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22/02/2017

KR'TNT ! ¤ 317 : MIKE KELLIE / LIZARD QUEEN / WILD CHILD / GENE VINCENT / DARWIN

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 317

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A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

23 / 02 / 2017

MIKE KELLIE / LIZARD QUEEN / WILD CHILD /

GENE VINCENT / DARWIN

Kelliemandjaro

 

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La scène se déroule dans une bourgade abandonnée de Dieu, en haute Normandie. Nous sommes en l’an de disgrâce 1970. Promu chef à plumes, le patriarche a quitté la basse Normandie pour installer une famille mal recomposée dans un pavillon de fonction assez cossu. La période qui s’annonce ressemble à un cauchemar. Elle pourrait s’intituler Stranded in nowhere land. Un seul rayon de lumière : la visite régulière du seul ami d’enfance resté fidèle après le déracinement.
— Tu restes pour le week-end, Jean-Yves ?
— Oui, mon père repassera me chercher dimanche soir.
— J’ai un truc à te faire écouter. C’est les Spooky Tooth, tu connais ?
— Ahhhh oui ! Les anciens VIP’s ! Découverts par Guy Stevens ! Ces mecs viennent du Nord de l’Angleterre ! C’est la dernière ville anglaise avant l’Écosse ! Carlisle ! Ces mecs-là sont des vrais heavies ! Un peu comme ceux de Birmingham, tu vois, les Move, t’as pas intérêt à leur marcher sur les godassses... Alors c’est quoi, cet album ?
— Le deuxième, Spooky Two. Je l’ai trouvé à Londres, d’occase à Golborne Road. Une livre !
— C’est ton père qui te file les sous pour le voyage ?
— Tu rigoles ou quoi ? Lui, c’est Radin 1er, le roi des mange-ta-yande ! Son salaire a dû doubler ou tripler, mais pas l’argent de poche, putain ! Pour payer le ferry, la bouffe et l’hôtel à Londres, je cueille des rangs de poireaux pendant les vacances scolaires pour une espèce d’enculé de maraîcher qui fait bosser les lycéens et les manouches. Les filles manouches, tu verrais comment qu’elles sont chaudes ! Elles te sucent pour cinq francs ! Le boulot démarre à l’aube et t’arrêtes quand t’es rincé et que t’as le dos en vrac. T’es payé au rang. Regarde, j’ai encore les mains pourries par le gel, mais une semaine de poireaux, ça me paye le voyage, les concerts et les disques. Une nuit ou deux dans un petit hôtel de South Kensington, toujours le même, tenu par des Pakis super gentils. En été, je fais les quarts de nuit dans une boîte pourrie qui fait de la chimie, ça paye beaucoup mieux et je peux rester deux ou trois nuits de plus à Londres.
Jean-Yves examine la pochette de l’album :
— Lui, là devant, c’est Mike Harrison, et lui, là, c’est Luther Grosvenor. Putain la classe qu’ils ont ! Derrière Mike Harrison, c’est Mike Kellie, le batteur. Fantastique batteur ! Tu connais l’album Supernaturel Fairy Tales ?
— Non...
— Oh putain, quand tu retourneras à Londres, cherche-le, putain, cherche-le ! L’album est déééééément ! Le groupe ne s’appelle pas encore Spooky Tooth, il s’appelle Art et c’est Guy Stevens qui les produit. Tu vois une photo de Guy Stevens au dos de la pochette et ces quatre mecs descendus du Nord de l’Angleterre, tu les vois photographiés dans un appartement anglais, dans le même esprit que les belles photos des Small Faces, Mike Harrison est assis dans un fauteuil et les trois autres sont assis sur le parquet, c’est le même genre de parquet que celui de Syd Barrett, tu sais, avec les grosses lattes vernies, et tu verrais leur gueule, ohhhh putain, les coiffures avec des mèches, les foulards noués autour du cou, les chemises bouffantes en tissu imprimé et des blazers en velours peau de pêche, tu as Greg Ridley au premier rang, le regard noyé dans l’ombre, Grosvenor avec un look à la Jeff Beck, mais encore plus psyché, comme si c’était possible, ha ha ha, et t’as Mike Kellie qui ressemble à Bill Wyman, et derrière t’as Guy Stevens un peu transparent, comme un fantôme, c’est un disque hanté, c’est la période juste avant l’arrivée de Gary Wright, qui est américain, mais là avec Supernatural Fairy Tales tu as le son pur de Spooky Tooth, avec des morceaux puissants comme «What’s That Sound», une reprise de «For What It’s Worth» du Buffalo Springfield, tu sais, ça fait dah dah dah/ I think it’s time we stop children/ What’s that sound/ Everybody look what’s going down, fa-bu-leux, c’est du big big big groove américain joliment battu par Mike Kellie et chanté par ce nègre blanc qu’est Mike Harrison. Et tu entends ce mec, là, Luther Grosvenor, il rôde dans les parages en tortillant des grosses notes bien grasses, tout est déjà là, eveybody looks what’s going down, c’est du même niveau que «How Does It Feel To Feel» des Creation, là, t’es au sommet du rock anglais de la fin des sixties. Tu vas avoir les mêmes frissons qu’avec le «19th Nervous Breakdown» des Stones ou encore «Itchyckoo Park», tu vois le genre ? Mais attends j’ai pas fini, sur l’album de Art, t’as un truc encore plus dément ! C’est «African Thing», un fabuleux festival de percussions enregistré autour de Mike Kellie, et tu vas voir, ça sent l’Afrique, la savane, le sang des animaux, la violence des guerres tribales, la grâce des guerriers aux bras chargés de bracelets, la transe hypnotique, tout est là, et ça se passe derrière un bow window de Londres, ces mecs te jouent le jungle beat, ils vont loin, aussi loin que porte le regard, écoute Mike et ses potes, il font le même numéro que Twink et Skip Alan dans «Baron Saturday», mais en mieux, en plus sauvage, en plus démesuré, en plus long, ils poussent des petits cris, des yeah, du fond de la cuisine et tu entendrais le grondement du tom basse derrière ce bordel africain ! Et t’as encore un beau morceau avec «Supernatural Fairy Tale», c’est du rock supersonique, mais dans le fog londonien, t’as une sorte de Silver Machine qui glisse dans la nuit, et le moteur, c’est Mike Kellie, un sacré batteur, il va vite, il sait que son groupe est bon, alors il bat comme un dieu. Oui, oui, c’est un morceau qui sonne comme une course nocturne à travers les quartiers de Londres, et les notes de Grosvenor, tu vas voir, elle frisent sous le vent glacial et tu l’entends revenir par moments avec des sortes de remugles psychédéliques qui vont te décrocher la mâchoire. Ta mâchoire, elle va pendre sur ta poitrine comme une lanterne, ha ha ha ! Ahhh tu vas voir ! Tu ne comprendras pas d’où peut sortir un album aussi bon ! Et t’as encore un hit planétaire avec un morceau qui s’appelle «Love Is Real». Mike Harrison chante comme un dieu, il est aussi brillant que Rod Stewart ou Chris Farlowe, il chante avec une classe démente et tu vas voir, les autres envoient des chœurs de rêve, t’y crois pas quand tu entends ça, c’est une preuve de l’existence d’un dieu du rock anglais. Tu vois, tout le monde connaît «Love Is Real», mais personne ne sait que c’est enregistré par Art. Ils font aussi une belle reprise de «Come On Up» des Young Rascals, bien garage, et plus loin, tu as «Talkin’ To Myself», c’est ce que j’appelle un classique pop, dans la veine des géants de la pop anglaise, tiens, comme Love Affair ou les Amen Corner. Oh j’espère que tu connais le tout premier album des Stooky Tooth...
— Non...
— Oh putain ! Tu les vois sur la pochette, ils se planquent dans les buissons, avec leurs casques de cheveux crêpés et des foulards. Grosvenor et Mike Kellie portent des tuniques rouges, Mike Harrison, une cape noire par dessus une chemise à jabot blanc, ouais, un jabot énorme. Et sur le côté, tu as Gary Wright, lui aussi en jabot blanc, avec les cheveux plus courts. C’est Jimmy Miller qui les produit, donc c’est complètement autre chose. Quand on écoute cet album, on a l’impression que l’arrivée de Gary Wright a calmé l’ardeur des anciens VIP’s. Le groupe devient terriblement ambitieux, mais tu as des morceaux comme «Sunshine Help Me» qui fonctionnent bien, c’est bourré de son et de nappes d’orgue, et tu entends ce diable de Grosvenor rajouter du gras avec sa guitare. Mais le cœur battant de cet album, c’est la reprise de «Tobacco Road», et t’as Grosvenor qui vrille tout le pathos de ce vieux classique avec une rage indescriptible. Ils sont absolument démentiels, là, t’as les rois de Spookish Town ! À cette époque, Grosvenor est avec Jeff Beck le plus grand vrilleur de notes d’Angleterre. Vas-y, fais écouter le nouvel album...
— Mon pauvre Jean-Yves, tu vas tomber de ta chaise...
— Ah ouais, ha ha ha ! C’est pas grave, vas-y !
Le premier cut s’appelle «Waiting For The World», un heavy groove lancé par Mike Kellie. Jean-Yves tend l’oreille...
— Oh putain, quel batteur ! Et quel son ! Tu peux pas mettre plus fort ?
— Non, mon père va encore gueuler.
— Ils chantent à deux ! Le plus aigu, c’est Gary Wright ! Ah quel chanteur !
Ils écoutent les deux morceaux suivants sans commentaires, et soudain arrivent les nappes d’orgue d’«Evil Woman». Jean-Yves se lève comme par réflexe et se met à danser sur place en secouant les cheveux. Mike Kellie martèle le beat, Mike Harrison entre dans la danse et Gary Wright vient percuter le chant d’un violent coup de falsetto. Les deux géants fondent leurs voix dans une hallucinante tourmente de nappes d’orgue, la clameur emplit tout l’espace de la petite cave transformée en chambre. Et puis comme si ça ne suffisait pas, Luther Grosvenor entre dans le lard du cut avec un solo en suspension et l’animal tire-bouchonne indéfiniment, c’est l’une des plus grosses fournaises de l’histoire du rock, et cet échange entre deux screamers - inédit depuis l’âge d’or des Righteous Brothers - crée l’événement. À la fin du morceau, Jean-Yves éclate de rire :
— Tu sais pas, on raconte que Black Sabbath vient d’inventer le heavy rock avec son premier album ! C’est complètement faux ! «Evil Woman» est le premier classique de heavy rock anglais ! Putain, quelle magie !
— Tu vas voir, la face B est intéressante, t’as uniquement des compos de Gary Wright.
Ils écoutent cette face B dans le recueillement. On sent que Gary Wright recherche l’océanique épique hugolien, celui de l’esprit qui défie les éléments déchaînés. Et soudain éclate sous les pare-pains du plafond l’écho divin d’un mid-tempo visité par la grâce : «That Was Only Yesterday» ! Jean-Yves exulte :
— Putain, quel chef-d’œuvre ! Non mais quelle classe ! T’écoutes ça et Mike Harrison, c’est tout simplement Rimbaud et son bouleversement de tous les sens, écoute ! Il chante comme s’il traverse l’Éthiopie sur un chameau, à l’aventure, libre et si mélancolique au fond de lui. Ces mecs, tu vois, ils jouent avec la beauté comme le chat joue avec la souris. Ce qu’ils dégagent, c’est de la joie dionysiaque, rien d’autre ! Putain ! On parlait de nouvelle aristocratie avec les Stones en 1966, eh bien maintenant, la nouvelle aristocratie du rock anglais, c’est les Spooky Tooth !

Un bon petit paquet d’années plus tard, toujours en haute Normandie. La nuit tombe sur la ville alors que je rentre du boulot. Un mec semble attendre sur le parking. Il porte des cheveux blonds et un imper en cuir noir. On dirait Iggy, c’est incroyable ! Ah le voilà dans les phares. Good Lord ! C’est Jean-Yves !
— Qu’est-ce que tu fous là ? Je ne t’avais même pas reconnu !
— Eh eh eh, je suis passé chez un coiffeur pour dames avant de venir. J’avais juste envie de passer quelques jours en haute Normandie.
— Ton coiffeur doit être un fan des Stooges, il t’a vraiment transformé en Iggy, le Iggy décoloré des singles Bomp ! Viens, on monte boire un coup.
Ils entrent dans le petit appartement. La porte fenêtre du salon donne sur un cimetière.
— Oh, tu as repeint le salon en noir ?
— Oui, exactement comme celui de Gainsbarre, en noir laqué. Ça donne bien, hein ? Et la cuisine, tiens regarde !
— Wow ! Du rouge laqué, comme le plafond qui est sur la pochette du deuxième album de Big Star !
— Tu veux boire quoi ?
— La même chose que toi.
— Bon alors Jack ! De toute façon, ya rien d’autre, ici. Tu attendais depuis longtemps, au fait ?
— Noooon, pas trop longtemps...
— Tu devrais m’écrire quand tu envisages de venir ici...
— Oh ça m’a pris ce matin comme une envie subite. Le temps de passer me faire décolorer les cheveux, un coup de stop et voilà, c’est pas si loin. Tu te remets à écouter des 45 tours ?
— Oui, j’en commande pas mal aux États-Unis et j’en ai ramené une pile de Londres, la dernière fois... Tiens je vais te faire écouter un truc étonnant...
Il sert les verres et met un single sur la platine.
— Ah ouais je connais, j’ai déjà entendu ça une fois, c’est les Only Ones, avec un mec qui s’appelle Peter Perrett au chant, ça s’appelle «Another Girl Another Planet»...
— Et dans le groupe tu as...
— Les autres, je ne les connais pas...
— Mais si ! Tu connais très bien le batteur !
— Non, je ne vois pas, j’ai juste entendu le single et j’aime bien la voix, le mec chante un peu comme Syd Barrett...
— Le batteur, Jean-Yves, c’est Mike Kellie !
— Oh puuuutain ! Les vieux reprennent du service ! Les punks n’ont pas réussi à tous les virer ? Ils sont comme les nazis, y finissent pas le travail, ah ah ah ! Tu sais qui a dit ça ? Lemmy, le bassiste d’Hawkwind qui vient juste de monter Motörhead. Mais en fait, les Only Ones n’ont rien à voir avec les punks, c’est un groupe de rock anglais, très classique et un peu décadent. Peter Perrett porte les cheveux longs, du mascara et des foulards, alors tu vois, c’est pas Sid Vicious ! Ah maintenant je comprends pourquoi les Only Ones ont du son... Mike Kellie, bien sûr ! C’est la force des grands musiciens anglais, ils sont capables de traverser toutes les époques, regarde Dave Edmunds, regarde Ronnie Lane ! Ils savent rester géniaux, quoi qu’ils fassent !
— Est-ce que tu as continué d’écouter les Spooky Tooth, après «Evil Woman» ?
— Oh oui, plutôt deux fois qu’une ! J’ai adoré leur version d’«I’m The Walrus» sur The Last Puff ! Ces mecs-là sont brillants. Si je me souviens bien, Gary Wright avait quitté le groupe à cette époque... Et Greg Ridley avait rejoint Humble Pie. Mais Mike Harrison et Grosvenor continuaient d’alimenter la légende de Spooky Tooth. C’est là que se trouve la magie du son des seventies ! Certainement pas chez Deep Purple ou May Blitz ! J’ai encore dans l’oreille le solo de Grosvenor, avec ses notes alanguies. On l’entendait aussi jouer un truc bien convulsif dans «The Wrong Time». Ce mec-là aura su façonner le son de son époque. Tout le heavy rock des seventies est là, dans le gras de la voix de Mike Harrison et dans le jeu teigneux de Luther Grosvenor. Ah, maintenant ça me revient, sur cet album, il y a aussi Henry McCulloch et Chris Stainton, les mecs du Grease Band qu’on voit faire les chœurs pour Joe Cocker à Woodstock. Ah oui, quel album ! J’aimais bien le morceau qui donne son titre à l’album, en fin de la face B, joué au piano par Chris Stainton. Quelle classe, j’en revenais pas, lorsque j’écoutais ça. Mais sur l’album suivant, You Broke My Heart, il ne restait plus que Mike Harrison, tous les autres étaient partis, même Mike Kellie. Luther Grosvenor avait aussi quitté le groupe pour aller jouer dans Mott The Hoople. C’est là qu’il est devenu Ariel Bender ! J’aime bien cet album, comme d’ailleurs tous les albums solo de Mike Harrison, et le son reste bien épais, bien gras. Le guitariste s’appelle Mick Jones, je crois, non, non, pas celui des Clash, celui-là est un mec que tu vas retrouver dans le rock FM après. Ah oui, j’ai le souvenir d’un album extraordinairement dense, mais c’est toujours comme ça quand tu écoutes l’album d’un grand chanteur. Sur You Broke My Heart, tu peux écouter un morceau qui s’appelle «Wildfire», qui est un rock groovy à l’Anglaise, mais tu sais, au fond, ces gens-là sont parfaitement incapables d’enregistrer une mauvaise chanson ! Tout l’album est bon de toute façon, c’est presque un disque que tu pourrais emporter sur l’île déserte ! Mike Kellie et Gray Wright sont revenus pour l’album Witness, tu sais, celui avec la pyramide sur la pochette. Il y règne le même genre de sortilège que sur les grands albums de Spooky Tooth. Tu as des grosses atmosphères plombées par les nappes d’orgue dans des morceaux comme «Don’t Ever Stay Away» ou «Sunlight Of My Mind». Mick Jones assure bien, c’est vrai, mais quand tu entends ce genre de morceau, tu n’oses même pas imaginer ce que Luther Grosvenor en aurait fait ! On retrouve sur ce disque tout ce qui faisait la puissance de leur son. Et puis tu as un morceau énorme qui s’appelle «Things Change». Mike Harrison t’y sonne les cloches, tu vas voir, tu vas penser à l’histoire du sonneur de cloches que raconte Huysmans dans Là-bas. Mike Harrison est un véritable héros de roman, il dégage une ardeur secrète, celle des Templiers ! Là, tu vas trouver tout le son dont tu rêves, celui d’un groupe anglais enraciné dans la légende, et on arrive même à accepter le fait que Luther Grosvenor soit remplacé par un autre guitariste. Grosvenor, mon vieux, c’est le Guv’nor ! Les Spooky Tooth sont encore capables d’épater la galerie des glaces, ha ha ha ! Et tu as aussi un morceau qui s’appelle «Dream Me A Mountain» et qui reste délicieusement heavy, c’est du pur Spooky Sound. Mike Harrison y négocie bien ses wo-ooh-oooh, il connaît toutes les ficelles ! Oh et puis tu as le dernier album des Spooky Tooth paru dans les années soixante-dix, il s’appelle The Mirror, avec une pochette pompée sur Magritte et là, ça frise un peu l’arnaque, car le seul Spook qui reste, c’est Gary Wright. Tous les autres sont partis, y compris Mike Harrison. Le mec qui le remplace, tu le connais, c’est Mike Patto. Un bon chanteur, mais plus rien à voir avec Mike Harrison. Il n’a pas la même profondeur. Attention, l’album est très bien produit, ils tentent de créer l’illusion de Spooky Tooth avec du heavy sound dans des morceaux comme «Higher Miracles», mais on sent bien qu’il manque les deux éléments fondamentaux : Grosvenor et Harrison. On ne peut pas lutter contre la nostalgie d’un son. Tu as pourtant des grosses compos de Gary Wright, mais le rendu est différent. Ils tendent vers l’épique du colégrame, ha ha ha ! L’univers de Mike Patto est beaucoup plus baroque, il frise la fantaisie.

Quelques années plus tard, autour d’une petite table.
— Tu vas bien ?
— Bof...
— Tu écoutes toujours de la musique ?
— Pas trop, non...
— Tu te rappelles du single des Only Ones qu’on avait écouté chez toi ?
— Another Girl ?
— Figure-toi que le groupe existe encore ! Ils ont enregistré trois albums et Mike Kellie joue toujours avec eux. Oh ce ne sont pas des albums que tu vas emmener sur l’île déserte ! Bizarrement, les albums studio des Only Ones ne fonctionnent pas. Ils font un curieux mélange des genres et vont sur des choses un peu trop sophistiquées. Sur le premier album, tu as «The Beast» qui est vraiment bien et «City of Fun». Mais les autres cuts de l’album sont très particuliers, leur pop est trop sophistiquée, ils jouent la carte d’une sorte de dandysme underground, mais c’est trop théâtral et trop valorisé par les excès de langage. Après, tu as leur deuxième album qui s’appelle Even Serpents Shine et qui s’ouvre sur un cut purement wildien, «From Here To Eternity». Peter Perrett s’y livre à son exercice favori, celui d’une délicieuse déliquescence vocale. Mais tu as surtout «Curtains For You», un groove psychédélique qui se situe dans la veine du «Cowboy Movie» de David Crosby. En ramenant son talent de batteur dans les Only Ones, Mike Kellie fait bien le lien entre les sixties et les seventies. Il appartient à la génération des Knox et des Chris Spedding qui ont su mettre un peu de plomb dans la cervelle du mouvement punk. Leur troisième album studio s’appelle Baby’s Got A Gun. Joli nom, hein ? Ils jouent «Me And My Shadow» au Diddley beat. Mais sur les autres morceaux, ils cherchent tellement à sophistiquer qu’ils en oublient de sceller le destin des chansons. On ne peut pas courir deux lièvres à la fois. Il semble que le laid-back soit leur vrai domaine de prédilection, car «The Big Sleep» éclate au grand jour, bien chargé de décadence mortifère. Tu as aussi une petite merveille intitulée «Re-Union», bien psyché et joliment martelée par Mike Kellie. Le heavy doom leur sied à merveille. En matière de laid-back, tu vois, ils frisent la perfection. C’est l’un des meilleurs cuts des Only Ones, léger et délié, joué avec un sens du raffinement inégalable. Curieusement, c’est sur les albums live comme The Big Sleep enregistré en 1980, ou encore les Peel Sessions, que les Only Ones deviennent géniaux. The Big Sleep est un album absolument extraordinaire, bourré de son et de dynamiques jusque-là inconnues. «As My Wife Says» sonne tout de suite comme un classique de pop anglaise, bien claqué aux accords clairs de John Perry. En fait c’est lui, John Perry, qui fait le son du groupe, avec sa manie de faire tournoyer le son. L’«Oh Lucinda» live n’a plus rien à voir avec celui de l’album studio, tu verras, c’est même le jour et la nuit, c’est claqué dès l’intro aux accords des Rolling Stones et fruité à l’excès, même si Peter Perrett chante avec de la mélasse plein la bouche. Même chose avec «Language Problem», toxique et trituré par John Perry. Sur cet album live, tout est très joué, très enlevé, très touffu, très chanté. On a cette impression de densité qui n’existe pas sur leurs trois albums studio. Ça te frappera encore plus quand tu écouteras «The Beast», ce pur chef-d’œuvre de pop décadente. C’est extraordinairement envoûtant, aux limites de l’imparable. Même l’«Another Girl» qui suit n’a rien à voir avec la version originale, tellement c’est joué vite, avec un punch terrible. Sur scène, ce groupe devient un véritable buisson ardent. C’est dingue ce qu’ils sont bons ! Ils tapent chaque fois un final éblouissant. Tu as aussi l’extraordinaire «City Of Fun», joué à l’énergie pulsative, Mike Kellie s’en donne enfin à cœur joie, il tape dans tous les coins. Tout le jus des Only Ones est là !

Bien des années plus tard. Cette fois, les retrouvailles sont virtuelles. Elles se font via une ligne téléphonique. Jean-Yves a pris l’habitude d’appeler au cœur de la nuit, histoire de renouer avec notre vieux rituel conversationnel.
— Tu savais que les Spooky Tooth s’étaient reformés ?
— Non...
— Ils viennent d’enregistrer un album qui s’appelle Cross Purpose. Tu devrais le commander ! Ah tu vas voir, c’est un album dément ! Tu les vois tous les quatre sur la pochette, oui, oui, les quatre membres originaux, Greg Ridley, Luther Grosvenor, Mike Harrison et Mike Kellie. Le plus vieux, c’est Mike Harrison, il a les cheveux blancs. Ils reprennent «That Was Only Yesterday» qui était sur Spooky Two, tu sais, l’album qu’on avait écouté chez toi, tu te souviens ?
— Oui...
— Tu va entendre Mike Kellie, c’est une version magique, et tu entends Greg Ridley jouer une belle ligne de basse. Ils sont encore meilleurs qu’à leurs débuts ! Luther Grosvenor fait de beaux ravages ! Oh ils reprennent aussi «Love Is Real», la crème de la crème, c’est la pop anglaise à son apogée, c’est resté un hit monstrueux, ils jouent ça avec de l’écho, tu reviens à l’aube des temps, au Morning Dew, dans l’éclat d’un matin de Carlisle, love is real, et Luther Grosvenor joue ses arpèges préraphaélites. Tout à coup, tu vas voir, il claque un solo sec, incroyablement sec, ça ne lui ressemble pas, non, non, non, mais quelle classe ! et il revient exploser la fin du morceau, et crois-moi, jamais un Anglais n’a montré autant de violence sur un manche de guitare, c’est comme s’il jouait à coups de hache ! Il fait aussi des miracles dans «How», quand tu l’entends jouer, tu comprends qu’il a du génie. C’est lui le guitar hero anglais, il joue à l’ongle cassé et presse ses notes pour que le gras dégueule bien, il dévore le morceau de l’intérieur, tu sais ça me fait toujours penser à une histoire, celle du centurion qui avait ramassé un petit renard et qui l’avait planqué sous sa tunique, et puis un jour, alors que le général de la légion passait les hommes en revue, le centurion est tombé d’un bloc, face à terre... Le renard lui avait dévoré le cœur. Oh tu as aussi un morceau fabuleux qui s’appelle «I Can’t Believe», un vrai morceau de batteur, tu entends Mike Kellie y battre l’enclume, comme Odin, son mentor. Et ne rate surtout pas le dernier morceau de l’album, il s’appelle «Kiss It Better», c’est un hommage aux Stones, t’a du pur heavy boogie, un black out fantastique sur la stonesy, tu vas voir, c’est un morceau qui embarque tout, comme une crue du fleuve jaune, en Chine ! Hé ! Tu dors ?
— Rrrrrrrrr... Rrrrrrrrr

Encore un petit paquet d’années plus tard. Cette fois, nos deux amis se retrouvent complètement par hasard dans l’au-delà...
— Oh qu’est-ce que tu fous là ?
— Le truc con, le foie qu’a lâché... Et toi ?
— Oh un truc dans le même genre...
— T’es là depuis longtemps ?
— Bahhhh, j’en sais rien... Tu sais qui j’ai croisé ?
— Non...
— Buddy Holly, avec son blazer bleu électrique ! Et Greg Ridley, aussi !
— Oh putain !
— Tu sais que les Spooky Tooth ont continué à jouer après le fameux Cross Purpose ? Oui, ils ont enregistré un concert en Allemagne et l’album s’appelle Nomad Poets. Là-dessus, tu retrouves Mike Harrison et Mike Kellie, plus Gary Wright ! Ils reprennent tous leurs vieux hits, «That Was Only Yesterday», «Wildfire» et même «Tobacco Road», mais avec un vrai panache ! Quand tu écoutes cette version de «That Was Only Yesterday», tu as l’impression que le ciel se lève sur le génie des Spooky Tooth, alors qu’ils sont au crépuscule, tu vois... Tu as peu de morceaux qui sonnent comme l’aube des temps. Tu as l’impression de voir Mike Harrison dressé au sommet de la falaise, le visage tourné vers le ciel. Ce groove est resté pur, quasiment intouchable. Tu retrouves leur fabuleuse heavyness dans «Wildfire», et je vais te dire un truc, ça dépasse même les normes. Le son explose, voilà de quoi sont capables les Anglais. Mike Harrison semble régner sur le monde du rock. Et la version de «Tobacco Road» te plaira, même si Luther Grosvenor n’est plus là. On retrouve le fabuleux échange entre Gary Wright et Mike Harrison. Ils sont complètement dingues, tous les deux, ils montent leur Tobacco à l’incandescence. Ils sont beaucoup trop puissants... Ils rejouent même «Evil Woman», tu te rends compte, on a l’impression de boucler la boucle en évoquant ce vieux hit des sixties, Evil woman, when I saw you comin’, comme si notre vie n’avait duré que le temps d’une chanson...
— Tu va réussir à nous faire chialer, si tu nous sors La javanaise ! C’est vrai que cette vie nous a complètement échappé, mais je préfère rester sur Verlaine, c’est plus gai...
— Je me souviens des jours anciens et je pleure...
— Non non pas du tout, je pensais plus à l’Art Poétique, une ode à la poésie qu’il écrivit dans un moment d’exaltation. Ce poème est la métaphore parfaite d’une vie trop courte, et à un moment, tu as Verlaine qui s’exclame : de la musique avant toute chose ! Tu comprends, avec ça, la messe est dite, mon vieux.

Signé : Cazengler, Spookiki


Mike Kellie. Disparu le 18 janvier 2017

Art. Supernatural Fairy Tales. Island Records 1967

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Spooky Tooth. It’s All About. Island Records 1969

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Spooky Tooth. Spooky Two. Island Records 1969

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Spooky Tooth. The Last Puff. Island Records 1970

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Spooky Tooth. Witness. Island Records 1973

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Spooky Tooth. The Mirror. Island Records 1974

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Spooky Tooth. Cross Purpose. A&M Records 1999

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Spooky Tooth. Nomad Poets. Evangeline Records 2007

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Only Ones. The Only Ones. CBS 1978

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Only Ones. Even Serpents Shine. CBS 1979

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Only Ones. Baby’s Got A Gun. CBS 1980

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Only Ones. Remains. Closer Records 1984

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Only Ones. The Big Sleep. Live In Europe 1980. Jungle Records 1993

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AVENTURES LEZARDINES


1


A peine ai-je entrouvert la porte de la Boots Tique, le patron se précipite vers moi. Normal, chaque lundi matin depuis des années je lui achète tous les lundis une paire de Perkins Shoes, jamais à moins de mille euros.

- Monsieur Damie ! Vous avez reçu mon mail, cet arrivage exceptionnel, je sais qu'en vous le rocker va craquer, des Blue Suede Shoes, d'un bleu comme je n'en ai jamais vu, un coloris exceptionnel, un lapis-lazuli paradisiaque, que dis-je célestial, séraphinesque ! Admirez, une teinte inédite pour votre collection !

Derrière le comptoir les deux vendeuses pouffent :
- Monsieur Damie, les copines l'appellent cinquante nuances de bleu !

-  Désolé, mais aujourd'hui je prendrai plutôt des peaux de lézard.
- Ah ! une chance extraordinaire, en rayon nous avons une splendide paire en peau d'agame aquatique d'un vert tropical à faire rougir de honte l'herbe sur laquelle vous marchez !
-  C'est bon, je prends !
-  Attendez de les voir !
-  Inutile, j'emporte tout de suite !
- Mais la pointure, Monsieur Damie, il vaut mieux les essayer, imaginez que je vous refile un 36 fillette !

Derrière le comptoir, les deux pouffes minaudent :
-  Monsieur Damie ce serait plutôt 36 fillettes, avec un s !

-  Aucun problème, donnez-moi, toutes les boîtes que vous avez, qu'importe la taille, il m'en faut cent paires !

2


Tante Agathe, me fait la morale :
- Tu te rends compte Damie ! Heureusement que tu es mon neveu préféré ! Huit jours sans m'arrêter ! D'abord prélever des carrés de dix centimètres sur tes grolles ! Et puis les assembler et les coudre ensemble ! Sans couture apparente, en plus ! Enfin ton costume pour le carnaval est prêt ! Tu peux l'essayer !

3


De la belle ouvrage, ma combinaison lézardine me va comme un gant. Me colle à la peau. Du sommet du crâne à la plante des pieds. Dans la rue les enfants n'en reviennent pas et s'égosillent : Regarde Maman, le plus beau des masques du défilé, on dirait un vrai lézard géant ! Ils ne croient pas si bien dire !

4


Une terrible métamorphose psychique est en train de s'opérer, je sens que je suis en train de perdre mon essence humaine, la mutation décrite dans le vieux grimoire de Paracelse n'était pas une légende, à chacun de mes pas je deviens de plus en plus lézard, dans les cris et les bousculades du carnaval, personne n'y prend garde, ma langue s'allonge et mon postérieur s'accroît d'une longue queue écaillée qui traîne à terre. En un rien de temps ma taille explose, debout sur mes pattes arrière je dois bien dépasser les huit mètres cinquante, je bondis sur un char, la foule rit, elle croit que j'use d'un subterfuge de baudruche gonflable, les applaudissements crépitent, alors de mes deux pattes de devant je frappe sur ma poitrine et de mon gosier s'échappe ma déclaration de guerre au monde entier : I'm the lezard King, I can do Anything !

5


Hop ! Je rafle les deux premiers imbéciles qui passent à ma portée, mes griffes s'enfoncent dans leur ventre et je les éviscère, le sang gicle de partout, je me délecte de leur tripes fumantes qui fouettent l'air autour de mon museau prédateur.

6


L'image passe en boucle aux infos de vingt heures. Le pays s'affole, l'on demande à la population de se barricader, l'on rappelle les réservistes, mais moi le Roi Lézard n'en ai cure. J'attrape les chars d'assaut qui foncent sur moi par le canon, les fais tournoyer dans l'air et les jette au loin comme de vulgaires cailloux. Je défonce les fenêtres et arrache à leur intérieur douillet des familles entières dans mes serres diaboliques. Ma langue gobe les bébés comme des mouches, le cartilage fragile des enfants ne résiste pas à mes gourmandes mâchoires, je désopercule la tête des parents et presse leurs corps comme un berlingot de lait pour boire leur sang.

7


Durant des heures je poursuis ma route carnassière. L'armée suit ma trace sanglante parmi les immeubles éventrés mais n'ose plus intervenir depuis que j'ai saisi au vol les deux escadrilles de Rafales qui gisent à terre comme des papiers de tôle froissée. Me voici dans les faubourgs de Fontainebleau. Je suis rassasié. Je n'ai plus faim. Mais je sens en moi un désir immense et irrépressible que je ne parviens pas à décrypter. Terribles impulsions de mon sang qui bout dans mes artères. Je m'arrête décontenancé. Il faut que je réfléchisse. Mon cerveau de reptile m'envoie un message, mais je suis incapable de le déchiffrer. Un reste d'humanité, me souffle une solution, trouver un livre sur les sauriens dans une librairie, ce doit être expliqué. Je me mets en quête du moindre bouquiniste. Sauvé en voici un ! Tiens une affiche sur la porte ! Incroyable, écrit en grosses lettres, la solution pratique de cette morsure qui tenaille ma chair dinosaurienne en émoi. Bien sûr, ce ne peut être que cela ! Le simple besoin physiologique d'une femelle, l'implacable nécessité de la survie de l'espèce ! Suis-je bête, comment n'y ai-je pas pensé ! En plus, il y a l'adresse de son repaire !

8


Je galope vers la rue du Rat qui Pète ! Tiens bizarre, il me semble que je rapetisse ! Ah ! Oui, je me souviens, Paracelse, effet de quelques heures seulement, je me dépêche, ma peau devient subitement moins verte, vite, vite, non je ne veux pas rater l'occase, je me rue sur mon rut, j'ouvre la porte à toute volée, je suis tout essoufflé,

- Oh Damie ! C'est sympa d'être venu au concert – se pressent tous les cinq autour de moi - Lizard Queen te remercie !

 

16 / 02 / 2017FONTAINEBLEAU
LE GLASGOW


LIZARD QUEEN

Retour au Glasgow. Les lézards entament la balance, magnifique occasion de nous régaler de quelques sucreries instrumentales qui arrachent des applaudissements à l'assistance qui vaque devant le comptoir. Cid Marquis vocalise, doit se souvenir d'un reportage sur la faune africaine vu à la télé dans sa petite enfance car elle rugit comme une lionne à qui vous essayez de voler ses petits. Retour au calme, petite demi-heure de battement, la foule s'amasse devant et derrière les barriques qui servent de table. Juste le temps de faire la bise aux Jallies venues supporter les copains et le concert débute.

LIZARD QUEEN


Quand je pense qu'il y a des anormaux qui placent un poêle à mazout devant leur cheminée je désespère de l'humanité. Bien plus malins les lézards, ont installé l'orgue à liseret rouge et à l'autocollant «  Never Trust a Hippie » et derrière celui-ci : l'incandescente Léa Worms, in person, la plus parfaite incarnation du charme anglais, pour le moment elle effleure les touches de ses menottes ivoirines, à ses côtés sous son chapeau de faux texan et sa veste à vrais carreaux, sa panoplie rend le cowboy Tristan Tisocial tout heureux, de temps temps pour exprimer sa joie il yodelle, ou fort inopinément d'un index facétieux s'en vient piquer au hasard une note sur le clavier de Léa, pas de chance pour Jul Erades, l'est au coin dans l'angle, mais l'on n'a pas été trop méchant avec lui, on lui a permis son set de batterie qui ne laisse dépasser que sa tête et ses yeux clairs, la sombre et mauve silhouette plaquée contre le mur de refend a pour nom Alex April ses cheveux mi-longs qui lui mangent le visage, lui donnent le look du rebelle que dans les films vous évitez de déranger pour lui demander l'heure, des fois qu'il vous la donnerait avant de vous envoyer ad patres. Elle vous a de ces airs aristocratiques de duchesse, les épaules recouvertes d'un manchon de fourrure, elle s'avance souveraine et repousse le micro comme s'il n'était pas à sa place. Mais à l'ondulation nonchalante de son corps l'on devine qu'à ses yeux c'est le monde entier qui est de guingois. Une robe improbable. Qu'elle a dû découper dans les rideaux de coton de Tante Agathe, qui s'arrête à mi-cuisse, mais le galbe des jambes dénudées est noyé dans un ruissellement de lanières inégales desquelles les plus longues retombent jusqu'à ses deux énormes après-skis aussi poilus que des chiens de salon que des pages cérémonieux portent dans leurs bras dans les tableaux espagnols du dix-septième siècle. Elle s'aperçoit enfin que le public subjugué la regarde, alors Cid Marquis énonce deux petites phrases destinées à rentrer dans l'Histoire : « Nous sommes Lizard Queen. Nous allons interpréter un tribute à Jim Morrison. » La cérémonie païenne peut commencer.

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Troisième fois que j'assiste à un concert de Lizard Queen, en ce même lieu, en ce même décor de recoin de pièce, le groupe tassé comme les doigts repliés d'une paume de main à demi-refermée, mais ce soir le son n'est plus tout à fait le même. Moins ombré, moins ambré, moins inimitablement Doors que les fois précédentes. J'isole tout de suite la fautive, responsable de cette transmutation aurifère. Léa s'agite dans sa blondeur. Absorbée dans l'infernal ballet de ses mains, ailes blanches de cygne sauvage qui s'abattent en rafales sur les dents de plastique du clavier, elles volètent et se poursuivent, grands à-coups de large claques, glissades tourmentées, placages d'accords, fuites enivrées et retours furieux, qui dira les entrelacs de Léa, ses palpitations d'ongles, ses entremêlements de doigts, elle pousse et bouscule le combo vers l'envol. Pour la première fois l'on a l'impression que les Portes sont ouvertes et que les oiseaux du malheur s'enfuient de leur cage pour nidifier plus près de nous.
N'est pas seule dans cette montée en puissance. Jul l'aide. A sa manière. Des virées de breaks de batterie insistants qui semblent tout remettre en question. La sensation d'un renvoi à terre, d'une série d'abattages infinis, inlassables. En réalité il précipite le mouvement. Des salves de mitrailles qui mordent la poussière sous vos pieds, qui vous enjoignent de courir plus vite afin d'échapper à votre anéantissement. Arme blanche et âme noire sont les deux guitares d'Alex. L'une au pick-guard enjolivé de fleurs psychés, l'autre menaçante comme un corbillard, les agite tantôt cimeterre, tantôt cimetière, pose des notes au sommet de falaises infranchissables ou les plonge dans les ravines les plus profondes, l'est un semeur d'étoiles filantes qui enflamment les cieux et les fournaises de l'enfer. L'y ajoute le fer de l'harmonica et l'acier de son bottle neck, nous conte l'agonie du serpent, les sueurs froides des petits matins reptiliens et les moiteurs swampantes des marécages sauriens. Il est la flèche qui s'égare dans les boules de foudre, il mord sa guitare comme on lèche un sexe de femme et puis la faisant basculer derrière son dos il se poignarde entre les deux omoplates, car c'est ainsi que se closent les drames passionnels.
Tristan, mine réjouie, tisse de sa basse les fils de l'araignée tueuse. De longues trainées pratiquement invisibles, il ourdit le cocon mielleux dans lequel l'attention se relâche, recouvre le fond du tableau d'un noir transparent, il accapare la lumière et assombrit l'atmosphère d'une piégeuse onctuosité. Douceur parquienne. Tragédie morrisonienne, si les autres explosent le bruit et la fureur, il exprime cette angoisse de mort qui annihile votre désir de vie, il est la barque funèbre qui parcourt en filigrane la stygienne musique des Doors, et vous garde prisonnier d'un courant qui vous emporte malgré vous, méfiez-vous, les fantômes des noyés ne remontent jamais sur la rive fatale pour se se baigner une deuxième fois dans la rivière qui les a occis...
Cid Marquis. Rire sardonique et thrène mortuaire. Elle ne chante pas. Elle aboie, elle assène, elle hurle, elle hulule, elle psalmodie, la pythie est habitée par la vapeur des Dieux. Elle laisse tomber de son verre quelques gouttes d'alcool sur le sol, c'est ainsi que le peuple des morts vient se désaltérer, écoutez-le qui mugit dans sa voix telle une vague sépulcrale qui nous engloutira tous. Elle est la back door woman celle qui vient aboyer à la porte de derrière de votre âme, la chienne hécatienne en chaleur qui à plein gosier vous arrache le foie, pisse sur votre visage comme sur la sainte face de Dieu, le molosse du blues altéré de sang qui a brisé ses chaînes et qui se veut venger de ses maîtres, debout près du micro, mais le plus souvent, pliée, courbée en deux, comme si une force tellurique la ramenait, la maintenait près de la terre, elle est la prêtresse vaudou qui commande aux loas, elle est la sorcière et elle est le couteau, elle est la colombe et elle est le sang de la colombe, elle crie, elle rit, elle invective, elle questionne, elle répond, elle réplique, elle se moque, et elle mène l'ardent ballet de l'extase orgiaque. Elle enlève de ses épaules l'étole de faux vison, pour que l'on ait la vraie vision de cette plante tatouée, incrustée sur sa peau et insinuée en son corps mat comme le plant serpentaire et envahissant d'une vigne dionysiaque. Et tout près, son bras brun s'irradie de la lumière apollinienne de la chair laiteuse de Léa aux dômes éblouisseins.
Not to touch the earth, le serpent vole, le groupe n'avait pas commencé depuis quinze secondes que le piétinement conjuratif a débuté. Danse sacrée. Transe sacrale. Deux sets sans fin, l'alcool qui coule à flot, les verres brisés et toute la jeunesse du monde qui s'emmêle dans un rythme incoercible. Excitations, cris, embrassades, sautillements, braillements, grandes orgues de la démence, une fête sans fin déroule ses anneaux alligatoriens...
Sans fin. Pas tout à fait. Car tout a une fin nous ont appris dans leur grande sagesse les philosophes de l'antiquité. L'orchestre débute le tumulte du dernier morceau, qu'un ami pas du tout beautifull – en l'occurrence le patron de l'estaminet - intime l'ordre d'arrêter, et pour se mieux faire comprendre coupe l'électricité. Juste quelques secondes. Assez pour jeter la lumière sur la sombre réalité d'une société française de moins en moins festive, de plus en plus coercitive. Pratiquement a capella, Alex April l'accompagnant en sourdine, Cid Marquis improvise... une fin que le public applaudit à tout rompre.
Un concert de toute beauté. Rock'n'roll à donfe. Là-bas, au Père Lachaise, l'âme de Jim Morrison s'est assise sur sa pierre tombale et a tendu l'oreille. Et les goules assoiffées ont vu se dessiner un sourire mélancolique sur ses lèvres closes.


Damie Chad

( Photo : FB  d'Aurélien Tranchet )

*

Un texte repéré sur le FB d'HUBERT BONNARD que nous donnons ici débarrassé de ces émoticons et petits coeurs rouges. Voici le lien : pour ceux qui tiennent à voir la graphie originale.

https://www.facebook.com/photo.php?fbid=703858819772841&set=a.296021087223285.1073741828.100004461876258&type=3&theater

 
Wild Child est un french groupe mythique des années soixante-dix. Dans ce texte Hubert Bonnard nous conte l'éphémère reformation du groupe en 2015... Nous dévoile par la même occasion la vie mouvementée d'un activiste rock...
Avions rencontré Hubert Bonnard l'année dernière dans un concert de Crashbirds au fin fond de la Seine & Marne. Un grand brûlé du rock'n'roll.

 

WILD CHILD QUELLE AVENTURE !
Mon Histoire d’Amour - Hors remerciements, résumé en 3mn

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Fan fou depuis 82 dès l’45 tours sorti, ça m’aura coûté 2 ans 1/2 d'ma vie. Outre le fait que j’ai passé une nuit blanche à écouter la vitale à vie face A du 45 tours en boucle, à user plus qu’à la moelle le 1er album 6 titres, que je les ai vu 3 fois sur scène en 83 et 85, mon histoire d’amour revit il y a + de 3 ans ½, lorsque par hasard je tombe sur une vidéo de Wild Child sur Youti Tube. Trop content, j’y laisse un commentaire, et Oh Surprise : Leroy y répond ‘’Contact-moi sur Facebouc, y’a une page Wild Child’’ J’me dit aussitôt : ‘’Facebouc ? Alors ça ! JAMAIS ! Bon, + d'3000 amis + tard, aucun regret. Quelque mois + tard, au gig de Guttercats, sur qui que j’tombe: Little Jim .  Quel grand choc de le voir bien plus maladif qu’à mon blabla avec lui en 83. Là il me narre toute l’histoire, mon divin devoir de fan : y mettre enfin fin. Quel rêve pour moi d’avoir réconcilié 2 frères ennemis, jouer du violon à l’un, remettre d’aplomb l’autre, tout ça pour les convaincre que le top album inédit de 30 ans sorte enfin. Personne n’y croyait plus, ils sont tombés sur un têtu. Chance : Closer Record souhaite un titre pour leur TOP compil ‘’Eyes on You 2’’, le meilleur inédit sera choisi, titre aussi de l’album : ’‘The Next Décline’’ S’en suit une annonce + photo dans la rubrique ‘Télégramme’ de Rock & Folk. Mais Closer ne peut pas sortir l’album. Chercher partout un autre label, envoyer avec raison des CDs Pré-Promo fait maison, des mails à la pelle, des courriers personnalisés, plus de 100 coups d’fil sans fin et sans fil, et trouver grâce à Silvère Vincent une maison de disque, ENFIN  ! Entre temps il a fallu aider l’ingénieur du son pour le remastering, Super JJ, puis consacrer un temps fou à concilier tout l'monde pour le livret aux 13 essais. Pour accrocher les labels, le principal argument était que le 45 tours "Stooge Face'' (une bombe, disque du mois que Philippe Manoeuvre vendra lui-même à New Rose), et le 1er album ''Speed Life O' Mind''(Le ''Fun House'' France, + que Méga Archi Super Top), tous 2 en intro de l'album, sont introuvables. Sauf que, pour qu'ils soient réellement et complètement introuvables, bah il a fallu faire la chasse et acheter tous les 45 tours et tous les 1ers albums vinyles qu’il y avait sur internénette. J'en ai du coup plein ma cachette. OUF ! Plus la peine de l’faire, le contrat est enfin signé, champagne, on a gagné !
Pour la promo, après 30 ans d’abstinence, il a fallu préparer un concert. Au début, et même à la fin, on y croyait pas trop, c’était incertain et trop beau. Mais la renaissance de WILD CHILD était la seule raison de vivre du chanteur. Faire dérouiller les doigts à l’un, réapprendre la confiance en soi à l’autre, le faire rechanter, en solo, puis fastidieusement devant un public incognito . . . Ce, sans s’étendre sur sa tonne de problèmes perso qu’il a fallu solutionner. Un temps fou au sacrifice de ma famille et de mes amis ça m’aura coûté. OUF ! Françoise Mongibello et Marie Jo Margerin sont là pour m’y aider. Retrouver et impliquer le 1er batteur fondateur,  Alain Ménissier, qui par chance, avait tout le matos, un super local de répète, plus un pote bassiste. Chance aussi qu’il a pu avec Christine Pelini accueillir tout le monde dans son sweet home, un joli paradis à côté de Limoges. S'entêter dans des répètes, remonter le moral du groupe.

Après, les heures de remastering et de la confection du livret, faire de Paris de nombreux aller-retour, la bouffe, le super top pédalier de guitare, à Paris le dodo, la location du projo, le buffet du showcase, le repas final, etc, tout ça ça coûte. Chance aussi que Thierry Baron était là pour TOUT financer, sans lui RIEN ne se serait passé. Des gros € il a donné, l'aide de Jeff Froyd et mes RSA y sont passés ( Puis il a fallu charmer Philippe Manœuvre qui le veut qu'en vinyle Trouver une super attachée de presse, Nadia Sarraï-Desseigne Grâce à Gilbert Castro, le boss de Celluloïd, YOUPI, l’album est enfin sorti Grâce à son fils aussi, Antoine, graphiste, qui a à la hâte dû convertir le livret.
1ère écoute de l'album, UNE BOMBE ATOMIQUE, un grand merci Super JJ ! Longues négociations chez Rock & Folk pour le coût de l’encart de pub, ouf, 2 pour le prix d’1, mais ça reste cher, encore une fois Thierry Baron assure. Caroline FuzzySeven consacre le ¼ de son émission de radio à Wild Child. Mise en place d’un jeu sur Facebouc pour faire gagner aux fans des places. Grâce à Nadia, la chronique dans Rock & Folk put être faite, bonne en plus. Chercher une salle de concert qui, par manque de prépa, est désiré Showcase. Partout, en version privé, trop cher. Convaincre Gilbert Castro de le faire dans son prestigieux Studio Davout fut plus que fastidieux, mais c’est ok. Sauf que là, pas de matos de scène. Sans celui d’Alain Ménissier, rien ne sera fait. Trouver un gite, envoyer toutes les invites, la pression monte vite. Au dernier moment, le chanteur tombe grave malade, les gens prévus pour installer la scène ne sont pas venus. Les 3 musiciens et Christine assurent. Galère pour louer le projecteur. La dernière répète prévue avec le chanteur ne put se faire. Tout le monde est crevé et énervé, mais on ne peut plus reculer. L’ingénieur du son du studio prévu est absent. On improvise avec Super JJ qui ne connaît pas du tout la super table de mixage. On installe vite fait les affiches, les photos, les tableaux, avec les 1ers invités qui arrivent. La visio prévue n’est pas encore arrivée. Le marchandising est assuré à l’improviste par Caroline Boudier et sa copine Aurore, toutes 2 invitées. 20 mn avant faut courir acheter à Auchan le transformateur pour les lumières qui vient de griller. De retour en nage, faut improviser tant bien que mal, mais avec envie, le bla bla d’intro prévu d’être fait par quelqu’un d’autre. Bla Bla Bla, Bla Bla Bli, Op Op Op c’est parti. Les lumières s’éteignent. Court et Top projection assurée par Martine Bonnard et Sébastien Couty du super teaser de Philippe Montiel. Un Grand Moment d’Émotion, puis le groupe arrive sur scène. Avec des couics et des couacs, 13 morceaux sont assurés au lieu des 7 prévus Aucun enregistrement correct n’a pu hélas être effectué hélas, mais, bien qu’un petit peu chaotique, MOMENT UNIQUE, HISTORIQUE, HYSTÉRIQUE et MAGIQUE. Bref, dur dur de résumer 2 ans ½ d’aventure en quelques lignes d'écriture. Pour finir, même s’il était prévu une suite qui hélas, à notre grand regret à tous, ne fut, je suis fier d’avoir pu participer à la performance du groupe rock français préféré, avec OCEAN, de mes 18 ans.


Encore un Grand Merci aux personnes déjà citées.
Un Grand Merci à Marc Genest, bien avant moi, LE 1er manager.
Un Grand Merci à Alan Mayo le bassiste.
Encore un Grand Merci à Thierry Baron.
Encore un Grand Merci à Super  à Alain Ménissier.
Et pour finir, ces 2 ‘zoiseaux’, le meilleur pour la fin comme  disait Tolstoï. Un Grand Merci à Little Jim. Un Grand Merci à Leeroy. Sans eux, rien de cela ne serait arrivé. Purée d'Rock & Roll.
Un Grand Merci aussi à toutes les personnes présentes au Showcase :
(par ordre alphabétique complètement désordonné, mais les filles en 1er )
Béatrice Arnaud, ses 2 filles Laëtitia et Elodie leur 2 conjoints, Isabelle Dejésus, Séverine Schenini, Catherine de Holthausen, Marie Line Brasseur, Laurence Le Tiec, Sandra Koch, Mme Castro, Annie Deligne, Katia Bersac, Helene Salat, Jane Million,Tieri Twisted, Axel Baron, Géant Vert, Dom Sarraï-Desseigne, Frank Margerin, Joël Calatayud, Patrick Bainée, Jean-Pierre Sabouret, Eric Parent, Eric Renard, Hervé Guttercats Michel, Malik et Valérie Agoua, Pierre Terrasson, Ouassini Kidari, Georges Bodossian, Diabolo, Marc Prada et Alexandre, Frederi Léotard et Suzy Marilou, Pipil et son ami, Olivier Spitzer, Pierre Laforêt, Thierry Gotti, Camboui, Alain Truffault, Gérald Coulondre, Joe Cardinalat, Pascal Tanguy, Philippe Santi, Stephane Marechal, Yann Bourven, plus la trentaine d’autres personnes dont je n’ai pas les noms.
Et surtout à Hippolyte Teddy Jungle King et son équipe, et à Lolo Zep pour ses supers photos et sa précieuse aide à ranger le matos.
Un Grand Merci également à toutes les personnes non présentes, mais avant ou après plus ou moins impliquées :
Yasmine Aoudi, Sandra Pinget, Cathy Bitton, Antoinette Mavre, Morgane Spacagna, Linny Fondakélic, Alicia Fiorucci, So Boisgallais, Lily Ballereau, Mars Elle Rime, Eléna Montiel, Gina, Jean-Eric Perrin, Georges Amann, Jean-William Thoury, Patrick Mathe, Gerald Guignot , Kikou, Claude Frazier, Pat Manoury, Franck Pierrot, Bernard Natier, Philippe Gilard, Henri Paul & Cathy Tortosa, Deedee Drinkwater, Christophe Crouzet, Pascal Houard, Nikki Hair, Pat Laféline, Fred Mosrite, Jef Megawatts, Matthieu Vatin, Thierry Saltet, Patrick Eudeline, Basile Farkas, Gilles Tandy, Philippe Manœuvre, James Petit, Michel Martig, Jean-Luc Manet, Christian Lebrun, Gérard Beullac, Olivier Vangah, Thierry Solal, Phil Jumbo, Yves B. Dog, Hervé Moisan.
Une pensée spéciale pour (qu’ils reposent en paix) : Monique Pharamond, Jenny, Lang, Fred Lemarchand, Laurent Bernat, Richard.



Que VIVE WILD CHILD Dans Nos Mémoires !

 

GENE VINCENT / JOË BOUSQUET

 

Les idées se télescopent. Jim Morrison et Le Diable Boiteux de Michel Embareck ( in KR'TNT ! 292 du 01 / 09 / 2016 ) et L'Être et le Néon de Jean-Michel Esperet qui établit un improbable parallèle entre Jean-Paul Sartre et Vince Taylor ( in KR'TNT ! 301 du 09 / 11 / 2016 ). Se manifeste alors dans ma cervelle fatiguée la conjonction, selon moi inédite et jamais esquissée, entre Gene Vincent et Joë Bousquet.
Les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, Joë Bousquet est mort en 1950, à Carcassonne. Je ne ferai pas l'injure de rappeler aux lecteurs de KR'TNT ! la figure de Gene Vincent. Joë Bousquet est un des plus grands poètes français du vingtième siècle. Tous deux sont reconnus comme des maîtres en leur matière. Mais au-delà de toutes les différences qui peuvent affecter le parcours de ces deux artistes, tous deux ont partagé un destin similaire. Ont été confrontés à une terrible blessure physique qui a oblitéré leur vie mais dont ils ont triomphé - non pas en la niant, essayant de faire face courageusement comme si elle n'était qu'encombrement superficiel de minime importance - mais en la modelant formellement pour en exalter, chacun en son domaine, l'efficiente opérativité existentielle.

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Né en 1897 Joë Bousquet vécut une jeunesse qu'un demi-siècle plus tard l'on aurait stigmatisée sous l'appellation de blouson doré. Un choix délibéré, de vivre intensément, cafés, filles, drogues, bagarres, qui manifeste avant tout le désir d'inscrire sa vie hors d'une future existence programmée de bourgeois de province. La guerre de quatorze et ses jeunes femmes esseulées privées de maris partis sur le front procure à ce jeune étalon un terrain de jeu idéal... Des facilités auxquelles il mettra froidement un terme en devançant l'appel dès 1916. L'était de ceux qui préfèrent vivre vite. Fait le choix d'un régiment de première ligne. Se porte volontaire pour les missions les plus périlleuses. Jusqu'à ce jour de mai 1918, il prend soin à la suite d'une déconvenue amoureuse épistolaire de ne pas se coucher sous la mitraille... Ses hommes refuseront de le laisser agoniser sur place et malgré sa défense le ramènent à l'arrière.

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Une autre vie commence. De paralysé. Les amis se pressent autour de sa couche. Prend peu à peu l'habitude de dormir le jour et de vivre la nuit. Entre opium et littérature. Ne sortira plus de sa chambre les dix dernières années de sa vie. Se retire du monde pour mieux se retrouver lui-même. Sa vie devient un personnage de légende. Il attire, il fascine. Sa conversation est éblouissante. L'on se presse à son chevet. Les grands noms du surréalisme viennent le visiter. L'on refait le monde à coups de causeries. Et davantage pratiquement lors de l'Occupation. C'est dans sa chambre de grand malade que se tiennent les réunions les plus importantes de la Résistance du Sud de la France...
La poésie devient le centre de sa vie, il la conçoit comme une expérimentation totale du langage et du corps, nombreuses sont les jeunes filles qu'il initie à une physique érotique troubadourienne et métaphysique. Il conçoit la poésie en tant que pratique de l'acte d'Eros par excellence, tentant une étrange équivalence entre le sexe de la femme et la béance mythique de sa blessure. Son écriture est un trou noir sans fond qui opère et théorise les transvasements transsexuels qui lui permettent de renouer symboliquement avec sa vie de jeune homme sauvage...

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Son oeuvre est immense, romans, récits, poèmes, contes, articles, correspondances, journaux intimes, notes et de nombreux carnets qui bien des années après sa disparition continuent à être édités... Un poëte majeur mais difficile d'accès car se refusant à toute logique cartésienne et faisant appel à une exploration d'in-connaissance du monde. Une espèce d'anti- phénoménologie magique. Ce qui explique qu'il reste encore aujourd'hui ignoré du grand public...

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Pas un jour, pas une nuit Joë Bousquet n'accepta de se sentir diminué par sa blessure. Lutta avec son arme favorite : la poésie. Pour Gene Vincent, la blessure fut d'apparence moins grave. Dut porter une attelle pour supporter les os broyés de sa jambe dont il refusa l'amputation. Fut un homme debout au même titre que Joë Bousquet fut l'Homme Couché. Le rock'n'roll fut son arme. Depuis son infirmité il transcenda son jeu de scène, léguant à tous les rockers une sombre liturgie, transformant le concert en une sorte de rituel pour anges déchus. La douleur l'accompagna, malgré l'alcool et les piqures de morphine parfois au milieu du show. Pas une fois, jusqu'aux derniers jours de sa vie à l'âge de trente-six ans, il ne renonça à être ce qu'il était. Etrangement sa musique exprime – son existence le confirme - cette révolte qui agita la jeunesse de Joë Bousquet. Ce désir d'une vie borderline en rupture d'ordre social, profondément anarchisante. L'application rock'n'rollienne de la formule de Lefty Frizzel, la vie comme poésie.


Damie Chad.

 

DARWIN

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Souvenez-vous, c'était au printemps 2014, entre avril et juillet – voir KR'TNT : 184 / 185 / 189 / 191 / 192 / 195 / 196 – surgie de nulle part, Loreann s'était posée sur la terrasse du café du samedi matin, à Provins. Elle et sa guitare et sa voix de brume et d'automne. Pendant deux ou trois heures elle nous emmenait au travers d'un répertoire de reprises rock classic dans ces paysages de songe que Gérard de Nerval intitulait Petits Châteaux de Bohème. Nous fascinait, le Grand Phil, moi et toute la clientèle, dans le tintamarre du marché provinois, elle tissait un fantomatique royaume de silence et de beauté, et puis un jour l'oiselle s'est envolée, n'a plus donné signe de vie, a disparu de notre ciel.
Et la revoici, revenue d'on ne sait quels autres cieux, de quelle autre tempête. Entre deux escales vagabondes, niche sur Paris, n'est plus seule, un groupe s'est formé autour d'elle, Michel est à la batterie, Didier à la basse, Cedric à la guitare, Loréann', guitare sèche et voix humide. N'en sont qu'aux balbutiements, viennent de monter un répertoire de reprises, Rolling Sones, David Bowie, Dire Strait, accompagnements électrique et Loreann' qui pose son timbre dessus comme la rosée sur le désert.

 

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Et puis cette vidéo, reprise de Ma Benz de NTM, tout en douceur, folk mutin, la voix qui s'amuse sur les sonorités et les musicos qui tricotent comme les chats font le dos rond. Images pas anodines, à la fureur citadine ont préféré des vues campagnardes, retour vers les vestiges du passé, l'écrin des guitares et la fêlure de la voix qui ensorcelle.
Ce n'est que le début de l'aventure. Encore quelques concerts et bientôt apparaîtront les compos. Darwin, un groupe dont il va falloir suivre l'évolution.


Damie Chad.

P.S. : Image très flou, mieux vaut regarder sur www.darwin-music.com