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12/09/2018

KR'TNT ! 384 : KID CONGO / LUCKY BULLETS / HAYRIDERS / WISE GUYZ /CAT LEE KING & HIS COCKS / MARY SHELLEY / CRASH MIGHTY / DÄTCHA MANDALA / MONSIEUR VERTIGO

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 384

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

13 / 09 / 2018

KID CONGO / LUCKY BULLETS

HAYRIDERS / WISE GUYZ

CAT LEE KING & HIS COCKS

MARY SHELLEY / CRASH MIGHTY

DÄTCHA MANDALA / MONSIEUR VERTIGO

TEXTE + PHOTOS SUR :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Congo à gogo - Part Two

 

Sans doute ce jour-là Kid Congo avait-il décidé de régner sur la terre comme au ciel, car tel fut le cas. L’apparition se produisit à Binic en l’an de grâce 2018, un 29 août, pour être tout à fait précis. Kid Congo ne prit pas l’apparence d’une vierge translucide comme on serait tenté de le croire, mais celle d’un homme en froc noir et plastron blanc, perruqué de gris et le visage abondamment badigeonné de poudre de riz saumonée. Il en avait tant mis qu’elle barbouillait le blanc du plastron et le fil d’argent du nœud pap. Il s’était en outre généreusement charbonné le tour des yeux. Il semblait sortir d’un film fantastique de l’âge d’or du cinéma muet. Typiquement Lon Chaney dans Le Fantôme de l’Opéra. Nous en étions là. À vibrer de mille frissons. Glagla à gogo. Shaking in Brazzaville with the Congo beat. L’entourait la fière équipe habituelle des Pink Monkey Birds, Kiki on beiss, the tattoo beast Ron Miller on drums, et Marc Cisneros à la pure excellence guitaristique.

Lorsque se produit le schisme psychique d’une apparition surnaturelle, il faut un temps d’adaptation qu’on estime variable selon les cervelles. Il dure en moyenne le temps d’un cut, mais avec «Coyote Conundrum», la foule entière tomba comme un seul homme dans l’escarcelle congolaise - We’ll have a good time/ And we want it to be real - Alors évidemment, la partie était gagnée d’avance, d’autant que Kid Congo lâchait son manche de guitare pour danser le jerk des catacombes, les bras en télescope, la bouche ouverte et les yeux fixés sur le néant. Tout bascula aussitôt dans l’extraordinarité des choses, dans un univers dont personne ne soupçonnait l’existence. Kid Congo grimaçait en développant les chevaux vapeur d’une infernale machine à rocker, du type Cramps ou Gun Club, mais en plus congolais, voyez-vous, en plus surnaturel. Il mettait un joli point d’honneur à enfoncer les clous du beat dans l’inconscient collectif, mais personne n’éprouvait de la douleur sous les chocs, bien au contraire. Un vent de génie subliminal caressait cette houle de crânes qui clapotait au pied de la scène - We’ll have a fine time/ And we want to make you feel - Jamais plage ne vit d’aussi beau spectacle. Kid Congo malaxait le beat dans sa bouche immense - We got a comb bomb/ L’amour toujours l’amour - Oh mais quelle débauche de real good time ce fut-là ! On plaignait sincèrement les absents. Kid Congo embrasait tout à la fois, la plage, les mouettes, les crabes et les imaginaires. Il reprenait le Théâtre de la Cruauté là où Artaud, les Cramps et Tav Falco l’avaient laissé. Kid Congo avait compris comme Lux avant lui qu’il fallait viser l’absolu surnaturel. Et ses cuts qui semblaient si mécaniques sur ses albums solo prenaient soudain des proportions alarmantes de démesure, comme ce «Magic Machine», à la fois infernal et dansant, monté sur le plus binaire des riffs, mais I am drug today sonnait si bien les cloches et I am love today secouait si bien les paillasses qu’on en tombait littéralement en pâmoison. Que pouvait-on faire d’autre que de se pâmer devant un tel beat turgescent ? Rien. Absolument rien. Kiki introduisit «Ricky Ticky Tocky» dans la vulve offerte d’un beau dimanche estival. Ça palpita intensément, Kid Congo nous jouait le rock des reins, les bras en l’air et la bouche tordue, ouverte sur les abysses de ses profondeurs organiques. Qui aurait pu se lasser d’un tel spectacle ? Personne. Il allait encore crucifier quelques hits golgothiques comme «Chandelier» et déclencher des pogotages historiques. On vit même flotter à la surface de la houle de crânes des fauteuils roulants. Les apparitions se multipliaient. On se serait cru sur le radeau au moment où Aguirre croise le vaisseau échoué au sommet d’un très grand palétuvier. Mais tout ceci prit des proportions encore plus babyloniennes avec l’hommage tant attendu aux Cramps. Cette brute sublime nous fit le coup de la doublette fatale avec «New Kind Of Kick» et «Can’t Find My Mind». Tout explosa en mille morceaux, le ciel rougît et le souffle emporta tous les suffrages. Kick roula comme un fleuve en crue, charriant les veaux, les vaches et les cochons, les désirs et les aspirations, les notions de passé et de futur, le fleuve emportait tout, l’instant comme le temps, l’instinct comme l’autant, l’ara comme l’oracle, le fleuve de Kick emportait les barrages et les deltas du Mekong, oui, Marguerite aurait dansé à la barrière et stompé son Pacifique, et ce congolais juju-gulaire qui orchestrait cette prodigieuse avanie se permettait en plus de screamer ses fins de couplets avant de revenir dans sa clé de sol. Sans doute-était-il tellement ravagé par le génie qu’il ne s’en rendait même plus compte, son corps désarticulé par le jerk des catacombes appartenait alors aux astres qui plutôt que de s’aligner pour ramener la paix sur la terre, dansaient à cause de lui la plus sauvage des carmagnoles. Tous les crampologues présents sur la plage sentirent le vent froid du Pôle Nord s’infiltrer sous leur peau lorsque Kid Congo murmura : «I’ve got a black skin suit/ Alligator shoes.» Était-ce de l’ordre de l’inespéré ou de l’ordre de l’implacabilité des choses ? En tous les cas, il ratatina les dernières poches de résistance. Comme Bernadette avant lui, Kid Congo vit les foules se jeter à ses pieds. Mais les foules ne se doutaient encore de rien, car après un petit interlude distractif, il ouvrit sa bouche immense pour minauder You look just like an Elvis from hell. À ce moment-là, on vit des crabes se faufiler entre nos jambes pour venir voir ce phénomène de près. On les vit même danser de guingois, dans une fantastique explosion généralisée, encore plus violente que celle déclenchée par Kick. À ce niveau d’extase intrinsèque, les mots sautaient de cheval et les pensées fuyaient par les oreilles en criant au feu, comme jadis dans les villages. D’énormes volutes de fumée noire s’échappaient de la bouche béante de Kid Congo - Gonna buy me a graveyard of my own - Il rejeta une monstrueuse bassine d’huile sur le feu du mythe et les crabes connus pour leur masochisme allèrent s’y jeter. Kid Congo fit basculer Binic et ses hics dans l’autre monde, là où virevolent les poissons jambus du Big Bosch man, là où grésillent encore les hérétiques aux sourires béats. Et puis vint le moment tant redouté, celui de l’adios aux amigos, que Bernadette Congo introduisit par la plus sibylline des sibyllades : «Before the internet, there was Sexbeat !», qui évidemment alla réjouir tous les cœurs présents, car enfin, existe-t-il meilleur moyen de conclure un set aussi atomique ? Bien sûr que non. Du haut de la scène, l’œil rivé sur l’horizon, l’immense Kid Congo empoigna le monde d’un geste impérial en marmonnant son They’re stupid like I told ya, very stupid like ya saw, et il enfila le mythe d’un coup de rein fatal. Move !

Signé : Cazengler, gros Con go !

Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Binic Folk Blues Festival (22). 29 juillet 2018

 

La sagesse des Wise Guyz - Part Two

 

Gros shoot de blue jean bop au Béthune Rétro. Comme tous les ans. Une façon comme une autre de se ressourcer. Rien de tel qu’un bon groupe de rockab pour remettre les pendules à l’heure et les œufs dans le même panier. Mais la prog du festival devient un casse-tête épouvantable. Rendez-vous compte, le samedi soir à 11 h, trois groupes montaient sur scène en même temps : les Californiens Eddie & the Scorpions, les Hot Slap de Dédé et les Wise Guyz qui voici quatre ans firent tellement swinguer le vieux beffroi qu’ils basculèrent dans le cercle supérieur des grandes révélations. Mais cette année, ils n’eurent pas les honneurs de la grande scène. Ils durent se contenter d’une petite scène serrée entre deux baraques à frites.

Mais quelle petite scène ! C’est là que se joua le destin du Rétro 2018. En trois coups, bim, bam, boom, à commencer par les Lucky Bullets, venus des fjords de Norvège, férus de chansons de cowboys et animés des meilleures intentions. Ils attaquèrent leur set dans le milieu de l’après-midi, alors que flottaient les doux relents d’ultra fast-fooding. En voyant arriver sur scène ces quatre candidats au whoopalong, on comprit que ça aller jiver dans les bassines à friture. Le chanteur portait la casquette de Brando dans The Wild One et une belle collection de tatouages sur les bras. En vraie boule de nerfs qui se respecte, il sautilla son hillbilly rumble au maximum des possibilités du genre, épaulé par un guitarman à carrure de bûcheron. Ce géant jouait sur une très vieille Gretsch avec la redoutable efficacité des gens du Nord et sortait un son de rêve, bien mixé au devant du son, comme s’il bénéficiait de l’écho séculaire d’un fjord. Son phrasé puissant et méthodique régalait tous les amateurs de big Gretsch sound. Malgré deux ou trois cuts plus faibles en cœur de set, les Lucky Bullets réussirent à allumer la gueule du Rétro de façon déterminante, sans jamais recourir aux ficelles du rockab sauvage. Leur goût pour les chansons de cowboys et les talents expressionnistes du Brando de comedy act firent chavirer les cœurs. On applaudissait des deux mains. Par sa fraîcheur exacerbée et l’extravagante vitalité de son raw raout, le set des Lucky Bullets marqua pas mal de cervelles au fer rouge.

En début de soirée, on vit débarquer des Anglais sur scène. L’animateur fit baver le public en précisant que le CV de Hayriders était long comme un jour sans rhum. En détaillant les exploits de ces vétérans de toutes les guerres, il s’adressait bien sûr aux spécialistes. Effectivement, les Hayriders n’étaient plus de toute première jeunesse, mais ils réactualisaient magistralement le vieux proverbe : eh oui, c’est dans les vieilles marmites anglaises qu’on cuit les meilleurs soupes. Et quelle soupe ! Sapés tous les quatre comme des milords à la Piaf et cravatés de frais, ils entreprirent de nous sonner sérieusement les cloches. Le chanteur Neil Wright tenait bien son bop en laisse, par contre, le Stratoman installé à sa droite fit passer le concept du flash guitar dans une nouvelle dimension, celle des spoutniks polymorphes. Vêtu d’une chemise rouge et d’un pantalon dix fois trop grand, ce petit mec nommé Darren Lince pulvérisa dès le premier cut tous les records d’incursion frénétique. Il ressuscitait le vieux théorème de la preuve par neuf : sans flashman, un groupe ne peut pas briller au firmament. Il se mit à allumer tous les cuts un par un, avec un son extraordinairement incisif et une volubilité de rêve. Sa main gauche courait sur le manche comme une belette en rut, il ployait les genoux et on voyait à l’éclat de son œil qu’il restait insondablement concentré. On n’avait pas revu un guitariste aussi spectaculaire depuis Link Wray. Darren Lince faisait littéralement la pluie et le beau temps. Il réussit même l’exploit de transcender Galloping Cliff Gallup dans une version de «Blue Jean Bop», eh oui, il allait encore plus loin que le vieux Cliff, comme si c’était possible. On le vit même jiver les deux solos de «Race With The Devil» de façon extrêmement indécente. Il surjouait à la nausée du génie galvanique. On le voyait touiller sa glaise sonique avec un petit sourire en coin. On avait sous les yeux une explosion à deux pattes, l’incarnation humaine d’une rivière de diamants en crue, un zébulon dégingandé complètement chorusmatique, une sorte de fils de Dieu qui aurait miraculeusement échappé aux clous des Romains, le modèle absolu en matière de sideman fulgurant. Darren Lince redora brillamment le blason du vieux rockab.

L’autre brillant redoreur de blason s’appelle Chris Bird, l’âme des Wise Guyz. Ce n’est plus un secret pour personne, les Wise Guyz sont devenus l’un des meilleurs gangs de rockab actuels, sinon le meilleur. S’il en est un qu’il ne faut pas rater sur scène, c’est bien celui-là. Il semble même que leur swing soit arrivé à maturité. Ils firent ce soir-là un set comme on n’ose plus les rêver, parfait, ni trop long ni trop court, secoué de jolies poussées de fièvre et fabuleusement fluidifié par la qualité constante du swing. Comme Brian Setzer avant eux, les Wise Guyz ont su évoluer du rockab vers le swing, qui se situe un cran nettement au-dessus, car réservé aux guitaristes de jazz. Et Chris Bird fait partie de ces surdoués du jive, il faut le voir swinguer son bebop avec la jambe gauche à l’arrière. Il fait presque le spectacle à lui tout seul. Non seulement il crée du rythme en permanence, mais il sait placer sa voix. Il fait moins son Cochran qu’avant, il huile beaucoup plus son art, pour qu’il enfile bien l’écho du temps, et là, on peut difficilement rêver d’un meilleur son. Il pousse parfois des pointes à la Django et revient bercer nos cœurs d’un croon ukrainien absolument irrésistible. Difficile de le comparer à un autre chanteur, il chante vraiment comme Chris Bird, il s’affirme en tant qu’artiste complet et on peut considérer qu’il est entré de plein droit dans la cour des grands. Il n’a rien à envier ni à Brian Setzer, ni à Eddie Cochran, ni à Django Reinhardt. Il est même intolérable de ne pas encore le voir en couverture des magazines (mis à part Rockabilly Generation, bien représenté au Rétro, d’ailleurs).

Sur scène, les Wise Guyz jouaient un paquet de cuts de leur nouvel album, Midnight Cruise. Ça tombait bien, car ils le vendaient à la fin du set. Oh pas cher, un billet de seize ! Les gens faisaient la queue. Chris Bird signait à la chaîne, en vraie petite super star béthunière. On le vit aussi dans l’après-midi et le lendemain matin aller placer son nouvel album chez les disquaires du Rétro. Rappelons que les Wise Guyz ne roulent pas sur l’or et le moins que l’on puisse faire est de les aider en achetant leur nouvel album qui en plus est excellent. On y trouve trois cuts de swing, à commencer par l’inénarrable «Nobody’s Business». Ce diable de boppin’ Bird y swingalong avec une science qui scie et on le voit filer en mode shark de sharp. Le pire est à venir en B avec «Sweet Loving», ça djangotte à gogo et ça chaloupe des hanches au delà du Cap de Bonne Espérance - shake your hips - Chris craque it up et boppe droit au but, il porte le fer au maximum des possibilités du rouge, non seulement son swing swanne comme un cygne, mais il épate à quatre pattes, son big swing bosse, man, c’est un swing qui bat tout à plate coutures, oh yeah, cette belle bête de Bird va au Sweet lovin’ comme d’autres vont aux putes sur les Maréchaux. Et attention au «Swing By C» qui referme la marche de cet album palpitant ! Bird swingue en Do et sonne comme Tchavolo Schmitt, oui, il en a le pouvoir, il peut swinguer la caravane comme dans le Swing de Tony Gatlif, l’un des plans les plus rock’n’roll qui ait jamais été filmé. Une façon de rappeler qu’avec le jazz manouche, on monte encore d’un cran dans la beauté du sauvage. Et si Chris Bird tape dans le pur rockab, ça donne le «Do It Bop» d’ouverture de bal d’A. Il y renoue avec la pulsation originelle du bop, avec la fantastique véracité du genre. Charlie Feathers disait : «Rockabilly is the beginning and the end of music.» Et il avait raison. Chris Bird chope tous les chops du bop, il fonce à tire d’aile et part en solo de classe A. Il faut aussi l’entendre faire son Cochran dans «Is It Love», il tape ça au pur jus de rock attack, il shake son shook comme un délinquant de banlieue, mais avec la classe d’un ange de miséricorde. Mélange explosif et assez unique au monde. Ce mec a tout ce qu’il faut pour rendre un public heureux et devenir une super star. Sur scène, les Wise Guyz jouaient aussi le morceau titre de l’album, mais la version studio est encore plus mirifique, à cause de la profondeur du son. Chris Bird chante ça avec une voix de mineur des Appalaches, le nez pincé et il descend des gammes de desperado. On s’épate de la fantastique pulsation rythmique derrière lui. Ces quatre kids d’Ukraine nous plongent dans une fausse Americana d’excellence parégorique que viendraient encore enrichir des éclats de jouvence foraine - I’m on a loose/ For a midnight cruise - Ces mecs sont devenus imbattables, et comme on l’a déjà dit dans le Part One, voici quatre ans, leurs quatre premiers albums sont eux aussi irréprochables. Et quand on tombe sur l’«Enough» qui ouvre le bal de la B, on sait tout de suite qu’on ne trouvera jamais ça ailleurs. Cette urgence du beat n’appartient qu’aux Wise Guyz. C’est un beat dressé en l’air et sauvage, du genre qui plie mais ne rompt pas, vous voyez le genre ? Rebel et Ozzy nous le troussent à la hussarde, en vraies séquelles de Cosaques. Ils constituent certainement l’une des plus belles sections rythmiques du XXIe siècle, ne craignons pas de faire ronfler le moulin des formules. Ces mecs méritent vraiment qu’on les adule, car ils sont brillants à un point qui dépasse le sens commun. Le plus marrant de toute cette histoire, c’est que sur scène, ils parlent le russe entre eux, et on croirait vraiment entendre des agents du KGB, surtout le batteur Ozzy. Il faut aussi entendre ce diable de Rebel slapper «Beware». Il joue au délié de pur jus. Et même quand ils tapent dans des cuts plus classiques comme «Jukebox Rock» et «Johnny Boy», les Wise Guyz battent tous les records de nonchalance. Tout le bien qu’on vous souhaiter est de les voir jouer sur scène.

Signé : Cazengler, Wise gaz d’échappement

Wise Guyz. Béthune Rétro. 25 & 26 août 2018

Wise Guyz. Midnight Cruise. El Toro Records 2018

TROYES - 07 / O9 / 2018

LE 3B

CAT LEE KING & HIS COCKS

La teuf-teuf file vers Troyes sans rémission. Attention, c'est la rentrée, pas celle des classes, celle du 3 B ! Nettement plus agréable mais snif ! snif ! l'on ira moins souvent au 3 B cette année, un concert par mois seulement, mais du meilleur, l'on commencera par une portion de poulet frit – marque Hot Chickens – début novembre, d'ailleurs ce soir il y a déjà du poulet au menu, une drôle de tambouille, importée directly from Germany, du coq au vin, plus du chat, ce qui change la donne, et donne un un goût particulier au ragoût, bref Cat Lee King & His Cocks sont au programme.

CAT LEE KING AND HIS COCKS

Cinq beaux jeunes gars. Coupes cheveux au cordeau, cravates voyantes, pantalons au pli, vestes boutonnées pour trois d'entre eux, propres sur eux, irréprochables. Autant annoncer la couleur, ce n'est pas un groupe de rockabilly, se définissent eux-mêmes comme un combo de rockin blues – terme un peu vague à multiples acceptions – ou de rhythm and blues, ce qui est déjà plus précis. Toutefois si vous espérez une section cuivrique à la Otis Redding, vous êtes dans l'erreur, reculez d'un cran, retour dans le passé. En fait le matou royal et ses gallinacés chassent dans le territoire du rock'n'roll mais du temps où le rock'n'roll n'existait pas. L'était en gestation, l'était déjà là mais on ne le savait pas. L'était partout et nulle part. De toutes les manières ce n'était que de la musique de danse, du sous-jazz dévalué, en plus la plupart du temps joué par des nègres – vous noterez la nuance péjorative contenue dans l'emploi de ce vocable - de l'amusement pour public facile qui ne demande qu'à batfoler, boire et danser jusqu'au bout de la nuit. Une sorte de genre intermédiaire tâtonnant entre le swing et le rock'n'roll en devenir. Mais se souvenant de ses racines noires. Sous le clinquant de l'exubérance, le blues n'est jamais loin. Il suffit de tirer un peu par où ça gratte.

Cat Lee King s'assoit au piano, un synthé dans un appareillage en bois qui sent un peu la bricole, la section rythmique est en arrière, René Lieutenant à la batterie, Lucky Luciano – très beau profil de gangster dans son costume seyant – à la double bass, et Sydney Ramone à la Rhythm guitar, Tommy Croole est à la guitare, une vieille Harmony sur laquelle tous les chats du quartier ont dû se faire les griffes depuis trois générations. L'est le personnage important du quintet Tommy, l'a un peu l'air du premier de la classe attentif et sérieux, le genre bon élève à qui le prof assis à son bureau fait toute confiance, mais le premier à lancer les boules puantes et les bombes à eau. N'a pas de cartable mais un vieil ampli Fender, pas très gros, mais qui crache et gratte grave. Un style inimitable, évolue entre deux marqueurs – dis-moi quels sont tes maîtres et je te dirai qui tu es – B. B. King et Chuck Berry. Le chemin le plus court, du point A de départ, planté dans le blues, au point B d'arrivée, le surgeon du rock'n'roll noir poussé dans les serres de la compagnie des frères Chess. Du Blue Boy l'a pris cette manière de détacher les notes, pas trop, trois ou cinq, vous les arrache pétale par pétale comme s'il effeuillait la marguerite, comme s'il jouait en pointillés, mais perçantes et vrillantes, des instruments de torture délicieuse qui vous pénètrent l'occiput sans rémission, et puis, c'est là où ça se corse comme disait Napoléon, il possède une technique particulière, vous les secoue comme la salade dans le panier, vous les balance à la Chuck Berry – attention privilégiez les enregistrements des années cinquante, pas les reprises plus tardives beaucoup plus sophistiquées, les originales au son plus grêle, comme poignées de cailloux lancées sur la vitre de la petite voisine afin qu'elle ouvre sa fenêtre pour que vous puissiez enfin vous livrer à vos turpitudes favorites. Que voulez-vous le rock ce n'est pas plus près de Dieu, mais plus près du sexe.

Ai-je besoin de le préciser, non votre étonnante perspicacité de lecteur passionné le subodorait, pendant ce temps le greffier ne roupille pas sur son clavier. L'a fort à faire, se colle au fourneau et sert en salle – version honnête travailleur – débouche le vin et le boit Drinkin Wine Spo-Dee -O-Dee – vision plus réaliste – assure le micro et pianote d'une manière excessive. L'a intérêt à ne pas s'endormir sur la choucroute, car avec Tommy Croole c'est le jeu de la question subite avec réponse immédiate exigée. C'est qu'ils aiment la difficulté, le pari fou, la gageure impossible, ainsi dès le deuxième morceau ils nous jouent Thirteen Women de Bill Haley - une fille c'est bien mais treize bonjour les dégâts - pour les roulements répétitivement hypnotiques, les éruptions ininterrompues du piano font magnifiquement l'affaire, mais l'aboiement frénétique du sax, où est-il ? comment s'en vont-ils s'en débrouiller ? les doigts de Croole y pourvoient d'une sidérante manière. C'est vrai qu'il est aidé, par-en-dessous, par les trois autres cadors, sont sages comme des images, pour un peu on les oublierait mais si là-haut sur la dunette les officiers font des ronds de jambe, en-bas la chiourme silencieuse souque ferme. Tiennent la rythmique comme d'autres la barre. Si l'esquif fend les flots avec élégance c'est grâce à leur boulot, leur ciboulot aussi, car aux aguets l'un de l'autre, une entente parfaite, à peine l'un a-t-il fait une point à l'endroit que l'autre le fait à l'envers et le dernier n'a plus qu'à laisser filer la maille, sont trois mais vous avez l'impression qu'il n'y en a qu'un, même s'ils émettent un bruit de fond pour quinze.

Les cinq doigts de la main mais avec deux pouces réversibles. Un véritable orchestre, se permettent des sauts trapéozidaléens à vous couper le souffle, attention il faut suivre, car ils œuvrent davantage dans la subtilité que dans le clinquant. Le Raminagrobis n'abuse pas de son instrument royal, ne le met pas systématiquement en avant – par contre quand il le pousse au maximum vous l'entendez, ça gronde comme un tremblement de terre, ne laisse pas passer son chorus, mais rendosse sans se faire prier son rôle d'accompagnateur dès que nécessaire. De prime l'a une belle voix rauque le Cat Lee King, celle du chat amoureux qui réclame ses croquettes à trois heures du matin auquel vous ne sauriez résister, nous offre ainsi un superbe I got a Woman à tel point que Duduche file dare dare s'adjoindre au micro, et tous deux improvisent un duo des mieux venus, le Cat qui miaule à la Ray Charles, et Duduche qui ronronne à la Presley.

Nous font les trois sets obligatoires du 3B. Une courbe idéale, after-swing pour le premier, détour blues pour la deuxième et un pied dans le rock'n'roll pour la troisième. De 1945 à 1959, pour ceux qui aiment les repères fixes. De la belle ouvrage, très belles reprises de B.B. King Awoke this morning, à la blues shouter, mais en plus mélodramatique, accompagnement plus touffu et costaud que du country-blues, et puis du Brown Eyed Handsome Man de Chuck Berry, un pas de plus vers le rock'n'roll, un Rip It Up qui traîne un peu dans les encoignures, pas encore l'impact rock énergétique qui fait toute la différence, la gestation est terminée, la bête est prête à sortir, mais n'a pas encore mis le nez dehors. La frontière n'est pas encore franchie. Mais la version se tient et vous fait monter aux rideaux. Danseurs et applaudissements approbateurs. Se concertent pour le dernier morceau : n'ont pas le temps de choisir, c'est Jean-François qui impose le Great Balls of fire de Jerry Lou, tamponne du poing au hasard sur un bout de clavier et se lance dans un vocal épileptique. Le reprennent à leur façon, longuement, le Cat termine debout, les pieds sur le clavier dans un tonnerre d'applaudissements...

Béatrice la patronne a encore frappé... Merci à Fabien for the sound !

Damie Chad.

MARY SHELLEY

HAIFAA AL MANSOUR

( Film / Sortie 08 / 08 / 2018 )

Did you ever meet with Frankenstein ? demandaient les New York Dolls sur le dernier morceau de leur second et ultime opus. Comme nous l'enseigne Heidegger en toute chose pour bien comprendre quelque chose il est inutile de se perdre en des questions oiseuses et subsidiaires, il suffit de remonter à son origine. Je doute que la réalisatrice Haifaa Al Mansour ait été obnubilée par une quelconque méthodologie heideggerienne, de nationalité saoudienne il est évident que ce sont des considérations sur la liberté de la femme qui ont motivé sa démarche.

Mary Shelley fut la femme de Percy Bysshe Shelley qui forma avec Lord Byron et John Keats le trio de choc de la poésie romantique anglaise. Mais c'est bien Mary qui est au centre du film et non Percy. Cela peut sembler naturel si l'on se rapporte au titre de la pellicule, certes mais cela signifie aussi que le récit mis en scène dans le film occulte tout l'aspect politique de la vie mouvementée du couple Mary et Percy. A peine s'il est rappelé, pratiquement incidemment, la parution du pamphlet La Nécessité de l'Athéisme qui mit le feu aux poudres de la bonne conscience puritaine anglaise et auréola désormais tous les actes de Percy d'un fort parfum de scandale.

Quoique consacré à Mary Shelley, le film ne retrace que la première partie de sa vie, il ne va même pas jusqu'à la mort de Shelley, et passe sous silence tout ce que Mary put vivre et écrire par la suite, après la parution de Frankenstein. Le film pose une question essentielle : comment une jeune fille de dix-huit ans a-t-elle pu rédiger un roman aussi puissant que Frankeinstein ? Il est temps d'avouer mes turpitudes, j'avais quinze ans lorsque je découvris l'éblouissante poésie de Shelley, ni une, ni deux, ne connaissant aucun élément biographique de Shelley, et encore moins de Mary, devant une telle splendeur, j'en déduisis que très gentiment Shelley avait mis le nom de sa femme sur la couverture du roman – que je n'avais pas lu – pour ne pas être accusé de s'adonner, à ses heures perdues, à de la sous-littérature, indigne de son génie.... Lorsque j'en eus terminé la lecture, la beauté et la profondeur du livre renforcèrent ma première opinion. Seul un génie comme Shelley avait pu écrire un tel ouvrage.

Entre temps je me suis rendu compte de mon erreur... Toute une partie pédagogique du film est faite pour chasser de tels malentendus. Qui dénotent une insupportable et stupide idéologie de mâle blanc ne manqueront pas de spécifier les éventuelles lectrices qui se seront aventurées dans ces lignes. De nombreuses scènes nous montrent la jeune Mary de seize ans totalement obnubilée par la littérature gothique fort à la mode en ces temps. Châteaux hantés, fantômes, esprits, brouillards et cimetières. D'ailleurs Mary s'en vient souvent se recueillir sur la tombe de sa mère morte après l'avoir mise au monde. Situation ô combien romantique ! Plus tard en compagnie de Shelley nous la voyons assister à des expériences scientifiques sur le galvanisme. Le coup de la grenouille décérébrée qui remue la jambe lorsqu'elle est soumise à l'électricité, un truc encore utilisé au par les professeurs de SVT pour susciter l'intérêt des collégiens. Peut-on ramener les morts à la vie ? Peut-on fabriquer du vivant à partir de la mort ?

Mary n'est pas née de la dernière pluie de l'ignorance. Ses géniteurs furent des intellectuels en avance sur leur temps pour employer une expression convenue quand on ne veut pas révéler l'étendue du scandale. Son père William Godwin passe encore pour un des premiers théoriciens de l'anarchie, sa mère Mary Wollstonecraft s'élève dans ses écrits contre la supposée domination naturelle des hommes sur les femmes, mais pire que cela elle s'attira la réprobation de la bonne société par ses liaisons amoureuses.

Avec un tel bagage héréditaire il n'est pas étonnant qu'une conjonction s'établisse rapidement entre Shelley et Mary. Godwin est une des idoles intellectuelles de Shelley et Mary étouffe quelque peu entre sa belle-mère et son père qui la met en garde contre une vie trop libre et aventureuse qui attirèrent sur sa mère bien des critiques acerbes et nombre d'humiliations sociales. Qu'importe, nos tourtereaux sont jeunes, beaux, intelligents et prêts à tout affronter.

Rien ne vaut le passage à l'acte. Mary en compagnie de sa demi-sœur Claire rejoint Shelley. Le monde n'a qu'à bien se tenir. Se contente de les laisser patauger dans la misère. mais c'est Shelley qui se tient mal. Remarquez pas plus mal que les Rolling Stones en leurs débuts. Mais les temps ne sont pas hélas très rock'n'roll. Shelley professe une vision et une objectivisation de l'amour emphatique. L'individu se doit d'être libre, de suivre ses goûts, ses couleurs, ses inclinations, ses désirs... Rien ne saurait l'entraver. Il est partisan de la liberté sexuelle, pour lui, et pour les autres, y compris Mary. Qu'il pousse dans les bras de ses amis. La chaste ( ? ) et innocente ( ? ) Mary s'y refuse. Du moins dans le film. Dans la vie je ne sais pas, je n'y étais pas, plus tard dans le film on la verra attirée, en tout bien tout honneur ( ? ), par Polidori, le secrétaire de Byron.

Car il a fallu fuir et quitter l'Angleterre, le manque d'argent, la mort de leur première fille, poussent les Shelley à accepter l'hospitalité de Lord Byron en Suisse. L'on s'ennuie quelque peu dans le château de Byron, le temps est pluvieux, tout le monde est obligé de rester confiné, à l'intérieur. Nos deux poëtes s'amusent comme des fous, discussions infinies, rires, cynismes, projets littéraires – notamment un concours de nouvelles fantastiques que seuls Mary et Polidori mèneront à bout - et fortes absorptions d'alcool... Ambiances rock'n'roll décadent... Pour les filles c'est moins cool, Claire la demi-soeur de Mary enceinte de Byron se voit signifier son congé et Mary non-remise de la disparition de son propre bébé entre dans une longue dépression...

Toutes les souffrances, toutes les contradictions, et toutes les réflexions suscitées par le comportement de Shelley et de Byron se retrouveront dans le roman de Mary. Frankenstein est une longue exploration sans concession du cœur humain, un gouffre d'incompréhension égoïste sépare les êtres humains, l'on ne peut le franchir que par de précaires et chancelantes passerelles... Les monstres ne sont pas obligatoirement les moins avenants.

Frankenstein est un chef-d'oeuvre. Mais le plus difficile reste à faire. Les éditeurs refusent de le publier, sujet trop scabreux pour être crédité à la plume d'une jeune fille de dix-huit ans. Il ne verra la vitrine des libraires que sans nom d'auteur mais augmenté d'une préface de Percy Bysshe Shelley... Mary se sent dépossédée de son bien... Dans une dernière scène Shelley, devant un public littéraire attentionné, remet les pendules à l'heure, non il n'a pas écrit Frankenstein, la paternité, disons la maternité, en revient à sa seule créatrice Mary Shelley. Godwin se hâte d'en faire retirer une deuxième édition affichant en toutes lettres le nom de l'autrice...

Un combat féministe gagné. Applaudissements approbateurs de rigueur. Le film est bien fait mais n'est pas un chef-d'œuvre. Pour moi ce n'est pas un problème, je me précipite automatiquement sur tout produit qui présente le nom de Shelley. Honnêtement réalisé, d'une facture classique, avec reconstitutions d'époque et menées psychologiques fouillées, mais il y manque ce brin de démesure shelleyienne que l'on retrouve par exemple lorsque Mick Jacker en jupette blanche lit à Hyde Park devant cinq cent mille personnes quelques vers d'Adonaïs, le poème de Percy dédié à John Keats, pour rendre hommage à Brian Jones.

Mais au fait, avez-vous déjà rencontré Frankenstein ?

Damie Chad.

CRASH MIGHTY

YOU DON'T KNOW ME

( Album numérique / Sortie 08 / 08 / 2018 )

TINY : voice, tambourin / FRED : Drums / JB : Guitar / GEOM : bass

Premier enregistrement du Crash Mighty au bout de deux ans d'existence, nous les avons déjà appréciés en public à la Comedia.

You don't know me : l'on fait vite connaissance, ne se laisse pas marcher sur les pieds la demoiselle Tiny, pourtant les gars ne lui font pas de cadeau, z'ont mis le bulldozer en marche et ils le conduisent avec précision, vous entreprennent la danse du crocodile affamé autour de ses jambes, appuient fort sur les pédales et ils ébranlent la masse mértallifère dur. Tout autre que Tiny s'enfuirait. Elle non, elle les avertit, elle vitupère à la vipère en colère, elle invective à la vitesse des rotatives, elle nargue et argue les deux poings sur les hanches, ne se démonte pas d'un iota. Du coup la guitare freine à mort et le taureau d'acier vaincu chute lourdement à ses pieds. Dommage z'avaient de ses appuyés rythmiques remarquables et de ces klaxons pointus à vous, et cette guitare qui klaxonne sans fin en guise d'avertissement ! So what : c'était trop bon, ils recommencent, le magma musical encore plus lourd, plus fort, plus rapide, des accélérations fantômales, la Tiny impériale dans le fracas, aussi smart et tranquille que si elle passait un coup de téléphone pédagogique au receveur des impôts, le timbre haut et cinglant, les boys n'en croient pas leurs oreilles, se déchaînent donnent tout ce qu'ils peuvent, jouent les hercules de foire qui en font des tonnes. Peuvent soulever des magmas de ferrailles ils ont perdu la partie, tant pis pour eux. Clueless : le retour des vengeurs, qu'elle ne compte pas s'en tirer à si bon compte, arrivent dans un orage de foudre et de poussière ferrugineuses, une batterie qui emballe, une basse qui percute et se désagrège, une guitare qui criaille, sont déterminés à la prendre en chasse, mènent la traque longuement, lorsque l'un est fatigué un autre prend la relève, autant dire que le train est rapide, Tiny tire la langue mais ne la perd pas pour autant, elle a les mots qui ricochent, les étire parfois comme des élastiques à catapulte, n'en continue pas moins à proférer sa vindicte, et ne perd pas de terrain. Fin brutale. Boom : ce coup-ci elle prend les devants, c'est elle qui guide le troupeau des éléphants, elle barrit comme mille sirènes d'usine, condescend à leur adresser la parole n'ont plus qu'à l'accompagner, au pas soutenu, elle devant, et eux derrière, en strict accompagnateurs, condamnés à porter les parasols ombreux pour la protéger du soleil. Elle pourrait s'arrêter là, mais non la vengeance est un plat qui se mange brûlant, elle accélère le tempo et c'est parti pour un galop final époustouflant. Fantastique charivari. Sickness : de quoi être malade. De quoi au juste on ne le sait pas, mais c'est grave. Urgence absolue, courent à l'hôpital comme des dératés, les boys en accélération constante et la Tiny qui les affole en criant au feu. A l'air de calmer quelque peu le train, mais ce n'est que pour repartir plus vite. Ça s'arrête brutalement comme s'ils avaient traversé un mur de béton et l'on ne voit plus rien derrière. Fun : c'est la suite, la même tuerie, la même chiennerie, mais ce coup-ci ils trouvent la chose plus marrante. Nous aussi, la même dose en plus rapide, toujours cette tension, et la voix de Tiny qui fout le feu partout où elle passe. Pandémonium exacerbé. Money : reprenez vos esprits, cette fois c'est sérieux, l'argent est le moteur du monde, les boys vrombissent comme des hélices d'avions, et Tiny vaticine sur les décombres, tout va mal dans la tête des gens, sont-ce des appels au meurtre ou au suicide, ce qui importe c'est que le mal se précipite sur nous pour nous avaler. Dans la gueule du monstre. Serious : l'on vous avait prévenu, c'est sérieux, les guitares moulinent, la batterie enfonce les clous de votre cercueil mental, un bruit d'armada en déroute, même que Tiny se tait longuement pour prendre conscience du désastre. Puis elle en pousse des cris d'horreur. Et nous de bonheur. Ain't that easy : il n'est pas facile de vivre, la vie défile à la vitesse d'un rock'n'roll pris de folie, z'avez l'impression que du haut de la barricade Tiny tire la langue au monde entier. Vous pouvez tous crever, seuls les Crash Mighty survivront, pour la simple et bonne raison qu'ils sont trop bons. Le plus terrible c'est qu'ils vous en apportent la preuve définitive. City : Tiny City. Ressemble un peu trop à notre monde. Photographie exacte. Des trous dans les murs. Des éclats de violence et de bonheur pulvérisés dans les coins. Un monde et une musique sans appel. Impitoyables et encore une fois ça se finit en catastrophe, le silence souverain après la fission nucléaire.

 

Superbe. Pas une once de graisse. Pas de longueurs inutiles. Pas un seul instant de relâche, une rythmique haletante, une voix au hachoir, une guitare trucidante, le tout en une cohésion parfaite. Une fois que c'est parti vous n'avez plus qu'à laisser filer. Des cassures, des reprises, des rebonds, des lignes de fuite, des chasses à courre, aussi péremptoires que des aphorismes de Nietzsche. Et Tiny – la voix de la conscience rock qui vous fouaille les entrailles. Sans cesse. Plus que vous ne pourrez le supporter. Impact maximal. Trop violent pour vous. Trop convulsif. Trop insolent. Trop beau. Avant de vous le procurer demandez-vous si vous en êtes dignes.

Damie Chad.

ROKH

DÄTCHA MANDALA

Nicolas Sauvey : vocal, basse, guitra acoustique, piano, charanga, mandoline / Jérémy Saigne : guitares, backin' vocals / Jean-Baptiste Mallet : drums & percussion, backin vocals.

Enregistré par Clive Martin at Berduquet in Cénac. France. 2017.

 

Have you seen the light ? : rythmique lourde et lente, et puis la voix qui s'élève comme le serpent de la kundalini hausse sa tête vers les étoiles pour mieux prendre conscience de sa queue qui niche dans votre sexe. Un morceau construit comme un opéra démiurgique. Parfois le lézard se métamorphose en papillon et puis redevient dinosaure ébranlant la terre de ses pas pesants. Scènes et climats se succèdent comme autant d'anneaux fascinants. Cris déchirant le ciel de leurs éclairs de solitude, cascades de batterie, obscurité des basses, incendies cohésifs, si vous n'avez pas vu la lumière c'est que vous n'avez pas su ouvrir les yeux sur la beauté intérieure du monde. Ne regrettez rien, un dernier foufroiement de cordes vous renverra dans votre sommeil. Sachez accueillir le brontosaure du rêve. Da Blues : au ras du blues. La terre du désir est toujours bleue. Et stérile. Le tout est de savoir transformer les bijoux du désespoirs en joyaux immortels. Autant rajouter du sel sur les plaies, de l'eau dans le vin, et du poison dans l'eau. Une voix qui monte vers les aigus comme l'on s'accroche à la tige d'une fleur pour être sûr de rouler au fond de l'abîme alors que le nuage rose de la vie s'était arrimée sur la crête effilée de la cime. Autour de cela l'orchestration monte et descend, dispose le décorum et se plaît à changer la disposition des meubles. Le grand style. Misery : une histoire douce et dorée pour vous raconter la noirceur d'un récit. Tout n'est qu'illusion, c'est vous qui repeignez le décor à votre guise. Le monde est votre propre projection. Il est inutile de se plaindre. Musique sourdine plus la voix qui conte et dévoile, et toutes deux gonflent comme ballon de baudruche qui aurait avalé le monde. Il est des proférations étincelantes aussi pointues qu'un poignard avec lequel il convient de se percer le coeur. Drame. Emphase. A vous de comprendre le chuchotement intérieur. Qui chante à votre oreille. Anahata : la batterie cogne fort à l'égal du muscle cardiaque dans votre poitrine, c'est à vous de miser et de participer au jeu du monde. Ce n'est qu'un jeu, mais si vous vous y prenez bien, vous gagnerez à tous les coups. La joie déborde, la musique s'amplifie et votre coeur est un gong qui bat plus fort et ébranle l'univers. Uncommon Travel : ne pas rester replié sur soi, ne pas rester prisonnier de son égoïste chez soi. La rythmique pousse, le papillon doit ouvrir ses ailes, l'éléphant doit entreprendre sa migration, la route est le lieu, l'ego est l'araignée au centre de la toile qui vous dévorera, mais la rythmique vous pourchasse de pièce en pièce, le moteur gronde, il est temps de reprendre le chemin du soleil. Smiling man : rosée de choeurs féminins et parfum de dulcimer, l'abîme est profond, mais tout le monde est capable de s'envoler, il suffit de s'accrocher au chant d'un violon, à un regard qui passe et darde vers le soleil, belle ballade à consonnance hippie. Un moment de grâce. Human free : le temps du doute précède celui de la libération, enthousiasme de sitar qui pousse en avant, un beau vertige, les paroles se rattachent aux petites branches mais la festivité instrumentale déchire le voile de l'illusion. Loot : morceau terminal car question cruciale, que sommes-nous certains de laisser derrière nous, lorsque nous mourrons. Nos trésors ne sont-ils que des mensonges ? N'entassons-nous que des illusions ? Qui peut répondre ? A part les Dieux. Le texte est truffé de mantras. Le morceau ambitieux est une juxtaposition de climats.

 

Un album qui pourra paraître déroutant à beaucoup. Les références à Led Zeppelin sont explicites, pas vraiment le côté heavy-j'écrase-tout du Dirigeable, mais l'aspect spirituel du message. L'ouverture à d'autres sons, d'autres cultures, d'autres lointains. Et pourtant cette référence zéplinesque n'est pas totalitaire, un point de départ, une rampe de lancement vers une autre voie, un autre chemin, l'oeuf du serpent. Rien à voir avec un tribute-band, Dätcha Mandala entame une route, nous ne savons où elle les mènera, mais nous la suivrons avec intérêt. Contrairement à de nombreux groupes actuels Dätcha Mandala prend son envol, tel l'oiseau Rokh mythique qui a donné son titre à l'album, d'une aire temporelle qui ignore le punk et le hardcore. Le monde appartient aux courageux.

Damie Chad.

MONSIEUR VERTIGO

Je ne demandais rien, déambulai par 35 ° calorifériques dans les rues de Mirepoix, 09 bande d'ignares, plus exactement me dirigeai vers le Off du Festival des Marionnettes, sis à l'ombre sous l'allée des arbres, lorsqu'un son de guitare s'est infiltré dans mon oreille, la gauche. Passais devant une maison et en ai conclu que l'habitant au frais se passait un drôle de bon disque, n'ai pas pu identifier le guitariste, style cool, un peu à la J. J. Cale, un beau touché en tout cas. Et puis plus rien. Normal je ne m'étais pas arrêté pour coller mon esgourde contre le volet. L'anormal c'est que soixante mètres plus loin la satanée guitare s'est remise à chantonner, en douceur, dans la rue déserte. Personne à l'horizon, ni devant, ni derrière, voilà qui exigeait une enquête approfondie. N'ai pas tardé à trouver le coupable. S'était réfugié sous le porche en retrait de la piscine municipale. Facile à identifier, étui de guitare à terre avec de maigrelettes piécettes au fond et gratte électrique en bandoulière. Une gueule sympa en plus. S'est même mis à pousser la chansonnette. Pas tout à fait mon style préféré, mais l'ensemble sonnait juste, et les paroles collaient comme un gant empoisonné au personnage. J'ai pris son CD, une maquette, et avons échangé quelque peu. Le lendemain, je l'ai retrouvé, l'avais choisi un endroit stratégique sur la place centrale entre trois truckers à frites écologiques, plein de monde autour de lui – majorité de filles.

J'ai fait marcher mon service de renseignements, s'appelle Anthony Philippe, vient de Marseille, célèbre dans la cité phocéenne, y donne régulièrement des concerts accompagné par un groupe avec flûtiste traversière, si je comprends bien l'a dû auparavant barouder aussi dans quelques groupes de rock... Monsieur Vertigo est ce que l'on appelle un projet, moitié chanson à textes, sur douceurs cuivrées de guitare rock, un mélange harmonieux et somme toute assez attrayant.

Mésalliance : Monsieur Vertigo ne chante pas le blues mais il en a le serpent bien recroquevillé au fond de l'estomac. Un poids lourd qui vous rend rend l'âme titubante. Rythme balancé et désillusions de la vie en fond de miroir. L'amour ne dure pas toujours, consolez-vous la solitude entrecroisée ne vous trahira jamais. Impasse à deux sorties en sens interdit. Larmes de guitares à éponger sans fin. Un solo qui porte bien son nom. Tribulations : guère plus heureux, toutes les belles histoires finissent mal surtout celles qui commencent bien. Côté pile c'est plutôt goûteux mais lorsque vous vous regardez en face, c'est bien plus craignos... Heureusement que l'espoir fait rire et mourir. Faux optimisme des paroles, juste tristesse des cordes de guitares. Vérité : parfois il vaudrait mieux ne pas trop chercher à tout savoir même si la musique vous a des effluves de Dire Straits. Inutile de croire que le parler-vrai amadouera l'oiselle et éliminera les difficultés. Soyez sûrs qu'au contraire il aiguisera vos faiblesses. Défilé : défilé de filles, le problème c'est que vous n'êtes pas avec le haut du panier, la vie vous refile les invendus, trop souvent. Se valent toutes et l'addition finale ne pèse pas bien lourd. Rêverie : bluesery plutôt, le plus terrible c'est quand les cauchemars ne font plus peur parce que vous n'y croyez plus. Il pleut sur vos rêves comme vous pissez sur vos désirs. L'oiseau bleu : pour une fois le texte n'est pas d'Anthony Philippe mais de Charles Bukowski. L'on s'attend au pire. Mais non, ironie de l'écriture, il s'agit de la chanson – récitée sous forme de poème – la moins désespérée du CD. Un peu comme quand on a atteint le fond et que l'on tire des plus amères expériences un semblant de sagesse qui vous sert de béquille d'amertume pour avancer.

Six morceaux, une seule ambiance. Interdite aux dépressifs. En deviendraient addicts. Le monde désenchanté des losers métaphysiques de l'existence. Une réussite. Sur la pochette Monsieur Vertigo effeuille la rose de la vie aux verlainiens vents mauvais. Un charme fou. Un doux poison.

Damie Chad.

08/02/2017

KR'TNT ! ¤ 315 : JAMES LEG / PETE OVEREND WATTS / LES ENNUIS COMMENCENT / BROKEN FINGAZ / DÄTCHA MANDALA

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 315

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

09 / 02 / 2017

JAMES LEG / PETE OVEREND WATTS

LES ENNHUIS COMMENCENT / BROKEN FINGAZ

DÄTCHA MANDALA


Le legs de Leg

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— T’as écouté le nouveau James Leg ?
— Ben non...
— Y s’appelle Blood On The Keys. T’as le même son que sur les albums précédents. Ça démarre avec un cut sacrément voodoo, «Ain’t You Hungry», battu à l’anticipation tribale et admirable de tension boogalo. Y fait aussi une curieuse reprise de Mungo Jerry, «Mighty Man», avec Reuben Glaser à la guitare, un mec qu’a joué dans Pearlene et Cut In The Hill Gang. Comme Y se veut possédé, Y dramatise le chant à outrance et Y va même parfois sonner comme Tom Waits, t’as qu’à voir !
— Y fait comme Y veut, c’est un grand garçon.
— Y balance même une valse à six temps violonnée par des gens du voyage. Finalement c’est sur le gospel d’orgue qu’Y fait la différence, t’as qu’à écouter «I’ll Take It». Y chante ça à l’éraillée, comme un ogre. Oh pis Y refait du gospel d’orgue bien poundé avec le morceau titre en B. Mais Y se jette trop dans la bataille, Y chante avec trop de ferveur et franchement, on ne lui en demande pas tant.
— Te fais pas chier à écouter ses albums, poto ! Vas donc le voir sur scène, tu verras un mec qui s’exacerbe tout seul derrière ses deux claviers, un frétilleur qui tient même pas en place, un mec qui vibrillonne et qui frémit de tous ses atomes d’eau de d’hydrogène nucléaire, tu le verras hennir comme un étalon fumant sorti d’un combat teutonique sur un lac gelé alors que le ciel est d’un gris tellement anthracite qu’il fout même les chocottes aux plus courageux soudards de la piétaille, ceux qui attendent massés à l’orée du bois voisin qu’on leur donne l’ordre d’aller achever les chevaliers désarçonnés, oui, tu verras des trucs dont t’as même pas idée, sur scène tu verras ce mec vivre, il vit de toutes ses forces, il est tendu, teigneux, assis pas assis, on ne sait plus, il est dans les positions intermédiaires de jambes fléchies, comme le séminariste qui n’ose plus s’agenouiller devant l’autel parce qu’il sent qu’il perd la foi, et il claque des dents, le gredin, il grelotte de plaisir et de terreur mêlées car il sent sur sa nuque le regard glaçant de cet enfoiré d’archidiacre qui rêve de l’envoyer au bûcher, oui, mec, avec un lascar comme le Leg tu voyages dans les circonvolutions du temps qui passe et qui n’en finit plus de ne pas repasser, il joue des milliards de notes hurlantes qui te replongent dans les catastrophes et les pillages, dans les écroulements de civilisations, les tourmentes et les pestes de l’an mil, dans les échos profonds des prêcheurs fous et dans une litanie de notes malingres, celles des orgues de barbarie qu’on jouait au pied du gibet de Montfaucon, ah oui, tu les verras, ces vieilles femmes en guenilles, elles viennent à pas de loup ramasser la mandragore au pied des potences, tu entendras cet incroyable capharnaüm de cris de corbeaux, ceux qui se massent sur la poutre haute de la potence et qui d’un claquement d’aile sinistre descendent à tour de rôle picorer les yeux des Villon et des Villard à peine refroidis, tu entendras couler dans ta cervelle la musique de ce monde si atrocement vieux et si terrible, ce vaste monde boursouflé et chargé de charniers et dis-toi bien qu’aucune matinée de printemps ne saura laver l’affront que les hommes font à Dieu, alors lui le Leg, Y chante et Y joue dans cette clameur insensée, il plaque ses deux mains comme de grosses araignées blanches sur ses deux claviers et il swingue comme un démon échappé d’une église en flammes, tu verras la colère s’incruster comme la crasse dans les plis de sa peau, tu verras son visage grimacer dans des grésillements de graisses qu’on brûle, tu verras ses cheveux couvrir son visage ruisselant et trempé de fièvres comme celui d’un crucifié, il libère la vie et il libère la mort, il plaque ses accords et la musique descend la rue Rebeval jusqu’au boulevard de Belleville comme cette marée de rats, crrrrric crrrrric, et tout ce raffut de tohu-bohu du diable assourdit un petit peuple déjà terrorisé, oui complètement terrorisé à la seule vue de cette marée de puanteur et d’horreur poilue, galeuse et carnassière, porteuse de tous les germes les plus immondes, c’est le cauchemar le plus noir de l’humanité, la rédemption impossible, l’affront qu’on ne peut laver, cette musique charrie l’ombre et la lumière, et sur sa croix, le Leg ne se débat pas, il plonge en son âme et conscience à la source de l’essence divine et produit une sorte de miracle, et comme les soufistes, il entre en transe, son corps ne tournoie pas, mais sa musique tournicote à la folie, les volutes s’encorbellent et se byzantisent, les vagues s’épousent pour le meilleur et pour le pire, les pluies fines succèdent aux déluges, mais dans une sorte de suite médiévale jaunâtre et verdâtre, les deux grosses araignées blanches dansent au bout de deux bras tatoués de numéros, ouais, comme à Dachau, et là sur le bras droit, tu verras un gros crâne tatoué à l’encre de Chine de barre d’immeuble de la Courneuve ou du Balnc Mesnil, c’est un Jolly Roger, camarade, il flotte au sommet du mât de cette barcasse de fortune que tu vois croiser là-bas, dans la brume, au large des côtes de Virginie, et dedans qui tu as, mais oui, Barbe Noire, avec ses fumerolles dans les cheveux et ses dix mousquets passés dans la ceinture, ben oui, tu l’as reconnu, James Leg c’est Barbe Noire à l’orgue, mais c’est aussi le Destouches des touches, tu l’as bien compris, il ne joue pas de la pop, mais il se répand en logorrhées de shuffle, il graham-bondise le brian-augerisme, il gospellise le Mose Allison à tort et à travers, juste pour aller pulser dans sa rue, il sacralise ce que tu appelles le gospel d’orgue pour mieux circoncire la concision, il réclame des clameurs, il prêche le Bach à la truite et il ouvre les vannes d’un monde antédiluvien, il nous refait le coup de la Grande Arche, pas celle de la Défense, pomme de terre, mais celle du mont Ararat, quand cette brute de Noé construisait son container géant en bois goudronné, et à ton avis, comment se fait-il que les deux crocodiles n’aient pas mangé les deux moutons, c’est pourtant simple à comprendre, réfléchis une minute, le Leg, Y jouait déjà du gospel d’orgue en ce temps là et il universalisait bien avant tous les autres, il n’y a absolument rien de prétentieux là-dedans, parce que si tu l’écoutes, tu te retrouves dans la rue grouillante de vie, tiens, une autre, celle du Faubourg Saint-Denis, par un beau matin de printemps, très tôt, et tu vois des légumes pourris et de déchets de viande que n’ont même pas fini les chiens joncher le trottoir et les caniveaux, et alors, ben alors t’es obligé de marcher dedans tellement t’en as, il n’est même pas huit heures et déjà grouillent de partout des ashkénazes et des nazes, des nonces et des gonzes, des bonzes et des bons hommes, des brutes et des bites, des blafards et des bluffeurs, des brêles et des belles, t’as de tout, c’est dingue, des babas et des bobeaufs, t’as déjà tout le peuple de paname dans les trois rues du quartier à pas d’heure et les mecs en tabliers te proposent des kilos d’oranges à pas cher, et ça sent la viande fraîche à l’étal du boucher halal, et t’as le flux qui gicle de plus belle sous la pression du shuffle d’orgue, tu sens palpiter la vie alors que passent des solofistes, des sinistrés, des simagrées, des saloupiaux et des salopardes, des salmigondis, des célébrités, des seigneurs des anneaux, des sales mecs et des sales cons, des singes savants, des seulâbres et des sous-préfets, des sectaires, des sans-culottes et des Jeanfoutre, des sabrés de la vie, des soulographes, des systématiques, des saint-simoniens, oui surtout des saint-simoniens, qu’est-ce que tu crois, et des similitudes, des amplitudes, des latitudes, t’as le monde entier qui grouille et qui vaque vaille que vaille autour de toi, tu as tout le délire shakespearien d’Horatio et cette maudite philosophie qui bouillonne dans sa purée, oui, cette purée fumante que déverse sur le monde Louis Ferdinand Leg, il te lègue son legs, tu peux tendre les mains et ouvrir la bouche, c’est pour toi, il te le donne, non, non, non, il ne veut rien en échange, prends ce qu’il te donne, prends, mais prends donc, ne te pose pas la question de ceci ou de cela et du patin-couffin de mes amygdales, prends, c’est à toi, il est comme ça, le Leg, il donne sans rien attendre en retour, c’est pas son genre, et pire encore, c’est assez rare, mais c’est comme ça, et tu l’offenseras si tu hésites une seule seconde, alors ne l’offense pas, amigo, car il pourrait s’encolérer et je ne conseille à personne de provoquer ça, n’attise pas sa rage, il ravage déjà assez de contrées comme ça, oh et puis une chose qu’il ne faut pas oublier, il peut même te transfigurer le psychédélisme, ça fait partie de son panel de sortilèges, tu le vois à certains moments écraser une pédale wha-wha comme s’il écrasait un mégot sur la moquette du grand hall, au Georges V, et paf il te fait Hendrix, mais pas un Hendrix à la petite semaine, diable non, et il te fait le Grand Jeu hendrixien à la Gilbert-Lecomte, celui qui se nourrit de tous les excès pour aller exploser le cosmos littéraire dans les tourbillons d’étoiles, pshhhhhhn pshhhhhh, tu vois, comme ça, et son sbire, son âme damnée le batteur se met à mitch-mitchelliser le beat avec une constance qui en dit long sur sa détermination, et te voilà groové comme pas deux, gros-Jean comme devant, et tu fais quoi, t’as déjà pensé à ce que tu allais faire dans ce genre de situation, non, évidemment, car tu es pris de court, alors c’est pas compliqué, compagnon de tranchée, tu te laisses aller et surtout, surtout, surtout, tu oublies de réfléchir, tu te figures que tu deviens un rat, crrrrrriii crrrrriiii, paumé au milieu de la multitude de rats qui descend la rue machin dont je te parlais tout à l’heure pour aller rejoindre les autres armées de rats lancées à la conquête de Paname et tu te sentiras joyeux, car justement tu oublies enfin de réfléchir, et Louis Ferdinand Leg, c’est à ça qu’il sert, à rien d’autre, il t’ampute de ton cerveau et donne carte blanche à ton corps, à ta peau, à tes pores de gros porc, alors tu te mets à vivre pour de vrai, tu n’appartiens plus à l’espèce maudite et honnie de Dieu, tu grooves dans l’apesanteur de l’anonymat retrouvé, tu n’as plus de carte d’identité, plus de poule, plus de compte en banque, t’as même plus de bite ni de bottes, t’en as plus besoin, ni de clés de bagnole, t’as plus un rond, t’as même plus besoin de rhum pour supporter quotidiennement ta médiocrité, ni besoin du dernier album de James Leg puisque tu n’as plus rien, rappelle-toi, Léo disait exactement la même chose, il y a quarante ans, il n’y plus rien, plus-plus rien, plus de liquide sénescence, plus de sextants d’alarme, tu es un rat, il n’y a plus rien, plus de catéchisme ombilical, plus d’ombilic des limbes, plus de renversement des réacteurs abdominaux, Léo et Leg c’est la même chose, oui, parfaitement, ces deux-là t’aident à échapper à tout ce qui te semble avoir de l’importance et qui n’en a pas, pas la moindre, ouvre un peu les yeux, camarade, examine cinq minutes ta gueule dans un miroir et demande-toi comment t’as fait pour en arriver à ressembler à rien, à moins que rien, et rappelle-toi ce que disait ce vieux pédé génial qu’était Gide, il te le disait bien avant le Congo et le fameux voyage en Ursse, que l’importance soit dans ton regard et non dans la chose regardée, alors regarde les deux araignées blanches écraser les touches de Destouches et tu t’échapperas de la cage du grand laboratoire urbain, tu fuiras cette modernité à la mormoille pour aller rejoindre le flot de la vie qui grouille au bas des rue de ta cité déliquescente, et pourquoi tu crois que Louis Ferdinand Leg Y fait du gospel d’orgue, ben oui, Y l’a entendu ça dans les églises noires chez lui, là-bas, en Amérique, et là tu réalises soudain qu’on monte encore d’un cran dans les phénomènes échappatoires, car le peuple nègre n’avait que ça et rien d’autre pour briser ses chaînes et échapper à la tyrannie sanglante des patrons blancs dégénérés, alors oui, tu peux parler de musique sacrée, ton Destouches des touches Y ne joue pas autre chose, Y fulgure le gospel d’orgue et comble d’orgueil, Y cherche même pas à se faire passer pour un nègre, c’est incroyable, au moins, Y l’a cette décence de la prestance, et le père Moreau, tu sais, le patron du PMU, Y parlait pas de décence de la prestance, mais de savoir-vivre savoyard.

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Signé : Cazengler, légataire grabataire


James Leg. Le 106. Rouen (76). 27 janvier 2017
James Leg. Blood On The Keys. Alive Natural Sound Records 2016

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Overend is over
Part one

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Nous savions tous en 1966 que Brian Jones était l’âme des Stones. De la même façon, nous savions tous que Pete Overend Watts et Guy Stevens étaient l’âme à deux têtes de Mott The Hoople. Sans eux, pas de Mott, pas de rien du tout.
Guy Stevens rêvait d’un groupe original, avec un son anglo-américain. Il avait déjà sous la main un gang de deadly punks chevelus - Overend et ses potes Buffin, Mick Ralph et Verden Allen - et il passa une annonce pour recruter un chanteur. Ian Hunter arriva pour l’audition. Il portait des sandales et ne ressemblait à rien. On dit que ses lunettes noires lui sauvèrent la mise.
Le pote Pete vient de tirer sa révérence. Mais dans l’esprit des fans de Mott, il est toujours vivant. Oh, il suffit juste de remonter quelques années en arrière et d’aller traîner à Acton, dans l’Ouest de Londres, en 1974, l’année où Mott The Hoople, alors au faîte de sa gloire, vient de splitter. Argh !
Pour descendre chercher des clopes le matin, Pete Overend Watts doit se faufiler à travers les amplis entreposés dans le petit escalier de son immeuble. Eh oui, il y a de cela quelques jours, ces bloody fucking roadies avaient débarqué sans prévenir et largué tout le matériel de tournée sur le trottoir. Pete vécut ça comme une double catastrophe. Non seulement, Mott The Hoople venait de splitter, mais il n’avait pas assez de place pour ranger tout le matériel. Seules ses basses et sa garde-robe sont à l’abri. Tout le reste encombre l’escalier.
Sale temps pour les héros. D’autant que les raisons du split ne sont pas jojo. On avait fait comprendre au groupe que pour survivre, il devait s’installer aux États-Unis. Pete refusa catégoriquement d’aller s’installer dans ce pays qu’il déteste. À prendre ou à laisser ? Fuck that ! Par contre, Ian Hunter et Mick Ronson acceptèrent d’émigrer pour relancer leur carrière, laissant Pete, Buffin et Morgan Fisher sur le carreau. Largués comme de vieilles chaussettes.
Complètement fauchés, déchus de leurs statuts de rock-stars et privés de la moindre perspective, nos trois vieilles chaussettes continuent de se voir, mais l’enthousiasme brille par son absence. Alors, Pete décide de réagir. Il revêt sa vieille tenue de centurion du XXIème siècle : combinaison de cuir rouge cerise largement ouverte sur la poitrine et spectaculaires platform-boots blanches. Il secoue ensuite une bombe de peinture de carrosserie couleur or et s’asperge les cheveux. On frappe à la porte. Il ouvre. Buffin et Morgan Fisher n’en reviennent pas !
— Good Lord, Wattsy ! Qu’est-ce tu fabriques en costume de scène ?
— J’ai une bonne nouvelle, les amis, on redémarre le groupe ! Prêts à faire shaker the jewellery ?
— Quoi ? Mais t’es complètement dingue !
— Asseyez-vous, les gars, je vais vous expliquer.
Buffin bat le beurre dans Mott The Hoople. Son physique de gamin lumineux le rend particulièrement attachant. Ses longs cheveux fins et son sourire angélique font de lui une sorte de créature préraphaélite. Contrairement à Buffin, Morgan n’est pas l’un des membres fondateurs du groupe. Il a remplacé Verden Allen à l’orgue. Morgan se distingue à sa façon : il porte le cheveu court, une moustache blonde et d’élégants costumes trois pièces. Au sein de Mott The Hoople, il semblait au début un peu dépareillé. Par contre, Pete incarnait Mott, beaucoup plus que Ian Hunter ou Mick Ralph. D’abord par son allure de rock-star. Sa haute stature, ses mises extravagantes, ses cheveux longs systématiquement teints, son sourire radieux de star du cinéma et son poitrail velu constamment offert en spectacle focalisaient l’attention. Il fut le premier en Angleterre à oser porter des platform-boots surdimensionnées, bien avant Elton John, Sweet et Slade. En prime, Pete bouillonnait d’idées. Comme Bowie, il incarnait la modernité du rock anglais. Son rayon d’action s’étendait du design des guitares au concept du jeu d’échecs en 3D, en passant par un vaste choix de noms de groupes, des innovations scéniques complètement farfelues et des idées de morceaux à la fois classiques et flamboyantes. Pour mesurer le génie baroque de Pete, il suffit simplement de jeter un coup d’œil sur le ratelier où sont rangées toutes ses basses. La plus spectaculaire est sans doute celle en forme d’oiseau argenté, qu’il a baptisée the beast. Il s’agit d’une énorme basse faite de deux grosses planches de contreplaqué contrecollées, recouvertes d’une feuille de métal sur laquelle il a monté un manche monstrueux. Pendant longtemps, Lemmy voulut la racheter.
— Wattsy, t’aurais pas dû te repeindre les cheveux... Tu vas les abîmer... T’as l’air d’un vieux clown...
Pete sourit. Une grande bonté émane du personnage.
— Je vous propose d’avancer. Vous le savez, l’homme qui n’avance pas recule. Je ne vois pas d’autre solution que de remonter le groupe. Êtes-vous d’accord ?
— Oui, évidemment, mais il faut trouver un chanteur et un guitariste pour remplacer ces lâcheurs d’Hunter et de Ronson... Et puis, comment peut-on s’en sortir sans Guy ?
Buffin n’a pas tort. Pete le sait bien, lui aussi. Sans Guy Stevens, Mott The Hoople n’aurait jamais pu quitter la seconde division des groupes anglais. Collectionneur de disques et disc-jockey renommé, Guy Stevens joua à la fin des sixties un rôle prédominant dans l’émergence de la scène rock anglaise. Il commença par animer Sue records, un label qui soutenait des artistes de r’n’b complètement inconnus en Angleterre. Il s’associa ensuite avec Chris Blackwell, le fondateur d’Island Records, pour produire les groupes auxquels il croyait. Doué d’un flair infaillible, Guy dénichait les oiseaux rares. Il produisit le premier hit des V.I.P’s, «I Wanna Be Free», une reprise de Joe Tex, puis le premier album de Free, puis le premier album des V.I.P’s devenus les Spooky Tooth. Il mit aussi Keith Reid et Gary Brooker en relation et baptisa le groupe Procol Harum. Il se mit ensuite en quête d’un groupe qui pouvait sonner à la fois comme Dylan et les Stones. Ce groupe n’existait pas. Guy eut l’idée de le monter de toutes pièces, puis de le baptiser Mott The Hoople, en s’inspirant du roman de science-fiction de Willard Manus. Il produisit les trois premiers albums de Mott qui ne rencontrèrent qu’un succès d’estime. Ce n’est qu’à partir de Brain Capers que le public anglais commença à prendre Mott très au sérieux. Il faut dire que Guy créa les conditions pour que l’album sorte de l’ordinaire. Il sema tout simplement le chaos dans le studio, déguisé en Zorro et courant partout en tirant des coups de pistolet à eau. Guy voulait que ce disque jaillisse du chaos. Il rêvait d’un son extrêmement primaire. Le résultat dépassa toutes les attentes. Brain Capers compte aujourd’hui parmi les fleurons du rock anglais des seventies, certainement la période la plus prolifique de l’histoire du rock.
Pete reprend son rôle préféré, celui de Superman. Il recule de quelques mètres, fait un bond en l’air et retombe souplement devant ses deux camarades :
— Whizzzzzzzzz ! On va s’appeler Shane Cleaven & the Clean Shaven !
Morgan rigole :
— Fais gaffe, Wattsy, un jour, tu vas te péter les chevilles en sautant avec tes boots.
Buffin fait la moue.
— J’aime pas trop ton Shane machin. Tu nous sors toujours des noms qui sonnent comme des gags. Pourquoi ne garderait-on pas notre nom ? On l’abrège... Mott, ça sonne bien, non ?
— D’accord, Buffin. Mott, c’est mimi. Pour la guitare, j’ai pensé à Nils Lofgren. Et au chant, je verrais bien Stevie Wright, tu sais, le mec des Easybeats... Comme ça, on devient un super-groupe et on brûle les étapes. Wooooozzz ! On passe à la une du NME, on saute dans un jet et on remplit le Shea Stadium ! À nous les do-do, à nous les dollars !
Buffin refait la moue. 
— Mais pourquoi tu vas toujours chercher des putains de guitaristes américains ? Ça ne peut pas marcher. On a une spécificité, Wattsy, tu sembles l’oublier. Avant, tu voulais faire venir des gars comme Joe Walsh, Tommy Bolin, Ronnie Montrose et même Leslie West, pour remplacer Mick ! Pourquoi pas Johnny Thunders, tant que tu y es ? Tous ces mecs prennent des drogues. Non, il nous faut un vrai guitariste anglais, un mec qui sort des banlieues de Londres, comme nous. On est des petits branleurs de quartier, Wattsy, ne l’oublie pas.
— T’as raison, Buffin. J’aimais bien Ronson, mais son caviar et son frigo rempli de bouteilles de champagne me donnaient la nausée. Demain, je mets une annonce dans le Melody Maker ! Here we go ! 
Pete, Buffin et Morgan font passer des auditions. Ils portent finalement leur choix sur Ray Major, le guitariste d’Hackensack, un groupe de deuxième division. Pete se frotte les mains. Ray a une bonne dégaine, des cheveux longs et une technique solide. Pendant un temps, Pete cumule les fonctions de bassman et de chanteur, mais il ne parvient pas à renouer avec l’aisance qu’il montrait lorsqu’il embarquait Mott The Hoople dans son fabuleux «Born Late ‘58». Il préfère s’effacer derrière une nouvelle recrue, le chanteur Nigel Benjamin.
La fine équipe part en tournée aux États-Unis. Ils jouent en première partie de groupes renommés qu’ils mettent dans l’embarras. Comment ose-t-on monter sur scène après Mott ? Déchaîné, Pete multiplie les extravagances. Il s’envole sur scène et plane au dessus du public en labourant le manche de son énorme basse. Des flammes jaillissent des talons de ses platform-boots. Il se repose sur les planches et jette sa basse en l’air. Elle voltige et il la rattrape au vol, juste au moment du break. Fascinés, les journalistes commencent à délirer. Certains affirment avoir vu Pete voler, cape au vent, entre les buildings. D’autres racontent que Pete ramène plusieurs filles à la fois dans sa chambre d’hôtel. Il commence même à recevoir des propositions d’Hollywood pour des remakes de Tarzan, d’Iron Man et de Captain America. Il les décline avec courtoisie, arguant qu’il doit prendre le temps d’y réfléchir. En réalité, Pete préfère rester fidèle à ses amis.
Malgré tout ce battage, ils rentrent bredouille à Londres. Pour une raison qui leur échappe, Mott n’intéresse pas le rock business.
Buffin et Morgan retournent voir Pete chez lui, à Acton. Le moral est au plus bas. Mais Pete ne désarme pas. Il monte sur le frigidaire et saute à travers la pièce. Whizzzzzzzzz !
Morgan comprend tout de suite :
— Tu viens d’avoir une nouvelle idée, Wattsy ?
— Cette cruelle panthère noire qu’on appelle l’évidence vient de me sauter à la gorge : nous allons prendre un nouveau départ. Première chose : débarrassons-nous de notre vieille peau. Mott, ça commence à sentir le moisi. Tournons-nous vers le futur. Frappons un grand coup en adoptant un nouveau nom pour le groupe ! Que pensez-vous d’Elegant Mess ?
— Non, trop sarcastique.
— C’est vrai. The Chauvinist Pigs ?
— Non, trop politique.
— Bon, alors... The Strummer Cakes ?
— Et pourquoi pas les Flying Bananas, tant que tu y es ?
— C’était pour rire, Buffin... J’ai une autre idée qui va vous plaire : The British Lions !
— Ah ouais, pas mal !
Ils contactent John Fiddler, le guitariste chanteur de Medecine Head, un groupe devenu culte grâce au soutien de John Peel et de son label Dandelion. Pete demande cependant à John Fiddler de revoir son look. En effet, le candidat porte encore des lunettes, une moustache et des cheveux beaucoup trop longs. Excité par la perspective de jouer avec les survivants de Mott The Hoople, John se fait couper les cheveux, rase sa moustache et enfile des platform boots. Ils montent rapidement un répertoire habilement saupoudré de reprises classieuses, comme par exemple «Wild In The Streets» de Garland Jeffreys et «International Heroes» de Kim Fowley. Le groupe entame une tournée anglaise et fonce, tel un paquebot fellinien, à travers un océan d’indifférence. Ils ont beau réhausser les talons de leurs platform-boots, jouer comme des lions et rajouter des reprises du genre «So You Wanna Be A Rock’n’Roll Star» des Byrds, rien n’y fait. Le public se tourne vers la scène punk, alors en plein essor. Les British Lions passent pour des vieux schnocks.
Retour à Acton. Morgan ne parvient pas à surmonter son amertume.
— Cette fois, c’est mort, Wattsy, par la peine de nous faire ton numéro de cirque.
Pete commençait à escalader l’un de ses gros juke-boxes pour sauter à travers le salon. Il redescend.
— Dommage pour vous, j’avais une nouvelle idée... Je suis sûr qu’elle vous aurait intéressé...
— C’est pas ça le problème, Wattsy. On est trop vieux. On passe pour des has-been. C’est horrible. Regarde les kids dans les rues. Ils portent des T-shirts marqués «I Hate Pink Flyod». On fait partie du lot, tu sais. Le pire, c’est qu’on n’a pas un rond et on finit l’année avec une ardoise aux impôts. J’ai décidé de quitter ce pays de merde.
— Tu comptes aller où, Morgan ?
— Probablement au Japon...
— Et toi, Buffin ?
— Oh, je reste dans les parages, t’inquiète pas. J’ai un contact pour entrer au service d’une maison de disques comme producteur...
— Quoi ? Toi dans la production ? Quel gâchis ! Tu es l’un des meilleurs batteurs de rock anglais !
— Oui, c’est possible, Wattsy, mais je tire trop la langue. Je commence à en avoir marre. Ça fait quinze ans qu’on vit avec 75 £ par semaine. Regarde, t’as revendu toutes tes guitares pour pouvoir payer tes factures. On t’aime bien Wattsy, mais c’est pas la peine de nous brancher sur ta nouvelle idée. On jette l’éponge. C’est trop dur.
— Vous savez pourtant qu’on est les meilleurs. Les Stones n’ont jamais eu le son qu’on avait sur scène.
— Qu’est-ce que tu comptes faire, Wattsy ?
— Embaucher Keith Richards comme guitariste et Bob Dylan comme chanteur ! Ils ont toujours rêvé de nous avoir comme section rythmique. Ça ne vous paraît pas évident ? On passe à la une du NME, on saute dans un jet, on remplit les stades américains et on achète plein de guitares, comme dans le temps. J’ai écrit une bonne dizaine de chansons. Rien que des tubes ! J’ai même remis au point ma bandoulière élastique. C’est un nouveau système. Avec ça, je peux jeter la basse vers le sol sans qu’elle ne me rebondisse dans les dents.
— Non, Wattsy, ce n’est pas le sens de ma question. Qu’est-ce que tu comptes faire dans le civil ?
— Bon, alors on arrête ?
— On te l’a expliqué, mais tu n’écoutes pas.
La vie reprend son cours. Pendant quelques temps, Pete tient un petit stand à Portobello. Il y écoule péniblement sa collection de platform boots. Puis il se retire à la campagne et se recycle dans la pêche à la carpe. Il finit par faire la une d’un journal local en brandissant une prise monstrueuse. La photo le montre souriant et coiffé d’un petit chapeau. La carpe fait plus d’un mètre. Jamais encore les gens du coin n’avaient vu une carpe aussi énorme.


Signé : Cazengler, Overenda en alu


Pete Overend Watts. Disparu le 22 janvier 2017

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*

1


Mon ami le Commissaire est entré sans frapper dans ma chambre. A peine avais-je ouvert un oeil glauque qu'il m'a vigoureusement houspillé :
- Ah ! Ah ! Je croyais que les rockers ne dormaient jamais, debout grosse couleuvre ! J'ai dégoté huit jours de repos. On en profite !
- Euuuuu ! C'est quoi cette valise que tu as posée sur la table de nuit !
- Cadeau maison ! Pas de perfecto aujourd'hui ! Regarde ce que je t'ai apporté !
- Quelle horreur ! On dirait des costumes de CRS !
- Des authentiques ! Des vrais ! Je les ai fauchés ! Tu en enfiles un direct et moi l'autre !
- Tu crois que...
- Pas le temps de t'expliquer, mais aujourd'hui je réalise le rêve de ma vie ! Allez hop, on part !
Et voilà pourquoi quelques minutes plus tard la Teuf-Teuf fonçait vers les plages de la Grande Bleue à toute vitesse. Durant le trajet, alors que nous remontions une bretelle d'autoroute à contresens, l'intarissable Commissaire s'est livré à quelques confidences !
- Tu sais, si je suis rentré dans la police, ce n'est pas pour mon amour immodéré de l'ordre, au fond de moi je suis un démocrate, à la base depuis tout petit je voulais devenir CRS, pas ceux qui tapent sur les manifestants, non, ceux qui surveillent les plages en été, tu comprends le prestige de l'uniforme sur les baigneuses c'est imparable, mais quand j'ai passé les tests, ils m'ont dit que j'étais trop intelligent, et puis je ne savais pas nager, du coup ils m'ont bombardé Commissaire.
- Sûr qu'il n'y a rien de pire qu'une vocation contrariée ! Un rêve d'enfant brisé, quelle honte !
- Oh je ne me plains pas, j'écrase les piétons sur les passages cloutés en toute impunité, je revends la cargaison des dealers que je pince, je prélève les tableaux de maître sur le butins de cambrioleurs, je fais sauter les distributeurs de billets à l'explosif, la routine quoi !
- Je sais, mais tu ne pousses pas le bouchon un peu loin parfois ?
- Ne t'inquiète pas j'ai des dossiers sur la moitié des hommes politiques du pays, encore mieux qu'une assurance tout risque. 

2


Une fois sur place j'ai un peu déchanté. Faisait pas chaud dans la guérite qu'un vent froid et violent secouait méchamment. Certainement le même aquilon qui avait décroché Keith Richards de son cocotier, de grosses vagues colériques s'écrasaient sur la plage déserte, et la température devait avoisiner le zéro, brrr !

- Voudrais pas te contrarier, mais ton idée me semble un peu foireuse, en février les naïades aux seins nus, même avec tes jumelles militaires super puissantes, ce n'est pas la saison idéale pour se rincer l'oeil !
- Le QI des rockers n'est plus ce qu'il était. Me prendrais-tu pour un cave à fromages ? Tu regardes du mauvais côté !
- Parce que tu crois que les filles du coin se promènent complètement à poil dans les dunes sableuses hérissées de bosquets d'ajoncs impénétrables et urticants avec un ressenti de température de moins quinze degrés !
- Commence par te taire, braque tes longue-vues et attends, je te promets des merveilles ! En attendant plus un mot, et arrête de bouger, tu finiras par nous faire repérer.

3


Au bout de trois heures, frigorifié jusqu'à la moelle, je commençais à trouver le temps long, et proposai au Commissaire d'opérer un mouvement de repli vers un bar accueillant. L'a à peine bougé les lèvres pour me répondre, mais ce qu'il m'a murmuré dans l'aigre bise valait le détour.
- Surtout pas, début février c'est la saison des accouplements et je pense que tu ne voudrais pas manquer cela !
- Tu sais la reproduction des mouettes rieuses, ça ne m'a jamais fait rire !
- Les rockers sont vraiment de plus en plus bêtes ! Tu crois que le gouvernement m'a offert huit jours de congés payés sur le dos du contribuable ? Mon vieux, nous sommes en mission commandée, l'on n'est pas ici pour admirer à la jumelle le fessier des touristes dénudées sur la plage. L'enjeu est beaucoup plus grave.
- J'y pige que couic !
- C'est l'anti-terrorisme qui m'a confié la mission.
- Des islamistes !
- Tu veux rire ! Un truc beaucoup plus sérieux. Les Amazones, un groupe féministe radical. Veulent prendre le pouvoir et asservir les hommes. S'entraînent au maniement des armes dans les endroits désertés. N'acceptent que les filles. Mais au début de février, elles s'emparent des hommes et les violent. Puis elles les tuent. C'est ainsi qu'elles se reproduisent. Or comme tu vois, nous sommes juste le premier février !
- Vachement sympathique ta petite virée, c'est quoi ce cirque, Martin, je me casse de Palavas !
- Rocker de mes deux ! Ecoute mon plan démoniaque. Tu connais ma devise : joindre l'agréable à l'utile. D'abord on se laisse faire, ensuite c'est nous qui les éliminons. Tiens prends ce joujou, il ne paye pas de mine mais il a une capacité de tir non rechargeable de 400 coups, des balles perforatrices à tête chercheuse.
- OK ! Comme ça, c'est jouable !
- Tais-toi ! Regarde sur la droite, les épineux bougent dans le sens opposé du vent !
- Diable ! C'est vrai !

4


Hélas, ça ne s'est pas passé comme prévu. Pour sûr elles étaient nues mais l'on n'a pas eu le temps de proposer des selfies, elles se sont ruées sur notre poste d'observation en hurlant. Pas de joie. De haine. Ont commencé par nous tirer dessus au fusil de chasse. D'autres maniaient de longs coutelas qui laissaient présager un sombre avenir pour les attributs de nos virilités conquérantes. Des harpies ! Heureusement que les joujoux du Commissaire ont tenu leurs promesses. Mais plus on en abattait, plus il en sortait de sous les buissons. L'on a pu par miracle regagner la teuf-teuf et démarrer. Pauvres fous, malgré nos uniformes lacérés nous croyions nous être sortis d'affaire ! Mais il n'en était rien. Nous ont poursuivis en voitures jusqu'à Paris, nous tirant méthodiquement dessus avec leurs vieilles pétoires. On a fini par les égarer en prenant selon notre habitude le périph à l'envers...

- C'est bon on les a semées ! Le premier bar que tu aperçois, tu stoppes et on s'en jette un ! Tiens celui-là, Les Polissons, ça nous fera du bien de nous retrouver entre mecs !

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C'est quand on s'est accoudé au comptoir que le Commissaire, pourtant incroyant notoire, a fait son signe de croix :

- Non d'un jus de carotte biologique ! Les ennuis commencent !

 

03 / 02 / 2017 / LES POLISSONS
LES ENNUIS COMMENCENT

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J'étais dans le Sud, z'en ont profiter pour filer dans le grand nord. J'ai raté leur passage à La Féline, mais suis remonté dare-dare, sept cents kilomètres d'un trait pour finir par les pincer dans un bar – dans quel autre endroit auraient-ils pu être ? - à Paris. Quand je suis entré j'ai cru qu'ils étaient en train de voler les chaises, me suis précipité pour leur filer un coup de main, mais non, ils discutaient avec le patron, délimitaient l'espace nécessaire à leur futur méfait. Le temps de me délecter d'un burger de l'Aveyron et la salle a commencé à se remplir. Que voulez-vous, c'est ainsi, le vice, le crime et le rock'n'roll attirent le monde. En tête bien sûr leur indéfectible soutien, les Jezebel Rock, groupe mythique et originel de la grande vague du rockabilly français.


ASTRO


Les voici. Vous les présente. A gauche Guillermo del Mojo, casquette plate et lignes de basse swinguantes comme des ablettes dans le courant de la rivière, à droite Arno KLX, imperturbable, le plus redoutable des snipers, de temps en temps il effleure d'un seul doigt une corde de sa guitare et il vous envoie un exocet sous la ligne de flottaison de votre cerveau, ils ont tenté de cacher le plus beau et le plus jeune au fond, derrière ses caisses, mais avec son duveteux collier de barbe blonde Hugo le Kid monopolise l'attention de l'auditoire féminin – les mauvaises langues disent que c'est parce qu'il passe le balai sur sa caisse claire avec une telle aisance, une telle élégance, une telle dextérité, qu'elles rêvent de le voir exercer son talent dans leurs deux pièces cuisine. Enfin Atomic Ben, guitare et vocal. Voilà, c'est tout. J'allais oublier ! Atomic Ben ne se contente pas de jouer de la gratte et de chanter. Il parle aussi. Un véritable camelot. Un extraordinaire bagout. Oscille entre la sentence péremptoire et la réflexion philosophique appliquée à la survie du rock'n'roll. N'ont pas fait de balance, alors ils commencent par un boogie-groove du meilleur effet, manière de se dégourdir les doigts et de chauffer la voix.


LOST ROCKABILLY

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Rockabilly band. Mais le rockabilly des franges. Des marges. Des marais. De l'orée du bois. Tout ces lieux incertains d'échange et de partage. D'entrée et de sortie. De repli et de départ de raid. Les bouts de pistes et les prairies en feu. Dans la marmite du rock'n'roll mijote un étrange gumbo. Atomic vous fait l'article, détaille la recette et vous fait goûter. A pleines louches. Entre lampées post-fifties et lapées pro-seventies, le claquement sec du rockab et l'électricité flamboyante, la chatte du rockabilly n'y reconnaît pas tout à fait ses petits, mais que voulez-vous lorsque l'on s'accouple avec un tigre, l'on est obligé de reconnaître que parfois les amours illicites et les manipulations génétiques ont du bon. Du meilleur même.

MAMBO 1

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Premier set. Semi-pseudo-acoustique nous prévient Ben. Il existe des voisins sourcilleux. Une déplorable engeance. Qui ne supportent pas le rock'n'roll, cette musique de voyous. Nous ne les avons pas tous tués. Les voisins bien sûr. En attendant le premier set jouera à l'usine à tubes. Des boots qui sont faites pour marcher et la basse électrique del Mojo qui slappe – comment fait-il ? – comme des coups de fouets sur le postérieur d'un adepte S/M, et Ben qui atomise sa voix pour que nous soyons pénétrés du sujet. L'on change de filles tout de suite après Nancy c'est Françoise et Le Temps de l'Amour, attention version wild surfin', Arno fait ronronner sa guitare comme une turbine électrique, mais Ben nous découpe dans les lyrics le mot blessure d'une voix si pathétique que c'est notre coeur qui saigne. Un truc typique des Ennuis, vous prennent une chansonnette, l'essorent dans leurs mandibules et vous en ressortent un ovni foutraque intensément rock. Poursuivent la démonstration. Elvis. The Pelvis. Marie's the name. His latest Flame pour être plus précis. Une rythmique sautillante et le bourbon ambré du Hillbilly Cat qui bourdonne et vous embouchonne l'âme d'une violence retenue. Du grand art. Essayez vous-même dans votre salle de bain et vous verrez les dégâts, les Ennuis s'en saisissent et vous l'étrillent méchant, le Kid qui précipite et saccade, Arno qui susurre la nostalgie, Guillermo qui déroule le tapis rouge de sang sous vos pieds et Ben qui vous vrille les entrailles du haut de ses amygdales, un incendie ravageur, ça vous brûle de haut en bas, et vous en avez en même temps des frissons dans le dos.
Ne se priveront pas de nous refaire l'histoire du rock, de Don Gibson à Elvis – oui, ils ont des préférences - tout le long de ce premier set. Mais nous offrent aussi une petite friture originale de leur estampille. Splish Splash le bruit de votre cerveau quand il est amoureux nous explique Ben, le coup de foudre et la déconvenue finale, le Yin et le Yang si vous le voulez à la japonaise, le tambour et le Trumpette si vous le désirez à l'américaine, le filon et le Fillon si vous le désirez à la franchouillarde, plein gaz, pied au plancher, la glotte de Ben ping-ponge entre le bonheur et douleur sur la table de l'ironie. J'arrête la liste du jukebox, vous auriez des remords. Certes tout est relatif, mais auraient-ils rajouté quarante titres que dans l'absolu cette première partie aurait été tout de même trop courte. Descendent de scène sous les applaudissements et les regrets.

MAMBO 2

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Pas éternels puisqu'ils reviennent. Dommage pour le voisinage, mais ils appuient un peu sur le potentiomètre dès le premier morceau. Instrumental, Apaches. Mais là ils sont sortis de la réserve et laissé le vieux Cochise sous le wigwam, c'est Géronimo l'impitoyable qui mène le raid. Risque de ne plus rester de visages pâles pour témoigner de leur sauvagerie. KLX vous démantibule son bigsby comme jamais Hank Marvin l'a osé, vous scalpe les trémolos d'une main d'orfèvre, et sur sa guitare Ben vous secoue un tintamarre à réveiller les fantômes de la Ghost Dance. Les guerriers cavalent comme s'il y avait mille femmes blanches à s'emparer, et peut-être encore mieux un troupeau d'appaloosas aux sabots de feu. De la fureur rouge l'on passe à la brutalité noire. Come on de Chuck Berry, au rouleau compresseur, des riffs incendiaires qui ricochent de partout et une rythmique stonienne à brouter du béton. Un peu de blues. Classique rien à dire. D'ailleurs c'est quand le morceau est fini que Ben nous montre ce qu'il aurait pu faire dans les soli. Sa guitare ricane comme une colonie de chacals en train de dépiauter une momie égyptienne. Pas de temps à perdre, le train démarre. Mystérieusement. Trajet pas de tout repos. Les plaines du far-west à toute allure en hors d'oeuvre, ensuite c'est plutôt hot rails to hell, et Atomic bruite la locomotive. Inutile de tirer la sonnette d'alarme, les ennuis commencent. Si forts, que le patron s'en vient demander à ce que le train s'arrête en gare et que tous les voyageurs descendent.
Pas contrariant le Ben, OK my boy et il relance la vapeur. A sa manière. The Way of the West, une pétaudière australienne qui permet à nos kangourous sauvages de nous piétiner le cortex. C'est beau comme de la nitroglycérine. Deux ou trois petites babioles irradiantes comme cette reprise boléro-flamenco de Ricky Amigos, et l'on termine par ce que les groupes de rock'n'roll ne savent plus faire. La présentation du combo, aujourd'hui l'on se contente de jeter trois prénoms inaudibles et bonsoir les copains, l'est temps de vous brosser les dents avant de vous coucher. Les Ennuis eux ressortent l'antique rituel – cette étrange pratique qui tient autant de la déclinaison policière de la fameuse fiche S que du défilé de haute couture - chacun des champions sous ses plus beaux atours instrumentaux et la faconde de Ben qui proclame et enturbane le pédigrée de ses catcheurs. Sortez vos mouchoirs, c'est fini. Non, les voisins ne s'en tireront pas sains et saufs. On ne leur fera pas l'honneur de les caresser à la batte de baseball. Les Ennuis leur font le coup du parapluie bulgare. Leur ont réservé un dernier petit cadeau empoisonné. Une ritournelle vénéneuse, dont le cyanure mental s'insinue lentement en vous, porté par les ondes sonores et inoculatoires jusqu'à vos oreilles, La Belle Saison, des Dogs, chronique d'une mort prochaine annoncée... Que voulez-vous dès qu'il y a du rock'n'roll dans l'air, Les Ennuis Commencent...

OUF !


Quand cette kronic sera publiée ils auront déserté la capitale et rejoint leurs pénates, les mines à ciel couvert de Decazeville. Normalement ils ne passent sur Paris qu'au mois de février. Nous sommes tranquilles pour un an. On va enfin pouvoir vivre en paix !
A peine deux jours qu'ils sont partis, et déjà ils nous manquent...


Damie Chad.



Les ennuis continuent, décidément on ne peut jamais être pénardos en ce bas-monde. Nous ont glissé un petit souvenir dans la poche, un CD cinq titres, les pistes non retenues lors de l'enregistrement de leur dernier album Love - o - rama ( voir KR'TNT ! 270 du 25 / 02 /2016 ).

 

THE JOHNNY BURNOUT OUTTAKES
LES ENNUIS COMMENCENT
ASTRO ROCKABILLY MAMBO

ASTRO ROCKABILLY MAMBO / THE WAY OF THE BEST / ROUTE 66 / I'M SO DEPRESSED / MORE MORE MORE

METHANOL PRODUCTION 

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Astro Rockabilly Mambo : plus qu'un titre, un magnifique manifeste rock'n'roll, à la sauce Les Ennuis commencent. Z'écoutez les paroles, c'est toute l'histoire du rock qui est passé en revue, Jezebel Rock, Melody Massacre, Rycky Amigos, Ervin Travis, bref une certaine idée de la déglingue rockabilly, à la française, plus toute la mythographie internationale qui marche avec, le capharnaüm de la culture rock qui vous a détruit la tête, mais qui vous permet de survivre en ultime desperado des rêves écroulés. The Way of the Best : western rock, la guitare se charge des décors, vous peint les paysages en Colorado-rama, et ensuite c'est la cavalcade des pistoleros, vous traversez tout l'Ouest de long en large, premier arrêt à O.K Corral. Ça ne s'améliore guère par la suite, mais il vaut mieux vivre sauvagement que sagement. Route 66 : deuxième grande virée au travers des Etats-Unis, vous refont le parcours à la boogie woogie bastringue, autant dire que le pianiste est en danger de mort, d'ailleurs les guitares lui roulent dessus sans ménagement. Atomic Ben est au volant et les autres lui ont mis un foulard sur les yeux. Tout de suite la vie devient plus excitante. I'm so Depressed : un vieux truc d'Abner Jay. Un tordu, dites-moi qui vous aimez et je vous dirai qui vous êtes. J'ai toujours tenu Abner Jay ce cul-terreur descendant d'esclaves pour l'ancêtre country-folk-blues d'Hasil Adkins, ce genre de mecs qui tirent tout d'eux-mêmes, leur mode de survie et leur folie douce. Bref les Ennuis vous électrifient ce vieux chant de la grande dépression, une manière de se doter d'un anticyclone pour parer la menace sociale qui s'avance sur nous. More More More : dans la série I wanna be your Dogs, vous enlèvent la pastille à l'acoustique avec un accordéon qui déroule ses anneaux par derrière. Bonjour les cajuns, l'on attrape les alligators en leur saupoudrant la queue avec du sel. L'on en reste la bouche bée.

Cinq pépites indispensables à tous les chercheurs d'orck. En plus plein d'invités sur le disque – 3 Headed Dogs, Ben Bridgen, Aurore Asphalt, Kieran Thorpe, Plume, Laurent Biron, Fred Gissy Guy Messinesse - car plus on est de fous plus on rock. La preuve est faite – une fois de plus – c'est la société de ses semblables qui corrompt l'homme et c'est ainsi que les ennuis commencent.


Damie Chad.

04 / 02 / 2017TROYES
LE 3 B
BROKEN FINGAZ

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Temps clément. Aucune excuse pour ne pas filer tout droit vers la bonne ville de Troyes. Aucun barrage d'icebergs prévu par les météorologues. La Teuf-Teuf picore les kilomètres avec la régularité d'une poule glousse qui gobe des grains.
Peu d'habitués dans le 3 B. Les fans de rockab ne seraient-ils point par hasard un tantinet sectaires ? Non pas du tout, mais ils n'aiment que le rockabilly. Moi aussi, mais entre le rockab et le rock'n'roll, d'après moi n'existe qu'un peu profond ruisseau calomnié comme le tournait en alexandrin Stéphane Mallarmé. N'empêche que le café se remplit de têtes nouvelles.
Broken Fingaz, la sonorité gaëlique du second terme m'avait induit en erreur. Je pensais avoir affaire à un groupe de rock celtique. Tiens me disais-je, une soirée menhir et dolmen, cela changera de chaussures de daim bleu sur calandre des cadillacs roses. L'étymologie est une science difficile et trompeuse, Fingaz n'est pas le nom glorieux du guerrier inconnu d'une obscure saga islandaise, mais le déformation argotique du mot anglais finger. Doigts Brisés, appellation très rock'n'roll ! Pourvu qu'ils tiennent leur promesse !

PLEIN GAZ


Deux guitares, une batterie et une basse tenue par DD Dufour, vous connaissez, c'est lui qui officiait à ce même instrument en ce même bar dans les Natchez ( voir KR'TNT 300 du 27 / 10 / 16 ), oui celui avec un look d'indien qui en remontrerait à un lakota pure souche. Ben Proy pousse sa batterie doucement et les guitares emboîtent le pas en cadence, et surprise, du fond de la salle s'avance Sylvain Lambert, le chanteur, un vrai, seul avec son micro. Pour le moment se contente de laisser monter la mayonnaise. Yeux à terre mais présence indubitable. N'a pas encore ouvert la bouche qu'il est là à égalité avec les autres qui préparent l'allumage des moteurs auxiliaires pour s'arracher à l'attraction terrestre. Z'ont enfilé les deux premiers titres Week End et Don't Be Sorry, tout en souplesse, l'air de rien, lorsque Sylvain nous annonce Put me in the Space, et là faut bien réaliser le tour de cochon qu'ils nous ont préparés. Nous ont englués, scotchés, collés, nous sommes prisonniers, le piège s'est refermé sur nous car on ne descend pas d'une soucoupe volante qui fonce dans les zones inter-galactiques. Remarquez personne n'a envie de s'évader. Ne vous méprenez pas, ne nous la font pas à l'atmosphère éthérée genre Pink Floyd avec des étoiles roses toute mignonnettes sur le papier peint !
Du rock à cent pour cent. Parfois ils se moquent de nous et nous assurent que le morceau suivant est un slow. Autant dire que les escargots se déplacent à la vitesse d'un TGV. On ne les croit pas. On a vite éventé leur ruse diabolique. D'abord ils installent une coupole sonique transparente dont ils ne vous laisseront pas vous évader, vous êtes trop occupés à savoir comment ils réalisent leur magie rouge. Ben a vite fait de vous entourlouper. Ne le lâchez pas des yeux, l'est en train de marquer un petite rythmique tranquilloute, et subitement tout s'envole, le morceau décolle, pourquoi rester simple quand c'est si facile de complexifier le jeu, donne l'impression de frapper ses cymbales par dessous comme pour amplifier la cadence et vous il vous emporte dans une structure mouvante comme s'il mettait le morceau en lévitation. Dom Lambert est à la lead. Imposant. Louvoie sur ses cordes tel un catamaran sur les vagues. Un artiste, n'essayez pas de l'imiter vous allez vous faire des noeuds dans les doigts et il faudra l'intervention d'un chirurgien pour remonter le kit de vos phalanges. A condition qu'avant vous ayez pris soin de les numéroter dans l'ordre. Et quand il joue en slide, inclinez-vous respectueusement.
Eddy Lambin est à la rythmique. Pistolero de choix. C'est lui qui envoie les riffs. Tonitruants et monstrueux, sur Gimme Shelter il lâche les scuds qui vous défoncent les os, ne tournez jamais le dos, c'est là qu'il vous tromblonne sans pitié. Fait parler la poudre et booster la foudre. Entre les deux guitares, Sylvain. Pourriez vous faire du souci pour lui. Ses deux acolytes produisent du gros son, place sa voix sans difficulté. D'abord le regarder bouger. Surtout dans son immobilité. Un chaman qui se concentre pour mieux capter l'énergie du monde, subitement il exulte, avec ses cheveux bouclés et son jeu de jambe rappelle un peu Ian Anderson de Jethro Tull, mais davantage cérémonieux, sait se recentrer sur lui-même, se recueillir pour accumuler le souffle et la force explosive dont il va avoir besoin. Derrière, DD participe d'une semblable sérénité, joue en profondeur, silencieusement a-t-on envie de s'écrier stupidement, plénitude du son qui aggrave les graves, semble rêveur mais est à l'affut et son sourire éclate lorsque la musique vacille dans les boursoufflements des breaks, et s'épanouit dans une coalescence de puissances. Devant un tel magma, et une cadence si enlevée, l'instinct vocal serait de s'égosiller à s'ensanglanter le larynx, Sylvain ne cède pas à cette facilité. Il chante, il module, il respire. Sait aussi hacher le phrasé, inciser les phonèmes et précipiter l'andante.
Deux sets remplis de surprises, ce Personal Jesus de Dépêche Mode totalement réapproprié et supérieur à l'original et cette reprise de Heroes de Bowie qui permet au combo de nous faire une démonstration de ce que l'on appelle une orchestration. Le deuxième encore plus rock que le premier et qui du coup en paraît si court qu'ils reviendront pour un troisième. Nous refont Gimme Shelter et un Fortunate Son à l'emporte-pièce. Les filles dansent, il y en a même une qui s'agenouille en joignant les mains pour quémander encore un dernier titre. Mais c'est à Jean-François qu'ils dédieront Antisocial. L'avait passé Trust sur la sono avant le concert et avait pallié l'absence de Duduche en improvisant un Sweet Home Alabama ( pas tout à fait d'anthologie mais courageux ) soutenu à la guitare par Eddy.
Quatre ans qu'ils jouent ensemble. Une cohésion et une cohérence étonnante. De l'humour et une grande simplicité. Broken Fingaz a tout cassé. Viennent de la région de Reims. Là où l'on sacre les rois.


Damie Chad.

BURN OUT
BROKEN FINGAZ

BORN IN THE CITY / I FEEL SO ISOLATED / PUT ME IN THE SPACE / HEROES

Dom Lambert : guitare / Sylvain Lambert : chanteur / Arno Jaloux : guitare / Ben : batterie / DD : basse / Arno Jaloux : guitare.

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Born in the City : salmigondis de guitares en introduction juste pour vous avertir que vous venez de passer la frontière du pays du rock'n'roll. Venez pas vous plaindre si vous trouvez que ça balance un peu trop. Super bien en place. Sans bavure. Sans défaut. Lustré à l'huile de vidange. A écouter très fort. La batterie est merveilleuse et les cordes vous tirent du mauvais côté, celui que vous préférez. Sylvain vous avertit des dangers à éviter. L'est si persuasif – voix charmeuse de serpents venimeux - que vous vous précipitez dans la city pour louer un studio. D'enregistrement. I Feel so Isolated : un brin davantage binaire, juste pour vous montrer ce que l'on peut faire avec un kit de base. Sylvain l'a l'air d'ânonner les évangiles du diable et c'est parti pour la farandole rock and roll, le grand jeu, une démonstration, comment l'on passe le bâton de dynamite allumé au copain, qui s'en saisit et s'en amuse comme un dum dum boy, avant de le refourguer au voisin. Franchissent la ligne d'arrivée tous ensemble, en vainqueurs. Et la mèche brûle encore dans vos oreilles. Put me in the Space : un peu de grandiloquence ne messied pas aux épopées. Le guitares viennent brouter dans votre main, attention, elles ont des crocs de panthères affamées. La voix de Sylvain a beau leur caresser l'échine, elles restent des animaux sauvages. La section rythmique vous injecte des flaques de sang frais pour leur ouvrir l'appétit. Et vous aimez cela. Les hyènes stellaires. Heroes : moi je n'aurais jamais osé. Faut avoir les olives ou les ovules grosses comme des ballons de rugby pour se risquer à déplacer les pyramides. Z'y foncent franc jeu et le ridicule ne les tue pas. Z'ont l'aisance des dauphins qui se jouent des vagues assassines. Accélèrent même le final, faut bien montrer qu'ils ont encore de la réserve. Les héros sont ceux qui s'affrontent aux monstres et qui en ressortent vivants.

Nous ont promis un album pour bientôt. Prenez-le d'urgence en pré-commande, il risque de ne pas stagner longtemps dans les bacs à gruyère de votre crèmerie préférée. L'ambroisie des Dieux.


Damie Chad.

ANÂHATA
DÄTCHA MANDALA

MISERY / MOJOY

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Nicolas Sauvey : vocal, basse, acoustic guitar, harmonica / Jérémie Saigne : guitare / Jean-Baptiste Mallet : drums / Production : Clive Martin

MRS Sound Septembre 2016.

Vu la semaine précédente au Petit Bain. Voir KR'TNT ! 314.

Visent haut. En plein coeur du quatrième chakra. Celui qui permet au reptile de la kundalini de grimper des tréfonds du pubis jusqu'à la voûte du ciel. Le serpent céleste. Avec un tel projet, les Dätcha Mandala ont intérêt à assurer. Ne vous étonnez pas de la longueur des morceaux qui flirtent avec les cinq minutes, ce quarante-cinq tours est un extrait du futur album destiné à paraître fin de ce mois des fièvres. L'orange de l'oeuf originel estampille le bleu foncé de la pochette. Attention, l'est fendillé, quel monstre merveilleux en éclora-t-il ?

Misery : vous mettent la misère. Vous content la vie d'un garçon qui vous ressemble trop pour ne pas être vous. La guitare pleure et la voix monte vers la plénitude de la souffrance. Et tout l'orchestre derrière qui commence à mugir comme un troupeaux de dix mille moutons noirs que l'on pousse vers l'abattoir. Escaliers pour le purgatoire. La voix de Nicolas Sauvey sur le fil du rasoir. Tient l'équilibre. Descente abrupte. Pas de rambarde où se rattraper. Vous lui emboitez le pas tout de même. Vous tenez à savoir comment tout cela se terminera. Mal. Mojoy : Après la ballade emphatique le mojo de la joie. Dérive honky tonky blues, l'harmonica qui draine le chemin, la voix qui saute les haies les nuits de pleine lune, et l'est sûr que ce soir on ne va pas s'ennuyer. La guitare gronde et la batterie gambade la chamade. Fête païenne, l'alcool de contrebande coule à flot, hymne à la joie. De vivre.

Davantage Dätcha que Mandala. Que voulez-vous la jeunesse a le temps devant elle, inutile de se précipiter vers la cauteleuse retenue de la sagesse. Les vapeurs d'encens ne valent pas l'âcre fumet du moonshine. Pas besoin de gratter l'écaille du serpent pour sentir le musc du Dirigeable. Mais si vous n'avez pas de maître pour vous tirer vers le haut, vous ne pourrez jamais le tuer. Le rock sourit aux audacieux.


Damie Chad.

 

01/02/2017

KR'TNT ! ¤ 314 : KIM SALMON / DÄTCHA MANDALA / POGO CAR CRASH CONTROL / JAMES LEG / ELVIS PRESLEY

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 314

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

02 / 02 / 2017

KIM SALMON / DÄTCHA MANDALA /

POGO CAR CRASH CONTROL / JAMES LEG  /

ELVIS PRESLEY

Kim est Salmon bon

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Et même pire que Salmon bon. Kim Salmon a du génie. Quand on le voit sur scène, on comprend qu’il est né pour ça, pour jouer du rock sur scène, même s’il se retrouve après trente ans de pérégrinations sur la petite scène d’un bar de Ménilmontant.

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Visiblement, c’est à la Féline que se termine la carrière des cult-stars de l’underground, mais l’ambiance y est si bonne qu’on s’en félicite. Ça se transforme même en concert de rêve. La bière y est fraîche, le public conquis d’avance et Kim Salmon joue à cinquante centimètres, alors que peut-on espérer de mieux ? Il joue en trio et Dimi Dero bat le beurre. Il porte une chemise à fleurs, un jean et des boots rouges. Comme Kim cumule les expériences, il dispose désormais d’un répertoire très riche. Trop riche, pourrait-on dire. Il peut taper dans les albums des Scientists, dans ceux des Beasts of Bourbon, dans ceux des Surrealists, dans ses albums solos et dans ses projets parallèles et monter une set-list de rêve, ce qu’il fait.

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On entend des hits fatidiques comme «Swampland», inévitablement, mais aussi un «Cool Fire» tiré du fantastique troisième album des Beasts, «Black Milk», «Frantic Romantic» qui date des origines et puis bien sûr les deux énormités tirées de son dernier album solo, «My Script» : «Destination Heartbreak» et l’implacable «Already Turned Out Burned Out». Et puis histoire d’enfoncer le clou pour de bon, il termine avec une version définitive de «We Had Love», une sorte de classique garage capable de nous hanter jusqu’à la fin des temps.

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Les Scientists firent partie de la petite scène culte underground des années 80, avec le Gun Club, les Spacemen 3, les Cramps et les Mary Chain. Rien qu’avec ces cinq groupes, on avait de quoi tenir pendant la décennie maudite.

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Leur premier album sobrement intitulé The Scientists parut en 1981. On l’appelle aussi the pink album. Sous sa pochette rose et particulièrement insignifiante, l’album sonnait très power-pop et on surprenait Kim en flagrant délit d’imitation de Joe Strummer sur le premier cut, «Shadows Of The Night». Il fallait attendre la face B pour trouver un peu de viande, notamment dans «Teenage Dreamer» qui semblait traversé par le petit riff de «Death Party» mais en accéléré. C’était une coïncidence amusante, on retrouvait l’esprit de ce groove mortel, avec de longs passages ombrageux et des vents de broussailles. Dans «Walk The Plank», ils se prenaient pour les Jam, un mimétisme de mauvais aloi. Et ils s’enfonçaient toujours plus dans l’erreur avec «Larry», ce qu’on appelait alors du fake english sound. Ils sauvaient l’honneur avec le dernier cut, «It’ll Never Happen Again», poppy comme ce n’était pas permis, mais le groupe montrait une assurance exceptionnelle et nous sortait le meilleur des sons.

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Sur la pochette du second (mini)album Blood Red River, les cheveux des Scientists avaient poussé. C’est avec cet album qu’ils trouvèrent leur véritable identité. Ils proposaient en effet un son basé sur le groove primitif, celui de l’anaconda géant qui rampe dans la moiteur de la forêt tropicale. L’un de leurs hits les plus viscéraux s’appelle «The Spin». Kim y plonge dans l’épaisseur du groove. Il y pique de sacrées crises et on y retrouve aussi le fameux riff de «Dirt». Comme la plupart des grands hits scientifiques, celui-ci est monté sur une bassline troglodyte. Visiblement, Kim est obsédé par Funhouse. Une autre stoogerie de haut rang se niche sur l’album : «Set It On Fire», chanté à l’insidieuse rampante, et même hurlé dans le néant du non-retour. C’est vrai que la composition de la photo de pochette rappelle celle du premier album des Stooges et Brett Rixton qui est au fond ressemble à Dave Alexander. C’est Tony Thewlis qui allume ce cut et les Scientists le jouent à l’admirabilité des choses. Le morceau titre sonne comme du boogaloo désespéré et sur «Rev Head», Kim sonne exactement comme Alan Vega. Par chance, cet album fut réédité en l’an 2000 par Citadel, le label australien qui eut l’intelligence de rajouter les cuts de singles qui ne figurent pas sur les albums, à commencer par le hit le plus connu des Scientists, «Swampland», une merveille de western-song gothique inspirée. On trouve aussi l’effarant «We Had Love», dévastateur et bousculé par de violentes montées de fièvre, le cut que Kim choisit aujourd’hui sur scène pour boucler son set en beauté. Et puis cette version fantastique du «Clear Spot» de Captain Beefheart. Kim n’a pas la voix, c’est sûr, il lui manque le fond de cuve, mais le son est au rendez-vous. Tony sait faire son Zoot Horn Rollo, pas de problème. On trouve aussi à la suite «Solid Gold Hell», certainement le plus brillant hit scientifique, un chef-d’œuvre de heavyness déviante et la basse de Boris fait le show car elle traverse le cut en crabe. Fascinant ! Autre merveille : «Demolition Derby», un vrai cut-bulldozer qui dégage tout, les avenues et les bronches. Une vraie mastication de riff et comme par hasard, on pense au «Death Party» du Gun Club.

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En plus de Blood Red River 1982 - 1984 Citadel a aussi fait paraître The Human Jukebox 1984-1986, la réédition de l’album augmentée de cuts de singles. Ces deux disques valent l’investissement, car dans les livrets, Kim Salmon raconte toute l’histoire des Scientists à Perth, à Sidney, puis à Londres, où ils se firent connaître grâce au soutien de Lindsay Hutton. C’est assez passionnant, car Kim raconte une multitude d’anecdotes, comme celle-ci, qui se déroulait à Amsterdam, devant un club où devaient jouer les Scientists : des mecs les traitaient de kangourous, alors Kim raconte que ça s’est terminé en bagarre.

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L’année d’après sort un autre mini-LP, This Heart Doesn’t Run On Blood, This Heart Doesn’t Run On Love. C’est une manie, mais en fait une bonne manie. Pour au moins deux raisons, l’énorme «Solid Gold Hell» qu’on en finit plus de réécouter à cause de cette bassline qui traverse le cut en crabe - Getting really used to live in solid gold hell - et «This Life Of Yours», atmosphérique et underground en diable, comme bardé de toiles d’araignées. On les sent partis une fois de plus à la dérive, la basse de Boris remonte dans le mix de manière seigneuriale et Kim se met à chanter comme Jeffrey Lee Pierce.
Selon Robyn Gibson de Sounds, les Scientists étaient parfaits : long greasy hair, low slung pants, ugly feedback, two chords songs over one note basslines, malovelant countenance.

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Deux énormités trônent sur You Get What You Deserve : «Hell Beach», une pure stoogerie - Kim chante comme Iggy, avec l’instance nasale des bas-fonds motorcityques - et «Demolition Derby monté sur le riff de «Death Party» ralenti et bien régurgité. C’est tout l’intérêt du cut : le goove de Death, ils ne s’embêtent pas, ils tapent là dans l’un des meilleurs grooves de l’univers et voilà, le tour est joué. En B on trouve «Atom Bomb Baby», accompagné par un gimmick frelon et chanté à la stoogerie des profondeurs de l’underground ténébreux. Kim attaque «Lead Foot» à la Jeffrey Lee, à l’insolence gun-clubbique. On note aussi la présence de l’excellent «It Came Out Of The Sky», garage harcelé par Tony Thewlis sous la pure dominance sulfrique du son de basse.

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En 1986, ils ré-enregistrent tous leurs hits : c’est le fameux album Weird Love. Quel festin ! Ce sont des cuts dont on ne se lasse pas, allez hop, ils reprennent «Swampland» avec l’ in my heart bien timbré, le stoogy «Hell Beach» bien primitif et même ashetonien, «Demolition Derby - fuelled with a love song gone wrong, comme le dit si élégamment Kim - et «We had Love», le hit du cru. Non seulement le chant y est insistant, mais le riff l’y est encore davantage, alors ça devient rudement intéressant. En B, ils tapent dans «Of It’s The Last Thing I Do» et dans les commentaires, Kim cite le nom de Travis Bickle. C’est joué à l’épaisseur scientifique et visité par l’admirable  groove de basse de Boris. Big atmospherix avec «Set It On Fire». On retrouve dans ce cut tout ce qui va faire la force des Chrome Cranks et de Gallon Drunk, le sens du groove souterrain et inspiré. Ils bouclent cet album magique avec une version faramineuse de «You Only Live Twice» qu’ils traînent à la mauvaise vitesse. Quelles brutes ! Le gluant qui suinte de l’ambiance leur va comme un gant.

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Ils ne sont plus que trois pour Human Jukebox, Tony Thewlis, Kim à la basse et un batteur du nom de Nick Combe. Spontaneous sonic outburst and desconstruction : voilà comment Kim définit cet album déroutant. Le morceau titre qui ouvre le bal nous plonge tout de suite dans l’ambiance scientifique : dégelée de son et gros coups de jus. Ils avaient compris que tout reposait sur le son et qu’on pouvait aller très loin dans l’explosion des limites. Dans la fournaise on croit parfois distinguer des bouts de Velvet. C’est en effet la dynamique de «Sister Ray» mais avec des queues de phrases grillées au 220 et donc racornies. «Distorsion» sonne comme un cut privé d’espoir, trop épais, lymphatique, comme largué au large, dans une drôle de dérive. C’est hallucinant de liquidité, une sorte de fin du monde de distorse molle. Encore un exploit vicelard avec «Born Dead», claqué à l’accord violent et incroyablement incisif. Kim chante sale et Tony gratte acéré. Leur riff insistant révèle une dimension bornée, peut-être même un manque d’idées, tout au moins pour cet album. Ils finissent avec un mélopif hors du temps, «It Must Be Nice» - It must be nice to die at night - Lourd de sens et de présence et chanté à la mélodie. On a là le hit du disk. Kim résume bien l’art des Scientists : fuzz-guitar overload minimalism and primal beat.

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L’album idéal des Scientists est probablement Sedition, paru en 2007 et enregistré live au Shepherd Bush Empire. On y retrouve la formation originale, Kim, Boris et Tony, avec Leanne Cowie, qui avait flingué une tournée anglaise dans les années 80 parce qu’elle ne savait pas jouer de la batterie (elle apprenait). Dans le petit livret qui accompagne le disque, on peut lire des hommages de Jon Spencer, Warren Ellis et Henry Rollins. Les Scientists jouent tous leurs hits, à commencer par l’infernal «Swampland», bien doté à la mélodie. Kim sait monter un coup. Il sait hanter - In my heart, there’s a place called swampland - Il chante ça à l’épique de la désespérance, comme Jeffrey Lee Pierce. En écoutant «Burnout», on voit bien qu’il tient son chaos en laisse. Il ne lui laisse pas de mou. Il jette des pelletées dans le brasier. Tout est très incandescent chez les Scientists. Et voilà l’effarant «Solid Gold hell», attaqué à la fuzz, et la mélodie descend en diagonale à travers le mur riffique. Kim se lamente à la body of soul. Il s’adosse au meilleur wall of sound du monde et Boris envoie ses notes d’infrabasse perforer le chaos. Avec «Nitro», ils rendent hommage aux Stooges. Cette mélasse vaut bien «Funhouse». Kim crie. Kim couine. Kim cuit. Et avec «Set It On Fire», on retombe dans la fournaise scientifique. Kim compte parmi les héros les plus fulgurants de l’histoire du rock, soyez-en sûr. Il pousse des waouh d’antho à Toto et surnage à la surface d’une extraordinaire mélasse de son avec un fabuleux shouting de soute. Bel hommage à Alan Vega avec «Rev Head». Kim fait le talking show et navigue dans le groove urbain. Il peut screamer his head off. Et on repasse aux Stooges avec «When Fate Deals Its Mortal Blow», c’est battu et rebattu à la stoogerie et ça continue comme ça jusqu’à la fin, avec l’apothéose, «We Had Love», qu’ils font littéralement exploser sur les accords de Gloria. Comme dit Kim : six strings in one sound !

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Si on aime les Scientists et qu’on dispose d’un budget confortable, alors ils faut rapatrier tout ce que sort le petit label basque Bang!, à commencer par Rubber Never Sleeps, un double album qui propose des bouts d’enregistrements live de la grande époque. En B, on tombe sur une version vivace de «Swampland», complètement saturée de basse par un Boris qui semble jouer la carte de la destruction massive. Dans «I’ve Had It», il fait gronder sa basse comme le dragon de Merlin, sous la surface de la terre. En C, on tombe sur une version explosive de «We Had Love», merveille d’excitation brutale, classique scientifique pur, bouillonnant et ravagé par ces charges héroïques. Ils font aussi une brillante reprise du «She Cracked» des Modern Lovers.

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Une autre compile intitulée Pissed On Another Planet rassemble les premiers titres des Scientists. Dans les notes de pochette, Kim Salmon rappelle qu’au démarrage, il avait une idée claire du son qu’il voulait en tant que guitar head : Steve Jones ou Johnny Thunders. Pas étonnant que le cut qui donne son titre à la compile sonne comme un hit des Heartbreakers : même son et même magie au chant. Kim Salmon est l’un des meileurs caméléons de l’univers. Il sait reproduire le jouissif des Heartbreakers, cette fantastique foison de gros accords rockyrollah. On trouve aussi le premier single du groupe, Frantic Romantic», dont Greg Shaw avait acheté 500 exemplaires pour le diffuser via Bomp! Magazine. Cette power pop vitupérante n’a rien perdu de sa fraîcheur et en 2016, Kim peut encore jouer ce morceau sans problème. On sent bien qu’à l’époque, les Scientists trempaient dans la power pop à la Nerves. Il suffit d’écouter «Shake Together Tonite». C’est grouillant et vivifiant. Même chose avec «last Night». Ils vont dans des tas de directions, mais ils savent rester dans le musculeux harmonique. Un cut comme «It’s For real» éclate au grand jour, c’est plein de guitares et très impressionnant. Ces mecs sont à l'aise, ils sont déjà très complets. Avec «larry», Kim se prend pour un punk anglais. Il chante un peu cokney. On croirait entendre les Small Faces. Dans «Teenage Dreamer», il évoque les New York Dolls. Le riff évoque celui de «Death Party» du Gun Club et «Shadows of The Night» sonne comme un hit des Stiff Little Fingers. Quelle palette !

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Kim va jouer quelques années dans les Beasts of Bourbon, un groupe qui a la sale réputation d’avoir accueilli en son sein tous ceux qui avait besoin de quick beer money. Kim était encore dans les Scientists quand il joua de la guitare sur The Axeman’s Jazz, le premier album des Beasts. Le morceau phare de l’album s’appelle «Evil Ruby», qui sonne comme un gros clin d’œil aux Stones. Car on y entend les accords de «Let It Bleed» et Tex Perkins chanterait presque comme Jagger. Ils font aussi une brillante reprise du «Graveyard Train» tiré du premier album de Creedence. La grande force des beasts fut de pouvoir sonner sur certains cuts comme Beefheart. Bel exemple avec «Save Me A Place», très beefheartien dans l’esprit. Kim et Spencer P Jones sortent les accords magiques du Magic Band et jouent au heavy groove. En prime, Tex Perkins screame superbement. Mais c’est tout. Pour le reste, on peut se rhabiller.

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Leur second album Sour Mash est un peu plus solide. Ils démarrent avec une fabuleuse reprise du «Hard Work Driving Man» de Jack Nitzsche et Ry Cooder qu’enregistra Captain Beefheart pour le film Blue Collar de Paul Shrader. Tex Perkins chante cette merveille avec la voix d’un esclave noir à bout de nerfs. Les Beasts montrent là une belle propension à la heavyness maximaliste. On retrouve ce penchant beefheartien en B, dans «Driver Man», une belle dérive des continents de l’incontinence digne du bon capitaine. C’est du pur jus et en prime, ça saxe. Il faut aussi écouter «Pig», un chef-d’œuvre primitif joliment agressif. Tex Perkins peut grogner comme Wolf, il a le même sens du danger et de la menace. Voilà encore une pure énormité. Tex Perkins avait autant d’allure au plan vocal qu’au plan physique. Il faut le voir sur les photos du groupe avec ses têtes de loup et son regard noir. Fantastique présence ! Oh, ils font aussi une reprise de Merle Haggard, «Today I Started Loving You Again», country-rock sombrement aguichant.

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Leur troisième album Black Milk entre dans la catégorie des grands albums de rock classique. Tous les cuts de cet album beaucoup plus calme sonnent comme des hits. Dès «Finger Lickin’», ils renouent avec un sens beefheartien des choses, dans le son comme dans le beat, dans l’intention comme dans le mystère. On va de balladif en balladif, mais tout est incroyablement inspiré, sur ce disque, indiciblement sombre («Hope You Find Your Way»), plombé et sans espoir («Word From A Woman»), et même hanté et puissant, comme c’est le cas avec «I’m So Happy I Could Cry», où ils tendent vers le calme qui accompagne les tout derniers instants de vie. Tex Perkins chante admirablement le groove de Beast qui s’appelle «You Let Me Down». On entend surtout la basse de Boris. Et en B, ils démarrent en force avec une version pétaudière du «Lets Get Funky» de Hound Dog Taylor. Tex Perkins rigole sur le beat furibard et il relance à coups de cris de guerre, yeah yeah ! On revient à l’excellence paisible avec «A Fate Much Worse Than Life», monté sur un beat de valse et finement souligné à l’accordéon. Kim compose «Blue Stranger» et Tex le chante au clair de la lune. C’est visité par un solo de jazz infernal. On reste dans l’excellence pure et dure avec le très cajun «Blanc Garçon» - I am bonnet blanc garçon - pur jus du bayou et on passe au mélopif crépusculaire avec «Execution Day», un cut insistant et buté, fabuleux car bien dosé et avenant. Ça sonnerait presque comme un grand hit d’Iggy. Par la qualité de ses morceaux , cet album se révèle absolument exceptionnel.

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Le quatrième album des Beasts s’appelle The Low Road. Ils ouvrent le bal avec «Chase The Dragon», joli groove druggy, joué à l’aune du vieux gimmickage de la grassouille. Le morceau titre vaut pour une belle compo longiligne et chargée de son. On y retrouve l’implacabilité des choses qui semble vouloir caractériser le groupe. Et avec «Just Right,» ils passent à l’hendrixienne avec un fabuleux solo d’intro signé Spencer P. Jones. D’ailleurs, au dos de la pochette, on les voit tous les trois sur scène, Tex Perkins, Kim et Spencer, complètement démantibulés par leur chaos sonique, avec les cheveux en l’air. Il faut attendre «Straight Hard & Long» pour renouer avec la furia, celle du MC5. Ils la traitent au mode stop/break down, couplet chant sans vague, et puis ça lâche d’un coup, et quand ça lâche, ça lâche, avec Kim et Jones aux manettes de la moulinette. Ils semblent évoquer les élans d’une bite en émoi, mais dans l’exaction de la pure folie. Ces mecs sont capables d’aller gratter la gale des dieux. On tombe à la suite sur un fantastique garage-cut signé Kim, «Something To Lean On», épais et bien amené, qui monte comme la marée du diable, noire et rouge, infernale et bien touffue, quasiment scientifique - You’re my love and my dealer - Romantisme des ténèbres, avec un beat de fond de studio. On applaudit les Beasts.

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From The Belly Of The Beasts est un double album qui propose du live 91 et 92 et des cuts inédits. Tellement bon qu’il est condamné à finir sur l’île déserte. Ils redémarrent avec un «Chase The Dragon» lourd de conséquences, avec un son en forme de mur du son, c’mon, barrage de riffs, personne ne passe. Sacré clin d’œil aux Doors avec «Save Me A Place» monté sur un monstrueux groove de bassmatic et harcelé par des attaques de guitare sur les côtés. C’est même concassé par des breaks stoogiens, et ça part dans le son des Doors, avec ce groove qui rappelle l’I can hear the scream of the butterflies, fantastique improvisation des choses, ils poussent bien le bouchon. Ces mecs avaient tout compris, aussi bien au niveau des ambiances que du décorum. Ils passent à la stonesy avec «Drop Out», du pur Kim et ça sonne comme un hit. On retrouve l’excellent «Straight Hard & Long», attaqué au sans pitié. Kim et ses hommes lancent des assauts et halètent comme des chiens. Les riffs sont hallucinants de violence, Kim et les bêtes avaient du génie. Ils font une spectaculaire reprise du «Let’s Get Funky» de Hound Dog Taylor. Quelle pétaudière ! Kim outrepasse Hound Dog, il explose l’art du vieux rescapé des plantations. Le disque 1 se termine avec trois cuts sans Kim dont l’excellent «Good Times» chanté à l’arrache et joué high energy. Sur l’autre disque se nichent trois reprises de haut rang, le «Dead Flowers» des Stones que Tex attaque à la grosse voix et que le groupe joue très musclé à la ragged company, puis «Dirty Water», solidement charpentée, avec un Tex qui écrase sa voyelle du talon comme un lombric pour que ça gicle dans l’I’m gonna tell you a story, et «So Agitated», version atrocement heavy du vieux cut des Electric Eels, doté du plus liquide des solos et du plus tribal des beats d’extrême onction. Oh ils tapent aussi dans Hank Williams avec «Ramblin’ Man» et dans les Pretties, seigneurs des annales, avec une version somptueuse d’«ESP».

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Avec ses copains les Surrealists, Kim commence à enregistrer en 1988 une série d’albums très ambitieux. Le premier s’intitule Hit Me With The Surreal Feel. En guise de clin d’œil à Captain Beefheart, Kim se fait photographier avec deux poissecailles devant les yeux. On retrouve sur ce disque tout le côté malsain insidieux qui faisait le charme maudit des Scientists. Bel exemple avec «Bad Birth», sa magnifique ambiance pesante et sa guitare en état d’alerte rouge. Franchement c’est admirable. On a là une énormité scientifique traitée à la pure tension de guitare et de basse, un climat digne des Chrome Cranks, c’est du pur jus de déflagration. Kim Salmon reste un artiste profondément dérangeant. Il est réellemet le maître de la menace cisaillante. C’est un puisant prévaricateur. Il faut attendre «Intense» en B pour renouer avec l’intensité. Voilà un cut monté au heavy riff scientifique et hanté par des sacrés coups de guitare frelon en folie. L’ami Kim gueule dans la mélasse, c’est un allumeur d’incendies patenté. Plus loin, on tombe sur «The Surreel Feal» joué à la bonne basse et chanté à la ramasse scientifique. Mais quel son de basse ! Kim fait aussi une belle reprise du «Devil In Disguise» d’Elvis et boucle avec un «Surreal Feal» toujours aussi bien joué par le bassman Brian Hooper. Quel bassman baby !

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Excellent album que ce Just Because You Can’t See it Doesn’t Mean It Isn’t There paru un an plus tard. Kim nous embarque pour Cythère dès «Measure Of Love». Ce mec est un finisseur de cuts, il ne laisse rien dans son assiette. Il ramène toujours un énorme son de basse, qui est l’ingrédient fondamental. Il passe à la sunshine pop avec «Sundown Sundown». Avec Kim, il faut s’attendre à tout, surtout à ce genre de plan extraordinaire, il nous roule sa pop dans une distorse de génie et ça vire à la mad psychedelia. Encore un coup de génie avec «Sunday Drive», pure exaction scientifique, de la vraie rémoulade de Romulus avec une voix en chuchotis. Kim cisaille le réel, il étend son empire et devient le maître universel des ambiances scientifiques, il défie la morale, ça rampe et ça grouille sous le couvert. Il enchaîne avec un «Je t’aime» joué aux accords de Gainsbarre. On assiste là à l’incroyable hommage d’un homme éclairé à un autre homme éclairé. Une fille fait des bruits. Ça se frotte dans les culottes. Kim pousse le jus mélodique de Gainsbarre dans les extrêmes. Et puis à la suite, on retrouve les cuts de l’album Hit Me With The Surreal Feel, et ces merveille que sont «Bad Birth», «Belly Full Of Slys», «Intense» et «Surreal Feel» dont le violent groove de basse continue de hanter les régions reculées du cerveau.

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On trouve deux belles pièces de choix sur Essence paru en 1991, à commencer par «The Cockroach», qui n’est pas le cafard de Charlie. C’est un autre genre de cafard, dissonant et un peu Dada sur le pourtour. «Self Absolution» se veut encore plus Dada dans le dedans. Cette merveilleuse pop ambitieuse semble déployer des ailes rognées de papillon mité. Et pourtant Tony Pola bat. Petit retour à l’Howard’s End de l’esprit scientifique avec «A Pox On You», une belle pop tendue à se rompre, car gothique et inspirée par les trous de nez. En B, Kim vire plus pop avec des trucs comme «Lightning Scary», farci de breaks de talking rap, ou encore «Essence Of You», plus éthéré et même quasiment à l’arrêt. Kim adore dérouter les cargos. Il retrouve quelques vieux réflexes d’agressivité scientifique dans «Looking At The Picture». On se régale par essence et on se lance dans la partance de sa prestance. Il termine ce bon album avec un «26 Good Words», plongé dans une ambiance extraordinaire, encore un cut monté sur une idée brillante, la fameuse idée ampoule des pictos qui éclaire les pas dans les ténèbres du septième cercle. Kim vire hypno avec une élégance non feinte.

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On trouve encore des preuves de l’existence du dieu Kim sur Sin Factory paru en 1993. Eh oui, il faut bien se faire à cette idée : Kim Salmon n’enregistre que des bons albums. Rien que des bons albums. Et pouf, il démarre avec un spectaculaire «I Fell», doté d’un joli son de basse et d’urgences de bas de manche. Kim connaît les ficelles du génie. Son cut est un modèle du genre, avec un pur son de blues-rock illuminé aux feux de plaine, il marmonne ses plaintes grasses et part en vrille de tourbillon sonique de plaie d’Egypte. Sainte-Marie Mère de Dieu protégez-nous de ce démon maléfique ! Mais non, elle ne peut pas nous protéger d’un cut comme «Gravity», car Kim envoie de violentes giclées scientifiques dans l’air chaud. On patauge en plein dans le mythe épais des Scientists, avec un son saturé de basse et des climats privés d’avenir. Kim hurle dans la clameur de la fin du monde et claque des départs gimmickaux dévastateurs. Encore un cut affreusement génial avec «Feel». Pas compliqué, Kim Salmon, c’est le Max la Menace du garage, c’est Jo le Cambouis, le redresseur de stomp et le décrasseur de carburateurs. L’infernal Kim Salmon surmonte toutes les difficultés, il sait anticiper l’apocalypse, la vraie, celle des quatre cavaliers. Il ne vit que pour les ciels chargés. Encore un heavy groove allumé aux gimmicks maléfiques avec «Come On baby». C’est sans doute ce qu’il sait faire de mieux. Il va même hurler au coin du bois. On reste dans le même esprit avec «Non Stop Action Groove», Kim Salmon pose ses yeah comme des jalons dans un délice de jouvence. Avec le non stop action groove, il sait de quoi il parle. Quel extrapolateur définitif ! Il joue ça à l’urgence de la note gluante !

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Un an plus tard paraît Hey Believer. Warren Ellis fait partie de l’aventure. Sautez tout de suite sur sa version de «Ramblin’ Man» qu’il attaque au son mal isolé. Son boogie rampe dans une flaque de sang. C’est admirable de dégueulerie. Il chante ça à la glotte tuméfiée, il dégueule tout ce qu’il peut. Voilà enfin un mec qui sait chanter le boogie comme il faut. Pur génie. Il faut aussi écouter «Hey Believer», il croone à l’imparabilité des choses, il en a les moyens et pas des petits moyens, non, les siens sont astronomiques. Il affiche une classe surnaturelle et on tombe sous le charme. Belle pièce aussi que le cut d’ouverture, «Reach Out», balayé par des guitares déflagratoires, comme au temps béni de Tony Thewlis. Kim nous ramène au bord de son cher précipice et livre une pièce d’une insondable profondeur. Avec «Obvious Obvious», il rend hommage à Dylan, il part en groove de croon et soigne une diction purement dylanesque. Il revient au very big atmospherix avec «You Know Me Better Than That». Il sait que c’est foutu d’avance, car trop underground, comme le sont les Chrome Cranks et Gallon Drunk, mais il y va quand même de bon cœur. Il sait faire preuve de bon sens et d’intégrité supra-normale. Il sait travailler ses cuts à coups d’ah c’mon ! C’est un fieffé leveur de levain - Ahh c’mon you know you’re better zan zat ! - Dans «Pass it On», il pique une violente crise de wha-wha. Il réveille le Krakatoa et en profite pour passer un killer solo qui porte bien son nom. Retour au rampant avec «Treachery», mais du rampant complètement insidieux. Il le traite sur le mode de la perte de raison. Il hurle dans la salive d’une glotte en sang et invente une nouvelle forme de génie : le génie des catacombes. Ça tourne à l’épreuve de force extravagante. Il travaille la pire des sous-gammes de raclements de gorge, il nous emmène dans une cave sans lumière, nous interdit l’avenir et même l’air, même si ça reste terriblement inspiré.

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C’est assez bête à dire, mais le Kim Salmon & The Surrealists paru en 1995 est encore un album indispensable. Ne serait-ce que pour cette stoogerie intitulée «Redemption For Sale» - There’s a cost to be paid by you - On y savoure l’énormité des écarts de conduite. Oui, le cut est complètement dévasté par le son. Il est monté au groove rampant et c’est là l’un des meilleurs hommages aux Stooges qui se puisse imaginer ici-bas. Hommage complet avec ses crises de palu et son dégueulis groovy. Voilà le paradis du lapin blanc. Avec ce hot hit, Kim rallumait la chaudière des Stooges. Il faut l’entendre gueuler Do it d’une voix de cancéreux à l’agonie. Autre coup fumant, «I’m Gonna See You Compromized». Kim et ses deux amis prennent ça au boogie blues du Mississippi. Oui, ils savent le faire. Kim s’amuse même à réinventer le boogie. Il se l’octroie. Il se l’accapare. It’s awite ! Et tout à coup il vomit Yeahhh I’m your own ! - Voilà le boogie de nos rêves inavouables. Il faut aussi écouter «It’s Your Fault», le cut de fin, car c’est du scientifique à l’état pur. On y entend une grosse ligne de basse vénéneuse circuler dans la boue du groove. Kim avance en poussant des Yeah ! Yeah ! Le son se noie dans le jus de basse. Kim a toujours su faire sonner une basse, sur ses albums. On retrouve avec Fault toute la démesure de «Solid Gold Hell». Et puis, on trouve encore d’autres merveilles au fond de cette caverne d’Ali-Baba, comme «I Wish Upon You», joli stomp industriel frappé au marteau pilon des forges et joué à la guitare cromagnon. C’est Brian Henry Hooper qui joue de cette basse un peu métal. Autre pure énormité : «What’s Inside Your Box». Oui, car elle sonne tout simplement comme un balladif de pop interplanétaire. Ampleur garantie. Il faut parfois savoir se rendre à l’évidence. C’est joué aux guitares persuasives, celles dont les Stones ont toujours rêvé. Il se dégage en effet de ce chef-d’œuvre de forts accents de Stonesy. Kit sait conduire un hit vers les cimes de l’underground. D’ailleurs, dès que Kim Salmon joue quelque chose, ça accroche. La preuve ? «Draggin’ Out The Truth». Dès les premières notes, on a l’oreille qui frétille. Car voilà un son puissant, inspiré, scientifico-stoogy. Et ce mec chante comme une superstar, à la croisée d’Iggy et du croon. Il fait aussi une reprise de son «Frantic Romantic» et profite de l’occasion pour le muscler un peu. Avec «Plenty More Fish», il montre tout simplement qu’il ne craint pas d’affronter le destin. Sur ce disque, ils ne sont que trois et ils alignent hit sur hit. «Intense»... Tu parles d’un titre ! Évidemment, il en profite pour marteler. C’est de bonne guerre, avec un titre comme celui-là. C’est même assez brutal. Avec Kim, ça prend forcément des proportions extraordinaires. Il fait même sauter les compteurs et danse le jerk de l’apocalypse.

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Ya Gotta Let Me Do My Thing paru en 1997 est un double album donc double dose de Kim. Et comme si ça ne suffisait pas, Jim Dickinson produit. Inutile d’ajouter que cet album figure parmi les classiques du rock moderne. Car dès «Won’t Tell» qui ouvre le bal, on comprend tout. Ce cut bien amené au petit stomp est chanté à deux voix sur une brillante idée de tension maximaliste. Une fois de plus, on est obligé de parler de génie. Impossible de faire autrement. En plus, il truffe sa syncope de cuivres. Puis il renoue avec le rampant scientifique dans «The Zipper». De toute évidence, Kim cherche la petite bête dans la noise. Il faut voir comme ça rampe dans la pénombre primitive - Down to the zippah - Joli groove de basse. Dans le morceau titre, on entend un solo de flûte. Kim aura tout tenté. Et avec «Alcohol», il reprend de l’altitude - Let’s try to get it back ! - Kim sait faire sonner sa basse ! Encore une belle énormité avec «The Lot», pur jus d’énerverie gorgé de riffing névralgique et éclaté aux gémonies. En prime, Kim nous fait le coup du départ en killer solo. Dans «Guilt Free», il évoque l’histoire d’un homme et de son combat avec sa conscience. Chez Kim tout est intéressant, même les combats. Il reste encore une belle énormité sur le disque 1, «But You Trust In Me», qui sonne comme un Dead Flowers alcoolisé. C’est exactement le même drive. On sent bien la patte de Jim Dickinson. Démarrage en force sur le mini-disk 2 avec «You’re Such A Freak», un joli balladif bien gratté à la basse et mélodiquement superbe. Kim sait créer les meilleures conditions de l’ambiance. C’est même tout ce qu’il sait faire dans la vie. Avec «I’m Evil», il renoue avec la ferveur dylanesque et produits des éclairs de chant insistants. Quel extraordinaire touche-à-tout ! Retour au gros scientifisme avec «Hey Mama Little Sister», cut sale, solide, musculeux, garagiste, superbe d’épaisseur, ce qui peut paraître logique quand on met deux pointures comme Kim et Jim dans un studio. Kim passe ensuite au psyché à la ramasse avec «Radiation» et il boucle avec «A Good Parasite Won’t Kill Its Host», cut expérimental monté sur un groove de machines et tartiné d’un dégueulis de wha-wha. Kim suicide son son, il visite les sous-sols du groove et il sort un son qui évoque le lance-flamme des nettoyeurs de tranchées. En gros, il visite les neuf cercles de l’enfer.

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Nouvel épisode avec un groupe baptisé The Business et un album intitulé Record qui paraît en 1999. L’album vaut le détour pour deux raisons. À commencer par «Disconnected», sanctionné par un heavy riffing mal intentionné et animé par de petits accents sauvages. C’est le Kim qu’on préfère, le loup qui rôde dans la bergerie du groove, avec des yeux méchants et de la pure violence dans le chant. Il faut le dire et le redire : Kim Salmon sait créer l’événement. L’autre raison, c’est «Emperor’s New Clothes», un cut pop-rock embarqué sur un énorme riff de basse. On est convaincu d’avance. C’est joué à coups de basse rageurs et Kim chante à la meilleure mode de Melbourne - That’s how it goes - On dirait même qu’il extrapole le son. Un vrai miracle. D’autres cuts accrochent bien l’oreille comme «Anticipation», scientifique en diable, mauvais et sale, chanté derrière la porte, comme s’il préparait un mauvais coup. Quelle définition de la science ! Kim replonge le rock dans le chaudron du gore et il injecte dans sa fournaise tout un essaim d’abeilles. C’est assez stupéfiant. Avec «Give Me Some Notes Mike», il passe au funk, mais un funk extraordinairement décalé. Avec son équipe, ils se prennent pour Parliament ! Et puis encore une surprise de taille avec «New Kind of Angel», un groove bizarre orchestré aux trompettes mariachi. Ça donne un son intense, comme enflammé de l’intérieur, bien allumé à la basse. Il fallait y penser : basse, trompettes, cocktail exotique et parfait.

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Retour de Kim Salmon sans les Surrealists en 2007 pour un album à la Glenn Branca intitulé Rock Formations. Ce double album propose des instrus joués par cinq guitaristes et deux batteurs. Un truc intitulé «ETI» sort du lot, car le thème éblouit par sa beauté. Kim et ses amis créent une ambiance fantastique orientée sur l’espace et ses mystères. On trouve d’autres choses intéressantes comme ce «Punk Fatwa» qui sonne comme un assaut sauvage à la foire à la saucisse. Kim tente l’aventure avec des intros furibards et ça marche. Place aux aventuriers ! «It Wears A Kilt» ensorcelle avec sa note tirée qui sonne comme le chant d’une sirène. On sent clairement le brillant d’une idée. Kim Salmon fonctionne exactement comme Robert Pollard : à l’idée pure. Il faut écouter son «Alien Chord Orchestra» : c’est joué au big atmospherix tendancieux, avec une volonté très nette de créer la peur. En B, il nous fait la grâce de jouer une reprise lumineuse du «Maggot Brain» de Funkadelic. Et le «Guitarmony Suite» qu’on trouve en D vaut tout l’or du monde.
Comme tous les albums de Kim à venir, Rock Formations est sorti sur Bang!, un petit label basque spécialisé dans les Scientists et le Gun Club.

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Grand Unifying Theory est le dernier album en date de Kim avec les Surrealists. Encore un bon album. On y trouve une pure stoogerie, «Childhood Living», qui débouche sur une atmosphère à la Dolls avec des clap-hands et ça s’endiable, Kim claque le baigneur du meilleur rock de percus. Il est stoogien, à la vie à la mort. Autre coup de Jarnac avec «Predate», monté sur une pulsation démentoïde. Voilà l’un de ses traits de génie : sortir un cut stoogy au débotté, on a là le beat de «1969», c’est tout simplement monstrueux de mimétisme véridique. Encore un coup direct. Kim n’est autre que l’uppercut man du rock moderne, le brasero du rock faithfull, l’homme du pas de cadeau. Il faut aussi écouter ce «Turn Turn» d’ouverture monté au groove de basse, véritable énormité démonstratrice et parallèle. On frise le gras scientifique. Avec «EQ1», Kim nous replonge le museau dans la violence du néant. On croit entendre une charge de cavalerie. Voilà ce qu’il faut bien appeler un retour aux penchants scientifiques. Kim traite ça à la hurlette bestiale, il semble vouloir rameuter tous les démons du rock. Avec les deux parties de «Grand Unifying Theory», Captain Kim nous emmène en voyage tripal dans le néant. Ça dure 21 minutes, on file vers l’inconnu, mais ça reste très intéressant.

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Et 2011, il monte Precious Jules avec Michael Stranges et enregistre l’album du même nom. Force est d’admettre que l’album vaut - une fois de plus - son pesant d’or. On y trouve un véritable hit glam, «Shine Some Darkness On Me» - C’mon shine some darkness down on me - et un classique swamp-rock, «The Urban Swamp», où on entend arriver les alligators. Kim sait de quoi il parle. Il croone son boogaloo, in the swamp, mais pas celui de Tony Joe, the urban swamp. Il crée les conditions d’une magnifique configuration de suspense. Il sait tourner un cult movie en trois minutes. On trouvera aussi trois véritables coups de génies sur cet album, à commencer par «The Precious Jules Theme» d’ouverture. Kim sort tout l’attirail du stomp et roule des r. On retrouve l’esprit inventif du vieux scientifique. Il attaque «A Necessary Evil» en lançant let’s get wasted ! Quel élan ! Il sait tailler sa route. Il se fâche même un peu et ça claque des mains. Precious Jules sonne comme un nouvel El Dorado, et on entend des chœurs de Dells sur la fin du cut. Coup de génie encore avec «Too Uptite» joué à la distorse maximale sur un beat funk. Kim va chercher des effets inédits. Il semble même perdre le contrôle et il part en dérive de syncope. Voilà une nouvelle façon de swinger le garage funk. Il chante aussi «You’re A Backlash» d’une voix de black des bas-fonds. Sacré Kim, il ne peut pas s’en empêcher. C’est visité par un solo gangrené. On appelle ça de la classe souterraine. On l’entend aussi gratter ses accords à l’aveuglette dans «Seein’ Spots». Écoutez les disques de Kim, il sera toujours au rendez-vous.

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Il devait jouer dans Mudhoney, à l’époque où Steve Turner ne voulait plus tourner. Puis le projet a capoté quand Steve Turner a décidé de revenir dans le groupe. C’est cette histoire dessinée en bd qu’on découvre dans Until, l’abum de Kim Salmon & Mudhoney paru sur Bang! en 2011. Kim s’est bien amusé à dessiner cette histoire. Oh ce n’est pas un grand dessinateur, mais on peut dire qu’il a un certain style. Les morceaux enregistrés pour le projet tiennent bien la route, comme ce «I’ll Be Around» d’ouverture bien tenu à la sourdine avec un beau son de basse feutré. L’ami Kim y pulse bien son groove scientifique. On tombe plus loin sur «I Wanna Be Everything», un fantastique balladif. C’est là qu’on mesure l’énormité du mythe salmonien. Ce mec a des idées brillantes et ce cut sonne comme le grand hit planétaire inconnu. Kim chante avec de faux accents de Bowie dans la voix. En B, on tombe sur «The Goose», joliment embarqué au groove de basse par Matt Lukin, le vieux bassman de Mudhoney. Kim fait du Scientism avec les grungers de Seattle. Il leur enseigne l’art de groove de la menace.

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Kim Salmon & Spencer P. Jones enregistrent Runaways en 2013. Fantastique album ! Ils tapent une reprise ultra-inspirée du vieux hit de Wolf, «I Asked For Water». Ils ramènent du son au rendez-vous. Kim casse bien sa voix pour créer la pyschose. Ils enchaînent avec une reprise des Stooges, «I Need Somebody». L’incroyable de la chose, c’est que Kim chante comme Iggy. Il est dessus, avec du rab de guitares électriques. Comme c’est inspiré ! Comme c’est bien vu ! On gagne énormément à fréquenter un mec comme Kim. S’ensuit «It’s All The Same», un joli balladif digne de tous les honneurs, hanté par de faux airs d’«It’s All Over Now Baby Blue», c’est dire la classe du cut. Encore une reprise de rêve avec «Jack On Fire» du Gun Club, et une version laid-back incroyablement démente. Kim en fait un groove de blues dégoulinant de génie. Il chante ça sous le manteau. C’est atrocement bon. Sans doute la plus belle reprise du Gun Club. En B, avec «Loose Ends», Kim s’embarque dans un talking blues à la Lou Reed. Mais c’est dommage, car la B ne vaut pas l’A. Les cuts défilent et puis c’est tout.

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Toujours sur Bang!, Kim vient de sortir son nouveau double album solo, My Script. Il y chante de gros hits glam comme «Destination Heartbreak», admirable d’allure altière, ou encore «Client JGT683», pop-rock magistrale hantée par un son de guitare à la Mick Ronson. C’est le son vainqueur, radieux, ondoyant qu’on adorait à la l’époque des Spiders. Kim chante ça avec un art consommé. Rien que pour ces deux cuts, l’album vaut l’achat, même s’il est cher - les albums Bang! comptent parmi les plus chers, mais les pochettes sont travaillées et les notes bien documentées. On trouve une autre merveille en début de C, «Already Turned Out Burned Out», gorgée de fuzz glam et hantée par une basse survoltée. Kim y part en solo et joue comme un dieu. La chose tourne vite à l’élévation mystico-sonique. Il faut aussi écouter le fabuleux «It’s Sodistopic». Kim y travaille le son avec une sorte de mauvais génie et fait monter la basse devant dans le mix. C’est lui qui joue tous les intrus. Ce disque est absolument passionnant de bout en bout, à condition bien sûr d’apprécier les aventuriers. Il ouvre la D avec un «Gorgeous And Messed Up» merveilleusement ambitieux et il fait le robot dans «Tell Me About Your Master».

Signé : Cazengler, le riki-Kim


Kim Salmon. La Féline. Paris XXe. 11 juin 2016
Scientists. Scientists. EMI Custom Records 1981
Scientists. Blood Red River. Au Go Go 1983
Scientists. This Heart Doesn’t Run On Blood, This Heart Doesn’t Run On Love. Au Go Go 1984
Scientists. Rubber Never Sleeps. Au Go Go 1985
Scientists. You Get What You Deserve. Karbon 1985
Scientists. Weird Love. Karbon 1986
Scientists. The Human Jukebox. Karbon 1987
Scientists. The Human Jukebox 1984-1986. Citadel 2002
Scientists. Pissed On Another Planet. Citadel 2004
Scientists. Sedition. ATP Recordings 2007

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Scientists. Swampland. Bang! Records 2008

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Scientists. This Is My Happy Hour (Birth Of The Scientists). Cherry Red 2010
Beasts Of Bourbon. The Axeman’s Jazz. Big Time 1984
Beasts Of Bourbon. Sour Mash. Red Eye Records 1988
Beasts Of Bourbon. Black Milk. Red Eye Records 1990
Beasts Of Bourbon. The Low Road. Red Eye Records 1991
Beasts Of Bourbon. From The Belly Of The Beasts. Red Eye Records 1993
Kim Salmon & The Surrealists. Hit Me With The Surreal Feel. Black Eye Records 1988
Kim Salmon & The Surrealists. Just Because You Can’t See it Doesn’t Mean It Isn’t There. Black Eye Records 1989
Kim Salmon & The Surrealists. Essence. Red Eye Records 1991
Kim Salmon & The Surrealists. Sin Factory. Red Eye Records 1993
Kim Salmon & STM. Hey Believer. Red Eye Records 1994
Kim Salmon & The Surrealists. Kim Salmon & The Surrealists. Red Eye Records 1995
Kim Salmon & The Surrealists. Ya Gotta Let Me Do My Thing. Half A Cow Records 1997
Kim Salmon & The Business. Record. Half A Cow Records 1999
Kim Salmon. Rock Formations. Bang! Records 2007
Kim Salmon & The Surrealists. Grand Unifying Theory. Low Transit Industries 2010
Precious Jules. Precious Jules. Battle Music 2011
Kim Salmon & Mudhoney. Until. Bang! Records 2011
Kim Salmon & Spencer P. Jones. Runaways. Bang! Records 2013
Kim Salmon. My Script. Bang! Records 2016

*


«  Allo !
- Ah Damie ! Je croyais que tu m'avais oubliée !
- Mais non, mais non ! Tu es inoubliable !
- Oui, des mois que tu ne m'as donné de nouvelles !
- Totalement indépendant de ma volonté, baby. Tu sais la vie d'un rocker est très dure, concerts, disques, bouquins, revues, l'on n'en vient jamais à bout !
- Oui, mais tu pourrais tout de même penser un peu à moi, je...
- Justement, est-ce que ça te dirait un petit bain sur la Seine ?
- Ne sois pas timide Damie, si tu veux me voir en monokini, dis-le directement, je t'attends dès ce soir dans ma chambre.
- Non, non, je suis très sérieux un petit bain mercredi soir sur la Seine !
- Mais tu es complètement fou, avec ce froid de canard, arrête de plaisanter !
- Tout ce qu'il y a de plus sérieux, ma baby belle, mon fromage d'amour, je compte sur toi.
- Fuck ! »

J'ai ressenti comme un soupçon d'hystérie typiquement féminine dans ce dernier vocable. Qu'à cela ne tienne, je suis allé voir ma vieille et fidèle copine stationnée devant la maison.

«  Hello teuf-teuf !
- Salut Damie, quel est le programme pour ce soir ?
- Les Pogo Car Crash Control
- Super, j'adore ce groupe ! Te rends-tu compte qu'ils ont mis le mot voiture dans leur appellation contrôlée. Eux au moins ils savent honorer la gent automobile ! Allez, zou on part tout de suite ! »

Et voici comment et pourquoi, deux heures plus tard je me pointais ce mercredi 25 / 01 /2017 au :

PETIT BAIN / PARIS
DÄTCHA MANDALA / JAMES LEG
POGO CAR CRASH CONTROL

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Franchement à dix-neuf heures trente il ne fait pas chaud sur les quais de Seine au pied de la très grande Bibliothèque François Mitterrand. Faut être un peu barge pour s'y promener, d'ailleurs en toute logique le Petit Bain est une barge amarrée – fluctuat nec mergitur - sur les bords de l'antique Lutèce chère à Julien, notre dernier imperator, reconvertie en restaurant et salle de concert.
L'espace n'est pas grand mais aménagé et pensé avec intelligence, l'on s'y sent bien, mais petit défaut inhérent à sa structure originelle, la scène est un peu étroite. Le public est là. Des connaisseurs.

DÄTCHA MANDALA

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Les gros Marshalls qui encadrent la scène laissent présager que l'on ne va pas assister à un concert de flûtes à bec. Toutefois les tapis disposés sur le sol et toute une série d'objets indiens disséminés avec soin attirent les regards et m'assaillent de quelques craintes. Mandala ! Pourvu que l'on ne se retrouve pas avec des adeptes de Ravi Shankar ! Nos craintes seront vite balayées. JB Mallet s'installe derrière sa batterie, Jérémy Saigne s'empare de sa guitare, et Nicolas Sauvey est à la basse. Et au chant. Surtout au chant. Cheveux frisés, veste à franges, et la voix, aigüe en diable qui monte haut, et qui cascade en secousses telluriques. Le spectre Led Zeppelin s'impose à tous. Il est des fantômes qu'il vaut mieux laisser reposer en paix. N'atteindront jamais au cours de leur set la puissance apocalyptique du Dirigeable mais ils tireront leur épingle du jeu et démontreront que loin d'être une pâle imitation ils possèdent une personnalité intrinsèque et créatrice qui ne demande qu'à s'épanouir.
Si Nicolas attire les regards ses deux acolytes ne restent pas inactifs. Il s'agit bien d'un power trio et chacun a intérêt à assumer sa charge. Chacun son rôle, mais la musique qu'ils édifient exige une extrême attention. Jérémy reste concentré, les yeux fixés sur ses mains, la flamboyance d'un riff tient avant tout à sa précision, sa force lyrique procède de l'ensemble du groupe, l'appui drumique est essentiel en cela, JB, est aux aguets, lui incombe la tâche de porter ces coups de boutoirs qui doivent être aussi des contreforts inébranlables. Peu de roulements destinés à construire un mur du son de base, préfère nettement une frappe d'intervention qui soutient, achève et sculpte le riff, l'accompagnant de bout en bout tout en en marquant surtout la finitude, c'est lui qui clôt la séquence, d'un battement de suspension agonisique qui laisse l'espace de silence nécessaire à l'envol suivant de la guitare.
De sa poche Nicolas extrait un harmonica. Le blues est au fondement de cet heavy-psyké que propulse Dätcha Mandala. S'en tire bien. Même si à mon humble avis, il lui manque cette respiration lente qui reste la caractéristique du blues. Ce milliardième de seconde où tout s'arrête, ce silence oppressif qui donne davantage de violence à la propulsion qui suit. Ce troisième temps invisible qui irrigue le blues de fond en comble et constitue le fil essentiel de la trame existentielle. Si prégnant chez les bluesmen de la première génération, écoutez par exemple Son House si ce que je dis vous paraît obscur. N'empêche que Nicolas emporte la conviction. Pieds nus sur la terre sacrée et vrombissante du blues il électrise l'assistance. Se démène, frotte sa basse sur les amplis, larsène à souhait, nous tire dessus avec sa guitare mitraillette, danse, virevolte, hurle, feule et soupire, avec conviction.

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L'assistance n'est pas au diapason de cette furie scénique que déclenche peu à peu Dätcha Mandala. Les applaudissements seront de plus en plus nourris mais une fois le set terminé, on a l'impression que le public vient tout juste de réaliser la beauté rock'n'roll de la prestation à laquelle il vient d'assister et qu'il flotte dans l'air le regret de ne pas avoir davantage participé à cette fête. Les derniers morceaux seront particulièrement enlevés, Jérémy quitte sa guitare et exécute un impeccable poirier, peut-être pour nous indiquer qu'il faut savoir parfois entreprendre le monde sous un angle d'attaque différent...
Dätcha Mandala nous vient de Bordeaux. Se revendiquent de la musique des seventies. D'avant les Sex Pistols pour être davantage précis, de ce moment où la prégnance des racines dans le rock n'avait pas encore été bousculé par cette volonté hardcorienne de jouer plus fort et plus vite. Où l'on prenait le temps de respirer. C'est vraisemblablement ce parti pris de jouer à rebours des codes actuels en vigueur qui a un peu désarçonné la foule. Mais nous ne nous inquiétons guère. Dätcha Mandala possède l'énergie et la fougue qui lui permettront de triompher. Ont déjà fait leurs premiers pas sur la chaussée des géants.

POGO CAR CRASH CONTROL

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Pas évident de succéder à Dätcha Mandala. Pas de danger, les Pogo ont décidé de couler le Titanic, alors prenez votre bouée de sauvetage et tâchez de survivre jusqu'à la fin du set. Noir total. Les guitares agonisent sur le sol. Et subitement c'est l'enfer. Les Pogo ont pris le contrôle et il est sûr que ça va crasher.

Batterie Godzilla et guitares filles du Kraken, en six secondes les Pogo ont détruit le monde. Mais le pire est encore à venir. Ne se fait pas attendre. Extirpe son abominable face dans le chaos que vomit le vocal d'Olivier. La bouche d'ombre éructe l'ultime menace. L'infâme Cthulhu sort du gouffre. Les Pogo ont brisé les chaînes qui cadenassaient la citerne immémorielle. Et dans la salle les sectateurs du démon qui attendaient depuis si longtemps l'interdite délivrance s'adonnent aux entrechocs d une sarabande dinosaurienne. Les Pogo ont compris l'essentiel, si le rock'n'roll veut exister c'est en tant que démiurge de la fureur. Tout autre voie serait celle du mensonge parménidien.

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Torse nu et sueur reptilienne qui exsude de sa peau Louis Péchinot accentue les battements titanesques de Sebeth l'invincible. Il est la force héphaïstossienne de cette grimace douloureuse que la jeunesse offre comme un crachat de haine à la laideur de l'existence sociétale. Lola Frichet par les pincements cruels et graciles dont elle triture sa basse rappelle cette enfant blonde qui dans le poème de Victor Hugo se penche sur l'abîme pour savoir si l'oeil de Dieu est enfin éteint. Olivier Pernot et Simon Pechinot sont aux guitares ce que les toreros sont au taureau. Sacrificateurs et scarificateurs. Ils jettent des incendies de sel purulent sur la pulvérulescence des plaies de l'adolescence. Et cette voix imprécative dénonce et porte le fer dans les noeuds les plus intimes qui nous rattachent par des liens hojojutsiques au réel du monde et de nos contradictions. 

Les Pogo ont une dimension en plus. Sont conscients qu'il faudrait trancher le joug directionnel de l'existence, par deux fois Olivier proposera de précipiter la barge au fond du fleuve. Il suffirait d'un grand va et vient collectif des deux bords pour déplacer le centre de gravité et susciter la farandole finale. Mais la transe pogotive de l'assistance refusera de se transformer en missile implosif d'intérieur. Parfois la coupure du désir sépare l'acte du fruit. Les temps ne sont pas mûrs et face à l'Innommable les plus courageux reculent.

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Le set des Pogo Car Crash Control est comme une ondée de soufre rafraîchissante. Des images s'imposent et se superposent à nos rétines intérieures. A chacun la sienne, pour moi, un drakkar viking dévasté après l'abordage. Sur le quai, après le concert un petit groupe échange ses impressions. Certains redescendent se procurer leur vinyl. Le groupe s'impose. A ceux qui s'inquiètent du futur du rock.


JAMES LEG

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L'on installe un gros orgue Fender Rhodes au milieu de la scène et face à lui l'on monte vitesse grand V, un kit de batterie. Les artistes seront de profil. Original binôme. James Leg et Mat Gaz entrent sous les applaudissements, deux grands types dégingandés, tous deux porteurs d'une longue crinière, autant celle de Mat lui tombe en soyeuses cascades bouclées sur les épaules, autant celle de James, graisseuse à souhait descend autour de son cou tels de visqueux serpents vénéneux.
Et le groove commence. Bien gras, soutenu par une batterie omniprésente. Soul à mort, James possède une belle voix éraillée. Le public marque la cadence, en extase, surtout les filles, faut dire que James présente une belle dégaine, l'a du charme et du charisme. Perso je commence à m'ennuyer. C'est beau, c'est bon, c'est bien, mais ça ne me transcende pas. La qualité mais pas le souffle qui vous emporte au paradis ou en enfer. James martyrise un peu toujours les mêmes touches de ses deux claviers. Unité de de ton, de lieu et d'action, mais au final l'ensemble finit par être monotone.
Quarante minutes, courte pause et reprise, n'y a que l'avant-dernier morceau qui s'envole un tantinet. Sinon l'on reste dans un mid-tempo musicalement correct. En y réfléchissant, c'est la programmation qui est boiteuse, après les deux grandes secousses des deux premiers groupes l'on tombe dans la mer des Sargasses. Soyons juste, l'assistance en est sortie satisfaite. Mais en poussant la conversation je m'aperçois que certains ont déjà dans le passé assisté à plusieurs de ses prestations bien meilleures...


Damie Chad.

( Photos : Brian Ravaux ImmortalizR )

 

BYE BYE ELVIS
CAROLINE DE MULDER

( Actes Sud / 2014 )

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Froid de loup sur les trottoirs de Fontainebleau. Un panneau salvateur, Comptoir à Musique, s'offre à moi. Davantage de livres que de disques. Des CD mais pas de quoi faire le bonheur d'un rocker. Par contre les prix sont sympathiques entre deux et trois euros cinquante. J'en ressors avec ce roman. Pris par acquis de conscience pour Elvis, parce que les auteurs qui le brandissent en produit d'appel sur la gondole de leur couverture afin d'appâter le lecteur je préfère ne pas vous dire combien cela m'horripile. Un tour sur Wikipedia, Caroline De Mulder a écrit un livre sur le tango - scrongneugneu – mais aussi une thèse sur Leconte de Lisle, poëte majeur du dix-neuvième siècle stupidement dédaigné par nos futiles contemporains, j'en déduis que tout n'est pas totalement mauvais chez cette jeune femme. Donc je lis. D'une traite. Bien écrit, elle a du style, vous avez envie de savoir la suite. Parfois je suis hypocrite, comme vous je connais la fin. Enfin, juste la moitié.
Des livres de cet acabit nous en avons déjà chroniqué deux sur KR'TNT ! Complot à Memphis ( livraison 29 du 02 / 12 / 2010 ) de Dick Rivers. Très bon, qui raconte comment Elvis s'échappe du cirque parkérien pour pouvoir vivre une vie tranquilloute dans l'anonymat le plus complet, mais au tout début de sa carrière, et celui de Stéphane Michaka ( livraison 188 du 08 / 05 / 2014 ), Elvis sur Seine - la première mouture parut en 2011 et la deuxième en 2014 - qui envisage la même hypothèse de départ que Caroline De Mulder, la fausse mort d'Elvis qui pantoufle pépère dans la bonne ville de Paris. Z'oui, mais si vous devez n'en lire qu'un privilégiez celui-ci.
C'est comme dans les Histoires de Hommes illustres de Plutarque, deux vies en parallèle. Chacune suit son chemin, un chapitre sur Elvis, un chapitre sur John White. Et l'on recommence. En corollaire celle d'Yvonne veuve éplorée peu fortunée qui s'en vient trouver une place de gouvernante auprès de ce John White. Les fans d'Elvis ne seront pas perdus. La moitié du roman retrace la vie du King, il est facile pour les fans à simple lecture de retrouver dans quel livre notre auteur a pioché tel ou tel détail. Très honnêtement elle vous met sa bibliographie en fin de volume. De toutes les manières, la littérature est davantage un travail de réécriture que d'écriture. Les novateurs sont rares. Ce qui n'empêche pas d'appuyer sur certains aspects que l'on veut mettre en évidence. Pour Caroline De Mulder ce sont les origines prolétariennes d'Elvis. Fils de la misère, d'un père qui n'a qu'un goût fort modéré pour le travail – ce en quoi nous le comprenons - et d'une mère hyper-protectrice. Une espèce d'amour incestueux qui ne sera jamais conscientisé ni même charnellement esquissé. Le pauvre Elvis porte une autre croix, la culpabilité d'avoir survécu à son frère jumeau, d'avoir pris en quelque sorte la place de son aîné. L'aura du mal à se dépatouiller de cette existence qui ne lui appartient pas tout à fait. Surtout que la vie ne lui fait pas de cadeau, lui offre tout sur un plateau, la richesse, la gloire et surtout ce qui touche de plus près à sa condition charnelle d'être humain, les filles et les femmes. Comment refuser de tels dons du Ciel ! Elvis en consommera en grand nombre mais sa sexualité est dominée par l'obsession d'un désir de pureté qui n'est peut-être que l'échappatoire et l'expression d'une insoutenable contradiction, ne profite-t-il pas de faveurs indues ? Les filles s'offrent à lui, mais l'aiment-elles pour Lui ou pour son statut iconique à l'origine dévolu à son frère ? Et pourquoi Dieu a-t-il permis cette substitution ?

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Pour John White, tout est beaucoup plus simple. L'a une personnalité, des traits de caractère, une corpulence, une richesse, une addiction médicamenteuse qui ne laissent aucun doute au lecteur. Ressemble à s'y méprendre à Elvis Presley. Ce ne peut être qu'Elvis. La seule qui ne s'en aperçoit pas, c'est évidemment cette godiche d'Yvonne. Restera plus de vingt ans auprès de lui. D'employée elle passe au rôle de mère protectrice ce qui pour Elvis équivaut à...
Un journaliste rock lui ouvre les yeux. Mister White n'est autre qu'Elvis, trop tard, John White a disparu et... lisez le bouquin pour savoir. Dick Rivers n'a-t-il pas sorti un disque qui se nomme L'Interrogation ? Nous touchons ainsi par l'entremise de Caroline De Mulder aux vertus de la littérature qui n'est pas de fournir les réponses aux questions que de prime abord vous ne vous seriez pas posées ainsi, mais de vous pousser à vous interroger sur les atermoiements du possible. Ô mon âme n'aspire pas à l'immortalité... début de cette citation de Pindare que Valéry plaçait en exergue du Cimetière Marin. La mort nous ferait-elle davantage question que le sexe à Elvis ?


Damie Chad.