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25/03/2015

KR'TNT ! ¤ 228. ERVIN TRAVIS / NIKKI HILL / SLEATER-KINNEY / ACERIA / LEXA / CHARLIE PARKER / HOWLIN'WOLF

 

KR'TNT ! ¤ 228

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

26 / 03 / 2015

 

 

ERVIN TRAVIS / ARTISTE EN PRISON

NIKKI HILL / SLEATER-KINNEY

ACERIA / LEXA / CHUCK TWINS CALIFORNIA

CHARLIE PARKER / HOWLIN' WOLF

 

 

Ervin news

 

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L'élan de solidarité ne faiblit pas, les lettres d'amitié et les dons parviennent à l'association. Cela ne nous étonne pas. Ervin Travis a durant des années dispensé tellement de bonne musique, de plaisir, de gentillesse et d'amitié que par un juste retour des choses, nombreux sont ceux qui tiennent à lui manifester encouragements et aide.

 

Ervin, tu as tant donné au rock pour que l'on s'arrête en si bon chemin.

 

Keep on rockin'...

 

QUELQUES NOUVELLES PRISES SUR LE

 

FB : Lyme – Solidarité Ervin Travis

 

Nous pensons qu’il est temps de vous donner quelques nouvelles d’Ervin !
Privé de tout traitement depuis des semaines en raison des analyses qu’il va passer, son état de santé s'est beaucoup dégradé.
Il ne se lève plus depuis plusieurs jours & quant aux douleurs, elles se sont amplifiées.
Le premier rendez-vous est pour la fin mars. Grâce à vous il pourra déjà se rendre à celui-ci.
Soyez ici toutes et tous remerciés de votre mobilisation et de votre générosité.
Ervin vous transmet personnellement toute sa gratitude

 

ARTISTE EN PRISON

 

 

Plusieurs semaines que nous n'avions point de nouvelles de Claudius de Cap Blanc, nous ne nous inquiétions point. Nous connaissions l'oiseau. Devait se terrer dans son Affabuloscope, en train de mettre la dernière main à une de ses déviantes machines dont il a le secret, ou alors batifolait dans la montagne pour déposer ses pierres vulvères. Un courriel du matin nous apprend que nous faisions erreur. L'oiseau était en cage. Vient de faire deux mois de prison pour avoir « dégradé » les abords de la grotte du Mas d'Azil.

 

Bref un artiste en prison, dans la France d'aujourd'hui et dans l'indifférence générale ! L'info vient de nous parvenir et nous n'avons point le temps d'épiloguer au moment de charger le site. Nous y consacrerons un article dans notre 229° livraison.

 

Ceux qui veulent en savoir plus se rapporteront à notre précédent article Vulves à Barreaux de notre 218° livraison, ou à notre feuilleton Chroniques Vulveuses consacré à cette affaire dans les numéros 154, 155, 156, 157, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 166... Autre solution, beaucoup plus directe : le site www.affabuloscope.fr/

 

Damie Chad.

 

LA TRAVERSE / CLEON ( 76 )

 

15 / 11 / 14

 

NIKKI HILL

 

NIKKI NIQUE TOUT

 

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Ce soir-là, Nikki Hill arriva sur scène avec un petit sourire en coin. Une vraie gamine. Elle semblait appartenir à une autre époque, car elle portait un haut en coton clair noué dans le dos, comme ça se faisait dans les années soixante-dix et un pantalon de toile noire moulant passé dans des petites santiags de la même couleur. Elle évoquait ces filles qu’on voyait danser à la Brocherie, un endroit où les Rouennais aimaient passer leurs nuits, il y a de cela cinquante ans. Nikki ramenait sur scène la fraîcheur de sa jeunesse et l’énergie de sa blackitude. Elle offrait en spectacle sa haute silhouette filiforme. Un chignon de cheveux crépus surmontait un visage aux traits parfaits. Par son port altier, elle évoquait les silhouettes de Nina Simone et de Miriam Makeba, mais avec une petite touche narquoise en plus. Elle paraissait extrêmement timide et elle souriait pour donner le change. Un spécialiste comme Charles Denner aurait pu qualifier son corps de parfait. Elle dansait d’un pied sur l’autre et jetait son buste légèrement en arrière, comme si elle toisait effrontément les dieux du rock et de la soul. Son pas de danse relevait d’une certaine forme de sophistication et parce qu’elle était noire, elle en faisait un groove spécial que n’aurait jamais su produire une blanche. Nikki groovait le rock’n’roll avec une élégance certaine. Elle avait appris l’essentiel qui est de conquérir un public en deux morceaux. Sans doute ne le faisait-elle pas exprès, mais toute l’énergie et la grandeur du gospel, de la soul et du rock’n’roll noir américain rejaillissaient à travers elle. Elle semblait vouloir ramener cette grandeur d’antan pour la réinjecter dans les temps modernes. Au travers de son groove têtu se profilaient les fantômes de Little Richard et d’Esquerita. D’ailleurs, en annonçant «Keep A-Knocking», elle déclara : «Little Richard is my favorite !» Woooow ! Dans le feu de l’action, elle dansait comme Sam Moore ou Wilson Pickett, le menton levé et les genoux pliés. Son profil rendu carré par le chignon donnait l’illusion, elle hochait la tête comme Bunker Hill ou Kid Thomas. Elle returbotait le beat en dansant de plus belle et en claquant des mains et des pieds.

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Elle serait originaire de la Nouvelle Orleans, alors l’illusion serait complète, car c’est là que Little Richard fit ses débuts, dans le studio de Cosimo Matassa. Mais ce n’est pas le cas. Nikki Hill vit en Caroline du Nord. À travers sa façon de chanter et d’aller chercher le guttural, elle évoque aussi les géantes qui l’ont précédée, du style Mavis Staples, Sister Rosetta Tharpe & Marie Knight ou encore Etta James. Elle est d’autant plus audacieuse qu’elle embrasse tous les styles à la fois, la soul, le rock’n’roll et la country festive. Pas très évident, car on sait que les touche-à-tout ne sont pas bien vus dans les services de marketing des gros labels. L’industrie du disque a toujours fonctionné selon de sacro-saint principe des étiquettes. Mais Nikki Hill s’en fiche comme de l’an quarante et elle clame bien fort sa passion pour ce qu’on appelle désormais le «roots». Son compagnon Matt Hill apporte le contrepoint raunchy en jouant un rock’n’roll plutôt agressif sur sa Telecaster. C’est probablement la conjonction des deux talents qui produit ce son et cette illusion de grandeur. Les BellRays travaillaient déjà ce son, c’est vrai, mais à l’aune du Detroit Sound. Nikki Hill vise un registre plus ancien qui est celui du rock’n’roll noir américain, le rock’n’roll des origines. D’où le roots. Mais pas n’importe quel roots, Bob, celui de Screamin’ Joe Neal, le roi des monstruosités abyssales, le hurleur suprême qu’un big band complètement allumé accompagnait. Ou de Big Al Downing, l’arracheur de première catégorie. Ou encore de Bunker Hill, le plus grand hurleur malade de l’histoire des pathologies, un dingue qui s’amusait à pousser le bouchon encore plus loin que Little Richard, comme si c’était concevable ! On aurait pu couronner Bunker Hill Screamer 1er, empereur des Hauts de Hurlevent. Ou encore Little Victor qui tripotait lui aussi le bamaloo pour essayer d’imiter Little Richard. Ou encore James Brown et Etta James qui n’étaient pas avares de screams et qui rêvaient eux aussi, à leurs débuts, de sonner comme Little Richard. Un temps béni où certains blacks n’avaient qu’à ouvrir le bec pour incendier une salle de spectacle. The Natchez Burning, baby. Quand Detroit prit feu lors des émeutes raciales de 1967, John Lee Hooker fut tellement fasciné par ce qu’il voyait dans les rues qu’il écrivit «Motor City’s Burning» et dans la foulée, le MC5 l’éleva au rang de chef d’œuvre intemporel.

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Nikki Hill transporte tout ça dans sa silhouette de petite shouteuse, on voit bien qu’elle s’est gavée de ce rock surchauffé et qu’elle en distille l’esprit, mais c’est difficile, car elle voudrait égaler les géants et les géantes qui l’ont précédée, et lui manque le petit quelque chose qui fait la différence : le grain de folie. Tout le set de Nikki repose sur la qualité de sa voix. Elle sait forcer, elle sait chauffer un public admirablement inerte, mais elle ne mettra jamais le feu à une salle.

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La dernière fois que Little Richard est venu jouer à Paris, ça se passait à l’Olympia. Il arriva sur scène dans une tenue en satin blanc et commença par prêcher pendant une bonne demi-heure. Les loubards de banlieue installés au balcon juste au dessus de la scène n’en pouvaient plus et criaient : «À poil Patrick Juvet !» Mais quand Little Richard s’est rapproché du piano et qu’il a raclé son clavier pour attaquer «Lucile», on est passé d’un coup aux choses sérieuses et tout le monde s’est mis à hurler. Et en une demi-heure, Little Richard a explosé l’Olympia. Pas seulement parce qu’il sort des hits à la chaîne, mais surtout parce qu’il est dingue et depuis toujours hanté par le rock’n’roll. Sur ce terrain, aucun rocker n’a pu rivaliser avec lui - excepté Jerry Lee, bien sûr. Et le rock privé de folie, c’est un peu comme une maison sans bibliothèque ou encore une vie de couple sans pipe et sans rhum : on appelle ça un ersatz.

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Alors oui, Nikki Hill fait de l’ersatz, mais elle y met tellement de détermination que les bras nous en tombent. Elle chante, elle danse, et elle s’offre au public qui paie pour ça, alors tout va pour le mieux. Elle aime tellement Little Richard qu’elle a intitulé son premier album «Here’s Nikki Hill», avec son portrait en gros plan, comme sur la pochette du premier album de Little Richard. Pas de fond orange, mais un fond bleu. Au dos, on la voit bras nus avec tous ses tatouages (qu’on ne voyait pas sur scène - peur de choquer un public pépère ?) On pourrait presque dire que son côté sauvage est là, dans les tatouages, et ça la rend éminemment sympathique. Elle attaque par «Ask Yourself», un rock d’arrache bien raunchy et derrière, son mari Matt fait tout le boulot sur sa Telecaster. On assiste à une violente passade de clap-hands et on retrouve à travers ce cut toute l’énergie qu’elle brûlait sur scène. Avec «I’ve Got A Man», elle tape dans le vieux rock de bastringue et une fois encore, Matt fait tout le boulot derrière en grattant sa gratte. Dommage qu’il y ait autant de morceaux lents sur ce disque. Ça lui brise les reins. Même si elle chante bien, Nikki gagnerait l’admiration des foules en rallumant la chaudière, comme elle sait si bien le faire sur scène. L’autre gros cut du disque est «Strapped To The Beat», monté sur un beat rapide qui ne traîne pas en chemin. C’est même du pur jumpy-jumpah et derrière elle un mec se prend pour Lee Allen avec son sax. On a là un magnifique son de bastringue à la revoyure de la ramasse du caniveau des bas-fonds de la déglingue de la pire espèce. Et elle termine avec un beau coup de gospel : «Hymn For The Hard Luck». Façon très élégante de boucler la boucle, quand on sait que TOUT vient du gospel.

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Signé : Cazengler, Nikké pour de bon

 

Nikki Hill. La Traverse. Cléon (76). 15 novembre 2014

 

Nikki Hill. Here’s Nikki Hill. Deep Fryed Records 2013

 

LA CIGALE / PARIS 18 / 20 – 03 – 15

 

 

SLEATER-KINNEY

 

 

 

SLEATER-KINNEY FAIT CRAQUER LES OS

 

 

 

Qui aurait parié sur les trois post-punkettes de Sleater-Kinney quand est sorti le premier album en 1995 ? Pas grand monde, si ce n’est toute la meute des riot grrrls et le bataillon de vétérantes du MLF. Cette époque fut aussi l’âge d’or du college-rock américain, avec toutes ses manies, ses turpitudes et ses excès. On peut dire qu’on en aura bouffé, du CD indie et on en aura recraché, scchhrrrfff, comme quand on recrache un morceau de fruit véreux. À cette époque, on est même allé jusqu’à voir jouer les Babes In Toyland sur scène, c’est dire à quel point la curiosité peut être un vilain défaut.

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Même si par le son, les trois Sleater s’apparentent à Sonic Youth, elles restent néanmoins à part, ne serait-ce que par le joli vent de folie qui balaye certains morceaux. Carrie Brownstein et Corin Tucker se partagent ce chant très particulier et souvent ingrat. Derrière, Janet Weiss bat le beurre. Notons au passage qu’elle le bat aussi le beurre dans Quasi, l’un des fers de lance de la très grande pop américaine.

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Si leur premier album intitulé «Sleater-Kinney» s’est distingué aux yeux des rock critics américains en 1995, c’est très certainement parce que nos trois chipies sonnaient comme Sonic Youth et il faut se rappeler à quel point l’intelligentsia était friande de Sonic Youth. Corin et Carrie ne faisaient pourtant rien pour se rendre attrayantes. Elles attaquaient l’album avec des cuts hirsutes et mal foutus, mais ça devenait intéressant avec la première crise de colère infantile, celle qu’on entend dans «A Real Man». Ça bascule vite dans l’insanité - I don’t wanna join your club/ I don’t want your kind of love - Corin pique sa crise d’épilepsie et elle s’étrangle. Et c’est là qu’on commence à prendre Sleater-Kinney au sérieux. On retrouve un beau passage de folie douce dans «Her Again». Corin Tucker ferait passer les internées de Sainte-Anne pour des oies blanches. Elle tente même l’implosion à la Nirvana. Elle a le même jus que Kurt, c’est évident. Sur d’autres morceaux, on entend les deux guitares droner comme chez Sonic Youth. Corin chante «Sold Out» dans les Hauts de Hurlevent et ça frise l’insupportable, il faut bien le reconnaître. Par contre, «Lora’s Song» passerait presque pour une vraie perle de garage féminin, car voilà un cut admirable de douceur dévertébrée, au sens de la douceur du sein et du sérieux de la volonté. On sent qu’elles cherchent le hit et qu’elles le frisent.

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Et puis à partir de là, elles vont se tailler une énorme réputation dans la presse rock américaine. On les considère comme l’un des meilleurs groupes de rock du monde ! Alors elles vont enfiler les albums comme des perles. On trouve pas mal d’énormités sur «Call The Doctor», le second album paru l’année suivante. La marmite commence à bouillir avec «Little Mouth», punk-rock de folles complètement décousu et gorgé d’énergie animale. Et ça continue avec «Anonymous», chanté à la hurlerie perçante et frisant l’insanité. Les filles pulsent un groove de malade et leur double gratté de guitare tient sacrément bien la route. Plus loin, on tombe sur «I Wanna Be Your Joey Ramone» qu’elles envoient valser dans les orties. Corin Tucker sait exploser un cut. Ah la vache ! Elle le fait intentionnellement. Dans la vie, on entend rarement de telles explosivités latérales. Nouvelle expérience nauséeuse avec «My Stuff», chanté avec la volonté bien affirmée de nuire à la civilisation et à l’ordre moral. C’est à vomir, tellement ça dégouline de trash malveillant. Mais ce n’est pas fini. Il faut encore se taper deux horreurs sur ce disque fumant : «I’m Not Waiting» et «Heart Attack». Dès l’intro de «I’m Not Waiting», on note que ça hurle du haut du promontoire. Voilà le rock-rillettes du Mans, un rock énervant et pourtant spontané, joué à la petite énergie nubile, mais cette pauvre Corin est complètement timbrée, on l’entend hurler dans le néant indie, là où personne n’ira l’écouter. Et pourtant, elle continue de hurler. Ah bravo ! L’affaire se corse avec «Heart Attack» qui est monté comme le meilleur des hits jamais imaginé. Ça hurle encore une fois, on croirait entendre une sorcière de Walt Disney, ou pire encore, la gamine possédée de «L’Exorciste», avec sa tête verte qui tournicote à 360°. Cette pauvre fille est possédée par tous les démons poilus et ventrus du trash-rock. On l’entendra hurler du fond des douves jusqu’à la fin des temps.

 

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Elles remettent le couvert avec «Dig Me Out», et ça hurle dès le morceau titre d’ouverture. On croirait entendre Sonic Youth. Cette fille est folle, elle hurle par dessus son hurlement. Corin Tucker cherche la confrontation en permanence. On tombe ensuite sur «Turn It On», une véritable merveille garage, quelque chose de terrible. Elle hurle au chat perche du chien de sa chienne et derrière se développe la meilleure dynamique de rumble garage qui soit ici bas, sur cette terre abandonnée de Dieu. Au fil des cuts, on voit bien que les filles sont torturées par les influences. Elles farfouillent pas mal dans la mormoille, mais ce qui les sauve, c’est qu’elles allument tout aux dynamiques féminines. Dans «Words And Guitar», le chant criard perles les tympans. Elles sonnent comme des folles relâchées dans un pré. Elles crient en liberté. Ce n’est pas glorieux. Avec «Little Babies», elles tentent la pop de juke. Mais leur pop se veut insistante et malade, d’autant que Corin clame comme une conne. Avec «Not What You Want», elles reviennent au garage de folles - Saw Johnny at the store/ I said get the car hit the road - Quel souffle ! Corin laisse filer cette voix qu’elle n’a pas et se campe dans la perspective de l’énormité. Envolée garantie. Elles terminent cet album trépidant avec un «Jenny» digne du Velvet, assez fantastique et assez profond - I am the girl/ I am the ghost/ I am the wife/ I am the one. Débrouillez-vous avec ça.

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Elles attaquent «The Hot Rock» en beuglant «Start Together» comme des ânes qu’on encule. On observe dans ce cut de sacrées ribambelles de rebondissements. Fraîcheur et jute sont leurs deux mamelles. Elles se veulent terriblement ravageuses. On sent que Corin bat tous les records mondiaux de détermination. Il suffit d’écouter «Hot Rock». On la voit gratter sur sa Rickenbacker comme une pouilleuse qui gratte ses poux. Ah les parents, quand ils voient ça, ils ne doivent pas être fiers ! Elle fait exploser le cut-out, c’est pas compliqué. Et elles passent carrément à l’apocalypse avec «God Is A Number». Ah pour ça, elles sont douées. Plus ça trashe dans la barbouille et plus ça leur plaît. On entend hurler cette folle géniale de Corin. Quelle écervelée ! Puis elles s’en vont bougner le post-punk avec «Banned From The End Of The World» et on s’amouracherait presque du cut suivant, «Don’t Talk Like», qui sonne comme de la pop jouée à l’accord déviatique. Corin repique sa crise dans «Get Up», qu’elle prend d’une voix brisée et tremblée. On pourrait presque appeler ça de la malveillance psychédélique. En tous les cas, elles cherchent des noises, elles ne savent faire que ça, apparemment. Et chaque fois, elles se remettent en route. Inexorablement. Corin chante «Living In Exile» comme si elle était le Christ cloué sur sa croix. Cette fille-là, mon vieux, elle est terrible. D’autant que coule par derrière une belle purée de distorse.

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L’album «All Hands On The Bad One» va lui aussi tailler son petit bonhomme de chemin, comme si de rien n’était. Elles attaquent avec «The Ballad Of A Ladyman», une belle pop d’intronisation. Elles cultivent la discordance et bien sûr ça ne peut pas plaire à tout le monde. Elles veillent à rester dans l’esprit du Sonic Youth d’un certain âge d’or, celui d’un concert explosif à l’Élysée Montmartre. Leur petite pop paraît souvent s’énerver toute seule. On les sent même parfois très perturbées, comme dans «Your Decay» - How many doctors will it take/ Ooh Ooh before I desintegrate - Dans «You’re Not Rock ‘n’ Roll Fun», elles s’en prennent à la rock star - Like a piece of art/ That no one can touch - Mais les morceaux désagréables se succèdent et elles ne font rien pour gagner la sympathie du public. Il faut attendre le milieu de la face B pour renouer avec l’intérêt. «Leave You Behind» contient un refrain chanté à deux voix, du plus bel effet. Voilà leur point fort, l’envolée de refrain, à la mortadelle des chœurs mortels. On tombe enfin sur une pure merveille, «Milkshake N’ Honey» qui se passe à Paris - You left your beret behind/ And your croissant is getting cold - Fantastique moquerie pop - Pick up the phone meet at the Sorbonne/ You keep me turning on/ With those French words that I can’t pronounce - Et elles partent en vrille de façon extraordinaire sur Milkshake n’ honey yeah !

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Pas mal d’énormités baveuses sur «One Beat» paru en 2002. Elles lancent le morceau titre comme une insulte et Corin chante évidemment comme une harpie. C’est très spécial. Un peu punk de bric et de broc. Elles mettent en place une sorte de monde mal fichu et plutôt ingrat. D’ailleurs «Folk Away» qui suit est insupportable. Et soudain, ça part en trombe, on n’est même pas prévenu. Elles connaissent tous les secrets de la mécanique des fluides. Et voilà du punk-rock de demoiselle hirsute : «Oh». Elles savent trasher un fondement, pas de problème. Elles basculent dans l’affreux et passent un refrain dément. Voilà la clé des Sleater : l’énorme refrain pop qui coule sur les doigts. Notre petite vermine préférée sait aussi faire la Soul Sister. La preuve ? «Step Aside». Elles tapent toutes les trois dans le r’n’b avec une vraie passion pour la démolition - Ladies one time can you feel it ? - Elles en font un vrai blast, c’est braillé à l’extrême du possible. Elles inventent la soul punk et flirtent avec le génie. «Pristina» ? Pfff ! La mère Corin l’explose vite fait. Et elles torchent l’affaire avec un «Sympathy» apocalyptique. Ça gueule, là dedans ! - I’d beg you on bended knees for him - Elles touchent au noyau dur de la véracité, car elles jouent pour de vrai et font rebondir leurs deux accords dans le doom.

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«The Woods» est probablement leur album le plus ambitieux. «The Fox» raconte une rencontre entre le renard et le canard. Corin fait le renard et hurle son cri de guerre «land ho !» à la vue du canard. Sacrée chipie, elle ne nous épargne aucune mauvaise blague. Puis elle se remet à chanter n’importe quoi n’importe comment. Elle frise un peu le Beefheart inversé dans «Wilderness». Retour aux affaires sérieuses avec «What’s Mine Is Yours», hurlé direct et monté sur un gros beat de stomp qui vire en vieux trip miteux. Elles bardent «Jumpers» de grosses dynamiques internes. Et comme sur les autres albums, il faut attendre le milieu de la face B pour enfin trouver des hits comme «Entertain», vraie frénésie post-punk sous le boisseau, et «Rolercoaster», qui prend vite de l’ampleur, bien plombé au beat de basss drum. Elles savent monter leur mayo, pas de problème, et donner de l’ampleur à l’ardeur. On ne trouve que deux cuts sur le deuxième disque et notamment un interminable «Let’s Call It Love» perdu dans les causses de Gévaudan.

 

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Elles sont en France pour la promo du nouvel album, «No Cities To Love». L’album n’est pas très bon. Elles n’en finissent plus de concasser et de vinaigrer. Elles pataugent dans la dissonance et ce sont les refrains qui fédèrent tout. On note chez elles un goût insalubre pour les figures de style déplaisantes. Elles montent «A New Wave» sur un thème joué sec à la fuzz et un chant à la cinglette, et c’est à peu près le seul morceau sauvable de la face A. Elles attaquent la suite avec un son post-punk, type manche à balai dans le cul et c’est admirable pour ceux qui apprécient ce genre de son. Mais c’est plat comme une planche à pain, see what I mean ? On est à l’opposé de la sensualité. Elles terminent cet album ingrat avec un hit planétaire, «Hey Darling», dont le refrain emporte la bouche - It seems to me the only thing/ That comes of fame is mediocrity - et ça vire au coup de génie, tellement c’est grandiose et chargé de sens.

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On s’en doutait un peu : la Cigale est remplie à ras-bord pour le set des Sleater. On voit que le buzz fonctionne bien - ce buzz qui buzze around the hive - Carrie a changé de coiffure. Elle porte désormais les cheveux mi-longs et ça la féminise incroyablement, elle qui veillait à soigner son look de garçon manqué. Elle porte même une jupe courte et un blouson en cuir noir, des collants noirs et des petites bottines. Elle est incroyablement sexy et terriblement rock’n’roll. On pense bien sûr à la Chrissie Hynde des années de rêve. Janet Weiss reste égale à elle-même, massive et terriblement vivante derrière ses fûts. Corin Tucker porte une robe noire assez habillée et on oublie ses vilaines jambes, car dès qu’elle chante, le miracle s’accomplit. Ces trois filles ont quelque chose que bon nombre de groupes n’ont pas : la fraîcheur de l’innocence. Et un son qui pendant le concert semble unique au monde. On les sent ravies des jouer sur scène. Ça crève les yeux. Elles trépignent d’énergie animale. Carrie et Corin sautent fréquemment toutes les deux avec leurs guitares, face à face, comme des gamines qui jouent à la marelle. Elles donnent au public parisien une vraie leçon de maintien sur scène. Elles jouent admirablement bien le jeu du power trio et les morceaux qui paraissent si ingrats sur disque, prennent sur scène une ampleur considérable. Elles sortent un son énorme. Carrie joue gras sur sa guitare et Corin chante avec une puissance et une présence qui impressionnent. Tout repose sur elle depuis le début. On la soupçonne d’être incroyablement timide, mais quelle performeuse ! Elle peut shouter comme la pire blasteuse d’Amérique. Comme par miracle, leur set balaye tous les préjugés et dépasse toutes les attentes. On voit même Carrie tomber et se rouler au sol avec sa guitare en agitant les jambes. N’oublions pas qu’elle ne porte qu’une jupe courte. Messieurs les guitaristes, prenez note. Le dernier qu’on ait vu se rouler par terre avec une guitare, ce fut Carl, accompagné par ses mighty Rhythm Allstars. Elles font danser toute la Cigale, toute la fosse roule au rythme du flamboyant post-punk des Sleater. Corin et ses deux copines embarquent leur public dans leur univers qui a tous les charmes d’un petit paradis. Et ça tourne au concert idéal. Pas un seul moment d’ennui. Il suffit de les observer et de voir avec quel aplomb et quelle classe elles se campent dans le réel. Rien n’est plus charmant et plus excitant que de voir ces trois filles jouer sur scène.

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Pendant une heure trente, elles furent les reines du monde.

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Signé : Cazengler, Kinney bien content

 

Sleater-Kinney. La Cigale. Paris XVIIIe. 20 mars 2015

 

Sleater-Kinney. Sleater-Kinney. Villa Villakula 1995

 

Sleater-Kinney. Call The Doctor. Chainsaw 1996

 

Sleater-Kinney. Dig Me Out. Kill Rock Stars 1997

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Sleater-Kinney. The Hot Rock. Kill Rock Stars 1999

 

Sleater-Kinney. All Hands On The Bad One. Kill Rock Stars 2000

 

Sleater-Kinney. One Beat. Kill Rock Stars 2002

 

Sleater-Kinney. The Woods. Sub Pop 2005

 

Sleater-Kinney. No Cities To Love. Sub Pop 2015

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De gauche à droite sur l'illusse : Corin Tucker, Carrie Brownstein et Janet Weiss.

 

TREMPLIN ROCK / FESTIVAL CONFLUENCES

 

BE BOP / MONTEREAU / 21 – 03 - 15

 

ACERIA / LEXA

 

CHUCK TWINS CALIFORNIA

 

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Je remonte la rue de la Poterie en maugréant. L'ai su trop tard, mais il y avait Ron Hacker, Jackie Hawkins et Big Joe Hunter à Brasies. Un bled perdu du côté de Château Thierry, un raté à vous donner le blues jusqu'à la fin du mois. Faisons bon cœur contre mauvaise fortune. Les petits rockers ont besoin d'un coup de pouce, au lieu de rester à pleurer à la maison, rendons-nous utiles à la survie du rock en regardant de près les jeunes pousses. Doit y avoir un dieu bon, tout là-haut dans le firmament, pour récompenser les bonnes actions, je n'ai pas poussé la porte du pub qu'elle s'ouvre toute seule, devant moi, et bonheur suprême qu'apparaît, toute belle, toute souriante, Céline des Jallies... L'est ici en service commandé. Membre du jury chargé d'élire le groupe qui au mois de mai prochain concourra à la finale qui permettra au vainqueur de participer au festival de musique de Montereau. Ne faites pas comme James Brown qui piqua une grosse colère et demanda un supplément à son cachet déjà substantiel quand il s'aperçut qu'il ne s'agissait pas du festival de Montreux !

 

CHUCK TWINS CALIFORNIA

 

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Non ce n'est pas que vous vous êtes un peu trop étrillé la barre fixe cette semaine si aucun son ne parvient à votre oreille. Vous dirai pas un iota sur Chuck Twins California. J'en suis d'autant plus triste que je m'étais dit que ce serait mon lot de consolation de la soirée. Un groupe de punk qui promettait d'être saignant ! Eh bien non ! Ils ont fait pire que James Brown. Ça s'est passé l'après-midi, pendant la balance. Z'ont justement balancé un peu trop fort. La rue de la Poterie n'est pas très large et les voisins – comme s'ils ne pouvaient pas déménager - ont un peu l'habitude de téléphoner aux mouches quand les décibels pleuvent. On leur a demandé de baisser le volume. Se sont vexés, et ont remballé leur matos, et se sont cassés aussi sec. Se sont éliminés d'eux-mêmes. N'ont pas voulu jouer le jeu. Ont eu sans doute tort, mais quelque part cette attitude intransigeante est foutrement rock and roll !

 

ACERIA

 

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Du hard symphonique. Ca me rappellera toujours – je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans... - deux copains qui épiloguaient sur le 33 tours de Deep Purple avec un orchestre symphonique. Ce n'est pas fameux disait l'un, trop mou du genou. Tu veux rire, répondit l'autre, c'est génial, fais comme moi, tu l'enregistres sur cassette en coupant systématiquement la musique classique, c'est super.

 

Tout cela pour que compreniez que dans mes pensées intimes Aceria partait avec un fort handicap. Ils en ont cumulé d'autres. Le chanteur, c'est le plus âgé de la bande, chante en français, je n'ai rien contre, mais dans les parties lentes, les paroles sonnent trop gentillettes, l'on se croirait dans un disque de Florent Pagny, quand il s'énerve c'est beaucoup mieux. Le malheur c'est que dans le rock symphonique il y a toujours des passages à l'orgue électronique aussi sentimentaux que des chants d'église. D'ailleurs c'est aussi longuet que la messe du dimanche matin. Les morceaux se suivent et se ressemblent. La même structure répétitive. Et puis les intros à la Scorpion ( sans le venin ) sont un peu trop téléphonées.

 

Faut pas non plus tout voir en noir. Le batteur mouline pas mal du tout, et puis surtout, le guitariste frisé, c'est le vol du bourdon au plus haut du ciel tel que nous le raconte Maeterlinck dans La Vie des Abeilles. Il monte, il monte, il monte et ne redescend jamais. Des envolées qui sauvent le groupe.

 

Sont jeunes, sont en train d'enregistrer un disque, et on leur souhaite tout le bonheur du monde. But for me, it is not rock and roll !

 

LEXA ( PAS TOUT SEUL )

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S'installent. De temps en temps Belette gratouille sa guitare et l'en sort des accords qui vous réconcilient avec l'humanité. Hélas, quand ils commencent à jouer, c'est tout ce que je n'aime pas dans le rock. Le rock bourrin, le rock festif, le rock franchouillard, sans finesse ni intérêt. A fond la caisse. Mais il est inutile de se presser elle est vide. Sont grands, pas idiots, mais ils amusent la galerie. Trois danseurs déguisés en animaux viennent balourder devant la scène. Pénibles et inutiles. Humour lourd. Ensuite nous font le coup du petit bouchon. Offrent un bouchon de Téquila à qui veut bien. Ne savent pas quoi faire pour gagner notre sympathie. S'ils étaient milliardaires ils distribueraient des billets de cinq cents euros. Que dire d'autre ? Ressemblent à Washington Dead Cats, les mêmes artifices, les mêmes traitements de voix. Décevants.

 

RESULTATS

 

Le Be Bop n'a jamais été aussi plein. Chaque groupe a ramené ses fans, et les deux claques n'ont pas failli à leur rôle de supporter. Tristan annonce le vainqueur. ACERIA ! C'est aussi mon choix. Lexa est beaucoup plus au point, en leur propre style. Sont plus vieux, d'une génération antérieure à Aceria. Mais proposent une musique sans avenir. Refermée sur elle-même. Grimée, qui confine au burlesque dans la mauvaise acception du terme. Une caricature qui n'a pas compris que tout masque de carnaval ne recouvre que le néant abyssal des existences. Aceria n'est pas parfait, loin de là, mais il y a dans leur musique des espaces qui ne bouchent pas l'horizon, qui ne sont pas à concevoir comme des manquements mais comme des promesses.

 

La teuf-teuf me console comme elle peut : «  Le grand vainqueur c'est Ron Hacker ! ». Elle a raison. En tout cas, moi je n'ai rien gagné.

 

Damie Chad.

 

BIRD

 

LA VIE DE CHARLIE PARKER

 

KEN RUSSEL

 

( FILIPACCHI / 1980 )

 

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Une biographie de Charlie Parker ? - Point du tout. Un roman. - Bref une vie romancée de Charlie Parker ! - Vous n'y êtes point. Cela Ross Russell l'a écrit et intitulé Sound. - Ne chinoisons pas, un roman biographique. - Ben non, c'est bien la vie de Charlie Parker, mais c'est un roman. Un roman à part entière, un artefact qui ressemble davantage à La Chartreuse de Parme qu'à l'existence contée d'un musicien de jazz. La vie de Fabrice, on s'en moque, par contre le style de Stendhal, ce relâché de satin froissé dictée à la hâte, c'est autre chose ! Que voulez-vous c'est la plume de Monsieur Beyle qui donne un semblant d'existence à son héros, qui entre nous ne se montre pas sous son meilleur jour sur le champ de bataille de Waterloo.

 

Ross Russel possède un avantage par rapport à l'auteur de Le Rose et le Vert, qui prend un peu son propre rêve pour la réalité d'un songe. N'imagine pas, Ross Russel, il a connu son héros, lui, de près, pas un témoin anonyme qui passait par là un peu au hasard, un véritable acteur qui a participé activement à la saga et au drame. C'est lui qui enregistra les premières véritables faces de Charlie Parker. N'était pas l'ingénieur du son de service commis d'office, mais l'instigateur et l'ordonnateur des séances.

 

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Pourrait en raconter des anecdotes. D'ailleurs il ne s'en prive pas. Même que l'éditeur en met en doute quelques unes en bas de page, et que Chan Parker, la troisième épouse de Charlie, relève la liste des grosses erreurs dans sa préface. Mais il pourrait avoir tout inventé, de la première à la dernière lettre que nous le lui pardonnerions. C'est que voyez-vous ce n'est pas par inadvertance si à la fin du livre Ross Russel met en parallèle le destin de Charlie Parker avec la destinée brisée de Dylan Thomas, l'immense poète anglais, le barde gallois inspiré. Ross Russel est un véritable écrivain, pour lui la force poétique des mots transcende leur peu de ressemblance avec l'illusoire apparence du monde qu'ils semblent dévoiler. L'intention apollinienne de l'aède inspiré dépasse la soi-disant fidèle transcription d'une réalité évanouie.

 

KANSAS CITY

 

Elevé par sa mère, et né en 1920 à Kansas City. Ne pouvait pas mieux tomber que dans cette ville du Missouri. C'est une époque fabuleuse, prohibition et grande dépression. Pour l » Amérique en son entier, sauf pour Kansas City. La cité est favorisée par les dieux, son maire véreux – le démocrate Pendergast qui finira en prison - et la pègre locale. Les bars et les boîtes ne sont guère inquiétés par des descentes impromptues de police. L'oasis dans le désert. L'argent et l'alcool coulent à flots. Prostitution, jeux et drogue y prospèrent comme des poissons rouges dans une marre. Le plus sordide des pubs possède sa scène. Les musiciens de jazz locaux et d'un peu partout y trouvent embauche et travail. Kansas City devient un point de ralliement des combos jazz. Le jeune Charlie tombera à quatorze ans dans le chaudron de la potion magique en perpétuelle ébullition.

 

ENFANT SOLITAIRE

 

Commence par faire partie de la fanfare de l'école, mais très vite il s'y ennuie. Cela ne va pas assez vite pour lui. L'a l'impression de ne pas avancer. Souffler n'est pas jouer. Veut davantage, savoir moduler comme les disques qu'il écoute ad libitum et les héros à la Lester Young, qui hantent les cabarets interdits... Son prof lui refilerait bien le tuba ( un instrument qui te tue bassement ) dont personne ne veut... alors sa mère compréhensive se saigne aux quatre veines pour lui acheter un saxophone alto. Un rossignol d'occase, déglingué, rafistolé avec des élastiques et du sparadrap. Vous, vous le foutriez tout droit à la poubelle, mais un jeune nègre des quartiers pauvres ne faisait pas autant de chichi. S'escrime dessus, et l'escrime est un sport de combat dangereux, soit vous en sortez vainqueur, soit mort.

 

L'a quatorze ans quand sa mère trouve un travail de nuit, à l'autre bout de la ville. Une aubaine. Désormais toutes les nuitées il sera dans l'arrière cour des clubs, cherchant à se faufiler en lousdé, I'm the backdoor man. Certains musicos lui entrouvrent les portes en douce. L'aura la chance d'entendre en direct tout le gotha du jazz de l'époque, Count Basie, Walter Page, Jesse Price qui avait accompagné Bessie Smith et Ma Rainey, et l'incomparable Lester Young... par contre pour les conseils faut pas trop y compter dessus. Chacun défend son pré carré musical. L'on ne galvaude pas son savoir. La concurrence est impitoyable. En attendant Charlie y met du sien. Ne coupe pas au plus court, mais les nombreux détours qu'il s'infligera lui permettront un jour de surclasser tous les autres. Pour parvenir au sommet, la ligne droite n'est pas le meilleur chemin.

 

IGNORANCE

 

Ce que n'importe quel prof de musique lui aurait appris et explicité en cinq minutes va lui demander des années. En reste tout baba quand il apprend le B. A. BA de la musique. L'existe quatorze tonalités différentes et possibles ( sans compter la quinzième que l'on pourrait comparer au rez-de-chaussée d'un bâtiment sur lequel on élèverait sept étages supérieurs et sous lequel on creuserait sept caves inférieures ) pour jouer un morceau, que vous interprétez par exemple en Fa majeur ou en Fa mineur ou en toute autre modalité de votre choix. Bourrin comme un as de pique, Parker ne cherche pas à en savoir plus. En jazz, l'on n'en utilise que quatre ou cinq, mais lui il va s'apprendre à jouer ses morceaux dans toutes les tonalités sans exception. Cela demande une grande agilité des doigts mais surtout une très forte capacité mémorielle. Imaginez que vous soyez capable de traduire sur le champ et sans hésitation la note de votre plein d'essence, en yen japonais, en nuevo sol péruvien, en yuan chinois, etc... Acrobatie intellectuelle de haut niveau. Mais cela ne se relèvera pas être un jeu gratuit et stérile.

 

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La quintessence du jazz réside dans l'improvisation. S'agit pas de faire n'importe quoi. Sur un thème donné, vous offrez une nouvelle combinaison qui doit rester dans la logique mathématique des rapports de notes. Charlie Parker possède un avantage sur ses collègues, est capable sur n'importe quelle mélodie de vous repeindre la gamme en empruntant des éléments à toute autre modalité de son choix. A ce jeu-là, il sait être subtil, ne remplace pas du début à la fin le La majeur par un Si mineur, ce qui serait trop simple, il emprunte deux ou trois citations à trois tonalités différentes et s'en sert comme, rappel et commentaire, citation et excitation du thème à exposer.

 

C'est Lester Young qui lui fera comprendre que l'on ne souffle pas avec la bouche dans un instrument à vent, faut s'appuyer sur le diaphragme, et sa colonne d'air le jeune Charlie Parker il la fortifie comme les fûts altiers des propylées du temple d'Ephèse. Est capable de jouer plus fort, plus longtemps et plus diversement que tous ses confrères. Il plane, il survole, sera surnommé Bird, l'Oiseau, au-dessus des tempêtes.

 

DU SWING AU BE BOP

 

L'apprenti Charlie Parker débarque dans le jazz dans l'ère déclinante des grands orchestres. Faut être un sacré musicien pour être admis. Mais les picotins d'avoine sont rationnés. Chacun s'exprime à son tour et il y a du monde au portillon. Vous n'avez pas trop de temps pour attirer les oreilles... La crise de 29 précipite le déclin de ces dinosaures géants, les petites formations de cinq à six musiciens sont bien plus rentables. Désormais les solistes peuvent s'étaler à loisir... Et dans le mini-combo, c'est très vite la surenchère, le pianiste, le trompettiste et le saxophoniste essaient de marquer le copain à la culotte, résultat des courses, l'on joue plus fort, plus vite, plus agressif. Et à ce petit jeu, c'est Charlie Parker qui devance ses camarades. Dans les clubs les connaisseurs ne s'y trompent pas, l'on vient pour Charlie Parker même si la nouvelle génération qui joue à ses côtés n'est pas composée de manchots, Dizzy Gillepsie, Art Tatum, Kenny Clarke, forment une troupe d'élite.

 

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Conditions de travail désastreuses. De neuf heures du soir à deux heures du matin, l'on enchaîne les séries, quarante-cinq minutes de musique, un quart d'heure de pose, avec le taulier qui surveille les chronos, mais le boulot terminé, l'on se regroupe dans la boîte la plus accueillante et l'on se lance des défis dans des jams endiablées jusqu'aux aurores.

 

GOLDEN ERA

 

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Charlie est un grand, l'enregistre des trésors sur Savoy et Dial, le label de Ross Russell. Max Roach et le tout jeune Miles Davis sont à ses côtés... Bird is the King, pour tous et en tout. Bouffe comme deux, fume comme quatre, baise comme huit, boit comme seize, se pique comme trente. Une force de la nature. Pète la forme. Ne s'économise pas. L'on ne compte plus les jeunes jazzmen qui se mettent à l'héroïne pour jouer comme Charlie Bird. Mais ce soleil possède sa face cachée. Ne prend pas le temps. A toujours besoin de quelques dollars pour sa dose. Joue comme un pied. Sort dix minutes faire ses emplettes et quand il revient met la salle à ses genoux, tel un dieu éblouissant.

 

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Un génie qui ne s'intéresse qu'à la musique. Tellement pressé et tellement méfiant des pratiques disgracieuses des maisons des disques à l'encontre des artistes noirs qu'il refuse d'apposer sa signature pour pouvoir se faire payer ses royalties. Acculé par la nécessité il finit de passer des contrats à la va-vite avec Verve et Norman Granz. Granz n'est pas un blaireau, Ella Fitzgerald lui doit beaucoup mais il est un producteur qui agit avant tout selon des logiques commerciales. Veut que ses artistes soient admirés par le grand public, il suit les modes et ne se préoccupe guère de ce que ses poulains ont dans le ventre. Vise la quantité, pas la qualité. Au mieux Charlie accompagnera Billie Holiday, au pire il enregistrera avec un orchestre brésilien. Devra se fader tous les airs, toutes les chansonnettes à la mode.

 

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L'HOMME NOIR

 

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L'histoire se termine mal. En cinq ans c'est la dégringolade. Bird ne vole plus, il court après la dope. Grossit et s'enlaidit. Ne peut plus jouer, ne sait plus jouer, ne veut plus jouer. Une longue déchéance. Mais le mal est encore plus profond que ne le laisse présager son apparence de déclassé. L'artiste n'a jamais triché. Sait qu'il est allé jusqu'au bout de lui-même. Et jusqu'au bout de ce qu'il est humainement possible de tirer d'un blues de douze mesures ou de la dernière romance du hit-parade. L'a mené à son terme une certaine forme musicale. Rêve d'apprendre le solfège pour suivre les traces de Stockhausen. S'en sait intellectuellement incapable. Lui qui sait tout juste lire et écrire ne possède pas les bases culturelles suffisantes pour se rendre maître de l'évolution atonale de la musique européenne. N'en veut pas à la terre entière. Mais à cet apartheid social qui depuis des siècles a privé l'homme noir de tout épanouissement. S'est toujours méfié des blancs, à de rares exceptions près il les a souvent considérés comme des arnaqueurs, comme ses ennemis. N'est pas populaire uniquement parmi les musiciens, l'est aussi une étoile du ghetto. Fut le premier à relever le front, à n'en faire qu'à sa tête, a emmené la musique populaire des noirs à un niveau de complexité sans égal. Son attitude sardonique vis-à-vis des patrons blancs des bars et des boîtes, son étalonnage des femmes blanches, préfigurent les combats pour l'émancipation, les colères de Malcolm X et la révolte des Black Panthers. C'est un homme usé qui décède le douze mars 1955. Un pur jazzman, mais une vraie vie de rocker.

 

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Un livre magnifique.

 

Damie Chad.

 

HOWLIN' WOLF

 

MOANIN' AND HOWLIN'

 

MOANIN' AT MIDNIGHT / HOW MANY MORE YEARS / EVIL ( IS GOING ON ) / FORTY FOUR / SMOKESTACK LIGHTNIN' / I ASKED FOR WATER ( SHE GAVE ME GASOLINE ) / THE NATCHEZ BURNIN' / BLUE BIRD / WHO'S BEEN TALKING / WALK TO CAMP HALL / SITTIN' ON TOP OF THE WORLD / HOWLING FOR MY DARLING / WANG DANG DOODLE / BACK DOOR MAN / DOWN IN THE BOTTOM / SHAKE FOR ME / THE RED ROOSTER / YOU'LL BE MINE / GOIN' DOWN SLOW / THREE HUNDRED POUNDS OF JOY / BUILT FOR COMFORT / KILLING FLOOR.

 

AAD CD RED 3 / CHARLY RECORDS ( licence CHESS )

 

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C'était un loup du Delta. A longtemps hurlé avec la meute, Charlie Patton, Son House, Robert Johnson et Sonny Boy Williamson II, est monté à Memphis, a réuni son propre orchestre et est allé pousser la porte de Sam Phillips. Y rencontre Ike Turner qui est en train de bricoler ce qui deviendra le very white rock and roll... Suivra la filière, se retrouvera à Chicago, chez Chess. Le méchant loup est entré dans la horde. N'y aura que Muddy Waters pour lui disputer la place de meneur. Howlin' était trop grande gueule, n'avait pas la sagesse d'un chef, pas assez responsable. Un grand gaillard, joue de la guitare, mais son instrument de prédilection sera l'harmonica. Pour la six-cordes il saura choisir ses gâchettes : Willie Johnson, et Hubert Sumlin. Vont lui gratouiller des tressautements éruptifs qui seront d'admirables toiles de fond pour ses parties vocales. Attention, Howlin' Wolf ne chante pas, il mugit comme un taureau, rugit comme un lion et hurle comme le loup. Possède une ménagerie de fauves affamés dans son gosier. Le titre de cette compilation n'est pas anodin. Beaucoup de morceaux du début et de classiques du blues. Un must.

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Moanin' At Midnight, c'est un peu comme un Elvis qui modulerait son Blue Moon mais après avoir pris un rail de cocaïne qui traverserait les States de l'Atlantique à la côte Ouest. Minuit l'heure du crime, n'aie pas peur maman, c'est le loup-garou qui vient t'égorger. Avant de mourir goûte les lampées d'harmonica, elles dégoulinent comme des lampées de sang. How Many More Years, c'est la face B du premier single, interrogation philosophique sur l'évanescence des amours humaines, Howlin' vous décoche un sale accent du deep south, du bout du museau, la bête se bat les flancs avec la queue, et n'a pas vraiment de temps à perdre, tempo piano à l'appui. Evil ( is going on ) planquez-vous sous les tables, la bête n'a pas envie de plaisanter, vous crie ses quatre vérités au téléphone et même à cinq cents kilomètres de lui vous prendriez la chose au sérieux. Ne vous enfuyez pas, le mal est fait. Forty Four, le gars essaie d'être sympa, une rythmique sautillante, mais dès qu'il ouvre la bouche vous n'y croyez pas, trop puissant pour être honnête. Smokestack Lightnin', Tell me Baby, fait du charme, enfin ce qu'il appelle du charme, vous pousse des glapissements aussi vicieux que les yeux baladeurs du loup dans les dessins de Tex Avery, drôle de berceuse, mais au ronronnement de plaisir final, la méthode doit être persuasive. I Asked For Water, c'est le constat final, satisfait et repu, l'a demandé de l'eau elle lui a refilé de la gazoline, ça lui tellement plus qu'il revient à la maison pour faire le plein. Hululements grivois. The Natchez Burnin', l'a foutu le feu à la baraque, pleure sur ses copines qui ont cramé dans l'incendie, soyons sérieux, c'est du blues, l'a perdu sa fiancée pour de vrai. Blue Bird, encore un blues qui égrène ses notes de piano, supplie le petit oiseau de porter un message à la petite Luisa. Dommage, elle a cramé comme un caramel dans le morceau précédent. Who's Is Been Talkin' musique en sourdine, cette fois elle fout le camp, trois coups d'harmo et la voix plaintive qui arrache, la bête hait plus facilement qu'elle ne regrette. Qu'on se le tienne pour dit. Walk To Camp Hall, le blues poisseux comme on l'aime, le loup pris les quatre pattes dans la vase, l'harmo vous ratisse, pas de crainte, l'a chaussé ses bottes de sept lieues et c'est reparti comme en quatorze. Chez Howlin, le blues est toujours revigorant, jusqu'à la guitare qui résonne comme des couvercles de poubelles. Sittin' On Top Of The World, n'en dites pas du mal, il y a du Charlie Watts et du Clapton dans les parages, s'en fout le loup, vous éructe un blues calibré au millimètre près dont on ne l'aurait jamais cru capable. Faut bien apprendre aux englishes qui est le maître de la maison. Howlin' For My Darling, le loup est parmi nous, en goguette, où croyez-vous qu'Eric Burdon ait appris à chanter ? Sur ce morceau-là exactement. Si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à écouter. Wang Wang Doodle, all night long, pour vous aider à comprendre de quoi ça cause, au-dessous du nombril comme toujours, ce coup-ci c'est les Stones qui ont dû l'écouter cent cinquante mille fois, ce qu'ils ont apporté c'est la prise de son, moins claire, plus fouillis, pour cacher les imperfections. Back Door Man encore une pépite de Willie Dixon pour son louveteau préféré. Qui qu'a pompé sa leçon de chant de coton ? Mister Morrison ! faut avouer que c'était un spécialiste des portes. Ouvertes ou fermées. Spoonful, petit trésor de diamant sorti de la joaillerie Dixon, la voix du loup écrase toute l'instrumentation, exploit d'autant plus formidable que les guitares encadrent le morceau de main de maître. Down in The Bottle chanson d'alcoolique guilleret, profitons-en pour nous appesantir sur la raucité du timbre du loup. Une beauté qui éclipse le jeu de la slide. Shake For Me la babe qui shake, on n'y fait même pas gaffe, il y a la voix du Wolf qui virevolte et l'on n'a d'yeux et d'oreilles que pour elle. Ces trois derniers titres se ressemblent, une instrumentation tout en finesse et la gorge du Wolf qui fait la différence. The Red Rooster, c'est Howlin' qui tient la slide – peut-être pour cela que la voix est comme en retrait - avec Sumlin qui joue le contrepoint. L'en existe une version avec en prime Muddy Waters et Bo Diddley, que je préfère. You'll Be Mine, excité le bestiau, a jeté son dévolu sur la demoiselle et n'en démord pas. Nous on a la bave qui dégouline, va vite l'avaler cette friandise. Goin' Down Slow, le vieux morceau d'Oden joué à la perfection, plus bluesy que lui, vous ne trouverez pas. Un truc d'anthologie, nous en profitons pour nous vautrer sur les volées de larmes du piano de Henry Gray. Tail Dragger encore Henry et ses cinquante nuances de Gray sur l'intro de ce morceau hommagial à Tail Dragger ( que nous avons vu en concert, voir KR'TNT 92 du 09 / 04 / 12 ), les cuivres sont discrets mais superfétatoires. Three Hundred Pounds Of Joy, pas de chance cet encombrant saxophone devient omniprésent. Une erreur discographique, faut pas essayer de sonner comme des yéyés quand on est à la source du pure rock and roll et le roi du blues. Built For Comfort du même tonneau que le précédent. Killing Floor encore la même soupe, mais Led Zeppelin l'a reprise à sa sauce, et je préfère. Parfois les fils dépassent les pères.

 

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Damie Chad.

 

18/03/2015

KR'TNT ! ¤ 227. ERVIN TRAVIS / ALLAH-LAS / JALLIES / SONNY TERRY & BROWNIE MCGHEE / JOHN LENNON

 

KR'TNT ! ¤ 227

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

19 / 03 / 2015

 

 

ERVIN TRAVIS / ALLAH-LAS / JALLIES /

SONNY TERRY & BROWNIE MCGHEE

JOHN LENNON

 

 

Ervin news

 

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Ervin n'est pas au mieux de sa forme. C'est le moins que l'on puisse dire. La solidarité commence à se mettre en place en région parisienne. Une partie des bénéfices du concert de Tony Marlow donné le dimanche 15 mars à la Salle des Fêtes de la Mairie du XIV° a été réservé à l'Association Lyme – Solidarité Ervin Travis. Un autre concert est prévu pour le quatre avril, voir affiche ci-dessus. Nous reproduisons ci-dessous un message du FB de l'Association, afin que chacun puisse selon sa convenance manifester son amitié avec Ervin à qui nous renouvelons notre sympathie et souhaitons courage.

 

COMMENT FAIRE UN DON ?

 

Pour les personnes souhaitant faire un don, 3 façons :
PAYPAL
L’adresse mail à utiliser pour faire un transfert à partir d'un compte PP est :
lyme.solidarite.ervintravis@sfr.fr
Merci d’utiliser l’option "paiement à un proche" afin d’éviter les frais de commission. Nous ne sommes pas des vendeurs et ne livrons pas de marchandises.

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l’ordre est «Lyme Solidarité Ervin Travis»
Nous contacter en MESSAGE PRIVE ( sur le FB Lyme – Solidarité Ervin Travis )pour avoir l’adresse d’expédition.

VIREMENT BANCAIRE
Pas encore possible
Toutes les informations nécessaires pour effectuer un virement seront également données sur demande EN MESSAGE PRIVE à cette page dès que nous les auront ( Il faut compter une 10aine de jours à partir de l’ouverture pour que les formalités soient actées & obtenir un RIB. Le compte a été ouvert le 13 mars 2015)

 

 

CAEN ( 14 ) - 28 / 02 / 15

 

LE BIG BAND CAFE

 

ALLAH-LAS

 

ALLAH-LA QUELLE HISTOIRE !

 

 

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— Eh oui, ma bonne dame, quelle histoire, en effet ! Figurez-vous que les petits Allah-las débarquent dans notre bonne ville de Caen !

 

— Oh lolo ! Ben dis donc ! Ça risque de faire des vagues dans le bol de tripes !

 

— Ah ah ah ! Comme vous êtes drôle ! Cette vieille barbe de Guillaume le Conquérant va jerker dans sa tombe !

 

— Et l’église Saint-Jean, vous allez voir, elle va bien pencher pour de bon !

 

— Oh lolo, quelle affaire ! Ça va Malherber dans le bocage ! Bon alors on se retrouve ce soir au Big Band Café ?

 

— Ah bah oui ! Vous y montez comment ?

 

— En autocar. Y fait un encore un peu frais pour monter à Hérouville en mobylette ! Et vous ?

 

— Je vais demander à mon petit-fils de me conduire, comme ça nous redescendrons ensemble par le dernier autocar et nous pourrons échanger nos impressions ! J’en ai la chair de poule, brrrrrrrrrrr, rien que d’y penser, pas vous ?

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— Bah forcément ! J’ai vraiment adoré les deux albums de ces petits Allah-las, alors vous pensez si je trépigne à l’idée de les voir sautiller sur scène ! Je suis aussi excitée que le soir où je suis allée voir Otis Redding à l’Olympia avec mon mari et mes deux enfants en 1967 ! On avait pris la Simca et hop ! En voiture Simone ! On chantait «Try A Little Tenderness» à tue-tête dans la voiture. Mon mari en était dingue ! Il a même failli nous envoyer dans le décor en beuglant le final les yeux fermés - Gotta gotta gotta - C’est moi qui ai redressé le volant juste à temps ! Quelle rigolade ! Les gosses à l’arrière en pleuraient de rire ! Ils disaient : ‘Ah papa c’que t’es con !’ Au moins il aura eu des bons souvenirs à emmener avec lui là-haut, au paradis, mon pauvre Raymond... Quand j’y repense... Vous vous souvenez de sa disparition ?

 

— Oh oui, bien sûr... Il est tombé dans un four pendant une ronde de nuit... On a rien retrouvé, même pas ses lunettes qui avaient fondu, comme le reste, dans l’acier en fusion... Affreux...

 

— Oh mais on ne retrouve jamais rien dans les hauts fourneaux. Il devait avoir trop bu. Il aura sans doute trébuché et plouf ! De toute façon, il se savait condamné. Il avait chopé cette saloperie de silicose, à cause du minerai de fer, comme tous les autres... Pareil que les gars des corons. Il toussait sans arrêt, du matin jusqu’au soir...

 

— C’est vrai qu’il suffisait de voir l’état des jardins potagers de l’autre côté de la route, à Mondeville, et on avait tout compris. Les pauvres poireaux et les pauvres choux étaient rouges comme des betteraves ! Ah quelle misère ! Bon on ne va pas se laisser aller ! Faut que j’aille faire mes courses et trouver un grrros nonos pour Rogaton, mon petit compagnon !

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— Et moi je vais aller au cimetière fleurir la tombe vide de mon cher Raymond. Je vais lui parler des Allah-las, je suis sûre qu’il aurait adoré les voir. On avait tous les disques des Byrds sur Columbia à la maison, vous savez ?

 

— Oui oui, vous me l’avez déjà raconté vingt fois ! Donc à ce soir vers 20 heures ?

 

— Couvrez-vous bien, car la météo annonce du gel pour cette nuit ! Nous mettrons nos doudounes au vestiaire, comme ça nous pourrons aller danser le jerk au pied de la scène et applaudir les petits Allah-las.

 

La pluie avait radouci le temps, ce soir-là. À l’entrée de la salle stationnait la petite troupe de fumeurs habituelle. Les deux amies se retrouvèrent facilement au pied de la scène, car la salle n’était pas comble. Elles durent endurer deux interminables premières parties puis elles virent les petits Allah-las débarquer sur scène pour brancher leurs jolies guitares de collection. Elles admirèrent les boots des deux guitaristes, mises en valeur par de judicieux feux de plancher. Le soliste se glissa sous son ampli Fender, comme on se glisse sous une voiture pour réparer quelque chose.

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Le spectacle put enfin commencer. Les petits Allah-las se lancèrent dans l’interprétation appliquée d’une douce série de chansons groovy. Oh, ils n’étaient pas du genre à se rouler par terre. On sentait bien que ces jeunes gens étaient d’un naturel profondément pacifique et que jamais il ne leur viendrait à l’idée d’écraser un moustique. Ils chantaient avec une douce ferveur et grattaient des beaux airs psyché, légers et délicats comme ces libellules qu’on voit danser l’été dans l’air chaud près des étangs. Les deux amies durent poireauter une bonne demi-heure avant de pouvoir commencer à jerker. Elles se penchaient par dessus les retours pour lire la set-list et s’assurer que leurs morceaux préférés y figuraient. Le petit chanteur des Allah-las n’en revenait pas de voir danser les deux mémères à ses pieds. Elles roulaient des hanches et moulinaient l’air de leurs bras nus. Elles semblaient émoustiller le petit chanteur des Allah-las qui se mit lui aussi à rouler des hanches, mais pas trop. Il veillait à bien rester dans le giron du softy-softah psyché de fête foraine.

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— Ah quel concert ! Ces petits Allah-las étaient épatants, même s’ils me paraissaient un peu mous du genou ! Je vais aller aux toilettes m’éponger un peu et me rafraîchir !

 

— Vous avez raison, nous avons toutes le deux le rimmel qui coule ! On ressemble à des filles de joie ! Et puis nous prendrons une bière avant de redescendre. Il nous reste une grosse demi-heure avant le dernier autocar. Tenez, je vous l’offre !

 

Après un rapide détour par les toilettes, elles s’installèrent au bar devant deux belles pintes.

 

— C’est tout de même curieux. Je les trouve bien meilleurs sur leurs disques que sur scène, pas vous ?

 

— Je n’osais pas le dire, mais j’ai ressenti exactement la même chose, Simone.

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— Tenez, prenons un exemple : le morceau que j’aime bien sur leur deuxième album, c’est «De Vido Voz» qui sonne exactement comme un tube des Byrds !

 

— Je préfère «Had It All», ce psyché aristocratique joué à l’arpège et balayé par des vents d’Ouest, comme dans «Eight Miles High», vous voyez ? Ils savent aussi mettre le cap vers le Heurte Of The Sunne ! Ces petits gars sont épatants car ils nous ramènent vraiment à l’âge d’or du psyché californien ! Quel bonheur ! D’ailleurs, dans «Ferus Gallery», ils sont byrdsiens comme cochons ! Chez eux, de toute façon, c’est tout l’un ou tout l’autre !

 

— Que voulez-vous dire ?

 

— Je veux dire qu’ils sont soit dans les Byrds, soit dans Syd Barrett. Tenez, un morceau comme «501-415», c’est bien du pur Barrett, n’est-ce pas ? On croirait vraiment entendre chanter ce pauvre Syd ! Et «Buffalo Nickel», c’est vraiment digne des Byrds de la première époque, quand David Crosby faisait encore partie du groupe. Quelle science de l’arpeggio ! Ces jeunes gens cherchent vraiment la petite bête en titillant les harmonies vocales. C’est le genre de chose qui me fait perdre la tête, voyez-vous !

 

— Oh je vous comprends parfaitement, mais il y a sur ce deuxième album une autre perle.

 

— Ah je vous vois venir... «Follow You Down» ? Je sais que vous préférez le garage... Et j’irai plus loin ! Je vous suspecte d’aimer le garage parce que vos parents tenaient un garage à la Demi lune, pas vrai ?

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— Alors là bravo ! J’admire votre perspicacité. Mon père avait du noir sous les ongles et il mettait les Them sur le tourne-disque le dimanche midi alors qu’on était à table tous les trois avec maman. Alors forcément, un morceau aussi primitif que «Follow You Down» ne peut que me parler. Et vous avez aussi le dernier morceau de l’album, «Every Girl», avec ses terribles descentes de yeah yeah yeah ! J’appelle ça du sale petit garage merveilleux. Mon père aurait donné sa caisse à clous en échange d’un 45 tours comme celui-là. Et j’aime autant vous dire qu’il y tenait à sa caisse à clous ! Comme à la prunelle de ses yeux !

 

— Bon, je remets une tournée !

 

— Mais nous allons rater le dernier autocar !

 

— Pour une fois qu’on s’amuse ! On trouvera bien une âme charitable pour nous déposer en ville. Barman ! S’il vous plaît, deux grands verres de bière, oui les mêmes. Permettez-moi de vous demander un petit service, jeune homme... Connaîtriez-vous quelqu’un qui serait assez aimable pour nous redescendre en ville ?

 

— Oh, pas de problème, madame. Je m’occupe de vous trouver un chauffeur, vous inquiétez pas.

 

— Merci monsieur ! Vous voyez, ma chère, tout s’arrange ! Je tenais quand même à vous faire une confidence. Je préfère nettement le premier album des petits Allas-las... Quand je le passe sur mon lecteur, franchement, je crois entendre un album enregistré en 1965 à Sausalito ! Vous avez entendu les gros tambourins dans «Don’t You Forget It» ? En tous les cas, je peux vous dire qu’ils savent titiller l’oreille d’une dame ! J’ai même établi un troublant parallélisme avec le Brian Jonestown Massacre ! Ça m’est apparu clairement à l’écoute de «Busman Holiday». J’adore ce garage racé qui se profile sous le soleil, on se croirait dans Easy Rider, vous ne trouvez pas ?

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— Oh que oui ! Par contre, avec «Tell Me», ils reviennent au bon garage malveillant, tel que l’avait imaginé Van Morrison à Belfast ! J’adore ce riff de basse. On sent que ces petits Allah-las ont écouté les groupes de garage mexicains qui comptent parmi les plus pernicieux, je vous assure !

 

— Et ce morceau embarqué à l’arpège de Rickenbacker... «Vis-A-Vis», comme c’est beau ! Ça faisait une éternité qu’on n’avait plus entendu des gens capables de rendre hommage aux Byrds. Notez bien que tout cet aplomb et tout ce talent, c’est un peu louche, quand même... Mais je sais que vous préférez le dernier morceau, «Long Journey», avec ses accords glacés et ses écrans psychédéliques, ses riffs noyés de fuzz et ces Down by the river qui font penser aux Stand...

 

— Mais qu’avez-vous Simone ? Vous venez de pâlir d’un seul coup, comme si vous aviez vu un fantôme...

 

— Vous ne croyez pas si bien dire... Regardez discrètement le couple, là-bas, à l’autre bout du bar...

 

— Oui, et alors... Le vieux monsieur avec la dame trop maquillée ?

 

— Ben oui... C’est... C’est Raymond... J’en mettrais ma main à couper.

 

— Mais enfin, ça fait quarante ans qu’il est mort ! Il y a une petite ressemblance, en effet, mais de là à imaginer... Mais enfin Simone, où allez-vous ?

 

Elle ne répondit pas et fendit la foule jusqu’à l’autre bout du bar. Elle se planta devant l’homme :

 

— Raymond ?

 

L’homme qui l’avait vue arriver ne cilla pas.

 

— Pardon ?

 

— Mais tu es Raymond ! Je te reconnais... Voyons, c’est moi Simone, ton épouse !

 

— Vous devez faire erreur, madame. Je m’appelle Albert. Vous voulez voir mes papiers ?

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Simone ne répondit pas et fit demi-tour. Elle revint à sa place au bar, siffla le restant de sa pinte d’un trait et sortit prendre l’air. Son amie vint la rejoindre. Puis un type surgit pour leur dire qu’il pouvait les ramener. Il les conduisit jusqu’à une Mercedes garée sur le parking.

 

— Où voulez-vous que je vous dépose ?

 

— À l’entrée de la rue Jean Romain, si ça ne vous ennuie pas.

 

— Aucun problème, c’est sur ma route.

 

Elles s’installèrent à l’arrière du véhicule.

 

— Je suis certaine que c’était lui. Voyez ma chère comme la vie est bizarre. On passe une bonne soirée, on voit un bon petit groupe psyché frais comme un gardon et on finit par croiser un fantôme. Je me demande vraiment si tout ça est encore de mon âge !

 

Signé : Cazengler, l’à la ramasse

 

Allah-Las. Big Band Café. Caen (14). 28 février 2015

 

Allah-Las. Allah-Las. Innovative Leisure Records 2012

 

Allah-Las. Worship The Sun. Innovative Leisure Records 2014

 

De gauche à droite sur l’illustration : Matthew Correia (drums), Miles Michaud (chant et guitte), Pedrum Siadatian (guitte) et Spencer Dunham le basman.

 

THOURY-FEROTTES14 / 03 / 15

 

BAR LE THOURY

 

JALLIES

 

Je suis mort. Inutile de rire. Depuis cette nuit funeste du 12 au 13 décembre 2014, si vous désirez la date exacte. Depuis lors les textes signés de mon nom que vous avez pu consulter sur ce site ne sont qu'émanations délétères dues à un ectoplasme de résidus psychiques qui rôdent au-dessus du clavier de mon ordinateur. Un nuage chtonien que le temps s'acharne à grignoter afin de le mieux disperser. Mais ce soir, le mortier sépulcral qui scelle les pierres de mon tombeau d'élite se délite et s'effrite dans le silence. Mon cadavre couché dans sa bière ( une mort subite ) rouvre les yeux. L'énergie du rock and roll recommence à couler dans mon corps froid. Tel le phénix qui renaît de ses cendres, tels les premiers Dieux lovecraftiens qui s'apprêtent à sortir de l'abîme, je renais à moi-même et mon âme de chair et de sang recomposée hurle de terribles imprécations à la lune qui se voile d'un halo d'effroi. Je suis de retour. Ma mission, en ce bas-monde n'était pas terminée, car je porte gravé à même la paroi de mon cœur tumultueux le talisman d'immortalité des trois roses sacrées dont je suis le hérault. Le devoir m'appelle dans le bourg fantôme de Thoury-Férottes. Vous pouvez avoir les chocottes.

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Je ne suis pas le seul. Une véritable malédiction. Chaque fois que je décide d'aller voir les Jallies en concert – un plaisir égoïste qui d'après moi ne se partage pas – la voiture se remplit comme par miracle. Le grand Phil – je veux bien admettre, me sert de chauffeur – mais la copine suspicieuse comme le commissaire Maigret et Richard le jazzeux, devrait y avoir des interdits municipaux qui notifient expressément la non-nécessité métaphysique de leur présence. Enfin qu'y puis-je, trois mois pleins sans avoir vu les Jallies, je suis prêt à faire des concessions pour ne pas perdre de temps et éviter d'interminables discussions sur l'inaliénable droit démocratique de tout un chacun à pouvoir user des éléments indispensables ( eau, air, logement, Jallies ) au bonheur de vivre.

 

Vous en eussiez eu le coeur chaviré. Les retrouve toutes les trois, pauvres oiselles affamées, pépiant de désespoir, attablées devant une mince tranche de pâté sans croûte et une étroite pointe de calendos crayeux, manifestement le couscous royal distribué à la clientèle n'était pas pour elles. Au Thoury l'on partage l'adage populaire selon lequel c'est le ventre creux que les artistes maudits produisent leurs plus belles œuvres. Ah ! Vous vous prenez pour des cigales, eh ! bien chantez maintenant !

 

PRESENTATION

 

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Solidarité masculine oblige, commençons par les garçons. L'on ne va tout de même pas céder à tous les passe-droits de ces demoiselles, déjà qu'elles se sont adjugées les premières places d'honneur. Thomas, chemise blanche, jeans et chapeau de feutre noirs, guitare meurtrière en bandoulière. Kross, le nouveau venu, lunettes, contrebasse, tenue, toutes d'un noir suppôt de Satan, n'y a que les pansements enroulés autour de ses doigts qui soient blanc comme l'innocence. Sérieux et virils les gars vérifient leurs instruments, devant les poulettes caquètent. Quelle est la plus belle ? Indéniablement, chacune des trois. C'est comme la règle ( celle de trois ) quand vous gardez un seul élément, ça ne fonctionne plus. Les blondes couettes accroche-rêves de Vanessa, la sombre jupe au-dessus interdit du genou d'albâtre de Céline, la robe candide ocellée de motifs écarlates de Leslie, un poète dirait que tous ces charmes aigus sont autant de preuves et de promesses de la beauté souveraine de ce monde.

 

PULSATIONS

 

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Trois mois que je n'ai pas vu mes Jallies préférées. C'est vrai qu'entretemps j'ai fait autre chose, je suis mort et ressuscité, mais là je suis cueilli à l'estomac dès les premières notes. We Are The Jallies, Céline ouvre les portes vocales et libère les fauves du swing. Ventres vides mais pleines voix, derrière et à côté les chœurs ratissent large, le morceau devient vite un labyrinthe échevelé, un entremêlement sans fin, faut aussi écouter Kross. Vient du punk, et ça s'entend, pas franchement un adepte de la sardane catalane. Ne cajole la grosse grand-mère que depuis trois mois, mais n'entend pas la faire ronronner en douce comme un chat sur le canapé. Faut qu'elle miaule par devant, comme si on lui marchait sur la queue. N'en a plus de peau sur les doigts, mais il en rajoute à chaque fois. Du scotch autour de ses phalanges meurtries et de la force de frappe sur les cordes. L'a compris qu'il n'est pas là pour étendre le linge. Se partagent les soli avec Thomas. A toi le premier, à moi le second. Saine et saigne émulation. Se lève tôt, Thomas. Pilote une guitare sans frein à disques. Faut que le solo fuse comme un feu follet. Les trois minettes ont compris le message, dès qu'elles sont à la caisse claire, elles accélèrent le rythme et frappent comme des sauvages. Faut envoyer. Direct par avion et pas de poste restante. Les Jallies n'ont jamais été aussi percutantes.

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Je jette un regard à Richard, l'ignominieux jazzeux, dans son orbite, sa pupille frétille. Les filles pétillent. Sa main ondule sur la table. Y trouve son compte. Ça part dans tous les sens, mais ça retombe pile à contre-temps sur midi tapante comme la grande aiguille de la pendule. L'est ravi par ces harmonies qui s'interpénètrent, se chevauchent, se mordent à belles dents, et puis s'épurent, se dispersent et se réunissent comme les serpents entremêlés d'un caducée musical.

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Un invité de marque. Tristan, prend la guitare sèche. Les premières mesures ne sont pas concluantes, l'électro-acoustique se révèle un peu faiblarde dans l'accompagnement, mais lorsque l'on rentre dans le solo, faut entendre comme il glisse son jeu dans le feu des dieux entretenu par Thomas et Kross, tisse sa toile comme la divine Araknée, c'est le Goodbye Bessie May. Une bricole d'Hendrix, à la sèche et sans wah-wah faut avoir du chien pour jouer si méchant. Recueille une telle salve d'applaudissements le Tristan que les trois Iseult le rappellent pour un deuxième morceau.

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L'on pointe ici le mystère de la grâce jallienne. Tout réside dans le traitement architectural des morceaux. Que ce soient les originaux ou les reprises. Tout se passe, non pas dans les arrangements, mais dans ce que je nommerai les dérangements. Au sens clinique de parfum de folie. Je ne sais pas comment ces demoiselles font le ménage chez elles, mais dans leurs musiques elles pratiquent le tohu-bohu appropriatif et le remue-ménage ordonnatif. Détruisent tout en surajoutant. Tellement mignonnettes que l'on ne sait pas laquelle regarder, mais chantonnent si friponnes que l'on ne sait plus laquelle écouter. Se passent le témoin. Céline en forme olympique, Leslie qui chante plus vite que les paroles, Vanessa qui pulvérise le record. Des championnes. Plus tard, après trois ricards, Richard le jazz-hard s'extasiera sur le timbre ( de collection ) de leurs voix. Pas de hasard dans leur bazar, nous parle de cathédrale vocale, avec tympans colorés et chœurs angéliques. N'a pas tort, mais diaboliques conviendrait mieux, car leurs trois organes entrecroisés se livrent à des sarabandes de rubans phoniques qui vous font autant perdre la tête que les mélodieuses sirènes d'Ulysse. GRS, Gymnastique Rythmique, Rock And Roll.

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Dès le début du deuxième set, Kross n'a plus de doigts. Tant pis, découvre le jeu de paumes. Davantage d'impact sur les cordes, aucune envie de descendre du ring. De toutes les manières c'est la grosse mémère qui encaisse les coups. Lui résonnent dans la charpente, en font trois fois le tour et ressortent par la fente des S pour venir claquer à nos oreilles. A vous fragmenter le cérumen. Thomas en profite pour vriller quelques licks en piqué, dans le but assassin de nous transpercer le conduit auditif de ses balles traçantes. N'ont rien eu à manger, mais ce soir les Jallies ont bouffé du lion. Les trois femelles devant, qui chassent à mort et les deux mâles derrière qui rugissent pour les encourager.

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Le groupe n'a jamais sonné comme ce soir. ( Je dis cela à chaque fois, mais c'est vrai à chaque soirée ). Le même répertoire, mais une surprise à chaque morceau. Se débrouillent pour nous clouer le bec. Céline qui chante comme une diva, Kross qui arpège à tout va, Leslie qui nous envoûte, Thomas qui nous séduit, Vanessa qui nous étonne.

 

REVELATION

 

Dans la voiture Richard le jazziste émérite – l'est un fan de Django et des manouches - épanche ses regrets. Des mois qu'on lui signale les concerts de nos trois sorcières du rockabilly-swing, et lui qui faisait le difficile. L'est sous le charme des jouvencelles, leur naturel, leur simplicité, leur espièglerie, leur énergie qui fuse comme des bouchons de champagne. Leur ballet incessant, leur aisance, leur sympathie et cette connivence chaleureuse qu'elles installent avec le public, très vite conquis. Pour le faire râler, avec le grand Phil l'on évoque les concerts passés, la copine sentimentale verse une larme pour Julien, le précédent bassiste, parti pour d'autres aventures. Bref, une superbe soirée, une quintessence rockab-swing qui vous requinque pour la semaine suivante. Fameux fortifiant. Dépasser la dose prescrite est fortement conseillé.

 

INHUMATION

 

Juste avant que le soleil ne se lève, je soulève la dure pierre tombale de mon repos éternel. Je descends les longs escaliers du désespoir et me couche sur les cendres indivises de mes ancêtres. Je ferme les yeux et ma respiration s'estompe. Je ne suis pas comme ces pauvres mortels, ces vils cloportes humains, qui s'obstinent à vivre alors que les trois enchanteresses se sont tues. Le monde n'est plus qu'une vaste grotte sombre sans soleil et silencieuse...

 

Je suis mort. Seul et oublié de tous. Mais je ne me plains pas. Car je sais, qu'un soir ou l'autre, l'appel du devoir retentira, que je rouvrirai mon regard de glace, et que - telle une fusée s'arrachant à l'orbite terrestre, de mon tombeau je jaillirais pour revoir les Jallies.

 

Ô mon coeur tatoué du talisman sacré

 

de trois roses diaprées sans épines !

 

Damie Chad.

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( Les photos qui ne sont pas du concert ont été prises sur le FB de Mégapix'elle – elle, photographe douée )

 

 

 

SONNY TERRY & BROWNIE MCGHEE

 

HARMONICA TRAIN

 

STRANGER BLUES / I DON'T WORRY / FOUR O'CLOCK BLUES / LONESOME ROOM / BABY LET'S HAVE SOME FUN /NO LOVE BLUES / WINE HEADED WOMAN / BAD LUCK BLUES / MAN AIN'T NOTHIN BUT A FOOL / WOMEN IS KILLING ME / DANGEROUS WOMAN / NEWS FOR YOU BABY / HARMONICA HOP /DOGGIN'MY HEART AROUND / SONNY IS DRUNKIN' / I'M GONNA ROCK YOUR WIG / DANGEROUS WOMAN / I LOVE YOU BABY / HARMONICA TRAIN.

 

Enregistré : NY 1952 / 1953 / 1954 – Philadelphia 1952.

 

Past Perfect. Siver Line. 2002. TIM Instrumental Music Company. 220357 / 203.

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Encore ramené à l'aveugle – normal pour Sonny Terry – de la deuxième rangée de Cd sur l'étagère inaccessible. Bonne pioche ? Désolé, on est loin des camps de vacances de Perchman... Du blues ? Serais plutôt tenté de dire du country blues en appuyant un maximum sur le premier mot. Peut-être même du folk blues. Dans le mauvais sens du terme. Du genre, chic regardez-nous, les choses se combinent à merveille, par un coup de chance inespérée nous sommes à la mode.

 

Faut que je me calme, d'habitude je ne suis pas aussi méchant. Surtout que question authenticité historique je n'ai rien à opposer à ces gars-là, qui ont vu le jour en 1911 ( Terry ) et 1915 ( Brownie ). Ne sont pas tout à fait nés dans les profondeurs du delta mais plus haut, à l'est dans les premiers contreforts des Appalaches, ce que l'on appelle le Piedmont. Z'ont tout de même la guigne sur une vie qui n'est pas du gâteau. Brownie Mc Ghee, ne rencontre peut-être pas le diable à un carrefour, mais il en porte la marque, une jambe tordue par la poliomyélite. Quant à son collègue devenu aveugle à quinze ans, il ne pourra même plus se voir pleurer. Mais suffit d'avoir une bouche pour souffler dans un harmonica, le jeune Terry n'a plus que ce jouet pour communiquer avec le monde. Tous deux qui ne se connaissent pas prennent la route. Sonny Terry rencontre une pointure en la personne de Blind Boy Fuller. Guitariste et chanteur. Qui décède en 1941. Juste à temps pour être remplacé par une nouvelle connaissance, Brownie McGhee. Guitariste et chanteur. Two stars are born. Enregistrent dès 1941, mais notre CD nous offrent des sessions postérieures d'une dizaine d'années.

 

Je ne vais pas vous faire un titre à titre. Pour une raison bien simple. Sont tous parfaits. Le blues comme vous l'avez toujours désiré. Un beat qui balance avec nonchalance. Un harmo qui shuffle comme une Pacific 231 qui aborde les premières pentes des Rocky Mountains sans ralentir, et une guitare qui joue les deux partoches en même temps, les grosses cordes pour tirer en ahanant le lourd seau du chagrin sur la margelle du puits, et les petites qui trottent comme l'insouciance d'un foal fou dans un pré d'herbe verte ( vous permets de traduire blue grass ). Deux belles voix quand elles chantent à l'unisson, et celle de Brownie qui s'écoute avec plaisir. Dix neuf morceaux, dix neuf délices d'oreilles. C'est si bath que l'on a l'impression d'entendre deux fermiers aux francs sourires, deux braves bûcherons aux cœurs sains comme deux tranches de bon pain blanc. Rien à voir avec deux vieux poivrots de nègres vicieux qui passent par la porte de derrière pour aller beurrer la boîte à confiture de votre poupée. Deux mecs tellement honnêtes que ce sont les yankees qui ont acheté leurs disques et fait leurs succès. Pour tromper le client nos deux compères poussent de petits yodels de cowboys à l'entrée des intros. Et puis comme ils savent qu'il ne faut pas exagérer en singeant de trop près les tics des anciens maîtres, retombent tout de suite dans la syncope bluesy lancinante. Savent tout faire, dans le morceau suivant vous la refont en rock and roll, avec un pianiste qui touche et une batterie qui tache.

 

Z'en êtes qu'à la piste huit et déjà vous savez que vous vous enquillerez tout le reste sans ciller. C'est du blues de tout repos, pouvez l'écouter en vous balançant dans un hamac. Pas le poison qui vous incite à ouvrir le tiroir du buffet pour vous saisir du revolver et vous l'appuyer sur la tempe. Du solide, du revigorant. A tel point que Woody Guthrie a joué avec eux. Du blues qui file la pêche, pas spécialement révolutionnaire, mais avec un enthousiasme communicatif capable de pousser les foules hors de leur léthargie. Vous matraquent des rock à vous faire enfler la banane. Mine de rien, ils arrachent et n'attachent pas leur blues mélodique avec des saucisses de Strasbourg. Prennent des hot dogs de préférence au harissa. Et paf retombent dans un de ces blues alcoolisés, du faux honky tonk pour club de jazz fatigués quand les musicos étirent les notes pour en jouer juste le minimum syndical. Y a même un accordéon – plutôt un dobro qui en imite les sonorités - pour vous faire guincher. La maison ne recule devant aucun sacrifice pour vous satisfaire.

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Excusez-moi de faire comme vous, qui louchez sur la plus jeune des filles de la famille lorsque l'on vous présente la digne matrone de la maison, moi dans ces séances c'est le piano de Bob Gaddy qui me fascine. Ce zigue pâteux vous l'auriez incorporé dans les Blue Caps de Gene Vincent pour par exemple baldinguer le piano sur Rocky Road Blues, l'aurait été à son aise comme dans les clubs de New York où il avait ses entrées. Question dates nous sommes en 1952 et 1954, à deux ans des premiers enregistrements du Screamin' Kid. Pas de hasard, uniquement des rencontres.

 

J'ai fait la fine bouche, m'en resservirais bien une louche. Presque Sonny Terryble et Brownie Mcgheeque !

 

Damie Chad.

 

 

LA BALLADE DE JOHN ET YOKO

 

( Traduit et adapté de l'anglais

 

par C. DERBLUM )

 

( Le Serpent à Plumes / 2005 )

 

A l'origine Le Serpent à Plume fut une revue. L'œuf du reptile fut fécond. Une maison de d'éditions en naquit. Le petit Quetzalcoalt eut la folie des grandeurs, voulut devenir aussi gros qu'un anaconda amazonien. Ce qui devait arriver arriva. Fut mangé avant d'avaler les autres. Car la forêt amazonienne littéraire est une jungle capitaliste sans pitié. Durant une dizaine d'années ce ne fut que tours de passe-passe, jeux de mécano financier et de monopoly pas très poli. Le petit ophidien qui voulait jouer dans la cour des grands se retrouva aux Editions du Rocher, ses ennemis idéologiques... Il y eut comme un infléchissement de ligne éditoriale... la suite des aventures devint complexe, sociétés mises en faillite, vendues et rachetées, selon des logiques financières qui nous échappent... Fin 2014, Le Serpent à Plumes se retrouve dans les mains d'un de ses premiers créateurs qui en avait été chassé, lors du premier rachat, et qui a dû récupérer la coquille vide pour pas très cher... Je me demande pourquoi je m'occupe tant de ce Serpent plutôt déplumé qui ne prit jamais trop de risques se contentant la plupart du temps d'éditer des auteurs étrangers très connus – c'est ce que les libéraux nomment la prise de risque – ou des auteurs du tiers-monde - c'est ce que les médias officiels appellent le développement de la francophonie - à qui l'on fait miroiter des contrats mirifiquement léonins...

 

Je ne suis un fan ni du Serpent à Plumes, ni des Beatles, ni de John Lennon. Et encore moins de Yoko Ono. Mais un élégant volume de poche, tout neuf, chez mon soldeur provinois préféré, à soixante huit centimes, qui pourrait refuser ?

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La Ballade de John et Yoko, proprement dite, n'occupe qu'une trentaine de pages. Ecrites en 1978, elles participent pleinement des illusions hippies. Peace and Love. John y relate ses fameux bed-in avec sa chérie. Nous explique d'abord qu'il a toujours rêvé d'une femme brune et asiatique. Et plouf, manque de chance, il tomba sur Yoko et son charmant minois japonais. L'amour et la politique font-ils bon ménage ensemble ? Bien sûr que oui, lorsque l'on est aussi populaire que le leader des Beatles. L'est vrai qu'il veut un peu le beurre et l'argent du beurre. L'a déjà la crémière, sa Yoko chérie, lui manque la carte de résident ad vitam aeternam au pays de l'Oncle Sam. Manifestent depuis sa chambre d'hôtel pour la paix dans le monde ce qui ne fait pas plaisir aux autorités du pays empêtrée dans la guerre du Vietnam... Les journalistes se pressent dans la chambre des tourtereaux. Les réflexions de Lennon sont d'une naïveté confondante. Pas un seul moment il n'entrevoit l'atroce vérité des médias démocratiques qui préfèrent offrir à leur public un panorama sur les deux popotins les plus célèbres de la planète plutôt que de faire réfléchir leurs lecteurs par quelques articles corrosifs sur la nature de la guerre en tant que rouage économique du marché... Se perçoit comme le grand manitou manipulateur, alors qu'il n'est qu'une marionnette que l'on agite pour distraire l'esprit des foules décervelées.

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D'ailleurs élude vite le problème dès qu'autorisation de stationner à volonté sur le territoire amerloque lui est donnée. Notre penseur qui s'est dépensé sans compter se retire en sa tour d'ivoire. Retourne au travail – c'est ainsi qu'il le revendique – il s'occupe du bébé. Entre les biberons, il écrit de la poésie. Enfin un peu n'importe quoi. Ce qui lui passe par la tête. Sans queue ni cervelle. Avec caution dadao-surréaliste. Attention nous avons affaire à un intello. Dommage que son Alphabet ressemble aux galimatias que l'on retrouve dans les poèmes d'expression libre des classes de sixième. Nul n'est parfait. Même pas John Lennon. Mais contrairement aux autres, lui il ne s'en est pas aperçu.

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L'a tout de même des projets plus ambitieux. Ce sera Eclats de Ciel. Une oeuvre digne de ce nom. Un projet pharaonique. Un roman. De cent cinquante pages. Avec un début, un milieu, une fin. Une histoire avec deux personnages. Annoncé de cette manière, l'ensemble ne manque pas de cohérence. L'ai lu jusqu'au bout. Pour vous faire plaisir. En fait non, erreur sur toute les lignes. C'est Yoko, la veuve éplorée qui tient à conforter sa maigre pension de retraite et qui étant du genre à ne rien laisser traîner, regroupe quelques textes écrits au fil de la plume, très rapidement, sans vouloir se revendiquer de l'écriture automatique, just a thousand jokes qu'il aimait à lire à haute voix à sa dulcinée, pour éclater de rire de connivence.

 

De petits récits qui se suivent à la queue leu leu, délire surréaliste pour les premiers, mais au fur et à mesure que l'on avance, la réalité reprend ses droits, à la fin de simples histoires de rencontres éroticoq-amoureuses. Soyons francs, l'est parfois difficile de ne pas rigoler. De l'humour bien british, un vieux fonds de loufoquerie de Nursery Rhymes, une cacophonie cacaphonique réjouissante. Mais aussi de longs passages ennuyeux. Quand l'écriture devient un système, le lecteur ne suit plus. Se fatigue. Les répétitions abracadabrantes produisent un effet lancinant.

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De quoi ça parle au juste ? De tout et de pas grand-chose. L'on a l'impression que par-devers les personnages qui n'arrivent jamais à une stabilité existentielle et affective, les phrases tournent en rond, c'est l'écriture qui se mord la queue. Mais qui comme une chienne idiote croit détenir entre ses dents le fil d'Ariane de la création poétique . Critiques de la société et de nos travers individuels sont donnés en prime et ne constituent pas la base idéologique de ces historiettes nombriliques et dépourvues de la chair du monde. Elles furent jetées sur le papier dans ces années de repliement où le couple emmuré vivant dans son bunker relationnel se referma sur lui-même comme les deux valves d'une coquille d'huître autiste. Projets avortés de dérivations personnelles à la dé-pression de Lennon, après toutes les années de pression que fut la carrière tumultueuse des Beatles. Vaut quand même mieux écouter les disques.

 

Damie Chad.

 



 

11/03/2015

KR'TNT ! ¤ 226. ERVIN TRAVIS / HEAVY TRASH / TENNESSEE WILLIAMS / LESTER BANGS

 

 

KR'TNT ! ¤ 226

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

12 / 03 / 2015

 

 

ERVIN TRAVIS / HEAVY TRASH

TENNESSEE WILLIAMS / LESTER BANGS

 

 

ERVIN TRAVIS NEWS

 

 

Ervin n'est pas au mieux de sa forme, touché par la grippe. La date du départ pour l'Allemagne s'approche bien lentement. La version papier du Journal Officiel rendant-compte de la création de l'Association Lyme – Solidarité Ervin Travis est attendue avec impatience. Les choses se mettent en place slowly but surely... Un merci à Billy Brillantine ( voir KR'TNT n° 2 du 01 / 06 / 09 ) et à ses boys pour la soirée de solidarité organisée au Rocky Bar en Alsace... Salutations à Ervin ! Courage et keep on rockin' !

 

 

106 / ROUEN26 / 02 / 15

 

HEAVY TRASH

 

 

PAS DE TRICHE AVEC HEAVY TRASH

 

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Avant de devenir un phénomène à part entière, Heavy Trash n’était au début qu’un side project pour Jon Spencer et Matt Verta-Ray, les deux mamelles du garagisme punk-blues américain des temps modernes. Matt Verta-Ray ne sort pas de la cuisse de Jupiter. Il œuvre au sein de Speedball Baby et accompagne régulièrement Andre Williams. Jon Spencer compte parmi ses nombreux exploits un album explosif avec R.L. Burnside, du jive conjugal avec son épouse Christina au sein de Boss Hog et du gros blastage de boutica avec les deux fils Dickinson. À titre de producteur, il compte parmi ses clients les Cheater Slicks. À titre de bidasse, il a fait ses classes avec Pussy Galore et dépucelé sa guitare chez Monsieur Jeffrey Evans. Il n’a donc absolument plus rien à prouver. Cet homme averti en vaut donc deux. Avec le JSBX et Speedball Baby, ces deux-là ont tellement frappé nos imaginations pendant vingt ans qu’elles en sont devenues indolores. Je veux dire par là qu’ils nous ont gavés de très grands disques. Ils naviguaient à très haut niveau. Hormis les Dirtbombs, les Chrome Cranks et The King Khan & BBQ Show, peu de gens pouvaient prétendre naviguer au même niveau.

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Chaque concert du JSBX tournait en fête païenne. Les rares concerts de Speedball Baby occasionnaient des chocs émotionnels intenses.

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Avec Heavy Trash, nos deux cocos tapent dans un agglomérat de country sauvage, de gospel de bastringue et de ramshakle monochrome. Leur premier album parut en 2005. Ils avaient opté pour une pochette illustrée qui ne les restituait pas très bien. Mais musicalement, on risque l’indigestion. Dès «Lover Street», Jon blaste son r’n’b et lâche des ouh ! parfaitement justifiés. Il flirte avec le boogaloo pendant que Matt tisse sa toile - Ouh ! - Jon fonce, comme un mec qui ne craint pas la mort. Il jerke à la croisée des chemins et mélange Johnny Burnette avec Eddie Floyd. En éponge qui se respecte, il récupère tout et recrache du shuffle de glotte - Sock it to me baby ! - Il enjambe tous les genres. Ce mec n’en finit plus de jouer avec le génie. Il reprend à son compte tous les effets vocaux d’Elvis dans «The Loveless». Sans problème. Tous ceux qui l’ont vu sur scène ont forcément été frappés par sa classe et sa beauté elvissienne. Avec «Walking Bum», Matt et Jon roulent sur les plate-bandes du Creedance Clearwater Revival - époque du premier album - Matt nous gave de twang guitar. «Justine Alright» bénéficie d’une petite intro speedée à la Eddie Cochran. Jon rigole - ah ah ah - et il embraye brutalement sur un killer cut aux paroles mâchées - une espèce de rap country - pendant que Matt place des chorus écœurants de perfection. Jon attaque tous ses couplets avec cette opiniâtreté bravache qui depuis est entrée dans la légende. Le son de «The Hump» se veut aussi épais que de la purée froide. Jon y enfonce son dard vocal et avance avec un foudroyant mépris des lois de la gravité. «Mr KIA» sonne comme le «What’d I Say» de Ray Charles. Jon chante ça d’une voix atrocement profonde, en fait un prêche à la Jerry Lee et plane au-dessus de nos têtes comme un vautour. Pendant ce temps, Matt joue comme un dieu, en tirant les cordes de sa Gretsch et en se contorsionnant. S’ensuit «Gaterade», un classique automatique monté sur une petite gamme diabolique. Jon espace ses phrasés pour laisser Matt descendre sa petite gamme et balancer un solo de fête foraine d’une perfection intangible. Et puis voilà «This Way Is Mine» que Jon balance avec une ferveur digne d’un vendeur aux enchères texan sorti tout droit d’un film de Robert Altman. On se doutait bien à l’époque de sa parution que ce premier album d’Heavy Trash allait créer l’événement. On savait Jon Spencer parfaitement incapable de sortir un mauvais disque.

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Bien sûr, les concerts d’Heavy Trash créent encore plus l’événement. À l’époque de leur premier concert parisien, on commençait par loucher sur les pompes immondes de Matt Verta-Ray : il portait des souliers noirs de Pied Nickelé tachés de peinture blanche, sans doute récupérés dans une misérable échoppe du ghetto de Varsovie. Et quand on voyait arriver Jon Spencer sur scène dans son petit costume hillbilly en toile grise surpiquée au fil d’or, on voyait arriver le rocker ultime. Il reprenait les choses exactement là où Elvis les avait laissées en 1956. Jon Spencer était tout simplement devenu le wild cat du rock US, à la fois crooner, preacher, screamer et showman exceptionnel. Il passait tout naturellement du statut de légende underground à celui de maître du jeu - Que cela soit bien clair pour tout le monde : Jon Spencer is ahead - À l’époque de ce premier concert d’Heavy Trash, ses cheveux épais d’un noir parfait tombaient sur son front en mèches elvisiennes. Il se montrait absolument terrifiant de véracité. Ses rouflaquettes lui dévoraient les joues. Jon Spencer jouissait de cette beauté formelle qui ne pardonne pas. En tant que performer hors normes, il savait maintenir la pression d’un set. Il alternait parfaitement les accents mâles avec les glissandos de complaintes, dans la plus pure tradition elvissienne. Il jouait son rôle de groover à la perfection, apostrophant la foule et balançant régulièrement des «Ladies and gentlemen !» comme s’il avait des trucs à vendre. Il passait du scream au croon sans crier gare, avec une aisance ahurissante. Et ses Heavy Trash partaient au quart de tour. Jon Spencer grattait une vieille guitare acoustique électrifiée. Il sautait en l’air et se réceptionnait sur les genoux. S’il transpirait, c’était avec excès, comme savait le faire James Brown. Il décrochait brusquement des fins de couplets d’un saut en ciseaux et se réceptionnait avec une souplesse surnaturelle. Nous avions là sous le nez le meilleur jeu de scène qu’on pût imaginer. Avec leur groupe, Matt et Jon battaient tous les records et devenaient le groupe le plus spectaculaire d’Amérique, complètement out of this, down in that, plus trash que trosh, over the top, under the loose, above the bridge. Jon Spencer incarnait la perfection à roulettes. Il devenait le rocker complet, accompli, soigné, sérieux, compétent, poignant, incisif. Il passait au stade de l’irréprochable définitif. On le sentait programmé pour vaincre - S’il n’en reste qu’un, ce sera celui-là-à-à - Il se voulait à la fois mellow-yellower et power-driver, king par dessus les toits et Browner par la fixité du scream. Il penchait son corps vers la foule et la suppliait de screamer - Once more ! - Et il accélérait, accélérait encore, pour atteindre ce point frantic qui déclenche l’explosion atomique.

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Il est probablement l’un des derniers grands rockers à maîtriser le heavy-duty-talking-blues d’une manière aussi parfaite. Matt et lui sont devenus les killers suprêmes. Ils n’entrent plus dans aucune catégorie. Le nucléus d’Heavy Trash noyaute désormais toute la folie d’Elvis. Mais le pire, ce sont les rappels qui parfois doublent la durée du set. Au temps du JSBX, Jon Spencer demandait au public s’il en voulait encore et tant qu’on lui répondait oui, il continuait. Et là, c’est pareil. Au risque de blasphémer, on dira que Jon Spencer est aussi beau qu’Elvis. Il a la voix, le scream, la soul, la vision, l’envergure, l’épaisseur, les rayons, le sens de l’apothéose. Tous les éléments sont réunis pour qu’enfin éclate la vérité. La gloire de Jon Spencer s’étend sous les cieux aussi loin que porte le regard.

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On s’embourbe dans la vase à vouloir décrire l’exceptionnel talent de Jon Spencer. Le problème est qu’il en a trop.

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Un second album d’Heavy Trash parut en 2007 : «Going Way Out With Heavy Trash». Encore une pochette dessinée. On les voit courir vers un tain à vapeur comme deux hobos à l’ancienne mode, avec leurs guitares et leurs balluchons. Bel album, plein de bonnes surprises. On retrouve la dynamique du groupe sur scène dès le premier cut, «That Ain’t Right», gros solo de Matt, belle stand-up et sacrées montées en température. Plutôt fantastique et en prime, les Sadies les accompagnent. «Double Line» est du typical Jon Spencer. Une vraie insurrection - Ouh ! - et c’est joué garage au prêche abricot. Avec «I Want Oblivion», Jon Spencer fait sa baraque de foire. Ça bat du tambour et il bat la retape. Il fait du bon décousu qui ne sert à rien et Matt joue la fuite éperdue. On l’entend ensuite croasser comme un vieux crocodile dans «I Want Refuge» - I got a love - Et il gospellise. Puis il s’en va claquer ses syllabes au micro pour «You Can’t Win» - Another shot transmission/ You can’t win - c’est un heavy groove de boogaloo. Et en face B, il revient à son admiration pour Eddie avec «Crazy Pritty Baby» monté sur le riff de «Somethin’ Else». Voilà un bel hommage. Jon Spencer n’oublie pas la répartie au baryton et Matt veille au sévère cocotage de Gretsch. Ils reviennent (enfin) au rockab avec «Kissy Baby», joliment slappé par un nommé Kim Kix. Wow, quel bop, Bob ! Ils restent dans la pure pulsion rockab avec «She Baby» et nous servent ça sur une rythmique de rêve. Et la fête continue avec «You Got What I Need», un fantastique brouet de slap bass et de bouquets d’accords garnis.

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Deux ans plus tard sortait leur troisième album, «Midnight Soul Serenade», avec une pochette illustrée, mais cette fois de façon beaucoup plus lugubre. Le graphisme donne d’ailleurs le ton de l’album qui bascule dans la sérénade heavily déviante. Dès le premier cut, «Gee I Really Love You», on est happé par l’air glacial de la nuit trashy. Ils jouent ça à la revoyure et créent une ambiance délétère. Puis on assiste en plein milieu de «Good Man» à un beau démarrage rockab. Jon Spencer et Matt Verta-Ray ne semblent s’intéresser qu’aux dynamiques des morceaux. «The Pill» est une mélodie malsaine et Jon Spencer se lance dans le film noir. Avec «Pimento», on passe à la samba du diable. Jon Spencer se met à sonner comme Tav Falco. L’un des cuts les plus intéressants de cet album restera sans doute «(Sometimes You Got To Be) Gentle». Voilà une belle pièce d’exaction intrinsèque à la fois collante et abrasive, jolie et grandiose et pleine de rebondissements. On y sent de l’ambition. Ah look out ! Jon Spencer lance «Bedevilment» comme s’il jouait avec le JSBX et revient à ses vieilles concassures de rythme. Et le reste de l’album s’écoule paisiblement, sans que rien ne vienne chasser les mouches.

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Et hop les voilà tous les deux sur scène au 106, Matt et Jon, comme deux larrons en foire accompagnés d’un bon drumbeater chapeauté et de Bloodshot Bill à la stand-up. On ne se lasse pas du spectacle de ces deux vétérans racés comme pas deux, de ce hillbillitage impénitent des basses œuvres américaines, de ce geyser de ruckus de rock et de tous ces petits solos tortillés sur un manche de Gretsch. Non, on ne se lasse plus de voir Jon concasser indéfiniment l’iconographie Elvis-Cash-bam-boum et sauter en ciseaux derrière son micro, plaquer ses barrés de petit doigt tordu les jambes écartées, jeter derrière lui les micros qui ne fonctionnent pas et brouter des brasses de trash fauve sur son manche. On ne se lasse pas de cette félinade de silhouette rock, de ce dansant profil accompli, de cette judicieuse mascarade, de ce carrousel mortel d’une perfection tellement proche qu’on tendrait bien la main pour la palper si le jeu hormonal nous l’imposait. On ne se lassera plus de l’entendre couiner et prêcher, de le voir transpirer et redorer à l’infini le vieux blason du rock des origines. Ça doit bien faire cinq ou six fois qu’on voit Heavy Trash trasher l’heavy stuff sur scène et rien ne peut plus ni nous surprendre ni nous décevoir. C’est comme s’il n’y avait plus rien à en dire, tellement le set est parfait, tellement ça pue le mythe. Pour ceux qui s’inquiètent de savoir où est passé le rock des rockers, la réponse est là.

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Tiens ! Un nouvel album de Heavy Trash ? Matt qui est le plus gentil des Canadiens nous avertit :

 

— Ce ne sont pas des chansons... Ce sont des expérimentations.

 

— What do you mean ? Oh pardon, qu’est-ce tu veux dire ?

 

— On a expérimenté des sons en studio....

 

— Mais quoi comme son, du rockabilly ?

 

— Ouais, mais il y a aussi Stockhausen...

 

— Oh la la !

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L’album s’appelle «Noir», noir comme le café, dit Jon Spencer en traitant de la question des cheveux dans «Good Hair», le cut qui fait l’intro, sous un faux air lagoyesque - beautiful hair, black like coffee - Franchement, ce premier cut est de nature à faire tomber de cheval n’importe quel despérado, mais il faut s’armer de patience, car ce disque réserve quelques belles surprises. Les morceaux qu’il propose sont en effet des expérimentations enregistrées sur une période de dix ans et par moments, on a clairement l’impression de se trouver dans le studio avec Matt et Jon, car l’esprit de ce disque se veut intimiste. On assiste au grand retour du format chanson avec «Wet Book» doté de la meilleure dynamique qui soit ici bas. Ils claquent ça dans l’épaisseur de l’ombre et un sax vole au secours de la montée de fièvre. Jon sue la soul par tous les pores de sa pop. On revient à l’étrangeté avec un «Out Demon Out» qui ne doit rien à Edgar Broughton. Car ça slappe sec derrière le talking jive et les clap-hands de Joujouka. Jon vise le cœur de la scansion. Le cut tourne au cauchemar, tellement le slap le bigarre. Au loin, des voix d’écho perdurent à n’en plus finir. Ce côté expérimental est d’autant plus troublant que Jon Spencer s’est montré tout au long de son parcours le plus carré des hommes. Tous les morceaux de cet album sont captivants, même «Viva Dolor» cette jolie pièce de pianotis de fin de nuit si douce à l’intellect. Matt et Jon renouent avec le petit rockab ouaté en cuisant «Blade Off» à l’étouffée. Jon tape du pied et fait son strumming. Il ouh-ouhte de temps en temps, histoire de signaler son choo-choo aux passages à niveaux. Ils ouvrent le Bal des Laze de la face B avec un «Pastoral Mecanique» d’orgue de barbares égarés et hagards, tels qu’on peut en voir au soir du sac d’une ville. Les sons s’échangent et relayent l’extase de l’ombilic des limbes. Matt et Jon brillent ardemment au soleil noir de l’expérimentation - This is pure heavy trash - Et puis voilà «Discobilly», un rockab déviant et gondolé. Ils brassent leur beat et ça frôle le mambo d’Alcatraz. Ça tombe en décadence d’Empire romain et ça glisse doucement vers le couchant. Avec «Jibber Jabber», Jon joue avec la musique des mots. Il raconte à sa façon l’histoire du rock, en partant de Big Bopper pour remonter jusqu’à Jimi Hendrix, Mama Cass et Jim Morrison - What happens to the real rock’n’roll heroes ? - Jon joue à merveille de cette diction blackoïde de nez pincé - Rock on my brother/ Rock’n’roll my sister/ And get down - Ils font ensuite une belle reprise de Johnny Cash, «Leave That Junk Alone», puis ils passent au relativisme écarlate avec «Notlob» et bouclent leur petite affaire avec un «Last Saturday Night» gratté au bord du fleuve et humé au glou-glou. Quelle bonne compagnie ! Jon miaule et substitue l’intention au chant, tout simplement. Il n’a pas besoin de paroles. Mais oui, il a raison. Pourquoi s’épuise-t-on à vouloir écrire des paroles ?

 

Signé : Cazengler, Heavy Truffe

 

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Heavy Trash. Au 106, Rouen. 26 février 2015

 

Heavy Trash. Heavy Trash. Yep Rock 2005

 

Heavy Trash. Going Way Out With. Crunchy Frog Recordings 2007

 

Heavy Trash. Midnight Soul Serenade. Crunchy Frog Recordings 2009

 

Heavy Trash. Noir ! Bronzerat Rat Records 2015

 



 

PARIS07 / 03 / 15

 

MAISON DE LA POESIE

 

TENNESSEE WILLIAMS

 

DANS L'HIVER DES VILLES

 

 

La teuf-teuf est d'un naturel paisible. N'empêche qu'elle en écraserait avec plaisir quelques uns. Deux fois de suite qu'elle vient à Paris et qu'on lui met les bâtons dans les roues juste dans les derniers deux cents mètres. Et ce coup-ci, la partie est inégale, son aire de stationnement privilégiée est envahie de marabouts. Je vous rassure ni un vol d'échassiers désorientés, ni un conclave de sorciers africains. Pire que cela. D'immense toiles de tentes qui occupent tout l'espace, et la politzei qui nous intime l'ordre d'avancer. Ni une, ni deux, la teuf-teuf opère un demi-tour stratégique – juste le temps de bloquer les feux – et file tout droit s'adjuger la dernière place de stationnement libre dans les dix kilomètres carrés aux alentours. Renseignements pris, le lendemain se courent les vingt kilomètres de Paris. En effet nous sommes entourés de centaines de sportifs qui arborent fièrement un sac à dos bleu sur leurs maigres épaules. Je n'ai que mépris pour cette vague humanité dégénérée incapable de courir un marathon en entier.

 

QUELQUE CHOSE DE TENNESSEE

 

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Pas de concert ce soir. Ne soyez pas déçus, je vous emmène écouter du lourd, du très lourd. Si je crie 1956, vous allez tous répondre en choeur : Be Bop A Lula, Gene Vincent ! D'accord, mais encore : Money Honey, Elvis Presley. OK, quoi d'autre ? A Train Kept-A-Rollin, Johnny Burnette Trio. C'est bien les gars, il vous en manque encore un ! Je vous fais grâce de Perkins, de Johnny Cash et de Jerry Lou. Ah ! Ah! Vous séchez lamentablement comme un palmier-dattier privé d'oasis. Puisque vous donnez votre langue au cat, j'annonce la couleur, In The Winter Of The Cities, Tennessee – non pas Memphis, bande de monomaniaques - Williams.

 

Ça ne vous dit rien. Vous avez tort. Consubstantiellement lié au rock. Pas un musicien. Pas un chanteur. Un théâtreux, un écrivain. Un outlaw, un pédéraste. Tout ce qu'il fallait pour déplaire à la prude Amérique des fifties que vous aimez tant. L'Equipée Sauvage date de 1953, Brando n'a jamais été aussi beau dans son perfecto. L'incarne la force brute de ce qui deviendra le rock and roll. Mais le Marlon avait fait pire, deux années auparavant. En 1951, dans Un Tramway Nommé Désir, une pièce de Tennessee Williams, adaptée au cinoche par d'Elia Kazan. N'est pas encore un rocker, mais une pulsion sexuelle en liberté. L'Amérique poussa des cris d'horreur et d'orfraie. La bête était lâchée. Sperme sur les murs et le désir lawrencien qui galope dans les rues comme un étalon en liberté. Désormais rien ne serait plus comme avant.

 

DANS L'HIVER DES VILLES

 

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J'avais seize ans lorsque deux volumes du théâtre de Tennessee Williams me sont tombés sous la main. Un complément indispensable au Weary Blues de Langston Hughes. De quoi vous arracher la cafetière. Tennessee Williams, m'est apparu comme la face blanche de l'Amérique noire. La lunaison morbide et blafarde. Celle qui ne se voit pas, que l'on ne montre pas. Ici dévoilée. Le tragique de la vie n'est pas d'être un noir dans une société de blancs, mais d'être un humain parmi les hommes. Coercition des normes morales et sociales. L'individu dans la glu de la commune humanité, aussi libre de ses mouvements qu'une soyeuse lucilie sur le rouleau tue-mouches. Le monde de Tennessee Williams est l'inextinguible blessure purulente que chacun trimballe dans son cœur. Ses personnages sont des inadaptés, des laissés-pour-compte, des has-been de la vie, des hobos de leurs propres rêves. Des névrosés, des guitaristes, des poètes...

 

Quatre ans plus tard, dans une boîte de soldeur, me suis retrouvé nez à nez avec un fin volume de poésie édité chez Seghers. J'ai tout de suite effectué ce que l'on appelait alors dans notre jargon d'étudiants une opération de réappropriation poétique. Dans l'Hiver Des Villes, Tennessee Williams. Je l'ai dévoré. Au fil des années qui ont suivi, me suis aperçu que j'étais la seule personne de ma connaissance qui possédait cette élégante plaquette du grand dramaturge américain. Tant pis pour les autres, n'ont jamais pu se répéter dans leur tête comme un mantra athanatéique ce vers talisman : Les yeux sont les derniers à s'éteindre. Ainsi que nous l'avait transmis le traducteur Renaud de Jouvenel.

 

Et voici qu'en fouinant sur le net, je m'aperçois qu'une nouvelle traduction du recueil sera présenté ce samedi 7 mars 2015, à la Maison de la Poésie. Paris.

 

MAISON DE LA POESIE

 

Niche près de Beaubourg. Pas bien grande. Un public plutôt bourge. Pauvre Tennessee ! Les écrivains célèbres se payent de ces purgatoires ! Avec ma boîte à frites, mon blouson et mon sandwich mayonnaise, je fais un peu tache. C'est la vie. It's the way, you never can tell. Les portes ouvrent à huit heures dix tapantes, amphithéâtre maigrichon, scène relativement spacieuse. Parfait pour des concerts rockab. Faudra l'annexer.

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En attendant, c'est Micha Lescot assis tout seul à une petite table qui nous lit un texte de Françoise Sagan relatant sa rencontre aux States avec Tennessee Williams en compagnie de Franck Merlo son compagnon, et de la romancière Carson McCullers totalement déglinguée dont les deux hommes s'occupent avec une grande sollicitude... Très belle voix dont les inflexions collent à merveille à la subtile ironie de cette prose qui sonne juste. Me décevra dans sa lecture d'une douzaine de poèmes même si la diction reste d'une limpidité extraordinaire. Cherche trop la reconnaissance du public. Lui offre ce qu'il aime, la connivence sous-entendue du rire qui vous permet de croire que vous êtes intelligent... Par deux fois, il se tait et résonne la voix de Tennessee lisant un poème. Une précision extrême. Un orfèvre. Fini la rigolade. La souffrance de l'être transparaît sous chaque syllabe. L'humour est l'antichambre du désespoir métaphysique. Micha Lescot, ramasse ses feuillets, salue sous les applaudissements et disparaît en toute discrétion. Ne reviendra pas.

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La lumière se déplace de l'autre côté de la scène, vers la table basse où sont assis Jacques Demarcq, le traducteur et Catherine Fruchon-Toussaint rédactrice d'Une Vie, biographie de Tennessee Williams. Plus une agréable jeune femme dont j'ignore le nom qui mènera la discussion avec doigté et compétence. Connaissent leur sujet. Jacques Demarcq – est aussi le traducteur de deux autres monuments de la poésie américaine E. E. Cumming et William Carlos Williams – nous apprend que L'Hiver Dans Les Villes n'aura aucune influence sur la poésie américaine alors que sa fausse légèreté existentielle aurait pu laisser prévoir une descendance. Mais il est des lacs solitaires qui ne permettent à aucun fleuve de prendre source en leurs eaux retranchées... Un peu hésitant Jacques Demarcq, mais une fois échauffé l'on sent que l'homme est féru de poésie et habité par des chants qui n'ont pas fui... Catherine Fruchon-Toussaint est un puits de science. En quelques mots elle fait la liaison entre l'oeuvre et la vie de Williams, sa petite soeur lobotomisée dont on retrouve le personnage dans La Ménagerie de Verre, l'homosexualité qu'il vit comme libre sexualité et non comme une inhérence êtrale... passe trop rapidement la figure de Gore Vidal, cet autre géant de la littérature américaine. De tous les écrivains du Sud des Etats-Unis, Tennessee sera le moins enclin à revendiquer son statut de sudiste. Les contingences géographiques sont de peu de poids face à l'implication de l'individu dans la chair de son existence.

 

RECUEIL

 

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Dix heures et déjà dehors. Un peu court. Reste le livre, cette fois donné dans son intégralité ( quarante-huit poèmes de plus que dans l'édition de 1964 ) c'est chez Seghers dans la collection Poésie d'abord. En bilingue. L'occasion de s'apercevoir comme cela sonne blues. Des histoires personnelles, intimes racontées, à vous faire venir les larmes dans les yeux, à vous arracher sourire sur sourire. Tennessee Williams n'use jamais du grand orchestre des effets assurés. Dit tout dans le non-dit du presque taire. Une poésie qui se donne à lire, qui s'offre à la lecture, facile. Mais obstinément secrète. La profonde rivière inaccessible sous le miroitement de sa surface. Ouverte à l'intérieur d'elle-même. Refermée sur l'extérieur du monde.

 

Damie Chad.

 

LESTER BANGS

 

FÊTES SANGLANTES

 

& MAUVAIS GOÛT

 

( Souple / Tristram Editions / Juin 2014 )

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Bon les gars, soyez sympas, ne foutez pas le souk, je vais me faire repérer à cause de vous. Ce n'est pas n'importe qui, c'est Lester Bangs, le plus grand critique rock de la planète, la crème chantilly du magazine Creem. Je ne suis pas fier, viens de tomber sur le bouquin, traînait depuis six mois sur le plancher du bureau, je l'avais oublié ! Déjà que je l'avais trouvé en vrac sur la pile des retours de la librairie : « Ah ! Tiens, vous prenez ce truc, je n'aurais jamais cru que je le vendrais ! » d'un ton soulagé qui devient franchement admiratif : « En plus vous connaissez ! C'est incroyable, je n'en ai jamais entendu parler ! ». Preuve que mon libraire n'a pas lu la livraison 140 de KR'TNT du 19 / 04 / 13, dans laquelle nous chroniquions Psychotic Reactions & Autres Carburateurs Flingués qui regroupe les textes les célèbres de.... ? LESTER BANGS !!!! c'est bien, je vois que vous suivez. Je rappelle pour les nouveaux arrivants, Lester Bangs nés en 1948, mort en 1982, à trente trois ans, l'âge du Christ, pas sur la croix, mais après avoir traversé les dix cercles de l'Enfer de Dante, dope, alcool, sexe et rock and roll.

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VARIATIONS

 

Evidemment c'est un amerloque, autant dire qu'il est né au pays du rock, et rien que pour cela vous devriez vous incliner devant sa mémoire. Pour vous le situer, je dirais que c'était un peu un mec à la Cat Zengler, l'avait tout vu, tout lu, tout écouté. USA, UK, le rock n'avait pas de secret pour lui, l'a connu tout le monde et interviewé les plus grands. L'écrit tout cela dans ce recueil d'articles et de notes posthumes. Le genre de zèbre que rien ni personne n'étonnent. L'a même parfois un peu la grosse tête. Faut vous lever tôt pour l'espanter comme on parle du côté de Toulouse. Pour l'achouler, faut pas lui proposer du tout venant. Ah ! Ah ! Vous êtes tout blancs, tout tremblants, vous vous sentez piteusement trop franchouillards ! Of course, hors course ! Vous avez honte et dans votre tête vous reniez et maudissez vos parents de vous avoir fait naître du mauvais côté de l'Atlantique. Vous gémissez et vous jurez que vous ne recommencerez pas.

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Relevez-vous et cessez de vous plaindre. C'est ici que le miracle a lieu. Entre les pages 315 et 320, exactement. Ce lascar de Lester n'en a pas cru ses yeux. Lui qui avait usé ses boots dans les plus vastes salles de spectacle, arpenté les bouges les plus torrides de Détroit, New York, Los Angeles, côtoyé les stars mondiales et les artistes maudits inconnus, n'en a pas moins reçu la grande claque de sa vie. Et tout ça, par un groupe français que j'adore. Les Variations. Les a rencontrés aux States, ô so ridiculous qu'il en devenaient so delicious ! Des gars qui vivaient les poncifs du rock and roll avec la foi du charbonnier. Aussi innocents que Perceval quand il s'empare du Graal pour réchauffer le café du matin ! L'est encore sur le mode moque and roll, mais lorsqu'il les retrouve en 1974 en France et qu'ils lui font visiter le Paris rock and roll de l'époque, le Lester, il passe le mur du son, Bangs ! Stupéfaction ! N'avait jamais pensé que l'on pût aimer le rock avec tant de ferveur. Nous juge incompréhensiblement rockoko, mais l'en reste pantois. De parfaits pieds nikelés, mais qui ont raflé l'or de la réserve de Fort-Knox, qui s'en vantent, et qui ne se sont pas faits prendre.

 

ROLLING STONES

 

Les rois, fussent-ils de la critique rock, n'en ont pas moins un trou du cul comme les autres. Lester pas mieux que le fan de base. Je n'en veux pour preuve que ses réactions ( très psychotiques ) devant les trois méfaits – accomplis coup sur coup et en toute connaissance de cause par nos maîtres et seigneurs adorés, les Rolling Stones. Vous n'avez peut-être pas connu l'épopée, mais entre 1962 et 1972, ce fut la décennie prodigieuse, un truc que vous ne pouvez comparer à rien d'autre, si ce n'est peut-être, en un tout autre genre, à la création de la III ° Internationale, pas au point de vue politique, mais quant à l'enthousiasme soulevé au sein des peuples et des militants révolutionnaires avides de changer de mode de vie et de bousculer l'étau de la misère oppressante... Je suis incapable d'expliquer pourquoi et me contente de relever les faits. Dès leur apparition, les Rolling Stones cristallisèrent autour d'eux comme un désir latent de révolution culturelle. Pas rouge, mais rock. Les premières ramifications se créèrent à leur insu, ils en furent le détonateur inattendu et eux-mêmes en furent les premiers surpris. Les esprits chagrins objecteront que la même situation s'était déjà catalysée autour d'Elvis Presley. Ce qui est totalement exact. D'autres assureront que tout le mérite en revient aux Beatles. Vos Honneurs, je me permettrai une objection. Presley, Beatles, je n'entre point dans ce débat. Les Stones vécurent ce phénomène, après Elvis et après les Scarabées si vous y tenez, mais au lieu de se laisser porter par la vague du succès, les Pierres Roulantes adoptèrent une stratégie bien différente. Celle qui leur permit d'amasser davantage de mousse que les deux précédents concurrents. Un petit pas et l'avenir du rock and roll en fut changé. Rien, presque rien, mais ils furent les premiers à en prendre conscience et à tenter de s'en rendre maître. N'y réussirent pas beaucoup. Faut pas vouloir jouer à être plus malin que le diable. Le concert d'Altamont fut le premier coup de semonce qui fit réfléchir nos héros. Certes l'on n'arrête pas un paquebot en freinant et entre 1969 et 1971 les Stones commirent deux de leurs plus beaux albums studios – Let It Bleed ( terriblement prémonitoire ) et Sticky Fingers ( digne de tous les index religieux ) - mais c'est la suite qui laisse à désirer.

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Exile On Main Street – mi-figue, mi-raisin. Le catalogue de la musique américaine en quatre faces. Devoirs de vacances imposés ou galettes de génie ? Lester n'y trouve pas son compte en 1972, mais quelques années plus tard, l'avoue qu'il a fini par l'aimer. D'une manière ou d'une autre, les Stones vous forcent la main. Leur méthode est assez simple. Si vous trouvez mieux ailleurs, nous remboursons la différence. Mais voici le grand plouf. Le ragoût à la tête de bouc, le Head Goat Soup est une daube. Manque de sel, de piment, d'aromates, de venin de scorpion, de white lightning, de tout ce que nous aimons. Les Stones ne sont pas idiots, se sont précipités dans la cambuse pour remettre le couvert. Juste ce dont vous rêviez : It's Only Rock'n'Roll, z'ont concocté avec soin, z'ont soigné l'empaquetage, rien à voir avec les couvercles de la vache qui rit, une rock dream team de Peellaert, les princes du rock descendant les escaliers de la Doma Aurea néronienne, en fait c'étaient les adieux de Napoléon sur les degrés branlants de la cour du Château de Fontainebleau. Vice de forme, Keith, le grand Keith dans l'incapacité de nous sortir le riff tranchant que tout le monde espérait. L'on attendait massacre à la tronçonneuse sur le titre éponyme, et pour finir l'on a eu droit à la charcutière du quartier qui vous découpe une tranche de mortadelle sur son robot ménager. Le Lester commence à renâcler salement dans les brancards. L'on fait comme lui, mais comme lui on met le mouchoir de l'amour trompé par-dessus. Pas contents, mais cocus. L'on se console comme on peut. Rien de pire ne pourra nous arriver. Et dès que sort Black And Blue, comme Lester l'on se précipite pour l'acheter. Je m'en souviens encore, ai eu le premier arrivage sur la ville rose à cinq heures du soir. La honte, plus osé adresser la parole à une copine durant trois jours «  Tu passes ce soir, tu peux rester dormir, j'ai le dernier Stones ! ». Pitié ! Pitié ! Épargnez-moi cette confession. Mais non, comme Socrate, vous boirez la coupe jusqu'à la lie. Ce n'est pas uniquement que ce soit un mauvais disque, ce n'est pas qu'il soit raté, c'est que pour la première fois, les Stones ont copié. Je ne dis pas qu'ils ont pillé, comme des barbares. Dans leur jeunesse ils avaient pompé le vieux blues du Delta, n'avaient pas été capables de faire mieux, ni moitié moins bien, mais lui avait insufflé une arrogance et une désinvolture qui n'appartenaient qu'à eux, mais là s'étaient mis à la remorque des crottes que l'on commençait à entendre dans les boîtes et les radios, un mélange infâme de sous-world music noire, de pseudo-disco boum-boum, et de reggae je tape à contre-temps à vous faire vomir. N'ai plus jamais acheté un disque des Stones par la suite. Mais vous n'êtes pas obligés de me croire.

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GRANDEUR ET MISERE

 

Du rock critic. Dire du mal des Rolling Stones, c'est facile. Quand vous jouez aux fléchettes sur la coque d'un porte-avions, le naval bâtiment ne risque pas grand-chose. Vous non plus. Surtout si vous faites comme moi, trente ans après. Mister Bangs ne se contentait pas de canarder au grain de riz les dinosaures disparus avec son stylo sarbacane. L'avait la plume canon, vous mitraillait à l'adjectif, vous arrosait à l'insulte redondante. Pas fainéant. Parfois une colonne pour vous dégommer, mais ce qu'il préférait c'était l'article de douze à quinze pages, en petits caractères, sans blanc, sans intertitre. Le roi de la tartine empoisonnée. Mais attention, jamais en traître, arborait le drapeau à tête de mort dès le premier alinéa et n'oubliait jamais la mention Delenda Est Carthago en fin de ses explosions de colère.

 

C'est vrai qu'il tape beaucoup plus souvent qu'il ne caresse. La nature humaine est ainsi. Les journaux préfèrent les trains qui déraillent à ceux qui arrivent stupidement à l'heure. L'on dit plus facilement du mal de son voisin que du bien. Sans doute parce que l'individu n'est pas sans défaut et donc forcément perfectible. D'où les coups de bâton pour lui indiquer le bon chemin. Ce qui n'est pas sans poser de problème éthique à notre écrivain.

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Certes Lester Bangs n'est pas un pourvoyeur d'informations. Les échos sur les prochains enregistrements ou la future tournée d'un groupe, ne vous les fournira qu'incidemment, si ces renseignements peuvent aider sa démonstration. Lester Bangs est l'antithèse parfaite des articles que vous trouvez dans une revue comme Jukebox Magazine, bourrés de références discographiques, de dates de concerts savamment répertoriés, de listes de labels rares, etc et etc... Non Lester Bangs ne mange pas de ce pain-là. Ne vous refile pas les derniers potins qui courent les backstages, Lester Bangs pense le rock. Il philosophe, il est l'Heidegger du rock and roll, le Platon du rhythm and blues. Il y a de la prétention, chez cet énergumène. Qui est-il ? De quel droit se permet-il ? Pour qui se prend-il ?

 

Une seule réponse. Lester Bangs. Ne possède aucun diplôme en la matière rock dont il puisse se targuer. Sûr qu'aujourd'hui vous pouvez sortir d'une université américaine avec un Master es Rock and Roll, mais Lester n'aurait pas été homme à se cacher derrière une telle feuille de papier. Parlait en son propre nom, et ne s'appuyait que sur ses connaissances personnelles, ses disques, ses rencontres, bref en tant que simple fan de base. Ce qui n'est pas sans contenir une hypocrite contradiction. Car dès ses premiers articles Lester Bangs n'était plus un simple fan de base, mais un découvreur de sentiers, une tête chercheuse, a true pathfinder, a real bird-doggin, pour employer des mots qui sonnent à nos imaginations de rockers patentés. Si Lester Bangs a beaucoup écrit, il n'a tenté de répondre qu'à une seule question.

 

QU'EST-CE QUE LE ROCK AND ROLL ?

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Ne doute pas que vous puissiez répondre. Elvis ! Muddy Waters ! Led Zeppelin ! Beatles ! Stones ! Steppenwolf ! Arrêtons nos petites préférences personnelles. Pas la peine de chercher à argumenter. Je connais tous vos parce que. Idem pour vos classifications rassurantes, blues, punk, folk, rockabilly... à chaque fois vos cercueils se révèlent ou trop grands ou trop petits. Toujours une jambe qui dépasse et qui gêne quand on veut visser le cénotaphe ( ce qui n'empêche pas de faire mousser la bière ). D'autant que Lester Bangs se retrouve très vite devant une muraille infranchissable. Ses premiers choix ( même s'il poussa parfois l'outrecuidance jusqu'à ne pas les honorer de louanges et les couvrir de quolibets ) établis dans le feu de l'action, Velvet Underground, MC 5, Stooges - sont encore la colonne vertébrale d'un certaine histoire du rock qui, en formation et quasi clandestine entre 1965 et 1969 - est devenue pratiquement le must officiel de la branchitude rock and roll. A part que les rockers ont oublié le vieil adage fondateur de James Dean, Mourir vite et faire un beau cadavre. Dans ses dernières années Lester se plaint de toutes ces anciennes gloires qui continuent de produire des disques de moins en moins bons. De moins en moins essentiels. S'il vivait encore que ne fulminerait-il pas contre ces retrouvailles pathétiques de septuagénaires tremblotants ! Mais comment Iggy a-t-il pu se convaincre de faire l'Idiot à ce point avec le grand récupérateur en chef David Bowie ? Et tout à l'avenant. Les rockers ont des placards qu'ils ouvrent en grand pour que les cadavres qu'ils exhibent sans honte puissent puer des pieds tant qu'ils peuvent.

 

A peine avez-vous déniché une pépite rock que trois mois plus tard elle ternit et se révèle être une bille de fer blanc rouillée. Le rock n'est plus ce qu'il était ! Ne meurt pas. Ne survit pas. Dégénère. Désenchantement de Lester Bangs. Les chants les plus beaux sont les plus désespérés. Peut-être. La légende raconte que ce sont ceux du cygne à l'agonie. Et à l'instar de Tribulat Bonhommet l'impavide esthéticien de Villiers de L'isle-Adam, Lester Bangs partit en croisade. A la recherche du rock and roll perdu. Il y a chez lui, une sombre jouissance à torpiller les gloires établies. Mais ce jeu de massacre ne le rendit pas heureux, alors il descendit dans les trente-troisièmes dessous du rock. Cite des groupes dont personne n'avait jamais entendu parler. Ira même jusqu'à chanter avec certains et à enregistrer quelques bandes. L'en cause, mais avec un art du dégoût si consommé qu'il vous donne envie de n'avoir pas à les écouter.

 

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L'on ressent l'insatisfaction. A beaucoup cherché, n'a rien trouvé. Pourrait s'arrêter-là, sur cet aveu d'échec. Sur cet avis de décès. Mais il refuse. Le magicien n'a pas fini son dernier tour de passe-passe. Le roi est mort. Sans descendance. Mais c'est à pleine voix qu'il récite la formule rituelle. Le rock est mort, vive le punk ! D'où sort-il cet ultime rejeton d'une race évanouie ? De nulle part, Lester crée le punk à partir du vide. Mieux que Dieu qui a eu besoin du chaos primordial pour façonner notre monde. Le Big Bangs à lui tout seul. Et Lester inventa le punk. Le sortit de son cerveau. Comme Héphaïstos délivra d'un coup de hache l'immortelle Athéna de la tête bien pleine de Zeus. Fut le premier ( et à ma connaissance le dernier ) prophète du rock. Annonça la venue du punk dès 1969. Personne n'y crut. C'est en 76 qu'il fallut se rendre à l'évidence. L'avait eu raison sur toute la ligne.

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L'aurait pu terminer sa vie en grand pontife du rock. L'aurait pu chaque année vaticiner sur l'avenir du rock et se tromper systématiquement. L'on ne remet pas en doute une parole sainte. Si la réalité ne la confirme pas, c'est la réalité qui se trompe. C'est bien connu. Admis par tout le monde. Tout le monde, sauf Lester Bangs. N'avait pas envie de terminer comme ces rois du foot qui deviennent consultants pour la télévision. Commentent ce qu'ils ne savent plus faire. Lester est parti. Une erreur stupide. A-t-on dit. Aurait un peu forcé sans le faire exprès sur la dose... Nous voulons bien le croire, mais chez les individus les plus conscients, les conduites les plus innocentes ne sont-elles pas induites par des logiques intérieures qui se moquent des catégories morales ?

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Exit le grand critique du rock and roll. Lester Bangs n'aimait guère Janis Joplin. C'est son droit le plus absolu. Ne le croyez pas, écoutez Janis et ensuite faites-vous votre propre idée. Ce qui est intéressant dans la chronique de Lester Bangs sur the girl from Lubbock , ce n'est pas son jugement sur sa façon de vitupérer le blues, c'est la manière dont il rédige sa notification. Car chez ce grand manieur de mots, l'écrivain supplante, dépasse et enterre le rock critic. Rocker Kulture, comme dirait Tony Marlow.

 

Damie Chad.