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13/01/2016

KR'TNT ! ¤ 264 : PRETTY THINGS / JIM AND THE BEAMS / CACTUS CANDIES / JANIS JOPLIN / ROCK'N'ROLL

KR'TNT ! 

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 264

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

14 / 01 / 2016

 


PRETTY THINGS

JIM AND THE BEAMS

THE CACTUS CANDIES

JANIS JOPLIN / ROCK'N'ROLL


LE PETIT BAIN / PARIS ( 13 ) / 19 – 12 – 2015

PRETTY THINGS

 
OH YOU PRETTY THINGS

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Tout le monde sait que David Bowie se faufilait jusqu’au premier rang pour voir de près les Pretty Things. Tout le monde sait aussi qu’il leur a dédié «Oh You Pretty Thing» (sur «Hunky Dory») et qu’il a repris «Rosalyn» et «Don’t Bring Me Down» (sur «Pin Ups»). Comme le rappelle John Lydon dans «Anger Is An Energy», les Pretties étaient bien meilleurs que les Stones. D’ailleurs, David Gilmour en rajoute une couche : the Pretties made the Stones look tame. On se souvient tous que «Parachute» fut classé meilleur album de l’année par Rolling Stone. Vous savez aussi que les Pretties furent bannis à vie de Nouvelle Zélande. Et malgré tous ces titres de gloire, Phil May et Dick Taylor errent toujours dans les ténèbres de l’underground. Ce qui nous arrange, car on n’aimerait pas être obligés d’aller les voir jouer au Stade de France.

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Vous verrez les Pretties dans des petites salles, ici et là, parfois dans des bleds improbables comme Cléon, à côté de Rouen. Il y a de cela deux semaines, ils jouaient au Petit Bain, une péniche accostée au pied de la Grande Bibliothèque. Eh oui, les Pretties mangeaient à la cantine du Petit Bain, dans la plus conviviale des ambiances. On était au bar. Phil, Dick et toute la bande mangeaient juste à côté, à deux mètres.

Un mec d’un certain âge se trouvait assis à côté de nous au bar. Comme il nous avait vu serrer la pince de Dick puis de Phil, il nous demanda :

— C’est les Pretty Things ?

— Non, c’est les Animals !

Ça a failli mal tourner. Les gens n’ont plus d’humour.

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Phil May sourit toujours, malgré une récente alerte. Dick Taylor trimballe toujours sa dégaine de prof de philo à la retraite, mais attention, quand il est sur scène, il joue comme un démon. Il a un son et semble jouer avec plus de hargne aujourd’hui qu’à l’âge d’or des Pretties. Pendant le concert, on entendait des gens s’interroger sur son âge, avec une légère pointe d’ironie dans le ton. Évidemment, si on a soixante-dix ans et qu’on monte sur scène pour jouer du garage, on s’expose. Ça fait jaser dans les villages. Mais cinquante après, Dick Taylor joue toujours «Rosalyn» et «Don’t Bring Me Down» avec la même ferveur, et il nous refout exactement la même chair de poule qu’en 1965. C’est vrai qu’on adorait aussi «The Last Time», «My Generation», «Sha La La Lee», «I Can’t Control Myself» et «You Really Got Me», mais «Midnight To Six Man» avait ce petit quelque chose de plus qui générait une sorte de sentiment d’appartenance. On se sentait profondément concerné par le wild beat des Pretty Things. Il y avait là quelque chose qui relevait directement de l’identitaire. Avec Little Richard et Jerry Lee, les Pretties traçaient une sorte de triangle définitif, les frontières d’un monde bien défini qui allait accueillir d’autres héros, du genre Stooges & Sonics, Charlie Feathers & Bo Diddley, et tous ceux qui nous ont aidé à vivre et même à survivre.

Et chaque fois qu’on a revu les Pretties sur scène, il s’est produit le même miracle : l’émergence d’un très fort sentiment d’appartenance. Voilà, c’est le monde qui nous correspond. C’est l’eau du poisson et l’oxygène du cerveau. Quand Phil May est sur scène, il cesse immédiatement de vieillir. Il redevient le soul shaker de haut rang et claque son tambourin, comme si rien n’avait changé depuis 1965.

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Les Pretties proposent aujourd’hui un set assez complet. Ils jouent «The Same Sun» tiré du dernier album et quelques bricoles tirées de «SF Sorrow», dont un «Old Man Going» fondu dans «£SD». Ils font deux ou trois blues acou, mais quand ils tapent dans les vieux coucous, je vous garantis que ça monte directement au cerveau. Au premier rang se trouvait le mec qu’on avait vu pleurer d’émotion au concert de Martha Reeves. Un peu plus loin, encastré dans l’angle de la scène, un autre fan des Pretties sembla transfiguré par le bonheur lorsque Phil attaqua «Don’t Bring Me Down». Et quand il a lança Midnight, le souvenir d’un Jean-Yves devenu soudain psychotique vint se glisser dans la pétaudière. C’est vrai qu’on n’avait pas besoin d’être pleins comme des vaches pour jerker comme des cons sur Midnight. Ça faisait partie de l’ordre des choses. Une sorte de réflexe africain.

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Bon, on ne va pas repasser tous les albums des Pretties en revue, car on les connaît comme le loup blanc. Par contre, il paraît nécessaire d’évoquer la parution récente d’un «Live At The BBC» plus complet que celui paru précédemment. On a cette fois quatre disques qui couvrent la carrière des Pretties depuis l’époque Fontana jusqu’à l’époque Swansong. Cette rétrospective est cruciale pour deux raisons. Un, c’est l’occasion d’entendre le vrai son des Pretties, car les groupes qui enregistraient à la BBC jouaient leur va-tout et n’avaient pas le droit à l’erreur. On l’a constaté dans le cas des Only Ones, de Bowie, d’Hendrix, des Vibrators et même des UK Subs : leur son est bien meilleur dans les BBC Sessions que sur les albums studio. Et deux, les fans des Pretties boudaient un peu les albums de la période Swansong, à cause du côté boogie trop présent, mais les versions enregistrées pour la BBC vont tous nous réconcilier avec ces trois albums («Freeway Madness», «Silk Torpedo» et «Savage Eye»).

Le disc 1, c’est l’ère classique. Ils tapent dans le swing des caves avec «Big Boss Man». Ils sonnent comme des dieux. S’ensuit «Don’t Bring Me Down» qui est la Mecque du garage. Basse/batterie, montées de fièvre, tout est parfait. Phil fracasse «Roadrunner» avec un talent fou et Vivian Prince fait son petit festival. Tout le monde sait qu’il fut le modèle de Keith Moon. Il fut surtout la source de folie du groupe. Apanage du garage fatal avec «Buzz The Jerk» - You buzz around - Phil chante ça sous le boisseau. Il y a deux versions de «Midnight To Six Man» sur ce disk 1. N’écoutez surtout pas la première qui est un peu ramollo. Avec la deuxième, ils sortent le vrai son. Ils jettent toute la viande dans la balance, c’est gorgé de violence et de passages d’accords définitifs. Phil est la voix du garage - Sure not comes around - Quel blast ! Le «Turn My Head» qui suit vous donnera le vertige. Trop d’énergie. C’est battu comme plâtre. En cet instant précis, les Pretties dominent le monde. On passe à l’époque suivante et on retrouve l’Angleterre magique avec «Defecting Grey» et les scintillements psyché. On ne se doute pas à quel point «SF Sorrow Is Born» peut être explosif ! Quelle évolution dans la révolution ! Rien que pour cette version, il faut rapatrier le coffret. Pour «She Says Good Morning» aussi, car la version est toute aussi dévastatrice. La puissance des Pretties n’en finira plus de vous subjuguer. Et «Balloon Burning» est voyagé de l’intérieur par un solo cavaleur de Dick Taylor. Puis ils passent aux choses sérieuses avec «She’s A Lover» (tiré de «Parachute») et enchaînent avec le heavy shuffle de «Sickle Clowns». C’est l’enfer selon les Pretties - hey hey - voilà le groove de cave visité par un solo beau comme un ange déchu. On reste dans la magie proto-punk avec «Cries FromThe Midnight Circus», le pur jus du pur jus - Can you hear me ! - C’est prodigieusement démentoïde et lié par du gros solo gras - Can you hear me/ I’m telling you games - Le problème, c’est que tout est bon sur ce disk. On ne s’en sort pas.

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Les disk 2 vous mettra aussi au tapis. Ils attaquent avec un pur hit de génie mélodique, «Peter/Rip Off Train». Il faut voir comme ils explosent le rip off ! Ils restent dans la veine de «Parachute» qui est quand même l’un des fleurons du rock anglais. Ce cut est bardé de chœurs qui claquent au vent. Avec «Love Is Good», on a encore de la pop anglaise incroyablement mélodique. C’est digne des Beatles de l’âge d’or. On a là un départ en refrain qui vaut celui de «Hey Jude». Ils ont exactement la même ampleur que les Beatles. C’est à la fois grandiose et magistral, tout est démesuré là-dedans, les lignes de basse, le solo d’effarance et les relances perpétuelles de bouillonnement évanescent. «Summertime» sonne aussi comme un coup d’éclat, avec ses harmonies vocales claquées au zénith du rock anglais. C’est une fantastique giclée de bluebirds in the sky et de bluebirds in your eyes avec un Pete Tolson qui torche du solo flamboyant. On a là la meilleure pop d’Angleterre. Le «Stone Hearted Mama» qu’on n’aimait pas à l’époque reprend ici des couleurs. C’est dense et sacrément inspiré. Les Pretties jouent avec un sens du beat éhonté. Eh oui, ils swinguent depuis l’origine des temps. Ils reviennent au garage pur avec «Cold Stone» - We’re going down slow ! No rest for me ! - ça sent la punkaillerie de Covent Garden ! Et c’est torpillé par un solo vénéneux. Attention à la version d’«Onion Soup» qui se trouve à la suite... C’est incroyablement dévoyé - I got onions in my soup/ I got zebras in my zoo - On a tout ici, le solo féroce et la basse de jazz, les Pretties rockent à la vie à la mort, ils sortent une version monstrueuse qui explose de jus. Ils retapent même un petit coup de «Rosalyn» histoire d’asseoir leur suprématie, et plus loin, ils explosent «Route 66». Avec une nouvelle version de «Peter/Rip Off Train», ils se montrent carrément dignes de Brian Wilson. Pur génie bardé de guitares.

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Sur le disk 3, ils tapent dans des cuts de «Freeway Madness» comme «Religion’s Dead». C’est Jon Povey qu’on entend au piano. Phil swinge bien le chant et puis ils s’adonnent à l’un de leurs jeux favoris : l’emballement. Ils visent le final exemplaire. On s’aperçoit avec les morceaux de cette époque que le Pretties explorent des territoires infinis. Ils intensifient jusqu’à la nausée, mais ils tiennent toujours admirablement la distance. On entend sur ce disk 3 une nouvelle version d’«Onion Soup» dans laquelle ils télescopent les ambiances garage et psyché. Ils filent sous le vent et vont chercher les échappées psychédéliques. Ils font aussi une version dévastatrice de «Route 66». Un bon conseil, planquez-vous ! Car ils démolissent tout sur leur passage. Quelle énergie ! Phil fend le vent. Jamais Jagger n’a fendu le vent comme ça. Le piano prend feu. Les Pretties prouvent une fois de plus qu’ils sont de véritables démons. Écoutez aussi cette nouvelle version de «Religion’s Dead», car Phil y écrase les syllabes de Religion pour en faire jaillir le jus. C’est un fantastique exécuteur de basses œuvres. On a aussi une nouvelle version d’«Onion Soup», mais cette fois, elle est complètement explosée aux guitares. C’est même la version la plus guitaristique de l’histoire des Pretties. Quand on aime ce groupe, on écoute ça avec une certaine forme de religiosité. Même dans les longs cuts à rallonges, ils maintiennent un niveau de sauvagerie qui n’a jamais existé chez les Stones. Comparez cette version d’«Onion Soup» avec «Midnight Rambler» et vous en tirerez vous-mêmes les conclusions qui s’imposent.

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Sur le disk 4, on va se régaler de «Come Home Mama» et de la pure violence du boogie des Pretties. Pas de meilleur groupe anglais sur cette terre. Ils explosent tout à la foison des bouquets d’argent. C’est drivé au beat cavaleur. On a du Phil en pagaille et des filles qui chantent, des tambourins, de l’entrain, des cheveux qui volent, du génie et de l’huile de coude. Quel joli fatras ! Et avec «Dream/Joey», on retrouve ces explosions d’harmonies vocales dignes de celles des Beatles, soutenues par le piano de Jon Povey. Tout dans ce cut est très chanté et très évolué. C’est même totalement extravagant. Phil pousse son bouchon d’unisson très loin et fait tout basculer dans une ambition démesurée. On tombe plus loin sur un autre joli balladif à la Pretties, «Belfast Cowboys/Bruise In the Sky». On le suit à la trace, évidemment, et Phil relance tout à l’unisson. On sent chez lui une réelle fascination pour les Beatles. Les versions de cette époque sont beaucoup plus longues, mais terriblement riches, très fouillées, pleines de chant et d’instruments. Il reste à se taper l’incroyable version de «Singapore Silk Torpedo» tiré de l’album du même nom. C’est Jon Povey qui l’amène avec un thème de piano et ça tourne à la fixette sous acide. En tous les cas, c’est ainsi qu’on vivait ce truc à l’époque et soudain, ils lancent une grosse attaque digne des Who, oui, Phil chante comme Daltrey. On admire les vainqueurs du rock anglais, ça explose une fois encore, c’est battu à la cloche désordonnée par Skip Allan et on voit passer un solo de brute. C’est le festival des cannibales et vient l’extrême apothéose. Phil danse là-dedans, un pied dans le garage et l’autre dans le génie.

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On connaît bien les albums officiels des Pretties, mais quand on va fureter dans les chemins de traverse, on fait de sacrées découvertes. En 2008, nos amis les Pretties enregistrèrent un album de reprises intitulé «Rocking The Garage». Parmi les invités, on comptait des Inmates et monsieur Eddie Phillips, la légende à deux pattes des Creation. Phil et Dick n’y vont pas par quatre chemins : ils tapent dans tous les plus gros classiques du genre, à commencer par «He’s Waiting» des Sonics. L’enfer ! Puis c’est au tour de «Strychnine» de passer à la casserole - Strychnine is good - C’est sûr. Ah vous aimez les Seeds ? Voilà une sacrée version de «Pushing Too Hard». Phil la pushe bien - On me ! - C’est la meilleure niaque d’Angleterre. Un petit coup de «Kicks» (Paul Revere) avant de sauter sur «Candy», version fulgurante jouée aux guitares kill kill kill - I want candy - Ils font du Bo. C’est tout ce qu’ils savent faire dans la vie. Comme leurs amis Keith Grant et Don Craine des Downliners - aussi présent sur cet album - leur raison d’être, c’est le Diddley beat et les loud guitars, le snarl d’effarance et le blasting toxico à gogo. Si vous aimez tout ça, alors ce disk vous comblera. C’est Matthew Fisher qui fait le tu tu tu tu légendaire de «96 Tears». Phil se fond dans le groove du vieux Rudi. Quelle classe ! On peut dire que tous ces mecs, Phil, Dick, Rudi, Sky, Eddie et Gerry auront créé un monde. Et quel mondo bizarro, amigos ! Phil fait son cry cry cry qui nous renvoie au temps béni des surboums endiablées, quand on jerkait comme des branleurs dans nos petits futs à carreaux et dans nos boots à élastiques. Les Pretties font même une accélération de fin de cut qui pourrait bien incarner le désordre mental, tel qu’on l’entend dans les théories scientifiques. Voilà encore une belle pièce de snarl : «Let’s Talk About Girls». Phil est dessus, comme l’aigle sur le putois. C’est lui le shark des Dents de la Mer. Il bouffe les Chocolate tout crus. Et paf, on s’y attendait, voilà les Standells avec Good Guys. Le dandysme des voyous. Phil ? Oh ça lui va comme un gant de cuir noir. Mais tout cela n’est rien à côté de la version d’«I’m A Man» qui suit. C’est la perle noire de cet album intenable. Eddie Phillips sort de sa retraite et vient faire son vautour du larsen. Il attend pour placer sa note mortelle comme au temps béni de «How Does It Feel To Feel». On l’entend, il est là, il monte en puissance, oh Eddie, héros fantasque ! Et il prend un solo de psyché a-po-ca-lyp-tique. Il nous plonge au cœur de la mythologie du rock anglais, dans la racine du hêtre. Eddie Phillips déclenche toutes les alertes. C’est d’une puissance pénultième qui dépasse notre pauvre langue française.

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Une autre merveille est passée à la trappe et c’est Mike Stax, l’éditeur d’Ugly Things, qui s’est dévoué pour sortir sur son label le fantastique album que les Pretties ont enregistré avec leur ami français Philippe Debarge en 1969, entre «SF Sorrow» et «Parachute». Phil et son ami Wally Waller n’en finissaient plus de composer des petits chefs-d’œuvre de pop psychédélique et il suffit d’écouter «You’re Running You & Me» sur cet album pour en avoir une petite idée. C’est du psyché à l’état pur, le cru de base, l’essence de la pureté du son d’Angleterre. Victor Unitt joue dans sa cage. Il est agacé. Il se cogne aux barreaux. Il joue n’importe quoi dans la violence de son animalité. Phil fait des backings déments. On assiste là à l’éclosion du psyché du diable. Autre énormité : «Eagle’s Son». Phil fond sa voix dans cette panacée d’avancée glauquissime. C’est l’intrusion du psyché gluant dans la vulve anglaise, c’est fondu aux voix extrêmes, terrifiant d’allure et d’allant, pulsé dans l’exégèse de la genèse et Vic vient jouer là-dedans comme un chien galeux dans un jeu de vieilles quilles vermoulues. Que voulez-vous de plus ? Avec «Graves Of Gray», on est dans le pur Parachute des échos de voix mordorées. Le cut d’ouverture est lui aussi somptueux, tambouriné à outrance et visité par un serpent de fuzz signé Victor Unitt, le guitariste récupéré dans le Edgar Broughton Band et qu’on va entendre faire des siennes sur «Parachute». Justement, dans «Alexander», ils amènent les fabuleuses harmonies vocales de «Parachute». Vic sort un son métal d’ersatz d’étain que lustrent les backing de Phil. «I’ll Never Be Me» se noie dans l’énormité du son. Aucune chance de survie et les Pretties réservent le même sort à «Monsieur Rock (Ballad Of Phillip)». Offrez-vous la version vinyle, car la pochette est à l’image du disque : somptueuse.

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Autre merveille passée à la trappe : «The Electric Banana Sessions (1967-1969)», qui date de la même époque que l’album enregistré avec Philippe Debarge. D’ailleurs on retrouve «Alexander» et «Eagle’s Son» sur cette compile. On a deux versions de chaque titre : la version chantée et la version instro. Inutile de vous dire que les versions instro valent le détour. C’est à ça qu’on voit les groupes qui savent jouer. Chez les Pretties, tout n’est que luxe, punch et volupté. Wally Waller broute «Alexander» à la basse. C’est Twink qui beurre la foison. Dans «I’ll Never Be Me», on subit le violent assaut d’une intro de basse, puis la SF sorrowtisation des choses. Les Pretties sonnent comme des heavy Beatles, ça édifie les édifices. Qui d’autre qu’eux aurait pu inventer un tel concept ? On voit rarement un tel scintillement de cymbales. Dans «Eagle’s Son», on assiste à l’explosion des chœurs. Il y a de l’épinard dans leur psyché. Phil et ce démon de Wally chantent sous le vent. Ils sont terrifiants de longilignité et d’allure solaire, au sens de l’ancienne Égypte psychédélique des disque d’or du temple d’Amon. Et comme si cela ne suffisait pas, Dick Taylor joue le pire solo de pourriture psyché qu’on ait vu ici bas. Encore un classique immémorial avec «Blow Your Mind». Wally devient nerveux à la basse et Dick virevolte comme un poulet décapité, il joue dans les coins, se cogne dans la distorse, ils sont vraiment tarés de jouer comme ça au télescopage dans ce délire foutraque de psyché britannique. Bizarrement, la version instro est encore plus alarmante. Et ça continue avec «Rave Up». Phil et Dick savent torcher le cul de la démence. Il n’existe rien d’aussi sauvage, à part peut-être «Come See Me». Ils attaquent «I See You» au prog anglais des Moody Blues et ça atteint rapidement des proportions spectrales extravagantes. On ne saurait espérer plus beau psyché d’excavation d’albâtre et d’ambre à la carbonara. Avec «Street Girl» ils renouent avec la sauvagerie, ça pète à la pétouille, c’est gratté à la gratouille, pulsé à la pulsouille d’arsouille, brisé à la brisouille, c’est incroyablement excitant, c’est chanté à la menace et traité au psyché de rêve. Dick suit Phil partout. Ils sortent une sorte de psyché de caprice des dieux - Hey sweet girl - Phil relance toujours ses troupes à l’assaut d’une gloire qui se refuse à eux comme le ferait une pute mal formée au métier. On se régale du jeu de Dick dans «A Thousand Ages From The Sun», il ne laisse aucun blanc derrière Phil. ll joue en continu avec une sorte de candeur antique. On tombe ensuite sur le fameux «Walking Down The Street» repris par les A-Bones. C’est jerké jusqu’à l’os. Et ils finissent avec «Danger Signs», du British beat de la pire espèce, le pur jus des Pretties des origines, digne de Motown et de toutes les caves de boum, comme si Motown se fondait dans la cave. Insurpassable.

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Cette année, les fans des Pretties sont comblés car vient aussi de paraître un double DVD «Live At Rockpalast». On y trouve trois concerts filmés en Allemagne en 1998, 2004 et 2007. Au fil des trois sets, on voit le line-up changer : en 1998, c’est encore le line-up de «Parachute» : Phil, Dick, Wally, Skipper et Jon Povey. Le line-up de 2007 a évolué : Phil, Dick, Wally, Frank Holland et le petit batteur Jack Greenwood. Depuis, Wally a quitté le groupe et le jeune George Woosey l’a remplacé. Les trois concerts sont solides. C’est du full blown-Pretties, tel qu’on a pu l’apprécier en France ces dix dernières années. Les attaques de Dick sur «Roadrunner» et «Route 66» restent des modèles incomparables. En 2007, ils font encore «Baron Saturday» sur scène et Dick le chante toujours merveilleusement bien. Mais ils ne retrouvent pas la magie du Baron original enregistré à Abbey Road : Twink était assis incroyablement bas derrière son kit, les épaules jetées vers l’arrière, il jouait avec une sorte de nonchalance sidérante pendant que Phil et Jon Povey jouaient les percus (Twink remplaçait Skipper qui était resté en France avec une poule). Ils font aussi une fantastique version de «Midnight Circus». Dommage qu’ils ne jouent plus ces vieux classiques aujourd’hui. Ils finissent le set de 2007 avec «Rosalyn» - Yeah Rosalyn/ Tell me where you been ! Ça dure quasiment quatre heures. On ne s’ennuie pas une seule seconde.

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En plus de tout cela, les Pretties continuent d’enregistrer de nouveaux albums. Petit coup d’œil sur «Balboa Island» paru en 2006. C’est là qu’ils tapent dans le blues d’acou et qu’ils commencent à rendre hommage à Robert Johnson. Ils ont une fantastique approche, Dick Taylor sait jouer au bottleneck. Leur «(Blues For) Robert Johnson» vaut le détour, de même que «Living In My Skin», pure bluesy motion contemporaine. Ils passent au heavy boogie avec «In The Beginning» et délivrent un final explosif contre-balancé aux chœurs d’artichauts. On retrouve la terre ferme avec «Mimi» qui est du pur jus de Bo. Dick ne s’embarrasse pas, le Diddley beat passe partout. Cet album est donc une sorte de fourre-tout, car on y trouve aussi une reprise de Dylan et un gospel. On a clairement l’impression qu’ils s’amusent comme des gosses. Mais on retrouve la magie des Pretties vers la fin avec «Dearly Beloved», une beautiful song à l’Anglaise, imprévisible et magistrale qui sonne comme un hit dès l’intro.

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À l’intérieur de la pochette de leur dernier album, «The Sweet Pretty Things (Are In Bed Now Of Course)», on voit leurs vieux amplis Selmer rescapés des sixties. Et ils démarrent avec «The Same Sun», une énormité psyché bardée d’écho et digne de «Parachute». Ils donnent le ton. Avec «And I Do», on a une fantastique bouillasse de chœurs. Les Pretties ont appris à créer les conditions de la grandeur épique. C’est trop riche, beaucoup trop riche. Comment faire pour apprécier un son si plein ? Ils nous désemparent. Ils reprennent «Renaissance Fair», tiré du grand «Younger Than Yesterday» des Byrds et le «You Took Me By Surprise» de Sky Saxon. C’est du très grand art. On sent la poigne des vétérans de toutes les guerres. En prime, on a un solo de wha-wha vertigineux. Ils restent dans la pop de rang royal avec «Turn My Head». On réalise une fois de plus qu’ils naviguent au même niveau que les Beatles, mais en plus, ils s’arrangent toujours pour bricoler des fins grandioses.

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Comme dessert, nous avons un coffret. Et quel coffret ! «Bouquets From A Cloudy Sky» est tout simplement le coffret de l’île déserte. Bien sûr, comme dans tous les coffrets, on trouve des conneries, des espèces de posters et des repros de documents à caractère anecdotique, mais dans celui-ci, vous aurez un gros livre signé Mike Stax, qui est certainement le meilleur spécialiste des Pretties (il suffit de se plonger dans la collection d’Ugly Things dont les premiers numéros proposaient des interviews de John Stax, Phil May, Wally Waller, etc.). On a là cent pages bourrées à craquer de photos des Pretties dont bien sûr des inédites. Et Stax conclut son histoire ainsi : «They’re still the art school outsiders, immune to fashion, immune to commerce, immune to compromise, filling out our grey streets with bouquets from a cloudy sky.» Et incrustés dans l’épaisseur de la deuxième et de la troisième de couve du livre, on trouve quatre disques : deux audio et deux DVD. Alors, attention, car là on ne rigole plus. Les deux disques audio proposent des rareties, comme par exemple une version ultra sauvage de «Mama Keep Your Big Mouth Shut», des cuts tirés de l’album sur-produit «Emotions», mais sans les effets qui ont coulé l’album. En écoutant «Bright Lights Of The City», on voit SF Sorrow se préfigurer. Wally composait déjà avec Phil. S’ensuit une version r’n’b de «Out In The Night» que Phil termine en apothéose en yeah-yeahtant. On entend aussi un truc incroyable : une cover du «Why» des Byrds enregistrée à Hyde Park par Nick Saloman, alias The Bevis Frond. Les Pretties semblent faire les Byrds mieux que les Byrds ! Voilà du pur chaos psychédélique. Et c’est peut-être là où on peut tracer un parallèle entre les Pretties et Moby Grape : même destin de groupe surdoué et poissard, même sens des harmonies vocales et même classe. Avec «She Says Good Morning», on sent bien que les Pretties sont au sommet de leur art. Quel son ! Et on retrouve le fameux «Alexander» qui est en fait une véritable machine de guerre. On a vraiment l’impression qu’ils démontent la gueule du rock. On ne se lasse pas de ce tourbillon d’harmonies vocales. On rencontre rarement un tel mélange de puissance rythmique et d’effervescence harmonique. On trouve aussi sur ce premier disque une version live de «SF Sorrow Is Born» enregistrée en Hollande. Des gens réclament «Don’t Bring Me Down» et Phil répond : «We got a cut from our new LP, SF Sorrow is Born !» Cette version est battue à la vie à la mort et jouée à la meilleure psychedelia du monde. Dick veille au grain et Wally voyage dans le son. Terrifiant ! On trouve aussi sur ce disque des cuts de l’album enregistré avec Philippe Debarge et, miracle, les démos de «Parachute». Rien que pour ça, on peut investir. Wally et Phil vivent à l’époque à Westbourne Terrace et ils enregistrent leurs démos sur un Revox. On entend donc tous les hits de «Parachute» joués et chantés à deux, au mieux des harmonies vocales et des coups d’acou. Wally gratte ses notes magiques. Tous ceux qui ont vénéré «Parachute» doivent vraiment écouter ça. C’est la genèse de l’album. Wally gratte à la finesse de l’extrême glissé. Il faut bien parler de génie, ici. Ils jouent aussi «Cries From The Midnight Circus» dans leur piaule. C’est invraisemblable de rootsisme. On est aux racines du mythe. Ils font ça à deux avec du tchi-ki-tchik et ça marche. La menace rôde.

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D’autre merveilles guettent l’amateur sur le disque 2. À commencer par d’autres démos post-Parachute inédites. «Seen Her Face Before» est une pop incroyablement mélodique et ambitieuse. Pour «Everything You Do Is Fine», Pete Tolson vient jouer du gras à Westbourne Terrace en 1971. On sent une certaine grandeur d’âme chez les Pretties. Ça sonne comme le hit inconnu de l’Arc de Triomphe. Ils jouent «Cold Stone» à la cloche de cendrier. Fabuleuse démo. Pete Tolson est un excellent guitariste, plein d’à-propos. On tombe plus loin sur «Wild And Free». Wally a quitté le groupe, mais il nous reste le jeu de Peter, gorgé de jus. En démo, il joue et il surjoue, c’est un diable. Il fait du gras de jus multiplexe, il joue dans tous les coins, il noie le cut dans le son, mais Phil s’arrange toujours pour rester à la surface. Encore un bel inédit avec «Spider Woman», et on retrouve avec un plaisir non feint «Joey» tiré de «Silk Torpedo». On arrive un peu plus loin à l’époque du retour avec «Rage Before Beauty». Il faut se souvenir que les sessions de l’album ont duré 18 ans. «Holding On To You» est un outtake de l’album. Avec «Chain Of Fools», ils font Aretha. Phil s’en sort avec les honneurs. On finit avec la perle du disque 2 : la reprise d’«Helter Skelter», cut intouchable par excellence. Eh bien si, Phil y touche. Il en fait une version monolithique. Attention, c’est bardé de guitares psyché. Phil le prend sous le menton avec des yeah yeah yeah, il ne hurle pas, il le fait à la Phil - Tell me tell me the answer - C’est un cut qui peut hanter les esprits.

Et la fête continue avec les deux DVD. Le premier est un docu admirable, bardé d’interviews - Dick : I met Keith at 16. Then we met Brian Jones. Brian had already a band - Il parle bien sûr de Keith Richards, avant les Stones. On voit aussi John Stax toujours en vie à Melbourne. Portrait bouleversant de Brian Pendleton qui fut recruté via une annonce dans le Melody Maker - Brian was more of a jazz guitarist - et on saute en l’air en voyant les Pretties jouer «Big Bos Man», le jeu swingy de Viv, le jeu snaky de Phil, le jeu syncopé des jambes de John, le jeu appliqué de Brian et le jeu ultra-gibsonique de Dick. Phil rappelle que Viv fut le premier à quitter son kit sur scène pour ramper avec ses baguettes. Il tapait partout, même sur le dos de Phil qui rampait lui aussi -He drummed my back ! He did the lot - Oui, Viv Prince fut le premier batteur fou des Pretties. Dick ajoute que Keith Moon était au premier rang - Phil : Viv had this Pretty Things spirit - Et on assiste alors à un vrai show des Pretties filmé en Hollande en 1965, au Blokker Festival, avec les émeutes et les flics, plus les Pretties sur scène donnant une belle leçon de sauvagerie, avec John Stax grimpé sur un piano pour jouer de l’harmo, Viv rampant par terre avec ses baguettes et Phil à genoux complètement out of his brains. Puis on voit arriver les hits, «Rosalyn» écrit par Jimmy Duncan, «Don’t Bring Me Down» écrit par Johnny Dee qui se baladait dans Londres au volant d’une big american car, «Honey I Need», mis il n’y a pas de place pour les Pretties au sommet des charts, car c’est l’époque où les Stones et les Beatles les monopolisent. Viv fait le con, il est viré, et Phil hésite entre Skip Alan et Mitch Mitchell. Skipper est aussi bon que Viv, alors il est pris, et en prime, il fait aussi le batteur fou - He turned absolute lunatic - Voilà «Midnight To Six Man» et surtout «Come See Me», qui restera l’étalon or du garage. On les voit jouer ça dans une rue, on entend les gros coups de fuzz dans Baby I’m your man, et Dick descend aux enfers pour y placer un solo d’antho à Toto. Après «Emotions», Brian disparaît, puis c’est au tour de John Stax qui ne voulait pas jouer de psyché de disparaître. Alors Phil récupère son copain d’enfance Wally et son pote Jon Povey qui jouaient alors dans les Fenmen. Puis c’est la rencontre avec Norman Smith et les sessions à Abbey Road qui vont conduire à «SF Sorrow» - Norman Smith wanted to do with us what George Martin did for the Beatles - Quand ils sont à Abbey Road, Phil explique que d’un côté il y avait le Floyd qui enregistrait Piper et de l’autre les Beatles. Et c’est là où on tombe sur le clip magique : l’enregistrement de «Baron Saturday» à Abbey Road avec l’incroyable jeu dégingandé de Twink, lequel Twink ne restera pas longtemps dans les Pretties, puisqu’il repartira pour de nouvelles aventures avec les Pink Fairies, laissant la place libre pour Skipper, rentré en Angleterre après son escapade érotique avec une Française.

Sur le second DVD, on a le fameux SF Sorrow live at Abbey Road, avec Arthur Brown qui fait le narrateur, Skipper on drums, Frank Holland, Dick et Wally on bass. Et comme dans la version originale, c’est Dick qui chante «Baron Saturday», histoire de nous repropulser, une fois de plus en 1968.

Signé : Cazengler, pretty nothing

Pretty Things. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 19 décembre 2015

Pretty Things. Balboa Island. Zoho 2006

Pretty Things/Philippe DeBarge. Ugly Things Records 2009

Pretty Things & Friends. Rockin’ The Garage. Floating World 2008

Pretty Things. The Electric Babanana Sessions (1967-1969) Enigmatic Records 2011

Pretty Things. Live At Rockpalast. DVD Repertoire Records 2014

Pretty Things. The Sweet Pretty Things (Go In Bed Now Of Course). Repertoire Records 2015

Pretty Things. Live At The BBC. Repertoire Records 2015

Pretty Things. Bouquets From A Cloudy Sky. Madfish 2015

Sur l'illusse, de gauche à droite : Viv Prince, Brian Pendelton, Phil May, John Stax et Dick Taylor.

 

Le 3B / TROYES / 09 - 01 – 2016

JIM AND THE BEAMS

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D'habitude la route de Troyes est déserte. De temps en temps l'on croise une automobile juste pour se souvenir que l'on n'est pas le dernier rescapé d'une catastrophe nucléaire sur cette planète. Mais là, ce soir, c'est un défilé ininterrompu de bagnoles qui se suivent à toute blinde et m'éblouissent de leurs phares. A force de rouler dans mes méninges suspicieuses, l'angoissante question du pourquoi de cette mystérieuse affluence routière en provenance de la capitale de l'Aube, je finis par trouver la réponse. Mais oui ! bons dieux paillards de l'Olympe ! comment la vérité ne s'est elle pas révélée un peu plus tôt ? Une évidence. Premier weekend des soldes de janvier. Les fameux magasins d'usine de la cité troyenne. Mon cerveau se met tout seul en pilotage philosophique. Je ne comprendrai jamais mes contemporains : comment peuvent-ils se déplacer en masses compactes pour acheter la mode d'avant-hier et des artefacts confectifs à des tarifs dont l'énormité défie toute concurrence quand on sait leur prix de revient au Bangladesh et autres pays similaires ? Bien sûr il y a les décotes sublimes de trente à cinquante pour cent, voire plus, qui doivent nous rappeler que le reste de l'année, ces mêmes objets nous sont proposés à des sommes prohibitives. Au début du dix-neuvième siècle Pierre-Joseph Proudhon affirmait que la propriété était le vol. Deux cents ans plus tard la situation a évolué, c'est l'appropriation prolétarienne des objets de consommation courante ( ce qui n'a rien à voir avec celle des moyens de production préconisée par notre anarchiste de service ) qui est devenue une entreprise de racket généralisée. Opération main basse sur les portefeuilles des pauvres, consentants. On vous le met jusqu'au trognon, et en plus vous êtes contents, certains d'avoir fait des affaires ! Merci, messieurs les actionnaires. Mais il est temps de déployer la problématique raisonnementale, et point subsidiaire, en son entier : comment peut-on passer son après-midi à Troyes - à gaspiller ses maigres ressources en parures vestimentaires superfétatoires - alors que le soir-même, au 3 B, vous avez un concert de rock and roll gratuit ? L'inconséquence de mes concitoyens m'étonnera toujours.

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Comme par hasard ce soir, au 3 B, l'assistance n'est guère pléthorique. La cohorte des habitués mais guère plus. D'autant plus regrettable que l'on a repoussé les murs. Bye-bye les banquettes et les tables carré-mastoc remplacées par des guéridons circulaires. Un espace moins confiné pour les musiciens, et une mini-piste de danse et de déhanchements divers pour les excités. Autre bonne nouvelle nous retrouvons avec plaisir, Jim and the Beams. Comme quoi, doit être écrit sur le grand livre de la bêtise universelle que l'être humain chérit davantage les haricots de sa misère que les poutres de son bonheur.


JIM AND THE BEAMS

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Sont là tous les quatre. A tout seigneur tout honneur Jim, droit comme un I majuscule. Une barbe de sapeur. Taillée à la hache. En règle générale les rockers ont toujours un oeil rivé vers le haut, surveillent leur banane, Jim n'a pas ce souci, en possède deux, latérales, une sur chaque joue, ses cheveux longs retombent librement derrière sa tête, une dégaine pas possible. Cyril est à sa gauche à la guitare, électrique comme il se doit. Gretsch rutilante au bout des doigts. Resplendissante. Amarante. Surtout quand on la compare à l'électro acoustique de Jim. Doit aimer les vieilles boiseries, qui ont beaucoup vécu. Une Gretsch. Idem pour José derrière, batterie Gretsch, des gars malins qui ont dû racheter la boîte, ou alors des aficionados. Vince est à gauche, oeil bleu, casquette d'apache en couvre-chef, sa fidèle contrebasse à ses côtés, bois vernis, la classe.

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French rockabilly group. Le rockab est une musique à part entière. Embêtante. C'est comme l'omelette ou la crème chantilly. Ou vous la réussissez du premier coup ou vous la ratez, à jamais. Dans le deuxième cas, c'est la déconfiture totale. Sinon, c'est un délice, une merveille, une rareté. Mais c'est comme le paradis, beaucoup d'appelés et peu d'élus. Quoique entre nous soit dit, ce serait plutôt la porte des enfers. Une véritable fournaise. Si vous ne supportez pas la chaleur, allez écouter les valses de Vienne, parce que ce soir nos quatre lascars ils ont leur idée du rockabilly et ont envie de nous montrer ce qu'ils savent faire.

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Un, deux, trois, c'est parti. Jim lance l'attaque. Les cordes du haut résonnent comme le hennissement d'un étalon sauvage qui appelle sa horde dans un défilé des Rocheuses. Et tout de suite c'est le grand galop. Cyril pourrait arriver avec ses gros sabots et prendre la tête. L'est plus subtil. Ne s'impose pas. Il intervient, tout en souplesse, tout en doigté. Fait miroiter des éclats par intermittences. Mais l'on guette ses interventions, du vif-argent, des touches légères mais indispensables. Des éclairs de lumière radieuse – les fameuses taches jaunes des Poésies de Joseph Delorme - qui percent la pénombre. Et puis il y a Vince. La contrebasse s'apparente au piano. L'existe deux sortes de concertistes, ceux qui font vibrer les cordes et ceux qui font sonner le bois. Vous pourriez croire à la manière dont Vince tape ou empoigne la crinière de sa big mama, qu'il est un partisan du vrombissement des élastiques, certes, mais écoutez bien, entendez mieux, c'est beaucoup plus perceptible dans les solos, trop rares, c'est le bois qui chante et claque. Une sonorité de branche cassée, de bûche qui craque et pète quand les flammes de la cheminée l'enserrent, des notes rêches mais prolongées, le genre de sons que Bartok recherchait dans ses quatuors à cordes pour donner sensation de vitesse et d'à-coups successifs, l'onde et les quanta. La lumière de l'oreille.

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Reste José. Je le présente en dernier, car il est l'homme heureux par excellence. Hilare, sourire aux lèvres et rire aux gencives. Peut-être un clown triste à l'intérieur. Je ne sais pas mais un drummer de bronze à l'extérieur. L'a beau se marrer ne perd ni le nord, ni le bord de ses cymbales. Ne se contente pas de marquer le rythme, donne de l'amplitude au moindre de ses battements, la pulsation et la chair qui emballe le coeur.

C'est bien de les présenter un par un, mais un combo de rockab se doit d'être un tout organique. Faut un liant, ce sera la voix de Jim. Elle coule ambrée comme un filet de Sky. Balancée, binaire mais jamais monotone. C'est un des secrets du rockab, le rock balance et roule, le roulis et le tangage. S'il en manque un, ou si l'un écrase l'autre et l'empêche d'exister, vous vous sentez mal et vous dégobillez votre quatre heures sur le champ.

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Vont nous offrir trois sets. Trois bibelots d'airain rockab comme l'on n'en fait plus. Une large palette mais uniformisée par un goût sûr et souverain, cela oscille comme le prolongement d'une fausse ballade – car trop appuyée – country cowboy, un peu à l'ouest de Johnny Cash, à la nervosité de Crazy Cavan, leurs titres originaux se fondant à merveille dans la cavalcade. D'ailleurs à la fin de chaque entracte, faut voir comme tout le monde se dépêche de rappliquer. Le troisième set se finit en apothéose, Annie aux maracas, Duduche au tambour, et Jean-François au chant en impro, qui s'en tire comme un chef. Jim and the Beams, nous repartons quatre rayons de soleil plantés dans le coeur. Merci les gars.

Damie Chad.

( Photos : FB : Nathalie Gundall )

 

THE CACTUS CANDIES

 

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Attention, ça pique ! Un nouveau groupe qui monte. Pour le moment stationné dans la région nantaise. Pas des inconnus. Des figures déjà remarquées chez KR'TNT ! Soyons galant, place à la demoiselle. LilOu, elle est jolie, mais ce n'est pas le plus grave, elle possède la voix que vous avez toujours rêvé d'avoir. Nous vous renvoyons à notre chronique de l'album des Pathfinders – sobrement intitulé Pathfinders - ( in Kr'tnt ! 174 )une monstruosité rythm and blues, combien d'aussi réussis en ce genre cuivré ont-ils été enregistrés en France ? Je préfère ne pas répondre. Si vous avez un faible pour le rock rapportez-vous ( in Kr'tnt ! 178 ) à notre chronique du concert fabuleux, toujours des Pathfinders, à Réalmont ( 81 ) le 20 juillet 2014.

Deuxième figure charismatique : Mister Jull, le lead guitar des Ghost Highway, disparus des radars, le maître des studios BLR, et enfin le dénommé Max que je ne connais point et dont je ne vous dirai rien.

Un trio de choc. Commencent à tourner, vous pouvez les retrouver sur leur facebook. Parfois sur scène, peuvent être rejoints par Jean-Pierre ( Boogie-Lou ) Cardot au piano et Gaël à la batterie.

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Quel genre de sucreries nous préparent les Cactus Candies ? Du western honky tonk de derrière les fagots, Faren Young and Pasty Cline en ligne de mire pour vous donner une idée. Deux super musicos, je n'oublie pas Lil'lOu qui martyrise sa guitare comme si elle lui brûlait les doigts, mais elle chante avec une telle énergie qu'elle vous emporte au royaume des cowboys sans que vous puissiez vous y opposer. Ni retour en arrière, ni prophétie avant-gardiste, même pas d'aujourd'hui. Intemporel. A suivre. A la trace.

Prometteur.

Damie Chad.

 

JANIS

LITTLE GIRL BLUE

AMY BERG / 2015

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Janis ! Il y a des jours où l'on ne rajeunit pas. Par tous les diables de l'Enfer et toutes les bouteilles de Southern Comfort bues par les assoiffées de la planète, j'ai déjà vu un fiim intitulé Janis. Non pas The Rose avec Bette Midler sorti en 1979 et que je n'ai pas regardé parce que je n'aime pas les ersatz, mais bien avant. En fait un documentaire canadien d'Howard Alk paru en 1974. De lointaines remembrances, étrangement me reviennent les images sûrement les moins intéressantes, la star Janis Joplin de retour dans son collège et visiblement peu heureuse de se retrouver en face de si mauvais souvenirs...

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Amy Berg a mis six ans à monter le film. Pas une fiction. Un documentaire. Mais avec des plus qui n'étaient pas disponibles voilà quarante ans pour Howard Alk. A adopté le système de Joe Boyd dans A Film About Jimmy Hendrix de 1973 : les extraits de concert, les interviews de l'artiste, et la parole donnée à tous ceux qui avaient connu Jimmy, famille et musiciens. A l'époque c'était le pied : en plus de l'Injun Fender on avait droit à Little Richard, Pete Townshend, Eric Clapton et Lou Reed, tout cela pour la modique somme d'une place de cinéma à prix étudié pour étudiants désargentés... Mais entre les deux films, il y a une sacrée différence. A l'époque le cadavre d'Hendrix était encore chaud comme de la braise ardente, de nos jours les os de Janis sont refroidis depuis belle lurette... Pour Hendrix et Janis la différence n'est pas bien grande. C'est pour les témoins que la situation tourne au drame. Vous les voyez caracoler sur les images, tout beaux, tout jeunes et plouf, trois seconde plus tard ils répondent aux questions. Sacré coup de vieux. Vous les croisez au coin de la rue, vous faites une prière pour spécifier aux puissances divines que vous ne voulez absolument pas leur ressembler. Horreur des horreurs, les irréparables outrages de l'âge sont passées par là et ce n'est pas joli à contempler. N'y a que David Niehaus – le dernier ( ! ? ) petit ami de Janis qui offre encore une dégaine de jeune homme, minceur macrobiotique et charme irrésistible de dandy. Pas étonnant que lors de leur première rencontre Janis l'ait interpelé en le qualifiant de beau gosse.

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Mais il convient de commencer par le commencement. Le cocon familial. Le foetus agglutineux dont on ne sort que rarement indemne. Amy Berg ne nous ménage pas, la soeur en premier témoignage et un vidéo-clip de la mother pour finir la procession. Laura s'est mise sur son trente-un pour distiller ses sororales analyses. L'anti-Janis par excellence, guindée comme un guidon de vélo, un maintien de bourgeoise consommée, dans son tailleur bleu elle ressemble à sa propre caricature, trimballe sur son visage les stigmates du puritanisme américain. Quant à la mère sans profondeur, toute de noir vêtue, qui lit avec une componction désolée la lettre d'une fan de Janis qui vient d'apprendre la disparition de la chanteuse, l'a un air de croque-mort. L'enterre sa fille une deuxième fois. Car deux précautions valent mieux qu'une, et il ne faudrait pas qu'elle ressorte de sa tombe.

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La petite Janis n'a pas de chance, en plus du boulet familial à traîner, l'en a un second, qui la touche de très près, charnel pour tout dire. Elle-même. Peut se regarder dans la glace tant qu'elle veut, le miroir ne lui dira pas qu'elle est la plus belle. Physique ingrat de boulotte mal dans sa peau qui ne s'accepte pas. Une tare congénitale. Notre physique ne serait-il pas la traduction formelle de notre âme ? Va faire en sorte que l'intérieur et l'extérieur correspondent. Prend les mauvaises manières. Exunt la politesse et la sagesse. Jure comme un charretier devient une gamine têtue qui ne renonce jamais à s'opposer au désir de bienséance parentale. Avec l'âge, la situation ne s'améliorera pas, se met à écouter les disques des réprouvés de l'Amérique blanche, Big Mama Thornton, Bessie Smith, Odetta... le blues s'immisce en elle sans qu'elle le sache vraiment. A l'université d'Austin elle se fait remarquer – pas positivement – cette fille du Texas est une adepte affirmée de l'émancipation des noirs... C'est à Austin qu'elle essaie de s'adonner aux vertiges de ce que Rimbaud appelait la vraie vie : alcool, amphétamines, sexe, poésie, musique, revendication féministe... Mais comme tout albatros qui se respecte elle a besoin d'air et d'une vie plus tempétueuse. C'est à San Francisco qu'elle s'enfuit, dans cette grande ville qui ne tardera pas à focaliser les regards de la jeunesse du monde entier, qu'elle se libère et se brûle un peu trop les ailes. Retour chez les parents, ravis de la récupérer, mais elle ne retardera pas à repartir...

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C'est lors de ce second séjour à San Francisco que Janis devient Joplin. La chanteuse folk qu'elle était, la passionnée de country blues trouve enfin le médium qui lui permettra d'exprimer la rage bouillonnante qui lui brûle les entrailles : le rock and roll ! Une musique enfin capable de recevoir et d'accueillir l'amplitude sonore de l'énergie qui l'habite. Et puis de l'expulser hors d'elle afin de la partager avec tous. C'est toute une philosophie de la vie que San Francisco est en train d'expérimenter. Musique, drogues et sexualités sont à envisager comme des vecteurs d'ouverture au monde. Se réaliser soi-même, afin de donner pleinement aux autres. La contre-culture hippie prend son essor.

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Dans le courant de l'année 1966, Janis devient la chanteuse du groupe Big Brother and the Holding Company. Dès le premier concert il apparaît qu'elle est appelée à en devenir le leader. Ce qui ne sera pas sans conséquence sur la suite de l'aventure. A l'idéal hippie des garçons s'opposera le désir immodéré de reconnaissance de Janis. Ce n'est pas qu'elle ait les dents longues, aucunement l'idée de faire carrière, mais Janis a besoin d'être rassurée. Une spirale psychologique qui la pousse à s'élever sans cesse vers le haut alors que ce mouvement salvateur et échappatoire qui l'exhausse n'en finit pas de creuser et d'approfondir le gouffre inextinguible qui se creuse en elle. Janis danse sur un volcan. Parfois elle est elle-même le volcan.

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La voir et l'entendre sur scène. Transcende ses accoutrements un peu ridicules aujourd'hui, colliers, perles et cheveux emmêlés, un look négligé soigneusement mis au point et totalement vintage mais quand on compare avec la dégaine d'Amy Winehouse, il n'y a pas photo, l'anglaise a du chien, et l'américaine l'air d'un cocker malheureux privé de ses croquettes. Oui, mais filez-lui un micro et la bête reprend le dessus. Elle vous crache le blues à la gueule, en une seconde elle se métamorphose en une lionne qui cherche le combat. Elle éructe, même chez Bessie il y a toujours un côté geignard et plaintif, ce fonds de commerce du blues des matins blêmes, Janis le désosse, le pulvérise, le blues devient une arme de guerre, tranchante et contondante, une machette à la lame dégoulinant du sang. Se fraye un chemin en force. Rancœurs et frustrations expectorées deviennent des armes de jet qui vous atteignent en plein plexus, sans crier gare. Avec Janis, l'été de l'amour se transforme en celui de la haine qu'elle vous crache à la figure. Sans rémission. Pour la dentelle vous faudra repasser, n'en fait pas ou alors elle la tricote à coups de missiles tomahawks, prends mon blues en plein dans la gueule et sois heureux d'être encore vivant.

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Et illico l'autre rappliqué, le bâtard de son père, le branleur de service, l'ébranleur de sévices, cet enculé de rock and roll, une petite frappe qui vous passe à tabac – vous avez l'impression que l'esprit vous sort des narines comme de la fumée de cigarette, Janis s'en sert pour ponctuer ses coups de reins, et ses coups de freins brutaux, elle en dynamise et dynamite le blues, derrière les musicos sont à son service, ont intérêt à suivre et à ne pas perdre le fil de l'histoire, demi-tour de tête et tout s'arrête la tour de Pise s'effondre, mais tout de suite c'est les bulldozzers qui entrent en action pour repousser les gravats. Janis est le grand opérator, parfois le plateau est envahi de danseurs, faites gaffe à ses coups de pied qu'elle lance pour arrêter la machine. Si vous le recevez dans les roubignoles, pouvez prendre le poste de castrat à la Scala de Milan.

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Malgré votre voix de fausset, vous n'aurez pas le prix d'interprétation, sera dévolu à Janis. Elle ne chante pas, elle interprète, elle est la chanson. Endosse tous les rôles, celui de la chatte énamourée qui se retrouve devant la chatière bloquée, et qui étire son miaulement de femelle en manque comme un jour d'ivrogne sans whisky. Elle est la reine qui captive tous les regards. Elle mime avec la voix. Elle dessine avec le gosier. Elle peint à fresque, couleurs violentes et criardes. Pluies torrentielles de joies et torrents de peines, fêtes extatiques et colères explosives.

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N'a enregistré que trois disques de son vivant, le quatrième sera posthume mais depuis les éditions live n'ont pas manqué. Elle sera présente aux deux rendez-vous mythiques de l'ère hippie, Monterey et Woodstock. Le début et la fin. Les trois coups et la descente du rideau. All the beautifull people à Monterey. Amy Berg en profite pour montrer ce que Janis a volé à Otis Redding. En rock le vol n'est que l'autre nom de l'inspiration. Prédatrice. On ne se refile pas le bébé. On le kidnappe et on le garde. On ne demande pas de rançon. A Monterey Janis est encore une éponge qui apprend. Tout ce qui rentre fait rage de ventre. Ce sera le point ultime de l'initiation. Journée de sacre. Deux années plus tard, c'est une personnalité reconnue qui monte en scène. L'impératrice. Beaucoup plus fragile que l'on ne pourrait l'accroire. Janis a réalisé son rêve. Personna grata incontournable. Faut entrer dans les coulisses du cerveau pour comprendre qu'elle n'en est pas plus heureuse que cela. Elle a monté le gros caillou jusqu'au plus haut sommet de la montagne. Et le rocher est toujours devant elle. Ce n'est pas une question de descente. Ni d'acide, ni de scène, ni de déclin. L'on peut pousser de toutes ses forces, mais en fin de compte l'on se retrouve devant soi. Le problème ce n'est pas la roche tégumentaire que vous repoussez, le problème c'est que vous êtes l'énorme gravier qui vous bloque le passage.

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Amy Berg ne suit pas la vulgate communément admise. Selon laquelle l'on devrait se réjouir de l'overdose qui l'emporte assez tôt avant que les stigmates de la déchéance n'apparaissent au grand jour. Détruite par la drogue, rongée par l'alcool, les derniers mois de Janis auraient été une lente dégradation. Certes elle a connu ce passage à vide qui suit les grands moments d'excitation, cette dépression qui vous saisit lorsque vous avez atteint votre but et que vos désirs sont rassasiés. Mais non, Amy Berg s'acharne à démontrer le contraire. Montage serré et plans orientés. L'héroïne a remporté plusieurs victoires, l'a détaché de ses amis, ceux qui tenaient le plus à elle, mais elle aurait fini par dompter le cheval sauvage. La dernière prise aurait été selon les dires de Paul Rothchild le président d'Elektra, sa maison de disques, non pas une rechute, mais un dernier petit plaisir qu'elle se serait octroyée après une bonne et grosse journée de travail au studio. Aurait profité d'un moment de ce moment de solitude dans sa chambre d'hôtel pour se livrer à un innocent retour en arrière sur une partie de sa vie dont elle entendait tourner définitivement la page. N'était-elle pas en attente de David Niehaus, l'homme qu'elle aimait et la rendrait heureuse...

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Le plus terrible c'est que les deux alternatives proposées – le soir funeste d'une vie échouée, l'aurore radieuse d'un futur immédiat enchanté – vous nagez en les deux cas en plein chromo. Teinte rose ou lavis noir. C'est toujours la morale puritaniste qui triomphe. La punition de vos actes qui s'abat comme un couperet de guillotine ou la lumière renaissante d'une vie pardonnée. J'ai du mal à entrevoir Janis en gentle born again... L'époque ne s'y prêtait guère, ce phénomène ne se développera vraiment qu'à la fin de la décennie suivante. Le mot d'ordre des septante était de jouir sans entraves. J'ai du mal à entrevoir la prêtresse hippie suivre la courbe repentante de l'égérie du punk. Les discours de Patti Smith sur l'amour que l'on se doit de se porter les uns aux autres me sont aussi insupportables que le fonds de bondieuserie catholique de Ségolène Royal. Avec tout de même le fait que Ségolène n'a jamais enregistré Horses. C'est au choix de son cheval que l'on juge la cavalière.

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Moins artiste – même si dans ses interview Amy Berg insiste sur le souci collectif de la démarche artistique de Janis – que Patti qui quelque part n'est qu'une intellectuelle frappée par la foudre du rock, Janis est d'une autre nature. Elle est la foudre. Peut éclater en sanglots sous forme de pétards mouillés de temps en temps, mais est capable de lancer des éclairs tonitruants et d'allumer des incendies destructeurs au-dedans de nos têtes. La vie de Janis Joplin ne pouvait pas être un long fleuve tranquille. Si elle avait survécu, sans doute aurait-elle connu un parcours chaotique. Pour renaître de ses cendres le phénix doit d'abord accepter de périr.

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Le film est à voir. Indispensable document d'une époque révolue. Nous parle encore de l'âge d'innocence du rock. Une indéniable existence carbonisée, menée à toute allure sur les tambours du blues et du rock and roll. Un sentiment de fête et de délivrance tellement fort que l'on pourrait croire que la réalisatrice nous raconte la fiction d'un monde meilleur.

Damie Chad.


ROCK'N'ROLL

RICHARD HAVERS / RICHARD EVANS

( Fetjaime / 2011 )

 

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Un titre aussi radicalement concis et essentiel sur l'étalage du bouquiniste, vous conviendrez que c'est tenter l'ours avec un pot de miel. Certes Richard Havers est plutôt connu pour ses livres sur le jazz, qu'il a d'ailleurs parfois réalisés avec Richard Evans. Ce dernier, davantage dans nos cordes. Dans le staff des Who pendant presque quatre décennies. Le genre de carte de visite qui chez KR'TNT ! inspire le respect. Ne nous emballons pas pas, les Editions Fetjaine, ce n'est pas Le Mercure de France. Surfent sur l'actualité. Les sujets qui vendent. Ou alors les niches captives. Public ciblé mais assez nombreux. Sont spécialisés dans le haut de gamme. Prolétarien. Pas trop cher, mais pas le premier prix – du grand format, couverture rigide, photos couleurs et documents d'époque, du texte mais pas les cinq mille pages du Rameau d'or de George Frazer, l'on préfère l'article qui regorge d'anecdotes amusantes ou scandaleuses tout en délivrant un lot d'informations non négligeables. Le connaisseur s'y sent comme chez lui, et le néophyte en ressort ébloui devant tant d'érudition. Si possible, on rajoute un truc en plumes qui mousse, le gadget souvent inutile, le cadeau Bonux qui pousse à l'achat. Cette fois-ci un CD encastré dans la couve, vingt titres incontournables du rock. C'est eux qui le disent, mais comme j'y trouve Be Bop A Lula de Gene Vincent, je me laisse convaincre sans trop de difficulté.

Faut reconnaître que c'est bien fait. Il y a quarante ans, vous auriez froidement abattu vingt-huit personnes pour entrer en possession d'un tel trésor. Ce qui n'était que le début de vos difficultés, car vous auriez dû vous en fader la traduction. N'y avait que les rosbifs assez frappés pour vous pondre un tel bouquin. Et aucun french editor capable de l'inscrire à son catalogue. Aujourd'hui vous le revendriez sans état d'âme à la prochaine brocante du quartier. Un phénomène constitutif de nos temps modernes, un mouvement incoercible dont déjà dans les années soixante-dix le toulousain Raymond Abellio anticipait la venue en attirant l'attention de ses contemporains sur l'incoercible mouvement de dévoilement intégral des théories ésotériques les plus secrètes... Mais cela nous entraînerait trop loin. Vers la fin du dix-huitième siècle, alors que le livre couvre avant tout la glorieuse période des fifties. Ne sait pas trop par où commencer, mais s'achève d'une manière très précise et très symbolique, le 17 avril 1960, date de la mort d'Eddie Cochran.

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Très bonne fausse bonne question. Quel fut le premier titre de rock and roll engendré en ce bas monde d'infamie qui je le rappelle reste notre lieu de résidence privilégié ? Nos deux compères nous rappellent qu'en 1922 Trixie Smith enregistre My Man Rocks Me, elle ne manque pas de nous apporter à l'instant mais entre parenthèses toutes les précisions indispensables With One Steady Roll, ce qui nous rassure tout de suite sur la manière de s'y prendre de ce monsieur dont le prénom ne nous est pas dévoilé. En tout cas, un fameux enregistrement, très jazzy – je ne sais pas qui tient le tuyau, mais c'est du pur sirop d'érable qui coule de sa bouche. La dame a tout de même enregistré avec ce que l'on ne peut pas appeler des demi-pointures, Louis Armstrong et Sydney Bechet. Les amateurs de fumettes diverse et variées rendront visite sur You Tube aux images d'un autre titre de la demoiselle, Jack, I'm Mellow, very jazz drugs and sex. Nos deux auteurs ne s'arrêtent pas en si bonne compagnie, je vous laisse découvrir leurs propositions sur l'hypothétique et illusoire origine de la musique du diable.

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Pour ma part j'opèrerai autrement. Mon bouquin refermé, le nom qui revient le plus souvent, que l'on retrouve régulièrement sous leur plumes comme un inspirateur de vedettes confirmées est celui de Wynonie Harris. L'avait tout pour déplaire Wynonie, l'était noir, se trémoussait tel un désossé d'une manière libidineuse, ne chantait mais hurlait, accélérait le tempo de ses reprises comme s'il était pressé d'en terminer au plus vite, et entre deux mots il choisissait systématiquement le plus salace. Pas très policé, le monsieur. Exercera une très mauvaise influence sur un garçon pourtant parfaitement bien élevé par sa maman. Un certain Elvis Aaron Presley qui s'inspirera fortement du jeu de scène de cet danseur ancien danseur de claquettes. Genou fou qui déclenche la hanche, le mystère de l'appel sexuel de celui que l'on surnommera the Pelvis. La renommée a été injuste avec Wynonie Harris qui décède en 1969, oublié de presque tous. Le book ne se porte pas à son secours, ne lui consacre pas un chapitre. Remarquons que si Little Richard et Chuck Berry ont droit à leur loge d'honneur, Bo Diddley dont l'influence sur le rock de l'époque se révéla manifeste et incontestable est relégué dans la rubrique Chicago...

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Difficile d'être exhaustif, nos auteurs ne s'acharnent pas à traquer l'essence du rock, suivent le déploiement commercial de la vague rock tel que les charts de l'époque l'ont révélé. Et l'est vrai que les maisons de disques se sont hâtées d'offrir aux jeunes blancs américains des produits un peu moins acidulés que les ronces noires qui peuplent les rivages du désastre pour parler comme Saint John Perse. Quand l'on se souvient que l'on a même réussi à leur vendre un clone d'Elvis Preley en la pâle personne de Pat Boone, l'on se prend à rêver de l'impact de dissuasion massive que vous fournit la main-mise sur les média de diffusion populaire. Ces gens-là ratissent large et sont capables de pervertir les goûts du public le plus affiné.

J'eusse préféré un article sur Johnny Carroll, mais non ce sera les Everly Brothers. Deux jeunes gens sympathiques aux harmonies que l'on se doit de qualifier de divines, mais beaucoup plus proches du country que du rock and roll. Puisque le livre n'hésite pas à emprunter ces voies tangentielles j'ai décidé de suivre le mouvement et de m'intéresser à deux figures dont je connais les noms, dont j'ai dû écouter en une vie précédente un ou deux de leurs morceaux, mais dont ma mémoire n'a retenu aucun souvenir. Après Elvis, Jerry Lou, Bill Haley et les autres cadors vous connaissez.


FRANKIE LYMON & THE TEENAGERS

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Une bio de rêve. Le petit garçon noir de Harlem qui travaille pour arrondir les fins de mois parentales – celles qui tombent en début de première semaine – qui enregistrera son premier disque à quinze ans, qui fera partie du packaging des tournées Fats Domino, Eddie Cochran, Chuck Berry, et qui décède à l'âge de vingt-six ans – ratant de peu la série des 27 – d'une surdose d'héroïne. Frankie Lymon, ce n'est pas tout à fait sex, drugs and rock'n'roll mais, amours contrariées, drugs and doo wop. La romance à l'eau de rose qui se flétrit un peu trop vite. L'a tout fait pour réussir, même son armée comme Elvis, mais c'est surtout la Tamla Motown qui s'inspirera de son oeuvre. Notamment Les Jackson Five...

Alors pour vous j'ai écouté son titre phare le Why Do Fools Fall in Love enregistré en 1957, c'est mignon pas tout à fait sucré puisque la voix du jeune garçon n'est pas assez ample dans les aigus, derrière les Teenagers swinguent de leur mieux mais le meilleur du disque reste le solo de saxophone. Gentillet et dispensable. Par acquis de conscience j'ai surfé sur You Tube jusqu'à trouver Who Can Explain, je ne retire pas un mot du commentaire précédent. J'aimerais toutefois savoir qui soufflait dans le sax.

On en aura fini avec Frankie Limon quand on aura rappelé que son apparition au Show d'Alan Freed fut interdit de diffusion, car il avait osé esquissé quelques pas de danse avec une adolescente blanche... Pour les amateurs de biopic, l'existe un film sur sa courte carrière.


DANNY AND THE JUNIORS

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On prend les mêmes et l'on recommence. Mais l'on change de couleur. Des petits blancs de Philadelphie. Un piano omniprésent un peu à la Jerry Lou au service d'un surf rock rapide. Enregistré en 1957 le titre sonne très soixante. Du doo-wop décliné à toute vitesse. Quand on n'a pas une belle voix de baryton, l'on s'en tire en chantant vite. Une esthétique qui vingt ans plus tard sera intuitivement reprise par les groupes punk. Ne nous éloignons pas de notre sujet : les Juniors sont tout de même très propres sur eux. Forment un véritable groupe et même si Danny se suicide en 1983, le groupe tourne encore. Ce n'est donc pas un hasard si deuxième succès s'intitulait Rock and Roll is Here to Stay... En leur jour de gloire eux aussi participeront aux spectacles d'Alan Freed Show, notamment avec... Frankie Lymon.

Eurent aussi leur scandale. Prévisible quand l'on pense qu'ils partageaient lors de leur deuxième tournée avec Alan Freed avec des calibres aussi tordus que Larry Williams et Screamin' Hawkins... A Boston le spectacle tourne à l'émeute et un marin sera retrouvé poignardé... Les Juniors n'auront plus accès aux grandes émissions télévision... Les autorités essaient en fait de s'en prendre à Alan Freed, mais le disc-jockey trop populaire est encore intouchable. Faudra attendre quelques mois pour que la Justice américaine parvienne à le coincer. Scandale des pots-de-vin qui touche aux ententes financières passées entre les médias et les maisons de disques. C'est Alan Freed qui en paiera les pots cassés....


THE BIG BOPPER

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Je ne vais pas vous passer tous les artistes en revue. M'arrêterai avec un autre disc-jockey. Qui connut une fin tragique. L'était dans l'avion fatidique qui le trois février 1959 s'écrasa en pleine tempête de neige près de la ville de Moorhead avec à son bord Buddy Holly et Ritchie Valens... Signalons que tout dernièrement vient de mourir le fils du Big Bopper, né deux mois après la mort de son père, dont il interprétait les morceaux en des concerts hommagiaux...

Une riche personnalité excentrique qui n'eut pas le temps de s'épanouir. Se fit un nom en diffusant durant cinq jours d'affilées deux heures et quelques cacahouètes 1831 titres... Après cet exploit digne du Guiness World Records il se mit à composer des chansons et eut bientôt envie de les chanter. Eut juste le temps d'accoucher de deux chefs-d'oeuvre Chantilly Lace popularisé par Jerry Lou et le splendide White Lightning dont nous possédons une merveilleuse version de Gene Vincent et Eddie Cochran chantée en direct à la BBC, hélas la prise s'arrête trop brusquement... Les curieux ne manqueront point de visionner le Runnin' Bear de Johnny Preston, un titre du Big Bopper qui en assure le background vocal avec George Jones...


Tous les amoureux du rock and roll ne manqueront pas de se procurer ce bouquin et pas perdront pas leur temps à en tourner les pages. Un livre sur l'éclosion de cette musique aux USA entre 1954 et 1960. Pas la grande somme sur les pionniers que nous attendons tous. Mais une approche qui ne laisse pas indifférent.

Damie Chad.

 

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