoupe volante qui fonce dans les zones inter-galactiques. Remarquez personne n'a envie de s'évader. Ne vous méprenez pas, ne nous la font pas à l'atmosphère éthérée genre Pink Floyd avec des étoiles roses toute mignonnettes sur le papier peint !
Du rock à cent pour cent. Parfois ils se moquent de nous et nous assurent que le morceau suivant est un slow. Autant dire que les escargots se déplacent à la vitesse d'un TGV. On ne les croit pas. On a vite éventé leur ruse diabolique. D'abord ils installent une coupole sonique transparente dont ils ne vous laisseront pas vous évader, vous êtes trop occupés à savoir comment ils réalisent leur magie rouge. Ben a vite fait de vous entourlouper. Ne le lâchez pas des yeux, l'est en train de marquer un petite rythmique tranquilloute, et subitement tout s'envole, le morceau décolle, pourquoi rester simple quand c'est si facile de complexifier le jeu, donne l'impression de frapper ses cymbales par dessous comme pour amplifier la cadence et vous il vous emporte dans une structure mouvante comme s'il mettait le morceau en lévitation. Dom Lambert est à la lead. Imposant. Louvoie sur ses cordes tel un catamaran sur les vagues. Un artiste, n'essayez pas de l'imiter vous allez vous faire des noeuds dans les doigts et il faudra l'intervention d'un chirurgien pour remonter le kit de vos phalanges. A condition qu'avant vous ayez pris soin de les numéroter dans l'ordre. Et quand il joue en slide, inclinez-vous respectueusement.
Eddy Lambin est à la rythmique. Pistolero de choix. C'est lui qui envoie les riffs. Tonitruants et monstrueux, sur Gimme Shelter il lâche les scuds qui vous défoncent les os, ne tournez jamais le dos, c'est là qu'il vous tromblonne sans pitié. Fait parler la poudre et booster la foudre. Entre les deux guitares, Sylvain. Pourriez vous faire du souci pour lui. Ses deux acolytes produisent du gros son, place sa voix sans difficulté. D'abord le regarder bouger. Surtout dans son immobilité. Un chaman qui se concentre pour mieux capter l'énergie du monde, subitement il exulte, avec ses cheveux bouclés et son jeu de jambe rappelle un peu Ian Anderson de Jethro Tull, mais davantage cérémonieux, sait se recentrer sur lui-même, se recueillir pour accumuler le souffle et la force explosive dont il va avoir besoin. Derrière, DD participe d'une semblable sérénité, joue en profondeur, silencieusement a-t-on envie de s'écrier stupidement, plénitude du son qui aggrave les graves, semble rêveur mais est à l'affut et son sourire éclate lorsque la musique vacille dans les boursoufflements des breaks, et s'épanouit dans une coalescence de puissances. Devant un tel magma, et une cadence si enlevée, l'instinct vocal serait de s'égosiller à s'ensanglanter le larynx, Sylvain ne cède pas à cette facilité. Il chante, il module, il respire. Sait aussi hacher le phrasé, inciser les phonèmes et précipiter l'andante.
Deux sets remplis de surprises, ce Personal Jesus de Dépêche Mode totalement réapproprié et supérieur à l'original et cette reprise de Heroes de Bowie qui permet au combo de nous faire une démonstration de ce que l'on appelle une orchestration. Le deuxième encore plus rock que le premier et qui du coup en paraît si court qu'ils reviendront pour un troisième. Nous refont Gimme Shelter et un Fortunate Son à l'emporte-pièce. Les filles dansent, il y en a même une qui s'agenouille en joignant les mains pour quémander encore un dernier titre. Mais c'est à Jean-François qu'ils dédieront Antisocial. L'avait passé Trust sur la sono avant le concert et avait pallié l'absence de Duduche en improvisant un Sweet Home Alabama ( pas tout à fait d'anthologie mais courageux ) soutenu à la guitare par Eddy.
Quatre ans qu'ils jouent ensemble. Une cohésion et une cohérence étonnante. De l'humour et une grande simplicité. Broken Fingaz a tout cassé. Viennent de la région de Reims. Là où l'on sacre les rois.


Damie Chad.

BURN OUT
BROKEN FINGAZ

BORN IN THE CITY / I FEEL SO ISOLATED / PUT ME IN THE SPACE / HEROES

Dom Lambert : guitare / Sylvain Lambert : chanteur / Arno Jaloux : guitare / Ben : batterie / DD : basse / Arno Jaloux : guitare.

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Born in the City : salmigondis de guitares en introduction juste pour vous avertir que vous venez de passer la frontière du pays du rock'n'roll. Venez pas vous plaindre si vous trouvez que ça balance un peu trop. Super bien en place. Sans bavure. Sans défaut. Lustré à l'huile de vidange. A écouter très fort. La batterie est merveilleuse et les cordes vous tirent du mauvais côté, celui que vous préférez. Sylvain vous avertit des dangers à éviter. L'est si persuasif – voix charmeuse de serpents venimeux - que vous vous précipitez dans la city pour louer un studio. D'enregistrement. I Feel so Isolated : un brin davantage binaire, juste pour vous montrer ce que l'on peut faire avec un kit de base. Sylvain l'a l'air d'ânonner les évangiles du diable et c'est parti pour la farandole rock and roll, le grand jeu, une démonstration, comment l'on passe le bâton de dynamite allumé au copain, qui s'en saisit et s'en amuse comme un dum dum boy, avant de le refourguer au voisin. Franchissent la ligne d'arrivée tous ensemble, en vainqueurs. Et la mèche brûle encore dans vos oreilles. Put me in the Space : un peu de grandiloquence ne messied pas aux épopées. Le guitares viennent brouter dans votre main, attention, elles ont des crocs de panthères affamées. La voix de Sylvain a beau leur caresser l'échine, elles restent des animaux sauvages. La section rythmique vous injecte des flaques de sang frais pour leur ouvrir l'appétit. Et vous aimez cela. Les hyènes stellaires. Heroes : moi je n'aurais jamais osé. Faut avoir les olives ou les ovules grosses comme des ballons de rugby pour se risquer à déplacer les pyramides. Z'y foncent franc jeu et le ridicule ne les tue pas. Z'ont l'aisance des dauphins qui se jouent des vagues assassines. Accélèrent même le final, faut bien montrer qu'ils ont encore de la réserve. Les héros sont ceux qui s'affrontent aux monstres et qui en ressortent vivants.

Nous ont promis un album pour bientôt. Prenez-le d'urgence en pré-commande, il risque de ne pas stagner longtemps dans les bacs à gruyère de votre crèmerie préférée. L'ambroisie des Dieux.


Damie Chad.

ANÂHATA
DÄTCHA MANDALA

MISERY / MOJOY

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Nicolas Sauvey : vocal, basse, acoustic guitar, harmonica / Jérémie Saigne : guitare / Jean-Baptiste Mallet : drums / Production : Clive Martin

MRS Sound Septembre 2016.

Vu la semaine précédente au Petit Bain. Voir KR'TNT ! 314.

Visent haut. En plein coeur du quatrième chakra. Celui qui permet au reptile de la kundalini de grimper des tréfonds du pubis jusqu'à la voûte du ciel. Le serpent céleste. Avec un tel projet, les Dätcha Mandala ont intérêt à assurer. Ne vous étonnez pas de la longueur des morceaux qui flirtent avec les cinq minutes, ce quarante-cinq tours est un extrait du futur album destiné à paraître fin de ce mois des fièvres. L'orange de l'oeuf originel estampille le bleu foncé de la pochette. Attention, l'est fendillé, quel monstre merveilleux en éclora-t-il ?

Misery : vous mettent la misère. Vous content la vie d'un garçon qui vous ressemble trop pour ne pas être vous. La guitare pleure et la voix monte vers la plénitude de la souffrance. Et tout l'orchestre derrière qui commence à mugir comme un troupeaux de dix mille moutons noirs que l'on pousse vers l'abattoir. Escaliers pour le purgatoire. La voix de Nicolas Sauvey sur le fil du rasoir. Tient l'équilibre. Descente abrupte. Pas de rambarde où se rattraper. Vous lui emboitez le pas tout de même. Vous tenez à savoir comment tout cela se terminera. Mal. Mojoy : Après la ballade emphatique le mojo de la joie. Dérive honky tonky blues, l'harmonica qui draine le chemin, la voix qui saute les haies les nuits de pleine lune, et l'est sûr que ce soir on ne va pas s'ennuyer. La guitare gronde et la batterie gambade la chamade. Fête païenne, l'alcool de contrebande coule à flot, hymne à la joie. De vivre.

Davantage Dätcha que Mandala. Que voulez-vous la jeunesse a le temps devant elle, inutile de se précipiter vers la cauteleuse retenue de la sagesse. Les vapeurs d'encens ne valent pas l'âcre fumet du moonshine. Pas besoin de gratter l'écaille du serpent pour sentir le musc du Dirigeable. Mais si vous n'avez pas de maître pour vous tirer vers le haut, vous ne pourrez jamais le tuer. Le rock sourit aux audacieux.


Damie Chad.