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25/02/2015

KR'TNT ! ¤ 224. ERVIN TRAVIS / CLINIC / HUDSON MAKER / DAVE PHILLIPS AND THE RATRODS / SLEEPY JOHN ESTES / LIGHTNIN HOPKINS

 

KR'TNT ! ¤ 224

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

26 / 02 / 2015

 

 

ERVIN TRAVIS/ CLINIC / CONTOURS / HUDSON MAKER

DAVE PHILLIPS AND THE RATRODS

SLEEPY JOHN ESTES / LIGHTNIN' HOPKINS

 

 

ERVIN TRAVIS NEWS

 

La solidarité pour Ervin s'organise, les rendez-vous pour l'Allemagne sont pris, nous donnons ici les résultats du concert de soutien à Bourges, nous avons simplement fait un Copier / Coller avec le FB lyme – Solidarité Ervin Travis

 

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Bonjour à toutes et à tous !
Les « résultats de la journée de solidarité hier à Bourges viennent de nous être communiqués » !
Un peu plus de 140 entrées pour une recette nette (après paiement des frais en tout genre et sans la buvette qui ne rentrait pas dans la poche des organisateurs) de 740€ !
Yep !!
La cagnotte solidaire s’alourdit !!
Que soient ici remerciés les assos Bourges RnR Club et son président Jean-Michel, Rock’in Berry et son président David, les DJs Manoul et Ronnie, les groupes The Capitols, Earl & The Overtones et Silver Moon, Fred (ex Tarnais) et Coco de la Belle Epoque, et bien sûr le public venu d’un peu partout (Bourges évidemment, Nevers, Orléans, etc. Et même un Parisien !)
J’espère n’avoir oublié personne dans les remerciements «organisateurs» ?

 

 

 

PARIS XX - 13 / 12 / 14

 

LA MAROQUINERIE

 

CLINIC

 

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LE CAS CLINIC

 

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Cette courte escouade de mystérieux cliniciens mérite la médaille de l’ordre de l’Épais Mystère. Car en effet, vous ne les verrez jamais à visages découverts. Comme les Residents, ils nient la réalité et trafiquent les apparences. Et comme British Sea Power, ces mysterious clinicians s’imposent comme les grands agitateurs d’idées de la nouvelle scène anglaise. Mais si on s’intéresse de si près à leur cas, c’est sans doute parce qu’ils viennent de Liverpool. Ade Blackburn pourrait bien être l’un des meilleurs charcuteurs de psyché des temps modernes. Aucune structure spongieuse ne saurait résister au tranchant de son talent incisif.

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Ça fait quinze ans que ces praticiens opèrent. Quinze ans qu’ils ligaturent et qu’ils tranchent dans le vif. Quinze ans qu’ils raclent et qu’ils ramonent. Quinze qu’ils vident les abcès et qu’ils expurgent les démons. Quinze ans qu’ils crochent les blanches et qu’ils distillent l’amertume. Et d’après les experts, ce n’est pas une sinécure.

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Leur premier album «Internal Wrangler» parut en l’an 2000 et charma aussitôt les esprits curieux. On sentait chez eux une petite touche post-punk, et un charme opérait rapidement, grâce à un cut comme «The Return Of Evil Bill» et à sa flûte de Marrakech. «The Second Line» était un pur groove Dada qu’ils arrosaient d’une belle purée de fuzz sur le tard. C’est ainsi que procèdent les groupes intéressants : par petites touches successives. Ils montraient qu’ils savaient aussi lever l’enfer sur la terre avec une horreur nommée «CQ» et dans la foulée, ils expatriaient ce hit de gonk au paradis des glucks. Puis ils passaient «Earth Angel» sous le manteau des vagues. Même si ça semblait cousu de fil blanc comme neige, leur tour de passe-passe impressionnait fortement. Et le chirurgien en chef chantait ça d’une petite voix de freluquet adroit. Ils faisaient ensuite sonner «Distorsions» comme un hit du Brill. Mais oui, aussi incroyable que cela puisse paraître. Ils révélaient aussi leur côté forcené avec un «Hippy Death Suite» battu sec à la basse. Ils allaient même jusqu’à taquiner le meilleur glam d’Angleterre avec «2nd Foot Stomp». Et ils revenaient au gros groove de shuffle avec «2/4», d’une rare puissance et même d’une certaine violence. On ressortait de cet album parfaitement édifié.

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Ils reviennent aux affaires un an plus tard avec «Walking With Thee». C’est pour eux l’occasion d’affirmer leur goût pour le krautrock spongieux et softy. «Harmony» se présente bien, porté par le meilleur des beats longitudinaux et éclairé à la clarinette. Car c’est là l’une de leurs forces : ils savent utiliser des sonorités illusoires autant qu’élusives. Ils parviennent à d’étonnantes combinaisons de voix blanches et de détermination post-punkarde. Ils voyagent allègrement à travers des nappes d’orgue synthétiques. Ces gens-là triturent leur son avec une froideur qui pourrait horrifier les cœurs sensibles. Ils en pincent aussi pour l’orientalisme, comme on peut le constater à l’écoute de «The Equalizer». Ils tapent dans la marche de l’Orient en guerre, dans l’énergie des milliers de shebaz meneurs de chameaux. Qu’Allah soit grand, les cliniciens rejoignent les troupes de Muezzin Rachid Taha, ils se fondent dans les courants d’énergies antiques, ceux qui courent sous le sable du désert. Clinic nous sort avec «The Equalizer» un beat de fou et des flûtes ensorcelantes. L’univers fondamentaliste des cliniciens nous abreuve d’images. C’est en soi une réussite. Ils savent aussi jouer du pur garage, bien sonné à la revoyure. «Come Into Your Room» est insidieux comme ce n’est pas permis. Ce beat sous-tendu paraît même hautement machiavélique. Retour aux sons d’Orient avec «The Vulture» qui éclate dans l’azur coltranien. C’est stupéfiant d’intention et joué à la ramasse. Chaque morceau intrigue profondément, comme ce «Sunlight Bathes Our Home», très polyrythmique. On sent chez eux une réelle profusion eucharistique, une densité nietzschéenne. Ils ne reculent devant aucun édifice. Et le clinicien principal chante toujours d’une voix aussi peu mûre.

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Avec l’album «Winchester Cathedral», ils reviennent au Dadaïsme. «Vertical Take Off In Egypt» en est l’indice probant, car avec ce cut de charcute, on décolle dans l’excellence d’une intro lunatique. Mais ce n’est pas tout, car le dos de la pochette est orné d’un piano déstructuré qui évoque à s’y méprendre le baroquisme démantibulateur de Kurt Schwitters. Vous admirerez aussi la pochette intérieure : voilà un collage héroïque que n’aurait pas désavoué le tube de Sécotine qu’utilisait Francis Picabia. Au plan musical, nos liverpuldiens continuent de bidouiller de leurs doigts gantés de plastique transparent une sorte de psyché à la fois rêche et savamment méthodologique. Avec un cut comme «Circle Of Fiths», ils ouvrent la panse d’une belle pièce putréfiée. Ils sont vraiment étonnants de présence emblématique. Ils travaillent un peu sous le manteau et ils privilégient l’usage intempestif d’onguents d’Orient. Ils semblent même parfois filer comme le Pink Floyd de Syd Barrett vers le heart of the sun, avec des intentions malignes. On trouve aussi chez eux un goût prononcé pour la violente attaque en règle, comme on peut le constater avec «WDYYB», véritable agression anglicane, originale et bienvenue, doublée d’une bassline ronflante. Ils finissent cet album qui ne doit rien au New Vaudeville Band avec «Fingers», bel instro de fin de repas de communion.

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Pour la pochette de «Visitations», ils s’adonnent au jeu préféré de Max Ernst, le collage. Eh bien, cette manie reflète parfaitement l’esprit musical du groupe. Ils continuent de piocher dans des genres très diversifiés et s’amusent vraiment à épater la galerie, qui faut-il le préciser, adore être épatée. Il faut attendre «Tusk» pour commencer à s’émouvoir. On a là une vraie cavalcade embarquée au glissé de basse. Voilà ce qu’il faut bien appeler du punk-rock bien soudoyé et sévèrement battu capable de faire pogoter la Maroquinerie. Comment pourrait-on qualifier «Children Of Kellogg» ? Une furiosia d’industrialisation cataclysmique ? Les Walkyries du bout du monde ? Tout est possible tellement ce morceau est délirant. Attention avec «If You Could Read Your Mind», car c’est amené par un psyché démoniaque d’une brutalité moyen-âgeuse. Les remparts craquent et le clinicien en chef chante d’une voix d’eunuque. Un vrai plotach !

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Le Sphinx d’Égypte orne la pochette de «Do It» paru en 2008. Le Dot It des liverpuldiens ne doit rien au Do It des Social Deviants. Ils ne sont pas du même monde. Ade et ses aides ont fait six ans d’études après leur bachot. Ils savent faire battre le chœur du psyché, comme on peut le constater à l’écoute de «Winged Wheel», vraie pièce floydienne de rêve, montée sur un beat astronomique dominant et dûment setté de controls vers le heart of the sun - Get it on babe - Ça va même beaucoup plus loin, car ils sonnent exactement comme les mighty 13th Floor Elevators. Cet album est d’un très haut niveau. Avec «Memories», on est dans l’intraveineuse de heavy psyché et de pop pernicieuse. Leur son relève réellement de la modernité intrinsèque. Dans «Tomorrow», on sent nettement l’influence de Syd Barrett. On y retrouve les affres du dérangement cabalistique et les marques d’une vraie pathologie de la démarche authentifiée. Nos amis touillent les tissus et drainent les jus avec une sorte de placidité collégiale. Prenez un morceau comme «Shopping Bag». Qu’y voyez-vous ? Une masse hirsute et bien énervée ? Eh bien oui, c’est exactement ça. C’est même carrément Dada dans l’esprit du chant taré et de la débinade décousue. On pourrait même qualifier ça de défilade claudiquante à la note aiguë, comme dirait Jesus-Christ Rastaquouère - More more more for you Anne/ Food in your shopping bag - Vous ne trouverez jamais une chanson aussi moderne sur un album de Marilyn Manson. L’autre gros coup de Jarnac de «Do It» s’appelle «High Coin». Une fois de plus, le son s’inscrit dans la mouvance pouet pouet. «High Coin» sort tout droit du Cabaret Voltaire de Zurich. Parmi les invités d’honneur, on retrouve Tzoro le justicier qui joue de la grosse caisse et l’arpète Jean Arpète qui pète en quinconce - And now your thoughts begin to fray, And now your thoughts begin to fray - C’est puissamment psyché et ils enfoncent leurs redites comme des clous. Ah les vaches !

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Malheureusement pour le porte-monnaie, «Bubblegum» est encore un album étrange et fascinant. Le morceau titre s’inscrit dans la veine d’un groove insistant et même un peu titubé du ciboulot. Aucune concession à espérer de ces gens-là. Ils n’y vont pas par quatre chemins. Ils taillent dans le vif. Ils rendent même un hommage percutant à Captain Beefheart avec «Lion Tramer» dont le thème s’inspire directement de «Drop-Out Boogie». Ils drop-outtent le boogie-boogah d’un désert de nuées absconses. Ils malaxent une fantastique approche de ce vieux riff têtu et toxicomane. Et puis voilà «Milk And Honey», une belle pièce de groove psyché. On distingue bien les chemises à fleurs sous les blouses vertes de ces cliniciens occupés à cliqueter le groove. Quelle bande de sadiques ! Ils plongent leurs regards étincelants dans les profondeurs palpitantes de la vieille tradition psychédélique britannique. Mais ce n’est pas terminé car il faut encore entendre «Forever», le groove d’un malade imaginaire originaire de Louisiane. Alors, ces liverpuldiens prodigieusement abjects hissent l’étendard du beat vermoulu. C’est là, dans ce cut insensible que se niche le génie de Clinic. Ils savent aussi jouer du garage psyché, comme on pourra le constater avec «Evelyn». Ils sont vraiment hantés par les démons de la mad psychedelia. Ils battent «Evelyn» à plates coutures. Et ils enchaînent avec «Freemason Waltz», une valse maladive incroyablement belle, qu’on pourrait très bien entendre dans la bande-son d’un fils de Bunuel ou de Kaurismaki.

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Les amateurs d’hypnotisme seront comblés avec «Free Reign», et notamment deux cuts qui collent à la peau, «See Saw» et «King Kong». «See Saw» est une vraie scie Dada, doublée d’une guitare garage. En concert, c’est imbattable. Pareil pour «King Kong», pulsé aux machines. Ils génèrent de l’entourloupe fumeuse et nous pètent les oreilles. Rien d’aussi démentoïde, comme dirait Mongoloïd, le gentil héros de Devo. «Sun & The Moon» est une pièce de génie emmenée à la clarinette. Ils jouent le groove sempiternel et la clarinette vient échoir à l’abreuvoir. Ces mecs sont terriblement novateurs, ils tentent toutes les sorties face aux troupes de la normalité, ils sont à la fois dans Can et dans Robert Wyatt.

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Ils firent l’an passé une redite de «Free Reign» avec un remix intitulé «Free Reign II». Grâce à «Sun And The Moon», on replongeait les doigts dans la tiède excellence du groove Dada bien tempéré. Car c’est battu aux cloches thibétaines et ça se danse au clair de la lune sur la crête des Andes - Gimme your love fan I’m outta my mind - Et avec «Yan», ils réincarnent les Spacemen 3. Voilà un beau groove aussi énigmatique que le nez de Cleopâtre. Franchement, on s’en régale comme de la rosée du matin. «King Kong» paraîtra encore plus étrange, sans doute à cause de ce groove vaguement psychédélique qui se profile sur les toits de Sarrebruck, là où plane encore l’ombre de Faust. Ce groove fait le dos rond du dromadaire. Nos quatre cliniciens sont très sérieux dans leur démarche. D’ailleurs ils frisent le Resident Sound avec «Cosmic Radiation». Voilà encore un cut très astringent. Mais ils le tempèrent adroitement grâce à l’usage d’une wha-wha de scierie mécanique. «See Saw» n’a rien à voir avec le vieux hit de Don Covey, car il s’agit là de poppisme psychologique. Hochement de tête cadencé garanti, cela va de soi. Ces liverpuldiens restent dans la confirmation des choses, et c’est précisément la raison pour laquelle il convient d’aller les voir jouer sur scène.

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Ils étaient ce soir-là à l’affiche de la Maroquinerie. La soirée n’en finissait plus car deux groupes jouaient avant eux. C’est le genre de concert où il faut savoir s’armer de patience. On les vit enfin venir installer leur matériel et on put constater qu’ils avaient pris - comme tout le monde - un petit coup de vieux. Évidement, ils sont revenus sur scène déguisés en chirurgiens, avec leurs masques sur la figure. Et là une sorte de prodige s’est accompli. Petit à petit, ils ont réussi à chauffer une salle comble, à tel point que ça pogotait au moins autant que dans un concert des Dropkick Murphys ou des Backyard Babies. Qui du groupe ou du public était le plus déchaîné ? Allez savoir. En tout les cas, il régnait là-dedans une fantastique ambiance. Les cliniciens balançaient leurs classiques hypnotico-blasteurs à la chaîne, «Tusk», «See Saw», «King Kong», tout ça sans cligner des yeux, avec une maîtrise spectaculaire. Leurs mains ne tremblaient pas.

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Avec leur dégaine d’anti-rock stars, ces quatre mecs pourraient bien constituer l’un des meilleurs groupes de la scène anglaise contemporaine, enfin de ce qu’il en reste. Ils étaient tellement bons sur scène que ça semblait un peu irréel. En fait, ils ne tiennent que par le son, car ils n’ont pas d’image. Et pour un groupe de rock, se priver d’image, c’est une façon de se couper une jambe.

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Signé : Cazengler, pas clinic mais clownic

 

Clinic. La Maroquinerie. Paris XXe. 13 décembre 2014

 

Clinic. Internal Wrangler. Domino 2000

 

Clinic. Walking The Thee. Domino 2001

 

Clinic. Winchester Cathedral. Domino 2004

 

Clinic. Visitations. Domino 2006

 

Clinic. Do It. Domino 2008

 

Clinic. Bubblegum. Domino 2010

 

Clinic. Free Reign. Domino 2012

 

Clinic. Free Reign II. Domino 2013

 

 

GIBUS CAFE21 / 02 / 15

 

HUDSON MAKER

 

DAVE PHILLIPS AND THE RATRODS

 

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Problématique cornélienne. Jallies and Capitols à ma gauche, Dave Phillips à ma droite. A équidistance kilométrique. Troyes ou Paris ? Pire que ce que vous pensez, ce n'est pas la beauté éblouissante des jolies Jallies sur le premier plateau de la balance et l'hommagiale reconnaissance d'un des tout premiers pionniers de la renaissance rockabillienne de l'autre, c'est que le billet lutécien m'a été offert comme cadeau de Noël par une gente demoiselle de ma connaissance. Déchirement racinien ! Lâchement je laisse le choix à Mister B, qui opte pour Dave Phillips, et qui en dernière minute ne pourra pas venir.

 

Tribu de hard rockers à l'entrée de la Rue Saint Maur, le Quartier Général offre une affiche généreuse, au moins six groupes de ce qui me semble osciller entre hardcore et post punk. Oberkampf a toujours été un des quartiers les plus rock de Paris. Hélas je ne possède pas le don d'ubiquité. Me dirige donc vers le Gibus Café, pratiquement vide, j'en profite pour faire un tour au magasin de disques tout à côté.

 

CONTOURS ( RECORD SHOPS )

 

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Ne l'avais même pas remarqué en décembre lors du concert Megatons / Ghost Highway ( voir KR'TNT ! 214 ), j'aurais dû, le lieu est sympa et l'accueil chaleureux. Beaucoup de vinyls et une belle collection de livres – les bibliothèques rock sont assez rares – plus quelques menus objets styles pin's et badges. Pas spécialement axé sur le rockabilly, un peu de tout mais de qualité, je reluque un truc rare de Mink De Ville et m'attarde sur la pochette de Fearless de Family, quarante ans qu'elle m'était passée dans les mains... Un spécimen From Elvis in Memphis, allez zieuter sur le facebook.com/contoursshops il y a de quoi baver comme ce trente-trois de Dolly Parton...

 

J'ai oublié de demander son nom au tenancier de ce lieu de tentations rock, s'y connaît, est branché sixties, Elvis, Beach Boys et girls groups de Phil Spector, cet homme de goût ne peut pas être tout a fait mauvais. Vous le retrouverez au 123 rue Parmentier à vingt-cinq mètres cinquante du Gibus Café.

 

GIBUS RASIBUS

 

Entre temps le haut de forme s'est rempli. Que des têtes connues. A croire que tout le milieu rockab s'est donné rendez-vous pour Dave Phillips. Bien sûr tout le monde n'est pas là, mais où les aurait-on mis s'ils étaient tous venus ? Quand on tient une place sur le devant de la scène l'on s'y accroche et l'on n'a pas intérêt à la lâcher. Surtout que ça va tanguer un max !

 

HUDSON MAKER

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Le nom est américain, mais ils viennent de Rennes, trois Bretons sans chapeau à la célèbre forme géométrique, mais qui n'en vont pas moins mener leur set rondement. Quinze morceaux avec un maximum d'originaux que l'on retrouve sur leur premier CD Crazy Train. Sont trois, ce qui est déjà beaucoup vu l'exiguïté de la scène. L'est vrai que le pupitre du DJ mange tout un coin à l'arrière, mais on lui pardonne car en plus d'un ravissant sourire, durant les interludes Lauren Brown passe de bons morceaux. Mais ne nous égarons pas nous sommes ici pour ce que l'Hudson est capable de rouler en ses eaux.

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Face à moi Tof. Imposant, encore plus volumineux que sa big mama qui paraît toute petite entre ses mains. La traite comme une gamine qui a besoin de quelques gifles bien senties pour trouver le droit chemin. Je peux vous assurer qu'elle filoche sans demander son reste. N'est pas tendre avec elle, l'incline dans tous les sens et la rudoie méchant. Oui mais le résultat ne se fait pas attendre. Elle chantonne comme la bouilloire sur le feu, et crache comme une locomotive à vapeur. Un train d'enfer. Vous en oublieriez de regarder les deux autres.

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Pour Alban, pas de problème, l'on ne peut pas ne pas l'entendre. Chante et joue de l'Ibanez. Dans les graves, ce n'est pas Johnny Cash - dont ils interprèteront magnifiquement Ghost Riders et Get Rhythm - mais s'en approche. Davantage un côté cow-boy que rockabilly bop, mais sait garder son troupeau comme pas un. Un peu rockdéo, et ma foi ça remue assez sec.

 

Franky est à la batterie, je le vois à peine, caché par la contrebasse de Tof, juste ses baguettes sur la caisse claire. Sont décorées de motif rouge et bleu de nuit, lorsqu'il tape le mouvement reste comme décomposé dans l'air, l'on dirait qu'il déplie un éventail japonais, bel effet, l'en profite pour pousser en guise de chœur des cris de samouraï en pleine action. S'amuse, rock fun et tout sourire.

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Une reprise rentre dedans de Matchbox – rien de tel qu'une boîte d'allumette pour mettre le feu - et un superbe et original Devil's Rendez-vous pour nous rappeler d'où vient notre musique, les Hudson Maker captent l'attention de leur auditoire qui n'est pas spécialement venu pour eux et qui en sa grande majorité les voyait pour la première fois. Peuvent être contents d'eux, sortent de scène sous les applaudissements nourris.

 

DAVE PHILLIPS AND THE RATRODS

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L'est-là sur scène, les yeux fixés sur Steven son guitariste qui trafique sa guitare. Grand, mince, chevelure un peu dégarnie, la classe dans sa chemise blanche, cravate noire, d'une main il tient sa contrebasse et de tout le reste de son corps, sans bouger, sourire aux lèvres il esquisse un stroll immobile sur le disque que Lauren est en train de passer... C'est bien lui Dave Phillips, le vétéran, qui fit partie du légendaire Blue Cats trio en 1978, qu'il quitta en 1980 pour fonder le pharamineux Dave Phillips and The Hot Rod Gang. Un des pionniers du neo-rockabilly anglais, la dernière borne avant l'explosion des Stray Cats.

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C'est parti. Tout de suite c'est comme si l'on était enfin parvenu au pays où l'on n'arrive jamais. D'abord Steven. Un guitariste. Un vrai. Un pur. Ne joue pas à la manière de Cliff Gallup. Mais il connaît. L'a tout compris du jeu du maître. En a assimilé la grammaire mais écrit ses propres phrases. Dave est au chant et à la contrebasse. Et Steven le suit et le devance à la trace. Le grand art, la note qui arrive au moment exact où elle doit souligner l'inflexion vocale, tout se fait en complicité, au trapèze sans filet, au feeling, mais avec une si époustouflante précision que tous deux semblent décortiquer une partition de musique classique.

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Je ne peux détacher mes yeux de ses mains qui semblent réfléchir. Se posent sur les cordes avec une dextérité machiavélique, les doigts qui agissent sans se presser, sûrs de leur agilité, et les accords qui s'enchaînent tout en laissant le silence respirer. Jamais riff sur riff, les affale comme les voiles d'un navire pour manoeuvrer au plus près de la force du vent. Un gallupin' galop qui provient du jazz, mais le fleuve du rockabilly ne s'évanouit pas dans la mer des démonstrations stériles, quitte les sargasses du bavardage et remonte à sa source, rebondissant dans les torrents d'eau sauvage. Deux notes, comme deux poignards lancés dans le cœur de l'ennemi, pas le temps de s'attarder, de regarder le sang couler, de philosopher sur la brièveté de la vie humaine, simplement deux secondes de silence, de s'apercevoir que tout est perdu, mais sans préavis une cascade de coups de feu qui claquent et vous emportent l'intérieur de la tête. Rien de trop. Comme disent les moniteurs de ce redoutable art de combat qu'est le systéma. Il est inutile de surtuer l'ennemi. Le tuer suffit. La guitare rockabilly comme un principe d'économie émotionnelle. Le maximum d'effet avec le minimum de causalité. La phrase sèche de Salluste de préférence aux pompeuses déclamations cicéroniennes.

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C'est maintenant que l'on peut revenir à Dave Phillips. La contrebasse soumis à un régime contraire. La bielle d'accouplement qui imprime le mouvement aux roues de la loco. Le bogie n'est jamais loin du boogie. Le pétulant pétillement du rockab, la crinière affolée du cheval fou, c'est à la double bass de l'assurer. Et Dave Phillips trace la route. La machine lancée à toute allure que rien n'arrêtera, si ce n'est sa voix de lead singer et les notes surjouées de Steven. La couche de ripolin sur le mur et la main qui trace les lettres signifiantes. Beaucoup de blanc pour quelques bâtonnets de noir, mais ce sont eux par leur inflexions qui délivrent le message. Le rockabilly est un art qui vise à une perfection idéo-formelle qu'il est aussi difficile d'atteindre que d'agencer l'équilibre d'un sonnet élisabéthain.

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Et dans la salle tout le monde perçoit cette approche de la perfection cinq sur cinq. Dave Phillips est le premier surpris de cette enthousiaste réception. Dira à plusieurs reprises son bonheur de rejouer en France depuis si longtemps. Soufflera toutes ses bougies d'un coup lorsque Jerry lui apporte en plein milieu du show son gâteau d'anniversaire. Après quoi le concert basculera vers les sommets. Un Cat Man démoniaque sur lequel John se livrera à une implacable rythmique de guerre indienne, Dave nous livrant un chant d'intensité shakespearienne, et Steven relâchant ses notes une par une comme un tireur d'élite, nous arrachant à chaque fois les entrailles.

 

Immédiatement suivi d'un long morceau de bonheur ce Tainted Love qui est un des classiques de Dave Phillips depuis plus de trente ans, depuis son insertion sur l'album Wild Youth qui est un des classiques du rockabilly. Peut se permettre de se taire sur des couplets entiers, la foule reprenant les paroles sans difficulté.

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L'est épuisé, la chemise trempée dégoulinante de sueur, mais la salle en état d'épilepsie avancé sera sans pitié. Se laissera faire par cette douce violence intransigeante. Trois rappels avant qu'il ne nous quitte sur un Pink Thunderbird éblouissant. Assure que cette ferveur lui rappelle la fièvre des années 80. Rien à dire, les anglais ont vraiment une dimension au-dessus, qu'ils nous donnent une reprise du Blue Cat Trio ou une version de Work Song de Nat Adderley, l'on sent la différence d'impact. De véritables bombes à fragmentations. Dave Phillips n'aura pas déçu, la voix a peut-être perdu un peu du mordant incisif de sa jeunesse, mais quelle leçon, quelle facilité, quelle précision. Et puis cette humilité, celle des plus grands, toujours à mettre en avant ses deux musiciens, les remerciant à plusieurs reprises, laissant Steven chanter deux morceaux et répétant à plusieurs fois le nom de John, que je n'ai pas pu apercevoir de tout le set, l'imposante contrebasse de Dave m'étant aussi impénétrable qu'un mur de béton armé... La salle bruit de contentement. Difficile de la traverser pour respirer à l'air libre. Ai-je vraiment besoin de liberté ? Dave Phillips me suffisait amplement.

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Damie Chad

 

( Photos prises sur le FB d'Edonald Duck )

 

SLEEPY JOHN ESTES

 

JAILHOUSE BLUES

 

FLOATING BRIDGE - NEED MORE BLUES ( NY – 02 - 1937 ) / JACK AND JILL BLUES - POOR MAN'S FRIEND ( T MODEL ) - HOBO JUNGLE BLUES - AIRPLANE BLUES ( NY 04- 37 ) / EVERYBODY OUGHTA MAKE A CHANGE - LIQUOR STORE BLUES - EASIN' BACK TO TENNESSEE - FIRE DEPARTEMENT BLUES - CLEAN UP AT HOME - NEW SOMEDAY BABY - BRONWSVILLE BLUES - SPECIAL AGENT ( RAILROAD POLICE BLUES ) ( NY – 04 – 38 ) / MAILMAN BLUES - TIME IS DRAWING NEAR - MARY COME ON HOME - JAILHOUSE BLUES - TELL ME HOW ABOUT IT ( MR. TOM'S BLUES ) - DROOP DONW ( I DON'T FEEL WELCOME HERE ) ( CH – 06 – 1940 ) / DON'T YOU WANT TO KNOW ( THE DELTA BOYS ) - YOU SHOULD'NT DO THAT - WHEN THE SAINTS GO MARCHING IN - LAWYER CLARK BLUES - LITTLE LAURA BLUES - WORKING MAN BLUES ( CH – 24 – 09 – 41 ) /

 

Past Perfect. Siver Line. 2002. TIM Instrumental Music Company. 2203365.

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C'est un vieux bluesman. Du delta. Mais pas tout à fait de la même filière que Charley Patton, Son House et Robert Jonhson, en France on l'a souvent mis dans tiercé de tête avec Big Bill Bronzy et Blind Lemon Jefferson. Du moins dans les milieux jazz qui furent les premiers à se passionner pour le blues. Ce n'est que lorsque Muddy Waters commença à être reconnu que l'on dessina dans ce qui allait devenir la mouvance sixties rock une nouvelle cartographie légendaire. Nous reviendrons une autre fois sur le Gros Bill Bronzy et l'Aveugle Citron Jefferson, mais cette fois-ci nous nous intéressons au Dormeur John Estes.

 

Le bluesman parfait pour les Européens atteints de mauvaise conscience. Certes ils n'étaient pour rien dans la ségrégation instituée en la grande Amérique démocratique, mais les guerres de libération qui éclatèrent après 1939-1945 avaient tendance à noircir la haute idée que les hommes blancs se faisaient de leur civilisation, et par ricochet l'on était particulièrement sensibles aux souffrances endurées par les afro-américains... Le blues revival qui éclata en Europe de l'Ouest n'était pas uniquement acté par de strictes considérations musicales. L'on tâchait inconsciemment de réparer les dégâts commis par d'autres que soi-même, mouvement empreint de crypto-christianisme par lequel l'on se rachète une conduite en endossant une culpabilité dont on se sait innocent, une vocation au martyre sans danger en quelque sorte.

 

Tout pour plaire Sleepy John Estes, pauvre, malade et noir. Plus blues que lui, tu es déjà mort avant de naître. Tout petit il perd un oeil, vraisemblablement dans un jeu de gamins qui s'amusaient à lancer des pierres, prend l'habitude de gratter une guitare. Très mal, pas virtuose pour deux cents. Heureusement qu'il y a les copains du coin qui assurent pour lui, comme Son Bonds à la guitare, Yank Rachell à la mandoline et Hammie Nixon à l'harmonica. Lui son truc c'est la voix, moanin' voice, l'on traduira par pleurnicharde, le gars qui n'arrête pas de se plaindre de la dureté de la vie. Un bel organe, grave et groovy, et que peut-on attendre de mieux d'un descendant d'esclaves si ce n'est de gémir et pleurer sans fin ? Remplit son rôle à la perfection. Surtout que la jeunesse passée le sort s'en mêle, perd son deuxième oeil, lui qui n'a jamais été riche connaît l'extrême pauvreté et la solitude...

 

L'avait tout de même enregistré quelques morceaux dès 1929 pour Victor, finira même par être mis en boîte chez Sun, en 1952, – tiens, tiens les rockers dressent une oreille – vous retrouvez quatre titres sur les Compilations Charly consacrées à la production du label de Sam Phillips avant Elvis. Bref tombé dans l'oubli total, mais il avait laissé des traces, fut facile à retrouver et il eut la chance de recommencer une seconde carrière dans les grands festivals blues des années soixante. Sauvé par le gong de l'American Folk Blues Festival !

 

C'est lui qui a repris et mis en forme le traditionnel Milk Cow Blues dont Elvis et Eddie Cochran ( et une foultitude d'autres par la suite ) n'oublièrent pas le meuglement, Sleepy possédait une énorme qualité, l'a composé la majeure partie de son répertoire, alors que tant de bluesmen ont emprunté sans vergogne aux confrères, se contentant de modifier les paroles... Comme beaucoup de bluesmen il ne chantait pas que du blues, mais un peu de tout, les airs à la mode et les succès à la radio. Avec ses amis il animait les fêtes locales et les participants n'avaient peut-être pas envie de pleurer toute l'après-midi sur leur triste destinée. Fit aussi parti d'un Jug Band, ce qui indique qu'il devait aussi jouer une musique plus guillerette, car ces combos à l'instrumentation hétéroclite touchaient autant au blues qu'au ragtime. Ces Jug Bands pouvaient être noirs ou blancs. L'on n'oubliera pas que le premier disque de jazz enregistré le fut par un orchestre blanc, ce qui nous ouvre de vastes perspectives de méditations quant à ces sillons parallèles où germèrent en la même époque et en concomitance ce qu'aujourd'hui nous définissons comme des genres à part entière, jazz, blues, folk et country... Les couvées de poussins de toutes les couleurs sortent du cul de la même poule glousse.

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Nous n'avons pas ici les premiers enregistrements de Sleepy mais ceux collationnés entre 1937 et 1941 chez Decca et Bluebird, ce qui explique la qualité d'écoute, pas de souffle ou de bruits de fond parasitaires.

 

Floating bridge c'est la voix qui flotte et finit par s'affirmer, l'harmonica de Hammie Nixon tirant l'auditeur à lui, la guitare de Son Bonds restant essentiellement rythmique. L'ensemble sonne très country. Le blues arrive avec Need More Blues, l'harmo de Hammie Nixon souligne tous les effets esquissés par la plaintive voix d'Estes, batifole dans des fioritures qui ne demanderaient qu'à s'exalter en solo. Le morceau semble n'avoir ni fin ni début. Jack And Jill Blues c'est la voix qui s'impose, l'on peut prendre sa pleine de mesure et reconnaître qu'Estes est bien le leader du groupe. Poor Mann's Friend, Estes en pleine forme force sur la blue note qui semble dériver tout droit du yodel des cowboys, rural blues n'a jamais été aussi près du country alors qu'étrangement la lourdeur de l'orchestre préfigure ce qui quelques dizaines d'années plus tard sera appelé blues rock. Hobo Jungle Blues, l'harmo traînant de Nixon ( pas le président, Hammie ) bien devant et la voix d'Estes plus plaintive que jamais comme s'il la retenait entre ses dents. Airplane Blues comme la suite immédiate du précédent, parfois l'écrivain change de chapitre sans savoir pourquoi au juste. Ces quatre derniers morceaux unis par une parenté évidente, proviennent de la même session. Everybody Ougtha... plus frustre, l'on remarque tout de suite l'absence de Hammie Nixon, c'est fou ce que son harmonica meublait et posait la tapisserie, par contre la voix d'Estes prend toute son ampleur, c'est bien lui la cheville ouvrière de ses compositions, Liquor Store Blues, guitares énervées, Estes s'implique dans son chant, le solo central n'est qu'accompagnement rythmique mais le tout sonne très rockab. Easy Back To Tenessee, blues classique «  woke up this Morning » et tout le bataclan, les mesures qui marchent au pas et l'adju de service Estes qui accentue toutes les premières syllabes de ses lyrics. Fire Department Blues, à l'Estes rien de nouveau, les guitares rampent et le vocal ne s'élève pas bien haut au-dessus de la terre arrosée de larmes. Clean Up At Home le plaisir d'entendre le jeu de guitare de Charlie Pickett qui sur ce morceau et le suivant New Someday Baby Blues prend toute sa magnificence, Estes imperturbable au chant. Brownsville Blues, le blues des origines Estes débuta dans la région de Brownsville, la guitare s'enlace au vocal, Estes chante le blues avec une voix blanche dépourvue d'émotion se contentant d'énoncer peut-être pour mieux dénoncer toute la tristesse du blues. Special Agent avec ce début très caractéristique de la manière d'Estes, la voix un quart de seconde avant l'instrumentation qui se colle à elle pour ne plus la quitter d'un demi-millimètre, une espèce de pré-reverb qui a peut-être influencé les techniques d'enregistrement de Sam Phillips. Mailman Blues c'est l'harmonica de Robert Mc Coy qui s'en vient pour notre plus grand plaisir klaxonner dans nos oreilles et Estes obligé d'élever la voix. Même chose pour Time is Drowing Near dans lequel l'orchestration s'efface, l'est vrai que l'on a changé de décor, nous sommes à Chicago, le rural Blues est obligé de hausser le ton pour se faire entendre à la ville. Mary Come Home c'est Robert Mc Coy qui se taille la part du lion à la guitare d'Estes qu'il remplace avantageusement, croyez-moi, ça valse dur. Jailhouse Blues, l'harmo qui déchire et Estes qui pleure plus fort que d'habitude, pas étonnant que le morceau ait donné son titre à cette compilation, l'on se croirait dans une séance de Muddy Waters. Tell Me How... presque joyeux, l'harmo qui souffle comme un saxo et la rythmique qui s'emballe, et Estes qui galope. Drop Down se sent mal par ici, le crie bien fort, l'harmonica court après lui mais ne le rattrape pas. Dont You Want... nouvelle session à Chicago, l'on a sorti la grosse artillerie, celle qui fait plus de bruit que de mal Son Bonds qui double le vocal et qui s'amuse au kazoo. L'on recommence aussitôt sur You Should'nt... devraient vraiment pas, le blues se dénature quand il quitte la pâture rurale, un seul effet positif, démontre à l'excès que Sleepy pouvait tout chanter. When The Saints... le morceau de trop, une tisane douceâtre dans laquelle l'on a oublié de verser un demi-gallon de whisky, par pitié sautez cette galéjade ! Lawyer Clark Blues la plaisanterie a assez duré l'on retourne aux sillons du bon vieux blues de derrière les fagots, rien d'essentiel mais cela nous rassure, Little Laura Blues poussons une petite larme pour la belle Laura, une fille de perdue, un blues de gagné, Estes parvient à nous faire croire qu'il faudrait avoir du chagrin Working Man Blues retour aux dures réalités de la vie et du blues, la guitare égrène ses notes et la voix devient presque implorante, Sleepy regagne sa légende...

 

Sleepy John Estes mourut en 1977 ne laissant même pas assez d'argent pour payer ses funérailles... Son Bonds l'avait précédé de trente ans dans la tombe, quitta la planète bleue stupidement, abattu chez lui par erreur par un voisin myope qui l'avait pris pour quelqu'un d'autre... Le blues est la poisse de Dieu !

 

Question généalogie Yank Rachell, le guitariste des débuts de Sleepy John Estes, accompagnera l'harmoniciste Sony Boy Williamson 1 dont Little Walter – qui apprit le boulot chez Muddy Waters, lui se contentant d'apporter son génie - ne ratait sous aucun prétexte les concerts... Le blues du Delta est un mouchoir de poche.

 

 

LIGHTNIN' HOPKINS

 

TAKE IT EASY

 

THE TROUBLE BLUES / LIGHTNIN PIANO BOOGIE / WONDER WHY / MISTER CHARLIE / TAKE IT EASY / MIGHTY CRAZY / YOUR OWN FAULT, BABY, TO TREAT ME THE WAY YOU DO IT / L'VE HAD MY FUN DON'T GET WELL NO MORE.

 

Enregistré le 15 novembre 1960 à New York. 220377. 2002.

 

Past Perfect Silver Line. Série économique jazz et blues initiée par le label allemand TIM International Music Company AG qui sortit entre 2000 et 2002 près de deux cents disques ( CD ou vinyl ) de musique populaire américaine. Des caractères japonais sur la pochette laissent présager un bizarre jeu de sociétés écrans...

 

Croyais mettre la main sur Blind Lemon Jefferson quand j'ai glissé la main à l'aveuglette derrière la deuxième rangée de CD. Ce ne fut pas Jefferson mais Lightnin' Hopkins que j'ai ramené, preuve que ce n'est pas si mal rangé que cela puisque Lightnin' a longtemps côtoyé Blind Lemon Jefferson qui l'a un peu mis sur les rails bleus de la musique du diable sans dédaigner pour cela les nuages roses du répertoire gospel.

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Un chanteur de blues heureux. La chance avec lui. Sur les photos l'est sempiternellement en train de sourire sous son chapeau de paille la bouche grand ouverte pour que l'on puisse admirer ses dents en or. Les nouveaux riches ont un goût si déplorable ! Toujours là où il faut être, le genre de gars qui ne se presse pas mais que l'on prévient chaque fois de l'heure à laquelle part le bon train, celui que l'on ne doit pas rater. Ses deux frères Joel et John Henry ne se débrouillent pas mal à la guitare mais c'est avec son cousin Texas Alexander le chanteur qu'il apprendra les secrets du blues primitif, encore proche des hollers poussés par les prisonniers dans les camps pénitentiaires... Ligthnin' Hopkins sait s'adapter à l'air du temps, en 1953 il abandonne la gratte acoustique et se met à l'électricité. Aussi redoutable sur l'une ou sur l'autre. Enregistre dès 1947 pour Aladdin Records et bientôt il ne comptera plus ses séances. Remarqué par Robert "Mack" McCormick spécialiste émérite du folk texan, il est dès 1959 embarqué par le mouvement pro-folk qui traverse la jeunesse américaine, l'apparaît bientôt en compagnie de Joan Baez et Pete Seeger, pas bête il a ressorti du grenier sa vieille acoustique et devient un personnage incontournable du revival folk blues. Participera à la tournée américaine de l'American Folk Blues Festival en 1964. Prêt à toutes les expériences il enregistrera même un album avec le groupe psyché 13TH Flour Elevator, eux aussi originaires du Texax. Participera aussi à des concerts du Grateful Dead et du Jefferson Airplane... Belle trajectoire qui le mène des origines du blues au mouvement hippie. Enregistre des centaines de titres et donne des milliers de concerts, des plus infâmes juke joints aux salles les plus prestigieuses comme le Canergie Hall de New York. Pour un pauvre bouseux l'a su magnifiquement tirer son aiguille de la meule de foin. Un vrai bluesman, toujours on the road avec pour port d'attache le ghetto noir de Houston, a connu les grands chantiers ferroviaires et la prison, opportuniste mais n'hésitant pas à dénoncer les patrons blancs racistes et exploiteurs quitte à en payer les conséquences et subir de désagréables voies de fait... Né en 1912 décédé en 1982, une vie bien remplie, et surtout un guitariste hors-pair que l'on a pris l'habitude de négliger de citer quand on parle de l'influence de la guitare blues sur le rock and roll, mais qui fut réelle et étudiée de près dans les années soixante...

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Trouble Blues deux notes et l'on est au coeur du blues, la guitare qui pèse et la voix éclatante qui traîne son fardeau de malédiction êtrale. Elle est partie mais le problème est d'ordre métaphysique, fait gémir les petites cordes, on ne les entend presque plus mais le blues est toujours là, comme l'ectoplasme du désespoir incarné. Piano Boogie le morceau le moins essentiel du disque. Hopkins au piano. Une démonstration de tout ce qu'il sait faire. Le malheur pour mes oreilles de rocker c'est que ça remue moins que le boogie de Jerry Lou – le maître étalon suprême. Un peu ragtime bande-annonce des films muets. Wonder Why retour au blues, celui qui colle aux cordes de la guitare, monologue qui infléchit le chant vers le soliloque. Accords mineurs, le blues chausse les charentaises de la discrétion, la voix s'élève pour mieux retomber, quasi murmurante, c'est la guitare qui prend la parole. Dialogue entre le musicien et sa musique. Le morceau s'étire sur plus de six minutes. Mr Charlie une sombre histoire que Ligthnin' nous raconte en parlant le soir à la veillée, celle d'un petit garçon qui bégayait au grand désarroi de sa maman, trouvera du boulot chez Mr Charlie propriétaire de fabriques qui ne l'écoutera pas lorsqu'il l'avertira que son moulin est en feu... l'on s'en moque un peu car maintenant Hopkins chante haut et ça s'entend. Faut sans doute chercher le sens de la parabole, mais j'avoue que je m'y perds. Take It Easy une sempiternelle histoire de coeurs qui ne s'accordent pas, après un premier dépôt de plainte à la guitare Lightnin' s'empare du piano pour revenir plus tard à sa gratte, à chaque fois le vocal devient plus présent. Les deux postulations du blues, piano ou guitare. Hopkins nous démontre qu'elles sont interchangeables, le grand gagnant reste le blues sous toutes ses déclinaisons. Que ce soit sur les touches ou sur les cordes l'implication reste la même. Mighty Crazy du blues qui court vers le rock, un rythme qui galope et une voix qui saute les obstacles. Mettez un peu d'électricité et vous comprendrez tout ce que le rock and roll doit au blues tant au niveau du chant que des guitares. Morceau qui dépasse les sept minutes, Lighnin' nous ressert le couvert à volonté en sourdine, en ironie, en franc parler... Démonstration tous azimuts. Keep on runnin'. Your Own Fault... La grande accusation avec le piano qui hisse les décors du mélodrame, la main gauche qui triture les aigus et la droite qui roule les basses, et puis la voix qui accuse. L'est sûr que la femme a tous les torts. Faut de temps en temps remettre les pendules à l'heure. Ça se termine bien avec des trilles cajoleuses. Jusqu'à la prochaine fois. I Have Had My Fun... La philosophie du pauvre être humain. J'ai eu tout ce que j'ai voulu si je contente de ce qui m'a été donné. Un blues funèbre qui traîne des pieds comme quand vous suivez le cercueil d'un copain. L'ultime sagesse du blues, ne jamais être dupe de la vie.

 

C'était un disque de Lightnin' Hopkins, une simple session parmi tant d'autres. Le gars qui assure a dû prendre moins de temps pour l'enregistrer que nous pour l'écouter. Dans la série j'ai rencontré un bluesman heureux, c'était Lightnin' Hopkins, le mec qui prenait la vie à la bonne, take it easy...

 

Damie Chad.

 

 

18/02/2015

KR'TNT ! ¤ 223. ERVIN TRAVIS / SUPERSUCKERS / SCORES / MUFFINS / LOU REED

 

KR'TNT ! ¤ 223

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

19 / 02 / 2015

 

 

ERVIN TRAVIS / SUPERSUCKERS

SCORES / MUFFINS / LOU REED

 

 

ERVIN TRAVIS NEWS

 

La solidarité s'organise autour d'Ervin Travis atteint de la terrible maladie de Lyme très peu traitée en France. Sur le Facebook

Lyme - Solidarité Ervin Travis

 

 

vous trouverez tous les renseignements nécessaires à votre compréhension. Des concerts de soutien sont programmés dans le sud et le centre de la France, pour ceux qui aimeraient manifester leur solidarité financière d'une manière plus personnelle, l'Association a ouvert un compte Paypal. Voir image ci-dessous. Rappelons qu'il s'agit de récolter une somme de 10 000 euros pour qu'Ervin puisse se faire soigner en Allemagne. Ervin est trop substantiellement lié à l'histoire du rock and roll français pour que les rockers ne se sentent pas concernés.

 

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LE SUPER CURSUS

 

DES SUPERSUCKERS

 

 

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Curieusement, les Supersuckers produisent l’effet inverse de celui que produisent les trois quarts des grands groupes de rock : ils sont meilleurs sur leurs disques que sur scène. Attention, ça ne veut pas dire qu’on bâille aux corneilles quand ils jouent sur scène. Mais leur set est tellement monolithique que l’heure paraît parfois bien longue. En tous les cas, ceux qui dans le public ne semblent pas connaître les morceaux décrochent assez vite. Ce soir-là au 106, la salle se vidait en cours de set. Comme si l’univers des Supersuckers restait impénétrable, comme si ces rockers américains étaient tellement calaminés qu’ils n’étaient plus accessibles. En gros, les Supersuckers fonctionnent comme un rouleau compresseur qui se met en route en début de set et qui s’arrête brutalement au moment des adieux. Entre les deux, ces vétérans du garage-punk américain ne font que brûler méthodiquement leur énergie comme on brûle du carburant lorsqu’on avale l’autoroute au mépris des limitations de vitesse. Leur truc, c’est de foncer, pas de réfléchir. Leur référence, c’est l’americana white-trash, celle qui plonge ses racines dans un monde de bars, d’alcool, de filles faciles, de pipes, de tatouages, de bagarres violentes, de canons sciés, de gros camions, en gros tout le folklore inepte qu’on retrouve dans les mauvais films américains des vingt dernières années. Une réalité qui ne peut en aucun cas nous intéresser dès lors qu’on ne la vit pas, et il n’est pas certain du tout qu’on aimerait la vivre. On laisse tout ça aux amateurs de folklore.

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Alors, pourquoi écoute-t-on encore leurs albums et pourquoi va-t-on encore les voir sur scène, sachant que les précédentes tentatives se sont toujours soldées par le même constat d’ennui larvé ? Tout bêtement parce qu’à une époque, leurs albums épataient les obsédés du son. Tout bêtement parce que le chanteur Eddie Spaghetti fait partie des grands chanteurs de rock américain. Et tout simplement parce que Dan Thunder Bolton sait faire parler la poudre, pour employer la terminologie d’usage chez eux à Tucson, dans l’Arizona.

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Pour les situer, on pourrait les comparer à Nashville Pussy ou même à Motörhead. On les accuse à tort de flirter avec le hard, mais tout comme Lemmy, ils n’ont jamais mordu le trait. Leur rock reste du heavy rock, au sens de la densité du son - et non du rythme - et leur seule tare consiste parfois à basculer dans le punk-rock américain. Ils sonnent alors comme les New Bombs Turks et tous ces groupes américains insupportables et proches du hardcore qui ont embouteillé les circuits dans les années 1990 et 2000.

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En réalité, les Supersuckers s’apparentaient aux grands groupes de trash-rock signés par Tim Warren sur son label Crypt, comme par exemple les Dirtys, les Devil Dogs et bien sûr les fameux Nine Pound Hammer de Blaine Cartwright - qu’on retrouva par la suite dans Nashville Pussy - Mais les Suckers préféraient rester sur SubPop qui était encore dans les années 90 une vénérable écurie de soudards.

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Le diable en personne apparaissait sur la pochette de leur premier album. «Smoke Of Hell» s’ouvrait sur une vraie débinade de garage-punk. «Coattail Rider» fumait comme une smoking beast. Avec les Suckers, on ne pouvait que recourir systématiquement à cette imagerie de bolide lancé à plein régime sur une autoroute. Impossible de faire autrement. Le rock des Suckers sentait le pneu brûlé. Attila s’était réincarné en Eddie Spaghetti. Mais leur rock restait irrémédiablement conventionnel. Simplement, ils le densifiaient à outrance, et c’est en cela qu’ils se distinguaient des autres groupes. Ils affichaient leurs couleurs : la violence et la mort. D’ailleurs, ils avaient un cut intitulé «Hot Rod Rally» qu’Eddie introduisait d’un coup d’Awit’. Dans «Sweet N Sour Jesus», le beat était tellement percuté qu’il rebondissait, comme quand on tape au marteau sur une enclume. Même chose avec «Retarded Bill», dont le beat rebondissait de coups redoublés. Et puis un miracle se produisait en fin d’album avec «Thinkin’ Bout Revenge», qui sonnait comme un hit de démiurge, avec sa mélodie posée sur le toit du monde. Ils embarquaient leur truc au fil mélodique d’un thème éperdu et c’était beau comme une évasion de Sing Sing. Du coup, on prit les Suckers au sérieux.

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De là naquit une sorte de passion pour ce groupe bourru. En 1994 parut «La Mano Cornuda» et ils semblaient vouloir passer aux choses sérieuses. «Creepy Jackalope Eye» nous sonnait les cloches d’entrée. Bang ! Dans le nez ! Trente-six chandelles. Cui cui cui. Car il s’agissait là d’une merveille de rock, un rock ambitieux et puissant comme un seigneur mérovingien. Ce hit monté sur un thème intrinsèque fonctionnait comme tous ceux qu’on mémorisait à vie. Puis ils se livraient avec les morceaux suivants à leur petit jeu préféré de l’agression sonique. Les Suckers ne se sont jamais embarrassés avec les détails. L’image du rouleau-compresseur leur allait comme un gant. Ils poundaient leur frichti jusqu’à la nausée, comme savaient aussi si bien le faire les gens de Rocket From The Crypt. Eddie Spaghetti chantait ses trucs à la puissance dix de l’exponentiel. Non seulement il y avait du Attila en lui, mais il y avait aussi du Raspoutine. Leur «Mudhead» devenait tellement énorme qu’il en paraissait illusoire. Ils atteignaient une sorte d’au-delà de l’outrecuidance stroumphique. Dan Bolton partait en solo et les immeubles s’écroulaient autour de lui. Il y avait du Blue Cheer en eux. Ces destructeurs s’auto-détruisaient dans une sorte d’invraisemblable carnage sonique. Ils jouaient tout à outrance et c’est précisément ce qui les rendait si fascinants. Ils surjouaient tellement leur «Glad Damn Glad» que les notes fondaient comme fondent les atomes dans le processus de fission nucléaire. Enfin, c’est l’impression qu’ils pouvaient laisser.

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À la parution de leur troisième album, «The Sacrilicious Sounds Of The Supersuckers», on proclama sur tous les toits que c’était leur meilleur album. Rick Sims des Gaza Strippers faisait alors partie de ce gang de brutes. Oui, car deux huitièmes merveilles du monde se nichaient sur cet album. La première était une confession du diable, «Born With A Tail», une belle pièce de power-pop musculeuse chantée à l’étranglée de Boston et admirable de tenue - Can’t wait till I get my turn to burn in the infernal fire - Eddie faisait rissoler son génie guttural à la broche - I’m evil yeah and I’m free, let’s go to hell - Et la seconde merveille s’intitulait «My Victim», montée sur un cocotage infernal. Il s’agissait là d’une authentique énormité pyramidale. Eddie déclenchait l’arrivée d’un solo avec un vrai let’s go ! Alors Dan Bolton lâchait une belle colique sonique et quelques tonnes de flic-flocage, puis il remontait l’extraordinaire fil mélodique, avec évidemment des chœurs dans la mêlée. L’auditeur ordinaire pataugeait dans la démence. Flic floc. Oh yeah ! En plus, c’était cuivré ! Eddie finissait son cut du diable en singeant Otis dans «Try A Little Tenderness» - Got-a Got-a. C’est dire si. Ils proposaient d’autres gros cuts sur ce disque, du genre «Marie» (heavy balladif, diablement inspiré - They say that no one wants to grow up to be a junkie but I think he did), «Ozzy» (bel hymne à l’Ozzy drumbeaté à la vie à la mort, pièce de slab ultime - Eddie fait comme Napoléon, il s’auto-couronne empereur du power) et «Run Like A Motherfucker» (Rick Sims chante comme un freluquet, ce qui permet d’apprécier l’écart avec un chanteur comme Eddie).

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«Must’ve Been High» fut un album country destiné à tromper l’ennemi. Eddie y bouffait la country toute crue, sans sel et sans mayonnaise. Crouch crouch ! «Dead In The Water» était monté sur le beat ancestral de Johnny Cash, mais avec par derrière une sorte de grosse envergure d’échappatoire. L’erreur serait de prendre les Suckers pour des demeurés. Avec ce disque, ils ouvraient au contraire un spectaculaire champ d’action. On avait même des violons dans «Barricade» et dans «Hangover Together». Eddie chantait ça au titubé, dans la profondeur d’un gosier décapé par des alcools de contrebande. Kelley Deal (sœur jumelle de Kim) duettait avec l’ostrogoth. Ils nous sortait ensuite de son chapeau «Non Addictive Marijuana», une jolie pièce de country dopey - A big shot of whisly and a big shot of cocaine - Et on se régalait d’une fantastique ambiance country. Pire encore : ils attaquaient «Blow You Away» au banjo de «Delivrance». Quelle énergie ! Le mec qui jouait du banjo s’appelait Brian Thomas, un vrai fou. «Hangliders», le dernier morceau de l’album était aussi une petite merveille, un bel instro tagada plein d’allant et vertueux, absolument génial car coloré à la slide et animé de bonnes intentions. Le beat était celui d’un cheval qui traverse une plaine du Wyoming au triple galop. À écouter le matin au petit déjeuner.

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Avec «The Evil Powers Of Rock ‘N’ Roll», les Suckers firent encore monter les enchères. Aucun groupe de rock - même Motörhead - ne peut sortir un son aussi extrême dans la densité - C’mon - C’était quasiment intenable quand on écoutait ça au casque. On sentait une surtension et une surexposition des atomes du son et au milieu de tout ce délire baroque, Dan Bolton partait en solo - Awite ! On ne pouvait plus faire autrement que de prendre les Suckers au sérieux. Ils étaient tellement puissants qu’ils finissaient par nous fasciner, comme les phares fascinent le cerf surpris la nuit au milieu de la route. Les Suckers n’étaient rien d’autre que la meilleure fournaise qui se put imaginer. Ils enchaînaient avec «Cool Manchu» et ils récidivaient. Purée de guitares et couplets explosifs. Ils poussaient leur bouchon aussi loin qu’ils le pouvaient. Ils visaient la fameuse intensité edgy, leur musique ronflait comme les flammes de l’enfer, et avec ses solos, Dan Bolton semblait jeter de l’essence dans le brasier. Si on aime bien avancer à quatre pattes, alors il faut écouter cet album des Suckers. On en sort brisé. Un cut comme «Stuff And Nonsense» était beaucoup trop violent pour une oreille de chrétien. Le son des Suckers est une aberration de trash-garage démentoïde. Et ça fait d’eux des géants. Ils ne vivent que pour la fournaise. Le génie d’Eddie c’est ça : bam ! En plein front. Pas de palabres. Même si on n’était pas trop porté sur le punk US des années 80 et 90, on était bien obligé de reconnaître qu’un cut comme «Fistcuffs» dépassait les bornes. Eddie l’attaquait avec un oh ! puis ça devenait une merveilleuse pièce de punk-rock haleté. Et comme à son habitude, ce démon de Dan Bolton entrait là-dedans avec un solo de non-retour. Les Suckers déferlaient comme les Huns - Awite ! Avec une barbarie sans nom. Leur clameur s’étendait sur toute la plaine et le ciel rougissait jusqu’à l’horizon. Les seuls qui auraient pu se mesurer à eux étaient sans doute les trois misérables brutes de Hüsker Dü. «My Kiss Ass Life» était encore plus heavy et donc sans pitié. Eddie jouait une ligne de basse qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à celles que jouait Kim Deal dans «Gigantic». On pataugeait dans des mares noirâtres alors que les flammes de la ville en feu éclairaient la nuit. Le rock des Suckers transcendait la notion même de barbarie. Ils nous plongeaient au cœur de leur monde et ça pouvait devenir irrespirable. Ils jouaient le boogie des soudards, Eddie vomissait ses textes, mais my God, quel chanteur ! Il n’a jamais baissé sa garde. Et on l’entendait toujours chanter - pas hurler - au dessus du fracas des armes, toujours coiffé de son Stetson. Cet album dépassait en intensité tout ce qu’on connaissait alors, même le prodigieux «No Sleep Till Hammersmith» de Motörhead. Eddie savait cuisiner ses spaghettis, comme on pouvait le constater une fois encore avec «Hot Like The Sun», une nouvelle explosion de barbarie sonique - Aw shit - C’était même beaucoup trop dense et malheureusement, on commençait à les soupçonner d’avoir un certain génie.

 

C’est vrai qu’Eddie Spaghetti est un personnage impressionnant. C’est lui qui signait les posters après le set du 106. Il portait toujours son Stetson noir et ses Ray-Ban. Sa barbichette noire lui donnait une allure de prêtre orthodoxe russe et pour corser l’affaire, il parlait d’une voix d’outre-tombe. On ne voyait pas se yeux et il restait insensible aux compliments. Mais dès qu’on lui parlait de sa ligne de basse dans «Bubblegum And Beer», il hochait la tête et souriait.

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Quand «Motherfuckers Be Trippin’» parut en 2003, on s’attendait au pire. Et le pire était au rendez-vous. Les Suckers commençaient par pulvériser «Rock’n’Roll Records» à coups de gimmicks tintin la praline. Ces mecs n’avaient jamais rien respecté, mais là, ils montaient encore d’un cran dans l’abjection pulvérisatrice. Ils enfilaient tout à la hussarde, ça pulsait dans tous les coins et dans tous les trous à la fois. Quelle bande de dingues ! Personne n’aurait pu les calmer. «Rock Your Ass» était aussi beaucoup trop intense, comme chanté dans la chaudière. Trop trop. Chez eux, tout était trop, la glotte, le grattage, too much. Avec «Pretty Fucked Up», on réalisait à quel point les Suckers pouvaient être dangereux, non seulement pour les oreilles, mais aussi pour l’équilibre du monde civilisé. Avec ce cut immonde, ils devenaient indescriptibles de dégueulerie. C’était un peu comme s’ils déversaient leur truc à la benne. Comment pouvaient-ils réussir un tel prodige ? Bonne question. Et on tombait un peu plus loin sur «Bubblegum And Beer», leur hit suprême. Si on ne devait conserver qu’un seul titre des Suckers, ce devrait être celui-ci. Eddie jouait sa bassline derrière. Quand Dan Bolton partait en solo, Eddie le rattrapait au vol. On avait ensuite une autre pièce d’excellence dévastatrice, «Sleepy Vampire», nouvelle preuve des bienfaits de l’embrasement. Ils parvenaient une fois de plus à ouvrir un véritable espace sonique. Ils travaillaient aussi l’harmonie avec « A Good Night For My Darling». Eddie faisait basculer son truc dans le cratère d’un volcan et Dan Bolton rajoutait un petit coup de lance-flammes, histoire de bien finir le travail. Une vraie bande de pyromanes. Et l’intro de «Damn My Soul» était une intro de destruction totale. En redorant leur blason de brutes géniales, ils imposaient un immense respect. Eddie introduisait «Someday I Will Kill You» avec un Eoohhh de ventru transpercé par une épée. Le punk-rock des Supersuckers takes no prisonners, comme aiment à le dire les Anglais. Dan Bolton continuait d’envoyer ses giclées de notes perfides et on basculait dans un au-delà du punk-rock, dans un univers inconnu de bouillie sonique inaccessible aux autres groupes. Lemmy donnerait sans doute toute sa collection de dagues SS en échange du secret de cette fulgurance. L’écoute de cet album fut à la fois une épreuve et une sorte de ressourcement. N’oublions pas qu’on vit d’oxygène et d’énergie. Et que le chaos est source de vie.

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«Devil’s Food» n’était pas un nouvel album, mais une collection d’inédits. On y retrouvait le fracas habituel, mais ça restait du Sucking classique. Cet album fait partie de ceux dont on peut se passer. Il vaut mieux écouter et réécouter les deux albums précédents, si on veut se payer un petit shoot d’adrénaline. On trouve quand même deux ou trois bricoles sur «Devil’s Food», et notamment une exceptionnelle version country de «Born With A Tail». Le morceau titre vaut aussi son pesant d’or et «Sail On» bat tous les records de destroyerie mélodique. N’oublions jamais que les Suckers sont capables des pires prodiges. Avec «Kid’s Got It Comin’», ils lâchent une petite bombe garage agitée par la dynamique du foutoir apostolique.

 

Le problème avec un groupe comme les Supersuckers, c’est qu’à la parution de chaque nouvel album, on attend d’eux des miracles, comme au temps des Kinks ou de Jimi Hendrix.

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On voyait les Suckers gesticuler sur la pochette de «Get It Together». On sentait alors qu’ils prenaient bien soin de rester dans le cadre du bon vieux rock de chemises à carreaux. Ça commençait à chauffer avec «Paid», une belle pièce de heaviness capable de nettoyer les conduits de cheminée. Dan Bolton harcelait toujours la note folle au coin du bois. Ce mec a toujours été bon. Il fait partie de ce que les journalistes américains appellent les meilleures gâchettes du rock. On se régalait aussi de «When I Go I’m Gone», bien balancé sur le beat. On avait l’impression que les Suckers cherchaient une nouvelle voie, craignant de tourner en rond dans le vieux carnage sonique. Ce cut joyeux et musculeux était probablement l’une de leurs plus belles réussites. Ce rock d’hercule de foire leur seyait à merveille. Ils évoluaient, exactement de la même façon que les Black Lips, en composant de vraies chansons, et du coup, on les prenait encore plus au sérieux. On tombait ensuite sur une autre merveille d’allure martiale, «Sunset On A Sunday», une espèce de rock idéal et imparable.

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Les Suckers tournaient en France pour promouvoir leur nouvel album «Get The Hell». Sur scène, Eddie rappelait qu’il était en vente over there et il ajoutait : You need it ! C’est vrai qu’on need it, car il renferme son petit lot d’énormités cavalantes. Comme l’indique son titre, «Get The Hell» est une belle fournaise. Les Suckers travaillent désormais au râteau. Ils râclent profondément dans la pâture. On sent en eux les rustiques compatriotes du diable. Leur plus gros défaut - qui est aussi leur principale qualité - est qu’ils ne savent pas jouer doucement. Vous voudriez les entendre gratter une mandoline au coin de la cheminée ? Quelle blague ! Les Suckers sont les rois du fuck, comme le montre «Fuck Up» - I’m a fucked up/ I’m so fucked up - et ça descend admirablement. Ça sonne même comme le hit dont on a toujours rêvé. Les Suckers savent calibrer les perles. Avec «Pushin’ Thru», ils proposent l’archétype parabolique de la puissance guerrière. Ils éclatent de grandeur sonique, de beat-it et d’aplomb guitaristique. «Disaster Bastard» est une merveilleuse harangue de fond d’underground. Eddie continue de jouer son rôle à la perfection, celui d’un Lemmy chanteur-bassman chapeauté à la voix rauque, un intense leader paradoxal, une sorte de vertueux malfrat, un prédicateur du néant white-trash. Une fois de plus, leur cut s’achève au cœur de l’incendie de Rome. Avec «Shut Your Face», on retrouve ce bulldozer de fête foraine des premiers albums. Les Suckers adorent écraser les pâquerettes. Ces gens-là n’ont même pas besoin d’essence. Ils finissent cet album solide avec «Rock On», une reprise de Gary Glitter. Non mais franchement, a-t-on déjà vu des glamsters avec du poil aux pattes ?

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Bon, c’est vrai, tout cela semble un peu trop idyllique. Il faudrait quand même leur trouver un petit défaut, non ? Le voilà : ils vendent des T-shirts noirs décorés d’un Jolly Roger, celui de Calico Jack avec les deux sabres croisés sous le crâne. C’est là où le bât blesse, car on ne trouve absolument aucune trace d’utopie dans le monde des Supersuckers.

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Signé : Cazengler l’ensucké

 

Supersuckers. Le 106. Rouen (76). 3 octobre 2014

 

Supersuckers. The Smoke of Hell. SubPop 1992

 

Supersuckers. La Mano Cornuda. SubPop 1994

 

Supersuckers. The Sacrilicious Sounds of the Supersuckers. SubPop 1995

 

Supersuckers. Must’ve Been High (country). SubPop 1997

 

Supersuckers. The Evil Powers of Rock ‘N’ Roll. Koch 1999

 

Supersuckers. Motherfuckers Be Trippin’. Mid-fi Recordings 2003

 

Supersuckers. Devil’s Food (collection d’inédits). Mid-fi Recordings 2003

 

Supersuckers. Get it Together. Mid-fi Recordings 2008

 

Supersuckers. Get The Hell. Acetate Records 2014

 

De gauche à droite sur l’illustration : Dan Bolton, Scott Churilla, Eddie Spaghetti et Marty Chandler

 

 

 

NANGIS / 14 – 02 – 15

 

Service Municipal de la Jeunesse

 

SCORES / MUFFINS

 

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Nangis, vous voulez rire. La teuf-teuf se marre, je ferais mieux de m'y rendre à pieds, c'est le bled à côté, autant la laisser ronfloter pénardos sur le trottoir. Avec ses trois cent mille kilomètres au compteur elle mérite un peu de repos, d'ailleurs un brin de méditation zen ne me ferait pas de mal, au lieu de me rendre chez ces ferrailleurs ( à la manière dont elle prononce ce mot, l'on sent qu'elle n'aime pas ) de hardos... Comme ce n'est pas une mauvaise fille, elle consent à m'amener. Un peu cabocharde, elle me fait le coup de m'arrêter devant la piscine municipale – sous le fallacieux prétexte que j'aime regarder les jeunes naïades en maillot de bain – et repart aussi sec vers la gendarmerie en m'assurant que ce sont des gars très sympas avec une petite cellule de dégrisement spécialement préparée pour ma pomme. Pourrie, précise-t-elle. Et hop ! joignant le geste à la parole elle s'arrête juste en face de chez messieurs les pandores.

 

Non, ce n'est point de l'impertinence. La fidèle teuf-teuf m'a déposé à moins de quinze mètres de l'entrée du SMJ de Nangis. Chers lecteurs ayons une pensée émue pour cette municipalité qui s'est délicatement souciée de mettre sa turbulente jeunesse sous la protection rapprochée des autorités militaires. Mais délaissons ces sombres pensées philosophiques pour nous intéresser à l'architecture des lieux. Trois fois rien, mais bien torché. Quatre murs – on suppose d'un ancien bâtiment en ruines – que l'on a gaillardement recouvert de tôle ondulée. Tout est dans l'habillement, des cintres de bois qui dessinent des débuts d'arcs d'ogives, un hâtif quinconce d'espaces en guise d'entrée accueillante et derrière un muret qui l'encercle une arène, d'une quinzaine de mètres de diamètre, ainsi délimitée qui sert de salle de spectacle, au fond à droite des tentures cachent le prolongement latéral d'une autre pièce. L'on s'y sent bien. Comme chez soi. Cinq euros l'entrée, deux euros pour les encartés, et lorsque je cherche ma monnaie pour le café, l'on m'apprend que les boissons sont à volonté et gratuites. Je salue cette belle initiative.

 

Public varié, majorités de jeunes, mais pas mal d'adultes aussi, qui viennent trouver en cette soirée festive distraction et chaleur humaine, et familles avec enfants. Le rock deviendrait-il une musique populaire ?

 

SCORES

 

Cri de la Betterave, Nemours, Nangis, cornaqués par Martial Biratelle, Scores arpente la Seine & Marne, et nous essayons de ne pas les perdre de vue chaque fois que l'occasion se présente. Jeunes et doués, talentueux sur scène. Des adeptes du hard, ne s'inscrivent pas dans les tribus de l'âge du métal, proviennent plutôt de l'époque du rock dur taillé à coups de marteaux thoriens, mais si elle est une science des plus signifiantes la généalogie des plus lointaines ascendances ne peut que se mettre à l'écoute des héritiers. Ce sont eux qui préparent les futures fureurs.

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Rentrent sur scène un par un, mais sont cinq unis comme les doigts complices du guitariste sur ses cordes. Shadows, dès le premier morceau Scores dévoile en pleine lumière les arêtes cubiques de ses compositions. Empilements géants mais disposés au millimètre près. Tout est en place, rien ne dépasse. Le chaos mais pas le désordre. Le tonnerre mais pas le bruit. Mise en place d'une netteté extraordinaire. Et pourtant.

 

Et pourtant Scores repose avant tout sur la pulsation énergétique de Nicolas. N'arrête jamais. C'est quand il laisse un temps en suspens une fraction de deux secondes que vous vous apercevez que votre cœur inconsciemment s'était mis à battre à son rythme, s'était laissé emporter dans cette incessante scansion animale, et durant ce fragment de silence suspendu vous avez cette impression de ne plus respirer, de manquer d'air, de suffoquer, mais la résonnante retombée des baguettes vous délivre de cette faille respiratoire dans laquelle vous vous sentiez happé comme une aspiration êtrale venue de l'intérieur qui vous effondrerait sur vous-même. Ce n'était qu'une illusion, le rapace qui s'immobilise au plus haut de son vol pour fondre sur sa proie et s'abattre à la vitesse d'une pluie de météorites qui rebondissent de parois en parois sur les pentes vertigineuses des plus hautes montagnes. Nico, toujours là jamais las, éparpille ses battements d'ailes sur ses peaux, une pluie ruisselante qui n'en fait qu'à sa tête, mais en si totale harmonie avec les nécessités rythmiques des guitares que l'on est bien obligé de reconnaître qu'à chaque fois le hasard est muselé et vaincu. Je ne sais comment il se débrouille mais dans le même break il assure en une étrange triophonie le soulignage de la ligne mélodique qui vient de s'achever, l'accompagnement du plan en train de se dérouler, et l'annonce de la séquence suivante. Et l'infernal tournoiement ne cessera pas de tout le set.

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Les trois guitares devant. Car l'on ne peut parler de section rythmique proprement dite, Timothée bien qu'il ait souvent une oreille dressée vers la batterie, joue ses lignes de basse par en-dessous. Peut cavaler comme un athlète qui s'entraîne pour le marathon Nicolas, c'est Timothée qui lui déroule l'épais tapis rouge de laine moelleuse sous ses pieds, c'est plus facile quand le copain vous arase les obstacles au rouleau compresseur. L'appuie partout où ça pourrait faire mal. Peut-être le rôle le plus ingrat car le moins spectaculaire, mais si le son de Scores est si équilibré c'est bien parce que Timothée a nettoyé le terrain. Toute pyramide repose sur sa base.

 

Guitare à gauche, guitare à droite. Tout le reste entre ces deux gerbes de feu électrique. Simon torse nu sur ses solos et Léo qui court-circuite sur sa Gibson. L'un qui panache et l'autre qui ramifie. L'un qui jette et l'autre qui arabesque. Le tranchant d'un côté et le barbelé de l'autre. Deux styles très différents mais complémentaires. Coruscant pour Simon, sinusoïdal pour Léo. Ne se regardent jamais. N'en ont pas besoin. Chacun sûr de l'autre. La flamme et la braise. La pointe et le fil. Au final l'épée qui tue.

 

Benjamin au centre, armé de son seul micro. Gesticule tout son soul. Perfecto et voix. Tout un programme. Annonce l'orage et prophétise l'ouragan. Moins en avant qu'à Nemours, laissant davantage d'espace visuel à ses camarades. Ne se glissant en première ligne que lorsque les parties vocales l'imposaient. Tout en tenant parfaitement son rôle.

 

Dix morceaux et pas un de plus. Le set s'achève sur un coup de Hammer à renverser les murs de l'Enfer. Une prestation de toute beauté, très rock and roll dans l'âme, chaleureusement acclamée par un public conquis et surpris d'une telle maturité.

 

MUFFINS

 

Deuxième partie. Trois zigotos sur scène. Un super batteur, un guitariste qui touche, et un bassiste qui de temps en temps caresse sa basse. Ce pourrait être très bien. Mais il y a un hic, la biscotte qui tombe du mauvais côté. Font du rock. Ce serait parfait s'ils ne faisaient que du rock. Mais non, ce sont des h'artistes. Le rock n'est qu'un faire-valoir. Le beurre que l'on rajoute sur le deuxième côté de la tartine. J'ai dû me tromper d'adresse. Café-théâtre. Un remake de la bande du Splendid, trente ans après.

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Tout ce que je n'aime pas. La chanson sketch, interprétée à la perfection. Genre mecs sympas à la cool qui ne se prennent pas au sérieux. Avec derrière un professionnalisme de requins de studios, de l'improvisation étudiée au millimètre près. Le rock au service de la rigolade. C'est moi qui le dis, car eux sont atteints du syndrome français de la chanson à texte. Attention au deuxième degré, la chute est préparée avec parachute ventral de sécurité. Tradition franchouillarde qui remonte à Boris Vian, le rock comme strapontin. L'on se moque de ce dont on se sert. Gaité-lyrics et prétention intellectuelle très rive gauche avec une greffe prononcée rock alternatif hexagonal des années quatre-vingt dix. Tout ce que les Berruriers Noirs n'ont jamais osé commettre, les Muffins s'en chargent. C'est que même si on ne les aime pas, les Bérus étaient porteurs d'une certaine révolte que l'on pourrait qualifier de militante contre la société, les Muffins sont plutôt branchés critique boboïste. Acerbe mais pas trop, l'on n'est pas dupe mais tout se termine sur un grand sourire. Si nous ne pouvons pas être heureux, soyons joyeux. L'amère pilule n'en passera que mieux. Se moquent de tout, sauf d'eux-mêmes. L'auto-dérision n'est pas leur tasse de thé vert.

 

Faut reconnaître que ça marche. Que toute une partie du public est ravi comme un poisson rouge à qui l'on vient de changer l'eau de son bocal. Je remarque toutefois que ceux qui arborent les looks les plus hardos restent de marbre. Sont comme moi, ont l'air de s'ennuyer. Un peu comme dans les repas de communion où au dessert il faut s'enquiller l'arrière-grand-père qui veut à tout prix interpréter Marinella de Tino Rockssi. Grand succès auprès des enfants. Musicalement, il y en a pour tous les goûts, un petit bout de rock par ci, un éclat de hip-hop par là. Et tout à l'avenant. Sont prudents, jamais trop longtemps pour vous permettre de vous lasser. Mais assez pour étaler leur savoir et vous faire croire que vous connaissez tout. Ce n'est pas un concert. Plutôt un spectacle de cabaret. Live sur scène, mais surtout mise en scène.

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Une mécanique bien huilée. Pas très loin des ces spectacles de clowns des années cinquante sous les grands chapiteaux itinérants dont les parties musicales clarinettes et grosses caisses servaient à faire avaler aux spectateurs l'indigence des propos et des blagues qui tombaient à plat. A part qu'ici les paroles sont devenues chansons et de ce fait s'intègrent mieux dans le filage du spectacle. Point de temps mort. A la guitare Francis est le grand farineux celui qui mène le jeu et qui initie les situations, Peter est l'Auguste lunaire chargé de jouer tous les rôles, ce qui explique pourquoi la plupart du temps sa basse repose sur son support, et Flavien avec sa batterie tient lieu de la fanfare tonitruante reléguée sur son podium qui accompagnait l'entrée et la sortie des pitres. Est appelé à intervenir très souvent, et pour soulever l'enthousiasme général, et pour mettre en marche les gadgets sonores pré-enregistrés qui ponctuent le déroulement des numéros.

 

Comedia dell arte du pauvre éclairée à l'électricité – rien à voir avec la chandelle verte du Père Ubu - toute dimension burlesque et grotesque ayant été gommée au profit d'une dérisoire mise en cage du rire dans cette hérésie post-moderne du bon-moment-convivial-passé-ensemble. Un bon spectacle – si vous aimez que l'on vous caresse dans le sens du poil - mais qui n'a rien à voir avec le rock and roll. Et vous savez que moi qui ne suis pas du tout sectaire je n'aime que le rock and roll.

 

Damie Chad.

 

( les photos ne correspondent pas au concert, sauf la première de Scores prise pendant le soundcheck )

 



 

LOU REED / UNE VIE

 

MICK WALL

 

( traduction de Michel Assayas )

 

( ROBERT LAFONT / Octobre 2014 )

 

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OPA sur Lou Reed. Deux livres assez platement intitulés Chansons ( 1967 – 1980 : Tome 1 ) et ( 1982 – 2000 : Tome 2 ) parus chez Points en septembre de l'automne dernier, immédiatement suivis en octobre de la traduction de la bio de Mick Wall. La mort pousse à la consommation. L'on n'aura jamais autant parlé de Lou Reed dans nos média depuis sa disparition. Doit en rire dans ses volutes dissoutes dans le nirvana.

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Mick Wall n'est pas un inconnu pour ceux qui lisent la presse spécialisée britannique. A longtemps collaboré à Kerrang ! la bible hebdomadaire des amateurs de death metal qui fut à l'origine un simple numéro spécial de Sounds. Lancera le magazine Classic Rock spécialisé dans les articles de fond sur le rock des années 60 et 70, une véritable mine d'or pour bien des journalistes de notre presse nationale. L'est surtout connu pour ses rapports privilégiés avec des groupes comme Black Sabbath et Gun's N' Roses, des accointances qui ne restèrent pas toujours au beau fixe...

 

Pour cette vie de Lou Reed, Mick Wall donne l'impression de ne pas s'être beaucoup fatigué. Disons qu'il a fait vite. Faut battre le cadavre tant qu'il est chaud. Moins de trois cents pages, un très gros tiers pour le Velvet Underground, un petit tiers pour la grande période – celle qui court de son premier album personnel à Coney Island Baby - et les trente dernières années au pas de charge... Plus on avance moins on aperçoit Lou Reed en chair et en os. Son personnage se confond de plus en plus avec sa discographie, soigneusement épluchée, titre par titre, à chaque nouvelle sortie d'album. J'ai bon dos de critiquer, j'ai dû laissé tomber Lou Reed après la sonnerie de The Bells en 1979. Depuis Sally Can't Dance la production de Lou Reed m'ennuyait terriblement. J'achetais, j'écoutais, repassais deux ou trois fois un ou deux morceaux qui auraient pu... mais qui ne tenaient pas le coup dès la seconde écoute, je renfilais la galette dans la pochette et je classais dans le placard des revenez-y-pas.

 

M'avait un peu déçu le Lou qui n'était pas vraiment sorti du bois lors de son concert à Colomiers ( Hall Cominges – 16 mars 1975 ), voix éteinte, orchestre atone, faisant son job avec l'enthousiasme avec lequel vous vous jetiez sur votre version latine en classe de quatrième, le mec qui vient-là pour toucher son fric et qui se fout de son public. L'on était très loin de Rock And Roll Animal ! L'aurait mieux fait de laisser chanter un roadie à sa place. Dans la série j'ai vu la légende et m'en suis plus mal porté après qu'avant, je peux témoigner.

 

VELVET UNDERGROUND

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Ce qui m'a toujours agacé avec le Velvet Underground, ce n'est pas le souterrain, c'est le velours. D'abord question souterrain c'est un peu râpé lorsque l'on s'affiche avec Andy Warhol que je considère davantage comme un publiciste qu'un artiste. Un homme qui avait tout compris, que pour acquérir la gloire auprès du vulgati populi, il vaut mieux sembler être qu'être dans la royale présence heideggerienne de l'Etre. Paraître ou ne pas paraître, that is the question. L'a tout de suite pigé ce qu'il pouvait tirer du Velvet : un groupe qui jouait à fond, un chanteur à la voix bourdonnante et obsédante, une batteuse moissonneuse incapable de changer de tempo, un violoniste cacaphoniste, un truc infâme qui dégageait un bruit infernal assez proche des fameux bruiteurs de Luigi Russolo, bref il emmenait partout le groupe avec lui, c'était son générique à lui. Son leitmotive personnel. Pas totalement tombé sur la cacahouète non plus Andy, savait que l'on vous pardonne tout à condition que vous soyez joli même si vous n'êtes pas poli. Comme Maureen Tucker n'était pas l'équivalent plastique de Blondie, s'est dépêché de mettre a beautiful mannequin dans la vitrine. Ce fut Nico. Une belle plante, une blonde pulpeuse - la stature de ces anciens germains qui effrayaient tant les légionnaires romains râblés et basanés – mais par chance dotée d'une belle voix. Un morceau de choix. C'est le côté velours qui m'a toujours dérangé dans le Velvet. Le gant pour vous passer sur les fesses à deux faces. Côté mou, côté dur. Le deuxième disque du Velvet est un chef d'oeuvre. Le White Heat White Light vous transforme les expérimentations de Stockhausen ou le Pli selon Pli de Pierre Boulez en comptines enfantines pour cours de maternelle. La voix de Lou passée au papier verre y est pour quelque chose, mais le maelström violonique avec l'archet qui renverse toutes les mesures de John Cale pour beaucoup plus. Anecdote personnelle : le troisième opus du Velvet était à l'époque difficile à trouver, les critiques dithyrambiques parues çà et là me mirent en chasse. Trois mois plus tard je posais enfin la précieuse mousseline sous le saphir impatient. Flop de chez flop. John Cale avait été remercié par tête Reed. L'avait déjà obtenu la peau de Nico, pouvait maintenant jouer au poète maudit. Hélas ce n'était pas Rimbaud mais François Coppée. Musicalement la Saison En Enfer avait laissé la place aux Vers d'amour et de Tendresse. Le côté velours avait repris le dessus. Pour sûr les Humbles dont nous parlait Lou Reed n'étaient pas les pauvres humiliés du doux François, Lou tapait plutôt du côté du lumpen-prolétariat, des marginaux, des déclassés, des mutants sociaux fiers de leur hétérodoxies, du sexe à toison, de la drogue à foison, les pédés, les trans, les queers, toute cette faune totalement cachée en ces temps de grandes pruderies et de fortes hypocrisies, mais d'une grande banalité aujourd'hui. Certes Lou Reed fut un des tout premiers à diriger le projecteur sur cet effrayant et fascinant rebut sociétal, mais au passage il en avait oublié l'outrance musicale du rock and roll. Le Velvet Underground fut un grand groupe, le premier qui avait compris que le rock présente deux facettes, le son et l'image. L'infatigable Andy Warhol fut le géniteur de cette gémellaire attirance. Notamment avec la fameuse pochette à la banane qui ne faisait que déplacer le fameux régime de Joséphine Baker vers une lecture plus gaiement virile. A la même époque Jim Morrison et les Doors adoptèrent une autre manière de concevoir le rock : le son et le sens. Le public intello-rock se dépêcha de décréter qu'en fait Lou Reed avait, avant les morrissiennes Portes ( de l'Enfer et du Paradis ), engendré la sainte trinité fondatrice du rock, le son, l'image et le sens.

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LE GRAND LOU REED

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Tout cela Lou Reed le magnifia en son véritable unique hit, Walk On The Wild Side où il parvint enfin à accoucher de sa propre parturience grâce à David Bowie qui lui permit de voir plus clair en son esprit embrumé, une nouvelle version de I'll Be Your Mirror en quelque sorte, et qui opéra selon un dédoublement salutaire.

 

Auprès de Bowie, Lou Reed avait acquis une stature internationale. Les ventes ne suivirent pas à sa grande déception, mais dans la mythologie rock il faisait désormais jeu égal avec les plus grands. Duplicité de Lou qui aux deux moments les plus proéminents de sa carrière eut besoin du secours d'un autre artiste pour se sentir pleinement lui-même. Suis totalement d'avis que Lou a dû souffrir toute son existence de troubles schizoïdes. Souterrain et velours, déviance et normalité, pulsion de mort et appétence de vie. Deux disques vont coup sur coup mettre en épingle ces deux facettes. Berlin et Rock And Roll Animal.

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Berlin est bâti à partir de morceaux écrits à l'époque du Velvet Underground. Le mettrai en parallèle avec L'Opéra des Quat'Sous de Brecht et Kurt Weill – dont comme par hasard l'on retrouve un extrait sur le premier trente-trois tours des Doors – avec cette différence près que Brecht est porté par un enthousiasme révolutionnaire – certes déjà assombri en 1928, date de la première présentation, par la montée du nazisme – optimisme qui n'existe plus dans l'imaginaire reedien fondé sur la mythologisation des bas-fonds new yorkais.

 

Berlin est une oeuvre totale qui raconte une histoire – pas une collection de bonnes chansons – qui contient une véritable weltanschauung digne de la tétralogie de Wagner. Mais les dieux et les héros ont laissé leur place aux drogués et aux prostituées. Le monde a glissé dans la fange du désespoir. Le cycle de la laideur ne se refermera jamais plus. Un chef d'oeuvre que le monde du rock refusa d'entendre. Quatre ans avant les punks Lou Reed est le premier à nous apprendre que l'avenir est une utopie avortée. No future ! proclame-t-il, mais les punks possèdent une énergie et une violence qui leur permettront de faire passer leur no message. Lou Reed nous le sert sur le plateau à fromages de la dépression.

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Les guitares de Steve Hunter et de Dick Wagner sont pour beaucoup dans la théâtralité de la musique funèbre qu'exhale cette oeuvre nauséabonde. Berlin est une oeuvre alchimique inversée qui transforme l'or en matière noire. L'or du Rhin métamorphosé en eau de boudin. Avec Rock and Roll Animal, Lou Reed et ses deux fabuleux bretteurs vont changer de dimension. A la lente agonie de la voie humide invertie ils vont substituer la voie sèche directe et silexique, la piste de feu et de foudre. Ce disque est une des plus profondes mutations rock jamais réalisée, jamais captée par un magnéto, la névrose intellectuelle abandonnée au profit de la vigueur animale. Lou Reed n'ira jamais plus loin.

 

L'EN-DECA

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Après cela, Lou Reed fut repris par ses vieux démons. L'est redevenu lui-même et Mick Wall ne nous aide pas à l'adorer. Nous présente un individu empli de jalousies et de contradictions. Pas pire que nous. Mais si terriblement trop humain. Mais si épouvantablement caméléonesque. Un Lou Reed qui enregistre des disques que nous jugeons faiblards n'est pas une catastrophe en soi. Il y a des milliers d'autres morceaux et des centaines d'autres rock and roll singers à se mettre sous la platine, mais un Lou Reed qui a chanté – et qui a même bâti son image sur cela - les charmes et les tourments de l'héroïne et des déviantes pharmacopées et qui vingt ans plus tard interdit aux drogués de rentrer dans ses concerts, nous déçoit. Ce n'est sûrement pas un hasard si tant de larmes de condoléances furent versées lors de sa disparition. Le mauvais fils était revenu à la maison. Ne sortait plus avec un travelo. Ne se droguait plus. S'était marié avec une adorable femme, Laurie Anderson. Walk on the right side, baby. The borderline walks the line.

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Mick Wall nous explique que Lou Reed fait ce qu'il veut quand il veut, comme il veut. Nous sort la dernière carte biseauté, celle que l'on cache dans le revers de son veston et que l'on ne jette sur le tapis qu'en dernier recours, celle de l'anarchiste qui possède le droit de se contredire lui-même. Faudrait prendre le temps d'explorer sa discographie, écouter par exemple le Lulu ( 2011 ) avec Metallica qui fut si décrié par les critiques que sans l'avoir entendu l'album nous est d'emblée devenu attractif et regarder d'un peu plus près The Raven ( 2003 ) d'après l'oeuvre d'Edgar Allan Poe. Cette revendication totémique de l'oiseau odinique nous agrée. C'est-là un signe de reconnaissance qui ne trompe guère. Nous y reviendrons.

 

Damie Chad.

 

( Pour le troisième album du Velvet and others le lecteur pourra se rapporter à l'article Rideau pour Lou Reed sur RR'TNT ! 162 du 07 / 11 / 2013 de notre Matou Zengler préféré )

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11/02/2015

KR'TNT ! ¤ 222. ERVIN TRAVIS / KIM FOWLEY / PULSE LAG / MARIANNE / K-RYB / RAMBLIN MEN / MR WHITE / HANK WILLIAMS

 

KR'TNT ! ¤ 222

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

12 / 02 / 2015

 

 

ERVIN TRAVIS / KIM FOWLEY / PULSE LAG / MARIANNE /

K-RYB / RAMBLIN' MEN / MR WHITE / HANK WILLIAMS

 

 

 

NEWS FROM ERVIN TRAVIS

 

La solidarité s'organise autour d'Ervin. : la journée solidarité du 08 février 2015 à Graulhet a été un franc succès. Merci aux organisateurs et aux musiciens : Something Else - Nashville - Taxman - Dr Pick Up - Young Wild Boars qui ont permis de récolter près de 1700 euros. Photos et compte-rendu sur le FB Lyme – Solidarité Ervin Travis. Ervin n'a pu résister au plaisir de passer derrière le micro... La rage de revivre rock qui revient ! C'est bon signe !

 

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FEU FOWLEY

 

(Part one)

 

 

— Tu dors pas ?

 

— Non...

 

— Prends-moi dans tes bras...

 

— Tais-toi, bitch !

 

— Ça va pas non ? Faut aller te faire soigner, mon p’tit gars !

 

— Oh Rox, c’était pour rire, tu sais bien. Tu sais qui parlait comme ça aux filles ?

 

— Les mufles ne m’intéressent pas.

 

— Kim Fowley ! L’autre jour, au salon du Molay, un pote m’a dit que Kim Fowley venait de casser sa pipe alors forcément je pense à lui. J’essaie toujours de reprendre contact avec les morts...

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— Tu me fais le coup à chaque fois. Une nuit entière sur Jack Bruce, une autre sur le petit organiste des Small Faces, me souviens pas de son nom, et une autre sur Paul Revere. Là j’imagine que c’est parti pour le restant de la nuit... Oh ce n’est pas grave, il est déjà trois heures, et demain, c’est samedi... Tu veux un verre de rhum ?

 

— Bonne idée ma puce.

 

— Tu l’aimes bien, ce fameux Kim Fowley. Souvent, quand on reçoit du monde à dîner, tu racontes des épisodes de son histoire. C’est vraiment vrai ce que tu racontais l’autre soir quand La Bloque et Tina étaient là ?

 

— L’histoire des Hollywood Stars ? Belle histoire, pas vrai ? Kim Fowley savait tout faire : enregistrer des albums solo, produire des groupes de surf, tirer des filles, et surtout monter des projets extraordinaires. Il se demandait quel était le groupe dont rêvaient les kids de Los Angeles et il le fabriquait. Kim Fowley fabriquait principalement du rêve, c’est pour ça qu’on l’admirait. En 1973, il avait eu la vision de New York Dolls californiens. Pour monter ce projet ambitieux, il avait comme seul point de départ son chauffeur, un certain Mark Anthony, un type qui avait déjà une gueule de rockstar puisqu’il ressemblait à Anthony Hopkins, et qui savait chanter et jouer de la guitare. Puis il est allé chercher les autres un par un : Terry Rae, un batteur et sosie de Paul McCartney, Ruben de Fuentes, Bobby Drier et Michael Rum...

 

— Oui d’accord, mais l’histoire du pacha, tu l’as inventée, n’est-ce pas ?

 

— Rox, ma puce, pourquoi me demandes-tu ça ? Tu ne me fais pas confiance ?

 

— Bien sûr que si, mais il t’arrive parfois de mordre le trait et de travestir la réalité quand ça t’arrange...

 

— Il n’y a pourtant rien d’extravagant dans le fait que Kim Fowley soit allé demander conseil à son ami Ali Pacha au Yémen ! Les Hollywood Stars ne décollaient pas, et Kim Fowley ne comprenait pas pourquoi. Le groupe disposait pourtant de tout l’arsenal nécessaire à l’explosion : le look, le son et surtout les chansons, des compos de Kim Fowley, donc des hits. La machine à rêve s’était enrayée et Kim était désemparé. Son ami Ali Pacha était le seul à pouvoir l’aider...

 

— Tu me fais rire avec ton Ali Pacha... Pourquoi pas Ali Baba, tant que tu y es ?

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— Ce n’est pas du tout la même histoire. Tu mélanges tout... Bon, bref, Kim saute dans un avion et va au Yémen. Il fait écouter «All The Kids In The Street» à son ami Ali Pacha et forcément, Ali Pacha trouve ça très bien. Les filles du harem aussi, puisqu’elles viennent danser ! Mais tu vois, ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est le fait qu’Ali Pacha soit le maître spirituel de Kim Fowley. Il lui apprend à rester modeste dans le processus d’élaboration des rêves ainsi que dans le négoce du plaisir. Quand Kim se plaint que la réalité a dévoré son rêve des Hollywood Stars, tu sais ce qu’Ali Pacha lui répond ?

 

— Non...

 

— En aucun cas la réalité ne peut agir sur un rêve que tu as décidé de bâtir... Et il ajoute même qu’à sa connaissance, c’est impossible. Tu vois, on croise des êtres exceptionnels au cœur de la mythologie de Kim Fowley ! Attends, ce n’est pas fini ! Ali Pacha lui redit ce qu’il avait déjà dit plusieurs fois : ne vois que les solutions, et c’était d’autant plus courageux de sa part qu’il détestait l’usage du mot solution.

 

— Oui, mon p’tit cœur, c’est impressionnant, mais ton histoire de lampe magique ne tient pas la route une seule seconde ! La lampe magique que Pacha offre à Kim, c’est ça ta fameuse solution ?

 

— Rox, la lampe, c’est à la fois la solution d’Ali Pacha et une métaphore, évidemment. Pour faire redémarrer un rêve, il faut bien utiliser une métaphore, sinon, c’est impossible, voyons, tu le sais bien. Kim Fowley est rentré à Los Angeles avec sa Solution et donc les Hollywood Stars ont décollé et sont devenus un groupe culte. Et culte, tu sais ce que ça veut dire : les disques restent à moisir dans les bacs parce que personne n’en veut, même à neuf euros. Mais à l’époque de la parution de leur seul et unique album sur Arista, les Hollywood Stars sont devenus énormes pour tous les lecteurs de Bomp, forcément. Et ce génie de Kim Fowley n’a fait que ça toute sa vie, monter des groupes de rêve comme les Runaways ou encore Venus & the Razorblades, attends la liste est longue !

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Il a aussi enregistré et produit les pires singles de l’histoire du rock, ceux que Norton a commencé à compiler sur quatre volumes, et puis il y a tous ses albums, et puis il y a aussi toute sa littérature, des textes fabuleux publiés par Mike Stax dans Ugly Things, on en trouve aussi sur les pochettes de quasiment tous ses albums, et puis tu as son livre, publié chez Norton, enfin, il y en a partout, dans tous les coins, il a produit tout au long de sa vie, son œuvre est considérable, ça donne un peu le vertige...

 

— Moi je préfère le vertige de l’amour...

 

— Rox, tu crois que c’est vraiment le moment de me tripoter ? Je te parle de Kim Fowley !

 

— Justement, tu m’as expliqué qu’il méprisait toutes les drogues sauf le sexe. Je trouve ce genre d’homme intéressant... Mmmm... Et l’histoire que tu racontais l’autre soir, quand tes copains de la musique sont venus manger, celle des bites chez Proby... Je n’en crois pas un mot, bien sûr, mais j’aime bien l’entendre quand tu la racontes...

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— Je savais bien que cette histoire allait te plaire. Toi, dès qu’on voit des bites en vadrouille, ça t’intéresse. Cette histoire, c’est du pur Fowley. Figure-toi que ce mec débarque à Londres en 1964 et qu’il s’installe chez PJ Proby, son compatriote californien envoyé là pour remplacer Elvis qui n’est jamais allé en Angleterre, tu vois un peu le travail ? Et dans la maison où vit Proby se trouvent aussi Vivian Prince, le premier batteur fou des Pretty Things et Phelge, un proche des Rolling Stones. Ils partouzent tous les jours et Kim raconte qu’il se balade dans un slip de gonzesse et qu’il y a découpé un trou devant pour faire passer sa bite. Quand on sonne à la porte, c’est lui qui va ouvrir, tu vois le tableau, ha ha ha ! Sex & drugs & rock’n’roll, baby ! Et qui sonne à la porte ? Vince Taylor qui voulait rencontrer PJ Proby ! Oui car c’est l’époque où les artistes étaient curieux les uns des autres et ils cherchaient tous à se rencontrer pour échanger des idées. Quand Vince s’installe à côté de PJ et de Kim dans la banquette, les autres sont en train de baiser Anna The Potato Girl sur le tapis du salon. Je te passe le détail.

 

— Mais l’histoire de la bite à Proby qui traverse Anna, c’est vraiment n’importe quoi... C’est l’un de tes fantasmes !

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— Rox, arrête de toujours vouloir tout rationaliser ! Putain, on est à au cœur du mythe ! Tu comprends ce que ça signifie d’avoir deux titans comme Kim Fowley et Vince Taylor dans une banquette ? Même dans tes rêves les plus fous, tu ne verrais jamais ça. Et pourtant, cette rencontre eut lieu dans la vraie vie, à Londres, en 1964. Quand Vince a dit à Kim qu’il n’avait pas besoin d’aller à Vegas pour détrôner Elvis parce qu’il était Dieu, c’est tout à fait logique que Kim lui ait demandé de prouver qu’il était Dieu ! Grave erreur que de mettre Vince Taylor au défi ! Alors Vince a tendu un doigt ganté de noir et les portes d’un placard se sont ouvertes toutes seules. Ça ne suffisait pas à Kim, alors Vince a tendu le doigt vers le mur et, crrrrrrac, une grosse lézarde est apparue, du sol au plafond. Il faut comprendre à travers ces phénomènes que TOUT est possible dans ce genre de contexte, tu comprends ? Mais Kim était un peu comme toi, il pensait qu’il y avait un truc ou que la maison était un peu ancienne. Et donc c’était normal que les murs se lézardent. Il rappela à Vince que Dieu ne s’amusait pas à ouvrir des portes de placard mais qu’il avait créé les animaux. Piqué au vif, Vince pointa son doigt ganté de noir sur les fesses de PJ qui était en train de tirer Anna et il créa le Probytosaurus Rex, la bête à deux dos.

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— C’est là où la bite de Proby traverse Anna et ressort pas sa bouche. C’est presque du Alien ton histoire. Tu veux bien essayer pour voir si ça marche avec moi ?

 

— Reverse-moi d’abord un verre... Et quand je passe un disque de Kim Fowley, tu aimes bien ?

 

— Oui, il y des morceaux qui me font penser à ton autre héros, Captain Beefheart...

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— Ah oui, c’est l’époque «Outrageous» et «I’m Bad», des disques qu’on écoutait tout le temps quand on était encore au lycée. Qu’est-ce qu’on pouvait adorer ça avec le frangin, des trucs comme «Animal Man» - I’m vulgar ! I’m mean yeah ! - et t’avais une fille qui arrivait dans la chanson et qui disait d’une voix de nympho humide - Man you’re so rough and so big - et Kim éjaculait ! «Outrageous» était le premier album trash-punk de l’histoire du rock. «Nightrider» en était le chef-d’œuvre, il hurlait pendant tout un couplet - aooouhhh ouahhhhh aouhhhhh ouahhhhh - et il se forçait même à vomir - arrrrrglllhhhh arrghlhhhh - ah le con ! Depuis, personne n’a jamais réussi à faire mieux ! Il rotait dans «Barefoot Country Boy» et il se remettait à vomir - argghhh - il en toussait, le con, et dans un spasme ultime il lâchait : rock’n’roll ! Pure auto-dérision d’un génie en herbe ! Là où tous les autres faisaient ça sérieusement, même Captain Beefheart, Kim Fowley tournait tout en dérision. Quelle rigolade ! Il se faisait photographier dans un trou d’eau ligoté avec des chaînes, tu vois le délire ? Et sur la pochette de «I’m Bad», il ressemblait à un homme de Cromagnon, alors qu’en réalité il était très beau. Ah, l’album «I’m Bad», c’est tout un poème ! C’est là-dessus qu’il sonne comme Beafheart, dans «Gotta Get Close To You» - closeeeer arghhhh - il était complètement barré et sur ce disque tout était joué à la slide. Dans «Queen Of Stars», il draguait une fille - Look out look at my eyes/ Touch my skin see my hair - et il poussait des cris d’orfraie, il avait de la bave, un vrai psychopathe ! Et dans «Fobidden Love», on avait un numéro de basse dément signé Pete Sears. Quand j’écoutais «I’m Bad», le morceau titre de l’album, j’avais toujours l’impression d’assister à la naissance d’un mythe, car Kim s’annonçait ainsi - Here I come rockin’ down the lane/ wild as a sunshine, gentle as a pain - Figure-toi qu’on appelle ça des vers classique, ma puce...

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— Il a fait beaucoup de disques ?

 

— Oh oui ! Disons une petite trentaine en son nom, mais tu le retrouves partout dans l’histoire du rock, en tant qu’auteur, manager ou producteur. Son curriculum donne le vertige et aujourd’hui, si tu veux tout savoir de son curriculum, c’est dans Wiki. Pas la peine de te fatiguer à chercher dans les vieux fanzines pour retrouver les infos. Tu cliques dans Kim et tu as tout tout tout et le reste, comme on disait avant dans SLC. C’est vrai que j’ai toujours admiré Kim Fowley, et ça, depuis l’origine des temps. Ses premiers albums n’étaient pourtant pas très spectaculaires. Il faisait comme tous les autres, du bon rock californien formaté pour les radios. De mémoire, son premier album s’appelait «Love Is Alive And Well». Tu y trouvais trois petites merveilles : «Flower Dum Dum», petit groove West Coast soutenu aux clap-hands sur lequel il jivait et ça allait devenir l’une de ses spécialités, par la suite, ces longues impros sur lesquelles il récitait des textes d’une musicalité extraordinaire, du type de celle que tu trouves dans les bons disques de rap. Il y avait aussi «This Planet Love», monté sur un pur Diddley beat. Mais il y avait surtout «Reincarnation» qui sonnait comme un hit des Seeds et qui avait déjà ce parfum d’éternité propre à Kim Fowley. C’est surtout dans le garage que s’est exprimé le génie de Kim Fowley, tu comprends. Il savait brûler comme l’homme de la Mancha, tu sais brûle encore...

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— Oui, brûle encore, même trop, même mal... Je commence à m’assoupir, mon p’tit cœur... Tes litanies m’assomment...

 

— Je réponds à ta question, c’est bien toi qui m’as demandé s’il a fait beaucoup de disques, pas le pape !

 

— Oui, mais tu ne vas pas me raconter les trente albums, tout de même ?

 

— Faudrait savoir ce que tu veux. Ou alors tu m’accuses de raconter des histoires à dormir debout, ou alors tu me reproches de t’endormir avec mes considérations critiques. J’essaye simplement de te donner les éléments qui vont de permettre de comprendre pourquoi cet homme a joué un rôle si capital dans l’histoire du rock. Au passage, je te rappelle que l’histoire du rock est aussi l’histoire artistique la plus riche de ce dernier demi-siècle. En tous les cas, je suis persuadé que le rock a touché beaucoup plus de gens que m’importe quel autre phénomène culturel, politique ou religieux, et John Lennon, même s’il le disait par pure provocation, avait bien raison de dire que les Beatles étaient plus populaires que le Christ. C’était hélas mathématiquement vrai. Et Kim Fowley a joué un rôle prépondérant dans cette aventure extraordinaire, car c’était un visionnaire, au même titre que Jeffrey Lee Pierce, Lux Interior, Sam Phillips ou Phil Spector. Il a su créer tout un monde, avec ses héros et ses légendes, ses disques et ses destins. Et ce mec m’accompagne depuis 1964, t’as qu’a faire le compte, ça fait cinquante ans ! Alors, tu comprends, ça ne relève pas de la petite anecdote. Et je vais même te dire encore mieux : il a toujours su rester dans le groove, c’est-à-dire qu’il a su traverser les époques et les modes en restant Kim Fowley le visionnaire, et il a fait comme Jerry Lee, au lieu de se faire bouffer par les tendances, c’est lui qui les a bouffées toutes crues !

 

— Puisque tu parles de Jerry Lee, il me semble me souvenir d’une autre histoire que tu racontais avec Gene Vincent...

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— Oui, c’est l’époque où Gene Vincent n’avait plus de contrat, donc plus de blé. Quand John Peel a appris ça, il a proposé à Gene Vincent d’enregistrer un album sur le label qu’il venait de créer avec son agent et complice Clive Selwood, Dandelion Records. Gene Vincent était l’un des héros de John Peel. Pour être sûr du coup, Peely demanda à Kim de produire le disque. Mais apparemment, ça ne s’est pas bien passé dans le studio, même si on voit aujourd’hui des photos des sessions où tout le monde a l’air de bien s’entendre. Kim aurait interdit la boisson dans le studio, ce qu’il faisait systématiquement avec les autres musiciens, quand il produisait un enregistrement. Pire encore, il aurait dit à Gene : «Hey toi, tu vas me chier une de tes grosses merdes pour teenagers» et bien sûr Gene l’aurait pris complètement de travers. Pour Gene Vincent, c’était l’album de la dernière chance. Ici en Europe, on attendait cet album comme le messie. On partait du principe que ça allait rester dans la veine de «Bird Dogin’» qui était le meilleur titre de Gene Vincent. Manque de pot, quand l’album est arrivé, ce fut une atroce déception. Toute la niaque de «Bird Doggin’» avait disparu. Pffff ! Volatilisée ! Plus rien ! Avec les copains, à l’époque, on a vécu ça comme une tragédie. Dans cet album, ça se barrait dans tous les sens, il y avait de la country et des balades... Tiens ressers-moi un glass, ma puce.

 

— Il n’a jamais joué dans un groupe, ton fabuleux visionnaire ?

 

— Non, Kim Fowley a toujours préféré faire cavalier seul. Comme il avait eu un succès d’estime avec ses premiers albums, il a continué de la jouer à l’Américaine, en artiste solo, tu vois, comme Elvis, Dylan ou Jerry Lee. Pas besoin d’être dans un groupe. Dans sa première époque, il a fait deux autres albums relativement intéressants, «Good Clean Fun» et ««The Day The Earth Stood Still». Il a fait chanter son ami Rodney Bigenheimer sur «Search For A Teenage Woman» et le résultat est stupéfiant, car Rodney n’a pas de voix, il chante même un peu faux, mais la balade est si tendre et si féerique qu’on se fait avoir - Oh teenage woman wof wof I love you I want you - On les voit tous les deux, Kim et Rodney, à la fin de ce fantastique film qu’est «The Mayor Of Sunset Strip». Ils sont attablés sur une terrasse, à Los Angeles, Kim porte un costard rouge et il dit : Eh oui, on est encore là ! Puis il fait un doigt de fuck à la caméra. Et dans «Motorcycle», on entend Kim faire la moto - rrrrrum-ba-ba-ba-ba ba-ba - Et tu sais d’où ça vient ?

 

— Quoi, la moto ?

 

— Ben oui, le rrrrrum-ba-ba-ba-ba ba-ba ! Ça vient des Rivingtons, l’aube de la sauvagerie ! C’est Kim qui a produit le fameux hit des Rivingtons, «Papa Ouh Maw-Maw» qui allait devenir le «Surfing Bird» des Trashmen et que tu as entendu quand on est allés voir les Cramps à l’Élysée Montmartre. Et sur Stood Still, il balançait sa première mouture de «Night Of The Hunter», une vraie pop de jerk à la Fowley ! Il écrivait alors des morceaux avec son copain Skip Battin qu’on allait retrouver dans les Byrds ! C’est sur cet album qu’on trouvait l’énorme «The Man Without A Country», bien tortillé à la tortillette, quasiment hypnotique, il poussait des awite awite d’aliéné et il laissait planer pendant tout le morceau l’immense doute d’un beat hypno. Ah ma puce, quel chef-d’œuvre ! Tu sais, il a bouclé ce que j’appelle son époque classique sixties avec l’un des plus beaux albums de rock de tous les temps, «International Heroes». Tu vois, j’ai tellement adoré cet album et le morceau «International Heroes» en particulier que j’ai encore le refrain en tête - International heroes, International heroes, we got the teenage blues/ The change has got to come soon/ Else we’re going to lose - Une merveille absolue, ça aurait dû être un hit planétaire. Oui, ça sonnait comme un hymne, comme «Like A Rolling Stone» ou «All You Need Is Love». On était en plein glam et Kim s’était maquillé pour faire la pochette. Charlie McCraken de Taste jouait sur cet album, tu te rends compte ? Il y avait aussi un folk-rock digne des Byrds sur cet album faramineux : «Somethning New», une chanson incroyablement mélodique digne du Dylan de 65 - Looking for something to do/ Looking for something to say/ Something new it’s probably true/ It’s the shiny new way !

 

— C’est vraiment dommage que tu chantes faux. Mais pourquoi il n’est pas devenu aussi célèbre que Madonna, Michael Jackson ou Sting ?

 

— Je t’en prie, ne me parle pas de ces gens-là et surtout pas de Stong !

 

— C’était pour te taquiner, mon p’tit cœur. Mais tu sais, ton fantastique visionnaire extraordinaire et bli-bli-bli et bla-bla-bla, il n’est pas très connu. Avant de te rencontrer, et avant que tu m’offres ses albums pour mes anniversaires sans jamais te poser la question se savoir si ça va vraiment me plaire, je n’avais jamais entendu parler de lui ! Et pourtant, je faisais comme toutes les filles de mon âge, j’écoutais les chansons du hit-parade à la radio. Alors oui les Rolling Stones et les Beatles, je connais. Les Bee Gees aussi. Mais Kim Fowley ? Jamais entendu une seule chanson de ce charmant monsieur !

 

— Attends attends, je reviens sur ce que tu disais avant. Les albums que je t’ai offerts ne te plaisaient pas ?

 

— Oh tu exagères ! Je n’ai pas dit ça ! Figure-toi que je les ai bien écoutés, mon p’tit père ! C’est pas difficile, ça fait quatre ans qu’on vit ensemble et tu m’en as offert quatre, tu vois !

 

— Et ça t’a vraiment plu ? Tu saurais m’en parler un peu sérieusement, parce qu’à chaque fois que je t’ai demandé si ça te plaisait, tu m’as répondu oui, mais tu ne m’as jamais dit pourquoi ces disques te plaisaient...

 

— Parce que je ne suis pas comme vous, monsieur Raymond la Science, je n’ai pas besoin d’éplucher les cuts comme tu dis à longueur de temps. Ça me plait parce que ça me plait et puis voilà, on ne va pas en faire une toute une histoire !

 

— Tu pourrais au moins me dire quels sont les morceaux qui t’ont plu !

 

— Oh je ne sais pas, moi, attends j’essaye de me rappeler... Celui où il tient un nounours rouge...

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— Ah oui, «Bad News From The Underworld» ! C’est un album un peu post-punk. Kim Fowley y fait sa petite gouape des bas-fonds. Tu te souviens des titres ?

 

— «Factory» ?

 

— Oui, «Face On The Factory Floor», c’est bien speegdy gonzales. Tu avais aussi «Zero/Zero», et «Invasion Of The Polaroid People», où il faisait le con. Et «Wormculture», l’album où il croise les bras, tu sais il porte une écharpe blanche...

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— Ah oui, avec ses copines ils s’amusent à faire les vampires de Dusseldorf. Sa copine Andrea chante vraiment bien. J’ai vraiment adoré cet album. Il parle beaucoup de sexe avec ses amies...

 

— Il disait souvent qu’il partouzait dans des décapotables avec des couples de lesbiennes. Sur cet album, tu devrais te souvenir de «Rubbertown Freak», tu sais il chantait comme ça - Rubberton freak ! Rubberton freak !

 

— Ah oui, le gros jerk !

 

— Un vrai garage pouilleux à la Kim Fowley, bardé de guitares grasses et qui sent bon la fosse à vidange et l’huile saumâtre ! Et ces chœurs de volontaires ! Quelle fantastique excavation de cave de fosse ! Quel tempo combattant ! Tu avais aussi «Momma’s Got A Shotgun» - I put the gun in your mouth and I want to see your smile ! - À la fin, Andrea se marrait, c’était encore du Grand Guignol signé Fowley ! Puis il y avait une autre énormité, «Bad Radiation Day», un pur chef-d’œuvre de dépravation garage - I can’t move and I can’t talk aaah aaaah aaah aaah - et ce travail de guitares grasses derrière ! Encore un garage à la ramasse ! Encore un coup de génie de Kim Fowley ! Ça sonnait comme tout ce qu’on aimait - Bad radiation day ! - Il chantait ça à la bonne franquette d’accords violents et de chœurs d’affranchis ! Et «Let The Madness In», tu l’as bien aimé ?

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— C’est lequel ?

 

— Sur la pochette, on voit la moitié de son visage en noir et blanc...

 

— Ah oui ! C’est un peu électro... J’aime bien «Sex On Television». Une fille entre dans la voix basse du chanteur, c’est un truc qui me plait beaucoup. Très sensuel...

 

— Sur cet album, tu as surtout «Midnight Tragedy» - it’s okay ! - Ça démarre dans le marais des sons, tu sais, et ça devient vite monstrueux, comme s’il sortait une statue des marais, on sent l’énergie fondamentale de Kim Fowley qui s’arrache à la glaise des concepts avec une mélodie ! Quel génie ! En fait avec cet album, il s’est enfoncé dans l’électro avec la force d’un mousquetaire. Mais quelle puissance ! Tu te souviens de cette chanson où il parle de la mère d’Orson Welles qui jouait du piano, avec sa double pulsion électro et piano ?

 

— Vaguement... Il chante aussi deux chansons à propos de Tori Amos, non ?

 

— Oui, «Tori Amos Drinks Teardrops In The Twilight Zone» ! Dément ! Il s’enfonce dans l’enfer électro et il fonde le temple de la compréhension percussive ! C’est surhumain. Il y a aussi «Ride», dans le même genre, où il drive le beat électro. Il est fantastique, l’ambiance est faite de clameurs électro. Il finit avec un autre coup de génie, «Lipstick Lesbians», un pur délire, il balaye tout le cirque des Primal Scream, on entend des voix de Vampirellas, c’est furieux, énorme, complètement dévastateur ! À tomber dans le coma des cons !

 

— Mais le dernier, je ne l’ai pas aimé du tout. Le rouge, avec les gouttes de mercure sur la pochette ! Trop de machines et trop d’effets. En plus, tu sais que je n’aime pas cette musique violente. Je me suis vraiment demandée si tu n’avais pas profité de mon annive pour pouvoir écouter ce disque...

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— Tu plaisantes ? «The Trip of A Lifetime» est pourtant un bon album, même s’il est électro. Kim Fowley crée des ambiance pour se livrer à son sport favori qui est le talking jive, voilà, c’est tout. Il s’amuse à pulser le beat des machines. C’est l’époque où il fréquente les Écossais et «Here Comes Norman» n’a rien d’électro, c’est gratté à la sèche et même drôlement mélodique. Il y a aussi un cut qui sonne comme du garage arabe de Rachid Taha, «Susan Walks», un vrai prodige, il déclame, parle de trash et de cash - Nobody’s reading in the 21st century - voilà ce qu’il prédit. Il sait poser sa voix dans les ambiances électro, comme Alan Vega. C’est parce que tu aimes bien Alan Vega que je t’ai offert ce disque. Un truc comme «Smokescreen», c’est excitant au possible. Et puis il y a ce voyage dans l’espace avec des femelles extraverties qui s’appelle «Future Pilot Excursion». Et il reprend aussi son vieux hit, «The Trip». Sur le deuxième disque, tu as une pièce de génie, «Festival Of Sun Reading» avec ses amis de Teenage Fanclub. On se demande d’ailleurs ce que ça fout sur cet album, tu ne crois pas ? Puisqu’on parle de ça, Kim Fowley s’est mis très vite à faire des albums en collaboration avec les Écossais de BMX Bandits. «Hidden Agenda At The 13th Note» est un album live un peu étrange, parce qu’on croirait entendre Jim Morrison. On sent que Kim Fowley est dans la résurgence des vieux mythes de la scène californienne. Il pose des conditions, exactement comme le faisait Jim Morrison sur scène. Les BMX créent des ambiances de groove et Kim se livre au talking jive. Il peut broder comme ça pendant des heures avec rien, crabmeat baby c’mon, c’est un sacré baratineur. Il fait aussi monter des filles sur scène pour dialoguer avec elle, il y a une qui fait «suicide !» et Kim fait «teenage !» Il fait aussi régulièrement du recyclage de «Gloria», comme dans «The Secret», et ça reste toujours incroyablement vivant. «Volcano», c’est du pur Morrison ! C’mon ! yeah yeah ! C’est monté sur les accords de «Mona». On trouve aussi sur cet album une version complètement trash de «Do You Want To Dance», du vrai trah-punk embarqué en enfer - Are we having a party or what ? - Il a aussi fait avec Chris Wilson un disque enregistré live à Berlin, «White Negroes In Deutschaland». Il y présentait Chris comme un survivant et un vieil ami qui est devenu son Keith Richards sans prévenir. Kim dit aussi qu’il avait fait ce disque «pour la seule joie de paraître stupide en public, pour rester non commercial, bien garage, Monsieur Mauvais Goût/Qui S’y Croit à un niveau horrible». Puis il revenait à sa passion pour les éclairs de génie - Sometimes I hear the guitar of Arthur Lee ! - Et il soignait sa réputation d’empereur du trash avec «Rockin’ in The Balkans» en pétant dans le micro - Serbs ! Slovacs ! Muslims ! You’ll die in your sleep ! Prout ! Prout ! - Il était mort de rire - Slavia ! Before the flood ! - Il a aussi collaboré avec Matthew Sweet d’Outrageous Cherry à Detroit pour un album fantastique, «Michigan Babylon» !

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Tu trouveras très peu d’albums de ce niveau dans l’histoire du rock, ma puce ! Là on entre dans le pur Detroit sound et on retrouve le groove épais dont les Stooges ont fait leur fonds de commerce. Il règne dans ce disque une ambiance terrible, un côté théâtral à base de sacrifices humains. «Questions Answers», c’est à la fois malade et babylonien, fabuleusement cadavérique. J’appelais ça à l’époque le génie malade de Kim Fowley. Pour ce disque, il s’était complètement renouvelé, tu te rends compte ? «Lions In The Street» est aussi une pure énormité, grattée par Matthew Smith, un mec qui va au wha-wha des bas-fonds ! C’est le fils spirituel de Ron Asheton et comme Kim sonne comme Iggy, alors tu comprends ça devient gravement exceptionnel ! «Lions In The Street» est typiquement un hit d’Iggy post-stoogien, sauf que Kim sonne la charge avec un dégueulis de distorse comme on n’en avait encore jamais vu ! Terrifiant d’allure dégommatoire ! Figure-toi que par le génie du son, Kim Fowley parvenait au même résultat que Mick Farren ! Il n’y a pas de hasard, ma cocotte. À ce niveau, on ne croise que des génies. Son «Skin Deep Electric Green» est superbe d’intention malveillante, voilà le groove malsain par excellence. Fantastique ! «Sex With Strangers» est encore un truc à se relever la nuit - wild and anonymous there’s no problem being alone - Il lance ça avec des revoyures de garage flamboyant, et ça nous fait une extraordinaire envolée de garage punk mélodique. Attention, Kim met les pieds dans le génie sonique de Matthew Smith, alors ça prend une tournure spectaculaire. Dans «Palace Of Ice», Kim se laisse couler dans le ruisseau comme le Christ, pour sauver le rock. Il sauve le monde avec son talking jive dans une ambiance profondément atmosphérique et plombée au beurre, et c’est jivé derrière avec tellement de violence ! Ça joue, mais c’est une horreur ! Le pauvre Kim Fowley n’a même pas idée de ce qui se trame derrière lui ! C’est de la démence pure, on est là dans l’explosivité maximale, énorme et catastrophique ! Sur un autre morceau, tu as Mary Respreto des Detroit Cobras qui vient lui donner la réplique. Et dans «Detroit 2000», il chante exactement comme Bob Dylan ! Incroyable, avec la pince à linge sur le nez ! Il a aussi travaillé avec Ben Vaughn, enfin, c’est un peu plus compliqué que ça. Ben Vaughn qui l’admirait lui a envoyé une cassette avec des carcasses de morceaux et Kim est allé en studio mettre des voix dessus, et c’est devenu l’album «Kings Of The Saturday Night».

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Il voulait mélanger Slim Harpo, John Fogerty et les Standells et faire des versions cajun de chansons de Déesses Espagnoles. Il voyait Ben Vaughn comme un Nick Lowe américain avec le cerveau de Sam Phillips et il appréciait sa musique qu’il qualifiait de mélange de rockabilly et de folk-rock. Cet album est du pur Kim Fowley, tout en ambiances et chanté au prêche psychédélique, presque monocorde - Who can I trust in a city in shock - demande-t-il dans un «Cities In Shock» posé sur le riff de «Gloria». La plupart des morceaux pré-enregistrés étaient des structures classiques garage - Action and Satisfaction - et Kim Fowley se livrait à ses extravagances habituelles, à son délire imprécateur. De grosses lampées de fuzz nappaient «Bad Man Bangin’» et on trouvait aussi sur cet album des grooves à la Suicide comme «Livin’ On The Edge». Mais le plus souvent, le doom tentaculaire revenait avec des morceaux comme «Dark & Empty Rooms». Fantastique album, si tu savais ! L’autre grand disque collaboratif de Kim est plus récent. Il date de 2003, si mes souvenirs sont exacts et il s’appelle «The West Is Best». Kim l’a enregistré avec Roy Swedeen. Tu vois qui c’est ?

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— ....

 

— Rox ? Tu dors ?

 

— ...

 

— Tu sais, Roy Swedeen, c’était le batteur des Misunderstood ! Kim et lui se partagent les morceaux. Kim attaque «Underground garage» à l’édentée. Il dit que «Road To Hollywood» lui fut inspiré par le gant noir du mec de Music Machine, tu sais, Bonniwell ! Il y a des morceaux de Swedeen qui sonnent comme du pur Billy Gibbons, sur cet album. Kim Fowley revient avec «Trailer Parks After Dark», où il traite d’une notion fondamentale de sa mythologie, les white trash roots, c’est-à-dire ses racines white trash. Il rappelle que son père Douglas Fowley était un B-movie actor et il en profite pour balancer une sacrée country de malheur ! Rox tu dors ?

 

— ....

 

— Tu sais, dans les seventies et les eighties, il s’est enfoncé dans une sorte d’underground et il a continué d’enregistrer des albums sur des petits labels qui avaient pour vocation d’être charitables avec les losers. Car on considérait alors notre héros comme un loser, alors que les albums restaient d’un très bon niveau. J’ai toujours fait l’effort de les rechercher et de les écouter. Ce mec ne m’a jamais déçu. Il a toujours su maintenir son cap, qui est celui d’un novateur. J’aime bien les novateurs...

 

— Oh non... Pitié ! Je te vois venir... Tu ne vas pas recommencer avec Apollinaire !

 

— Ah tu ne dormais pas, je m’en doutais... Rassure-toi, ma cocotte, je te redirai le Pont Mirabeau une autre fois, car on est loin d’en avoir terminé avec Kim Fowley.

 

— Quoi ? C’est pas encore fini ?

 

— Non mais tu rigoles ? Je ne t’ai pas dit pourquoi les albums des années de vaches maigres étaient importants ! C’est important que tu le saches, si tu ne veux pas mourir idiote !

 

— Merci !

 

— Tu sais bien, chaque fois que je le peux, j’essaye de te rendre service !

 

— Arrête de me prendre pour une conne !

 

— Ce que tu peux être susceptible, quand même ! Ressers-moi un verre, s’il te plaît...

 

— La bouteille est vide. Tu n’as qu’à bouger ton cul et aller en chercher une autre dans la buanderie. Et puis arrête un peu de boire, tu vas passer la journée à dormir et moi je vais devoir attendre que monsieur se réveille pour aller faire un tour !

 

— On ferait mieux d’aller boire un café, le jour se lève. Ce n’est pas maintenant qu’on va se rendormir...

 

— Vas-y si tu veux, moi je reste au lit, bien au chaud, mmmm...

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— D’accord, alors je reprends... Les années de vaches maigres et les labels improbables. Là dedans on trouve «Animal God Of The Street», paru sur Skydog, que j’avais été chercher à l’Open Market, rue des Lombards. C’était une sorte de sanctuaire tout bétonné et Marc Zermati portait une moustache rasée au milieu, ce qui veut dire qu’il ne lui restait plus que les deux crocs de chaque côté de la bouche. Ce disque est devenu un objet cultissime, mais ce n’est pas le meilleur album de Kim Fowley. J’adorais «Ain’t Got No Transportation» qui était une sacrée leçon de tatapoum, Kim jouait son va-tout au tape-cul de la rue Lepic ! Il faisait une fausse fin et un redémarrage terrifiant - Get my voodoo magic ! - Il était déjà complètement allumé puisqu’il poussait ses onomatopées.

«Living In The Street» est un album nettement supérieur et sur la pochette il commençait à développer son image de Dorian Gray du rock’n’roll. Il attaquait avec «Motorboat», un truc énorme tapé à l’outrance du son, on aurait dit un cut produit par Phil Spector. C’est l’époque où il travaillait avec Michael Lloyd qui allait fonder The West Coast Pop Art Experimental Band, un groupe devenu culte avec trois albums psyché. Avec «25 Hours A Day», Kim se prenait pour Gary Glitter et Ian Hunter ! Il respectait toutes les règles de l’art suprême. «Big Bad Cadillac» était une énormité démoniaque. Kim faisait la Cadillac en rotant - My baby threw up in a big bad Cadillac - C’était le rock de la gerbe, extrême, sonnant et trébuchant. Tout était bon sur ce disque, on n’en revenait pas à l’époque. Avec «Hollywood Nights», il disait vouloir imiter les New York Dolls ! C’était encore une énormité, un pâté de basse au croupion, un truc de fou, chanté à la décoincée et pulsé au pouet pouet de la désaille. Quelle énergie démente ! Le booting courait après le chant - Don’t cry bye bye - Puis il revenait à son cher Diddley beat avec «Thunder Road», qu’il chantait à l’arrache de la montée, et encore une fois, c’était à tomber. Vers la fin, il revenait à Dylan avec le morceau titre. On retrouvait un peu de sa passion pour Dylan dans l’album «Sunset Boulevard», paru à la fin des seventies et produit par Earle Mankey qui fit partie de la première mouture des Sparks avec son frère. Kim chante «In My Garage» exactement comme Dylan chante ses rengaines, en tirant certaines syllabes. Ah oui, on a aussi ce qu’il appelle du white trash on fire, «North American Man», un cut monté sur un beat r’n’b vraiment raunchy et suivi à la petite nappe d’orgue. Il y a aussi sur cet album un véritable radio hit, «Control», mais ça, peu de gens le savent. Dommage. «Control» sonnait comme un vieux hit bubblegum.

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Sur «Snake Document Masquerade», Kim s’amusait avec la disco, eh oui, il n’y a pas de sot métier ! Il s’amusait aussi avec le raggamuffin, mais quand il revenait au garage, alors je te prie de croire que ça faisait des étincelles ! «Snake Document Masquerade» est un authentique classique garage. On ne sait pas d’où sortait cet album, «Automatic», une sorte de compile avec sur la pochette une photo de Kim le glamster, comme sur «International Heroes», avec son manteau de fourrure et son T-shirt Space Age. Il s’agissait d’une sorte de compile où on retrouvait notamment «Shine Like A Radio» qu’il avait composé pour les Hollywood Stars et que Blue Cheer jouait sur scène. C’était un heavy groove californien tapé au drumbeat des contreforts de Topanga, tu peux me croire ! En tous les cas, c’était un vrai hit, ma cocotte ! C’était drumbeaté comme dans un rêve ! Il y avait un autre morceau de batteur sur ce disque, «Vision Of The Future». Cette compile était louche, mais les morceaux ne l’étaient pas ! Le dernier album de cette période bizarre était «Hotel Insomnia», il y proposait du groove nocturne et un peu de country traînarde. Tous les morceaux de la face B étaient grattés à l’acou au coin du feu et révélaient son côté intimiste. Mais je peux bien te le dire, je ne l’ai pas écouté souvent, car il est un peu ennuyeux.

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— Je te signale que tu aussi, tu es ennuyeux. Tu voudrais bien faire une pause ? On pourrait faire un petit calin, mmmm, en plus tu m’as l’air d’être en forme...

 

— Mais Rox, je ne t’ai pas encore parlé des deux plus grands albums de Kim Fowley !

 

— Quoi ? C’est pas encore fini ? Ça fait trois heures que tu me fatigues avec ton Kim Fowley ! Il y a vraiment des moments où je me demande si tu es quelqu’un de normal... Tu verrais ta tête quand tu racontes tes albums et tes histoires à dormir debout ! Si tu veux, je peux donner l’adresse d’une copine qui est psy. Elle s’appelle Christiane. Elle est très bien, elle pourrait t’aider...

 

— Je crois que ce serait plutôt à toi de te faire soigner, ma garce ! Chaque fois qu’on reçoit du monde, tu t’arranges pour que ça tourne en partouze ! Heureusement que nous avons des amis compréhensifs et cultivés !

 

— Oh, tu ferais mieux de te taire, tu es bien content quand tu as d’autres filles à tripoter, hein, mon cochon ! Vous les hommes, vous êtes bien tous les mêmes ! Vous êtes pudibonds quand ça vous arrange, mais dès qu’un sein apparaît, hop ! On remballe toutes les leçons de morale ! Tu crois que je ne t’ai pas observé ? Tu n’es pas le dernier à te mettre à poil ! Surtout quand on joue au strip poker ! Ah là, Môsieur adore perdre ! Môsieur ne fait plus son mauvais joueur !

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— Oui, cause toujours... C’est surtout depuis que je t’ai refilé les romans de Michel Houellebecq que tu te crois tout permis. Je suis certain que ces livres ont eu une influence considérable sur ta libido, et je trouve même ça plutôt bizarre, car c’est écrit du point de vue masculin et souvent ce n’est pas très flatteur pour les femmes...

 

— Mon pauvre ami, tu te fourres le doigt dans l’œil ! Et jusqu’au coude ! J’aime bien ce qu’écrit Houellebecq, il y a un souffle, c’est vrai, mais si un auteur a de l’influence sur ma libido, ce n’est pas lui, ce serait plutôt Catherine Millet... C’est autre chose ! Et quel souffle ! Tu sais qu’à travers elle, j’ai compris que l’extrême sensualité était l’expression de la liberté absolue ?

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— Alors justement, puisque tu parles de souffle, en voilà. «Fantasy World» est l’un des plus grands albums de Kim Fowley. Et tu sais pourquoi ?

 

— M’en fous !

 

— Parce qu’il l’a enregistré avec Francis McDonald des BMX Bandits. Kim dit qu’en McDonald, il y a une part Dave Edmunds, une part Todd Rundgren, une part Brian Wilson et une part Phil Spector pré-Beatles ! Sur ce disque, tout est claqué à l’accord majeur écossais ! À commencer par «Schoolgirl X». Avec «22nd Century Boy», Kim grimpe au faîte de la gloire du glam et du monde situationniste ! Il fait son Ziggy Dracula, the King of Noise, il trempe dans l’excellence juvénile avec la gravité d’un vieux junkie du Hollywood des années vingt !

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  Il ressort même pour cet album des morceaux qu’il avait composés à l’époque des Runaways, comme «My Baby And I» que Joan Jett trouvait trop wimpy. Mais c’est de la pop pimpante, embarquée au vent du Brill par l’invraisemblable Francis, un producteur digne de Jack Nitzsche. C’est claqué aux cloches et Kim chante ça à la démesure ! Encore pire : «Misery Loves Company», un cut gratté à l’insidieuse et balancé au pur jus garage californien. C’est d’une grandeur d’harmonique et de science garage californienne qui dépasse tout ! Kim tape dans la foison de son de Moby Grape et dans l’envergure des Byrds, mais il va beaucoup plus loin que tous les autres, tu sais pourquoi ?

 

— M’en fous !

 

— Parce qu’il a la voix ! Kim dit de «Fantasy World» que c’est un radio-hit et il a raison ! C’est de la power-pop de premier rang et il tient tout à la voix. Il nous ressort un glam magique avec «Children Of The Night» et figure-toi que «Liquid Refreshment For The Soul» fut rejeté par les Byrds qui trouvaient cette chanson trop organique ! Mais Kim Fowley chante mille fois mieux que Roger McGuinn ! C’est important de le rappeler ! Bon puisque je vois à ta tête que tu es complètement fascinée par Kim Fowley, je vais te parler de l’autre grand album, «Adventures In Dreamland» paru assez récemment, enfin quand je dis récemment, c’est une façon de parler, puisqu’il date de dix ans.

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C’est un album important parce que Kim y envoyait des messages à Rodney Bigenheimer, Phil Spector et Gene Vincent. Et à son chien ! En compagnie de Roy Swedeen, il retrouvait les accents dévastés de «Michigan Babylon». Tout le disque est infiniment laid-back. Avec «Ballad Of Phil Spector», il nous ramène au cœur de la légende. Il chante comme Dylan. C’est tout de suite de très haute volée. Il raconte la légende de Phil Spector. Les juke-boxes dansent dans le ciel étoilé. Il n’y a rien de plus dense que ce type de chanson dédiée. Kim Fowley retrouve un fil mélodique pour dire ce qu’il pense du génie de Phil Spector - He’s already been punished by the curse of genius - et il profite de l’occasion pour rappeler qu’il a chanté sur l’album «Phil Spector 1976-1979» avec Cher, Dion et Nilsson. Même chose pour «Ballad Of Gene Vincent» : pur génie et chant dylanesque. «Redlight Runners» est une chanson idéale pour la route, avec un tempo tex-mex. Si Kim ne conduit pas et qu’il fait appel à des chauffeurs, c’est pour ne pas devoir être grossier avec les autres conducteurs. Le tempo est plus énervé et il en profite pour ressortir ses vieilles onomatopées - chapapa ouk mow mow - C’est un vrai carnassier - Oumh pah pah redlight runners/ We’re gonna ride all night long runrun run runrun ! - Et comme je te l’ai dit tout à l’heure, il consacre aussi une chanson à son chien Boxey, «The Dog Next Door», un boxer nain qu’il adore. Il y parle de rubber girls et de lesbian warriors. Fantastique ! «Mrs Bigenheimer» est un clin d’œil à Liz, la femme de Rodney. Kim Fowley raconte ses souvenirs d’une époque complètement révolue, mais il s’accroche, c’est un nostalgique. Qui va s’intéresser à tout ça aujourd’hui ? Kim Fowley se bat avec ses fantômes. Cette chanson est du pur John Cale - When did she go ? Nobody knows - Oh il faudrait aussi que je te parle de Fire Escape, ce projet de dingue qu’il avait monté avec Michael Lloyd, Sky Saxon et Mars Bonfire ! Leur album «Psychotic Reaction» est un album de reprises ! On y trouve du Seeds, du Count Five, du Music Explosion et du Kim Fow...

 

— Je vais préparer le café. Tu viens ?

 

— Ça t’embête si je mets quelques morceaux pendant qu’on déjeune ?

 

— Si c’est un moyen de ne plus t’entendre bavacher, oui, je veux bien. Tu me soûles ! J’ai la tête qui tourne ! On dirait que c’est moi qui ai fini la bouteille de rhum !

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— Regarde, ce sont les albums Norton que Billy Miller a fait paraître depuis quatre ans ! Tu vois, ce sont tous les singles obscurs que Kim a enregistrés ou produits entre 1959 et 1969 !

 

— Tu veux un toast ?

 

— Non, pas tout de suite. Attends, je vais te mettre un morceau... Ça s’appelle «Mocassin» et le groupe s’appelle les Blue Bells !

 

— ...

 

— Pas mal, hein ? Il y a une histoire poilante autour de ce cut. Kim raconte qu’il partageait à l’époque un appart avec Derry Weaver et Mark Lindsay, tu vois qui c’est Mark Lindsay ?

 

— Ton café va refroidir...

 

— C’est le chanteur des Raiders. Bref, ils adorent un dieu nommé Azor. C’est une ampoule rouge qu’ils actionnent discrètement à l’aide d’un fil de pêche. Quand des filles arrivent dans l’appart, Kim et ces copains demandent au dieu Azor s’il veut voir les filles se déshabiller. Alors Azor clignote. Ça veut sire oui. Tu vois, ils s’amusaient bien ! Oh et puis ce truc. Ça s’appelle «Dedication Time» par Althea & The Memories, des doo-wop girls from the ghetto ! Écoute !

 

— Mais elles chantent faux ! C’est atroce !

 

— Mais oui ! Figure-toi que Kim Fowley voulait produire les pires disques de l’histoire du rock ! Il avait même créé le label Rubbish Records pour ça ! Tiens et puis, ça, «Surf Pigs», une démo qu’il avait enregistrée avec Mars Bonfire et que Ron Asheton avait entendue. Ron voulait que Kim chante dans les Stooges après le départ d’Iggy ! Kim a dit non ! Pas mal, hein ? Il a produit pas mal d’instros de surf avec des groupes comme les Renegades ou les Gamblers dont il disait qu’ils étaient GOD, tu vois un peu le travail ?

 

— Non, pas du tout !

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— C’est dingue, sur ces albums Norton, tout est bon, incroyablement inspiré et désuet en même temps, comme si ça appartenait à une autre époque. Tiens il y avait ça, un groupe qui s’appelait les Rituals, avec PJ Proby !

 

— Ton Proby de la bête à deux dos ?

 

— Oui, Kim le connaissait du temps où il s’appelait Jett Powers et qu’il jouait du rockab en Californie, de la même façon qu’il connaissait Sky Saxon du temps où il s’appelait encore Richie Marsh.

 

—On dirait du Chuck Berry, ton machin !

 

— Oui, tu as raison, c’est repompé sur «Johnny B Goode», mais ce n’est pas grave, tout le monde faisait ça à l’époque ! Tiens et ce «Ghost Train» par les Renegades ! Pur génie ! Comme dirait Miriam Linna dans sa présentation, c’est du jaw-dropping assuré. Il produisait aussi un groupe qui sonnait comme les Coasters, les Knights Of The Round Table. Kim voulait qu’ils montent sur scène dans des armures, mais ils n’ont pas voulu. Son idée a été reprise plus tard par les blackos de Parliament/Funkadelic qui montaient sur scène en armures et qui se battaient entre eux à l’épée. Tiens, et ça, «More Marathon» par Skip & Johnny, du garage d’antho - and round and round - qui préfigure l’un des plus gros coups de Kim Fowley, les fabuleux Belfast Gypsies. Alors là, on ne rigole plus. Tu vas trouver «Gloria’s Dream» des Belfast Gypsies sur une compile que tout amateur de rock éclairé devrait posséder, «Impossible But True - The Kim Fowley Story». «Gloria’s Dream», c’est l’heure de gloire de Kim Fowley. Il avait réuni les vestiges des Them après le départ de Van Morrison, c’est-à-dire les frères McAuley, pour enregistrer ce que je considère être le plus gros classique garage après «Gloria». Le problème encore une fois, avec ce genre de compile, c’est que tout est bon. Beaucoup trop bon ! Évidemment, c’est sorti sur Ace. Tiens écoute ça ! «Justine» par The Rangers ! C’est du punk avant l’heure et c’est d’une rare violence, tu ne trouves pas ? Et ça, c’est encore un cut diabolique des Rangers... «Reputation» !

 

— Tu devrais peut-être baisser un peu, parce que les voisins doivent encore dormir !

 

— Quoi ? Tu veux écouter ça en sourdine ? T’es folle ou quoi ? Tiens ! Je le mets à fond ! Fuuuuuck the neighbours !

 

— On sonne à la porte... Démerde-toi avec les voisins et baisse le son, on ne s’entend plus là-dedans !

 

— Si tu y vas, je te fais un bisou, d’accord ?

 

— D’accord. J’y vais...

 

— Attends Rox, tu ne vas pas y aller dans cette tenue, quand même !

 

— Et alors ?

 

— C’est bon, reste assise, j’y vais !

 

Traversé rapide du couloir. Ouverture de la porte. Le voisin docker en robe de chambre, avec un grand sourire aux lèvres.

 

— Bonjour m’sieur, excusez du dérangement, j’ai été réveillé par vot’ musique...

 

— Désolé... Un petit moment d’égarement. Ça ne se reproduira plus.

 

— J’crois que vous avez rien pigé. C’est quoi vot’ musique ?

 

— Les Rangers...

 

— Vache de bien ! C’est un groupe d’où ?

 

— Venez, entrez, on va boire un café et je vais tout vous expliquer ! Vous connaissez Kim Fowley ?

 

— Non.

 

— On va arranger ça.

 

Signé : Cazengler, complètement fowleyssivé

 



 

Disparu le 15 janvier 2015

 

Kim Fowley. Love Is Alive And Well. Tower 1967

 

Kim Fowley. Outrageous. Imperial 1968

 

Kim Fowley. Born To Be Wild. Imperial 1968

 

Kim Fowley. Good Clean Fun. Imeprial 1968

 

Kim Fowley. The Day The Earth Stood Still. MNW Swenden 1970

 

Kim Fowley. I’m Bad. Capitol Records 1972

 

Kim Fowley. International Heroes. Capitol Records 1973

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Kim Fowley. Animal God Of The Street. Skydog 1974

 

Kim Fowley. Living In The Streets. Sonet 1977

 

Kim Fowley. Sunset Boulevard. PVC Records 1978

 

Kim Fowley. Snake Document Masquerade. Antilles 1979

 

Kim Fowley. Automatic (Kim Fowley’s Story part Two). Secret Records 1980

 

Kim Fowley. Son Of Frankenstein. Moxy Records 1981

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Kim Fowley. Hotel Insomnia. Marilyn Records 1992

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Kim Fowley & Chris Wilson. White Negroes in Deutschland. Marilyn Records 1993

 

Kim Fowley & Rubberton Freaks. The Wormculture. Alive Records 1994

 

Kim Fowley. Bad News From The Underworld. Marilyn 1994

 

Kim Fowley & Ben Vaughn. Kings Of Saturday Noght. Sector 2 Records 1995

 

Kim Fowley. Let The Madness In. Receiver Records 1995

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Kim Fowley & The BMX Bandits. Hidden Agenda At The 13th Note. Receiver Records 1997

 

Kim Fowley. Michigan Babylon. Detroit Electric 1998

 

Kim Fowley. The Trip Of A Lifetime. Resurgence 1998

 

Kim Fowley. Sex Cars And God.

 

Kim Fowley & Roy Swedeen. The West Is The Best. Zip Records 2003

 

Kim Fowley. Fantasy World. Shoeshine Records 2003

 

Kim Fowley. Adventures In Dreamland. Weed Records 2004

 

Kim Fowley & John York. West Coast Revelation. Global Recording Artists 2011

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Kim Fowley is Frankenstein And The All-Star Band. Fuel 2000 Records 2013

 

Kim Fowley. Detroit Invasion. The End Is Here 2014

 

Impossible But True. The Kim Fowley Story. Ace Records 2003

 

One Man’s Garbage. Lost Treasures From The Vaults 1959-69 Volume One. Norton records 2009

 

Another Man’s Gold. Lost Treasures From The Vaults 1959-69 Volume Two. Norton Records 2009

 

King Of The Creeps. Lost Treasures From The Vaults 1959-69 Volume Three. Norton Records 2012

 

Technicolor Grease. Lost Treasures From The Vaults 1959-69 Volume Four. Norton Records 2014

 

Kim Fowley. Lord Of Garbage. Kick Books 2012

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MONTEREAU-FAULT-YONNE

 

07 – 02 – 15 / LE BEBOP

 

PULSE LAG / MARIANNE / K-RYB

 

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Ouragan de plaisir sur la maison, trois chats, trois chevaux, trois jeunes filles ont squatté la demeure. Je ne vous raconte pas le ravissant chaos. Une semaine pleine. Du coup je n'ai pas pu me rendre au concert des Howlin' Jaws à Paris la semaine dernière et ce samedi soir maintenant que le calme est revenu il est trop tard pour filer à Troyes au concert des Ringstones. Pas de 3B, ce qui n'empêche pas malgré l'heure tardive d'appliquer le plan B. En un quart d'heure, je puis être à Montereau, suffit que la Teuf-teuf accélère un peu et brûle quelques feux rouges. Fait un froid de loup, la route est déserte et mon fidèle carrocksse file sur l'asphalte gelé comme le démoniaque engin de Robur Le Conquérant. Rien à dire, quatorze minutes dix-sept secondes plus tard, je m'engouffre dans le Bebop. Comme le héros de Jules Verne, je suis le Maître du Monde.

 

Du monde mais pas la foule des grands jours. L'est vrai que la bise est glaciale et vous invite à rester chez vous. C'est pourtant la première soirée du Tremplin des Confluences pour les groupes régionaux, avec à la clef, un passage sur une des scènes du festival Confluences de Montereau. L'y est déjà passé du beau monde, Lou Reed, James Brown et Blue Oyster Cult.

 

PULSE LAG

 

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Déjà rencontré au tremplin de Meaux, il n'y a même pas un mois ( voir KR'TNT 218 ), tellement obnubilé par le jeu des guitaristes et de la chanteuse que j'en ai oublié de parler du batteur. Impossible de le zapper aujourd'hui sur l'étroite scène du Bebop. Surtout qu'il a une belle frappe compacte et ogivale. Par ce dernier adjectif j'entends qu'il délimite avec une extrême précision l'espace musical, l'écrin rockailleux dans lequel ses trois autres complices vont tresser leurs interventions. Coincée entre les deux guitares Margot n'a guère de place. Par contre elle a de la voix. L'en fait ce qu'elle veut. Elle est le centre convergent du groupe, au point focal de la perspective rétinienne, mais elle donne à chacune de ses interventions l'impression de surgir de nulle part. Surprend toujours. Elle l'arrache, un squale qui attaque au moment où on l'attend le moins, alors que l'on le guette et que l'on ne le quitte pas des yeux, un vocal qui resplendit et qui illumine, gorgé de soul et de hargne. N'en profite pas, ne passe pas son temps à discourir, dit ce qu'elle a à dire, et se tait, se colle au micro et laisse à ses acolytes le temps de s'exprimer. Parfois elle pousse l'humilité jusqu'à s'accroupir afin que l'on puisse mieux saisir le fraternel duel de la guitare de Théo et la basse de Thomas. De la belle ouvrage, du piqué-brodé sur doublure. Moins funk qu'à Meaux, plus subtilement rock and roll. Un jeu frotti-frotta, ôte-toi de là que je m'y mette, pousse-toi un peu que je te montre, mais sans aucune animosité, ne se marchent jamais sur les pieds mais s'interpellent amicalement, on laisse au confrère le temps d'être incisif et on répond en doublant la mise. Avec Tristan qui tomme par derrière pour planter les pieux du paddock, c'est un régal de les écouter. Ça tourne à la perfection comme une horloge suisse et ça coupe comme un couteau helvète. Et voici Margot qui vient nous rappeler qu'un combo de rhythm and rock sans lead singer c'est comme un coffre sans trésor. L'a compris quelque chose d'important – il existe une pléthore de soul women dont on peut s'inspirer, mais il ne faut pas se focaliser sur une seule et surtout ne pas chercher à imiter. Construit son propre phrasé, mon larynx et rien d'autre. Une personnalité qui s'affirme et qui rayonne. Se laisse emporter, par elle-même, sur le morceau final elle nous livre un impro-scat délirante qui laisse la salle pantoise. En plus ils jouent leurs propres compos. Pas des trucs informes qui tiennent davantage du recueil de citations, point de ces infâmes miscellanées fourre-tout de forts en thèmes qui recrachent sans âme leurs leçons apprises par coeur. Non de véritables architectures sémantiques, pas des châteaux de cartes prêt à s'écrouler à la moindre brise. Font preuve de maturité, de réflexion, de feeling cérébral. A tel point que le set terminé un de mes voisins se demande s'ils ont pensé à protéger leurs créations par un quelconque copyright. Quarante minutes dont il n'y a pas à jeter une seconde.

 

MARIANNE

 

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Encore un groupe déjà croisé. Ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable. C'était en juin dernier au festival de Romilly-sur-Seine ( voir KR'TNT ! 197 ) en première partie de Washington Dead Cats, mais j'ai fini par reconnaître Alex le chanteur. Une voix qui porte ( et fenêtres ) qu'il peut égosiller à volonté. L'est devant et les autres derrière. David et Thom aux guitares, un nouveau bassiste qui donne là son premier concert avec le combo, et Flo le batteur. Tout ce monde se démène comme de beaux diables. Un, deux, trois et c'est parti. Qu'importe si l'on n'arrive jamais. C'est à fond de train et au grand galop. Les effets de style à la Marquise de Sévigné, ce n'est pas le genre de la maison. Le rock and roll ne respecte pas les règles c'est bien connu. Les paroles des morceaux vous mettent les circonflexes sur les e qui en oublient d'être muets. C'est un rock pour malentendants. Toute la gomme dans les sonotones et ça tamponne dans les tympans crevés. N'ai rien contre. Le rock cavale ou crève l'oreille ouverte ne me déplaît pas, mais il faut éviter la monotonie. Alex ne chante pas vraiment, il pousse la loco un peu hors des rails mais sans engendrer les catastrophes espérées, adopte trop souvent un phrasé qui flirte avec le rap. Des lyrics à dominante sociale qui dénoncent le mal-être dans nos têtes. Des textes à la démonte-pneu, qui manquent un peu de finesse. A leur décharge je reconnais que ce n'est pas facile ni d'ajuster la langue de Molière au rock and roll, ni de l'expectorer en la rendant aussi coupante que le coutelas d'abordage de l'anglais. Efficace mais un peu brut de décoffrage. Marianne manque d'un soupçon d'originalité. Doit y avoir trois cents groupes en notre bel hexagone qui atteignent un tel niveau. Mais ce n'est qu'un début, le minimum de qualité requis pour changer de tablature, faudrait viser une subtilité instrumentale plus originale. Sympathique mais pas transcendantal.

 

K-RYB

 

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Il n'est jamais trop tard pour faire des expériences. Première fois que j'assiste à la présentation d'un groupe de hip hop électro. D'habitude j'évite. Le peu que j'entends à la radio ne m'incite guère, à poursuivre plus avant. Mais là, je suis bloqué, si je veux assister à la proclamation des résultats, faut bien que j'écoute le troisième concurrent. Deux gars d'allure sympathique et plutôt timides qui sont longtemps restés assis près de moi. Echangeaient des regards interrogatifs pendant que Marianne faisait pleuvoir ses ondées tempétueuses de guitares électriques. Perso, je pense que le jeu est un peu faussé d'avance, faire concourir un groupe non instrumental avec des combos traditionnels c'est un peu comme participer au Vents des Globes avec une barque à rames. En tout cas nos deux naufragés ne se défilent pas. Eric installe sa platine sur une table et K-Ryb au micro. L'Eric s'active sur ses boutons qu'il manipule à foison. L'en sort une musique un peu aigrelette, je m'attendais à une rythmique implacable, un beat d'enfer suffocant qui vous concasserait la moelle épinière, mais non, c'est tout doux, tout gentil, tout mignon, une quasi imitation de violons synthétisés dans le style variétoche larmoyante. J'entrevoyais déjà le rougeoiement des cités enflammées, mais non, ce sont des tendres, regrettent la laideur du monde et de notre quotidien, pleurent sur la mort de l'épouse bien aimée, toute une partie du public – sont venus pour eux - balance la main pour marquer la mesure, l'on se croirait à l'Eurovision. Pas vraiment très rock. Par contre le K-Ryb vous balance des textes longs de six kilomètres sans hésiter une seule fois. Une performance mémorielle devant laquelle je m'incline. Que voulez-vous que je vous dise ! Je ne fais pas partie de cette mouvance, sont à vingt mille lieues ( sous la mer ) de mes préférences musicales. Je leur souhaite tout le bonheur possible dans leur entreprise...

 

RESULTATS

 

On ne vote pas. Il y a un jury prévu pour cet office. Nous ne saurons jamais de qui il est composé au juste. Vingt minutes d'attente et voici la proclamation des résultats. Troisième position K-Ryb, sage et logique décision. Deuxième : Pulse Lag. Premier : Marianne, pour leur professionnalisme est-il précisé. A ce compte-là j'ai préféré « l'inexpérience » de Puise Lag. Même si Marianne n'a pas totalement démérité. Puisque je n'ai en aucune manière droit au chapitre – et n'aimerais être membre d'aucun petit comité décisionnel de ce genre, tout en étant bien conscient qu'une décision collective puisse s'avérer aussi aberrante – je n'ai plus qu'à retrouver la fringante teuf-teuf mobile qui hennit d'impatience à l'autre bout de la rue. L'a compris que dans la vie il faut que ça pulse. Lag.

 

Damie Chad.

 

HANK WILLIAMS & FRIENDS

 

THE RAMBLIN'MEN

 

MOVE IT ON OVER

 

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HEY GOOD LOOKING / LONE GONE LONESOME BLUES / LOVESICK BLUES / THERE A TEAR IN MY BEER / WHEN THE HOOK OF LIFE IS HEAD / MY SWEET LOVE AIN'T AROUND / KAW LIGA / RAMBLIN MAN / I'M SO LONELY I COULD CRY / YOUR CHEATIN' HEART / ROCKIN' CHAIR MONEY / MOVE IT ON OVER

 

MICHEL BRASSEUR / COLIN PETIT / CHRISTOPHE GILLET / FABRICE MAILLY / GUS / THIERRY SELLIER / GUILLAUME DURIEUX / ETIENNE DOMBRET / JAM JAM / ALAIN CHINA / MARC DESCAMPS / HERVE LOISON

 

Chickens Records / 2014.

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Les cent ans du rock and roll. A Tournai. Ne comptez pas sur vos doigts. N'est pas aussi vieux que cela. Mais toutes les idées qui vous invitent à faire la fête sont bonnes. Tout a commencé lorsque Michel Brasseur et Hervé Loison se sont aperçus qu'ils atteignaient en même temps l'âge canonique de cinquante ans. Ont décidé de fêter leur jubilé ensemble. Presque, avec leurs groupes Smooth And The Bully Boys pour le premier et Hot Chikens pour le second, et quelques invités de marque comme Steve Hooker, Lubos Bena & Bonzo Radvany, Victor Huganet, Charlie Roy & The Black Mountain, douze heures de show ininterrompu... L'occasion était trop belle, se sont retrouvés à douze pour enregistrer un disque, les apôtres se sont trouvés un dieu digne de leur folie : le père putatif du rock and roll : Hank Williams. L'enregistrement s'est déroulé à la bonne franquette, certains étant présents sur quelques titres, d'autres sur beaucoup, chacun selon son instrument, voire sur plusieurs. Au résultat une croustillante galette dont nous nous empressons de goûter toutes les parts.

 

J'avoue avoir imaginé le pire quand Hervé Loison m'a tendu le disque : «  Que des morceaux de Hank Williams, mais pas trop plan-plan tout de même ! » Avec ces énergumènes j'ai une fraction de seconde imaginé le pire. Une course à la mort post-punk pro-garage, genre Never Mind The Bollocks en plus speedé. Le Hank William découpé à la machette, essoré à la machine à laver et passé à la moulinette. Ça ne m'aurait pas déplu, car j'aime pousser les pépés dans les orties, mais alors pourquoi spécialement s'attaquer à l'immortel auteur de I'm So Lonely I Could Cry ?

 

Ben non, ne se sont pas conduit comme des vandales. Pourtant la piste était toute tracée, du yodel de Williams, suffit d'un glissement de glotte pour s'engouffrer dans les gloussements de gorge d'un Charlie Feathers, et hop un hoquètement de plus et nous voici dans les turpitudes vocales et grognassières d'un Jake Calypso. Bien non, nos garçons vachers amateurs d'hillbilly foutraque et de rockabilly épileptique n'ont pas été vaches, ont enfilé leurs habits du dimanche pour descendre en ville chez Uncle Hank. Ont simplement insisté sur l'aspect honky tonk de l'oeuvre. Z'ont laissé le fiddle au grenier et remisé la pédale ( pas la vha-wha, la sting ) à la cave et se sont contentés du minimum vital : contrebasse, guitare and drum. Un coup d'harmonica pour faire plus blues cow-boy que moi tu meurs, un soupçon de washboard pour montrer que l'on n'a aucune prévention contre les antiquités, et hop, c'est parti comme en quarante, pardon comme dans les forties.

 

Appliqués comme des enfants sages. S'agissait pas de se vautrer dans les coins. Total respect pour le grand-père mais pas non plus un job d'embaumeurs de cadavres dans la grande pyramide. Lui passent un sacré coup d'aspirateur sur les côtelettes. Lui font reluire l'osserie au kérosène. Ce n'est pas le grand bal de charité donné par la section des hémiplégiques du canton. En pleine forme les gus. Vous retaillent la charpente à grands coups de hache. Les vieilles poutres ils vous les changent par des poutrelles d'acier nickelés. Quel pied ! L'ancêtre Williams n'avait jamais osé sonner aussi Honky Thank ! Lui ont refait les rotules et changé la visserie. Lui ont retiré ses costumes démodés et bouffés par les mites et les ont remplacés par un perfecto de cuir noir inusable, avec un gros badge I Love Country ( pour ne pas dépayser les visiteurs ), quant au chapeau d'apparat de rodéo l'ont caché sous une meule de foin, et lui ont gominé la calvitie naissante. L'y gagne en prestance le pépère. L'en est le premier content. Tout joyeux. Pour un peu il nous danserait le hully gully, mais non ce n'est qu'une légère touche rock and roll. Imaginez qu'il ait vécu quinze ans de plus et que Hank et Elvis aient enregistré un disque en commun pour relancer leurs carrières respectives, le Williams aurait apporté ses compos et le Presley un peu d'électricité... Vous en rêvez déjà encore ? Ce n'est pas la peine, les Ramblin' Men l'ont fait.

 

MR WHITE

 

SINGS HANK WILLIAMS

 

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I'M GONNA SING / JAMBALAYA / I CAN'T HELP IT / CALLING YOU / NOBODY'S LONESOME FOR ME / I SAW THE LIGHT / ALONE AND FORSAKEN / HEY GOOD LOOKING / WON'T YOU SOMETIMES THINK OF ME / THERE'S A TEAR IN MY BEER ( live ).

 

2013.

 

Lui, ne s'y est pas mis à douze. L'a fait cela tout seul. Ce n'est pas que personne n'ait voulu l'aider, ce n'est pas qu'il pense qu'il est le meilleur de tous. Non c'est un solitaire. On ne l'a pas souvent aperçu dans le nord de l'hexagone – à ma connaissance il n'a commis que deux rapides apparitions parisiennes – mais c'est un lonesome cow-boy, débarque dans les bars et les saloons avec des bandes pré-enregistrées et ses guitares, et il vous fout à lui tout soul un souk d'enfer. Le lecteur se reportera à notre livraison KR'TNT ! 153 du 28 / 09 / 2013, et nous avons encore un de ses disques à chroniquer...

 

Seul, mais l'a quand même mis une jolie fille sur la pochette, a Lovesick Blue Girl, a Pink True Fine Nostalgia Gal for The Lovesick Blues Boy. L'en remercie deux autres dans les notes et cite quelques amis qui l'ont encouragé et aidé à enregistrer. Sinon il s'est chargé à lui tout seul de tout l'orchestre, guitares, basse, orgue, harmonica, cymbales... n'y a que pour le banjo qu'il a fait appel à Laurent Béteille et à Patrick Constant pour l'accordéon. Rien qu'à lire ce début de paragraphe vous commencez à entrevoir la réalisation du projet qui s'inscrit entre renouvellement et fidélité.

 

L'a bossé les arrangements, l'a redéfini les rythmiques, ne pas cloner, redessiner à son idée. A changé les couleurs musicales, a maté les documents d'époque pour s'inspirer. Ainsi sa version de I Can't Help It en duo avec Catia Ramalho est un clin d'oeil à celle donnée à la télévision ( sur NBC, la séquence est sur You Tube pour les esprits curieux ) par Hank Williams et Anita Carter qui fit partie de la queue de comète de la Carter Family, la formation ultérieure nommée Mother Maybelle And The Carter Sisters... De même son interprétation de Nobody's Lonesome For Me est précédé d'un document d'archive, Hank Williams s'apprêtant à chanter au Grand Ole Opry avec la merveilleuse voix... du speaker qui l'introduit. L'on se croirait sur un champ de course avec Sea Biscuit.

 

Ne reste plus qu'à chanter. Et Mr White s'en tire très bien. Ne nous lasse pas une seconde à jouer à Lassie, Chien Fidèle. N'est pas le vulgaire toutou collé aux basques du Maître. L'accompagne mais ne le suit pas. Chasse pour son propre compte. Suit ses propres pistes, ses siennes intuitions. Ne se colle pas un chewing gum entre les dents pour imiter l'accent du deep south made in Alabama ( sweet home ). Ne nous la fait pas non plus à la Oxford-Cambridge, le cul aussi pointu que le gosier, nous le fait à la Mr White et l'on n'en voit pas de toutes les couleurs. Pas le temps de s'ennuyer. Chaque morceau est un parti-pris et une invention.

 

Iconoclaste parfois. Son I Saw The Light accentue l'aspect aérien que Williams donna à ce gospel. Avec Mr White, l'on donne carrément dans la joyeuseté irrespectueuse, l'on sent le fagot. Tant que l'on aborde ce douloureux problème, je ne voudrais pas attirer les foudres de l'inquisition, mais son autre gospel I'm Gonna Sing, avec son exubérance de nègres dévoyés ne pourrait qu'inquiéter le Klu Klux Klan. Le gumbo de Jambalaya est avalé en une seule goulée qui accentue son typique aspect de fête orléanaise. Dans la même veine le Calling You n'est pas s'en rappeler le traditionnel Colinda. Un appel à la danse, au plaisir païen de secouer son corps, Mr White nous offre un Hank Williams souriant et heureux de vivre. Jusqu'à Nobody's Lonesome For Me qui nous est vaporisé sous une forme quasi guillerette. Et le reste à l'avenant, même si l'harmo sur I Can't Help It tire vers la tristesse du blues.

 

Hank Williams en joyeux drille ? Hank Williams en gai-luron ? Chassez le naturel, il revient au galop. Alone And Forsaken – dont le chant de Williams n'est pas sans préfigurer la violence de Dylan - ici récité comme un poème de Wordsworth étale les plis noirs du désespoir. Encore plus sinistre avec ses nappées d'orgue mortuaire que la version de Williams elle-même. Une parfaite réussite. Une roche noire et solitaire qui projette son ombre funérale sur tout le disque. Retournement de situation. Mr White a compris Hank Williams beaucoup plus profondément qu'il n'y paraît. Derrière le rire, l'angoisse. Au bout de l'existence, le néant de la mort. Mr White a su tirer le rideau noir.

 

HANK WILLIAMS

JAMBALAYA

 

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LOVESICK BLUES / YOU WIN AGAIN / COLD COLD HEART / JAMBALAYA / WEDDING BELLS / ( LAST NIGHT ) I HEARD YOU CRYING / YOUR CHEATIN'HEART / I'LL NEVER GET OUT THIS WORLD ALIVE / HEY GOOD LOOCKIN' / I CAN'T HELP IT ( I'M STILL IN LOVE WITH YOU ) / WHY DON'T LOVE ME / RAMBLIN' MAN / I SAW THE LIGHT / THE LOST HIGHWAY / I'M SO LONELY I COULD CRY.

 

Black Cat 2003.

 

Indépassable. Insurmontable. Inimitable. Et pourtant dès les premières notes l'on entre dans un autre monde. Cette voix nasillarde, cet accent traînant, cette pedal-steel guitar qui pleure en sourdine, ce violon qui gémit, bienvenue au pays des cow boys de pacotille. Il y a longtemps que l'Ouest n'existe plus, l'on est bien après la grande dépression, l'on a même franchi victorieusement la deuxième guerre mondiale. L'Amérique domine le monde. N'y a que dans le cœur des hommes que tout va mal. Hank Williams sera le transcripteur du malaise existentiel de ses contemporains. Les loosers au lonely heart ont leur chantre. Mais le personnage est beaucoup plus ambigu qu'il n'y paraît. Faut entendre en contrepoint comme il se fout des chagrins d'amour dans ses roucoulements yodélisés. N'existe pas de chanteur plus désenchanté que le souriant Hank Williams. Vous écrivait de sublimes chansonnettes à la chaîne. Tout le monde ne peut pas être enfermé à Perchman. Le blues du blanc c'est lui. L'habit ne fait pas plus le moine que le cow-boy d'opérette. Whisky, morphine et os en miette. Le country man était du moule dans lequel on fait les Gene Vincent. Un rocker dans l'âme qui épuisait les chants du possible. Trop lucide pour croire en la possibilité de la révolte. Et Elvis n'avait pas encore ouvert l'hôtel des coeurs brisés. Ses chansons comme un aller-simple sans retour vers nulle part. Pas étonnant que souvent dans les ponts – l'est rusé, aime se la couler douce, donne tout l'espace à ses Drifting Cow-boys - l'on entend le souffle chuintant du shuffle interminable. Comme la locomotive en cavale du père toujours absent... Le premier à faire une carrière. Sans Colonel Parker pour tracer les limites. Son exemple a dû beaucoup faire réfléchir Elvis. N'y a pas que les chansons à succès dans la vie, il y a aussi la vie, et ça c'est beaucoup plus difficile à gérer. Williams n'a pu compter que sur sa famille, sa soeur, sa femme. Pas pour rien qu'il n'était pas mort depuis trois mois que naissait – une rendue pour deux prêtées - sa fille naturelle. Conçue hors mariage. Comme un ultime pied de nez à cette lumière d'absolue moraline qu'il décrétait avoir vue. Le blues est la musique du diable et le honky tonk celui de l'absence de dieu. Malgré son succès, sa position de vedette, Hank fut un solitaire, blessé au plus profond de lui. Essayait de se racheter une conduite sur la banquette arrière de sa voiture. C'était déjà trop tard. L'est arrivé au terminus trop tôt.

 

Nous reste ses chansons. M'ont toujours fait penser à une éponge imbibée de tristesse que l'on presse entre ses mains pour en chasser l'eau croupie. Mais il en reste toujours une dernière goutte. Celle qui s'infiltre dans votre âme et qui vous inocule le bacille du désespoir à la première seconde. Prend bien soin de vous, fait tout ce qu'il peut pour vous dissuader d'y porter la main. Sourire niais et parole à l'eau de rose. Je t'aime, toi non plus. Une savonnette pour glisser dessus et vous enfuir avant d'être pris dans les rets du spleen. Hank Williams c'est comme l'alcool, vous savez qu'à forte dose, cela va vous faire du mal. Mais vous retâtez du goulot sans regret comme le nourrisson qui tête sa mère. Une drogue. Douce. Dure. Comme vous voulez. Tout dépend de la manière dont vous la regardez. Mais l'on y revient. Pas une simple dose, tout un disque entier. Question de mesure. L'on prend tous les risques. Car le grand Hank est au fondement de tout. Un cador de la musique populaire américaine, l'idole d'avant le rock and roll blanc. Celui qui fit la liaison entre le honky tonk et le western swing. Celui qui en quelque sorte coupa les amarres pour que le bateau ivre de ce qui allait devenir le rock and roll puisse prendre sa course dans les torrents. Rafting Williams. En eaux troubles.

 

Damie Chad.