15/02/2017
KR'TNT ! ¤ 316 : STOOGES / KING MUD / FOBY / HOWLIN' JAWS / ANGE-MATHIEU MEZZADRI
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 316
A ROCKLIT PRODUCTION
16 / 02 / 2017
STOOGES / FOBY / MUD KING / HOWLIN'JAWS ANGE-MATHIEU MEZZADRI |
stoog by me
— T’es pas allé voir le film de Jarmush sur les Stooges ?
— Si...
— Mais j’t’ai pas vu dans la salle !
— Suis arrivé à la bourre. J’avais pas trop envie de palabrer avant... Les Stooges, ça a toujours été un truc à part. Les potes avec lesquels j’écoutais ça ado sont morts, tiens, comme Dave Alexander. Picolaient trop. Alors maintenant, c’est compliqué d’en parler avec des gens que tu connais mal.
— Et t’en penses quoi du film de Jarmush ?
— Oh je sais pas quoi te dire. Le truc qui me gêne, c’est d’être assis dans une belle salle de cinéma confortable pour voir des miettes de Stooges. Le chaos, ça ne se marie pas très bien avec le confort d’une salle de cinéma de province, si tu vois ce que je veux dire. J’aurais préféré une salle pourrie comme celle de Mocky à la sortie du passage Brady, t’as des kleenex par terre et des taches de sperme sur le fauteuil devant toi. Là d’accord, on renoue avec une certaine cohérence. J’adore la cohérence, tu vois. C’est même ce que je préfère dans la vie. Si t’es pas cohérent, poto, t’es marron ! Tu me suis ? À voir ta mine, ça n’a pas l’air... Mais bon, pour revenir à tes moutons, on regarde quand même ce putain de film, parce que tous les gens qu’on y voit parlent d’un truc qui nous intéresse au plus haut point : les Stooges ! Eh oui, j’ai l’impression de rabâcher un vieux discours, mais pour des mecs comme moi, les Stooges, c’est la base, bien plus que les Stones ou tous les autres groupes. Même si t’as démarré dans ta vie de rocker de banlieue avec Jerry Lee, eh bien figure-toi que les Stooges ont remis tous les compteurs à zéro, et tout, écoute bien ce que je te dis, tout est reparti de là. Tout ! C’est à ma connaissance le seul groupe qui a été capable de démarrer avec un monster blast comme «1969». Dès le premier single, t’étais baisé. Fait comme un rat. T’avais beau blablater ah oui, blih-blah-blah Brian Jones, blih-blah-blah Charlie Feathers, blih-blah-blah Muddy Waters, t’étais rattrapé par le groove animal de «1969» et son all across the USA, et t’étais hanté par cette voix qui te rentrait sous la peau et aussi par ce riff définitif que tu rejouais sans fin sur ta petite guitare de merde, et t’avais vraiment l’impression de recommencer à vivre, mais pour de vrai, dans chaque instant de la seconde où ça se passait, tu sentais l’énergie du solo couler dans tes veines, et tu te disais, tu sais comme tu le fais parfois en t’interdisant de tricher, tu te disais : ah oui, ce truc-là, c’est vraiment fait pour moi, comme tu pourrais le dire d’une gonzesse. Tu vois, ce que j’essaie de te dire c’est que les Stooges, poto, ce n’est pas un documentaire, c’est complètement autre chose, il s’agit d’un truc qui se situe à un autre niveau, c’est l’essence même d’un style de vie qu’on choisit de vivre, et tu vois, t’es pas obligé de mettre un collier de chien comme Iggy ou de sortir ta bite à toutes les occasions, mais chaque fois que tu mettras le premier album des Stooges sur ta platine, tu mettras le volume à fond, et si t’as un peu de chance, tu rencontreras des mecs qui pensent exactement la même chose, pour qui les Stooges en 1969, c’est devenu le modèle absolu, des mecs qui préfèrent mettre leur santé en danger plutôt que d’aller travailler dans une banque ou chez un notaire, tu vois ce que je veux dire ?
— Oui, bien sûr. Mais tous les fans de rock font comme toi, ils tombent dans des excès de langage comme tu le fais. Ce que tu dis n’a strictement rien d’original. Tu as quand même bien une opinion sur le film de Jarmush ?
— J’ai trouvé ça trop déséquilibré. Trop de parlote et pas assez de musique. Pour moi, le film rock parfait, c’est Woodstock. Tu vois les Who et Sly Stone en entier et aucun putain de réalisateur n’arrive avec des ciseaux pour charcuter Sly Stone ou Pete Townshend sur scène. Tu as le cut en entier, c’est comme si tu avais assisté au concert. À mon sens, l’essentiel quand tu fais un film musical, c’est de respecter l’artiste, et donc tu évites de le charcuter quand il joue un morceau. L’abruti qui a fait Wattstax a osé charcuter les Staple Singers et les Bar-Kays, tu te rends compte ? C’est insupportable ! J’éprouve une haine incommensurable envers les charcuteurs du cinéma. Et là, Jarmush a charcuté les Stooges comme un vrai psychopathe, même dans les plans de la reformation, t’as à peine trente seconde des Stooges reformés, et bien pire, t’as presque pas de Ron Asheton qui est quand même l’âme du groupe, putain, même Jarmush semble l’oublier, Ron traite d’égal à égal avec Iggy dans cette histoire, Ron Asheton, c’est pas un gadget avec des croix de fer, un truc qu’on sort au bout de 45 minutes comme un simple témoin, tu comprends, c’est lui le point de départ, sans les riffs, t’as pas Wanna Be Your Dog, t’as pas No Fun, t’as rien ! Que dalle ! Bon d’accord, le bon côté des choses, c’est qu’on voit Iggy en grand sur un écran de cinéma, à 70 piges il a toujours cette classe infernale. C’est très impressionnant ! Dans une interview il disait qu’il s’en sortait plutôt bien : I’m not bald, I’m not fat, eh oui, ça fait toute la différence avec les gros pépères chauves qu’on voit revenir ici et là, mais en plus, Iggy est marrant, il ne dit jamais les choses avec malveillance, il est incapable de la moindre aigreur, tout ça parce qu’il a cet état d’esprit moderne qui lui a permis de faire les Stooges, tu comprends, si tu veux faire un groupe avec un son aussi hors normes que celui des Stooges, t’as intérêt d’avoir un certain état d’esprit, d’une part, et d’autre part, t’as intérêt à rencontrer les bonnes personnes. Quand tu vois Iggy assis dans son fauteuil, il te fait penser à un vieux pote en qui tu as une confiance totale, parce que tu le connais et tu le sais incapable de la moindre enculerie, je ne dis pas ça pour toi, amigo, je te parle d’Iggy et de ce qu’il inspire, tu vois, il a toujours une sorte de sourire en coin, et ça, c’est révélateur. C’est un signe physiologique, c’est à ça qu’on reconnaît les esprits farceurs, c’est-à-dire les gens qui préfèrent rigoler plutôt que de prendre les choses trop au sérieux, il a cette légèreté, cette belle insoutenable légèreté de l’être chère à Kundera, et tu comprends pourquoi il est encore là aujourd’hui, cinquante ans après ses débuts, avec cette voix de crooner des Caraïbes et cette dégaine de vieux dandy de Motor City. Voilà, pour te répondre, c’est le seul intérêt que je retire de ce documentaire : voir Iggy raconter une histoire, et là, c’est bien, parce qu’il raconte celle des Stooges. Mais on la connaît par cœur, cette histoire. Tu ne vas quand même pas me dire que ce film t’a appris des choses ?
— Si, pas mal de choses, les histoires avec le label Elektra...
— Mais mon con joli, c’est vieux comme Hérode ! T’avais déjà tout ça dans Creem, le canard de Detroit, et t’as au moins trois bouquins vachement bien foutus sur les Stooges et hyper documentés. Mais c’est vrai que le docu rendra service à ceux qui ne lisent pas. D’autant plus que les bouquins dont je te parle ne sont même pas traduits en Français, donc c’est cuit aux patates. Mais tu vois, pour revenir au film, j’aurais préféré un Woodstock avec les Stooges et le MC5, c’est la meilleure façon de restituer l’énorme impact qu’ont eu ces deux groupes sur tout ce qui a suivi, et notamment en Angleterre. Sans eux, pas de Pistols, pas de Damned, donc rien du tout. Les Anglais auraient sans doute continué de bouffer du Pink Floyd ! Au fond, et pour te dire les choses franchement, je ne suis pas convaincu que ce film puisse vraiment servir la légende des Stooges. Il manque un truc de base : la démesure. Tu vois, avec Metallic KO et Telluric Chaos, Skydog a mieux servi la légende des Stooges que Jarmush avec son documentaire.
— Si ça manque d’archives cinématographiques, c’est parce qu’elles sont bloquées pour des questions de droits, à ce qu’on dit. Wayne Kramer disait dans une interview qu’il venait de voir des rushes extraordinaires d’un film sur le MC5 qui est lui aussi bloqué pour des questions de droits.
— Ben dis donc, camarade, heureusement que les Stooges n’étaient pas bloqués pour des questions de droits, parce qu’on serait tous obligé d’écouter les Cars et ton copain Stong ! Tu te rends compte des conneries que tu peux débiter ? On s’en branle qu’il y ait des problèmes de droits ou de pas de droits, tu comprends, on voit une affiche avec écrit en gros Gimme Danger et en dessous tu vois Iggy à l’époque de Metallic KO, alors ? Ben alors on s’attend au meilleur film de rock de tous les temps ! C’est quand même pas compliqué à comprendre ! Là, t’as tout juste un docu pour Arte. Avant j’aimais bien Jarmush, parce qu’il avait filmé Screamin’ Jay Hawkins dans un hôtel de Memphis et ça avait de la gueule. Maintenant, je le mets dans le même sac que les charcuteurs. Il aurait pu au moins nous laisser le No Fun de la reformation en entier, putain, le son commençait à faire vibrer le sol et tu sentais les vieilles énergies remonter par les bottes ! Putain, tu renouais avec la clameur du set au Zénith, quand des milliers de cervelles tombaient dans l’escarcelle magique des Stooges, et là t’avais un vrai truc, une revanche sur le temps, les Stooges revenaient en vainqueurs, enfin, tout ce que je te dis, ça ne sert à tien, la réalité reste la réalité, elle est incapable de faire autre chose que d’être la putain de réalité. On ne revivra le set des Stooges au Zénith que dans nos souvenirs. Tu vois, tout ce que j’espère, c’est que des gens qui ne les connaissent pas et qui verront ce film à la télé auront envie d’écouter leurs disques ! Tiens, il y a même un vieux dans le cinéma qui m’a interpellé à la fin du film pour me dire : «Oh ça donne envie de réécouter leurs albums !». Pas mal le vieux, hein ?
Signé : Cazengler, le stoo-venant
Gimme Danger. Omnia. Rouen (76). 25 janvier 2017
Jim Jarmush. Gimme Danger. 2016
GIMME DANGER
JIM JARMUSH
( DOCUMENTAIRE / 2017 )
Non, je ne connais pas, cela ne me dit rien. Mais comme c'était un employé gentil, l'est allé chercher le directeur. Lui, il en avait entendu parler. M'a regardé comme si j'étais un fou furieux échappé de l'asile. Ah ! Le film avec ce groupe de rock très spécial ! Me suis senti obligé de temporiser ce jugement de valeur par trop approximatif, les Stooges, un des meilleurs groupes de rock'n'roll in the world ! Oui, oui, peut-être – règle d'or du commerce ne jamais contrarier un client – très spécial, nous ne le passerons pas ici, Provins n'a pas la clientèle, vous le trouverez sur Paris, mais dépêchez-vous, l'est en première semaine, en France, il ne restera pas longtemps, n'y a pas de public pour ce genre de groupe très, comment dire, spécial.
J'ai bondi dans la teuf-teuf et en route à la recherche de l'Iguane. Pas eu besoin de galoper jusqu'aux Galapagos, l'était encore à l'affiche, dans trois cinoches. N'avait pas tort le dirlo, relégué dans la petite salle, soixante-cinq fauteuils inoccupés, quinze quidams éparpillés sur les sièges.
Voudrais pas avoir l'air de l'éternel râleur, emmenez votre petite nièce voir un dessin animé, la moindre coccinelle qui se hasarde sur une brindille, vous avez l'impression qu'on déracine un séquoia au bout de la rangée. Je me disais, ah ! Les Stooges, ça va cracher dans les enceintes. L'on en ressortira la gueule arrachée, les tympans troués, les esgourdes saignantes. Avec un peu de chance quand je traverserai la rue avec mes oreilles sifflantes je n'entendrai même pas la voiture qui m'écrasera, voir les Stooges et mourir, que pourrait-il m'arriver de mieux dans ma vie ! Une véritable fin digne d'un rocker ! Eh ! Bien non, niveau sonore, le Jarmush il a dû embaucher le sonorisateur de la biopic sur Dalida, le gars ne s'est pas fatigué l'a équalisé sur tous les extraits, les paroles comme les concerts. Ça ne ronronne pas plus fort que la machine à laver remisée au sous-sol. Question son, Jarmush is not too much.
Questions images ? L'a récupéré ce qu'il a pu trouver. Pas mal de photos, quelques vidéos d'époque, les émissions télé, l'a tout découpé et l'a remonté le puzzle à sa manière. L'a tenu à ce que le spectateur ne se perde pas dans le kaléidoscope, l'a donc déroulé l'histoire dans l'ordre chronologique. Pour les pièces manquantes quand il a eu des trous noirs l'a adopté la technique de La Panthère Rose ou de La Grande Escroquerie du rock'n'roll, le dessin-animé sommaire qui permet de reconstituer en pointillés les chaînons manquants.
Un bon point. A cerné ses sujets. N'a pas interviewé le voisin de la belle-soeur du concierge de l'immeuble d'en face qui a vu les Stooges débarquer au studio en un état indescriptible. Même pas les témoins du deuxième cercle. Remarquez l'aurait eu un peu de mal. Cinquante après, l'aurait dû faire la tournée des cimetières. L'a concentré ses efforts sur les protagonistes eux-mêmes. N'en reste qu'un. Iggy l'immortel. Pour les autres n'a pas utilisé la technique des tables tournantes, l'a repris des interviews récapitulatives de leur carrière réalisées après la reformation de 2002, avant qu'ils n'aient la mauvaise idée de passer la guitare ou les baguettes à gauche. Cela vous a un petit air reportage d'Arte, Eric Burdon sur son canapé qui vous conte le swinging London ou les hippies d'Amérique. Je n'ai rien contre les canapés, mais enfin ce n'est pas un meuble très rock'n'roll.
Quoi qui disent ? Rien d'intéressant pour les vieux briscards qui suivent les Stooges depuis leur premier album. Connaissent déjà toute la saga. Par contre pour ceux qui arrivent frais comme des bébés-Cadum, ils engrangeront la totale. Z'oui mais encore ? Deux constatations, aucune nostalgie, aucune animosité dans leurs propos. Ne sont pas là à nous déblatérer le pathos. Pas pleurnicheurs pour un sou. Zéro Calimero. Ne sont pas des teckels aux yeux humides qui agitent la queue et qui font les beaux pour qu'on leur octroie le susucre de la pitié. Les Stooges ne mendient pas. Ne se la jouent pas non plus à la rock'n'roll star, coucou on était les plus beaux, on était les meilleurs. N'usent même pas de l'insupportable fausse modestie. Racontent simplement, ne se vantent de rien. Rapportent les faits. Tels qu'ils les ont vécus. N'avaient pas l'impression d'accomplir des exploits impérissables. Se sont contentés d'être ce qu'ils étaient et de faire les choses comme ils pensaient qu'ils devaient les faire.
Ont tout sorti d'eux-mêmes. Leur grande force. Ont commencé comme tout le monde par former un groupe au lycée. Et puis ils ont continué. Des cabours qui n'en faisaient qu'à leur tête. Mais sans œillères. Les oreilles aux aguets. Z'écoutaient les disques de l'époque, plus un plein de blues et du jazz. Pas le style ou le genre qui les intéressait. Plutôt la pâte sonore, le traitement du son. Se sont focalisés sur leurs instruments, n'étaient pas des virtuoses, se sont motivés, dix mille fois sur l'ouvrage ils ont remis le riff jusqu'à ce peu à peu la mayonnaise prenne. Idem pour Iggy, l'avait une belle voix, mais ça ne suffit pas. L'aurait pu singer Elvis et chantonner n'importe quelle babiole, non l'a fondue dans la musique, contrairement à ce que l'on croit, le bijou scintille encore plus fort dans la noirceur de l'écrin que sur la poitrine des femmes.
N'étaient pas les seuls à l'époque, même que le Velvet Underground les avait déjà précédés sur la pente sauvage de la musique, et surtout le MC 5 qui avait réalisé les essais moteurs plus que satisfaisants. Oui mais la meute du Lou était un peu trop arty, et les mécanos de Détroit un peu trop politiques. Les Stooges n'étaient rien de tout cela, les belles idées leur passaient un peu au-dessus de la tête. Pas assez branchés, trop bruts de décoffrage. Ne comptaient que sur leur propres forces. Le rock and roll et rien d'autre. Aucun additif. Aucun complément alimentaire.
La postérité leur a rendu raison. Jarmush déroule une impressionnante série de pochettes de groupes ultérieurs qui ont sinon revendiqué l'héritage du moins paré au plus pressé en reprenant ( en tentant de reprendre ) leur son si caractéristique. Vite, fort et violent. Des Sex Pistols aux Dictators, des Ramones aux Vibrators, des centaines de combos qui se sont précipités dans cette manière hardcore de jouer. Cet art de vomir son énergie sur scène. Les Stooges ce serait plutôt l'art de rendre l'âme. Autrement dit un engagement corps et esprit, métaphysique physique. Les Pistols ont cru nous atterrer. Nous ont refait le coup nietzschéen de l'annonce de la mort de Dieu. Pas de futur pour le rock'n'roll ont-ils proclamé haut et fort. Pas de panique. Les Stooges nous avaient assuré que ce n'était pas grave car le rock'n'roll se mouvait dans l'éternelle présence de sa propre démesure.
Jeu dangereux. L'on ne chevauche pas le tigre impunément. Soit vous faites peur aux commensaux qui au début vous trouvaient sympathiques, soit l'accariâtre bestiole se retourne et vous mord. A mort. Les Stooges auront droit aux deux solutions. Les maisons de disques qui se débarrassent au plus vite de cette machine de guerre incontrôlable. Et qui surtout ne rapporte guère de cash. Les serpents de la drogue qui s'enroulent autour de vous, ce n'est point pour vous apporter la chaleur humaine qui vous manque, au contraire pompent la vôtre et vous laissent sans force. K.O. Mais Metallic. Z'auraient quand même pu préciser que c'est Marc I wanna be your Skydog Zermati qui sortira le disque en notre douce France. L'Amérique ne voulaient plus de ces lansquenets jusqu'au boutistes du rock. S'étaient d'abord retrouvés en Angleterre - les mêmes tribulations dix ans plus tard que Gene Vincent et Eddie Cochran – invités par Bowie et abandonnés par Defries, et puis Iggy sauvé in-extremis sur notre terre d'asile idéologicrock nationale. Juste un tremplin, mais arrivé au bon moment, qui lui permettra d'assurer une continuité et de rebondir.
L'Iguane est devenue une icône. Sans sa survie nous n'aurions pas eu ce film. Parle pour les autres. N'en tire aucune gloriole. Evite les discours et les médailles de l'ancien combattant. Ne revendique aucun privilège. Ne gomme rien, et ne surligne rien. Parle aussi pour lui. Se définit. La nudité de l'être. Rien d'autre. Ni ceci, ni cela. Faites le lien métaphysique avec son torse dénudé sur scène. Pas Gimmick Danger. Sachez opérer la différence. Gimme Danger. S'exposer, tel qu'en soi-même. Crier par toutes les pores de sa peau, danser jusqu'à ce que le sang sacrificiel coule. Rien à voir avec une vision christique. Mais oui pour le sang du poulet que l'on égorge dans les cérémonies vaudou. Le rock est une corrida, mais c'est le taureau qui simule et signe – toute l'ambiguïté rock en ces trois mots - sa propre mise à mort. Car l'on ne peut faire confiance à personne d'autre que soi.
En attendant courez voir ce film avant qu'il ne disparaisse des écrans. De temps en temps, l'on a le bonheur d'apercevoir Iggy et les Stooges sur scène. Nettement insuffisant, mais déjà beaucoup.
Damie Chad.
Mad King Mud
Quand on voit Freddy J IV s’installer sur son siège de batteur et tester les cordes de ses trois guitares, c’est tout le Wild West qu’on voit s’asseoir. Avec son visage taillé à la serpe, son regard clair, l’indescriptible fouillis de ses cheveux et de sa barbe jaunâtre, sa mauvaise casquette usée par les ans, sa chemise de bûcheron ouverte sur un T-shirt innommable et le confort un peu lâche d’un jean trop lavé dans les rivières, il semble venir d’un campement de mineurs, mais pas ceux que vous voyez à la télé dans des reportages, pas ceux du bassin et de la salle des pendus, non, pas du tout, celui-là sort tout droit de l’un de ces campements de mineurs de cuivre incrustés comme des chancres au flanc d’un mont des Appalaches, au siècle d’avant le siècle dernier, dans les années 1850.
L’homme s’accorde d’une main fébrile, avec de gros gestes brusques, il grommelle des choses inintelligibles, il renifle et se racle la gorge, crache derrière l’ampli, s’essuie le nez du revers de la manche, il se prépare à jouer exactement comme s’il se préparait à affronter une bande de rôdeurs repérée dans les bois juste en dessous du camp, il sait que la vie ne tient qu’à un fil et qu’il n’a pas le droit à l’erreur, ces racailles vont attaquer le campement dans la nuit pour s’emparer des armes et des chevaux, alors il se prépare, il souffle comme un cheval de bât, il fourbit ses guitares comme s’il chargeait ses sept cartouches dans le magasin de son fusil Spencer. Oui, c’est vraiment l’impression qu’il donne. Il ramasse ses médiators et ses bottle-necks éparpillés au sol pour les ranger dans une petite boîte, exactement comme s’il ramassait les cartouches jetées à terre après avoir chargé le magasin de son précieux fusil. On voit aux grosses veines qui sillonnent ses mains qu’il est sous tension maximale.
Il parle tout seul, le regard vissé sur le manche de sa guitare, une SG Gibson grise un peu crasseuse. Il attend que les autres soient prêts. Van Campbell s’installe derrière les fûts. Comme Freddy, Van n’a pas d’âge. Il porte le cheveu court et un T-shirt déclassé. Il semble beaucoup moins tendu, mais peut-être cherche-t-il à donner le change. Un jeune type trop bien habillé et extrêmement chevelu les rejoint avec une Fender bass en bandouilière. Soudain, Freddy pousse un hurlement et met en route une véritable machine infernale. Yehh ouuuhhh !
Eh oui, ce mec est un phénomène unique au monde. Il est probablement aujourd’hui blasteur le plus sauvage d’Amérique. Il joue tout en accords ouverts et crée par moments d’extraordinaires phases de tension sonique sur un accord complètement inconnu, et il gueule, il faut voir comme il gueule, il gueule tout ce qu’il peut gueuler, il gueule avec l’énergie de la sauvagerie poussée à un degré qu’on ne connaissait pas. Il gueule tellement qu’on craint pour sa voix, mais non, il hurle dans l’œil du typhon, il explose les limites du guttural, il charge à la tête d’un bataillon, c’est un diable magnifique, complètement possédé, atrocement pur. Il réinvente ce trash-punk-blues qu’on croyait éculé par trop d’excès, par tous ces Immortal Lee County Killers et tous ces Big Foot Chesters, et il va même jusqu’à transcender le trash du blues jusqu’au trognon. Il développe une énergie qui dépasse tout ce qu’on sait de l’énergie, c’est l’homme des bois qui tâte du trash, il tape ses cuts comme il tape la hache dans le tronc, il le fait avec une violence inouïe, avec un mépris absolu de toutes les lois de la physique, il se bat avec le rock comme s’il se battait avec les éléments, c’est eux ou moi, pas de discussion possible, tu veux jouer, gamin, alors écoute ça ! Et il envoie sa reprise du «Keep It Out Of Sight» de Doctor Feelgood, il recrée comme par magie tout le monde de Wilco sur son manche, mais de façon totalement bestiale, avec un son qui tourbillonne. Son bras droit dégouline de sueur, le tablier de sa SG ruisselle, vous n’avez pas idée de cette démesure, la violence jaillit de partout en lui, pas seulement de sa gorge en feu, c’est tout son corps ramassé sur le tabouret qui dégage de la fumée et de la chaleur humide, et il gratte ses cordes d’une main repliée alors que les doigts de sa main gauche dansent sur le manche un ballet incroyablement rudimentaire. Les veines de ses mains sont tellement gonflées qu’on s’attend à les voir exploser.
Entre chaque cut, il fait le con, comme s’il était ivre de carnage, il roule des yeux et lance des motherfuckers d’une voix tellement sourde qu’on le croit devenu aphone, il se frappe la poitrine à grand coups et lance des love you louen complètement hystériques ! Et paf, on prend dans les dents une monstrueuse version du «Goin’ Down» de Don Nix qui fait oublier celle du Jeff Beck Group pourtant donnée comme la meilleure, mais camarade, Jeff Beck a beau être Jeff Beck, Freddy explose jusqu’a son souvenir, car le Goin’ Down qui descend sur le Kalif descend tout droit des enfers, oui, les enfers qu’on préfère, la maison-mère du trash et du sel de la vie. C’est exactement ce que Freddy répand autour de lui : le sel de la vie.
Si vous n’avez pas la chance de voir ce mec jouer sur scène, l’album de King Mud vous tend les bras. Car quel album ! Même si on connaît tout ce que Freddy fait avec Left Lane Cruiser, écouter cet album relève du devoir pour tout amateur de trash-blues un peu élaboré. On retrouve sur Victory Motel Sessions la fameuse reprise de «Keep It Out Of Sight». Freddy fait bien gicler le riff de Wilco et ça coule droit dans l’oreille. Il fait une autre reprise de choc avec ce vieux standard des Them qui s’appelait «I Can Only Give You Everything». Là, nous ne sommes plus à Belfast, mais dans un endroit dix mille fois plus sauvage, quelque part dans l’Indiana. Freddy et Van sont sur le beat, comme le beletman sur la belette, et ce qu’on entend, en réalité, ce n’est pas la reprise d’un vieux standard garage, mais le pas cadencé des éléphants de Scipion l’Africain au passage d’un col des Alpes. C’est d’une puissance barbare complètement dévastatrice, c’est atrocement bien battu, ils jouent ça au binaire de la jugulaire. Si ces mecs-là commencent à taper dans le garage, on sent que beaucoup de groupes vont devoir prendre une retraite anticipée, car enfin, qui oserait se présenter sur scène à la suite de tels démons ? On trouve aussi sur cet album un clin d’œil aux Stones, un truc qui une fois de plus laisse coi, «Take A Look», un peu pop, c’est vrai, mais tellement ambitieux au plan composital qu’on s’en effare. On voit bien que Freddy l’anti-héros aspire à d’autres horizons ! Encore un violent coup de Jarnac avec «War Dancing» ! Eh oui, voilà que ces messieurs décident tout simplement de sonner comme Motörhead. Oh pour eux, c’est un jeu d’enfant. Les Appalaches en 1850, c’est quand même autre chose que Londres en 1980, tout le monde le sait bien. Il faut entendre le numéro que fait Van Campbell derrière ses fûts ! Il sonne exactement comme ce fou de Mickkey Dee et bien sûr, Freddy joue sous le boisseau, exactement comme Phil Campbell. Si on a encore besoin d’être impressionné, dans la vie, il faut écouter ça. Tout aussi spectaculaire, voilà «But Time», le cut d’ouverture, joué au riffing compulsif. On y note l’excellence d’un beat démoniaque. Van the man ne plaisante pas, on l’a compris quand on le voit jouer sur scène. Sur disque, c’est exactement la même chose : une fournaise, une vraie pétaudière à deux pattes. Quant à Freddy, il n’en finit plus de faire rôtir ses notes en enfer. Il reste bien sûr ancré dans le blues, mais il va parfois tenter l’aventure d’un riff gras et commettre le péché d’orgueil en visant l’ambition salutaire. Oh, ce n’est pas si grave, cette nuit, sous sa petite tente, Freddy sortira sa vieille bible de son havresac et il marmonnera une prière pour laver ses péchés, mais d’une voix sourde, pour ne pas troubler son ami Van, allongé à côté et plongé dans ses pensées.
Signé : Cazengler, le riki-King
King Mud. Le Kalif. Rouen (76). 9 février 2017
King Mud. Victory Motel Sessions. Alive Naturalsounds Records 2016
11 – 02 – 2017 / BRUNOY ( 91 )
LE COMMERCE
FOBY
Voudrais pas jouer le pépère la morale mais n'écoutez pas vos amis, surtout s'ils ont un plan B à vous proposer pour le week end, ne cédez pas à la tentation, tirez-leur une balle dans la tête, et passez à autre chose sans remords. Vous ignorez à quelles turpitudes vous vous exposez. Je parle en connaissance de cause, Mister B, mon spécialiste guitare, qui a un collègue de boulot, qui comme par hasard leade la guitare dans un groupe de rock, qui donne un concert pas très loin, à Brunoy. Le lecteur intelligent sent se profiler la suite de l'aventure. Sur le papier, c'est très jouable, et nous voici partis en toute innocence pour une soirée de folie, à vous filer la phobie du rock'n'roll jusqu'à la fin de votre vie. Ou alors à conforter votre immodérée appétence pour cette forme de musicale de jouissance sauvage. Disons que cela dépend de votre native postulation envers l'aspect dionysiaque de votre existence. Dans ce deuxième cas, vous remerciez votre ami.
Brunoy, une ville labyrinthe, d'ailleurs dès que l'on aborde les premières ruelles, le GPS se bloque et refuse de nous guider. Pas de panique, la teuf-teuf suit son instinct et nous dégote une place de stationnement en trois minutes. Ne reste plus qu'à poursuivre à pied. Non, le jeune couple auprès duquel nous nous enquerrons de la localisation de la rue idoine ne connaît pas, mais dès que nous précisons le café, Le Commerce, les visages s'éclairent – signe prémonitoire auquel stupidement nous ne prêtons aucune attention – tout simple, juste à côté de la banque. Et en effet, deux minutes plus tard, voici la banque, et juste à côté Le Commerce.
LE COMMERCE
Pour que vous compreniez bien la suite des festivités, vous avez besoin d'un rapide croquis. A droite le comptoir, à gauche Foby qui peaufine la balance, au milieu un étroit passage, au jugé, un espace de six mètres carrés qui permet d'accéder au reste de la salle. Dans un renfoncement à droite les pizzaioli s'activent méchant, à gauche des tables serrées comme une phalange macédonienne, squattées par des mangeurs de pizza, au fond un goulet d'étranglement qui mène à une salle de restauration à laquelle nous n'accèderons jamais. Ce doit être un peu comme l'entrée du paradis, beaucoup de monde et peu d'élus, une queue d'une trentaine de personnes attendent patiemment. L'en rentrent des fournées d'autres, qui repartent déçues l'oreille basse et la mine contrite, et d'autres tout guillerettes qui prennent un verre et leur mal en patience tout en formant un agglutineux bouchon devant le comptoir... bref quand une heure plus tard Foby entame les hostilités, vous avez plus de quatre-vingt impétrants qui forment une masse compacte et néanmoins ultra-mouvante, sur les six mètres carrés qui séparent le groupe du comptoir.
Mais ce n'est pas tout. A l'image du couloir rhodanien, vous avez l'autoroute qui passe au milieu. Surchargée. Une file ininterrompue qui entre et une autre tout aussi ininterrompue qui sort, plus une troisième qui entre et qui sort sans arrêt. Du monde dehors sur le trottoir qui fume, boit, rit, discute, parle fort, une foule dedans, qui rit, qui boit, qui hurle, qui invective, qui gigote, qui acclame. Ambiance explosive, à la merci du moindre carambolage. Heureusement les pompiers sont là. Une sympathique escouade d'intervention de joyeux drilles remuants, assiège le comptoir et écluse les barils de bière, se démènent comme des fous, supportent à mort les musiciens, incitent les messieurs à pogoter, et s'empressent auprès des demoiselles à qui cet aspect de franchise virile ne semble point déplaire.
FOBY
Ne les oublions pas. Sont les principaux fautifs, les coupables initiateurs, les responsables patentés, de ce cette démence fobique, de cette folie douce, qui s'emparera de l'assistance tout au long de la soirée. Réservons-leur davantage de place qui ne leur fut octroyée par l'exiguïté et le surpeuplement des lieux. Au fond scotché contre le mur, le brave des braves, Rocco le rouge, chevelure corbeau et T-shirt Dakota écarlate, martèle les tambours de guerre. Infatigable, une machine que rien n'arrêtera, pas un seul signe d'essoufflement, pas une once de ralentissement, un jeu perpétuel entre caisse claire, charleston et cymbales, une phénoménale éructation glapissante qui d'emblée oblige ses camarades à se mettre au diapason de cet incessant tempo foutraque.
Devant lui la ligne mouvante de ses acolytes pratiquement entremêlée à la première rangée des spectateurs. A gauche Robby, guitare rythmique, anneaux aux oreilles, dégaine mods, un air à la Pete Townshend, un qui n'est pas né de la dernière pluie, l'aura un dur travail à effectuer toute la soirée, veiller à ce que subsiste au milieu du tumulte qui ne cessera de croître, à ce que la structure métronimique des morceaux ne soit jamais perdue, ou du moins sans cesse retrouvée. A gauche Thierry, cheveux blonds et doigts agiles, coincé à tel point contre son Marshall qu'il n'entend d'autre son que celui de sa guitare, devra sans arrêt à la demande générale hausser le potentiomètre de sa lead afin que l'on goutât pleinement ses subtils déliés et ses acrobaties sans balancier sur cordes électrifiées, à sa droite Mathieu, collier de barbe et basse tonitruante grooveuse à souhait, émétrice d'ondes grasses et glousseuses comme les chapons du Gers.
Enfin, the last but not le dernier de la liste, Fred, tient l'orchestre et le public dans sa voix. Peuvent taper dans n'importe quel recoin du répertoire, il assure le liant, tout passe et rien ne casse grâce à ce granit inusable, sans faille, qui s'accapare et recrache les morceaux de tous les genres et de tous les styles. C'est lui qui unifie la set-list. Que des reprises, de Jacque Dutronc ( revu et corrigé par les Rats ) à David Bowie en passant par James Brown. Le panel est large. Perso, je les induirais à fomenter leurs propres compos, afin de dégager un style qui leur appartienne car ils possèdent toutes les qualités requises pour nous traficoter ces cartes biseautées qui permettent de remporter toutes les parties. Mais Foby a choisi de miser sur l'énergie. Et il faut l'avouer qu'ils ne l'accumulent pas en avare, la distribuent généreusement, la laissent couler comme une source torrentueuse et kaotique inépuisable.
Le premier set reste dans les limites de l'acceptable humain. A fond la caisse et les anges sur le capot qui évitent les sorties de route. Ne chôment pas, mais on veille au bar, sont incessamment ravitaillés en plein vol de longs bocks plastifiés de bière maison, au goût prononcé de revenez-y selon les nombreux amateurs de l'assistance. Juste un arrêt plateau premier secours, pour les one shots réglementaires, un peu comme cet éther que l'on versait et dans les temps lointains et dans les réservoirs des solex afin de surmultiplier leur vitesse de croisière. Coupure de vingt minutes, et l'on change de dimension. Tout début du second set, Max est demandé, le voici qui arrive vivement supporté par le choeur des pompiers qui psalmodient un max, se saisit d'une guitare grand V agressif de Violente Victoire Vindicative et tel Zeus lançant l'éclair il tonnerrifie et torréfie l'assistance d'un grondement continuel auquel Thierry se hâte d'ajouter quelques éblouissances d'éclair de foudre, un petit Motörhead à réveiller les mânes de Lemmy, immédiatement suivi de ce qui n'aurait jamais dû advenir, un Antisocial, la version la moins antisociale que j'aie jamais entendue, celle qui donne dans le consensus, pas le mou, l'autre, le dur, l'impitoyable. Jusqu'à lors, l'on était serrés comme des macaques dans une caque à harengs mais des renforts inopinés surgissent de toutes part, le morceau truste les âmes de bonne volonté, une invasion de fourmis, de dehors, du dedans, de tout sexe et de tout âge, des grands-mères qui se sentent une âme de cougar déchaînée, des intellectuels à lunettes qui pointent une barbichette éméchée, des jeunes filles en fleurs qui fendent l'indescriptible cohue, se collent à vous et vous éperonnent de leurs seins turgescents, des amatrices quinquagénaires qui dégainent des tablettes aussi larges que des postes de télévision, des célibataires en rut qui paluchent à toutes mains des corps féminins fort accueillants, des jeunes, des vieux, des gros, des maigres, et au-milieu de tout ce salmigondis humain l'orphéon des pompiers qui attisent de leurs voix de stentor le feu héraclitéen de la destruction. Le Lenny Kravitz qui suit n'apaisera pas la transe collective, confortera cette osmose entrecroisante des individus délivrés de toute inhibition. Survient un moment où l'on ne sait plus où sont les musiciens et où sont les spectateurs. Ne cherchez pas Fred le chanteur, vous l'entendez mais il est à genoux essayant de récupérer son classeur à paroles, - à la fin de la soirée sera devenu une informe pâte à papier imbibée de bière – mais les sapeurs n'oublient pas leur devoir d'assistance à personne en danger, se saisissent de lui et le hissent à bout de bras, voudraient bien le promener un peu partout, mais la foule est si dense qu'à part un mouvement d'avancées et de reculs de cinquante centimètres la manoeuvre se révèle impossible, jamais à cours d'expédients nos sauveteurs brevetés vous le basculent et vous le rejettent fort professionnellement sur l'entremêlement des pieds de micro, des câbles électriques et des pédales wha-wha qui du coup miaulent désespérément tel un crotale dont vous avez par un sadique plaisir écrasé la queue, traitement de faveur qui a l'air de totalement satisfaire notre cantaor qui durant toute la séquence mouvementée n'a cessé de vociférer dans son micro. Un Jacques Brel à faire bouffer des bretzel à vos bretelles, un Heroes à vous précipiter sur le champ de tir, un début de Whole Lotta Love abandonné on ne sait trop pourquoi, mais tout le monde s'en moque, l'on est en train d'osciller entre l'orgie néronienne et l'ardence sardanapalienne, les Foby en folie ne sont guère phobiques, suscitent plutôt l'attirance universelle des corps et des esprits. Finissent sur des grooves plus modernes sous les clameurs, les accolades et les embrassades. Z'ont tout donné, z'avons tout pris. La liesse ne fut pas tenue en laisse... Innocence de la perversion ou perversion de l'innocence ? s'inquièteront les moralistes. Je vous laisse méditer. Je ne voudrais pas influencer votre jugement. Ce qui est sûr : une soirée de Foby douce, une nuitée rock'n'roll. Si vous avez mieux à proposer, téléphonez-moi.
Damie Chad.
( Les photos ne correspondent pas au concert )
CLIP ! CLIP ! CLIP ! HOURAH !
TOUGH LOVE / HOWLIN'JAWS
-Toc ! Toc !
Etonnez-vous que le monde courre à sa perte ! Pas moyen d'avoir cinq minutes de tranquillité ! Même dans la prestigieuse Université de Berkeley ! Les étudiants ont toujours quelque chose à demander ! J'ai pas compris ceci ! J'ai pas compris cela ! Me reste encore à terminer deux cents pages de mon bouquin à paraître sur Sid Vicious et la Pensée Platonicienne, un ouvrage qui va révolutionner la critique rock et qui me vaudra à coup sûr le Nobel de littérature !
- Au secours ! Au secours !
Splank ! La porte qui s'ouvre ! N'a pas froid aux yeux la donzelle ! Regardez-moi, ce sourire canaille et ses dents de jeune louve qui ne demandent qu'à mordre !
- Au secours ! Au secours ! Monsieur le professeur !
Et pas gênée avec cela ! Elle vient s'asseoir sur mes genoux ! Et ce sourire... comment dire... engageant... complice même... voire coquin...
- Madnoiselle, je devine que vous êtes en situation de détresse avancée, rassurez-vous, je suis là ! Expliquez-moi votre situation, je ferai tout mon possible !
- Monsieur le Professeur, vous êtes le seul homme sur cette terre qui puissiez m'aider, je vous en supplie, ne me laissez pas dans l'adversité ! Ne me refusez pas votre aide ! Je vous en serai reconnaissante jusqu'à la fin de ma vie ! Vous pourrez me demander tout ce que vous voudrez ! Vous êtes mon sauveur !
- 'Noiselle, venons-en au fait ! Je ne peux rien entreprendre si vous ne me donnez point au moins quelques indices !
- Oh, oui Monsieur le Professeur, je sens en vous l'homme d'action et de conseil qui me manque ! Voilà, c'est au sujet de l'exercice de TP ! Chaque étudiant doit présenter un clip de moins de cinq minutes sur un morceau de son choix ! J'ai choisi de reprendre le tube de Patti Labelle, Lady Marmelade, vous savez là où elle chante en français : « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? »
- Oui !
- Oh ! Monsieur le Professeur, vous êtes un homme de décision rapide ! Et doté d'un humour irrésistible ! Mais avant il faut que je vous explique. J'ai enregistré la chanson, j'ai rédigé le scénario du clip, mais l'Armée Américaine ne veut pas ! J'avais imaginé un porte-avions, le ciel, un avion qui tourne autour et puis surprise, un lâcher de trois éléphants en parachute ! Veulent bien me prêter le porte-avions mais ils n'ont pas d'éléphants. L'Amiral m'a dit qu'il était prêt à se couper en quatre pour moi, et il a proposé de larguer ses trois chihuahuas personnels à la place ! Mais moi j'avais prévu que la trompe des pachydermes viendrait se glisser sous ma mini-jupe chaque fois que j'aborderai le refrain « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? » et le plan final ultra-romantique, sur le fond bleu du ciel, je repars en avion et le plus beau des éléphants me fait un signe d'adieu en agitant au bout de sa trompe ma culotte rose toute mouillée, bref tout a foiré, et je viens vous demander conseil !
- Restez bien collée à moi 'Noiselette, nous allons débrouiller la situation, je sens que c'est urgent. Ce sera vite fait. Le temps de regarder deux vidéos. La première, je l'intitulerai « Ce qu'il ne faut pas faire » . Si vous le permettez, je commente.
- Oh ! Oui Monsieur le professeur, vous avez un vocal organe si envoûtant !
- Je résume votre problème. Une belle idée de clip mais pas les moyens financiers de le réaliser. Mais comment réussir tout de même à faire le buzz sur le net ? Avec les trois pauvres bouts de ficelle de la débrouille personnelle ! Voici donc l'exemple déplorable à ne pas suivre. You Tube, Sleepwalkin, Howlin' Jaws, l'un des meilleurs groupes français du moment. Admirez le manque d'imagination, ils ont photographié la pochette – fond jaune et eux trois devant - de leur premier single, et c'est parti pour un plan fixe de deux minutes cinquante huit secondes. Pour les oreilles c'est parfait, mais question image, c'est Waterloo morne plaine, une véritable invitation au suicide !
-Tout à fait d'accord avec vous, Damie, vous permettez que je vous appelle par votre petit nom mon chéri, sont comme ces garçons qui parlent beaucoup, qui laissent espérer, et qui au moment venu n'agissent pas. N'y a rien de plus déprimant ! Ne sont pas comme vous, ont oublié que la vie sourit aux audacieux, mon chou !
- Oh baby, je vois que vous comprenez vite ! Passons maintenant à Ce qu'il faut faire. Trois bouts de ficelle encore, mais un maximum d'imagination ! You Tube, Tough Love, Howlin' Jaws, exactement le même groupe ! Un des meilleurs, je me répète.
- Damie ! Je ne comprends pas ! C'est le même plan, la pochette du disque – fond bleu et eux trois devant - et leur air bébête, des garçons qui gardent leurs mains dans leurs poches, je croyais que ça n'existait pas, heureusement que vous n'êtes pas comme cela Damie ! Oh regardez, il y en a un qui bouge ! Et le deuxième sort une cigarette de sa poche, il fume, et l'autre qui mord dans une chocolatine. Tiens il part ! Oh, il revient avec sa guitare. Oh, un micro et le grand devant qui chante et la batterie qui passe à toute vitesse dans le fond ! On se croirait dans un dessin animé ! M'a fait un signe, le brun ! Et sa grosse contrebasse qui prend toute la place ! Et le blond qui gratte le dos de sa guitare, il exagère ! Le batteur qui se lève pour claquer ses baguettes comme une gueule de crocodile, celui-là on dirait qu'il fait du skate ! C'est fini ! c'est trop injuste ! Ne reste plus que le fond bleu du disque ! Non, ils reviennent et ils bombent le titre du morceau ! Quel style, et ces casquettes à hélice ! Génial ! Génialissime ! On ne s'ennuie pas une seconde. Des garçons que l'on pressent entreprenants rien qu'à les regarder bouger. Et si rock !
- Oh baby, je sens que la leçon est comprise !
- Je suis toute émoustillée, avec trois bouts de ficelles, et leur agitation de spermatozoïdes affolés ! J'ai tout compris. J'vous fais une bise Monsieur le Professeur ! Vraiment le meilleur enseignant que je n'ai jamais eu. Quelle leçon ! En moins de dix minutes ! Désolée pour ce soir, je suis sûre que vous comprenez, mais franchement auprès des Howlin' Jaws, vous n'êtes pas de taille à lutter ! je file à l'aéroport, faut que je trouve un avion pour Paris au plus vite ! N'ai plus qu'un problème à régler, quel est celui qui agitera ma culotte à la fin de mon clip ! Plus besoin d'éléphants puisque j'ai les Howlin' Jaws !
Damie Chad.
Epilogrr ! L'amour c'est souvent dur !
Love is tough !
*
Trouvé par hasard en farfouillant le bac à soldes de la Fnac. Ristourne de quatre-vingt pour cent. A ce niveau-là la moindre des élégances consisterait à l'offrir gratuitement aux amateurs. Mais la loi du commerce est sans appel. Il n'y a pas de petits bénéfices, un euro est un euro. Pas de pitié pour le canard boiteux de la poésie. Pas de chance, en plus celui-ci, il boite des deux pattes. L'est sorti en janvier 2015 et la maison d'édition a été placée en liquidation judiciaire en 2015. Bien fait pour elle, depuis Marseille, elle s'obstinait à maintenir des collections de poésie coréenne, marocaine, roumaine et autres nations tout aussi incertaines. L'aurait été trop cher de l'envoyer au pilon. En plus, ce genre d'ouvrage ne s'inscrit pas dans la politique de l'entreprise. Rayon littérature en peau de chagrin. Organisation de l'inculture généralisée.
Le titre m'a attiré. Mais le nom de l'auteur encore plus. Avais reçu dans les années quatre-vingt un tapuscrit de sa part, qui relatait un voyage en Grèce. Très bien. Donc j'ai pris. L'a fait son chemin depuis, l'est devenu médecin, enseignant, journaliste, l'a rédigé une pléthore de livres sur la santé – genre de bouquins que je ne regarde jamais pour ne pas me découvrir atteint de maladies dont j'ignorais jusqu'à l'existence – et d'autres sur la future indépendance de la Corse, bon sang ne saurait mentir.
CROQUIS ROCK & ROLL
ANGE-MATHIEU MEZZADRI
Autres Temps Editions / Janvier 2015
Couverture un peu spartiate. Blanche mais qui permet au titre de se détacher. Croquis en petit et Rock'n'roll en très gros. On ne triche pas sur l'annonce de la marchandise. Pour les lecteurs distraits, on a rajouté Poésie Rock en-dessous. A peine tournez-vous la page de garde que vous êtes averti, vaudrait mieux lire avec les oreilles, les frères Mezzadri ont enregistré une version studio avec guitare, basse, harmonica et percussions.
Acte 1 : la démesure de Led Zeppelin et le chamanisme de Jim Morrison. La griffe du Lizard King indubitable. Le royaume et les Seigneurs. Mais une catastrophe que le chanteur des Doors n'a pas connue est survenue. Les temps de la fascination sont révolus. Les envahisseurs ont remporté la partie. Les débris de l'empire sont aux mains des esclaves. Les marchands ont raflé la mise. Ne reste plus que le rêve dévasté des grandeurs passées. Ici l'on abat les enfants comme l'on musèle les songes. La révolte éclate comme une outre de sang, intérieure dans les cerveaux, extérieure dans la réalité brisée du monde. Rien n'est sûr sauf l'assurance qu'une plus grande violence sera nécessaire pour ouvrir le cycle des innocentes cruautés.
Acte 2 : en hommage à Patti Smith. En tant que poétesse des détresses. Le poëte déserte le rêve afin d'entrer de plein fouet dans la laideur du monde. Tout se vend, le sexe et les impressions. Les mots de la poésie sont des prostitués. Ne procurent plus de plaisir. Seulement du dégoût de soi-même. Les deux sonnets croisés au cours de la lecture étaient signe d'égide baudelairienne. Détours insidieux par les frères humains. Aussi décevants que nous-mêmes. Comment croire à une échappatoire collective. Il vaudrait mieux saigner tous nos semblables, comme des gorets. Le rock est mort. L'infatuation de nous-mêmes aussi. Le rêve du retour des dieux s'altère en cauchemar de hordes barbares. Orgies de sangs et blêmitudes de spermes. L'on ne s'échappe pas plus du labyrinthe êtral que des rues géographiques de la Modernité.
Acte 3 : Le pire est pour la fin. Un squelette de vers reptatifs de quelques syllabes collés au bord des pages. Une prodigieuse ritournelle du malheur. Une violence qui n'est pas s'en rappeler la force des alexandrins d'airain d'un Leconte de Lisle. Les romains ont dilapidé le temple. Le Dieu perdu est encore là mais pour combien de temps ? Ne subsiste plus rien des grands idéaux ni des barreaux de fer. La liberté est un désert de glace en bout duquel triomphe la mort. Notre seul héritage. Vous pouvez appeler cela l'espoir qui fait vivre.
Une poésie qui ne triche pas avec son titre. Porteuse de la violence du rock'n'roll. De tous les recueils de poésie rock qui m'est arrivé de lire en langue française, c'est bien le plus fort, le plus violent. Un monde impitoyable à l'image des stances électriques et diluviennes du Blue Öyster Cult. Enté sur les Doors oui, mais qui retrouve aussi les orgues tempétueuses de la grande lyrique du dix-neuvième siècle ce qui lui évite de se perdre dans les eaux désséchées des facilités de ce surréalisme de bas-étage qui est la tarte à la crème de la poésie contemporaine. Ange-Mathieu Mezzadri entrechoque les os des mots. Leur a arraché la chair juteuse et parfumée qui les habillait. L'en devient pratiquement poétiquement incorrect. Trop de violences, trop de brutalités, trop de fureurs. Pour nos contemporains. Peuple d'ilotes sans autres maîtres qu'eux-mêmes. Poésie sans rémission.
Damie Chad.
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