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25/03/2015

KR'TNT ! ¤ 228. ERVIN TRAVIS / NIKKI HILL / SLEATER-KINNEY / ACERIA / LEXA / CHARLIE PARKER / HOWLIN'WOLF

 

KR'TNT ! ¤ 228

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

26 / 03 / 2015

 

 

ERVIN TRAVIS / ARTISTE EN PRISON

NIKKI HILL / SLEATER-KINNEY

ACERIA / LEXA / CHUCK TWINS CALIFORNIA

CHARLIE PARKER / HOWLIN' WOLF

 

 

Ervin news

 

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L'élan de solidarité ne faiblit pas, les lettres d'amitié et les dons parviennent à l'association. Cela ne nous étonne pas. Ervin Travis a durant des années dispensé tellement de bonne musique, de plaisir, de gentillesse et d'amitié que par un juste retour des choses, nombreux sont ceux qui tiennent à lui manifester encouragements et aide.

 

Ervin, tu as tant donné au rock pour que l'on s'arrête en si bon chemin.

 

Keep on rockin'...

 

QUELQUES NOUVELLES PRISES SUR LE

 

FB : Lyme – Solidarité Ervin Travis

 

Nous pensons qu’il est temps de vous donner quelques nouvelles d’Ervin !
Privé de tout traitement depuis des semaines en raison des analyses qu’il va passer, son état de santé s'est beaucoup dégradé.
Il ne se lève plus depuis plusieurs jours & quant aux douleurs, elles se sont amplifiées.
Le premier rendez-vous est pour la fin mars. Grâce à vous il pourra déjà se rendre à celui-ci.
Soyez ici toutes et tous remerciés de votre mobilisation et de votre générosité.
Ervin vous transmet personnellement toute sa gratitude

 

ARTISTE EN PRISON

 

 

Plusieurs semaines que nous n'avions point de nouvelles de Claudius de Cap Blanc, nous ne nous inquiétions point. Nous connaissions l'oiseau. Devait se terrer dans son Affabuloscope, en train de mettre la dernière main à une de ses déviantes machines dont il a le secret, ou alors batifolait dans la montagne pour déposer ses pierres vulvères. Un courriel du matin nous apprend que nous faisions erreur. L'oiseau était en cage. Vient de faire deux mois de prison pour avoir « dégradé » les abords de la grotte du Mas d'Azil.

 

Bref un artiste en prison, dans la France d'aujourd'hui et dans l'indifférence générale ! L'info vient de nous parvenir et nous n'avons point le temps d'épiloguer au moment de charger le site. Nous y consacrerons un article dans notre 229° livraison.

 

Ceux qui veulent en savoir plus se rapporteront à notre précédent article Vulves à Barreaux de notre 218° livraison, ou à notre feuilleton Chroniques Vulveuses consacré à cette affaire dans les numéros 154, 155, 156, 157, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 166... Autre solution, beaucoup plus directe : le site www.affabuloscope.fr/

 

Damie Chad.

 

LA TRAVERSE / CLEON ( 76 )

 

15 / 11 / 14

 

NIKKI HILL

 

NIKKI NIQUE TOUT

 

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Ce soir-là, Nikki Hill arriva sur scène avec un petit sourire en coin. Une vraie gamine. Elle semblait appartenir à une autre époque, car elle portait un haut en coton clair noué dans le dos, comme ça se faisait dans les années soixante-dix et un pantalon de toile noire moulant passé dans des petites santiags de la même couleur. Elle évoquait ces filles qu’on voyait danser à la Brocherie, un endroit où les Rouennais aimaient passer leurs nuits, il y a de cela cinquante ans. Nikki ramenait sur scène la fraîcheur de sa jeunesse et l’énergie de sa blackitude. Elle offrait en spectacle sa haute silhouette filiforme. Un chignon de cheveux crépus surmontait un visage aux traits parfaits. Par son port altier, elle évoquait les silhouettes de Nina Simone et de Miriam Makeba, mais avec une petite touche narquoise en plus. Elle paraissait extrêmement timide et elle souriait pour donner le change. Un spécialiste comme Charles Denner aurait pu qualifier son corps de parfait. Elle dansait d’un pied sur l’autre et jetait son buste légèrement en arrière, comme si elle toisait effrontément les dieux du rock et de la soul. Son pas de danse relevait d’une certaine forme de sophistication et parce qu’elle était noire, elle en faisait un groove spécial que n’aurait jamais su produire une blanche. Nikki groovait le rock’n’roll avec une élégance certaine. Elle avait appris l’essentiel qui est de conquérir un public en deux morceaux. Sans doute ne le faisait-elle pas exprès, mais toute l’énergie et la grandeur du gospel, de la soul et du rock’n’roll noir américain rejaillissaient à travers elle. Elle semblait vouloir ramener cette grandeur d’antan pour la réinjecter dans les temps modernes. Au travers de son groove têtu se profilaient les fantômes de Little Richard et d’Esquerita. D’ailleurs, en annonçant «Keep A-Knocking», elle déclara : «Little Richard is my favorite !» Woooow ! Dans le feu de l’action, elle dansait comme Sam Moore ou Wilson Pickett, le menton levé et les genoux pliés. Son profil rendu carré par le chignon donnait l’illusion, elle hochait la tête comme Bunker Hill ou Kid Thomas. Elle returbotait le beat en dansant de plus belle et en claquant des mains et des pieds.

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Elle serait originaire de la Nouvelle Orleans, alors l’illusion serait complète, car c’est là que Little Richard fit ses débuts, dans le studio de Cosimo Matassa. Mais ce n’est pas le cas. Nikki Hill vit en Caroline du Nord. À travers sa façon de chanter et d’aller chercher le guttural, elle évoque aussi les géantes qui l’ont précédée, du style Mavis Staples, Sister Rosetta Tharpe & Marie Knight ou encore Etta James. Elle est d’autant plus audacieuse qu’elle embrasse tous les styles à la fois, la soul, le rock’n’roll et la country festive. Pas très évident, car on sait que les touche-à-tout ne sont pas bien vus dans les services de marketing des gros labels. L’industrie du disque a toujours fonctionné selon de sacro-saint principe des étiquettes. Mais Nikki Hill s’en fiche comme de l’an quarante et elle clame bien fort sa passion pour ce qu’on appelle désormais le «roots». Son compagnon Matt Hill apporte le contrepoint raunchy en jouant un rock’n’roll plutôt agressif sur sa Telecaster. C’est probablement la conjonction des deux talents qui produit ce son et cette illusion de grandeur. Les BellRays travaillaient déjà ce son, c’est vrai, mais à l’aune du Detroit Sound. Nikki Hill vise un registre plus ancien qui est celui du rock’n’roll noir américain, le rock’n’roll des origines. D’où le roots. Mais pas n’importe quel roots, Bob, celui de Screamin’ Joe Neal, le roi des monstruosités abyssales, le hurleur suprême qu’un big band complètement allumé accompagnait. Ou de Big Al Downing, l’arracheur de première catégorie. Ou encore de Bunker Hill, le plus grand hurleur malade de l’histoire des pathologies, un dingue qui s’amusait à pousser le bouchon encore plus loin que Little Richard, comme si c’était concevable ! On aurait pu couronner Bunker Hill Screamer 1er, empereur des Hauts de Hurlevent. Ou encore Little Victor qui tripotait lui aussi le bamaloo pour essayer d’imiter Little Richard. Ou encore James Brown et Etta James qui n’étaient pas avares de screams et qui rêvaient eux aussi, à leurs débuts, de sonner comme Little Richard. Un temps béni où certains blacks n’avaient qu’à ouvrir le bec pour incendier une salle de spectacle. The Natchez Burning, baby. Quand Detroit prit feu lors des émeutes raciales de 1967, John Lee Hooker fut tellement fasciné par ce qu’il voyait dans les rues qu’il écrivit «Motor City’s Burning» et dans la foulée, le MC5 l’éleva au rang de chef d’œuvre intemporel.

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Nikki Hill transporte tout ça dans sa silhouette de petite shouteuse, on voit bien qu’elle s’est gavée de ce rock surchauffé et qu’elle en distille l’esprit, mais c’est difficile, car elle voudrait égaler les géants et les géantes qui l’ont précédée, et lui manque le petit quelque chose qui fait la différence : le grain de folie. Tout le set de Nikki repose sur la qualité de sa voix. Elle sait forcer, elle sait chauffer un public admirablement inerte, mais elle ne mettra jamais le feu à une salle.

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La dernière fois que Little Richard est venu jouer à Paris, ça se passait à l’Olympia. Il arriva sur scène dans une tenue en satin blanc et commença par prêcher pendant une bonne demi-heure. Les loubards de banlieue installés au balcon juste au dessus de la scène n’en pouvaient plus et criaient : «À poil Patrick Juvet !» Mais quand Little Richard s’est rapproché du piano et qu’il a raclé son clavier pour attaquer «Lucile», on est passé d’un coup aux choses sérieuses et tout le monde s’est mis à hurler. Et en une demi-heure, Little Richard a explosé l’Olympia. Pas seulement parce qu’il sort des hits à la chaîne, mais surtout parce qu’il est dingue et depuis toujours hanté par le rock’n’roll. Sur ce terrain, aucun rocker n’a pu rivaliser avec lui - excepté Jerry Lee, bien sûr. Et le rock privé de folie, c’est un peu comme une maison sans bibliothèque ou encore une vie de couple sans pipe et sans rhum : on appelle ça un ersatz.

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Alors oui, Nikki Hill fait de l’ersatz, mais elle y met tellement de détermination que les bras nous en tombent. Elle chante, elle danse, et elle s’offre au public qui paie pour ça, alors tout va pour le mieux. Elle aime tellement Little Richard qu’elle a intitulé son premier album «Here’s Nikki Hill», avec son portrait en gros plan, comme sur la pochette du premier album de Little Richard. Pas de fond orange, mais un fond bleu. Au dos, on la voit bras nus avec tous ses tatouages (qu’on ne voyait pas sur scène - peur de choquer un public pépère ?) On pourrait presque dire que son côté sauvage est là, dans les tatouages, et ça la rend éminemment sympathique. Elle attaque par «Ask Yourself», un rock d’arrache bien raunchy et derrière, son mari Matt fait tout le boulot sur sa Telecaster. On assiste à une violente passade de clap-hands et on retrouve à travers ce cut toute l’énergie qu’elle brûlait sur scène. Avec «I’ve Got A Man», elle tape dans le vieux rock de bastringue et une fois encore, Matt fait tout le boulot derrière en grattant sa gratte. Dommage qu’il y ait autant de morceaux lents sur ce disque. Ça lui brise les reins. Même si elle chante bien, Nikki gagnerait l’admiration des foules en rallumant la chaudière, comme elle sait si bien le faire sur scène. L’autre gros cut du disque est «Strapped To The Beat», monté sur un beat rapide qui ne traîne pas en chemin. C’est même du pur jumpy-jumpah et derrière elle un mec se prend pour Lee Allen avec son sax. On a là un magnifique son de bastringue à la revoyure de la ramasse du caniveau des bas-fonds de la déglingue de la pire espèce. Et elle termine avec un beau coup de gospel : «Hymn For The Hard Luck». Façon très élégante de boucler la boucle, quand on sait que TOUT vient du gospel.

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Signé : Cazengler, Nikké pour de bon

 

Nikki Hill. La Traverse. Cléon (76). 15 novembre 2014

 

Nikki Hill. Here’s Nikki Hill. Deep Fryed Records 2013

 

LA CIGALE / PARIS 18 / 20 – 03 – 15

 

 

SLEATER-KINNEY

 

 

 

SLEATER-KINNEY FAIT CRAQUER LES OS

 

 

 

Qui aurait parié sur les trois post-punkettes de Sleater-Kinney quand est sorti le premier album en 1995 ? Pas grand monde, si ce n’est toute la meute des riot grrrls et le bataillon de vétérantes du MLF. Cette époque fut aussi l’âge d’or du college-rock américain, avec toutes ses manies, ses turpitudes et ses excès. On peut dire qu’on en aura bouffé, du CD indie et on en aura recraché, scchhrrrfff, comme quand on recrache un morceau de fruit véreux. À cette époque, on est même allé jusqu’à voir jouer les Babes In Toyland sur scène, c’est dire à quel point la curiosité peut être un vilain défaut.

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Même si par le son, les trois Sleater s’apparentent à Sonic Youth, elles restent néanmoins à part, ne serait-ce que par le joli vent de folie qui balaye certains morceaux. Carrie Brownstein et Corin Tucker se partagent ce chant très particulier et souvent ingrat. Derrière, Janet Weiss bat le beurre. Notons au passage qu’elle le bat aussi le beurre dans Quasi, l’un des fers de lance de la très grande pop américaine.

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Si leur premier album intitulé «Sleater-Kinney» s’est distingué aux yeux des rock critics américains en 1995, c’est très certainement parce que nos trois chipies sonnaient comme Sonic Youth et il faut se rappeler à quel point l’intelligentsia était friande de Sonic Youth. Corin et Carrie ne faisaient pourtant rien pour se rendre attrayantes. Elles attaquaient l’album avec des cuts hirsutes et mal foutus, mais ça devenait intéressant avec la première crise de colère infantile, celle qu’on entend dans «A Real Man». Ça bascule vite dans l’insanité - I don’t wanna join your club/ I don’t want your kind of love - Corin pique sa crise d’épilepsie et elle s’étrangle. Et c’est là qu’on commence à prendre Sleater-Kinney au sérieux. On retrouve un beau passage de folie douce dans «Her Again». Corin Tucker ferait passer les internées de Sainte-Anne pour des oies blanches. Elle tente même l’implosion à la Nirvana. Elle a le même jus que Kurt, c’est évident. Sur d’autres morceaux, on entend les deux guitares droner comme chez Sonic Youth. Corin chante «Sold Out» dans les Hauts de Hurlevent et ça frise l’insupportable, il faut bien le reconnaître. Par contre, «Lora’s Song» passerait presque pour une vraie perle de garage féminin, car voilà un cut admirable de douceur dévertébrée, au sens de la douceur du sein et du sérieux de la volonté. On sent qu’elles cherchent le hit et qu’elles le frisent.

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Et puis à partir de là, elles vont se tailler une énorme réputation dans la presse rock américaine. On les considère comme l’un des meilleurs groupes de rock du monde ! Alors elles vont enfiler les albums comme des perles. On trouve pas mal d’énormités sur «Call The Doctor», le second album paru l’année suivante. La marmite commence à bouillir avec «Little Mouth», punk-rock de folles complètement décousu et gorgé d’énergie animale. Et ça continue avec «Anonymous», chanté à la hurlerie perçante et frisant l’insanité. Les filles pulsent un groove de malade et leur double gratté de guitare tient sacrément bien la route. Plus loin, on tombe sur «I Wanna Be Your Joey Ramone» qu’elles envoient valser dans les orties. Corin Tucker sait exploser un cut. Ah la vache ! Elle le fait intentionnellement. Dans la vie, on entend rarement de telles explosivités latérales. Nouvelle expérience nauséeuse avec «My Stuff», chanté avec la volonté bien affirmée de nuire à la civilisation et à l’ordre moral. C’est à vomir, tellement ça dégouline de trash malveillant. Mais ce n’est pas fini. Il faut encore se taper deux horreurs sur ce disque fumant : «I’m Not Waiting» et «Heart Attack». Dès l’intro de «I’m Not Waiting», on note que ça hurle du haut du promontoire. Voilà le rock-rillettes du Mans, un rock énervant et pourtant spontané, joué à la petite énergie nubile, mais cette pauvre Corin est complètement timbrée, on l’entend hurler dans le néant indie, là où personne n’ira l’écouter. Et pourtant, elle continue de hurler. Ah bravo ! L’affaire se corse avec «Heart Attack» qui est monté comme le meilleur des hits jamais imaginé. Ça hurle encore une fois, on croirait entendre une sorcière de Walt Disney, ou pire encore, la gamine possédée de «L’Exorciste», avec sa tête verte qui tournicote à 360°. Cette pauvre fille est possédée par tous les démons poilus et ventrus du trash-rock. On l’entendra hurler du fond des douves jusqu’à la fin des temps.

 

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Elles remettent le couvert avec «Dig Me Out», et ça hurle dès le morceau titre d’ouverture. On croirait entendre Sonic Youth. Cette fille est folle, elle hurle par dessus son hurlement. Corin Tucker cherche la confrontation en permanence. On tombe ensuite sur «Turn It On», une véritable merveille garage, quelque chose de terrible. Elle hurle au chat perche du chien de sa chienne et derrière se développe la meilleure dynamique de rumble garage qui soit ici bas, sur cette terre abandonnée de Dieu. Au fil des cuts, on voit bien que les filles sont torturées par les influences. Elles farfouillent pas mal dans la mormoille, mais ce qui les sauve, c’est qu’elles allument tout aux dynamiques féminines. Dans «Words And Guitar», le chant criard perles les tympans. Elles sonnent comme des folles relâchées dans un pré. Elles crient en liberté. Ce n’est pas glorieux. Avec «Little Babies», elles tentent la pop de juke. Mais leur pop se veut insistante et malade, d’autant que Corin clame comme une conne. Avec «Not What You Want», elles reviennent au garage de folles - Saw Johnny at the store/ I said get the car hit the road - Quel souffle ! Corin laisse filer cette voix qu’elle n’a pas et se campe dans la perspective de l’énormité. Envolée garantie. Elles terminent cet album trépidant avec un «Jenny» digne du Velvet, assez fantastique et assez profond - I am the girl/ I am the ghost/ I am the wife/ I am the one. Débrouillez-vous avec ça.

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Elles attaquent «The Hot Rock» en beuglant «Start Together» comme des ânes qu’on encule. On observe dans ce cut de sacrées ribambelles de rebondissements. Fraîcheur et jute sont leurs deux mamelles. Elles se veulent terriblement ravageuses. On sent que Corin bat tous les records mondiaux de détermination. Il suffit d’écouter «Hot Rock». On la voit gratter sur sa Rickenbacker comme une pouilleuse qui gratte ses poux. Ah les parents, quand ils voient ça, ils ne doivent pas être fiers ! Elle fait exploser le cut-out, c’est pas compliqué. Et elles passent carrément à l’apocalypse avec «God Is A Number». Ah pour ça, elles sont douées. Plus ça trashe dans la barbouille et plus ça leur plaît. On entend hurler cette folle géniale de Corin. Quelle écervelée ! Puis elles s’en vont bougner le post-punk avec «Banned From The End Of The World» et on s’amouracherait presque du cut suivant, «Don’t Talk Like», qui sonne comme de la pop jouée à l’accord déviatique. Corin repique sa crise dans «Get Up», qu’elle prend d’une voix brisée et tremblée. On pourrait presque appeler ça de la malveillance psychédélique. En tous les cas, elles cherchent des noises, elles ne savent faire que ça, apparemment. Et chaque fois, elles se remettent en route. Inexorablement. Corin chante «Living In Exile» comme si elle était le Christ cloué sur sa croix. Cette fille-là, mon vieux, elle est terrible. D’autant que coule par derrière une belle purée de distorse.

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L’album «All Hands On The Bad One» va lui aussi tailler son petit bonhomme de chemin, comme si de rien n’était. Elles attaquent avec «The Ballad Of A Ladyman», une belle pop d’intronisation. Elles cultivent la discordance et bien sûr ça ne peut pas plaire à tout le monde. Elles veillent à rester dans l’esprit du Sonic Youth d’un certain âge d’or, celui d’un concert explosif à l’Élysée Montmartre. Leur petite pop paraît souvent s’énerver toute seule. On les sent même parfois très perturbées, comme dans «Your Decay» - How many doctors will it take/ Ooh Ooh before I desintegrate - Dans «You’re Not Rock ‘n’ Roll Fun», elles s’en prennent à la rock star - Like a piece of art/ That no one can touch - Mais les morceaux désagréables se succèdent et elles ne font rien pour gagner la sympathie du public. Il faut attendre le milieu de la face B pour renouer avec l’intérêt. «Leave You Behind» contient un refrain chanté à deux voix, du plus bel effet. Voilà leur point fort, l’envolée de refrain, à la mortadelle des chœurs mortels. On tombe enfin sur une pure merveille, «Milkshake N’ Honey» qui se passe à Paris - You left your beret behind/ And your croissant is getting cold - Fantastique moquerie pop - Pick up the phone meet at the Sorbonne/ You keep me turning on/ With those French words that I can’t pronounce - Et elles partent en vrille de façon extraordinaire sur Milkshake n’ honey yeah !

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Pas mal d’énormités baveuses sur «One Beat» paru en 2002. Elles lancent le morceau titre comme une insulte et Corin chante évidemment comme une harpie. C’est très spécial. Un peu punk de bric et de broc. Elles mettent en place une sorte de monde mal fichu et plutôt ingrat. D’ailleurs «Folk Away» qui suit est insupportable. Et soudain, ça part en trombe, on n’est même pas prévenu. Elles connaissent tous les secrets de la mécanique des fluides. Et voilà du punk-rock de demoiselle hirsute : «Oh». Elles savent trasher un fondement, pas de problème. Elles basculent dans l’affreux et passent un refrain dément. Voilà la clé des Sleater : l’énorme refrain pop qui coule sur les doigts. Notre petite vermine préférée sait aussi faire la Soul Sister. La preuve ? «Step Aside». Elles tapent toutes les trois dans le r’n’b avec une vraie passion pour la démolition - Ladies one time can you feel it ? - Elles en font un vrai blast, c’est braillé à l’extrême du possible. Elles inventent la soul punk et flirtent avec le génie. «Pristina» ? Pfff ! La mère Corin l’explose vite fait. Et elles torchent l’affaire avec un «Sympathy» apocalyptique. Ça gueule, là dedans ! - I’d beg you on bended knees for him - Elles touchent au noyau dur de la véracité, car elles jouent pour de vrai et font rebondir leurs deux accords dans le doom.

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«The Woods» est probablement leur album le plus ambitieux. «The Fox» raconte une rencontre entre le renard et le canard. Corin fait le renard et hurle son cri de guerre «land ho !» à la vue du canard. Sacrée chipie, elle ne nous épargne aucune mauvaise blague. Puis elle se remet à chanter n’importe quoi n’importe comment. Elle frise un peu le Beefheart inversé dans «Wilderness». Retour aux affaires sérieuses avec «What’s Mine Is Yours», hurlé direct et monté sur un gros beat de stomp qui vire en vieux trip miteux. Elles bardent «Jumpers» de grosses dynamiques internes. Et comme sur les autres albums, il faut attendre le milieu de la face B pour enfin trouver des hits comme «Entertain», vraie frénésie post-punk sous le boisseau, et «Rolercoaster», qui prend vite de l’ampleur, bien plombé au beat de basss drum. Elles savent monter leur mayo, pas de problème, et donner de l’ampleur à l’ardeur. On ne trouve que deux cuts sur le deuxième disque et notamment un interminable «Let’s Call It Love» perdu dans les causses de Gévaudan.

 

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Elles sont en France pour la promo du nouvel album, «No Cities To Love». L’album n’est pas très bon. Elles n’en finissent plus de concasser et de vinaigrer. Elles pataugent dans la dissonance et ce sont les refrains qui fédèrent tout. On note chez elles un goût insalubre pour les figures de style déplaisantes. Elles montent «A New Wave» sur un thème joué sec à la fuzz et un chant à la cinglette, et c’est à peu près le seul morceau sauvable de la face A. Elles attaquent la suite avec un son post-punk, type manche à balai dans le cul et c’est admirable pour ceux qui apprécient ce genre de son. Mais c’est plat comme une planche à pain, see what I mean ? On est à l’opposé de la sensualité. Elles terminent cet album ingrat avec un hit planétaire, «Hey Darling», dont le refrain emporte la bouche - It seems to me the only thing/ That comes of fame is mediocrity - et ça vire au coup de génie, tellement c’est grandiose et chargé de sens.

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On s’en doutait un peu : la Cigale est remplie à ras-bord pour le set des Sleater. On voit que le buzz fonctionne bien - ce buzz qui buzze around the hive - Carrie a changé de coiffure. Elle porte désormais les cheveux mi-longs et ça la féminise incroyablement, elle qui veillait à soigner son look de garçon manqué. Elle porte même une jupe courte et un blouson en cuir noir, des collants noirs et des petites bottines. Elle est incroyablement sexy et terriblement rock’n’roll. On pense bien sûr à la Chrissie Hynde des années de rêve. Janet Weiss reste égale à elle-même, massive et terriblement vivante derrière ses fûts. Corin Tucker porte une robe noire assez habillée et on oublie ses vilaines jambes, car dès qu’elle chante, le miracle s’accomplit. Ces trois filles ont quelque chose que bon nombre de groupes n’ont pas : la fraîcheur de l’innocence. Et un son qui pendant le concert semble unique au monde. On les sent ravies des jouer sur scène. Ça crève les yeux. Elles trépignent d’énergie animale. Carrie et Corin sautent fréquemment toutes les deux avec leurs guitares, face à face, comme des gamines qui jouent à la marelle. Elles donnent au public parisien une vraie leçon de maintien sur scène. Elles jouent admirablement bien le jeu du power trio et les morceaux qui paraissent si ingrats sur disque, prennent sur scène une ampleur considérable. Elles sortent un son énorme. Carrie joue gras sur sa guitare et Corin chante avec une puissance et une présence qui impressionnent. Tout repose sur elle depuis le début. On la soupçonne d’être incroyablement timide, mais quelle performeuse ! Elle peut shouter comme la pire blasteuse d’Amérique. Comme par miracle, leur set balaye tous les préjugés et dépasse toutes les attentes. On voit même Carrie tomber et se rouler au sol avec sa guitare en agitant les jambes. N’oublions pas qu’elle ne porte qu’une jupe courte. Messieurs les guitaristes, prenez note. Le dernier qu’on ait vu se rouler par terre avec une guitare, ce fut Carl, accompagné par ses mighty Rhythm Allstars. Elles font danser toute la Cigale, toute la fosse roule au rythme du flamboyant post-punk des Sleater. Corin et ses deux copines embarquent leur public dans leur univers qui a tous les charmes d’un petit paradis. Et ça tourne au concert idéal. Pas un seul moment d’ennui. Il suffit de les observer et de voir avec quel aplomb et quelle classe elles se campent dans le réel. Rien n’est plus charmant et plus excitant que de voir ces trois filles jouer sur scène.

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Pendant une heure trente, elles furent les reines du monde.

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Signé : Cazengler, Kinney bien content

 

Sleater-Kinney. La Cigale. Paris XVIIIe. 20 mars 2015

 

Sleater-Kinney. Sleater-Kinney. Villa Villakula 1995

 

Sleater-Kinney. Call The Doctor. Chainsaw 1996

 

Sleater-Kinney. Dig Me Out. Kill Rock Stars 1997

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Sleater-Kinney. The Hot Rock. Kill Rock Stars 1999

 

Sleater-Kinney. All Hands On The Bad One. Kill Rock Stars 2000

 

Sleater-Kinney. One Beat. Kill Rock Stars 2002

 

Sleater-Kinney. The Woods. Sub Pop 2005

 

Sleater-Kinney. No Cities To Love. Sub Pop 2015

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De gauche à droite sur l'illusse : Corin Tucker, Carrie Brownstein et Janet Weiss.

 

TREMPLIN ROCK / FESTIVAL CONFLUENCES

 

BE BOP / MONTEREAU / 21 – 03 - 15

 

ACERIA / LEXA

 

CHUCK TWINS CALIFORNIA

 

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Je remonte la rue de la Poterie en maugréant. L'ai su trop tard, mais il y avait Ron Hacker, Jackie Hawkins et Big Joe Hunter à Brasies. Un bled perdu du côté de Château Thierry, un raté à vous donner le blues jusqu'à la fin du mois. Faisons bon cœur contre mauvaise fortune. Les petits rockers ont besoin d'un coup de pouce, au lieu de rester à pleurer à la maison, rendons-nous utiles à la survie du rock en regardant de près les jeunes pousses. Doit y avoir un dieu bon, tout là-haut dans le firmament, pour récompenser les bonnes actions, je n'ai pas poussé la porte du pub qu'elle s'ouvre toute seule, devant moi, et bonheur suprême qu'apparaît, toute belle, toute souriante, Céline des Jallies... L'est ici en service commandé. Membre du jury chargé d'élire le groupe qui au mois de mai prochain concourra à la finale qui permettra au vainqueur de participer au festival de musique de Montereau. Ne faites pas comme James Brown qui piqua une grosse colère et demanda un supplément à son cachet déjà substantiel quand il s'aperçut qu'il ne s'agissait pas du festival de Montreux !

 

CHUCK TWINS CALIFORNIA

 

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Non ce n'est pas que vous vous êtes un peu trop étrillé la barre fixe cette semaine si aucun son ne parvient à votre oreille. Vous dirai pas un iota sur Chuck Twins California. J'en suis d'autant plus triste que je m'étais dit que ce serait mon lot de consolation de la soirée. Un groupe de punk qui promettait d'être saignant ! Eh bien non ! Ils ont fait pire que James Brown. Ça s'est passé l'après-midi, pendant la balance. Z'ont justement balancé un peu trop fort. La rue de la Poterie n'est pas très large et les voisins – comme s'ils ne pouvaient pas déménager - ont un peu l'habitude de téléphoner aux mouches quand les décibels pleuvent. On leur a demandé de baisser le volume. Se sont vexés, et ont remballé leur matos, et se sont cassés aussi sec. Se sont éliminés d'eux-mêmes. N'ont pas voulu jouer le jeu. Ont eu sans doute tort, mais quelque part cette attitude intransigeante est foutrement rock and roll !

 

ACERIA

 

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Du hard symphonique. Ca me rappellera toujours – je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans... - deux copains qui épiloguaient sur le 33 tours de Deep Purple avec un orchestre symphonique. Ce n'est pas fameux disait l'un, trop mou du genou. Tu veux rire, répondit l'autre, c'est génial, fais comme moi, tu l'enregistres sur cassette en coupant systématiquement la musique classique, c'est super.

 

Tout cela pour que compreniez que dans mes pensées intimes Aceria partait avec un fort handicap. Ils en ont cumulé d'autres. Le chanteur, c'est le plus âgé de la bande, chante en français, je n'ai rien contre, mais dans les parties lentes, les paroles sonnent trop gentillettes, l'on se croirait dans un disque de Florent Pagny, quand il s'énerve c'est beaucoup mieux. Le malheur c'est que dans le rock symphonique il y a toujours des passages à l'orgue électronique aussi sentimentaux que des chants d'église. D'ailleurs c'est aussi longuet que la messe du dimanche matin. Les morceaux se suivent et se ressemblent. La même structure répétitive. Et puis les intros à la Scorpion ( sans le venin ) sont un peu trop téléphonées.

 

Faut pas non plus tout voir en noir. Le batteur mouline pas mal du tout, et puis surtout, le guitariste frisé, c'est le vol du bourdon au plus haut du ciel tel que nous le raconte Maeterlinck dans La Vie des Abeilles. Il monte, il monte, il monte et ne redescend jamais. Des envolées qui sauvent le groupe.

 

Sont jeunes, sont en train d'enregistrer un disque, et on leur souhaite tout le bonheur du monde. But for me, it is not rock and roll !

 

LEXA ( PAS TOUT SEUL )

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S'installent. De temps en temps Belette gratouille sa guitare et l'en sort des accords qui vous réconcilient avec l'humanité. Hélas, quand ils commencent à jouer, c'est tout ce que je n'aime pas dans le rock. Le rock bourrin, le rock festif, le rock franchouillard, sans finesse ni intérêt. A fond la caisse. Mais il est inutile de se presser elle est vide. Sont grands, pas idiots, mais ils amusent la galerie. Trois danseurs déguisés en animaux viennent balourder devant la scène. Pénibles et inutiles. Humour lourd. Ensuite nous font le coup du petit bouchon. Offrent un bouchon de Téquila à qui veut bien. Ne savent pas quoi faire pour gagner notre sympathie. S'ils étaient milliardaires ils distribueraient des billets de cinq cents euros. Que dire d'autre ? Ressemblent à Washington Dead Cats, les mêmes artifices, les mêmes traitements de voix. Décevants.

 

RESULTATS

 

Le Be Bop n'a jamais été aussi plein. Chaque groupe a ramené ses fans, et les deux claques n'ont pas failli à leur rôle de supporter. Tristan annonce le vainqueur. ACERIA ! C'est aussi mon choix. Lexa est beaucoup plus au point, en leur propre style. Sont plus vieux, d'une génération antérieure à Aceria. Mais proposent une musique sans avenir. Refermée sur elle-même. Grimée, qui confine au burlesque dans la mauvaise acception du terme. Une caricature qui n'a pas compris que tout masque de carnaval ne recouvre que le néant abyssal des existences. Aceria n'est pas parfait, loin de là, mais il y a dans leur musique des espaces qui ne bouchent pas l'horizon, qui ne sont pas à concevoir comme des manquements mais comme des promesses.

 

La teuf-teuf me console comme elle peut : «  Le grand vainqueur c'est Ron Hacker ! ». Elle a raison. En tout cas, moi je n'ai rien gagné.

 

Damie Chad.

 

BIRD

 

LA VIE DE CHARLIE PARKER

 

KEN RUSSEL

 

( FILIPACCHI / 1980 )

 

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Une biographie de Charlie Parker ? - Point du tout. Un roman. - Bref une vie romancée de Charlie Parker ! - Vous n'y êtes point. Cela Ross Russell l'a écrit et intitulé Sound. - Ne chinoisons pas, un roman biographique. - Ben non, c'est bien la vie de Charlie Parker, mais c'est un roman. Un roman à part entière, un artefact qui ressemble davantage à La Chartreuse de Parme qu'à l'existence contée d'un musicien de jazz. La vie de Fabrice, on s'en moque, par contre le style de Stendhal, ce relâché de satin froissé dictée à la hâte, c'est autre chose ! Que voulez-vous c'est la plume de Monsieur Beyle qui donne un semblant d'existence à son héros, qui entre nous ne se montre pas sous son meilleur jour sur le champ de bataille de Waterloo.

 

Ross Russel possède un avantage par rapport à l'auteur de Le Rose et le Vert, qui prend un peu son propre rêve pour la réalité d'un songe. N'imagine pas, Ross Russel, il a connu son héros, lui, de près, pas un témoin anonyme qui passait par là un peu au hasard, un véritable acteur qui a participé activement à la saga et au drame. C'est lui qui enregistra les premières véritables faces de Charlie Parker. N'était pas l'ingénieur du son de service commis d'office, mais l'instigateur et l'ordonnateur des séances.

 

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Pourrait en raconter des anecdotes. D'ailleurs il ne s'en prive pas. Même que l'éditeur en met en doute quelques unes en bas de page, et que Chan Parker, la troisième épouse de Charlie, relève la liste des grosses erreurs dans sa préface. Mais il pourrait avoir tout inventé, de la première à la dernière lettre que nous le lui pardonnerions. C'est que voyez-vous ce n'est pas par inadvertance si à la fin du livre Ross Russel met en parallèle le destin de Charlie Parker avec la destinée brisée de Dylan Thomas, l'immense poète anglais, le barde gallois inspiré. Ross Russel est un véritable écrivain, pour lui la force poétique des mots transcende leur peu de ressemblance avec l'illusoire apparence du monde qu'ils semblent dévoiler. L'intention apollinienne de l'aède inspiré dépasse la soi-disant fidèle transcription d'une réalité évanouie.

 

KANSAS CITY

 

Elevé par sa mère, et né en 1920 à Kansas City. Ne pouvait pas mieux tomber que dans cette ville du Missouri. C'est une époque fabuleuse, prohibition et grande dépression. Pour l » Amérique en son entier, sauf pour Kansas City. La cité est favorisée par les dieux, son maire véreux – le démocrate Pendergast qui finira en prison - et la pègre locale. Les bars et les boîtes ne sont guère inquiétés par des descentes impromptues de police. L'oasis dans le désert. L'argent et l'alcool coulent à flots. Prostitution, jeux et drogue y prospèrent comme des poissons rouges dans une marre. Le plus sordide des pubs possède sa scène. Les musiciens de jazz locaux et d'un peu partout y trouvent embauche et travail. Kansas City devient un point de ralliement des combos jazz. Le jeune Charlie tombera à quatorze ans dans le chaudron de la potion magique en perpétuelle ébullition.

 

ENFANT SOLITAIRE

 

Commence par faire partie de la fanfare de l'école, mais très vite il s'y ennuie. Cela ne va pas assez vite pour lui. L'a l'impression de ne pas avancer. Souffler n'est pas jouer. Veut davantage, savoir moduler comme les disques qu'il écoute ad libitum et les héros à la Lester Young, qui hantent les cabarets interdits... Son prof lui refilerait bien le tuba ( un instrument qui te tue bassement ) dont personne ne veut... alors sa mère compréhensive se saigne aux quatre veines pour lui acheter un saxophone alto. Un rossignol d'occase, déglingué, rafistolé avec des élastiques et du sparadrap. Vous, vous le foutriez tout droit à la poubelle, mais un jeune nègre des quartiers pauvres ne faisait pas autant de chichi. S'escrime dessus, et l'escrime est un sport de combat dangereux, soit vous en sortez vainqueur, soit mort.

 

L'a quatorze ans quand sa mère trouve un travail de nuit, à l'autre bout de la ville. Une aubaine. Désormais toutes les nuitées il sera dans l'arrière cour des clubs, cherchant à se faufiler en lousdé, I'm the backdoor man. Certains musicos lui entrouvrent les portes en douce. L'aura la chance d'entendre en direct tout le gotha du jazz de l'époque, Count Basie, Walter Page, Jesse Price qui avait accompagné Bessie Smith et Ma Rainey, et l'incomparable Lester Young... par contre pour les conseils faut pas trop y compter dessus. Chacun défend son pré carré musical. L'on ne galvaude pas son savoir. La concurrence est impitoyable. En attendant Charlie y met du sien. Ne coupe pas au plus court, mais les nombreux détours qu'il s'infligera lui permettront un jour de surclasser tous les autres. Pour parvenir au sommet, la ligne droite n'est pas le meilleur chemin.

 

IGNORANCE

 

Ce que n'importe quel prof de musique lui aurait appris et explicité en cinq minutes va lui demander des années. En reste tout baba quand il apprend le B. A. BA de la musique. L'existe quatorze tonalités différentes et possibles ( sans compter la quinzième que l'on pourrait comparer au rez-de-chaussée d'un bâtiment sur lequel on élèverait sept étages supérieurs et sous lequel on creuserait sept caves inférieures ) pour jouer un morceau, que vous interprétez par exemple en Fa majeur ou en Fa mineur ou en toute autre modalité de votre choix. Bourrin comme un as de pique, Parker ne cherche pas à en savoir plus. En jazz, l'on n'en utilise que quatre ou cinq, mais lui il va s'apprendre à jouer ses morceaux dans toutes les tonalités sans exception. Cela demande une grande agilité des doigts mais surtout une très forte capacité mémorielle. Imaginez que vous soyez capable de traduire sur le champ et sans hésitation la note de votre plein d'essence, en yen japonais, en nuevo sol péruvien, en yuan chinois, etc... Acrobatie intellectuelle de haut niveau. Mais cela ne se relèvera pas être un jeu gratuit et stérile.

 

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La quintessence du jazz réside dans l'improvisation. S'agit pas de faire n'importe quoi. Sur un thème donné, vous offrez une nouvelle combinaison qui doit rester dans la logique mathématique des rapports de notes. Charlie Parker possède un avantage sur ses collègues, est capable sur n'importe quelle mélodie de vous repeindre la gamme en empruntant des éléments à toute autre modalité de son choix. A ce jeu-là, il sait être subtil, ne remplace pas du début à la fin le La majeur par un Si mineur, ce qui serait trop simple, il emprunte deux ou trois citations à trois tonalités différentes et s'en sert comme, rappel et commentaire, citation et excitation du thème à exposer.

 

C'est Lester Young qui lui fera comprendre que l'on ne souffle pas avec la bouche dans un instrument à vent, faut s'appuyer sur le diaphragme, et sa colonne d'air le jeune Charlie Parker il la fortifie comme les fûts altiers des propylées du temple d'Ephèse. Est capable de jouer plus fort, plus longtemps et plus diversement que tous ses confrères. Il plane, il survole, sera surnommé Bird, l'Oiseau, au-dessus des tempêtes.

 

DU SWING AU BE BOP

 

L'apprenti Charlie Parker débarque dans le jazz dans l'ère déclinante des grands orchestres. Faut être un sacré musicien pour être admis. Mais les picotins d'avoine sont rationnés. Chacun s'exprime à son tour et il y a du monde au portillon. Vous n'avez pas trop de temps pour attirer les oreilles... La crise de 29 précipite le déclin de ces dinosaures géants, les petites formations de cinq à six musiciens sont bien plus rentables. Désormais les solistes peuvent s'étaler à loisir... Et dans le mini-combo, c'est très vite la surenchère, le pianiste, le trompettiste et le saxophoniste essaient de marquer le copain à la culotte, résultat des courses, l'on joue plus fort, plus vite, plus agressif. Et à ce petit jeu, c'est Charlie Parker qui devance ses camarades. Dans les clubs les connaisseurs ne s'y trompent pas, l'on vient pour Charlie Parker même si la nouvelle génération qui joue à ses côtés n'est pas composée de manchots, Dizzy Gillepsie, Art Tatum, Kenny Clarke, forment une troupe d'élite.

 

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Conditions de travail désastreuses. De neuf heures du soir à deux heures du matin, l'on enchaîne les séries, quarante-cinq minutes de musique, un quart d'heure de pose, avec le taulier qui surveille les chronos, mais le boulot terminé, l'on se regroupe dans la boîte la plus accueillante et l'on se lance des défis dans des jams endiablées jusqu'aux aurores.

 

GOLDEN ERA

 

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Charlie est un grand, l'enregistre des trésors sur Savoy et Dial, le label de Ross Russell. Max Roach et le tout jeune Miles Davis sont à ses côtés... Bird is the King, pour tous et en tout. Bouffe comme deux, fume comme quatre, baise comme huit, boit comme seize, se pique comme trente. Une force de la nature. Pète la forme. Ne s'économise pas. L'on ne compte plus les jeunes jazzmen qui se mettent à l'héroïne pour jouer comme Charlie Bird. Mais ce soleil possède sa face cachée. Ne prend pas le temps. A toujours besoin de quelques dollars pour sa dose. Joue comme un pied. Sort dix minutes faire ses emplettes et quand il revient met la salle à ses genoux, tel un dieu éblouissant.

 

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Un génie qui ne s'intéresse qu'à la musique. Tellement pressé et tellement méfiant des pratiques disgracieuses des maisons des disques à l'encontre des artistes noirs qu'il refuse d'apposer sa signature pour pouvoir se faire payer ses royalties. Acculé par la nécessité il finit de passer des contrats à la va-vite avec Verve et Norman Granz. Granz n'est pas un blaireau, Ella Fitzgerald lui doit beaucoup mais il est un producteur qui agit avant tout selon des logiques commerciales. Veut que ses artistes soient admirés par le grand public, il suit les modes et ne se préoccupe guère de ce que ses poulains ont dans le ventre. Vise la quantité, pas la qualité. Au mieux Charlie accompagnera Billie Holiday, au pire il enregistrera avec un orchestre brésilien. Devra se fader tous les airs, toutes les chansonnettes à la mode.

 

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L'HOMME NOIR

 

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L'histoire se termine mal. En cinq ans c'est la dégringolade. Bird ne vole plus, il court après la dope. Grossit et s'enlaidit. Ne peut plus jouer, ne sait plus jouer, ne veut plus jouer. Une longue déchéance. Mais le mal est encore plus profond que ne le laisse présager son apparence de déclassé. L'artiste n'a jamais triché. Sait qu'il est allé jusqu'au bout de lui-même. Et jusqu'au bout de ce qu'il est humainement possible de tirer d'un blues de douze mesures ou de la dernière romance du hit-parade. L'a mené à son terme une certaine forme musicale. Rêve d'apprendre le solfège pour suivre les traces de Stockhausen. S'en sait intellectuellement incapable. Lui qui sait tout juste lire et écrire ne possède pas les bases culturelles suffisantes pour se rendre maître de l'évolution atonale de la musique européenne. N'en veut pas à la terre entière. Mais à cet apartheid social qui depuis des siècles a privé l'homme noir de tout épanouissement. S'est toujours méfié des blancs, à de rares exceptions près il les a souvent considérés comme des arnaqueurs, comme ses ennemis. N'est pas populaire uniquement parmi les musiciens, l'est aussi une étoile du ghetto. Fut le premier à relever le front, à n'en faire qu'à sa tête, a emmené la musique populaire des noirs à un niveau de complexité sans égal. Son attitude sardonique vis-à-vis des patrons blancs des bars et des boîtes, son étalonnage des femmes blanches, préfigurent les combats pour l'émancipation, les colères de Malcolm X et la révolte des Black Panthers. C'est un homme usé qui décède le douze mars 1955. Un pur jazzman, mais une vraie vie de rocker.

 

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Un livre magnifique.

 

Damie Chad.

 

HOWLIN' WOLF

 

MOANIN' AND HOWLIN'

 

MOANIN' AT MIDNIGHT / HOW MANY MORE YEARS / EVIL ( IS GOING ON ) / FORTY FOUR / SMOKESTACK LIGHTNIN' / I ASKED FOR WATER ( SHE GAVE ME GASOLINE ) / THE NATCHEZ BURNIN' / BLUE BIRD / WHO'S BEEN TALKING / WALK TO CAMP HALL / SITTIN' ON TOP OF THE WORLD / HOWLING FOR MY DARLING / WANG DANG DOODLE / BACK DOOR MAN / DOWN IN THE BOTTOM / SHAKE FOR ME / THE RED ROOSTER / YOU'LL BE MINE / GOIN' DOWN SLOW / THREE HUNDRED POUNDS OF JOY / BUILT FOR COMFORT / KILLING FLOOR.

 

AAD CD RED 3 / CHARLY RECORDS ( licence CHESS )

 

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C'était un loup du Delta. A longtemps hurlé avec la meute, Charlie Patton, Son House, Robert Johnson et Sonny Boy Williamson II, est monté à Memphis, a réuni son propre orchestre et est allé pousser la porte de Sam Phillips. Y rencontre Ike Turner qui est en train de bricoler ce qui deviendra le very white rock and roll... Suivra la filière, se retrouvera à Chicago, chez Chess. Le méchant loup est entré dans la horde. N'y aura que Muddy Waters pour lui disputer la place de meneur. Howlin' était trop grande gueule, n'avait pas la sagesse d'un chef, pas assez responsable. Un grand gaillard, joue de la guitare, mais son instrument de prédilection sera l'harmonica. Pour la six-cordes il saura choisir ses gâchettes : Willie Johnson, et Hubert Sumlin. Vont lui gratouiller des tressautements éruptifs qui seront d'admirables toiles de fond pour ses parties vocales. Attention, Howlin' Wolf ne chante pas, il mugit comme un taureau, rugit comme un lion et hurle comme le loup. Possède une ménagerie de fauves affamés dans son gosier. Le titre de cette compilation n'est pas anodin. Beaucoup de morceaux du début et de classiques du blues. Un must.

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Moanin' At Midnight, c'est un peu comme un Elvis qui modulerait son Blue Moon mais après avoir pris un rail de cocaïne qui traverserait les States de l'Atlantique à la côte Ouest. Minuit l'heure du crime, n'aie pas peur maman, c'est le loup-garou qui vient t'égorger. Avant de mourir goûte les lampées d'harmonica, elles dégoulinent comme des lampées de sang. How Many More Years, c'est la face B du premier single, interrogation philosophique sur l'évanescence des amours humaines, Howlin' vous décoche un sale accent du deep south, du bout du museau, la bête se bat les flancs avec la queue, et n'a pas vraiment de temps à perdre, tempo piano à l'appui. Evil ( is going on ) planquez-vous sous les tables, la bête n'a pas envie de plaisanter, vous crie ses quatre vérités au téléphone et même à cinq cents kilomètres de lui vous prendriez la chose au sérieux. Ne vous enfuyez pas, le mal est fait. Forty Four, le gars essaie d'être sympa, une rythmique sautillante, mais dès qu'il ouvre la bouche vous n'y croyez pas, trop puissant pour être honnête. Smokestack Lightnin', Tell me Baby, fait du charme, enfin ce qu'il appelle du charme, vous pousse des glapissements aussi vicieux que les yeux baladeurs du loup dans les dessins de Tex Avery, drôle de berceuse, mais au ronronnement de plaisir final, la méthode doit être persuasive. I Asked For Water, c'est le constat final, satisfait et repu, l'a demandé de l'eau elle lui a refilé de la gazoline, ça lui tellement plus qu'il revient à la maison pour faire le plein. Hululements grivois. The Natchez Burnin', l'a foutu le feu à la baraque, pleure sur ses copines qui ont cramé dans l'incendie, soyons sérieux, c'est du blues, l'a perdu sa fiancée pour de vrai. Blue Bird, encore un blues qui égrène ses notes de piano, supplie le petit oiseau de porter un message à la petite Luisa. Dommage, elle a cramé comme un caramel dans le morceau précédent. Who's Is Been Talkin' musique en sourdine, cette fois elle fout le camp, trois coups d'harmo et la voix plaintive qui arrache, la bête hait plus facilement qu'elle ne regrette. Qu'on se le tienne pour dit. Walk To Camp Hall, le blues poisseux comme on l'aime, le loup pris les quatre pattes dans la vase, l'harmo vous ratisse, pas de crainte, l'a chaussé ses bottes de sept lieues et c'est reparti comme en quatorze. Chez Howlin, le blues est toujours revigorant, jusqu'à la guitare qui résonne comme des couvercles de poubelles. Sittin' On Top Of The World, n'en dites pas du mal, il y a du Charlie Watts et du Clapton dans les parages, s'en fout le loup, vous éructe un blues calibré au millimètre près dont on ne l'aurait jamais cru capable. Faut bien apprendre aux englishes qui est le maître de la maison. Howlin' For My Darling, le loup est parmi nous, en goguette, où croyez-vous qu'Eric Burdon ait appris à chanter ? Sur ce morceau-là exactement. Si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à écouter. Wang Wang Doodle, all night long, pour vous aider à comprendre de quoi ça cause, au-dessous du nombril comme toujours, ce coup-ci c'est les Stones qui ont dû l'écouter cent cinquante mille fois, ce qu'ils ont apporté c'est la prise de son, moins claire, plus fouillis, pour cacher les imperfections. Back Door Man encore une pépite de Willie Dixon pour son louveteau préféré. Qui qu'a pompé sa leçon de chant de coton ? Mister Morrison ! faut avouer que c'était un spécialiste des portes. Ouvertes ou fermées. Spoonful, petit trésor de diamant sorti de la joaillerie Dixon, la voix du loup écrase toute l'instrumentation, exploit d'autant plus formidable que les guitares encadrent le morceau de main de maître. Down in The Bottle chanson d'alcoolique guilleret, profitons-en pour nous appesantir sur la raucité du timbre du loup. Une beauté qui éclipse le jeu de la slide. Shake For Me la babe qui shake, on n'y fait même pas gaffe, il y a la voix du Wolf qui virevolte et l'on n'a d'yeux et d'oreilles que pour elle. Ces trois derniers titres se ressemblent, une instrumentation tout en finesse et la gorge du Wolf qui fait la différence. The Red Rooster, c'est Howlin' qui tient la slide – peut-être pour cela que la voix est comme en retrait - avec Sumlin qui joue le contrepoint. L'en existe une version avec en prime Muddy Waters et Bo Diddley, que je préfère. You'll Be Mine, excité le bestiau, a jeté son dévolu sur la demoiselle et n'en démord pas. Nous on a la bave qui dégouline, va vite l'avaler cette friandise. Goin' Down Slow, le vieux morceau d'Oden joué à la perfection, plus bluesy que lui, vous ne trouverez pas. Un truc d'anthologie, nous en profitons pour nous vautrer sur les volées de larmes du piano de Henry Gray. Tail Dragger encore Henry et ses cinquante nuances de Gray sur l'intro de ce morceau hommagial à Tail Dragger ( que nous avons vu en concert, voir KR'TNT 92 du 09 / 04 / 12 ), les cuivres sont discrets mais superfétatoires. Three Hundred Pounds Of Joy, pas de chance cet encombrant saxophone devient omniprésent. Une erreur discographique, faut pas essayer de sonner comme des yéyés quand on est à la source du pure rock and roll et le roi du blues. Built For Comfort du même tonneau que le précédent. Killing Floor encore la même soupe, mais Led Zeppelin l'a reprise à sa sauce, et je préfère. Parfois les fils dépassent les pères.

 

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Damie Chad.

 

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